L’homme de votre vie n’ouvre jamais un livre, a le regard vitreux quand vous lui dites que ça y est, Anna Karénine s’est enfuie avec Vronski ; vous fait sursauter en criant « but !!! » au moment où Anna se jette sous le train… Pas de panique, ce guide va vous aider à en faire un lecteur fou, en dénichant LE livre qui va le faire bas-culer. Il est fan de films de zombies ? Mettez-lui entre les mains World War Z de Max Brooks. De musique ? High Fidelity de Nick Hornby. De sport ? Courir de Jean Echenoz. Il a envie de briller dans les dîners ? Parlez-lui de Comme un roman de Daniel Pennac. Avant de produire votre arme fatale, les joies de la littérature érotique…

À six ans, armé d’un coutelas d’ivoire offert par Pif Gadget, Vincent Monadé revivait les aventures de Rahan. À huit ans, il tombait amoureux fou de Fantômette. À seize, il conquérait Plassans et La Fortune des Rougon.

Il a été libraire, plume pour des hommes politiques, attaché culturel au Congo. Il vit avec une lectrice acharnée et ils ne sont d’accord sur aucun livre, ou presque. Quand il ne lit pas, il préside le Centre national du livre.

Au rire de Déborah, au rire de Judith, au rire de Jean.À Amandine G., ma lectrice.À mon grand-père.

Vincent Monadeéeé

Comment faire lire les hommes de votre vie

payot

Retrouvez l’ensemble des parutions des Éditions Payot & Rivages sur

payot-rivages.fr

Illustrations de Serge Bloch

© Éditions Payot & Rivages, Paris, 2017

ISBN : 978-2-228-91841-1

7

IntRoDuctIon

Le lecteur est une lectrice. En vérité, si, si, penchée que vous êtes sur cet opuscule, sacri-fiant les Repetto dont vous rêviez aux quinze bouquins qui encombrent vos bras, c’est vous. Je vous imagine sortant de votre librairie pré-férée, un sac de livres à la main. Vous rentrez chez vous, heureuse, anticipez les heures de lec-ture qui vous attendent. c’est un vendredi soir. Les enfants sont chez les scouts, votre ex, leurs grands-parents, des amis dont vous plaignez déjà la mère, bref, vous vous en êtes débarrassé. Pas de dîner à préparer, de douches, de devoirs, de discussions sur les minuscules aventures d’écoliers, rien. Deux jours entiers de néant serein, deux jours à lire. Le bonheur.

Vous ouvrez la porte, balancez vos chaus-sures dans l’entrée, vous servez un verre de vin,

8

Introduction

une bière, un thé ou une tisane, selon l’envie (reconnaissons que, week-end oblige, le verre de pinard l’emporte), enfilez jogging, chaus-settes, chaussons, veste en polaire aux couleurs passées, passez en deux minutes de femme d’action à zombie casanier, hésitez entre votre lit et le canapé, choisissez ce dernier mue par un reste de conscience, vous mettez à l’aise, ouvrez le sac de livres, musardez entre deux, trois titres, choisissez avec un soupir d’aise (règle numéro 1, Elena Ferrante l’emporte), vous votez une gorgée de jaja, ouvrez le roman, disparaissez au monde.

notre histoire pourrait s’arrêter là et reprendre lundi matin. une femme détendue, vive, reposée, attaquerait la semaine avec entrain. n’était l’ennemi. celui qui n’aura de cesse, deux jours durant, de perturber vos lec-tures, de s’ennuyer bruyamment, de demander à sortir, de se plaindre, d’écouter la télévision bien fort, de percer, trouer, clouer, d’inviter des amis à voir le foot, d’exiger de vraies discus-sions à cœur ouvert au cours desquelles il parlera de lui, de son boulot, de ses projets, de demander « c’est bien, ce que tu lis ? », de commenter la quatrième de couverture, de faire des blagues carambar sur le nom de l’auteur,

9

Introduction

de perturber l’espace et le temps par sa seule présence. L’homme.

car l’homme ne lit pas. ne lui jetons pas la pierre, pas encore. À l’adolescence, lorsque les filles plongent dans John Green, Harry Potter ou Vango, il décroche. Imaginez sa vie, aussi. En quelques mois, il passe de l’enfance, odeur de savon, bouclettes nuageuses, frimousse et tâches de son, à cro-Magnon. Encombré de bras et de jambes dont il ne sait que faire, il sent le poney, aurait besoin de changer de pieds tous les jours, a autant de cratères sur le visage qu’un télescope en voit, dans l’espace, sur la lune.

Il découvre la bande de potes et la nécessité vitale, pour l’adolescent, d’en faire partie et d’y tenir son rang. Pire, il découvre les filles (ou les garçons, d’ailleurs, on s’en fout). Hier encore, moitié invisible de l’humanité, parfois bruyante mais négligeable, voilà qu’elles occupent tout l’espace. Il ne voit plus qu’elles, ne rêve que d’elles, s’astique en permanence – et ne sait même pas leur dire bonjour. Alors oui, per-turbé, mal à l’aise, usé, désespéré, obnubilé par son désir d’appartenir et d’aimer, l’homme, l’Adam futur, arrête de lire.

10

Introduction

Et c’est vous qui récupérez, vingt ans plus tard, le boulet. ce serait une telle joie, pour-tant, de partager romans et lectures, de lui passer votre dernier coup de cœur, de lire le sien, de fouiner dans les librairies pour trouver LE livre qui lui fera plaisir, de l’aimer comme lecteur aussi bien que vous le connaissez comme amant. De passer, l’un et l’autre, des heures collés à lire, de ne s’interrompre que pour faire l’amour, manger un morceau, boire !

Reconnaissons que vous avez fait des efforts. Depuis combien d’années faites-vous semblant de vous passionner pour vingt-deux crétins qui courent après un ballon alors qu’il serait plus simple de leur en donner un à chacun ? Vous supportez sa mère, ses amis, ses soucis, sa pas-sion pour le vin naturel – bref, sa « mâlitude » – sans barguigner. Et même ses mômes (bon, certes, ce sont aussi les vôtres, parfois, mais leurs mauvais côtés viennent de lui). Il est temps, devant un énième week-end gâché où vous arriverez, au mieux, à lire trente pages d’un roman qui n’aurait pas dû passer la nuit, de réagir.

L’homme n’est pas une cause perdue. En lui, certes enfouis sous des années de lecture du Monde, de Paris-Match, de France-Football ou

11

Introduction

d’Ouest-France, sommeille l’esthète, le connais-seur, le littéraire, celui qui peut venir à bout, par la face nord, en solitaire et en hivernal, de L’Homme sans qualités : le lecteur.

Rassurez-vous ! Inutile, pour faire de lui un Jean d’ormesson érudit et drôle, de rédiger des notes de lecture pour la Revue des Deux Mondes au salaire horaire de Paul Pogba. Aux pro-chaines vacances d’été, vous ne le verrez plus. claquemuré dans votre location, transpirant par 60  degrés au soleil sous la tente, il lira Guerre et Paix comme autrefois L’Équipe – passionné, furieux, acharné.

L’homme est un être simple. Infiniment moins rusé que sa compagne, peu subtil, il obéit à des règles immuables. Que ce soit pour le faire participer aux tâches ménagères, l’asso-cier à l’éducation de ses enfants, ou le rendre lecteur, il existe des techniques, éprouvées et ancestrales. L’homme est un Sudoku : au départ il paraît insoluble puis, une fois la grille maî-trisée, il se résout en une minute.

ce livre n’a d’autres ambitions que d’ex-poser les quelques méthodes qui, bien appli-quées, suivies et maîtrisées, feront de votre homme un umberto Eco du siècle qui vient,

Introduction

un bibliothécaire d’Alexandrie, un causeur éblouissant à faire passer Bernard Pivot1 pour un analphabète – bref, un homme qui lit des livres, les comprend et les partage.

Rien n’est perdu. À la fin de ce voyage, vous râlerez pour qu’il sorte le nez de son livre et le chien, vous vendrez votre télé et l’abonnement à beIn Sports sur eBay, vous aurez des dépenses de librairie équivalentes au PIB du Bhoutan. L’homme peut lire, Mesdames. Voyez com-ment.

1. Bernard Pivot, ancien présentateur d’« Apostrophes » et président du jury du prix Goncourt, a fait lire des centaines de milliers de gens, dont moi.

13

Commencez simplement – Non, L’Équipe n’est pas un livre (mais c’est déjà un bon début)

ce soir-là, il est partout. Imaginez un pâtre grec, brun, ses cheveux bouclés tombant sur les épaules, les yeux noirs, une fossette à la cary Grant, un short blanc, un tee-shirt vert, des sourcils à plonger une esthéticienne dans la névrose. Il a vingt, vingt et un ans. Plus jamais, après lui, un joueur de foot ne sera aussi beau, même cantona. Il virevolte, dribble, frappe… Mais c’est l’Iliade : les dieux, le destin, l’univers sont contre lui. Saint-Étienne perd sa finale de coupe d’Europe contre Munich ; Dominique Rocheteau entre dans la légende, pour toujours Ange.

14

Commencez simplement

Aucun homme de plus de quarante ans ne peut ignorer cette histoire. Et aucun de plus de trente ne se rappelle sans émotion le coup de tête de Zidane. Ils sont ainsi : même s’ils vous ont séduite en prétendant détester le sport, ne jamais regarder un match (ou alors seulement pour la coupe du monde), même s’ils passent sur le canapé plus de temps que Kim Kardashian dans une bijouterie de la place Vendôme ; même si, une fois l’an, ils se lancent dans un footing « je reprends le sport » pendant que vous cherchez, pani-quée, le numéro des urgences les plus proches – ils aiment le sport.

La probabilité que chéri ne lise pas L’Équipe, France-Football ou Midi olympique est à peu près aussi élevée que celle d’entendre la vérité sortir de la bouche de Jérôme cahuzac. Qu’ils soient acharnés, abonnés aux chaînes de sport ou discrets, sournois, suivant le championnat de France sur internet, faussement détachés, les hommes parlent de sport entre eux bien plus que de femmes ou de sexe, sujets intéressants, certes, mais non vitaux. combien d’amitiés viriles brisées sur oM-PSG ? combien de pugilats pour l’honneur d’usain Bolt, clean

15

Non, L’Équipe n’est pas un livre

comme un premier communiant ou chargé comme une mule ?

cela vous agace. Alors que vous le voudriez attentionné, délicat, déclamant pour vous seule de la poésie romantique tchèque, vous sup-portez, soirée après soirée, son hystérie (« passe bordel », « tire, mais tire »), ses injures envers l’équipe adverse, toujours composée de chauds partisans du mariage pour tous, ses insultes au corps arbitral dans son ensemble, le tout relayé par ses amis, hélas invités, hélas assis sur votre canapé, et qui, pris tous ensemble, peinent à atteindre le QI de l’huître de Belon, notoire-ment la plus conne des bassins.

Et pourtant… Pardonnez-moi la métaphore sportive mais pour transformer ce supporter en  un fanatique de lecture qui, le soir de France-Allemagne en finale de la coupe du monde 2018, plongera avec délices dans Les Illusions perdues, faites du judo. utilisez sa force contre lui. Il aime le sport ? c’est par ce biais-là que vous allez le conduire à ouvrir un roman et à entamer le long voyage qui le rendra lecteur.

Votre homme ne lit que L’Équipe ? Vous devriez vous réjouir, récitez vos prières : il lit. ne jugez jamais, ne critiquez pas ses choix de

16

Commencez simplement

lecteur, ne lui serinez pas, comme à l’école ou à Saint-Germain-des-Prés, qu’il y a ce qu’il faut lire et le reste (à comprendre : ce qui est popu-laire). Il n’y a que de bons ou de mauvais livres et franchement : mieux vaut lire un mauvais livre que ne pas lire du tout.

En outre, il lit (ne riez pas) un des meilleurs journaux de France, où la langue est restée un enjeu, finalement le plus littéraire des pério-diques de la presse française où, après Antoine Blondin, sévit un Vincent Duluc (grand écri-vain du sport et chroniqueur de la gloire). Plutôt que de gloser sans fin sur cette lecture de neandertal, indigne de lui, glorifiez le combat sportif. c’est la dernière frontière. Intéres-sez-vous aux exploits de ces nouveaux Achille, de ces césar, de ce Roger Federer qui, à peu de chose près, redevient champion à l’âge où Abraham fut père. Et préparez-vous à lui faire lire, par la ruse, comme une athlète dopée lais-sant son adversaire dans les starting-blocks, des livres sur le sport. car il y en a, et de très bons, et de grands. Ainsi, vous pensez que le football et les passions qu’il provoque sont des survi-vants aberrants de l’ère des dinosaures, rescapés improbables du météore géant et de l’ère

17

Non, L’Équipe n’est pas un livre

glaciaire. Mais le foot, oui, Mesdames, le foot – votre ennemi intime, ce destructeur de libido, ce coach de ventres à bière – a inspiré des écri-vains, a donné au monde des livres merveilleux, a enrichi la littérature de tacles au niveau de la gorge et d’épopées terribles conclues par des défaites, des larmes, et le retour des héros, vaincus mais fiers, auprès de leurs dulcinées, vaillantes et accortes.

un samedi, sortez lui acheter L’Équipe, assorti de son magazine hebdomadaire sur papier glacé. Au préalable, vous aurez fait l’ac-quisition de Carton jaune, de nick Hornby, drolatique roman sur la passion pour le football d’un supporter d’Arsenal, que vous glisserez dans le journal. De retour à la maison, ne dites pas « je t’ai offert un livre » ou « tu devrais lire ça, c’est sur le foot, c’est bien ». non.

toute lectrice affublée d’un non-lecteur le sait : l’homme, cet ingrat, ne lit jamais les livres que vous lui offrez, même s’il feint la joie avec la crédibilité d’un lion vegan à un point d’eau fréquenté par des gazelles. Vos cadeaux rejoignent sa table de nuit, y prennent la pous-sière, migrent un jour vers les rayons de la

18

Commencez simplement

bibliothèque, virginité conservée, honneur sauf.

Là, vous rapporterez le journal sans un mot, le poserez devant l’homme et son café du matin, puis attendrez. Quand il s’exclamera (car l’homme aime s’exclamer comme il aime uriner au milieu de la cuvette, là où il fait du bruit, pour souligner sa puissance) « mais d’où sort ce bouquin ! », répondez simplement qu’il était offert avec le magazine. En effet, il est fort peu probable que votre homme soit au courant de la loi Lang1, laquelle, benoîte, interdit ce genre de promotion. Et ajoutez, subtile, perverse et déjà triomphante « j’ai jeté un œil, ça parle de foot, bref, aucun intérêt ». Ainsi, piquant la curiosité du supporter, jouant sur l’ego du mâle qui aime vous démontrer que vous avez tort, vous aurez tendu votre ligne, appâté, ferré. Il mordra, lira, sera mordu.

Il est possible, peu probable mais possible, que l’homme de votre vie n’aime pas le foot, qu’il soit féru de cyclisme, de rugby, d’athlé-tisme, etc. Point d’inquiétude. Votre librairie

1. La loi Lang de 1981 impose un prix unique pour le livre et encadre strictement les opérations commerciales.

19

Non, L’Équipe n’est pas un livre

regorge, là aussi, de médicaments sans ordon-nance. Courir de Jean Echenoz, Night Train de nick tosches, Petit éloge de la bicyclette d’Éric Fottorino, vous ne manquerez pas de bons ouvrages à lui glisser entre les mains.

Et qui sait, peut-être lirez-vous, à votre tour, LE quotidien sportif. Vous devriez ; je le lis depuis trente ans, et je ne m’en suis jamais lassé. c’est que, voyez-vous, il y a très peu, de différences entre Moby Dick et le Ventoux.

Pour l’appâter

nick Hornby, Carton jaune, traduit par Gabrielle Rolin, Paris, 10/18, 2010.

Davide Pascutti, Fausto Coppi, traduit par Samuel Delerue, Paris, cambourakis, 2013.

Pour l’apprivoiser

François Bégaudeau, Jouer juste, Paris, Verticales, 2003.

nick tosches, Night Train, traduit par Julia Dorner, Paris, Rivages, coll. « Écrits noirs », 2002.

Commencez simplement

Pour lire ensemble

David Peace, Rouge ou mort, traduit par Jean-Paul Gratias, Paris, Rivages, coll. « Littérature/Rivages », 2014.

Alberto Salcedo Ramos, L’Or et l’Obscurité, traduit par cyril Gay, Paris, Marchialy, 2016.

tABLE

Introduction .......................................................... 7commencez simplement – non, L’Équipe n’est

pas un livre (mais c’est déjà un bon début) ... 13Faire du chat un lion ........................................... 21Vaincre sa peur (parfois, le héros recule) .......... 29utiliser l’enfant (moralement répréhensible,

certes, mais efficace) ......................................... 37Flatter l’ego du mâle (technique ancestrale) .... 45Les mauvais genres (ou comment le rendre

accro) .................................................................. 53Le chantage (on ne fait pas d’omelettes sans

caser des moyens douteux) .............................. 61La parade du coq (le repas de famille et le dîner

mondain comme armes absolues) .................. 69L’antre du Mal (lui faire pousser la porte

d’une bonne librairie)....................................... 77L’agent double (utiliser sa mère) ........................ 87Le pouvoir des anciens (pourquoi lire

les classiques) ..................................................... 95Lire c’est jouir (de la littérature érotique) ........ 103Payer sa dette, transmettre .................................. 111notre besoin de consolation ............................... 119

Ouvrage réalisé par PCA, Rezé