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34 MAIRES DE FRANCE SEPTEMBRE 2016 Dossier F açades grises frappées de pan- neaux « à vendre » ou « à louer », volets fermés aux peintures écaillées, vitres sales ou brisées, magasins aux rideaux de fer baissés, rues vides ou presque, paupérisation… Est-ce une fatalité ? En tout cas, une chose est sûre : un simple ripolinage des façades ne suffit pas à répondre aux mutations territoriales, écono- miques et sociales. Depuis une tren- taine d’année, les communes se développent massivement dans les périphéries. Dans le même temps, les habitudes de consommation et les modes de vie ont changé : grande distri- bution, achats par Internet… Dans les villes moyennes et les bourgs, l’anima- tion s’est déplacée, créant ainsi de nou- veaux centres, où peu à peu les lieux de loisirs et même les services médicaux les ont rejoint, obligeant les habitants à utiliser systématiquement leur voiture… Pendant ce temps, les centres s’assoupis- sent et se dégradent. Vacance commer- ciale, vacance des logements, vieillisse- ment et appauvrissement des habitants… Le phénomène est parfois tel qu’il est dif- ficile de savoir comment agir. Surtout, on constate une certaine fébrilité en la matière, avec des communes qui enga- gent d’onéreuses mesures de revitalisa- tion en centre-bourg mais continuent, dans le même temps, de signer des per- mis de construire pour des lotissements en extension, ou autorisent l’installation de grandes surfaces commerciales en périphérie… Certains maires commen- cent cependant à adopter des positions plus fermes en la matière, même si nom- breux d’entre eux considèrent que les drive in, etc., sont des marqueurs de la modernité. Comment inverser cette tendance ? Peut-on convaincre un boucher ou un poissonnier de s’installer dans un centre- Créer les centres-villes et bourgs de demain Nombre d’élus voient le cœur de leur commune se dépeupler et perdre ses com- merces. Mais des exemples de redynamisation montrent qu’on peut inverser cette tendance. Il s’agit de redon- ner de l’attractivité au centre en l’adaptant à la vie d’au- jourd’hui, en prenant en compte la mobilité, l’amélio- ration des logements… © D.R.

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34 � MAIRES DE FRANCE SEPTEMBRE 2016

Dossier

Façades grises frappées de pan-neaux « à vendre » ou « à louer »,volets fermés aux peinturesécaillées, vitres sales ou brisées,

magasins aux rideaux de fer baissés,rues vides ou presque, paupérisation…Est-ce une fatalité ? En tout cas, unechose est sûre : un simple ripolinagedes façades ne suffit pas à répondreaux mutations territoriales, écono-miques et sociales. Depuis une tren-taine d’année, les communes se développent massivement dans lespériphéries. Dans le même temps, leshabitudes de consommation et lesmodes de vie ont changé : grande distri-bution, achats par Internet… Dans lesvilles moyennes et les bourgs, l’anima-tion s’est déplacée, créant ainsi de nou-veaux centres, où peu à peu les lieux deloisirs et même les services médicauxles ont rejoint, obligeant les habitants àutiliser systématiquement leur voiture…

Pendant ce temps, les centres s’assoupis-sent et se dégradent. Vacance commer-ciale, vacance des logements, vieillisse-ment et appauvrissement des habitants…Le phénomène est parfois tel qu’il est dif-ficile de savoir comment agir. Surtout,on constate une certaine fébrilité en lamatière, avec des communes qui enga-gent d’onéreuses mesures de revitalisa-tion en centre-bourg mais continuent,dans le même temps, de signer des per-mis de construire pour des lotissementsen extension, ou autorisent l’installationde grandes surfaces commerciales enpériphérie… Certains maires commen-cent cependant à adopter des positionsplus fermes en la matière, même si nom-breux d’entre eux considèrent que lesdrive in, etc., sont des marqueurs de lamodernité.

Comment inverser cette tendance ?Peut-on convaincre un boucher ou unpoissonnier de s’installer dans un centre-

Créer les centres-villes et cbourgs de demain

Nombre d’élus voient lecœur de leur commune sedépeupler et perdre ses com-merces. Mais des exemplesde redynamisation montrentqu’on peut inverser cette tendance. Il s’agit de redon-ner de l’attractivité au centreen l’adaptant à la vie d’au-jourd’hui, en prenant encompte la mobilité, l’amélio-ration des logements…

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TROIS QUESTIONS À…

Caroline Cayeux (1)« NOUS CONSTRUISONS EN CENTRE-VILLE DES MAISONS OU DE PETITS IMMEUBLES EN R+2 »

(Agence nationale de l’habitat). 300 col-lectivités ont été invitées à déposer leurcandidature.

Aujourd’hui, 54 communes lauréatesde moins de 10 000 habitants sontdotées d’un chef de projet dédié exclusi-vement au projet de redynamisation ducentre-bourg (voir l’exemple de Salins-les-Bains, p. 39). Son poste est pris encharge à 80 % par l’État, au moyen duFNADT. Le Commissariat général à l’éga-lité des territoires (CGET), en lien avecl’Anah, suit et anime le dispositif. Au pro-gramme, une approche globale prenanten compte les commerces bien sûr, maisaussi la mobilité, le parc de logements,les espaces publics, les services.

Depuis 2016, un autre dispositif, éga-lement piloté par le CGET, a été mis enplace cette fois en direction des centres-villes ou centres-bourgs au sein d’unitésurbaines de moins de 50 000 habitants.Une enveloppe de 300 millions d’eurosa été dédiée au sein du fonds de soutienà l’investissement local.

Agnès FERNANDEZ

ville ? Comment convaincre des opéra-teurs commerciaux d’y investir ? Un com-merçant a besoin d’habitants et de flux.Et pour créer ces flux, d’offrir des loge-ments confortables, sains et aérés, où unefamille peut ancrer un projet de vie ; avecdes lieux de travail adaptés aux entre-prises et/ou associations d’aujourd’hui.C’est seulement ensuite, une fois cesconditions créées, que des commerçantspourront envisager d’investir. Et propo-ser autre chose… des produits de qualité,locaux, éventuellement bio, des points devente Amap (Association pour le main-tien d’une agriculture paysanne), et autrescommerces « alternatifs », des locaux d’ar-tisans. Car la demande est là.

Depuis peu, une prise de conscienceest en marche. Des mesures se mettenten place. Gouvernement, administra-tions, collectivités territoriales et leursassociations, établissements publics,conseils d’architecture, d’urbanisme et

de l’environnement (CAUE), ou écolesd’architecture prennent en comptedésormais ce phénomène. Les actionsmenées sont fortement soutenues par laCaisse des dépôts qui apporte un appuifinancier, une expertise et un soutien enmatière d’ingénierie et de logistique.

En 2014, Sylvia Pinel, alors ministredu Logement, de l’égalité des territoireset de la ruralité, lançait un appel à mani-festation d’intérêt (AMI) pour accompa-gner de façon expérimentale la revitali-sation de centres-bourgs en métropoleet outre-mer. Un budget dédié de 230 mil-lions d’euros sur six ans est ainsi consa-cré à la mise en œuvre de mesures visantà lutter contre l’étalement urbain, à dis-poser d’une offre nouvelle de logementsdans les centres, mais aussi à contribuerà la reconquête des centres-bourgs avecdes services de proximité. Ce programmeest financé par le Fonds national d’amé-nagement du territoire (FNADT) et l’Anah

centres-

DossierCentres-villes et centres-bourgs

Depuis les années

1, la population augmente fois

plus vite dans la France entière que

dans le centre desvilles moyennes (Source : Caisse des

dépôts).

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1,%C’est le taux de

vacance commer-ciale en 1

(, % en 1) dansles villes moyennes

(de à 1 habitants)

Ces dernières années, les élus ont développéleurs communes essentiellement dans lespériphéries. Quel est leur état d’espritaujourd’hui, à l’heure où les centres sontdésertés ?Concernant la problématique du commerce, lesmaires ont compris qu’il fallait arrêter de « béton-ner » la périphérie. Les grandes enseignes type Bricorama ou Décathlon peuvent y être car ellesont besoin d’espace. Mais à Beauvais, par exemple,je viens d’installer un centre commercial tout neufde 1 m en centre-ville.Pour les élus, le développement de leurcommune est aujourd’hui plus facile enextension qu’en renouvellement urbain.Comment inverser cette tendance ?Aujourd’hui, nous cherchons à densifier sur lesdents creuses, afin éviter les contraintes de trans-ports. Car plus on étale l’offre immobilière, plus ondoit déplacer les écoles, les centres de loisirs… Lesgrands ensembles ont suscité par réaction une

forte demande de maisons individuelles. Maisaujourd’hui, nous construisons en centre-ville desmaisons ou de petits immeubles en R+ pourrépondre à la demande de parents qui souhaitentque leurs enfants aillent à l’école tous seuls. Il fautêtre ingénieux et tirer parti de l’espace disponible.Vous préconisez un programme national derevitalisation des centres-villes. Êtes-vousentendue ?Je l’espère ! Nous avons fait le constat qu’il n’yavait pas eu de politique publique pour les villesmoyennes depuis ans. Les métropoles sontaujourd’hui au centre de l’attention. Mais les villesmoyennes maillent le territoire, sont des repèrespour les territoires ruraux qui éprouvent parfois unsentiment d’abandon. Il faut aider au développe-ment pour que les habitants ne soient pas obligésde parcourir des kilomètres pour trouver les ser-vices et l’animation d’une ville.

(1) Maire de Beauvais, sénatrice, présidente de l’associationVilles de France.

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afin de stimuler l’activité desartisans locaux et de dévelop-per des filières de matériauxécologiques (chaux, terre,bois, chanvre, lin, etc.). C’estaussi le moyen de renforcerdes filières de formation…comme le fait Cahors qui, auxcôtés de la CCI, développe lesformations en alternance et amis en place un concept decolocation alternée, gérée parle foyer des travailleurs (voirp. 38). Autre piste : proposeraux créateurs de (toutes)petites entreprises des lieuxde travail mutualisés (pépi-nières d’entreprises, espacesde coworking)…

Repérer les activitésqui ont besoin de se développerLa ville de Saint-Brieuc (Côte-d’Armor) a facilité la créationd’un pôle médical regroupantplusieurs praticiens, financésur fonds privés, sur le site del’ancienne caserne Charner,

le tout embelli par un espace public. Cesecteur est redevenu un pôle actif, biendesservi.

Bien sûr, la réalisation d’un équipe-ment public est également tentante,même si les financements sont moindres.Et si là encore on innovait ? En obligeantle multiplex (privé) à s’installer en centre-ville. Ou, dans une petite commune, encréant un lieu polyvalent, à la fois com-merce, café-restauration avec un lieu deréunion pour les associations.

Regarder ce que font les autresCarole Contamine, directrice de l’établis-sement public foncier (EPF) de Bretagne,constate que « les maires dressent sou-

Pour inverser la tendance à ladévitalisation des centres-villeset centres-bourgs, il est néces-saire de revoir son mode de

pensée… et d’expérimenter.

Un diagnostic pour s’appuyersur l’existantUne mise à plat s’impose. Avant touteaction, il est indispensable d’élaborer undiagnostic des forces et faiblesses de lacommune afin de s’appuyer sur l’exis-tant pour faire levier. Il s’agit également-d’élaborer une stratégie d’action adaptéelocalement, de travailler au niveau inter-communal pour engager des actionscomplémentaires.

Mobiliser les spécialistes Établissements publics foncier (EPF),directions départementales des Territoireset de la mer (DDTM), CAUE, Anah, Fondsd’intervention pour les services, l’artisa-nat et le commerce (FISAC), Caisse desdépôts… Nombreux sont les organismesdont les dispositifs d’ingénierie et definancement ne demandent qu’à êtrecoordonnés. Tous ces acteurs insisterontsur la nécessité de traiter à la fois les ques-tions de mobilité et de stationnement,d’amélioration du parc de logements(souvent désuets, parfois vétustes voireinsalubres), de création d’espaces publicset de services à la personne (notammentmédicaux). Car la revitalisation du com-merce sera une conséquence (et non unpréalable !) de ces actions.

La puissance publique ne peut pastout. L’enjeu est donc d’attirer des parte-naires, des entrepreneurs et des investis-seurs privés afin de co-construire des pro-jets. L’important est de fixer un cap, de lefaire savoir et de le tenir politiquement.

Élaborer une stratégied’actionsPour commencer, la municipalité (ou

1

l’intercommunalité) peut inventorier leslieux vacants susceptibles d’être recon-vertis en logements ou en activités (bâti-ment désaffecté en centre ville) ; et, parallèlement, sonder les besoins desentreprises, administrations et associa-tions locales. Et éventuellement orga -niser la concertation… À Châlons-en-Champagne (Marne), la Caisse des dépôts vient de déménager dans l’ancienmess des officiers de la caserne qui afermé en 2015 (entraînant le départ de1 000 foyers). La chambre de commerceet d’industrie (CCI) ainsi qu’une sociétéd’économie mixte locale (SEM) s’y sontégalement installées.

La municipalité peut aussi encoura-ger une politique de rénovation du bâti

Du sur-mesure pour chaque communeIl n’y a pas de recette miracle pour revitaliser un centre-ville. Chaquecommune est unique et les solutions doivent être adaptées au tissu local.

DossierCentres-villes et centres-bourgs

En savoir +Guide Favoriser l’approvisionnementlocal et de qualité enrestauration collec-tive, ministère del’Agriculture, del’agroalimentaire etde la forêt (1).http://agriculture.gouv.fr/approvisionnement-local-restauration-collective

Guingamp Louvigné-du-Désert

PouancéDoué-la-Fontaine

PériersPont-Audemer

Desvres

ArleuxBohain-en-Vermandois

GuiseSierck-les-Bains

SchirmeckCommercyJoinville

Langres

Giromagny

Salins-les-Bains

Montbard

AvallonChâteaumeillant

Buzançais

Montmonrillon

St-Maixent-l’École

Barbezieux-Saint-Hilaire

La Réole

Villeneuve-de-Marsan

Nay

Grand-Bourg

Saint-Pierre

MaripasoulaCilaos

Bandraboua

LauzerteDecazeville

Tournus

Thizy-les-Bourgs

St-Bonnet-le-Château

St-Flour

St-Éloy-les-Mines

Ussel

St-Yrieix-la-Perche

St-Marcellin

Guillestre

Castellane

Vico

Pont-St-Esprit

Marvejols

Lodève

BramLavelanet

Largentière

Ham

Lizy-sur-OurcqOrbec

Communelauréate, associéeà la communautéde communes ou d’agglomérationdont ellefait partie.Sources : CGET,1 Fondscartographiques :IGN Geofla, 1 Réalisation cartographique :CGET, KH, 1

Les lauréats de l’appel à manifestation d’intérêt « centres-bourgs »

GUADELOUPE MARTINIQUE GUYANE LA RÉUNION MAYOTTE

ILE DE FRANCE

PICARDIE

HAUTENORMANDIE

CENTRE

BASSENORMANDIE

BOURGOGNE

NORDPAS-DE-CALAIS

LORRAINE

ALSACE

FRANCHE-COMTÉ

PAYS DELA LOIRE

BRETAGNE

POITOUCHARENTES

AQUITAINE

MIDI-PYRÉNÉES

LIMOUSIN

RHÔNE-ALPES

AUVERGNE

LANGUEDOCROUSSILLON

PROVENCEALPES

CÔTE D'AZUR

CORSE

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vent un constat amer de la situationlocale, réalisant qu’ils ont eux-mêmessigné les autorisations d’extension à l’ex-térieur du bourg. Et ils cherchent aujour-d’hui à sortir de ce modèle ». En réponse,l’EPF multiplie les actions, colloques,publications, mais aussi visites sur le ter-rain afin de comprendre « comment descollectivités s’emparent du sujet, avecquels raisonnements et quelles aides ». Ila ainsi créé un réseau sur le mode « lesélus parlent aux élus », qui présente treizeretours d’expériences présentés par l’as-sociation Bruded et l’EPF Bretagne aucours de quatre cycles de visites en2015/2016 (1).

Rénover le parc de logement,susciter l’engouementNombre de personnes vieillissantes etisolées souhaiteraient se rapprocher desmédecins et des commerces, sous réservede trouver des logements adaptés dansle centre (confort, accessibilité, calme,verdure). La demande est réelle. À Saint-Lô (Manche), le CAUE tente de sensibili-ser les habitants à la qualité urbaine ducentre-ville ; il publie des photos de loge-ments rénovés qui disposent de jardinsou de terrasses. Par exemple, un appar-tement aménagé façon « loft » dans un

immeuble de la reconstruction. Rien detel que de « donner à voir » pour susciterl’envie…

Mobiliser les agencesimmobilières et les banquesSouvent, les agents immobiliers se plai-gnent de se voir confier des biens vétustes,mal agencés, parfois même insalubres encentre-ville. L’établissement public fon-cier de Bretagne tente « la réactivationd’une chaîne de production de loge-ments », avec les banques (souvent fri-leuses), les notaires et les agences immo-bilières afin d’attirer les investisseursprivés. Il s’agit de réarticuler les disposi-

tifs existants et de sécuriser des opéra-tions parfois complexes, explique CaroleContamine, directrice de l’établissementpublic foncier.

Être lucideMichel-François Delannoy, coordonna-teur du dispositif Centres-ville de demainde la Caisse des dépôts (voir encadré ci-dessous) et ex-élu à Tourcoing, connaîtbien les problématiques des maires.Selon lui, « il faut de la lucidité. On ne peutpas courir après un mythe du passé. Leshabitudes de consommation ont changé.Aujourd’hui, faire ses courses est souventune corvée, on cherche à économiser sontemps et son budget, ce qui se fait plusfacilement dans un hypermarché. Quandl’offre commerciale est surabondantedans la périphérie, il est plutôt vain devouloir en rajouter dans le centre. Il fautse projeter vers l’avenir, et parfois avoir lecourage de dire à ses administrés que cesecteur était commerçant mais ne le seraplus. En revanche, on peut s’interroger surce qui fait l’animation d’un centre : la pos-sibilité de déambuler, de retrouver sesamis, de fréquenter des commerces quioffrent le plaisir de goûter, de sentir, avecdes produits différents de ceux de lagrande distribution… Il s’agit désormaisde repérer des tendances, de créer des com-merces hybrides qui allient produits etservices, bien ancrés dans le territoire. »En somme, réinventer les centres-villesde demain.

A. F.

(1) http://epfbretagne.fr/-re-habiliter-les-centres-bourgs-1-retours-d-experience-pour-passer-a-l-action.html

Les dispositifs de la Caisse des dépôtsFortement mobilisée sur la question de la revitalisationdes centres-villes, la Caisse des dépôts vient renforcerles deux dispositifs mis en place par l’État (lire p. )mais aussi développer deux dispositifs spécifiques :• le dispositif Centre-ville de demain, qui vise àconcentrer et assembler ses moyens d’interventionpendant deux ans sur la base d’un projet de redynami-sation et d’un plan d’action ;• les Démonstrateurs, véritable « laboratoire terri-

torial de la Caisse » qui vise à tester des méthodes etdes propositions nouvelles en les concentrant sur dixsites : Cahors (voir p. ), Châlons-en-Champagne,Lunéville, Miramas, Nevers, Perpignan, Vierzon, etFort-de-France en Martinique. Elle a aussi lancé un fonds pour soutenir les projetsd’économie sociale et solidaire, et un fonds de garan-tie pour des porteurs de projets qui ne sont pas « banquérisables ».

DossierCentres-villes et centres-bourgs

Marc Abadie,directeur du réseau et des territoires de la Caisse des dépôts

Avis d’expert

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« Ce problème des magasins fermés et de l’ha-bitat insalubre a longtemps été traité par des poli-tiques segmentées : piétonnisation de tel secteur, réno-vation des façades dans tel autre. Il faut aujourd’huiconsidérer le problème et les solutions autrement. Passeulement en délivrant davantage d’argent ou en met-tant en place des dispositifs contraignants, mais plutôten désectorisant les politiques et en acceptant que celaprenne du temps. « Il faut une politique nationale mais extrêmementmodulable, décentralisée. Pas une addition de disposi-tifs. La Caisse des dépôts vient en appui de l’État. Il fautêtre agile. Le dispositif expérimental que la Caisse a misen place, les Démonstrateurs (voir encadré ci-dessous),devra s’élaborer brique par brique, dans une rue, un

îlot, afinde faire en sorte que ce soit une démarche glo-bale et cohérente dans le cadre d’une co constructiondu projet. Car il ne faut pas que la politique du centre-ville se fasse au détriment de la périphérie. Il n’y aurapas de “plan type” de la Caisse des dépôts avec lemême “produit” pour tout le monde. Il faut faire du sur-mesure. Et montrer des résultats rapides, d’où cette idéede “Démonstrateurs”. Nous proposons aux élus de tra-vailler avec eux sur un projet, pas de boucler un budget.Nous venons leur dire : “Au regard du diagnostic territo-rial, il nous semble que…” La signature de la Caisse desdépôts doit avoir un effet d’entrainement. Il fautconcentrer les actions de manière significative pour quecela ait un effet, que ce soit visible. Il faut concentrer lesefforts là où se joue le centre-ville de demain. »

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L’innovation rafraîchit les vieilles pierres…Investie depuis longtemps sur la rénovation de son centre ancien, Cahors a signé une convention « Centre-Démonstrateur » avec la Caisse des dépôts.

Centres-villes et centres-bourgsDossier

Cahors fait partie des dix villes choisies par la Caisse desdépôts pour devenir des « démonstrateurs de redyna-misation du centre ancien ». Cette convention cadre(pour une durée de mois reconductibles) concernetrois secteurs de Cahors : la rue du Château-du-Roi (com-ment favoriser la revitalisation commerciale avec lespas-de-portes disponibles) ; le secteur de la Place

Charles de Gaulle en vue de l’implantation du cinémamultiplexe sur le site de la Caserne Bessières (commentaccompagner l’arrivée d’un équipement structurant) ; etle quartier autour du Pont Valentré. De nouvelles solu-tions vont être testées sur ces trois secteurs de la ville.La Caisse des dépôts va apporter des solutions finan-cières et en termes de conseil et d’ingénierie.

Premier site Centre-Démonstrateur

Le plan de sauvegarde et de mise envaleur de Cahors a été longuement réflé-chi pour répondre aux spécificités dubâti local (rues étroites, arrières coursombres) : « Ce plan nous permet de cure-ter des îlots trop denses. Nous avions évo-qué la possibilité d’ôter 20 % du bâti dansles secteurs les plus étouffants, précise-t-il. Contrepartie : nous avons acheté desruines pour créer de petits espacespublics. » Une promenade dans les ruesde Cahors permet de s’en assurer : desjardinets et des placettes laissent entrerle soleil. Le centre redevient accueillant.

A. F.

Cahors (Lot, 20 764 habitants),ville médiévale, mise sur l’inno-vation pour revitaliser sesvieilles pierres. Dans les ruelles

du centre, la promenade est pitto-resque mais 600 logements sontvacants, le parc est vieillissant et par-fois insalubre. C’est pour les faire reve-nir que la municipalité travaille depuisdeux mandats sur un projet de réno-vation.

En avril 2015, la ville a signé une Opah(opération programmée d’améliorationde l’habitat) pour la rénovation de500 logements et mis en place des aides :des subventions pour l’écorénovation,pour remettre sur le marché un logementvacant (2 000 €), et pour la fusion de loge-ments (qui consiste à rassembler plu-sieurs logements pour en aménager unplus vaste). La commune s’appuie égale-ment sur le dispositif du prêt à taux zéropour favoriser l’accession à la propriétédans l’ancien. Mais Michel Simon, pre-mier adjoint au maire chargé de l’urba-nisme, reconnaît qu’« il faut parfois utili-ser des outils coercitifs qui peuvent allerjusqu’à l’expropriation.»

Cette commune a signé le 10 juin der-nier la première convention nationaleavec la Caisse des dépôts. Ce partenariatmarque une consécration pour le travailmené depuis plusieurs années par la ville,et qui va continuer d’autant plus grâce àce soutien.

Aux manettes, Michel Simon. Trèsengagé dans l’Association des villes d’artet d’histoire, il se passionne égalementpour le patrimoine. L’appui de la Caissedes dépôts « a constitué un déclic, celaenclenche un processus », souligne-t-il.Mais il faut aller de l’avant, développerdes projets. »

Ces projets, c’est de développer desfilières économiques autour de l’écoréno-vation du bâti ancien. « L’expérienceCentre-Démonstrateur va durer deux ans.Pour nous, c’est un marqueur important.

Cela nous permet d’être au devant de lascène sur ces problématiques. Les mairess’intéressent à la ville intelligente, à de nouvelles manières de faire. Des créditsPIA (plan d’investissement d’avenir) ontpermis de développer des filières et un pôlede formation en alternance, aux côtés dela CCI, en centre-ville. Pour héberger lesstagiaires, nous avons aménagé unimmeuble de logements en colocation entemps partiel, deux jours par semaine ouune semaine sur deux, pour un coûtmodique (100 € par mois). » Michel Simonsouhaite désormais associer le mondeuniversitaire et attirer des startups.

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Cahors a aménagédes espaces publics dans le bâti médiévalpour aérer etéclairer les ruellesparfois sombres. Ce qui s’est souventfait par descuretages d’îlot.

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SEPTEMBRE 2016 MAIRES DE FRANCE � 39

Un projet de ville à vingt ansSalins-les-Bains (Jura) a été retenue au titre de l’AMIcentres-bourgs et enclenche sa transformation.

Pour en savoir +Une convention pour la redynamisationdes centres-villesEn mars 1, la Caisse des dépôts(CDC) et l’AMF ont signé uneconvention de partenariat de troisans portant sur le thème de la redy-namisation des centres-villes. Auprogramme : identifier les enjeuxde fonciers/immobiliers, de mobi-lité, d’habitat, de valorisation dupatrimoine, mais aussi de com-merces et d’activités pour accompa-gner les projets de revitalisation descentres-ville.La CDC a signé le 11 juillet ladeuxième convention Démonstra-teurs avec Lunéville. Le projet vise àdévelopper l’économie touristiqueautour du château, de réhabiliterdes logements du centre ancien etde consolider l’activité commer-ciale. Enjeu : comment fabriquerspatialement des unités de projets ?Contact : direction régionale de laCDC, Michel-François Delannoy,coordonnateur du dispositifCentres-Villes de Demain. Tél. 1 .

Un manifeste pour les cœurs de villeL’association Villes de France, prési-dée par Caroline Cayeux, a publié enmars 1 un manifeste Faire vivreles cœurs de ville. Ce manifesteplaide pour la mise en œuvre d’unprogramme national de revitalisa-tion des centres-villes, sur le modèlede la rénovation urbaine. « Les villes de France constituent unatout irremplaçable pour faire obs-tacle aux fractures territoriales (…).Elles offrent une alternative à l’étale-ment urbain qui se déploie autourdes métropoles, et qui se traduit pardes coûts sociaux considérables (…).Elles disposent en outre d’un poten-tiel résidentiel (…) qui reste large-ment sous utilisé. Or, le dynamismede ces cités repose en grande partiesur l’attractivité de leur centre-ville. »

La candidature deS a l i n s - l e s - B a i n s(2 793 habitants) a étéretenue dans le cadre

de l’appel à manifestationd’intérêt (AMI) centres-bourgs, lancé par le minis-tère du Logement et del’égalité des territoires en2014. Appuyée par le préfet,cette candidature a été soi-gneusement préparée parl’équipe municipale avecun projet de ville à vingtans, qui vise à revitaliser lacommune et à envisagerl’avenir autrement.

Dans le nord-est du Jura,blottie dans un fond de valléeenclavé, Salins-les-Bains s’est historique-ment développée surtout autour de l’ex-ploitation des Salines royales, inscrites aupatrimoine mondial de l’Unesco. La ville ades atouts, dont un casino, des thermes, etun patrimoine bâti remarquable. Mais elleconcentre aussi, comme le souligne sonmaire, Gilles Beder, « toutes les probléma-tiques de la désertification : désindustriali-sation, vieillissement de la population, loge-ments vacants (20 %), commerces endéclin… Depuis 1980, la commune a perdu2 000 habitants. Ici, le revenu moyen estde 1 300 € par mois et 63 % de la popula-tion ne paye pas l’impôt sur le revenu ».

Élu en 2014, cet élu a l’intention d’yfaire revenir des emplois, des investisseurs,et des familles. Comment ? Tout d’aborden s’appuyant sur le plan guide à 20 ans,élaboré par quatre acteurs résolu à « êtreinnovant »et à moderniser un bâti vétuste:un architecte-urbaniste, un paysagiste ducabinet Territoires, un aménageur (laSocad), et un office HLM, Jura Habitat.

Grâce à l’AMI, une subvention duFonds national pour l’aménagement et ledéveloppement du territoire (1) a permisde recruter deux personnes affectées auprojet et à créer une maison du projet.

L’opération de revitalisation (valantOPAH) a été lancée le 30 juin dernier avecl’Anah : 2,5 millions d’euros de subven-tions seront dédiés à la rénovation de200 logements privés sur 6 ans, pour untotal de 7 millions d’euros de travauxpour les entreprises locales du bâtiment.

La municipalité cherche à attirer despetites entreprises industrielles et dejeunes ménages. Une prime d’accueil auxnouveaux arrivants a été créée (1 500 €pour un couple, 2 000 € pour unefamille), et la ville met en avant sa proxi-mité avec la gare TGV de Mouchard, et lefaible coût du foncier (500 à 1 000 € le m2) pour attirer de nouveaux habitants.

« Nous souhaitons faire venir desinvestisseurs privés pour des projets d’hô-tellerie et pour réinstaller des commercesen centre-ville. Au programme, une petiteépicerie bio avec des produits en circuitcourt. » Alors que l’OPAH n’a pas encorecommencé, le maire est déjà satisfait :une boulangerie a récemment ouvert encentre-ville, un luthier, un photographeet un ophtalmologiste viennent de s’yinstaller… A. F.

(1) Cette subvention est complétée par la communautéde communes du Pays de Salins-les-Bains et la ville.

À peine le projetmis en place, une boulangerie a déjà réouvertses portes.

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