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  • Techniques et outils de gestion :Un mme concept ?

    P. Cazes-Milano et A. Mazars-ChapelonCahier n 281

    Mars 2000

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    TECHNIQUES ET OUTILS DE GESTION : UN MEME CONCEPT ?

    Introduction

    Lhistoire des organisations trouve un cho dans lmergence de phnomnes degestion. Ainsi, il est possible didentifier plusieurs tapes dans lhistoire desorganisations et du management (Boyer & Equilbey, 1999) : nous retiendronsnotamment lAntiquit avec les modles organisationnels gyptien et babylonien, leMoyen Age, la priode moderne avec les modles vnitien, franais puis anglo-saxon.En parallle, nous pouvons observer que la comptabilit apparat chez les Egyptiens,puis est complte par les marchands vnitiens ds la Renaissance avec la doublecriture des oprations, et plus tard est sophistique par les notions de comptabilitanalytique et de contrle de gestion aux Etats-Unis principalement. Les techniques degestion apparaissent donc troitement lies lorganisation. Pour les managers, ellesconstituent dailleurs une proccupation importante, en tmoigne labondance desarticles de presse professionnelle sur les nouveaux outils de gestion, notamment lesoutils informatiques. Mais dj apparat une ambigut. Est-il possible dutiliserindiffremment outil de gestion et technique de gestion ? Les travaux derecherche sur ce thme ne permettent pas de proposer demble une rponse claire cette question, au demeurant importante pour qui sintresse cet objet dtude ; etdailleurs, sagit-il vraiment du mme objet ?

    De nombreuses recherches portent sur les outils de gestion, et pourtant lesabordent sous des dnominations diffrentes. Soler (1993) voque linstrument degestion , Kimberly (1981) linnovation managriale , Girin (1981) les machinesde gestion ; dautres utilisent le terme modle de gestion ( Hatchuel et Moisdon,1993), dispositif de gestion (Moisdon, 1997) ou encore appareil gestionnaire (Hatchuel et Weil, 1992). En quoi consiste donc lobjet dtude outil de gestion ? Lapratique managriale pourrait conduire penser quil est synonyme du concept de technique de gestion . Cependant, lorsquon se penche sur cette dernire notion, onest frapp par lambigut terminologique quelle recle galement. En effet, leschercheurs utilisent indiffremment technique et technologie , comme le souligneBarley (1990). Or, lauteur rappelle que le terme technologie peut prendre troisacceptions en sciences sociales. En premier lieu, il fait souvent rfrence aux appareils,aux machines et aux instruments. Il renvoie galement aux techniques et comportementsqui composent un acte instrumental. Enfin, il dsigne aussi parfois lorganisation dansson ensemble, savoir un arrangement spcifique de personnes et de matriels. Parconsquent, ces trois acceptions valent galement pour la notion de technique, dautantque le terme technologie est impropre (au premier sens du terme, la technologie sedfinit comme ltude des techniques (Larousse, 1998)).

    La diversit terminologique mise en exergue dans les discours des managerscomme dans les travaux des thoriciens souligne lambigut des concepts doutil degestion et de technique de gestion. Se confondent-ils ? Sont-ils distincts ? Commentsarticulent-ils ? Il est donc ncessaire de faire le point sur ces deux notions. Pour cefaire, nous examinerons dans un premier temps les travaux portant sur les techniques

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    organisationnelles. En effet, nous considrons que les techniques de gestion sinscriventdans un champ dtude plus large portant sur les techniques mobilises par lesorganisations, au mme titre que les techniques de production ou de maintenance parexemple. Ceci nous conduira mieux cerner la notion de technique de gestion en enidentifiant la double nature, centre sur laction. Dans un second temps, nousaborderons le concept doutil de gestion, quune grille de lecture spcifique permettradclairer. Nous dgagerons ainsi les spcificits de loutil de gestion, objet avec unefinalit daction. Nous pourrons ainsi cerner dans quelle mesure les notions doutil etde technique de gestion sont confondues ou bien distinctes.

    Les apports des thories de lorganisation au concept de technique de gestion

    Les techniques sont donnes lorganisation

    Pour cerner le concept de technique de gestion, il est ncessaire de revenir lanotion dorganisation puisque la gestion est le fait mme des organisations. Parmi lesthories qui se sont intresses aux organisations, un champ de recherche rcent etfdrateur est celui qui envisage lorganisation comme un systme ouvert sur un universextrieur, c'est dire un ensemble dynamique de composants interdpendants agencsen fonction dun but (Desreumeaux, 1998). Deux types de composants sedistinguent : ceux qui caractrisent lenvironnement ou le contexte dinsertion delorganisation ; ceux qui constituent les lments internes de lorganisation.

    Les composants organisationnels internes sont de quatre sortes selon la typologiepropose par Livian (1998) :-

    un composant humain. Il est essentiel puisque sans support humain, lorganisationnexiste pas. Cette ralit humaine peut prendre plusieurs aspects comme lescomptences des acteurs, leurs appartenances, leurs profils, leurs attitudes au travail,voire les symboles associs la vie organisationnelle

    -

    un composant physique. Livian (1998) dsigne l la distribution dans lespace, lematriel (btiments et quipements techniques) et tout ce qui leur est associ.

    -

    la structure de lorganisation.-

    le systme de gestion (ou appareil gestionnaire ) qui contribue au fonctionnementde lorganisation.

    A la lumire de cette grille de lecture, les techniques de gestion apparaissentcomme lun des sous-composants du systme organisationnel, que ce soit dans sescaractristiques physiques ou dans le systme gestionnaire. En effet, lexpression systme de gestion est souvent remplace par celle de technique de gestion ;dailleurs Livian (1998) en fait lamalgame dans son ouvrage de synthse.

    Cette approche de lorganisation en quatre composants internes en interrelationnous permet ainsi de souligner la place des techniques de gestion mais ne nous donne,somme toute, que peu dinformation sur la nature mme de cet objet dtude.Aussi, prendre en compte le caractre ouvert du systme organisationnel nous permettrade mieux cerner la notion de technique de gestion.

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    Trois courants thoriques majeurs ont envisag lorganisation comme un systmeouvert, comme le souligne Scott (1995). Il sagit de la thorie de la contingence, de lathorie base sur les ressources et de la thorie de lcologie des populations.

    La thorie de la contingence sintresse aux rapports entre lenvironnement, etcertains de ses lments, et la structure de lorganisation. Certains thoriciens ontmontr comment les donnes contextuelles, et notamment les techniques, influenaientla structure de lorganisation. En effet, Woodward (1965) sinscrit dans ce champthorique lorsquelle montre que des diffrences de techniques (dans son tude, il sagitde techniques de production) peuvent expliquer des diffrences de structureorganisationnelle. Comme le souligne Pfeffer (1982), les travaux de Woodward sontparmi les premiers souligner limportance des techniques dans lanalyse desorganisations.

    Le concept dcologie des populations sinscrit dans la mme ligneenvironnementale que la thorie de la contingence (Mintzberg et al, 1999). En effet,comme lont conceptualis les penseurs de cette cole tels Hannan et Freeman (1977), lerle de lenvironnement reste essentiel dans la configuration et le fonctionnement desorganisations, dans la mesure o celles-ci restent dtermines par leur contexte.Cependant, les organisations peuvent galement sadapter si elles sont capables de tirerpartie de cet environnement. Dans cette perspective, les techniques constituent deslments contextuels qui conditionnent donc le dveloppement voire la survie delorganisation.

    Enfin, un autre corpus thorique peut tre mobilis pour mieux cerner la notion detechnique de gestion. Il sagit des thories bases sur les ressources : la thorie de ladpendance des ressources et la thorie des actifs stratgiques. Si ces thories prsententdes divergences, elles nous intressent ici dans la mesure o elles envisagentlorganisation dans un contexte o il est possible didentifier des ressources disposition des organisations. Barney (1991) propose une dfinition des ressources disposition des organisations : il sagit de tous les actifs, capacits, procds,informations, savoir, etc. contrls par lentreprise . Ces ressources peuvent treclasses de la faon suivante (Mintzberg et al, 1999) :-

    ressources de capital physique : techniques de production, usines et quipements,localisation gographique, accs aux matires premires. Ces ressources recouvrentla composante physique dfinie par Livian (1998) ;

    -

    ressources de capital humain. Cela renvoie la composante humaine mentionneplus haut (Livian, 1998);

    -

    ressources de capital organisationnel. Celles-ci englobent dune part lescomposantes organisationnelles de la structure et dautre part le systme de gestion ;

    Il apparat ainsi que les techniques, et les techniques de gestion, constituent uneressource dont peut disposer lentreprise. Lopportunit et la capacit de lorganisation disposer de ces ressources, donc des techniques, peuvent influencer sa performance.

    En rsum, ces trois approches privilgient une vision dterministe desorganisations, des degrs divers. Ainsi, les acteurs organisationnels sont relativementpassifs dans la mesure o leur marge de manuvre rside essentiellement dans leurcapacit de raction : ils ne peuvent pas agir sur leur contexte mais seulement ragir par

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    rapport celui-ci. Dans cette perspective, les techniques sont alors donnes lorganisation. Elles font partie du contexte auquel lorganisation se mesure et danslequel elle sinscrit. Elles en constituent une des forces matrielles (Scott, 1995). Cecinous conduit souligner le caractre minemment physique des techniques, ce quirejoint lanalyse de Sproull et Goodman (1990). Ces auteurs ont en effet soulignquune technique avait une dimension tangible dans la mesure o elle pouvait se dfiniren terme de taille, de vitesse du cycle de travail, de niveau dinterdpendance. Scott(1990) considre dailleurs que la technique renvoie des caractristiques concrtes etmesurables des processus de travail ( empirically measurable features of the workprocess ). Finalement, cette revue de littrature nous permet de souligner le caractrematriellement donn des techniques mobilises au sein de lorganisation. Ceci vautgalement pour les techniques de gestion puisque ces dernires relvent dune activitspcifique des organisations : la gestion, savoir prvoir, dcider, contrler selon latrilogie classique mentionne par Moisdon (1997).

    Mais cette vision des techniques comme donnes lorganisation peut tre remiseen question. Certains thoriciens ont montr comment lorganisation avait prise sur soncontexte. Plus spcifiquement, les acteurs organisationnels peuvent faonner, crer lecontexte dans lequel ils oprent. Pour ce faire, ils ont disposition des techniques quilsmettent au point et manipulent selon leurs besoins de gestion. Les techniques de gestionne seraient donc pas donnes lorganisation mais construites par les acteursorganisationnels.Les techniques de gestion sont construites par les acteurs organisationnels.

    Lorganisation est un ensemble de composants en interrelation orients vers unbut. Parmi ces composants, llment humain est essentiel : sans acteur, pasdorganisation. Le rle fondamental des individus est soulign dans une dfinition plusprcise de lorganisation. Celle-ci peut tre envisage comme le lieu dune mise encommun de volonts, de savoir-faire et de ressources orients vers un mme but :laction. Les organisations sont des gnrateurs daction (Starbuck, 1983).

    Les interactions entre les acteurs et leur contexte constituent lessence mme duphnomne organisationnel. Ainsi, lcole du Tavistock Institute avec le courant socio-technique met laccent sur linterdpendance des facteurs techniques et humains etpropose de considrer lorganisation comme le fruit des interactions entre le systmesocial et le systme technique. Cette dfinition sinscrit encore dans une approche desorganisations comme systme ouvert, puisquelles sont imbriques leurenvironnement. Cette dialectique est galement voque par Scott (1995) lorsque, aprsavoir mentionn lexistence de forces matrielles, il voque les forces immatrielles(ideational forces) qui existent dans toute organisation. Selon lui, il sagit dessystmes de connaissances, des croyances et des rgles qui ont un rle jouer dans lastructure et le fonctionnement des organisations.

    Bien plus, la technique est associe lhomme de manire intrinsque. En fait, latechnique ne saurait exister en elle-mme : il faut un technicien. A linverse, sanstechnique lhomme nest pas homme. Cest en effet par la technique que lhomme seconstruit en tant quhomme : il met alors en uvre cette intelligence fabricatrice dont Bergson (1932) a montr combien elle lui tait propre.

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    Ainsi, la technique est le fruit de lintelligence humaine. Elle participe donc dunphnomne dorigine artificielle : la technique est un artefact. Comme le souligneGilbert (1998), aborder loutil au travers la notion dartefact nous conduit garder lesprit le caractre minemment humain de cet objet dtude qui pourrait sinon paratreessentiellement objectif.

    Par ailleurs, un troisime lment essentiel dans la dfinition des techniques degestion est la notion daction. En effet, en envisageant lorganisation comme un systmeouvert, une organisation se dfinit par rapport sa mission : laction. Or, les thories delaction collective ont clair le fonctionnement organisationnel. Ces approches peuventdonc nous permettre de complter la notion de technique de gestion.

    En premier lieu, la thorie de la structuration conduit considrer la techniquecomme un construit social. En effet, dans son ouvrage La Constitution de la Socit(1987), Giddens fait de laction le cur de son analyse et rconcilie volontarisme etdterminisme, deux notions qui coexistent dans lorganisation (Thietart et Forgues,1997). Notamment, les acteurs organisationnels ont une dmarche volontaire, dans lechoix de leurs outils par exemple, mais sont galement dtermins par leur contexte.Lapproche originale de Giddens a ainsi sduit nombre de chercheurs en sciences desorganisations (Ranson, Hinings & Greenwood, 1980 ; Macintosh & Scapens, 1990 ;Bouchikhi, 1990 ; Barley, 1990 ; Feldman, 1991 ; Orlikowski, 1992). Pour Giddens,laction ne renvoie pas aux intentions de faire mais la capacit de faire : il ne faut pasconfondre la dsignation de ce quest laction et la description dactes. Laction est doncun processus continu, un flux : elle nest pas envisage de manire isole mais toujoursen lien troit avec lacteur. Dailleurs, celui-ci ne se construit que dans laction dans lesens o les individus (les agents selon Giddens) exercent un contrle rflexif surleurs activits, qui les structurent dans leurs actions venir. De ces activitsquotidiennes, qui se reproduisent sans cesse dans le temps, mergent des propritsstructurelles. Celles-ci sont le mdium et le rsultat de laction humaine : il y a uneinfluence mutuelle entre laction et les proprits structurelles.

    Par consquent, la technique est essentielle lorganisation du fait du contrlerflexif de laction. Orlikowski (1992) a soulign la dualit des techniques qui sont lemdium et le rsultat de laction humaine . En fait, Giddens ne dcrit pas lestechniques en tant que telles dans sa thorie. Il parle de rgles et de ressources qui sontengages dans la production et la reproduction des systmes sociaux (le structurel ; lastructure tant un ensemble isolable de rgles et de ressources). Comme le note Groleau(1998), les chercheurs qui se sont intresss la thorie de la structuration pour tudierla technologie (Barley 1990 ; Orlikowski 1992) ont caractris leur manire ceconcept, en insistant sur sa spcificit de construit social.

    En dernier lieu, nous prsenterons les apports de la thorie de la cognitiondistribue qui sintresse aux artefacts humains, c'est dire aux phnomnes dorigineartificielle, comme le sont les techniques. Plusieurs thoriciens de laction collective sesont penchs sur les liens entre artefact et action. La technique est pour Hutchins (1995)un des nombreux artefacts qui oriente laction humaine par sa capacit crer,transformer et propager des reprsentations : un artefact est une entit matrielle qui

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    relie lexprience vcue des reprsentations multiples plus ou moins codes . Cettedfinition de lartefact met en avant implicitement la double nature des techniques, etdonc des techniques de gestion. Lartefact prsente en effet un versant physique carcest une entit matrielle , associ un versant social ( lexprience vcue et les reprsentations ). En outre, la thorie de la cognition distribue nous permet desouligner limportance des reprsentations des acteurs organisationnels dans ladfinition des techniques, et notamment des techniques de gestion.

    En rsum, nous retiendrons de ces approches que la technique de gestion est unconstruit social qui oriente laction et o les reprsentations des acteurs sontessentielles.

    Finalement, les techniques de gestion, et plus largement les techniques mobilisespar les organisations, ont une double nature. Un premier corps de thories nous a permisde montrer en quoi elles taient donnes et constituaient des forces matrielles : cest leversant tangible / physique des techniques. Dautre part, elles sont minemment socialesdans la mesure o elles sont construites par et pour lacteur organisationnel : elles sonttroitement lies aux reprsentations des acteurs , et leur finalit est laction. Latechnique de gestion est donc centre sur laction organisationnelle, laquelle ncessitedes objets artificiels crs par et pour lacteur.

    Nanmoins, la notion de technique de gestion disparat quand les managers etles thoriciens ancrent leur analyse dans la pratique de gestion. Ainsi, la littratureprofessionnelle reprend la terminologie des praticiens qui prfrent parler doutils degestion (outils du marketing, outils daide la dcision, outils de prvision des ventes),quand ils ne font pas lamalgame de ces deux notions. Ceci a conduit certainschercheurs sintresser en priorit loutil de gestion. Nous allons donc explorer dansune seconde partie le concept doutil de gestion pour comprendre comment celui-cisarticule avec la notion de technique de gestion.

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    Les apports des thories de lorganisation au concept doutil de gestion

    Dfinition de loutil de gestion

    La littrature saccorde pour donner une dfinition assez consensuelle de loutil degestion. Cest toute formalisation de lactivit organise (Moisdon,1997) ou un dispositif formalis permettant laction organise (David, 1996). Cette notion deformalisation est donc essentielle dans la dfinition dun outil de gestion.

    En fait, cette dfinition doutil de gestion prsente bien des points communs avecla notion de technique de gestion. En effet, elle reprend deux notions cls : lide queloutil est li laction, et que celui-ci est un objet matriel : cest un dispositifformalis . Seule la nature sociale napparat pas clairement : elle est implicite puisquelon parle daction organisationnelle, le fait mme dacteurs sociaux. Quant lideforce de reprsentations, essentielle llaboration des techniques de gestion, elle estabsente de cette dfinition des outils de gestion.

    Grille de lecture selon deux axes : relations connaissances / degr deformalisation

    David (1998) propose une taxonomie des outils de gestion selon deuxdimensions : les relations et les connaissances. Selon lui, les relations sont lesdiffrents types de contacts et de connexions, formels ou informels, directs ou non, quiexistent entre des acteurs ou des groupes dacteurs de lorganisation (David, 1996 : 4).Quant aux connaissances, cest lensemble des informations, reprsentationslabores, transmises, mmorises par tout ou partie de lorganisation (David, 1996 :4).

    Certains outils sont essentiellement orients vers les relations entre acteurs au seinde lorganisation ; dautres traitent en priorit des connaissances ; dautres enfin sontmixtes. Un contrat dobjectifs illustre ce dernier cas : le contrat renvoie aux relationsentre acteurs organisationnels ; et objectifs dsigne les connaissances mobilises.

    Outre cette premire distinction des types doutils de gestion en fonction de leurobjet, David (1996) suggre de prendre galement en compte leur degr de prcision, etdonc implicitement le degr de formalisation. Ainsi, lorsquun outil, comme parexemple un contrat dobjectif, est mis en place, il peut tre dfini seulement dans sesgrandes lignes, ou linverse tre trs dtaill dans un corps de procdures dengociations et de discussion entre les acteurs concerns.

    Ces deux dimensions permettent de dfinir un espace dans lequel classer lesdiffrents outils de gestion. Cet espace est organis autour de deux axes : un premier axehorizontal sur la dimension relations- connaissances, un second axe vertical qui indiqueavec quel degr de prcision loutil est dfini. Quatre situations types peuvent ainsi treidentifies (voir figure) :-

    un cadrage relationnel pur-

    un cadrage orient connaissances-

    une procdure oriente connaissances-

    une procdure relationnelle

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    Figure 1 : Outils de gestion et situations types (d'aprs David, 1996)

    Par exemple, un outil danalyse stratgique dun territoire rgional sapparente un cadrage orient connaissances. En effet, il est peu formalis dans la mesure o ladirection gnrale nindique que les grands thmes (historique, gographique,conomique, politique) sur lesquels recueillir des informations (connaissances) pourlaborer un diagnostic rgional.

    Une procdure de gestion oriente connaissances peut tre illustre parlassurance de la qualit. Elle passe par la mise en conformit dune activit desnormes ISO et mobilise donc ce titre un certain nombre dindicateurs qui respectentles recommandations de lorganisme certificateur. Lassurance de la qualit est un outilde gestion qui porte sur les connaissances autour des activits certifier et qui est trsformalis.

    Une runion de suivi dactivit entre entits dune mme organisation sapparente une procdure de gestion mixte. Elle concerne simultanment les relations inter-entitset les connaissances produites cette occasion. La runion prsente un degr lev deformalisation : elle se ralise dates fixes, autour dun ordre du jour et des participantspralablement dfinis.

    Loutil est un objet avec une finalit daction, qui sinsre donc dans lunivers destechniques.

    Loutil de gestion prsente donc bien des points communs avec la notion detechniques. En effet, les chercheurs qui se sont penchs sur ces deux objets dtude ontrecours aux mmes notions : laction organisationnelle, les aspects matriels et sociaux.Cependant, alors que la technique de gestion semble centre sur laction, loutil degestion reste avant tout un objet visant laction. De plus, la notion de reprsentationnapparat pas dans la dfinition des outils de gestion, alors quelle est essentielle pour

    Cadrage

    Dtail

    ConnaissancesRelations

    Cadragerelationnel

    Cadrage sur lesconnaissances

    Procdure orienteconnaissances

    Procduresoriente relations

    i

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    la dfinition des techniques. Seule la taxonomie propose par David (1996) y faitallusion.

    De ce fait, les techniques de gestion englobent les outils de gestion : la techniqueprcde en quelque sorte loutil. Il faut avoir une technique pour construire un outil : unoutil sans technique na pas de sens. Mais linverse, une technique sans outil nexistepas.

    Ce lien entre techniques et outils se retrouve dans lanalyse que peuvent faireHatchuel et Weil (1992) de ce quils dsignent par techniques managriales , et quepourtant les chercheurs sintressant aux outils de gestion, comme David (1996), ont pumobiliser pour complter leur analyse des outils. En effet, il est possible dtablir unparallle entre la grille de lecture propose par Hatchuel et Weil (1992) et celle deDavid (1996). Pour Hatchuel et Weil (1992), loutil de gestion suppose trois lmentsen interaction :

    -

    un substrat technique, savoir labstraction qui permet loutil defonctionner

    -

    une philosophie gestionnaire, qui donne loutil sa signification (cepourquoi il a t conu et dans quel esprit)

    -

    une vision simplifie des relations organisationnelles : loutil est conu enrelation avec lorganisation, dans une perspective dutilisation par certainsacteurs.

    Selon David (1996), ce modle danalyse sadresse dabord et explicitement auxconnaissances et non aux relations organisationnelles. Lauteur propose doncdappliquer la structuration de Weil et dHatchuel (1992) aux deux autres famillesdoutils quil a identifies : les outils de gestion orients vers les relations et les outils degestion mixtes.

    En fait, si limportation du modle danalyse dHatchuel et Weil la taxonomiepropose par David est possible, cest bien parce que ce modle sintresse auxtechniques managriales et non aux outils de gestion proprement parl. Le modlenest pas incomplet mais englobant. Dailleurs, nous pouvons tablir un lien entre leslments structurants identifis et les caractristiques des techniques de gestionsoulignes par les thoriciens des organisations. Ainsi, une technique de gestion estdonne et a un versant matriel : cest llment substrat technique identifi parHatchuel et Weil. Elle est construite par les acteurs organisationnels avec une finalitdaction de gestion : cela fait cho la philosophie gestionnaire des acteurs. Enfin, latechnique de gestion passe par les reprsentations des acteurs organisationnels, savoirla vision simplifie de lorganisation . A notre sens, cette vision simplifie peutstendre au contexte de lorganisation, envisage comme un systme ouvert.

    En rsum, nous dirons que la technique de gestion et loutil de gestion ne sontpas confondus mais sont indissociables. Ceci peut expliquer lambigut de terminologieet parfois danalyse. En effet, la technique de gestion est un construit social centr surlaction de gestion, travers un objet, et o les reprsentations des acteurs sontessentielles. Loutil de gestion dsigne avant tout un objet orient vers laction degestion, de nature sociale. Par exemple, pour mieux cerner son march cible, ce qui

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    constitue une activit de gestion, lorganisation peut mobiliser des techniques de gestionspcifiques : les techniques dtude marketing. Celles-ci sont de deux types, lestechniques qualitatives et quantitatives. A ces diffrentes techniques sont associsdiffrents outils. Pour les techniques dtude qualitatives, loutil de recueildinformation est un guide dentretien ; pour les techniques dtudes quantitatives, cestun questionnaire. Lun et lautre sont des procdures orientes connaissances, selon lataxonomie propose prcdemment ; nous noterons cependant que le degr deformalisation varie entre les deux, le questionnaire tant par dfinition beaucoup plusformalis que le guide dentretien.

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    Conclusion

    Lobjet de cette communication tait de cerner deux concepts ambigus : loutil degestion et la technique de gestion. Se confondent-ils ? Sont-ils distincts ?

    Pour ce faire, nous avons explor la littrature en thorie des organisations qui asouvent fait allusion la notion de technique. Un premier pan de recherches considreque les techniques, et les techniques de gestion en particulier, sont donnes lorganisation. Un second courant, centr sur laction collective, met en avant lecaractre construit des techniques par les acteurs organisationnels au travers de leursreprsentations. En fait, ces deux analyses permettent de dgager les caractristiquesdune technique de gestion : elle est la fois donne et construite, en lien avec lactionorganisationnelle de gestion (prvoir, dcider, contrler) et les reprsentations desacteurs. La double nature sociale et physique des techniques (forces matrielles etconstruit social) se retrouve dans les outils de gestion, galement lis lactionorganisationnelle. Cependant, contrairement aux techniques, ces derniers ne sont pascentrs sur laction puisquils sont avant tout un objet.

    Si la dfinition des notions de technique de gestion et doutil de gestionmobilisent les mmes concepts et prsentent bien des points communs, elle ne conduitpas pourtant une confusion de la terminologie, malgr une pratique managriale etparfois thorique qui pousserait lenvisager ainsi. Une technique de gestion nest pasun outil de gestion. Ce sont deux concepts distincts, mais non autonomes. En effet,nous pouvons cependant les articuler lun par rapport lautre : la technique de gestionest centre sur laction travers un objet, alors que loutil de gestion est centr surlobjet orient vers laction. En tant quobjet dtude en sciences des organisations, latechnique de gestion et loutil de gestion sont donc troitement lis.

    Cette nuance de positionnement nous permet de structurer et de clarifier le champdtude des outils et des techniques de gestion. Ainsi, une recherche qui sintresseraaux techniques de gestion devra en priorit tenir compte de laction organisationnelle etdes reprsentations des acteurs. Une analyse centre sur les outils de gestion prendracomme porte dentre lobjet en lui-mme, sans pour autant lisoler de son contextedaction. Si les angles dattaque sont diffrents, ces recherches prsenteront cependantbien des points communs dans les concepts mobiliss ; et surtout, leur proximitconduira les chercheurs aborder chaque concept de faon complmentaire, puisqueoutil de gestion et technique de gestion sont fondamentalement lis. Ceci nest pasneutre quant aux mthodologies mobiliser pour qui sintresse ce champ derecherche qui sarticule la fois autour des techniques et des outils de gestion. Lesmthodes dinvestigation se caleront sur les approches prconises lorsque la rechercheporte sur laction. Il sagit de dmarches processuelles qui permettent de prendre encompte le contexte daction organisationnelle. Les mthodes recommandes sontlongitudinales, telles les tudes de cas (mono-sites ou multi-sites) sur des donnesuniquement historiques ou la fois historiques et actuelles, les tudes avec rptitiondenqutes et les quasi- exprimentations (Pettigrew, 1990), ou encore les ethnographies(Barley, 1990).

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    Les techniques de gestion tout autant que les outils de gestion constituent unchamp de recherche prometteur, comme en tmoigne la richesse des concepts quilmobilise. Les chercheurs disposent de mthodes dinvestigation varies et originalespour lexplorer. Gageons quils sauront en tirer profit afin dapporter un clairagefructueux sur le fonctionnement et les modes dexistence des organisations.

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    Rfrences

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