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1 Cours de Mme THOUVENIN LT 51 GM 10 –Entraînement aux épreuves du CAPES Master I, semestre 1 Année universitaire 2013-2014 Textes pour l’explication littéraire On s’exercera au cours de ce premier semestre selon un programme privilégiant la réflexion, selon les cas, sur les genres ou les formes. Le second semestre fera porter l’accent sur les courants et les doctrines littéraires. 1. Le texte classique : le monologue tragique Bibliographie : Georges Forestier, Introduction à l’analyse des textes classiques- Poétique et rhétorique, Nathan, coll. « 128 ». Pierre Corneille, Cinna (1641) Acte 4, scène 2. Auguste Ciel ! à qui voulez-vous désormais que je fie Les secrets de mon âme et le soin de ma vie ? Reprenez le pouvoir que vous m’avez commis, Si donnant des sujets il ôte les amis, Si tel est le destin des grandeurs souveraines Que leurs plus grands bienfaits n’attirent que des haines, Et si votre rigueur les condamne à chérir Ceux que vous animez à les faire périr. Pour elles rien n’est sûr ; qui peut tout doit tout craindre. Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre. Quoi ! Tu veux qu’on t’épargne, et n’as rien épargné ! Songe aux fleuves de sang où ton bras s’est baigné, De combien ont rougi les champs de Macédoine, Combien en a versé la défaite d’Antoine, Combien celle de Sexte, et reçois tout d’un temps Pérouse au sien noyée, et tous ses habitants. Remets dans ton esprit, après tant de carnages, De tes proscriptions les sanglantes images, Où toi-même, des tiens devenu le bourreau, Au sein de ton tuteur enfonça le couteau : Et puis ose accuser le destin d’injustice

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Cours de Mme THOUVENIN LT 51 GM 10 –Entraînement aux épreuves du CAPES Master I, semestre 1 Année universitaire 2013-2014 Textes pour l’explication littéraire On s’exercera au cours de ce premier semestre selon un programme privilégiant la réflexion, selon les cas, sur les genres ou les formes. Le second semestre fera porter l’accent sur les courants et les doctrines littéraires.

1. Le texte classique : le monologue tragique

Bibliographie : Georges Forestier, Introduction à l’analyse des textes classiques- Poétique et rhétorique, Nathan, coll. « 128 ».

Pierre Corneille, Cinna (1641) Acte 4, scène 2. Auguste Ciel ! à qui voulez-vous désormais que je fie �Les secrets de mon âme et le soin de ma vie ? �Reprenez le pouvoir que vous m’avez commis, �Si donnant des sujets il ôte les amis, �Si tel est le destin des grandeurs souveraines� Que leurs plus grands bienfaits n’attirent que des haines, �Et si votre rigueur les condamne à chérir �Ceux que vous animez à les faire périr. �Pour elles rien n’est sûr ; qui peut tout doit tout craindre.� Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre. �Quoi ! Tu veux qu’on t’épargne, et n’as rien épargné !� Songe aux fleuves de sang où ton bras s’est baigné,� De combien ont rougi les champs de Macédoine,� Combien en a versé la défaite d’Antoine,� Combien celle de Sexte, et reçois tout d’un temps �Pérouse au sien noyée, et tous ses habitants. �Remets dans ton esprit, après tant de carnages,� De tes proscriptions les sanglantes images, �Où toi-même, des tiens devenu le bourreau, �Au sein de ton tuteur enfonça le couteau : �Et puis ose accuser le destin d’injustice

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�Quand tu vois que les tiens s’arment pour ton supplice,� Et que, par ton exemple à ta perte guidés,� Ils violent des droits que tu n’as pas gardés !� Leur trahison est juste, et le ciel l’autorise : �Quitte ta dignité comme tu l’as acquise ;� Rends un sang infidèle à l’infidélité,� Et souffre des ingrats après l’avoir été. �Mais que mon jugement au besoin m’abandonne ! �Quelle fureur, Cinna, m’accuse et te pardonne,� Toi, dont la trahison me force à retenir �Ce pouvoir souverain dont tu me veux punir,� Me traite en criminel, et fait seule mon crime, �Relève pour l’abattre un trône illégitime, �Et, d’un zèle effronté couvrant son attentat,� S’oppose, pour me perdre, au bonheur de l’État ? �Donc jusqu’à l’oublier je pourrais me contraindre !� Tu vivrais en repos après m’avoir fait craindre !� Non, non, je me trahis moi-même d’y penser : �Qui pardonne aisément invite à l’offenser ; �Punissons l’assassin, proscrivons les complices. �Mais quoi ! toujours du sang, et toujours des supplices !� Ma cruauté se lasse, et ne peut s’arrêter ;� Je veux me faire craindre et ne fais qu’irriter. �Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile : �Une tête coupée en fait renaître mille, �Et le sang répandu de mille conjurés �Rends mes jours plus maudits, et non plus assurés. �Octave, n’attends plus le coup d’un nouveau Brute ; �Meurs, et dérobe-lui la gloire de ta chute ;� Meurs ; tu ferais pour vivre un lâche et vain effort, �Si tant de gens de cœur font des vœux pour ta mort,� Et si tout ce que Rome a d’illustre jeunesse� Pour te faire périr tour à tour s’intéresse ;� Meurs, puisque c’est un mal que tu ne peux guérir ;� Meurs enfin, puisqu’il faut ou tout perdre, ou mourir. �La vie est peu de chose, et le peu qui t’en reste� Ne vaut pas l’acheter par un prix si funeste. �Meurs, mais quitte du moins la vie avec éclat, �Éteins-en le flambeau dans le sang de l’ingrat, �À toi-même en mourant immole ce perfide ; �Contentant ses désirs, punis son parricide ;� Fais un tourment pour lui de ton propre trépas,� En faisant qu’il le voie et n’en jouisse pas : �Mais jouissons plutôt nous-mêmes de sa peine ; �Et si Rome nous hait triomphons de sa haine.� Ô Romains ! ô vengeance ! ô pouvoir absolu !� Ô rigoureux combat d’un cœur irrésolu� Qui fuit en même temps tout ce qu’il se propose ! �D’un prince malheureux ordonnez quelque chose.� Qui des deux dois-je suivre, et duquel m’éloigner ?�

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Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner. Bibliographie Édition de référence : Corneille, Œuvres complètes, éd. Georges Couton, Paris,

Gallimard, « La Pléiade », 3 vol . - Serge Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros, Gallimard - Michel Prigent, Le Héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, PUF, 1988 - Jean Starobinski, L’Œil vivant (Corneille, Racine, Rousseau, Stendhal), Gallimard�

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2. Le texte classique : l’éloquence de la chaire

Bossuet, Sermon sur la mort, 1662 Édition de référence : Bossuet, Sermons-Le Carême du Louvre, éd. C. Cagnat, Folio, 2001. Bibliographie : Jacques Truchet, La Prédication de Bossuet, Cerf , 1960. Me sera-t-il permis aujourd’hui d’ouvrir un tombeau devant la cour, et des yeux si délicats ne seront-ils point offensés par un objet si funèbre ? Je ne pense pas, messieurs, que des chrétiens doivent refuser d’assister à ce spectacle avec Jésus-Christ. C’est à lui que l’on dit dans notre évangile : seigneur, venez, et voyez où l’on a déposé le corps du Lazare ; c’est lui qui ordonne qu’on lève la pierre, et qui semble nous dire à son tour : venez, et voyez vous-mêmes. Jésus ne refuse pas de voir ce corps mort, comme un objet de pitié et un sujet de miracle ; mais c’est nous, mortels misérables, qui refusons de voir ce triste spectacle, comme la conviction de nos erreurs. Allons, et voyons avec Jésus-Christ ; et désabusons-nous éternellement de tous les biens que la mort enlève. C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés, et en mille formes diverses. On n’entend dans les funérailles que des paroles d’étonnement de ce que ce mortel est mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui a parlé, et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup il est mort. Voilà, dit-on, ce que c’est que l’homme ! Et celui qui le dit, c’est un homme ; et cet homme ne s’applique rien, oublieux de sa destinée ! Ou s’il passe dans son esprit quelque désir volage de s’y préparer, il dissipe bientôt ces noires idées ; et je puis dire, messieurs, que les mortels n’ont pas moins de soin d’ensevelir les pensées de la mort que d’enterrer les morts mêmes. Mais peut-être que ces pensées feront plus d’effet dans nos coeurs, si nous les méditons avec Jésus-Christ sur le tombeau du Lazare ; mais demandons-lui qu’il nous les imprime par la grâce de son saint-esprit, et tâchons de la mériter par l’entremise de la sainte Vierge : (Ave).

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3. L’essai (1)

Montaigne, Les Essais (1580-1588), « Des Cannibales »

Édition de référence : Ed. P. Villey et Saulnier, Verdun L. En ligne sur http://fr.wikisource.org/wiki/Essais_-_Livre_I Bibliographie : - Hugo Friedich, Montaigne, Gallimard, 1992

- Jean Starobinski, Montaigne en mouvement, Gallimard, 1982 Ces nations me semblent donq ainsi barbares, pour avoir

receu fort peu de façon de l’esprit humain, et estre encore fort voisines de leur naifveté originelle. Les loix naturelles leur commandent encores, fort peu abastardies par les nostres ; mais c’est en telle pureté, qu’il me prend quelque fois desplaisir dequoy la cognoissance n’en soit venue plus-tost, du temps qu’il y avoit des hommes qui en eussent sceu mieux juger que nous. Il me desplait que Licurgus1 et Platon ne l’ayent eue ; car il me semble que ce que nous voyons par experience en ces nations là, surpasse, non seulement toutes les peintures dequoy la poesie a embelly l’age doré, et toutes ses inventions à feindre2 une heureuse condition d’hommes, mais encore la conception et le desir mesme de la philosophie. Ils n’ont peu imaginer une nayfveté si pure et simple, comme nous la voyons par experience ; ny n’ont peu croire que nostre societé se peut maintenir avec si peu d’artifice et de soudeure humaine. C’est une nation, diroy je à Platon, en laquelle il n’y a aucune espece de trafique3 ; nulle cognoissance de lettres ; nulle science de nombres ; nul nom de magistrat, ny de superiorité politique ; nul usage de service, de richesse ou de pauvreté ; nuls contrats ; nulles successions; nuls partages ; nulles occupations qu’oysives ; nul respect de parenté que commun ; nuls vestemens ; nulle agriculture ; nul metal ; nul usage de vin ou de bled. Les paroles mesmes qui signifient le mensonge, la trahison, la dissimulation, l’avarice, l’envie, la detraction4, le pardon, inouies. Combien trouveroit il la republique qu’il a imaginée, esloignée de cette perfection :

Viri a diis recentes5. Hos natura modos primum dedit6.

Au demeurant, ils vivent en une contrée de païs tres-plaisante et bien temperée ; de façon qu’à ce que m’ont dit mes tesmoings, il est rare d’y voir un homme malade ; et m’ont asseuré n’en y avoir veu aucun tremblant, chassieux, edenté, ou courbé de vieillesse. Ils sont assis7 le long de la mer, et fermez du costé de la terre de grandes et hautes montaignes, ayant, entre-deux8, cent lieues ou environ d’estendue en large. Ils ont grande abondance de poisson et de chairs qui n’ont aucune ressemblance aux nostres, et les mangent sans autre artifice que de les cuire. Le premier qui y mena un cheval, quoy qu’il les eust pratiquez à plusieurs autres voyages, leur fit tant d’horreur en cette assiete9,

Licurgus : Législateur légendaire de Sparte Feindre : imaginer, représenter Trafique : Commerce

Détraction :Médisance

Hommes qui sortent tout

fraîchement de la main des dieux (Sénèque, Lettres, XC)

Voilà les premières lois que donna la nature (Virgile, Géorgiques, II, 20)

Assis : Situés, installés Entre-deux :Entre les

deux

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qu’ils le tuerent à coups de traict, avant que le pouvoir recognoistre. Leurs bastimens sont fort longs, et capables de10 deux ou trois cents ames, estoffez d’escorse de grands arbres, tenans à terre par un bout et se soustenans et appuyans l’un contre l’autre par le feste, à la mode d’aucunes de noz granges, desquelles la couverture pend jusques à terre, et sert de flanq. Ils ont du bois si dur qu’ils en coupent, et en font leurs espées et des grils à cuire leur viande. Leurs lits sont d’un tissu de coton, suspenduz contre le toict, comme ceux de nos navires, à chacun le sien : car les femmes couchent à part des maris. Ils se levent avec le soleil, et mangent soudain apres s’estre levez, pour toute la journée ; car ils ne font autre repas que celuy là. Ils ne boyvent pas lors, comme Suidas11 dict de quelques autres peuples d’Orient, qui beuvoient hors du manger ; ils boivent à plusieurs fois sur jour, et d’autant. Leur breuvage est faict de quelque racine, et est de la couleur de nos vins clairets. Ils ne le boyvent que tiede : ce breuvage ne se conserve que deux ou trois jours ; il a le goust un peu piquant, nullement fumeux, salutaire à l’estomac, et laxatif à ceux qui ne l’ont accoustumé : c’est une boisson tres-agreable à qui y est duit. Au lieu du pain, ils usent d’une certaine matiere blanche, comme du coriandre confit. J’en ay tasté : le goust en est doux et un peu fade.

Montaigne, Essais, I, 31, « Des cannibales »

Assiette : Posture Capables de : Capables

de contenir

Suidas : Auteur prétendu

d’une compilation byzantine du Xe siècle

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4. L’essai (2) Montesquieu, L’Esprit des lois (1748), chapitre V, Livre XI. Bibliographie : - Paul Hazard, La Pensée européenne au XVIIIe siècle : De Montesquieu à Lessing, Fayard - Jean Goldzink, Charles-Louis de Montesquieu : "Lettres persanes", PUF - Céline Spector, Montesquieu, les "Lettres persanes" : de l’anthropologie à la politique, PUF

Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves,

voici ce que je dirais : Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en

esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres. Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par

des esclaves. Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si

écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être très sage ait mis une

âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir, Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de

l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée.

On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.

Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?

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5. Le sonnet (1)

Joachim du Bellay, Les Antiquités de Rome (1558) Les Antiquités de Rome (1558) XV Palles Esprits, et vous Umbres pouldreuses, Qui jouissant de la clarté du jour Fistes sortir cet orgueilleux sejour, Dont nous voyons les reliques cendreuses: Dictes Esprits (ainsi les tenebreuses Rives de Styx non passable au retour, Vous enlassant d’un trois fois triple tour, N’enferment point voz images umbreuses) Dictes moy donc (car quelqu’une de vous Possible encor se cache icy dessous) Ne sentez vous augmenter vostre peine, Quand quelquefois de ces costaux Romains Vous contemplez l’ouvrage de voz mains N’estre plus rien qu’une pouldreuse plaine?

Les Regrets (1558) V Je ne veulx fueilleter les exemplaires Grecs, Je ne veulx retracer les beaux traicts d’un Horace, Et moins veulx-je imiter d’un Petrarque la grace, Ou la voix d’un Ronsard, pour chanter mes regrets. Ceulx qui sont de Phoebus vrais poetes sacrez, Animeront leurs vers d’une plus grand’audace: Moy, qui suis agité d’une fureur plus basse, Je n’entre si avant en si profonds secretz. Je me contenteray de simplement escrire Ce que la passion seulement me fait dire, Sans rechercher ailleurs plus graves arguments. Aussi n’ay-je entrepris d’imiter en ce livre Ceulx qui par leurs escripts se vantent de revivre, Et se tirer tous vifz dehors des monuments. Bibliographie

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Édition de référence : Du Bellay, Les Regrets (1558), Sonnet VI, Édition Droz, orthographe modernisée.

- Yvonne Bellenger éd., Du Bellay et ses sonnets romains, Champion,1995. - Josiane Rieu, Esthétique de Du Bellay, SEDES, 1995

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6. Le sonnet (2)

Bibliographie : - Jean-Pierre Richard, Poésie et profondeur, Seuil, «Points Essais» - Michel Murat, L’Art de Rimbaud, Corti - Steve Murphy, Le premier Rimbaud ou l’apprentissage de la subversion, P.U.L. - Steve Murphy, Stratégies de Rimbaud, Champion.

Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi. − Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines De beurre et du jambon qui fût à moitié froid. Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table Verte : je contemplai les sujets très naïfs De la tapisserie. − Et ce fut adorable, Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs, − Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! − Rieuse, m’apporta des tartines de beurre, Du jambon tiède, dans un plat colorié, Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse D’ail, − et m’emplit la chope immense, avec sa mousse Que dorait un rayon de soleil arriéré.

Octobre 70.

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7. Les vers libres

La Fontaine, Fables (1668-1694) Livre VIII, 10, « L’Ours et l’Amateur des jardins ». Certain ours montagnard, ours à demi léché, Confiné par le sort dans un bois solitaire, Nouveau Bellérophon vivait seul et caché. Il fût devenu fou : la raison d’ordinaire N’habite pas longtemps chez les gens séquestrés ; Il est bon de parler, et meilleur de se taire ; Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrés. Nul animal n’avait affaire Dans les lieux que l’ours habitait : Si bien que, tout ours qu’il était, Il vint à s’ennuyer de cette triste vie. Pendant qu’il se livrait à la mélancolie, Non loin de là certain vieillard S’ennuyait aussi de sa part. Il aimait les jardins, était prêtre de Flore, Il l’était de Pomone encore. Ces deux emplois sont beaux ; mais je voudrais parmi Quelque doux et discret ami :

Les jardins parlent peu, si ce n’est dans mon livre : De façon que, lassé de vivre Avec des gens muets, notre homme, un beau matin, Va chercher compagnie, et se met en campagne. L’ours, porté d’un même dessein, Venait de quitter sa montagne. Tous deux, par un cas surprenant, Se rencontrent en un tournant.

L’homme eut peur : mais comment esquiver ? Et que faire ? Se tirer en Gascon d’une semblable affaire Est le mieux : il sut donc dissimuler sa peur. L’ours, très mauvais complimenteur, Lui dit : «Viens-t-en me voir.» L’autre reprit : «Seigneur, Vous voyez mon logis ; si vous me vouliez faire Tant d’honneur que d’y prendre un champêtre repas, J’ai des fruits, j’ai du lait : ce n’est peut-être pas De Nosseigneurs les ours le manger ordinaire ; Mais j’offre ce que j’ai.» L’ours l’accepte ; et d’aller. Les voilà bons amis avant que d’arriver ; Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble ; Et, bien qu’on soit, à ce qu’il semble, Beaucoup mieux seul qu’avec des sots, Comme l’ours en un jour ne disait pas deux mots, L’homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.

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L’ours allait à la chasse, apportait du gibier, Faisait son principal métier D’être bon émoucheur, écartait du visage De son ami dormant ce parasite ailé Que nous avons mouche appelé. Un jour que le vieillard dormait d’un profond somme, Sur le bout de son nez une allant se placer Mit l’ours au désespoir ; il eut beau la chasser. «Je t’attraperai bien, dit-il ; et voici comme.» Aussitôt fait que dit : le fidèle émoucheur Vous envoie un pavé, le lance avec raideur, Casse la tête à l’homme en écrasant la mouche ; Et, non moins bon archer que mauvais raisonneur, Raide mort étendu sur la place il le couche. Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ; Mieux vaudrait un sage ennemi. Bibliographie Éditions de référence : La Fontaine, Fables, éd. de Marc Fumaroli, « La Pochothèque »,

1985, ou éd. De J.-Ch. Darmon et S. Gruffat, Le Livre de Poche classique, - L’introduction des éditions de référence. - Dandrey Patrick, La Fabrique des fables. Essai sur la poétique de La Fontaine,

Klincksieck, 1992 �

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8. Le vers libre

Apollinaire, « Nuit rhénane », Alcool, 1913

Édition de référence : Apollinaire, Alcool, Poésie-Gallimard, 1920 p. 94 Bibliographie : - Jean-Claude Chevalier, Alcools d’Apollinaire, essai d’analyse des formes poétiques, Minard, 1970

- Michel Decaudin, Le Dossier « Alcools », Droz, 1965 1

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Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme Écoutez la chanson lente d’un batelier Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes Tordre leur cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une ronde Que je n’entende plus le chant du batelier Et mettez près de moi toutes le filles blondes Au regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter La voix chante toujours à en râle mourir Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été

Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire

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9. La description dans le roman (1)

Barbey d’Aurevilly, Une histoire sans nom (1882) (Chapitre I)

Dans les dernières années du XVIIIe siècle qui précédèrent la Révolution française, au pied des Cévennes, dans une petite bourgade du Forez, un capucin prêchait entre vêpres et complies. On était au premier dimanche du Carême. Le jour s’en venait bas dans l’église, assombrie encore par l’ombre des montagnes qui entourent et même étreignent cette singulière bourgade, et qui, en s’élevant brusquement au pied de ses dernières maisons, semblent les parois d’un calice au fond duquel elle aurait été déposée. A ce détail original, on l’aura peut-être reconnue... Ces montagnes dessinaient un cône renversé. On descendait dans cette petite bourgade par un chemin à pic, quoique circulaire, qui se tordait comme un tire-bouchon sur lui-même et formait au-dessus d’elle comme plusieurs balcons, suspendus à divers étages. Ceux qui vivaient dans cet abîme devaient certainement éprouver quelque chose de la sensation angoissée d’une pauvre mouche tombée dans la profondeur immense pour elle - d’un verre vide, et qui, les ailes mouillées, ne peut plus sortir de ce gouffre de cristal.

Rien de plus triste que cette bourgade, malgré le vert d’émeraude de sa ceinture de montagnes boisées et les eaux courantes qui en ruissellent de toutes parts, charriant des masses de truites dans leurs bouillons d’argent. Il y en a tant qu’on pourrait les prendre avec la main... La Providence a voulu que, pour les raisons les plus hautes, l’homme aimât la terre où il est né, comme il aime sa mère, fût-elle indigne de son amour. Sans cela, on ne comprendrait guère que des hommes à large poitrine, ayant besoin de dilatation au grand air, d’horizon et d’espace, pussent rester claquemurés dans cet étroit ovale de montagnes, qui semblent se marcher sur les pieds tant elles sont pressées les unes contre les autres! sans monter plus haut pour respirer; et l’on pense involontairement aux mineurs qui vivent sous la terre, ou à ces anciens captifs des cloîtres qui priaient pendant des années, engloutis dans de ténébreuses oubliettes. Pour mon compte, j’ai vécu là vingt-huit jours à l’état de Titan écrasé, sous l’impression physiquement pesante de ces insupportables montagnes; et, quand j’y pense, il me semble que j’en sens toujours le poids sur mon coeur. Noire déjà par le fait du temps, car les maisons y sont anciennes, cette bourgade, qu’on dirait un dessin à l’encre de Chine et où la Féodalité a laissé quelques ruines, se noircit encore - noir sur noir - de l’ombre perpendiculaire des monts qui l’enveloppent, comme des murs de forteresse que le soleil n’escalade jamais. Ils sont trop escarpés pour qu’il puisse passer par-dessus et lancer dans le trou qu’ils font un bout de rayon. Quelquefois, à midi, il n’y fait pas jour. Byron aurait écrit là sa Darkness. Rembrandt y aurait mis ses clairs-obscurs, ou, plutôt, il les y aurait trouvés. L’été, quand le jour est beau, les habitants s’en doutent peut-être en regardant la lucarne bleue qu’ils ont à mille pieds au-dessus de leurs têtes. Mais, ce jour-là, la lucarne n’avait pas de bleu. Elle était grise. Les nuages appesantis la fermaient comme un cercle de fer. La bouteille avait son bouchon.

Bibliographie : édition de référence : éd. Philippe Berthier, Garnier-Flammarion,

1999

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10. La description dans le roman (2) Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, « À l’ombre des jeunes filles en fleur » (1918)

Parfois à ma fenêtre, dans l’hôtel de Balbec, le matin quand Françoise défaisait les couvertures qui cachaient la lumière, le soir quand j’attendais le moment de partir avec Saint-Loup, il m’était arrivé grâce à un effet de soleil, de prendre une partie plus sombre de la mer pour une côte éloignée, ou de regarder avec joie une zone bleue et fluide sans savoir si elle appartenait à la mer ou au ciel. Bien vite mon intelligence rétablissait entre les éléments la séparation que mon impression avait abolie. C’est ainsi qu’il m’arrivait à Paris, dans ma chambre, d’entendre une dispute, presque une émeute, jusqu’à ce que j’eusse rapporté à sa cause, par exemple une voiture dont le roulement approchait, ce bruit dont j’éliminais alors ces vociférations aiguës et discordantes que mon oreille avait réellement entendues — mais que mon intelligence savait que des roues ne produisaient pas. Mais les rares moments où l’on voit la nature telle qu’elle est, poétiquement, c’était de ceux-là qu’était faite l’œuvre d’Elstir. Une de ses métaphores les plus fréquentes dans les marines qu’il avait près de lui en ce moment était justement celle qui, comparant la terre à la mer, supprimait entre elles toute démarcation. C’était cette comparaison, tacitement et inlassablement répétée dans une même toile qui y introduisait cette multiforme et puissante unité, cause, parfois non clairement aperçue par eux, de l’enthousiasme qu’excitait chez certains amateurs la peinture d’Elstir.

C’est par exemple à une métaphore de ce genre — dans un tableau, représentant le port de Carquethuit, tableau qu’il avait terminé depuis peu de jours et que je regardai longuement — qu’Elstir avait préparé l’esprit du spectateur en n’employant pour la petite ville que des termes marins, et que des termes urbains pour la mer. Soit que les maisons cachassent une partie du port, un bassin de calfatage ou peut-être la mer même s’enfonçant en golfe dans les terres ainsi que cela arrivait constamment dans ce pays de Balbec, de l’autre côté de la pointe avancée où était construite la ville, les toits étaient dépassés (comme ils l’eussent été par des cheminées ou par des clochers) par des mâts lesquels avaient l’air de faire des vaisseaux auxquels ils appartenaient, quelque chose de citadin, de construit sur terre, impression qu’augmentaient d’autres bateaux, demeurés le long de la jetée, mais en rangs si pressés que les hommes y causaient d’un bâtiment à l’autre sans qu’on pût distinguer leur séparation et l’interstice de l’eau, et ainsi cette flotille de pêche avait moins l’air d’appartenir à la mer que, par exemple, les églises de Criquebec qui, au loin, entourées d’eau de tous côtés parce qu’on les voyait sans la ville, dans un poudroiement de soleil et de vagues, semblaient sortir des eaux, soufflées en albâtre ou en écume et, enfermées dans la ceinture d’un arc-en-ciel versicolore, former un tableau irréel et mystique. Dans le premier plan de la plage, le peintre avait su habituer les yeux à ne pas reconnaître de frontière fixe, de démarcation absolue, entre la terre et l’océan. Des hommes qui poussaient des bateaux à la mer, couraient aussi bien dans les flots que sur le sable, lequel mouillé, réfléchissait déjà les coques comme s’il avait été de l’eau. La mer elle-même ne montait pas régulièrement, mais suivait les accidents de la grève, que la perspective déchiquetait encore davantage, si bien qu’un navire en pleine mer, à demi-caché par les ouvrages avancés de l’arsenal semblait voguer au milieu de la ville; des femmes qui ramassaient des crevettes dans les rochers, avaient l’air, parce qu’elles étaient entourées d’eau et à cause de la dépression qui, après la barrière circulaire des roches, abaissait la plage (des deux côtés les plus rapprochés de terre) au niveau de la mer, d’être dans une grotte marine surplombée de barques et de vagues, ouverte et protégée au milieu des flots écartés miraculeusement. Si tout le tableau donnait cette impression des ports où la mer entre dans la terre, où la terre est déjà marine, et la population amphibie, la force de l’élément marin éclatait partout; et près des rochers, à l’entrée de la jetée, où la mer était agitée, on sentait aux efforts des matelots et à l’obliquité des barques couchées en angle aigu devant la calme verticalité de l’entrepôt, de l’église, des maisons de la ville, où les uns rentraient, d’où les autres partaient pour la pêche, qu’ils trottaient rudement sur l’eau comme sur un animal fougueux et rapide dont les soubresauts, sans leur adresse, les eût jetés à terre. Une bande de promeneurs sortait gaiement en une barque secouée comme une carriole; un matelot joyeux, mais attentif aussi la gouvernait comme avec des guides, menait la voile fougueuse, chacun se tenait bien à sa place pour ne pas faire trop de poids d’un côté et ne pas verser, et on courait ainsi par les champs ensoleillés dans les sites ombreux, dégringolant les pentes. C’était une belle matinée malgré l’orage qu’il avait fait. Et même on sentait encore les puissantes actions qu’avait à neutraliser le bel équilibre des barques immobiles, jouissant du soleil et de la fraîcheur, dans les parties où la mer était si calme que les reflets avaient presque plus de solidité et de réalité que les coques vaporisées par un effet de soleil et que la perspective faisait s’enjamber les unes les autres. Ou plutôt on n’aurait pas dit d’autres parties de la mer. Car entre ces parties, il y avait autant de différence qu’entre l’une d’elles et l’église sortant des eaux, et les bateaux derrière la ville. L’intelligence faisait ensuite un même élément de ce qui était, ici noir dans un effet d’orage,

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plus loin tout d’une couleur avec le ciel et aussi verni que lui, et là si blanc de soleil, de brume et d’écume, si compact, si terrien, si circonvenu de maisons, qu’on pensait à quelque chaussée de pierres ou à un champ de neige, sur lequel on était effrayé de voir un navire s’élever en pente raide et à sec comme une voiture qui s’ébroue en sortant d’un gué, mais qu’au bout d’un moment, en y voyant sur l’étendue haute et inégale du plateau solide, des bateaux titubants, on comprenait, identique en tous ces aspects divers, être encore la mer.

-Bibliographie : édition de référence :Folio

Michel Raimond, Luc Fraisse, Proust en toutes lettres, Bordas.

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11. Le dialogue dans le roman

Stendhal, La Chartreuse de Parme (1839), I, 3 Édition de référence : Stendhal, La Chartreuse de Parme, éd. V. del Litto, Le livre de poche, 1983, p. 73-74 Bibliographie : - Philippe Berthier commente La Chartreuse de Parme, Gallimard, 1995. - Georges Blin, Stendhal et les problèmes du roman, Librairie José Corti, 1954, 1 5 10 15 20 25 30

– Veux-tu bien t’arrêter, blanc-bec ! lui cria le maréchal des logis. Fabrice s’aperçut qu’il était à vingt pas sur la droite en avant des généraux, et précisément du côté où ils regardaient avec leurs lorgnettes. En revenant se ranger à la queue des autres hussards restés à quelques pas en arrière, il vit le plus gros de ces généraux qui parlait à son voisin, général aussi, d’un air d’autorité et presque de réprimande ; il jurait. Fabrice ne put retenir sa curiosité ; et, malgré le conseil de ne point parler, à lui donné par son amie la geôlière, il arrangea une petite phrase bien française, bien correcte, et dit à son voisin :

– Quel est-il ce général qui gourmande son voisin ? – Pardi, c’est le maréchal ! – Quel maréchal ? – Le maréchal Ney, bêta ! Ah çà ! où as-tu servi jusqu’ici ? Fabrice, quoique fort susceptible, ne songea point à se fâcher de l’injure ; il

contemplait, perdu dans une admiration enfantine, ce fameux prince de la Moskova, le brave des braves.

Tout à coup on partit au grand galop. Quelques instants après, Fabrice vit, à vingt pas en avant, une terre labourée qui était remuée d’une façon singulière. Le fond des sillons était plein d’eau, et la terre fort humide, qui formait la crête de ces sillons, volait en petits fragments noirs lancés à trois ou quatre pieds de haut. Fabrice remarqua en passant cet effet singulier ; puis sa pensée se remit à songer à la gloire du maréchal. Il entendit un cri sec auprès de lui : c’étaient deux hussards qui tombaient atteints par des boulets ; et, lorsqu’il les regarda, ils étaient déjà à vingt pas de l’escorte. Ce qui lui sembla horrible, ce fut un cheval tout sanglant qui se débattait sur la terre labourée, en engageant ses pieds dans ses propres entrailles ; il voulait suivre les autres : le sang coulait dans la boue.

« Ah ! m’y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J’ai vu le feu ! se répétait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire. » A ce moment, l’escorte allait ventre à terre, et notre héros comprit que c’étaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il avait beau regarder du côté d’où venaient les boulets, il voyait la fumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges beaucoup plus voisines ; il n’y comprenait rien du tout.

Stendhal, La Chartreuse de Parme (1839), Livre premier, chapitre 3

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12. Le dialogue de théâtre (1)

Marivaux, Les Fausses confidences (1737) Acte III, scène 11 ARAMINTE __ Approchez, Dorante. DORANTE __ Je n’ose presque paraître devant vous. ARAMINTE, à part __ Ah ! je n’ai guère plus d’assurance que lui. (Haut.) Pourquoi

vouloir me rendre compte de mes papiers ? Je m’en fie bien à vous. Ce n’est pas là-dessus que j’aurais à me plaindre.

DORANTE __ Madame... j’ai autre chose à dire... je suis si interdit, si tremblant que je ne saurais parler.

ARAMINTE, à part, avec émotion __ Ah ! que je crains la fin de tout ceci ! DORANTE, ému __ Un de vos fermiers est venu tantôt, Madame. ARAMINTE, émue __ Un de mes fermiers ! ... cela se peut bien. DORANTE __ Oui, Madame... il est venu. ARAMINTE, toujours émue. __ Je n’en doute pas. DORANTE, ému __ Et j’ai de l’argent à vous remettre. ARAMINTE __ Ah ! de l’argent... nous verrons. DORANTE __ Quand il vous plaira, Madame, de le recevoir. ARAMINTE __ Oui... je le recevrai... vous me le donnerez. (A part.) Je ne sais ce que je

lui réponds. DORANTE __ Ne serait-il pas temps de vous l’apporter ce soir ou demain, Madame ? ARAMINTE __ Demain, dites-vous ! Comment vous garder jusque-là, après ce qui est

arrivé ? DORANTE, plaintivement __ De tout le temps de ma vie que je vais passer loin de vous,

je n’aurais plus que ce seul jour qui m’en serait précieux. ARAMINTE __ Il n’y a pas moyen, Dorante ; il faut se quitter. On sait que vous

m’aimez, et l’on croirait que je n’en suis pas fâchée. DORANTE __ Hélas ! Madame, que je vais être à plaindre ! ARAMINTE __ Ah ! allez, Dorante, chacun a ses chagrins. DORANTE __ J’ai tout perdu ! J’avais un portrait, et je ne l’ai plus. ARAMINTE __ A quoi vous sert de l’avoir ? vous savez peindre. DORANTE __ Je ne pourrai de longtemps m’en dédommager. D’ailleurs, celui-ci

m’aurait été bien cher ! Il a été entre vos mains, Madame. ARAMINTE __ Mais vous n’êtes pas raisonnable. DORANTE __ Ah ! Madame, je vais être éloigné de vous. Vous serez assez vengée.

N’ajoutez rien à ma douleur. ARAMINTE __ Vous donner mon portrait ! songez-vous que ce serait avouer que je vous

aime ? DORANTE __ Que vous m’aimez, Madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l’imaginer ? ARAMINTE, d’un ton vif et naïf __ Et voilà pourtant ce qui m’arrive. DORANTE, se jetant à ses genoux __ Je me meurs ! ARAMINTE __ Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie : levez-vous, Dorante. DORANTE se lève, et dit tendrement __ Je ne la mérite pas. Cette joie me transporte. Je

ne la mérite pas, Madame. Vous allez me l’ôter, mais n’importe, il faut que vous soyez instruite. ARAMINTE, étonnée __ Comment ! que voulez-vous dire ?

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DORANTE __ Dans tout ce qui s’est passé chez vous, il n’y a rien de vrai que ma passion qui est infinie, et que le portrait que j’ai fait. Tous les incidents qui sont arrivés partent de l’industrie d’un domestique qui savait mon amour, qui m’en plaint, qui par le charme de l’espérance, du plaisir de vous voir, m’a pour ainsi dire forcé de consentir à son stratagème ; il voulait me faire valoir auprès de vous. Voilà, Madame, ce que mon respect, mon amour et mon caractère ne me permettent pas de vous cacher. J’aime encore mieux regretter votre tendresse que de la devoir à l’artifice qui me l’a acquise ; j’aime mieux votre haine que le remords d’avoir trompé ce que j’adore.

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13. Le dialogue de théâtre (2)

Beckett, En attendant Godot (1952), Éditions de Minuit, I, 1 Bibliographie : - Evelyne Grossman, L’esthétique de Samuel Beckett, Sedes

- Bruno Clément, L’œuvre sans qualité. Rhétorique de Samuel Beckett, Seuil

Route à la campagne, avec arbre. Soir. Estragon, assis sur une pierre, essaie d’enlever sa chaussure. Il s’y acharne des deux mains, en ahanant. Il s’arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu. Entre Vladimir. ESTRAGON (renonçant à nouveau) : Rien à faire. VLADIMIR ( s’approchant à petits pas raides, les jambes écartées) : Je commence à le croire. (Il s’immobilise.) J’ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois raisonnable. Tu n’as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. A Estragon.) Alors ? te revoilà, toi. ESTRAGON : Tu crois ? VLADIMIR : Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours. ESTRAGON : Moi aussi. VLADIMIR : Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit) Lève-toi que je t’embrasse. (Il tend la main à Estragon.) ESTRAGON (avec irritation) : Tout à l’heure, tout à l’heure.

Silence. VLADIMIR ( froissé, froidement) : Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit ? ESTRAGON : Dans un fossé. VLADIMIR ( épaté) : Un fossé ! où ça ? ESTRAGON (sans geste) : Par là. VLADIMIR : Et on ne t’a pas battu ? ESTRAGON : Si... Pas trop. VLADIMIR : Toujours les mêmes ? ESTRAGON : Les mêmes ? Je ne sais pas.

Silence. VLADIMIR : Quand j’y pense... depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu... sans moi... (Avec décision) Tu ne serais plus qu’un petit tas d’ossements à l’heure qu’il est, pas d’erreur. ESTRAGON (piqué au vif) : Et après ? VLADIMIR ( accablé) : C’est trop pour un seul homme. (Un temps. Avec vivacité.) D’un autre côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers 1900. ESTRAGON : Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie. VLADIMIR : La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. (Estragon s’acharne sur sa chaussure.) Qu’est-ce que tu fais ? ESTRAGON : Je me déchausse. Ça ne t’est jamais arrivé, à toi ? VLADIMIR : Depuis le temps que je te dis qu’il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de m’écouter. ESTRAGON (faiblement) : Aide-moi ! VLADIMIR : Tu as mal ? ESTRAGON : Mal ! Il me demande si j’ai mal ! VLADIMIR ( avec emportement) : Il n’y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m’en dirais des nouvelles. ESTRAGON : Tu as eu mal ? VLADIMIR : Mal ! Il me demande si j’ai eu mal !

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ESTRAGON (pointant l’index) : Ce n’est pas une raison pour ne pas te boutonner. VLADIMIR (se penchant) : C’est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les petites choses.

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14. L’autobiographie (1) Chateaubriand, Mémoires d’Outre tombe (1849-1850) Livre IV, chapitre 18.

Venise, 17 septembre 1833.

Rêverie au Lido

Il n'est sorti de la mer qu'une aurore ébauchée et sans sourire. La transformation des ténèbres en lumière, avec ses changeantes merveilles, son aphonie et sa mélodie, ses étoiles éteintes tour à tour dans l'or et les roses du matin, ne s'est point opérée. Quatre ou cinq barques serraient le vent à la côte ; un grand vaisseau disparaissait à l'horizon. Des mouettes posées, marquetaient en troupe la plage mouillée ; quelques-unes volaient pesamment au-dessus de la houle du large. Le reflux avait laissé le dessin de ses arceaux concentriques sur la grève. Le sable guirlandé de fucus, était ridé par chaque flot, comme un front sur lequel le temps a passé. La lame déroutante enchaînait ses festons blancs à la rive abandonnée.

J'adressai des paroles d'amour aux vagues, mes compagnes : ainsi que de jeunes filles se tenant par la main dans une ronde, elles m'avaient entouré à ma naissance. Je caressai ces berceuses de ma couche ; je plongeai mes mains dans la mer ; je portai à ma bouche son eau sacrée, sans en sentir l'amertume : puis je me promenai au limbe des flots, écoutant leur bruit dolent, familier et doux à mon oreille. Je remplissais mes poches de coquillages dont les Vénitiennes se font des colliers. Souvent je m'arrêtais pour contempler l'immensité pélagienne avec des yeux attendris. Un mat, un nuage, c'était assez pour réveiller mes souvenirs.

Sur cette mer j'avais passé il y a longues années ; en face du Lido une tempête m'assaillit. Je me disais au milieu de cette tempête " que j'en avais affronté d'autres, mais qu'à l'époque de ma traversée de l'océan j'étais jeune, et qu'alors les dangers m'étaient des plaisirs [ Itinéraire . (N.d.A.)] ". Je me regardais donc comme bien vieux lorsque je voguais vers la Grèce et la Syrie ? Sous quel amas de jours suis-je donc enseveli ?

Que fais-je maintenant au steppe de l'Adriatique ? des folies de l'âge voisin du berceau : j'ai écrit un nom tout près du réseau d'écume, où la dernière onde vient mourir ; les lames successives ont attaqué lentement le nom consolateur ; ce n'est qu'au seizième déroulement qu'elles l'ont emporté lettre à lettre et comme à regret : je sentais qu'elles effaçaient ma vie.

Lord Byron chevauchait le long de cette mer solitaire : quels étaient ses pensers et ses chants, ses abattements et ses espérances ? Elevait-il la voix pour confier à la tourmente les inspirations de son génie ? Est-ce au murmure de cette vague qu'il emprunta ces accents ?

... If my fame should be, as my fortunes are,

Of hasty growth and blight, and dull oblivion bar

My name from out the temple where the dead

Are honoured by the nations, - let it be .

" Si ma renommée doit être comme le sont mes fortunes, d'une croissance hâtive et frêle ; si l'obscur oubli doit rayer mon nom du temple où les morts sont honorés par les nations : - soit. " Byron sentait que ses fortunes étaient d'une croissance frêle et hâtive ; dans ses moments de doute sur sa gloire, puisqu'il ne croyait pas à une autre immortalité, il ne lui restait de joie que le néant. Ses dégoûts eussent été moins amers, sa fuite ici-bas moins stérile, s'il eût changé de voie : au bout de ses passions épuisées, quelque généreux effort l'aurait fait parvenir à une existence nouvelle. On est incrédule parce qu'on s'arrête à la surface de la matière : creusez la terre, vous trouverez le ciel. Voici la borne au pied de laquelle Byron marqua sa tombe : était-ce pour rappeler Homère enseveli sur le rivage de l'île d'Ios ? Dieu avait mesuré ailleurs la fosse du poète que je précédai dans la

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vie. Déjà j'étais revenu des forêts américaines lorsqu'auprès de Londres sous l'orme de Childe Harold enfant, je rêvai les ennuis de René et le vague de sa tristesse [Voyez livre XII, Ire partie. (N.d.A.)]. J'ai vu la trace des premiers pas de Byron dans les sentiers de la colline d'Harrow ; je rencontre les vestiges de ses derniers pas à l'une des stations de son pèlerinage : non ; je les cherche en vain ces vestiges : soulevé par l'ouragan, le sable a couvert l'empreinte des fers du coursier demeuré sans maître : " Pêcheur de Malamocco, as-tu entendu parler de Lord Byron ? - Il chevauchait presque tous les jours ici. - Sais-tu où il est allé ? " Le pêcheur a regardé la mer. Et la mer s'est souvenue de l'ordre que lui donna le Christ : tace ; obmutesce , " tais-toi ; sois muette. " Virgile avant Byron, avait franchi le golfe redouté du poète de Tibur : qui ramènera d'Athènes, Byron et Virgile ? A ces mêmes plages Venise pleure ses pompes : le Bucentaure n'y baigne plus ses flancs d'or à l'ombre de sa tente de pourpre ; quelques tartanes se cachent derrière les caps déserts, comme au temps primitif de la République.

Un jour fut d'orage : prêt à périr entre Malte et les Sirtes, j'enfermai dans une bouteille vide ce billet : F. A. de Chateaubriand, naufragé sur l'île de Lampedouse le 26 décembre 1806 en revenant de la Terre sainte [ Itinéraire . (N.d.A.)]. Un verre fragile, quelques lignes ballottées sur un abîme est tout ce qui convenait à ma mémoire. Les courants auraient poussé mon épitaphe vagabonde au Lido, comme aujourd'hui le flot des ans a rejeté à ce bord ma vie errante. Dinelli capitaine en second de ma polaque d'Alexandrie, était vénitien ; il passait de nuit avec moi trois ou quatre heures du sablier, appuyé contre le mât et chantant aux coups des rafales,

Si tanto mi piace

Si rara Bella,

Io perdero la pace

Quando se destera.

Dinelli s'est-il reposé sul'margine d'un rio auprès de sa maîtresse endormie ? S'est-elle réveillée ? Mon vaisseau existe-t-il encore ? A-t-il sombré ? A-t-il été radoubé ? Son passager n'a pu faire rajuster sa vie ! Peut-être ce bâtiment dont j'aperçois la vergue lointaine, est le même qui fut chargé de mon ancienne destinée ? Peut-être la carène démembrée de mon esquif, a-t-elle fourni les palissades du cimetière israélite ?

Mais ai-je tout dit dans l' Itinéraire sur ce voyage commencé au port de Desdémone et fini au pays de Chimène ? Allais-je au tombeau du Christ dans les dispositions du repentir ? Une seule pensée remplissait mon âme ; je dévorais les moments : sous ma voile impatiente, les regards attachés à l'étoile du soir, je lui demandais l'aquilon pour cingler plus vite. Comme le coeur me battait en abordant les côtes d'Espagne ! Que de malheurs ont suivi ce mystère ! Le soleil les éclaire encore ; la raison que je conserve me les rappelle.

Venise, quand je vous vis, un quart de siècle écoulé, vous étiez sous l'empire du grand homme, votre oppresseur et le mien ; une île attendait sa tombe ; une île est la vôtre : vous dormez l'un et l'autre immortels dans vos Sainte-Hélène. Venise ! nos destins ont été pareils ! mes songes s'évanouissent, à mesure que vos palais s'écroulent ; les heures de mon printemps se sont noircies, comme les arabesques dont le faîte de vos monuments est orné. Mais vous périssez à votre insu ; moi, je sais mes ruines ; votre ciel voluptueux, la vénusté des flots qui vous lavent, me trouvent aussi sensible que je le fus jamais. Inutilement je vieillis ; je rêve encore mille chimères. L'énergie de ma nature s'est resserrée au fond de mon coeur ; les ans au lieu de m'assagir, n'ont réussi qu'à chasser ma jeunesse extérieure, à la faire rentrer dans mon sein. Quelles caresses l'attireront maintenant au dehors, pour l'empêcher de m'étouffer ? Quelle rosée descendra sur moi ? quelle brise émanée des fleurs, me pénètrera de sa tiède haleine ? le vent qui souffle sur une tête à demi-dépouillée, ne vient d'aucun rivage heureux !

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15. L’autobiographie (2)

Nathalie Sarraute, Enfance (1983)

Édition de référence : Nathalie Sarraute, Enfance, Folio, p. 73-76 Bibliographie :

-Monique Gosselin présente Enfance de Nathalie Sarraute, Gallimard, Foliothèque, 1996. - Philippe Lejeune, « Paroles d’enfance et « Aussi liquide qu’une soupe » dans Les Brouillons de soi, Seuil, Poétique, 1998.

1 5 10 15 20 25 30 35

[…] Ce qui passait entre Kolia et maman, ce courant chaud, ce rayonnement, j’en recevais, moi aussi, comme des ondes..

— Une fois pourtant… tu te rappelles... — Mais c’est ce que j’ai senti longtemps après... tu sais bien que sur le

moment... — Oh, même sur le moment... et la preuve en est que ces mots sont restés en

toi pour toujours, des mots entendus cette unique fois... un petit dicton... — Maman et Kolia faisaient semblant de lutter, ils s’amusaient, et j’ai voulu

participer, j’ai pris le parti de maman, j’ai passé mes bras autour d’elle comme pour la défendre et elle m’a repoussée doucement... « Laisse donc... femme et mari sont un même parti. » Et je me suis écartée...

— Aussi vite que si elle t’avait repoussée violemment . — Et pourtant sur le moment ce que j’ai ressenti était très léger... c’était

comme le tintement d’un verre doucement cogné... — Crois-tu vraiment ? — Il m’a semblé sur le moment que maman avait pensé que je voulais pour de

bon la défendre que je la croyais menacée, et elle a voulu me rassurer... Laisse... ne crains rien, il ne peut rien m’arriver... « Femme et mari sont un même parti. »

— Et c’est tout ? Tu n’as rien senti d’autre ? Mais regarde… maman et Kolia discutent, s’animent, ils font semblant de se battre, ils rient et tu t’approches, tu enserres de tes bras la jupe de ta mère et elle se dégage… « Laisse donc, femme et mari sont un même parti »… l’air un peu agacé…

— C’est vrai… je dérangeais leur jeu. — Allons, fais un effort… — Je venais de m’immiscer… m’insérer là où il n’y avait pour moi aucune

place. — C’est bien, continue… — J’étais un corps étranger… qui gênait… — Oui : un corps étranger. Tu ne pouvais pas mieux dire. C’est cela que tu as

senti alors et avec quelle force… Un corps étranger… Il faut que l’organisme où il s’est introduit tôt ou tard l’élimine…

— Non, cela, je ne l’ai pas pensé… — Pas pensé, évidemment pas, je te l’accorde… c’est apparu, indistinct,

irréel… un promontoire inconnu qui surgit un instant du brouillard… et de nouveau un épais brouillard le recouvre…

— Non, tu vas trop loin… — Si. Je reste tout près, tu le sais bien

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