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A la découverte de l’Histoire Cours d’Histoire 2012/2013. G. Durand 1 COURS 16 LA PROVENCE AU XVIIIe SIECLE LA PAIX ET LA PESTE La paix ramenée par les traités d’Utrecht (1713) mettant fin à la guerre de succession d’Espagne desserra en peu d’années l’étreinte financière et améliora la situation économique. Le 31 décembre 1717, le dixième, impôt exceptionnel au regard de l’effort de guerre, était supprimé. D’autre part se dessinait un progrès du commerce du Levant et de la Barbarie. La valeur des produits du Levant apportés dans le port de Marseille s’élevait en 1714 à 23 millions de livres – chiffre jamais atteint et qui représentait pour l’époque une sorte de palier destiné à se maintenant pendant près de cinquante ans. C’est à ce moment où s’annonçaient des conditions de vie meilleures et des promesses de prospérité, qu’un navire venant de Syrie, se présentait le 25 mai 1720, portant la peste à bord, devant le port de Marseille : c’était le Grand Saint-Antoine. Six semaines plus tard, des cas de peste se déclaraient dans Marseille puis se multipliaient avec une rapidité effrayante. Le déchaînement du fléau fut atroce. Marseille fut aussitôt envahie puis la Provence occidentale, une partie du centre et du nord de la province dont les limites furent franchies à Avignon, vers Mende et Alès. L’épidémie fut à Marseille, au plus fort de sa virulence, de juillet à septembre ; elle commença à décroître en octobre. Le 1 er novembre, l’évêque de Belsunce ne cessa de porter des secours de toute espèce aux malades et aux moribonds, célébra la messe, en plein air, les pieds nus, à l’extrémité du Cours. Le 15, du haut du clocher des Accoules, il lança les exorcismes liturgiques contre les puissances du mal. Le 31 décembre, il conduisit une procession générale dans les rues en manifestation d’actions de grâces, autant que de supplications, la contagion paraissant près de s’éteindre. Toujours à Marseille, après deux « quarantaines » de sécurité du 19 août au 29 septembre 1721, le Parlement publia, le 9 novembre, l’ « acte déclaratif de santé » qui rétablissait les communications de la ville avec la province. Mais voici qu’à la fin d’avril 1722, le fléau reparaissait ! Ce retour offensif n’avait été qu’une alerte : 194 personnes périrent et la contagion d’arrêta. Les échevins avaient évalué à 39 055, avant avril 1722, le nombre de décès causés à Marseille par la peste. Leur évaluation, vu les circonstances, ne pouvait avoir de bases très certaines même si elles semblent relativement fiables compte tenu de la population de la ville à cette époque, 75000 habitants. Toute la Provence occidentale et ses marges payèrent à la maladie un tribut lourd. Papon dans son Histoire de la Provence compte au total, en Provence, 87 659 victimes et l’on a admis qu’il avait compté seulement 59 des 69 communautés contaminées. Il faudrait donc en somme accepter le chiffre de 90 000 décès environ dus à la peste de 1720-22 en Provence. La Provence se remit toutefois rapidement de l’épidémie. Une descente de la population de Haute Provence aux plaines et aux villes du Sud permis notamment à Marseille de retrouver sa population du début de 1720 seulement 5 ans après la fin de l’épidémie. LES QUERELLES RELIGIEUSES

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A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2012/2013. G. Durand

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COURS 16 LA PROVENCE AU XVIIIe SIECLE

• LA PAIX ET LA PESTE

La paix ramenée par les traités d’Utrecht (1713) mettant fin à la guerre de succession d’Espagne desserra en peu d’années l’étreinte financière et améliora la situation économique. Le 31 décembre 1717, le dixième, impôt exceptionnel au regard de l’effort de guerre, était supprimé. D’autre part se dessinait un progrès du commerce du Levant et de la Barbarie. La valeur des produits du Levant apportés dans le port de Marseille s’élevait en 1714 à 23 millions de livres – chiffre jamais atteint et qui représentait pour l’époque une sorte de palier destiné à se maintenant pendant près de cinquante ans.

C’est à ce moment où s’annonçaient des conditions de vie meilleures et des promesses de prospérité, qu’un navire venant de Syrie, se présentait le 25 mai 1720, portant la peste à bord, devant le port de Marseille : c’était le Grand Saint-Antoine. Six semaines plus tard, des cas de peste se déclaraient dans Marseille puis se multipliaient avec une rapidité effrayante. Le déchaînement du fléau fut atroce. Marseille fut aussitôt envahie puis la Provence occidentale, une partie du centre et du nord de la province dont les limites furent franchies à Avignon, vers Mende et Alès. L’épidémie fut à Marseille, au plus fort de sa virulence, de juillet à septembre ; elle commença à décroître en octobre. Le 1er novembre, l’évêque de Belsunce ne cessa de porter des secours de toute espèce aux malades et aux moribonds, célébra la messe, en plein air, les pieds nus, à l’extrémité du Cours. Le 15, du haut du clocher des Accoules, il lança les exorcismes liturgiques contre les puissances du mal. Le 31 décembre, il conduisit une procession générale dans les rues en manifestation d’actions de grâces, autant que de supplications, la contagion paraissant près de s’éteindre.

Toujours à Marseille, après deux « quarantaines » de sécurité du 19 août au 29 septembre 1721, le Parlement publia, le 9 novembre, l’ « acte déclaratif de santé » qui rétablissait les communications de la ville avec la province. Mais voici qu’à la fin d’avril 1722, le fléau reparaissait ! Ce retour offensif n’avait été qu’une alerte : 194 personnes périrent et la contagion d’arrêta.

Les échevins avaient évalué à 39 055, avant avril 1722, le nombre de décès causés à Marseille par la peste. Leur évaluation, vu les circonstances, ne pouvait avoir de bases très certaines même si elles semblent relativement fiables compte tenu de la population de la ville à cette époque, 75000 habitants. Toute la Provence occidentale et ses marges payèrent à la maladie un tribut lourd. Papon dans son Histoire de la Provence compte au total, en Provence, 87 659 victimes et l’on a admis qu’il avait compté seulement 59 des 69 communautés contaminées. Il faudrait donc en somme accepter le chiffre de 90 000 décès environ dus à la peste de 1720-22 en Provence.

La Provence se remit toutefois rapidement de l’épidémie. Une descente de la population de Haute Provence aux plaines et aux villes du Sud permis notamment à Marseille de retrouver sa population du début de 1720 seulement 5 ans après la fin de l’épidémie.

• LES QUERELLES RELIGIEUSES

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Tandis qu’après l’interruption causée par le fléau, se continuait la reprise économique, ce qui tint souvent une place de premier plan, jusqu’au milieu du siècle et au-delà, dans l’histoire de la Provence, ce furent les querelles religieuses.

Elles avaient leur origine dans la bulle Vineam domini (1705) puis surtout dans la constitution Unigenitus (1713) réclamée avec une vive insistance à Clément XI par Louis XIV sous la pression des Jésuites et qui avait condamné 101 propositions, d’inspiration janséniste, tirées du libre du P. Quesnel sur Le Nouveau Testament avec des réflexions morales. La constitution suscita aussitôt des appelants, ainsi désignés parce qu’ils appelaient au futur concile de la condamnation du P. Quesnel. A ceux-ci s’opposèrent, avec une ardeur pareille à la leur, les acceptants. Le jansénisme fut un mouvement religieux, puis politique, qui se développa aux XVIIe et XVIIIe siècles, principalement en France, en réaction à certaines évolutions de l'Église catholique, et à l'absolutisme royal. Ce mouvement naît au cœur de la réforme catholique. Il doit son nom à l’évêque d’Ypres, Cornelius Jansen, auteur de son texte fondateur l’Augustinus, publié en 1640. Cette œuvre est l’aboutissement de débats sur la grâce remontant à plusieurs dizaines d’années, coïncidant avec l’hostilité grandissante d'une partie du clergé catholique envers la compagnie de Jésus ; il prétend établir la position réelle de saint Augustin sur le sujet, qui serait opposée à celle des jésuites, ceux-ci donnant une importance trop grande à la liberté humaine.

Gravure anti-janséniste fustigeant Pasquier Quesnel, anonyme, XVIIIe siècle.

• LA SITUATION ECONOMIQUE ET LA GUERRE DE SUCCESSION D’AUTRICHE

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Après la grande peste, l’amélioration de la situation économique et financière ne rencontra, pendant plus de 20 ans, aucun obstacle en Provence, où les guerres de la Quadruple Alliance et de la succession de Pologne n’eurent point de répercussion sensible. L’activité de la navigation augmentait dans le port de Marseille. Le nombre de navires marseillais fréquentant les échelles du Levant et de Barbarie qui n’excédait pas 70 à la fin du XVIIe siècle était passé, en 1728 à 400, en bâtiments de tout gabarit. L’industrie était en progrès dans tout le pays. Le port de Marseille, qui de méditerranéen tendait à devenir mondial depuis l’ordonnance de 1719 ouvrant aux Marseille le commerce des îles d’Amérique, desservait de plus en plus, la Provence entière.

Plan de Marseille en 1720

La guerre de Succession d’Autriche intéressa La Provence d’abord du côté de la mer, dans des circonstances assez singulières : les Anglais avaient commencé la guerre contre les Espagnols, les alliés des Français, avant d’attaquer la France elle-même. L’escadre espagnole de don Navarro s’étant abritée dans la rade et le port de Toulon, y fut bloquée dès avril 1742 par l’escadre anglaise de l’amiral Matthews qui s’emparait, sous le cap Cépet, des bâtiments français chargés pour le compte de l’Espagne. En juin, Matthews brûlait cinq galères espagnoles dans le port de Saint-Tropez. La neutralité était cependant ordonnée aux troupes et aux navires français à l’égard des Anglais, dont les officiers venaient se promener à Toulon.

La guerre avec l’Angleterre devenait pourtant inévitable. Le 19 février 1744 les escadres espagnoles et françaises sortirent de concert de la rade de Toulon et le 22 février livrèrent bataille à l’escadre de Matthews sous le cap Sicié. Ce fut la déclaration de guerre de la France à l’Angleterre. Le combat fut favorable aux alliés : leurs flottes purent gagner Alicante et Carthagène et le lieutenant général, La Bruyère de Court, commandant de l’escadre française, rentra à Toulon avec 4 prises. La protection côtière qu’offrait Marseille empêcha toute contre-attaque anglaise contre le port. Néanmoins Matthews

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continua son harcèlement sur les navires français et provençaux gênant gravement le commerce colonial. La marine provençale eut à subir d’importantes pertes : 93 bâtiments capturés en 1744, 142 en 1745, 106 en 1746, 232 en 1747, 218 encore en 1748. En 4 ans, 807 bâtiments de commerce avaient été enlevés, le plus grand nombre aux Marseillais.

La Provence allait d’ailleurs être entamée par ses frontières terrestres. Déjà en 1743, les troupes hongroises, avec l’aide du roi de Sardaigne, avaient pénétré dans la vallée de Barcelonnette et l’avaient terriblement ravagée. Mais en 1746, les Franco-Espagnols, complètement battus à Plaisance (19 juin) reculèrent et passèrent la frontière provençale. L’infant don Filipe, commandant l’armée espagnole, se réfugia à Aix. L’armée austro-piémontaise, forte d’environ 50000 hommes, franchit le Var derrière eux, en novembre. Elle s’avança en ravageant le pays, occupant Vence, Grasse, Draguignan, Hyères, Puget. La place d’Antibes, commandée par le comte de Sade, refusa de se rendre et subit un bombardement de 29 jours. En décembre, les Anglais, visant le port de Toulon, s’emparèrent des îles d’Hyères.

Le maréchal de Belle-Isle, appelé au commandement de l’armée d’Italie en remplacement de Maillebois, entra en campagne en plein hiver. Sa marche hardie bousculait l’ennemi : les îles d’Hyères étaient reprises, il surprenait l’adversaire près d’Antibes le 2 février 1747 et le forçait à repasser le Var deux jours plus tard. Les envahisseurs, en deux mois d’occupation, avaient perdu les 3/5 de leurs effectifs.

Ils revinrent cependant en juin dans la vallée de Barcelonnette et s’installèrent à Seyne qu’ils ne devaient évacuer qu’au printemps 1748.

Une fois encore, la Provence avait été, à ses frais, le boulevard efficace du royaume.

• LA CRISE DE LA GUERRE DE SEPT ANS (1756-1763)

Après la décevante paix d’Aix-la-Chapelle (1748), les ambitions coloniales de l’Angleterre, le désir de revanche de l’Autriche conduisaient rapidement à une nouvelle conflagration : ce fut la guerre de Sept Ans, volontairement provoquée par la razzia de 300 navires marchands autour des Antilles et dans l’Atlantique par l’amiral Boscawen. La France y fut l’alliée de l’Autriche, son adversaire de la guerre précédente.

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Edward Boscawen, par Joshua Reynolds, vers 1755

Les opérations maritimes de cette nouvelle guerre eurent leur départ à Marseille et à Toulon : une expédition commandée par le maréchal de Richelieu et conduite par l’amiral de La Galissonnière y fut préparée contre Minorque, occupée par les Anglais depuis 1708.

La guerre de Sept Ans ne fut pas une affaire provençale. Après des premiers pourparlers de paix en 1761, interrompus par l’entrée en guerre de l’Espagne aux côtés de la France, il faut attendre 1762 et l’épuisement militaire et économique des protagonistes pour voir de vraies négociations s’engager. La paix sera signée en deux fois. Le premier traité, le traité de Paris, concerne la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne. Il est signé le 10 février 1763 et la Grande-Bretagne, étant en position de force, obtient d’énormes gains :

- En Amérique du Nord : la Grande-Bretagne se voit accorder le Canada et toutes les îles au large, sauf Saint-Pierre-et-Miquelon qui reste aux Français, ainsi que tous les territoires à l’est du Mississippi.

- Dans les Caraïbes : la France ne peut récupérer que la Martinique, la Guadeloupe, la Marie-Galante et la Sainte-Lucie. Toutes ses autres îles deviennent britanniques. Cuba et les Philippines sont rendues aux Espagnols en échange de la Floride et de l’évacuation du Portugal en Europe.

- En Inde : les cinq comptoirs de Pondichéry, Kârikâl, Yanaon, Mahé et Chandernagor sont rendus aux Français mais avec interdiction de les fortifier ou d’y stationner une armée (donnant de facto le contrôle de l’Inde aux Britanniques).

- En Europe : Belle-Île, occupée par les Britanniques est rendue aux Français en échange de Minorque. La France accepte d’évacuer tous les territoires appartenant au roi de Grande-Bretagne et ses alliés.

- En Afrique : Gorée est rendue aux Français en échange du Sénégal.

La crise de la guerre de Sept Ans fut également une crise des finances de l’Etat. Déjà la Succession d’Autriche avait causé de graves embarras financiers et amené l’établissement de l’impôt du dixième

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(1741). La guerre de Sept Ans allait compliquer considérablement ces embarras et lancer les contrôleurs généraux à la recherche de nouvelles ressources et de nouveaux expédients. L’opposition locale la plus gênante n’était pas dans les assemblées des communautés : on la rencontrait depuis 1749 et surtout depuis 1756 au Parlement à qui la régence avait rendu le droit de remontrances. Le Parlement d’Aix ne se montra pas la plus rétive et la plus entêtée des cours souveraines du royaume. Il n’en refusa pas moins l’enregistrement des édits et vota chaque fois des remontrances grandiloquentes, démontrant l’épuisement du Pays, faisant la leçon au trône, exhortant à une politique d’économie mais se gardant bien d’entamer aucun privilège et n’indiquant aucun moyen de faire face aux dépenses qui résultaient surtout de la guerre.

• LA REFORME MAUPEOU

En 1768 René Nicolas de Maupeou devenait chancelier succédant à son père. C’était un homme énergique et autoritaire. Plus que tout autre, il supportait mal l’attitude des parlements dans l’affaire du parlement de Bretagne et leur opposition concertée aux efforts des contrôleurs généraux aux prises avec des difficultés financières. La disgrâce de Choiseul, premier ministre de Louis XV de 1758 à 1770, allait lui laisser les mains libres. Il augura une réforme du Parlement de Paris au cours de l’hiver 1770-71 qui entraîna une solidarité des autres parlements du royaume : celui d’Aix protesta le 11 mars. Maupeou décida alors d’étendre sa réforme à ces parlements félons. Une série d’édits datés de septembre 1771 prescrivirent et règlementèrent l’application de la réforme dans le Royaume et en Provence. Il fut plus facile que partout ailleurs d’y trouver la magistrature de remplacement : la Cour des Comptes, rivale séculaire du Parlement, constamment brimée par lui dans les règlements de préséances et de compétence, était toute prête à prendre la place de la cour abolie. Il en résultat qu’aucun membre de l’ancien parlement ne fut maintenu dans l’organisation nouvelle.

René Nicolas Charles Augustin de Maupeou

La dissolution du parlement, l’installation des nouveaux magistrats furent accueillies par le public avec une parfaite indifférence ; il n’y eut aucune manifestations, aucun incident. Bien plus, le marquis

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d’Albertas, premier président de la Cour des Comptes, reçut comme président du parlement Maupeou, les félicitations de tous les corps constitués et des députations empressées des villes.

La nouvelle cour fonctionna sans heurts. Dès le 4 octobre, elle se donna l’élégance de demander la révocation de l’exil des anciens parlementaires, sans effet. Elle fut évidemment plus docile que la cour qu’elle remplaçait. En Provence, ni d’ailleurs dans tout le royaume, la réforme de Maupeou ne donnait tout le résultat que son auteur en avait attendu.

• LES APPROCHES DE LA REVOLUTION

A mesure qu’on avançait dans le XVIIIe siècle, surtout après le milieu du siècle, de plus en plus on discutait des impôts et du fonctionnement de l’administration ; de plus en plus les principes de la société et du gouvernement étaient mis en cause. Ces controverses étaient favorisées par les embarras croissants du Trésor, évidents à tous les yeux.

En Provence, on discutait âprement sur la participation des ordres privilégiés aux charges publiques. Les représentants des communautés la réclamaient avec véhémence. Les privilégiés y étaient bien sûr très réfractaires. Représentés dans les assemblées générales des communautés par leurs procureurs-joints, non seulement ils se refusaient à envisager aucune modification à l’assiette de l’impôt mais ils repoussaient, par exemple, toute participation à la dépense des Enfants trouvés.

Tout un groupe d’hommes de loi établis dans les villes et particulièrement à Aix, que leur situation sociale et professionnelle appelait à la gestion des affaires publiques prônaient le retour à la Constitution provençale, voulaient y voir la solution des difficultés présentes. La Noblesse se ralliait volontiers à leurs démonstrations, et à partir de 1770, réclama la convocation des Etats de Provence, suspendus depuis 1639. D’aucun ne permit cet événement tandis que la crise financière s’aggravait. Il était toutefois un remède auquel tout le monde pensait, mais dont on avait peur : la convocation des Etats généraux. L’assemblée des notables réunie en février 1787 pour trouver des solutions à la situation financière, l’indiquait.

Mais déjà les événements se précipitaient. Le Trésor était vide. Le 8 août 1788, Brienne annonçait pour le 27 avril suivant la convocation des Etats généraux, réclamée de toutes parts. Mais il en était réduit à proclamer le 16 août une banqueroute de l’Etat. Le 25 août il était congédié et le roi appelait Necker à ses côtés. Le 23 septembre, Necker renouvelait la convocation des Etats généraux pour le 1er mai 1789, et rappelait les parlements.

Le 20 octobre, le parlement d’Aix, acclamé, reprenait ses séances. Puis les Etats de Provence étaient convoqués pour le 25 janvier. La session s’ouvrit à la date fixée dans une atmosphère d’orage tant le Tiers n’était satisfait dans aucune de ses demandes. 66 membres du Tiers se retrouvaient devant les 104 possédants-fiefs et 20 représentants du Clergé. Les députés du Tiers déclarèrent l’assemblée illégale et refusèrent de lui reconnaître le caractère de réunion des Etats. Le 30 janvier, Mirabeau obtint la parole et démontra avec les ressources de sa puissante éloquence que la Nation provençale n’était pas représentée dans les Etats de Provence et montrait sa voie à la Révolution en faisant appel à « l’élection libre d’un peuple qui use de ses droits ». Son discours, accueilli par les invectives des privilégiés allait entraîner son exclusion le 8 février de la représentation de la Noblesse.

Brusquement le 31 janvier, sur un ordre de la cour, la session était interrompue.

Les semaines qui suivirent sont pleines d’une agitation à laquelle l’Adresse à la Nation Provençale de Mirabeau, fournit un solide aliment. L’effet en est renforcé par le règlement du 2 mars 1789 qui

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applique à la Provence les principes de celui du 24 janvier, c’est-à-dire l’élection des députés aux Etats généraux non point par l’assemblée des Etats du Pays mais dans les assemblées électorales des sénéchaussées.

Les revendications sont rendues plus acerbes, particulièrement dans ce pays, par la menace de disette résultant de la mauvaise récolte de l’année précédente et les froids excessifs de l’hiver de 1789. L’on en vint aux violences : à Manosque le 14 mars lorsque l’évêque de Sisteron est attaqué par une bande de paysans, à Salernes où les paysans assaillent la maison de l’intendant, à Sisteron, à Aups où le trésorier de France est assassiné, au Puget, au Luc, à Brignoles, à Rians, à Peynier où le marquis, conseiller au parlement, est assiégé dans son château par 150 paysans, à Toulon om l’hôtel de ville est envahi le 23 mars, à Marseille le même jour, à Aix le 25 mars où le premier consul, le marquis de la Fare, est menacé et malmené dans sa personne jusqu’à consentir à la diminution immédiate du prix du pain, à la suppression du droit sur la farine.

A partir du 12 mars avaient eu lieu les élections aux Etats généraux. Elles se poursuivirent jusqu’au 19 mai, suivant une procédure assez complexe. La Provence envoya ainsi à Versailles 48 députés. Elu par le Tiers à la fois à Marseille et à Aix, Mirabeau avait opté pour Aix. L’abbé Siéyés, provençal de Fréjus, était élu à Paris. Ainsi la Provence donnait aux Etats généraux les deux hommes qui, avec des tempéraments bien différents et des talents très inégaux, allaient transformer les Etats en Assemblée nationale et frayer la route à la Révolution.

• LA FIN DE LA PROVENCE

Après l’attente frénétique qui avait précédé la réunion des Etats généraux, après les mouvements auxquels l’écho de la prise de la Bastille avait transmis sa vibration, la Provence fut assez calme à la fin de l’été et dans l’automne 1789. Quelques nervosités devaient apparaître en décembre. Mais auparavant, l’Assemblée nationale, par ses décrets des 12 novembre et 14 décembre avait organisé les municipalités du nouveau régime ; puis par celui du 22 décembre 1789 elle décidait la division du royaume en départements.

Le découpage de la Provence donna lieu, tant au comité de division que dans les séances de l’Assemblée nationale, à d’ardentes controverses. Le décret des 26 février-4 mars 1790 arrêta la division de la Provence en trois départements (Ouest, Est et Nord, devenus plus tard, Bouches-du-Rhône, Var et Basses-Alpes).

Les convictions politiques de Jean Joseph Pierre Pascalis, l'un des avocats les plus réputés du barreau d'Aix, fervent défenseur de la constitution provençale, de l'égalité proportionnelle et du maintien des libertés publiques, lui valent l'opposition de nombreux adversaires qui le jugent antirévolutionnaire. Le plus acharné d'entre eux est l'abbé Jean-Joseph Rive, bibliothécaire aixois et fondateur en novembre 1790 du « club des Antipolitiques », installé rue des Bernardines, à Aix. Celui-ci voit en Pascalis le pire de ses ennemis. Dans un pamphlet, il le traite de « scélérat » et de « mortel exécrable » et appelle au meurtre de l'avocat

L'Assemblée départementale des Bouches-du-Rhône s'installe à Aix le 20 juillet 1790. Cette création a pour conséquence le démembrement de l'ancienne administration provençale. L'article 10 du décret du 2-10 septembre 1790 provoque la suppression du Parlement de Provence. Sous le coup d'une vive colère devant l'état de ruines des anciennes institutions de la province, Pascalis décide dans ces conditions de se retirer des affaires politiques et du barreau. Le 27 septembre, il entre en robe au palais

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du Parlement d'Aix en compagnie de plusieurs avocats. Annoncé par l'huissier, il prononce un discours qui aura des conséquences majeures. Au cours de son allocution, il n'a pas de mots assez durs pour fustiger les partis révolutionnaires.

Jean Joseph Pascalis

La teneur de ce discours se répand dans toute la ville en quelques heures et, tandis qu'il éveille les sentiments monarchistes d'une frange silencieuse de la population, il provoque un déchaînement de colère chez les partisans de la Révolution et de la crainte chez les administrateurs d'Aix6. Le président Noé dénonce les mots de Pascalis, les qualifiant d'« inconstitutionnels » et de « dangereux ». En début de soirée, les officiers municipaux, en tête desquels le maire Jean Espariat, débattent des mesures à prendre. Une délégation du club des Amis de la Constitution, menée par l'avocat Arbaud, futur juge de district à Marseille, surgit alors pendant le conseil et demande l'interdiction de la publication du discours, quitte à rendre visite à tous les imprimeurs d'Aix

Le 28 septembre la chambre des vacations, qui suppléait le parlement d’Aix depuis le 9 août, tint sa dernière audience. Une délégation d’avocats s’y présenta et fut entendre une protestation et les regrets que laissait dans quelques cœurs la Constitution provençale anéantie. Elle avait à sa tête le champion de ses dernières années, l’ancien assesseur Pascalis.

« Messieurs,

« Les édits du 8 mai 1788 me forcèrent comme administrateur du Pays, de consigner dans vos registres les réclamations d’un peuple jaloux de sa Constitution et de sa liberté idolâtre des vertus de son Roi.

Dans des circonstances plus désastreuses je viens remplir un ministère non moins imposant et, au nom d'un Ordre qui s'honore toujours de seconder vos efforts pour le maintien des droits du Pays, déposer

dans votre sein les alarmes des vrais citoyens. Si le peuple, dont la tête est exaltée par des prérogatives dont il ne connaît pas le danger, dont le cœur est corrompu par le poison des idées républicaines,

souscrit au renversement de la Monarchie, à l'anéantissement de notre Constitution, à la destruction de

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toutes nos institutions politiques ; S'il applaudit à la proscription de votre Chef, qu'il surnomma son ami à la dispersion de la Magistrature, qui veilla sans cesse pour son bonheur, et à l'anarchie qui

exerce déjà ses ravages ; Si, dans l'excès de son aveuglement, il se refuse au vœu de cette foule de communautés, supportant de 13 à 1400 feux (moitié des charges du Pays) qui ont inutilement sollicité

la convocation de nos États ; Enfin, si pour comble d'infortune, il provoqua les calamités de toute espèce qui l'affligent, plaignons ses erreurs, gémissons sur le délire qui l'agite, et craignons qu'il ne se

charge lui-même un jour de sa vengeance. Le temps viendra, et nous osons prédire qu'il n'est pas éloigné, où, le prestige dissipé par l'excès même des maux qu'il aura produits, nos citoyens rendus à

leurs sentiments naturels de fidélité, de franchise et de loyauté, béniront la sagesse d'une Constitution exaltée par les publicistes, l'égide de la liberté sociale, le garant de la félicité publique. Puisse le ciel hâter le moment où, nous gratifiant de ce nouveau bienfait, nos citoyens détrompés se réuniront à l'envi pour assurer la proscription des abus de l'ancien régime, l'exécution de nos traités avec la

France, le rétablissement de la Monarchie, et avec le retour de nos Magistrats celui de la tranquillité publique. Tels sont, Messieurs, les vœux dont vous fait aujourd'hui l'hommage, un Ordre non moins

célèbre par ses talents que par ses vertus, qui sut mériter l'estime des différents barreaux du Royaume et conserver la vôtre, qui mit toujours sa gloire à partager vos travaux et vos disgrâces, qui n'eut d'autre récompense que celle de veiller plus spécialement au maintien de la Constitution et au soulagement du peuple, et qui, décidé à s'ensevelir avec la Magistrature, veut vivre et mourir citoyen Provençal, bon et

fidèle sujet du Comte de Provence, Roi de France. »

C’était bien, ce 28 septembre 1790, la fin de la Provence. Le 14 décembre suivant, Pascalis, pendu au poteau d’une lanterne du Cours, payait sa fidélité sentimentale à des formes abandonnées du passé.

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A la découverte de l’Histoire

Cours d’Histoire 2012/2013. G. Durand

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Pendaison de Pascalis, La Roquette et Guiramand sur le cours Mirabeau ; eau-forte contemporaine.