courcelle-seneuil -la banque libre

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    La Banque Libreexpos des fonctions du commerce de banque et de son

    application lagriculture, suivi de divers crits decontroverse sur la libert des banques

    (1867)

    .Jean-Gustave Courcelle-Seneuil

    Paris, novembre 2014Institut Coppet

    www.institutcoppet.org

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    PREFACE

    En crivant ce petit volume, je me suis propos surtout d exposer,de la manire la plus claire et la plus lmentaire possible, en quoi pr-cisment consistaient les services que le commerce de banque rendait,tant aux particuliers qui en faisaient directement usage, qu la sociten gnral. Il devait rsulter de cette exposition quil tait dintrt pu-

    blic de fomenter ce commerce, ou tout au moins de ne lentraver paraucune restriction.Jai ensuite tabli de mon mieux quil ny aurait nul inconvnient s-

    rieux, tandis quil y aurait tout avantage, laisser les banques absolu-ment libres dmettre des billets vue et au porteur.

    Enfin je crois avoir dmontr que si la libert des missions intres-sait toutes les branches de lindustrie, elle intressait plus particulire-ment lagriculture.

    Bien que cette exposition et la discussion qui la suit se rattachent des questions dbattues en ce moment et qui font lobjet de deuxgrandes enqutes administratives, ce livre nest pas une publication decirconstance : il exprime et rsume une conviction scientifique mriependant de longues annes par ltude, la rflexion et lexprience.

    Il y a vingt-sept ans qu loccasion dun renouvellement du privilgede la Banque de France, je publiai quelques tudes sur cette question dela libert des missions, qui avait t pose deux annes auparavant par

    lconomiste amricain Carey.Ctait un problme nouveau, surtout en France, o je ne crois pasquil existt alors dautres publications sur cette matire que la spiri-tuelle brochure dans laquelle M. le comte dEsterno avait racont avecbeaucoup de sens et de franchise les msaventures de son projet d ta-blissement dune banque Dijon.

    Douze annes plus tard, en 1852, je reprenais nouveau cette mmequestion dans un ouvrage technique. Dans lintervalle, la libert des

    missions avait t propose et dfendue avec beaucoup de talent parCh. Coquelin et M. du Puynode, en France, et par Wilson, en Angle-terre.

    Depuis cette poque, jai eu plusieurs fois loccasion de traiter cettequestion, en Amrique et en France, notamment dans larticle Banque,

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    du Dictionnaire du Commerce et de la Navigation, et dans lintroduction pla-ce en tte de la seconde dition du livre de Ch. Coquelin.

    Toutes nos publications, je dois le dire, avaient fait fort peu dim-pression sur le public, lorsque laffaire de la Banque de Savoie, et sur-tout les lvations du taux de lescompte de la Banque de France lontun peu rveill de sa torpeur et ont donn lieu une multitude delivres, darticles de journaux et de brochures. Jai pris quelque part cette controverse, dans le Journal des conomisteset dans leTemps, et jereproduis la fin de ce volume ceux des articles qui mont paru le pluspropres intresser le lecteur. Mais ils sont spars de la publicationprincipale, La Banque libre.

    Dans celle-ci, je me suis efforc de restreindre le plus possible lobjetde la discussion, qui est la libert des missions. Jai vit de discuter lergime de la Banque de France et celui de la Banque dAngleterre, bienque cette tude et pu tre intressante. Jai aussi vit les citations etme suis refus le plaisir de mettre les adversaires de la libert, ainsi queles partisans de la libert limite, en contradiction avec eux-mmes. Ilsagit dune question de principes et dun grand intrt national, nondes personnes et des opinions quelles peuvent avoir mises.

    Je nai pas essay de prsenter le monopole des missions comme lacause de tous les maux dont souffre la socit et de montrer dans lalibert des missions un remde tous ces maux. Cette faon d argu-menter, conforme aux habitudes du palais et fort la mode, ne m a passembl digne des lecteurs srieux.

    Nous navons mis en prsence dans ce volume que la libert desmissions et le monopole. Nous savons quil existe un grand nombrede rgimes mixtes, existants ou possibles, tous meilleurs que le mono-

    pole, mais, dans notre opinion, infrieurs la libert.Entre ces rgimes nous prfrerions les moins restrictifs, particuli-rement si, posant une rglementation quelconque, ils laissaient intact leprincipe de la libre concurrence. Les monopoles multiplis, bien queplus mauvais, nous semblent encore prfrables au monopole unique.

    Ce qui est important, et nous lavons essay, cest dtablir nette-ment les principes. Laissons aux hommes daffaires et lexprience lesoin den tirer les consquences.

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    LA BANQUE LIBRE

    1. Quest-ce quune banque et un banquier ?

    Depuis cette poque, jai eu plusieurs fois loccasion de traiter cettequestion, en Amrique et en France, notamment dans larticle Banque,

    du Dictionnaire du Commerce et de la Navigation, et dans lintroduction pla-ce en tte de la seconde dition du livre de Ch. Coquelin.Une banque est une maison de commerce qui se charge de recevoir,

    de recouvrer des sommes de monnaie appartenant autrui, de les con-server la disposition des dposants et de payer sur leurs ordres : lesbanques reoivent et placent aussi intrt des sommes dargent, soit leur propre compte, soit au compte dautrui. Un banquier est donc,pour tous ceux qui lui accordent leur confiance, un caissier commun

    qui fait valoir de son mieux, sous sa responsabilit propre, les capitauxdont il dispose, soit quils lui appartiennent personnellement, soit quilslui aient t confis titre de dpt ou prts pour un temps dtermin.

    2. quoi sert davoir un banquier ?

    1 Vous habitez Paris et vous avez besoin de recouvrer une somme

    qui vous est due Dijon ou mme dans une petite localit de France.Sil vous fallait aller vous-mme rclamer votre d ou envoyer un mes-sager cet effet, vous auriez supporter les frais dun voyage et uneperte de temps, de telle sorte que lorsque la somme recouvrer seraitmdiocre, il vaudrait mieux pour vous la perdre que laller qurir. Vousauriez en outre supporter les risques que prsente tout transportdespces et les chances dinfidlit de lagent que vous emploieriez.

    Avec un banquier, ces frais et risques se rduisent au point de dispa-

    ratre en quelque sorte. Vous tirez sur votre dbiteur une lettre dechange lordre de votre banquier qui se charge de la faire prsenter etrecouvrer lchance et de vous en remettre le produit, au prix dunertribution insignifiante, soit 1 franc ou 1 franc 50 cent, pour 1,000francs. Les soucis de la prsentation, les risques du recouvrement et du

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    transport sont au compte du banquier et vous navez pas vous enoccuper.

    Que la somme recouvrer soit due Londres ou Berlin, Saint-Ptersbourg ou Madrid, Vienne, Constantinople ou Rome, votrebanquier se chargera de mme de vous la recouvrer. Il ny aura de diff-rence que dans le chiffre de la commission et ce chiffre sera toujoursminime en comparaison des frais dun recouvrement direct.

    Ainsi, avoir un banquier, cest possder la facult de recouvrer trspeu de frais et de risques une somme quelconque dans une localitquelconque du monde civilis, cest--dire du monde o il y a des ban-quiers.

    2 Vous habitez Paris et vous dsirez remettre une somme, dans uneville de province ou ltranger, soit Londres. Irez-vous apportervous-mme cette somme ? Lenverrez-vous par un messager ? Cest ceque lon faisait autrefois ; mais que de frais et de risques ! Aujourdhuivous vous adressez votre banquier et, au prix dune rtribution lgre,il vous vend une lettre de change sur la localit dans laquelle vous dsi-rez remettre. Vous passez cette lettre de change l ordre de votrecrancier et vous la lui adressez par la poste.

    Vous pouvez aussi autoriser votre crancier tirer sur vous unelettre de change dune importance gale celle que vous voulez en-voyer. Le transport de la somme peut tre facilement effectu par cemoyen, si votre crancier ou correspondant a un banquier sa disposi-tion.

    3 Vous habitez Paris ou une ville quelconque et vous avez des re-couvrements faire sur place. Vous pouvez, il est vrai, les faire peu defrais. Cependant, si vous avez recouvrer une lettre de change ou un

    billet ordre endosss, et si vous tes un peu occup, vous tes expos oublier le jour prcis de lchance ou lobservation des rgles rela-tives au prott. En cas de prott, il vous faut chercher un huissier, c est--dire faire des dmarches qui cotent du temps et le temps est delargent. Vous pargnez ces risques et les frais quils imposent en em-ployant le ministre du banquier, qui, sous sa responsabilit, fera pr-senter exactement au jour de lchance et protester en temps utile, aubesoin.

    4 Vous envoyez quelquun ou vous allez vous-mme pour untemps un peu long dans un pays loign, soit pour faire des achats ousimplement pour voyager. Vous ignorez quelle quantit dargent voussera ncessaire et il vous rpugne de traner par voies et par cheminsavec vous une forte somme dont une partie plus ou moins considrablepeut vous tre inutile. Vous vous adressez votre banquier et vous

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    dposez chez lui la somme que vous auriez emporte : il vous donne enchange une lettre de crdit, soit sur une localit, soit sur plusieurs, votre choix, moyennant une rtribution lgre.

    Grce cette lettre de crdit, vous cessez de courir les dangers, in-convnients et soucis insparables de tout transport despces. On nepeut pas vous voler et la perte mme de votre lettre de crdit n im-plique pas la perte de la somme. Vous prenez largent dont vous avezbesoin dans la localit prcisment o vous en avez besoin et en mon-naie du pays. Tous ces avantages sont considrables et trs peu co-teux.

    5 Vous recevez une somme dargent dont vous navez actuellement

    aucun besoin, mais que vous ne pouvez placer long-terme, parcequelle est destine satisfaire vos besoins prochains, dpenses de mai-son, si vous ntes pas commerant, dpenses de maison et chances,si vous tes commerant. Que ferez-vous de cette somme ? Si vous lagardez chez vous, il vous faut prendre des prcautions contre les ris-ques de vol ou de perte, craindre de vous absenter, tre inquiet, sanstirer aucun intrt du capital qui est dans votre armoire.

    Un banquier vous dlivre de ces inconvnients. Il reoit votre argent

    et se charge de tous les risques de garde, tout en vous payant le plussouvent un lger intrt. Cependant votre argent est aussi bien votredisposition que sil tait dans votre armoire, puisque vous pouvez, dsque vous prouvez un besoin, rclamer de votre banquier la somme quivous est ncessaire. Vous avez de la sorte, dans le banquier, un caissierresponsable dont lentretien ne vous cote rien, et au contraire, faitproduire un intrt vos capitaux, mme pour un jour, et pour une trspetite somme.

    6 Si votre banquier est charg de vos recouvrements au dehors etsur place, il vous dgage de tous les soucis de cette partie du service decaisse qui consiste recevoir. Plus de temps perdu compter des picesdor ou dargent, les vrifier, examiner si les billets de banque sontbons ou faux, plus de risques courir de la part des faux monnayeurs etde ceux qui peuvent vous soustraire, dans la rue ou dans un bureau, unsac despces ou un portefeuille. Vous pouvez rendre plus effectifs etplus complets encore les services de caisse que vous rend votre ban-

    quier en faisant tous vos payements par son intermdiaire.Pour cela, il suffit davertir ceux qui tirent sur vous des lettres dechange dindiquer quelles sont payables la caisse de votre banquier oudindiquer vous-mme, par lacceptation, quelles sont payables cettecaisse. Quant aux payements au comptant de quelque importance, vousles faites par des ordres de payer ou dispositions sur votre banquier.

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    Celui-ci, dment avis par vous des lettres de change non acceptes etvoyant votre signature sur les lettres acceptes, sur vos billets et sur vosdispositions au comptant, les acquittera sur toutes les sommes que vousaurez dans sa caisse.

    Si vous adoptez lhabitude de payer par la caisse de votre banquier,vous navez plus besoin de conserver chez vous que les fonds nces-saires pour les petites dpenses courantes de votre maison, montant des sommes trop minimes pour quil vaille la peine de faire un mandatsur votre banquier.

    On na pas assez gnralement en France lhabitude de payer lacaisse du banquier. Ceux mme qui ont un banquier aiment prendre

    leurs fonds chez lui et payer leur domicile. Ils se privent ainsi dunavantage important, puisquil leur faut compter et vrifier largent lors-quils le prennent chez le banquier et, lorsquils payent, transporter desfonds, ce qui entrane toujours quelques risques et inconvnients, enfinles retirer de chez le banquier et les garder domicile, sans quils por-tent intrt, un jour au moins, sil sagit de payer des billets ou lettresde change, et souvent davantage, quand il sagit dacquitter des fac-tures. En un mot, cette habitude oblige les commerants conserver

    une caisse et quelquefois mme un caissier dont ils pourraient se passer,sans faire aucun sacrifice.Il est donc dsirer que lhabitude de payer par disposition sur le

    banquier, qui est gnrale en Angleterre et aux tats-Unis, se gnraliseau plus tt en France. Le commerce ne tarderait pas en retirer desavantages considrables par la suppression dune multitude de dmar-ches qui se font aujourdhui trs inutilement. Alors les maisons debanque seraient ce quelles doivent tre avant tout, les caisses com-

    munes des commerants.7 Celui qui a un banquier peut obtenir par son intermdiaire desrenseignements sur le crdit des personnes avec lesquelles il se proposede faire des affaires, mme de grandes distances. Ces renseignementssont sans doute gnraux et brefs : cependant ils sont presque toujourssuffisants et tels quil serait difficile de les obtenir aussi srs par uneautre voie.

    8 Un banquier est, pour ceux qui font affaire avec lui, une sorte de

    rpondant moral, qui peut donner au besoin des renseignements surleur solvabilit, ce qui, dans le commerce, est souvent fort utile. Lebanquier, par les livres duquel passent toutes les oprations de caissedune maison de commerce, est mieux plac que qui que ce soit poursavoir au juste quel crdit mrite cette maison.

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    9 Votre banquier vous avance, en certains cas, les sommes dontvous pouvez avoir besoin. Ainsi lorsque vous le chargez de recouvrerpour vous un paquet de billets, de lettres de change ou de factures dontlchance nest pas encore venue, il vous avancera, sauf retenue delintrt pour le temps courir, le montant de ces billets, lettres ou fac-tures. Cest ce quon appelle consentir un escompte.

    Le banquier consentira plus volontiers cet escompte sil voit par lemouvement de vos affaires chez lui que votre maison est bien tenue,que vos dbiteurs payent ponctuellement, que vous surveillez exacte-ment vos chances et pourvoyez aux moyens d y faire face, que vousvous montrez en un mot commerant vigilant et srieux. Il tiendra

    compte aussi de votre capital propre rel ou suppos, mais il considre-ra avant tout la bonne tenue et le roulement de votre compte chez lui.10 Quelquefois mme et par exception, vous pourrez obtenir de

    votre banquier un crdit dcouvert pour un temps court et pour uneopration dtermine dont vous aurez eu soin de le prvenir lavance.

    11 Quelquefois enfin votre banquier vous accordera un crdit longue chance, soit sur garanties relles, comme gage et hypothque,soit sur garantie personnelle, comme une caution, ou bien il obtiendra

    pour vous ce crdit dun capitaliste.12 Votre banquier pourra dautant mieux vous rendre des servicesquil aura sa disposition plus de capitaux propres ou confis et quilobtiendra ces derniers de meilleures conditions. Si la loi ne sy opposepas, il pourra obtenir des capitaux trs bon march en mettant desbillets payables sa caisse au porteur et vue. Car sil jouit dun boncrdit sur place, chacun prfrera ces billets des espces, parce quilsfacilitent les comptes et se transportent sans peine. On compte plus

    vite une somme en billets quen espces et on na pas besoin de se li-vrer, pour la recevoir en billets, des vrifications aussi multiplies.13 Votre banquier se chargera aussi dacheter ou de vendre pour

    vous des titres de fonds publics ou dentreprises industrielles, ainsi quede conserver ces titres en dpt chez lui, ce qui vous pargnera desdmarches, des soucis et des risques.

    14 Enfin vous trouvez dans votre banquier un conseiller un peudiscret et circonspect, mais habituellement clair, dans une multitude

    de circonstances difficiles. Il a gnralement intrt ne pas vous don-ner de mauvais conseils, car si vous faites beaucoup daffaires et debonnes affaires, vous lui ferez gagner une somme de commissions plusleve, sans lui faire courir de risques. Il est probable aussi que le con-seiller sera plus clair que vous, non sur la partie technique et profes-sionnelle de votre mtier, mais sur le ct gnral de vos oprations,

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    sur les affaires proprement dites, parce que ses travaux de chaque jourlui font justement considrer par ce ct toutes les oprations indus-trielles et commerciales.

    15 Mais vous ntes pas commerant et en ce cas vous demanderezpeut-tre quoi peut vous servir un banquier ? Il peut garder vos pa-piers de famille, polices dassurances, titres de rentes, actions ou obliga-tions de grandes compagnies et percevoir vos revenus, comme aussivous fournir des lettres de change ou de crdit dans le cas o vousvoudriez voyager. Si vous payez priodiquement vos fournisseurs, vouspouvez les payer par des dispositions sur votre banquier. En tout cas,vous recevez un service peu apprci et cependant important lorsque,

    votre banquier, vous remettant la fin du trimestre ou du semestrevotre compte chez lui, vous prsente un tableau sommaire de vos re-cettes et de vos dpenses. Vous pouvez voir, en lisant ce compte, sivous pargnez une partie de vos revenus ou si vous les dpensez entotalit, ce que vous nauriez pu savoir autrement, car, trs probable-memt vous ne tenez pas de livres de recettes et de dpenses.

    Tels sont les services nombreux et importants que vous rend unbanquier. Il est vrai que tous ces services supposent de votre part une

    certaine confiance, la remise de votre caisse tout au moins et que cetteconfiance vous fait courir des risques. Mais en courez-vous moins engardant votre caisse chez vous, en faisant vos recouvrements sur placepar des commis et des domestiques, exposs aux vols, aux incendies,etc. Les habitants des pays les plus civiliss ne le croient pas ; ils ontpresque tous un banquier quils sappliquent choisir de manire cequil leur prsente des garanties de probit, de capacit et de fortunetelles quils aient confiance en lui. Sil arrive quelques sinistres, les per-

    tes quils causent cotent infiniment moins que celles rsultant de cespetits sinistres si frquents chez les particuliers mme les plus soigneuxde leurs intrts.

    3. Comment le banquier rend des services bon march ?

    Il semble trange au premier abord que le banquier puisse rendre

    autant de services, trs bas prix, et que cependant il soit largementrmunr de ses soins. Cest l une des merveilles de la division du tra-vail.

    Dans lindustrie commerciale, le banquier prend pour spcialit lesoin de la caisse et du portefeuille : il stablit et prend tous ses arran-gements en vue de ce travail. Ainsi il a des caisses trs fortes, trs

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    lourdes, trs difficiles ouvrir par force ou par fraude, des botes ef-fets trs sres, une chambre de fer qui ne craint ni les voleurs nilincendie et en gnral un logement o tout est dispos pour la sret.Dans le choix de ses employs, particulirement de ceux auxquels ilconfie des valeurs, il recherche surtout lexactitude et la probit. Il y adans tous ces dtails des prcautions trop coteuses pour tre prisespar une maison ordinaire, mais qui, pour le banquier, sont ncessaireset peu onreuses.

    En effet, lorsque le banquier tient la caisse et le portefeuille de centpersonnes, chacune delles ne supporte que la centime partie des fraisde ce genre quelle aurait du supporter seule, si elle navait pas eu de

    banquier et celui-ci na pas de nouveaux frais faire lorsque sa clientlestend.De mme, une fois que sa maison est organise pour tenir un porte-

    feuille, surveiller les chances, veiller ce que les protts soient faits entemps utile, il nen cote pas beaucoup plus de donner des soins centeffets qu dix dans un jour. Ce soin, qui dtourne le commerant ordi-naire de ses affaires courantes, est une affaire courante dans la maisondu banquier, et les petites commissions quil reoit pour le recouvre-

    ment de chaque effet forment, toutes minimes quelles soient, la finde lanne un total qui nest pas ddaigner.De mme encore les recouvrements distance cotent peu de chose

    au banquier lorsquil a dans chaque localit des banquiers avec lesquelsil correspond. Il na besoin que de leur adresser les effets dment en-dosss et ils les recouvrent, tandis quil recouvre lui-mme les effetsquon lui adresse de tous cts sur la localit o il habite. Par cette cor-respondance des banquiers entre eux les crances des diverses localits,

    les unes sur les autres, se trouvent compenses et teintes, sans trans-port effectif despces. Et ces compensations seffectuent, non seule-ment par voie directe, mais aussi par voie indirecte.

    Soient donnes trois localits, A, B et C ; il peut arriver que A doive B, B C et C A. En ce cas, les banquiers de A envoyant C lestraites qui leur sont remises, ceux de C les couvrent en leur envoyantdes traites sur B que les banquiers de A remettent aux banquiers de B.Alors les crances des trois localits lune sur lautre se trouvent teintes

    sans nul transport despces.Les soldes seuls donnent lieu des transports, hors le cas trs fr-quent o les banquiers de la localit crancire font pour quelques se-maines ou quelques mois lavance des fonds aux banquiers de la localitqui doit, laquelle ne tarde jamais beaucoup sacquitter.

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    Enfin le banquier peut prter des fonds plus facilement et plus basprix quun autre : 1 parce quil les obtient meilleur march ; 2 parcequil peut et sait mieux placer.

    Le banquier, tant un caissier, ne reoit que par exception des fondsdestins porter intrt : il reoit habituellement de largent dont ladestination tait de rester improductif dans la caisse du dposant. Celui-ci ne peut exiger du banquier un gros intrt pour des sommes dont ilpeut disposer chaque instant et dont il dispose en ralit frquem-ment. En effet, les dposants ne demandent souvent nul intrt et secontentent de quelques services gratuits de recouvrement, ou, lorsquilsreoivent un intrt, celui-ci est minime. Le banquier cependant utilise

    les fonds de caisse en les prtant intrt. Il sait par exprience que, lesfonds de caisse tant de 1 00,000 fr., par exemple, il aura par jour unmouvement dentre et de sortie despces de 40,000 fr. environ. Ilgardera 50,000 fr. en caisse et prtera par escompte 50,000 fr., qui luirapporteront intrt, tandis que, si chaque dposant avait conserv sacaisse dans sa propre maison, ces 50,000 fr. nauraient pas t prts etnauraient rien produit personne.

    Si les commerants prenaient lhabitude de payer chez leur banquier

    comme ils reoivent par lui, le banquier disposerait dune somme plusconsidrable ; car dans tous les payements o crancier et dbiteur au-raient le mme banquier, le payement seffectuerait par un transfert dela somme du crdit de celui qui payerait au crdit de celui qui recevrait.Ce transport sappelle un virement. Lorsque le crancier et le dbiteurauraient des banquiers diffrents, les sommes quun banquier devrait lautre se compenseraient avec celles que lui devrait ce dernier et lessoldes seuls seraient pays en espces. Alors les payements qui exigent

    actuellement un encaisse de 50,000 fr. pourraient tre effectus avec25,000 fr. ou moins encore : le reste serait prt par les banquiers quien retireraient un intrt dont ils sont privs aujourdhui.

    Le banquier se procure encore des fonds bon march lorsquilpeut mettre des billets vue et au porteur qui circulent comme es-pces. En ce cas, en effet, il obtient, sans payer aucun intrt, un capitalgal la somme des billets quil peut tenir en circulation. Ce crdit nelui cote que les frais de confection des billets, d une part, et dautre

    part, la conservation en caisse dune somme despces suffisante pourfaire face aux demandes de remboursement des porteurs de billets.Lexprience nous enseigne que cette somme slve, au maximum eten acceptant les apprciations les plus exagres, au tiers de celle desbillets. Ainsi 300,000 fr. de billets en circulation procurent au moins

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    200,000 fr. sans intrt la banque qui les met, et ces 200,000 fr. pr-ts par des escomptes, produisent un intrt dont profite le banquier.

    Le banquier, avons-nous dit, peut et sait mieux placer que le capita-liste ordinaire. Il y a pour cela un excellent motif, cest que placer est lapartie importante et laborieuse du mtier de banquier. Il place tous lesjours et toute heure, comme il reoit toute heure des rembourse-ments, tandis que placer par un prt est, pour le capitaliste ordinaire,une opration exceptionnelle. Le banquier a sur le capitaliste lavantagedune exprience plus tendue, dun exercice plus continu et aussi celuidune connaissance plus approfondie du personnel.

    Comme les fonctions de caissier mettent aux mains du banquier les

    effets de commerce, il a la facilit de prter trs bref dlai par les-compte de ces effets en mme temps quil les recouvre. Lexprience luiapprend quels effets sont exactement pays et quels nont, au contraire,quune valeur douteuse. Habitu faire les recouvrements des maisonsde commerce, il est mieux plac que tout autre pour juger de lim-portance et du caractre plus ou moins aventur des affaires de cha-cune delles, en mme temps quil apprend connatre la capacit deceux qui les dirigent et limportance de leur fortune personnelle.

    Toutes ces facilits, jointes lexercice constant du mtier de pr-teur, assurent, capacit dailleurs gale, un avantage considrable aubanquier sur le capitaliste ordinaire.

    On voit que les dpenses du banquier consistent en loyer, frais d ap-propriation et dentretien de la maison et du mobilier, patente, salairedemploys et frais de bureau. Ses recettes consistent, dune part encommissions perues sur les oprations et gnralement proportion-nes aux sommes sur lesquelles il opre ; dautre part, en diffrences

    entre lintrt des capitaux quil emprunte et celui des capitaux quilprte. Il ny a l rien de cach ni de mystrieux.On peut voir aussi que le banquier doit tre port plutt multiplier

    les oprations qui lui procurent une commission avec peu de risquequ lever le chiffre de ses prts, dont le risque est insparable, et quiprsentent dailleurs des difficults de plus dun genre.

    Quant au capital propre du banquier, qui constitue sa fortune per-sonnelle, il ne diffre en rien, par sa nature, sa destination et son em-

    ploi, du capital propre des autres commerants. Ce capital, employdans les affaires courantes de la maison, lescompte, par exemple, sert accrditer le banquier, inspirer de la confiance aux personnes quiemploient ses services : il sert aussi les garantir contre les suites desmauvaises oprations que le banquier pourrait faire. Supposez que, cecapital tant de 10, les recettes du banquier slvent 40, tandis que

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    ses frais et pertes runis slvent 45, le public ne perd rien et le dfi-cit de 5 constat sur lexercice de lanne est support par le banquierseul. Si ce capital navait pas exist ou sil stait trouv insuffisant, ledficit aurait t support en totalit ou en partie par le public.

    On a raison de chercher la fortune chez un banquier ; mais on auraittort de chercher exclusivement des garanties dans la possession degrands biens. Les oprations du banquier portent sur des chiffresdaffaires tels que, si elles sont mal faites, elles peuvent absorber en peude temps la plus grande fortune. On comprend, au contraire, que, sielles sont bien faites, le capital propre du banquier saccrot au lieudtre entam. La garantie que le banquier prsente au public dpend

    donc, avant tout, de son caractre et de sa capacit : sa fortune person-nelle nest quune garantie supplmentaire assez faible quand cette for-tune est patrimoniale, plus grande lorsque cette fortune, acquise dansles affaires, est un tmoignage de capacit.

    4. Utilit publique du commerce de banque.

    Tout homme employ dans une industrie quelconque est chargdun service public, dont il peut navoir pas conscience, mais quon nesaurait mconnatre sans erreur. Dans la plupart des professions, ceservice est apparent et en quelque sorte visible lil. Lagriculteurfournit la socit le bl, le vin, la viande, les aliments et matires pre-mires dont elle a besoin, le cordonnier lui fournit la chaussure, le tail-leur, des habits, le matre de forges, du fer, tandis que le commerantsoccupe de placer les marchandises la porte du consommateur.

    Le service public du banquier, quoique trs important, est moinsapparent, et un grand nombre de personnes, trs claires dailleurs, lemconnaissent. Cest pourquoi il est ncessaire, avant daller plus loin,de lindiquer et de le dfinir.

    Lorsque nous considrons ce point de vue l ensemble des servicesdu banquier, nous voyons quil exerce une double fonction : 1 il co-nomise lusage de la monnaie ; 2 il cherche pour les capitaux prterles meilleurs placements.

    Quand le banquier reoit les fonds de caisse des divers commerantset effectue tous les payements de sa clientle au moyen d un encaisseinfrieur la somme verse chez lui, lconomie de monnaie est vi-dente. Supposons quayant reu 100, il pourvoie avec 60 aux payementsncessaires ; la socit pargne lemploi dune somme de monnaie gale 60. Si cette somme tait reste aux mains de ses propritaires, elle

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    naurait servi rien et naurait rien produit : place entre les mains dubanquier, elle est prte par lescompte. qui ? Peut-tre ceux-mmes auxquels elle appartient, mais en tout cas des personnes qui lafont valoir utilement pour elles-mmes et pour la socit.

    Dans cette supposition, la socit sest enrichie exactement commesi elle avait acquis le capital de 50 dont elle a appris se passer. Le b-nfice de cette nouvelle richesse est partag entre le banquier qui engarantit la conservation et en peroit lintrt, et les emprunteurs, quitrouvent un avantage se servir de ce capital, mme la condition denpayer lintrt.

    Lconomie de monnaie est sensible lorsque le banquier change les

    lettres et billets payables dans une localit loigne contre des lettres etbillets payables dans sa propre localit. La compensation qui s tablitentre les sommes changes dispense le public des transports despcesqui auraient t ncessaires si lchange des lettres navait pas t effec-tu. Il faudrait, par exemple, quun million ft envoy de Paris Lyonpendant quun autre million serait envoy de Lyon Paris, tandis que,par un change de lettres, les deux millions sont pays et reus sansaucun transport effectif despces. Qui profite de cette conomie ?

    Ceux qui recouvrent et payent les lettres de change, cest--dire lescommerants en gnral.Dans les pays dont les habitants ont lhabitude de faire chez leur

    banquier leurs payements comme leurs recettes, l conomie de la mon-naie est beaucoup plus grande. Jai 10,000 francs payer demain. Si jepaye chez moi, il faut que jenvoie chercher ce soir 10,000 francs chezmon banquier, que je les garde une nuit et que j attende demain la pr-sentation des effets. Pendant ce temps, les 10,000 francs ne servent

    personne ; ils ne servent encore personne le jour du payement,puisquil faut les compter et recompter jusquau soir. Au contraire, si jepaye chez mon banquier, les 10,000 francs ne deviendront inutiles pourmoi quun jour plus tard, lchance, et je naurai pris la peine de lescompter, ni chez mon banquier, ni au porteur des effets.

    Et si, comme il peut arriver, le porteur des effets n est autre quemon banquier, il est clair que le payement pourra se faire sans aucunmouvement despces : il suffira que le banquier me remette les effets

    et inscrive leur somme au dbit de mon compte.Si le porteur est un autre banquier, les effets seront prsents chez lemien ; mais il est probable que le mien aura des effets payables chez leporteur. Dans ce cas, que feront les deux banquiers ? Ils commence-ront par compenser les sommes quils se doivent lun lautre et la dif-frence seule sera paye en espces. Ainsi le porteur de mes effets ayant

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    payer 9,000 fr. chez mon banquier, celui-ci donne 1,000 fr. d espces son collgue ; les effets sont changs, et 19,000 fr. quil aurait falludplacer et inutiliser pendant deux jours se trouvent pays trs effecti-vement par un dplacement despces de 1,000 fr. seulement.

    Si la population entire avait lhabitude de payer comme de recou-vrer par les banquiers, ceux-ci pourraient sans peine tablir, comme, Londres, une chambre de liquidation dans laquelle ils compenseraientles crances quils auraient les uns sur les autres et rgleraient par desdispositions sur la banque centrale les soldes qui resteraient payer.

    En ce cas, la monnaie ne serait ncessaire que pour les menues d-penses et pour les payements de si peu dimportance quils ne valent

    pas la peine de signer une disposition et de passer aux livres de compteune ligne dcritures. Cest ce quon voit Londres et gnralement enAngleterre, en cosse et aux tats-Unis.

    Cest ce quon voit mme Paris entre les personnes qui ont uncompte courant ouvert la Banque de France : elles reoivent et payentau moyen de reus libratifs de la Banque cds par le dbiteur soncrancier. Comme le propritaire du reu le remet la Banque encompte courant, celle-ci passe la somme au dbit du signataire du reu,

    en mme temps quau crdit de celui qui le remet, et le payement esteffectu sans aucun mouvement effectif despces.Si tout le monde ayant le mme banquier, payait et recevait par lui,

    tous les payements pourraient tre effectus sans mouvement des-pces. Si tout le monde avait un banquier par qui il ret et payt, lespayements seffectueraient peu prs de mme, au moyen des changesde lettres et billets par correspondance et des chambres de liquidation.On conomiserait lusage de la monnaie dans des proportions consid-

    rables. Nous avons suppos que les recouvrements par banquier don-naient une conomie de monnaie de 50%. Lusage des payements chezles banquiers pourrait rduire encore de 30% lemploi de la monnaie.Ces 30%, que les banquiers nauraient plus besoin de conserver chezeux en espces, seraient prts au public : les banquiers en retireraientun intrt, les emprunteurs un profit, et la socit se trouverait relle-ment enrichie dune somme gale ces 30%.

    Nous raisonnons ici sur des chiffres hypothtiques, mais non sur

    des donnes dimagination. Voici les faits tels quils se passent sur laplace de Londres. Dans lenqute de 1858, une maison de premierordre et digne de toute confiance montrait, par le tableau suivant, rdi-g daprs les oprations courantes faites dans lanne chez elle, laforme habituelle des payements :

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    Lettres de change 422,948Chques vue (virements) 510,694Billets de banque 48,649Espces et mandats sur la poste 20,709

    Total : 1, 000,000

    On voit que presque tout le service de liquidation, plus de 93,33%,se fait au moyen des effets de commerce et des chques. La monnaiemtallique, mme en y joignant les mandats sur la poste, ny entre gurepour plus de 2%.

    Le banquier conomise aussi lemploi de la monnaie lorsquil metdes billets vue et au porteur qui sont accepts par le public comme

    monnaie courante. Dans ce cas encore, la socit se trouve enrichie detoute la somme du crdit obtenu par le banquier au moyen de ces mis-sions. Le banquier, il est vrai, peroit seul l intrt de cette somme ;mais les emprunteurs en retirent un profit qui aurait t moindre si, lasomme obtenue par les missions ntant pas disponible, il leur avaitfallu se passer des capitaux ou en payer lintrt un taux plus lev.

    Mais lconomie de monnaie par lemploi des virements est prf-rable lconomie par mission de billets, parce que les missions lais-

    sent subsister des dettes et des crances qui ne sont ni ncessaires nipossibles lorsque la monnaie est conomise par des virements. Lco-nomie par virement peut dailleurs aller un chiffre beaucoup plus le-v que lconomie rsultant des missions de billets.

    On remarquera sans doute que, sur une place o lusage de payerpar le banquier nexiste pas, il est possible de tenir en circulation unesomme de billets plus forte que sur une place o lon paye par ban-quier. Si lintroduction des banquiers a conomis dabord de 50, et

    ensuite de 80% lemploi de la monnaie, lemploi des billets qui fontoffice de monnaie se trouve rduit dans la mme proportion.Les services que rend le banquier, comme caissier commun des

    commerants, sont fort importants, sans aucun doute ; mais nouscroyons que ceux quil rend comme prteur ou escompteur sont encoreplus considrables.

    Chacun sait fort bien que le crdit, notamment sous forme de prt,ne cre par lui-mme aucun capital ; quil est utile quand les capitaux

    sont prts des personnes qui savent les faire valoir, mais nuisibledans le cas contraire. Lutilit des services du banquier comme prteurconsiste donc en ceci : quil prte de prfrence aux gens qui peuvent lemieux faire valoir les capitaux prts.

    Nous avons dj montr que le banquier, tant prteur par profes-sion, devait et pouvait mieux savoir bien prter quun autre. Nous

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    avons tabli galement quil cherchait plus volontiers des bnficesdans la multiplication des commissions que dans la diffrence entrelintrt quil paye et celui quil reoit. Cela suffit pour que le banquiercherche prter non seulement de manire assurer la conservation ducapital prt, mais aussi de manire obtenir la plus forte somme pos-sible daffaires commission. Ds lors ses oprations comme prteurprennent une direction particulire, fort utile et trs diffrente de celledu capitaliste prteur.

    Prenons un capitaliste prteur et un banquier, disposs lun et lautre prter une somme, soit 20,000 fr., et voyons de quelle manire proc-deront lun et lautre.

    Que veut le capitaliste ? Assurer la conservation de son capital et lepayement de lintrt au prix du moindre travail possible. Dans ces dis-positions, il prfrera le prt long terme, qui, une fois effectu, le dis-pense du tracas de chercher et choisir un emprunteur. Dsireux de nesoccuper de rien, et sachant dailleurs quels changements peuvent sur-venir dans la fortune des personnes en un long espace de temps, lecapitaliste cherchera de prfrence les garanties relles et nen accepteragure dune autre nature. Lors mme quil voudrait tenir compte des

    garanties morales et personnelles, sa position en dehors des affaires nelui permettrait pas de les apprcier avec quelque exactitude.Le banquier soccupe bien aussi de la sret de lintrt et du capital

    prt, mais il soccupe en mme temps des commissions : il prte plusvolontiers par lescompte deffets recouvrer sur place ou au dehors.Le prt courte chance et les soins qu il exige ne leffrayent point,puisque ces soins constituent prcisment son occupation de chaquejour. Il surveille et suit de lilles oprations de son emprunteur, ce qui

    lui permet de les apprcier et dapprcier aussi la personne ; de savoir sielle est honnte, exacte, capable, ou si elle laisse dsirer : le crdit quilaccorde se resserre ou stend justement selon lopinion quil conoitdes dfauts ou des qualits personnelles de celui auquel il prte. Le ban-quier va chercher pour emprunteurs les gens qui sont le plus active-ment engags dans les affaires industrielles et commerciales ; il recher-che de prfrence les plus distingus, et particulirement les plus actifs,qui lui apportent la plus forte somme de commissions. En ralit, ce

    que le banquier recherche, sans toujours sen rendre compte, ce sont lesqualits morales et intellectuelles qui peuvent le mieux et le plus sre-ment fconder les capitaux quil prte.

    Cette inclination du banquier persiste jusque dans les prts qui repo-sent sur des gages rels. Voici, par exemple, deux emprunteurs qui seprsentent : lun est un riche propritaire foncier qui veut faire une dot

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    son fils ou sa fille, ou dont les dpenses excessives ont brch lafortune ; lautre est un jeune industriel qui voudrait engager son usinepour faire ou augmenter son fonds de roulement. Lun et lautre offrentune hypothque. Le capitaliste prteur placera sans hsiter ses fondschez le premier et rpugnera les confier au second. Pourquoi ? Parceque la terre du propritaire prsente, en cas dexpropriation, moins derisques de moins-value que lusine, et quelle offre, en somme, plus desret. Le banquier consentira souvent prter au manufacturier, et neconsentira jamais prter au propritaire, quelles que soient les garan-ties que celui-ci prsente. Pourquoi ? Tout simplement parce que leriche propritaire ne procurera au banquier nulle affaire commission,

    tandis que lindustriel peut lui en apporter un certain nombre.Eh bien ! laquelle des deux oprations de prt est la plus utile lasocit, cest--dire la production en gnral ? Est-ce celle que con-sent le capitaliste ou celle que fait le banquier ? Quel est le rsultat de lapremire ? La gne du propritaire, en attendant sa ruine ou sa liquida-tion. Quel est le rsultat de la seconde ? En tout cas, une productionplus grande que si le prt navait pas eu lieu, et, si le banquier a bienjug, une production prospre, la fortune du jeune industriel et laisance

    des collaborateurs quil aura employs. Le pis qui puisse arriver, cestque lindustriel ne russisse pas et se ruine, comme le riche propritaire.En ce cas extrme, le prt du banquier a encore foment lactivit des-prit et le travail, donn lieu des affaires qui auront t utiles quel-ques-uns ; qui, pour tous, auront t un exercice et un enseignement.Le prt du capitaliste facilite et adoucit la chute de ceux qui se ruinent,tandis que le prt du banquier encourage ceux qui veulent travailler etslever.

    Malheureusement, il est tout fait impossible dvaluer en chiffres,mme par approximation et hypothse, limportance des services que lebanquier rend comme prteur. Voici un entrepreneur distingu dont unbanquier a soutenu les premiers pas : cet entrepreneur est devenu richeet puissant ; il a foment lindustrie et lesprit dentreprise, directementet par lexemple, dans toute une contre. Qui peut mesurer la richessecre ? Qui peut mme attribuer ce rsultat laction du banquier, quina certainement pas donn la capacit lentrepreneur ? Personne,

    sans doute, et ni lentrepreneur ni le banquier ny songent. Cependant,peut-tre toute la capacit de lentrepreneur ne laurait pas empch delanguir dans lobscurit, si le banquier navait aid et guid parfois sespremiers pas ; peut-tre si cet entrepreneur ft rest dans lisolement son dbut, la socit et t prive des immenses services quil a ren-dus. Mais qui pourrait valuer en chiffres de telles considrations ?

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    Ce qui est certain et trop ignor, cest que tout banquier est, non parvertu et philanthropie, mais par profession et par intrt, un chercheurde capacits industrielles et commerciales, un agent trs actif de perfec-tionnement industriel, et il est dautant plus utile la production quilest personnellement plus capable.

    Comparez par la pense deux contres places dans des conditionsgales dailleurs, mais dans lune desquelles le commerce de banque soitlibre, bien compris, bien dvelopp, tandis quil est timide, ignorant etimparfait dans lautre. Vous trouverez dabord que la premire pourrafaire toutes ses affaires avec une somme de monnaie trois ou quatrefois moindre que celle qui sera ncessaire lautre, ce qui lui procurera

    un grand avantage sur celle-ci. Mais la premire socit jouira dunavantage bien plus grand : cest que toutes les capacits industrielles etcommerciales quelle pourra contenir seront mises en activit et en va-leur, tandis que, dans la contre o le commerce de banque est moinsavanc, un grand nombre de personnes capables resteront inutiles et neseront jamais connues ni des autres, ni delles-mmes. Dans la premirede ces socits, par consquent, les oprations industrielles seront con-duites avec un entrain, une intelligence et une nergie que la seconde ne

    connatra jamais.Sans doute, on peut dire aussi quune industrie vigoureuse et activerend le commerce de banque plus facile, plus lucratif et plus fcondsous tous les rapports, et on aura dit la vrit. On aura raison encore, sion soutient que quelques banquiers ne sauraient suffire transformerlindustrie de tout un pays, ni mme vivre l o cette industrie est arri-re un certain point. Il nen est pas moins vrai que le banquier exerce,partout o il existe une direction et une influence dautant meilleures et

    plus fcondes quil est lui-mme plus capable et connat mieux sonmtier, parce que son intrt particulier est li dune manire plus in-time et plus directe que tout autre l intrt gnral de lindustrie et dela production.

    5. Le commerce de banque doit tre encourag

    Si nous avons clairement expos quelles sont les fonctions du ban-quier, le lecteur conclura sans doute, avec nous, que le commerce debanque est digne du plus haut degr dintrt et de sympathie, quil doittre encourag et dvelopp le plus possible, puisquil est en quelquesorte le levain de la production.

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    Le lecteur dsirera voir les banquiers, plus pntrs de limportancede leurs fonctions, redoubler dtude, de soins, dactivit, de hardiesse,savoir secouer propos le joug de la routine et dfendre avec nergieleurs intrts collectifs, qui sont, en dernire analyse, ceux de tout lemonde.

    Il dsirera que lopinion qui considre les banquiers uniquement enraison de la puissance dont ils disposent, comprenne les services quilsrendent et shabitue voir en eux autre chose que dpres prteurs oudes gens dont la profession, peu connue et peu intelligible, est suspecte.Il dsirera surtout que lon comprenne la diffrence qui existe entre lebanquier et lancien capitaliste prteur intrt quon fltrit souvent,

    bien tort, du reste, du nom dusurier.Il dsirera surtout voir les personnes qui ont une certaine sommedargent recevoir et payer se servir dun banquier par lequel ellesfassent leurs recouvrements et leurs payements, et le considrer moinscomme un prteur que comme un caissier assez intelligent pour leurdonner de bons conseils sur la tenue de leur comptabilit, et mmebien souvent sur la direction gnrale de leurs affaires.

    Il dsirera enfin que la lgislation noppose aucun obstacle aux dve-

    loppements du commerce de banque, soit par des dispositions qui ren-dent certains contrats de prt difficiles, soit par des privilges qui rser-vent certaines oprations des tablissements particuliers et les inter-disent la gnralit des citoyens.

    En somme, il importe beaucoup que ce commerce si fcond ne soitentrav ni par la routine et les prjugs de ceux qui lexercent, ni parune opinion publique ignorante et imbue dides et derreurs dun autretemps, ni par une lgislation aussi routinire que lopinion, soutenue

    dailleurs par des intrts puissants et des prjugs sculaires soigneu-sement entretenus par les publications et les discours de personnesinfluentes. Il importe dcarter les obstacles qui loignent du commercede banque des capitaux plus abondants et un personnel plus nombreux,et qui font durer chez nous une dperdition de forces morales, intellec-tuelles et pcuniaires dont la production aurait grand besoin.

    La suite de ce travail sera employe lexamen des obstacles quisopposent au dveloppement du commerce de banque et ltude des

    moyens de les surmonter.

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    6. Obstacles de coutume.

    Signalons entre les obstacles qui sopposent au dveloppement ducommerce de banque la rpugnance quprouvent les commerants faire tous leurs payements par le banquier.

    Cette rpugnance na pas de motif srieux chez les commerants ai-ss, qui nont pas besoin dpuiser toutes les ressources du crdit, et onne la comprendrait pas si lon ne connaissait lempire des ancienneshabitudes et de la routine.

    On comprend mieux la rsistance quopposent les commerants g-ns. En effet, pour payer par le banquier, il faut avoir fait d avance, et la

    veille de lchance au moins, les fonds ncessaires pour acquitter unedisposition directe, chque ou billet payable chez le banquier. Quantaux lettres de change, il faudrait introduire lusage des lettres un cer-tain nombre de jours de vue, cest--dire toujours acceptes davance,comme en Angleterre, parce quen crivant lacceptation, le dbiteur dela lettre de change indique le banquier chez lequel elle doit tre paye.

    Comment introduire cet usage dans un pays o on a insist pendantdes annes pour faire passer en coutume les mandats non susceptibles

    dacceptation ? Comment concilier lacceptation avec lusage de tirer etde ngocier la lettre aussitt que la facture est tablie et mme avantque la marchandise soit expdie ? L est la difficult.

    Les banquiers et les commerants aiss peuvent la vaincre et ont in-trt la vaincre en insistant fortement sur lusage des lettres acceptes,acceptables au besoin cinq ou dix jours avant lchance. Mais nouscroyons que cette difficult ne disparatra quautant quune libert plusgrande donnera au commerce de banque plus de dveloppement et

    plus dnergie.

    7. Obstacle lgaux.

    Comme toutes les pages de ce travail sont diriges contre les autresobstacles dopinion qui sopposent au dveloppement du commerce debanque, il est inutile de nous en occuper spcialement ici. Parlons seu-

    lement des obstacles lgaux.Quelques-uns de ces obstacles rsultent de limperfection de notrelgislation gnrale et nous en parlerons ailleurs. Tels sont les articlesdu Code civil qui donnent au nantissement une forme troite, quicrent des immeubles par destination, des privilges de propritaire surles objets que le colon met dans la ferme ; telles sont les dispositions

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    des lois de 1807 et 1850, qui limitent le taux de lintrt et les disposi-tions pnales dictes pour faire respecter ces lois.

    Nous ne nous occuperons ici que de lobstacle spcial rsultant deslois qui confrent la Banque de France le privilge exclusif d mettredes billets vue et au porteur, Paris et dans les villes o elle a dessuccursales et de celles qui exigent lautorisation du lgislateur pourfonder une banque de circulation.

    Si ces lois nexistaient pas, il est certain que des banques particuliresmettraient des billets vue et au porteur en concurrence de la Banquede France, et ne la laisseraient pas jouir paisiblement dun monopolequi a port la valeur de ses actions du triple au quadruple de leur chiffre

    dmission. Lmission des billets vue et au porteur prsenterait enralit une prime annuelle quon ne peut valuer moins de 40 mil-lions, chiffre considrable dans une branche de commerce dont le per-sonnel est peu nombreux et sait fort bien compter.

    On peut donc affirmer hardiment que si chacun tait libre dmettredes billets payables vue et au porteur, le commerce de banque acquer-rait en France un dveloppement rapide : de nouvelles banques stabli-raient,et celles qui existent aujourdhui tendraient leurs affaires au

    grand avantage de la production en gnral.Cest une vrit importante que nous tenons bien constater. Nousverrons plus loin dans quelles conditions il est probable que le com-merce de banque se dvelopperait, si lobstacle qui soppose cettegrande expansion industrielle venait disparatre.

    8. Caractre de nos lois restrictives en matire de Banque.

    Daprs le droit commun, tous les individus majeurs et hors din-capacit lgale ont galement la facult de travailler, vendre, acheter,emprunter, contracter, en toute libert. Cest l ce quon peut appelerpar excellence le principe de 1789.

    Les lois qui constituent le privilge de la Banque de France contredi-sent ce principe, puisquelles enlvent tous les Franais, la Banqueexcepte, la facult dmettre des billets vue et au porteur dans Paris

    et dans les villes succursales. La loi qui exige une autorisation du lgi-slateur pour fonder une banque dmission, prive de la facult de fon-der une banque de ce genre tous les Franais non autoriss. Elle estdonc, elle aussi, en contradiction avec le principe de la libert du travailet des changes.

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    Ces restrictions permettent la Banque de France de raliser, sanseffort ni mrite, des bnfices considrables, car elle peut en touttemps, si elle le dsire, escompter meilleur march que les banquiersprivs de la ressource des missions et attirer par ce moyen dans sonportefeuille le meilleur papier de commerce : ds lors, ne courant aucunrisque, en quelque sorte, elle peut faire des affaires immenses avec uncapital relativement peu considrable et mme sans capital. Cependantles producteurs se trouvent privs des avantages que leur procureraitlextension du commerce de banque, rsultat ncessaire et infaillible dela libert.

    Pourquoi ces lois ont-elles t faites ? Nous ne voulons pas suppo-

    ser que ce soit pour favoriser les directeurs et propritaires d actions dela Banque de France, aux dpens de la masse des producteurs. A-t-onvoulu tablir par le privilge une banque orthodoxe et infaillible ? Peut-tre. A-t-on voulu prserver le public des dangers que pourraient luifaire courir les libres missions de billets de banque ? Mais ce seraitdclarer ce public, toujours libre de refuser les billets, mineur et inca-pable de juger sainement de ce qui touche ses intrts les plus directs !

    Quant au principe de lautorisation pralable, il repose videmment

    sur cette ide de lAncien rgime que le prince ou les bureaux qui lereprsentent savent mieux que les banquiers et que le public quellessont les conditions dune bonne banque. Cest la maxime errone etfuneste sur laquelle taient fonds les rglements de fabrique. Un grandnombre de personnes croient cette maxime abandonne : elles sontvidemment dans lerreur. On reconnat bien en principe quen matireindustrielle et commerciale lintrt priv, toujours conforme lintrtgnral, est plus vigilant et plus entendu que lautorit la plus claire,

    mais on sempresse de se dmentir soi-mme, en affaiblissant toutdabord ce principe par des exceptions. On dtruit ainsi tout douce-ment luvre de la Rvolution et on reprend quelque chose du terrainquelle avait conquis la libert.

    9. Le commerce de banque a t libre en France.

    Ces exceptions ont t introduites dans le cours de la restauration delAncien rgime inaugure par le 18 brumaire. Pendant les annes quiprcdrent cette triste poque, les banquiers furent libres et on comptadans Paris plusieurs banques mettant des billets vue et au porteur.

    Le premier de ces tablissements appel Caisse des comptes cou-rants fut fond en 1796. Lintrt courant sur la place de Paris tait

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    alors 9% : la Caisse cra des billets vue et au porteur dont l missionlui permit dabaisser 6% le taux des escomptes et le prix des autresoprations en proportion. Deux ans plus tard fut fonde, par une asso-ciation de ngociants, la Caisse descompte du commerce, et successi-vement dautres compagnies stablirent, qui, toutes, mettaient desbillets vue et au porteur.

    Bien que ces banques fonctionnassent dans une situation politiquetrs peu favorable au succs de leurs oprations, elles rendirent degrands services, prosprrent sans donner lieu aucune plainte, jusquce quelles furent arbitrairement prives de leur droit par un acte arbi-traire dautorit.

    Le gouvernement, quelque inclin quil pt tre au monopole, neltablit pas ouvertement et le premier jour. Un arrt des consuls dci-da dabord la formation dune Compagnie appele faire, sous le nomde Banque de France, le service du commerce, mais surtout devenir labanque de ltat. Le commerce clair accueillit cette fondation avecune dfiance marque. Il fallut que ltat ft les premiers fonds de lanouvelle banque, dans laquelle vint se fondre, non sans rsistance, laCaisse des comptes courants.

    La libert des banques dmission survcut trois ans environ aupremier tablissement de la Banque de France. Une lgre crise com-merciale survenue en lan XI servit de prtexte pour y mettre fin. Per-sonne cependant navait song accuser de cette crise les banques ri-vales de la Banque de France, et aucune delles, quelques embches quileur eussent t tendues, navait hsit un seul instant remplir ses en-gagements.

    Cependant une loi du 24 germinal an XI (14 avril 1803), dcida que

    ces banques ne pourraient crer de nouveaux billets et devraient avoirretir ceux quelles tenaient en circulation au 1er vendmiaire (22 sep-tembre) suivant.

    Cette loi suggre de graves problmes juridiques. Le premier est ce-lui de savoir si le droit dmettre librement des billets vue et au por-teur ne constituait pas une proprit ? Il nous semble difficile de lersoudre autrement que par laffirmative. Cependant les banques enpossession de ce droit en ont t dpouilles sans indemnit. Le second

    est de savoir si la proprit rsultant dune loi de privilge est plus res-pectable que la proprit qui rsulte du droit commun. Ce sont desquestions que nous nous contenterons de poser et de signaler aux m-ditations du lecteur.

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    10. Suite de ltablissement du privilge.

    Aprs que le privilge de la Banque de France et le rgime de lau-torisation pralable ont t tablis, on les a accepts comme un fait deforce majeure, sans discussion et sans chercher se rendre compte deseffets de cette lgislation. Les premires succursales fondes dans lesdpartements par la Banque de France ayant eu peu de succs, des so-cits obtinrent, sous la Restauration et le gouvernement de Juillet, lau-torisation de fonder des banques de circulation dans un certain nombrede villes. Ces banques ont exist, sans soulever aucune plainte, jusqu1848 : elles ont rendu de grands services et ont rempli leurs engage-

    ments avec autant de ponctualit que la Banque de France. En 1848, onles a runies celle-ci par un acte arbitraire de gouvernement, assezanalogue celui qui avait dtruit les anciennes banques libres.

    Mais les banques dpartementales ntaient pas libres. Non seule-ment elles existaient en vertu dun privilge, mais elles nobtenaientlautorisation qu la condition expresse de sinterdire, par leurs statuts,ltablissement de toute succursale, lescompte et le recouvrement def-fets payables hors de la ville o elles avaient leur domicile. Ces restric-

    tions, trs prjudiciables ces banques, ntaient pas moins prjudi-ciables au public. Pourquoi les leur imposait-on ? Il est difficile de ledire, parce que ladministration jouit de lavantage de ne jamais rendrecompte de ses motifs. Comme la Banque de France tait toujours con-sulte, lorsque ltablissement dune banque tait rclam, on supposait,non sans apparence de raison, que ces restrictions taient suggres parelle.

    11. La libert des banques a exist en cosse.

    Les dfenseurs du privilge et de lautorisation argumentent toujourscomme si la libert des banques tait une hypothse, un rgime de fan-taisie qui ne pt supporter lpreuve de la pratique. Ils nignorent pascependant que ce rgime, peu prs aussi ancien que les banques decirculation elles-mmes, a exist en cosse jusqu 1845, et peut tre

    apprci par ses rsultats.La premire banque dmission tablie en cosse date de 1695 ; laseconde est de 1727. Lune et lautre avaient la forme de socit ano-nyme, ainsi que la British linen Company, qui est de 1746. Ces troisbanques, dont le capital slve 4 millions de livres sterling (100 mil-lions de francs), fonctionnent en concurrence et existent encore au-

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    jourdhui. Douze autres banques dmission, constitues sous la formede socits ordinaires, travaillrent en concurrence des banques ano-nymes dans le cours du dix-huitime sicle1, et 29 autres ont t fon-des pendant le sicle prsent. La concurrence a donc t fort active,puisque, il ne faut pas loublier, lcosse ne compte aujourdhui gureplus de trois millions dmes, et au sicle dernier, ses habitants taientinfiniment moins nombreux et navaient gure dindustrie.

    Voil sans doute une exprience concluante, commence dans unpays pauvre, dont la population tait clairseme, il y a plus dun sicle,mais avec un capital suprieur celui que possdait la Banque deFrance avant 1857. Quel est le rsultat ? Lcosse sest peuple dun

    nombre plus que double dhabitants qui constituent lheure prsenteune des populations les plus industrieuses, les plus riches et les plusclaires quil y ait au monde.

    On nous dira, sans aucun doute, que la prosprit de lcosse tient dautres causes : on citera le puritanisme et la libert, linstruction pri-maire, et, plus volontiers encore, les mines de houille. Soit ! Tout aumoins sera-t-on forc de convenir que la libert des banques na pas tun obstacle la prosprit du pays, quelle na pas caus ces grandes

    ruines que lon nous montre sans cesse en perspective. Ajoutons que,dans lopinion de cette population industrieuse, sense, intelligente, quivoit depuis tant de gnrations fonctionner dans son sein la libert desbanques, cette libert a t une des causes les plus puissantes de saprosprit. 2

    Un lecteur franais nest pas dispos sans doute accorder beau-coup de poids lopinion des cossais, surtout ct de celle de M.

    1Lorsque je fus appel lhonneur de dposer dans lenqute relative aux banques de circu-lation, je dis que la concurrence des missions avait exist en cosse pendant un sicle aumoins. Alors un des membres du Conseil minterrompit, et, avec ce ton doctoral propre ceux qui, de prs ou de loin, appartiennent ladministration franaise, affirma que le faitque je venais dinvoquer tait inexact, et que pendant tout le dix-huitime sicle la concur-rence avait t restreinte par la loi aux trois socits anonymes. Comme je ntais pas assezsr de ma mmoire pour dmentir ce dmenti, je me tus. Le soir mme, vrification faite, jeconstatai le fait consign plus haut. Mon interrupteur avait simplement formul une affirma-tion contraire la vrit.2 Jai entendu affirmer, dit Adam Smith, que les affaires de la ville de Glasgow avaientdoubl dans les quinze ans qui avaient suivi le premier tablissement des banques dans cetteville, et que les affaires de lcosse avaient plus que quadrupl depuis ltablissement desdeux premires banques dimbourg... Je ne prtends pas assurer que cette affirmation soitvraie, et, si elle lest, cet accroissement est un fait trop considrable pour tre attribu uneseule cause. Toutefois, il nest pas douteux que pendant cette priode, le commerce et lin -dustrie de lcosse se sont accrus considrablement et que les banques ont beaucoup contri-bu cet accroissement. (Richesse des Nations, liv. II, ch. II)

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    Thiers et de tant dhommes qui nont, il est vrai, pratiqu de leur vie lesaffaires commerciales, mais qui ont prononc de beaux discours, critde jolis livres, fait des phrases charmantes et transport denthousiasmedes assembles aussi claires queux. Cependant, je lavoue, sil fallaitse dcider sur lautorit des opinions, je prfrerais, en cette matire,celle des hommes daffaires dcosse celle des humanistes, des pro-fesseurs, des littrateurs, des orateurs, des ministres et mme des avo-cats, je ne dis pas de la France, mais du monde entier.

    Je ne serais pas mme touch par cette affirmation, que si lcossenavait pas eu la libert des banques, elle serait plus riche quelle ne lestaujourdhui ; lors mme quon ajouterait que ce pays a vu des crises

    commerciales et que des banques y ont fait faillite, au point de faireperdre au public, de 1695 1826, en cent trente ans, 36,000 livres ster-ling. Je ne serais pas trs branl lorsquon ajouterait que si le public aperdu peu de chose, les associs dun certain nombre de banques sesont ruins. Il serait curieux de relever, si on le pouvait, ce que le publica perdu dans les faillites, dans un pays de sagesse et de privilge commela France, de 1695 1826, et de compter les maisons de commerce quisy sont ruines ! Ce quil y a de plus clair, cest que lcosse, riche et

    prospre, jouit dun service de banque admirable qui stend jusquedans les moindres localits, tandis que la France, qui tait bien plusavance que lcosse au dix-septime sicle, se dbat pniblement con-tre de petites difficults avec un service de banque peine bauch Paris et dans les principales villes de commerce, et tout fait nul sur lesquatre cinquimes de son territoire.

    Il existe un autre pays o la libert des banques n a subi jusqu 1840que de lgres restrictions : cest la Nouvelle-Angleterre. L, aussi, les

    banques ont rendu et rendent encore aujourdhui, quoique beaucoupmoins libres quen cosse, des services considrables que personne neconteste.

    Nous ne parlerons que pour mmoire de la Suisse et de lle de Jer-sey o la libert des banques existe galement, sans susciter aucuneplainte et la satisfaction de tous. Il est vrai que cette libert nest pasancienne en Suisse, et que les conditions conomiques de l le de Jerseysont exceptionnelles. Toutefois il est clair que s il y avait eu quelque

    chose de fond dans les dclamations auxquelles la libert des banquesa donn lieu, les abus hypothtiques dont on a parl se seraient mani-fests dans lun et dans lautre pays.

    Insistons seulement sur lhistoire des banques de lcosse et de laNouvelle-Angleterre. De tels exemples pourraient suffire dterminerune conviction et nous voyons tous les jours des gens qui ne cherchent

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    pas leurs croyances des fondements aussi solides. Toutefois nouscroyons que lexprience ne fournirait pas une dmonstration suffi-sante, si elle tait contredite par la science et le raisonnement. Il con-vient donc de rechercher si la science et le raisonnement conseillent lalibert des missions, ou le rgime du privilge et de lautorisation pra-lable.

    12. Solution gnrale en faveur de la libert.

    En thse gnrale, la science nous enseigne que dans tout le do-

    maine du commerce et de lindustrie, le rgime de la libert est plusactif et plus fcond que celui du privilge et de l autorisation pralable.Cest un point acquis dsormais et que nul conomiste, nul homme dequelque instruction noserait aujourdhui contester.

    Il est clair que lmission dun billet payable vue et au porteur n estpas plus rprhensible que lmission dun billet ordre et chancefixe. Pourquoi, lorsque la seconde est libre, la premire ne le serait-ellepas ?

    Pourquoi lorsque mon voisin dsire mettre un billet qu il me con-vient de recevoir, le lgislateur vient-il sinterposer entre lui et moi ?Pour mempcher dtre tromp par mon voisin ? Grand merci ! cesoin est touchant, mais jaurais autant aim le prendre moi-mme. Ilfaut bien que je me dfende des tromperies des vendeurs, des ache-teurs, des joueurs de bourse, des charlatans, des mendiants, des mar-chands de bonnes uvres, des loteries, etc. Le lgislateur qui me laisse la merci de tous ces gens-l et de bien d autres encore ne veut pas abso-

    lument me laisser me dfendre moi-mme des billets de mon voisin.Cependant mon voisin est riche ; il connat le commerce et les affaires,il passe pour habile et honnte. Je doute fort quil veuille me tromperen moffrant des billets dont sa fortune et son honneur massurent lepayement.

    Mais cest votre voisin quon veut protger contre vous ! Quoi !vous dsirez quil vous prte de largent, quil escompte vos effets afindtendre vos affaires. Vous voulez quil encourage les spculations et

    les excs que vous voudriez commettre avec ses fonds ! Non, le lgisla-teur ne saurait permettre une telle normit, il doit protger votre voi-sin contre vos demandes descompte auxquelles ce voisin, qui vousconnat et vous considre comme honnte, serait capable de cder. Laloi ne peut tolrer une telle faiblesse de sa part. Hlas ! je ne mesavais pas si coupable et jignorais que mon voisin, que javais toujours

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    regard comme un homme daffaires distingu, et besoin dtre mis entutelle, comme un mineur sans exprience.

    Mise en tutelle du commerce, sous prtexte de protection, voil lersultat et le dernier mot du privilge. Le tuteur est la Banque de France laquelle on attribue limpeccabilit et linfaillibilit, en mme tempsquon dclare le reste de la population peccable, faillible et en sommeincapable duser sagement des billets vue et au porteur.

    Voil la vrit quon nose pas formuler et prsenter au public sansphrases, parce quune pareille formule pourrait sembler quelque peuoutrecuidante. Il a fallu la dguiser sous quelques prtextes, dans debelles priodes remplies de mots sonores pour quelle pt tre accepte

    par le public. Il convient de dpouiller cette doctrine des oripeaux donton la couvre et de la montrer dans toute sa nudit.

    13. Arguments des dfenseurs du privilge

    Lorsque le privilge et le rgime de lautorisation, aprs quarante ansenviron dexistence, ont t attaqus, ils ont naturellement rencontr

    des dfenseurs habiles prts expliquer et vanter cette grande droga-tion au droit commun.1 On a dit dabord que le privilge de la Banque de France avait eu

    pour objet dabaisser le taux de lescompte et de le fixer 4%.2 M. Thiers a dit : Deux banques ct lune de lautre sont en-

    tranes sentre-dtruire ; cest une rivalit mortelle. Lexprience et lascience ont condamn cela comme une folie.

    3 Rossi a dit : Les inconvnients de la concurrence ne sont quun

    abus de lintrt particulier contre lintrt gnral, un moyen denrichirdhabiles spculateurs aux dpens de la communaut, et surtout desclasses laborieuses.

    4 Rossi a dit encore : La libre concurrence, en matire de banqueest un danger que ne peuvent tolrer les lois dun peuple civilis.

    5 M. Wolowski a dit : Le droit de battre monnaie appartient augouvernement ; mettre des billets au porteur et vue, cest battremonnaie ; donc, lmission de ces billets ne doit avoir lieu que par dl-

    gation du gouvernement. M. Wolowski a runi et cit lappui du privilge et de lautorisationpralable tous les tmoignages, de quelque poids et de quelque valeurquils fussent, contre la libert, et ces tmoignages ont accus les ban-ques libres :

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    6 dinonder le march de leurs billets, de telle manire quelles al-traient la valeur de la monnaie ;

    7 de causer des crises commerciales, de manire ruiner les pays oelles existaient.

    Quelques-uns ont ajout :8 que les banques privilgies, dominant les oprations du com-

    merce, savaient et pouvaient modrer ses excs.Voil, si nos souvenirs sont exacts, tout ce qui a t dit en somme,

    soit contre la libert des banques, soit en faveur du privilge et du r-gime de lautorisation pralable. On peut remarquer dans tout ceci plusdaffirmations gratuites que de vritables arguments, plus dexclama-

    tions sentimentales que de raisonnements. Cependant, il est ncessairede rpondre, mme aux phrases vaines, parce que le public, habitu un long rgime de privilge, seffraye volontiers la seule ide de con-currence pour lmission des billets. Il redoute cette libert, comme cesanciens navigateurs qui, voyant, laspect de lhorizon, la convexit dela terre, sans la comprendre, simaginaient quen marchant toujours lOuest ils tomberaient infailliblement dans un abme.

    14. Discussion du premier argument.

    On ne peut gure soutenir que le privilge de la Banque de Franceait t tabli pour donner un taux descompte fixe de 4%, depuis que cetaux est devenu variable et sest lev jusqu 10%. Mais cet argument aexerc une grande influence et joui dune incontestable autorit pen-dant quarante ans, lorsque la Banque maintenait les escomptes au taux

    fixe de 4%.On aurait pu demander pourquoi il tait ncessaire de dterminer untaux descompte indpendant des fluctuations de loffre et de la de-mande. On aurait pu ajouter que cela tait impossible, tellement qu onavait vu Paris lescompte au-dessous et au-dessus de 4%, tandis que laBanque escomptait 4%.

    On pouvait dire encore quil convenait et tait juste de laisser le tauxde lescompte se rgler librement par les fluctuations de loffre et de la

    demande. Quand le prix de tous les services et de toutes les marchan-dises varie incessamment au gr de cette loi ; lorsqu on trouve bon quetous les mouvements de la production et de la consommation soientrgls souverainement par elle, pourquoi voudrait-on tablir une excep-tion pour le taux de lescompte, et dans quelques localits seulement ?Lorsque toute lindustrie vit de mouvement, pourquoi chercherait-on

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    immobiliser les conditions de la ngociation des effets de commerce ?On ne le pourrait pas dailleurs, car le privilge, najoutant ni ne retran-chant un centime la somme des capitaux offerts sur le march, nesaurait avoir sur ce taux nulle influence directe, et nexercerait tout auplus quune influence dopinion.

    On pouvait dire aussi que le taux de lescompte tait chose acces-soire. Ce qui importe, cest dutiliser le plus possible tous les capitaux ettoutes les capacits qui existent sur le march, et il est clair que, sous cerapport, la libert est trs suprieure au privilge, puisquelle met en jeuune somme de capitaux plus forte et un personnel de banque plusnombreux, agissant en toute indpendance et responsable de ses actes.

    Ninsistons pas davantage sur un argument qui, en son temps, eutbeaucoup de force, et qui ne peut plus tre invoqu aujourdhui. Il resteseulement comme un tmoignage de linconsistance des dfenseurs duprivilge.

    15. Argument de M. Thiers.

    Cet argument se rduit dire que ce qui existe ne peut exister. On lerfute en rappelant ce qui est.Lexistence des trois banques qui durent en cosse depuis plus dun

    sicle, celle des dix autres banques qui existent encore dans le mmepays, celle des trente-deux banques qui ont exist longtemps et enbonne intelligence dans la ville de Boston, celle d un millier et demienviron de banques disperses dans les principales villes des tats-Unisrpondent lincroyable affirmation de M. Thiers. Peu importe quon

    ait prtendu que les banques ne pouvaient pas exister, quand elles exis-tent.Lorsque M. Thiers a dit que deux banques de circulation ne pou-

    vaient exister lune ct de lautre, ignorait-il lexistence de toutes lesbanques que nous venons de citer ? Lopinion dun homme aussi peuinstruit des faits aurait bien peu de poids. M. Thiers connaissait-il l exis-tence de ces banques ? Alors il aurait compt trangement sur ligno-rance de ses auditeurs de la Chambre et aurait cherch leur en impo-

    ser, non les clairer, et son affirmation aurait bien moins de poidsencore que dans le premier cas.

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    16. Argument de Rossi.

    Jai vainement cherch comprendre comment lintrt particulierpouvait profiter de la concurrence des banques dmission contre lin-trt gnral ; comment dhabiles spculateurs pouvaient, par cemoyen, senrichir aux dpens de la communaut, et surtout des classeslaborieuses : je nai pu y parvenir.

    Un banquier dmission (cest sans doute lhabile spculateur) em-ploie un grand crdit obtenu par des billets faire des escomptes. Si cesescomptes sont bien faits, si les effets escompts sont pays chance,qui en souffre ? Personne, ce me semble. Si les escomptes sont mal

    faits, le papier escompt nest pas pay lchance. Qui en souffre ?Lintrt gnral et la communaut, sans aucun doute ; mais surtout etavant tous le banquier, escompteur lui-mme : loin de senrichir, il seruine. Dans ce cas, comme dans tous les incidents de la vie industrielle,nous trouvons lintrt particulier li lintrt gnral par une respon-sabilit invitable qui ne permet pas de sparer lun de lautre.

    Un marchand vend crdit des marchandises un particulier qui lesconsomme et nen paye pas le prix : cest un malheur caus par la con-

    fiance du marchand ; aussi le marchand en est puni et en souffre. Celasuffit garantir le public des accidents de ce genre, parce que cela suffitpour que personne ne fasse crdit, sil ne croit tre pay.

    La mme garantie existe videmment dans le cas du banquier. Ilpeut faire de mauvais escomptes, comme le marchand peut vendre tort crdit ; mais alors le chtiment est prompt et invitable. On ne vapas rechercher ce chtiment par un raffinement dhabilet, commeRossi semble le supposer. Le banquier peut se tromper, comme tout

    autre ; mais il na jamais intrt se tromper, et ne peut se tromper sanstre aussitt puni de son erreur.Encore moins est-il possible de comprendre que les ouvriers souf-

    frissent plus que les autres citoyens des erreurs du banquier. Commentsenrichirait-il leurs dpens ? Il senrichit par de bons escomptes, etles bons escomptes fomentent le travail ; il sappauvrit par les mauvaisescomptes, qui absorbent et dtruisent des capitaux. Son intrt estexactement le mme que celui des ouvriers et de la communaut en

    gnral.Dans le cas o il manquerait, les ouvriers en souffriraient-ilsplus que dautres ? Ont-ils, par hasard, plus de fonds dposs chez lui ?Sont-ils porteurs de plus de billets que les autres citoyens ?

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    17. Conclusion de Rossi.

    La libre concurrence en matire de banque est un danger que nepeuvent tolrer les lois dun peuple civilis. Pourquoi donc deux pays,qui sont sans contredit au premier rang des peuples civiliss, l cosse etla Nouvelle-Angleterre, ont-ils admis, aim et admir pendant si long-temps cette libre concurrence ? Se sont-ils tromps lorsquils ont con-sidr leurs banques libres comme un des principaux instruments deleur civilisation ? lorsquils ont attribu ces banques le mrite davoirconstamment choisi et encourag, lev les entrepreneurs les plus ca-pables et les plus distingus ? Est-il admissible que des peuples entiers

    se trompent dans lapprciation de ce qui se passe tous les jours dansleur sein ? quils mconnaissent pendant un sicle entier leurs intrtsles plus immdiats et les plus clairs, ce point qu on doive leur prfrerlopinion dun personnage qui fut sans doute un publiciste et un pro-fesseur distingu, mais qui fut aussi pair de France, li une secte poli-tique amie de la Banque privilgie, et ne toucha de sa vie la pratiquedes affaires commerciales ? Nous ne pouvons le penser.

    Rossi lui-mme, dailleurs, agissant, non plus comme pair de France,

    mais comme membre de lInstitut, tait bien moins affirmatif contre lalibert des banques. Il y voyait un problme poser et rsoudre,comme on peut sen convaincre en lisant le programme quil rdigealorsquil fit proposer cette question comme sujet de prix par lAcadmiedes sciences morales et politiques.

    Les banques ont cela de commun avec tous les instruments perfec-tionns de la civilisation, quelles ne peuvent rendre tous les servicesquon est en droit dattendre delles quautant quelles sont manies par

    des hommes trs intelligents, au milieu dune population intelligente etclaire. Mais elles ont aussi cette proprit, que leur action dveloppelintelligence et fomente les lumires de la population. Non seulementdonc la libert des banques nest pas un danger, mais elle est un avan-tage ; non seulement elle peut tre tolre, mais elle doit tre consacreet assure et devrait au besoin tre encourage par les lois dun peuplevraiment civilis.

    18. Doctrine de M. Wolowski.

    Il y a dans la doctrine de M. Wolowski un syllogisme en forme et,par consquent, deux propositions, desquelles on dduit la conclusion.Examinons un peu successivement ces deux propositions.

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    Le droit de battre monnaie appartient au gouvernement. Est-cevrai ? En fait, le gouvernement fixe par une loi le titre et le poids desmonnaies ; il fait contrler la fabrication par ses agents, de manire ceque les monnaies soient fabriques conformment aux prescriptions dela loi. Cest ces deux points quest limite son intervention en matirede monnaies. Il nest donc pas exact de dire que le gouvernement batmonnaie, puisque ce nest pas lui qui fabrique ; ce nest pas lui surtoutqui dtermine la somme et lespce de monnaie qui sera fabrique. Ilfaut, pour parler correctement, dire : Le gouvernement fixe le poids etle titre des monnaies ; il veille ce que leur fabrication ait lieu confor-

    mment la loi. La somme de la monnaie fabriquer, l espce de mon-naie qui sera fabrique sont dtermines par des commerants, agissantau mieux de leurs intrts, en toute libert.

    Il y aurait lieu certainement de discuter sur ces attributions du gou-vernement, dtablir que, si elles peuvent tre convenables, elles ne sontpas du tout ncessaires et que le commerce pourrait en tre charg avecavantage. Mais, pour ne pas sortir de notre sujet, nous admettrons, silon veut, que les lois montaires tablies sont les meilleures possibles.

    Seconde proposition : Le billet de banque est monnaie. Est-cevrai ? Non, videmment. Sil tait monnaie, la loi en dterminerait lamatire, le poids et le titre, comme elle dtermine la matire, le poids etle titre des pices de 20, de 10, de 5 fr., etc., et elle en surveillerait la fa-brication. Mais qui a jamais imagin que la valeur dun billet de banquedpendt de la matire dont il tait fait ou de son mode de fabrication ?Personne assurment.

    Quest-ce que le billet de banque ? Une promesse de payer, une

    obligation. Sa valeur dpend, comme celle de toutes les obligations, delopinion que lon a sur lexactitude avec laquelle la promesse du sous-cripteur sera tenue.

    De l rsulte une diffrence trs importante entre la monnaie et lebillet de banque. En livrant la monnaie son crancier, le dbiteur selibre ; en livrant un billet de banque, il ne se libre quautant que cebillet est accept par le crancier. Je dois 1,000 fr. Paul : en lui livrantcette somme en espces lgales dor ou dargent, je suis libr, que Paul

    le veuille ou non ; mais si je lui prsente un billet de banque, il a le droitde me refuser. Pourquoi ? Tout simplement parce que mon obligationest de payer une certaine quantit de marchandises, or ou argent, quisappelle monnaie, et non de substituer une autre obligation la mien-ne, en mettant ma place un autre dbiteur, la Banque. Le payementpar billet de banque ne peut avoir lieu quen vertu dun nouveau con-

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    trat, qui se consomme lorsque le crancier accepte le billet de banque.Ce qui le prouve, cest que les billets de la Banque de France nont pascours sur tout le territoire franais; cest que les amis de cet tablisse-ment demandent pour ces billets le cours lgal, cest--dire une loi ex-ceptionnelle qui en fasse de la monnaie.

    Le billet de banque ne diffre pas en essence du billet ordre et chance dtermine et de la lettre de change. Sans doute, ainsi que ledit M. Wolowski, le billet de banque fait office de monnaie, mais ilen est de mme du billet ordre et de la lettre de change. Que depayements, et des plus importants, sont effectus journellement par laremise de billets ordre et de lettres de change ! Mais quelle condi-

    tion ? condition que les cranciers les acceptent. Il nen est pas au-trement du billet de banque, lequel nest, aprs tout, quun billet lordre du porteur et toujours chu.

    Tout ce papier, quon appelle juste titre monnaie fiduciaire, nevient pas introduire sur le march une monnaie nouvelle, dun titre etdun poids diffrents du titre et du poids de la monnaie courante. Lessommes qui y figurent sont justement exprimes en monnaie courante,et, sil y a des fluctuations dans leur valeur, cela ne tient pas du tout

    lexpression des sommes, cela tient lopinion que lon a que ces som-mes seront ou ne seront pas exactement payes.Toute la valeur du papier fiduciaire est une valeur de crdit. Dire

    que le gouvernement doit sen occuper au mme titre quil soccupe dela monnaie, cest dire que le gouvernement doit tre juge de qui mriteet de qui ne mrite pas le crdit, de qui pourra et de qui ne pourra pasle demander au public. Si lon levait une telle prtention pour toute es-pce de papier fiduciaire, il y aurait des rclamations gnrales : on de-

    manderait de quel droit le gouvernement vient sinterposer entre lesouscripteur, le preneur et les endosseurs dun billet ordre, dclarerque tels commerants seulement pourront en souscrire, tandis que lepublic en gnral sera priv de cette facult. On se rvolterait cetteide de prfrence et de privilge qui mettrait hors du droit commun lamasse des commerants. Pourquoi ? Parce que le billet ordre est an-cien et parce quon a lhabitude de sen servir librement. Au contraire,on supporte assez facilement que le gouvernement interdise la masse

    des commerants, au profit dun trs petit nombre, la facult dmettredes billets vue et au porteur. Pourquoi ? Tout simplement parce quele billet de banque est moins ancien que le billet ordre, et surtoutparce quon na pas t habitu en France en user librement.

    Ainsi, il nest pas vrai que le gouvernement ait le droit exclusif debattre monnaie, puisque ses fonctions en cette matire ne vont pas au-

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    del des mesures juges ncessaires pour assurer une fabrication uni-forme. Il nest pas vrai davantage que le billet de banque soit monnaie,ni, par consquent, quon doive de ce chef invoquer lintervention dugouvernement en matire dmission de billets de banque.

    Quon invoque lintervention du gouvernement en cette matire, aunom de lordre public, pour prvenir les inconvnients qui pourraientrsulter de la libert des missions, on peut le comprendre : cest uneopinion qui doit tre examine et discute ; mais celle qui se fonde surle prtendu droit rgalien de battre mon