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C A N A D A Province de Québec Greffe de Montréal No: 500 10 000047 868 (500 01 002295 851) Cour d'appel ____________________________ Le 15 avril 1991 CORAM : Juges Vallerand, LeBel et Proulx ____________________________ LA REINE, poursuivante appelante, c. TERRY WAYNE COLBURNE, accusé intimé ____________________________ LA COUR, statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement de la Cour des Sessions de la paix, district de Longueuil, rendu par l'Honorable juge Paul-A. Bélanger le 31 janvier 1986, qui a acquitté l'intimé des trois chefs d'accusation suivants: 1. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985, a illégalement tenté de commettre un meurtre sur la personne de Jean- Deslauriers, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 222 du Code criminel; 2. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985, a utilisé une arme à feu, à savoir: une carabine de calibre 308, Winshester, lors de la perpétration d'un acte criminel, soit: une tentative de meurtre, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 83-1 du Code criminel; 3. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985, a illégalement déchargé une arme à feu dans sa direction, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 228-a du Code criminel.

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C A N A D AProvince de Québec

Greffe de Montréal

No: 500 10 000047 868

(500 01 002295 851)

Cour d'appel ____________________________ Le 15 avril 1991

CORAM : Juges Vallerand,

LeBel et Proulx

____________________________

LA REINE, poursuivante appelante, c.

TERRY WAYNE COLBURNE, accusé intimé ____________________________

LA COUR, statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement

de la Cour des Sessions de la paix, district de Longueuil, rendu par

l'Honorable juge Paul-A. Bélanger le 31 janvier 1986, qui a acquitté

l'intimé des trois chefs d'accusation suivants:

1. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985,

a illégalement tenté de commettre un meurtre sur la personne de Jean-

Deslauriers, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 222 du

Code criminel;

2. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985,

a utilisé une arme à feu, à savoir: une carabine de calibre 308,

Winshester, lors de la perpétration d'un acte criminel, soit: une

tentative de meurtre, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article

83-1 du Code criminel;

3. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985, a

illégalement déchargé une arme à feu dans sa direction, commettant ainsi

l'acte criminel prévu à l'article 228-a du Code criminel.

Après étude du dossier, audition et délibéré;

Pour les motifs exposés à l'opinion écrite de M. le juge Louis LeBel,

déposée avec le présent arrêt, et à l'opinion écrite de M. le juge

Michel Proulx, également déposée avec le présent arrêt et à laquelle

souscrit M. le juge Claude Vallerand;

REJETTE le pourvoi quant aux premier et deuxième chefs;

ACCUEILLE le pourvoi quant au troisième chef et ORDONNE que soit

consigné un jugement de culpabilité à l'égard de l'infraction de voies

de fait (art. 266 a) C.Cr.);

Quant à la sentence, RETOURNE le dossier au tribunal de première

instance pour que ce dernier prononce la peine adéquate. JJ.C.A. OPINION

DU JUGE LeBEL

Dans cette affaire, comme le relate l'opinion de monsieur le juge

Proulx, l'intimé a été cité à son procès, devant un juge seul, sous

quatre chefs d'accusation:

"1. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985,

a illégalement tenté de commettre un meurtre sur la personne de Jean

Deslauriers, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 222 du

Code criminel;

2. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet

1985, a utilisé une arme à feu, à savoir: une carabine de calibre 308,

Winshester, lors de la perpétration d'un acte criminel, soit: une

tentative de meurtre, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article

83-1 du Code criminel;

3. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985,

dans l'intention de blesser Jean Deslauriers, a illégalement déchargé

une arme à feu dans sa direction, commettant ainsi l'acte criminel prévu

à l'article 228-a du Code criminel;

4. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985,

a braqué, sans excuse légitime, une arme à feu, soit: une carabine de

calibre 308, Winshester, sur Jean Deslauriers, commettant ainsi l'acte

criminel prévu à l'article 84-1-a du Code criminel."

Reconnu coupable sous le quatrième chef, il a été acquitté sous les

trois premiers. Dans son opinion, monsieur le juge Proulx propose

de rejeter le pourvoi à l'égard des premier et deuxième chefs et de

l'accueillir sous le troisième chef afin de reconnaître Colburne

coupable d'une accusation de voies de fait, sous l'article 266 C.Cr. Je

suis d'accord avec ses conclusions et l'ensemble des motifs exposés au

sujet des deuxième et troisième chef. A propos du premier chef et bien

que concluant comme mon collègue que le pourvoi doit être rejeté, je

crois nécessaire d'ajouter quelques commentaires sur l'infraction de

tentative en vertu de l'article 24 C.Cr. et ses composantes.

Comme monsieur le juge Proulx et pour les motifs qu'il exprime, je

suis d'avis que le chef de tentative de meurtre pourrait inclure une

accusation de tentative de causer des lésions corporelles au sens

de l'article 269 C.Cr. Pour écarter la possibilité d'un verdict de

culpabilité, monsieur le juge Proulx conclut que l'état d'intoxication

volontaire de l'intimé empêche la formation de l'intention spécifique

requise pour une telle offense de tentative, en vertu des dispositions

de l'article 24 du Code criminel. S'appuyant notamment sur des

commentaires du professeur Stuard, Canadian Criminal Law, 2e ed.,

1987, Carswell, p. 370, il exprime l'avis que dans l'arrêt R. c. Ancio,

(1984) 1 R.C.S. 225, la Cour suprême du Canada avait posé comme principe

général que la mens rea de l'infraction de tentative correspondait à

l'intention spécifique et qu'ainsi, sans égard à la nature du crime que

l'on entendait commettre, elle était un crime d'intention spécifique.

Cet arrêt ne me semble pas régler complètement la question. La Cour

suprême ne me paraît pas s'être prononcée définitivement sur cette

question, que l'on examinera uniquement en relation avec la tentative

de meurtre, pour laquelle le juge McIntyre exposait la nécessité d'une

démonstration de l'existence d'une intention spécifique. Renversant

le précédent posé dans l'arrêt Lajoie c. R., (1974) R.C.S. 392, elle

refusait d'assimiler la tentative de meurtre à un crime dit d'"intention

générale". Rien dans l'opinion du juge McIntyre ne comporte la fixation

d'un principe général applicable tous les types de tentatives

criminelles.

Un courant doctrinal important, qu'analyse monsieur le juge Proulx,

s'est attaqué à une conception de l'offense de tentative illustrée par

l'arrêt Lajoie c. R., qui lui donnerait un caractère essentiellement

relationnel. Elle prendrait le caractère de l'infraction complète.

Invoquant les règles du droit pénal, qui retiennent encore d'ailleurs

la distinction, aussi traditionnelle que critiquée, à l'occasion,

entre les crimes dits d'intention spécifique et ces qualifiés de crime

d'intention générale (voir R. c. Bernard, (1988) 2 R.C.S. 833; aussi R.

c. Penno, (1990) 2 R.C.S. 865), cette approche voudrait que la preuve

de l'existence de cette simple intention générale suffise lorsque

l'infraction complète n'exigerait que celle-ci, comme dans le cas de

l'assaut sexuel.

La doctrine insiste généralement sur la nécessité de la preuve d'une

intention spécifique (voir D. Stuart, Canadian Criminal Law, 2nd ed.,

1989, Carswell, p. 370; E. Colvin, Principles of Criminal Law, 1986,

Carswell, p. 265, cités par monsieur le juge Proulx). On peut noter

aussi, par exemple, ces commentaires de Mewett & Manning, Criminal Law,

3e éd., p. 165: "Tne mens rea in the offence of an attempt in the intent

to commit the full crime. But as we have seen, mens rea in the case of

a completed offence may amount to something less than intent in the

sense of desire or purpose - it may involve merely knowledge of the

consequences or even recklessness as to whether those consequences

occur or not. Indeed in some cases, mere negligence may suffice while

in offences of strict liability no mental element at all is required.

But an attempt requires the intent to commit an offence in the sense

of a purpose to commit it so that nothing less than this high form of

mens rea will suffice." (pp. 165-166; au même effet, E. Meehan, The Law

of Criminel Attempt, Carswell, 1984, p. 44)

Par ailleurs, depuis l'arrêt Ancio, la Cour suprême n'a pas élargi la

règle qu'elle y posait. Dans l'arrêt Logan c. R., (1990) 2 R.C.S. 731,

elle a repris l'analyse du crime de tentative mais uniquement dans sa

relation avec le meurtre complété. N'élargissant pas la règle d'Ancio,

elle a plutôt insisté sur la relation étroite entre la tentative et

l'acte criminel complet pour définir l'intention criminelle nécessaire à

la déclaration de culpabilité:

"L'arrêt Ancio établit que les éléments de mens rea et de la tentative

de meurtre sont identiques à ceux de la forme la plus grave de meurtre.

Le meurtre visé au sous-alinéa 212(a). Dans chaque cas, l'accusé

doit avoir eu l'intention spécifique de tuer. La seule différent est

l'élément "conséquences" de l'actus reus. L'auteur d'une tentative de

meurtre, s'il est déclaré coupable, est tout simplement un "meurtrier

chanceux". Par conséquent, il semblerait logique que la mens rea

requise pour une déclaration de culpabilité de meurtre, selon l'arrêt

Martineau, soit la même pour une déclaration de culpabilité de tentative

de meurtre. Cependant, la logique n'est pas une raison suffisante pour

apposer l'étiquette constitutionnelle.

Comme je l'ai dit dans l'arrêt Vaillancourt, les principes de justice

fondamentale exigent un degré minimum de mens rea que pour très peu

d'infractions. Les critères qui permettent d'identifier ces infractions

sont principalement les stigmates associés à une déclaration de

culpabilité et, comme considération secondaire, les peines quI peuvent

être imposées.

Les stigmates associés à une déclaration de culpabilité de tentative

de meurtre sont les mêmes que pour un meurtre. Une telle déclaration

de culpabilité révèle que même si la mort n'a pas résulté des actes de

l'accusé, l'intention de tuer était présente dans son esprit. L'auteur

d'une tentative de meurtre n'est pas moins un tueur qu'un meurtrier ne

l'est..." (monsieur le juge en chef Lamer, loc. cit., pp. 742-743)

En raison de cette analyse, la Cour suprême décidait que l'intention

requise dans le cas d'une tentative de meurtre ne pouvait, sans

atteinte à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés,

être inférieure à celle qui était exigée pour condamner un meurtrier

en vertu du sous-alinéa 212(a)1) du Code criminel, Il fallait une

prévision subjective des conséquences, "subjective foresight of the

consequences" (opinion de monsieur le juge Lamer, p. 740).

Ainsi, ni l'arrêt Logan ni l'arrêt Ancio n'ont posé un principe général

visant toutes les formes de tentatives de réaliser un acte criminel.

Ils se sont arrêtés à l'analyse de la relation entre la tentative de

meurtre et le meurtre comme tel, et à l'identification de l'élément

moral requis, pour qu'existe une responsabilité pénale. Ils définissent

une règle précise au sujet de la tentative de meurtre et dégagent

une orientation dans la compréhension du crime de tentative suivant

l'article 24 C.Cr. Ils ne règlent ni l'un ni l'autre le problème soumis

à notre Cour, dans le présent dossier.

Notre Cour doit aller plus loin sur l'analyse de l'application

de l'article 24 C.Cr. Même si à certains égards l'on peut trouver

illogique que l'offense inachevée exige un degré de mens rea inférieur

à celle de l'offense complète, ce serait transformer la tentative en

une offense purement relationnelle dont les éléments constitutifs

dépendraient strictement de l'infraction sous-jacente. Elle existe

par elle-même, bien qu'elle exige l'identification d'une offense sous-

jacente que visait l'auteur de la tentative. Son élément distinctif,

quant à l'identification de son élément moral, se situe précisément dans

cette volonté orientée de commettre l'infraction sous-jacente, qui

correspond à la notion d'intention spécifique.

L'article 24(1) C.Cr. fait de la tentative une question d'intention,

de recherche de résultat et non pas seulement, par exemple, de

négligence ou d'imprudence grossière, même si celles-ci suffisent pour

constater l'état d'esprit coupable requis pour l'infraction complète.

La nécessité d'une telle intention spécifique, comme le fait observer

l'opinion du juge Proulx, écarte la possibilité d'une déclaration

de culpabilité pour l'offense possiblement incluse de tentative de

causer des lésions corporelles au premier chef d'accusation. L'état

d'intoxication de Colburne rend juridiquement impossible la formation

d'une telle intention spécifique. Ceci justifierait le rejet du pourvoi

à l'égard du premier chef. Je conclurais également de la même façon

à l'égard des autres chefs, pour les motifs qu'expose notre collègue.

J.C.A.

OPINION DU JUGE PROULX

C'est la notion de l'infraction dite "incluse" ainsi que son

application à l'espèce qui font l'objet principal de ce pourvoi.

L'ACTE D'ACCUSATION

L'intimé subit son procès devant un juge seul sous les quatre chefs

d'accusation suivants:

1. A Longueuil, district de Longueull, le ou vers le 27 juillet 1985,

a illégalement tenté de commettre un meurtre sur la personne de Jean

Deslauriers, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 222 du

Code criminel;

2. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985,

a utilisé une arme à feu, à savoir: une carabine de calibre 308,

Winshester, lors de la perpétration d'un acte criminel, soit: une

tentative de meurtre, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article

83-1 du Code criminel;

3. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985,

dans l'intention de blesser Jean Deslauriers, a illégalement déchargé

une arme à feu dans sa direction, commettant ainsi l'acte criminel

prévu à l'article 228-1-a du Code criminel.

4. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985,

a braqué, sans excuse légitime, une arme à feu, soit: une carabine de

calibre 308, Winshester, sur Jean Deslauriers, commettant ainsi l'acte

criminel prévu à l'article 84-1-a du Code criminel.

LES FAITS ET LE JUGEMENT DE PREMIERE INSTANCE

Des faits retenus par le juge de première instance, il ressort que

l'intimé, passager d'un autobus, s'est avancé vers le conducteur de

l'autobus en lui braquant une carabine au visage et le menaçant de le

tuer s'il répliquait. Le conducteur fit un geste, mais l'intimé pointa

l'arme sous le menton de sa victime en répétant ses menaces. La victime

réussit à saisir le canon de l'arme tout en appliquant les freins à

son véhicule qui s'arrêta brusquement. Au même moment, un coup partit

infligeant des blessures au visage et à l'épaule du conducteur. Quelques

instants plus tard, l'intimé fut maîtrisé par des témoins de l'incident

jusqu'à l'arrivée des policiers.

Au procès, l'intimé ne contesta pas les faits matériels. Plutôt, il

souleva une défense d'intoxication volontaire et le juge de première

instance lui donna raison sur ce point.

Donnant effet à ce moyen de défense, le juge de première instance en

fit bénéficier l'intimé sur les chefs d'accusation qui comportaient

une intention spécifique. En cela, le juge respectait la règle de

droit alors en vigueur et qui a été réitérée plus récemment par la Cour

Suprême du Canada dans l'arrêt Bernard,(1) à savoir que l'intoxication

volontaire constitue un moyen de défense dans le cas d'une infraction

d'intention spécifique.

C'est ainsi que le juge a disposé des quatre chefs d'accusation:

LE PREMIER CHEF:

La tentative de meurtre comportant une intention spécifique, l'intimé

en est acquitté.

S'interrogeant sur la possibilité d'un verdict sur une

infraction "comprise et prouvée" ou "incluse", le juge y répond dans la

négative: d'où l'acquittement sur ce chef.

LE SECOND CHEF:

L'intimé en est acquitté pour le motif suivant que j'extrais du

jugement: (m.a. 53)

L'Accusé étant acquitté de cette tentative de meurtre et ne pouvant

être trouvé coupable de tentative de causer des lésions corporelles, sur

le premier chef, il s'ensuit qu'il doit également être acquitté sur le

deuxième.

LE TROISIEME CHEF:

Là encore, il s'agissait d'une infraction d'intention spécifique

et c'est à bon droit que l'intimé en a été acquitté. Quant à la

considération de l'infraction dite "incluse", le juge de première

instance a décidé qu'en l'espèce il n'y avait aucune infraction incluse.

(1) Bernard c. R., (1988) 2 R.C.S. 833.

LE QUATRIEME CHEF:

Ce chef d'accusation n'imputant qu'une infraction d'intention

générale, le moyen de défense de l'intoxication volontaire ne pouvait

s'appliquer. Devant la preuve par ailleurs convaincante qui établissait

tous les éléments de l'infraction, l'intimé fut déclaré coupable de ce

chef.

LES MOYENS D'APPEL

L'appelante ne conteste pas la détermination par le juge de première

instance de l'intoxication volontaire de l'intimé, non plus que

l'acquittement sur les infractions d'intention spécifique, soit celles

qui sont libellées aux chefs 1 et 3. Elle s'en prend à l'acquittement

sur les trois chefs en formulant ainsi les moyens d'appel:

1. Le juge de première instance a erré en droit en concluant que le

premier chef d'accusation ne comportait aucune infraction incluse

d'intention générale;

2. Le juge de première instance a erré en droit en concluant que

vu l'acquittement sur le premier chef d'accusation, cela entraînait

nécessairement un acquittement sur le deuxième chef d'accusation.

3. Le juge de première instance a erré en droit en concluant que le

troisième chef d'accusation ne comportait aucune infraction incluse

d'intention générale.

LE SECOND MOYEN D'APPEL

Il ne fait plus de doute, depuis l'arrêt Pringle rendu en 1989 par la

Cour suprême du Canada,(2) que l'infraction d'utiliser une arme à feu

lors de la perpétration d'un acte criminel (maintenant art. 85 du Code

criminel), ne peut subsister que s'il y a condamnation pour l'infraction

sous-jacente, soit celle au cours de laquelle l'arme a été utilisée.

(2) Pringle c. R. (1989) 1 R.C.S. 1645.

En l'espèce, il était allégué dans le second chef que c'est au cours

de la tentative de meurtre que la carabine avait été utilisée.

L'acquittement sur la tentative de meurtre devait donc entraîner

l'acquittement sur ce second chef, comme l'a reconnu d'ailleurs le juge

de première instance.

Pour ces motifs, je suis donc d'avis que ce moyen est mal fondé.

LA NOTION D'INFRACTION COMPRISE OU DITE "INCLUSE"

Préliminairement à la question de savoir si en l'espèce des infractions

dites "incluses" auraient dû faire l'objet d'une condamnation par le

juge sous les chefs 1 et 3, il m'apparaît essentiel de préciser le sens

d'une infraction comprise ou "incluse".

L'article 662 C.Cr. stipule qu'un acte d'accusation est divisible et

qu'une condamnation peut être prononcée sur une autre infraction que

celle qui est imputée dans les trois hypothèses suivantes:

(1) si cette autre infraction est décrite ou comprise dans la

disposition qui crée l'infraction imputée:

- c'est le cas de l'infraction de conduite d'un véhicule à moteur en

état de facultés affaiblies, que notre Cour a considérée incluse dans

celle d'en avoir eu la garde ou le contrôle (l'arrêt de notre Cour

Drolet c. La Reine(3)).

(2) si cette autre infraction est incluse en vertu d'une disposition

spécifique de la loi (par exemple les cas prévus aux paragraphes 2 à 6

de l'article 662 C.Cr.);

(3) si cette autre infraction est comprise ou incluse dans l'acte

d'accusation tel que rédigé.

Devant le silence du législateur, la jurisprudence a précisé les

critères qui doivent nous guider afin de déterminer quand une autre

infraction est comprise ou incluse dans l'acte d'accusation tel que

rédigé, (troisième hypothèse) ou encore quand l'on doit considérer que

l'infraction incluse est décrite dans l'infraction imputée (première

hypothèse).

Au départ, il convient d'observer que de façon sous-jacente à ces

trois hypothèses où une infraction incluse peut faire l'objet d'une

condamnation, intervient le principe de l'équité procédurale(4) exigeant

ici que l'accusé soit informé par la teneur de l'acte d'accusation des

infractions incluses ou comprises auxquelles il doit faire face et qu'il

soit en mesure ainsi de les identifier.

(3) Drolet c. La Reine, (1989), R.J.Q. p. 295, confirmé en Cour Suprême

du Canada le 9 octobre 1990, (1990), 2 R.C.S. 1107.

Pour opposer à un accusé une infraction incluse dans la troisième

hypothèse, l'acte d'accusation doit être suffisamment détaillé.

L'autre élément (certes le plus fondamental) à considérer est le

suivant: l'infraction originale telle que spécifiée doit nécessairement

comporter ou inclure une autre infraction pour qu'une condamnation

puisse être basée sur cette autre infraction.

Si l'infraction incluse n'était pas nécessairement comprise dans celle

qui est alléguée dans l'acte d'accusation, l'accusé ignorerait donc

jusqu'à la fin du procès le contenu exact de ce qui lui est reproché:

d'où l'application du principe de l'équité procédurale.

(4) Voir l'arrêt Drolet, précité, notes du Juge LeBel, pp. 298, 299.

Voir également l'arrêt R. c. Simpson (no 2), C.A. Ont. 58 C.C.C. (2d)

122 dans lequel le Juge A. Martin a traité de tous les aspects de la

notion d'infraction incluse.

Certains ont adopté un autre test afin de déceler l'infraction

incluse: si l'infraction alléguée peut se commettre sans la perpétration

de l'infraction prouvée, alors cette dernière infraction n'est pas

incluse.(5) J'ajouterai, pour ma part, que sera incluse l'infraction

dont les éléments essentiels sont partie de l'infraction imputée.

C'est donc, dans cette troisième hypothèse, la spécificité de l'acte

d'accusation qui délimite le cadre de la recherche de l'infraction

incluse.

Quant à la première hypothèse qui couvre le cas d'une infraction

incluse qui est décrite dans l'acte d'accusation, alors ce n'est pas le

contenu ou les détails de l'accusation qui sont utiles pour répondre à

la question puisqu'alors dans la description de l'accusation, on se

limite à l'énoncé de l'infraction dans sa disposition législative.

(5) P.J. Gloin, "Included offences" 4 Cr.L.Q. 160, cité dans R. c.

Carey (1972) 10 C.C.C. (2d) 330, p. 334, et approuvé dans l'arrêt

Simpson (no 2) précité.

Plutôt, il faut se livrer à une analyse des éléments essentiels des

infractions considérées (comme dans l'exemple que j'ai donné ci-haut en

abordant la première hypothèse).

De là, on peut conclure qu'une infraction pourrait ne pas être incluse

suivant la première hypothèse (parce que non décrite dans la disposition

législative qui crée l'infraction originale) mais le devenir, suivant la

troisième hypothèse, en raison des détails ajoutés à l'accusation.

Il me faut maintenant appliquer ces notions aux chefs 1 et 3, au sujet

desquels le juge de première instance a conclu qu'aucune infraction

comprise ou incluse ne pouvait être l'objet d'une condamnation.

LE CHEF NO 1: LA TENTATIVE DE MEURTRE (LE PREMIER MOYEN D'APPEL)

Le premier chef se lit ainsi: (m.a. 39)

1. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet 1985,

a illégalement tenté de commettre un meurtre sur la personne de Jean

Deslauriers, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 222 du

Code criminel;

Le premier juge, après avoir acquitté l'intimé de la tentative de

meurtre en raison de la défense d'intoxication volontaire, a écarté

toute infraction incluse en s'exprimant comme suit:

M.A. p. 50 -

L'accusation de tentative de meurtre n'ayant pas été rédigée de façon à

inclure une ou plusieurs autres offenses, il semble qu'elle ne pourrait

comprendre de plein droit qu'une seule autre infraction soit: la

tentative de causer illégalement des lésions corporeiles, crime prévu à

l'article 245.3 du Code criminel.

M.A. p. 53 -

Si l'offense de "causer illégalement des lésions corporelles" en est

une d'intention générale, la tentative de causer cette infraction en est

une également.

Toutefois, dans notre cas, il ne peut être question de trouver

l'Accusé coupable de cette offense incluse, puisque des lésions

corporelles ont été infligées à Jean Deslauriers par suite du coup de

feu tiré par l'Accusé. Le stade de la tentative a été largement dépassé

et l'offense complète a été réalisée.

Le poursuivant a fait le choix de n'alléguer qu'une "tentative de

meurtre", sans spécifier les détails pertinents quant aux menaces de

mort proférées en braquant la carabine et quant aux blessures causées à

la victime par suite de sa résistance aux menaces de l'appelant.

En l'absence de ces détails, quelle(s) infraction(s) incluse(s) peut

comprendre l'infraction de tentative de meurtre ?

Pour y répondre, je dois me référer aux hypothèses que j'ai relevées

ci-haut. Le code criminel ne prévoyant pas expressément une

infraction incluse dans la tentative de meurtre, l'on doit se demander

si le texte créateur de l'infraction tel que "décrit" à l'article 239

C.Cr. comprend une infraction incluse.

De l'étude de plusieurs arrêts, je dois conclure que ne sont pas

incluses dans l'infraction de tentative de meurtre, les infractions (1)

de voies de fait (art. 265 C.Cr), (2) de voies de fait graves (art. 208

C.Cr), (3) de causer illégalement des lésions corporelles (art. 269

C.Cr.) et (4) l'ancienne disposition consistant dans le fait ou causer

des lésions corporelles dans l'intention de blesser qui a été remplacée

par celle de décharger une arme à feu dans l'intention de blesser (art.

244 C.Cr.). Le Juge Martin, dans l'arrêt Simpson (no 2) précité, a fait

la synthèse de ces arrêts et ainsi motivé sa conclusion:

As I have previously indicated, s. 222 creating the offence of

attempted murder, unlike s. 302 creating the offence of robbery, does

not "describe" the various ways in which the offence may be committed.

In fact, s. 222 tells us little or nothing about the elements of the

offence of attempted murder. It is necessary in order to have any

conception of the elements of attempted murder to also consider s.

204 of the Code defining what constitutes an attempt generally, s.

205 defining culpable homicide, and ss. 212 and 213 defining murder.

Even when all those sections are read together they do not "describe"

the various ways in which the offence of attempted murder, created by

s. 222, may be committed so as to "include" the offences previously

mentioned. The offence of attempted murder may be committed without

committing an assault or causing any bodily harm whatever. For example,

putting poison in the intended victim's drink with the intention of

killing the victim constitutes attempted murder, although the victim did

not take any of the drink: see Textbook of Criminal Law by Glanville

Williams at p. 376. Placing a bomb near the intended victim's bedroom

with the intention of killing her, constitutes attempted murder although

the plan is frustrated by the timely intervention of the police: see

People v. Lanziot, 70 Cl. app. 498, 233 p. 816.

For the reasons given, I am of the opinion that the offence of

attempted murder is not so "described" in s. 222 as to include the

offences of causing bodily harm with intent to wound, assault causing

bodily harm and unlawfully causing bodily harm. Accordingly, those

offences are not, in the absence of an apt description in the

indictment importing them as included offences, included in a charge

of attempted murder. Moreover, since the commission of the offence

of attempted murder as charged in the count in the present case does

not necessarily include those offences, they were not included in the

indictment as framed and the trial Judge was correct in not leaving

those offences with the jury as included offences.(6)

Les auteurs Harper, Manganas et Turgeon dans Droit pénal canadien,

3e édition, 1989, se disent d'avis que cette opinion du Juge Martin

est devenue erronée depuis l'arrêt Ancio (1984) 1 R.C.S. 225, dans

lequel la Cour Suprême du Canada a traité de la nature de l'intention

spécifique de meurtre prévue à l'article 239 C.Cr: ils opinent qu'il

faut maintenant interpréter les mots "par quelque moyen" de l'article

239 C.Cr. comme permettant l'inclusion de certaines infractions sans

plus de spécificité. Avec respect, je diffère d'opinion sur ce point.

En effet, la Cour Suprême a précisé que cet article 239 ne définit pas

l'infraction de tentative de meurtre mais "établit simplement une peine

applicable à une intention spécifique" (p. 249).

(6) R. c. Simpson (no 2), précité, pp. 142 et 143; voir également les

arrêts R. c. Manuel, (1960) 128 C.C.C. 383 et R. c. Rinnie, (1970) 3

C.C.C. 218.

La Cour a ajouté que l'expression "quelque moyen" désigne non pas les

différentes façons de commettre la tentative de meurtre, mais bien "les

façons dont un meurtre peut être commis" (p. 250).

Il y a lieu également de revenir sur l'arrêt Luckett, où la Cour

Suprême du Canada a approuvé le raisonnement du Juge Sheppard dans

l'arrêt Manuel (précité) selon qui les mots "par quelque moyen" à

l'ancien article 210 C.Cr. ne permettent pas d'inclure nécessairement

l'infraction de voies de fait dans celle de tentative de meurtre.

Relativement à l'ancien article 228 C.Cr. (maintenant l'art. 244

C.Cr.), il est vrai que dans l'arrêt Wigman(7), la Cour Suprême du

Canada a substitué une déclaration de culpabilité sous l'infraction

selon l'art. 228 à celle de tentative de meurtre, en la qualifiant

d'"incluse". Je ne peux déduire de là que la Cour a détourné le courant

jurisprudentiel qui prévalait jusque là, suivant lequel il a été statué

que l'une n'inclut pas l'autre. En effet, le débat ne portait pas sur

cette question et, de plus, je dois prendre pour acquis que dans ce

cas d'espèce l'acte d'accusation (dont le texte n'est pas reproduit

dans l'arrêt) était ainsi rédigé qu'il justifiait, selon la troisième

hypothèse que j'ai relevée ci-haut, l'inclusion de cette infraction.

D'ailleurs, notre Cour, dans l'arrêt Tousignant(8), avait émis l'avis

que dans le cas d'un acte d'accusation de tentative de meurtre qui

en particularisait ainsi la commission en alléguant les mots "en le

frappant sur la tête à l'aide d'un objet contondant", deux infractions

incluses telles qu'elles existaient à l'époque pouvaient être

considérées par le jury, soit (1) de causer des lésions corporelles dans

l'intention de blesser, contrairement à l'ancien article 216 et (2) de

voies de fait causant des lésions corporelles selon l'ancien article

231(2) C.Cr.

(7) Wigman c. R., (1987) 1 R.C.S. 46.

(8) Tousignant c. R., (1960) 33 C.R. 234.

Dans le cas présent, même si l'acte d'accusation dans sa rédaction

eût permis d'inclure une infraction sous l'ancien article 228 C.Cr.,

l'acquittement devait également être prononcé puisque cette infraction

comporte une intention spécifique qui est écartée par la défense

d'intoxication volontaire.

Cette discussion, et particulièrement l'analyse de l'arrêt Tousignant

précité, fait bien ressortir la distinction entre la première et la

troisième hypothèse dans la recherche de l'infraction incluse.

L'absence de détails dans l'acte d'accusation, pour les motifs que j'ai

donnés antérieurement, restreint considérablement les possibilités d'une

infraction incluse.

Pour revenir au cas sous étude, le juge de première instance a conclu

qu'en regard de la rédaction du chef d'accusation, une seule infraction

incluse pouvait subsister, soit celle de la tentative de causer

illégalement des lésions corporelles que prévoit l'art. 269 C.Cr.

269.(Infliction illégale de lésions corporelles) Quiconque cause

illégalement des lésions corporelles à une personne est coupable d'un

acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans.

Je suis également de cet avis. Si, comme j'ai tenté de le démontrer

précédemment, la tentative de meurtre n'implique pas nécessairement la

perpétration de voies de fait,(9) je ne peux pas imaginer comment l'acte

posé ne peut pas au moins comporter une intention de causer illégalement

des lésions corporelles et constituer ultimement une tentative de

commettre l'infraction ci-haut énoncée, soit celle de causer des lésions

corporelles (art. 269 C.Cr.) Notons ici que cet article n'exige pas

comme élément essentiel la commission de voies de fait (composante par

ailleurs essentielle dans les infractions prévues aux articles 265, 267

et 268 C.Cr.); c'est l'infliction illégale de lésions corporelles (sans

qu'il y ait nécessairement des voies de fait) qui constitue la substance

de l'infraction. D'ailleurs, si des voies de fait étaient requises sous

l'article 269 C.Cr., il y aurait dédoublement avec l'article 267 C.Cr.

(9) Je rappelle ici les propos du Juge Martin dans l'arrêt Simpson (no

2), précité, p. 142.

Je dois ajouter que contrairement à l'infraction de voies de fait

prévue à l'article 265 C.Cr., dont l'actus reus comprend tout aussi

bien la tentative que l'emploi de la force, il n'en est pas ainsi pour

l'infraction de causer des lésions corporelles suivant l'article

269 C.Cr., d'où la possibilité de la commission d'une tentative de

commettre cette dernière infraction distinctement de la commission de

l'infraction complète.

En concluant qu'en l'espèce la tentative de causer des lésions

corporelles constituait une infraction incluse et que la défense

d'intoxication volontaire ne constituait pas ici un moyen de défense

valable puisque cette infraction incluse ne comporte pas une intention

spécifique, le juge de première instance a refusé de trouver l'intimé

coupable de cette infraction incluse en se fondant sur le motif suivant:

(m.a. 53)

Toutefois, dans notre cas, il ne peut être question de trouver l'Accusé

coupable de cette offense incluse, puisque des lésions corporelles

ont été infligées à Jean Deslauriers par suite du coup de feu tiré par

l'accusé. Le stade de la tentative a été largement dépassé et l'offense

complète a été réalisée.

Avec beaucoup d'égard, je ne peux pas partager cette opinion.

L'article 662 C.Cr. prévoit la règle que l'accusé peut être déclaré

coupable d'une infraction incluse et au paragraphe (1)b), il est

précisé que le jugement de culpabilité peut porter sur "la tentative de

commettre une infraction ainsi comprise".

Se rendre à la proposition que tient le juge de première instance

selon qui il y a impossibilité de prononcer un jugement sur la tentative

de causer des lésions corporelles uniquement sur la base du fait que ces

lésions corporelles ont en réalité été causées, me paraîtrait introduire

dans la loi une exception au principe que le législateur n'a pas prévue

et aller à l'encontre du texte même de la loi, soit le par. (1)b) de

l'article 662 C.Cr.

D'ailleurs, le législateur a prévu à l'article 661 C.Cr. le cas où la

preuve établit la consommation de l'infraction alors que l'accusation ne

porte que sur la tentative:

661. (1) (Tentative imputée, preuve de consommation d'infraction)

Lorsqu'une tentative de commettre une infraction fait l'objet d'une

inculpation, mais que la preuve établit que l'infraction a été

consommée, l'accusé n'a pas le droit d'être acquitté, mais le jury peut

le déclarer coupable de la tentative, à moins que le juge qui préside

le procès, à sa discrétion, ne dispense le jury de rendre un verdict et

n'ordonne que le prévenu soit mis en accusation pour l'infraction

consommée.

Je conclus donc de ce qui précède que le premier juge a erré

en statuant que la tentative ne peut pas être envisagée si

l'offense "complète" a été réalisée. Toutefois eût-il considéré

l'infraction incluse de tentative de causer des lésions corporelles,

il se devait néanmoins de conclure à l'acquittement. En effet,

je suis d'avis que l'infraction de tentative comporte une intention

spécifique et que partant de là, l'intimé doit en être absout vu sa

défense d'intoxication volontaire que le juge a retenue.

Depuis le jugement rendu en Cour Suprême du Canada dans l'arrêt Ancio,

où il a été décidé que l'accusation de tentative de meurtre requiert

une intention spécifique de tuer(10), des auteurs(11), se disent d'avis

que toute tentative de commettre une infraction comporte une intention

spécifique et ce, même si l'infraction complète en est une d'intention

générale. Le professeur Stuart dit à ce sujet:

Now that the Supreme Court has recognized that the crime of attempt

requires an intent, it would seem clear that all attempt crimes require

a specific intent for which a defence of voluntary intoxication should

be available. It is no longer correct reasoning to decide the questions

by reference to the mens required for the crime attempted.

(10) Ce qu'a rappelé le Juge Lamer (tel qu'il était alors) dans l'arrêt

R. c. Logan (1990), 2 R.C.S. 731 (742).

(11) Don Stuart, "Canadian Criminal Law", 2e éd., 1987, Carswell, p.

370; E. Colvin, "Principles of criminal law", 1986, Carswell, p. 165.

Je partage le point de vue de ces auteurs. Puisque la tentative

dépend beaucoup plus de l'intention que du geste posé, que l'infraction

de tentative peut être consommée sans la perpétration d'aucune

autre infraction et même sans l'accomplissement d'un acte illégal

en soi(12), rien ne s'oppose à ce que la tentative de commettre une

infraction d'intention générale puisse constituer une infraction qui

requiert une intention spécifique. Dans l'arrêt Ancio, le Juge McIntyre

a dit:

On a prétendu, et on a laissé entendre dans certains arrêts et ouvrages

sur la question, qu'il est illogique d'exiger une mens rea d'un degré

plus élevé dans le cas d'une tentative de meurtre alors qu'on accepte

une mens rea d'un degré moindre équivalent à l'insouciance dans le cas

d'un meurtre. A mon avis, cet argument n'est pas fondé.

(12) R. c. Ancio, précité, p. 247.

Dans le même sens, il faut noter que la tentative à l'égard d'une

infraction de responsabilité absolue met néanmoins en cause l'intention

de l'inculpé, intention qui ne serait pas pourtant un élément à prouver

si l'infraction poursuivie était complétée.(13)

Je rejetterais donc ce moyen d'appel.

(13) Fortin et Viau, Traité de droit pénal général, p. 318.

LE CHEF NO 3: LA DECHARGE D'UNE ARME A FEU DANS L'INTENTION DE BLESSER

(LE TROISIEME MOYEN D'APPEL)

Le chef no 3 se lit ainsi:

3. A Longueuil, district de Longueuil, le ou vers le 27 juillet

1985, dans l'intention de blesser Jean Deslauriers, a illégalement

déchargé une arme à feu dans sa direction, commettant ainsi l'acte

criminel prévu à l'article 228-a du Code criminel.

Prononçant l'acquittement sur ce chef au motif qu'il s'agit d'une

infraction d'intention spécifique et que l'intimé doit en être exonéré

en raison de sa défense d'intoxication volontaire, le juge a rejeté la

possibilité d'une infraction incluse en statuant comme suit:

Il faut maintenant se demander si ce troisième chef d'accusation,

tel que rédigé, peut contenir une ou des offenses incluses n'exigeant

pas une intention spécifique de leur auteur qui pourrait alors en être

déclaré coupable.

L'ancien article 228 prévoyait un moyen alternatif pour commettre les

crimes énumérés. En effet, l'infraction pouvait être perpétrée soit en

déchargeant une arme à feu, un fusil à vent ou un pistolet à vent contre

quelqu'un ou en lui causant de quelque manière des lésions corporelles.

Ce moyen alternatif étant disparu, dorénavant, pour commettre

l'offense, il faut nécessairement que l'Accusé ait déchargé une arme à

feu, un fusil à vent ou un pistolet à vent avec l'intention spécifique

de produire l'une des conséquences décrites aux sous-paragraphes a), b)

ou c) de l'article 228.

Les lésions corporelles ne peuvent provenir d'aucune autre cause.

L'actus reus est le fait de décharger l'arme et ne peut être accompli

autrement; c'est un élément essentiel de l'offense.

- R. vs POISSON (C.A. Ont.) 8 C.C.C. (3e) 281

- R. vs ALLISON AND DINEL (C.A. Ont.) 5 C.C.C. (3e) 30

Autrement dit, l'infraction de décharger une arme à feu ou à vent,

avec l'intention requise, peut être commise sans commettre aucune autre

offense, surtout sans infliger quelque lésion corporelle à qui que ce

soit, mais peut-elle l'être sans qu'il y ait assaut ?

Une offense incluse en est une qui doit être nécessairement commise

dans la perpétration du crime tel que décrit ou reproché dans l'acte

d'accusation.

Ainsi, sans se prononcer définitivement sur la question, le juge

A. Martin dans l'arrêt R. vs Boomhower (C.A. Ont., 20 C.C.C. (2e) 89,

est d'opinion que l'assaut simple n'est pas nécessairement une offense

incluse dans celles décrites sous l'article 228 du Code criminel, par

exemple dans le cas ou la victime n'est pas atteinte et ignore qu'un

coup de feu a été tiré en sa direction. Dans R. vs Walton (N.B. Supr.

C.) 11 C.C.C. (2e) 523, il a été décidé dans le même sens.

Pour ces motifs, il ne peut être question d'amender le troisième chef

d'accusation pour permettre d'y introduire une ou des offenses incluses,

comme le suggérait la poursuite. Le fardeau de prouver au-delà de tout

doute raisonnable que l'Accusé avait l'intention spécifique de commettre

le crime reproché dans ce troisième chef existait durant toute la durée

du procès, de même que le droit inaliénable de l'Accusé à une défense

pleine et entière sur chacun des chefs tels que présentés.

S'il n'existe pas d'offense incluse dans l'un d'eux, ni la poursuite,

ni le Tribunal de son propre mouvement, possède le pouvoir d'en créer en

élargissant l'accusation de quelque manière.

- R. vs MANUEL (C.A. B.C.) 28 C.C.C. 383

- R. vs RIONNIE (Alta Supr. C. (1970) 3 C.C.C. 218; 9 C.R.n.s. 81

- R. vs CHARLTON AND OSTERE (C.A. C.B.) (1976) 30 C.c.C. (2e) 372

En conséquence, le Tribunal conclut que le crime reproché, tel que

décrit au troisième chef d'accusation, ne contient aucune offense

d'intention générale dont l'Accusé pourrait être déclaré coupable.

Puisque le code criminel est silencieux sur la création d'une

infraction incluse dans celle qui consiste à décharger une arme à feu

dans l'intention de blesser prévue à l'art. 244 C.Cr., il faut donc se

demander si la disposition qui crée l'infraction comprend ou décrit

une infraction incluse ou encore, si le libellé de l'acte d'accusation

permet l'inclusion d'une ou de plusieurs infractions.

Le juge de première instance, pour les motifs que j'ai reproduits ci-

haut, a conclu à l'inexistence de toute infraction incluse. Il a rejeté,

comme infraction incluse, celle de voies de fait, en se fondant sur

l'obiter dictum du Juge A. Martin dans l'arrêt Boomhower(14), qui s'est

ainsi exprimé:

Notwithstanding some authority to the contrary it is also open to

serious question whether or not a charge of common assault is an

included offence on such a count. A person might discharge a firearm at

another with intent to endanger that person's life without committing

a common assault, because the person at whom the rifle was fired might

be asleep or his back might be turned to the person who discharged the

shot, and he might be completely unaware if the bullet missed that

anybody had fired at him; RusseIl on Crime, 12th ed., vol. 2, p. 655.

Viewed in that light, a common assault is not an essential ingredient of

such a charge. See, however, Rex v. Chartrand, (1912) 6 Sask. L.R. 184,

2 W.W.R. 773, 21 W.L.R. 850, 20 C.C.C. 116, 4 D.L.R. 397.

Avec beaucoup d'égard, ma compréhension de la notion d'"assault and

battery" en common law et des voies de fait en droit canadien me mènent

plutôt à conclure que le fait de décharger une arme à feu en direction

d'une personne comprend nécessairement l'infraction de voies de fait.

En voici les raisons.

En droit canadien, l'article 265 C.Cr. prévoit trois façons de

commettre des voies de fait:

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une

agression, quiconque, selon le cas:

a) d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou

indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d'employer la force

contre une autre personne, s'il est en mesure actuelle, ou s'il porte

cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu'il est

alors en mesure actuelle d'accomplir son dessein;

c) en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou

importune une autre personne ou mendie.

(14) Boomhower c. R., (1974) 27 C.R. 188, p. 191. David Watt, dans

son ouvrage publié en 1983, The new offences against the person, the

provisions of bill C-127, p. 30, s'est rangé à cet avis.

Le paragraphe a) fait de l'absence de consentement de la victime un

élément essentiel de l'actus reus. Comme les auteurs Mewett et Manning

le proposent, je ne crois pas que l'on puisse entretenir à l'égard de

la victime potentielle qui est inconsciente et ignore qu'elle est objet

d'une attaque, quelque doute sur l'absence de son consentement.

Consent is, of course, not the same as the absence of an objection.

A sleeping or unconscious victim cannot object, but more importantly,

neither can he consent. ln addition, the consent must be real consent,

with an awareness of what is being consented to. It follows, therefore,

that if the victim appears to consent by submitting or not objecting,

but he does so only because of some fraud on the part of the accused,

the apparent consent is vitiated and of no effect.(15) (15) Mewett et

Manning, Criminal Law, (2e) p. 564.

Cette conclusion me paraît être plus évidente à la lecture du

paragraphe b), où le législateur a prévu que des voies de fait se

commettent du seul fait de "tenter ou menacer par un acte...

d'employer la force contre une autre personne s'il est en mesure

actuelle... d'accomplir son dessein".

Ainsi, tenter de frapper une personne de l'arrière mais la manquer ou

en être interrompu par un tiers constitue des voies de fait (et non une

tentative) au sens du paragraphe b), même si la victime ignorait tout

de l'attaque jusqu'à son interruption.(16)

Ils'ensuit, selon moi, que celui qui décharge une arme à feu en

direction d'une personne commet nécessairement des voies de fait même

s'il rate sa cible et que la victime ignore tout de ce coup manqué.

En common law, où il faut distinguer entre "assault" et "battery", la

notion d'"assault" requiert comme élément essentiel l'appréhension de

la victime que la force puisse résulter de l'acte de l'agresseur.

(16) Newett et Manning, précité, p. 569.

C'est un élément qui a justifié certains auteurs (comme dans Russell on

Crime cité par le Juge Martin dans l'arrêt Boomhower précité) à suggérer

que dans l'hypothèse que j'ai émise ci-haut, tenter de frapper une

personne de l'arrière ne serait pas un "assault" puisque l'élément de

l'appréhension de la victime est absent.

Glanville Williams, à ce sujet, répond que si le geste n'est pas

en droit un "assault" (ce qu'il décrit comme "psychic assault"),

il constitue néanmoins une tentative de l'infraction de "battery"

ou "attempted physical assault":

Some of the old books define a psychic assault as an attempted impact,

but they are wrong. Psychic assault and attempted physical assault

are two distinct offences. If D clenches his fist and threatens V,

intending only to create apprehension, he is guilty of psychic assault,

even though (since he does not intend to strike) he is not guilty of

an attempted physical assault. Conversely, if D tries to strike V from

behind, he is guilty of an attempted physical assault even though (since

V does not know of his danger) there is no psychic assault.(17)

(17) Glanville Williams, Textbook of Criminal Law, (2e), (1983), p.

174.

En conclusion de ce qui précède, je suis donc d'avis que (1)

l'infraction de voies de fait (art. 266 C.Cr.) est une infraction

nécessairement incluse dans celle de décharger une arme à feu en

direction d'une personne dans l'intention de blesser (art. 244 C.Cr.).

Deux autres infractions me paraissent également être incluses dans cette

infraction de décharger une arme à feu, soit (2) celle de "braquer, sans

excuse légitime, une arme à feu sur une autre personne" selon l'article

86(1)a) C.Cr. et, comme dans le cas de la tentative de meurtre, (3) la

tentative de causer des lésions corporelles. Cette dernière infraction

en est nécessairement partie intégrante, et ce pour les mêmes motifs

que j'ai fait valoir quant à la tentative de meurtre. Quant au fait de

braquer, il m'apparaît être inhérent à l'infraction de décharger une

arme à feu que son auteur braque par le fait même l'arme en direction de

la victime.

Le procureur de l'appelante, dans son mémoire, propose qu'en l'espèce

l'infraction incluse serait celle de "porter une arme en se livrant à

des voies de fait", contrairement au paragraphe (1)a) de l'article 267

C.Cr. Le procureur de l'intimé a souscrit à cette proposition.

Avec respect, je ne peux pas adopter cette position commune des

procureurs.

L'infraction prévue à l'article 267(1) se lit ainsi:

267(1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement

maximal de dix ans quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon

le cas:

a) porte, utilise ou menace d'utiliser une arme ou une imitation

d'arme;

b) inflige des lésions corporelles au plaignant.

L'élément dominant réside dans la perpétration des voies de fait ("en

se livrant à des voies de fait"), auquel élément le législateur ajoute

un élément aggravant au paragraphe a), soit de porter, utiliser ou

menacer d'utiliser une arme ("en se livrant à des voies de fait"). Ces

deux éléments ne peuvent pas être confondus. L'intention du législateur

consiste à réprimer l'agression armée; le fait d'être armé

constitue une circonstances aggravante qui d'ailleurs rend son auteur

passible d'une peine de dix ans. En stipulant que l'infraction peut être

commise du fait que l'agresseur porte une arme, ce qui signifie que

l'arme peut être cachée ou portée à l'insu de la victime, le législateur

indique bien sa volonté de rendre cette agression plus grave en raison

du seul fait du port de l'arme même si elle n'est pas utilisée.

L'usage du mot "en se livrant" me paraît confirmer l'idée que les voies

de fait doivent se distinguer du port de l'arme et non se confondre l'un

et l'autre.

Aussi, si les voies de fait sont constituées du seul fait de l'usage

de l'arme, par exemple le fait de braquer son arme en direction de

quelqu'un, comme c'est le cas en l'espèce, je suis d'avis que ce

n'est pas l'article 267 C.Cr. (l'agression armée) qui s'applique,

mais l'article 266 C.Cr. qui sanctionne les voies de fait. Toute

autre interprétation me semblerait contraire à l'intention du

législateur en introduisant l'infraction de l'agression armée (art.

267 C.Cr.) et, de plus, ce serait ignorer les éléments de base de

l'infraction de voies de fait selon l'article 266 C.Cr.

Le paragraphe (1)c) de l'article 265 C.Cr. prévoit que des voies de

fait sont commises du fait d'aborder ou importuner une autre personne ou

de mendier en portant ostensiblement une arme: il serait pour le moins

incohérent de considérer cet acte comme une "agression armée" en vertu

de l'article 267 C.Cr.

Rejetant pour ces motifs la solution proposée par les procureurs

des parties dans le cas présent, je reviens aux trois infractions

incluses énumérées ci-haut, soit (1) les voies de fait selon l'article

266 C.Cr. (2) la tentative de causer des lésions corporelles et (3)

celle de braquer une arme à feu selon l'article 86(1)a) C.Cr. Je

dois éliminer la seconde, soit l'infraction de tentative vu la

défense d'intoxication volontaire, et ce pour les motifs que j'ai donnés

précédemment. La troisième doit l'être également vu la condamnation de

l'intimé pour cette même infraction sous le quatrième chef; même si

l'on peut dire que l'intimé a braqué son arme à feu à deux reprises, la

généralité du quatrième chef ne nous permet pas d'isoler l'un ou l'autre

incident.

Suivant le principe de l'arrêt Kienapple, des condamnations multiples

sont interdites dans le cas où des infractions tirent leur origine de

la même opération, présentent un lien suffisant entre elles et que

l'une ne soulève pas un élément distinct. En l'espèce, les voies de

fait dont il s'agit sous ce troisième chef sont la résultante du fait

d'avoir déchargé l'arme à feu et d'avoir causé des blessures. Puisque

l'intimé a d'abord braqué son arme et fait feu dans un second temps,

ce dernier élément étant dans les faits distinct du fait de braquer,

une condamnation pour voies de fait aurait donc dû être prononcée par

le premier juge en plus de la condamnation sur le quatrième chef pour

avoir "braqué l'arme à feu".

Pour ces motifs, je ferais droit à l'appel et ordonnerais l'inscription

d'un jugement de culpabilité pour l'infraction de voies de fait. Quant

à la sentence, j'estime que le dossier devrait être remis au tribunal de

première instance pour imposer la peine adéquate en l'espèce.

CONCLUSION

En conclusion de cet exercice complexe et laborieux(18), mais néanmoins

nécessaire en raison des questions de droit qui étaient soulevées, et

pour les motifs ci-haut exposés, je proposerais donc ce qui suit:

- Quant au premier chef:

Que l'appel soit rejeté.

- Quant au second chef:

Que l'appel soit rejeté.

- Quant au troisième chef:

D'accueillir l'appel et d'ordonner que soit consigné un jugement

de culpabilité à l'égard de l'infraction de voies de fait; quant à

la sentence, le dossier devrait être renvoyé au tribunal de première

instance afin de prononcer la peine adéquate dans les circonstances.

(18) Qui aurait pu être évité si le poursuivant, au lieu d'inculper

l'intimé sous les chefs 1, 3 et 4 en des termes généraux, avait rédigé

des chefs d'accusation suffisamment détaillés. J.C.A.

INSTANCE-ANTÉRIEURE

(C.S.P. Longueuil 500-01-002295-851)