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Correspondances Recueil de lettres fictives de la Grande Guerre Classe de 3 ème E, Mme Barrade Année scolaire 2017-2018 Collège Georges Brassens, Narbonne

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Correspondances

Recueil de lettres fictives de la Grande Guerre

Classe de 3ème E, Mme Barrade

Année scolaire 2017-2018 Collège Georges Brassens, Narbonne

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Dans le cadre du programme de français de la classe de Troisième et des enseignements pratiques interdisciplinaires, nous avons eu envie d’écrire une correspondance fictive entre des civils et des militaires pendant la Première Guerre Mondiale, à partir des textes fictifs et des documents historiques étudiés en cours de Français et d’Histoire.

Nous vous livrons donc ces lettres telles que nous les avons imaginées,

et vous souhaitons bonne lecture.

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Le 5 janvier 1915, à Limoges

Cher Jean,

J’espère que tu vas bien autant moralement que physiquement.

Camille et Michel me demandent sans arrêt de tes nouvelles. Ils ne cessent de verser des larmes chaque soir en pensant à toi, mais ils grandissent à une vitesse inimaginable ! Quant à moi, ton sourire permanent, ton regard, tes bras me manquent énormément. C’est dans ta voix que résonnent les plus beaux « Je t’aime». Quand je lis tes lettres, des larmes salées me coulent des yeux. A chacune de tes lettres du front, je pleure et je tremble.

La vie menée ici est si dure. Je travaille pendant plus de dix heures par jour, dans les usines d’armement et de munitions. On produit environ 2500 obus par jour, un seul obus pèse 7 kg. Les conditions de travail sont tellement horribles que j’en ressors avec des maux de tête, de l’eczéma et un mal de dos épouvantable. D’autant plus que le salaire est misérable et que nous vivons dans la propagande, que nous baignons dans le mensonge. L’Etat nous trompe avec des affiches qui nous incitent à travailler en plus, ne présentant pas les aspects néfastes des conditions de travail. Mais ne t’en fais pas pour nous : les enfants et moi-même nous portons bien malgré tout.

Raconte-nous plutôt comment se passent les combats et la vie dans les tranchées. Ne perds pas espoir ! Nous te soutenons depuis le début, nous admirons ton courage et ta détermination. Reviens-nous vite ! J’espère que les combats vont cesser rapidement pour que nous puissions te retrouver afin de reprendre la vie heureuse que nous avions lorsque tu étais à nos côtés.

Nous t’embrassons bien fort,

Denise et tes enfants.

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Le 15 janvier 1915, à Verdun

Ma chère Denise,

J’ai lu ta lettre hier soir et je n’ai pas pu m’empêcher de verser quelques larmes. Chaque mot me comble, ça fait de moi un homme plus fort. Reste courageuse pour nos enfants afin qu’ils ne manquent de rien et pour moi, pour me faire plaisir.

Ici tout va mal, des soldats meurent chaque jour. Des milliers d’hommes périssent, que ce soit des Français ou des Boches. Mais moi, je suis en bonne santé alors que tous mes camarades sont morts ou blessés. Hier encore, j’ai perdu un ami proche : il a reçu une grenade devant moi, c’était horrible. Sur le champ de bataille, on ne trouve que des cadavres, comme si nous étions dans un cimetière. Le sol est jonché de trous d’obus, recouvert de sang et de dépouilles. Le paysage est dévasté. Les rats nous envahissent dans les tranchées. La boue, les totos, le froid, la fatigue sont notre quotidien. Tes repas divins me manquent, cela n’a rien à voir avec notre gamelle. Je vis chaque minute dans un enfer et j’ai peur, non pas de la guerre, mais de ne plus vous revoir. Toutefois, ne pensez pas à toutes ces horreurs. Je vais bien, je ne suis pas blessé.

A l’instant où je t’écris cette lettre, je souhaiterais être à tes côtés ainsi qu’aux côtés de Camille et Michel. J’ai hâte de revenir à la maison, de passer du temps avec vous. Prends soin de toi et de nos chers petits.

« Ce soir les étoiles brilleront et je penserai bien à vous ».

Jean

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Le 8 mars 1915

15 avenue de l'Usine à Caen

Mon cher papa,

Je t'écris pour te dire que tu me manques, ainsi qu’à maman. La vie est un vrai cauchemar sans toi !

Maman doit fabriquer des armes pour que vous ne manquiez pas de munissions au front. Elle est extrêmement fatiguée et n'arrive plus à rien faire de ses jours mis à part son travail. Parfois, elle ne mange même pas. La nuit, elle ne trouve pas le sommeil et pleure. Elle n'a plus le sourire et ne rigole plus. Moi, je vais à l'école la journée et après, souvent, je dois aller aider maman à l'usine. Les jours où je n'ai pas école, c'est mamie qui me garde. Et rien que de voir sa fille dans cet état, elle est aussi triste qu'elle. Je ne te cache pas que je suis aussi triste.

Dans ta dernière lettre, tu nous dis que la vie est impossible au front, que tu as déjà dormi à côté du cadavre d’un ami pour avoir plus chaud. C'est horrible ! Tu nous racontes aussi que tu es sale et que tu as des poux (et je passe les autres détails). Nous sommes inquiets, alors reviens-nous vite. Nous t’aimons tellement !

Courage, nous croyons en toi !

Maman et Pierre

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Le 20 Avril 1915

Au front

Mon petit Pierre et ma très chère femme,

Je m'excuse de vous répondre aussi tard, mais les lettres sont arrivées il y a à peine un jour et j’ai été débordé avec une attaque surprise.

La vie au front est toujours aussi horrible et cette saleté de poux ne fait que me déranger. On est à court de nourriture, on est fatigué et vous me manquez énormément. Je suis sale, très sale. Je ne supporte plus ma propre odeur mélangée à celle des cadavres. Malgré tout, nous essayons d’aménager un peu nos abris. Par exemple, nous utilisons des bottes égarées pour fabriquer des portes manteaux. Je vais bien ne vous en faites pas. La vie est dure mais je survis, ce n'est pas le cas de tous les hommes.

Mon petit ange, mon Pierre, tu as 9 ans, tu es l'Homme de la maison désormais. Tu sais à quel point je t'aime et je suis fier de toi. Je compte sur toi pour réconforter Maman, essayer de lui redonner le sourire tout comme l'aider à la maison. Ma femme, Marie tu es tout pour moi. Arrête de pleurer, d'être triste, garde ton si beau sourire : il est merveilleux. Je vais bientôt revenir, je vous le promets. Je sais que c'est long de m'attendre et que vous avez peur de ne jamais me revoir. C'est pareil pour moi.

Je vous aime fort. A bientôt,

Paul

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Samedi 23 décembre 1915

De Normandie

Mon cher Paul,

Cela fait déjà des mois que je ne vois plus ton beau visage à la maison. Je ne pense qu'à toi !

Les jours passent, et mon ventre ne fait que grossir. Malheureusement, c'est la seule chose qui me rend heureuse, car sinon mes larmes jaillissent sans cesse par fatigue et par souffrance.

Les personnes du village, ne parlent que de la guerre. Les journaux et les radios ne racontent que des misères et des mensonges alors que toi, dans tes lettres, tu dis vrai, mais cette vérité me fait peur. Chaque jour le travail devient de plus en plus dur avec ce bébé qui grandit. En plus de ça, l'hiver diminue les récoltes et nous ne savons pas si nous tiendrons avec nos maigres réserves.

Il paraît que la fin de la guerre approche, alors tâche de revenir en vie ! Pense à ton futur fils et garde espoir … Enfin fais de ton mieux … Chaque soir je me pose devant la cheminée pour relire tes lettres. Sache que je suis fière de toi : tu contribues à la création d'un monde meilleur pour notre fils.

Réponds-moi et reviens vite ! Je t'aime !

Ta femme Paulette …

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Jeudi 9 Janvier 1916

D’Alsace

Ma chère Paulette,

Le jour de notre rencontre était l’un des plus beaux de ma vie, mais ces jours de guerre sont noirs, et ne font qu'envahir notre mental …

Déjà cinq mois que tu m’as annoncé que tu étais enceinte. J'espère être présent pour l'accouchement … au moins avoir une perme. Il paraît que des soldats sont déjà rentrés définitivement, mais malheureusement, ce sont des gueules cassés. A leur place, j'aurais préféré y rester plutôt que de vous faire vivre avec un monstre … Chacun fait comme il peut.

Il paraît que les Boches vont bientôt mener un assaut mais avec l'artillerie anglaise derrière nous, nous n’avons rien à craindre ! Parfois, il y a des erreurs aussi, et hier, un camarade, même plus, un ami, est tombé par erreur de tir allié, et avec le froid il s'est retrouvé congelé …C’est horrible. La mort est partout … Mais moi je suis bien vivant !

Le seul loisir que l'on a, c'est de s'amuser avec des os de lapins que nous mangeons avant. Ca fait passer le temps, sinon les journées sont épuisantes et sombres. Mes grolles sont trouées, mes pieds couverts de plaies et de boue jusqu'aux genoux. On ne mange que de la rata et on ne boit que du jus. Pas fameux.

Noël approche, et nous voulons hisser le drapeau blanc et faire la paix, ne ce serait-ce qu’un jour. Cette information ne doit pas se faire savoir. Déjà que les généraux sont difficiles et monstrueux , il ne faut pas qu'ils l'apprennent, sinon ça risque de nous poser problème. De toute façon je te fais entièrement confiance !

Dernier baiser, en espérant te revoir au plus vite ma belle.

Prends soin de notre enfant. Je t'aime !

Paul

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Le 14 Janvier 1916

à Narbonne.

Mon cher bien aimé,

Je t’écris pour te dire que je pleure sans cesse ton absence, tu me manques terriblement. Le temps sans toi est long, et je prie chaque soir et chaque matin qu’il ne t’arrive rien.

Je travaille énormément aux champs. Canasson, notre cheval, s’est fait mal au sabot en labourant, mais les enfants ont pris soin de lui et maintenant il va mieux. Heureusement, car sans lui nous ne pourrions plus rien faire ! Mon travail à l’usine m’épuise mais les enfants m’aident beaucoup, là encore.

Notre petite Hélène a perdu sa première dent et notre fils Justin s’est écorché le genou en allant chercher de l’eau au puits. Ne t’inquiète pas pour les enfants, ils gardent la tête haute, et ne t’oublient pas.

Et toi comment vas-tu ? La vie au front doit être affreuse, mais j’espère que tu restes fort et que tu vas bien. Prends soin de toi, et réponds-moi au plus vite !

Je t’embrasse très fort,

Marie qui t’aime

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L’an mille neuf cent seize, le vingt cinq février ,

à quinze heures, à Fay (Somme)

Acte de décès

JACQUOT Adelin Jules

Fils de Jules et GALLIOT Marie Julie

Né le 10 octobre 1881 à Narbonne, 11

Mort pour la France le 22 janvier 1916 à Rossignol (Belgique) tué à l’ennemi à l’âge de 33 ans, inhumé au cimetière militaire de l’Orée de la Forêt à Rossignol (Belgique), tombe 223

Grade : Sergent Corps : 1er Régiment d’Infanterie Coloniale, 7ème Compagnie

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À Narbonne

Le 11 Juin 1916

Mon cher Paul,

Je m'inquiète pour toi tous les jours. Je suis triste car tu me manques tellement ! Il me tarde que tu reviennes à Narbonne pour l'anniversaire de Louise notre fille qui aimerait vraiment que tu sois là pour ses dix ans. J'espère que tu pourras avoir une permission ! Je vais lui offrir une photographie de nous tous pour l'aider à tenir pendant ton absence.

Mon frère n'a malheureusement pas survécu à la guerre. Les enfants en sont très tristes. Ils me posent sans cesse des questions : « Papa ne va t-il pas revenir comme tonton ? »,«Papa va-t-il mourir ?», «Papa va-t-il revenir avec une gueule cassée ?». C’est difficile de leur répondre, de les rassurer quand je suis moi-même inquiète.

Moi je travaille dans les champs pour les enfants et pour te soutenir dans l'effort de guerre.

J'espère qu'il ne t'est rien arrivé. Sache que je suis fière de toi parce que tu défends avec courage notre patrie. Parle-moi de la vie au front, raconte-moi ce que tu as sur le cœur.

On t'aime fort .

Emilie et les enfants

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A Verdun,

le 20 Juillet 1916

Ma chère Emilie et mes chers enfants,

Vous me manquez tellement ! Vous savez, en voyant votre lettre, j'ai souri, pour la première fois, depuis que je suis parti défendre note pays, comme un enfant. Merci.

La vie est dure. On ne dort pas, On est au milieu des cadavres, on sent mauvais, on a même attrapé des poux. Le cuisinier nous prépare de la soupe, du singe et de la rata comme on dit ici. C’est mauvais mais il n’y a pas le choix pour survivre. Le temps du trajet cela devient froid et est mélangé avec de la terre. Il n’y a pas le choix pour survivre.

Le plus dur à vivre, c'est de voir mes camarades mourir sous mes yeux, sans rien pouvoir faire. De les voir mourir à petit feu de leurs blessures et de ne pas pouvoir les aider. De voir leur corps sans vie étalé par terre dévoré par les corbeaux . C’est tout simplement affreux . Hélas, la guerre n'est pas encore finie.

J’essaie de rester fort, pour vous . J'espère que tout va bien à la maison depuis la dernière lettre et que tout le monde est en bonne santé. J'aimerais énormément vous serrer dans mes bras tous les trois. Bientôt, je l'espère. Tous les soirs, je pense au jour où je vais enfin vous revoir, vous prendre dans mes bras… J’e prie pour revenir, même blessé, même avec une gueule cassée, revenir, en vie, pour qu’on soit de nouveau réuni. Je dois partir. Le devoir m’appelle.

Je vous embrasse tous et je vous aime,

Paul

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A Narbonne,

le 19 juin 1916

Mon cher Pierre, mon bien aimé mari,

Je me pose beaucoup de questions. Est-ce que tu vas bien ? Comment est la vie à la guerre ? Ces questions sont dérisoires car les réponses sont évidentes mais j'ai besoin que tu me racontes tout .

Tes enfants et moi sommes tristes de ne plus être avec toi. Il me tarde que tu reviennes à la maison, au moins pour l'anniversaire de notre fille qui aimerait vraiment que tu sois là pour ses 12 ans. Je lui rappelle des bons moments passés ensemble pour l'aider à tenir pendant ton absence. J'espère réellement que tu répondras à cette lettre !

Mon père, lui, ne m'a jamais répondu : il n'a pas survécu . Les enfants en sont très attristés. Tous les jours, ils me demandent si tu rentreras un jour , ou si tu vas revenir en gueule cassée comme notre voisin. Pendant que les hommes sont à la guerre, nous, les femmes, nous travaillons dans les champs pour les enfants et soutenir l'effort de guerre. Ta maman vient nous voir pour s'assurer que nous allons bien mais cela la réconforte elle aussi de ne pas être seule.

Sache que je suis fière de toi parce que tu défends avec courage notre pays . Raconte-moi ce que tu as sur le cœur. J'espère que cette lettre te donnera de l'espoir car nous t'aimons beaucoup. Les enfants me demandent de te dire qu'ils t'aiment et que leur papa est le plus fort de tous. Je t’aime.

Des bises,

Ta femme et tes enfants

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A Verdun,

le 22 juillet 1916

Ma chère femme et mes chers enfants,

Merci pour les nouvelles et « Bon anniversaire ma fille chérie ! » même si je suis un peu en retard. J’étais tellement content en voyant la lettre que j'ai couru voir mon camarade Paul pour le lui dire !

A part ce moment, je n'ai pas souri depuis le début de la guerre. La vie est très dure ici. On ne dort pas. On est au milieu des cadavres. On sent mauvais et on a des poux. Le cuisinier nous prépare notre nourriture, c'est à dire de la soupe, de la rata et parfois un morceau de pain. C’est fade, mais il faut manger pour avoir des forces. Le pire c’est de voir mourir les copains sans rien pouvoir faire. L’impuissance me ronge. Mais je reste fort pour vous.

Je suis navré d’apprendre pour ton père, mon amour. J'espère qu'à la maison tout le monde est en bonne santé. J'adorerais vous serrer contre mon cœur. Bientôt, je l'espère, cela sera possible, même si, hélas, la guerre semble loin d'être finie. Je dois partir. Le devoir m’appelle.

Je vous embrasse tous bien fort,

Pierre

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Le 27 août 1916,

À Marseille

Cher Eugène,

Mon cher frère, j'espère que tu vas bien. Je t'écris cette lettre pour prendre de tes nouvelles et te donner des nôtres.

Eugène, tu nous manques à tous beaucoup. Maman et grand-mère pensent souvent à toi et versent quelques larmes en se remémorant tout plein de souvenirs. Te rappelles-tu la fois où nous avions cassé le vase préféré de notre chère mère qui nous avez punis tout au long d'une semaine. Ah ! Quelle belle époque !

Mais maintenant, tout a changé. Le temps que nous passions à nous pomponner, nous l'avons remplacé par du travail forcé qui nous épuise beaucoup. Cette misérable guerre nous détruit tous.

Tous ces mensonges racontés dans les revues cachent une énorme partie de la vérité, car en voyant tous ces soldats revenir blessés, nous prenons tous peur.

Et toi Eugène ? Comment vas-tu ? Nous espérons tous de tout cœur que tu ne perdes pas la vie dans cette guerre déplorable.

On t'aime fort !

Adèle et toute ta famille.

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Le 5 septembre 1916,

à Verdun

Ma chère famille,

Je prends le temps de vous écrire pour vous donner de mes nouvelles en réponse à celles que vous m’avez envoyées de Marseille.

Au front, la vie est dure pour nous, les soldats. Nos conditions de vie sont déplorables : la bectance est immangeable, le jus et le pinard ne sont pas très bons, les totos envahissent nos têtes au point que nous sommes obligés de nous raser entièrement. Les nuits dans les tranchées sont longues. Il fait un froid polaire, nous gelons littéralement sur place. Et puis, il y a tous ces éclats d'obus qui nous font extrêmement peur. Un jour peut-être arriveront-ils sur nous et nous déchiquèteront-ils en mille morceaux.

Maman, Marie, Adèle, je pense à vous pour tenir. Vous me manquez tellement. Je me bats contre ces Fritz pour protéger et défendre ma commune, mon pays et vous, ma famille.

Je comprends que pour vous trois, la vie sans hommes est très rude. Je ne sais pas comment vous faites pour assumer notre travail, vous occuper des enfants et du foyer. J'espère être de nouveau parmi vous pendant la période de Noël pour partager des moments de joie.

Je vous embrasse très fort. Je vous aime !

Eugène

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Samedi 14 novembre 1916

à Narbonne

Cher Jacques,

J'espère que tu vas bien, que tu n'es pas tombé sous les coups de feu des Allemands.

Certes, je sais que là-bas, au front, la vie est atroce, mais sache qu’à Narbonne aussi la vie est dure. Les récoltes ont gelé, la plupart des femmes qui travaillent dans les usines sont tombées malades, tout cela à cause du froid polaire de l’hiver. De plus notre voisine, Amandine, n'a malheureusement pas survécu à son accouchement. C’est une amie qui part, c’est une aide dans l’effort de guerre qui disparaît, pauvre victime. Mon père aussi est une victime : il est rentré de la guerre, mais il est maintenant ce qu'on appelle une gueule cassée, traumatisé à jamais bien que vivant.

Les enfants me demandent sans cesse : « Papa va-t-il revenir comme Grand-père ? » Ils sont faibles eux aussi à cause de manque de nourriture, mais ils vont bien.

Je voudrais tellement te revoir avant l'Août comme cela nous pourrions célébrer nos cinq ans de mariage ! Nous devons garder espoir et rêver. Je t'en prie reviens-moi ! Peut-être même seras-tu là demain, pour nous faire une surprise le jour de tes 27 ans !

Comment cela se passe t-il au front ? Donne-nous des nouvelles et soulage ton cœur. J'espère que tu nous répondras très vite. J'ai peur de te perdre tout comme j'ai perdu mon frère, alors fais-nous signe, je t’en prie.

Ta femme et ta famille qui t'aiment beaucoup.

Béatrice

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Lundi 20 décembre 1916

à Verdun

Chère Béatrice, Chère famille,

J'ai pris quelques minutes pour vous répondre, c’est important car la guerre ne s'arrête jamais.

Là où je suis , c'est un enfer. J'arrive à survivre, même si la bectance comme on dit ici est horrible, et les ratas infectes. Je vois la couleur du sang partout. Chaque jour, plusieurs de mes camarades tombent sous les boîtes aux lettre des Boches.

Je sais que cette phrase risque d‘être censurée mais ne crois surtout pas ce que disent les affiches : elles mentent et je dis vrai. Le front est une vraie boucherie. Le gouvernement et tous les politiciens ne savent pas les horreurs de la guerre. Ils sont en sécurité derrière leurs bureaux et ils nous manipulent. Cela finira-t-il un jour ?

Je suis navré d'apprendre le décès d'Amandine par lettre, c’était une bonne amie. Je me demande aussi comment ton père arrive à se regarder chaque jour dans le miroir avec sa gueule cassée. Il doit revoir sans cesse, dès qu'il ferme les yeux, ses camarades tomber au front. C’est horrible, mais il est en vie … et j’aimerais moi aussi pouvoir revenir auprès de vous, même amoché. Dis-le aux enfants, je tiens bon !

Je vous embrasse tous bien fort. Continuez à m’écrire, cela me réconforte.

Jacques

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Le 9 décembre 1916

A Paris

Mon cher Papa,

Nous sommes le 9 décembre 1916. Voilà maintenant deux ans que tu nous quittés, et plus d'un an que tu ne réponds plus à nos lettres. Plus d'un an que j'espère ton retour à la maison.

Je fais des cauchemars sans toi. On est tous inquiets. A l'arrière la vie est dure sans toi. Maman se lève à l'aube pour aller aux champs ou à l'usine pour te remplacer. Chaque soir, elle s'enferme dans la chambre pour se vider de ses larmes. Elle persiste à me dire qu'il est inutile de t'écrire, que tu dois être tombé au combat, mais je ne le crois pas et je t'écris encore. Ecris-moi !!! Dis-moi que tu es en vie. Raconte-moi les combats. Même si c’est horrible, je serai un peu avec toi comme ça.

Je t'aime Papa !

Ton fils

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Le 17 février 1917

à Verdun

Mon cher Fils, Ma chère famille,

Me voilà ! Cela fait à peine deux semaines que je me suis échappé, et je peux enfin vous répondre. Cela fait plus d'un an que je vis de torture et d'emprisonnement dans le camp des Allemands. Voilà la raison pour laquelle je n'ai pas répondu à vos lettres .

Un soir j'ai été désigné pour réparer les « séchoirs » comme on dit au front, les barbelés de première ligne, et malheureusement les Boches m’ont capturé. Pendant plus d’un an, ils m’ont nourri avec du pain dur et un misérable verre d’eau en espérant obtenir des informations. Jour et nuit la torture est revenue, si bien qu’elle est devenue mon quotidien. Je ne connaissais que cela. Ils me brulaient la peau, me battaient, essayaient de me noyer. Au bout d’un an et demi, le miracle auquel je ne croyais plus s’ est produit. Ce jour-là, nous étions le 3 février 1917. Les Français ont décidé de bombarder le lieu où je me trouvais et j’ai réussi à m’évader de la pièce dans laquelle j’étais enfermé. C’était le chaos général, mais les obus des Français ont démoli les tranchées allemandes tout en m’épargnant. J’ai traversé le no man’s land sans penser un moment que j’allais m’en sortir vivant, mais j’avançais, poussé par l’instinct de survie. Après être tombé plusieurs fois, après avoir vu des dizaines et des milliers de cadavres, je suis enfin arrivé à la première ligne de mon camp d’origine. J’ai trébuché dans la première tranchée française, me croyant sauvé… En me relevant, j’ai vu mes camarades de première ligne pointer leurs armes sur moi ! Ils me prenaient pour un espion. Ils m’ont transporté à l’arrière. Le Général m’a questionné sur mon retour dans mon camp. Pendant plusieurs jours, il m’a interrogé. Ce sont vos lettres qui ont fait la différence en montrant que je n’étais pas un espion allemand, mais plutôt un soldat français en première ligne qui avait disparu des rangs. Après plusieurs journées, pour tout remettre en ordre, j’ai pu enfin répondre à vos nombreuses lettres.

C’est avec un énorme plaisir que je vous annonce que je rentre désormais à la maison. J’ai obtenu une permission de plusieurs semaines après avoir passé des tests physiques et psychologiques.

A très vite,

Michel.

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Le 8 Décembre 1916

A Vincennes

Mon cher papa,

Comment vas-tu ? Cela fait déjà trois ans que tu n'es plus là. Le temps passe si lentement ! Quand auras-tu ta permission ?

Ici, je me lève tous les matins très tôt pour aller à l'école. On y apprend les trajectoires des obus, comment sont habillés les alliés et les ennemis. Sur le mur, la carte du front est affichée pour suivre l'avancée des combats. Pour tout te dire cela m'ennuie mortellement. Il m'arrive parfois de faire l'école buissonnière. Mes émotions, je ne peux les exprimer : elles sont comme des oiseaux enfermés dans une cage. Si je les libère, l'instituteur me frappera aux doigts car il faut rester mobilisé pour les soldats. Augustine en a fait l’amère expérience. Mais son courage et sa détermination m'ont fait prendre conscience qu'il n'y avait pas que moi dans le même pétrin, et je l'admire. Elle a tout simplement dit tout haut ce que les gens pensent tout bas. Personnellement, je ne joue plus avec autant d'entrain que d'habitude. Mais je m'amuse quand même avec ce qu'on a : des châtaignes et des noix. Cela m'aide à oublier que nous sommes en tant de guerre, j'oublie le présent, le passé et je ne pense pas au futur ; je savoure simplement l'instant.

Quant à maman, cela fait longtemps que je ne l'ai plus vu rire aux éclats, elle qui d'habitude est d'humeur très joyeuse comme tu le sais. Les rares fois où elle prononce des mots c'est pour parler travail. Cependant, même si je lis dans ses yeux de la tristesse, je vois aussi de l'espoir, un espoir de paix. Maman travaille très dur à l'usine pour fabriquer des armes et des obus. Ses pauvres mains sont dans un état pitoyable.

En ville, sans hommes dans les boucheries, les boulangeries et les épiceries, cela fait tout drôle.

Dans les journaux, on ne raconte que des mensonges sur la guerre. Même parfois dans certaines de tes lettres : il y a des passages censurés en blanc et c'est écrit "CE PASSAGE A ÉTÉ CENSURE PAR LE MINISTRE DE L'INTERIEUR". Qu'est-ce que cela peut m'énerver ! Parfois, quand je suis seul, dans mon lit le soir, je pense aux personnes qui ont engendré cette guerre, on ne les voit pas, on n'en parle pas, elles ne se mouillent pas. Ont-elles pensé à tout cela ? Au mal qu'elles allaient nous faire endurer ?

Bref, voilà ma lettre finie. J'espère que cela t'amuse toujours de compter le nombre de soldats en turban. Entends-tu de la musique dans les tranchées ? As-tu du temps libre entre les assauts pour te distraire ? J'espère de tout cœur que tu vas bien, reviens-nous vite !

Force à toi ! Je t'embrasse ainsi que Maman. A bientôt.

Albert

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Le 16 Mars 1917

Au Front

Mon cher fils,

Voilà une réponse à ta lettre, en effet j'ai bien reçu la dernière qui me donnait de vos nouvelles. Merci de penser à moi.

Au front, la vie est très rude. Tu ne peux imaginer à quel point ! Cela dépasse l'imagination et la raison. Sache que si je ne l’avais pas vu de mes propres yeux, je n'y aurais pas cru …

Ici on a très peu de temps pour manger, boire et dormir. Du moins on n'y arrive pas.

Les repas sont à peine mangeables : de la soupe, des macaronis et un petit morceau de viande qui équivaut à une bouchée. C’est dur de combattre le ventre vide. Je compte sur vous pour m'envoyer de la confiture et des pâtisseries. Des rumeurs racontent que les Boches mangent mieux que nous….

Quant au repos, il se fait très rare : à peine une ou deux heures à cause des obus qui tombent à nos côtés. J'ai complétement oublié ce que cela fait de dormir sur ses deux oreilles.

Dans les tranchées, les conditions d’hygiène sont affreuses. Entre les totos, la boue, les rats, c’est un vrai cauchemar !

Mais ce n’est rien à côté de la mort qui rôde. L'autre jour, j'ai dormi à côté d'un des cadavres de mes anciens camarades. Je le regardais sans cesse dans les yeux, il me guettait. La mort me guettait. Cette longue nuit m’a fait comprendre qu'aujourd'hui je suis un soldat, mais demain je serai peut-être une épave, un cadavre, rien... Ici la mort est comme une épée au-dessus de nos têtes, elle peut tomber à tout moment. Elle ne te laisse pas dire au revoir et ne prévient pas.

Hier, de nouveaux soldats sont arrivés, on les appelle les dames de fer. Ça peut te paraître étrange mais ils ont une sorte de jupe et un long manteau. Ils ont réussi à me donner le sourire aux lèvres. En cette période de flou, de désespoir, de noirceur, de ténèbres … . Mirabeau disait "La mort est plus douce que la perte de tout espoir", mais je préfère espérer encore. Pour vous revoir.

Continuez à m’envoyer des lettres et des colis, ça aussi ça me redonne le sourire et me réconforte. Je vous aime tendrement.

Je reviendrai....

Soldat n°4589 Nicolas Durant

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Le 3 décembre 1917,

à Narbonne.

Mon cher Léon,

Je t’écris ces quelques mots pour prendre de tes nouvelles et savoir où en est cette guerre qui dure depuis si longtemps.

J'ai peur qu'il t'arrive malheur. Tu me manques terriblement. Comment vas-tu? Comment se passe la vie au front? Penses-tu à moi et aux enfants? Je me pose des millions de questions. Cette nuit, j'ai rêvé qu'il t'était arrivé malheur. Nos enfants m'ont vu pleurer dans la cuisine. Tu sais, ils se font beaucoup de souci pour toi. Ils me demandent sans cesse des nouvelles, et espèrent que tu reviendras vite.

Le travail aux champs est plus difficile. Je suis si fatiguée. Je n'ai même plus le temps de jouer avec nos enfants. Les seules fois où je leur parle, c’est pour leur demander de l'aide aux champs. Avec tout le travail que je fournis, je ne m'occupe même plus de moi. Tu ne me reconnaîtrais pas, mon Amour.

Je reste forte mais juste en pensant à toi, je fonds en larmes. Maintenant, je passe mes nuits à pleurer, à penser aux bons moments passés avant que tu partes, à nos souvenirs de vie de famille, à nos sorties le dimanche après-midi ! J’essaie d’éviter de réfléchir à un futur sans toi, à la vie de nos deux fils si la guerre ne s’arrête pas rapidement. Devront-ils eux aussi y aller? Le fils de Monsieur Charles est rentré amputé de la guerre. Le pauvre, il n'ose plus sortir de chez lui, ses béquilles l'handicapent tellement. Pour ma part, même si tu rentrais comme ça, je serais extrêmement heureuse de te revoir et j'en oublierais ton handicap.

En espérant que tu me répondes au plus vite, je t’aime à en mourir.

Paulette

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Le 23 décembre 1917,

à Verdun.

Ma chère Paulette,

Je tiens à te rassurer, je suis en vie. Je pense très fort à toi et à nos enfants. Je viens de recevoir la lettre que tu m'as envoyée. Elle m'a beaucoup touché. Dans deux jours c'est Noël, et pour la seconde fois nous ne serons pas réuni en famille.

La guerre est très dure. Nous sommes entourés de morts, j’espère m’en sortir et vous retrouver au plus tôt. Quoi qu’il arrive, je serai là, pour toujours, dans vos cœurs et votre mémoire.

Hier, Marcel a été abattu par un Boche alors qu'il allait arranger les séchoirs. Jean, Charles , Albert et Louis ont déserté le combat, il y a presque deux mois. On est sans nouvelles d'eux, on a peur qu'ils se soient fait abattre par les Boches ou par les gradés qui les auraient retrouvés alors qu'ils étaient en fuite. On espère qu'ils ont rejoint leurs familles et qu'ils n'ont pas trop d'ennuis. La semaine dernière j'ai trouvé dans le lit de Charles, l'un des déserteurs, son barda et ses grolles. J'ai fondu en larmes car je me suis demandé si je pourrais un jour les revoir.

La bectance que nous mangeons la plupart du temps s'apparente à du singe. Les tirs de boîte aux lettres et de lebel sont en permanence. Je dors très mal. Je suis obligé de me saouler au pinard pour espérer dormir plus de deux heures par nuit ; et surtout si je m’écoutais, je déserterais à mon tour, pour vous rejoindre et vous serrer dans mes bras. En buvant mon jus, il m'arrive de rêver à la fin de cette guerre, et d’imaginer nos retrouvailles. Tout le monde est infecté de totos, je me gratte jusqu'au sang. Ma douce si tu me voyais toi aussi, tu ne me reconnaîtrais pas non plus.

J’espère que les gradés me donneront prochainement une perme pour me ressourcer auprès de vous, revoir nos si beaux enfants et toute notre famille réunie.

J’espère que tu me répondras au plus vite, car vous restez ma raison de vivre,

Léon

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