conversation avec raoul vaneigem

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  • 8/16/2019 Conversation avec Raoul Vaneigem

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    CONVERSATION (extraits)

    Raoul Vaneigem, Septembre 2009

    Nous assistons à l’effondrement du capitalismenancier. C’était aisément prévisible. Mêmeparmi les économistes, où se rencontrent plusde crétins encore que dans la sphère politique,certains tiraient la sonnette d’alarme depuisune dizaine d’années. Nous sommes dans unesituation paradoxale : jamais, en Europe, lepouvoir répressif n’a été aussi affaibli, et jamaisla passivité des masses exploitées n’a été aussigrande.Mais la conscience insurrectionnelle ne dort ja-mais que d’un oeil. L’arrogance, l’incompétenceet l’impuissance des gouvernants niront bienpar l’éveiller, tout autant que le cheminement,dans les consciences et dans les moeurs, de cequ’il y eut de plus radical en mai 1968.Nous sommes en guerre, oui, mais ce n’est pas

    une guerre économique, c’est une guerre mon-diale contre l’économie. A la fois contre cellequi, depuis des millénaires, est fondée sur l’ex-ploitation de la nature et de l’homme et contreun capitalisme rastolé qui va tenter de se sau-ver en investissant dans les énergies naturelleset en nous faisant payer très cher ce qui unefois les nouveaux moyens de production créésest gratuit, comme le vent, le soleil, la puissan-ce végétale et tellurique. Si nous ne sortons pasde la réalité économique en créant une réalitéhumaine, nous permettrons, une fois de plus, àla barbarie marchande de se perpétuer.

    La moralisation du prot est un leurre et uneimposture. Il faut rompre résolument avec unsystème économique qui a toujours propagé laruine et la destruction sous couvert d’apporterà l’homme un bienêtre aléatoire dans le mal-heur constant. Il faut que les relations humai-nes supplantent les relations commerciales etles annulent. La désobéissance civile consisteà passer outre aux décisions d’un État escro-quant les citoyens pour renouer les escroque-ries du capitalisme nancier. Pourquoi payer àl’Étatbankster des impôts destinés vainement àcombler le gouffre des malversations alors que

    nous pouvons les affecter dans chaque collec-tivité locale à l’autonancement des énergiesgratuites?La démocratie directe des assemblées auto-gérées est en droit d’ignorer les diktats de ladémocratie parlementaire corrompue. La déso-béissance civile envers un État qui nous spolieest un droit. À nous de tirer parti de la muta-tion en cours pour constituer des collectivitésoù le désir de vivre l’emporte sur la tyranniede l’argent et du pouvoir. Nous n’avons à noussoucier ni d’une dette étatique qui couvre unegigantesque escroquerie du bien public, ni de ce

    mécanisme de prot que l’on appelle la «crois-sance».Désormais, l’objectif des collectivités localesdoit être de produire pour ellesmêmes et par el-lesmêmes les biens d’utilité sociale, répondant

    aux besoins de tous, à des besoins authenti-ques, non aux besoins préfabriqués par la pro-pagande consumériste.La crise des années 30 était une crise économi-que. Celle à laquelle nous sommes confrontésest une implosion de l’économie, en tant quesystème de gestion. C’est l’effondrement de lacivilisation marchande et l’émergence d’une civi-lisation humaine. Nous sommes dans le troubled’une mutation où les repères du vieux mondepatriarcal disparaissent, alors qu’apparaissent àpeine et dans une grande confusion les jalonsd’un style de vie véritablement humain et unealliance avec la nature, mettant n à son exploi-tation, à son pillage, à son viol.Le pire serait l’absence de conscience du vivant,le manque d’intelligence sensible, la violencesans conscience, car rien n’est plus protableaux maas affairistes que le chaos, le désespoir,la révolte suicidaire et ce nihilisme que propagela cupidité mercantile où l’argent, jusque danssa dévaluation précipitée, s’impose comme laseule valeur.

    J’ignore combien de temps prendra la mutationen cours (le moins longtemps possible, j’espè-re, car j’aimerais y assister). Je ne doute pas,en revanche, que la nouvelle alliance avec lesforces de la vie et de la nature propage l’égalitéet la gratuité. Il faut aller audelà de l’indigna-tion que provoque l’appropriation marchandede l’eau, de l’air, de la terre, de l’environne-ment, des végétaux, des animaux, et mettreen oeuvre des collectifs capables de gérer lesressources naturelles au prot des intérêtshumains et non marchands. Ce mouvementde réappropriation prévisible a un nom. C’est

    l’autogestion, une expérience maintes fois es-quissée dans uni contexte historique hostile, etqui apparaît désormais, en raison de l’implosionde la société marchande, comme la seule solu-tion individuelle et sociale.Aucun dialogue n’est possible ni souhaitableavec le pouvoir. Celuici a toujours agi unilatéra-lement, en organisant le chaos, en propageantla peur, en emprisonnant les individus et les col-lectivités dans un repli égoïste et aveugle. Nousallons, par la force des choses, réinventer desréseaux solidaires, des assemblées d’interven-tion en faveur de tous et de chacun, passant

    outre aux diktats de l’État et de ses hiérarchiespolitico maeuses. La voix de la poésie vécueva balayer les derniers échos du discours où lesmots sont à la solde du prot.Le temps de l’écoulement, de l’usure, de la fati-gue, du dépérissement est un temps déterminépar l’activité laborieuse qui, régnant sur toutesles autres, les corrompt. Le temps du désir, del’amour, de la création a une densité qui romptavec le temps de la survie, rythmée par le tra-vail. Au temps identié à l’argent va succéderun temps du désir, un audelà du miroir, où com-mencent des territoires inexplorés.

    Je ne suis ni pessimiste, ni optimiste. Je tentede rester dèle à un principe: désirer tout, nerien attendre.«Le désir d’une vie autre est déjà cette vie là.»

  • 8/16/2019 Conversation avec Raoul Vaneigem

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