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Page 1: Contribution à l’histoire de la psychothérapie Pierre JANET

Contribution à l’histoire de la psychothérapie : Pierre JANET (1859-1947)et la méthode de « substitution des images »

Philippe GROSBOIS

maître de conférences en psychopathologie, anthropologue de la santé, Institut de Psychologie et Sociologie Appliquées, Université Catholique de l’Ouest – Angers (France), Equipe d’Accueil 4050 (Rennes-Poitiers-Brest-Angers), Laboratoire de Recherches en Psychopathologie « Nouveaux symptômes et lien social », [email protected]

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RésuméDans le cadre d’un historique consacré aux pratiques psychothérapiques faisant appel aux images mentales, l’auteur évoque le procédé de « substitution des images » utilisé par Pierre JANET. Celui-ci décrit en effet cette pratique clinique dans « Névroses et idées fixes » (1898) et dans « Les médications psychologiques » (1919). Si JANET considère ce procédé comme entretenant des liens étroits avec la pratique de l’hypnose, il peut être considéré comme le précurseur de certaines thérapies cognitives. L’ « automatisme psychologique » décrit par JANET contient en effet de nombreuses images motrices et sensorielles que ce dernier retrouve en particulier dans les cauchemars des hystériques ainsi que dans le phénomène des personnalités multiples. BENOIT et BERTA considèrent cette pratique clinique comme entrant dans le cadre de ce qu’ils nomment une « activation psychothérapique » représentant de véritables séances cathartiques.

Mots-clésCatharsis, hypnose, imagerie mentale, psychothérapie.

Contribution to the history of psychotherapy : Pierre JANET (1859-1947) and the method of images substitution

AbstractIn the scope of the history of psychotherapic practices calling for mental images, the author mentions the process of « images substitution » used by Pierre JANET who describes his clinical practice in « Neurosis and obsessions » (1898) and in « The psychological medications » (1919). If JANET considers this method in close contact with hypnosis, it may be regarded as a forerunner of some cognitive therapies. In fact the « psychological automatism » described by JANET contains many motor and sensory images recognized by him in the nightmares of the hysterical people and in the phenomena of multiple personalities.BENOIT and BERTA consider this clinical practice as a « psychotherapic activation » leading to true catharsis. MARCHAIS emphasizes that the awareness of subconscious images allow to exteriorize traumatic emotions and to free oneself by an emotional catharsis. So the images become a study material for the patient as well as for the therapist who tries to identify their meaning and their function with the patient help.JANET recommends an analisis approach of mental images which present analogies with FREUD approach about hypnic dreams : to search associative links which determine what he calls a neurotic obsession (as did FREUD with the unconscious mechanisms of condensation and displacement).

Key-wordsCatharsis, hypnosis, mental imagery, psychotherapy.

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Quel est le rapport de l’image mentale à l’affect ? Les images mentales sont prises en compte depuis longtemps dans les investigations cliniques, notamment dans le champ psychanalytique, mais le développement des techniques psychothérapeutiques fondées sur l’imagerie est relativement récent. Quel est l’intérêt de l’utilisation de l’imagerie mentale en ce domaine ? Michel DENIS le résume ainsi :

Les avantages attribués à l’imagerie, en ce domaine, tiennent tout d’abord à la valeur émotionnelle des images et au fait que, bien souvent, les affects qu’elles expriment ne sont pas directement accessibles à l’expression verbale. En outre, l’imagerie paraît être un moyen d’accès privilégié à la mémoire des périodes précoces de la vie, antérieures à l’installation du langage ou, tout au moins, à sa prédominance. Enfin, l’hypothèse est souvent faite que l’imagerie, comparée au langage rationnel, est une expression plus directe des aspects non conscients du psychisme humain. [9]

DENIS, à propos de l’image dans la vie émotionnelle, ajoute qu’il est classique de distinguer, dans le champ de l’imagerie mentale, les formes actives et volontaires et les formes plus autonomes, moins contrôlées de cette activité. La plus remarquable est selon lui l’imagerie du rêve, mais il existe également, dans la vie diurne, des circonstances où des évocations imaginatives surviennent et se développent chez un individu sans être sous-tendues par une exigence cognitive précise. C’est le cas de la rêverie et, en général, de toutes les formes ludiques de l’activité imaginative, que recouvre en partie la notion de « fantaisie ». Ces formes spontanées de l’imagerie, souvent involontaires, possèdent, plus que d’autres, une charge émotionnelle importante, car elles ont souvent pour objet d’évoquer des évènements dont la résonance affective n’est pas neutre :

L’analyse introspective donne l’occasion de constater que bien des images mentales sont pourvues d’une riche valeur affective. Ceci vaut notamment pour les images issues des expériences précoces de l’enfance , mais aussi pour certaines images de l’âge adulte, marquées d’une forte charge émotionnelle. Ainsi la perception de scènes traumatisantes peut être la source d’activités imaginatives ultérieures restituant avec intensité l’émotion originale, et auxquelles l’individu a bien du mal à se soustraire…/…[9]

En matière d’imagerie onirique, DENIS distingue l’activité imaginaire hypnoïde, qui apparaît dans les états de sommeil artificiel tels que l’hypnose, et l’activité imaginaire hyponoïde, processus de création imaginative auquel peut se livrer, à l’état de veille, un sujet plus ou moins déconnecté de la réalité extérieure, présentant notamment un abaissement de la vigilance défini par des caractéristiques électro-encéphalographiques (il renvoie aux travaux de Frétigny et Virel, 1968).

MARCHAIS, quant à lui, souligne les liens étroits entre image mentale, perception et affect : l’imagerie mentale participe, selon ce dernier, à la thématique des troubles mentaux et reste le reflet de la vie émotionnelle des patients. Il la considère comme directement liée aux processus analogiques qui contribuent au développement de la pathologie mentale. MARCHAIS précise en outre que l’imagerie mentale se crée à l’aide d’éléments psychosensoriels primaires pour traduire un vécu affectif; elle présente de ce fait une signification personnelle pour chaque individu.

L’image mentale, en tant que reconstruction d’un objet, d’un être, d’une situation, d’un événement vécu, implique pour le sujet, d’après MARCHAIS, une analogie plus ou moins étroite avec l’apparence des phénomènes concernés ou la charge affective dont ils ont été

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investis. L’analogie impliquée est ainsi liée à des facteurs psychosensoriels en rapport avec les perceptions et à des significations affectives. Les processus analogiques jouent donc pour MARCHAIS un rôle tant dans la formation de l’image que dans le développement des troubles mentaux. [15]

MARCHAIS, à propos de l’utilisation psychothérapique des propriétés de l’image mentale, précise par ailleurs que l’étude de l’image permet d’aboutir à trois constatations directement utilisables sur le plan psychothérapique [14] :

1 – Etant donné les rapports de l’image avec la charge émotionnelle de l’événement vécu, les prises de conscience par le patient d’images devenues subconscientes lui permettent d’extérioriser les émotions traumatisantes et de s’en libérer par la catharsis émotionnelle.

L’actualisation consciente par le patient de ses émotions passées lui permet ainsi de les apprécier différemment et par la suite de les rendre moins traumatisantes. Le patient pourra mieux réagir devant sa névrose grâce à une libération ou une meilleure reviviscence de ses charges émotionnelles traumatisantes passées.

2 – Une image chargée d’une émotion rassurante peut modifier l’action pathogène d’une autre image chargée d’une émotion angoissante si le patient parvient à les associer. 3 – La pensée, en s’éloignant de l’image, se libère progressivement de la charge émotionnelle liée à cette image et ce phénomène peut avoir un effet thérapeutique.

Pour MARCHAIS, ceci permet donc au thérapeute de mieux faire comprendre au patient ses mécanismes névrotiques. Dans cette perspective, l’image devient un matériel d’étude tant pour le patient qui l’exprime que pour le thérapeute qui essaie d’en dégager la signification et le rôle avec l’aide de son patient.

C’est Pierre JANET qui ouvre la voie de l’utilisation psychothérapeutique des images mentales ; dès 1898, il souligne l’intérêt psychologique des rêveries en évoquant à la fois leur signification possible et leur action psychique souterraine :

Il y aurait, je crois, toute une étude psychologique des plus curieuses à faire sur cette rêverie intérieure et continuelle qui joue chez beaucoup d’hommes un rôle considérable. On pourrait étudier le contenu de ces rêveries ; on y verrait quelquefois de curieux travaux psychologiques qui s’effectuent en nous à notre insu. C’est grâce à ce travail subconscient que nous trouvons tout résolus des problèmes que peu de temps auparavant nous ne comprenions pas. [13]

Il préconise une démarche d’analyse des images mentales qui présente des analogies avec celle que FREUD utilisera plus tard à propos des rêves hypniques, à savoir la recherche des chaînons associatifs qui déterminent ce qu’il appelle une idée fixe névrotique (il ne les désigne pas ainsi mais son travail montre qu’il aborde ces « idées fixes » de la même manière que FREUD abordera le rêve en faisant appel aux mécanismes de condensation et de déplacement) :

Une autre remarque importante, c’est qu’il faut atteindre l’idée ou l’image fondamentale, celle qui est le point de départ du délire. Cela n’est pas toujours facile à reconnaître car bien souvent le médecin ne se trouve en face que des idées fixes secondaires qui dérivent de la première par une série d’associations plus ou moins compliquées. [13]

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Il insiste sur la nécessité, pour guérir certains troubles, d’atteindre l’idée ou l’image fondamentale qui est le point de départ de ce qu’il appelle le « délire ». Il cite le cas d’un patient ayant le tic de souffler et il montre comment le processus thérapeutique peut avoir lieu dans la mesure où il s’adresse non pas au tic lui-même mais au souvenir persistant d’un « certain saignement de nez qui avait eu lieu dans des circonstances particulières et qui l’avait beaucoup affecté. Ce souvenir effacé, le tic disparaissait tout naturellement. »

JANET met ainsi au point le procédé de la substitution des images :Dans mon dernier travail sur l’histoire d’une idée fixe, j’ai montré comment on pouvait parvenir approximativement à ce résultat par le procédé de la dissociation des idées et par celui de la substitution. Une idée, un souvenir peut être considéré comme un système d’images que l’on peut détruire, en séparant ses éléments, en les altérant isolément, en substituant dans le composé telle ou telle image partielle à celles qui existaient. Je ne puis ici revenir sur l’étude de ces procédés, je rappelle seulement qu’ils furent de nouveau appliqués à l’idée fixe de cet intéressant malade. Le souvenir de sa faute fut transformé de toute manière grâce à des hallucinations suggérées. Enfin, la femme même d’Achille, évoquée par hallucination au moment convenable, vint accorder un pardon complet à cet époux plus infortuné que coupable. [13]

JANET revient sur cette pratique dans ses « Médications psychologiques » en 1918 :Le plus souvent, j’ai dû renoncer à la simple suggestion négative et j’ai été amené à compliquer un peu l’opération de la suggestion. J’ai considéré un souvenir et en particulier une idée fixe comme une construction, un système composé d’une foule de phénomènes psychologiques associés les uns avec les autres. Les éléments sont quelques tableaux visuels, des images empruntées à différent sens, un petit nombre de tendances motrices et surtout des phrases, des mots. Ce sont les mots qui incarnent souvent l’idée fixe et qui servent souvent à évoquer tout le reste. J’ai cherché à décomposer ce système en le démolissant pour ainsi dire pierre par pierre : c’est ce que j’ai appelé la dissociation de l’idée fixe. Dans une étude à laquelle je renvoie sur la dissociation de l’idée fixe de choléra, j’ai dû supprimer peu à peu le son des cloches, la vision des cadavres, leur odeur, puis le nom même de choléra qui constituaient les éléments de cette idée fixe. Parfois, je me trouvais bien d’utiliser une sorte de substitution en transformant par des hallucinations provoquées les scènes que le sujet avait devant les yeux. Le travail a été long et difficile mais je suis parvenu à faire disparaître une idée fixe hallucinatoire qui persistait chez la malade depuis plus de vingt ans. Je signalais également à ce propos les heureux résultats qui ont été obtenus par la dissociation de certains rêves qui déterminaient chez deux jeunes filles des incontinences d’urine nocturnes extrêmement tenaces. [12]

Nous qualifierions aujourd’hui sans doute Pierre JANET de précurseur des thérapies cognitives :

J’ai déjà publié ailleurs le traitement curieux de V.Z., femme de 28 ans, qui présentait un grand délire hystérique à la suite d’une déception amoureuse et qui guérit rapidement quand une suggestion irrespectueuse eut gratifié l’image du bien-aimé d’un groin répugnant. En résumé, je retrouve dans mes notes 26 observations dans lesquelles ce procédé de la dissociation des souvenirs a donné de bons résultats. [12]

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JANET émet cependant des réserves sur ce procédé dans la mesure où il estimait qu’il ne pouvait réussir que chez des hystériques très suggestibles. Il emploie par ailleurs un autre procédé emprunté au champ de la divination, la « cristal-vision » : il proposait en effet à certains patients de fixer une boule de cristal, ceux-ci voyant des images y apparaître :

Cette divination qui avait lieu dans l’Antiquité et dans le Moyen-Âge, vous pouvez encore la faire aujourd’hui, nous pouvons la pratiquer ensemble. Les appareils qu’elle demande ne sont pas bien compliqués et ils sont à portée de tout le monde. On opère tout simplement avec un miroir quelconque ou mieux avec une simple boule de cristal. [13]

Ce procédé, utilisé dans une perspective occultiste et plus tard parapsychologique - auquel s’intéressera Alfred BINET dans l’étude de l’intelligence et plus tard Robert DESOILLE aux débuts de sa pratique du rêve éveillé dirigé en reprenant les travaux de l’occultiste Eugène CASLANT – est l’occasion pour JANET de souligner la prégnance des images mentales ainsi que leur spontanéité :

Certaines d’entre elles (des personnes, ndlr) s’éloignent même de la boule pour aller chercher une loupe; à leur retour, elles retrouvent le même spectacle, le regardent avec la loupe et voient les images se développer et les détails apparaître de plus en plus nets. Quelquefois même, certaines personnes arrivent sans loupe au même résultat: elles voient les images se développer spontanément, envahir tout l’espace qui est devant elles. J’ai même vu une personne qui pouvait faire sortir ces images de la boule, les objectiver sur un papier et suivre sur ce papier, avec un crayon, le dessin de son hallucination. [13]

JANET mentionne également le caractère inconnu par le patient de ces images ainsi que leur aspect involontaire et inconscient. Tout en caractérisant ces images comme liées à des souvenirs d’origine ignorée, il met en avant leur aspect involontaire, vécu souvent comme merveilleux et surprenant, et souligne l’intérêt présenté par la rêverie intérieure et continuelle :

Ces phénomènes qui existent souvent chez l’homme normal prennent une importance extraordinaire chez le malade. Dès que, pour une cause quelconque, accidentelle ou permanente, l’esprit s’affaiblit un peu, on voit ces rêveries automatiques grandir démesurément et prendre des caractères beaucoup plus nets. Elles deviennent tout à fait involontaires et l’homme est obligé de les subir sans pouvoir ni les arrêter ni les modifier; elles deviennent plus nettement subconscientes et laissent des souvenirs bien plus incomplets ou même ne s’accompagnent d’aucune conscience personnelle ni d’aucun souvenir. [13]

Cette remarque pose la question de la conception des effets thérapeutiques de l’imagerie mentale lorsque cette imagerie onirique vécue par le patient ne fait pas l’objet par celui-ci d’un récit ni d’une analyse dans le cadre de la relation psychothérapique. Certains auteurs considèrent en effet que le processus d’imagerie a des vertus psychothérapeutiques en soi, sans qu’une verbalisation ne soit nécessaire [16]. JANET s’est intéressé aux manifestations oniriques en lien avec une pathologie mentale (en particulier l’hystérie), il situe les effets cathartiques ou résolutoires de sa pratique clinique du côté de la suggestion hypnotique, cette dernière étant à resituer dans le contexte des travaux du XIXe siècle sur le somnambulisme, ceux de CHARCOT sur le caractère psychogène de l’hystérie et de BERNHEIM sur le rôle de la suggestion dans l’induction de la transe hypnotique et ceux de FREUD qui définira les notions de catharsis et d’abréaction après ses séjours auprès de CHARCOT et BERNHEIM, avant son abandon de l’hypnose et sa séparation d’avec BREUER suite au développement de

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sa théorie sexuelle des névroses. Il faudra attendre les années 1920-1930 pour que des praticiens commencent à distinguer ce que les onirothérapeutes désignent par l’expression « niveaux de vigilance », différenciant ainsi les états hyponoïdes des états hypnotiques ainsi que les niveaux de vigilance des états de conscience [17] :

Sur le plan électroencéphalographique, les états de vigilance obtenus sont assez proches de ceux qu’on observe dans l’hypnose ou le training autogène: même état de détente psychosensorielle avec rythme alpha abondant, même état intermédiaire entre la veille et la somnolence, et assez proche d’elle. Sur le plan des modalités de conscience, l’imagerie mentale présente par contre un aspect très original, différent de ceux qu’on observe dans l’hypnose ou le training: imagerie intense, riche et colorée, verbalisation immédiate de cet onirisme, conservation d’un contact avec le psychothérapeute, intégration immédiate de ses observations qui sont rarement vécues comme extérieures, participation active à la séance (à l’opposé de ce qu’on observe dans l’hypnose où le sujet est passif ). [10]

BENOIT souligne à ce propos les rapports étroits de JANET avec la pratique de l’hypnose : « Pierre Janet continuait à trouver dans l’hypnose une voie d’exploration clinique et de traitement des états hystériques dont il avait, bien des années auparavant, fait déjà une des bases de ses grandes synthèses psychopathologiques. » [3]

BENOIT et BERTA, participant dans les années 1970 à la réhabilitation des travaux de JANET et à leur réédition dans le cadre de la Société de Recherches Psychothérapiques de Langue Française, résument ainsi la contribution de ce dernier au développement de l’hypnose dans ses aspects exploratoire et thérapeutique :

Un autre mode d’intervention psychothérapique précoce fut constitué par « l’utilisation de l’automatisme » et plus particulièrement de l’hypnose. P. Janet est resté longtemps fidèle aux possibilités d’exploration et de modifications psychologiques que comporte l’état hypnotique. La suggestibilité des hystériques a fondé ce qui fut « le premier traitement psychologique précis ». Ici la suggestion s’appuie sur la possibilité d’une modification du niveau de conscience qui, dans le rapport hypnotique avec le thérapeute, lève les barrières de l’amnésie ou permet la réduction temporaire des symptômes. Telle est la méthode expérimentale qui, par une modification artificielle du niveau de conscience, a permis à P. Janet une véritable expérimentation psychologique, à visée à la fois exploratrice et thérapeutique. [5, 6]

BENOIT et BERTA soulignent que les souvenirs traumatiques les plus importants, ayant laissé des difficultés manifestes, ne sont pas toujours bien connus par le sujet lui-même, ni exprimés clairement. Les symptômes ou les manifestations oniriques qui subsistent, lorsqu’ils peuvent être rattachés à un tel événement, bénéficieront, selon l’expression de JANET, d’une « désinfection mentale par la dissociation des souvenirs traumatiques ». JANET donne de nombreux exemples de ces malades « accrochés » à un obstacle intime qu’ils ne peuvent franchir, évènement ou émotion « non assimilés » dont il faut rechercher la « liquidation » et son effet positif sur l’adaptation. « Réintégration dans la conscience », « dissociation des réminiscences pathogènes », « assimilation du passé » sont les éléments des séances cathartiques de JANET. Elles aboutissent à une mutation du régime psychique que P. Janet rattachait au processus général d’excitation - supposé par les auteurs équivalent au principe de plaisir freudien. Les tendances latentes ainsi entraînées drainent l’ensemble des

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énergies disponibles et portent des conduites difficiles à leur niveau de réalisation et de succès.

Dans leur recherche commune sur ce qu’ils nomment « l’activation psychothérapique », terme qui désigne selon eux « à la fois l’idée d’incitation donnée par le thérapeute au patient et la levée d’inhibitions internes chez l’un comme chez l’autre » – qui s’emploie à travers différentes techniques et implique donc une certaine diversité de points de vue théorique face au même patient – ils consacrent un chapitre aux « cures psychothérapiques au plan de l’image (le niveau imagogique) », en soulignant que si nous sommes tentés de réduire l’image à l’image visuelle, le niveau du rêve est aussi celui des synesthésies, intégrant la cœnesthésie, la kinesthésie, l’auditif, outre le verbal et le sexuel. Dans un paragraphe intitulé « L’inconscient est images », ils postulent que « la révolution de la psychologie de l’affectivité créée par la description des zones inconscientes et subconscientes du psychisme semble pouvoir être perçue comme réintroduction de l’imaginaire et de la créativité au rang des fonctions mentales essentielles ». Ils accordent en ce sens à JANET une place fondamentale :

L’imaginaire pathologique subconscient ou inconscient a été remarquablement étudié par ce grand clinicien au moyen de l’hypnose et grâce au matériel très riche des cauchemars des hystériques et des phénomènes de personnalités multiples. « L’automatisme psychologique », parmi ses nombreuses manifestations, recèle images motrices, viscérales, visuelles, auditives. La suggestion d’une scène fait naître chacun de ses personnages et l’exploration d’une crise fait réapparaître les protagonistes du drame traumatisant. Pour JANET, l’image motrice ou sensorielle est un élément concret animateur de la conduite en cause. Elle joue également un rôle notable dans le phénomène de croyance et de présentification. L’articulation complexe des images diverses, des tendances qu’elles accompagnent, de la force et de la tension psychologiques qui les sous-tendent définit l’action et son niveau dans la hiérarchie des conduites. L’image devient force excessive lors du rétrécissement du champ de la conscience hystérique et elle perd sa force inductrice chez le psychasténique dont la tension psychique est trop basse. [4]

Au niveau des images-souvenirs se cristallisent ainsi chez JANET les « personnalités dédoublées » et le patient peut revivre pendant sa crise tout le scénario du passé sous une forme sensorielle intense. L’hypnose permet également d’entrer dans ce monde perturbé et même d’en modifier progressivement la teneur sensorielle dans un but thérapeutique de liquidation. L’observation clinique de phobie du choléra dans « Névroses et idées fixes », avec chacun de ses éléments sensoriels imagés, est assez parlante sur ce point et montre l’importance de ce substrat imagé en psychopathologie.

BENOIT a d’ailleurs consacré sa thèse de médecine aux états hypnagogiques induits et dirigés, dans laquelle in traite de la subnarcose barbiturique, du training autogène et du rêve éveillé dirigé, trois approches thérapeutiques induisant des images mentales. [2]

De son côté, si Alfred BINET n’a pas utilisé l’imagerie mentale dans une perspective psychothérapeutique mais dans le cadre de l’étude expérimentale de l’intelligence [7], il a néanmoins introduit en France l’usage de l’expression « mental imagery » empruntée à Francis GALTON [8] à propos de ce qu’il appelait la méthode de l’introspection provoquée. Cette méthode fut reprise par les psychologues expérimentalistes de l’école dite de Würzburg dans leur étude de la « pensée sans image » :

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En procédant à l’étude des processus supérieurs du psychisme, en examinant les diverse modalités de la fonction symbolique (jugement, abstraction, rapport de la pensée et de l’activité volontaire), l’école de Würzburg, dont les travaux s’effectuèrent de 1900 à 1914, apporta une contribution importante à la reconversion de la psychologie expérimentale. [1]

Oswald KÜLPE (1862-1915), ancien élève de Wundt dont il épousa dans un premier temps les conceptions, se consacra ensuite à l’étude de la pensée en suivant l’exemple de EBBINGHAUS pour l’étude de la mémoire :

La méthode préconisée fut l’introspection expérimentale (également employée par BINET à la même époque), c’est à dire une méthode qui sollicite l’attention volontaire du sujet et s’applique à ses propres états de conscience en des épreuves réclamant une tension intellectuelle…/…Les expériences réalisées par ces divers auteurs (c’est à dire les disciples de KÜLPE – ndlr) les ont conduit à reconnaître dans toute pensée qui cherche à s’organiser puis à se formuler des états psychologiques spéciaux caractérisés par le fait qu’ils ne sont point réalisés initialement en images, ni verbalisés intérieurement…/…Ces états spéciaux se situeraient donc à l’arrière-plan, et en même temps à la racine des activités mentales, derrière l’écran des images et des mots. [1]

En France, les recherches de BINET s’opposent au sensualisme de CONDILLAC et à l’associationnisme anglo-saxon qui prônait – thèse soutenue par TAINE au XIXe siècle – que la pensée consiste en des « combinaisons d’images, les images étant elles-mêmes les traces affaiblies des sensations ». L’esprit n’est rien d’autre, selon TAINE, qu’un « polypier d’images mutuellement dépendantes ».

BINET, dans son « Etude expérimentale de l’intelligence » (1903), se donne pour but de montrer que « la pensée est en nature, indépendante des images et de leurs combinaisons, même si, occasionnellement, elle prend appui sur elles » :

Les sujets d’expérience de BINET, ses deux propres filles, observent que, dans tout effort intellectuel intentionnel, leur pensée fonctionne en obéissant à des décisions formelles qui précèdent les contenus auxquels elles viendront s’appliquer. Les images et les mots n’apparaissent dans cet effort de prospection mentale que dans les phases de relâchement, lorsque le mouvement propre de la pensée se ralentit et fléchit. [1]

En Allemagne, c’est en s’inspirant de l’introspection expérimentale de l’école de Würzburg que Carl HAPPICH mit au point dans les années 1920 une méthode psychothérapique utilisant le surgissement des images. Celui-ci déclare en effet avoir pratiqué avec plus de 200 patients une approche qu’il qualifie de « méditation » [11], terme qui devait être repris sous l’expression de « techniques méditatives » par divers praticiens allemands. Ces brefs éléments historiques illustrent le fait que de nombreux praticiens ont développé – sans se connaître la plupart du temps - vers la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle diverses approches ayant pour point commun de faire appel à une mise en condition initiale du sujet proche d’un état de relaxation dans le but d’un surgissement spontané ou plus ou moins dirigé d’une imagerie mentale considérée comme une production psychique susceptible de constituer un matériau clinique parce que porteuse de significations symboliques de la problématique dudit sujet.

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Références bibliographiques1 Cazayus P. Les développements de la pensée scientifique. In : Château J, Gratiot-Alphandéry H, Doron R, Cazayus P. Les grandes psychologies modernes. Du temps des philosophes au temps des scientifiques. Bruxelles : Pierre Mardaga ; 1977 : 257-258.

2 BENOIT JC. Contribution clinique à l’étude des états hypnagogiques induits et dirigés [thèse de médecine]. Paris ; 1959.

3 BENOIT JC. Hypnose, hypnothérapie et narco-analyse. In : Sivadon P (dir.) Traité de psychologie médicale, Paris : Presses Universitaires de France ; 1973 ; Tome 2 “La rencontre thérapeutique“ : 166.

4 BENOIT JC, BERTA M. Les cures psychothérapiques au plan de l’image. In : L’activation psychothérapique, Bruxelles : Charles Dessart ; 1973 : 269-288.

5 BENOIT JC, BERTA M. Les médications psychologiques . A propos des “Actions Réussies“. Annales de Psychothérapie 1973 ; IV, 6 : 12-17.

6 BENOIT JC, BERTA M. Pierre Janet et les dimensions multiples de la pratique psychothérapique. In : L’activation psychothérapique, Bruxelles : Charles Dessart ; 1973 : 65-77.

7 BINET A. L’étude expérimentale de l’intelligence. Paris : Alfred Costes ; 1922.

8 BINET A. Psychologie du raisonnement, recherches expérimentales par l’hypnotisme. Paris : Félix Alcan ; 1911 : 16 (où il cite les travaux de GALTON F. Inquiries into human faculty and its development, New York : Dutton ; 1907).

9 DENIS M. Les images mentales. Paris : Presses Universitaires de France ; 1979.

10 FRÉTIGNY R, VIREL A. Conscience et vigilance. In : L’imagerie mentale. Introduction à l’onirothérapie, Genève : Mont-Blanc ; 1968 : 103.

11 HAPPICH C. Das Bildbewusstsein als Ansatzstelle psychischer Behandlung. Zentralblatt für Psychotherapie und Medizinische Psychologie 1932; 5: 668.

12 JANET P. Les médications psychologiques. Paris : Félix Alcan ; 1919, Tome 2.

13 JANET P. Névroses et idées fixes. Paris : Félix Alcan ; 1898, Tome 1.

14 MARCHAIS P. De l’image mentale dans les névroses. In : BARUK H, LAUNAY J. Annales de thérapeutique psychiatrique – Tome III: Actualités sur les thérapeutiques psychiatriques et les recherches psychopharmacologiques. Paris : Presses Universitaires de France ; 1967 : 33-34.

15 MARCHAIS P. L’effet de rétroaction en imagerie mentale. In : Psychiatrie de synthèse, Paris : Masson ; 1973 : 113.

16 VIREL A. Imagerie mentale. In : Vocabulaire des psychothérapies. Paris : Fayard ; 1977 : 152.

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17 VIREL A. Vigilance et conscience. Contribution à leur définition différentielle par l’expérimentation de l’imagerie mentale [thèse de psychologie]. Paris : université de la Sorbonne ; 1967.

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