contes et lÉgendes des hÉros de la · devant la mine décontenancée de son père, mercure...
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Contesetlégendesdetouspays
CONTESETLÉGENDESDESHÉROSDELAMYTHOLOGIE
ParChristianGrenier
IllustrationsdePhilippeKailhennÉditions:NATHAN
ISBN:978-2-09-252792-4
IPHILÉMONETBAUCISLEDEVOIRD’HOSPITALITÉ
JUPITER,lepluspuissantdesdieux,aimaitserendresurlaTerre.Déguiséensimplevoyageur,ilsemêlaitalorsauxhumainspourlesobserver,leséprouveroulesséduire…Cejour-là,accompagnédesonfilsMercure,quiétaitaussisoncomplice,ilcheminaitsurlesroutesdePhrygie.
Commelesoirtombait,lesdeuxdivinitéspénétrèrentdansunbourgauxmaisonsdericheapparence.—Ilétaittemps!s’exclamaMercureendésignantlecieloùs’amoncelaientlesnuages.Jupiterhaussa lesépaules.Lapluiene lesouciaitguère,et l’orageencoremoins:necommandait-ilpasà la
foudre?—Ehbien!s’exclama-t-il,voiciunvillagequimesembleprospère.Voyonssileurshabitantsnousoffrirontle
gîteetlecouvert…Justement,lepropriétaired’unesomptueusevillas’apprêtaitàrentrerdanssademeure.Jupiterl’apostropha:—Nobleseigneur,accepterais-tudedonnerl’hospitalitéàdeuxvoyageursfourbus?L’autreeut àpeineun regardpour les inconnus. Il s’empressade rentrer chez lui, et ferma laportedont le
loquet de bois retomba lourdement. Devant la mine décontenancée de son père, Mercure éclata de rire. Ildésignaleursvêtementsetdit:— Il faut avouer que nous n’inspirons guère le respect avec cet accoutrement !Qui pourrait croire que des
dieuxsecachentderrièrecesguenilles?
Ilsfrappèrentàlaportedeladeuxièmemaisondontlafaçadeétaitaussiopulentequecelle de la première. Un long temps s’écoula avant que n’apparaisse dansl’entrebâillementlevisaged’unhommemûr.Desbroderiesd’argentornaientsatunique.—Qu’est-cequec’est?grommela-t-ilenlesdévisageantd’unairsuspicieux.Quiêtes-
vous?—Desétrangersquisollicitent…—Desétrangers?Passezvitevotrechemin!Sur ces mots de bienvenue, le propriétaire leur ferma la porte au nez. Au-dehors,
quelquesgouttesdepluiesemirentàtomber.—Jupiter,fitMercure,necrois-tupasquenousdevrionsregagnerl’Olympe?Grâceà
messemellesailées…—Frappedoncàcetteautreporte.Ensoupirant,Mercures’exécuta.Cettefois,c’estunjeuneserviteurquileurouvrit;son
expressionétaitcraintiveetsursesépaulessedevinaientderécentestracesdefouet.—Ah,mongarçon!s’exclamaJupiter.Monfilsetmoisommesexténués.Tonmaître
nousaccorderait-ill’hospitalité?Les dieux aperçurent dans la salle principale une immense table garnie autour de
laquelleripaillaientdenombreuxconvives.Vinsetrirescoulaientàflots.Lejeuneesclaveleurchuchota:—Hélas,lesconsignessontstrictes:jenedoislaisserentrerquelesinvités.Monmaîtreahorreurdesintrus.— Il n’en saura rien, fitMercure en tirant une pièce de sa poche. Nous serons discrets. Et une place dans
l’écurienoussuffira!—Impossible…Oh,jecroisqu’ilvient.Partezviteavantqu’ilnevousdonnelachasseavecseschiens!
Cettefois,lesdieuxseretrouvèrentsousunepluiebattante.— Mon père, protesta Mercure, pourquoi nous entêter ? Revêtons au moins de
meilleurshabits!Fautedeprovoquerlacompassion,nousinspireronsconfiance.—Pasquestion. J’aimerais savoir jusqu’oùpeuvent aller l’égoïsme et l’arrogancedes
gensdecevillage.Auboutd’uneheure,ilsfurentfixés:aucundeshabitantsdubourgnelesavaitinvités
àentrer.Parfois,ons’étaitcontentéde les interrogerderrière laporte ferméeavantdeleur ordonner d’aller voir ailleurs ; d’autres fois, bien que des lueurs et des voixindiquassentquelelogisétaithabité,ilsn’avaientobtenuaucuneréponseàleursappelsetàleurscoupsrépétés.Jupiterétaitulcéré.Ilfulmina:—Commentpunircesmalotrus?—Enattendant,noussommestrempés.Rejoignonsl’Olympe!—Attends.Ilresteencoreunedernièremaison…—Tuveuxparlerdecetteméchantemasure,àl’écartduchemin?—Vois:unefaiblelueurfiltreparlafenêtre.Ilss’approchèrentetfrappèrentàl’huis.Uncoupledevieillardsleurouvrit.Àenjuger
par leurmine, ils ne devaient pasmanger tous les jours à leur faim.Mais leur visageexprimaitladouceuretlabonté.Lafemme,soudaininquiète,leurditaussitôt:—Malheureux,dehorssouslapluieàcetteheure?Vousallezattraperlamort!Entrez
vitevoussécher.Les dieux déguisés allèrent s’installer devant la cheminée. Le maître des lieux prit la dernière bûche d’un
maigretasdeboispourlajeterdansl’âtreetranimerlefoyer.Jupiterdésignaàsonfilsl’auteldomestiquetoutprocheoùavaientétédéposéesdesoffrandes,signequeceshumainshonoraientsouventlesdieux.— Quand vous serez réchauffés, dit leur hôte en désignant la table, vous viendrez partager notre repas.
Malheureusement,ilseramodeste:nousn’avonsqu’unpeudesoupeetdupainàvousproposer.Baucis,veux-tuajouterdeuxbols?Lavieillefemmeobéittandisquesonépouxpartageait lamicheenquatre,réservantlesplusgrossespartsà
leursinvités.—Philémon?s’exclama-t-ellesoudain.J’ypense:notreoie…— Tu as raison, Baucis, répondit le vieillard en souriant. Nous hésitions à la tuer mais c’est là une belle
occasion!Touchésparl’obligeancedeleurhôte,lesdieuxvoulurentleretenir,maisilétaitdéjàsorti.Quandilrevint,il
tenait par les pattes une oie aussi maigre que leurs propriétaires. L’animal, qui devait comprendre ce quil’attendait,gigotaitencaquetantdésespérément.Jusque-là,JupiteretMercuren’avaientpasréagi.D’uncommunaccord,ilsdécidèrentderévélerleuridentité.
Ils troquèrentd’uncoup leursdéfroquesdétrempées contredeshabits secs etdignesde leur condition.Leurshôtesn’avaientencorerienvudeceprodige:ilsétaientbientropoccupésàcouriraprèsleuroie!Celle-civenaiteneffetdeleuréchapper,ellecouraitdanslapièceenvoletant.Etelledisposaitdeplusd’énergiequelesdeuxmalheureuxvieillardslancésàsapoursuite!Finalement,ellevintseréfugierentrelesjambesdesdieuxrestésassis. C’est seulement à cet instant que Philémon et Baucis remarquèrent les somptueux vêtements de leursvisiteurs et la noblesse de leur attitude. Stupéfaits, ils comprirent qu’ils n’avaient pas accueilli des voyageursordinaires;ilsseprosternèrentàleurspieds.D’unevoixchevrotante,Philémonbalbutia:—Noblesseigneurs,jesaisquecepauvredînerestindignedevous!Sivousacceptiezdemerendrenotreoie…—BravePhilémon,ditJupiterenselevant,jerefusequetusacrifiescetanimal.Ettoi,Baucis,soisremerciée
pourcerepasquetuvoulaispartageravecnous.Qu’ilsoitàlamesuredevotreaccueil!Enuneseconde,latablefutcouvertedeviandesjuteuses,devolaillesrôtiesetdeplatsd’argentregorgeantde
metsdélicats.Lesdeuxvieillards,quin’avaientjamaisvuriendetel,écarquillèrentlesyeux.— Sachez, Philémon et Baucis, que vous avez devant vous Jupiter et Mercure. Ce soir, vous partagerez
l’ordinairedesdieux…
Les vieillards firent sans doute le plus grand festin de leur vie. Mais si Jupiter et Mercure avaient voulurécompenserl’hospitalitéducouple,ilstenaientàpunirl’ingratitudedeceuxquilaleuravaientrefusée.Unefoislerepasachevé,ilsentraînèrentdanslanuitPhilémonetBaucishorsdelacabane.Docilesettremblants,ceux-cisetenaientparlamaincommes’ilsavaientpeurdeseperdre.
Lapluie avait cessé.Ouplutôt ellene tombaitplus sur lespentesde la collinequ’ilsgravissaienttousquatre.Enrevanche,oneûtditqu’elleredoublaitdanslaplainequ’ilsavaientquittée.Desonindextenduverslesnuées,Jupiterfitjaillirleséclairs;letonnerregronda,et
unvéritabledéluges’abattitsurlevillage.Serrésl’uncontrel’autre,PhilémonetBauciss’interrogeaientsurlesortquelesdieuxleurréservaient.Quandl’aubeseleva,ilnerestaitplusriendubourg.Etunefoisqueleseauxsefurent
retirées,seuluntoitdechaumeémergea.—Notrecabane!s’écrièrentPhilémonetBaucis.—Qu’ellesoituntempledésormais!décrétaJupiter.Aussitôt,devant lesyeuxébahisdesvieillards, lapauvremasurese transformaenun
magnifiquemonumentauxcolonnesdemarbre.—Àprésent, leurditJupiter, jeveuxvousremercier.Exprimezvosdésirs!Ilsseront
exaucés.Perplexes,PhilémonetBaucisseconsultèrentduregard.— Puissant dieu, répondit enfin Philémon, laisse-nous devenir les gardiens de ce
templeafinquenouspuissionslongtempst’honorer.Mercureneputs’empêcherderaillersansméchanceté:
—Longtemps?Maiscombiend’annéesespères-tuvivreencore?—Ehbien,grandJupiter,ajoutaalorslavieilleBaucis,permets-moid’ajouterunvœuàceluidemonépoux:
j’aimeraisvivreleplusdetempspossibleencoreàsescôtés.Jupiter réfléchit. Il cherchait le subterfuge qui lui permettrait d’accéder à l’étrange demande de ces vieilles
gens.Seulslesdieux−etparfoisleshéros−pouvaientprétendreàl’immortalité.—Quoi?s’étonnaitMercure.Vousn’êtesdoncpaslassésl’undel’autre?
—Non,réponditBaucisensouriant.Quandnousnoussommesconnusetaimés,nousn’étionsencorequedesenfants.Depuis,nousnenoussommesjamaisquittés.
—Etdurant toutes ces années, demandaJupiter, n’avez-vouspas éprouvé l’enviedevousséparer?Àlasuited’unedispute…
— Non, avoua Philémon. La Discorde, cette divinité malfaisante, nous a toujoursépargnés.
Soudain, Jupiter comprit pourquoi ce couple attendrissant les avait si spontanémenthébergés : ilss’aimaient.C’étaitpeut-être là lemeilleur fermentde l’hospitalité.Quandon ne peut pas donner d’amour à ses proches, comment pourrait-on en donner à desinconnus?D’uneseuleetmêmevoix,lesvieillardsachevèrent:
—Notrepluscherdésirseraitdemouriraumêmemoment!Mercure eut vers son père un regard amusé. Pour une fois, de simples humains
donnaient auxdieuxune leçond’humilité. Jupiter, en effet, se querellait fréquemmentavecJunon,sonépouse…ilestvraiqu’iln’étaitguèrefidèle!
— Qu’il en soit ainsi ! décréta Jupiter aussi ému qu’impressionné. Je m’engage,PhilémonetBaucis,àexaucervosvœux.
Ilyeutunéclairéblouissant.Quandlesdeuxvieillardspurentenfinouvrirlesyeux,ilsétaientseulssurlacolline.Encore bouleversés par les récents événements, ils hésitèrent longtemps avant de
regagner la plaine où se dressait le temple qui serait leur nouvelle demeure. Et quandenfin ils s’en approchèrent, ils eurent la surprise d’être accueillis par un volatile toutjoyeuxquiavançaitverseuxensedandinant.
Danssagrandemansuétude,Jupiteravaitépargnél’oie.
Lesannéess’écoulèrent.Fidèlesàleurparolecommeàleuramour,PhilémonetBaucisrestèrentjusqu’aubout
lesgardiensdutempledeJupiter.Lespèlerinsquirevenaientchaqueannéeconstataient,étonnés,queletempsn’avaitaucuneemprisesurcesvieillardsaccueillantsetgénéreux.
MaiscommePhilémonetBaucisn’étaientquedeshumains,ilfallutqueJupiterdonneun terme à leur vie. Un jour, alors qu’ils se tenaient par la main, près du temple, ilsconstatèrent que leur corps durcissait en se pétrifiant. Bientôt, ils furent incapables debouger.Celan’enlevarienàleursérénité.
—Jecroisquec’estlafin,ditPhilémon.Baucis,jet’aime.—C’estlafin,réponditBaucis.Philémon,jet’aitoujoursaimé.
Cefurentlesdernièresparolesqu’ilséchangèrent.Peuàpeu,leurcorpssecouvritd’écorce.Leurvisagesetransformaenfrondaison(1).Leursmainsdevinrentdes
branches et leurs doigts des rameaux. Et puisqu’ils se tenaient tout près l’un de l’autre, leurs feuillagess’enlacèrentdanslamêmetendreverdeur.
Ilsdevinrentsihautsetsibeauxque,bientôt,leursombresconfonduesrecouvrirentletemple.Combiendesièclesvécurent-ilsainsi,côteàcôte?Nulnelesait.Maisavecletemps, letemplelui-mêmese
dégradaetfinitpartomberenruine.Aujourd’huiencore,danscequifutlaPhrygie,ilparaîtqu’onpeutapercevoiruntrèsvieuxtilleulvoisinantun
chênemillénaire.Voyageur,siunjourtupassesparlàetsituaperçoiscesdeuxarbresnonloindequelquespierres,songequela
végétationestcommel’hospitalité:ellesecultiveetserenouvelle.Etsouviens-toidelalégendedePhilémonetBaucis.
IIORPHÉE
LESDEUXMORTSD’EURYDICE
ORPHÉEchante.Ilchanteenparcourantlesprésetlesboisdesonpays:laThrace.Ils’accompagnedesalyre,uninstrument
qu’il aperfectionnéen luiajoutantdeuxcordes–sibienqu’àprésent, elleenpossèdeneuf.Neufcordes…enhommageauxneufmuses!
Sonchantestsibeauquelespierresduchemins’écartentpournepasrisquerdeleblesser;lesbranchesdesarbressepenchentversluietlesfleurss’empressentd’éclorepourmieuxl’écouter.
Soudain,Orphées’arrête:devantluisetientunejeunefilled’unegrandebeauté.Assisesur labergedufleuvePénée,ellepeigneses longscheveux–ets’interromptà l’arrivéeinopinée de ce voyageur. Elle est presque nue, comme le sont aussi les naïades quipeuplent les eaux vives. Orphée et la nymphe(2) se font un moment face, surpris etéblouisl’unparl’autre.—Quies-tu,belleinconnue?luidemandeenfinOrphéeens’approchant.—JesuisEurydice,uneDryade.Àl’étrangeetdélicieusedouleurquiluiétreintlecœur,Orphéecomprendquel’amour
qu’iléprouvepourcettebellenympheestimmenseetdéfinitif.—Ettoi?demandeenfinEurydice.Quelesttonnom?—Jem’appelleOrphée.MamèreestlamuseCalliopeetmonpèreApollon,ledieude
lamusique!Jesuismusicienetpoète…Plaquantquelquesaccordssurson instrument–descordes tenduessurunesuperbe
carapacedetortue–,ilajoute:—Vois-tucettelyre?J’ensuisl’inventeuretjel’aiappeléecithare.—Jelesais.Quin’aentenduparlerdetoi,Orphée?Orphéeserengorge.Lamodestien’estpassonfort.Ilestraviquesarenomméeaitdéjà
atteintlanymphe.—Eurydice,murmure-t-ilens’inclinantdevantelle,jecroisqueCupidonm’adécochél’unedesesflèches…Cupidon,c’estledieudel’amour.Flattéeetravie,Eurydiceéclatederire.—Jesuissincère,insisteOrphée.Eurydice,jeveuxt’épouser!Cachédanslesroseauxdurivage,quelqu’unn’arienperdudelascène.C’estunautrefilsd’Apollon:Aristée,
devenuapiculteuretberger.LuiaussiaimeEurydice–maislabellenymphel’atoujoursrepoussé.Ilmordsonpoingserrépournepashurlersajalousie;etiljuredesevenger…
Aujourd’hui,OrphéeépouseEurydice!AuborddufleuvePénée,lafêtebatsonplein.LajeunefiancéeainvitétouteslesDryadesquidansentauson
delacithared’Orphée.Soudain,pourtaquinersonfuturépoux,elles’exclame:—Réussiras-tuàm’attraper,Orphée?Elles’enfuitparmilesroseauxenriant.Abandonnantsacithare,Orphéeselanceàsapoursuite.MaislesherbessonthautesetEurydiceestvive.Une
foissonamoureuxhorsdevue,elleseprécipitedansunbosquetpours’ydissimuler.Là,deuxbrasvigoureuxlasaisissent.Ellehurledesurpriseetd’effroi.—N’aiecrainte,chuchoteunevoixrauque.C’estmoi:Aristée.—Quemeveux-tu,mauditberger?Retourneàtesmoutons,àtesabeillesetàtesruches!—Pourquoimerejettes-tu,Eurydice?—Lâche-moi!Jetedéteste.Orphée!Orphée!—Unbaiser…Donne-moiseulementunbaiseretjetelaisserepartir.D’ungeste,Eurydicesedégagedel’étreinted’AristéeetrejointencourantlabergeduPénée.Maislebergern’a
pasrenoncé,illapoursuit.
Danssafuite,Eurydicemarchesurunserpent.C’estunevipèrequi,decolère,plantesescrocsdanslemolletdelajeunefille.
—Orphée!hurle-t-elleengrimaçantdedouleur.Sonfiancéaccourt.Là-bas,Aristéejugeplusprudentdes’éloigner.—Eurydice!Ques’est-ilpassé?—Jecrois…qu’unserpentm’amordue.Orphée prend dans ses bras sa fiancée dont le regard se voile. Bientôt accourent de
toutespartslesDryadesetlesinvités.—Eurydice…Jet’enconjure,nemequittepas!—Orphée,jet’aime,jeneveuxpasteperdre…Cesontlesderniersmotsd’Eurydice.Ellehalète,elleétouffe.C’estfini,leveninafait
sonœuvre.Eurydiceaexpiré.Autourdelajeunemorterésonnentàprésentdeslamentations,desgémissements,des
cris.Sa douleur, Orphée veut l’exprimer au ciel : il saisit sa lyre et improvise un chant
funèbre que lesDryades reprennent en chœur. C’est une plainte si émouvante que lesfauvessortentde leur tanière, rampent jusqu’à labelledéfunteetviennentmêler leursplaintesàcellesdeshumains.C’estunchantsitristeetsipoignantquedusoljaillissent
icietlàmillefontainesdelarmes.—C’estlafauted’Aristée!lancesoudainl’unedesDryades.—C’estvrai.Jel’aiaperçuquilapoursuivait!—MéchantAristée…Allonsdétruiresesruches!—Oui.Tuonstoutessesabeilles.VengeonsnotreamieEurydice!
Orphéeestinconsolable.Ilassisteàlacérémoniefunèbreensanglotant.LesDryades,émues,luimurmurent:—Allons,Orphée,tunepeuxplusrienfaire:àprésent,Eurydicearejointlesbordsdu
Tartare,lefleuvedesEnfersoùserassemblentlesombres.Àcesmots,Orphéesursauteets’écrie:—Vousavezraison.Elleestlà.Ilmefautdoncallerl’yrechercher!Autourde lui fusentquelquesprotestationsahuries.Ladouleura-t-elle faitperdre la
raisonàOrphée?Leroyaumedesombresestunlieud’oùnulnerevient!Sonsouverain,Plutonetl’horriblemonstreCerbère,sonchienàtroistêtes,veillentàcequelesmortsnequittentpasledomainedesténèbres.—J’irai,insisteOrphée.J’iraietjel’arracheraiàlamort.LedieudesEnfersconsentira
àmelarendre.Oui,jeleconvaincraiaveclechantdemalyreetlaforcedemonamour!
L’entréedesEnfersestunegrottequis’ouvreaucapTénare–maiss’yaventurerseraitunefolie!
Orphée,lui,aoséécarterl’énormerocherquibouchel’orificedelacaverne;ils’estélancésanscraintedansl’obscurité.Depuiscombiendetempsmarche-t-ilsurcetétroitsentier?Bientôt,desgémissementslointainslefontfrissonner.Puisapparaîtunerivièresouterraine:l’Achéron,lefameuxfleuvedesdouleurs…Orphéesaitquececoursd’eauaboutitauStyx,dontlesbergessonthantéesparlesombresdesdéfunts.Alors,
poursedonnerducourage,ilentonneunchantsursalyre.Etlemiraclesurvient:lesâmesdesspectrescessentdegémir,lesfantômesaccourentenfoulepourécoutercevoyageuraudacieuxquivientdumondedesvivants!Soudain,Orphéeaperçoitunvieillardjuchésuruneembarcation.Ilinterromptsonchantpourlehéler:—C’estbientoi,Charon?Mène-moidoncàPluton!
Subjugué autant par les chants d’Orphée que par sa hardiesse, le passeur chargéd’amenerlesâmesaumaîtredeslieuxfaitmonterlevoyageurdanssabarque.Peuaprès,il le dépose sur l’autre berge, devant deux portes monumentales en bronze. Là setiennent,chacunsursontrône,leredoutabledieudesEnfersetsonépouseProserpine!Àleurscôtés,lehideuxchienCerbèreouvrelesgueulesdesestroistêtes;sesaboiementsemplissentlacaverne.
Goguenard,Plutondévisagel’intrus:—Quies-tu,toiquiosesbraverledieudesEnfers?Alors,Orphéechante.Ens’accompagnantdesalyre,iljetteunesuppliqueauxaccents
déchirants:—NoblePluton,jenedoismahardiessequ’àlaforcedemonamour!Monamour,c’est
labelleEurydicequim’aétéenlevéelejourmêmedemesnoces.Àprésent,ellearejointton royaume. Et je viens, puissant dieu, implorer ta clémence. Oui, rends-moi monEurydice!Laisse-moirepartiravecelleverslemondedesvivants.
Plutonhésiteavantdechassercetaudacieux.Ilhésite,carleterribleCerbèrelui-mêmesembletouchéparcetteprière:lemonstreacesséd’aboyer,ilrampeàprésentàterreengémissant!
—Sais-tu, jeune imprudent,déclarePlutonendésignant lesportes,quepersonnenequittelesEnfers?Enprincipe,jenedevraismêmepastelaisserrepartir!
— Je le sais ! répond Orphée en reprenant sa plainte. Je ne redoute pas la mort ! Puisque j’ai perdu monEurydice,j’aiperdutouteraisondevivre.Etsiturefusesdemelaisserrepartiravecelle,jeresteraidoncici,àsescôtés,danstesEnfers!
Proserpine se penche vers son époux pour lui murmurer quelques mots à l’oreille.Plutonhochelatête,indécis.Enfin,aprèsmûreréflexion,ildéclareàOrphée:
—Ehbien, jeune téméraire, ton courage et ta détresse sont parvenus àm’émouvoir.Soit : j’accepte que tu repartes avec ton Eurydice. Mais je veux mettre ton amour àl’épreuve…
UneboufféedejoieetdereconnaissanceenvahitOrphée.—Ah,grandPluton, laplusterribledesconditionsseraplusdouceque lacruautéde
notreséparation!Quedois-jefaire?—Nepas te retournervers tabien-aimée tantquevousn’aurezpasquitté tousdeux
mondomaine.Carc’esttoiquilaconduirashorsd’ici.M’as-tubiencompris?Tunedoisnilavoir,niluiadresserlaparole!Situdésobéis,Orphée,tuperdrasEurydiceàjamais!
Éperdud’allégresse,lepoètes’inclinedevantlesdieux.—Àprésent,va,Orphée.Maisn’oubliepascequej’aidécrété.Orphéeaperçoitlesdeuxbattantsdelalourdeportedebronzequi,déjà,s’entrouvrent
engrinçant.—Parslepremier!Tun’aspasledroitdelavoir!Vite, Orphée ramasse sa lyre et se dirige vers la barque de Charon. Il marche
lentement,carilveutêtresûrqu’Eurydicelesuit.Maiscommentenêtresûr?L’angoisse,l’incertitude font jaillir des larmes de ses yeux. Il manque s’exclamer : « Eurydice ! »−mais il se souvient à tempsde la recommandationdudieu et il se garde d’ouvrir labouche.
À peine est-ilmonté dans la barque de Charon qu’il sent l’embarcation tanguer uneseconde fois : c’estdoncqu’Eurydice l’a rejoint !Engrommelantdevant le surcroîtdepoids, levieuxpasseurentreprendderemonterlecourant.
Enfin,Orphéemetpiedàterre;ils’élancesurlecheminquiremonteverslemondedesvivants… puis il s’arrête pour écouter. Malgré les courants d’air qui sifflent dans lacaverne,ildevinelefroissementd’unerobeetlebruitdespasd’unefemmequifoulentlemêmesentier.Eurydice!Eurydice!Ilsehâteetescaladelesrocherstantilahâtedelaretrouver.Maiss’ilprenaittropd’avance?Etsielles’égarait?Domptant son impatience, il ralentit l’allure, guette les bruits qui, derrière lui,
indiquentqu’Eurydicelesuit.Maistandisqu’ilaperçoitl’entréedelacaverneauloin,unaffreuxdoutel’effleure:etsicen’étaitpasEurydice?EtsiPlutonl’avaitdupé?Orphéeconnaîtlacruautédontlesdieuxsontcapables,ilsaitcombienceux-cisaventsemoquerdesmalheureuxhumains!Pours’encourager,ilmurmure:— Allons, il ne reste plus que quelques pas… Cœur battant, Orphée les franchit. Et
d’uneenjambée,ilarriveàl’airlibre,danslagrandelumièredujour!—Eurydice…enfin!N’ytenantplus,ilseretourne.Etilaperçoiteneffetsabien-aimée.Dansl’ombre.Car bien qu’elle marche dans ses pas, elle n’a pas encore franchi les limites du
ténébreuxroyaume.EtOrphée,enunéclair,comprendtoutàlafoissonimprudenceetsonmalheur.
—Eurydice…Non!C’esttroptard:déjà,lasilhouetted’Eurydices’estompe,sediluedansl’obscurité.Unfiletdevoixluiparvient:—Orphée…adieu,montendreaimé!L’énormeblocserefermesur l’entréede lacaverne.Orphéesaitqu’ilest inutiledereprendre lechemindes
Enfers.—Eurydice…Parmafaute,jeteperdsunesecondefois!Orphéea rejoint sonpays, laThrace,enclamantsasouffranceencheminà tousceuxqu’ila rencontrés.La
consciencedesaculpabilitérendsonnouveaudésespoirplusintensequelepremier.—Orphée,luidisentlesDryades,pensedoncàl’avenir,neregardepasenarrière…ilfautapprendreàoublier.—Oublier?CommentoublierEurydice?Cen’estpasmahardiessequelesdieuxontvoulupunir,c’estmatrop
grandeassurance.Ladisparitiond’Eurydicen’apasenlevéàOrphéesonbesoindechanter:nuitetjour,ilveutcommuniquerà
tous sadouleur infinie…Et leshabitantsde laThracene tardentpasà seplaindrede cedeuil encombrant etdémonstratif.—Soit!déclareOrphée.Ehbienjevaisfuirlemonde.Jevaismeretirerloindusoleiletdesdouceursdela
Grèce.Ainsi,nulnem’entendrapluschanternigémir!
Septmoisplustard,OrphéearriveenvuedumontPangée.Là,dejoyeusesclameursindiquentqu’unefêtebatsonplein.Sousd’immensestentesdetoile,denombreuxconvivesboivent;certains,ivres,courtisentdeprèsdesfemmes qui ont elles aussi beaucoup bu. Comme Orphée s’apprête à poursuivre sa route, des jeunes fillesl’interpellent:—Viensdonctemêlerànous,beauvoyageur!—Quellesuperbelyre!Ainsituesmusicien?Chantepournous!—Oui.Viensboireetdanserenl’honneurdudieuBacchus,notremaître!Orphéereconnaîtcesfemmes:cesontlesBacchantes;leursagapess’achèventsouventenorgie.EtOrphéen’a
lecœurniàdanserniàrire.Encoremoinsàboireetàaimer.—Non.Jesuisendeuil.J’aiperdumafiancée.—Unedeperdue,dixderetrouvées!s’esclaffel’unedesBacchantesendésignantleurgroupe.Choisisl’unede
nouspourcompagne!—Impossible.Jenepourraijamaisenaimeruneautre.—Veux-tudirequetunenousjugespasassezbelles?—Aucunedenousneseraitdoncdignedetoi?Orphéenerépondpas;ildétournelesyeuxetfaitminedepartir.MaislesBacchantesnel’entendentpasde
cetteoreille.—Quelestcetinsolentquinousdédaigne?—Messœurs,ilfautquenousrépondionsàcemépris!Avantqu’Orphéenepuisseréagir,lesBacchantessejettentsurluipourlelacérerdeleursongles.Orphéen’ani
l’énergieniledésirdesedéfendre.Depuisqu’ilaperduEurydice,l’Enfernel’effraieplus,etlaviel’attiremoinsquelamort.
Alertésparcemassacre,lesconvivesaccourent;ilslapidentl’infortunévoyageurquiaoséinsulterlesBacchantes.Vite submergépar lenombre, il succombe.Dans leurhargne, les furiesdéchirent en
lambeauxlecorpsdumalheureuxpoète.L’uned’ellesledécapiteets’emparedesatête;elle lasaisitpar lescheveuxet la jettedans le fleuve leplusproche, l’Hèbre.Uneautreramassesalyreetl’envoieaussidansl’eau.
Lebruitdelamortd’OrphéeserépanddanstoutelaGrèce.Averties, lesmusesaccourent.EllesparviennentaumontPangéeque lesBacchantes,
lasséesde leurorgie,ontenfindéserté ;pieusement lesmuses recueillent les restesdumusicien.— Allons les ensevelir au pied du mont Olympe ! décident-elles. Nous édifierons à
Orphéeuntempledignedesamémoire.—Maissatête?Etsalyre?—Hélas,nousnelesavonspastrouvées.
Nuln’ajamaisrevulatêted’Orphée,nisalyre.Maislesoir,quandonflânesurlesbordsdel’Hèbre,monteparfoisunchantd’uneétonnantebeauté.Ondirait
unevoix,qu’accompagneunelyre.Etentendantl’oreille,ondistingueunelongueplainte.C’estOrphéequiappelleEurydice.
IIIPERSÉE
LECOMBATCONTREMÉDUSE
LE ROI d’Argos, Acrisios, qui avait une fille unique, Danaé, entreprit le long voyage vers Delphes pourinterroger laPythie.Cettevieille femme,avec l’aidedesdieux,pouvaitparfois lire le futur. Il luiposa laseulequestionquiluitenaitàcœur:
—Aurai-jeunjourunfils?LaréponsedelaPythiefutterribleetinattendue:—Non,Acrisios,jamais.Enrevanche,tonpetit-filstetuera…etilteremplacerasurletrôned’Argos!—Comment?Quedis-tu?Mais la Pythie ne répétait jamais ses prophéties. Le roi d’Argos était consterné. Il revint vers sa patrie en
répétant:—Danaé…ilnefautpasqueDanaéaitd’enfant!C’estellequil’accueillitquandilrentraaupalais.Elles’enquitaussitôt:—Ehbien,monpère?Quevousaditl’oracle?Leroisentitsoncœurchavirer.CommentdéjouerlaprophétiedesdieuxsanstuerDanaé?— Gardes, ordonna-t-il, qu’on enferme ma fille dans une prison sans porte ni fenêtre. Désormais, nul ne
l’approchera!Stupéfaite,Danaéselaissaemmenersanscomprendredansunvastecachotcaparaçonnédebronze.Lelourd
plafond qu’on referma sur elle ne comportait que quelques fentes étroites par lesquelles, chaque jour, on luidescendaitdelanourritureauboutd’unfil.
Privéed’airpur,delumièreetdecompagnie,Danaécrutqu’ellenetarderaitpasàmourirdechagrin.
Mais sur l’Olympe, Jupiter veillait ; il prit pitié de la prisonnière. Touché par sadétresseetsurtoutséduitparsabeauté,ilrésolutdeluivenirenaide.
Unenuit,Danaé fut réveilléeparun violent oragequi grondait au-dessusde sa tête.D’étrangesgouttesdefeutombaientsurelle.
—Maparole,mais…c’estdel’or!s’exclama-t-elleenselevant.Aussitôt, la pluie lumineuse prit forme. Danaé manqua défaillir en voyant se
matérialiserdevantelleunhommebeaucommeundieu.—N’aiecrainte,Danaé!dit-il.Jet’offrelemoyendet’enfuir…CettepromesseétaitinespéréeetDanaésuccombaviteaucharmedugrandJupiter.Quandl’aubelaréveilla,Danaépensaavoirrêvé.Maisbientôt,ellecompritqu’elleétait
enceinte!Etquelquetempsplustard,ellemitaumondeunbébéd’unebeautéetd’uneforceexceptionnelles.
—Jel’appelleraiPersée!décida-t-elle.
Unjour,longeantlesgeôlesdupalais,Acrisioscrutentendrelescrisd’unnourrisson.Ilordonna qu’on ouvre les portes des prisons. Quelle ne fut pas sa stupéfaction endécouvrantsafillequitenaitdanslesbrasunsuperbenouveau-né!
—Monpère,épargnez-nous!suppliaDanaé.Leroimenauneenquête,interrogealesgardes.Ildutserendreàl’évidence:seulundieuavaitpuentrerdans
cecachot!S’ilsupprimaitsafilleetsonenfant,Acrisioscommettraituncrimeimpardonnable.Alors,leroiavisaungrand
coffredeboisdanslasalledutrône.—Danaé,entredanscettemalleavectonfils!Tremblantedepeur,elleobéit.Acrisiosfitrefermeretscellerlacaisse.Puisilappelalecapitainedesagalère
personnelle:—Chargececoffresurtonnavire.Etquandtuserasloindetouteterrehabitée,ordonneàteshommesdele
jeteràlamer!
Le capitainepartit ; après trois joursdenavigation, lamalle futbalancéepar-dessusbord.À nouveau prisonnière, ballottée par les vagues, Danaé tentait de calmer les
hurlements du petit Persée. Longtemps, le coffre de bois flotta sur lamer, au gré desflots…Unmatin,alorsqu’ilramenaitsonbateausurlesable,unpêcheurfutintriguéparcette
énorme caisse que la marée avait fait échouer. Il déverrouilla le cadenas, espérant ydécouvriruntrésor;ilcrutdéfaillirenapercevantunefemmeetunenfantinconscients.—Ilssontbeauxcommedesdieux…Lesmalheureuxsemblentàboutdeforces!Depuiscombiendetempsdérivent-ilsainsi?Lepêcheur,Dictys, étaitun trèsbravehomme. Il recueillitDanaéet son filsdans sa
cabaneetlessoignadumieuxqu’ilput.—Oùsommes-nous?demandaDanaéquandelleseréveilla.
—Dans une île des Cyclades : Sériphos. Elle est gouvernée parmon frère, le tyran Polydecte.Mais n’ayezcrainte,vousêtesensécuritéchezmoi.Lesmoiset lesannéespassèrent.Perséeétaitdevenuunjeunehommerobusteetcourageux.Chaquejour, il
accompagnaitDictysàlapêche.QuantàDanaé,ellefaisaitleménageetlacuisineenbénissantchaquejourlabontédeleursauveteur.Unmatin,unfieréquipages’arrêtadevantlacabanedeDictys.C’étaitleroiPolydectequivenaitrendrevisiteà
sonfrère.EnapercevantDanaésurleseuil,ilfutfrappéparlabeautéetlanoblessedecetteinconnue.DèsqueDictysapparut,leroiluilança,intrigué:—Dis-moi,monfrère,est-celàtonépouseouuneprincesse?—Oh,nil’unenil’autre,Polydecte:c’estunesimplenaufragéequej’airecueillie.—Tuasdelachanced’avoirpéchéunesijolieperle!Cebijouesttropprécieuxpourunpauvrepêcheur.Viens,
toi,dis-moitonnom.—Danaé,Sire,pourvousservir,ditlajeunefemmeens’inclinant.—Meservir?Soit.Ehbienjet’emmènedansmonpalais.Aprèstout,cequiéchouesurlesbergesdemonîle
estmapropriété!Interdite, Danaé se tourna vers Dictys : elle ne voulait pas échanger sa cabane contre un palais ni son
bienfaiteurpourunroi.—Hélas,luichuchotaDictys,jecrainsquetunedoivesobéir.—Ah,Sire!suppliaDanaé.J’aiunfils.Aumoins,permettezqu’ilm’accompagneetquenousnesoyonspas
séparés.—Entendu!ditPolydecte.Vacherchertonenfant.MaisquandleroiaperçutPersée,ilregrettasamansuétude.Cejeunehommeauportdeprincepouvaitdevenir
unrival…
Dès que Danaé arriva au palais, Polydecte lui réserva les plus beaux appartements. Amoureux de la jeunefemme,illacourtisaassidûment.Enrevanche,PolydectedétestaitPersée,maispourplaireàDanaé,ilfitvenirlesmeilleursprécepteursquienseignèrenttouslesartsàsonfils.Danaénecessaitderemercierleroipoursesbienfaitsetelleavaitdeplusenplusdedifficultésàrepoussersesavances.— Demain, annonça-t-elle un jour tristement à son fils, Polydecte organise un grand banquet pour nos
fiançailles.—Quoi?s’emportaPersée.Vousallezépouserleroi?—Jenepuism’yopposerplus longtemps.Je t’ensupplie,Persée, tâchede fairebonne figurependantcette
cérémonie.Lafêtefutsomptueuse:Polydecteavaitfaitservirlesmetslesplusfins.Chaqueinvitéavaitapportéunprésent
aumaîtredeslieux,commelacoutumel’exigeait.—Ehbien,Persée,demandasoudainPolydecte,quepenses-tudetouscescadeaux?Tesemblent-ilsdignesde
nous?—Sire,réponditPerséedansunegrimacededépit,jenevoislàrienquedetrèsordinaire:descoupesenor,
deschevaux,desharnais.—Prétentieux!Quevoulais-tudoncqu’onm’apportedesioriginal?—Jenesaispas…latêtedeMéduse,parexemple!Unmurmuredecraintecirculaparmilesconvives:Méduseétaitlaplusgrandeetlaplusdangereusedestrois
Gorgones.Onignoraitoùhabitaientcestroissœursmonstrueuses;maisonsavaitqueleurchevelureétaitfaitedeserpentsvenimeuxetsurtoutqueleurregardpétrifiaitsurplacequiconqueosaitlesregarder!—Aufait,ditPolydecte,ettoiPersée,quelprésentnousas-tufait?Lejeunehommebaissalatêteenmaugréant:qu’aurait-ilpuapporteràleurhôte?Contrairementauroi,lui
nepossédaitrien!—Ehbienjeteprendsaumot!décrétaPolydecte.Jet’ordonnedemerapporterlatêtedeMéduse.Nereviens
passanselleaupalais.Lesoir,Danaé,désespérée,dissuadasonfilsdelaquitter.Maisc’étaitsanscomptersurlafiertédePerséequi
s’exclama:—Non.Polydectem’alancéundéfi.Etjeluidoiscequ’ilmeréclameenéchangedesonhospitalité.
Lelendemain,PerséeerraitlelongdesbergesdeSériphosàlarecherched’uneidée:ilquitteraitcetteîle,soit–maisoùaller?C’estalorsqu’atterritsoudaindevantluiMercureauxpiedsailés.Devantsastupéfaction,ledieudesvoyages
éclataderire:—Te voilà bien embarrassé, jeune audacieux ! J’ignore où se cachent lesGorgones,mais leurs trois autres
sœurs, lesGrées, lesavent!Enoutre,ellespossèdenttroisobjetssanslesquelstunepourraspasaccomplirtamission.—Et…commenttrouverai-jelestroisGrées?demandaPersée.—Aucunproblème.Montesurmondos,jet’emmène!
PerséesehissasurlesépaulesdeMercurequipritaussitôtsonenvol.Ledieuvolatrèslongtemps vers le couchant avant de se poser dans une région aride et sombre. IlchuchotaàPersée:— Prends garde. Ces vieilles sorcières ne te livreront pas ces renseignements et ces
objetsdeleurpleingré.Iltefaudraruser!Enapprochantdestroissœurs,Perséeeutunmouvementderecul:ellesétaientd’une
laideur repoussante. Leurs bouches étaient édentées, leurs orbites étaient vides. Ellessemblaientagitéesetengrandediscussion.Inlassablement,ellesserepassaientdel’uneàl’autre…unœiletunedent!Perséeétouffauneexclamation.—Ehoui!expliquaMercure.Ellesnepossèdentqu’unœiletunedentpourtrois.Elles
doiventdoncselesprêtersanscesse!
Aussitôt,Perséeeutuneidée.Ils’approchadestroisGrées;aumomentoùlapremièretendait l’œil et la dent à la deuxième, il s’en empara ! Les vieilles femmeshurlèrent àl’aveuglette:
—Quies-tu?Queveux-tu?Rends-nousnotreœiletnotredent!—Àdeuxconditions:quevousm’indiquiezoùjetrouveraivossœurslesGorgones,et
quevousmedonniezlestroisobjetsquimepermettrontdelesaffronter!Affoléespartantd’audace,lestroisGréessedisputèrentetselamentèrentunmoment
– mais elles n’avaient même plus leur œil unique pour pleurer ! Enfin, l’une d’ellessoupira:
— Soit. Tu trouveras Sthéno, Euryale et Méduse aux limites du monde, dans unecaverne,par-delàleterritoiredugéantAtlas.
— Voici des sandales ailées qui te permettront d’y aller, une besace magique et lecasquedudieuPluton.
—LecasquedePluton!Maisàquoimeservira-t-il?—Celuiquileportedevientinvisible.Àprésent,rends-nousnotrebien!
Perséeleurremitl’œiletladent.PuisilrejoignitMercure.—Vois!luidit-iljoyeusement.Jepossèdedessandalessemblablesauxtiennes!M’accompagneras-tu?—Pasquestion, fitMercure.J’aibeaucoupà faire.Désormais, tupeux tedébrouiller tout seul.Maisprends
gardeànejamaisregarderMédusenisessœurs:tuseraischangéenpierre!Ah,tiens,jeteconfiemafaucilled’or,elleteserautile.
Persée se confondit en remerciements. Il enfila les sandales et s’envola avec unemaladresse qui fit sourireMercure.Ledieudesvoleursluiadressaunsigne:
—Nesecouepaslespiedssivite…levol,c’estunequestiond’entraînement…Tuapprendrasvite!Persée, la joie au cœur, piqua vers le couchant : grâce auxdieuxqui veillaient sur lui, il nedoutait plusde
vaincreMéduse!Traversantforêtsetrivières,ilrencontralesnymphes,jeunesdivinitésdesboisetdeseaux.Charméesparle
courageetl’alluredecejeunehéros,ellesluiindiquèrentlerepairedesGorgones.QuandPersée,parvenuaumilieud’undésert,découvritl’entréedelacaverne,ilfrissonnad’horreur:alentour,
onnevoyaitquedesstatuesdepierre.C’étaientlàtousceuxquiavaientaffrontélesGorgones,etquiavaientétépétrifiés par leur regard. Jusque-là, Persée n’avait pas mesuré la difficulté de sa tâche : comment décapiterMédusesansporterleregardsurelle?
Néanmoins,ilserisquadansl’antreobscurenvoletant.Ils’enfonçaaucœurdelacaverneoùrésonnaientdesronflements.Puisilaperçutunnœuddeserpentsquisecontorsionnaientenlevantversluidestêtessifflantes.Aussitôt,ildétournaleregardetmurmura,lecœurbattant:
—LesGorgonessontassoupies…Lesreptilesquileurserventdechevelurevontleurrévélermaprésence!JenepeuxquandmêmepastuerMéduselesyeuxfermés.Ah,Minerve,soupira-t-il,déessedel’intelligence,viensàmonaide,inspire-moi!
Une clarté illumina la grotte… et Minerve apparut, vêtue de sa cuirasse – et tout armée. Son regard étaitbienveillant.
—Jesuistouchéepartahardiesse,Persée.Tiens,jeteconfiemonbouclier.AffronteMéduseenteservantdesonreflet!
Perséeseretournaetcompritaussitôt:maintenant,ilpouvaitprogresseràreculonsverslestroismonstres:iltendaitdevantsesyeuxlebouclierdeladéesse,aussilisseetpoliqu’unmiroir!
Déjà, les troisGorgoness’agitaientdans leursommeil.Avec leurcorpsrecouvertd’écailleset les longscrocspointusquihérissaientleurgueule,ellesétaientvraimenthideuses.PerséerepéraviteMéduse,aucentre;elleétaitlaplusjeuneetlaplusvenimeusedestrois.Toujoursenreculantetenseguidantsurlerefletdubouclier,ilparvintjusqu’àlaGorgoneaumomentoùelles’éveillait.Alors,faisantvolte-face,ilbranditlaserpequeluiavaitconfiéeMercure et la décapita d’un coup ! L’énorme tête semit à gigoter et à tressauter à terre.Un instant,Perséenesutquefaire.Puisils’emparadelabesacequeluiavaientdonnéelesGrées.
—Hélas,elleesttroppetite!Tantpis,essayons…Dominantsarépugnance, il ramassa la tête.Miraculeusement, lesacs’agrandit, justeassezpourquePersée
puisseyenfouirsonbutin.Aprèsquoilabesacerepritsataille.Lehérosn’eutpasletempsdesavourersavictoire:unbruitinsolitel’alerta.Ilaperçutlesangquijaillissaità
grands flots du corps décapité deMéduse. De ce bouillonnement rougeâtre surgissaient deux êtres fabuleux.D’abord,ungéantapparut,uneépéedoréeàlamain.CommePerséereculait,l’autrelerassura:
—Mercidem’avoirfaitnaître,Persée.MonnomestChrysaor!Du sang deMéduse se dégageait peu à peu une autre créature, encore plus extraordinaire : un cheval ailé,
d’uneblancheuréblouissante.
—EtvoiciPégase,luiditChrysaor.Ah…prendsgarde!LessœursdeMédusesesontréveillées!Ellesbloquentlepassage!Non…neteretournesurtoutpas!Vite,PerséeenfilalecasquedePluton.Ildevintaussitôtinvisible.Décontenancées,les
Gorgones semirent à chercher leur adversaire. Et Persée, les yeux à l’abri derrière lebouclierdeMinerve,putainsisefaufilerjusqu’àlasortie.Dès qu’il enleva son casque, les sœurs de Méduse comprirent qu’elles avaient été
dupées.Ellesjaillirenthorsdelacaverneetselancèrentàsapoursuite.Persées’apprêtaitàs’envoleravecsessandalesquandPégasesortitdelagrotteàsontourenhennissant.D’unsaut, lehérosenfourchalechevalailéquibonditdanslesairs.Levisagefouetté
parlevent,Perséerayonnaitdebonheur,ilavaitvaincuMéduseetilchevauchaitleplusfabuleux des coursiers ! Du sac qu’il avait en main, de nombreuses gouttes de sangs’échappaient.Chacuned’elles, en tombant sur le sol, se transformait en serpent.C’estpourquoi,aujourd’hui,ledésertencompteautant.
Lanuitsuivante,MercureapparutàPersée.Lehérosremercialedieupoursesconseilset pour son aide ; il lui rendit la serpe et lui demanda de restituer aux trois Grées le
casquedePlutonetlessandalesailées;maisbiensûr,ilgardalesacaveccequ’ilcontenait…Unsoir,surlecheminduretourettandisqu’ilfranchissaitunerégionarideetescarpée,Perséedécidadefaire
halte.Peuaprès,ungéantarriva.Cettefois,ils’agissaitd’uncolosseaussigrandqu’unvolcan,iltenaitdrôlementlesdeuxbraslevés.—Que fais-tu ici,étranger?grogna-t-il.Sais-tuque tues toutprèsdu fameux jardindesHespérides?Vite,
déguerpis!—Jesuisépuisé!expliquaPersée.Laisse-moidormiricicettenuit.—Pasquestion.Montravailnesupportelaprésencedepersonne!Perséenecomprenaitpas.Ilvoulutplaidersacause.—Quoi, tu oses insister ? grommela le géant en avançant unpiedmenaçant. Petite larve, je ne ferai de toi
qu’unebouchée!Alors,lehérossortitdusaclatêtedelaGorgonedontlepouvoir,illesavait,étaitrestéintact.Illatenditau
géantqui en resta…médusé(3) ! Enune seconde, son corps s’était transformé enmontagne de pierre. Persées’écria:—C’étaitAtlas!J’aipétrifiéceluiquiportaitlecielsursesépaules!Depuiscejour,legéantestlibérédesonfardeau.Etlepoidsducielestsupportéparlamontagnequiporteson
nom.
QuandPerséeabordal’îledeSériphos,ilcourutjusqu’aupalaisseprésenterdevantleroiPolydecte.Nevoyantpassamère,ils’inquiéta.Lesouverain,furieux,luilança:—Danaés’estenfuie !Ellerefusedem’épouser.Elles’estréfugiéedansuntempleavecmonfrèreDictys, le
pêcheur.Ilsespèrentlaprotectiondesdieux.Jefaislesiègedeleurrepaire,ilsnetiendrontpaslongtemps.Ettoi,d’oùviens-tudonc?—Sire,réponditPersée,j’aiaccomplicequevousm’avezdemandé:jevousrapportelatêtedeMéduse.Incrédule,Polydecteéclatad’unméchantrire.—Quoi ?Et elle tiendrait dans cepetit sac ?Tuprétends avoir tué laGorgone ?Commentoses-tu ainsi te
moquerdemoi?—Cesacestmagique,ditPerséequiretenaitmalsacolère.Ilgranditetrapetisseenfonctiondecequ’onymet.—LatêtedeMéduse,là-dedans?ricanaleroi.J’aimeraisvoirça!—Àvosordres,Sire:lavoici.
LehérossaisitlatêtedeMéduseetlabranditfaceàPolydecte.Leroin’eutletempsnide répondre ni de s’étonner : il fut transformé en statue de pierre sur son trône. Etcomme lessoldatset lescourtisansréunisallaientse jetersur lui,Persée leur tendit latêtedelaGorgone,sibienqu’ilsfurenttouspétrifiéssur-le-champ!
Persée courut libérer sa mère et Dictys, son fidèle protecteur. Délivrés du tyran, leshabitantsdel’îledeSériphosvoulurentquePerséerègneàsaplace.
—Non,leurrépondit-il.Leseultrônelégitimequejesuisendroitderevendiquerestceluid’Argos,mapatrie.Jevaisyretourner.
LebruitdesexploitsdufilsdeDanaéétaitparvenu jusqu’àAcrisios :ainsi,sa filleetsonpetit-filsavaient survécu !Pouréchapperà laprophétie,Acrisios s’enfuit, il s’exiladanslavilledeLarissa;iltenaitmoinsàsontrônequ’àlavie.
C’estainsiquePerséerejoignitArgoset,enl’absencedesonaïeul, ilrégna.Unenuit,Minerveluiapparut.Lehéross’inclinadevant ladéesse; il luirenditsonbouclieret lesac.
—EllecontientlatêtedeMéduse.Quipourraitenfaireunmeilleurusage,toiquiesàlafoisladéessedelaguerreetdelasagesse?
—J’acceptetonprésent,Persée,etjet’enremercie.Minerveagrippalacheveluredeserpentsetl’appliquasurlebouclierquiavaitpermisdeduperlaGorgone.Depuis,latêtedeMéduseornel’armuredeladéesse.
Pendantcetemps,àLarissa,leroidelavillevenaitd’organiserdesjeux.Toujoursenexil,Acrisios,lepèredeDanaé,serenditdanslesarènespouryassister.Ils’assitaupremierrang.Aussitôt,ilfutintriguéparunjeuneathlètequi,avantdelancerundisque,voulaitabsolumentreculerjusqu’aufonddustade.
—Quecraint-il?fitAcrisiosenhaussantlesépaules.—Ilredoutedelancerledisquetroploin,expliquasonvoisin,etainsideblesserunspectateur.Acrisiossouritdevantlaprétentiondel’athlète.—Quiest-il,poursecroireaussifort?—C’estlepetit-filsdel’ancienroid’Argos.SonnomestPersée.Desurpriseetd’effroi,Acrisiosselevadesongradin.Maislà-bas,àl’autreextrémitédustade,l’athlètevenait
de lancer son disque… Le projectile vola jusqu’aux premiers rangs ; il s’abattit sur la tête d’Acrisios quis’effondra,tuésurlecoup.
AinsilehérosPerséetua-t-ilsongrand-père,paraccident.Effondréparsonacte,ilfutréconfortéparDanaé.—Monfils,affirma-t-elle,tun’espasresponsable.Nuln’échappeàsondestin.Letienestglorieux.Etquisait
sitesenfantsn’accomplirontpasdesexploitsencorepluséblouissantsquelestiens?Danaénesetrompaitpas:avecsonépouse,labelleAndromède,Perséeauraitunenombreusedescendance.
L’une de ses petites-filles, Alcmène, serait même, comme Danaé, aimée de Jupiter. Et de cette union d’unemortelleetd’undieunaîtraitalorsleplusgrandetlepluscélèbredeshéros:Hercule.
IVTHÉSÉE
QUANDLAVIENETIENTQU’ÀUNFIL…
CESOIR-LÀ,Égée,levieuxroid’Athènes,semblaitsitristeetsipréoccupéquesonfilsThéséeluidemanda:—Quellefigurevousfaites,monpère…Unsoucivousafflige?—Hélas!Demainestlejourmauditoùjedois,commechaqueannée,envoyerseptjeunesfillesetseptjeunes
gensdenotrevilleauroiMinos,enCrète.Cesmalheureuxsontcondamnés…—Condamnés?Pourexpierquelcrimedoivent-ilsdoncmourir?—Mourir?C’estbienpire:ilsserontdévorésparleMinotaure!Thésée réprima un frisson. Longtemps absent de Grèce, il n’était revenu que depuis peu dans sa patrie ;
cependant,ilavaitentenduparlerduMinotaure.Cemonstre,disait-on,possédaitlecorpsd’unhommeetlatêted’untaureau;ilsenourrissaitdechairhumaine!—Monpère,empêchezcetteinfamie!Pourquoilaissez-vousseperpétuercetteodieusecoutume?—Jeledois,soupiraÉgée.Vois-tu,monfils,j’aiautrefoisperdulaguerrecontreleroideCrète.Etdepuis,je
luidoisuntribut:chaqueannée,quatorzejeunesAthéniensserventdepâtureàsonmonstre…Aveclafouguedelajeunesse,Thésées’écria:—Encecas,laissez-moipartirsurcetteîle!J’accompagnerailesfuturesvictimes.J’affronteraileMinotaure,
monpère.Jelevaincrai.Etvousserezlibérédecettehorribledette!Àcesmots,levieilÉgéefrissonnaetserrasonfilscontrelui.—Jamais!J’auraistroppeurdeteperdre.
Autrefois,leroiavaitdéjàfailliempoisonnerThéséesanslesavoir;c’étaitlàunerusedeMédée,sasecondeépouse,quidétestaitsonbeau-fils.—Non.Jenetelaisseraipaspartir!D’ailleursleMinotaureestréputéinvincible.Ilse
cacheaucentred’unétrangepalais:leLabyrinthe!Sescouloirssontsinombreuxetsisavamment enchevêtrés que ceux qui s’y risquent n’en découvrent jamais la sortie. Ilsfinissentpartombersurlemonstre…quilesdévore.Théséeétaitaussitêtuqu’intrépide.Ilinsista,sefâcha,puisusadetantdecâlinerieset
depersuasionquelevieuxroiÉgée,lamortdansl’âme,finitparcéder.Aumatin, Thésée se rendit avec son père au Pirée, le port de d’Athènes. Ils étaient
accompagnésdesjeunesgensdontceseraitlederniervoyage.Leshabitantsregardaientpasserlecortège;certainsgémissaient,d’autrestendaientlepoingverslesémissairesduroiMinosquiencadraientlesinistreconvoi.Bientôt,latroupeparvintsurlesquaisoùétaitaccostéeunegalèreauxvoilesnoires.—Ellesportentledeuil,expliqualeroi.Ahmonfils…siturentresvainqueur,n’oublie
pasdelestroquercontredebellesvoilesblanches.Ainsi,jesauraiquetuesvivantbienavantquetun’accostes!
Théséepromit;puisilserrasonpèrecontreluietrejoignitlesAthéniensdanslenavire.
Unenuit, durant le voyage,Neptune, le dieu desmers, apparut en rêve à Thésée. Ilsouriait.—BraveThésée!luidit-il.Tavaillanceestcelled’undieu.C’estnormal:tuesmonfils
aumêmetitrequetuesceluid’Égée(4)…Théséeentenditpourlapremièrefoislerécitdesafabuleusenaissance.— À ton réveil, plonge dans la mer ! lui recommanda Neptune. Tu y trouveras un
anneaud’orqueleroiMinosaautrefoisperdu.Théséeémergeadusommeil.Ilfaisaitgrandjour.Auloinsedevinaientdéjàlesrivesde
laCrète.Alors, devant ses compagnons stupéfaits, Thésée se jeta à l’eau. Quand il toucha le
fond,ilaperçutunbijouquibrillaitparmilescoquillages.Ils’enempara,lecœurbattant.Ainsi,toutcequeluiavaitdéclaréNeptuneenrêveétaitvrai:ilétaitundemi-dieu!Cettedécouvertedopasoncourageetrenforçasavolonté.Quand le navire aborda le port de Cnossos, Thésée avisa dans la foule le souverain
entourédesasuite.Ilallaseprésenter:—Salutàtoi,ôpuissantMinos.JesuisThésée,filsd’Égée.—J’espèrequetun’aspasfaittoutcecheminpourimplorermaclémence?fitleroien
comptantavecsoinlesquatorzeAthéniens.—Non.Jen’aiqu’unvœu:nepasquittermescompagnons.Unmurmureparcourutl’entourageduroi.Méfiant,celui-ciexaminalenouveauvenu.
Enreconnaissantl’anneaud’orqueThéséeportaitaudoigt,ilsedemanda,stupéfait,parquelprodigelefilsd’Égéeavaitpuretrouvercebijou.Méfiant,ilgrommela:— Voudrais-tu affronter leMinotaure ? En ce cas, tu devras le faire àmains nues :
déposetesarmes.ParmiceuxquiaccompagnaientleroisetrouvaitAriane,l’unedesesfilles.Impressionnéeparlatéméritédu
prince, elle songeait avec épouvante qu’il allait bientôt la payer de sa vie. Thésée avait longuement observéAriane.Certes, ilétaitsensibleàsabeauté.Mais il futsurtout intriguépar letravaild’aiguillesqu’elleavaitenmain.—Drôled’endroitpourtricoter,sedit-il.Oui,Ariane tricotait souvent, cela luipermettaitderéfléchir.EtsansquitterdesyeuxThésée,une idée folle
germaitenelle…—Venezmangeretvousreposer,décrétaleroiMinos.Demain,vousserezconduitsdansleLabyrinthe.
Thésée se réveilla en sursaut : quelqu’un était entré dans la pièce où il dormait ! Ilscruta l’obscurité et déplora qu’on lui ait retiré son épée. Une silhouette blanche sedétachadel’ombre.Uncliquetisfamilierd’aiguilleslerenseignasurl’identitéduvisiteur.—Necrainsrien.C’estmoi:Ariane.Lafilleduroiallajusqu’aulit,oùelles’assit.Ellesaisitlamaindujeunehomme.—Ah,Thésée, implora-t-elle,ne te joinspasà tes compagnons !Si tuentresdans le
Labyrinthe,tun’enressortirasjamais.Etjeneveuxpasquetumeures…Aux tremblements d’Ariane, Thésée devina quels sentiments l’avaient poussée à le
rejoindreicicettenuit.Troublé,ilmurmura:—Pourtant,Ariane,illefaut.JedoisvaincreleMinotaure.—C’estunmonstre.Jeledéteste.Etcependantilestmonfrère…—Comment?Quedis-tu?—Ah,Thésée,laisse-moiteraconterunebiensingulièrehistoire…Lajeunefilles’approchaduhérospourluiconfier:—Bien avantmanaissance,mon père, le roiMinos, commit l’imprudence de duper
Neptune:illuifitlesacrificed’unvilaintaureaumaigreetmaladeaulieudeluiimmolerlemagnifiqueanimalque ledieu lui avait envoyé(5). Peu après,monpère semaria avec la bellePasiphaé,mamère.MaisNeptuneruminaitsavengeance.Ensouvenirdel’ancienaffrontquiluiavaitétéfait,ilfitperdrelatêteàPasiphaéetlarenditamoureuse…d’untaureau!Lamalheureusesefitmêmeconstruireunecarcassedevachedanslaquelleellesedissimulapours’uniràl’animalqu’elleaimait!—Quellehorriblestratagème!—Lasuite,Thésée,tuladevines,achevaArianeenfrissonnant:mamèredonnanaissanceauMinotaure.Mon
pèrenepouvaitserésoudreàtuercemonstre;maisilvoulutlecacheràjamaisauxyeuxdetous.Ilfitappelauplushabiledesarchitectes,Dédale,quiconçutlefameuxLabyrinthe…Choquéparcerécit,Théséenesavaitplusquedire.—Necroispas,ajoutaAriane,quejeveuilleépargnerleMinotaure.Cedévoreurd’hommesméritemillefoisla
mort!—Alorsjeletuerai.—Situyparvenais,jamaistunetrouveraislasortieduLabyrinthe.—Ehbientantpis!Unlongsilencecouladanslanuit.Soudain,lajeunefilleseserracontrelejeunehommeetluidit:—Thésée?SijetelivraislemoyenderetrouverlasortieduLabyrinthe,m’emmènerais-tuavectoi?Lehérosneréponditpas.Certes,Arianeétaitséduisante–etfillederoi.Ilétaitvenujusqu’àcetteîlenonpour
ytrouveruneépouse,maispourlibérersonpaysd’unfardeau.— Je connais les habitudes du Minotaure, insista-t-elle. Je sais quelles sont ses faiblesses et comment tu
pourraisenveniràbout.Maiscettevictoireaunprix:tum’enlèvesettum’épouses!—Soit.J’accepte.ArianefutsurprisequeThéséeacceptesivite.Était-ilamoureuxd’elle?Ousepliait-ilàunsimplemarché?
Qu’importe!Elle luiconfiamillesecretsqui luipermettraientdevaincresonfrèrele lendemain.Etaubruitdesavoixse
mêlaitl’entêtantcliquetisdesesaiguilles:Arianen’avaitpascessédetricoter.
Faceàl’entréeduLabyrinthe,MinosordonnaauxAthéniens:—Entrez!C’estl’heure…Pendant que les quatorze jeunes gens terrorisés pénétraient un à un dans l’étrange
édifice,Arianechuchotaitàsonprotégé:— Thésée, prends ce fil, et surtout ne le lâche pas ! Ainsi, nous serons reliés l’un à
l’autre.Elletenaitàlamainlapelotedel’ouvragequinelaquittaitjamais.Lehérossaisitce
qu’elle lui tendait :unfil ténu,presqueinvisible.Si leroiMinosnedevinariende leurmanège,ilcompritquecegarçonetsafilleavaientdumalàseséparer.—Ehbien,Thésée,railla-t-il,aurais-tupeur?Sans répondre, le héros entra dans le couloir à son tour. Très vite, il rejoignit ses
compagnonsquihésitaientdevantunefourche.—Qu’importe!leurdit-il.Prenezàdroite.Ilsaboutirentàuncul-de-sac, revinrentsur leurspas,empruntèrent l’autre issuequi
lesmenaàunnouvelembranchementdeplusieurscouloirs.—Engageons-nousdansceluiducentre.Etnenousséparonspas.Bientôt, ils émergèrent à l’air libre ; aux murs du Labyrinthe avaient succédé
d’infranchissablestaillis.—Quisait?murmural’undesAthéniens.SiledestinnousoffraitlachancedenepasaboutirauMinotaure…
maisàlasortie?Hélas,Théséesavaitqu’iln’enseraitrien:Dédaleavaitconçusonédificedetellesortequ’onfinissaittoujours
pararriveraucentre!C’estexactementcequiseproduisit.Verslesoir,alorsquesescompagnonsseplaignaientdelafatigueetdela
faim,Théséeleurordonnasoudain:—Arrêtons-nous!Écoutez.Etpuis…nesentez-vousrien?Lesmursleurrenvoyaientl’échodegrognementsimpatients.Etdansl’airflottaituneforteodeurdecharogne.—Nousarrivons,murmuraThésée.L’antredumonstreestproche !Attendez-moi,etsurtoutnebougezpas
d’ici!Ilpartitseul,lefild’Arianetoujoursenmain.
Soudain, ilaboutitàuneesplanadecirculairesemblableàunearène.Làse tenaitunmonstre encore plus effrayant que tout ce qu’il avait imaginé : un géant à la tête detaureau,dont lesbraset les jambespossédaientdesmusclesnoueuxcommedestroncsdechêne.EnvoyantentrerThésée,ilmeuglauneffroyablecridesatisfactiongourmande.Sous ses naseaux, sa gueule ouverte bavait. Il baissa sa tête bovine et poilue, pointantainsidescornesacéréesverssaproie.Puisils’élançaverssafuturevictimeenrabotantlesabledesespiedscornus.
Lesolétaitjonchéd’ossements.Théséeramassaleplusgros,illebrandit.Aumomentoùlemonstreallaitl’embrocher,ils’écartapourluiassénersurlemufleuncoupsuffisantpourassommerunbœuf…maispasassezviolentpourtuerunMinotaure!
Lemonstrehurladedouleur.Sansluilaisserletempsdereprendresesesprits,Théséeagrippalesdeuxcornesàpleinesmainspourmieuxbondirsurlesépaulespoilues.Ainsijuché,ilrefermasesjambesenciseauxsurlecoudesonennemi;et,detoutessesforces,ilserra!Privéderespiration,lemonstre,furieux,sedébattit.Ilnepouvaitencornercetadversairequifaisaitdésormaiscorpsaveclui!Ilgigota,tomba,roulaàterre.Malgrélesablequis’infiltraitdanssesoreillesetdanssesyeux,Théséenelâchaitpasprise,commeArianeleluiavaitrecommandé.
Peu à peu, les forces du Minotaure déclinèrent. Bientôt, il jeta un épouvantablemeuglementderage,eutunsursaut…etrenditlederniersoupir!Alors,Thésées’écarta
del’énormechoseinerte.Sonpremierréflexefutd’allerrécupérerlefild’Ariane.Lesilenceinsoliteetprolongéavaitattirésescompagnons.—Incroyable…TuasvainculeMinotaure!Noussommessauvés!Théséeréclamaleuraidepourarracherlescornesdumonstre.—Ainsi,expliqua-t-il,Minossauraqu’iln’aplusdetributàréclamer.— À quoi bon ? Certes, nous avons été épargnés. Mais une mort lente nous attend : jamais nous ne
retrouveronslasortie.—Si,affirmaThéséeenleurmontrantlefil.Regardez!Fébriles, ils semirent en route.Grâce au fil, ils refaisaient à l’envers le long et tortueux trajet qui les avait
menésjusqu’auMinotaure.Théséeavaitdumalàcalmersonimpatience.IlsedemandaitqueldieubienveillantavaitsoufflécetteidéegénialeàAriane.Bientôt,lefilsetendit:àl’autrebout,quelqu’unletiraitavecautantdehâtequelui.
Enfin, aprèsplusieursheures, ils émergèrent à l’air libre.Lehéros fourbu jeta les cornes sanguinolentesduMinotaureàterre,prèsdel’entrée.
—Thésée…enfin!Ettuasréussi!Éperdue d’amour et de joie, Ariane se précipita vers lui. Ils s’étreignirent. La fille de Minos eut un regard
attendripourl’énormeécheveaudésordonnéqueThéséeavaitencoreenmains.—Toutdemême,reprocha-t-elleensouriant,tuauraispusongeràmieuxlerembobiner…
L’aubeapprochait.Accompagnésd’Ariane,ThéséeetsescompagnonssefaufilèrentdanslesruesdeCnossosetrejoignirentleport.
—Percezlacoquedetouslesnavirescrétois!ordonna-t-il.—Pourquoi?s’interposaAriane,étonnée.—Tut’imaginesquetonpèrenevapasréagir?Qu’ilvalaissers’enfuiravecsafilleceluiquiatuél’enfantde
sonépouse?—C’estvrai,admit-elle.EtjemedemandebienquellepunitionilvainfligeràDédale,puisquesonLabyrinthe
n’apasprotégéleMinotaurecommemonpèrel’espérait(6)!Quandlesoleilseleva,lagalèredeThéséeavaitquittélaCrète.Ellecinglaitjoyeusementetàviveallureversla
Grèce…
Pendant le voyage du retour, Thésée fit un songe étrange : cette fois, c’est un autre dieu, Bacchus, qui luiapparut.
—Ilfaut,ordonnait-il,quetuabandonnesArianesuruneîle.Elleneserapastonépouse.J’aipourelled’autresprojetsplusglorieux.
—Cependant,bredouillaThésée,jeluiaipromis…—Jesais.Maistudoisobéir.Oucraindrelacolèredesdieux.QuandThésées’éveilla,ilhésitaitencore.Maislelendemain,lagalèredutaffronterunetempêtesiviolenteque
lehérosyvitunévidentsignedivin.Ilhurlaàlavigie:—Ilnousfautrelâcherauplusvite!Nevois-tupaslaterreauloin?—Si!Uneîleestenvue…CedoitêtreNaxos.Ilsyabordèrentetattendirentquelesélémentssecalment.
Latempêtes’apaisadanslanuit.Aupetitmatin,alorsqu’Arianedormaitencoresurlagrève,Théséerassemblaseshommes.Ilordonnaqu’onreparteauplustôt.Sanslajeunefille.—C’estainsi!dit-ilenvoyantlevisagepleindereprochesdesescompagnons.Les dieux n’agissent pas sans motif. Et Bacchus avait de bonnes raisons pour que
ThéséeabandonneAriane :séduitparsabeauté, ilvoulaiten fairesonépouse !Oui, ilavait décidé qu’il aurait d’elle quatre enfants, et qu’elle siégerait bientôt avec lui surl’Olympe. En signe d’alliance divine, il s’était même promis de lui faire cadeau d’undiadèmequidonneraitnaissanceàl’unedesplusbellesconstellations…Bien sûr, Thésée ignorait les intentions de ce dieu amoureux et jaloux. Cinglant à
nouveau vers Athènes, il s’accusait d’ingratitude. Préoccupé, il en oublia larecommandationquesonpèreluiavaitfaite…Postéausommetdupharequisedressaitàl’entréeduPirée,leguetteurhurla,lamain
envisièreau-dessusdesyeux:—Unnavireestenvue!Oui…c’estlagalèrequirevientdeCrète.Vite,allezprévenirle
roi!Moins de trois kilomètres séparent Athènes de son port. Fou d’espoir et d’inquiétude, le vieux roi Égée
accourutsurlesquais.—Lesvoiles?demanda-t-ilenlevantlatêteversleguetteur.Peux-tuapercevoirlesvoilesetmedirequelleen
estlacouleur?—Hélas,grandroi,ellessontnoires.LevieilÉgéenevoulutpasensavoirdavantage.Éperdudedouleur,ilsejetaàlamerets’ynoya.Quandlagalèreaborda,onvenaitderamenerlecorpsduvieilÉgéesurlerivage.Théséeseprécipitaverslui.Il
devinaaussitôtcequiétaitarrivéetsemauditpoursanégligence.—Monpère!Non…Jesuisvivant!Revenezàvous,parpitié!Maisilétaittroptard:Égéeétaitmort.LechagrinquisubmergeaThéséeluifitd’uncoupoubliersarécente
victoiresurlemonstre.Amer,lehérossongeaqu’ilvenaitdeperdreuneépouseetunpère.—Désormais,Thésée,tuesroi!firentlesAthéniensens’inclinant.Lenouveausouverainserecueillitdevantladépouilled’Égée.Solennellement,ildécréta:—Quecettemer,désormais,portelenomdemonpèreadoré!Et c’estdepuis ce jour funesteoù le vainqueurduMinotaure revintdeCrèteque lamerquiborde laGrèce
portelenomd’Égée.Entre-temps,Arianes’étaitréveilléesur l’îledésertée.Dans le journaissant,elleaperçutau loin lessombres
voilesdelagalèrequis’éloignait.Incrédule,ellebalbutia:—Thésée!Est-ilpossiblequetum’abandonnes?Ellesuivitlenaviredesyeuxjusqu’àcequel’horizonl’engloutisse.Ellecompritalorsqu’ellenereverraitjamais
Thésée.SeulesurlaplagedeNaxos,ellelaissalibrecoursàsonchagrin;ellegémitlonguementsurl’ingratitudedeshommes.PuisArianeretrouvasurlagrèvesonouvrageabandonné.Ellerepritsesaiguilles.Etenattendantques’accomplisseleprodigieuxdestinqu’elleignorait,elleseremitau
travail.Toutenpleurant,elletricotait.
VHercule
UNHÉROSAMOUREUX
CEMATIN-LÀ,Omphale, lareinedeLydie, traversaitengrandéquipagelaplacedumarchéauxesclaves.Sonattention fut soudain attirée par un attroupement. Juché sur une estrade, un marchand richement vêtuharanguaitlafoule;ildésignaituncolosseenchaîné,presquenu,agenouilléàsespieds.—Ehbien,pasd’amateur?Leprixquejedemandevousparaît-iltropélevé?Omphaleordonnaàsesporteursdelamenerjusqu’auxdeuxhommes.L’esclave,surtout,l’intriguait:lataille
desesmusclesetsabeautésculpturaledonnaientàsonhumilitéuneétrangenoblesse.Unesclave,cecolossequiavaitposéàterresonénormemassueetcettetuniquefaitedelapeaud’unlion?Ellen’encroyaitpasunmot.Elleauraitmêmejuréque…—Non,murmura-t-elle.C’estimpossible!Envoyantleurreineapprocher,lesbadaudss’écartèrentenseprosternant.Lemarchand,lui,secontentad’un
brefhochementdetête.Oneûtditqu’ilvoulaittraiterlareineenégal.—Quies-tu,étranger?demanda-t-ellesèchement.Etcombienveux-tudetonesclave?—Oh,unemisère,grandesouveraine!EtquandtusaurasquecethommeestHerculeenpersonne…Ainsi,ellenes’étaitpastrompée!Sonintuitionlapoussaitàcroirequecemarchanddisaitlavérité.Unevérité
difficileàadmettre.Pourbalayersesderniersdoutes,elleironisa:—Hercule,vraiment?LevainqueurduliondeNémée?Lehérosquiatuél’hydredeLerne,domptéletaureau
duroiMinos?…—…etquiacapturéCerbère,lechiendesEnfers!Ehoui,noblereine,c’estbienlui.Songeauxservicesqu’il
pourraitterendre…Omphale l’imaginaitaisément.Depuisdesannées,sonroyaumeétait infestépardeshordesdebrigandsqui
rançonnaient lesvoyageursetempêchaient ledéveloppementducommerce.Si lemarchandnementaitpas, lecélèbrehérosneferaitqu’unebouchéedecesmalfaiteurs!L’occasionétaitinespérée.Presquetropbelle.Carlareinedoutaitencore.— Je ne te crois pas,marchand. Si c’est là l’invincibleHercule, pourquoi ne brise-t-il pas ses chaînes ? Et
commentas-tufaitpourlecapturer?Lemarchands’approchadelareineetluiconfiaàvoixbasse:—Herculen’est prisonnier quede lui-même, grande reine. Il a commisunnouveau crime…Sais-tuqui est
Eurystos?—Oui,réponditOmphale.Leplushabiledesarchers!N’a-t-ilpasenseignésonartàHerculelui-même?—Exact.Ehbienrécemment,EurystosapromisdedonnersafilleIolaàceluiquiserévéleraitmeilleurtireur
quelui.Herculearelevéledéfi…etilaprouvéquel’élèveétaitmeilleurquelemaître!—Est-celàsonseulforfait?
—Attends:vexé,Eurystosluiarefusélamaindesafille.Imaginelafureurd’Hercule!Aussi,quandleproprefilsdel’archerestvenudemanderunserviceànotrehéros,celui-ciavengél’affrontquiluiavaitétéfaitenprécipitantlequémandeurpar-dessuslesmursdelavilledeTirynthe!Omphale avait entenduparler de l’incident. La susceptibilité et les colères d’Hercule
étaientaussicélèbresquesaforce.—Aussi,poursuivit lemarchand, lecoupables’estrenduàDelphespoury interroger
lesdieuxsurlafaçond’expiersonmeurtre.Apollonl’acondamnéàdeveniresclaveuneannéeentière.LemontantdesaventeseraremisàEurystos.—Soit,murmuraOmphale.Maissi jepaie,Herculesemettra-t-ilàmonservicesans
rechignernis’enfuir?—Bien sûr ! S’il refuse d’être ton esclave pendant un an, il ne sera pas lavé de son
crime ! Hercule sait bien qu’on ne peut pas tromper les dieux. Voilà pourquoi, noblesouveraine, tu ne risques rien en l’achetant ! Au contraire, tu accompliras une bonneactionpuisquetonargentlelibéreradesadette.Omphale rendait grâce aux dieux d’avoir mis ce marchand sur sa route ! Le héros
enchaînélevaalorsverselleunregardquifitchavirersoncœur.Ainsi,leplusbelathlètedetoutelacréationallaitsemettreàsonservice…—Combienenveux-tu?demanda-t-elled’unevoixqu’elletentaitd’affermir.Le prix était élevé : celui d’une centaine d’esclaves ordinaires. Mais pour Hercule,
Omphaleauraitdonnémillefoisplus.— Paye ce marchand ! ordonna-t-elle en se tournant vers son régisseur. Et toi,
approche…TuesdoncHercule?—Oui.Pourteservir,grandereine.
Lehéros se relevapouravancer ; et ses liensdemétal tombèrent à sespieds.La foule assembléemurmuradevantceprodige.Troublée,Omphalesetournaverslemarchandpourluidemander:—Aufait,ettoi,quies-tu?Mais l’homme avait disparu. Oh, il ne s’était pas éclipsé parmi les badauds, non : il s’était littéralement
volatilisé!Hercule,avecuntristesourire,révélalavéritéàlareine:— Comment, Omphale, tu ne l’avais pas reconnu ? C’était le dieu des marchands… Eh oui : Mercure en
personne!
CommelareinedeLydiel’avaitespéré,ilnefallutàHerculequequelquessemainespourdébarrasserlarégiondesesbrigands.Enfait,laréputationd’Herculefaisaitautantd’effetquesabravoureetsaforce:lebruitdesaprésence dans le royaume s’était répandu et, très vite, lesmalfaiteurs rescapés jugèrent plus prudent d’allercommettreleursméfaitsailleurs!Unsoir,Herculevints’agenouillerdevantletrôned’Omphale.—Ehbienc’estfait,noblesouveraine:j’aiaccomplimamission.Quellenouvelletâcheexiges-tudemoi?
Lareineétaittrèsembarrassée.CommentutiliserHercule?Luidemanderdenettoyersesécuries?Dedétournerlecoursd’unfleuve?Deveniràboutd’unmonstre?Certes,lehérosseraitvenuàboutdetouscesexploits,ilenavaitmaintesfoisfaitlapreuve(7).MaisOmphalen’avaitaucuntravailextraordinaireàdemanderàcetesclaveexceptionnel.Elleneselassaitpasderépéter:«Ilestàmoi,ilm’appartient,ilestàmonservice…»Pourconfirmercetteévidence,etpuisquelesilencedelareineseprolongeait,Herculerelevalesyeuxverselleetdéclara:—Commande,grandereine.J’obéirai.—Ehbien,donne-moidonccettepeaudelionquitesertdetunique.Stupéfait,Herculehésitaunlongmoment;puis,àcontrecœur,ilsedévêtitettendità
la reine la dépouille du lion de Némée. Omphale n’avait exigé ce vêtement que pourmieuxadmirerlecorpsdesonesclave.Ellemurmura:—Tuesbeau,Hercule.Ettumeplais.Confusdeseretrouverdévêtu,lehérosbaissalatêtedevantlareinequiledétaillait.—Etmoi?demanda-t-elle,commentmetrouves-tu?—Tues…tuestrèsbelle,Omphale,murmura-t-ilsansbouger.Herculen’avaitjamaisétéunséducteur.Ilauraitpréféréaffronterlesmonstreslesplus
dangereuxplutôtqu’unesituationaussiembarrassante.—Commentpeux-tuenêtresûr?Tunem’asmêmepasregardée!Enobservantlapeaudulionposéedevantelle,lareineeutsoudainl’enviedelarevêtir.Prestement,elleenlevasarobe.Àcetinstant,Hercule,quiattendaittoujoursdesordres,relevalesyeux.Leurs
regardssecroisèrentuninstant.—Maintenant,j’ensuiscertain,murmuraHerculeenrougissant,tuestrèsbelle,Omphale.Lareinesecontentaderire;puiselleposasurellel’énormepelagedulionetl’agrafasursesépaulesavantde
s’admirerdansunmiroirdecuivre.—J’aiuneidée,Hercule:nousallonséchangernosvêtements.Metsmarobe!Commelehérossedemandaits’ils’agissaitd’uneplaisanterie,elleajoutad’unevoixplussèche:—C’estunordre,Hercule,obéis!Deplusenplusdécontenancé,ilenfilalevêtementdelareine,nonsansdevoirledéchirerpourqu’ils’ajuste.
En apercevant son reflet dans le miroir, il réprima sa colère : heureusement, personne n’assistait à cettehumiliation.Lesdouzetravauxqu’ilavaitautrefoisaccomplisluiparaissaientbienlégersàcôtédecettenouvelleépreuve!Satisfaite,Omphalerevints’asseoirsurletrône.—Distrais-moi,Hercule.Sais-tuchanter?Vas-tudanserpourmoi?—Chanter?Danser?Écoute,nobleOmphale,jesuisunguerrier!Je…jepeuxteracontermesexploits!—Ah,quellebonneidée!Ehbienjet’écoute.Alors,pendantdelonguesheures,Herculeraconta:ilexpliquacommentilétaitvenuàboutdesoiseauxdulac
deStymphale;ilrelatasalonguepoursuitedelabichedumontMénale…Attentive,éperdued’uneadmirationqu’elleavaitpeineàcontenir,Omphaleprêtal’oreilleauxrécitsduhérosquisetenaitaccroupiaupieddutrône,toujoursvêtudesonhabitdefemme.Lareineordonnaàsessuivantesd’apporterunrouet;puisellesemitàfilerlalainesansrienperdredesparolesdesoncompagnon.Lesoirvenu,elleeutunlongsoupiretdéclara:—Quellesfabuleusesaventures!Hercule,j’aimeraisrécompensertavaillance…ettapatienceaussi.
Elleréfléchit,jetauncoupd’œilsurelleet,soudain,ôtadel’undesesdoigtsunebagueornéed’unmagnifiquediamant.—Elleestàtoi.Ehbienprends-la,Hercule!Indécis,lehérosfinitparaccepter.Ilessayad’enfilerlabague.C’esttoutjustes’ilputla
glisseràsonpetitdoigt.
Lelendemain,lareineexigead’Herculequ’ilracontelasuitedesesexploits.Ils’ypliadebonnegrâce;cettefois,pourleremercier,elleluioffritsoncollierdeperles.—Omphale,sedéfendit-il,c’esttrop.Etpuis…c’estlàencoreunbijoudefemme.—Comment ? Veux-tu dire qu’il n’est pas digne de toi ?Oublies-tu qu’une reine l’a
porté?Encolère,lasouveraineajustamieuxsursesépauleslapeauduliondeNémée;puis
elle s’empara de l’énormemassue abandonnée près de son trône.Mais l’arme était silourdequ’elleneputlasoulever.Ellecompritqu’illuifaudraitdominersonesclaveavecd’autresmoyens…Ils s’affrontèrent du regard. Hercule s’attendait à un ordre – il n’aurait pu s’y
soustraire;maisd’unevoixdouce,lareinedéclara:—Hercule,celameferaittellementplaisirquetuportesmoncollier.Cette invitation le jeta dans l’embarras. Il ne put résister au regard langoureux
qu’Omphaleluijeta.Etilenfilalecollierautourdesoncou.Aufildesjoursetdessemaines,lecœurduhéross’amollit.Sarudesses’émoussa.Privé
desépreuvesphysiquesetdescombatsquientretenaientsavigueur,Herculefinitmêmeparprendregoûtàl’inactionetàlaparesse.Sansmêmeyprendregarde,ils’attachaità
cettereinefarouchequiavaitentreprisdeledompterenalternantcruautéetdouceur.
Unjour,commeOmphaletardaitàlefaireappeler,ilseprésenta,impatient,àlasalledutrône.Lasouveraineétaitentouréedesessuivantes,ellesbandaientl’undesesdoigts.Ilseprécipita,éperdud’inquiétude:—Omphale…tuesblessée?—Oh,cen’estrien,dit-elleendésignantsonrouet:jemesuispiquéeàlapointedemaquenouille.Hercule saisit lamain de la reine, l’embrassa et effaça de ses lèvres une dernière trace de sang. Attendrie,
Omphaleordonnaàsesdomestiquesdepartir.—Leplustriste,soupira-t-elle,c’estquejenepourraipasfinircetouvrage.—Soissanscrainte,ditHerculeenseprécipitantverslerouet,jel’achèveraipourtoi.Sans rechigner, le héros saisit la quenouille et se mit à filer. Au bout d’un long moment, il s’aperçut
qu’Omphalel’observait.Émue,lareineplongeasonregarddansceluiduhérosagenouillé.—Hercule,murmura-t-elle,àprésentjesaisquejet’aime.—Etmoi,répondit-il,j’aibienpeurdet’aimeraussi.—Tuaspeur?Queredoutes-tu?—Désormais,jenecrainsquemoi-même.
Les mois avaient passé. Et Omphale voyait avec inquiétude approcher le moment où son prisonnierrecouvreraitsaliberté.—Hercule,jeneveuxplusquetusoismonesclave.Maisjeneveuxpasnonplusteperdre…épouse-moi!Lehérosdevinaitqueceseraitlàlevéritableesclavage.MaisilaimaitOmphale.Ill’épousa.
Unenuit,ledieuMercureapparutenrêveàOmphale;ilétaitvêtudumêmehabitdemarchandque le jouroùelle l’avaitaperçusur laplace.Suspendudans lesairsgrâceàsessandalesailées,ileutunregardbienveillantpourlareineetluidéclara:
—Omphale,lemomentestvenudeteséparerdetonesclave.—Herculen’estplusmonesclave!répondit-elle.Ilestdevenumonépouxetjel’aime.
Nousnepouvonsplusnousquitter.—Cependant, il lefaut,Omphale!N’as-tupasobtenutoutcequetudésirais?Tuas
apprivoisé le plus farouche des héros, tu as soumis le plus vaillant des demi-dieux…Désormais, il doit poursuivre sa tâche. Si tu l’aimes d’un amour véritable, tu dois leconvaincredepartir.
—Mercure…sais-tubiencequetumedemandes?— Oui Omphale. Mais c’est là l’ordre des dieux ! Et la seule façon pour toi d’aider
Herculeàaccomplirsondestin.
LareinedeLydies’éveilla.Longtemps,elleobservaHerculeendormi.Ledialoguequil’avaitopposéeàMercurependantlanuitavaitl’amertumedelaréalité;lerêve,c’étaitsansdoutel’annéequivenaitdes’écouler.
QuandHerculeouvritlesyeux,ilvitqu’ilétaitseul.Ilcourutjusqu’àlasalledutrôneoùOmphalel’accueillitfroidement.
—Qu’ai-jedoncfaitpourméritertoncourroux?fit-il,stupéfait.—Rien.Jecroisqu’ilestpréférablequenousnousséparions,Hercule.Ah…jecroisque
cecit’appartient.Ellesepenchaetluirenditlapeaudulionetlamassue.Ils’étonna:—Attends…dois-jecomprendrequetumecongédies?Aprèsm’avoirséduit,épousé,
tumerenvoiescommeundomestique?—Oui.Etjeteconseilledemelaissertouslesbijouxquetuportes.Situsavaiscommetuasl’airridicule!Elleseforçaàrire.Puisellelechassadelasalledutrôneets’obligeaàletraiterànouveaucommeunesclave.Herculeétaittrèsdécontenancé.MaisaprèsavoirrevêtulapeauduliondeNéméeetéprouvéànouveausous
samainlepoidsdesalourdemassue,ilsentit,dejourenjour,renaîtreenluiunevigueuretunevolontéqu’ilavaitcruàjamaisperdues.Cependant,l’amourqu’ilportaitàOmphaleavaitbiendumalàs’estomper.
Unmatin, il se leva lepremier.Lecœurgros, ilobservasonépouseendormiesanspouvoirserésoudreà laquitter.
—Omphale,murmura-t-il,faut-ilvraimentquejeparte?Alors, lareineseredressa.Enguised’adieu,ellecaressa la jouedesonhéroset luiditen leregardantdroit
danslesyeux:—Oui.C’estlàledernierordrequeturecevrasdemoi,Hercule:pars,nem’aimeplus,oublie-moi.—Jepeuxpartir,Omphale.Maisneplust’aimer,t’oublier…commentfaire?—Illefaut.
Herculeobéitetpartit.Cefutpeut-êtrelàleplusdifficiledetoussesexploits,maisilparvintàoublierOmphale.Sansdouteobtint-il
pourcelal’aidedesdieuxquiveillaientsurlui.Désormaisseuledanssonpalais,lareinedeLydierestainconsolable.VoirpartirHerculeétaitpourellebien
pirequedelesavoirmort.Carlehérosvivrait,ilaimeraitencore.MaisnuldieunevintaiderOmphaleàoubliersonamour.
VIŒDIPE
CELUIQUI,FUYANTSONDESTIN,N’AFAITQUELEPRÉCIPITER
ÉCOUTE…Écoutelaterriblehistoiredeceluiquelesdieux,avantmêmesanaissance,avaientcondamnéàtuersonpèreet
àépousersamère!Voilà:toutcommenceàThèbes, lavilledontLaïusest leroi.Unjour,Jocaste,sajeuneépouse, luiapprend
qu’elleattendunenfant.Alors,LaïusserendausanctuairedeDelphes.Connais-tu lesanctuairedeDelphes?Imagineuntempleentouréd’étrangesfumerolles…Là,unevieillefemmesertd’intermédiaireentrelesdieuxetleshommes,c’estlaPythie!Oui,laPythierépondàceuxquil’interrogent,ellerévèleparfoisleurorigineetplussouventleuravenir.—Jeveuxsavoir,luidemandealorsLaïus,quelglorieuxdestinseraceluidenotreenfant.LaPythielèveaucielunregardhalluciné.Ellemarmonne:—Ilvousnaîtraunfilsquituerasonpèreetquiépouserasamère!Laïus,épouvanté,croitavoirmalentendu.Ilvoudraithurler:—Non,c’estimpossible,tutetrompes!MaislaPythienepeutmentir.Etquelhumain,fût-ilroideThèbes,pourraitcontrecarrerlavolontédesdieux?Désespéré,leroirevientàThèbes.Lavéritéesttrophorriblepourqu’ilpuissel’ébruiternimêmelarévélerà
sonépouse.Ensecret,ilsejuredetoutfairepourquecetteprédictionjamaisnes’accomplisse!Peuaprès,lareineJocastedonnenaissanceàunfils.C’estunjolibébéjoyeuxetpleindevie.—Commentl’appellerons-nous?demande-t-elleàsonépoux.Sansrépondre, le roi s’éloigneavec lenouveau-né.Àquoibon luidonnerunnom, ilne fautpasqu’ilvive !
Laïusfaitvenirlecapitainedesagarde.Illuiordonne:—Prendscebébé.Emporte-leloind’ici.Tue-le.Puislaisselesanimauxdévorersoncadavre.Obéissansposer
dequestions!
Le capitaine s’incline ; le bébédans les bras, il quitte le palais.C’est un rude soldat.Tuer?C’estsonmétier.Maisvoilà:tandisquesonchevalparcourtlaplaineaugalop,lenourrisson semet à geindre et à pleurer. A-t-il faim ?A-t-il froid ?Devine-t-il le sortqu’onluiréserve?Alors,lecapitainesentsoncœurfaiblir,ilaccélèrel’allureetdirigesamonture vers lemontCithéron, qu’il gravit. Arrivé au sommet, il s’arrête. Là, un ventfroidsoufflesurlavégétationaride.Le capitainedégaine son épée, lespleursdubébé redoublent.Ce soldat intrépidene
reculerait pas, seul, devant une armée ennemie. Ici il répugne à accomplir ce lâcheassassinat.Ilsoupire:— Non. Décidément, je ne peux pas… Laissons donc les fauves se charger de cette
méchantebesogne!Personnen’ensaurarien.Ilpercelespiedsdubébé,arracheunjonc,lepassedanslestroussanglantsetlieainsi
leschevilles.Ilsuspendl’enfanttêteenbasàunebranche.PuisilsauteenselleetrepartversThèbessansseretourner.Ce jour là, le berger Phorbas et ses compagnons font paître leurs troupeaux sur les
flancsdecemontCithéron…Phorbasestloindesapatrie,Corinthe.S’ilaaccomplitantdechemin,c’estpourtrouverau-delàdel’isthmeuneherbeplusdrueetplusverte.Biensûr,sonattentionestviteattiréepard’étrangesvagissementset lesaboiements furieuxdeseschiens.Ilaccourtetdécouvre,stupéfait,lebébéainsiattachéetsuspendu.
—Monpauvremignon!Quit’adoncabandonnéàcetristesort?Prisdepitié,Phorbasdélivrel’enfantdontlespieds,percés,sonttrèsenflés.Etcommesescrisredoublent,le
bergervatrairel’unedesesbrebispourdonnerdulaitaunourrissonaffamé.—Àquipeut-ilappartenir?demande-t-ilàsescompagnons.— Que crois-tu, Phorbas ? s’exclament les autres. C’est un enfant abandonné ! Ses parents ont voulu s’en
débarrasser.Voilà Phorbas chargé d’un orphelin ! Qu’en faire ?Unmois plus tard, quand les bergers rentrent au pays,
Phorbasemmènelebébé.Gavédelaitdebrebis,ilgazouilleetsourit.EnarrivantenvuedeCorinthe,Phorbascroise sa reineenpersonne.Elle s’étonnedevoir ceberger chargé
d’unnouveau-né.—Simeschiensnel’avaientpasdécouvert,ilseraitmort,expliquePhorbas.Maisjenesaisquefairedelui…LareinedeCorinthen’ajamaispuavoird’enfant,elleeststérile.Siellepersuadesessujetsquecebébéestle
sien,letrôneauraunsuccesseur!—Ehbienmoi, je l’élèverai, luidit la reine à voix trèsbasse.Tiens,Phorbas, voilàdequoidédommager ta
peineetpayertonsilence!Revenueaupalais,elletendlenourrissonàsonmari,Polybe.—Cebébénousestenvoyéparlesdieux!s’écrielesouverain,ravi.Tuasbienfaitdel’acheteràPhorbas.Nous
enferonsunprince.—Commentallons-nousl’appeler?—Œdipe,répondPolybe,puisquecenomsignifiepiedsenflés.
Au palais de Corinthe, Œdipe grandit en sagesse et en beauté. À dix-huit ans, c’est un jeune homme quipossèdetouteslesqualités–mêmes’ilestparfoisimpulsifetorgueilleux,commelesontsouventlesprinces.Sesparentssonttrèsfiersdelui.Maisuneméchanterumeurcirculeenville:lefuturroideCorintheneseraitpaslevraifilsdessouverains!
D’abord,Œdipeneprêtepasd’attentionàcesragots.Àlalongue,agacéparleurinsistance,ilinterrogelevieuxPolybe.—Voyons,Œdipe,biensûrquetuesnotrefils,uniqueetchéri!Maisledoutenichedésormaisdansl’espritd’Œdipecommeunverrongelentementunfruit.Unjour,lejeune
hommedéclare:—Jevaisinterrogerlesoracles!Jeveuxsavoirlavérité…
Delphesn’estqu’àunesemainedemarche,ladistanceestvitefranchie.Admisdanslesanctuaire,Œdipeseretrouvefaceà laPythie.MaissanséclairerŒdipesursonpassé,lesdieux,parlabouchedelavieillefemme,luirévèlentsonavenir:—Tuespromisàundestinauqueltunepeuxéchapper:tufiniraspartuertonpèreet
parépousertamère…Œdipeestépouvanté!Commentempêcherquedetelleshorreurss’accomplissent?—JenereviendraijamaisàCorinthe!décide-t-il.Jenereverraijamaismesparents.Je
mettraientreeuxetmoiunetelledistancequecesprédictionsnepourrontseréaliser!Lemêmesoir,Œdipeprendlaroute.Maisencroyants’éloignerdulieudesanaissance,ilnefaitques’enapprocher.Eten
fuyantsesparentsadoptifs,ilvaàlarencontredeceuxquil’ontfaitnaître…Le lendemain, tandis qu’il pénètre en Béotie,Œdipe s’engage dans l’étroit défilé qui
mène à la cité de Daulis. Soudain, il aperçoit devant lui un équipage : c’est un charentouréd’uneescortedesoldats.—Place!luiordonnent-ils.Maisvoilà:Œdipeestfilsderoi.Etd’instinct,unprincen’obéitpas.—Doucement,dit-ilsanss’écarter.Vousignorezquijesuis.Irritéparcecontretemps, levieilhommeassisdans lecharse lève. Ilapostrophecet
inconnuqui refusedecéder lepassage.Outréparcette impolitesse,Œdipe répondparuneinsulte.
—Oses-tut’opposeràmoi?faitlevieillardendégainantsonépée.Non,ajoute-t-ilverssessoldatsquiveulents’interposer,faitesavancermonchar.Etlaissez-moidonneruneleçonàcefreluquet!Leconvois’ébranle;etavantqu’Œdipeaitpus’écarter,uneroueluipassesurlepied.Or,lespiedsd’Œdipe
sontfragiles.—Mauditvieillard!crie-t-ilenesquivantlecoupquiluiestdestiné.
Dutranchantdelamain,ilfrappeàlanuquesonassaillantquis’écroulesurlesol.Lessoldats bondissent – les uns pour secourir leur maître, les autres pour se lancer à lapoursuitedel’agresseur.
Mais Œdipe est déjà loin ! Profitant de la confusion, il s’est élancé sur les flancs dudéfilé.Çayest,iladisparu…
—Malheursurnous!s’écriel’undessoldats.Notreroiestmort!Levieillard,eneffet,neserelèverapas:Œdipel’atué.Il ignore que cet homme s’appelle Laïus, qu’il s’agit du roi de Thèbes et qu’il vient
d’assassinersonpère.
Lesjoursetlessemainespassent.ŒdipeapprochedeThèbes.Sursaroute,ilnecroisequedesvoyageursaffolés.Ilarrêtel’und’euxquiluiexplique:
—Ah,jeuneétranger,nevapasplusloin!Thèbesestinaccessible:unmonstrevenudumontCithéronmontelagardeauxportesdelaville,ilempêchequiconquedesortiroud’entrer.Onl’appelleleSphinx.
—CeSphinxest-ilsiredoutable?—Oui:ilarrêtelesvoyageursetleurproposeuneénigme.S’ilsnesaventpasrépondre,
illestueetlesdévoresanspitié!—Etcommentrécompense-t-ilceuxquirésolventsesénigmes?—Hélas ! Jusqu’ici, aucun n’y est parvenu. Créon, le nouveau roi de Thèbes, a promis lamain de sa sœur
Jocaste,àceluiquidélivreraitThèbesdecefléau.—Créon?JecroyaisqueThèbesétaitgouvernéeparLaïus.—Notreroivientd’êtreassassiné.LefrèredelareineJocasterègneprovisoirement.Ilattendquelasouveraine
seremariepourcéderletrôneàsonnouvelépoux.Enunéclair,Œdipeentrevoitunavenirinespéré:lepauvrevoyageurqu’ilestpeutdevenirroidèsdemain.— J’affronterai le Sphinx, dit-il à son interlocuteur. J’entrerai dans Thèbes vainqueur. Ou je mourrai…
qu’importe?Mourir,pense-t-il,seraitunbonmoyendeduperlesdieux!Voiciqu’Œdipeapprochedesportesdelaville.Iln’aperçoitaucunmonstre.LeSphinxvoudrait-ill’épargner?—Arrête,jeuneimprudent!La voix est impérative, étrange et rauque. Œdipe lève la tête. Là, juché sur un rocher se dresse un animal
fabuleux !C’estun fauvepourvud’ailes. Ilpossède lebuste, la têteet levisaged’une femme.Une femmeà lavénéneusebeauté.Brasetjambessontmunisdegriffes.Saqueueestcelled’undragon.
—Ignores-tuquepourpasser,tudoisrésoudreuneénigme?—Jelesais.Jesuisprêt.Jet’écoute.ŒdipenotequeleSphinxsetientenéquilibreaubordd’unravin.Quisaitsi,enseprécipitantverslui,ilne
pourraitpaslefairetomber?—Voilàmaquestion!ditlemonstreentoisantl’étrangeravecunamusementhautain.Quelestl’animalquimarcheàquatrepatteslematin,surdeuxpattesàmidietsurtroislesoir?
Œdiperéfléchit.Ildevinequelesmotsdecetteénigmeontunsenscaché:c’estunemétaphore.Illanceauxdieuxuneprièremuetteets’exclamesoudain:
—Cetanimal,c’estl’homme!L’hommequi,dansl’enfance,sedéplaceàquatrepattes;l’hommequi,adulte,marchesursesdeuxjambesetqui,devenuvieux,s’aidealorsd’unbâton.
Le visage du Sphinx exprime le plus vif étonnement.D’un coup, lemonstre basculedanslevide;etsoninterminablechutes’accompagned’unéclairflamboyant!Du haut des murs de Thèbes, les habitants n’ont rien perdu de ce spectacle.
Incroyable : un inconnua réponduà l’énigmeduSphinx, il a débarrassé la ville de cefléau!Une immense ovation monte de la cité. On ouvre les portes et l’on conduit
triomphalementlevainqueurduSphinxaupalais.C’estainsiqu’Œdipedevientroi.Les noces d’Œdipe et de Jocaste sont suivies de grandes festivités.Œdipe trouve la
reinefortséduisanteetbelle;certes,elleestplusâgéequelui–maisencoreassezjeunepourluidonnerquatreenfants:deuxfilles,AntigoneetIsmène,etdeuxgarçons,EtéocleetPolynice.Pendantplusdedixans,lerègnedessouverainsestsansnuage.Unmatin,ledevinTirésiasdemandeuneaudienceaupalais.— Mon roi, dit-il à Œdipe, la peste s’est déclarée dans Thèbes ! Les présages sont
funestes…Jeredoutel’avenir.Tirésiasestunsage.CommelaPythie,ilsaitlirelefutur.—Tais-toi,oiseaudemauvaisaugure!luilanceJocaste.Mais Tirésias a dit vrai : lesmois, les années s’écoulent et la peste fait des ravages.
Dansleschamps,plusaucunecéréalenepousse.Lafamines’installe.Lepeuplegémitsursoninfortuneetdemandeauxsouverainsd’agir.—Lacolèredesdieuxs’acharnesurnous!déclareunjourTirésias.—Vraiment?répondŒdipeaudevin.EhbienvadoncàDelphesinterrogerlesoracles!Etreviensleplusvite
quetupeux.
Dèssonretour,ledevin,trèspâle,annonce:—Voici,d’aprèslaPythie,lacausedenosmalheurs:lemeurtrierduroiLaïusn’ajamaisétéretrouvé.Ilfaut
l’identifieretlepunir!—Soit.Faisonstoutpourtrouverlecoupable.Sonchâtimentseraterrible!Jeveuxqueseprésentent ici les
témoinsdecedrame.Convoqués,lessoldatsnereconnaissentpasŒdipe.Tropd’annéessesontécoulées.Àleursyeux,lemeurtrier
deLaïusétaitunsimpleétrangerquivenaitdeCorinthe.Trèsvite,ladateetlelieudumeurtrefontcomprendreàŒdipequ’ilpourraitbienêtrecetassassin!Terrifié,ilsesouvientalorsdel’oracle:Tutuerastonpère…MaisLaïus n’était pas son père !Tu épouseras tamère…Mais Jocaste ne peut pas…D’un coup, les rumeurs quicouraientàCorinthesurl’originedesanaissanceluireviennentenmémoire.C’estimpossible;maisilveutêtresûr.EtsiJocasteétaitsamère,elleauraiteuunenfant,vingtansauparavant.Ill’interroge.—Non!répond-elleaussiépouvantéequelui.Non,jen’aijamaiseud’autreenfantqueceuxquenousavons
conçus,sauf…Œdiperetientsonsouffle.IlfautqueJocastediselavérité.—SaufunbébéqueLaïus a fait égorger à sanaissance.Nousnepouvions le laisser vivre !Unoracle avait
prédit…—Quil’aégorgé?L’a-t-ilvraimenttué?Jeveuxsavoir!Jocaste convoque le capitaineque le roiLaïusavait chargéde la sinistrebesogne.Levieux soldatbaisse les
yeuxetavoue:—Jen’aipaspu tuer lebébé.Je luiaipercé lespieds, je l’aiaccrochéàunarbreetabandonnésur lemont
Cithéron…—Non!hurleŒdipe.Non!Œdipeveutreconstituertoutelavérité,quellequ’ellesoit.Etsic’estunefange,ilveuts’ynoyer.Lemêmejour,
ilconvoqueTirésiasetordonne:—Rends-toiàCorinthe.DemandeaudienceàmonpèrePolybe…—Polybe,répondledevin,n’estpastonpère.Tul’asdéjàcompris.Cependant,Tirésiasobéit.Deretour,ilconfirme:—Tun’espaslefilsnatureldessouverainsdeCorinthemaisunenfanttrouvésurleCithéronetrecueilliparun
certainPhorbas…Levieuxbergervitencore,ilestconvoquéaupalais.—Oui!avoue-t-il.J’aidécouvertunbébéquelareineaadopté…Là-bas,dansuncoindelasalledutrône,Tirésiassecontentedebaisserlatête.Œdipeluidéclared’unevoix
blanche:—Tusavais…Toi,ledevin,tusavaistoutettunem’asriendit!—Àquoibonrévélercequel’onn’apasenvied’entendre?Ilfallait,Œdipe,quetudésireslavérité.Etquetula
découvrestoi-même.Jocasteselève.ElleregardeŒdipe,épouvantée.—Ainsi,tuastuétonpère.Etmoi,tafemme,jesuistamère…Ellequittelepalaisenhurlantàlafoissahonteetsadouleur.—Oui,murmureŒdipeatterré.Jesuisdeuxfoiscoupable.PauvreŒdipe!Ils’accusedemeurtreetd’inceste.Maiscommentaurait-ilpuéchapperausortquelesdieux
luiavaientréservé?Est-ilresponsabledecescrimesinscritsdanssadestinée?Peuaprès,unejeunefilleenpleursentredanslasalledutrône.C’estAntigone,Antigone:safilleet…sasœur!
Ellemurmuredansunsanglot:—Jocastevientdesependre,elleestmorte.Elle tient la ceinture qu’a dû utiliser la reine. Alors,Œdipe en saisit la boucle et, de la pointe, se crève et
s’arrachelesyeux.—Monpère!hurleAntigone.Qu’avez-vousfait?Vousvoilàaveugle!Pourquoi?…—C’estlorsquejepossédaisdesyeuxquej’étaisaveugle,Antigone!Quem’importedevoiràprésent?Quand
nouscroyonsdéciderdenospas,cesonttoujourslesdieuxquilesguident…—Ehbiendésormais,murmure-t-elle,c’estmoiquivousguiderai.
Les yeux en sang, Œdipe s’agrippe au bras de sa fille. Antigone jure qu’elle ne lequittera plus. Et tandis qu’ils s’éloignent du palais, les habitants de Thèbes serassemblent dans les rues pour voir passer leur souverain déchu. Il y a là Polynice,Etéocle,Ismène.Etlefrèredelareinemorte.—Créon,murmureŒdipe.Jeteconfieletrôneetmestroisenfants.—Oùiras-tu,oùirez-vous?demandeCréon.—À Colone… si son roi veut bien nous y accueillir. Adieu. Puissemon éloignementdissiperlesmalheursdeThèbes!
Ehbiennon : levœud’Œdipeneserapasexaucé.Denouveauxdramesne tarderontpasàvenir endeuillerThèbes : lesdeux filsd’Œdipe s’entretuerontpour lepouvoir, etAntigoneconnaîtraunefinatroce…Voilà,tuconnaislatragiquehistoired’Œdipe!Onparleaujourd’huiducomplexed’Œdipe…Oui : il paraît que les jeunes garçons aimeraient tant leurmèrequ’ils verraientdansleurpèreun rivalà éliminer !Maisàprésent, tu saisqui est responsabledecesdésirsd’amour et demort : non pas lesmalheureux humains,mais les jouets qu’ils peuventdevenirentrelesmainsdedieuxférocesetcapricieux.
VIIANTIGONE
CELLEDONTLEDEVOIRÉTAITD’ENFREINDRELALOI
ENAPPROCHANTdeThèbes, jefusfrappéepar l’abondancedessoldatsétrangersquigrouillaientautourdelacité. Comme jemedirigeais vers l’une des sept portes de la ville, je notai qu’elles étaient toutes fermées.Uncapitainem’apostrophaenricanant:—Quies-tu,jeuneétrangère?Nevois-tupasquenousfaisonslesiègedeThèbes?Situyentres,tunepourras
plusensortir!— Je m’appelle Antigone. Je suis la fille d’Œdipe qui fut roi de cette cité. Je reviens dans ma patrie que
gouverneCréon,mononcle.—Antigone?fitl’autreens’inclinantavecrespect.Alors,del’unedestentesquientouraientlavilleunejeunefilleenlarmessortit,m’aperçutets’élançaversmoi.
Jelaprisdansmesbras.—Ismène!Ismène,masœurchérie…Pourquoipleures-tuainsi?—Ah,Antigone,medit-elledansunsanglot,commejesuisheureusequetusoisrevenue!Commentvanotre
pèreŒdipe?—Ilestmort.LesEuménides(8)ontenfineupitiédelui.Cettetristenouvellefitredoublerlespleursdemasœur.—Lemalheurnouspoursuit,Antigone!m’avoua-t-elle.Lamortdenosparentsn’apasapaisélecourrouxdes
dieux…Depuisl’exild’Œdipe,nosfrèresn’ontcessédes’entredéchirer!
Etéocle et Polynice ! Je les chérissais autant qu’Ismène.Ma sœur ravala ses larmespourm’expliquer:—Après tondépart, c’estCréon,notreoncle,qui est remonté sur le trône.Très vite,
EtéocleetPolyniceontexigélepouvoir: lesfilsd’Œdipenefaisaientqueréclamerleurdroit.«—Soit!leurréponditCréon.Maislequeldevousdeuxseraroi?J’imaginaissansmallasuite,qu’Ismènemeconfirma:— Aucun n’a voulu renoncer. Tu sais, Antigone, combien ils sont fiers et
intransigeants!Ilsconclurentunmarché:ilsgouverneraientunanàtourderôle.Lesortdésignad’abordEtéocle…—Lasolutionn’étaitpasmauvaise,murmurai-je.—Hélas, celui qui goûte aupouvoirn’aqu’une envie : le conserver !Polynice s’était
installéloindupalais.Quandilestrevenu,Etéoclen’ajamaisvoululuirendreletrône.—Quelparjure!Pourquoia-t-iltrahi?—Etéocleprétendaitqu’il avait, enunan,apprisàgouverner.Oh, tous lesprétextes
furentbons!Etéoclen’apascédé.—EtPolynice?Commenta-t-ilréagi?—Trèsmal!réponditunevoixfamilièrederrièremoi.Polyniceétaitlà,joyeux,fier,rutilant,enarmes.Ilm’embrassa.
—J’aiétédemanderdurenfortpourrentrerdansmondroit!gronda-t-ilendésignantl’arméequientouraitlaville.Cerenfort,leroid’Argosabienvoulumel’apporter:ilm’aconfiédesmilliersd’hommes.Àcetteheure,septcapitainesetleursgarnisonsgardentlesportesdeThèbes!Lavilleserendrabientôt.Jen’aipum’empêcherdeluirépondre,commeongrondeunenfantcapricieux:—Polynice…Sais-tubienceque tu fais ?Tudéfies tonpropre frère, tu recrutesune
arméeétrangère!—Soutiendrais-tuEtéocle?Ilamanquéàsaparole!—Vousaveztortl’unetl’autre,mêmesic’estluiquiacommencé…Polynicebaissalesyeux.Àpeinerentréedansmapatrie,onm’obligeaitàredevenirla
sœuraînéechargéed’apaiserlesdisputesetd’arbitrerlesconflits.Déjà,jesongeaisàladétressedesThébainsaffamés.—Quedemortscesiègevaprovoquer!murmurai-jeépouvantée.—Antigone,meréponditmonfrère,tusaiscombiennoust’aimons.Tondévouement
pournotrepèreenexilasuscité lerespectet l’admirationgénérale.Maissi tusoutiensl’attituded’Etéocle…—Jelacondamneautantquelatienne!As-tupensé,Polynice,auxvictimesquecette
guerrefratricideentraînera?Nonseulementchezlesnôtresmaisaussichezlessoldatsd’Argosquivontmourirdansunconflitquineconcernequetonfrèreettoi!—Jelesais,grommela-t-il.Aussi,Antigone,jetedemanded’allerconvaincreEtéocle.
S’ilmerefuse le trône,soumets-luiunmarché :qu’ilacceptedem’affronterencombatsingulier.S’ilperd,j’obtiendraipourtoujoursletrône!S’ilgagne,illegardera.—Non!Jerefusequevousalliezvousentretuer…— En ce cas, s’exclama-t-il en désignant l’armée d’Argos, nous n’éviterons pas le carnage. Le plus fort
l’emportera.J’étaisconsternée.Ilmefallaitgagnerdutemps.EttenterderaisonnerEtéocle.Trèsvite,jerépondis:—Entendu,Polynice!Jevaisluisoumettretaproposition.Jeleserrailonguementcontremoi.—Jet’aime,petitesœur,tusais,mechuchotaPolynice.Moiaussi,Polynice,jet’aimais.Maisjen’étaisnéequepourvoirmourirtousceuxquejechérissais.
UnefoisentréedansThèbes,lesportesserefermèrentsurmoi.Jefusviteadmiseaupalais.Créonmereçutsansjoie.Ilmeconduisitdevantletrôneoùsiégeaitmonfrère.Jegrondai:—Notrepèreestmort.Jereviens.Etj’apprendsvotreodieusedispute!Etéocle,tiensparole:cèdeletrôneun
anàPolynice.—Quoi? s’insurgea-t-il.Capituleraujourd’huidevant ce traîtrequiaété chercherdu renfortauprèsdenos
anciensennemis?
Longtemps,jerivalisaid’argumentspourleconvaincre.Monfrèren’étaitpasdupedesa propre mauvaise foi. Mais son orgueil ferait qu’il ne plierait pas. Créon, attentif,écoutait.Jesoufflai:
—Ilexisteraitbienunmoyen,cruel,devousdépartager…J’expliquailemarchéqueproposaitPolynice;Créonréagit:— La solution est honnête, Etéocle ! Écoute : la population de Thèbes est affamée.
QuandArgos donnera l’assaut, nous serons trop faibles pour combattre, nous devronscapituler,tulesais!Quoi…tuhésites?Craindrais-tud’affrontertonfrère?
—Soit.Épargnonslesvies.Antigone,disàPolynicequej’accepte!
Lelendemain,àl’aube,j’assistaiaucombatdepuislesmursdelaville.Lecœurserré,j’espéraisquel’undemesfrèresneseraitquelégèrementblessé,admettraitsadéfaiteetabandonnerait letrône.Iln’enfutrien.Laplaineoùlesdeuxadversairess’affrontaientrésonnait du choc violent de leurs épées. Les coups étaient donnés pour tuer. Le sanggiclait de part et d’autre. Et dans leurs voix hargneuses qui se mêlaient, je ne savaislequelpoussaitdesgrognementsdecolèreetlequeldescrisdedouleur.Enfin, après une heure d’affrontement sans pitié, je les vis chanceler et tomber en
mêmetempsl’unsurl’autre.Jehurlai:—Etéocle!Polynice!Vite,qu’onaillelessecourir!Créon fit ouvrir les portes et rejoignit la plaine avec une petite garnison. Quand il
revint,sonescortetransportaituncadavresanglant.Quelqu’ilfût,j’enseraisinconsolée.Je reconnus le corps d’Etéocle ; jeme précipitai sur lui, je l’inondai demes pleurs.
Avantderendresonderniersouffle,ilmereconnut,mesouritetmurmura:—Jet’aime,petitesœur,tusais.Moiaussi,jet’aimais,Etéocle.Danslaplaine,lessoldatsd’Argosserepliaient.Jenecomprenaisplus:Polyniceavait
gagné,pourquoisesalliésn’entraient-ilspasdansThèbesenvainqueurs?—Polyniceestmortluiaussi!m’annonçaIsmèneenvenantmerejoindre.Soncorpsgîtdanslaplaine.N’ayant
plusderaisondecombattre,lesgensd’Argosretournentchezeux.Ainsi,lesdieuxcontinuaientàs’acharnersurnotrefamille:lastupiderivalitédemesfrèreslesavaitperdus.
Tandisque jem'élançais vers ladépouilledePolynice abandonnée sur le sable, j’entendisCréondécréter auxThébainsrassemblés:—Quel’onfasseausouverainEtéocledesfunéraillesdignesdugrandroiqu’ilétait!Vivement,jemeretournaiversmononcle:—EtPolynice?luidis-jeendésignant,auloin,soncorpsmeurtri.—Cetraîtrenemériteaucunesépulture.Quesoncadavresoitlapâturedesvautours!Quiconques’approchera
deluiettenterad’enfreindremesordresserapunidemort.Onferacommej’aidit!—C’estimpossible!Mononcle…Créonmefoudroyaduregardcarjeledéfiaisenpublic.—J’implorevotreclémence!hurlai-jeenmejetantàsespieds.—Jenereviendraipassurl’ordrequej’aidonné,Antigone.N’oubliepasquejesuisunenouvellefoisleroi.Eneffet:mesfrèresdisparus,Créonremontaitsurletrône!J’attendisdemeretrouverseulavecluidanslepalais.Jesavaismononcletêtumaispascruel.—SivouslaissezlecorpsdePolynicesanssépulture,sonâmeerreraàtoutjamais,ellenepourrapasrejoindre
leroyaumedesmorts!—C’estvrai.Mais tu ignores,Antigone,cequ’est laraisond’État.Lepeupleexigequ’ilyaitdesbonsetdes
méchants,desvainqueursetdesvaincus.Ilnecomprendraitpasquetesfrèressoienttraitésdelamêmefaçon.Etéocleétaitleroienexercice.—Ilavaitvioléleuraccordetusurpéletrône!—Qu’importe:ilétaitroideThèbesetPolynicedumauvaiscôtédesmurs.D’ailleurs,ilesttroptardpourque
jemodifiemonarrêt.—Maisc’estuneinjustice!—Mieux vaut une injustice qu’un désordre. Àma place, tu ferais demême. Tu punirais demort celui qui
enfreintlaloi.— Il existe d’autres lois,mon oncle, non écrites : des lois dictées par l’amour, le respect des hommes et la
craintedesdieux,desloisplusjustesetplusfortesquevospetitsdécrets.—Attention,Antigone,nemedéfiepas.Situosaisdésobéir,jeseraiscontraintdetecondamner.Nousétionssemblablesàmesfrèresquis’étaiententretués:aucundenousnevoulait,nepouvaitplusreculer.
MaissiCréonnefaisaitquesonmétier,ilm’incombaitdefairemondevoir.Lemêmesoir,jerejoignisIsmènedanssachambre.Sonchagrinsemblaitinfini.Jeluicaressailescheveuxet
luimurmurai:—Ismène,sachequetuvasaussiperdretasœur.— Que dis-tu ? fit-elle en relevant vivement la tête. Ne me dis pas que tu as l’intention d’aller ensevelir
Polynice?—Jeledois.Ensuite,Créonferademoicequ’ilvoudra.—Antigone,mesupplia-t-elle,nem’abandonnepas !Au lieude t’occuperdesmorts,prendsplutôtsoindes
vivants!—Jenesuisplusqu’uneombre,Ismène.Ilmetardederejoindreceuxquinousontquittés.Quelqu’unentradanslachambre:àsonallurevoûtée,jereconnusTirésias,ledevin.Quevenait-ilfaireicià
cetteheure?—Tuvascommettrel’irréparable,Antigone…—Créontecondamnera!s’exclamaIsmène.Oui:jelistamortdansleregarddudevin.Antigone…pourquoi
t’obstiner?Notreintérêtn’est-ilpasdenousrangerducôtéduplusfort?—Leplusfort,cen’estpaslaloideCréon.Leplusfort,c’estledevoir–puis,unefoisledevoiraccompli, le
destin.
Il fait nuit. Ismène dort. Jeme penche sur elle pour l’embrasser. Puis, pieds nus, jequittelachambreetjemeglissehorsdupalais.LesruesdeThèbessontdésertes.Etlessept portes sont ouvertes. Nul ennemi ne nous guette plus. Malgré tout, des soldatsmontentlagardeet,quandjepasse,ilsm’interpellent.—Antigone!Toi,ici,àcetteheure?Attends,net’éloignepas!—Créonainterditqu’onsortedelaville!Lessoldatssontlourdementarmésmaisjesuisbienplusagilequ’eux.Jeleuréchappe
sanspeineetjem’élancedanslaplaine.—Antigone,reviens!mecrient-ils.Ohnon,surtout,nelefaispas!Ilshésitentàmepoursuivre.C’estmoiquileurlancedeloin:—Jenevaisfairequemondevoir.Vous,soldats,faiteslevôtre!Lanuitestbelleetlesablechaudsousmespas.Jecoursjusqu’àcetteformehumaine
qui, sanglante et démantelée, gît sous la lune. Effrayés, quelques rapaces s’envolentlourdementdevantmoi.Polynice…enfin,monfrèreestlà.Jeneprendspasletempsde
merecueillir.Jeramasseàmespiedsdelaterreetdusablequejejettesursoncorpsdéfunt.Oh,ilestinutiledelerecouvrirentièrement,pourlesdieuxquinejugentquel’intention,quelquespoignéessuffisent.—Va,Polynice,reposeenpaixdésormais!À laboufféedebonheurquim’envahit, jesaisque l’âmedemonfrèrequitteenfinsoncorpsmeurtri.Ence
moment,PolynicearejointleStyxetCharonl’aadmisdanssabarque.J’entendsdéjàderrièremoi lespasdessoldatsquiaccourent.L’alerteaétédonnée.Unetrompetterésonne.
Thèbess’éveille.L’aubeselèvesurlecorpsdePolynice.Nulnepeutplusignorermonactederébellionetd’amour.
FaceautrônedeCréonoùlessoldatsm’ontamenée,jedoisavouermonforfait.Mononclesepencheversmoi,mechuchote:—Jepeuxencoretegracier.Avouequeturegrettescetacteinsensé.— Oui, Créon ! dis-je assez fort pour être entendue de tous. Oui, j’avoue : si c’était à refaire, eh bien je
recommencerais!Tirésiasessaieenvaindeprendremadéfense.Créonsoupire:—Quellepetiteobstinéees-tupouravoiroséenfreindremaloi?—Ettoi,Créon,quelroies-tupourtesubstituerauxdieuxetrefuserd’ensevelirceluidontleseulcrimeétait
deréclamersondû?Commetouslesrois,Créonn’aimepasqu’onluitiennetête.—Jeuneentêtée!Mevoilàcontraintdetecondamneràmort…—Jepréfèremourirenpaixplutôtquevivresansavoiraccomplimondevoir.Prenezsoindevous,mononcle:
vousavezvioléd’autreslois,craignezlacolèredeceuxquilesontdictées!Quand je traverse les rues de Thèbes, enchaînée, je ne surprends autour de moi que des murmures
d’admirationetdepitié.Àmagrandesurprise,jesuisdavantageunehéroïnequ’unecondamnée.Maprisonest,unpeuàl’écartdelaville,unegrottecreuséedanslafalaise.Avantd’ypénétrer,jeserreIsmène
contremoi.—Antigone,m’affirme-t-elle,jenetesurvivraipas.
SurunordredeCréon,lessoldatsfontroulerdevantl’entréedelacaverneunénormerocherquil’obstrue,jesuisplongéedansl’obscurité.Voilà,c’esticiquejevaismourir.Jen’attendraipasquelasoifetlafaimviennentmetorturer.Jemettraifinàmesjours
commel’afaitmamère.Plutonaurapitiédemoi,jelesais.Monsacrificeservirapeut-êtred’exemple…J’espèrequedansl’avenir,ils’entrouverad’autresquemoiquisaurontdéfierlesrois
etcomprendrequeleurdevoir,parfois,estd’enfreindrelaloideshommes.
VIIIPÂRIS
LAPOMMEDEDISCORDE
LES NOCES de Thétis, une déesse marine, et de Pélée, roi de Thessalie, allaient bientôt être célébrées surl’Olympe.
—Organisonsunbanquetsomptueux!déclaraJupiter.—Etinvitonstouslesdieux!ajoutaJunon,sonépouse.—Tous?Ahnon.Pasquestiond’inviterlaDiscorde.LaDiscorde,qu’onappelaitaussiÉris,n’étaitpasunedivinitéaimable:partoutoùelleétaitprésente,ellene
savaitsemerquedisputes,perturbationsetconflits.JupiteretJunonétaientrarementdumêmeavis.Maiscettefois,ilstombèrentd’accord:Discordeneseraitpasconviéeàlanoce!
La fête fut joyeuse et réussie : Vénus, Minerve et toutes les divinités de l’Olympe ripaillaient joyeusementtandisquelebelApollonchantait,accompagnéparlechœurdesmuses.
Or, la Discorde rôdait près du palais. Vexée d’avoir été écartée, elle réfléchissait aumoyendesevenger.Profitantd’unmomentd’inattentiondesconvives,elleseglissadanslasalledubanquetetdéposasurlatableunemagnifiquepommeenorsurlaquelleelleavaitécrit:ÀLAPLUSBELLE.Àpeines’était-elleéclipséequeJunonavisalapomme.—Quellemerveille!s’exclama-t-elle.Quim’aapportécecadeau?—Vouspermettez?fitVénusens’emparantdufruit.Ilestclairqu’ilm’estdestiné:ne
suis-jepasladéessedelabeauté?—Doucement,s’interposaMinerve.Jeprétendsqu’ilmerevientdedroit.Nem’avez-
vous pas toujours affirmé, mon père, que j’étais la plus belle ? acheva-t-elle en setournantversJupiter.Le roi desdieux fut très embarrassé : certes,Minerve était sa fille préférée.Mais en
l’élisant,ilcraignaitdefroissersonépouse.EtilnevoulaitpassefâcheravecVénus.—Mafoi,qu’enpensentnosinvités?C’étaitlaquestionànepasposer!Lesavislesplusdiversfurentlancés.Chacunchoisit,
pourlaflatter,ladéessedontilvoulaitobtenirlaprotectionoul’amitié.Personnen’étaitd’accord.Cachéenonloindelà,laDiscordesefrottaitlesmains.—Arrêtezdevouschamailler! tempêtaJupiterenréclamantlesilence.Ici,personne
nepeutêtre jugeavecobjectivité.Vousallezdonc toutes troisvous rendresur lemontIda.Mercurevousaccompagneraaveclapomme.Illaconfieraàunbergerquiladonneraàcellequ’iljugeralaplus
belle.Etsonavisferaloi!Jupiter avait parlé. Sa décision, d’ailleurs, convenait aux trois déesses : chacune était tellement certaine de
l’emporter!
Ce jour-là, sur le mont Ida, celui qui faisait paître son troupeau était le jeune etséduisant Pâris. Or, Pâris n’était pas un berger comme les autres… Juste avant de lemettreaumonde,samère,Hécube,avaitrêvéqu’elleenfantaitunerocheenflamméequidétruisaitlavilledeTroie,dontsonépoux,Priam,étaitleroi.—Hélas, ce présage est clair ! s’exclama-t-il. Notre enfant causera la destruction de
notreroyaume.Dèsqu’ilnaîtra,nousletuerons!La futuremère fit semblant d’accepter.Mais elle demanda au serviteur chargé de la
tristebesogned’abandonner lebébé sur lemont Ida, etde rapporter au roi le cadavred’unautreenfant.Priamn’yvitquedufeuetcrutsonordreexécuté.Hécube,elle,priaitlesdieuxpourquesonenfantfûtdécouvertetsauvé.C’estcequiarriva:lenourrissonfutdénichéparuneoursequi,aulieudeledévorer,
l’allaita.Plustard,unbravebergerletrouva,l’adoptaetl’appelaPâris.Devenu grand, Pâris se rendit un jour à Troie pour participer à des jeux auxquels
assistaitleroiPriam,sonépouseHécubeetleurfille,lajeuneCassandre.Lavaillancedecegarçonleséblouit.—Cet inconnudevancetoussesadversaires !s’exclamaPriam.Sepeut-ilqu’ilsoit le
simplefilsd’unberger?Or,Cassandrepossédaitledondedivination.Dèsqu’ellevit lejeunehomme,ellesut
aussitôtquiilétait:—Non,affirma-t-elleenpâlissant.C’estlàvotrefils…etmonfrère!PriamfitvenirPârisetconvoquaceluiquil’avaitélevé.Sonenquêtefutrapide,lavéritééclata!Etleroifutsi
heureuxderetrouverunfilsqu’iloublialaprophétiedurêvedesonépouse.Devenuprince,Pârisavaitchoisidepasserleplusclairdesontempsàgarderlestroupeauxdesonpèreaux
alentoursdelavilledeTroie…Mercure,lapommed’oràlamain,eutvitefaitderepérerPârissurlespentesdumontIda.Ilsurgitdevantlui,
avecsessandalesailées;lebergerprenantpeur,ledieulerassura:—N’aiecrainte,Pâris!JesuisenvoyéparJupiterpourquetudépartagestroisdéesses.Iltefautdésignerla
plusbelle.Voiciunepomme.Donne-laàcellequiatapréférence.Stupéfait,Pârissevitconfierlamagnifiquepommed’or;etquandilrelevalatête,ilaperçutdevantluitrois
femmes dont la beauté l’éblouit… trois déesses ! Son regard allait de l’une à l’autre et, bien entendu, il étaitincapabledesedécider.Minerves’avança,saisitlamaindubergeretluichuchotaàl’oreille:—Situmechoisis,Pâris,tudeviendrasunroipuissant!Moi,ladéessedelaguerre,jet’enseignerail’artdes
combatsetjeferaidetoiunsouveraininvincible.— Attends ! interrompit Junon en s’approchant à son tour. M’as-tu reconnu, Pâris ? Je suis l’épouse de
Jupiter!Combattre?Avecmaprotection,tun’enauraspasbesoin!Etjeteprometsqueturégnerassurl’AsieMineure.
Pendantcetemps,Vénusavaitdégrafésatuniquepourparaîtredanssonéclat.—Moi,dit-elle,jet’offredavantageencore.Sitonchoixseportesurmoi,tuobtiendras
l’amourdecelledontlabeautéestégaleàlamienne…lafillequel’humaineLédaeutavecJupiter:Hélène.Hélèneétaitconvoitéepartous lessouverainsdeGrèce.ElleétaitsibellequeThésée
l’avaitenlevéepourtenterdel’épouseralorsqu’ellen’avaitquedouzeans.Pârisn’hésitapas : au granddépit de Junon et deMinerve, il s’inclinadevantVénus et lui donna lapomme.Personnenevit, cachéedans lesbosquetsprèsde là,unedéessequi semblaitravie du tour que prenait cette histoire. Bien sûr, c’était la Discorde ; sa pommecontinuaitàproduireseseffets.AumomentoùcettescènesedéroulaitsurmontIda,enGrèce, lafameuseHélènese
trouvaitàSparte.Entouréedesesprétendants,elleétaitconfrontéeàunchoixdifficile:—Cette fois, luidisait sonpèreadoptifTyndare, il faut tedécider !Tous les roisdes
villesdeGrècesontlà,lequelchoisis-tu?—Ahmonpère,quellequesoitmadécision,jesaisqu’elleentraîneradescatastrophes.
Tantd’amiesàmoiseplaignentd’êtrelaides.Jelesenvie,carmabeautéestsilourdeàporter…Ilestvraiqu’Hélèneavaitdéjàdéclenchédenombreuxconflits:plusieurssouverains
s’étaientbattuspourelle.—Enprenantunmari, dit-elle, je susciteraidenouvellespassions !Ceuxque j’aurai évincés voudront tuer
monépouxoum’enlever!—Donc,s’exclamaUlyssequiétaitroid’Ithaque,ceuxquineserontpaschoisisdevrontselierparunserment!
Juronsdenousunirpourpoursuivreceluiquitenteraitd’arracherHélèneàsonépoux…LeroideSparte,Ménélas,approuva.IlsetournaversAgamemnon,sonfrère,leroid’Argos,etverslesautres
prétendantsréunis.—Cettesolutionmesembleraisonnable.Qu’endites-vous?LesGrecsacquiescèrent:—Oui,jetèrent-ilsd’uneseulevoix,nousjuronsdecombattreceluiquioseraitravirHélènejusqu’àcequ’elle
soitrendueàsonmari!—Etmaintenant,lapressaTyndare,Hélène,décide-toi!—JechoisisMénélas,leroideSparte,dit-elleaprèsunehésitation.Qu’Hélènesoitdevenuel’épousedeMénélasn’avaitpasempêchéVénusdetenirsonserment:ellefitnaître
danslecœurdePârisunetellepassionpourHélènequecelui-ci,bienqu’iln’eûtencorejamaisvucelledontilétaitamoureux,allaaussitôttrouversonpèrePriam.—Justement,jevoulaistevoir!luidit-il.Ilfauttemarieretassurertadescendance.J’aiunejeunefilleàte
présenter,elles’appelleŒnone.Œnone laissa Pâris indifférent ; comme son père insistait, il l’épousa.Mais il la délaissa vite car il n’avait
qu’Hélèneentête.Unmatin,Priamconvoquasonfilsaupalais:—Pâris, lui dit-il, j’ai unemission à te confier : je dois envoyer un ambassadeur auprès du roiMénélas, à
Sparte.J’aipenséque…Sparte!LavilleoùsetrouvaitlabelleHélène.Pâriss’écria:—Ah,monpère,jeparssur-le-champ!PârisnefitmêmepassesadieuxàŒnone.Lemêmesoir,ilquittalavilledeTroiepourcinglerverslaGrèce.Quandilseprésentaaupalaisdelaville,les
gardesluidirent:— Quel dommage ! Le roi Ménélas vient justement de partir pour la Crète. Il doit assister là-bas à
d’importantesfunérailles.—Qu’importe!s’exclamaunevoixfémininederrièreeux.Ensonabsence,jereçoislesambassadeurs.Entre,
étranger.Quies-tu?Dèsquel’épousedeMénélaseutaperçuPâris,soncœurchavira.Desoncôté,l’envoyédeTroiecrutdéfaillirde
passion.D’unevoixaltéréeparl’émotion,ilrépondit:—JesuisPâris,lefilsdePriam,roideTroie,etdescendantdugrandJupiterlui-même…Hélènen’endoutaitpas:Pârisétaitbeaucommeundieu!
À peine les gardes eurent-ils laissé les deux jeunes gens en tête à tête qu’ils seprécipitèrentdanslesbrasl’undel’autre.
—Ah,Hélène,fuyons!murmuraPâris.Profitonsdel’absencedetonmari.RejoignonsensemblemabonnevilledeTroie.
—J’iraioùtuiras.Maisjeneveuxpaspartirlesmainsvides.Hélènefitentasserdansdescoffreslesrichessesdupalaiset,danslanuit,ellerejoignit
en cachette le navire de Pâris. Quand le jour se leva, les gardes durent se rendre àl’évidence : non seulement la reine avait pillé les biens de son époux,mais elle l’avaitquittépourpartiravecunétranger!
Sur le navire qui revenait à Troie, Pâris et Hélène goûtaient les joies d’un amourréciproque.Et là-haut,surl’Olympe,Vénus,satisfaite,observaitensouriant lesamantsqu’elleavaitréunis.
LorsqueMénélasrevintdeCrète,illaissaéclatersacolère:—Traîtres ! Incapables !hurla-t-il auxgardesdesonpalais.Vite, convoquez-moi les
roisdetouteslesvillesdeGrèce.Ilsaccoururent.Ménélasleurannonçalanouvelle:
—PârisaenlevéHélène,monépouse!Àl’heurequ’ilest,ilnavigueavecelleversTroie!Vousrappelez-vousvotreserment?
—Oui,monfrère,réponditAgamemnond’unevoixsombre.Etnouslerespecterons.Nousrassembleronsnosarmées.NouspartironspourTroie.S’illefaut,nousferonslesiègedelavilleetnousnousbattrons.MaisnousramèneronsHélène!
LaguerredeTroieétaitdéclarée…
Sur l’Olympe, Vénus comprit que la situation commençait à la dépasser. Agacée par la vaine agitation deshommes,ellerevintdanssonpalaisetentrepritd’yfaireunpeuderangement.Elleavaittropdechosesetdécidadesedébarrasserdequelquesbabioles.
—J’entasse,j’entasse…marmonnait-elle.Tiens,quiapumefaireuncadeausivulgaire?Elletournaetretournal’objetbrillantentresesmainsavantd’éclaterderire.—Çayest,jemesouviens!Suis-jesotte…Etcommecetobjetestdemauvaisgoût!Ellelejeta.C’étaitunfruit.Unfruitenor:lapommedeDiscorde.
IXACHILLE
UNECOLÈREHOMÉRIQUE
DIXANS…VoilàbientôtdixansquelesGrecs,souslecommandementd’Agamemnon,fontlesiègedelavilledeTroie!Detouslescombattants,Achilleestlepluscourageux.Riendeplusnormal:sonpèredescenddeJupiterenpersonneetsamère,ladéesseThétis,apourancêtreledieudel’océan!
Mais ce soir-là, le vaillantAchille rentre fourbuetdécouragé :Troie semble imprenable et, pour combledemalchance,lapeste,quis’estdéclaréedepuispeu,faitrageparmilesGrecs.
Commeilpénètresoussatente,ilaperçoitsonmeilleurami,Patrocle,quil’attend.—Ah, fidèle Patrocle ! s’exclame-t-il en lui ouvrant ses bras. Je ne t’aimême pas aperçu dans le feu de la
bataille…Attends:jevaissaluerBriséisetjesuisàtoi.Briséis est une esclave troyenne qu’Achille s’est attribuée, après l’assaut de la semaine précédente, lors du
partageritueldubutin.LajeuneprisonnièreavaitjetésurluiunregardsuppliantetAchilleétaittombésoussoncharme.Briséiselle-mêmenesemblaitpasindifférenteàsonnouveaumaître.
Achilleécartelatoile–maislachambredeBriséisestvide.Labelleesclaveseserait-elleenfuie?Impossible:Briséis l’aime,Achille enmettrait samainau feu.Etpuis lesGrecs cernent lesmursde laville !Embarrassé,Patrocles’avanceverssonami:
— Eh oui, Briséis est partie, Achille ! Je venais te prévenir. Agamemnon, notre roi, a ordonné qu’on te lareprenne…
—Quoi?Ilaosé?Ilblêmitetserrelespoings.Iladegrandesqualités,Achille:c’est,deloin,leguerrierleplusfaroucheetleplus
rapide.Nel’a-t-onpassurnomméAchilleaupiedléger?Sanslui,lesGrecsauraientdûcentfoisabandonnerlesiègeet regagner leurpatrie !D’ailleurs,unoracleapréditque laguerredeTroienepourraitpasêtregagnéesanslui…Maisilaaussiquelquesdéfauts:ilestimpulsif,coléreux.Ettrès,trèssusceptible.
—Laisse-moit’expliquer,faitPatroclesuruntonapaisant.Tesouviens-tudeChriséis?—Tuveuxparlerdel’esclavequ’Agamemnons’estoctroyéequandnousavonspartagélebutin?—Elle-même.LepèredeChriséis,unprêtre,avoulurachetersafille.Malgrél’énormerançonqu’ilenoffrait,
Agamemnonarefusé.—Ilabienfait!— L’ennui, poursuit Patrocle en soupirant, c’est que ce prêtre, pour se venger, a appelé sur nous la colère
d’Apollon. Voilà pourquoi la peste ravagemaintenant nos rangs ! Elle va cesser, car Agamemnon a rendu cematin Chriséis à son père. Mais le roi a voulu remplacer son esclave perdue. Et il a ordonné qu’on viennechercherBriséis.
Loind’apaiserAchille,cetteexplicationravivesacolère.ÉcartantsonamiPatrocle, il seprécipitehorsde latente.Enquelquesenjambées,ilrejointlebaraquementduroi.IlyalàtouslesroisdesîlesetdesvillesdeGrèce.AchillebousculeMénélas,Ulysseettroissoldatsquines’écartentpasassezvite.
—Agamemnon!clame-t-ilenseplantantdevantluijambesécartées.Cettefois,c’enesttrop!Dequeldroitmedépossèdes-tudel’esclavequejemesuischoisie?Oublies-tuquetut’esservilepremier?Etqu’outreChriséis,tut’esoctroyédixfoisplusdebutinquetun’enaslaisséàtesplusprestigieuxguerriers?
Unvieillardcourbéàlalonguebarbeblanches’interpose.C’estCalchas,ledevin.—Achille,murmure-t-il, c’estmoi qui ai recommandé au roi de rendreChriséis. Les oracles sont formels :
c’étaitleseulmoyend’apaiserApollonetdechasserlapestequinousdécime!—Jenemetspas tonoracleendoute,Calchas,grommelleAchille.MaispourquoiAgamemnonm’a-t-ilpris
Briséis?Aprèschaquecombat,c’esttoujourslamêmechose:leroisesertlepremier–etlargement!Ilnelaissequedesbroutillesàceuxquicombattentenpremièreligne!
Agamemnonpâlit.Dominantsonirritation,ilbombeletorseetjetteàsonmeilleursoldat:—Oublies-tu,Achille,quetuparlesàtonroi?—Unroi!Enes-tusidigne,Agamemnon,toiquinesaisquedonnerdesordresetteretirerloindescombats?
C’estsurtoutaprèslabataillequel’ontevoit,pourlepartagedubutin!—Tum’insultes,Achille!—Non.C’esttoiquim’asoffenséenmevolantBriséis!J’exigequetumerendescetteesclave,ellemerevient
dedroit!—Pasquestion!Tuoseraisdéfiertonroi,Achille?
Agamemnon n’a pas le temps d’achever sa phrase : Achille tire son épée… quand ladéesseMinerveluiapparaît:
— Calme-toi, bouillant Achille ! chuchote-t-elle sur un ton apaisant. Tu as d’autresmoyensdetevengerduroisansletuer,crois-moi.
Lavisions’estompe.Achille,quiestleseulàavoirvuladéesse,rengainesonglaive.— Soit ! décide-t-il d’une voix ferme. Garde Briséis pour toi. Mais sache que,
désormais,jenememêleraiplusauxcombats.Aprèstout,quem’importecettefameuseHélènequePârisestvenueenleveràtonfrère?LesTroyensnem’ontjamaisrienfait,àmoi!
Et devant Ménélas, l’époux d’Hélène, qui jette un regard de stupéfaction àAgamemnon,Achilletournelestalonsets’enva.
Arrivésoussatente,ilnepeutretenirseslarmes.Oui:Achillepleure,dedépitautantque de rage. Car à la perte de Briséis s’ajoute l’humiliation d’en avoir été dépossédédevanttoussescompagnons.Cela,ilnepeutlepardonnerauroi!
Lelendemainsoir,PatroclerejointAchillequi,detoutelajournée,n’apasbougédesatente:ilboude.
—Jesuisexténué,soupirel’amid’Achilleens’affalantsurunsiège.Aujourd’hui,nousavons perdu beaucoup d’hommes. Ta vaillance nous a bien fait défaut ! Quand les
Troyensontconstatéquetuneparticipaispasaucombat,leurardeuraredoublé.Achillene répondpas.Pourque la ville deTroie soit prise, tous saventque saprésenceou son action sont
indispensables. Il espèrequ’Agamemnon,privédesonmeilleurguerrier, finirapar lui rendreBriséis.Qui saitmêmes’ilneviendrapaslesupplierdereprendrelecombat?
MaisAchillesesouvientaussid’uneprédictionfuneste:ledevinCalchasarévéléàsamèreque,s’ilserendaitàTroie,ilymourraitpeudetempsaprèsHector,lefilsdePriamet le plus célèbre des guerriers troyens ! Pour détourner le destin, Thétis, la mèred’Achille,avaitusédemilleruses:pourlerendreimmortel,elleavaitd’abordplongésonfilsdans leStyx, le fleuvedesEnfers.Maisellen’avaitpu l’immerger totalement ;et letalon par lequel elle le tenait était ainsi resté le seul point vulnérable de son corps.Ensuite,Thétisavaitdéguisésonfilsenfemmeetl’avaitenvoyésurl’îledeScyrospourlemettre à l’abri. Mais Ulysse était parvenu à retrouver Achille et à l’entraîner jusqu’àTroie.—Ah,Patrocle!soupireAchille.Quesuis-jedoncvenufaireici?Commejeregrettede
ne pas être resté enThessalie !Dansma patrie, j’aurais pumener la vie paisible d’unbouvier…
La semaine suivante, Patrocle pénètre tout joyeux sous la tente d’Achille pour luiannoncer:—Çayest!Lafindelaguerreapproche!PârisetMénélasvonts’affronterdemainen
combatsingulier!LegagnantgarderaHélèneetlecampduperdantdevrasesoumettreauxloisduvainqueur!—Pourquoipas?bougonneAchille,aussisurprisquedéçu.Eneffet,sonchantagetombeainsiàl’eau.Etsil’oracleaditvrai,ladéfaitedesGrecsestassurée!Cependant,
le lendemainsoir,desclameurs,descriset le fracasdesépéespoussentAchilleàquitter sa tente :devant lesmursdeTroie,lesarméesennemiess’affrontentavecacharnement.—Leduelaétédifféré,expliquePatrocle.CestraîtresdeTroyensontrompulatrêveetlaguerrearepris!Àcetinstantarriveunautreguerriergrec.EnreconnaissantUlysse,Achilleselèvepourlesaluer.—Entre,monami,luidit-il.Jem’apprêtaisàdîner.Avantdemerévélercequit’amène,vienspartagerunpeu
deviandeetdevin!AchilleadmireUlyssemaisilaapprisàs’enméfier.Carcehéros,célèbrepoursesruses,n’estsûrementpas
venuluirendreunesimplevisitedecourtoisie.Lerepasachevé,Ulyssedéclare:—Leroim’envoieverstoipourt’inviteràreprendrelecombat…—Pasquestion!répondAchillequibâilleensejetantsursonlit.—Nesoispastêtu,Agamemnonfaitenfinamendehonorable: ilacceptedeterendreBriséis.Ilyajoutedix
talents d’or, douze chevaux, sept esclaves et il s’engage, si Troie est prise, à te laisser charger d’or tous tesvaisseaux!Qu’endis-tu?—Troptard,Ulysse,c’estinutile:jeneveuxplusmebattre.Joignantlegesteàlaparole,Achilletourneledosàseshôtes.—Oui,expliquePatrocleensoupirant:sacolèren’estpascalmée,Achilleadécidédebouder.
Quelques jours plus tard, Patrocle a une si triste figure en entrant sous la tente d’Achille que celui-ci luidemande:—Ehbien,lesnouvellesseraient-ellessimauvaises?—Oui !N’entends-tu pas les râles de nos guerriers qui agonisent à quelques pas d’ici ?Hélas, nous allons
perdre la guerre. Ah, Achille, ajoute Patrocle en désignant, dans un coin de la tente, l’armure et le casque àaigrettedesonami,m’autoriserais-tuàcombattreaujourd’huienportantteshabits?—Biensûr!Cequiestàmoit’appartient.Maispourquoi?—Ainsivêtu,jesèmerailaterreurparmilesTroyens:enapercevanttonarmure,ilscroirontquetuasreprisle
combat.—Va…maisjet’enconjure,soisprudent!répondAchilleenserrantsonamicontrelui.Dans l’après-midi, la longue siesteduhéros est interrompue : un guerrier grecpénètre sous sa tente. Il est
essouffléetenpleurs.—Achille!gémit-il.Malheursurnous!Patrocleestmort!Hector,leplusintrépidedesTroyens,l’atranspercé
desalance!Ill’amêmedépouillédetonarmure.Nosennemissedisputentsoncorps.À cesmots,Achille se lèvepourhurler auxdieux sadouleur. Il s’arrache les cheveux, se roule à terre et se
couvrelevisagedepoussière.Ilpleureàgrossanglotsengémissant:—Patrocle,monfrère,monseulvéritableami!Mort.Patrocleestmort.LasouffrancequeressentAchilledécuplesacolère;ildétournealorssafureur:—MauditHector…Oùest-il?Ah,Patrocle,jejuredetevenger!Jenesuivraipastesfunéraillesavantd’avoir
tuéHectordemespropresmains!
Foudechagrin,Achilles’armeà lahâteetseruehorsdesatente.Ils’élancevers lesmurs de la ville assiégée et jette à trois reprises un cri si furieux que les Troyens,stupéfaits, en tremblent d’épouvante sur les remparts. Les chevaux eux-mêmeshennissentdefrayeur.Trèsvite,lesGrecsprofitentdecetteconfusion:ilsparviennentàramener lecorpsdePatrocle tandisqu’Achilleseprécipitesurunedouzained’ennemisqu’il embroche. Comme un treizième succombe, il entend, près de lui, une voix quigémit:—Polydore…TuviensdetuermonfrèrePolydore!Achille se retourne vers le Troyen qui se lamente : c’est Hector en personne ! Une
seconde, lesdeuxchampionss’affrontentduregard.Et laprédiction,unedernière fois,effleure l’esprit d’Achille :Tumourras peu aprèsHector. Ainsi, en vengeant Patrocle,Achillehâterasaproprefin.Qu’importe!Avecuncridefureur,ilattaquelemeurtrierdesonami,quifuit!Trois fois, les adversaires font le tour de la ville en courant, ne s’arrêtant que pour
échanger de terribles coups de glaive. Épuisé, Hector s’arrête pour de bon. Il jette salancequ’Achilleévite.Avisantalorslajugulairedel’armuredesonennemi,Achilleajuste
soncoupetyplongesonglaive!Hector,lagorgetranspercée,s’effondreetexpire.Négligeant les cris dedésespoir desTroyensqui ont suivi le combatdepuis les remparts de la ville,Achille
dépouillelecadavredesonarmure.IlattacheHectorparlespiedsàunchar,fouetteleschevauxet,troisfois,faitletourdelacitéentraînantlecorpsdanslapoussière.Puisill’abandonneàterre,prèsdesatente.—Qu’ilsoitlaproiedesvautoursetdeschacals!ordonne-t-il.
Ainsi laissé sans sépulture, l’âmedudéfuntne trouvera jamaisde repos.Lehéros setournealorsverslecorpsdePatrocle,quelesGrecs,entretemps,onthissésurunbûcherfunèbre.—À présent, va, Patrocle !murmure-t-il en étouffant un sanglot. Rejoins en paix le
royaumedePluton!VoiciTroieprivéedesonmeilleurcombattant.Maislavengeanced’Achilleestamère,
ellealegoûtdesapropremort.
Danslanuit,unbruitsuspectfaitbondirAchillehorsdesacouche.Iln’apasletempsdesaisir sonépée :déjà,desmains tremblantesentourentsesgenoux.À la lueurde lalune, lehéros,stupéfait,reconnaîtPriam,lepèred’Hector!Commentcevieillardest-ilparvenuàquitterTroieassiégéeetàs’infiltrerjusqu’ici?—Achille ! gémit Priam, je viens t’implorer. J’avais cinquante fils. Presque tous ont
péridanscetteinterminableguerre.EttuastuéHector,monfilspréféré!Jet’ensupplie,rends-moisoncorps.Faceaudésespoiretaucouragedecevieilhommequiosesejeterauxpiedsdesonpire
ennemi,Achilleestdécontenancé.—Jet’aiapportéunerançonénorme,ajoutePriamensanglotant.—Relève-toi,répondlehéros,émuauxlarmes.Alors,quittantsatente,ilvaramasserlecadavred’Hectorpourlerendrelui-mêmeàsonpère.Ilajoute:—Tuesépuisé,Priam.Viensdoncboireetmanger.Reste ici etdors sanscrainte.Je fais le sermentque tu
rejoindrasTroieàl’aube,aveclecorpsdetonfils,sansêtreinquiété.
LebûcherfunérairedePatroclen’aurapasletempsd’êtreallumé:lelendemain,aprèsledépartdePriam,etalorsqu’Achille lanceun terribleassautcontre lesmursdeTroie, le ravisseurd’Hélène,Pârisenpersonne, seglissehorsdelaville–sansdoutesurlesconseilsd’Apollon,sondieuprotecteur.IlaperçoitAchillequicourtet,bandantsonarc,ildécocheuneflèchequivientseplanter…exactementsouslepiedduguerrier!
Achille, dont le talon est transpercé, s’écroule. Il arrache la flèche, voit que le sangcontinuedecouleretcomprendquesavies’envaaveclui.L’oracleaditvrai.
—Patrocle,jeterejoins!hurle-t-ilavantdejeterunderniersoupir.Achillemeurt.Maintenantquesondestinestaccompli,Troievapouvoirtomber,ainsi
quel’oraclel’aprédit.Maiscomment?Aumoyendequelleruse?CarAchilleestmort;etTroieestencoredebout…
LesGrecsdisputèrentauxTroyenslecadavredugrandAchilleetleramenèrentsoussatente.LabelleBriséisinondadeseslarmeslecorpsd’unmaîtrequ’ellen’avaitpaseuletemps d’aimer. C’est elle-même qui alluma le bûcher sur lequel gisaient désormais lescadavres des deux amis fidèles. Comme le voulait la coutume, elle coupa les longuestressesdesescheveuxpourlesjeterdanslesflammes.
Unefoisquel’oneutrecueillilescendresd’AchillemêléesàcellesdePatrocle,lesGrecslesenfermèrentdansunemêmeurne,qu’ilsenterrèrentausommetd’unecolline.
Aujourd’hui, les passagers des navires qui traversent l’ancienHellespont(9) peuvent encore apercevoir cettecolline.L’urnen’existeplusetlescendres,depuisbienlongtemps,sesontmêléesauxruinesdeTroie…UnevillequelepoèteHomèreappelaitIlion(10),etqu’Ulysseallaitprendreaumoyend’uneruseétonnante.
XULYSSE
LECHEVALDETROIE
TOURNANT ledosauxmursdel’imprenablevilledeTroie,Ulyssesongeait,leregardperduducôtédelamertouteproche…IlsongeaitàIthaque,l’îleàprésentlointainedontilétaitleroi;ilsongeaitàPénélope,sonépouse,qu’ilavait
laisséelà-bas–etàleurfils,Télémaque,quiavaitdûbiengrandir.—Dixans!murmurait-ilendominantsonchagrin.Voilàdixansquejesuisparti.Dixansperdusàassiéger
uneville.Ettoutcelapourhonorerunserment,etobligerPârisàrendrelabelleHélèneàsonépouxMénélas…Que de victimes durant cette interminable guerre qui continuait d’opposer les Troyens aux Grecs ! Les
meilleursavaientpéri:Hector,lechampiondeTroie,etlehérosgrec,Achille.Pârislui-mêmeavaitsuccombéàuneflècheempoisonnée.MaisHélènerestaitprisonnière.Etlavilleneserendaittoujourspas.—Cependant, déclaraune voixprèsd’Ulysse, la guerre vabientôt s’achever etTroie seradétruite.Oui : les
oraclessontformels.UlyssereconnutCalchas,levieuxdevin.Etcommeilallaitrépliquerparuneraillerie,uneidéefolleluitraversa
l’esprit.—Turuminesquelqueruse,n’est-cepas,Ulysse?ditlevieillard.Leroid’Ithaqueapprouvaavantd’ajouteravecagacement:—Commentdevines-tumespenséesavantquejelesexprime?—Tuoublies,réponditCalchas,quec’estlàmonmétier.Etchacunsaitquedenoustous,tuessansdoutele
plusavisé.Parle!—Non.Jedoisréfléchir.Puislivrermonprojetànosalliés.
Lemêmesoir,leroiAgamemnonrassemblatousleschefsdelaGrècequifaisaientlesiègedeTroie.Ulyssealorsleurdéclara:—Voilà:nousallonsconstruireunimmensechevaldebois…—Uncheval?fitAgamemnonquiattendaitunplandebataillemoinsfarfelu.—Oui.Unchevalsigrandquenousferonsmonterensecretdanssesentraillescentde
nosguerriersparmilesplusvaillants.Pendantcetemps,nousdémonteronsnostentesetnousrejoindronsnosvaisseaux.IlfautquelesTroyensvoientnosnavirescinglerloindurivage.L’undescompagnonsd’Ulysse,quis’appelaitSinon,s’exclama,scandalisé:—Tuesfou!Ainsi,tuveuxleverlesiège?—Attends,Sinon : tuoublies lescentGrecsdissimulésdans lecheval !D’autrepart,
l’un de nous restera auprès de la statue. Après notre départ, il sera capturé par lesTroyens. Voilà ce que cet espion leur dira : lassés du siège, les Grecs rejoignent leurspatries.PourqueMinerveleursoitfavorable,ilsluiontbâticecheval…—Minerve?s’étonnaAgamemnon.MaisMinerveest laprotectricedenosennemis !
ElleyasastatueàTroie,danslePalladium!— Justement : nos ennemis croiront que nous voulons nous accorder ses bonnes
grâces!expliquaUlysse.JesuissûrquepournepasoffenserMinerve,lesTroyensferontentrerdansleurvillecechevalquiluiauraétédédié.—Jevois!admitAgamemnon.Maisjamaiscentdenosguerriers,fussent-ilslesmeilleurs,neviendrontàbout
desTroyens.Veux-tudonc,Ulysse,jeternotreélitedanslagueuleduloup?—Non.Jeveuxaucontrairenousouvrirlabergerie.Carcechevalserasigigantesquequ’ilnepourrapasser
paraucunedesportesdelaville:lesTroyensdevrontabattrelesmurspourlefaireentrer!—Crois-tuqu’ilsprendrontcerisque?demandaleroi.—Oui,s’ilssontpersuadésquenousavonslevélecamp,ets’ilsvoientdisparaîtrenosnaviresàl’horizon!En
réalité, ceux-ci gagneront l’île de Ténéos, toute proche. Une fois le cheval dans la ville, notre espion, la nuitvenue,aumomentqu’iljugerapropice,allumeraunfeusurlesremparts.Nosarméesdébarquerontavantl’aubeetpénétrerontdanslacité.Épéios,lecharpentierquiavaitconstruitlesbaraquements,selevapourclamer:—Cestratagèmemeplaît!Construireuntelchevalmeparaîtpossible:lemontIda,toutproche,regorgede
chênescentenaires.—Quantàmoi,ajoutalecourageuxSinon,jeveuxbienêtreceluiquiresteraauprèsdececheval!Jeduperai
lesTroyens ; une fois la statue géante installéedans la ville, je ferai sortir de ses entrailles ceuxqui y serontdissimulés!—C’estrisqué,murmuraAgamemnonencaressantsabarbe.LesTroyenspeuventtetuer,Sinon.Ilspeuvent
aussinejamaisfaireentrercecheval–oudécouvrirtrèsviteceuxquiysontcachés.—Certes ! lançaUlysse.Mais n’êtes-vous pas las de cette guerre ? Et n’avez-vous pas hâte de rentrer chez
vous?Des cris unanimes lui répondirent : ce siège avait assez duré.Aux yeuxdesGrecs, tous les risques valaient
mieuxqueprolongerl’attente.
Duhautdesrempartsdesaville,leroiPriam,stupéfait,observaitsesennemis:ilsétaientoccupésàbrûlerlesbaraquesdeleurscampements,àplierleurstentesetàregagnerleursvaisseaux.—LesGrecss’envont!s’étonnait-il.Ilslèventlesiège!—Monpère,nevousyfiezpas.C’estuneruse,ellenousperdra…Cassandre, la prophétesse de la ville, était loin de partager l’optimisme de son père.Hélas ! nul ne prêtait
jamaisfoiàsesprédictions.Cassandreétaitsibellequ’Apollonlui-mêmeavaitétéséduit.Elleluiavaitdit:«Jeveuxbient’appartenirmais
accorde-moi d’abord le don de prophétie. » Apollon avait consenti. Une fois ce don obtenu, Cassandre avaitrejetéledieuensemoquantdelui.Jugeantindignederetirercequ’ilavaitdonné,Apollonavaitdéclaré:«Soit…tusauraslirel’avenir,Cassandre,maisnulnecroirajamaistesprédictions!»—C’estuneruse,monpère,jelesais,jelesens…—Allons,Cassandre,nedispasdebêtises:silesGrecsvoulaientrevenir,ilsnedétruiraientpascesbâtiments
qu’ilsontmistantdetempsàconstruire!Vois,plusieursvaisseauxontdéjàprislamer.—Monpère,voussouvenez-vousdecequej’aipréditquandPârisestrevenuiciaveclabelleHélène,ilyadix
ansdecela?—Oui!Jemesouviensquetuasdéchirélevoiled’ordetacoiffe…Tut’esarrachélescheveuxettuaspleuréen
prophétisantlapertedenotreville.Tuavaistort:nousavonstenulesiègeetgagné!Cassandre,ajoutaPriam,mesyeuxsonttropuséspourvoircequelesGrecssontentraindeconstruiresurlerivage,qu’est-ce?—Celaressembleàunestatue,dit-elle.Unegrandestatueenbois.
Troisjoursplustard,lesTroyensdurentserendreàl’évidence:lesGrecsétaientpartis!Duhautdesremparts,onnedistinguaitque laplainedéserteoù tantd’hommesétaient tombés–et là-bas, sur lamer, lesdernièresvoilesdesvaisseauxennemis.Surlaplage,l’étrangemonumentquelesGrecsavaientabandonnéintriguaitleroi
Priamquidéclara:—Allonsvoircequec’est!Pourlapremièrefoisdepuisdixans,lesportesdelavillefurentgrandesouvertes.Quand les Troyens découvrirent sur le rivage un somptueux cheval de bois plus haut qu’un temple, ils ne
purentretenirleursurpriseetleuradmiration.—Priam!hurlaunTroyenquis’étaitaventurésousl’animal.Nousvenonsdedénicherunguerriergrec,ligoté
àl’unedespattes!
Ilscoururentdétacher l’inconnuet lepressèrentdequestions.Mais l’hommerefusaitderépondre.—Qu’onluitranchelenezetlesoreilles!ordonnaPriam.Mutilé,torturé,l’infortunéGrecfinitparavouer:— Je m’appelle Sinon. Oui, nos vaisseaux sont repartis ! Sur les conseils du devin
Calchas, les Grecs ont construit cette offrande àMinerve afin que la déesse pardonnel’offense faiteàvotreville.Pourobtenirunemerfavorable,Ulysseavoulumenoyeretm’immoler àNeptune.Mais jeme suis échappé et réfugié sous la statue. Pour ne pasdéplaireàMinerveàquiildemandaitprotection,Ulysses’estcontentédem’attacherici.—UneoffrandeàMinerve!s’exclamaPriam,émerveillé.— La laisserons-nous sur la plage, exposée au vent et à la pluie ? demandèrent
plusieursTroyens.—Oui!frémitCassandre.Mieuxencore:brûlonscetteoffrandeimpie.C’estuncadeau
empoisonnéquenosennemisnousontfait.—Tais-toi,réponditleroiàsafille.Qu’onbâtisseuneplate-forme!Qu’onapportedes
rondins!Qu’onamènecechevaldansnotrecité,prèsdutempleédifiéenl’honneurdeladéesse!
Cefutuntravailpluslongetplusdifficilequeprévu.Maisunsoir,lechevalfutenfinamenéentriomphedevantlesTroyensmasséssurlesremparts.Hélas,lesportesétaienttrop étroites pour le faire passer. Après un regard vers la plaine désertée, Priamordonna:
—Qu’onabattel’undesmursdelaville!—Monpère,préditsafilleenfrissonnant,jevoisnotrecitéenflammes,j’aperçoismille
cadavresquijonchentsesrues!Personnen’écoutaitCassandre:lesTroyensétaientsubjuguésparcechevalsplendide
etmonstrueuxàlafois,auxoreillesdresséesetauxyeuxsertisdepierresprécieuses.L’animalfutpousséjusqu’autempledeMinerveoùdébutaunegrandefêtequiréunit
tous les Troyens rescapés : la guerre était finie, les Grecs étaient partis, et ce chevalarrivaitàpointnommépourcélébrerunevictoirequ’onn’attendaitplus!
NulneprenaitplusgardeàSinonquiavaitétéépargné.Seglissantparmilesnoceurs,l’espiongrecgagna les rempartsdéserts ; il y construisitungrandbûcheret,avantd’ymettrelefeu,ilattenditquelesTroyenss’écroulent,ivresdedansesetdevin.
Au fildesheures,à l’intérieurducheval,Ulysseet sescompagnonscomprenaientque leurstratagèmeavaitréussi ! Ilsavaiententendu le fracasdesmuraillesabattues, les crisde joieetdevictoiredesTroyens,puis larumeur de la fête qui, à présent, s’était tue. Soudain, une voix de femme surgit sous les pieds des guerrierssilencieux:
—Ah,cherscompatriotes,pourquoim’avez-vousabandonnée?Monépoux,àcetteheure,oùes-tu?Sais-tuqu’aprèslamortdePâris,c’estDéiphobe,sonproprefrère,quim’aforcéeàpartagersonlit?Ettoi,braveUlysse,es-tuaussiparti?…
C’était la belle Hélène. Ménélas s’apprêtait à lui répondre, mais Ulysse lui plaqua la main sur la bouche.Longtemps,Hélènegémitsouslecheval.Puissavoixs’éloigna.Maisuneautrejaillit:
— Ulysse ? Diomède ? Ajax ? Néoptolème ? Ménélas ? C’est Sinon qui vous parle ! Les Troyens sont tousassoupis!Voiciplusieursheuresquej’aiallumélesignal.L’aubeapproche…Vite,sortez!
Aussitôt,àl’intérieurdelastatue,Épéiosenlevalescalesquiretenaientlepoitrail.Laparoibascula.Ulyssefittomberdes cordes.Et cent guerriers armés sortirentunàundes entraillesdu cheval.Aumêmemoment, lesnaviresgrecs,poussésparunventfavorable,débarquaientsurlagrève.Lesarméesd’Agamemnons’élancèrentvers Troie éventrée. Tandis que les Grecs surgis du cheval envahissaient la cité endormie, Ulysse lançait defurieuxcrisderalliement.
LesTroyenseurentàpeineletempsdecomprendrecequiarrivait: laplupartpérirentàpeineréveillés.Lesplus valeureux, mal remis de leur beuverie nocturne, n’offrirent qu’une résistance dérisoire. Les moinstémérairesnedurentleursalutqu’àlafuite.
TandisquelecaniveaudesruesruisselaitdusangdesTroyenségorgés,Néoptolème,lefilsd’Achille,découvraitPriamàgenouxdevantl’auteldeJupiter.Sanspitié,ilégorgealeroi.Plusloin,MénélasdénichaitHélènedanslelogisdeDéiphobe,lefrèredePâris.Illetua d’un coup de lance avant de s’élancer vers son épouse retrouvée. Ajax, en entrantdansuntemple,trouvalabelleCassandreaupieddelastatuedeMinerve.—Ah!s’exclama-t-il,voilàsilongtempsquejetevoulaisàmoi!PendantquelafilledePriamétaitdéshonorée,ladéessedepierre,dit-on,détournala
tête.Quand le jourse leva, ilnerestaitdeTroiequedesruines ;cequin’étaitpasdétruit
achevait de brûler. Déjà, les Grecs chargeaient leurs navires avec le butin de la villedévastée. Ulysse, face à l’étonnant cheval qui avait assuré la victoire, dut soudains’écarter:unefemmed’unestupéfiantebeautépassait, indifférenteàcecarnagequ’elleavait indirectement provoqué. C’était Hélène. Les guerriers, muets d’admiration,s’arrêtaientpourlacontempler.Ulyssesentitmonterenluiuneétrangeamertume.—Allons!dit-ilsoudainàseshommesquiregagnaientsonnavire.Cettefois,laguerre
estfinie,rejoignonsnotrebonneîled’Ithaque!Pourlui-même,ilajouta:«EtPénélope,machèreépouse,quim’attenddepuisdixans».Hélas,Ulysseignoraitqu’iln’étaitpasprèsderejoindresapatrie!Lesdieuxendécideraientautrement:dix
autresannéespasseraientavantqu’ilnerentre.Letempsd’unelongueodyssée(11).
XIPÉNÉLOPE
«DIS,QUANDREVIENDRAS-TU?…»
TOURNANT le dos à la foule de ses prétendants rassemblés, Pénélope tissait, le regard perdu vers la mer.Parfois,unlongsoupirs’échappaitdesapoitrine.EllesongeaitàUlysse,sonépouxpartidepuisvingtans,etsesurprenaitparfoisàfredonner:«Dis,quandreviendras-tu?…»Souvent, elle s’adressait ainsi à celui qu’elle continuait d’aimer, prolongeant indéfiniment l’écho de sa
présence.—Pénélope, lui lança soudainEurymaque. tu dois choisir l’un d’entre nous ! À l’heure qu’il est,Ulysse est
mort,tulesaisbien.Pénélopen’encroyaitpasunmot.Dixansauparavant,elleavaitapprisquegrâceàunerusedesonmari, la
villedeTroieavaitenfinétépriseetrasée.Maisàsesyeux,iln’yauraitdevraievictoirequ’auretourdesonépoux.—Ithaqueabesoind’unroi!Quandtedécideras-tuàteremarier?—Dois-je te le répéter, Eurymaque ? répondit-elle doucement, jeme remarierai quand j’aurai achevémon
ouvrage.—Voilàtroisansquetutravaillesàcelinceul!grommelaAntinoos,unautreprincedel’île.Jetrouvequetu
tissesbienlentement!Tisser un linceul était un travail sacré. De plus, celui-ci était destiné à Laerte, le père d’Ulysse qui était
aujourd’huibienvieux.Perfide,Eurymaqueajouta:—Oui,tonouvrageavancemal,Pénélope.Àmonavis,tudevraistehâtercarlesjoursdeLaertesontcomptés.Pénélopefrémitsansoserrépliquer.Dejourenjour,lesprétendantsautrônes’impatientaient.Quantàsonfils
Télémaque, il était parti à la recherche de son père. Seule, Pénélope avait de plus en plus demal à contenirl’impatiencede touscesnoblesquivoulaient l’épouserpourprendre lepouvoir.FidèleàUlysse, la reineavaitperdusajeunesse–maispasl’espoir.Ellegagnasesappartementssansunregardpourceshommescupides.
L’aubeétaitencoreloinquandPénélopeseleva.Ellequittasachambreàpasfeutrésetrejoignitlagrandesalledupalais.S’approchantdulinceul,elletiralefilquidépassaitetentreprit de détisser ce qu’elle avait accompli la veille. Voilà en effet pourquoi sonouvrage n’avançait pas : depuis de nombreuxmois, Pénélope défaisait chaque nuit letravaildetoutesajournée!Soudain, elle entendit un bruit, se retourna et reconnut une servante qui, étonnée,
observaitlemanègedesamaîtresse.—Attends!s’écriaPénélope.Net’envapas,jevaist’expliquer!Maislajeunefilles’étaitéclipsée.EtquandPénélope,aumatin,entradanslasalledu
palais, elle fut accueillie par cent regards sévères ou goguenards. Furieux, Eurymaques’exclama:—Pénélope, tu t’esmoquée de nous ! Ta servante nous a expliqué ton stratagème !
ajouta-t-il en désignant le linceul. Cette fois, tu ne t’en tireras plus par une traîtrise.Aujourd’hui,tuépouserasl’undenous!Dansuncoindelapièce,plusieursprétendantsétaientvautréssurdessièges.D’autres
avaient apporté des tonneaux et commencé à boire le vin des chais royaux. Les plushardis donnaient déjà des ordres aux serviteurs comme si le palais leur appartenait.Pénélope comprit qu’elle était perdue : si elle ne choisissait pas un mari, ces noblesallaients’affronteretmettrelepalaisàsac.Parmieux,Eurymaque,leplusricheetleplus
puissant,avaitl’arrogancedeceluiquiestsûrd’êtrel’élu.—Ah,Ulysse,murmuraPénélopedésespérée,quandreviendras-tu?—Bientôt,luichuchotaàl’oreilleunevoixfamilière.Le jeunehommequivenaitde rejoindre la reinen’étaitpasUlysse…maisTélémaque !Son filsuniqueétait
enfin là. Pénélope se précipita dans ses bras. Les prétendants restèrent unmoment décontenancés par cetteirruption inattendue.Le filsd’Ulysseavaitgrandien forceetenbeauté ; sonretourcontrariait lesprojetsdescentprétendants.MaisEurymaque,pleindemorgue,lança:—Ehbien,Télémaque,as-turetrouvétonpère?—Non.Maisjesaisqu’ilestvivant.Etqu’ilseralàd’icipeu.— Dis-moi, ajouta Antinoos en observant Télémaque, tu as du poil au menton, à présent… Qu’en dis-tu,
Pénélope?LamèredeTélémaqueapprouvaentremblant.Toussavaientqu’avantdepartir,Ulysseavaitditàsafemme:Sijenerevienspas,attendspourteremarierquenotrefilsportelabarbe.Cette fois, Pénélope n’avait plus aucune raison de reculer.Mais prendre un protecteur lui était odieux. Et
parmiceshommesqu’elledétestait,aucunnevalaitmieuxquel’autre.Commeelleallaitrépondre,unserviteuretunmendiantseprésentèrent.—Eumée!s’exclamaPénélopeensouriant.Entre,tueslebienvenu.Euméeétaitlevieuxgardiendescochonsdupalais.Ils’inclinaetdésignal’hommequil’accompagnait.C’était
unmendiantenhaillons,encoreplusâgéetplussalequelui.—Grandereine,ditEumée,cevoyageurdemandel’hospitalité.—Viens,bravehomme,ditPénélopeentendant lamainà l’inconnu.Mange,boisetprendsdurepos: tues
cheztoidansmonpalais.— Ce palais, coupa Eurymaque, appartiendra désormais à l’homme que tu épouseras.Maintenant, nous te
sommonsdelechoisir!
Les cent prétendants assemblés approuvèrent, menaçants. Et tandis que lesconversationsreprenaient,Pénélopefutintriguéeparlecomportementduvieuxchiendeson époux : l’animal, qui était aujourd’hui aveugle et quasi infirme, avait quitté enrampantsacouche,touteprochedutrônevideduroi;arrivéauxpiedsdumendiant,illevalatête,gémitfaiblementetléchalesmainsduvoyageurquilecaressait.Aprèsquoila bête, qui semblait sourire, rendit son dernier soupir dans les bras du voyageuraccroupi.
—Espècedeméchantpouilleux,filed’ici!luijetaEurymaque.— Non, ordonna Pénélope, saisie d’un pressentiment. Euryclée, apporte un bassin
d’eautièdeetlavelespiedsdenotrehôte.Eurycléeétait laplusancienneservantedupalais.Autrefois,elleavaitété lanourrice
d’Ulysse.Elles’empressad’obéiràsamaîtresse,quinefaisaitquerespecterlestraditionsdel’hospitalité.
Avant d’aller s’asseoir, le mendiant se pencha à l’oreille de Pénélope pour luichuchoter:
—Disquetuépouserasceluiquisaurabanderl’arcdetonépoux!Stupéfaite,Pénélopedévisageal’inconnuauprèsduquelEuryclées’empressait.Non,il
était trop vieux et trop laid pour être son mari déguisé. Pourtant, c’eût bien été son style de s’introduire ainsiincognito,pourconfondresesennemis.
Relevantlatête,Pénélope,troublée,répétamotpourmot:—Soit:j’épouserai…celuiquisaurabanderl’arcdemonépoux!Surpris,lesprétendantsseconsultèrentduregard.Lepremier,Eurymaqueréagit:—Tunouslancesundéfi?Etsivingtd’entrenousyparvenaient?—Encecas,répliquaTélémaque,mamèreorganiseraitunconcoursdetir,etelleépouseraitlevainqueur.Pénélopesetournaverssonfils.Cen’étaitguèredanssamanière,deprendredetellesinitiatives.L’absenceet
les épreuves l’avaient sans doute mûri. À cet instant, la vieille nourrice d’Ulysse poussa un cri ; elle venait dedécouvrirunecicatriceaugenoudumendiant.
—Oh,c’estunevieilleblessure,disait-il,ellenemefaitplussouffrir.Déjà, Télémaque revenait avec l’énorme arc de son père et plusieurs carquois remplis de flèches. Il était
accompagnédePhilétios,unfidèleserviteurquiportaitunedouzainedehaches.—Jel’essaierailepremier!décrétaEurymaque.Ilsaisitlacorde,latenditsifortquesonvisages’empourpra.—N’insistepas,raillaAntinoos.Leboisn’amêmepasplié!Ilpritl’arcàsontouretessayadelebander.Sanssuccès.—Donne-le-moi,fitunautreprétendantenbousculantsescompagnons.Iléchouacommelesdeuxpremiers.Lesheurescoulèrent.Etquandlanuit tomba,aucunhommen’avaitpu
décocherlamoindreflèche.C’estalorsquelavoixduvieuxmendiants’éleva:—Peut-êtrefaut-ilassouplircetarc?Vouspermettez?
Avant qu’aucun ne songeât à s’interposer, Télémaque tendait l’arme à l’inconnu etpoussaitPénélopeverslaporte.—Mère,luimurmura-t-il,ilvautmieuxquevouspartiez.Ellevoulutprotester.Maissurunsignedesonfils,Philétiosl’obligeaàquitterlapièce;
unefoissortie,Pénélopeentenditque l’onpoussait les loquets.Songeuse,elleretournadans ses appartements. Soudain, elle aperçut dans la chambrede son fils des dizainesd’épées,delancesetdeglaivesentassés.—Mais…ce sont lesarmesdemesprétendants !Quiaordonnéqu’on les rassemble
ici?Etpourquoi?Venantdelasalledupalais,uneimmenseclameuretdescrisd’effroiluirépondirent.
Alorsunfolespoirenvahitsoncœur…
Devant les prétendants ébahis, le vieux mendiant venait, sans effort, de bander legrand arc d’Ulysse ! Profitant de leur surprise, Télémaque, lui, avait fixé en étoile lesdouze haches au mur, en superposant les trous qui perçaient l’extrémité de chaquemanche.L’orificeuniquequ’ilsoffraientétaitainsidevenulecentred’uneénormecible.Télémaques’exclama:—Souvenez-vous!Seulmonpèrepouvaitbandersonarc!Etnulautrequeluin’avait
jamaisatteintunbutaussipetit!Sanssetroubler,lemendiantvisa…ettira.Laflèchetraversalapièceetvintseplanteraucentredelacible.Un
crijaillit,semultiplia,oùsedevinaientlastupeuretl’effroi:—C’estUlysse!—Cenepeutêtrequelui.Pourtant,c’estimpossible!Alors,lemendiantarrachaseshaillonsd’uncoup.— Oui ! gronda-t-il. C’est moi, Ulysse, votre maître ! Ce matin, les Phéaciens m’ont déposé sur la grève
d’Ithaque.EtgrâceàMinerve,quiasumevieilliretmedéguiser,vousvoilàenfinconfondus.Ah,vousdilapidiezmesrichesses?Vousconvoitiezmonépouse?Vouscherchiezàmesupplanter?—Quit’aracontécessornettes?fitEurymaqueengrimaçant.—Eumée,monfidèleporcher!Sansmereconnaître, ilm’aaccueilli.Grâceàlui, jeconnaisvotrefourberie!
Avecsonaideetcelledemonfils,aucundevousnem’échappera.Eurymaqueeutunmouvementpour fuir.Mais lebravePhilétiosgardait laporte, cadenassée.Antinoos, lui,
voulutsaisirsonglaive.Maiscommetouslesautresprétendants,ilcompritqu’ilétaitdésarmé.Alorsils’élançaversleshaches.Uneflècheluitraversalagorgeetl’arrêtadanssonélan.Déjà,Ulysseensaisissaituneautreethurlait:—Télémaque,Philétios,Eumée…écartez-vous!
Danslanuit,Pénélopesursauta:uninconnusetenaitlà,auseuildesachambre.Elleseleva,s’approchadel’hommeettentadel’identifieràlalueurdelalune.—Ehbien,Pénélope,murmura-t-il,tunemereconnaispas?Tremblant des pieds à la tête, elle n’osait comprendre. Le voyageur était accompagné de Télémaque et
d’Euryclée.—C’estlui,maîtresse!assuralanourricedansunsanglot.—C’estlui,confirmaTélémaque.Mère,doutez-vousencore?Elledoutait.Ellenevoulaitpascroireàcetropgrandbonheurquibalayaitsoudaincespeinesaccumulées.—Ainsi,murmuraUlysselagorgeserrée,seulsdeuxêtresm’aurontreconnu:monchien,quim’aattendupour
mourir;etmanourrice,quiaidentifiélablessureaugenouquemefitautrefoisunsanglier.Maistoi,Pénélope,mapropreépouse,tunemereconnaispas?Non:cetUlyssequiavaitsurgiaujourd’huiluisemblaitplusétrangerquelefantômefamilieraveclequelelle
s’entretenaitetdontelleavaitcultivélesouvenir.—Minerve,éclaire-moi!implora-t-elle.Ladéesse l’entendit :d’uncoup,Ulyssefutvêtud’unrichemanteau,etsonvisageprit l’éclatet labeautéde
celuideshéros.—Pourteprouverqu’ilnes’agitpaslàd’unerusedesdieux,ajouta-t-il,jevaistedonnerlapreuvequejesuis
tonépoux:vois-tunotrelit?Quid’autrequemoipourraitteledécrireavecprécision?Illefit,etlivradetelsdétailsquePénélope,bientôt,seprécipitadanssesbras.—Ulysse,balbutiait-elledansseslarmesennecessantdepalperlevisageaimé.Ulysse,enfin,c’esttoi!Oui,tu
esrevenu…—Vingtansaprès,acheva-t-il.Etaprèsquelsvoyages…—Moi,luirépondit-elle,jen’aipasquittél’îled’Ithaque.Cependant,j’ail’impressiond’êtreunenaufragéequi
erredepuisvingtansetaperçoitenfinlaterreferme!Ils s’étreignirent.TélémaqueetEurycléequittèrent la chambre sur lapointedespieds.EtMinerve,dans sa
bienveillance,prolongeaindéfinimentlanuitderetrouvailledesdeuxépoux.Aumatin, quand ils revinrent dans la salle du trône, il ne restait aucune trace desmassacres de la veille.
Pénélopeaperçutalors,abandonnédansunangle,sonouvrage inachevé.Ellesesouvintdesannéespasséesà
attendresonépouxetsoupira.—Qu’est-ce?demandaleroid’Ithaqueenpalpantletissu.—Unetoilequejetissais…pourpasserletemps.Elle tira sur le fil. Et c’était comme si Pénélope revenait en arrière, comme si s’effaçaient en accéléré
l’impatience,l’attenteetlesans.Bientôt,ilnerestaplusriendel’ouvragetantdefoisrecommencé.Rienqu’unsouvenirlancinantetdouloureux.—Qu’importe,àprésent?dit-elleensoupirant.Oui:lelinceulduvieuxLaertepouvaitattendre:Ulysse,Pénélopeetluivivraientencoretrès,trèslongtemps.
XIIROMULUSETRÉMUSDELAMORTDETROIE
ÀLANAISSANCEDEROME…
TANDISquelesGrecs,grâceàUlysse,parvenaientàs’introduiredansTroiepourladétruire,l’undesprincesdelaville,Énée,compritqueriennepouvaitplussauversacité.FilsdeVénus,Énéeétait,aprèsHector,lepluscourageuxdesTroyens.MaisTroieétaitlaproiedesflammes.Créuse,lafemmed’Énée,venaitd’êtremassacrée.Ets’ilvoulaitsauversonfilsetsonvieuxpère,Énéedevait
fuir.Il se précipita dans la chambre du jeune Ascagne, qu’il trouva terré dans un coin ; il le prit par la main,
l’entraînadanslapiècevoisine.Làsetenaitunvieillardrésigné.—Monpère…Vite,suivez-nous!—Impossible,monfils,murmuraAnchise.Jenepeuxplusmarcher.Alors,Énéehissasonpèresursondos.Bravantlecarnageetlesflammes,ilparvintauPalladium:ilvoulait
sauverdupillagelesprécieusesPénates,lesdieuxprotecteursdelacité.Ilglissalesstatuettessacréesdanssonsac.Levantlatête,ilimplora:—Ômamère,m’accorderez-vousvotreprotection?
Duhautdel’Olympe,ladéesseVénusentenditsaprière:elledétournal’attentiondesGrecs et permit à son fils de quitter Troie. Énée partit, tenantAscagne par lamain etportant son vieux père sur le dos. Accompagné de quelques Troyens rescapés, le trioparvintàembarqueretàgagnerlaThrace.Lesaventuresd’Énéenes’arrêtèrentpaslà:ilserenditenCrète,enSicileetmêmeenAfriqueoùilfutrecueilliparlareinedeCarthage,labelleDidon,quileretintlongtempsetl’aima(12)…Ensuite,Énéerejoignitl’Italieoùilvécutlongtemps.Aprèssamort,Ascagnefondauneville:Albe-la-Longue.Douzegénérationsplustard,
son descendant légitime, Numitor, commençait à régner. Mais son frère Amulius nel’entendaitpasdecetteoreille…
Cematin-là,enarrivantdans lepalais,Numitoreut lasurprised’apercevoirAmuliusassissurletrôneàsaplace.Avantqu’ilaitpuréagir,desgardess’emparaientduroi.—Ehoui ! ricanaAmulius.Dequeldroit lepouvoir revient-il toujoursà l’aîné?J’ai
décidéderéparercetteinjustice.Etpuistumesemblaistropmoupourfaireunroi!Numitor n’aimait ni les querelles ni la guerre. Il voulait éviter un massacre et
murmura:—Monfrère,restedoncsurcetrônepuisquetuledésirestant.Tupeuxmêmemetuer.
Maisj’imploretapitié:épargnemesenfants!—Crois-tuquejeprendraisuntelrisque?C’esttroptard:j’aidonnédesordres.Àcetinstant,desgardessurgirent,portantlescadavresdedeuxgarçons.RhéaSilvia,lafilledeNumitor,les
suivaitensanglotant;ellevintsejeterdanslesbrasduroiprisonnier.—Oh,monpère, gémit-elle,mes supplicationsn’yont rien fait : cesbrutesontégorgémes frères sousmes
yeux!Numitorserrasafillecontrelui.Pointantledoigtverssonfrère,ilgrondaenessayantdedominersonchagrin:—Tuesunsombreassassin,Amulius.Noussommesentonpouvoir.Maisredoutelacolèredesdieux!Situ
n’épargnespasmafille,jeconjureMars,leprotecteurdenotreville,deteréserverlechâtimentquetumérites.Devantcettemenaceenformedeprophétie,Amuliusfrémit.—Je te laisse la vie sauve,Numitor, décida-t-il à regret. Je te cèdemêmequelques arpents de terre et des
troupeaux.Maisjet’interdisl’accèsd’Albe-la-Longue!Tuvivrasloind’ici,commeunpaysan.Hésitant,l’usurpateursetournaversRhéaSilvia.IlcraignaitquelafilledeNumitoraitunjourdesenfants;en
grandissant,ceux-cideviendraientdesrivauxetilsluiréclameraientletrône.Maiss’illatuait,ilappelleraitsurluilacolèredeMars.Quefaire?Soudain,ileutl’idéed’unerusequiluipermettraitderésoudrecedilemme.Ildécréta:—Soit.Jet’épargneégalement,Rhéa!Mieux:jetenommeprêtresseetgardiennedufeusacré!Qu’ilsoitfait
commej’aidit!Aussitôt, lesgardesconduisirentRhéaSilviaautempleconsacréàVesta, ladéesseprotectricedesfoyers.La
fille du roi déchu rejoignit les autres jeunes filles desmeilleures familles de la ville dont la tâche consistait àentretenir le feu sacré. Les vestales, ainsi les appelait-on, n’avaient pas le droit de se marier ni d’avoir desenfants.Ellesétaientrecrutéestrèsjeunesetdevaientofficiertrenteans.Sil’uned’ellesfréquentaitunhommeoulaissaitéteindrelefeu,elleétaitenterréevivante!Amuliusétaitsûrden’êtrejamaisinquiété…
Quelque temps plus tard, alors queRhéa Silvia allait puiser de l’eau à la fontaine sacrée, elle rencontra unjeunehommedontlabeautélatroubla.Elles’endétournaaussitôtmaisl’inconnulasaisitparlamain:—N’aiecrainte, luidit-il.Jesuis ledieuMars.Tumeplais,RhéaSilvia.Et j’aidécidéque tudeviendrais la
mèredemesenfants.Incrédule et affolée, la jeune fille sedégagea et s’enfuit.Mais lanuit suivante, lemêmehomme lui apparut
dansunsonge ; ilétaitsouriant,etnimbéd’uneclartédivine.Rhéaétaitenextase.CommentrésisteraudieuMars–surtoutquandcelui-civousrendvisiteenrêve?…Quelquessemainesplustard,RhéaSilviacompritqu’elleétaitenceinte.Quandilluifutimpossibledecacherla
vérité,elleallatrouverlagrandeprêtresse.Ellesejetaàsespiedsenluiexpliquantlavisitedudieupendantlanuit.—Jesaisquelamortm’attend!Maisparpitié,laisseznaîtreetvivremonenfant!Aussiémuequ’intriguée,lagrandeprêtresseattenditqueRhéaSilviametteaumondenonpasunbébé,mais
desjumeaux.AprèsquoielleserenditaupalaispoureninformerAmulius.Lacolèreduroifutterrible.—Qu’onenfermecetteparjuredansuncaveau!ordonna-t-il.Etquesesmauditsrejetonssoientnoyésdansle
Tibre!Lefleuveétaitencrue.Lagrandeprêtressehésitait:etsilajeunevestaleavaitditvrai?Sicesenfantsétaient
vraimentceuxdudieuMars?Aussi, au lieude lesprécipiterdans leseaux,elle résolutde lesplacerdansunberceau en osier qu’elle confia au fleuve en furie. Si ces jumeaux étaient les fils du dieu, celui-ci trouveraitsûrementlemoyendelesprotéger.
Tandisqueleurmèreagonisaitdanssaprison,lesdeuxbébés,entraînésparlecourant,hurlaientdefrayeuretdefroid.Ilsvoguèrentainsiàladérivetoutelanuitetlajournéedulendemain.Maislesoir,leberceaus’échouasurlarive,entrelesracinesd’unfiguier,aupiedd’une colline boisée : lemontPalatin. C’était l’heure où les animaux sauvagesdescendaientsedésaltéreraufleuve.L’und’eux,unelouvequivenaitdemettrebas,futintriguéepar les crisdesnourrissons.Elle les saisit délicatementdans sa gueule et lesemmena l’un après l’autre dans la grotte qui lui servait de tanière. Mêlés aux jeuneslouveteaux,lesjumeauxaffamésseprécipitèrentsurlesmamellesgonfléesdeleurmèreadoptive…
Quelques mois plus tard, les bébés étaient devenus très robustes. Ils passaient leurtempsàramper,àjoueretàchahuteravecleursfrèresdelait.Maisunjour,enpassantparlà,unbergernomméFaustulusfutintriguépardesgazouillementsetdescrisjoyeuxquis’échappaientdelagrotte.Ilentraetlaissaéclatersasurprise:
—Desenfants!Avecdeslouveteaux!Jenepeuxpasleslaisserdanscettetanière…Sansattendreleretourdelalouve,ils’emparadesjumeauxetlesramenachezlui.Sonépouse,Laurentia,fut
transportéedejoie.—Ilssontmagnifiques!Ettudisqu’ilsontétérecueillisetélevésparunelouve?—Oui.C’estunmiraclequ’ilssoientencoreenvie.—Ilssontprotégésdesdieux!Oh,Faustulus,adoptons-les.—Commeilsseressemblent!notaleberger.—Nouslesappellerons…RomulusetRémus.Les jumeaux grandirent en force et en complicité. Devenus adolescents, ils gardèrent les troupeaux de
Faustulus. Leur vigueur était si grande qu’on leur demanda de débarrasser la région des brigands quil’infestaient. Ils y parvinrent si bien que leurs exploits attirèrent autour d’eux une troupe de jeunes gensintrépides.Leurrenomméegrandit.
Maisunjour,àlasuited’unequerelleaveclesbergersdeNumitor,Rémusfutcapturéettraînédevantleroienexil.LaressemblancedujeunehommeavecsafilleRhéaSilvial’intriguaetravivasadouleur.Numitoravait finiparapprendrequ’avantdemourir,safilleavaitmisdesenfantsaumonde.Troublé,ildemanda:—Ainsi,tut’appellesRémus?Ettuasunfrèrejumeau!Oùest-il?—Ici!clamaRomulusenentrant,unglaiveàlamain.Àsasuite,Faustulusapparut.IlconnaissaitlatolérancedeNumitoretnedoutaitpas
dissipercemalentendu.Ildéclara:—Pardonnel’impétuositédemesfils,Numitor.—Tesfils?Tuseraislepèredecesjeunesgens?FaceauscepticismedeNumitor,Faustulusjugeaqu’ilétaitpréférablededirelavérité.
Etdevantlesjumeauxabasourdis:—Non!avoua-t-il.Ilyavingtans,jelesaiarrachésàlalouvequilesavaitrecueillis.
Cesbébésavaientétéabandonnés…Aussitôt,Numitorcomprit.Ilouvritlesbras:—VousêteslesfilsdemafilleRhéaSilvia!Romulus,Rémus…mespetits-enfants!Ah,
commejesuisheureux!Pendantlasoiréeetlanuitquisuivit,lesjumeauxsefirentraconterl’étrangehistoiredeleursauvetage.—BraveFaustulus,soupiraNumitor.Sanstoi,ilsauraientpéri!—Sanstoi,ditRémus…etsanslalouvequinousasauvélavie!—Sijecomprendsbien,ajoutaRomulus,notreoncleAmuliusausurpélepouvoir?C’esttoiquidevraisrégner
surAlbe?—Oh,jesuistropvieuxàprésent,c’estunehistoireoubliée!— Peut-être, répliqua Rémus. Mais nous sommes tes héritiers. Si nous voulons un jour régner, tu dois
remontersurcetrônedonttuasétéinjustementécarté.Qu’endis-tu,Romulus?Laquestionétaitinutile:lesjumeauxétaientsiprochesl’undel’autre,danslesactescommedanslespensées,
qu’ils se précipitèrent d’unmême élan hors de lamaison de leur grand-père. Rejoignant les collines de leurenfance,ilsréunirentleursfidèlesamispourleurrévélerleuridentité.—Laisserons-nouscetraîtred’Amuliussurletrône?—Non!hurlèrentlesautres.Renversons-le!L’armée que les jumeaux constituèrent était bienmaigre et très peu organisée.Mais les deux chefs étaient
résolus.Desoncôté,Amuliusavaitapprislanouvelle.Saisidepanique,ils’étaitretranchédanssonpalaisetruminait
desregrets:—LesfilsdeRhéaSilvia…j’auraisdûlestuerdemespropresmains!—QueMarsnousassiste!fitRomulusenlevantlatête.—Oui…Puisseledieudelaguerrenousdonnerlavictoire!ajoutaRémusens’élançantavecseshommessur
l’arméed’Amulius.Lepèredivindesjumeauxnelesavaitpasabandonnés:lestroupesd’Amuliusfurentécrasées!Lesjumeaux
pénétrèrentdanslepalaisetfinirentpardénicherleroiterrorisé.—Nemetuezpas!geignit-il.Jerendsletrôneàmonfrère!Pourtouteréponse,Romulusfrappasononclelepremier;etRémusl’achevad’uncoupd’épée.
C’estainsiqu’avecvingtansderetard,Numitorredevintlesouveraind’Albe-la-Longue.Soussonrègne,lavilles’agranditetprospéra.Bientôt,sesmursfurenttropétroitspourcontenirtousleshabitants.Numitorditalorsàsespetits-enfants:—Fondezunevilleàvotretour!NombreuxfurentceuxquiquittèrentAlbesurpeupléeetsuivirentlesglorieuxjumeaux.Ceux-ciserendirentau
bordduTibre,aupieddumontPalatinoù,autrefois,unelouvelesavaitnourris.Romulusdécréta:—C’esticiquenouslafonderons.Etelleporteramonnom!—Pourquoiletien?fitRémusenriant.Pourlapremièrefois,ilss’affrontèrentduregard.—Soit,admitRémus.Ehbienmoi,jefonderaimavillelà-bas.IldésignalemontAventin,toutproche.—Impossible!ditRomulus.Cesdeuxvillesseraienttropvoisines.Ilnefautqu’uneseuleetgrandecité.—Jesuisd’accordavectoi.Maislequeldenousdeuxrégnera?LesouvenirdelaquerelleentreAmuliusetNumitorleurarrachaunegrimace:lepouvoirnesepartageaitpas.
Etdecesjumeaux,quiauraitpudirelequelétaitl’aîné?—Consultonslesaugures,ditRomulusendésignantleciel.Lesdieuxnousenverrontbienunsigne.Unsigne
siévidentqueceuxquinousontsuivissaurontletraduireaussibienquenous.Tandis que Romulus attendait sur lemont Palatin, Rémus avait gagné lemont Aventin. Dans la plaine, le
peuples’impatientait.
Soudain,Rémus désigna six vautours qui traversaient le ciel au-dessus de sa tête. Ilhurlaauxgensréunis:—Voyez!Lesdieuxmedésignent!—Non,réponditRomulus.Regardezcesautresvautoursquiplanentsurmacolline:ils
sontdouze!GloireàMarsquim’aélu!—Monfrère,tutriches:lesauguressesontmanifestésàmoienpremier.—Quoi?Oses-tuprétendrequetessixvautoursvalentmieuxquelesdouzemiens?Déjà,encontrebas, lapopulationde la futurevilleprenaitparti : lesunssoutenaient
Rémus, lesautresRomulus.Lesdeuxfrèresquittèrent leurscollines,serejoignirent,sedisputèrent, manquèrent en venir auxmains. Alors, Romulus s’empara d’une charruequ’avaitemportéel’undespaysansdugroupe.Ilgronda:—C’estsimple:jevaistracerunsillonquimarqueraleslimitesdemaville.C’estlàque
serontbâtislesmursquil’entoureront!Etjet’interdis,Rémus,d’enfranchirlalimite!Outragé,Rémuss’exclama:—Ahbon?Dequeldroitmedonnes-tuunordre?Etqueferas-tusijel’enfreins?Pardéfi,ilfranchitd’unbondlesillonquesonfrèreétaitentraindecreuser.Incapable
dedominersacolère,Romulustonna:—Jetetuerai!Lâchant la charrue, il saisit songlaive, lebrandit…et en transperça son frère !Puis,
posantlepiedsursoncadavre,ilclamaàtousceuxquiétaientmassésdanslaplaine:—Croyez-moi:unjour,cettevilledomineralemonde!C’estainsiquefutfondéeRome.Danslapassionetlahaine,danslaviolenceetladouleur.C’estici,également,quelesdieuxcèdentlaplaceauxhommes.Carcetévénementaunedate:l’an753avant
Jésus-Christ.Peuàpeu,l’Histoirevaprendrelerelaisdeslégendes…La chute de Troie et la naissance de Rome ont ainsi pour lointaine origine la rancœur d’une déesse
malfaisante : fille de la Nuit, sœur des Parques(13) et de la Mort, mère de la Misère, de la Famine et duMensonge…unedivinitéaujourd’huioubliéedontlenometleseffetssontpourtantdevenustristementcélèbres:laDiscorde.
POSTFACE
QU’EST-CEqu’unhéros?À l’origine, le fruitde l’uniond’undieuetd’un(e)humain(e).Hélas, leshérosde lamythologiegrecqueouromainesontinnombrables!Lesquelschoisir?
J’ai voulu privilégier quelques figures oubliées dont l’action me paraissait d’actualité : ainsi, Philémon etBaucis attachés au devoir de l’hospitalité ; Antigone, qui enfreint une loi injuste ; ou Orphée, que sa passionconduitdanslesEnfers.
Restaient quelques personnages incontournables : Œdipe, qui, davantage que l’inceste, illustre le caractèreirrévocable du destin. Et puis, bien sûr, Persée, Thésée, Hercule… L’histoire de chacun d’eux eût justifié unvolumeentier!Seuleéchappatoire:évoquerenquelquespagesunseulexploitdechacund’eux.PourPerséeetThésée,lesaffrontementsavecMéduseetleMinotaures’imposaient:cesépreuvessontd’ailleursicilesseulesàrappelerlestravauxdeleurcélèbrealterego.Hercule?Mêmesij’avaisdéjàracontésesdouzetravaux,ilfallaitqu’ilfûtprésent;j’aijugéintéressantderelaterunépisodeoùilapparaît…àcontre-emploi:faceàl’esclavequ’ilest devenu, se devine chez Omphale ce plaisir qui naît de l’humiliation faite à un être adoré cher à Sacher-Masoch.
SiJasonestabsent,c’estparcequeleseulépisodeattachéàsonnom,laconquêtedelatoisond’or,n’estpasréellementsignifiant.L’intérêtdesaventuresdeJason,c’estlaprésencedesescompagnons,lesArgonautes–etles mille incidents annexes ou mineurs de l’expédition relatés par Appolonios de Rhodes dans sesArgonautiques.
Quantauxhérosdel’Iliadeetdel’Odyssée,commentsesubstitueràHomère?Peut-êtreenessayant,dansunraccourci obligé, d’en proposer les portraits des personnages les plus caractéristiques : Pâris, involontairedéclencheurd’un interminableconflit ;Achille,dont lacolèreentraîna l’immobilisme;Ulysse,dont le fameuxchevaln’étaitpas ladernièreruse…Au lieuderésumer l’Énéide oude reprendreunépisodede l’Odyssée, j’aipréféré en évoquer la fin avec les yeux de celle qui, plus que la fidélité, symbolise à mes yeux la patience etl’opiniâtreté:Pénélope.QuantàRomulusetRémus,ilsoffrentletraitd’unionquirelielesmythesàl’Histoire.
Les mythes, les religions, la science… À mes yeux, ce sont les trois échafaudages qui, dans l’histoire del’humanité, ont tenté d’expliquer le monde ; conjugués à tous les arts en général – et à la littérature enparticulier–,lesdeuxpremiersontdéjàlivréleursgrandstextesfondateurs.Enattendantlessurprisesquenousréservelascience,peut-êtrefaut-ilredécouvrirlesobsessionsdesauteursanciens.Carsitunesaispastrèsbienoùtuvas,ditleproverbe,alorsregarded’oùtuviens.
BIBLIOGRAPHIE
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Ouvragesd’auteursconcernantdeshérosparticuliers.Alamanni:Antigone.Alfieri(Vittorio):Antigone;Polynice.Anouilh(Jean):Antigone;Eurydice.AppoloniosdeRhodes:LesArgonautiques;LesArgonautiquesd’Orphée.Ballanche(PierreSimon):Antigone.Boccace:Delagénéalogiedesdieux;laThéséide.Brecht(Bertolt):Antigone1948.Calderón:LedivinOrphée;Lesaventuresd’AndromèdeetdePersée.Chaucer(Geoffrey):Lalégendedesfemmesexemplaires.Cocteau(Jean):LaMachineinfernale;Orphée.Corneille(Pierre):Œdipe;Laconquêtede latoisond’or;
Andromède.Dante:L’Enfer.d’Annunzio(Gabriele):Phèdre;Louangesduciel,delamer,delaterreetdeshéros.Eschyle:LeSphinx;LesPhéniciennes;LesMyrmidons;LesNéréides;LaRançond’Hector.Euripide:Les
Phéniciennes ; Alceste ; Andromède ; L’Héraclès furieux ; L’Hippolyte voilé ; L’Hippolyte porte-couronne ;Iphigénie;IphigénieenAulide;Hécube;LeCyclope.Garnier(Robert):AntigoneoulaPiété;Hippolyte.Gide(André):Œdipe;Thésée.Giono(Jean):Naissancedel’Odyssée.Giraudoux(Jean):LaguerredeTroien’aurapaslieu;ElPénor.Goethe(JohanWolfgangvon):Achilléide.Hegel(Friedrich):Esthétique.Hésiode:Lebouclierd’Hercule.Hochhut(Rolf):L’AntigonedeBerlin.Hölderlin(Friedrich):RemarquessurAntigone.Homère:L’Iliade;L’Odyssée.Isocrate:Éloged’Hélène.Joyce(James):Ulysse.LopedeVega:Lemaritrèsfidèle.Neveux(Georges):LevoyagedeThésée.Ovide:LesMétamorphoses;L’Héroïde.Phérécyde:Apollodore.Pindare:IVePythique;IIIeetVIIIeNéméenne.Platon:Lebanquetoudel’Amour;Hippiasmineurousurlemensonge.Plutarque:ViedeThésée.Politien:Lafabled’Orphée.Ponsard(François):Ulysse.Racine(Jean):LaThébaïde;Phèdre;
IphigénieenAulide.Rilke(RainerMaria):SonnetsàOrphée.Ronsard(Pierrede):Leshymnes.Rotrou(Jeande):Antigone;Iphigénie.Samosate(Luciende):Dialoguedesdieux.Sénèque:Œdipe;LaThébaïde;Hippolyte;LesTroyennes.Shakespeare(William):TroïlusetCressida.Shelley(PercyBysshe):Orpheus.Sophocle:Antigone;Œdiperoi;ŒdipeàColone;Ajax;Philoctète.Thucydide:HistoiredelaguerredePéloponnèse.Virgile:LesGéorgiques.Voltaire:Œdipe.
CHRISTIANGRENIER
Né en 1945 à Paris, Christian Grenier a une cinquantaine de romans à son actif. Amoureux de toutes leslittératures,illesadéclinéessurdenombreuxregistres:nouvelles,contes,théâtre,polars,scénariosdeBD,dedessins animés pour la télévision…Longtemps, son centre d’intérêt privilégié a été la science-fiction ; il lui aconsacrétroisessais,denombreuxromansetplusieurscycles,dontceluid’Aïna(Nathan,«PleineLune»).Aujourd’hui,ilhabitelePérigord,oùilseconsacreexclusivementàl’écriture.
PHILIPPEKAILHENN
Vousallez rire :monarrière-arrière-grand-pèreétaitCentaure.CentaureàPenmarc’h, laTêtedeCheval.Jecroisquec’estàcausedesonsouvenirquemesparentsmeprénommèrentPhilippe,«AmidesChevaux»,engrecancien…N’allezsurtoutpasvousimaginerquejesuisnédelacuissedeJupiternimêmedecelledeVénus,cequiaurait
étédivin!Mamèreétaitunemortelle,toutcequ’ilyademortelle.Unenuit,elleeutunrêvecommeceluiquefitHécube,ellesevitaccouchantd’uncaillou,etplustard,jenaquis.Celaexpliquepourquoijem’appelleKailhenn,quiveutdire«caillou»enbreton.Commevousvoyez,j’étaisenquelquesorteprédestinéàillustrerceshistoiresmythologiquesplutôtgratinées,
entrenoussoitdit…Etmonpère,allez-vousdemander,qu’était-ildonc?Ehbiençanevousregardepas,petitscurieux!
1Frondaison:ensembledufeuillaged’unarbre.2FillesdeJupiter,lesnymphescomprenaientessentiellementlesNaïades(nymphesdeseaux)etlesDryades
(nymphesdesforêts).3CetteexpressionajustementpouroriginelepouvoirduregarddelaGorgone.4LamèredeThéséeavaitétéprisedeforceparNeptunelanuitdesesnoces.5Lire«Faceautaureauduroidesmers»,dansContesetLégendes–Lesdouzetravauxd’Hercule.6Minos condamnera Dédale et son fils Icare à rester prisonniers du fameux Labyrinthe. Lire « Les ailes
d’Icare»,dansContesetRécitsdelaconquêteduCieletdel’Espace,dumêmeauteur.7LireContesetLégendes–Lesdouzetravauxd’Hercule,dumêmeauteur.8Divinitéscharitablesqui,aprèsl’expiationd’uncoupable,lelaventdesescrimes.9Aujourd’hui,détroitdesDardanelles,quirelielamerÉgéeàlamerdeMarmara.10C’estl’originedel’Iliade,legrandpoèmed’Homère.11Lespluscélèbresaventuresd’Ulyssecommencentici.EllessontrelatéesparHomèredansl’Odyssée,unmot
grec(Odusseus)quisignifie…Ulysse.LireContesetLégendes−L’Odyssée,deJeanMartin.
12C’estlesujetdel’Énéide.Sonauteur,Virgile,avoulupoursuivrel’Iliadeetl’Odysséed’Homère.13LesParques : les trois déessesqui filent, dévident et tranchent les vieshumaines et symbolisent ainsi le
destinetlamort.