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CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET METIERS Chaire de formation des adultes MASTER SCIENCES DU TRAVAIL ET DE LA SOCIETE Spécialité professionnelle : Développement des Compétences et Intervention en Organisation REGARD SUR LE TRAVAIL DES FORMATRICES EN EXPLOITATION DE STAGE Un collectif face aux enjeux de l’apprentissage Rapport d’étude présenté par : Véronique AZEMA Sous la direction de : Pierre HEBRARD Directeur scientifique du master : Professeur Guy JOBERT Juin 2012

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  • CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET METIERS

    Chaire de formation des adultes

    MASTER

    SCIENCES DU TRAVAIL ET DE LA SOCIETE

    Spécialité professionnelle :

    Développement des Compétences

    et Intervention en Organisation

    REGARD SUR LE TRAVAIL DES FORMATRICES EN

    EXPLOITATION DE STAGE

    Un collectif face aux enjeux de l’apprentissage

    Rapport d’étude présenté par : Véronique AZEMA

    Sous la direction de : Pierre HEBRARD

    Directeur scientifique du master : Professeur Guy JOBERT

    Juin 2012

  • REMERCIEMENTS

    Merci à mes collègues d’avoir participé à l’intervention. Une pensée bien méritée pour

    Ghislaine qui pour moi est une référence sur le plan conceptuel et m’a toujours encouragée.

    Merci à Pierre Hébrard pour ses conseils judicieux.

    Je remercie Patrick pour son soutien technique performant, sa disponibilité et sa patience

    pendant ces deux années de Master. Merci à Caroline et Benjamin pour avoir supporté une

    mère sans cesse devant son ordinateur !

    Une attention toute particulière à Martine, amie et directrice, qui durant toutes ses années a

    été « une oreille attentive », un soutien et une source de motivation au travail. Par son

    charisme elle a fortement contribué au genre de l’école de puéricultrices.

  • SOMMAIRE

    INTRODUCTION ............................................................................................. 1

    PREMIERE PARTIE : LE CADRE DE L’INTERVENTION ......................................... 3

    1 UNE INSTITUTION QUI BOUGE ....................................................................................... 3

    1.1 La réforme du diplôme : une marche incertaine vers 2013 .................................... 3

    1.2 Des changements en cascade : une équipe qui va se renouveler ........................... 4

    2 DE LA NECESSITE DE COMPRENDRE POUR POUVOIR AGIR ........................................... 8

    2.1 Les ressources de l’équipe ....................................................................................... 8

    2.2 Les incontournables de la formation de puéricultrice ........................................... 10

    2.3 Une grande diversité des missions, tâches et activités des formatrices ............... 12

    2.4 Des faiblesses en filigrane ...................................................................................... 14

    3 REFORMULATION DE LA COMMANDE ......................................................................... 17

    3.1 Des axes de réflexion ............................................................................................. 17

    3.2 Vers l’élaboration d’une demande ........................................................................ 18

    4 UN CAP POUR MON ACTION D’INTERVENANTE .......................................................... 20

    4.1 Quelles finalités pour l’intervention ? ................................................................... 20

    4.2 Pour une posture d’intervenante en interne ......................................................... 20

    4.3 Les étapes de l’intervention ................................................................................... 21

    DEUXIEME PARTIE : AVANCER PAS A PAS, D’ABORD L’ANALYSE DU TRAVAIL 23

    1 L’EXPLOITATION DE STAGE DANS LE PROJET DE FORMATION DE L’INSTITUTION ...... 23

    1.1 L’exploitation de stage un temps prévu mais peu formalisé ................................. 23

    1.2 L’exploitation de stage, outil spécifique de l’alternance ....................................... 24

    2 LA DIDACTIQUE PROFESSIONNELLE ET LA CLINIQUE DE L’ACTIVITE POUR ANALYSER

    CETTE FORME PARTICULIERE DE SITUATION DE TRAVAIL.................................................... 25

  • 3 LE RECUEIL DE DONNEES .............................................................................................. 26

    3.1 Première phase : confronter « le prescrit » et le « redéfini » ............................... 26

    3.2 Seconde phase : enregistrer en vidéo une séquence de travail ............................ 27

    3.3 Troisième phase : mener des auto-confrontations ............................................... 29

    3.4 Quatrième phase : retranscrire.............................................................................. 30

    4 MISE EN VISIBILITE DU TRAVAIL DES FORMATRICES : PREMIERS ELEMENTS

    D’ANALYSE ............................................................................................................................ 30

    4.1 Démarrer l’exploitation de stage ........................................................................... 31

    4.2 Aider à exposer et à analyser la situation .............................................................. 38

    4.3 Poser le cadre ......................................................................................................... 39

    4.4 Apporter des connaissances .................................................................................. 52

    5 POUR POURSUIVRE ...................................................................................................... 55

    TROISIEME PARTIE : LE GROUPE PROJET : L’ANALYSE ET LA REFLEXION EN

    MARCHE ..................................................................................................... 56

    1 DES OBJECTIFS SUR PLUSIEURS NIVEAUX .................................................................... 56

    1.1 Amener l’équipe à clarifier ce qu’est l’exploitation de stage ................................ 56

    1.2 Dialoguer sur la réalité du travail ........................................................................... 57

    1.3 Vivre la coopération ou créer un nouveau collectif .............................................. 58

    1.4 « Dire » le travail au nouveau directeur ................................................................ 58

    2 LE GROUPE PROJET : UN ESPACE DE PRODUCTION ..................................................... 59

    2.1 Des rencontres organisées ..................................................................................... 59

    2.2 Que retenir de chaque rencontre ? ....................................................................... 59

  • 3 EN QUOI CE QUE FONT LES FORMATRICES PENDANT L’EXPLOITATION DE STAGE

    PERMET-IL L'APPRENTISSAGE ? ............................................................................................ 67

    3.1 Conception de l’exploitation de stage ................................................................... 67

    3.2 L’analyse de situation : quel travail pour la formatrice et les étudiantes ? .......... 71

    3.3 Quel partenariat avec les professionnelles ? ......................................................... 78

    4 DES ENJEUX VISIBLES SUR LE MODELE DE L’APPRENDRE ............................................ 80

    4.1 Apprendre des savoirs ou apprendre un métier ? ................................................. 80

    4.2 Formatrice : une posture à investir ....................................................................... 81

    4.3 Le projet de stage : apprendre sur le stage ........................................................... 82

    5 UNE EXPERIENCE D’INTERVENTION ............................................................................. 84

    5.1 Intervenant interne : une posture inconfortable .................................................. 84

    5.2 Recréer un collectif ? Pas si facile ! ........................................................................ 85

    CONCLUSION .............................................................................................. 87

    BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................... 90

    ANNEXES .................................................................................................... 94

  • 1

    INTRODUCTION

    L’intervention dont je rends compte dans cet écrit, s’est déroulée sur deux années.

    Deux années pendant lesquelles j’ai suivi la formation du master des sciences du travail et de

    la société, dirigé par le professeur Guy Jobert, titulaire de la chaire de formation des adultes

    au Conservatoire National des Arts et Métiers. Formatrice, depuis seize ans à l’école de

    puéricultrices d’un Centre Hospitalier Régional Universitaire, j’ai saisi l’occasion de

    m’engager dans ce master pour conceptualiser mes pratiques pédagogiques et prendre un

    peu de distance par rapport à ma fonction.

    Au même moment se profilent des changements dans l’équipe : une formatrice et la

    directrice décident de prendre leur retraite. Voilà une équipe de quatre personnes, bientôt

    renouvelée par moitié. Un collectif qui fonctionne bien, riche de valeurs communes va

    devoir se transformer pour accueillir de nouveaux membres.

    En toile de fond, la réforme du diplôme d’Etat de puéricultrices, initiée depuis de

    nombreuses années, semble s’accélérer pour s’inscrire dans la réforme de l’ensemble des

    études paramédicales.

    Mon intervention va prendre place dans ce contexte. Il s’agit de préparer et faciliter

    les changements dans l’équipe en anticipant les effets de la réforme à venir. Ma démarche

    s’inscrit dans la durée. D’abord comprendre ce que signifie une intervention, quelle est cette

    posture d’intervenante à acquérir ? Intervenir en interne, sur mon lieu de travail, nécessite

    de trouver une stratégie de positionnement. Quelle technique utiliser ? Quelle autonomie ?

    Quelles contraintes ? Quelle distanciation ? Quels points de vigilance ? L’intervention se

    « construit en marchant ». Progressivement je centre mon regard sur l’analyse d’une activité

    de formation : l’exploitation de stage. Des pistes de réflexion émergent : rendre visible le

    travail des formatrices, en faire un support d’échanges ; partir du travail réel pour recréer un

    collectif ; mettre à jour les enjeux de la pédagogie, de la posture de formatrice pour aider le

    collectif à penser son action pour la transformer.

    Pour faire part de mon intervention et du cheminement de ma posture

    d’intervenante, j’ai organisé la présentation en trois temps. Le premier sera consacré à

    l’exposé du cadre de l’intervention. Des entretiens avec tous les personnels de l’école, des

    observations du fonctionnement informel, des recueils de données et de documents ont

    permis de faire un diagnostic de situation. La première étape a duré plusieurs mois, pour

  • 2

    faire le constat des éléments qui bougent tant dans l’école que dans l’environnement. Puis

    j’ai voulu identifier les ressources et les faiblesses de l’équipe, cerner les missions et tâches

    des formatrices, le public auquel la formation s’adresse. Enfin dans cette formation en

    alternance j’ai vu la nécessité de développer les choix pédagogiques de l’équipe.

    La seconde partie présentera l’analyse du travail des formatrices pendant

    l’exploitation de stage. Pour cette activité pédagogique prévue dans le programme de

    formation, la prescription est quasiment inexistante. Des objectifs assez larges sont

    déterminés. Mais quelle organisation et quel contenu sont prévus ? Quel est le rôle des

    formatrices ? En quoi cette activité pédagogique est-elle spécifique des formations en

    alternance ? J’ai réalisé des enregistrements audio-visuels de deux formatrices animant une

    exploitation de stage. Je livre ici une analyse fine de leur travail, illustrée par des verbatim

    précis des films et des auto-confrontations simples et croisées et s’appuyant sur la

    didactique professionnelle et la clinique de l’activité.

    Dans une troisième partie, je livrerai l’analyse et la réflexion du groupe projet. Cœur

    même de l’intervention, le temps des restitutions rend la main aux membres de l’équipe.

    Quatre rencontres du groupe projet rendent compte de l’espace de parole créé et des

    thèmes abordés. Les enjeux mis à jour sont explicités. Les points de vue des étudiantes et

    des professionnels référents des stages complètent la réflexion. Je terminerai cette partie

    par une analyse de ma posture d’intervenante.

  • 3

    PREMIERE PARTIE : LE CADRE DE L’INTERVENTION

    1 UNE INSTITUTION QUI BOUGE

    L’école de puéricultrices est entrée depuis quelques années dans une période où les

    choses bougent, d’abord sur le plan national, puis plus récemment, depuis un an, sur le plan

    local. L’équipe actuelle va vivre des changements dont elle maitrise mal l’impact final réel.

    Ces incertitudes s’enchevêtrent comme un écheveau de laine dont il va falloir trouver le fil

    pour tricoter le nouveau «modèle » de l’équipe dans cette école.

    1.1 La réforme du diplôme : une marche incertaine vers 2013

    Dans la continuité de la réforme de l’ensemble des études paramédicales, les

    formations de spécialités infirmières (anesthésiste, bloc opératoire, puéricultrice) font

    l’objet actuellement de groupes de travail au sein du secrétariat d’Etat à la Santé et de la

    Direction Générale de l’Offre de Soins pour finaliser la réforme de ces diplômes. Le dispositif

    de formation des puéricultrices est à réajuster impérativement. N’oublions pas que le

    programme des études préparant au diplôme d’Etat date de 1983 et les éléments

    concernant la scolarité, le diplôme d’Etat, le fonctionnement des écoles de 1990 ! La

    directrice de l’école est membre du groupe de travail en tant qu’expert. Elle relate les

    controverses entre professionnels et politiques sur les pratiques avancées, le cadrage

    universitaire de type master 2, les enjeux pour maintenir cette spécialité en tant que telle.

    Malgré tout, le nouveau programme de formation devrait voir le jour en 2013, selon les

    directives du secrétariat d’Etat à la Santé. Notons qu’à l’heure où j’écris ces pages aucune

    décision n’est prise, aucun texte n’est paru pour le nouveau programme !

    Néanmoins, il est fondamental de penser de quelle manière les adaptations actuelles

    dans le travail peuvent se faire, avec les professionnels, ceci dans un souci de développer les

    ressources psycho-sociales. Dans l’attente du nouveau programme les équipes pédagogiques

    des écoles de puéricultrices vont-elles rester passives ou plutôt anticiper le changement

    pour mieux l’accompagner ? Nous pouvons d’ores et déjà anticiper l’application de ce

    nouveau programme en prenant en compte les directives du programme infirmier qui

    donnent le ton de la réforme. C’est un dispositif pédagogique (31 juillet 2009) centré sur une

    approche par compétences, donnant une large part à la pratique réflexive et à l’analyse de

    situations tant dans les unités d’enseignement que dans la formation clinique en stage.

  • 4

    Le CEEPAME (Comité d’Entente des Ecoles Préparant aux Métiers de l’Enfance) met en place

    des formations, des colloques et groupes de travail à ce sujet auxquels les formatrices et la

    directrice participent régulièrement.

    Les modalités pratiques liées à l’application du nouveau programme ne sont pas

    encore précisément définies mais des pistes organisationnelles sont à réfléchir. Cette

    formation est une spécialité du métier d’infirmière ou de sage femme, qui s’effectue

    actuellement sur une durée d’un an, de janvier à décembre. Si la formation passe, selon les

    prévisions, sur deux années universitaires de septembre à juin, l’école devra-t-elle accueillir

    en même temps deux promotions, de septembre à décembre pour l’année 2013 ? Afin

    d’anticiper cette éventualité la directrice de l’école en collaboration avec les formatrices a

    élaboré un projet présenté et accepté par le directeur général du CHRU et en attente de

    l’accord de l’Agence Régionale de Santé. Si le nouveau programme s’applique en septembre

    2013, il n’y aurait pas de rentrée en janvier 2013. Ce temps permettrait aux formatrices de

    préparer la nouvelle formation sur le plan pédagogique et avec les équipes des terrains de

    stage : formation des maîtres de stage, tuteurs de stage et professionnels de proximité sur

    l’encadrement en stage dans la visée de l’évaluation des compétences en stage ;

    accompagnement des infirmières pour la Validation des Acquis de l’Expérience de

    puéricultrice.

    Sans nul doute, bien que mon intervention soit menée avant l’application de la

    réforme, ma réflexion et celles des acteurs prendront en compte cette évolution du

    dispositif. Comment dans notre travail actuel mettre en route les bases de l’avenir alors que

    les préoccupations sont d’abord internes à l’école ?

    1.2 Des changements en cascade : une équipe qui va se renouveler

    Départ d’une formatrice

    En juillet 2011 la cessation d’activité de la formatrice, Valérie, (qui fait valoir ses

    droits à la retraite) est à l’origine d’un changement. Ce n’est pas la première fois que

    l’équipe actuelle se trouve dans cette situation d’intégrer une nouvelle formatrice. Pourtant

    la directrice en début d’année nous a demandé de travailler ensemble en vue de ce

    changement qui pour la première fois va avoir lieu en milieu d’année : « Valérie sera en

    cessation d’activité fin juin 2011 ; quelles stratégies mettre en place pour assurer un

    maximum de cohérence et de continuité dans la formation auprès des étudiantes, pour

  • 5

    intégrer une formatrice dans un projet pré établi, pour assurer l’équilibre de l’équipe ? ». Ses

    préoccupations en vue de l’arrivée, en cours d’année, d’une nouvelle formatrice qui sera un

    cadre de santé « manager » de l’hôpital (dont l’identité n’est pas encore connue) sont :

    Veiller à ce que les étudiantes ne soient pas déstabilisées d’où l’importance

    d’une continuité, d’une cohérence,

    Conserver la philosophie actuelle de l’équipe,

    Transmettre une posture pédagogique.

    Comment comprendre ces préoccupations ? L’équipe est plutôt restreinte, cinq

    personnes à temps plein pour faire fonctionner l’école. Le départ d’une formatrice

    représentera une perte d’1/5 de l’effectif global, ou 1/3 des formatrices, avec une incidence

    non négligeable pour les salariées et la structure. Un détour par la connaissance de l’équipe

    nous permettra d’y voir plus clair.

    L’école de puéricultrices est intégrée dans l’Institut de Formation et des Ecoles (IFE).

    L’organigramme de gouvernance du CHRU situe l’IFE en lien avec la direction générale. Au

    sein même de l’école de puéricultrices, l’organigramme n’est pas formalisé. C’est à ma

    demande que la directrice l’a tracé ainsi :

    DIRECTION GENERALE

    DIRECTEUR DE L'IFE

    DIRECTRICE DE L'ECOLE DE

    PUERICULTRICES

    SECRETAIRE

    Claude

    FORMATRICES

    Véronique Valérie Laure

  • 6

    La directrice est le pivot entre la direction de l’IFE et l’équipe. Sur le plan fonctionnel

    elle est la responsable pédagogique et administrative, c’est elle qui prend les décisions,

    donne les orientations, manage l’équipe, est garante des règles de fonctionnement. Sur le

    plan hiérarchique les formatrices et la secrétaire dépendent directement de la directrice

    sans autre intermédiaire. L’organigramme laisse entrevoir un certain type de coordination

    dans l’équipe : les communications horizontales sont facilitées.

    Tous les membres de l’équipe pédagogique ont été formés sur le plan professionnel

    au sein de l’école de puéricultrices du CHRU : après avoir été étudiantes dans cette école,

    elles en sont salariées. De plus les expériences professionnelles en tant que puéricultrice et

    cadre de santé sont en large majorité réalisées au sein de ce même établissement. Une

    certaine culture professionnelle commune est indéniable entre les membres de l’équipe

    mais également avec les partenaires du CHRU. A noter pour une formatrice, plusieurs

    années en structure d’accueil du jeune enfant de la ville caractérisant une ouverture vers

    l’extra hospitalier, partenaire de la formation. Toutes ont une formation universitaire de

    longue date dans le même domaine des sciences de l’éducation, allant de la licence au

    doctorat. C’est une équipe formée à la pédagogie, aux théories de l’apprentissage en plus

    des compétences concernant le cœur de métier de puéricultrice. La secrétaire a également

    une longue carrière au sein du CHRU et de l’école de puéricultrices. Là encore des bases

    communes sont évidentes.

    L’équipe, dans ces quinze dernières années, a accueilli de manière successive trois

    puéricultrices, faisant fonction de formatrice (ff) : Laure, Caroline, Agnès. Venant des

    secteurs d’activité (hôpital ou structure d’accueil) pour des temps courts (1 à 2 ans), ces

    arrivées constituaient des compléments des temps de travail partiels des cadres de santé

    formatrices en poste, prenant un congé formation ou un congé de préretraite. Ainsi la

    continuité dans l’équipe a toujours été assurée. (Tableau annexe 1)

    Le seul renouvellement complet d’un poste de formatrice se situe en 2007 avec le

    remplacement de Danièle (partie en disponibilité), par Valérie. La directrice spécifie que ce

    changement-là s’est effectué avant la rentrée en formation des étudiantes, donc la question

    de la continuité était moins prégnante. Pour cette fois, par contre, elle arrive au milieu de

    l’année donc la continuité est essentielle pour que les étudiantes ne vivent pas de rupture.

    En fait c’est la première fois que cette question se pose dans l’équipe.

  • 7

    Ces incertitudes interviennent dans une équipe riche d’un climat social positif selon

    le discours des différentes personnes. Valérie dit : « on a la même philosophie, un sens

    commun du travail, on est différentes mais on se complète bien ; il y a de la cohérence entre

    nous trois ».La secrétaire ajoute : « je suis agréablement étonnée du fait que nous travaillons

    toutes dans le même sens, chacune respecte l’autre, la hiérarchie ne se ressent pas.» Le

    climat de confiance au sein de l’école est un élément facilitateur, qui permet aux différents

    acteurs de s’engager dans des projets sans entraîner de dysfonctionnement majeur.

    Le départ programmé de la directrice

    A ce départ, s’ajoute celui prévu en avril 2012, pour retraite également, de la

    directrice. En moins d’un an l’équipe se sera pratiquement renouvelée de moitié. Cette

    directrice est en poste depuis seize ans, son départ aura forcément un impact sur l’école et

    l’équipe. A noter, la confirmation par le directeur du CHRU de l’ouverture à candidature du

    poste de directrice signifiant une reconnaissance de cette fonction. Jusque-là le

    remplacement de ce poste semblait incertain au vu des transformations de postes

    effectuées dans d’autres CHRU. Le constat est fait depuis quelques années que nombre

    d’instituts de formation regroupent les écoles de spécialités sous une seule direction à

    l’occasion des départs des directeurs. Reste une incertitude sur la personne qui sera

    recrutée, même si le profil de poste précise que ce sera un titulaire du diplôme de

    puéricultrice et de directeur de soins.

    Un enjeu d’intégration de deux nouveaux membres dans cette équipe porteuse de

    valeurs et de règles du métier est à l’ordre du jour. Les propos de la directrice à l’occasion du

    départ de la formatrice résonnent dorénavant autrement pour les formatrices restant en

    place :

    Comment garantir cohérence et continuité malgré ces changements à deux niveaux ?

    Comment transmettre notre mode de travail à une nouvelle collègue ? A une

    nouvelle direction ?

    L’équipe se retrouve dans cette problématique de transmission à deux niveaux sans

    oublier la dynamique d’innovation qui doit s’instaurer pour la mise en œuvre probab le des

    nouvelles modalités de formation. Les changements sont sources d’instabilité, de

    préoccupations, de pertes de repères et exigent des capacités d’adaptation des salariées.

    Toute modification organisationnelle, comme le départ ou l’arrivée d’un nouveau directeur

  • 8

    ou collègue comporte un risque de dégradation de situation de travail. Un collectif au sein

    duquel le travail se parle est une ressource psycho-sociale de l’ordre de la prévention

    primaire. Identifier sur quelles bases fonctionne actuellement l’équipe, ses ressources, ses

    faiblesses est par conséquent nécessaire avant de me lancer dans une intervention liée aux

    changements.

    2 DE LA NECESSITE DE COMPRENDRE POUR POUVOIR AGIR

    2.1 Les ressources de l’équipe

    Du formel à l’informel : une communication aisée

    La directrice propose régulièrement des réunions de travail aux formatrices pour

    préparer ou faire le bilan des séquences pédagogiques, examiner l’évolution de chaque

    étudiante, préparer les évaluations, le concours. Elle a à la fois un rôle de transmission

    d’information, d’allocation de ressources, d’ajustement organisationnel et d’évaluation des

    actions. Elle maintient une dynamique et une cohérence autour des projets. Les formatrices

    se réunissent entre elles, en fonction des besoins, sur leur propre initiative, pour préparer

    les séquences de cours, modifier les plannings, réajuster leurs façons de faire, mettre en

    place des projets. Les salariées ont la possibilité d’énoncer, d’expliquer, de se coordonner,

    de communiquer entre elles, de prendre des initiatives. Ces éléments signent une équipe à

    responsabilité élargie. Ce qui frappe dans le fonctionnement de l’école, c’est la place

    importante laissée à l’informel. Les bureaux des formatrices et de la direction sont ouverts

    en permanence, chacune interpelle l’autre à son gré au sujet d’une étudiante, d’une

    information. « Il y a plus de temps informels, que formels car on discute beaucoup. C’est pour

    cela que je m’oblige à revenir à l’école pendant les stages, cela me gêne de ne pas revenir, il

    manque le tissu » dit Laure. Ces échanges quotidiens informels sont pour partie le ciment de

    l’équipe et du genre du collectif. Chacune de sa place capitalise des points de repère à partir

    de l’expérience des autres, confronte son point de vue, construit un lien social au travail.

    C’est ainsi que le groupe expérimente la confiance et le respect individuel, qu’une dimension

    transpersonnelle du métier existe.

    Un collectif vivant

    L’organisation du travail offre en permanence des opportunités d’échanges sur les

    problèmes rencontrés et de confrontation des expériences. Une ex-formatrice : « On

    échangeait beaucoup entre nous, on parlait des difficultés avec les étudiantes. Il y avait des

  • 9

    réunions pour prévoir les activités, chacune pouvait dire ce qu’elle prévoyait, ses initiatives

    étaient entendues et respectées ». La coopération ne se décrète pas ; elle résulte d’un acte

    volontaire, d’un choix personnel et collectif qui repose avant tout sur la

    confiance. . « Rarement on n’est pas d’accord, mais on se le dit, on en discute » explique

    Valérie. La prévisibilité des réactions, la confiance réciproque fondent ce collectif. Les

    individus et l’équipe ont des marges de manœuvre, d’autonomie. Comme le dit

    Sainsaulieu (1991, p 173): « Le métier sous toutes ses formes est au sommet de l’échelle des

    valeurs et il entraîne avec lui les valeurs connexes d’autonomie, d’indépendance, de maitrise

    de soi et des autres ». Le collectif de pairs est fondé sur la reconnaissance, le travail en

    équipe et les coopérations. C’est un collectif vivant au sein duquel la controverse est

    possible.

    La démocratie à l’œuvre

    Comme nous l’avons vu à l’aide de l’organigramme de l’école et des éléments

    concernant la circulation de l’information (bureaux ouverts, temps de pauses), la vie

    collective est de type démocratique : la directrice se situe comme leader pour faire

    s’exprimer et vivre le groupe. Laure confirme : « j’explique mon projet, elle donne son avis,

    j’ai confiance en son analyse des choses ». De nouveau ces valeurs partagées qui fondent

    l’autorité de la directrice étayent le sentiment d’appartenance au groupe.

    Ce constat sur les relations aux collègues (personnels avec des compétences élevées),

    à la hiérarchie (acceptation de la différence) et au groupe (importance du débat d’idées

    comme enrichissement de tous) met en exergue des valeurs centrales comme le métier et le

    débat collectif. L’identification de ce modèle de négociation prépondérant au sein de l’école

    me guide dans mon intervention. Elle passera nécessairement par les échanges entre les

    membres de l’équipe et s’appuiera sur le métier.

    Nul n’est absent

    Un fait marquant : l’absentéisme est nul depuis de très nombreuses années. Le climat

    social est porteur, chacune peut exprimer ses besoins et être assurée que ses collègues et la

    hiérarchie seront à son écoute. Elles n’évoquent pas de contraintes arbitraires, sources de

    pénibilité. Dans le travail, se joue le plaisir au travail et le développement personnel

    (Lhuillier, 2006).

  • 10

    2.2 Les incontournables de la formation de puéricultrice

    La formation de puéricultrice est une spécialité du métier d’infirmière ou de sage

    femme. Le métier de puéricultrice est défini par le référentiel d’activités : « Prendre soin des

    enfants pour maintenir, restaurer et promouvoir la santé, le développement, l’éveil,

    l’autonomie et la socialisation. Les activités de l’infirmier/ère puériculteur/trice concourent à

    l’accompagnement de la fonction parentale et participent, dans le cadre de projets de soins

    et de projets éducatifs pluri-professionnels à la protection des enfants, à leur intégration

    dans la société, à la lutte contre les exclusions » (Direction des Hôpitaux et de l’Offre de

    Soins, 2009). Le projet pédagogique 2011 (Annexe 2) de l’école décrit ainsi la formation :

    « La formation de puéricultrice s’inscrit et participe à la politique de progrès en matière de

    santé des enfants, elle vise à développer l’expertise qui permet à la puéricultrice une

    approche globale de situations complexes et une réponse adaptée aux besoins de santé et

    d’éducation de l’enfant, de la naissance à l’adolescence. »

    Un dispositif pour une formation en alternance

    La formation comprend 1500 heures dont environ 650 heures d’enseignement

    théorique et pratique, 710 heures de stage, 140 heures de travaux dirigés et d’évaluation.

    Elle est organisée sous forme de séquences alternées, ce qui permet un aller-retour

    permanent entre formation clinique et théorique : aménagement de temps d’exploitation de

    stage, analyse de pratiques. Le projet pédagogique met en lumière la notion d’alternance,

    spécificité de cette formation professionnelle et le travail réflexif qui en découle. « Les

    pédagogies de l’alternance non seulement impliquent un rapport à l’action pour faire naître

    des émotions qui mobilisent la personne, mais exigent des temps réflexifs afin de

    conscientiser ce que le sujet vit » (Develay, 2007-3, p 20).

    Constructivisme et socioconstructivisme à la base du projet pédagogique

    Les formatrices exposent leur conception de la pédagogie issue de leur formation

    universitaire. Pour Laure l’important c’est de : « partir des étudiantes, qu’elles puissent

    exprimer ce qu’elles pensent, favoriser les échanges. Quelle que soit l’activité je laisse

    toujours un temps pour qu’elles puissent réagir, dire si elles sont d’accord ou pas. Ma

    préoccupation c’est d’avoir des outils qui leur permettent d’être actives pour rechercher par

    elles-mêmes ». Valérie renchérit : « Toutes les activités qu’on fait ont des objectifs multiples ;

    ce n’est pas séparé, du magistral ou des temps où cela vient d’elle. Tout est très mêlé. Un

  • 11

    cours magistral c’est moins le métier ». Le modèle utilisé conjugue constructivisme et

    socioconstructivisme. Il est centré sur l'apprenant. C'est l'étudiante qui apprend par

    l'intermédiaire de ses représentations. Les conceptions initiales ne sont pas seulement le

    point de départ et le résultat de l'activité, elles sont au cœur du processus d'apprentissage.

    Ces théories sont une réponse à la question : comment les êtres humains apprennent-ils ?

    Pour Piaget, auteur de référence du constructivisme, la connaissance est une construction

    qui s’appuie sur le développement du sujet, ses structures mentales et son activité dans

    l’environnement. Quant à Vygotski il s’oppose à Piaget, en accordant la primauté à

    l’apprentissage social, au développement de l’intelligence dans et par le groupe (conflit

    sociocognitif) d’où la terminologie de socioconstructivisme. Dans sa théorie la médiation par

    l’adulte est cependant incontournable, c’est lui qui met en place les conditions de

    l’apprentissage. CCes conditions de mise en activité des apprenants sont essentielles, car ce

    qui se joue dans les apprentissages ce n’est pas seulement l’acquisition de connaissances

    nouvelles ou la restructuration de connaissances existantes ; c’est également le

    développement de la capacité à apprendre, à comprendre, à analyser. C’est par des mises en

    interactivité (entre élèves et entre enseignant et élèves) que le savoir se construit. Chaque

    être humain construit sa connaissance par une activité aussi invisible qu’intense et les

    interactions sociales ont un rôle majeur dans cette construction. Dans le projet pédagogique

    de l’école, la philosophie de la formation insiste sur la posture de stagiaire actif comme

    nécessaire à la construction de compétences et de l’identité professionnelle. Il est écrit : « le

    choix d’une spécialisation est significatif d’un acte volontaire de la part de l’étudiant. Il est

    acteur à part entière de cette démarche et porteur d’un projet qui lui est propre. (…) Une

    formation d’adultes se caractérise par la participation des formés aux actes de formation et

    par une pédagogie active. » Un peu plus loin nous trouvons les principes pédagogiques,

    illustrant cette conception socioconstructiviste : « la formation favorise l’appropriation des

    savoirs, la confrontation d’expériences, l’expérimentation du travail en équipe ; la formation

    développe des méthodes pédagogiques priorisant le questionnement : la posture réflexive en

    est l’axe central ».

    Une promotion d’étudiantes hétérogène en 2011

    Cette année le profil de la promotion est sensiblement identique aux années

    précédentes. La moitié des étudiantes (il n’y a que des femmes) vient d’être diplômée

    infirmière et a par conséquent moins de 25 ans. L’autre moitié est constituée d’infirmières

  • 12

    ayant entre 1 et 5 ans (voire plus) d’années d’activité professionnelle soit auprès d’enfants

    soit auprès d’adultes. Les étudiantes représentent le public à former, « l’objet » de l’activité

    du formateur. Mais elles sont avant tout « des objets vivants et sujets », c’est une condition

    de l’activité et une source de sa réussite. C’est un public hétérogène qui induit l’usage de

    méthodes pédagogiques variées pour mobiliser les acquisitions des études d’infirmière et de

    l’exercice professionnel, pour amener les étudiantes à questionner leur pratique antérieure

    et pour prendre en compte la diversité des parcours, des rythmes. Pour ce public, la

    motivation et l’intérêt sont « déjà-là »puisque c’est une spécialité d’un métier dont elles

    sont diplômées.

    2.3 Une grande diversité des missions, tâches et activités des formatrices

    J’ai relevé les missions déclinées dans la fiche de poste des formatrices (mise à jour

    en janvier 2009. Annexe 3) et demandé aux formatrices de les mettre en lien avec leurs

    tâches. J’y ai associé une évaluation du temps qu’elles y consacrent par an. Les trois

    formatrices effectuent toutes les mêmes tâches tour à tour auprès des quarante-cinq

    étudiantes et en fonction des domaines d’activités dont elles sont responsables.

    La première mission est : responsable de la qualité de l’enseignement qu’elle

    dispense en cohérence avec le projet pédagogique global élaboré dans le respect des

    options pédagogiques de l’institution. En relation duelle, elles réalisent des visites de stage

    (200 à 300 H), le suivi du projet professionnel (100 H), le suivi pédagogique de 15 étudiantes

    (60 H). Auxquels s’ajoutent des rendez-vous selon les besoins des étudiantes, des appels

    téléphoniques ou échanges de mails au sujet des projets de stage, ou de la préparation des

    évaluations. Le face à face pour un groupe de 15 à 22 étudiantes sur un thème professionnel

    représente 140 H. Les formatrices prennent aussi les étudiantes en groupe de 10 pour la

    préparation de stage (12 à 24 H/an), l’exploitation de stage (40 à 80 H), le bilan de stage (10

    à 20 H). Les cours magistraux pour les 45 étudiantes sont très peu réalisés par les

    formatrices (5 H). La répartition de ces temps de face à face concorde tout à fait avec la

    pédagogie socioconstructiviste : beaucoup d’interventions sur des petits groupes, très peu

    de magistral. La notion de réflexivité chez l’étudiante est soutenue par une relation

    individuelle formatrice/étudiante fortement mise en avant.

    La seconde mission est : participe à l’élaboration du processus d’évaluation qu’elle

    met en application. Les évaluations des épreuves de synthèse pour le diplôme

  • 13

    d’Etat représentent environ 80 H/an. Elles préparent les contrôles de connaissances,

    planifient les évaluations, prévoient les jurys du Diplôme d’Etat. Elles préparent le concours

    d’entrée et à tour de rôle participent au jury et à son organisation (8 à 20 H/an).

    La troisième mission se décline comme suit : assure le lien pédagogique entre les

    différents partenaires de la formation. Le face à face avec les professionnels encadrant en

    stage consiste en l’accompagnement conjoint des étudiantes lors des visites de stage ainsi

    que des temps d’échanges sur le travail et l’organisation des professionnels dans leur lieu

    d’exercice. La préparation de l’accueil d’étudiantes dans les nouveaux terrains de stage est

    également évoquée lors de ces face à face. Des réunions avec les professionnels des terrains

    de stage sont organisées en début d’année et renouvelées si besoin. Les formatrices ont

    aussi tout un travail d’ingénierie de formation : elles élaborent les séquences de formation,

    le planning et contactent les intervenants, négocient sur le contenu et la pédagogie, les

    accueillent pour chaque cours.

    La quatrième mission concerne la contribution à la recherche en soins et en

    pédagogie dans le cadre d’une évolution professionnelle. Les formatrices s’investissent dans

    une démarche d’ouverture vers le milieu professionnel de l’enfance. Elles sont dans une

    remise en question permanente, un engagement politique dans la défense de la profession

    et des compétences spécifiques de la puéricultrice. La longue liste de leurs engagements

    dans des instances professionnelles appuie leur légitimité dans les secteurs : intervention

    dans des congrès, participation à la commission régionale de la naissance, participation à des

    mouvements sociaux de la petite enfance. Elles n’hésitent pas à se confronter à d’autres

    professionnels de l’enfance : participation à la formation des éducateurs de jeunes enfants,

    rédaction d’un livre sur l’allaitement maternel avec des consultantes en lactation, rédaction

    d’articles dans des revues professionnelles. Régulièrement elles participent à des formations

    continues soit à titre de public soit comme intervenant.

    Chacune a une expertise dans un domaine de savoirs mais possède une base

    commune sur les fondamentaux. Chaque formatrice est responsable de l’enseignement et

    des stages dans un domaine particulier : structures d’accueil de l’enfant ou maternité,

    protection maternelle et infantile ou encore pédiatrie et néonatologie. Le savoir sur le

    métier de puéricultrice est maitrisé ce qui leur donne confiance et sécurité dans leur travail.

    Chacune est reconnue par les autres dans son expertise. L’acquisition de ces connaissances

    spécifiques demande du temps, se fait dans la durée sur les années d’expérience du métier.

  • 14

    Ces savoirs sont jugés indispensables par les formatrices pour réaliser leur métier au sein de

    cette école. Ils sont ancrés dans leur quotidien depuis de nombreuses années, à ce titre ils

    seront forcément l’objet de transmission à la nouvelle formatrice.

    Si le face à face est une tâche conséquente des formatrices, elle est préparée et

    suivie par un ensemble d’autres activités en amont, en parallèle et en aval des stages ; il y a

    une grande diversité dans les activités qu’elles mènent au quotidien. Les formatrices doivent

    donc non seulement animer des séances de formation, mais aussi pour partie non

    négligeable de leur temps organiser les conditions-mêmes pour que la formation ait lieu en

    adéquation avec le projet. Il est à noter que ces activités apparaissent pour elles comme co-

    substantielles de leur cœur de métier, en aucun cas elles ne sont source de pénibilité au

    travail.

    2.4 Des faiblesses en filigrane

    Accepter d’intégrer une nouvelle formatrice, pas si facile !

    Après avoir évoqué les ressources de l’équipe plutôt comme des atouts je repère que

    cette culture informelle, ce collectif « soudé » recouvre, peut être, la difficulté d’intégrer une

    nouvelle personne. Au cours des échanges avec mes collègues au sujet du remplacement de

    la formatrice, j’ai relevé des phrases qui prêtent à réflexion. Laure explique : « Continuité ne

    veut pas dire immobilisme, elle a aussi le droit de donner son avis, mais je ne suis pas prête à

    changer mon projet global car cela a du sens ». La place particulière de cette formatrice dans

    la maitrise des savoirs, d’autant plus qu’elle a un doctorat, invite à réfléchir aux modalités et

    enjeux de la transmission. Le savoir peut être un outil de pouvoir, comment cette formatrice

    va-t-elle se positionner dans l’intégration de la nouvelle formatrice, le travail de

    transmission ? La directrice ajoute : « Est-ce assez clair pour la personne qui arrive dans

    l’équipe de se saisir de ces messages-là qui pour nous sont fondamentaux ou alors faut-il les

    formaliser davantage ? Intégrée dans un projet pré établi, elle n’aura pas le choix mais

    n’aura pas la même maitrise que vous ». Le poids du collectif sûr de sa légitimité ne laisse-t-il

    pas peu d’ouverture à la nouveauté ?

    Des divergences de points de vue sont mises à jour entre les formatrices. Valérie dit :

    « si elle vient de néonatalogie ce sera facile pour le stage puisqu’elle connait ce terrain ». Et

    Laure de répliquer sur un ton de reproche : « tu crois que c’est pareil être cadre en service de

    soin et être formateur pour les étudiantes dans ce service ? Ce n’est pas du tout la même

  • 15

    chose. Ce n’est pas simple de passer des services de soins à ce genre de travail, on a tendance

    à apporter des solutions mais ce n’est pas cela ». Le climat positif semble avoir quelques

    failles ! La critique d’une « ex faisant fonction de formatrice » corrobore ce propos :

    « Honnêtement je me suis sentie seule dans cette école, j’ai appris seule, je n’ai pas eu de

    guidance. Elles ne partagent pas trop. Chacune est un peu enfermée dans sa spécialité».

    En mars 2011 le directeur de l’IFE nous donne le nom de la cadre de santé qui sera

    affectée sur l’école au premier juillet : Marie, cadre actuellement en néonatalogie au CHRU.

    C’est une cadre de santé « manager ». Les premières réactions spontanées surgissent.

    Valérie dit : « je suis contente, cela va être bien surtout qu’elle vient déjà en exploitation de

    stage, maintenant je la laisse seule avec les élèves, ça se passe bien ». Laure répond : « elle

    ne connait pas bien la pédagogie, qu’a-t-elle fait sur le plan universitaire ? Je crois qu’elle n’a

    rien ». Certes, l’expertise en pédagogie de ce membre actuel de l’équipe est un atout mais

    ne risque-t-elle pas de créer des tensions dans l’équipe au moment de l’accueil de Marie qui

    ne sentirait pas à la hauteur ? Le risque de la formation d’un clan n’est pas à négliger.

    Des relations avec les services pas si « sereines » que cela !

    Ce master m’a donné l’occasion d’aller m’entretenir avec des professionnelles des

    services qui accueillent les étudiantes en stage. Même si la plupart des professionnelles se

    disent très satisfaites de leurs relations avec l’école, du travail fait en commun, quelques

    personnes ont émis des réserves. Une cadre dit : « Actuellement je ne suis pas tout à fait en

    accord avec le projet pédagogique de l’école, mes valeurs ne sont plus les mêmes. Pour les

    professionnelles apprendre le métier c’est faire avec alors que vous leur dites de réfléchir, de

    décortiquer ». Les formatrices disent : « nos collègues cadres sont façonnées par la

    dissociation théorie/terrain. Il faut réfléchir au mode d’apprentissage, à la façon dont on

    apprend. Le questionnement cela dérange, mais apprend. Nous sommes à contre courant de

    ce qui est défendu par les institutions, elles ne peuvent pas apprendre qu’en faisant le plus

    possible de soins, il faut être tenaces». Une autre cadre explique : « On va peu à l’école,

    pourtant on a plein d’étudiantes en stage. Mon souhait est d’aller plus à l’école pour

    échanger avec les étudiantes sur la réalité du travail.». Nous voilà au cœur du problème de

    l’alternance en formation : « les formations en alternance sont des modes d’organisation de

    cursus éducatifs et formatifs, qui articulent explicitement plusieurs lieux , temps et modalités

    d’apprentissages, considérés comme proposant des contenus complémentaires, à la fois

    théoriques et pratiques. Elles mettent en jeu des acteurs appartenant à des univers

  • 16

    professionnels dont les logiques de formation et de production différent. C’est pourquoi elles

    demandent une concertation permanente, souvent polémique, qui devient un véritable

    travail de négociation continu et rigoureux des objectifs pédagogiques à atteindre, à partir

    de la connaissance et de la prise en compte des intérêts et des apports de chacun ».

    (Champy, Etevé, 1998, p 82)

    La question de la concertation et du travail de l’école avec les services sera sûrement

    à approfondir au cours de mon intervention d’autant plus qu’il faudra compter avec de

    nouveaux éléments qui se révèlent. Beaucoup d’enjeux surgissent quant au départ de Marie

    de son service : le chef de service et la cadre supérieure veulent maintenir son rôle de leader

    dans le projet NIDCAP « Newborn Individualized Developmental Care and Assessment

    Program » (le directeur général a fait un fort investissement budgétaire depuis dix ans). Les

    soins de développement sont l'ensemble des techniques environnementales (limitation du

    bruit, de la lumière) et comportementales (peau à peau, succion non nutritive...) dont le but

    est d'aider le développement harmonieux de l'enfant né avant terme. (Sizun, Ratynsky,

    1998)

    Marie ne sait pas quoi faire, met un frein momentané à sa mutation. Ces enjeux de

    pôle et de personnes risquent de retentir sur la formation avec un retard dans l’affectation

    de la formatrice. Ces contraintes extérieures ne pourront être la cible de mon intervention.

    Cependant elles créent un certain contexte et des tensions qui ne peuvent être ignorées.

    Epilogue…finalement Marie viendra bien à l’école au 1er Juillet tout en maintenant sa place

    prépondérante dans le label des soins de développement.

    D’autres tensions se dessinent entre les professionnels du secteur de néonatalogie et

    l’école, au sujet de Marie. Celle-ci, cadre de santé, part de ce secteur dans une situation un

    peu délicate car elle y retournera pour encadrer les étudiantes. « Les équipes appréhendent

    le regard qu’elle va poser sur leurs pratiques » dit une cadre de terrain. Un évènement

    récent corrobore cette réflexion. Une puéricultrice de néonatalogie qui participait

    régulièrement aux exploitations de stage, prévenue que dans cette période de changement

    la prochaine exploitation se ferait sans intervenant extérieur, a vivement réagi avec ses

    collègues : « qu’est ce qui va se dire sur nous, sur le service, pendant cette exploitation

    puisqu’on n’y sera pas ! Pourquoi notre présence n’est–elle plus souhaitable ? » Cet élément

    de contentieux entre service de soins et école sera à éclaircir, est-il lié à un problème isolé

  • 17

    de personnes ou le reflet d’enjeux plus globaux de territoires, de clivage entre formateurs et

    managers ?

    3 REFORMULATION DE LA COMMANDE

    L’ensemble des éléments issus de mes observations et rencontres qui se sont

    déroulées entre décembre 2010 et avril 2011 a donné lieu à l’analyse du contexte dont je

    rends compte ci-dessus. La commande faite par la directrice (quelles stratégies mettre en

    place pour assurer un maximum de cohérence et de continuité dans la formation auprès des

    étudiantes, pour intégrer une formatrice dans un projet pré établi, pour assurer l’équilibre

    de l’équipe ?) se décline dès lors en plusieurs axes pour guider mon intervention.

    3.1 Des axes de réflexion

    Certaines notions m’apparaissent comme centrales et me servent d’appui pour

    formuler quelques hypothèses.

    La continuité (sur différents plans : pédagogique, philosophique, maintien du collectif

    et conception du métier de formateur) mise en avant par l’équipe a pour objectif la

    cohérence auprès des étudiantes plus que la sécurité de l’équipe qui peut s’appuyer

    sur ses ressources.

    Le collectif fonde la reconnaissance des formatrices et leur mode de coopération, il

    est à maintenir pour que l’équipe vive les changements de manière positive.

    La notion de transmission se conçoit sur deux niveaux : de prime abord à la

    formatrice qui arrive mais aussi dans une visée d’explicitation pour transmettre au

    nouveau directeur (poste majeur dans le collectif).

    La posture pédagogique est vécue comme une expertise « pilier » liée au métier et à

    la conception de l’alternance dans cette formation professionnelle, même si elle

    donne lieu à des controverses.

    La réforme du diplôme, en toile de fond, nécessite une préparation dès aujourd’hui.

    Opportunité à saisir puisqu’un métier pour rester vivant doit se confronter à des

    transformations.

  • 18

    3.2 Vers l’élaboration d’une demande

    Partager avec mes collègues l’éclairage apporté par l’analyse du contexte était un

    passage obligé pour débuter mon intervention. Pour cette première phase d’élaboration de

    mon intervention, j’ai réuni les deux formatrices en poste (Laure et Valérie) et la directrice.

    Ce choix s’appuie sur la notion de collectif vivant au sein duquel la confiance existe et la

    controverse est possible.

    Les formatrices prennent en compte le risque pour un néo-formateur de se trouver

    démuni pour faire ce qu’il faut faire et ce qu’on lui dit de faire. Elles ont le désir de

    transmettre. Valérie fait part de son avis : « Ce n’est pas simplement en lui disant on fait

    comme cela qu’on lui fait appréhender la réalité de ce que l’on fait ». Laure ajoute : « On ne

    sait pas exactement comment on s’y prend nous-mêmes. C’est important de réfléchir à ce

    qu’on va lui transmettre sur le plan pédagogique ». Le même point de vue avait été évoqué

    par les formatrices parties de l’école : « Je me serais sentie moins seule si vous m’aviez parlé

    de vous, que vous me parliez du métier ; je me suis basée sur mes représentations. Plus

    partager sur ce qu’est votre travail, votre pratique, votre posture, pour que la personne qui

    arrive se construise dans cette expérience ». Selon D. Lhuillier (2006), il faut soigner le

    travail, le mettre au cœur des discussions.

    Une réflexion commune sur le métier et la posture pédagogique est envisagée. Nous

    communiquons facilement dans l’équipe mais est-ce suffisant pour transmettre notre

    travail ? Comment dire notre travail ? Il y a tellement d’implicite. Quelles sont nos

    compétences de formatrices ? Comment les formaliser ? Nous avons alors repris la liste des

    tâches des formatrices pour chercher ensemble le temps de travail où l’acte de formation se

    déploie et nos compétences spécifiques se mettent en œuvre. Définir le moment qui montre

    le mieux notre métier, ce n’est pas si simple.

    Parmi les tâches des formatrices, une fait l’objet de réflexions à multiples reprises.

    L’exploitation de stage est un temps qui fait vivre des tensions dans l’exercice du métier.

    Laure remarque : « Je me souviens quand je suis arrivée, je me suis débrouillée pour les

    exploitations, je n’étais pas fière. Ce n’est pas facile. Pour celle qui va arriver justement ce

    n’est pas simple de passer des services à ce genre de travail, on a tendance à apporter les

    solutions mais ce n’est pas cela ». Valérie confirme : « L’exploitation de stage ça ne coule pas

    de source, moi j’ai constaté que c’est difficile de les faire parler de points précis. Je pense que

  • 19

    les exploitations c’est évident pour personne, on fait toutes différemment cela serait

    nécessaire d’en reparler entre nous». L’exploitation de stage est un élément cœur de métier.

    Pour l’équipe c’est le temps le plus représentatif de l’alternance intégrative, un temps de

    lien entre savoir clinique et théorique. L’exploitation de stage est un point nodal pour les

    nouvelles formatrices. Ces dernières l’ont signalé : « L’activité pour laquelle il faut être

    accompagné c’est l’exploitation de stage, les petits groupes car c’est là où il se passe

    beaucoup de choses ». Compte tenu du profil hétérogène des étudiantes le temps

    d’exploitation de stage nécessite de tenir compte de chacune dans son individualité.

    Lors d’une réunion, évoquant la période à découvert de quinze jours avant l’arrivée

    de la nouvelle formatrice, la directrice précise : « au moins si vous n’allez pas en stage, faites

    des temps d’exploitation de stage ». Pourquoi l’exploitation de stage serait plus importante

    que les visites en stages ? Ces deux activités sont elles complémentaires ou différenciées ?

    Quel est le travail de la formatrice dans chacune de ces tâches ? Comment ces temps

    permettent aux étudiantes de se professionnaliser ?

    Lors d’une réunion d’équipe la présence de professionnels de terrain dans les

    exploitations de stage est évoquée et source de controverse. L’une dit : « Faire venir les

    professionnels en exploitation, moi j’ai toujours été contre. Des décisions comme cela on n’en

    a jamais parlé. Les étudiantes peuvent-elles parler librement ? En quoi est-ce formateur pour

    elles ? Qu’est ce que les professionnelles renvoient ensuite aux équipes ? » L’autre répond :

    « c’est un partage de savoirs. La pratique est issue du terrain, il ne faut pas l’oublier, c’est

    cela l’alternance intégrative ». Là encore je retrouve cette question de l’alternance. Mettre

    en débat le travail des formatrices en exploitation de stage permettrait-il de reconsidérer la

    place des professionnels en lien avec l’école, le travail des étudiantes au cours de cette

    activité ? Un collectif se construit à partir de ce qui ne marche pas, on parle des règles du

    métier.

    Dès lors, la demande peut être formulée comme suit : l’intervention s’appuiera sur

    une mise en mots, un partage collectif sur le travail pédagogique des formatrices dans la

    situation emblématique de l’alternance : l’exploitation de stage. La parole et le dialogue qui

    en découleront auront pour objectif de :

    Préparer et faciliter les changements dans l’équipe en anticipant les effets de la réforme à

    venir.

  • 20

    4 UN CAP POUR MON ACTION D’INTERVENANTE

    4.1 Quelles finalités pour l’intervention ?

    L’intervenant a toujours un objectif même s’il ne l’affiche pas souligne le sociologue

    Gilles Herreros(2009). L’intervention sera l’occasion d’un échange entre les personnels sur le

    contenu de leurs pratiques. Le travail effectif pourra se parler, le travail sera mis en débat.

    Alors quel est le cap que je m’assigne ? C’est l’avènement du sujet, c’est faire en sorte que

    les gens récupèrent du pouvoir sur ce qu’ils font, développent leur pouvoir d’agir. En outre

    les temps d’échanges entre pairs et avec la directrice seront une arène de jugement du

    travail. Le jugement de beauté donné par les pairs et le jugement d’utilité donné par la

    hiérarchie participent à la reconnaissance de soi au travail. (Dejours, 2008)

    Ces objectifs ne pourront se réaliser que si je pratique l’intervention avec méthode,

    ce qui revient en premier lieu à opter pour une posture, un style propre au rôle que je

    m’assigne.

    4.2 Pour une posture d’intervenante en interne

    Tout intervenant n’est jamais neutre. Mon point de vue n’est pas neutre, j’ai ma

    propre conception, mes intentions qui se sont forgées avant et pendant l’intervention.

    J’interprète les situations à partir de ce que je suis. C’est cela qui fonde ma posture, être

    consciente de ma subjectivité est support d’objectivité. En tant qu’intervenante dans mon

    équipe, d’autant plus une petite équipe, je suis impliquée en tant que personne, immergée

    dans les situations. Ce que je sais sur l’école, le métier m’a permis d’engager les échanges

    mais j’ai trouvé difficile de décaler mon regard, d’interroger les allant de soi, de me

    construire une lucidité. Persuadée, pour le vivre, que l’école est actuellement un milieu de

    travail protégé et porteur de reconnaissance, je peine à identifier les faiblesses ! Le

    malentendu de départ dont parle G.Herreros, je l’applique à ma posture d’intervenante : ce

    n’est pas parce que tout n’est pas clair que cela ne va pas, savoir qu’il y a un malentendu

    laisse en éveil.

    L’étape de diagnostic a pris du temps, un temps essentiel pour aller à la rencontre

    des membres de l’équipe, des professionnelles. Un temps où j’ai tenté de développer ma

    capacité de « résistance à la commande » de Guy Jobert (1992-4) J’ai d’emblée senti une

    confiance dans les échanges, même un plaisir de chacune à parler d’elle. Etait-ce lié à mon

  • 21

    statut de collègue, de formatrice, aux liens sociaux déjà existants ou à ma façon de présenter

    l’objet des échanges ? A ce moment-là, mon intervention reste autant pour moi que pour

    mes collègues, un travail à faire pour le master. « Où en es-tu de ton master ? Qu’est ce que

    tu vas faire comme intervention ? » Le moment est venu de me lancer. Le temps, le passage

    à l’écrit et les retours qui m’ont été faits, ont favorisé une prise de recul. Reprendre l’analyse

    et m’astreindre à décoller de mon point de vue initial a éclairci mon cheminement. C’est

    ainsi que j’ai commencé à plus me sentir intervenante, à ne pas être celle qui sait déjà, à me

    mettre en position d’apprendre de l’autre. Une fois la demande posée et adoptée par

    l’équipe, j’ai commencé à construire un cadre méthodologique. S’appuyer sur une

    méthodologie permet d’apporter un peu de neutralité. Ma posture dans la poursuite de

    l’intervention je la conçois comme une position interrogative, dans l’idée de ne pas agir sur

    l’équipe mais avec elle. Dans chaque agir il y a du pâtir, je devrai toujours être attentive à ce

    que je fais, ce que je dis afin de mettre personne en difficulté. Je choisis de m’engager dans

    les dialogues en tant que formatrice au même titre que mes collègues sinon quid de

    l’équipe ? Ma posture d’intervenante je la pense sous forme d’animatrice des échanges, de

    point d’appui pour questionner le groupe. Je ne suis pas encore sûre de la pertinence de

    cette attitude mais je pense qu’au fil de l’intervention les choses se clarifieront.

    4.3 Les étapes de l’intervention

    On peut repérer plusieurs étapes dans l’intervention, (tableau annexe 4) ce sont les

    passages obligés, ce qui m’apparaît comme nécessaire à faire pour remplir ma mission.

    De la première phase d’analyse et de compréhension, évoquée précédemment, a

    découlé un temps d’information et d’explicitation de l’objet de mon intervention

    auprès de l’équipe. Elles m’ont donné leur accord pour observer leurs situations de

    travail.

    Le deuxième temps est celui de l’analyse du travail : recueillir le travail prescrit,

    redéfini, puis filmer les temps d’exploitation de stage et proposer des auto-

    confrontations simples et croisées. De fait le travail des formatrices devient visible.

    La troisième étape s’articule autour du groupe ou système-client. La notion de

    système-client utilisée par les psychosociologues a pour intérêt d’inviter l’intervenant

    à retenir, au-delà des demandes du seul commanditaire, les préoccupations

    exprimées par l’ensemble des autres acteurs de l’espace étudié (Herreros, 2009). Le

  • 22

    collectif devient alors l’opérateur. C’est le lieu de controverse, de mise en travail de

    mes collègues avec la directrice qui est le commanditaire. Chacune pourra tirer partie

    de cette intervention même si elle a une attente différente. Les restitutions

    régulières à ce collectif ont pour objectif de provoquer des réactions et non de livrer

    un contenu d’analyse. J’obtiendrai ainsi des informations en retour pour guider mon

    intervention. Dans ces conditions si j’intitule le collectif, groupe projet et non

    système-client c’est que ma position d’intervenante en interne ne s’inscrit pas dans

    une relation marchande, ce n’est pas une prestation sous contrat. Dès lors je ne

    m’adresse pas à des clients, mais je construis la problématique de l’intervention avec

    mon équipe habituelle de travail. Ce groupe restreint (3 personnes) contrairement à

    un système-client qui vise à ouvrir à différents partenaires, émane des conditions

    internes de l’intervention.

    Enfin dans l’intention d’élargir les frontières du groupe projet, une restitution

    partielle aura lieu auprès des formateurs au cours de l’assemblée générale du

    CEEPAME. L’objectif est alors de monter en généralité, d’ouvrir sur un débat sur le

    métier en vue de la réforme.

  • 23

    DEUXIEME PARTIE : AVANCER PAS A PAS, D’ABORD L’ANALYSE DU TRAVAIL

    1 L’EXPLOITATION DE STAGE DANS LE PROJET DE FORMATION DE L’INSTITUTION

    1.1 L’exploitation de stage un temps prévu mais peu formalisé

    L’exploitation de stage est prévue dans le programme des études préparant au

    diplôme d’Etat de puéricultrice (Arrêté du 13 juillet 1983, annexe 3) : «Un temps minimum

    de travaux centrés sur le stage (préparation, exploitation, etc.) est pris sur le temps imparti à

    l’enseignement théorique ». La prescription s’avère presque inexistante, le texte officiel ne

    fait que citer ce temps de formation mais ne le précise pas. En outre il spécifie que chaque

    école déterminera les méthodes les mieux adaptées aux besoins des étudiantes afin

    d’atteindre les objectifs suivants : « favoriser la participation active des élèves à leur

    formation ; mobiliser l’acquis pour qu’il devienne un élément dynamique pendant la

    formation et l’exercice professionnel ; permettre l’expérimentation du travail collectif ;

    développer la capacité à analyser les situations.» Au sein de l’école, le projet pédagogique

    2011 a repris les objectifs sous cette forme :

    La formation met en œuvre des dispositifs en alternance sur les lieux école et stage,

    ce qui permet un aller-retour permanent entre clinique et théorie : regroupement des

    stagiaires à un rythme régulier dans des lieux et sur des temps institutionnalisés ;

    préparation des stages, exploitation de stages, échange entre pairs, rencontre de

    professionnels.

    L’accompagnement pédagogique par les formateurs s’exerce aussi bien dans la

    formation théorique que clinique. Il favorise le recul nécessaire à l’acquisition d’une

    posture professionnelle, aide à l’analyse de la situation, à la mise en corrélation des

    éléments recueillis, à l’intégration des savoirs dans la pratique.

    Les termes choisis lors de l’écriture du projet pédagogique simplifient à l’extrême la

    notion d’alternance, en opposant théorie et clinique. La théorie serait-elle l’apanage de

    l’école et la clinique des terrains d’activité ? Selon M.Altet (2008) les formateurs ont un rôle

    clé selon leur attitude par rapport à la pratique et aux savoirs issus de la recherche. Les

    savoirs professionnels ne sont ni la juxtaposition, ni la somme de savoirs pratiques,

    techniques et scientifiques, mais des savoirs de ces trois types réinterprétés par une logique

  • 24

    de l’action. Vergnaud indique que le savoir théorique «connaissance prédicative » se

    transforme en « connaissance opératoire » parce qu’il est devenu un outil pour l’action.

    (Altet, 2008).

    L’équipe pédagogique a mis en place l’organisation suivante : les temps

    d’exploitation de stage sont réalisés pour chacun des cinq stages de l’année de formation, au

    rythme de deux séances obligatoires par stage. Les étudiantes en stage dans un même

    secteur d’activité se retrouvent avec la formatrice responsable du secteur concerné, soit un

    groupe de huit à dix étudiantes. La durée de chaque exploitation de stage est de trois heures

    trente. L’organisation actuelle prévoit une exploitation après une semaine de stage, puis une

    seconde à trois semaines de stage. Entre les deux exploitations, la formatrice se rend sur le

    terrain de stage pour travailler en individuel avec les étudiantes. Ces séances collectives se

    déroulent au sein des locaux de l’école de puéricultrices.

    1.2 L’exploitation de stage, outil spécifique de l’alternance

    Former en alternance nécessite un dispositif de formation qui élabore les moyens

    appropriés pour prendre en compte le sens complexe des expériences vécues par les

    stagiaires. L’espace temps « école » doit permettre une prise de distance, une réflexion, une

    transformation. A ce titre « le retour d’alternance apparait comme une démarche de

    formation à part entière qui se fonde sur l’analyse des pratiques réalisées, visant le

    développement professionnel et la prise de conscience des compétences mobilisées en

    situation. Le retour d’alternance développe une capacité à se déprendre du travail pour en

    tirer des enseignements. » (Fernagu-Oudet, 2007-4, p79). Les retours d’alternance

    permettent à l’étudiante de devenir un « praticien réflexif » car elle est mise en situation de

    prendre du recul sur ses actes et sur ce qui les fonde, sur ses choix dans l’action, de rendre

    explicite l’implicite de ses actes. Ces retours d’alternance cités dans la littérature sont

    appelés exploitation de stage à l’école de puéricultrices. Pourquoi ? L’équipe pédagogique a

    fait le choix de proposer ces temps de travail collectif au cours du stage et non après le

    stage. Ainsi les étudiantes profitent de ces temps de recul et d’analyse pour ajuster leurs

    actions sur le stage. La notion de groupe est essentielle. Le groupe devient une ressource, un

    lieu de formation croisée, d’échanges de savoirs, de résolution conjointe de problèmes, de

    partage d’expériences. Autre façon de développer les pratiques de travail groupales, le

    travail en équipe par mutualisation, se fonde sur la conception des apprentissages dans le

  • 25

    socioconstructivisme. « C’est un lieu d’accès à d’autres horizons, d’autres contextes, d’autres

    organisations de travail, d’autres pratiques, d’autres manières de voir… On le voit, les effets

    formateurs de ces retours d’alternance sont nombreux. Il ne s’agit pas d’opposer deux modes

    d’acquisitions de savoirs, il s’agit de les rendre complémentaires et opérationnels pour

    qu’existe une alternance apprenante. » (Fernagu-Oudet, 2007-4, p81).

    2 LA DIDACTIQUE PROFESSIONNELLE ET LA CLINIQUE DE L’ACTIVITE POUR ANALYSER CETTE FORME PARTICULIERE DE SITUATION DE TRAVAIL

    En premier lieu, compte tenu de la demande de l’équipe de rendre visible leur

    expérience pour la transmettre, le choix de la didactique professionnelle qui préconise une

    analyse de la production des compétences en situation semble pertinent. « Le champ de la

    didactique professionnelle est celui de l’enseignement et de la formation professionnelle

    continue avec la question de l’acquisition, de la transmission et du développement des

    compétences professionnelles : comment celles-ci s’acquièrent et se développent ? Qu’est ce

    qu’on peut faire pour les enseigner ou les transmettre plus efficacement ? » . (Pastré, 2010,

    p3) Mais ce qui rend complexe mon travail d’analyse c’est que comme nous l’avons vu

    l’exploitation de stage est une activité qui s’accomplit entre un humain (la formatrice) et un

    groupe d’humains (les étudiantes). C’est une spécificité des tâches d’enseignement et de

    formation. La didactique professionnelle a pour objectif de se centrer sur l’activité ; ici il

    s’agit de l’activité de coopération-communication entre la formatrice et les étudiantes.

    « Dans l’interaction entre humains, l’autre agit et réagit selon ses propres motifs et buts, sa

    compréhension de la situation, son investissement, sa relation à son interlocuteur, au cadre

    et à l’objet de l’interaction. Cela introduit une certaine part d’imprévisibilité (…) Le partenaire

    de la co-activité a des attentes envers le professionnel(…) On parle de co-activité et de

    coopération. » (Pastré, Mayen, Vergnaud, 2006, p 175). Le langage est omniprésent dans

    l’activité de travail des formatrices et des étudiantes, c’est un élément déterminant de leur

    travail. De plus le langage est support de la médiation avec autrui. « Le langage est adressé

    et demande une réponse, souvent langagière, qui contraint à dire l’activité, à la réélaborer

    pour un autre et dans un autre langage que la sémantique de l’action » (Pastré, Mayen,

    Vergnaud, 2006, p 174). Dans ce cadre-là, la didactique professionnelle est une aide pour

    analyser l’activité des formatrices même si elle reconnaît que « le métier d’enseignant

  • 26

    représente une activité particulièrement difficile à analyser » (Pastré, Mayen, Vergnaud,

    2006, p 182).

    Je m’aperçois rapidement qu’en second lieu, la clinique de l’activité, sera également

    une modalité pour comprendre ce que le travail réel exige des formatrices, en vue du

    développement de leurs compétences et de leur pouvoir d’agir. « Etre compétent c’est

    savoir organiser son activité pour s’adapter aux caractéristiques de la situation, quitte à

    transformer plus tard cette expérience acquise en savoir énonçable et donc plus facilement

    transmissible ». (Pastré, 2010, p8). Le dialogisme constitue le principe directeur et la source

    de dispositif méthodologique de la clinique de l’activité. Il s’agit pour les acteurs concernés

    par l’activité étudiée, de participer aux conditions de recherche et de mettre en chantier des

    manières de penser collectivement leur travail (Faïta ; Vieira, 2003).

    Cerner les pratiques des formatrices lors de l’activité d’exploitation de stage ne

    représente cependant qu’une partie du système de formation. Les étudiantes sont les autres

    acteurs clés du système de formation. Dans cette analyse du travail je vais également

    essayer de comprendre le « travail d’apprenant » des étudiantes et comment fonctionnent

    les interrelations formatrices-étudiantes.

    Reste à présenter le dispositif méthodologique que j’ai adopté, je peux le décrire en

    quatre phases.

    3 LE RECUEIL DE DONNEES

    3.1 Première phase : confronter « le prescrit » et le « redéfini »

    Vu le « vide » de prescription dans les textes régissant la formation, c’est par un

    entretien auprès de la directrice que j’ai obtenu « ce qu’il faut faire » : c'est-à-dire l’activité

    prescrite de la formatrice dans le temps d’exploitation de stage. Puis j’ai réalisé un entretien

    avec chaque formatrice. Elles m’ont expliqué leur propre conception de leur travail pendant

    ce temps d’exploitation de stage. Leur discours me donne alors accès à « ce qu’elles disent

    qu’elles font.» Cette confrontation du prescrit et du redéfini donne à voir des points

    communs et des écarts. On y retrouve schématiquement deux axes principaux :

    animer les échanges

    aider à exposer et à analyser une situation

  • 27

    Cette activité repose a priori surtout sur ces deux principes. Je relève une prescription

    partagée sur la posture de la formatrice : ne pas juger, respecter chacune, garder une

    certaine neutralité.

    Par contre quelques écarts sont à noter :

    des écarts par réduction. Du prescrit n’apparait pas dans le discours des formatrices :

    aider à la gestion des émotions, soutenir la prise d’initiatives, aider à produire des

    savoirs dans le groupe, orienter vers des recherches, rappeler les règles de

    confidentialité, être au fait de l’actualité.

    des écarts par adjonction : les formatrices donnent une catégorie non citée par la

    directrice, c’est le fait d’apporter des connaissances, et évoquent la façon de lancer

    l’échange sur l’analyse d’une situation.

    un écart par substitution : opposition entre la prescription de pousser les étudiantes

    à prendre la parole et le souhait de la formatrice de respecter celle qui ne veut pas

    parler.

    Ainsi j’entrevois que la prescription existe bien, qu’elle est assez précise et connue

    des professionnelles, même s’il existe un décalage sur certains points. La redéfinition de la

    tâche s’appuie sur les conditions de réalisation de l’activité et l’expertise des formatrices.

    Cet écart entre ce que l’on fait et ce que l’on doit faire m’éclaire quant aux enjeux de la

    situation. D’emblée il m’apparaît opportun de poursuivre ma démarche d’observation des

    formatrices dans leur travail afin de recueillir des traces de l’activité qui vont faire l’objet

    d’analyses répétées. « On sait peu de choses sur ce que font effectivement les professionnels

    dans le cours quotidien de leur activité. » (Roger, 2007, p 17).

    3.2 Seconde phase : enregistrer en vidéo une séquence de travail

    L’analyse du travail s’appuie sur la capacité à observer les situations, à permettre aux

    sujets qui travaillent de dire ce qu’ils font, à entendre ce qu’ils disent et à interpréter avec

    eux le sens qu’ils mettent dans leur activité. Ce qui importe dans l’analyse du travail, ce sont

    les détails. L’utilisation de l’image comme support des observations m’a paru pertinente.

    Filmer le travail en train de se faire nous donne un matériau riche comme support de la

    controverse. « Une observation outillée du travail permet en effet de dépasser sa dimension

    déclarative pour accéder à sa dimension opératoire, comme si le travail se mettait à parler.»

    (Clot, Faïta, Fernandez, 2001-1, p19).

  • 28

    Mes collègues ayant choisi le moment d’exploitation de stage pour participer au

    travail de co-analyse, je les ai invitées à déterminer avec moi les séquences d’activités qui

    seront filmées. J’ai noté alors l’importance de prendre le temps de réexpliquer l’objectif de

    mon intervention, d’entendre leurs préoccupations. Prendre ces précautions et partager

    avec mes collègues sur le choix méthodologique est la base d’un climat de sécurité

    indispensable en analyse du travail. Pour autant, je n’ai pas renoncé à donner mon propre

    point de vue pour soutenir l’efficience de la démarche d’analyse du travail. J’ai filmé chacune

    des deux formatrices lors de l’intégralité du second temps d’exploitation du deuxième stage

    de l’année. « Il importe de filmer chaque membre du groupe dans des conditions aussi

    proches que possible les unes des autres, afin d’ouvrir la comparaison entre pairs sur les

    façons de faire. » (Clot, Faïta, Fernandez, 2001-1, p21). Pour Laure cela concerne le stage en

    structure d’accueil du jeune enfant, pour Valérie en service de pédiatrie. Je leur ai fait signer

    un document « autorisation de prise de vue » (annexe 4) afin de garantir leur droit à l’image

    et la confidentialité des données. Une bande vidéo est une trace de l’activité qui reste et

    engage chaque personne par son image ; celle-ci doit garder la maitrise de ce qui sera

    produit la concernant (images, interventions). Les étudiantes ont été prévenues par la

    formatrice concernée que la séance suivante serait filmée. Au début du temps d’exploitation

    je me suis rendue dans la salle et je leur ai expliqué le but de mon intervention. Elles ont

    toutes donné leur accord d’autant plus qu’elles n’étaient pas filmées ! J’ai fait le choix de ne

    pas filmer les étudiantes afin d’influer le moins possible sur leurs échanges, seules leurs

    paroles sont captées. Ma position hiérarchique vis-à-vis d’elle peut avoir un effet délétère

    sur leur vécu de cette exploitation de stage si elles doivent s’exposer au regard de la caméra.

    Lors de cet enregistrement l’opérateur est filmé de face, en focus sur lui et son

    espace proche (sa table). J’ai choisi de poser la caméra sur un pied, à l’intérieur du cercle

    formé par les étudiantes, sans rester dans la salle afin de ne pas interférer dans le travail de

    la formatrice puisque c’est ma collègue et que les étudiantes me connaissent bien.

    Auparavant, quelques essais ont été réalisés lors de ma propre activité afin de m’assurer de

    maitriser le fonctionnement de la caméra et l’efficacité de la prise de son. Je vais donc

    pouvoir en retirer les paroles des formatrices, leurs gestes et attitudes qui sont les signes de

    leur activité, l’observable de leur tâche, ainsi que le discours des étudiantes entre elles et

    avec la formatrice, trace de leur activité d’apprentissage. A l’issue des enregistrements les

  • 29

    deux formatrices ont fait part de leur étonnement sur la sensation qu’elles ont éprouvé de

    rapidement « oublier » la caméra.

    3.3 Troisième phase : mener des auto-confrontations

    Le lendemain, j’ai confronté chaque formatrice à l’enregistrement de son activité en

    ma présence (auto-confrontation simple). J’ai filmé les commentaires qu’elle m’a alors

    adressés, face aux images de sa propre activité. Dans cette situation d’auto-confrontation

    simple, elle me dit ce qu’elle fait, ou ce qu’elle aurait pu faire ou ne pas faire, en se voyant à

    l’écran ; elle s’interroge sur les détails de ce qu’elle se voit faire. La formatrice est filmée de

    face. Grâce à la télécommande du magnétoscope, elle assure elle-même le défilement des

    images, les retours en arrière ou les arrêts sur image. Ce dispositif technique cherche à

    signifier au sujet que la minutie de l’observation de l’activité réalisée est un moyen

    d’accéder à l’activité réelle. Quelques jours plus tard, dans des conditions identiques, j’ai

    confronté chaque formatrice au même enregistrement, en ma présence et celle de la

    deuxième formatrice (auto-confrontation croisée). Le dispositif a permis aux formatrices de

    visionner ensemble des extraits de vidéos de chacune et d’engager un dialogue sur « les

    prescriptions et modes opératoires contenus par la tâche et l’activité qui s’y réalise

    concrètement » (Faïta, Vieira, 2003, p59) .J’ai associé à l‘auto confrontation simple de Laure,

    la future formatrice, Marie, afin qu’elle commence à « s’imprégner » de l’activité. Ses

    questions de « novice » ont aidé Laure à mettre des mots sur son travail. Des controverses

    professionnelles peuvent alors s’engager puisque les formatrices deviennent ensemble

    observatrices de leur propre activité. Mon rôle dans ces auto-confrontations s’appuie sur

    une position précise : solliciter les commentaires du sujet sur ce qu’il voit, relancer le

    dialogue en repérant les évènements, gestes ou verbalisations qui inciteront le sujet à « faire

    parler le travail ». Cette position que propose Y.Clot est difficile à tenir, car dans mon statut

    d’intervenant interne, la question de ma capacité de distanciation se pose. Etant membres

    de la même collectivité nous possédons en commun un certain nombre de représentations,

    de valeurs, de comportements, un ensemble d’évidences partagées. G.Jobert (1992-4)

    reconnaît que la coappartenance n’est guère favorable à la distanciation. Ainsi, mon activité

    de questionnement, mes remarques, mon étonnement risque d’être réduit. Pour mes

    collègues cela peut représenter une limite pour dépasser l’implicite et faire que l’espace de

    la relation puisse être aussi un espace d’analyse. C’est le côté paradoxal de cette

  • 30

    intervention. La rigueur méthodologique consistant à réaliser un premier niveau d’analyse

    des données pour anticiper les auto-confrontations vise à me prémunir de la primauté de

    mon angle de vue. Les auto-confrontations croisées, se basant sur l’échange entre les deux

    sujets, tendent à neutraliser mon rôle d’interviewer.

    L’observation seule serait insuffisante pour comprendre le travail comme le dit Y. Clot

    (2005) « l’action observable n’est pas toute l’activité (...), l’activité propre des sujets ne

    s’offre pas au regard direct ». Le réel de l’activité c’est aussi ce qui ne se fait pas, ce qu’on

    cherche à faire sans y parvenir, ce qu’on aurait voulu faire ou encore ce qu’on fait sans

    l’avoir voulu. L’opérateur par son langage, les paroles mises sur son action passée, da