Économie des télécommunications : ouverture et réglementation

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Economie des télécom munications

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La collection 'Management - Communication - Réseaux"

A ceux qui gèrent le changement dans leur entreprise, la collection ENSPTT-Economica propose des ouvrages consacrés aux mutations des grandes entreprises et de leur environnement technique, économique, politique, social...

L'ENSPTT forme les cadres dirigeants de la Poste et des Télécommunications depuis 1888. Elle propose désormais ses modules d 'enseignement et de recherche-action aux autres grandes entreprises de réseau publiques ou privées en formation initiale et complémentaire.

La sélection des textes et des contenus est assurée par un comité de lecture composé de : Nicolas Curien, directeur adjoint de l'ENSAE, Annie Batlle, directeur de la communication à l'ENSPTT, Jean-Paul Pollin, directeur de l'enseignement et de la recherche à l'ENSPTT, Philippe Mustar, chercheur au CSI, Ecole des Mines, ainsi que d'experts du domaine concerné pour chaque ouvrage.

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E c o n o m i e

d e s t e t e c o m

m u n l u a . . I o n s

o u v e r t u r e e t

r é g l e m e n t a t i o n

Nicolas Curien Michel Gensollen

ECONOMICA

49, rue Héricart, 75015 Paris

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@ Ed. ECONOMICA, 1992 Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution

réservés pour tous les pays.

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Préface

C'est avec un grand plaisir que j'ai accepté la proposition que m'ont faite Nicolas Curien et Michel Gensollen de préfacer cet important ouvrage sur l'économie des télécommunications.

Tous les lecteurs de ce livre percevront immédiatemment la très grande diversité et richesse des informations qu'il contient, et la contribution qu'il apporte à la compréhension des phéno- mènes techniques, économiques et réglementaires traversant aujourd'hui le secteur des télécommunications.

Le réseau étant au cœur de notre métier, il était tout naturel qu'il soit au centre de cet ouvrage, sous une représentation tech- nique qu'il était nécessaire de ne rendre ni trop grossière, ni trop pointilliste, mais adaptée aux besoins de l'analyse économique et réglementaire.

Les auteurs n'ont d'ailleurs pas voulu se cantonner stricte- ment aux télécommunications mais ont cherché des points d'appui dans la comparaison avec d'autres grands services publics articulés autour d'un réseau comme, par exemple, la fourniture d'énergie électrique ou le transport aérien. Même si ces réseaux ont des différences assez notables avec ceux des télécommunications, cette analyse commune permet de dégager des « invariants » économiques et stratégiques qui enrichissent la réflexion sur notre propre secteur.

De la même façon, il était utile de ne pas restreindre l'analyse à la seule situation française, mais de l'élargir à d'autres pays : le dossier consacré à l'évolution du secteur aux Etats-Unis et les

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« f iches » consac rées à p l u s i e u r s p a y s e u r o p é e n s sont , à cet égard, pa r t i cu l i è remen t instructifs.

S u r le t h è m e auss i évolut if et donc, nécessa i rement , su je t à controverse , de l 'ouver ture des réseaux, les a u t e u r s ont essayé d ' a d o p t e r u n e a t t i t u d e scient i f ique, p r é s e n t a n t les d i f férents poin ts de vue e t exp l iquan t ce qui es t nécessa i re à u n e bonne compréhension.

Ce t effort de pédagogie sera, j 'en suis sûr, apprécié p a r tous les a c t e u r s de l 'évolution p a s s i o n n a n t e du monde des télécom- munica t ions . J e suis convaincu que l 'ouvrage de Nicolas Cur ien e t Michel Gensol len se ra u n d o c u m e n t de référence p o u r tous ceux qui s ' in té ressent à l 'économie des télécommunicat ions.

Marce l R o u l e t P rés iden t de France Télécom

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Avant-propos

Ce texte , consacré aux t é l écommunica t ions , es t le p r e m i e r d ' une sér ie de t r a v a u x s u r l 'économie des r é seaux , à p a r a î t r e d a n s cet te m ê m e collection. Il se ra bientôt suivi d 'un livre su r la fou rn i tu re d'électricité. La conception généra le des deux livres es t le f ru i t d 'une réflexion m e n é e en c o m m u n p a r des respon- sables d u service d 'é tudes économiques d 'EDF e t p a r les a u t e u r s du p r é s e n t ouvrage . Le po in t de d é p a r t de ce t te coopérat ion réside dans l ' interrogat ion suivante.

Que recouvre p réc i sément le mot "réseau" ? Quels i nva r i an t s c a r a c t é r i s e n t ces d i f férentes act ivi tés économiques, communé- m e n t qual i f iées de réseaux , que son t les t é l écommunica t ions , l'électricité, ou les t ranspor ts?

A ces questions, p o u r t a n t essentielles, l 'état de l 'ar t ne pe rme t guère d ' a p p o r t e r que des réponses par t ie l les , r éponses que l'on s 'est efforcé de préc iser au cours de séances de t ravai l . Le point de vue qui a é té adopté es t celui d ' un économis te a n i m é d 'un double souci : t ou t d 'abord, ident i f ier les pr incipales carac tér is - t i ques économiques des sec teurs a r t i cu lés a u t o u r d ' un r é s e a u t e chn ique ; pu i s comprend re l 'o rganisa t ion indus t r i e l l e de ces sec teurs , o rgan i sa t i on au jourd 'hu i le p lus souven t bouleversée p a r des m o u v e m e n t s déréglementa i res .

Les échanges de vue ont fai t a p p a r a î t r e qu 'une m ê m e grille d ' ana lyse p e r m e t c o m m o d é m e n t de m e t t r e en évidence analo- gies e t dif férences e n t r e réseaux. La s t r u c t u r e de cet te grille repose s u r trois g randes lignes de force.

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En premier lieu, au sein de nombreuses activités en réseau, une séparation de plus en plus nette s'établit entre, d'une part, un réseau d'infrastructure qui transmet les signaux, l'énergie ou la matière et, d'autre part, un réseau télé-informatique, dont le rôle est de commander l'infrastructure, en vue d'optimiser son utili- sation et de l'employer à rendre à la clientèle toute une variété de services sur mesure.

En deuxième lieu, la duali té entre infrastructures et commande est actuellement la cause d'une "ouverture" de plusieurs réseaux, sous la pression des fournisseurs de services intelligents, ouverture qui déstabilise l'organisation technico- économique en place.

En dernier lieu, l 'organisation industrielle de plusieurs activités en réseau semble guidée par le double principe suivant :

- d'une part, l'intelligence de commande serait offerte sur un marché élargi à plusieurs entreprises, marché permet tan t - mieux qu'un monopole - une souplesse d 'adaptat ion aux besoins des clients, mais marché qui devrait être soumis à des règles de planification souple, de manière à garantir la sécurité des infrastructures ainsi que la compatibilité des usages dont elles sont le support ;

- d'autre part, la gestion des infrastructures relèverait d'une situation de monopole "naturel", justifiée par des économies d'échelle importantes, monopole qui devrait toutefois être guidé vers l'efficacité par des mécanismes "quasi-concurrentiels".

A. L'infrastructure et la commande

Les i n f r a s t r u c t u r e s qui se p r ê t e n t à u n e g r a n d e d ivers i té d 'usages , n o t a m m e n t les r é s e a u x t e r r i to r i aux , g a g n e n t à ê t re gérées p a r u n r é s e a u de commande , ou r é s e a u "dual", qui aide l 'u t i l i sa teur à t i r e r le mei l leur par t i possible des équipements . Le r é s e a u d u a l e s t u n r é s e a u "intell igent", qui recueil le, t r a i t e e t t r a n s m e t t o u t e s les d o n n é e s u t i l e s à c o m m a n d e r le r é s e a u

"primai" su r lequel il opère. Dans le cas des té lécommunicat ions, cet te dua l i t é correspond à l 'organisat ion m ê m e du f u t u r réseau , d a n s laquelle le sous-réseau de signalisation, en charge de piloter la c i rcu la t ion du t raf ic e t appelé r é s e a u sémaphore , es t physi- q u e m e n t s é p a r é de l ' i n f r a s t ruc tu re qui écoule effect ivement ce trafic. D a n s le cas de l 'electricité, l ' intel l igence du d i spa tch ing commande le réseau d ' interconnexion et les si tes de production.

Le déve loppemen t des fonctions dua les de commande t end à modi f ie r l ' a r ch i t ec tu re des i n f r a s t r u c t u r e s p r ima le s : la diffé-

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rence s'accentue en effet entre les réseaux maillés à longue dis- tance, où l'optimisation des flux et la recherche des itinéraires sont essentielles, et les réseaux arborescents de distribution loca- le, qui établissent le contact avec les clients et leur donnent accès aux noeuds des infrastructures de transport interurbain. Dans les télécommunications, l'informatisation de la commutation et la numérisation des signaux ont véritablement conduit à un éclatement des infrastructures : aux Etats-Unis, la transmission et la distribution sont même aujourd'hui fournies par des entre- prises différentes, d'une part les common carriers (AT&T, MCI, US-SPRINT), d'autre par t les compagnies régionales de télé- phone (Bell operating companies ou BOC). Quant à l'organisa- tion de la fourniture d'électricité, elle tend, dans certains pays comme la Grande-Bretagne, à isoler le réseau d'interconnexion, chargé d'assurer un dispatching t ransparent entre l'offre des producteurs et la demande des distributeurs ou des gros clients.

Selon les réseaux, les poids et les rôles respectivement dévolus à la transmission, à la distribution, et à l'intelligence de com- mande, sont très variables. Certains réseaux ne disposent pas en propre d'une infrastructure de desserte locale, comme les trans- ports par voie ferrée ou aérienne ; d'autres, au contraire, comme la poste, la télédiffusion ou le câble, sont centrés sur la distribu- tion. Quant aux fonctions intelligentes, c'est-à-dire le choix des itinéraires, l'optimisation des flux, et les services finals à valeur ajoutée, elles peuvent être, ou bien fournies indissociablement de l'accès au réseau, ou bien laissées à l'initiative des usagers :

- dans le cas du transport routier, par exemple, pratique- ment aucune assistance n'était jusqu'ici apportée à l'automobilis- te, en matière d'établissement d'itinéraires ; cette situation est en passe de changer rapidement, avec le développement des sys- tèmes informatiques de régulation de trafic, combinant infor- mation et guidage ;

- dans le cas du réseau téléphonique, l ' infrastructure est activée de manière automatique et l 'acheminement des appels est réalisé sans que l'usager exerce d'autre contrôle que la simple composition du numéro demandé ;

- le réseau de chemin de fer offre un service intermédiaire, où l'essentiel de l'optimisation est imposé à l'usager, à l'exception de déplacements complexes comportant des ruptures de charge.

B. L'ouverture des réseaux

Dans les réseaux qui prennent eux-mêmes en charge l'opti- misation de leur usage, les monopoles gestionnaires doivent

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s'attendre à être battus en brèche, sinon démantelés : en effet, nombreux sont les agents économiques qui se pressent pour investir le marché de l'intelligence de commande. D'une part, les gros clients professionnels souhaitent intégrer l'utilisation des réseaux à leurs fonctions de gestion ; d'autre part, des intermé- diaires s 'apprêtent à réaliser d'autres optimisations du réseau d'infrastructure, concurrentes de celle proposée par l'opérateur installé, de manière à différencier les services et à discriminer la clientèle ; en tenant ainsi une position stratégique, au confluent de la gestion technique et du suivi de la demande, ces nouvelles entreprises seront le moteur d'une véritable ouverture des réseaux.

L'ouverture des réseaux sera d'autant plus marquée que les opérateurs en place, le plus souvent des entreprises publiques, sont mal armés pour résister à la concurrence naissante dans le domaine de l'intelligence de commande. Tout d'abord, c'est un métier dans lequel leurs compétences sont encore mal assurées, re la t ivement à l 'expérience déjà accumulée par d 'autres, notamment les constructeurs et sociétés de services informa- tiques ; ensuite, les tarifs en vigueur sont très généralement redistributifs, ce qui ménage à des firmes intermédiaires bien des niches où démarrer leurs activités : certains segments de la demande gagnent en effet à s'évader du réseau public, afin de fuir un barème tarifaire qui les pénalise. Dans le secteur des télécommunications, cette évasion ou "bypass", constitue souvent le premier service rendu par les nouveaux opérateurs, avant même la fourniture de prestations sur mesure.

Ce sont de sérieuses difficultés financières auxquelles doivent s 'attendre les opérateurs d'infrastructures, à qui l 'ouverture des réseaux interdit désormais de consolider les pertes subies sur la gestion des installations par les profits retirés des ser- vices. Examinons de ce point de vue les situations actuelle et future.

Gérant aujourd'hui les infrastructures en même temps qu'ils fournissent des services aux usagers, les opérateurs de réseaux n 'équil ibrent leur budget qu'au prix d'une discrimination souvent très fine de la demande de services : la même prestation, notamment dans le secteur des transports, est vendue à des tarifs différents, ajustés aux dispositions respectives à payer des diverses catégories d'usagers. Dans la situation de rendements d'échelle croissants que créent les forts coûts fixes d'infrastruc- ture, cette confiscation partielle du surplus des consommateurs assure la viabilité de l'entreprise, tout en la rapprochant du plan d'équipement dit de premier rang, celui qui résulterait d'une

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tarification au coût marginal, théoriquement optimale, mais ici impraticable parce que déficitaire.

A l'avenir, si l'usage des équipements devient concurrentiel, le financement croisé de l'infrastructure par les services n'est plus réalisable et deux options sont alors possibles : ou bien l'opérateur de l'infrastructure reçoit des subventions, ce qui n'est, ni facile à réaliser, ni le garant d'une gestion efficace ; ou bien, plus vraisemblablement, cet opérateur adopte une tarification au coût moyen, conduisant à un plan d'équipement dit de second rang, sous-dimensionné. A cette inefficacité statique, due au changement de la structure du marché, s'en ajoute une autre, dynamique celle-là : en partie coupé du marché final, l'opéra- teur aura en effet tendance, encore plus qu'aujourd'hui, à se laisser guider presqu'exclusivement par le progrès des technolo- gies et à ignorer la dynamique de la demande.

C. L'organisation industrielle des réseaux

Comme toutes les activités économiques, les grands réseaux nationaux sont nés d'initiatives locales et privées ; au fur et à mesure que les techniques se sont stabilisées, au moins provisoi- rement, les compagnies exploitantes se sont concentrées et muées naturellement en monopoles réglementés ; c'est alors que sont apparues les difficultés attachées à ce type de situation : inefficacité de la gestion, impuissance de la réglementation, et mauvaise adaptation de l'offre à la demande ; ces difficultés, ainsi que le développement des nouvelles technologies de l'information, réclament que l'on procède aujourd'hui à des ajus- tements. Les réseaux s'adaptent, on l'a vu, en se segmentant : l ' infrastructure, monopole reposant sur d'importantes écono- mies d'échelle, se sépare de l'intelligence de commande, qui gagne, quant à elle, à être produite et exploitée par plusieurs firmes pouvant "coller", mieux qu'une seule, aux besoins diversi- fiés de la clientèle. Cette organisation soulève cependant deux difficultés majeures, qui ont respectivement trait à la compatibi- lité des services et à la sécurité des infrastructures.

Le partage concurrentiel des fonctions intelligentes pose la question de l'inter-opérabilité. Contrairement à certaines vues optimistes, on peut douter que la seule baisse des coûts d'interface suffise à fournir une solution. Il est au contraire très vraisem- blable que les différents fournisseurs en présence chercheront à se consti tuer chacun une clientèle fidèle, sinon captive, et conduiront ainsi les réseaux à l'insularité plutôt qu'à l'inter-

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connexion. Même s'il est vrai que les effets de club engendrés par la croissance des réseaux devraient pousser la demande à exiger une compatibilité étendue, l'exemple nord-américain des sys- tèmes de t ra i tement de données dans le secteur du transport aérien révèle jusqu'à quel point des firmes, leaders sur leur marché, peuvent faire un usage stratégique de l'accès à leurs logiciels, afin de protéger leurs positions par de redoutables barrières à l'entrée.

La concurrence entre firmes pilotant en commun l'utilisa- tion d'un même réseau met en cause la sécurité et la qualité de l'optimisation de l 'infrastructure. Par exemple, si une compa- gnie de chemin de fer donne libre accès à ses bases de données et à ses logiciels de régulation du trafic, de manière à permettre à des agents privés d'introduire leurs propres convois sur le réseau, on conçoit que la programmation des trains puisse en être perturbée et le risque d'accident gravement augmenté. Cependant, la situation où l'optimisation serait partagée entre plusieurs opérateurs n'est pas aisément comparable à celle d'un réseau fonctionnant en régime de monopole : en effet, en régime concurrentiel, chaque optimisation séparée serait localement plus efficace qu'une optimisation globale, compte tenu de la connaissance spécifique acquise par chaque opérateur sur la demande qu'il sert en particulier ; en revanche, la juxtaposition des solutions ainsi obtenues pourrait vraisemblablement être améliorée par un contrôle central. Ce n'est qu'à long terme, cependant, que la baisse du coût et l'accroissement des perfor- mances des moyens de calcul permettront de bénéficier des gains en souplesse apportés par le partage de l'intelligence de commande, tout en portant en dessous d'un seuil tolérable la nécessaire perte d'efficacité qui découle d'un tel partage.

Les analyses qui précèdent montrent qu'on ne peut guère compter sur le progrès technique et sur la main invisible pour mener spontanément et rapidement à des réseaux intelligents tout à la fois différenciés, compatibles, et sûrs. Inversement, créer ou mainteni r un monopole de droit dans ce domaine d'activités apparaî t à la fois inefficace, contraire aux ressorts actuels du marché et, de plus, politiquement difficile à imposer dans le futur environnement économique européen. Le marché doit donc être organisé, et les mécanismes d'invention propres à la concurrence s'accomoder de procédures de planification, même si celles-ci sont limitées, temporaires et souples.

Quel que soit le mode de régulation finalement adopté, on peut conjecturer que le marché des services sera segmenté verticalement et organisé hiérarchiquement : certaines entre-

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prises, les plus proches des infrastructures, mettront directe- ment en œuvre ces dernières, comme dans le cas de trains privés empruntant un réseau ferré ; d'autres, plus orientées vers le marché final et clientes des précédentes, opéreront au contact des uti l isateurs. Dans cet environnement en mutation, les gestionnaires d'infrastructures essaieront de diversifier leurs activités vers l'aval, en offrant eux-aussi des services finals sur mesure : d'ores et déjà, les compagnies aériennes trouvent leur avantage à concurrencer des firmes spécialisées dans la vente de tickets charter, afin d'optimiser l'utilisation de leur flotte et de différencier la qualité de leurs services. A chaque niveau inter- médiaire entre les infrastructures de base et la clientèle finale, les firmes présentes devraient être d 'autant plus nombreuses que le service rendu est proche de l'usager : en effet, autant une structure concurrentielle n'est guère envisageable pour l'exploi- tation des infrastructures, en raison de la présence de coûts fixes irréversibles, au tan t les degrés supérieurs de l'échelle des services, ceux qui touchent aux utilisateurs, donneront sans doute naissance à un marché beaucoup plus ouvert, marché permettant une adaptation rapide à l'évolution et à la variété des besoins de la clientèle.

Quant aux infrastructures, qu'il s'agisse de transmission à longue distance ou de distribution locale, ce sont vraisemblable- ment des monopoles naturels, en raison du poids important des coûts fixes qui y sont consentis. C'est pourquoi, tan t que la technique ne connaît pas de bouleversement et que les besoins des consommateurs sont raisonnablement identifiés et prévisi- bles, une seule entreprise, en position de monopole public ou privé, est sans conteste l'organisation la plus efficace pour gérer une infrastructure de réseau, pourvu toutefois qu'un contrôle tarifaire oblige l'opérateur à faire figurer au rang de ses objectifs le surplus des consommateurs, et non seulement son propre profit. Cependant, lorsque la technologie change rapidement et que le marché est transformé par l 'apparition de nouveaux intermédiaires, comme c'est actuellement le cas des télécommu- nications, la nécessité se fait jour de remplacer, au moins partiel- lement, la solution planifiée du monopole par des procédures d'invention et de sélection inspirées de la libre concurrence.

Plonger un monopole dans un environnement quasi- concurrentiel peut être réalisé de diverses manières. Il peut s'agir de concurrence potentielle sur un marché contestable ; ou de concurrence préalable par la mise aux enchères de la concession d'exploitation ; ou encore, de concurrence "statistique" fondée sur la comparaison des performances de firmes opérant

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dans différents secteurs ou différentes zones ; ou, enfin, de concurrence interne, créée au sein même de l'entreprise, par exemple à travers l'ouverture de filiales pour développer des activités nouvelles.

Les deux livres que nous proposons pour débuter cette collection auront atteint leur but si, tout comme les auteurs, les lecteurs acquièrent la conviction qu'une analyse économique des réseaux a sa pertinence et que les quelques affirmations suivantes pourraient contribuer à la fonder :

- la dualité entre ingénierie d'infrastructure et intelligence de commande est une caractéristique commune à la plupart des activités de réseaux, même si le développement des fonctions intelligentes, qui se manifeste le plus clairement dans le secteur des télécommunications, est encore embryonnaire dans d'autres réseaux ;

- les réseaux sont l'objet d'un processus d'ouverture, sous le "coin" enfoncé par les nouveaux opérateurs de services intelli- gents ; cette ouverture représente, pour les opérateurs en place, très certainement une menace, notamment du point de vue de l'équilibre budgétaire, mais aussi une opportunité, celle de participer au jeu concurrentiel qui s'installe sur les nouveaux marchés libéralisés ;

- la planification et la concurrence ne sont pas deux méca- nismes économiques antinomiques et exclusifs l'un de l'autre ; au contraire, un certain degré de planification peut être instillé dans un marché comportant imperfections et externalités, ce qu'il conviendrait jus tement de mettre en pratique pour la commande intelligente des réseaux ; réciproquement, une cer- taine dose de "quasi-concurrence" peut discipliner un monopole suspect de gestion inefficace, principe qui devrait précisément guider la réglementation des opérateurs d'infrastructures de réseaux.

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Introduction

Cyrus répondit au héraut de Sparte : "Je n'ai jamais encore redouté des gens qui ont au milieu de leur ville un endroit pour se réunir et se tromper mutuellement p a r des serments. Ces gens-là, si je conserve la santé, auront l'occasion de bavarder non plus sur les malheurs des Ioniens, mais sur les leurs". C'est toute la Grèce qu 'il insultait p a r ces mots, parce que les Grecs ont fait des marchés pour y acheter et vendre ; les Perses, eux, n'ont jamais eu de marchés et n'ont pas de places de ce genre.

Hérodote L'enquête, I, 153

Le secteur des télécommunications se transforme rapide- ment dans tous les pays développés. Décrire ces évolutions, en rechercher les éléments communs au milieu de la diversité des situations et des discours, proposer une explication à un proces- sus surprenant par bien des aspects, tout cela, qui est tenté dans cet ouvrage, a d 'autant plus d'intérêt aujourd'hui que les télé- communications représentent un cas typique d'interpénétration de l'économie de marché et de l'économie publique.

La recherche d'une organisation conjuguant les avantages de la concurrence aux contraintes de la gestion d'infrastructures lourdes est sans doute transposable à d'autres secteurs. Les débats qui ont eu lieu aux Etats-Unis, au Japon, en Australie,

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dans les divers pays d'Europe, éclairent, de façons différentes selon les traditions nationales, une même question économique : quel est le domaine de la planification publique, que celle-ci soit mise en œuvre pa r des administrations ou des entreprises privées réglementées ? Quel est, de façon symétrique, le domaine de la concurrence, qu'il s'agisse du fonctionnement d'un marché ou même de la pseudo-concurrence interne à une organisation ?

La remise en cause de l'organisation du secteur des télécom- munications est récente : lorsque l'infrastructure de transmis- sion ne servait qu'à un seul service, le téléphone, un opérateur unique pouvait assumer les deux rôles de la construction de l ' infrastructure et de la commercialisation du service. L'exploi- tation était le plus souvent confiée à une administration, l 'Etat considérant qu'il relevait de ses responsabilités de contrôler le transport de l'information ; parfois, comme aux Etats-Unis, une entreprise privée bénéficiait d'un monopole protégé et, en contrepartie, étai t soumise à un encadrement précis de sa production et de ses tarifs.

A par t i r des années 1980, les exploitants de réseaux de télécommunications ont été attaqués sur trois plans différents.

Tout d'abord, les services finals se sont multipliés ; les opéra- teurs publics n'avaient pas de légitimité particulière à dévelop- per ces nouveaux services, par exemple de t ra i tement des données ou de production de contenus et de logiciels. Il fallait donc permettre aux prestataires de ces services de se connecter aux infrastructures de télécommunications : avec cette pre- mière ouverture du réseau, se pose la question de ce qui appar- tient en propre aux infrastructures et de ce qui peut être consi- déré comme un service final. Lorsque cette distinction entre réseau et services s'étend au téléphone, le domaine réservé au monopole se limite à la transmission des signaux.

Ensuite, l'efficacité de la réglementation, à laquelle étaient soumis les monopoles en charge des réseaux de télécommunica- tions, a fait l'objet de critiques croissantes. Le travail des agences de réglementation, aussi bien que le contrôle parlementaire des administrat ions, n 'assurent pas toujours que les variables comme la qualité du service offert aux usagers, ou le niveau de la tarification, soient fixées à un niveau optimal. Les défauts de ce type de contrôle sont apparus de plus en plus clairement aux Etats-Unis au cours des années 1970 : qualité de service inutile- ment élevée, trop grande capitalisation due en particulier à une réglementation par le taux de rentabilité, développement des services tiré par le progrès technique et non par les besoins de la clientèle, tarifs excessifs. Dans bien des cas, les usagers payaient

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trop cher une qualité de service excessive. Les rapports des opé- rateurs avec les équipementiers étaient également critiqués : les constructeurs de matériel téléphonique étaient intégrés vertica- lement aux opérateurs, dans le cas des Etats-Unis ; dans le cas européen, ils constituaient de véritables arsenaux, chaque admi- nistration aidant les producteurs nationaux à se faire une place sur le marché international.

Enfin, la gestion des monopoles publics semblait peu dynami- que à certains observateurs. Etaient alors dénoncés, le manque d'incitation des administrations à minimiser leurs coûts de production, la pesanteur de leur mécanique budgétaire, les rigi- dités de gestion d'un personnel fonctionnaire, l'absence d'un actionnariat qui aurai t veillé à l'économie du capital et à sa rentabilité. De telles réflexions ont mené, par exemple au Royaume-Uni et au Japon, à la transformation progressive des administrations des PTT en entreprises privées.

Le processus déréglementaire paraît très diversifié selon les pays, principalement parce qu'il est composé d'un double cheminement et que les évolutions selon ces deux dimensions se font à des vitesses variables. En effet, le mouvement dérégle- mentaire désigne à la fois la privatisation de l'exploitant public et l 'ouverture de son marché. Selon la première dimension, les administrations des PTT changent de s tatut pour devenir des entreprises publiques ; dans un deuxième temps, ces entreprises sont privatisées, parfois en plusieurs étapes. Selon la seconde dimension, la structure du marché évolue, elle aussi : depuis le monopole de droit dans tous les domaines, jusqu'à une concurrence étendue à tous les services et aux infrastructures ; enfin, la taille même de l'ancien monopole freinant le dévelop- pement de ses concurrents, le démantèlement de ses activités devient finalement la condition d'une ouverture complète du marché.

Cette évolution, déjà complexe, est encore compliquée aux Etats-Unis comme en Europe par une double réglementation : celle des Etats américains ou des Etats européens, et la régle- mentation fédérale ou celle de la CEE. Les organisations qui émettent des règlements ont souvent des objectifs différents selon leur niveau et le processus déréglementaire est ponctué par la résolution de conflits concernant leurs compétences res- pectives.

On s 'a t tachera dans la suite à présenter, non seulement l'historique de ces conflits, mais aussi les argumentaires des diverses part ies en présence. Trois problèmes peuvent être distingués : l'ouverture du marché des services, l'ouverture des

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infrastructures et, enfin, la séparation entre les services et les infrastructures.

L'ouverture du marché des services, défendue à part i r de considérations sur la nécessité d'adapter rapidement les services finals à une demande en rapide évolution, apparaît plus discuta- ble pour les réseaux point-à-point à forte externalité de demande. Si un réseau est d 'autant plus utile à chacun que le nombre d'abonnés est grand, il est nécessaire d'aider le service à attein- dre la taille critique au-delà de laquelle sa croissance peut s'auto- entretenir. A cette externalité directe s'ajoute une externalité indirecte, si le nombre d'abonnés permet une meilleure rentabi- lité de services communs, tels des serveurs d'information, et donc une meilleure qualité de service pour chacun. Lorsqu'il est souhaitable pour la collectivité qu'un service soit universel, c'est- à-dire que l'ensemble de la population en dispose, des subventions croisées considérables sont nécessaires pour répartir, sur tous les abonnés, les charges des zones où les raccordements sont oné- reux et celles des segments de clientèle dont la disposition à payer est insuffisante. D'où la nécessité, pour la réglementation, d'éta- blir une distinction entre services nouveaux et service universel.

L'opportunité de maintenir, sur les infrastructures, un mono- pole protégé par une agence de réglementation s'explique sou- vent par l'existence de fortes économies d'échelle de production, et par le rôle structurant d'un tel type d'équipement. Ce débat a mené, aux Etats-Unis, à une formalisation nouvelle en termes de marché "contestable" c'est-à-dire un marché sur lequel l'entrée, libre, n'entraîne pas de coûts irréversibles. Si un mono- pole naturel pouvait toujours soutenir ces tentatives d'entrée, il y aurait là un moyen de soulager les agences de réglementation : comme cette concurrence potentielle discipline le monopole, notamment au plan tarifaire, l'ouverture des marchés serait économiquement efficace. Toutefois, un monopole naturel n'est pas toujours soutenable ; au reste, ce ne pourrait être le cas que pour une tarification exempte de subventions croisées, alors que celles-ci jouent un rôle redistributif important et qu'elles sont également nécessaires au développement des réseaux.

La séparation entre le domaine des services et celui des infrastructures, justifiée par le fait que ces secteurs ont des économies différentes, présente cependant des inconvénients pour le dimensionnement des équipements. L'opérateur respon- sable des infrastructures, s'il est isolé financièrement des revendeurs de services finals, doit avoir une gestion équilibrée et recourir à une politique de second rang, d'autant plus éloignée de l 'optimum que les économies d'échelle sont importantes. Une

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e n t r e p r i s e , i n t ég rée ve r t i c a l emen t , n ' e s t pas soumise à cet te c o n t r a i n t e ; elle p e u t donc d i m e n s i o n n e r ses i n f r a s t r u c t u r e s c o n v e n a b l e m e n t , c 'es t -à-dire de façon à ce que le coût d 'une capaci té de t r an smi s s ion supp lémen ta i r e s u r le r é seau soit égale au prix que le gest ionnaire d 'un service final es t disposé à payer.

De plus, à l 'usage, la sépa ra t ion en t re services e t inf ras t ruc- t u r e s a p p a r a î t s impl i s te : la p l u p a r t des t ex tes r ég lemen ta i r e s font la d is t inct ion en t re les in f ra s t ruc tu res ouver tes au public et les i n f r a s t r u c t u r e s pr ivées , u t i l i sées p a r u n a g e n t économique p o u r ses besoins propres. Ces tex tes d i s t inguent , éga lement , u n ensemble de services in t e rméd ia i r e s en t r e les i n f r a s t ruc tu re s et les services f inals : les services suppor ts , qui cor responden t aux fonct ions de c o m m u t a t i o n e t d ' a c h e m i n e m e n t s u r le réseau . Enf in , p a r m i les services f inals eux-mêmes , il es t nécessa i re de s é p a r e r les se rv ices u n i v e r s e l s don t la f o u r n i t u r e doi t ê t re protégée, des services concurrent ie ls , don t cer ta ins doivent ê t re fournis obl igato i rement p a r l 'exploitant dominant .

Le p r é s e n t o u v r a g e expose les évolu t ions r é g l e m e n t a i r e s suivies p a r différents pays, ainsi que les réflexions qui ont justifié les choix re t enus : il es t trop tôt pour faire u n bi lan définitif de ces expér iences . Le c h e m i n es t a s s u r é m e n t étroi t , en t r e la sclérose commerc ia le des monopoles pro tégés e t la dé t resse des infras- t r u c t u r e s p u b l i q u e s l a i s sées à la seu le logique d u marché . Au jou rd ' hu i , les r é s e a u x de t é l écommunica t ions se mondial i - s e n t ; ces capaci tés de t r a n s m i s s i o n considérables condit ionne- ront la croissance économique de cer ta ins secteurs, e t la localisa- t ion d 'un g r a n d nombre d 'act ivi tés ; ces i n f r a s t ruc tu re s doivent- elles se déve lopper selon la seule logique de m a r c h é ? P a r qui pourra ien t -e l les ê t re planifiées ou au moins réglementées ?

Le c h a p i t r e I déc r i t le r é s e a u de t é l écommunica t ions , son o rgan i sa t ion technique , l 'économie de ses diverses composantes e t les t r ans fo rma t ions qu'il subi t ac tue l l ement ; cette analyse es t nécessa i re à la compréhens ion des r a i sonnemen t s menés dans la suite. E n part icul ier , la distinction entre les fonctions de distr ibu- t ion, de t r a n s m i s s i o n , e t d ' a c h e m i n e m e n t , p e r m e t de m i e u x c o m p r e n d r e la logique des t ex t e s r é g l e m e n t a i r e s f r ança i s e t é t rangers .

Le chap i t r e II p r é s e n t e l 'évolution des r é seaux de télécom- m u n i c a t i o n s a u x E ta t s -Un i s , a insi que les déba t s économiques qui on t précédé le d é m a n t è l e m e n t d'AT&T ; le modèle amér ica in se r t en effet de référence à toutes les expériences de déréglemen- ta t ion. Les tex tes eu ropéens se sont inspi rés de ces expériences, p a r exemple en dé f in i s san t l 'Open Network Provis ion à p a r t i r d 'une réflexion s u r l 'Open Network Architecture.

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Le chapitre III évoque d'autres expériences : les unes, carac- térisées par la privatisation de l'opérateur public (au Royaume- Uni et au Japon) ; les autres, par une simple évolution de la concurrence sur les marchés (en France et dans d'autres pays développés : Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, Australie). Pour les pays européens, ces évolutions se placent dans le cadre des directives communautaires ; celles-ci sont rapidement décrites, ainsi que le Livre Vert qui leur sert de référence concep- tuelle.

La conclusion propose une synthèse des descriptions précé- dentes ; elle présente les diverses composantes de l'ouverture des réseaux, privatisation, déréglementation, démantèlement, et tente d'en préciser la portée économique.

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I

Les caractér is t iques techniques e t économiques des réseaux

de té lécommunicat ions

Le but de ce chapitre est de préparer le lecteur à l'analyse des évolutions récentes du secteur des télécommunications en Amérique du Nord et en Europe, évolutions qui lui seront présentées dans les chapitres II et III. En effet, les phénomènes présents de réorganisation industrielle de ce secteur, d'ouverture à la concurrence de certains segments du marché, et de réamé- nagement des dispositifs réglementaires, ne peuvent être vérita- blement compris, ni évalués, sans une étude préalable des principales caractérist iques techniques et économiques des réseaux de télécommunications : ce sont ces caractéristiques, ainsi que leur transformation sous l'effet du progrès technique, qui, dans différents contextes institutionnels selon les pays, ont été prises en compte afin de réviser l'organisation en place et de définir des règles du jeu acceptables par l'ensemble des acteurs en présence : gouvernements, réglementeurs, opérateurs, four- nisseurs de services, équipementiers, usagers, etc. Afin donc de se familiariser avec la "techno-économie" des réseaux de télé- communications, on procédera en trois temps.

En premier lieu, on décrira le réseau téléphonique, en met- t an t l'accent sur les mutations qui l'ont conduit à son état d'aujourd'hui. Le réseau téléphonique mérite en effet d'être étu- dié à un double titre : d'une part, parce que ce réseau est le site propre du premier des services de télécommunications, le ser- vice téléphonique, premier aussi bien par son ancienneté que par son poids économique ; et, d'autre part, parce qu'il évolue de manière à fournir un support physique naturel à la quasi- totalité des services "nouveaux" actuellement en développement.

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En deuxième lieu, on s'intéressera à l'économie du réseau, en examinant les principales caractéristiques de l'offre et de la demande de services de télécommunications, puis en étudiant la stratégie tarifaire que l'opérateur doit mettre en œuvre afin de satisfaire conjointement à une contrainte de service public et à l'équilibre budgétaire.

En dernier lieu, on évoquera les réseaux de télécommunica- tions du futur, en montrant comment ces réseaux partageront la même infrastructure de base que le réseau téléphonique, infrastructure commune qu'ils activeront à l'aide de logiciels différenciés, afin d'offrir des services spécialisés : les réseaux du futur seront des réseaux intelligents, qui simuleront informa- tiquement, sur une infrastructure banalisée, des configurations particulières de mise en relation, de débits de trafic, de qualité de service, d'accès à des bases de données, etc.

Dans la présentation du réseau téléphonique, puis dans celle des futurs réseaux, on s'attachera à compléter l'information de type technique par une première réflexion sur les conséquences économiques qui découlent, d'une part, de la nature des technolo- gies utilisées, d'autre part, de la combinaison de ces dernières en vue de former un réseau. On abordera également les aspects liés à la consommation et à la tarification, c'est-à-dire aux relations économiques entre le réseau et ses usagers. Enfin, dans le cas des futurs réseaux, on précisera un schéma réglementaire type, qui pourra servir dans la suite de point de comparaison pour juger des évolutions des différents pays.

A. Le réseau téléphonique

Le r é s e a u t é l éphon ique , comme t o u t s y s t è m e complexe, résul te d 'un agencemen t de techniques spécial isées, coopérant en t re elles dans le bu t d ' a s su re r une même fonction, à savoir la mise en communica t ion à d is tance e t l 'échange de s ignaux de parole. Il es t commode, p o u r l 'exposit ion, de commence r p a r examine r les par t ies , c 'est-à-dire les t echn iques cons t i tuan tes , a v a n t de cons idére r le tout , c 'es t-à-dire le r é s e a u lu i -même, imbr ica t ion organisée des t echn iques qui le composent . C 'es t cette démarche intégrat ive qui se ra adoptée ici, dans les par t i es A. 1 puis A.2.

A.l. L'économie des techniques

Pour t r a n s m e t t r e u n e communica t ion de son or igine à sa des t ina t ion , deux g r a n d e s classes de t echn iques do ivent ê t r e

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mises en oeuvre : d'une part, des équipements de transmission, qui permettent de véhiculer le signal ; d'autre part, des matériels de commutation, dont la fonction est d 'établir l ' i t inéraire emprunté par ce signal à travers le réseau.

Au cours des dernières décennies, la t ransmission et la commutation ont été le siège d'un progrès technique considé- rable, marqué dans le premier cas par la numérisat ion de l'information transportée, et, dans le second, par l'informati- sation de l 'acheminement de cette information. La double aventure de la transmission et de la commutation sera d'abord rapportée, non pas d'un pur point de vue technique, mais aussi en montrant la façon dont cette évolution se traduit par une plus grande efficacité économique dans l'attribution de ressources du réseau à la demande de trafic. On discutera ensuite la nature des rendements d'échelle qui sont engendrés par chacune des deux techniques prise séparément, sàns tenir compte à ce stade de leur insertion dans un même réseau ; cette discussion repose sur une définition précise du trafic et sur l'étude des relations entre le dimensionnement d'un équipement, le trafic qu'il écoule, et la qualité de service qu'il fournit.

a) La transmission : de l'analogique au numérique

Les techniques de transmission de l ' information se sont considérablement transformées depuis les débuts de la télépho- nie ; d'une part, le rendement des systèmes utilisés n'a cessé de s'accroître, de la paire de conducteurs en cuivre à la fibre optique, ou du faisceau hertzien terrestre au satellite ; d'autre part, et surtout, le mode de transmission proprement dit a connu une mutation radicale : au cours des vingt dernières années, le numérique s'est progressivement substitué à l'analogique et le bit par seconde (bit/s) a supplanté le Hertz (Hz), en t an t qu'unité physique caractérisant le transport de l'information.

En transmission analogique, la voix est traitée sous la forme d'un signal électrique modulé, occupant une bande de fréquences large de 4 kHz environ. En distribution, c'est-à-dire entre une installation d'abonné et son central de rattachement, cette bande de 4 kHz est transportée sur une paire de fils de cuivre dédiée à l'abonné, dite paire symétrique ; en transmission interurbaine, c'est-à-dire entre centraux, les bandes correspondant à des conversations différentes sont transposées en fréquence et empi- lées les unes sur les autres selon une hiérarchie de multiple- xage comprenant quatre niveaux successifs d'emboîtement, ou groupes multiplex, du groupe primaire (GP) au groupe quater-

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naire (GQ) 1. Ces groupes multiplex analogiques sont transpor- tés sur des paires coaxiales rassemblées en câbles, ou encore au moyen de faisceaux hertziens ; dans ce dernier cas, une onde radioélectrique de très haute fréquence, par exemple 12 GHz, est modulée en fréquence par le signal multiplex. De manière à permettre le groupage et le dégroupage des circuits, respective- ment en aval et en amont de la commutation, chaque commuta- teur est relié à un centre de modulation (CDM), où les signaux sont multiplexés au départ et démultiplexés à l'arrivée.

La transmission analogique permet le transfert, non seule- ment de la voix, mais encore des signaux de données, grâce à une modulation discontinue par sauts, de l'amplitude, de la fré- quence, ou de la phase d'une onde sinusoïdale pure, dite onde porteuse ; cette opération, ainsi que celle inverse de démodula- tion, s'effectue dans un modem couplé au terminal de données, qui émet vers le réseau, ou reçoit de celui-ci, le signal modulé. Les performances des modems usuels, ainsi sur tout que la qualité des lignes de distribution téléphonique, autorisent des débits compris entre 2,4 kbit/s et 9,6 kbit/s, débits qui occupent une bande de fréquences dont la largeur varie de quelques centaines à quelques milliers de Hz : le rendement spectral de la modulation analogique, exprimé en bit/s/Hz, est en effet généralement compris entre 1 et 4. Dès lors qu'il occupe une largeur de bande inférieure à 4 kHz, un signal analogique issu de la modulation d'un signal-source numérique peut être inséré dans les groupes de la hiérarchie de multiplexage, de la même façon que le signal vocal.

La transmission numérique échange les rôles que jouent res- pectivement les signaux analogiques et numériques en trans- mission analogique. En transmission analogique, la voix est, comme on l'a vu, transportée sous la forme même du signal- source délivré par le poste téléphonique, on dit encore en bande de base ; au contraire, les données subissent une conversion du numérique à l'analogique, préalablement à leur transfert ; une voie analogique de 4 kHz permet ainsi de transporter indiffé- remment une conversation téléphonique ou un débit de données de quelques kbit/s. En transmission numérique, la situation s'inverse : ce sont les données qui sont transmises en bande de base, c'est-à-dire sous la forme d'un signal électrique en créneaux, reproduisant, à un codage près, les transi t ions

1. 12 bandes élémentaires de 4 kHz forment un groupe multiplex pri- maire (GP) ; 5 GP constituent un groupe secondaire (GS) de 60 circuits ou voies téléphoniques ; 5 GS, un groupe tert iaire (GT) de 300 voies et 3 GT, un groupe quaternaire (GQ) de 900 voies.

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discontinues du signal-source composé de 0 et de 1 binaires, tandis que la voix, bien qu'initialement produite sous une forme analogique, c'est-à-dire acoustique puis électrique, est transfor- mée en un signal numérique.

La numérisation de la voix s'opère selon la technique dite de modulation p a r impulsion et codage (MIC). La MIC consiste à échantillonner le signal vocal analogique 8 000 fois par seconde et à quantifier chaque échantillon sur 8 bits 1, d'où un débit numérique de 8 x 8 000 bit/s = 64 kbit/s, par voie téléphonique. Ce type de codage ne tient pas compte de la redondance propre au signal vocal. Les progrès récents des méthodes de compres- sion de l'information permettent aujourd'hui d'abaisser considé- rablement, à 32 kbit/s, 16 kbit/s, voire même 8 kbit/s, le débit nécessaire pour transmettre la voix avec une qualité de service acceptable.

Dans l 'organisation actuelle du réseau téléphonique, la numérisation n'est pas systématiquement réalisée en distribu- tion locale, entre les abonnés et leurs centraux de rattachement ; elle est en revanche quasi-totalement achevée en transmission inter-centraux : le système de base utilisé à cet effet est le MIC 30 voies, qui consiste en un t rain numérique d'un débit d'environ 2 Mbit/s, au sein duquel sont entrelacés dans le temps 30 circuits téléphoniques de 64 kbit/s ; chaque circuit occupe au sein de ce train un certain intervalle de temps récurrent (IT), et un échantillon de 8 bits du signal correspondant à ce circuit est transmis à chaque occurrence de l'intervalle correspondant 2. Le système MIC 30 voies, encore appelé train numérique d'ordre 1 ou TN1, constitue le premier degré hiérarchique du multiple- xage numérique qui, comme le multiplexage analogique, comprend 4 niveaux, du TN1 au TN4 3.

1. La fréquence d'échantillonnage, soit 8 000 Hz, est double de la plus haute fréquence contenue dans le spectre du signal, soit 4 kHz. Un résul- tat de la théorie de l'information indique en effet qu'un tel échantillon- nage permettrait la reconstitution sans erreur du signal original, n'étaient les bruits introduits par la quantification des échantillons et par le canal de transmission. Les 8 bits de quantification de chaque échantil- lon engendrent une échelle comportant 256 plages égales ; cette échelle est appliquée à une transformée logarithmique du signal, afin que l'erreur relative de codage soit indépendante de l'amplitude du signal.

2. L'intervalle de temps (IT) réservé à la transmission des échantil- lons successifs d'un circuit donné dure environ 4 Jls et se répète toutes les 125 Jls, soit 8 000 fois par seconde.

3. Le TN2 (120 voies et 8 Mbit/s) regroupe 4 TN1 ; 4 TN2 forment le TN3 (480 voies et 34 Mbit/s) et le TN4 (1 920 voies et 140 Mbit/s) rassemble 4 TN3.

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En transmission numérique, la signalisation, c'est-à-dire le dialogue entre centraux, ou entre centraux et installations d'abonnés, qui est utile à l'acheminement des communications, n'occupe pas les mêmes ressources que le transport de l'informa- tion proprement dit : contrairement à la signalisation analo- gique, où les opérations d'établissement d'une communication utilisent les circuits-mêmes qui servent ensuite à la transmission de cette communication, la signalisation numérique est une signalisation hors bande qui occupe des intervalles de temps (IT) autres que ceux réservés aux circuits de communication 1.

La numérisation de la transmission conduit à une banalisa- tion des signaux, pour ce qui est de leur transport dans le réseau : des multiplexeurs voix-données permettent en effet de consti- tuer des blocs numériques mélangeant voix et données et pouvant être transmis sur les systèmes TN1 à TN4. Alors qu'en transmission analogique sont spatialement empilées des bandes de fréquences contenant des signaux aux spectres différenciés, en transmission numérique sont temporellement entrelacés des blocs numériques présentant une même structure binaire de base. L'organisation spatiale du multiplex analogique fait place à celle, temporelle, du multiplex numérique, où les bits sont arrangés en intervalles de temps (IT), les IT en trames, et les trames en multi-trames : dans cette organisation, le bit est l'unité pertinente pour le transport physique de l'information ; l'IT, celle utile pour la commutation temporelle des circuits, comme on l'examinera plus loin ; quant à la trame, c'est l'entité élémentaire de gestion des erreurs, une trame entière étant omise ou répétée en cas d'erreur détectée sur une séquence binaire ; la multi-trame, enfin, est associée à la transmission des informations de signalisation, hors bande.

b) La commutation : du physique au logique

Les techniques de commutation, c'est-à-dire celles qui permettent l'aiguillage des communications dans un réseau, ont

1. Plus précisément, chaque t r ame de 125 ils d 'un MIC 30 voies comporte en fait 32 IT, soit deux de plus que les 30 circuits vocaux : le premier IT de chaque t rame contient en effet un code d'identification de t rame et le seizième IT est réservé à la signalisation ; les 8 bits de cet IT sont partagés entre deux circuits, si bien que 15 t rames, accolées à une t rame d initialisation dans un mult i - t rames de 1 + 15 = 16 t rames, sont nécessaires pour t r a n s m e t t r e la signalisat ion des 30 circuits vocaux ; chaque circuit dispose ainsi d 'un débit de signalisation égal à 2 kbits/s, débit t ransmis "hors bande", c'est-à-dire en dehors de l'IT associé au cir- cuit lui-même.

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également connu une très forte évolution, notamment depuis les années 1960 : en l'espace de trente ans, les commutateurs sont passés du stade d'automates à logique câblée à celui d'ordina- teurs programmables. Cette informatisation progressive de la commutation peut être décomposée en quatre étapes majeures.

La première étape est celle de l'électronisation des fonctions de commande, les fonctions de connexion demeurant à ce stade électro-mécaniques. Les organes d'un commutateur sont en effet de deux types : ceux, passifs, qui assurent la connexion entre circuits en t ran ts et circuits sortants ; et ceux, actifs, qui commandent cette connexion.

Dans les premières générations de commutateurs, Rotary puis Crossbar, dont la technologie est dite électro-mécanique, la connexion s'effectue par mise en contact de pièces métalliques, des cames tournantes ou des barres croisées, et cette connexion est pilotée par une batterie d'organes câblés non programma- bles : des enregistreurs mémorisent le numéro demandé puis supervisent l'établissement de la communication, en faisant suc- cessivement appel à des traducteurs, qui interprètent le numéro, à des marqueurs , qui t racent un chemin de connexion à l'intérieur du commutateur, et à des envoyeurs, qui émettent les tonalités de retour d'appel ou d'occupation, etc.

Dans la technologie électronique spatiale, qui caractérise la génération suivante de commutateurs, la connexion repose encore sur la réalisation mécanique de contacts électriques, même si les éléments de connexion sont désormais miniaturisés, des relais à tiges ou des transistors se substi tuant aux electro- aimants du système Crossbar. Le terme spatial, qui s'applique d'ailleurs aussi bien à la génération électromécanique qu'à cette première génération électronique, évoque la constitution d'un chemin électrique, physiquement identifiable à l ' intérieur du commutateur, et composé de mailles successives rel iant un circuit entrant à un circuit sortant à travers une série de points de connexion, points établis dans des matrices de contacts réparties en étages de commutation.

Ce qui change véritablement de nature dans la transition de l'électromécanique à l'électronique spatial, c'est la commande : le système hiérarchisé et fonctionnelle ment différencié d'auto- mates câblés, les enregistreurs, traducteurs, marqueurs, etc., y est en effet remplacé par un logiciel programmé, activant un ordinateur. La commande n'est donc plus rigide, parce que liée au matériel, au h a r d w a r e , mais elle devient au contraire flexible, parce que réalisée par logiciel, par software ; une telle commande permet notamment, comme on le discutera plus loin,

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une reconfiguration souple des règles d'acheminement du trafic dans le réseau.

La seconde étape est celle de l'informatisation de la fonction de connexion, avec l'avènement de la technologie dite électro- nique temporelle, inventée et développée en France dès 1960 dans les laboratoires du CNET, introduite dans le réseau téléphonique à partir du milieu des années 1970, et aujourd'hui étendue à la presque totalité des centraux.

De l'électronique spatiale à l'électronique temporelle, l'infor- matisation s'étend de la commande à la connexion, met tant à profit la numérisation de la transmission : l'unité commutée n'est plus le circuit analogique, c'est-à-dire la bande de fré- quences allouée à la communication, mais le circuit numérique, c'est-à-dire la récurrence périodique d'un intervalle de temps de longueur donnée, l'IT, entrelacé avec d'autres intervalles de temps attribués à d'autres communications, au sein d'un même train d'informations numérisées.

Dès lors, la connexion ne consiste plus à réaliser un chemin électrique continu permettant le transport d'une bande de fré- quences, mais à extraire les bits d'un IT particulier dans un train numérique entrant, pour les insérer dans un autre IT donné, au sein d'un t rain numérique sortant. Une telle opération, de nature informatique, est réalisée par un processeur particulière- ment rapide et fiable, capable de stocker dans ses mémoires d'entrée et de sortie les informations contenues dans les IT, et de transférer ces informations des premières mémoires vers les secondes, en synchronisme avec la cadence des trains numé- riques d'arrivée et de départ. Il est désormais sans signification de chercher à identifier spatialement le trajet parcouru par une communication donnée au sein d'un tel processeur ; d'où le nom de commutation temporelle, évoquant le transfert synchrone de données effectué par le commutateur, devenu ordinateur.

La troisième étape est celle du découplage entre le rythme des sources d'information et celui du réseau, par assemblage de l'information en paquets, préalablement à son acheminement : c'est la commutation de paquets.

Dans la commutation temporelle de circuits, décrite plus haut , une communication donnée occupe, pendant toute sa durée, un circuit qui lui est exclusivement alloué, même s'il s'agit d'un circuit temporel numérique et non plus d'un circuit spatial analogique : le temps dans lequel l'information est produite et celui dans lequel elle est transmise sont indissociables. Cette technique de commutation n'engendre pas de gaspillage dans

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l'affectation des ressources du réseau si le débit de la source est suffisamment régulier ; cependant, dans le cas d'une source dont le débit est intermittent, tel un terminal d'ordinateur, l'allocation permanente de capacités à une communication donnée, même pendant les temps de silence, est inefficace. A cette inefficacité, la commutation de paquets remédie en brisant le lien, jusque là rigide, entre le contenu délivré par la source, la communication, et le contenant utile à la transmission de ce contenu, le circuit. Des contenants intermédiaires sont à cet effet constitués, les paquets, qui ne renferment plus, comme les circuits, la totalité du contenu des communications, mais des morceaux de ce contenu, empaquetés avant expédition dans le réseau.

La mise en paquets est effectuée dans le commutateur de départ ; dès que constitué, chaque paquet est étiqueté, puis acheminé dans le réseau selon un itinéraire marqué d'avance par un paquet particulier, dit paquet d'appel, jouant le rôle d'un éclaireur. La réservation de ressources effectuée par le paquet d'appel est une réservation logique, et non pas physique : le circuit ainsi réservé est qualifié de circuit virtuel, et les moyens de commutation et de transmission qui le constituent ne sont réellement sollicités qu'au moment du passage effectif des paquets de communication. Dans le commutateur d'arrivée, les paquets sont triés et désassemblés, puis l'information ainsi restaurée est dirigée vers le destinataire.

En résumé, la commutation de paquets permet de séparer le quantum d'information pertinent pour l'émetteur et le récep- teur, c'est-à-dire la communication, du quantum pertinent pour le réseau, c'est-à-dire le paquet ; elle conduit ainsi à une plus grande efficacité dynamique de l'allocation des ressources, cette allocation n'étant plus contrainte par le rythme des flux d'information aux stades terminaux de la production et de la restitution de ces flux.

La quatrième et dernière étape, encore à venir, est celle de la transparence complète du réseau vis-à-vis des sources qui l'alimentent, telle qu'elle sera permise par la commutation temporelle asynchrone ou ATM 1.

Le but de la commutation ATM est de rechercher une voie moyenne entre, d'une part, la commutation temporelle de circuits, bien adaptée aux débits réguliers et rapides, mais dont la trame temporelle est trop rigide pour permettre le mélange de signaux dont les débits seraient différents et, d'autre part, la commutation de paquets, bien adaptée aux débits lents et

1. Initiales de "Asynchronous Transfer Mode".

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sporadiques, mais faisant appel à des protocoles d'acheminement trop complexes pour s'étendre à des débits très élevés.

Dans un réseau temporel asynchrone, le principe de la commutation de paquets est rendu compatible avec le mécanis- me de la commutation temporelle synchrone : comme dans cette dernière, la structure du bloc d'information transporté est fixe, mais l'identification implicite du circuit de communication, par le rang de l'IT correspondant à ce circuit, y est remplacée par une identification explicite, une étiquette héritée des réseaux de paquets. La ressource disponible sur le multiplex numérique est ainsi banalisée, au lieu d'être découpée en tranches récurrentes, chacune affectée à une communication particulière. Ainsi, par exemple, une source de grand débit remplit une suite d'IT consécutifs, puis laisse la place à plusieurs sources de débit plus faible se par tageant par entrelacement dans le temps la séquence ultérieure des IT, sans que le train numérique à haut débit servant au transfert en soit affecté : c'est l 'étiquetage variable et explicite des IT qui permet la commutation, c'est- à-dire l'identification et l'acheminement vers sa destination du paquet d'information contenu dans chaque IT.

La commutation ATM achève de rendre le réseau transpa- rent aux sources d'information. Cette transparence porte en effet désormais, non seulement sur la cadence des signaux, mais encore sur la nature même de l'information, car la structure et le format des paquets d'information sont indépendants du service considéré, qu'il s'agisse de transmettre de la voix, des images, ou des données : à la transparence rythmique s'ajoute une transparence sémantique. Il en résulte notamment que la notion de trame, propre à la commutation temporelle syn- chrone, disparaît dans un réseau ATM, et que le système de recouvrement des erreurs devient indépendant du système de transfert de l'information.

c) La gestion du trafic et les rendements d'échelle techniques

On mesure l'intensité du trafic en Erlang (E) et la quantité de trafic en E r l ang x heure (Exh) 1, unités respectivement semblables au Kw et au Kw x h qui mesurent la puissance et l'énergie dans les réseaux électriques. Un organe du réseau supporte une intensité de trafic constante de 1 Erlang et écoule 1 Erlang x heure s'il est occupé sans discontinuer pendant une heure ; s'il est occupé pendant seulement une fraction T du

1. Du nom du mathémat ic ien danois qui développa les bases de la théorie mathématique du trafic, le télétrafic, en 1917.

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En l'absence d'asymétrie d'information, on retrouve le résultat de Ramsey-Boiteux selon lequel le tarif optimal s'écarte du coût marginal en proportion inverse de l'élasti ci té-prix de la demande, soit L'asymé- trie d'information fait que cet écart est majoré (resp. minoré) par un terme correctif, d'autant plus élevé en valeur absolue que le coût margi- nal de l'effort est coûteux ('l''(e) est fort) et que l'effort marginal à consentir pour compenser une caractéristique plus défavorable, soit Ep, croît (resp. décroît) rapidement avec la quantité produite qi' En effet, si par exemple Ep croît selon qi, alors il est efficace de corriger qi à la baisse, afin de diminuer les rentes rémunératrices de l'effort, ce qui conduit à majorer le "péage" sur le produit i.

Dans le cas général, le problème de la tarification optimale et celui de l'incitation optimale ne peuvent être totalement découplés, en raison de la correction incitative qui vient perturber la règle tarifaire de Ramsey- Boiteux. Il existe cependant une classe importante de fonctions de coût pour lesquelles la dichotomie est réalisée : il s'agit de la classe des fonc- tions telles que les paramètres d'anti-sélection et d'aléa moral soient séparables des quantités produites, soit : (E.19)

On a alors, en effet, Epc = 0 et dEp / dqi = 0, si bien que les formules (E.17-1) et (E.18-1) deviennent :

(E.20-1)

(E.20-2)

E.4. Le contrat optimal

La résolut ion des équat ions (E.17-1) et (E.18-1), de tarif ication et d ' inc i ta t ion opt imales , fourn i t l 'effort e t le vec teur de product ion optimaux e* (P) et q* (p). On en déduit le coût c* (P) = C [p, e* (P), q* (P)], puis la ren te 7t* (p) en i n t ég ran t la condition de révélat ion n'* (P) =

- y'[e*(P)] Ep [p, c* (P), q* (P)], sous la condition aux limites n* (1) = 0. Le t ransfer t optimal découle enfin de l 'équation (E.6), soit :

(E.21)

Le contrat optimal est alors déterminé par le mécanisme d'annonce révélateur Jl * = [c* (.), q* (.), T* (.)]. Cependant, s'il devait effectivement être mis en oeuvre, ce contrat ne donnerait vraisemblablement pas lieu dans les faits à un mécanisme d'annonce, mais plutôt au barème de transfert T* (c, q) équivalent au mécanisme p*. L'objet de cette section est de caractériser le barème de transfert optimal T* (c, q).

La résolution par rapport à Tc et Tq du système (E.9), caractérisant la meilleure réponse à un barème T (c, q), fournit en premier lieu :

(E.22-1)

(E.22-2)

Page 33: Économie des télécommunications : ouverture et réglementation

El iminan t � = 't*- 1 [T (c, q)] et t r ans fo rmant (E.22) en ut i l i sant les relat ions de tarification et d' incitation optimales (E.17-1) et (E.18-1), on obt ient f ina lement le sys tème d 'équat ions aux dérivées par t ie l les en T, c, q, que satisfait le barème de t ransfer t optimal T* (c, q), soit :

(E.23-1)

(E.23-2)

Examinons d'abord le cas particulier où le coût d'opportunité des fonds publics est nul (6 = 0), c'est-à-dire où laisser une rente à l'entreprise n'est la source d'aucun coût social. On a dans ce cas Tc = 0 et Tqi = - qiP'i (qj). Se rappelant que W'i (qj) = pj (qi), on en déduit, par intégration et à une constante près, que :

(E.24)

A u t r e m e n t dit, lorsque la ren te n 'es t pas coûteuse, l 'op t imum de premier r ang peut être a t te in t en ve r san t à l 'opérateur une subvention égale a u surp lus S des consommateurs . Ainsi, en effet, l ' en t repr ise maximise-t-elle le surplus collectif, somme de sa rente et de la subven- tion dont elle bénéficie. Le ta r i f est alors égal au coût marginal , et l'effort marginal est égal à l'économie marginale que procure cet effort.

U n au t r e cas l imite es t celui où le coût d 'oppor tuni té des fonds publics est positif, mais où l ' information est parfai te (g = 00). On trouve alors T* = S / (1 + 8) : le t ransfer t optimal est égal au surplus des consom- ma teu r s aba t tu pa r le coefficient d 'opportunité des fonds publics. C'est à cette condition, en effet, que le surplus collectif, SS = n + S - (1 + 5) T, coïncide avec la rente K que maximise l 'entreprise.

Dans le cas général, l ' intégration du système (E.23) n 'est pas simple. De manière cependant à caractériser la solution T* (c, q), on peut regar- der cette solution comme l'enveloppe de barèmes linéaires du type :

(E.25)

L'entreprise, selon son type P, se place au point [c* (5), q* (p), T* (p)] de la surface x = T* (c, q) ; tout se passe donc comme si cette entreprise sélectionnait, au sein de la famille de contrats l inéaires (E.25), celui qui est t angent à la surface de t ransfer t au point choisi, c'est-à-dire le contrat

pour lequel Tc = a, Tqi = bj.

Un barème linéaire pour lequel a = 0 est dit de type fixed price, car le t ransfer t proposé à l 'entreprise est indépendant du coût c. Inversement , un ba rème pour lequel a = 1 est dit de type cost-plus, car le t r ans fe r t ga ran t i t alors le r emboursement total du coût c. Un barème fixed price lut te efficacement contre l 'aléa moral puisque l 'entreprise, qui conserve tous ses coûts à sa charge, es t incitée à fourni r u n effort pour les minimiser . Q u a n t à un ba rème cost-plus, c'est un bon remède contre l 'anti-sélection, puisque l 'entreprise, assurée du r emboursement de ses dépenses, n 'es t pas t en tée de se faire passe r pour plus pe r fo rmante qu'elle n'est. En revanche, le fixed pr ice n 'évite pas l 'anti-sélection,