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Un roman célèbre… mal connu : Le Grand Meaulnes d’Alain- Fournier La pagination des extraits renvoie à l’édition de référence, très utile parce qu’elle comporte notamment les brouillons du roman sous la forme de « notes préliminaires », de « plans » et d’« ébauches », mais malheureusement épuisée : Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, Miracles, précédé de Alain-Fournier par Jacques Rivière, texte établi et annoté par Alain Rivière et Françoise Touzan, présentation et bibliographie de Daniel Leuwers, Paris, Classiques Garnier, 1986. Toutefois les indications fournies permettront de se repérer aisément dans d’autres éditions. Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, l’un des best-sellers de notre littérature, est volontiers considéré comme un roman pour adolescents au même titre que ceux de Jules Verne ou de Saint- Exupéry, par exemple. Mais ce n’est là qu’une apparence. Entre autres caractéristiques moins aisément perceptibles, la dégradation des éléments du roman d’aventures, le sentiment de culpabilité qui empreint le récit et l’hésitation entre deux héros possibles, l’un flamboyant, Augustin Meaulnes, l’autre introverti, François Seurel, incitent à accorder au livre une dimension existentielle qui va au-delà de ce thème bien connu qu’est la difficulté, voire l’incapacité, des jeunes à entrer dans le monde adulte. Une relecture attentive, loin d’enlever à l’œuvre son caractère séduisant, incite à y percevoir une profondeur qui en justifie davantage encore le rayonnement. C’est cet aspect méconnu que l’on se propose de mettre en lumière aujourd’hui. 1. UN ROMAN CÉLÈBRE Le Grand Meaulnes est un livre particulièrement prisé des Français, qui, même lorsqu’ils ne l’ont pas lu, le connaissent au moins de nom. 1

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CONFÉRENCE SUR Le Grand Meaulnes

Un roman célèbre… mal connu :

Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier

( La pagination des extraits renvoie à l’édition de référence, très utile parce qu’elle comporte notamment les brouillons du roman sous la forme de « notes préliminaires », de « plans » et d’« ébauches », mais malheureusement épuisée : Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, Miracles, précédé de Alain-Fournier par Jacques Rivière, texte établi et annoté par Alain Rivière et Françoise Touzan, présentation et bibliographie de Daniel Leuwers, Paris, Classiques Garnier, 1986. Toutefois les indications fournies permettront de se repérer aisément dans d’autres éditions.

Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, l’un des best-sellers de notre littérature, est volontiers considéré comme un roman pour adolescents au même titre que ceux de Jules Verne ou de Saint-Exupéry, par exemple.

Mais ce n’est là qu’une apparence. Entre autres caractéristiques moins aisément perceptibles, la dégradation des éléments du roman d’aventures, le sentiment de culpabilité qui empreint le récit et l’hésitation entre deux héros possibles, l’un flamboyant, Augustin Meaulnes, l’autre introverti, François Seurel, incitent à accorder au livre une dimension existentielle qui va au-delà de ce thème bien connu qu’est la difficulté, voire l’incapacité, des jeunes à entrer dans le monde adulte. Une relecture attentive, loin d’enlever à l’œuvre son caractère séduisant, incite à y percevoir une profondeur qui en justifie davantage encore le rayonnement. C’est cet aspect méconnu que l’on se propose de mettre en lumière aujourd’hui.

1. UN ROMAN CÉLÈBRE

Le Grand Meaulnes est un livre particulièrement prisé des Français, qui, même lorsqu’ils ne l’ont pas lu, le connaissent au moins de nom.

1.1. On peut en juger par un sondage relativement récent

Les réponses à la question : « quel est pour vous le livre du siècle ? » ont placé en tête quatre romans : Le Petit Prince (1943) d'Antoine de Saint-Exupéry, Le Vieil Homme et la mer (1952) d'Ernest Hemingway, Le Grand Meaulnes (1913) d'Alain-Fournier et L’Étranger (1942) d'Albert Camus.

1.2. Le tirage du Livre de Poche vient confirmer ces résultats

Lorsque cette collection a fêté ses cinquante ans, en février 2003, elle avait diffusé 14.000 titres et près d’un milliard de volumes. Parmi les meilleures ventes, favorisées sans doute par l’institution scolaire, figuraient précisément, entre autres grands classiques de la littérature française, Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier et Vipère au poing (1948) d'Hervé Bazin (quatre millions d’exemplaires) ainsi que le Journal (1947) d'Anne Frank, Germinal (1885) d’Emile Zola et Thérèse Desqueyroux (1927) de François Mauriac (trois millions). Le nombre des lecteurs d’Alain-Fournier est d’autant plus grand que son roman a donné lieu à des traductions dans presque toutes les langues (la première, en suédois, remonte à 1918, soit cinq ans à peine après la publication du livre en France !).

1.3. Autre preuve de la fascination exercée par le roman : deux films lui ont été consacrés

Isabelle Rivière, la sœur de l’écrivain, s’opposait en son temps à toute adaptation cinématographique qui ne correspondrait pas à ce qu’elle en attendait. Elle finit par en accorder les droits au metteur en scène Jean-Gabriel Albicocco. Le film, dont elle suivit personnellement le tournage (les jeunes comédiens l’appelaient avec affection « tante Isabelle »), sortit en 1966, avec Brigitte Fossey dans le rôle d’Yvonne de Galais, Jean Blaise, Alain Libolt et Alain Nourry, et connut un grand succès. On en trouve dans le commerce une version en DVD, accompagnée de La Fille aux yeux d’or, d’après le roman de Balzac.

Le second long métrage, qui sortira sur les écrans le 4 octobre prochain, est actuellement en cours ou en fin de tournage, les prises de vue ayant commencé en septembre dernier, d’abord en Sologne, puis en région parisienne ; son réalisateur est Jean-Daniel Verhaeghe ; Jean-Baptiste Meunier, le jeune acteur des Choristes, interprète François Seurel, le narrateur, et Nicolas Duvauchelle, Augustin Meaulnes, le héros éponyme ; font également partie de la distribution Jean-Pierre Marielle, Philippe Torreton, Emilie Dequenne, Florence Thomassin, etc.

1.4. Paradoxalement Le Grand Meaulnes n’eut pas aussitôt la consécration qu’il méritait

Achevé au début de 1913, et paru d'abord dans trois livraisons du périodique La Nouvelle Revue française (de juillet à octobre 1913), puis en volume chez l’éditeur Émile-Paul, il fut certes sélectionné pour le prix Goncourt, mais il n’obtint que 5 voix au dixième tour de scrutin (alors qu'il lui en fallait 6 pour avoir le prix), et le jury lui préféra au tour suivant Le Peuple de la mer, un roman de Marc Elder, aujourd’hui peu connu.

2. QUELQUES ÉCLAIRCISSEMENTS PRÉALABLES

2.1. Une vie brève 

Alain-Fournier est le demi-pseudonyme (imposé sans doute en 1907 par l’éditeur de La Grande Revue, périodique où fut publiée pour la première fois une œuvre de l’écrivain, Le Corps de la femme) d’Henri Alban Fournier.

Alain-Fournier est né le 3 octobre 1886 et mort au front, sous l’uniforme de lieutenant d’infanterie, presque en même temps que son ami Charles Péguy, au début de la Grande Guerre, le 22 septembre 1914, au sud de Verdun, dans les Hauts de Meuse. Il n'avait donc pas encore vingt-huit ans. Il avait été porté disparu avec vingt de ses compagnons d'armes. Son corps n’a été découvert que longtemps après, dans une fosse commune où les Allemands l'avaient enterré. Il a été identifié en novembre 1991 et il est maintenant inhumé dans le cimetière militaire de Saint-Rémy la Calonne (Meuse).

2.2. Une œuvre qui ne se réduit pas à un seul titre 

Contrairement à ce que ses lecteurs pensent parfois, en raison de sa mort prématurée, Alain-Fournier n’est pas seulement l’auteur du Grand Meaulnes.

Il a aussi écrit des textes en vers et en prose, réunis et publiés en 1924 sous le titre de Miracles, et ébauché une pièce de théâtre, La Maison dans la forêt, dont il ne reste que quelques répliques d’un court dialogue, et un second roman, Colombe Blanchet, dont des indications et des fragments nous font concevoir l’allure et l’économie d’ensemble (La Nouvelle Revue Française, 1er décembre 1922, et Colombe Blanchet Esquisse d’un second roman, édition établie par Gabriella Manca, Le Cherche Midi, 1990).

On a édité, d’autre part, les lettres qu’il a envoyées à ses proches (Lettres à sa famille, 1ère édition chez Plon en 1930) et à un jeune ami, qui avait été son condisciple au lycée Lakanal, René Bichet, mort en 1911 dans des circonstances tragiques, d’une piqûre de morphine (Lettres au petit B., 1ère édition chez Émile-Paul en 1930), ainsi que sa correspondance avec son beau-frère (Correspondance Rivière-Fournier, 1ère édition en 4 volumes à la N.R.F. en 1926-1928), avec sa dernière compagne, Madame Simone (Fayard, 1992), avec ses amis André Lhote (Bordeaux, William Blake, 1986) et Charles Péguy, le grand écrivain chrétien (Correspondance Fournier-Péguy, chez Fayard en 1973).

Ses articles, chroniques et notes critiques, témoins de ses activités journalistiques ont été rassemblés en 1991 par André Guyon, aux éditions du Cherche Midi : Alain-Fournier écrivait, en effet, dans plusieurs périodiques : La Nouvelle Revue Française, La Grande Revue, L’Intransigeant et Paris‑Journal ; il avait même été chargé dans cette dernière publication d’un courrier littéraire quotidien, ce qui constituait une innovation dans l’histoire de la presse.

2.3. Une personnalité complexe 

Il n’est pas question de revenir ici à une interprétation biographique du roman, toujours fort réductrice, surtout si l’on se souvient de la mise en garde de Jacques Rivière : « Une biographie d’Alain-Fournier, écrite du dehors, puisée ailleurs que dans ses contes et dans Le Grand Meaulnes, ne sera-t-elle pas un continuel mensonge, le récit de faits qu’il n’a pas vécus ? »

Il n’est cependant pas interdit de rappeler certains éléments propres à en éclairer l’étude.

· L’enracinement

Alain-Fournier a déclaré un jour : « J’ai détesté Paris d’une haine de paysan ». Dans son roman, d’ailleurs, il associe les paysages urbains, de Paris ou de Bourges, à l’échec et à la solitude, que son héros cherche à retrouver Yvonne de Galais ou Valentine. Il était, en effet, très attaché à divers lieux du département du Cher, où ses parents avaient enseigné dans des écoles de campagne et où il passait régulièrement les grandes vacances, par exemple Épineuil-le-Fleuriel et La Chapelle-d’Angillon, devenue dans le roman La Ferté d’Angillon. Un exemple suffira à le montrer : une lettre à sa famille (20 mars 1905), où, exilé à Sceaux pour ses études, il évoque à la fois ses souvenirs d’école et ses souvenirs de la campagne : « Nous venions au monde là-dedans et tout notre cœur, tout notre bonheur, tout ce que nous sentons de doux et de pénible, nous avons appris à le sentir, à le connaître, dans la cour où, mélancoliques, les jeudis, nous n’entendions que les cris des coqs dans le bourg […], dans la classe où entraient avec les branches des pommiers, quand papa faisait « étude », les soirs, tout le soleil doux et tiède de cinq heures, toute la bonne odeur de la terre bêchée. »

La Sologne qu’il décrit dans son roman et qu’il qualifie de « cher pays inutile, taciturne et profond » s’étend au N.-O. du département du Cher, entre Vierzon, Salbris, Argent-sur-Sauldre et La Chapelle-d’Angillon. Le domaine des Sablonnières doit beaucoup, semble-t-il, à l’ancienne abbaye de Lorroy, dans la forêt de Saint-Palais, au nord de Bourges et à l’est de Vierzon, ainsi qu’au château de La Chapelle-d’Angillon. C’est sur les bords du Cher qu’a lieu la partie de campagne où Augustin retrouve Yvonne de Galais. Quant au nom de Meaulnes, il est emprunté, au s final près, à un village situé à 6 km d’Épineuil‑le-Fleuriel.

Fait curieux, avant de se tourner vers les études littéraires, Alain-Fournier avait souhaité préparer le Borda et il était entré en seconde au Lycée de Brest en 1898 ; c’est peut-être pour cette raison que Frantz de Galais est présenté comme « étudiant ou marin ou peut-être aspirant de marine » (1ère partie, chap. XIV, « La fête étrange (suite) », p. 216), son père comme un « vieux capitaine de vaisseau » (3e partie, chap. II, « Chez Florentin », p. 301), et que les allusions et figures de rhétorique maritimes ne sont pas rares dans un roman qui se passe pourtant dans une région on ne peut plus terrienne... On le constate dès la première page, puisque le narrateur conclut la description de la maison paternelle en ces termes : « tel est le plan sommaire de cette demeure où s’écoulèrent les jours les plus tourmentés et les plus chers de ma vie – demeure d’où partirent et où revinrent se briser, comme des vagues sur un rocher désert, nos aventures. »

· L’amour sororal

Isabelle, sa sœur, a été pour lui, bien que sa cadette de trois ans, une confidente au cœur maternel. On retrouve dans le roman, qui lui est dédié (« À ma sœur Isabelle »), un écho de sa présence discrète. La critique considère parfois qu’elle a pu inspirer le personnage de François Seurel (dont elle avait partagé, dans sa jeunesse, les ennuis de santé). Les liens d’Alain-Fournier avec elle étaient d’autant plus étroits qu’elle avait épousé Jacques Rivière, son condisciple de khâgne et son ami intime depuis octobre 1903.

· L’amitié

Elle a été l’une des grandes joies de son existence. D’abord, on vient de le voir, à partir de son adolescence, avec Jacques Rivière, dont le caractère, et parfois les goûts, étaient pourtant différents des siens. Ensuite, pendant les dernières années de sa courte vie, avec Charles Péguy (1873-1914), son aîné de treize ans, d’autant qu’Alain-Fournier, enfant pieux puis jeune homme détaché de toute pratique, s’était trouvé de nouveau attiré par la foi en lisant des œuvres de Paul Claudel (1868-1955).

· L’amour

On connaît à l’écrivain deux liaisons marquantes. L’une, douloureuse, avec Jeanne Bruneau, une jeune modiste de la rue Chanoinesse (dans l’île de la Cité, entre le quai aux Fleurs et Notre-Dame), avec laquelle, si l’on en croit une lettre qu’il écrivit à son ami André Lhote en 1910, il se montra parfois cruel et qui lui a inspiré le personnage de Valentine… Blondeau. L’autre, plus heureuse puisqu’il était prévu qu’elle se conclurait par un mariage à la fin de la guerre, avec Madame Simone. Celle-ci était une comédienne (de son vrai nom Pauline Benda, 1877-1985) et elle avait épousé l’homme politique dont Alain-Fournier était devenu le secrétaire particulier : Claude Casimir-Périer, qui était le fils du Président de la République, Jean Casimir-Périer, et qui mourut au front comme son rival, quelques mois après lui.

Mais tous les critiques s’accordent pour attacher une importance capitale à son amour sublimé pour une très belle jeune fille, Yvonne de Quièvrecourt, qu’il rencontra au Cours-la-Reine, à Paris, le jour de l’Ascension 1905 et avec laquelle il eut une ardente conversation à la Pentecôte suivante. Ces rencontres restèrent sans lendemain, malgré une probable attirance réciproque, parce que Yvonne était déjà fiancée et que, lorsqu’il put la revoir huit ans plus tard, elle était mariée et mère de famille. Jacques Rivière ne les considérait pas moins comme une « aventure capitale » de la vie de son ami, qu’il évoque dans sa préface à Miracles : « Est-ce une exaspération de son attente qui la lui fit croire tout à coup comblée ? Ou bien alla-t-il instinctivement chercher un objet inaccessible qui ne pourrait le décevoir ? Ou bien la vie vint-elle réellement, comme il arrive, au devant de son imagination et lui présenta-t-elle son rêve authentiquement incarné ? » Ces allégations sont confirmées indirectement par l’intéressé lui-même : « C’était vraiment, c’est vraiment le seul être au monde qui eût pu me donner la paix et le repos » (à Jacques Rivière, 4 septembre 1913).

· La religion

Alain-Fournier, qui s’en était éloigné, revint au catholicisme après avoir lu des œuvres de Paul Claudel, notamment Le Partage de Midi (1906), dont le thème de la femme liée au mystère du monde le bouleversa. Il connut à 23 ans une période de grande ferveur religieuse, qu’allait favoriser son amitié avec Charles Péguy, dont il dit un jour dans une lettre à Jacques Rivière (3 janvier 1913) : « Il n’y a pas eu sans doute, depuis Dostoïevski, un homme qui soit aussi clairement homme de Dieu. » On verra plus loin l’intérêt de cette référence au romancier russe, qui fait de l’inconscient de ses personnages et de leur rapport à Dieu les moteurs principaux du récit.

3. ANALYSE DU ROMAN

Deux parties de longueur à peu près égale en encadrent une troisième, plus courte. Le chapitre final, destiné à compléter l’intrigue et sa portée, est très bref.

3.1. Première partie (17 chapitres, pp. 159-236, soit 78 pages sur 223 en tout, soit 35 % de l’ensemble)

A la fin du XIXe siècle, dans un calme village de Sologne situé près de Vierzon, Sainte-Agathe, le fils d’un couple d’instituteurs, François Seurel – le narrateur du récit –, un adolescent de quinze ans, fréquente le Cours supérieur, qui prépare au brevet d’instituteur. Il voue une admiration et une amitié sans bornes à Augustin Meaulnes, de deux ans son aîné, qui, un mois après la rentrée, a rejoint l’école, où il est devenu le pensionnaire de Madame et Monsieur Seurel en même temps que l’élève de ce dernier. La personnalité du « grand Meaulnes », comme tous l’appellent bientôt, fascine ses condisciples et vient briser toutes les accoutumances, car il est de la race des « solitaires, des chasseurs et des hommes d’aventures ».

Peu avant Noël, Meaulnes s’égare un soir dans le coin le plus désolé de Sologne et pénètre dans un domaine peuplé d’enfants et d’adolescents, vêtus d’habits somptueux ou déguisés, qui chantent et dansent et semblent faire la loi. Tous participent à un dîner fastueux donné en l’honneur d’un couple qui doit célébrer ses noces le lendemain : Frantz de Galais, le jeune châtelain, et sa mystérieuse fiancée, qu’il est allé chercher à Bourges. Dans une salle du château, Meaulnes découvre une demoiselle magnifique en train de jouer du piano devant quelques bambins. Le lendemain matin, il retrouve la pianiste et la suit dans une promenade en barque. Il lui dit son nom, et elle le sien : elle est Yvonne de Galais, la sœur de Frantz. Mais au retour de cette promenade, la fête s’interrompt prématurément, car la fiancée de Frantz ne viendra pas, au grand désespoir de celui-ci, qui s’enfuit en laissant ce bref message : «  Ma fiancée a disparu, me faisant dire qu'elle ne pouvait pas être ma femme ; qu’elle était une couturière, et non pas une princesse. […] Je m’en vais. Je n'ai plus envie de vivre […] ». Augustin, au moment où il part, entend un coup de feu et aperçoit un personnage de la fête déguisé en pierrot portant un corps dans ses bras. Ainsi la noce s’est-elle achevée avant même d’avoir commencé.

3.2. Deuxième partie (12 chapitres, pp. 239-290, soit 52 pages, soit un peu plus de 23 %)

Augustin, qui s’est perdu au retour, et François essaient de localiser le château et d’en trouver la route, mais sans y parvenir. Un nouvel élève de l’école, un jeune bohémien au front bandé, après avoir ravi à Meaulnes la carte qu'il a commencé à dresser, la lui restitue, complétée par ses soins. Il révèle, en ôtant son bandeau, qu’il est Frantz de Galais, « le fiancé du Domaine inconnu ». Il confie à Meaulnes que sa sœur est à Paris, lui donne une adresse et fait jurer aux deux amis, avant de disparaître, qu’ils lui viendront en aide au moindre appel.

Meaulnes part alors pour Paris, à la recherche d’Yvonne. Les trois lettres qu’il envoie à François Seurel resté à Sainte-Agathe, sont désespérées, car il n’est pas parvenu à retrouver la jeune fille.

3.3. Troisième partie (16 chapitres, pp. 293-377, soit 85 pages, soit un peu plus de 38 %)

Plus d'un an après le départ de son ami, François réussit à résoudre l’énigme en découvrant, au hasard d’une conversation au cours d’une promenade, le chemin du mystérieux château puis la demoiselle que Meaulnes a cherchée en vain à Paris et qui ne l’a pas oublié. Mais à cause des dettes de Frantz, tout, dans le domaine des Sablonnières, a été rasé ou vendu, sauf une petite maison et un vieux cheval, nommé Bélisaire. Pourtant, à l’instigation d’un oncle de François, Florentin, un commerçant, qui connaît M. de Galais et sa fille, une « partie de plaisir » est organisée au bord du Cher. Si Augustin a le bonheur de retrouver Yvonne à cette occasion, il n’en réalise pas moins que le passé ne peut renaître. Malgré sa mélancolie, le soir même il demande en mariage la jeune fille.

Le jour des noces, Frantz, désespéré de n’avoir pas retrouvé Valentine, sa fiancée perdue, réapparaît et vient rappeler à Meaulnes sa promesse en lui adressant l’appel convenu. Le jeune marié part le lendemain même, laissant Yvonne à la maison. Restée seule, celle-ci se lie d’amitié avec François, qui, nommé instituteur dans une école de campagne des environs, devient son confident et tente de la consoler.

Quelques mois plus tard, elle met au monde une petite fille, mais meurt le lendemain même d'une embolie, sans avoir revu Augustin. François découvre par la suite, parmi de vieux cahiers d’élèves, le journal intime de Meaulnes qui lui fournit des renseignements sur sa vie passée à Paris : en cherchant Yvonne, Augustin a rencontré une jeune fille, nommée Valentine Blondeau. Ils se sont aimés. Mais Meaulnes, découvrant par hasard, avec horreur, que Valentine était la fiancée de Frantz, de sorte que cet amour devenait impossible, a chassé sa compagne avec brutalité. Pris de remords, il a ensuite cherché à la retrouver, mais sans y parvenir, car elle avait disparu. Aussi est-ce peut-être pour expier sa faute, en réunissant les deux fiancés avant de consentir à son propre bonheur, qu’il a répondu sur-le-champ à l’appel de Frantz et quitté Yvonne sans la moindre hésitation, encouragé, il est vrai, par la jeune femme elle-même.

3.4. Épilogue (pp. 378-381, soit 4 pages, soit un peu moins de 2 %)

Un an plus tard, Meaulnes ramène Frantz et Valentine mariés, mais il a la douleur d’apprendre qu’Yvonne est morte en mettant au monde une petite fille. Lorsque Augustin prend l’enfant dans ses bras, François ne peut s’empêcher de songer avec mélancolie : « La seule joie que m’eût laissée le grand Meaulnes, je sentais bien qu’il était revenu pour me la prendre. Et déjà je l’imaginais, la nuit, enveloppant sa fille dans un manteau, et partant avec elle pour de nouvelles aventures ». C’est l’explicit, i. e. la fin du roman.

4. « L’IMAGINAIRE »  : UN ROMAN POUR ADOLESCENTS ?

4.1. Une interprétation « classique »

Cet aspect a paru assez puissant pour provoquer une sorte de spécialisation de l’ouvrage, que l’on a rapproché de romans tels que Le Pays où l’on n’arrive jamais (1955) d’André Dhôtel (1900-1991). Des remarques de l’écrivain lui-même ont pu y contribuer, par exemple cette confidence à Jacques Rivière : « De plus en plus mon livre est un roman d’aventures et de découvertes » (11 août 1910).

L’accueil immédiat de la critique a conforté cette interprétation, en privilégiant l’aspect idyllique du début par rapport à la fin du livre et à la révélation du « secret ». On s’étonne toutefois qu’un lecteur aussi perspicace qu’André Gide (1869-1951) soit venu cautionner à son tour cette lecture quelque vingt ans plus tard, en écrivant, dans son Journal, le 2 janvier 1933 : « Le Grand Meaulnes dont l’intérêt se dilue ; qui s’étale sur un trop grand nombre de pages et un trop long espace de temps ; de dessin quelque peu incertain et dont le plus exquis s’épuise dans les cent premières pages. Le reste du livre court après cette première impression virginale, cherche en vain à s’en ressaisir ». Et Gide de résumer son sentiment par une formule souvent citée : « une irressaisissable fraîcheur ».

4.2. Divers éléments caractéristiques d’une œuvre de ce type semblent militer en faveur d’un roman privilégiant l’aventure et « l’imaginaire »

· Le point de départ réaliste

Le grand critique Gustave Lanson (1857-1934), qui faisait autorité au début du siècle dernier, voyait dans Le Grand Meaulnes « un conte bleu qui prétend s’inscrire dans le réel ». Ce jugement paraît d’autant plus téméraire que l’auteur lui-même n’a pas hésité à écrire, le 9 septembre 1911 : « Tout ce que je raconte se passe quelque part ».

Effectivement, à première vue, on a l’impression d’avoir affaire à une chronique communale, dont le narrateur indique la situation géographique et le cadre, celui d’un village du Cher, Sainte-Agathe. Il évoque le bourg, l’école surtout, les environs (l’écrivain mélange des noms authentiques et des noms fictifs), et plus largement les gens, les paysages et les activités de la Sologne. Il fait en particulier vivre à nos yeux le monde des gamins du village, qu’ils soient du bourg même ou de la campagne environnante, avec leur organisation en bandes dirigées par leurs chefs accompagnés de leurs lieutenants et avec leurs habitudes. En 1912, Louis Pergaud (né en 1882 et mort à Verdun en 1915, prix Goncourt en 1910 pour son livre De Goupil à Margot), avait rendu célèbres ces bagarres de galopins dans La Guerre des boutons…

En somme, l’écrivain a utilisé ses souvenirs personnels, notamment d’écolier, sans pour autant s’enfermer dans un roman scolaire, puisque la nature est omniprésente, avec les joies de la campagne et l’attrait de leur découverte pour des jeunes. On notera à ce propos que les grandes personnes ne jouent qu’un rôle secondaire, qu’il s’agisse par exemple de la mère de Meaulnes, des parents de François ou encore des adultes qui assistent à la fête étrange et acceptent sans sourciller les fantaisies des petits participants. M. Seurel, lui-même, qui n’est pas dépourvu d’autorité, voire de sévérité, semble parfois, à mesure que l’on avance dans le récit, démuni devant les initiatives de ses élèves.

( Texte d’illustration n° 1 : 1ère partie, chap. I, « Le pensionnaire », pp.159-160 (« Il arriva chez nous un dimanche… j’imagine aujourd’hui notre arrivée »).

La première page d’un roman est toujours significative. D’emblée, ici, le narrateur nous donne des précisions sur sa vie avant l’arrivée de Meaulnes à Sainte-Agathe : l’enfant qu’il était, ses parents, leur profession, leur demeure et sa situation dans le bourg, les occupations de sa mère.

Par la suite, d’autres indications viendront à mesure compléter cette vision réaliste d’un village solognot, y compris après que l’arrivée du pensionnaire aura donné au récit une tournure nouvelle, annoncée déjà avec insistance. On peut se reporter, parmi bien des exemples, à la scène où Meaulnes, François et « le petit Coffin » se retrouvent dans la boutique du charron (1ère partie, chap. III, « Je fréquentais la boutique d’un vannier », pp. 170-171, « À quatre heures, dans la grande cour glacée… Puis le travail sourd et bruyant reprenait »).

· Les procédés de roman populaire

L’œuvre emprunte au roman populaire des procédés traditionnels et – il faut bien l’avouer – un peu faciles :

- la symétrie des couples d’amis (Augustin et François / Augustin et Frantz) ainsi que des couples d’amoureux (Augustin et Yvonne / Frantz et Valentine) ;

- l’antithèse des deux personnages féminins : Valentine Blondeau et Yvonne de Galais sont toutes deux belles, mais elles se différencient par la couleur de leur chevelure, foncée chez l’une, blonde chez l’autre, et de leur tenue, vêtements noirs chez l’une, « manteau marron » ou « robe de velours bleu sombre » chez l’autre, ainsi que par leur origine sociale et leur caractère, encore que l’on constate chez toutes deux une semblable appréhension devant le bonheur et l’amour ; on note le même contraste dans le rôle qu’elles sont appelées à jouer, puisque Augustin découvre l’amour avec Yvonne et, au-delà de l’amour, la souffrance et le mal de vivre avec Valentine ;

- les coups de théâtre, en l’occurrence l’identification tardive de personnages : Augustin reconnaît à la fois « le bohémien », Frantz, et « le pierrot de la fête », Ganache (2e partie, chap. VII, « Le bohémien enlève son bandeau », pp. 268-269), et il se rend compte beaucoup plus loin, à la lecture des lettres remises spontanément par Valentine, que la jeune fille n’est autre que la fiancée de Frantz de Galais (3e partie, chap. XV, « Le secret (suite) », pp. 371-372) ; on admettra toutefois sans peine que les personnages sont trop aveugles et les coïncidences trop visibles.

· Les thèmes sentimentaux symbolisant les expériences juvéniles

Les personnages découvrent d’abord l’amitié. C’est le cas, d’une part, d’Augustin et François, d’autre part, d’Augustin et Frantz, dans des conditions plus romanesques. L’amitié naît, chez Augustin et François dans la reconnaissance d’une différence qui fascine le plus jeune des deux adolescents, éperdu d’admiration, et, chez Augustin et Frantz, d’une ressemblance qui n’exclut pas une différence tout aussi fascinante aux yeux de Meaulnes.

( Texte d’illustration n° 2 : 1ère partie, chap. I, « Le pensionnaire », pp. 163-164 (« C’était un grand garçon de dix-sept ans… tenant par la main le grand gars nouveau venu et ne bronchant pas »).

L’apparition étonnante de Meaulnes séduit aussitôt François Seurel et scelle le début de leur amitié. La description à la nuit tombante du « grand garçon de dix-sept ans », qui se permet de tourner les règles imposées habituellement aux enfants et aux adolescents (il a en poche une boîte d’allumettes et met le feu, en attendant mieux, à deux fusées du 14 juillet « qui ne sont pas parties »), souligne son caractère extraordinaire.

Cette description s’accompagne de l’image symbolique de François « tenant par la main le nouveau venu et ne bronchant pas », ce qui traduit sa confiance immédiate en un être avec qui tout paraît désormais possible.

Ils ont aussi la révélation de l’amour : le roman présente deux histoires, en apparence parallèles, entre deux couples : Augustin et Yvonne, Frantz et Valentine. Mais cette symétrie sera bousculée par la rencontre fortuite d’Augustin et Valentine. Le coup de foudre d’Augustin pour Yvonne débouche sur un échec dramatique, dans la mesure où chacun d’eux révèle un caractère en opposition avec son apparence extérieure : malgré ses allures d’écolier paysan, Meaulnes se conduit comme un étudiant romantique, et la jeune femme aussi belle qu’une princesse de conte de fées manifeste un grand sens pratique et beaucoup d’humanité. De même tout semble opposer Frantz et Valentine, qu’il s’agisse de leur origine sociale ou de leur caractère, ce qui explique la fuite de la fiancée au moment où ses noces vont être célébrées.

( Texte d’illustration n° 3 : 1ère partie, chap. XV, « La rencontre », pp. 222-223 (« Meaulnes eut le temps d’apercevoir… une rafale glacée venait rappeler décembre aux invités de cette étrange fête »).

Cette première rencontre, dans le cadre d’une étrange fête qui se déroule en décembre, avec « la grande jeune fille » entrevue la veille donne l’occasion au narrateur d’esquisser un portrait d’Yvonne vue par Augustin. Trois traits s’imposent d’emblée : beauté, pureté et douceur, dont la gravité contraste avec la gaieté rieuse de la vieille dame.

Un autre portrait, comparable à quelques nuances près, sera fait par François au chap. II de la 3e partie, « Chez Florentin », p. 302.

Alain-Fournier mêle dans une certaine mesure ses propres souvenirs à ceux de son personnage. Il évoque des thèmes qui lui sont chers, puisqu’ils figurent dans ses poèmes, mais qu’il développait davantage dans ses ébauches de la 1ère partie du roman.

Paradoxalement c’est le couple d’Augustin et Valentine, pourtant promis à l’échec au bout de quelques mois à peine, qui paraît le mieux assorti. L’attirance réciproque des deux jeunes gens se double, il est vrai, de ressemblances marquées : origine sociale, tempérament, sentiment d’exil loin de leur province natale.

( Texte d’illustration n° 4 : 3e partie, chap. XV, Le secret (fin), pp. 368-369 (« 14 juin. –Lorsqu’il s’éveilla de grand matin… le chasseur et le paysan qu’était le grand Meaulnes »).

Meaulnes a conscience d’un bonheur que lui-même, à moins que ce soit le narrateur (« le journal était rédigé de façon si hachée, si informe, griffonné si hâtivement aussi, que j’ai dû reprendre moi-même et reconstituer toute cette partie de son histoire », p. 368), analyse ensuite.

Dans la simplicité d’un décor campagnard, il retrouve à son réveil la femme qu’il aime ; et Valentine se livre aussitôt à des besognes ménagères évoquant, non plus les deux chambres d’auberge où se passe la scène, mais un authentique foyer.

Une précision toutefois, dans la dernière phrase de l’extrait, jette une ombre sur cette atmosphère de sérénité : « avant son aventure mystérieuse ».

Un quatrième couple, pour autant que le mot soit approprié, est encore à prendre en considération : celui de François Seurel et Yvonne de Galais, dont la rencontre cette fois n’est imputable ni à l’étrange ni au hasard. Nous y reviendrons plus loin.

· L’attrait de l’inconnu et du mystère

Leur incursion se produit, d’abord, au niveau de l’intrigue. En effet la fugue involontaire de Meaulnes, qui se perd en chemin alors qu’il est parti, sans en demander l’autorisation, chercher les grands-parents de François Seurel à la gare de Vierzon, située à 15 km, et non à celle du village, à 3 km à peine, vient bouleverser la calme ordonnance initiale.

L’atmosphère des lieux et les bizarreries des personnages contribuent aussi au changement de tonalité.

( Texte d’illustration n° 5 : 1ère partie, chap. XIII, « La fête étrange », pp. 211-213 (« C’étaient des costumes de jeunes gens d’il y a longtemps… tout va disparaître dans un brusque éclat de lumière »).

Meaulnes s’est égaré dans la campagne et se retrouve dans un étrange domaine peuplé d’enfants et d’adolescents vêtus d’habits somptueux ou déguisés, qui participent à la fête et au dîner donnés en l’honneur de fiancés attendus pour le lendemain. Il a mis par-dessus sa blouse d’écolier un grand manteau orné d’un collet plissé et assiste à ces festivités avec étonnement, car tout lui apparaît comme une image renversée du monde habituel. Le film d’Albicocco abuse des effets visuels pendant toute la séquence…

L’extrait retenu établit un contraste entre « des rondes et des farandoles » bruyantes organisées par les grands et une « fête pour les petits enfants ». En effet, au hasard de sa déambulation, un calme tableau s’offre aux regards de Meaulnes : une jeune femme, vêtue d’un manteau marron (comme l’apparition du Cours-la-Reine…) et tournant le dos, joue « très doucement » au piano pour « six ou sept petits garçons et petites filles rangés comme sur une image ».

Sans s’étonner Meaulnes devient un des acteurs de cette paisible scène, car deux bambins grimpent sur ses genoux. Il s’absorbe alors dans une rêverie sentimentale prémonitoire, puisqu’il épousera la belle inconnue et que, le soir des noces, elle jouera du piano pour lui (3e partie, chap. IX, « Les gens heureux », p. 338-339), sans que pour autant ils retrouvent à cette occasion une semblable sérénité.

Le choix délibéré d’une certaine technique romanesque favorise l’effet recherché. Il a déjà été fait allusion aux coups de théâtre. Mais on peut prendre en compte d’autres éléments encore : ainsi le fait que le narrateur soit décentré par rapport à l’intrigue, ce qui entraîne des lacunes dans le récit, et qu’il soit confronté à des énigmes dont la solution n’est fournie que plus ou moins longtemps après.

5. « L’HUMAIN » : UN AUTRE REGARD SUR LE ROMAN

5.1. L’évolution d’Alain-Fournier pendant l’élaboration du livre

Pendant dix ans, Alain-Fournier a analysé avec une grande lucidité dans sa correspondance ses problèmes et son cheminement de romancier. Son travail de création a été intense, en particulier de 1910 à 1913. Tout dans son livre est donc mûrement réfléchi et obéit à un dessein concerté, contrairement à ce que semblait penser Gide. Non sans avoir par ailleurs fait à Jacques Rivière, le 2 septembre 1912, l’aveu que voici : « Je ne fais bien, je ne réussis que ce que je fais contre moi, en réaction contre mes tendances les plus chères, en remontant ma pente la plus chère », l’écrivain a noté lui-même les infléchissements de sa démarche, qu’il s’agisse de la forme ou de la signification du roman.

· Forme

C’est ainsi que pour son style, il semble hésiter jusqu’au moment où il dit avoir trouvé son « chemin de Damas », qui le conduit à adopter ce qu’il appelle « français de saint Matthieu ». On se rappelle que Matthieu, auteur d’un des quatre évangiles, dont le texte original en araméen a été perdu et dont il ne reste que la traduction en grec ancien procurée par l’apôtre lui-même, est considéré comme le plus simple, pour ainsi dire, et le plus accessible des quatre évangélistes ; son but, en effet, est tout bonnement de présenter Jésus comme le Messie et de convaincre ses lecteurs que tout ce qu’ils attendaient du Messie s’est réalisé en Jésus de Nazareth.

Alain-Fournier précise lui-même ce qu’il entend par là, en déclarant par ailleurs à sa sœur Isabelle : « Je me suis mis à écrire simplement, directement, comme une de mes lettres, par petits paragraphes serrés et voluptueux… »

· Signification

Et d’ajouter : « … une histoire assez simple qui pourrait être la mienne. J’ai plaqué toute cette abstraction et cette philosophie dont j’étais empêtré. Et le plus épatant, c’est qu’il y a tout quand même, tout moi et non pas seulement une de ses idées. »

En outre, cherchant à préciser le sens de l’aventure qu’il raconte, il répond le 7 juillet 1913 à Charles Péguy qui s’est dit déçu par le début du roman : « Le peu de volupté qu’il y a, le peu de lanterne magique, de fantasmagorie, de ballet russe et d’aventure anglaise est racheté par un si long regret, une si étroite peine ». Ajoutons que, par un étrange paradoxe, ce sont les responsables du drame, Frantz et Valentine, qui sont à la fin récompensés, ce qui accentue la tonalité pessimiste au dénouement.

5.2. Un assez pauvre roman d’aventures

· L’intrigue est à la fois statique et décevante.

Le grand Meaulnes est certes un héros auquel les jeunes lecteurs peuvent s’identifier. Mais on assiste à une dégradation des autres éléments du roman d’aventures : la carte volée puis restituée par Frantz se révèle inutile, le château est démoli, « la fête étrange » devient une « partie de plaisir », c’est-à-dire un banal pique-nique, la belle jeune femme meurt et le héros repart avec sa fille, abandonnant son ami à la solitude et à la mélancolie.

· On ne saurait parler de roman d’éducation

L’allusion à Robinson Crusoe que constitue le titre du chapitre III de la 1ère partie (« Je fréquentais la boutique d’un vannier ») ne doit pas faire illusion. Certes, grâce à la présence de Meaulnes, François change, guérit de sa coxalgie et s’émancipe. Mais son initiation reste incomplète : au lieu de se lancer à son tour dans l’aventure, il se contente d’en rêver, devenant prosaïquement instituteur, comme ses parents, à la fin du livre ; et le fait qu’il reste célibataire, si ce mot peut s’appliquer à un garçon encore fort jeune à la dernière page, donne l’impression qu’il prolonge de propos délibéré son adolescence.

L’évolution des autres personnages est tout aussi limitée, puisque Yvonne meurt prématurément et que Frantz et Valentine s’enferment dans un monde puéril, que symbolise à merveille leur maison de poupée, évoquée par deux fois (1ère partie, chap. XV, « La rencontre », p. 225, et 3e partie, chap. X, « La « maison de Frantz » », pp. 342-347, et plus particulièrement pp. 345-347).

· Deux passages soulignent l’échec de cette quête de l’idéal

Ils soulignent aussi le désenchantement qui en résulte, l’un sans détours, l’autre sous une forme symbolique.

( Texte d’illustration n° 6 : 3e partie, chap. VI, « La partie de plaisir (fin) », pp. 324-325 (« Ils parlèrent. Mais invariablement… et que rien d’autre ne peut intéresser ? »).

L’oncle Florentin avait déjà prévenu François : M. de Galais s’est ruiné à passer tous ses caprices d’enfant gâté à Frantz, le Domaine des Sablonnières a été vendu et « les acquéreurs, des chasseurs, ont fait abattre les vieux bâtiments pour agrandir leurs terrains de chasse. […] Les anciens possesseurs n’ont gardé qu’une petite maison d’un étage et la ferme. »

Augustin, malgré les efforts de François pour « faire diversion à la tristesse qui [les] gagn[e] tous trois », met au supplice son interlocutrice en la harcelant de questions qui soulignent la dégradation de la situation de cette famille d’aristocrates.

Cette scène à la tonalité mélancolique (« la fête étrange » est devenue une banale « partie de plaisir ») souligne d’abord les conséquences irréversibles du temps qui passe. La phrase clé est l’interrogation, douloureuse parce qu’elle appelle une réponse négative : « Mais le passé peut-il renaître ? »

La scène annonce, par ailleurs, le départ de Meaulnes après le mariage, quelle que soit au demeurant l’interprétation que l’on en fait. La dernière phrase de la page est, à cet égard, très explicite.

( Texte d’illustration n° 7 : 2e partie, chap. VII, « Le bohémien enlève son bandeau », pp. 268-269 (« Durant la seconde partie de sa pantomime… le fiancé du Domaine inconnu »).

Si l’on en croit une critique structuraliste, Marie Maclean, dans Le Jeu suprême, structure et thèmes dans Le Grand Meaulnes, José Corti, 1973, il s’agirait du point central et focal du roman.

La pantomime rompt, en effet, avec l’illusion qui a présidé à la première partie du récit, la fait basculer du côté de la réalité, à laquelle va en définitive accepter de se soumettre Frantz en ôtant le bandeau qui cache sur sa tempe la cicatrice due à sa tentative de suicide (1ère partie, chap. XVII, « La fête étrange (fin) », p. 235).

· On assiste à la dégradation des éléments du roman d’aventures

Elle peut être interprétée comme une marque de l’incapacité des jeunes à entrer dans le monde réel de leurs aînés. On reconnaît là le vieux thème des « illusions perdues », qui allait perdurer après le Romantisme. Les réflexions de François lorsqu’il dialogue avec Frantz (3e partie, chap. VIII, « L’appel de Frantz », pp. 334-335 (« Que voulez-vous ? » demande-t-il… Tant d’orgueil avait abouti à cela ! ») le résument en quelques paragraphes.

5.3. Un thème prégnant

· La culpabilité

Le lecteur attentif ne peut être insensible au « désespoir » de Meaulnes (ce mot et son antonyme « espoir » reviennent à plusieurs reprises au fil de la narration), qui empreint peu à peu l’intrigue à partir des missives envoyées à François (2e partie, chap. XII, « Les trois lettres de Meaulnes »), jusqu’à prendre la forme d’un sentiment pesant de culpabilité dans la troisième partie, entraînant chez le héros éponyme une véritable souffrance ou, pour reprendre le terme qu’il emploie lui-même, de la « détresse ». Fait étonnant en apparence et significatif en réalité : c’est en sanglotant qu’il demande Yvonne en mariage (fin du chapitre VI de la 3e partie, « La partie de plaisir (fin), p. 329).

La faute dont Meaulnes se sent assailli à la fin du roman apparaît d’une autre façon dans les ébauches de la 3e partie : lui-même et Valentine y sont présentés clairement comme amants et, dans l’optique de l’intrigue, ils commettent un authentique péché de chair, puisque Meaulnes non seulement trahit l’amitié de Frantz (et Valentine, de son côté, son amour pour ce dernier), mais encore se montre infidèle à Yvonne.

Or Alain-Fournier, tout en gardant l’essentiel des faits, a supprimé dans la version définitive tout ce qui pouvait laisser entendre des rapports charnels entre les deux jeunes gens, par conséquent l’origine sexuelle de la faute. Des raisons extérieures ont donc fait place à des raisons intérieures, de sorte que « la culpabilité se distingue […] d’une faute purement ponctuelle pour surgir des tourbillons abyssaux de l’inconscient humain » (Daniel Leuwers, op. cité, « Introduction générale », « Le Grand Meaulnes aujourd’hui », p. XXI). Un passage du livre est à cet égard très éclairant, car il fait percevoir les forces inconscientes contradictoires qui meuvent le héros, au moment où il essaie de retrouver Valentine dans le quartier de la cathédrale de Bourges, où la jeune fille habitait avant d’être chassée par son père.

( Texte d’illustration n° 8 : 3e partie, chap. XVI, « Le secret (fin) », pp. 374-376 (« 25 août. – De l’autre côté de Bourges… était justement celle-là qu’il venait d’envoyer à sa perte »).

On raconte que Péguy aurait dit, en lisant ce chapitre au ton amer, voire désespéré : « C’est ainsi que souffrent les damnés ». De fait la tonalité d’ensemble est plus douloureuse même que la scène où François Seurel porte dans ses bras le cadavre d’Yvonne.

La déambulation de Meaulnes à la recherche de Valentine prend la forme d’une quête dégradée, qui n’a plus rien à voir avec la recherche fiévreuse et passionnée d’Yvonne de Galais.

Le chapitre est bâti sur des oppositions symboliques entre le passé et le présent, entre la ville et la campagne, entre la cathédrale de Bourges, emblématique de l’idéalisation qui imprègne le roman, et les rues voisines, où tout renvoie à la prostitution : « l’enseigne d’une maison louche, une lanterne rouge… » L’allusion à « de belles âmes » n’est que fugitive. La conversation des officiers au café est semée de détails sordides. Les femmes que croise Meaulnes sont des filles effrontées et faciles, « une misérable fille » ou encore « une salle fille poudrée » « traînant deux enfants en guenilles ». La coiffure de l’une d’entre elles, dont « les rares cheveux blonds étaient tirés en arrière par un faux chignon », évoque d’une manière pitoyablement dérisoire celle d’Yvonne.

En proie à des sentiments contradictoires (cf. la fin du 1er § du chapitre, p. 374), Meaulnes a le sentiment d’avoir envoyé Valentine à sa perte. On comprend mieux, dès lors, la phrase de la p. 377 : « Alors avaient commencé le remords, le regret et la peine […]. »

On remarquera qu’Augustin cherche à faire expier sa propre faute à Valentine et qu’il la transforme en bouc émissaire de son idéalisme. « La faute suprême de Meaulnes, c’est peut-être son incapacité à aimer vraiment et sa tendance à opérer de furtifs et insidieux glissements ou transferts de responsabilité » (Daniel Leuwers, ibid., p. XXIX). À cet égard, il est loin d’être le pur héros qu’une lecture superficielle laisse entrevoir, puisqu’il se montre cruel tour à tour avec les deux femmes qui lui ont inspiré de l’amour.

Dans cette optique, il y aurait aussi beaucoup à dire aussi sur le comportement et les motivations de Frantz, qui, après avoir d’une certaine façon jeté Valentine dans les bras de Meaulnes, arrache ce dernier à Yvonne – qui est, rappelons-le, la sœur de Frantz – le lendemain même des noces.

· Essai d’interprétation

Une double piste de lecture, assez convaincante, nous est proposée par Daniel Leuwers (ibid., p. XXIX) : « La faute de Meaulnes, c’est de se décharger sur l’autre d’un sentiment de culpabilité qui est dostoïevskien et aussi quelque peu chrétien ».

Si l’on a du mal, d’une façon générale, à découvrir les sources littéraires du roman, une influence de Dostoïevski (1821-1881) est tout à fait envisageable. Alain‑Fournier avait lu son illustre prédécesseur, et l’on sait même qu’il assista en 1911 au Théâtre des Arts, à Paris, à une représentation des Frères Karamazov (1879-80), dans une adaptation théâtrale de Jacques Copeau et Jean Croué, avec Jacques Copeau lui-même, Charles Dullin et Louis Jouvet, qui obtint un grand succès. À moins que notre auteur ne s’inspire d’une thématique plus largement dostoïevskienne, l’ouvrage dont on perçoit de possibles échos dans Le Grand Meaulnes est la nouvelle intitulée Mémoires écrits dans un souterrain. Dostoïevski y met en scène, sous la forme d’un monologue, un personnage égoïste, méchant, voire sadique, et jaloux de sa liberté, qu’il veut totale. Cet homme passe au crible ses moindres faits et gestes. Dans la seconde partie du livre, il se rend dans une maison close avec quelques camarades. En butte à leurs avanies, parce qu’il est, faute d’argent, leur invité, il s’en venge en jouant au moraliste devant Lise, sa compagne d’un soir, à qui il vante les joies d’une vie pure et honnête. Il lui donne même son adresse afin qu’elle puisse le retrouver, si jamais elle cherchait un jour à se racheter. Quelque temps après, la jeune femme se rend effectivement chez lui. Mais il la reçoit avec brutalité. La jeune prostituée, d’abord choquée par la muflerie de son interlocuteur, se rend compte que cette attitude masque une cruelle souffrance intérieure, et, dans un émouvant geste d’amour, elle s’offre à lui. L’homme se sent pris de remords, mais il est en même temps embarrassé par ce sentiment vrai, parce qu’il est victime de son éducation livresque, qui l’amène à construire sa vie comme un roman dont il imagine par avance les péripéties. Aussi refuse-t-il l’amour désintéressé de Lise et la chasse-t-il en lui glissant dans la main – suprême humiliation ! – un billet de cinq roubles. La jeune femme part en pleurs et elle abandonne sur place cette somme, apparemment très importante à l’époque. Son persécuteur, quand il s’en rend compte, se lance à sa recherche, mais en vain, car il ne parvient pas à la retrouver. D’une façon générale, Alain-Fournier a dû être sensible à l’art avec lequel le romancier russe révèle, au-delà de l’apparente incohérence des situations, une parfaite logique de ce que l’on appellerait bientôt l’inconscient.

Nous avons déjà noté, par ailleurs, l’importance croissante de la foi chez Alain-Fournier, lorsque nous avons évoqué son admiration pour Paul Claudel et surtout l’amitié qui, dans les dernières années de sa courte vie, l’unit à Charles Péguy. Deux extraits, parmi d’autres, mettent en lumière l’influence du christianisme sur l’écrivain. Le premier, emprunté au roman, se trouve à la fin de la troisième lettre d’Augustin à François (2e partie, chap. XII, « Les trois lettres de Meaulnes », p. 289) : « Notre aventure est finie. L’hiver de cette année est mort comme la tombe. Peut-être quand nous mourrons, peut-être la mort seule nous donnera la clef et la suite et la fin de cette aventure manquée ». Le second, tiré de la correspondance, figure dans une lettre adressée à Jacques Rivière le 4 avril 1910 : « Meaulnes, le grand Meaulnes, le héros de mon livre, est un homme dont l’enfance fut trop belle. Pendant toute son adolescence, il la traîne après lui. Par instants, il semble que tout ce paradis imaginaire qui fut le monde de son enfance va surgir au bout de ses aventures, ou se lever sur un de ses gestes… Mais il sait déjà que ce paradis ne peut plus être. Il a renoncé au bonheur. Il est dans le monde comme quelqu’un qui va s’en aller. C’est là le secret de sa cruauté. Il découvre la trame et révèle la supercherie de tous les petits paradis qui s’offraient à lui. Et le jour où le bonheur indéniable, inéluctable, se dresse devant lui, et appuie contre le sien son visage humain, le grand Meaulnes s’enfuit, non point par héroïsme, mais par terreur, parce qu’il sait que la véritable joie n’est pas de ce monde ».

Mais un autre problème encore mérite d’être pris en compte. Les personnages du roman aux prises avec leur adolescence signifient un même échec devant la vie. Quand on considère, en lisant sa correspondance, combien l’écrivain s’est investi dans cette œuvre (« Dans ce livre, dit-il un jour, il y a tout moi »), il n’est pas interdit de penser que ces personnages incarnent différentes tendances de sa personnalité, et Meaulnes plus encore que les autres. En effet, comme celui qu’il qualifia un jour de « grand ange cruel », Alain-Fournier paraît avoir connu une sexualité tourmentée, qu’elle fût douloureusement assumée ou sublimée. « Seules les femmes qui m’ont aimé, confiait-il à Jacques Rivière le 28 septembre 1910, peuvent savoir à quel point je suis cruel ». On retrouve ici un mécanisme psychologique bien connu : en dénigrant la femme qui offre le plaisir, l’homme peut, avec mauvaise foi, se maintenir dans un système de valeurs où la pureté tient le premier rôle. Jacques Rivière décrit avec lucidité ce comportement de son ami dans sa préface à Miracles : « Il les (= les femmes) appelait, les invitait, mais aussitôt leur prescrivait mentalement un certain angle sous lequel elles avaient à entrer dans sa vie, un certain rôle qu’elles devaient y jouer. Et à la moindre faute qu’elles commettaient, au moindre lapsus, il les accablait de reproches, leur racontait méchamment, en détail, tout ce en quoi elles étaient défaillantes à son idéal ». Cette analyse rejoint une confidence de l’écrivain à sa mère : « … peut-être que mon âme tient trop de place pour jamais endurer auprès d’elle une compagne », ou encore cette autre remarque : « c’est près d’elles (= les femmes) que j’ai senti le plus lourdement mon âme peser ». Dans cette optique, la naissance de la fille d’Augustin et Yvonne préserve cette soif de pureté de l’écrivain, car il s’en faut de peu qu’elle ne relève d’une parthénogénèse, Frantz étant venu troubler la nuit de noces pour rappeler à son ami sa promesse.

Comme pour toute grande œuvre, par définition polysémique, cette interprétation n’est évidemment pas la seule. Une autre piste intéressante nous est fournie par Clément Borgal dans son Alain-Fournier, publié aux Éditions Universitaires en 1955. Selon ce critique, Meaulnes, au plus ardent de sa passion, conçoit le pressentiment qu’Yvonne n’est pas la créature exceptionnelle dont son exaltation lui a présenté l’image, mais une jeune fille comme les autres, qui ne lui apportera pas tout ce qu’il attend d’elle. C’est la raison pour laquelle il ne la recherche pas pendant toute « la partie de plaisir ». Yvonne en est consciente : « Il n’est pas heureux… », soupire-t-elle quand elle retrouve Augustin, et elle ajoute : « Peut-être que je ne peux rien faire pour lui ?... » Parce qu’au sein même de sa passion il a douté de son objet, le grand Meaulnes est devenu aussitôt indigne de son amour. Il a commis un péché de pensée et s’est rendu coupable de la mystérieuse faute contre l’esprit, dont l’Évangile dit que seule elle n’obtiendra pas le pardon. Comme on le voit, cette lecture de l’œuvre rejoint, mais d’une autre façon, la précédente.

Mais tel autre critique, Yves Rey-Herme, dans Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, Classiques Hachette, « Lire aujourd’hui », 1972, considère au contraire que « l’amoureux du réel qu’était Alain-Fournier ne pouvait faire de son héros « un idéaliste déçu par la réalité ». Augustin, ayant retrouvé Yvonne, n’a pas un instant de déception, c’est toujours pour lui l’image, la réalité du bonheur. Seulement, comme l’écrira Albert Camus, « il y a de la honte à être heureux tout seul », et, ce qu’Augustin refuse, c’est de laisser dans le malheur des êtres qui ont eu confiance en lui : Frantz et Valentine. »

On se gardera, en tout cas, de toute interprétation catégorique et simplificatrice, comme celle de l’auteur de l’article Le Grand Meaulnes dans le Dictionnaire des œuvres Laffont-Bompiani, Robert Laffont, « Bouquins », 1981 : « Le symbole est ici assez transparent : il existe un point de félicité qui, une fois atteint, ne le sera plus jamais. Le grand Meaulnes est poursuivi par le rêve d’un bonheur qui le rend désormais inapte à tous les autres. L’absolu de son désir fait de lui un séparé, incapable de trouver la paix et le contentement dans un être fini. »

6. AVENTURE OU SOUVENIR : QUEL HÉROS DU ROMAN ?

L’oscillation du roman entre « imaginaire » et « humain » lui confère une complexité bien plus grande que ne le supposaient les premiers lecteurs. Une autre oscillation, tout aussi importante, est à noter, entre aventure et souvenir, puisque le livre est bâti autour de deux personnages en contraste : Augustin Meaulnes et François Seurel.

· La tentation de l’aventure

Sous l’influence d’Augustin, qui sert de substitut de frère aîné à l’enfant unique qu’il est, François épouse les rêves d’aventure de son ami et l’aide avec passion dans sa quête.

On note toutefois une évolution dans son comportement, d’abord passif, ensuite actif. Un passage de la deuxième partie du roman témoigne d’une nette volonté d’émancipation :

( Texte d’illustration n° 9 : 2e partie, chap. IX, « A la recherche du sentier perdu », pp. 275-276 (« La merveilleuse promenade !... et je n’ai rien trouvé »).

M. Seurel est parti avec « ce traître de Mouchebœuf » à la recherche de ses élèves, qui, alors qu’ils devraient préparer activement le Certificat d’Études Supérieures ou le concours de l’École Normale, sont allés dénicher des oiseaux. Il a chargé François « de suivre la lisière Est du bois pour le cas où les écoliers fugitifs chercheraient à s’échapper de ce côté-là ».

François peut pour la première fois marcher, au propre et au figuré, sur les traces de son ami et s’imaginer qu’il tente la même aventure. Sa « merveilleuse promenade » l’« enivre » tant que son récit prend une tournure résolument lyrique. À cet égard la page caractérise bien l’originalité d’un écrivain qui est aussi poète, parce que, pour reprendre la remarque de Jacques Rivière, « il rend à toutes les choses leur dose latente de merveilleux ».

Pourtant la fin de la page contraste par son prosaïsme (un simple pré à l’extrémité des Communaux, des piles de bois, la maison du garde, des paires de bas en train de sécher) avec l’atmosphère de conte de fées des paragraphes précédents, dont témoigne la référence au rossignol et au « prince harassé de fatigue » parce qu’il cherche en vain un chemin secret. Elle annonce peut-être les désillusions qui attendent les deux jeunes protagonistes.

D’ailleurs, François, témoin discret au départ, prend conscience du changement qui s’opère en lui, lorsqu’il découvre incidemment « le chemin du Domaine sans nom » : « Autant, dit-il, j’avais été un enfant malheureux et rêveur et fermé, autant je devins résolu et, comme on dit chez nous, « décidé », lorsque je sentis que dépendait de moi l’issue de cette grave aventure. Ce fut, je crois bien, à dater de ce soir-là que mon genou cessa définitivement de me faire mal. » (3e partie, chap. II, « Chez Florentin », p. 298).

Mais cette soif d’aventure ne doit pas faire illusion. Qu’on songe à cette réflexion du narrateur, lorsque, Meaulnes ayant quitté l’école et le village pour se rendre à Paris à la recherche d’Yvonne de Galais, lui-même recouvre son indépendance : « Chose étrange : à cet ennui qui me désolait se mêlait comme une sensation de liberté. Meaulnes parti, toute cette aventure terminée et manquée, il me semblait que j’étais libéré de cet étrange souci, de cette occupation mystérieuse, qui ne me permettaient plus d’agir comme tout le monde. Meaulnes parti, je n’étais plus son compagnon d’aventures, le frère de ce chasseur de pistes ; je redevenais un gamin du bourg pareil aux autres. » (2e partie, chap. XI, « Je trahis… », p. 282). Le prosaïsme semble alors l’emporter sur le rêve.

· La tentation de l’amour

François ne saurait être insensible à la beauté et au charme de la femme dont l’être qu’il admire le plus est amoureux. On s’en rend compte lorsqu’il décrit à son tour Yvonne, au moment où elle arrive chez l’oncle Florentin.

( Texte d’illustration n° 10 : 3e partie, chap. II, « Chez Florentin », p. 302 (« Quelques secondes après… m’engageait à lui parler »).

C’est la première fois que François se trouve en présence de l’héroïne. Malgré l’étrangeté de son équipage, Yvonne soulève l’admiration du jeune homme, dont l’émotion est si grande qu’il ne lui adressera la parole que sur les instances d’une des filles de son oncle Florentin, sa cousine Marie-Louise, pour qui la nouvelle venue n’est qu’une cliente comme les autres…

On remarquera ce qu’une telle description doit à l’époque. La faiblesse de cette beauté que l’on pouvait croire impérissable renvoie à un thème souvent exploité par les Romantiques et, après eux, par les Symbolistes. D’autre part, l’insistance de l’écrivain à évoquer les vêtements de l’héroïne, qui répondent aux critères d’une mode que l’influence des ballets russes n’a pas encore libérée (« Son costume lui faisait la taille si mince qu’elle semblait fragile »), témoigne d’une de ses hantises : il ne peut se figurer et aimer le corps féminin que vêtu, par protestation contre le nudisme paganisant prôné par certains de ses contemporains, tels que Pierre Louÿs (1870-1925), auteur libertin de poèmes en prose, de romans et de contes. On peut se reporter à ce sujet au texte intitulé Le Corps de la femme, qui fait partie de Miracles.

L’évocation est toutefois plus approfondie et plus réaliste que celle faite précédemment par Meaulnes, à la fois en raison de la supériorité du narrateur, capable de prendre du recul a posteriori, et parce que ce portrait est aussi destiné à laisser présager la mort brutale de l’héroïne après son accouchement.

Le départ de Meaulnes au lendemain des noces rend possible un rapprochement entre Yvonne et François, devenu le confident de l’épouse esseulée. Amitié, amitié amoureuse ou amour ? Il est impossible de répondre de façon catégorique à cette question. Notons toutefois que dans l’ébauche du chapitre, appelé initialement, non « Le fardeau », mais « La mort », Alain-Fournier avait mis en exergue un vers célèbre de Baudelaire : « Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais » (Les Fleurs du Mal, « Tableaux parisiens », « À une passante »), et qu’il avait même écrit au crayon : « Yvonne – je t’aimais aussi. Je ne te l’ai pas dit / Je ne voulais pas te le dire / Tu ne l’as pas deviné – Tu ne le sauras jamais ». Une chose est sûre, en tout cas : dans la version définitive, l’émouvante évocation de la descente du corps de la jeune morte dans un escalier trop étroit pour le passage de son cercueil fait songer à une étreinte, suggérée au demeurant avec une infinie délicatesse.

( Texte d’illustration n° 11 : 3e partie, chap. XII, « Le fardeau », p. 358 (« L’enterrement est pour midi… jeune femme tant cherchée – tant aimée »).

Yvonne est morte la veille de la rentrée des classes, et c’est un élève qui a annoncé la triste nouvelle à François, son maître d’école. Le jeune homme est partagé entre douleur et révolte. « Nous avions retrouvé, pense-t-il, la belle jeune fille. Nous l’avions conquise. Elle était la femme de mon compagnon et moi je l’aimais de cette amitié profonde et secrète qui ne se dit jamais ». La détresse du vieux M. de Galais rend la scène encore plus émouvante.

Une fois de plus François, transformé depuis le départ d’Augustin, fait preuve d’initiative en prenant le parti de descendre le corps dans ses bras en raison de l’exiguïté des lieux. Il serre la jeune morte dans ses bras, contre sa poitrine et son cœur (ce mot est employé par deux fois) et respire inévitablement l’odeur de ses cheveux blonds. Malgré ce qu’il a dit à la page précédente (« Je la regardais, et j’étais content, comme un petit enfant. J’aurais un jour peut-être épousé une autre jeune fille, et c’est à elle la première que j’aurais confié la grande nouvelle secrète… »), on est en droit de se demander s’il ne reprend pas à son compte sans en avoir conscience les tout derniers mots du chapitre : « Yvonne de Galais, jeune femme tant cherchée – tant aimée… »

· Une aventure d’un autre type : l’écriture

Si l’aventure et l’amour peuvent n’apparaître, le concernant, que comme des tentations avortées, François affirme une réelle originalité en narrant l’aventure du grand Meaulnes et en fournissant par deux fois les documents qui permettent de la compléter, à savoir les trois lettres (2e partie, chap. XII) et « le cahier de devoirs mensuels » où Augustin a consigné son journal (3e partie, chap. XIII) et révélé « Le secret » (3e partie, chap. XIV-XVI).

D’abord parce qu’il ancre son récit dans la réalité d’un temps et d’un pays. Alors que Meaulnes s’enferme dans ses fantasmes amoureux et ses remords, François reste sensible au charme de sa province et à la vie de ses habitants. De plus la narration à la première personne donne une allure autobiographique au récit. En évoquant indirectement sa propre enfance, Alain-Fournier s’inscrit dans une tradition littéraire qui, partant de Gérard de Nerval, aboutit à des écrivains de son époque, tels que le poète béarnais Francis Jammes (1868-1938) ou la romancière solognote Marguerite Audoux (1863-1937), qu’il se plaisait à lire avec Jeanne Blondeau rue Chanoinesse au temps de leur liaison.

Ensuite parce que la seule aventure qui soit vraiment à sa portée est celle de l’écriture. N’est-ce pas ainsi que l’on pourrait comprendre la formule empreinte de modestie d’Alain-Fournier : « une histoire assez simple qui pourrait être la mienne » (celle que j’ai vécue ou que j’ai écrite) ? Un rapprochement paraît militer en faveur d’une telle interprétation : campant, à la même époque, dans Du côté de chez Swann, premier volume, publié lui aussi en 1913, de À la recherche du temps perdu, un narrateur au caractère comparable à celui du Grand Meaulnes, Marcel Proust en fait un véritable écrivain, à qui de surcroît l’écriture tient lieu de revanche.

Dans cette optique, malgré le titre retenu par Alain-Fournier, le réalisme l’emporte sur le merveilleux, le souvenir sur l’aventure, au point que, tout bien pesé, l’évocation du « domaine mystérieux » elle-même est aussi précise que celle de Sainte-Agathe ; et, prenant le pas sur le grand Meaulnes, François apparaît comme le véritable héros du roman.

7. CONCLUSION

· Ce ne sont là que quelques pistes, dont chacun pourra vérifier sur pièces la validité, en lisant ou en relisant l’ouvrage et en s’émancipant de la lecture aujourd’hui proposée, forcément subjective lors même qu’elle procède d’une volonté sincère d’objectivité.

· Au-delà d’une aventure compliquée à l’excès, Le Grand Meaulnes est, en toute hypothèse, un livre bien moins simple qu’on ne le pense parfois. Même si l’on s’en tient à l’aspect le plus évident de l’intrigue, il est plus pertinent de parler à son propos de roman de l’adolescence que de roman pour adolescents.

· Mais cette œuvre va beaucoup plus loin, dans la mesure où elle soulève des problèmes existentiels qui se posent à chacun de nous, qu’il s’agisse de la conduite de notre pensée et de notre existence ou de nos rapports avec les autres êtres. Aussi n’est-il pas exagéré de parler à son propos de « livre de vie », comme on le ferait, par exemple, du Neveu de Rameau (1762) de Diderot ou de Sylvie (1854) de Nerval.

· Le Grand Meaulnes nous rappelle en outre, d’un point de vue littéraire, un problème fondamental auquel se sont efforcés de répondre certains écrivains : faut-il privilégier la vie ou l’écriture, le bonheur personnel ou celui de créer ?

· Même si la lecture qu’il en faisait, pour des raisons faciles à circonscrire, était nécessairement différente de la nôtre, Alain-Fournier était à coup sûr conscient de la richesse de son roman, mûri pendant tant d’années. Aussi est-ce à lui qu’il convient de laisser le mot de la fin, que l’on en partage ou non l’inspiration idéaliste : « Je continue à imaginer mon livre comme la plus merveilleuse petite histoire qui ait jamais excité les enfants sages et secrets ; mais on y sentira par instants un effroi comme de la mort, un calme et un silence épouvantables comme l’homme abandonné soudain de son corps au bord du Monde mystérieux. »

( Pour approfondir l’étude de l’œuvre et de l’écrivain, on consultera avec profit le site télématique de l’AJRAF (Association des amis de Jacques Rivière et Alain-Fournier), qui fournit des documents, édite un « Bulletin » et propose une bibliographie consacrée à l’œuvre des deux écrivains et régulièrement mise à jour.

Alain ATTALI

Inspecteur général honoraire de l’Éducation Nationale

� Il a été réalisé en novembre 1999 par l’Institut de sondages CSA pour Le Parisien-Aujourd’hui et la Cinquième.

� La collection représente 13 % du chiffre d’affaires de l’édition française, soit 280 millions d’euros et un livre sur trois vendus. Elle est aujourd'hui éditée par la Librairie Générale Française, société anonyme dont le capital est détenu à 80 % par Hachette-Livre et à hauteur de 20 % par les éditions Albin Michel.

� J’ai aussi vu incidemment mentionné sur internet un opéra en langue anglaise qui s’inspirerait du roman, Le Domaine mystérieux, mais je ne suis pas parvenu à en retrouver la trace. Il existe enfin – ce qui n’est pas si fréquent – un timbre-poste commémorant Le Grand Meaulnes, qui a été émis en octobre1986 et où figure un paysage typique de Sologne.

� Isabelle Rivière (1889-1971), à qui le roman fut dédié, est la sœur de l’écrivain, sa cadette de trois ans. Elle épouse en 1909 Jacques Rivière, ami intime d’Henri. Après la guerre, elle devient la collaboratrice discrète de son mari, directeur de La Nouvelle Revue Française, périodique littéraire vite célèbre, à la fondation duquel il a participé (1919-1925). Le décès prématuré de Jacques Rivière, d’une typhoïde mal diagnostiquée, le 14 février 1925, laisse la jeune femme très démunie avec ses deux enfants. Elle obtient un poste de professeure à l’Alliance française de Paris, mais n’en poursuit pas moins avec courage un immense travail de classement et de publication des écrits de son frère et de son mari, en particulier de leur importante correspondance, parue en 1928. Ses deux enfants étant entrés dans les ordres, elle se retire dans sa maison languedocienne de Dourgne dans le Tarn, au pied de la Montagne Noire, où elle poursuit, des années durant, son travail éditorial et où elle accueille chaleureusement des chercheurs, des universitaires et des étudiants venus de nombreux pays. Elle meurt en 1971, à l’âge de quatre-vingt deux ans. Pendant sa longue vie, Isabelle Rivière a entretenu une vaste correspondance avec de nombreux amis et publié divers ouvrages, en particulier la première biographie de son frère.

� Ce réalisateur français (1936-2001) a tourné aussi La Fille aux yeux d’or et Le Rat d’Amérique. Sa virtuosité technique et sa profusion d’effets visuels l’ont fait accuser d’affectation par certains critiques cinématographiques, dont les plus virulents sont allés jusqu’à qualifier son esthétisme de « rude épreuve pour les rétines »… Son film consacré au roman d’Alain-Fournier, malgré ses qualités, laisse le spectateur sur des impressions mêlées. Il est en tout cas difficile à suivre pour qui n’a pas lu le livre.

� Une co-production Mosca Films et France 3 Cinéma, déjà préachetée par Canal +.

� Qui donne son nom au roman.

� Marc Elder (1884 -1933), de son vrai nom Marcel Tendron, était issu d'une vieille famille nantaise. Quand il obtint le Prix Goncourt en  1913 pour Le Peuple de la mer, il n’avait que vingt-huit ans. Une polémique s'ensuivit tendant à le déconsidérer. Le Peuple de la mer  met en scène avec réalisme les mœurs des pêcheurs et du petit peuple de Noirmoutier. Marc Elder est aussi l'auteur d'ouvrages où il célèbre Nantes. Il fut en outre le conservateur du château des ducs de Bretagne dans cette ville. Sa modestie, jointe à la « claustration » que lui imposa la maladie, est, semble-t-il, responsable de la discrétion dont son œuvre fut l'objet de son vivant. Sa région, du moins, ne l’a pas oublié : une école de Bourgneuf-en-Retz porte aujourd’hui son nom.

� Un jeune homme, à la recherche d’un cœur pur où reposer le tumulte de ses aspirations insatisfaites, tombe amoureux successivement de trois sœurs, Laurence, Colombe, qu’il va jusqu’à enlever, et Émilie.

� On appelle ainsi le concours d’entrée à l’École Navale, du nom d’un mathématicien, physicien et marin français du XVIIIe siècle, Jean Charles de Borda.

� Alain-Fournier, après avoir accompli toutes ses études primaires dans la classe de son père en Sologne, a suivi un cursus secondaire plus compliqué : il a été tour à tour élève du lycée Voltaire à Paris, de la 6e à la 4e, des lycées de Brest puis de Bourges, de la seconde au baccalauréat, et enfin des lycées Lakanal puis Louis-le-Grand, en classes préparatoires aux grandes écoles. Le lycée de Bourges porte aujourd’hui le nom de l’écrivain comme un certain nombre d’écoles primaires, collèges et lycées professionnels (par exemple à Paris, Clamart, Orsay, Orléans, Verdun, Toulouse, Alban (Tarn), pour ne citer que ceux que je connais).

� Classe préparatoire de seconde année à l’École Normale Supérieure.

� C’est en khâgne, au Lycée Lakanal, à Sceaux, près de Paris, que les deux jeunes gens s’étaient rencontrés. Jacques était originaire de Bordeaux, où son père exerçait la profession de médecin.

� Peintre et critique d’art, théoricien du cubisme (1885-1962).

� L’histoire dure quatre années en tout. Elle débute à la fin du XIXe siècle (cf. l’incipit, i. e. le début du roman, p. 159 : « Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189… »). Le brouillon de la première page était plus explicite, car il mentionnait « 1891 », date qui correspond exactement à l’arrivée de la famille Fournier à Épineuil-le-Fleuriel. Le 1er chapitre indique l’âge initial de François, quinze ans, et celui d’Augustin, « dix-sept ans environ ». Par conséquent à la fin du roman les deux amis sont encore très jeunes, puisqu’ils n’ont respectivement que dix-neuf et vingt et un ans.

� Ce nom de village imaginaire a été emprunté par l’écrivain à une colline située à quelques kilomètres d’Épineuil et surmontée d’une chapelle, où avait lieu à l’époque un pèlerinage local.

� Ce terme est d’Alain-Fournier, qui l’oppose à ce qu’il nomme « l’humain ».

� Cette expression désigne une illumination qui transforme subitement nos idées. Elle renvoie à la vision qu’eut saint Paul, persécuteur des chrétiens, alors qu’il se rendait dans cette ville de Syrie, et à la suite de laquelle il se convertit au christianisme. La succession de deux figures à tonalité religieuse n’est pas dénuée d’intérêt.

� Au sens de « Bildungsroman », concept de la critique littéraire allemande repris par la nôtre. On dit aussi « roman d’apprentissage ». Les exemples sont nombreux, et dans une tonalité à mesure plus pessimiste, de Balzac à Maupassant, en passant par Stendhal et Flaubert.

� Il s’agit d’une citation du célèbre et authentique roman d’éducation publié en 1719 par Daniel de Foe (1660-1731).

� La coxalgie est une inflammation invalidante de la hanche, d’origine tuberculeuse.

� Un thème riche de sens et qui s’impose à l’esprit du lecteur.

� Cf. la conversation des deux vieilles femmes venues assister à la noce (1ère partie, chap. XIV, « La fête étrange (suite) », p. 217) : « Personne d’autre que Frantz n’avait vu la jeune fille. Lui-même, en revenant de Toulon, l’avait rencontrée un soir, désolée, dans un de ces jardins de Bourges qu’on appelle les Marais. Son père, un tisserand, l’avait chassée de chez lui. Elle était fort jolie et Frantz avait décidé aussitôt de l’épouser. »

� Le plus connu des deux est Jacques Copeau (1879-1949), acteur et directeur de théâtre, notamment du Vieux-Colombier, considéré comme le rénovateur de la scène française au début du XXe siècle. C’est sans doute Jean Vilar (1912-1971), qui n’a pourtant jamais travaillé avec lui, qui s’est montré le plus fidèle à sa rigueur ascétique dans ses spectacles du Palais de Chaillot et d’Avignon.

� Cette nouvelle, publiée en 1864, eut peu de succès du vivant de l’écrivain. Il fallut attendre le XXe siècle pour que les critiques lui accordent une place de choix dans l’ensemble de l’œuvre. Son titre témoigne d’une curieuse hésitation de la part des traducteurs français : Mémoires écrits dans un souterrain, La Voix souterraine, L’Esprit souterrain, Dans mon souterrain… Patrice Chéreau en a fait en mars 2005 une lecture publique impressionnante au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, sous une nouvelle appellation : Carnets du sous-sol. En toute hypothèse et quel que soit le terme retenu, Dostoïevski fait sans doute allusion au monde intérieur de son personnage, qui constitue une sorte de négation de la réalité objective.

� Intitulée tout simplement « Alain-Fournier ».

� On appréciera l’emploi de ce terme aux connotations négatives, puisqu’il signifie « supporter avec patience quelque chose de pénible »…

� Reproduction sans fécondation par le mâle dans une espèce sexuée.

� Qui présente une pluralité de significations potentielles.

� Les Chansons de Bilitis (1894), La Femme et le Pantin (1898), Les Aventures du roi Pausole (1901).

� Auteur notamment des recueils suivants : De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir (1898), Le Deuil des primevères (1901), Les Géorgiques chrétiennes (1911).

� Autodidacte, elle obtint le prix Fémina en 1910 pour Marie-Claire, où elle narrait ses souvenirs douloureux d’enfant de l’Assistance Publique et son expérience d’ouvrière couturière en chambre.

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