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Les grandes questions éthiques et la prévention de la santé Pascal Nouvel Département de philosophie Université Montpellier 3 Centre d’Éthique Contemporaine Équipe Epsylon

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Health & Medicine


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Les grandes questions éthiques et la prévention de la santé

Pascal Nouvel

Département de philosophieUniversité Montpellier 3

Centre d’Éthique ContemporaineÉquipe Epsylon

Qu'est-ce que l'éthique ?

● Réflexion critique sur le comportement humain.

● Définition qui englobe tous les comportements humains, leurs causes et leurs conséquences.

● En ce sens très général, l'éthique est concernée par tous les aspects de la vie humaine.

L'éthique en un sens plus précis

● Pourtant, il existe des aspects de la vie humaine qui font, plus que d'autres, l'objet d'une attention éthique.

● Ce sont ceux dans lesquels un individu dit quelque chose ou s'engage dans une action qu'il va regretter ensuite.

● En un sens, le sentiment du regret est le point de départ du questionnement éthique.

Importance du regret pour l'éthique

● Le regret : marque la plus évidente d'un échec de l'anticipation éthique.

● Regretter quelque chose, c'est découvrir les conséquences de quelque chose que nous avons dit ou fait et les juger néfastes.

● Mais il y a plusieurs sortes de regrets. Et toutes n'ont pas le même intérêt éthique.

Espèces du regret

● Il y a tout d'abord le regret lié à une étourderie, à un manque d'attention. Regret d'inattention.

● Il y a ensuite le regret qui naît d'une action dont on découvre plus tard les conséquences et dont le caractère regrettable n'apparaît qu'au moment de cette découverte. Regret différé.

● Ces deux genres de regret ont quelque chose en commun : au moment où on commet l'action, on n'a pas l'idée qu'on la regrettera ensuite.

Troisième sorte de regret

● Il y a une troisième sorte de regret qui est bien plus intriguant au point de vue éthique.

● Il correspond aux cas où le regret se présente dans le temps de l'action elle-même.

● Cas où on accompli quelque chose en sachant qu'on va le regretter.

Distinction

● Là encore, il convient de distinguer deux cas :

● Cas du regret problématique : le regret est lié à l'examen de la situation. Cet examen nous montre qu'il n'y a pas d'issue favorable à une situation donnée.

● Cas du regret instantané : s'analyse comme un rapport de force interne entre des impulsions contraires.

Kierkegaard – Ou bien... ou bien (1843)

● « Ramasse ton chapeau, tu le regretteras. Ne le ramasse pas, tu le regrettera aussi. Et maintenant, tu peux choisir ! »

● Deux options apparaissent, mais chacune se présente comme funeste.

● Cas de l'homme qui pense au mariage, par exemple.

Conflit d'impulsions

● Le conflit se présente entre une impulsion « raisonnable » mais présentant peu d'attraits immédiat et une impulsion « déraisonnable » mais présentant un puissant attrait immédiat.

● C'est le cas lorsque, par exemple, nous subissons un affront et que nous désirons nous venger tout en sentant ce que cette vengeance peut avoir de néfaste pour nous.

Le regret instantané

● Si on opte malgré tout pour la vengeance, on s'engage dans un acte qu'on regrette instantanément. L'individu agit contre lui-même.

● Comme si il était mu par une force qui le subjuguait. Emporté par une puissance qui le dépassait.

● Il ne peut empêcher un mouvement, un geste, une parole alors même qu'il pressent ses conséquences néfastes.

Médée furieuse de Delacroix (1862)

Optimisme de l'éthique

● Au point de vue de l'éthique, il s'agit là de situations particulièrement difficiles à aborder.

● En effet, l'éthique se fonde sur l'idée, optimiste dans son fond, que réfléchir sur une situation permet de modifier un comportement.

● Or, on a là un cas qui se présente comme une sorte de défi à cet optimisme de l'éthique.

Agir contre soi

● Cette situation ne concerne pas seulement le personnage mythique de Médée. Ni même seulement les cas de colère ou de vengeance.

● Elle se présente dans un ensemble de cas où les individus « agissent contre eux-mêmes ».

● C'est ce que les Grecs nommaient l'akrasia – qui peut se traduire par : « paradoxe de la volonté ».

Akrasia

● On parlera d'akrasia pour désigner, par exemple, les situations dans lesquelles un individu ne suit pas les résolutions qu'il a prises lui-même et qu'il sait être bonnes pour lui : sa volonté paraît divisée.

● Le non-respect d'un traitement médical, par exemple (non observance) est un cas d'akrasia. Son analyse est décisive pour la prévention.

● La procrastination, etc.

Plan

● Dans cette conférence, je voudrais m'intéresser à une situation d'akrasia particulièrement évidente : la colère.

● Je le ferai en suivant, dans une première partie, la façon dont ces phénomènes furent conceptualisés et compris dans l'antiquité.

● Je suivrai ensuite la façon dont nous les comprenons aujourd'hui.

Problématique

● Donc, deux parties dans lesquelles je suivrai plus particulièrement :

● Le couple passion-raison dans l'antiquité.

● Le couple nature-culture à l'époque contemporaine.

● L'analyse de la différence entre ces deux couples permet de faire ressortir les problématiques contemporaines.

● « Je vois le meilleur, je l'approuve, et je fais le pire ».

● « Video meliora, proboque, deteriora sequor ».

● Emblème de la servitude des passions.

● Platon, Protagoras : « connaître ce qui est le meilleur et ne pas le faire, bien qu'on le puisse, et faire le contraire. »

Médée

De la passion à la raison

● La passion = maladie de l'âme.

● Philosophe = médecin de l'âme.

● Paradigme de la passion = la colère.

● La passion, en tant que maladie, s'oppose à l'action. Une passion est une servitude = elle entrave l'action.

● La passion s'oppose à la raison.

Aristote vs Stoïciens

● Derrière cet ensemble de notions cohérentes, qui fonctionnent comme un système, on trouve néanmoins des oppositions. Grande opposition :

● La colère est une passion. Elle est donc mauvaise.

● Mais n'existe-t-il pas de bonnes colères ?

● La colère est-elle parfois utile ou toujours nuisible ?

Valeur de la colère

● Chez Aristote : il existe de bonnes colères. L'indignation, quand elle est justifiée, est une colère bonne.

● Un homme qui ne serait pas capable d'éprouver de la colère ne serait pas même un homme pour Aristote.

● Pour les stoïciens, au contraire, la colère est toujours mauvaise. C'est la vertu qui fait qu'on réagit à un affront.

Akrasia = passion

● Mais le point commun, c'est que l'akrasia est pensée comme une des propriétés de la passion.

● La passion nous fait faire des choses que nous regrettons ensuite.

● Il importe donc de décrire la passion en détail.

● Ceci pour mieux parvenir à la maîtriser.

Stoïcisme : Sénèque (-4, 65), De ira

● Sénèque, De la colère (entre 41 et 49).

● Origine de la colère.

● La question de la colère chez l'animal : les animaux connaissent-ils la colère ?

Réponse de Sénèque

● « La colère est inconnue des bêtes sauvages et de tous les êtres à l'exception de l'homme. En effet, quoiqu'elle soit l'ennemie de la raison, elle ne peut naître pourtant que là où il y a place pour la raison. Les bêtes ont de l'emportement, de la rage, de la sauvagerie, des dispositions agressives, mais elles ne sont pas plus susceptibles de colère que de luxure, et pourtant pour certaines voluptés elles sont plus ardentes que l'homme. »

● « Les animaux n'ont que des semblants de colère. »

De la passion à l'émotion● Je passe à l'analyse de la situation contemporaine.

● Elle se caractérise par le remplacement du couple passion/raison par le couple nature/culture.

● Et aussi par le déplacement du concept de passion qui va être progressivement abandonné au profit du terme d'émotion.

● A l'origine de cette transition : la question de l'émotion chez les animaux.

Place de Darwin dans l'analyse des affects

● L'expression des émotions chez l'homme et chez l'animal (1872).

● Darwin met l'accent sur le fait que les émotions existent déjà chez l'animal. L'homme présente des caractères qui prolongent ceux de l'animal.

● Phylogenèse implique ontogenèse : l’ontogenèse des émotions se comprend par leur phylogenèse.

Phylogenèse du sentiment

● Homo sapiens : 200 000 ans.● Homo : 2 000 000 ans.● Plus proche ancêtre commun avec le chimpanzé :

environ 8 Millions d'années.● Plus proche ancêtre commun avec les mammifères :

220 millions d'années.● Premiers vertébrés : 400 millions d'années.● Huître : 600 millions d'années.

Antonio Damasio (2003)

● « Les sentiments de douleur ou de plaisir, ou de toute autre qualité, forment le soubassement de notre esprit. Bien souvent nous ne remarquons même pas cette réalité élémentaire parce que les images mentales des objets et des événements qui nous entourent, ainsi que les images associées aux mots et aux phrases qui les décrivent, absorbent une grande partie de notre attention. Mais il sont là. Ils sont la musique qui habite sans cesse notre esprit. »

Culturel vs biologique● Il s'agit là du fond commun de la réflexion sur le

sentiment.

● Mais il y aussi d'importantes différences. Deux grandes tendances de l'anthropologie contemporaine :

● Anthropologie culturelle et anthropologie biologique.

● Que devient la question de la colère ?

La question de la colère

● 2007 : Sloterdjik, Colère et temps > Anthropologie culturelle.

● 2009 : The biological basis of anger (les fondements biologiques de la colère) > Anthropologie biologique.

● Deux contributions représentatives de l'état actuel de la question.

Conflit des anthropologies

● L'anthropologie culturelle a mis l'accent sur la diversité des cultures humaines et des émotions.

● L'anthropologie biologique a mis l'accent sur l'unité des cultures humaines.

● La première nous montre la relativité des cultures, la seconde nous montre l'unité sous-jacente à cette diversité.

Anthropologie culturelle de la colère

● Le livre de Peter Sloterdjik, Colère et temps.

● Montre que notre culture, depuis ses origines, a entretenu une réflexion constante sur la colère.

Le premier mot de la littérature

● Homère, Illiade (850-750 av JC)

● Μ νιν ειδε, θε , ῆ ἄ ὰΠηληιάδεω χιλ ος Ἀ ῆο λομένην, μυρί’ ὐ ἣ

χαιο ς λγε’ θηκε Ἀ ῖ ἄ ἔπολλ ς δ’ φθίμους ὰ ἰψυχ ς ϊδι προ αψεν ὰ Ἄ ῒ

ρώωνἡ

● « Déesse chante-nous la colère d'Achille, de ce fils de Pélée, colère détestable qui valut aux Argiens d'innombrables malheurs, et jeta dans l'Hadès tant d'âmes de héros... »

● Colère divine : Dieu et ses prophètes ont des colères qui, par définition, sont « saintes ».

Les colères

● Colère humaine : un des péchés capitaux ; celui qui est, par ailleurs, analysé par les philosophes.

● Colère culturelle : la colère n'existe pas en tant que telle. Elle est constamment redéfinie par les cultures.

● Colère des peuples : scande l'histoire politique des nations. Partis politiques = banques de la colère.

Eskimo Utku

● Les Eskimo Utku qui, selon Jean Briggs ne se mettent jamais en colère.

● Never in anger : portrait of an eskimo family, Harvard University Press, 1970.

Les sioux

● Royal B. Hassrick, Les Sioux : Vie et coutumes d'une société guerrière, Albin Michel, 1993.

● Conclusion : la colère est un comportement culturellement (ou socialement) construit.

Anthropologie culturelle

● Sloterdijk passe en revue l'ensemble des manifestations de la colère.

● Sa conclusion est que notre civilisation s'est construite à la fois par et contre la colère.

● Par la colère parce que les grands moments qui l'ont façonnée sont des moments de colère collective.

● Mais aussi contre la colère car la colère apparaît comme la grande école éthique de l'occident.

● C'est en développant des techniques contre la colère que l'homme occidental a appris à devenir maître de lui-même avant de se proposer de devenir, comme le dira Descartes, « maître et possesseur de la nature ».

● Conclusion : la culture occidentale est coléro-centrique. Mais pourquoi l'est-elle ?

Coléro-centrisme

Biological basis of anger – Center for Economics and neuroscience – Université de Bonn.

● Travail dirigé par Christian Montag

● Martin Reuter● Weber Berndt● Christian Fiebach● Christian Elger

Behavioural Brain Research (2009)

● The biological basis of anger.

● « La colère est une des émotions fondamentales qu'on trouve autant chez les animaux que chez les humains, et, chez ces derniers, dans tous les groupes ethniques. »

● « On s'accorde sur le fait qu'il existe des variations individuelles de la propension à la colère qui vont du normal au pathologique. »

Place dans la littérature scientifique

● L'article se rattache à un vaste ensemble de productions qui, depuis environ 15 ans, est généralement désigné sous l'intitulé « génétique du comportement ».

● Le principe en est le suivant : on caractérise un type de comportement. On cherche ensuite à identifier un gène qui lui est associé de façon statistiquement significative.

● Exemples : violence, fidélité, homosexualité, etc.

Gène de la violence ?

● Couverture : revue Science, 28 juillet 2000.

● Un dossier y est consacré à la génétique de la violence et ses conséquences sociales prévisibles.

● Il est rare que les scientifiques parlent de « gène de la violence ».

● Ils savent qu'un comportement n'est jamais « déterminé » par un gène unique.

● Voir : B Jordan, 2000, Les imposteurs de la génétique.

Imposture possible

Conflit d'idéologies

● Ce n'est pas parce qu'il y a des charlatans parmi les médecins que tous les médecins sont des charlatans.

● De même : ce n'est pas parce que certains discours peuvent être des impostures qu'il faut rejeter tout tous les résultats qui sont évoqués dans ces discours.

● Ce serait rejeter une idéologie pour tomber dans une autre. On passerait d'une idéologie de l'explication biologique à un refus non moins idéologique de ces explications.

Méthode

● Il faut donc examiner en détail ces résultats pour juger adéquatement de leur pertinence.

● En ce qui concerne l'article sur les fondements biologiques de la colère, comment les auteurs ont-ils procédé ?

● Ils partent de l'idée générale que des gènes pourraient être associés à certains traits de caractère (non pathologiques).

DARPP-32

● Ils se tournent vers un gène déjà connu pour être impliqué dans certaines pathologies (en l’occurrence : addiction aux drogues et schizophrénie).

● Ce gène : DARPP-32, est situé sur le chromosome 17 chez l'homme (11 chez la souris).

● Il code pour une protéine qui régule le niveau de réponse à la dopamine (neurotransmetteur).

Données connues

● Ce gène existe sous deux formes qui sont identifiées par un polymorphisme sur un nucléotide unique qui peut être C ou T.

● On a donc trois génotypes possibles : TT, TC ou CC (génome diploïde).

● La présence de l'allèle T : associé à des pathologies (schizophrénie, addiction).

Question posée par l'équipe

● Est-ce que le même génotype n'est pas associé à des comportements non pathologiques, comme la colère ?

● L'équipe a procédé de la façon suivante :

● 838 volontaires sains. Sur chacun d'eux ils ont effectués trois tests différents : un test psychologique, un test biologique, un test génétique.

Les trois paramètres testés

● Le test psychologique est le test de personnalité élaboré par Jaak Panksepp (ANPS : Affective Neuroscience Personality Scale) consistant en un questionnaire présentant 110 entrées auquel il est répondu sur une échelle de Likert en 4 points.

● Le test génétique repère le génotype de la personne (TT, CT ou CC) > extrait de salive.

● Le test biologique consiste à déterminer le volume de l'amygdale de la personne > RMN.

Panksepp - ANPS

Résultats

● Sur les 838 personnes testées, une corrélation statistiquement significative apparaît entre :

● 1) Propension à la colère (paramètre ANGER du test ANPS).

● 2) Génotype TT ou TC vs CC.

● 3) Volume de l'amygdale (obtenu par résonance magnétique).

Conclusion

● Le tempérament colérique est, en partie, sous la dépendance d'un déterminisme génétique.

● Ce que les philosophes classiques appelaient notre « nature » peut être plus précisément déterminée comme « nature génétique ».

● Les auteurs complètent leur étude de considérations sur la génétique des populations humaines.

Hypothèse sur le coléro-centrisme

● Là nous trouvons une esquisse de réponse à la question de savoir pourquoi la culture occidentale est « coléro-centrique ».

● Les auteurs ont déterminé la fréquence des allèle TT, CT et CC dans les populations humaines.

● Ils trouvent qu'elle est plus élevée dans les populations européennes (85 % TT + CT, 15 % CC) qu'ailleurs.

Valeur de la colère

● Les auteurs se demandent finalement si la colère est bonne ou mauvaise.

● Ils remarquent que la colère peut avoir une certaine utilité et ils posent (sans le savoir apparemment) le problème que posaient déjà Aristote : existe-t-il des bonnes colères ?

● Donc : la génétique n'a en rien fait progresser le débat éthique.

Retour sur l'akrasia

● L'akrasia n'est plus pensée comme conflit entre la raison et la passion mais comme conflit entre la nature et la culture.

● C'est parce que le contexte (au sens large : environnement + culture) dans lequel je me trouve présente un désaccord avec ma nature que cette dernière se comporte d'une manière akratique.

● On a entièrement changé de référentiel.

Problématique contemporaine

● Les uns disent : « la personnalité de chacun est déterminée par sa culture ».

● Les autres disent : « c'est notre être biologique - qui est ultimement le produit de nos gènes - qui détermine notre comportement ».

● Les deux thèses ne sont pas incompatibles, mais selon qu'on prête plus attention à la première ou à la seconde, on va regarder les comportements humains de façons différentes.

Expérience de pensée

● Avant d'en venir à l'intérêt que peut avoir la prise en compte de certains éléments de la problématisation antique de la colère, je voudrais montrer qu'il est impossible de trancher entre ces deux thèses.

● Supposons deux jumeaux vrais qui différeraient sur un seul point : l'un d'eux serait porteur de l'allèle T et l'autre porteur de l'allèle C du gène DARPP-32.

● On pratique un test ANPS vers 25 ans.

Origine du « colérique »

● Supposons que nous trouvions le résultat que nous pouvons attendre ayant lu l'article de Reuter et al.

● Le plus « colérique » des deux est celui qui porte l'allèle T. Supposons que nous renouvelions l'expérience un grand nombre de fois et que nous trouvions chaque fois la même chose.

● Pourrait-on en conclure que l'allèle T de DARPP-32 est responsable du caractère colérique ?

Réponse : non. Pourquoi ?

● Parce que même si les deux jumeaux ont été élevés ensemble, dans les mêmes conditions, le fait que l'un d'eux ait simplement tendance à se mettre un peu plus facilement en colère va faire que, très vite, il va se mettre dans des situations spécifiques qui vont elles-mêmes laisser leur empreinte sur sa personnalité (repérables sous la forme de « souvenirs personnels »).

● Donc : impossible d'assigner l'origine de différence.

Limites de l'opposition nature/culture

● Les deux éléments – propension naturelle et expérience de vie – vont produire des différences sans qu'il soit possible d'en déterminer l'origine.

● C'est ce caractère inextricable qu'il s'agirait d'établir de façon rigoureuse.

● Il est possible de le faire. Mais on ne peut le faire si on reste dans le cadre de la problématique actuelle dont on a désormais perçu les limites.

Dépassement de l'opposition

● Pour sortir du cadre dans lequel ces questions se sont posées, il faut tenir compte de l'histoire de ces questions.

● C'est-à-dire : percevoir derrière le plan de l'opposition nature/culture (qui caractérise la problématisation contemporaine) l'opposition raison/passion (qui caractérise la problématisation antique).

Principe de l'expérience

● C'est ce que nous allons faire dans le cadre d'une expérimentation qui est en cours dans le laboratoire Epsylon en collaboration avec Nathalie Blanc.

● Nous allons suivre d'un côté ce qui est le plus déterminé par la nature (gène), de l'autre une activité qui est fortement déterminée par la culture (en l'occurrence l'activité de lecture d'un texte).

● Puis examiner les liens « nature/culture » avec « raison/passion » et les souvenirs personnels.

Concrètement

● Des personnes porteuses des deux allèles (T et C) de DARPP-32 seront invitées à lire un texte antique sur la colère et à relater les expériences personnelles.

● Le résultat attendu est le suivant : les personnes porteuses de l'allèle T vont décrire plus d'expériences personnelles en rapport avec le texte.

● Conclusion : On ne peut pas plus dire d'une personne qu'elle est colérique à cause de ses gènes qu'à cause de ses expériences personnelles. CQFD.

Conclusion

● Je vous donne rendez-vous dans quelque mois pour discuter des résultats.

● Et pour voir de quelle manière ces résultats peuvent être utilisés dans le cadre de la prévention de la santé.

● Du point de vue de la méthode : on mobilise des savoirs qui appartiennent à des domaines généralement traités de façon séparée (littérature, philosophie, science). Donc : interdisciplinarité.

Héraclite (VI ème siècle av JC)

● Le caractère, pour l'homme, c'est son démon – Le caractère, pour l'homme, c'est son destin.

● « Il n'y a, pour chacun, pas d'autre démon que son caractère même. Si le choses, les événements, prennent pour nous bonne ou mauvaise tournure, ce n'est pas dû à l'intervention d'un démon : c'est notre caractère même qui est notre « démon », c'est-à-dire qui fait que les choses « tournent » pour nous favorablement ou non. De sorte que le caractère, pour l'homme, est son destin. »