conduite à tenir en urgence devant un traumatisme maxillofacial

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Conduite à tenir en urgence devant un traumatisme maxillofacial Rémi Lockhart : Chef de clinique-assistant, service de stomatologie et prothèse maxillofaciale Jacques-Charles Bertrand : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef du service de stomatologie et prothèse maxillofaciale Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l'Hôpital, 75651 Paris cedex 13 France Haut de page Introduction La traumatologie maxillofaciale est d'une grande diversité tant en ce qui concerne les tableaux cliniques que les étiologies. La traumatologie osseuse du massif facial et de la mandibule peut être associée : à une atteinte de la voûte et de l'étage antérieur de la base du crâne ; à des traumatismes dentaires et alvéolodentaires fréquents ; à des lésions des parties molles (revêtements cutané et muqueux, muscles, vaisseaux, nerfs sensitifs ou moteurs, glandes salivaires et leurs canaux excréteurs) ; mais aussi des organes nobles normalement protégés tels les globes oculaires et leurs annexes ou le cerveau et ses enveloppes. Les principales étiologies rencontrées sont constituées : des accidents de la voie publique dus aux véhicules automobiles et aux deux-roues malgré les mesures de sécurité préconisées (port de la ceinture de sécurité, limitation de vitesse, port du casque, sobriété) ; des accidents du travail et à ceux consécutifs à la

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Conduite à tenir en urgence devant un traumatisme maxillofacial

Rémi Lockhart : Chef de clinique-assistant, service de stomatologie et prothèse maxillofacialeJacques-Charles Bertrand : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef du service de stomatologie et prothèse maxillofacialeGroupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l'Hôpital, 75651  Paris cedex 13 France

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Introduction

La traumatologie maxillofaciale est d'une grande diversité tant en ce qui concerne les tableaux cliniques que les étiologies. La traumatologie osseuse du massif facial et de la mandibule peut être associée :

à une atteinte de la voûte et de l'étage antérieur de la base du crâne ; à des traumatismes dentaires et alvéolodentaires fréquents ; à des lésions des parties molles (revêtements cutané et muqueux, muscles, vaisseaux,

nerfs sensitifs ou moteurs, glandes salivaires et leurs canaux excréteurs) ; mais aussi des organes nobles normalement protégés tels les globes oculaires et leurs

annexes ou le cerveau et ses enveloppes.

Les principales étiologies rencontrées sont constituées :

des accidents de la voie publique dus aux véhicules automobiles et aux deux-roues malgré les mesures de sécurité préconisées (port de la ceinture de sécurité, limitation de vitesse, port du casque, sobriété) ;

des accidents du travail et à ceux consécutifs à la civilisation des loisirs ; des agressions qui représentent une étiologie le plus souvent urbaine ; heureusement beaucoup plus rares sont les grands traumatismes dus aux

défenestrations et aux tentatives d'autolyse par arme à feu...

La conduite à tenir en urgence en traumatologie maxillofaciale doit, pour des raisons pratiques et de clarté, être décomposée en plusieurs stades.

Attitude sur les lieux de l'accident regroupant un certain nombre de gestes d'extrême ou de première urgence devant idéalement être connus de tous, médecins ou secouristes.

Evacuation du blessé incluant sa mise en condition de transport et son transfert dans un centre hospitalier.

Accueil en milieu hospitalier (bilan des lésions, gestes de deuxième urgence) faisant appel à la compétence de l'ensemblede l'équipe d'urgence (anesthésiste-réanimateur, radiologue, chirurgien maxillofacial, autres chirurgiens spécialisés).

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Le stade des réparations maxillofaciales primaires intéresse plus particulièrement le chirurgien maxillofacial, bien que ce dernier puisse avoir besoin des compétences des neurochirurgiens ou des ophtalmologistes. Afin d'éviter la constitution de séquelles nombreuses, et plus ou moins invalidantes (esthétiques, fonctionnelles, sensorielles, sensitives, infectieuses et psychologiques), la prise en charge de ces traumatisés doit être effectuée par des praticiens particulièrement compétents.

Les problèmes posés par la réparation secondaire (correction des séquelles) ne seront pas abordés dans ce chapitre. Ils intéressent différentes spécialités chirurgicales mais peuvent aussi faire appel à certaines solutions offertes par la prothèse maxillofaciale.

L'intérêt d'un soutien psychologique n'est pas à négliger quand des séquelles disgracieuses existent en raison de leurs préjudices socioprofessionnels notamment.

Toutes les formes anatomocliniques des traumatismes maxillofaciaux et les conduites à tenir s'y rapportant ne peuvent pas être détaillées en raison de leur grande diversité. Après les généralités concernant la prise en charge de ces patients, les principaux tableaux cliniques seront exposés. Pour de plus grandes précisions, le lecteur intéressé peut se reporter aux différents chapitres de la traumatologie maxillofaciale (fractures mandibulaires, de l'orbite, centrofaciales, occlusofaciales, de l'étage antérieur de la base du crâne) dans l'Encyclopédie médico-chirurgicale de stomatologie.

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Prise en charge des traumatisés de la face

Conduite à tenir sur les lieux de l'accident

Les problèmes qui se posent sur les lieux même de l'accident sont de deux ordres différents :

prise en charge de l'extrême urgence : sauver la vie du blessé qui peut être menacée par le traumatisme maxillofacial lui-même responsable d'une détresse respiratoire ou plus rarement circulatoire ;

établir un rapide bilan afin de déterminer la gravité et la place du traumatisme facial dans le contexte d'un polytraumatisme.

Idéalement, la prise en charge rapide des grands polytraumatisés est assurée par des équipes médicales d'urgence (service d'aide médicale urgente [SAMU], pompiers) qui disposent du matériel permettant, sur les lieux même du ramassage, la réanimation et l'intubation des patients. Mais certains gestes d'extrême urgence doivent parfois être effectués avant l'arrivée de ces secours.

Même si le traumatisme maxillofacial, du fait de son aspect spectaculaire, occupe le devant de la scène, il faut savoir rechercher des lésions associées. Celles-ci, bien plus souvent que le traumatisme facial lui-même, peuvent mettre en jeu le pronostic vital en induisant des détresses respiratoires ou circulatoires.

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Détresses respiratoires (fig 1 et 2)

Les détresses respiratoires dans les traumatismes maxillofaciaux sont la conséquence d'obstructions des voies aériennes supérieures chez un blessé ayant presque toujours des fonctions réflexes diminuées ou abolies (inconscient ou fortement obnubilé). Divers corps étrangers (appareil dentaire fracturé, dents, fragments osseux, caillots, vomissements) peuvent, chez un tel blessé ayant perdu ses réflexes de toux, induire des phénomènes asphyxiques. En tout premier lieu, le sauveteur doit désencombrer au doigt la cavité buccale de ces corps étrangers.

Dans les fractures mandibulaires parasymphysaires bilatérales ou les fracas antérieurs, le haubanage vers l'avant des muscles de la langue n'est plus assuré et, en décubitus dorsal, la bascule linguale obstrue la filière pharyngée. Une traction sur la langue (par l'intermédiaire d'une compresse, d'un fil transfixiant la pointe ou d'une pince) permet de libérer les voies aériennes supérieures. Dès que possible ce dispositif est remplacé par la mise en place d'une canule de Mayo ou d'un tube nasopharyngien. L'intubation naso- ou orotrachéale va, lorsqu'elle est réalisable, se substituer au plus vite à ces moyens de fortune et permettre d'éviter une trachéotomie « à la volée ». Dans quelques cas exceptionnels (corps étrangers impossibles à désenclaver, oedème important), seule la trachéotomie permet de redonner une fonction ventilatoire correcte.

En l'absence de lésions du rachis cervical, le blessé doit, si possible, être mis en position latérale de sécurité. Cette position permet de cracher et vomir librement et évite l'obstruction pharyngée par la chute de la langue.

Détresses circulatoires

Les détresses circulatoires sont rares dans les traumatismes maxillofaciaux isolés. Cependant, certains gros traumatismes faciaux (balistiques, défenestration) peuvent être responsables de pertes sanguines importantes.

Ces détresses circulatoires imposent d'une part la compensation des pertes sanguines grâce à des solutés de remplissage administrés par une ou des voies veineuses de bon calibre, et d'autre part le traitement à visée hémostatique des hémorragies. Celles-ci sont extériorisées par la cavité buccale, les fosses nasales (épistaxis antérieur et postérieur) et/ou des plaies. Sur les lieux de l'accident, le traitement des hémorragies abondantes est limité au tamponnement des fosses nasales et/ou de la cavité buccale et à la compression manuelle ou par pansement. Cette hémostase sera complétée ou refaite dans de meilleures conditions à l'hôpital. Le tamponnement antérieur des fosses nasales est habituellement assuré par l'intermédiaire de mèches grasses ou hémostatiques, le tamponnement postérieur par un packing ou des sondes à ballonnets gonflées et bloquées au niveau des choanes. Le tamponnement de la cavité buccale, surtout s'il est associé à un tamponnement des fosses nasales, ne peut être effectué que chez un malade intubé ou trachéotomisé.

Evacuation du blessé, mise en condition de transport

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En cas de grave traumatisme facial, le blessé doit, après que les gestes d'urgence indispensables aient été pratiqués, être mis en condition de transport. Son transfert doit être effectué dans un centre hospitalier disposant du plateau technique permettant une prise en charge globale.

La nature du service d'accueil dépend du bilan lésionnel et de la hiérarchisation des soins en fonction de leur degré d'urgence. Il importe de savoir s'il s'agit d'un traumatisme maxillofacial, isolé ne présentant pas de caractère d'urgence, ou associé à des lésions ophtalmologiques, viscérales, thoraciques, orthopédiques ou neurochirurgicales justifiant alors une prise en charge multidisciplinaire.

En règle générale, il faut se souvenir que, quel que soit l'aspect spectaculaire des lésions faciales, le traitement des lésions associées a souvent priorité sur le traitement maxillofacial qui peut être différé de quelques heures, voire quelques jours.

Prise en charge hospitalière

Arrivé à l'hôpital, le blessé est pris en charge, soit par le seul chirurgien maxillofacial en cas de lésions purement localisées à la face, ce qui est heureusement la grande majorité des cas, soit par l'équipe de réanimation chirurgicale en collaboration avec le chirurgien maxillofacial, lorsqu'il s'agit d'un grand traumatisme facial. Il convient, dans ce cas, de vérifier et éventuellement parfaire les gestes pratiqués en première urgence avec des moyens obligatoirement limités.

L'interrogatoire du blessé ou de son entourage renseigne sur ses antécédents médicochirurgicaux, les traitements en cours ou déjà effectués et, plus particulièrement au niveau facial, sur les antécédents traumatiques, malformatifs et dentaires (traitement orthodontique, prothèses...). La nature et les circonstances de survenue du traumatisme ainsi que l'état de conscience du blessé après le traumatisme (notion de perte de connaissance initiale) doivent être précisés.

Chez nombre de patients, le traumatisme facial est associé à un traumatisme crânien (TC). Un examen neurologique rapide doit permettre de différencier d'emblée le TC simple du TC grave ou surtout qui s'aggrave progressivement. Le TC simple avec perte de connaissance initiale et/ou fracture du crâne sans complications intracrâniennes immédiates impose une surveillance classique de 48 heures. L'apparition de signes d'aggravation devant faire redouter une complication intracrânienne (obnubilation, agitation, désorientation, céphalées intenses, vomissements, mydriase aréactive, signes neurologiques déficitaires de localisation...) impose la réalisation d'un examen tomodensitométrique (TDM) cérébral en urgence et un avis neurochirurgical.

Le plus souvent l'état du patient permet d'effectuer le bilan clinique dans les locaux de consultation d'urgence. Certains traumatismes délabrants (traumatisme balistique) doivent être explorés au bloc opératoire sous anesthésie générale en raison des risques d'aggravation brutale de leur état ou de reprise de l'hémorragie lors de la levée des pansements.

Un bilan biologique standard est prélevé avant toute intervention urgente. Les sérologies VIH (virus de l'immunodéficience humaine) ne sont pas systématiques et ne peuvent être

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prélevées qu'avec l'accord du patient s'il est conscient. Le contrôle de l'état de la vaccination antitétanique est impératif en cas de plaie, des gammaglobulines spécifiques et éventuellement une revaccination sont parfois nécessaires.

La prescription d'une antibiothérapie à large spectre est impérative en cas de méchage des fosses nasales, surtout s'il existe un doute sur une rhinorrhée cérébrospinale associée, pour toutes fractures ouvertes et toutes plaies souillées. En cas de morsure animale, il est indispensable de prescrire une antibiothérapie adaptée et de s'assurer de l'absence de contamination rabique.

La sédation des douleurs est obtenue par l'administration d'antalgiques systématiques.

Un complément d'hémostase doit être effectué si besoin. Les plaies doivent être suturées sous anesthésie locale ou générale en fonction de leur importance. Les plaies du scalp peuvent être très hémorragiques et doivent être fermées même si l'on suspecte une fracture du crâne sous-jacente.

Le traitement des hémorragies cervicales abondantes par plaies vasculaires ne peut être fait qu'au bloc opératoire par un contrôle des axes vasculaires obtenu grâce à une large cervicotomie. Certaines hémorragies non taries ou récidivantes après traitement peuvent actuellement bénéficier d'embolisations sélectives grâce aux techniques de radiologie interventionnelle vasculaire. Quand elles sont réalisables, ces embolisations sont préférables aux ligatures uni- ou bilatérales des carotides externes.

Les indications de trachéotomie sont larges chez les grands blessés pouvant nécessiter une sédation et une ventilation prolongées pour des raisons neurologiques, thoraciques (volet costal, pneumothorax...) ou en rapport avec l'étendue des lésions cervicales ou faciales.

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Bilan lésionnel maxillofacial : généralités

Le bilan lésionnel comporte un examen clinique soigneux du massif facial et un bilan d'imagerie. De la qualité de ce bilan dépend la précision du certificat médical initial descriptif qui est à rédiger avec la plus grande précision. C'est une pièce médicolégale qui préserve au maximum les droits du patient en vue des réparations ultérieures.

Bilan clinique

Il doit si possible être réalisé précocement pour ne pas être gêné par l'oedème et les hématomes qui peuvent masquer les déformations sous-jacentes et au maximum donner au patient un « faciès lunaire » (fig 3). Cet examen doit être précis, méthodique, fait dans de bonnes conditions d'éclairage, avec des abaisse-langue et des gants d'examen.

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Inspection exobuccale

La face étant symétrique, une inspection de face, des deux profils et de haut en bas recherche une asymétrie témoignant d'un déplacement osseux sous-jacent (effacement d'une pommette, déviation nasale, recul du massif facial...). Dans ces déformations, la participation des oedèmes et des hématomes doit être prise en compte.

Les caractéristiques des plaies cutanées sont précisées (fig 4) : localisation, rapport avec, le nerf facial, le canal de sténon ou les voies lacrymales, taille, aspect (linéaire, en étoile, contusion, nécrotique, corps étrangers, perte de substance...).

Inspection endobuccale

Elle peut être difficile à cause des douleurs responsables d'un trismus réflexe. Le bilan dentaire doit être précis en raison du préjudice esthétique, fonctionnel et financier qu'il peut comporter. L'inspection apprécie le caractère récent ou ancien des délabrements, fractures et pertes dentaires, ainsi que l'état des dents restantes et des prothèses fixées ou mobiles qui peuvent être fracturées. La palpation recherche une mobilité dentaire ou alvéolodentaire. Les tests de vitalité sont, si possible, effectués pour toutes les dents traumatisées et celles situées de part et d'autre d'une fracture mandibulaire. Des prothèses, même fracturées, doivent être récupérées, pour obtenir des renseignements sur l'articulé dentaire du patient.

Des modifications de l'articulé dentaire (béance, contact prématuré, faux prognathisme, déviation du point interincisif...) sont observables dans les fractures déplacées des bases osseuses (mandibule et maxillaire). La cinétique mandibulaire (ouverture et fermeture buccale, diductions droite et gauche, propulsion) est étudiée, renseignant sur le fonctionnement des articulations temporomandibulaires (ATM) et des muscles masticateurs. Au cours du mouvement, on peut noter l'apparition de diastèmes au niveau d'un trait de fracture, d'une occlusion en deux temps, voire impossible ou d'une mobilité du massif facial. Là encore, les hématomes, ecchymoses et plaies muqueuses seront notés.

Palpation méthodique, exo- et endobuccale

Elle explore de manière symétrique l'ensemble du massif facial et de la mandibule. Cet examen doit être doux car il est douloureux. On retrouve au niveau des traits de fracture : douleur exquise, saillie osseuse, dépression en marche d'escalier, mobilité du foyer. La recherche d'une disjonction craniofaciale dans le sens antéropostérieur et transversal se fait en essayant de mobiliser de la main endobuccale le plateau maxillopalatin. Le siège de la disjonction est précisé par la main exobuccale palpant les foyers de fractures ainsi mobilisés (racine du nez, sutures frontomalaires, margelles orbitaires, cintres maxillomalaires).

La sensibilité faciale faisant intervenir les trois branches de division du nerf trijumeau est contrôlée.

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Examen ophtalmologique

Il est réalisable par tous et recherche principalement des lésions justifiant une prise en charge en urgence, tels une plaie du globe ou des signes de section physiologique du nerf optique (cf infra). L'examen peut être rendu difficile par l'occlusion palpébrale (oedèmes, hématomes, emphysème sous-cutané. sécrétions) et il ne faut pas hésiter à forcer l'ouverture palpébrale pour rechercher une baisse de l'acuité visuelle, voire une cécité, une anomalie pupillaire par l'étude des réflexes photomoteurs, une anomalie du tonus, de position (énophtalmie, exophtalmie, abaissement...) et de mobilité des globes oculaires (diplopie). Une atteinte des voies lacrymales est à explorer devant tout larmoiement (épiphora). Le recours à l'ophtalmologiste en urgence est toujours nécessaire lorsque ce bilan laisse planer un doute sur l'intégrité de la fonction visuelle du sujet. En l'absence d'urgences ophtalmologiques, un bilan complet sera effectué ultérieurement sur un patient devenu examinable (disparition des oedèmes, coopération du sujet). En cas de diplopie persistante, celle-ci sera objectivée par un test de Lancaster.

Examen du nez et des fosses nasales

Il apprécie la ventilation nasale et la rhinoscopie antérieure, réalisée après mouchage des caillots et rétraction muqueuse par la Xylocaïne® 5 % à la naphazoline, recherche une déviation septale, un hématome de cloison à évacuer ou l'origine d'un épistaxis. L'existence d'une anosmie est quasi constante en cas d'obstruction nasale bilatérale et ne signifie pas obligatoirement une lésion de la lame criblée de l'ethmoïde. Tout écoulement de liquide clair ou teinté de sang par le nez fait suspecter une fuite de liquide céphalorachidien (LCR) due à une brèche ostéoméningée. Celle-ci peut être objectivée par le recueil du liquide, aidé par des manoeuvres de posture (prière mahométane) et confirmée par la mesure de sa teneur en glucose.

Examen otologique

Il recherche un déficit auditif (hypoacousie ou surdité à confirmer ultérieurement par un audiogramme), un écoulement sanglant (otorragie) ou de LCR, une lésion du conduit auditif externe ou du tympan par l'otoscopie, un syndrome vestibulaire périphérique.

Examen neurologique

L'examen neurologique de toutes les paires crâniennes, complète cet examen.

Bilan radiologique

Il est orienté par l'examen clinique, et vient confirmer ou infirmer le diagnostic de fracture.

Les clichés standards de débrouillage doivent être réalisables par tout manipulateur même non spécialisé en radiologie maxillofaciale. Cependant, certaines incidences nécessitant des

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installations particulières (panoramique dentaire, téléradiographie) ou la mobilisation du sujet (patient assis pour le panoramique), sont irréalisables en urgence chez des polytraumatisés intransportables ou inconscients. En cas de traumatisme du rachis cervical associé, l'intégrité clinique et radiologique de celui-ci devra être vérifiée avant toute mobilisation de la tête indispensable à la réalisation de certaines incidences.

Peu de clichés bien indiqués et de bonne qualité valent mieux qu'une multitude d'incidences et de coupes tomographiques réalisées en urgence.

La tomodensitométrie, systématique en cas de lésion cérébroméningée, est indispensable en traumatologie maxillofaciale pour explorer les fractures centrofaciales, basicrâniennes et les fracas complexes. Les incidences axiales, toujours réalisables en urgence, même chez un polytraumatisé inconscient, doivent si possible (intégrité du rachis cervical) être complétées par des incidences coronales afin d'explorer les déplacements dans deux plans de l'espace. En cas d'impossibilité d'effectuer des incidences coronales, des reconstructions dans ce plan obtenues à partir de coupes axiales permettent d'obtenir des images satisfaisantes. Les reconstructions tridimensionnelles, aussi spectaculaires soient-elles, donnent en général de moins bons renseignements que l'étude en coupes axiales et coronales.

Une étude particulière des canaux et nerfs optiques est demandée en urgence en cas de signes de compression du nerf optique.

L'imagerie par résonance magnétique en traumatologie maxillofaciale est de peu d'intérêt pour l'étude des structures osseuses. Les tomographies ont été supplantées par le scanner et sont devenues, le plus souvent, inutiles.

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Principaux tableaux cliniques et conduite à tenir

Fractures mandibulaires (fig 2, 5 et 6)

Généralités

La mandibule, appendue à la base du crâne (os temporal) par l'intermédiaire des ATM constitue le squelette de l'étage inférieur de la face. Elle est animée par des muscles masticateurs puissants permettant des mouvements dans les trois plans de l'espace (ouverture-fermeture, diductions, propulsion) et permet de mettre en contact les arcades mandibulaire et maxillaire. Les fractures mandibulaires représentent environ 50 % des fractures faciales et réalisent des formes anatomocliniques très variées. Les mécanismes aboutissant à une fracture peuvent être : directs, entraînant une fracture au point d'impact ; indirects, responsable d'une fracture à distance du point d'impact ; ou mixtes. Sont à mettre à part les fractures comminutives, avec ou sans perte de substance, des traumatismes très violents et des

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traumatismes balistiques. La rupture de l'équilibre des forces musculaires s'exerçant sur la mandibule ainsi que le nombre et l'orientation des traits de fracture expliquent le déplacement des fragments osseux.

On distingue les fractures de la portion dentée (corps mandibulaire) des fractures des portions non dentées (branches montantes, col condyliens et condyles, apophyses coronoïdes). Toutes les fractures déplacées (à l'exception des coronés) entraînent un trouble de l'articulé dentaire et peuvent, quand elles croisent le trajet du canal mandibulaire, se compliquer d'un trouble sensitif dans le territoire du nerf alvéolaire inférieur. Il peut s'agir de fractures unifocales, bifocales (certaines associations sont fréquentes : fracture parasymphysaire et fracture du col du condyle controlatéral), trifocales ou comminutives avec ou sans perte de substance osseuse ou des parties molles. Les traits passant par la portion dentée s'accompagnent fréquemment d'une déchirure ou d'une désinsertion de la fibromuqueuse au collet des dents et mettent en contact l'os avec le milieu buccal septique.

Le diagnostic clinique souvent évident sera complété d'un bilan radiographique. En pratique, deux incidences dans des plans différents suffisent pour dénombrer et apprécier le déplacement des fragments. Ces deux incidences sont le panoramique dentaire (ou orthopantomogramme) et l'incidence de face basse. Le panoramique, pas toujours réalisable en urgence, reste irremplaçable en donnant une vue d'ensemble de la mandibule et des arcades dentaires. L'incidence de face basse, réalisée si possible en bouche ouverte, explore la partie postérieure des branches horizontales, les angles, les branches montantes et les condyles mais la région symphysaire est mal étudiée en raison des superpositions avec le rachis cervical. En l'absence du panoramique, les incidences « mandibules défilées » peuvent être utiles. Seul le scanner en coupes axiales et coronales permet, chez des malades intransportables, une étude de la mandibule et particulièrement des ATM, au besoin grâce à des reconstructions en trois dimensions.

Traitement

Les buts du traitement des fractures de la mandibule sont multiples et consistent à rétablir, l'articulé dentaire habituel du sujet, la fonction masticatoire et l'esthétique de la partie inférieure du visage. Toutes les modalités thérapeutiques actuelles ne peuvent être détaillées. Les méthodes utilisées sont : fonctionnelles (rééducation précoce des fractures condyliennes articulaires), orthopédiques (blocage intermaxillaire), chirurgicales (ostéosynthèse par fil d'acier, plaques vissées, vissage en compression, fixateur externe...) ou mixtes.

Le traitement des fractures mandibulaires, même ouvertes en bouche, peut, sans compromettre les résultats, être différé de quelques heures ou quelques jours. Dans ces cas, l'administration d'un traitement antalgique et antibiotique, de bains de bouche antiseptiques et d'une alimentation liquide orale ou par sonde nasogastrique est indispensable. Une immobilisation provisoire peut être effectuée par une fronde mentonnière, des ligatures d'acier passées autour des dents situées de part et d'autre des traits ou un blocage par ligatures d'Ivy ou monodentaires posées sous anesthésie locale. Les fractures alvéolodentaires isolées, n'interrompant pas la continuité mandibulaire, doivent, si les dents et les fragments sont conservables, être maintenues par une contention monomaxillaire réalisée par un arc ou une

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attelle en résine.

Cas particuliers

Urgences vitales

Les fractures mandibulaires ne posent, dans l'immense majorité des cas, aucun problèmes d'urgence vitale à l'exception :

des fractures parasymphysaires bilatérales pouvant entraîner une asphyxie par bascule postérieure de la langue contre la paroi pharyngée postérieure ;

des fractures survenant chez des patients sous anticoagulant pouvant se compliquer d'un volumineux hématome du plancher buccal refoulant la langue ;

des fractures comminutives avec perte de substance interruptrice de la mandibule (PSIM) et désinsertion des muscles de la langue et du plancher buccal rencontrées dans les traumatismes balistiques.

Fractures ouvertes

Au cours de certains traumatismes violents, il peut exister une ouverture cutanée en regard des foyers par un mécanisme de dehors en dedans en cas de traumatisme direct ou de dedans en dehors par un fragment osseux très déplacé. Il importe en urgence de fermer les plaies après un nettoyage antiseptique et un parage économe. Le chirurgien maxillofacial doit pouvoir entreprendre rapidement le traitement au bloc opératoire, au besoin en repassant par les plaies pour effectuer les ostéosynthèses nécessaires (voie d'abord translésionnelle) et réparer une éventuelle lésion nerveuse associée (section du rameau mentonnier du nerf facial par exemple). Ces ouvertures cutanées ne contre-indiquent pas la réalisation d'ostéosynthèses par fils d'acier ou plaques vissées à condition d'une prise en charge rapide, d'une bonne couverture cutanéomuqueuse en regard et d'une antibiothérapie adaptée.

Luxations mandibulaires (fig 7)

Les luxations antérieures sont de loin les plus fréquentes. Le condyle mandibulaire franchit en avant l'éminence temporale et ne peut réintégrer la cavité glénoïde (ou fosse mandibulaire). Elles peuvent être uni- ou bilatérales et se traduisent cliniquement par une vacuité de la glène palpée en préauriculaire et par une position en ouverture buccale bloquée, avec latérodéviation du menton en cas de luxation unilatérale. Elles sont favorisées par une édentation molaire et peuvent être provoquées par un traumatisme de haut en bas sur le menton, la bouche étant ouverte. Comme toutes luxations, elles entraînent des lésions capsuloligamentaires et méniscales. La réduction doit être effectuée en urgence par la manoeuvre de Nélaton après vérification radiologique de l'intégrité des condyles. Cette manoeuvre consiste à abaisser et désenclaver les condyles mandibulaires en appuyant avec les pouces sur les molaires mandibulaires en empaumant avec les autres doigts le bord basilaire. Dans certains cas (patient vu tardivement ou particulièrement anxieux) une prémédication, par un myorelaxant en intramusculaire, voire une anesthésie locale périarticulaire ou générale, peut être nécessaire. Après la réduction, surtout s'il s'agit d'un premier épisode, une

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contention par fronde mentonnière durant quelques jours doit être effectuée. Le traitement préventif des récidives suppose souvent une restauration prothétique de l'articulé dentaire.

Les luxations supérieures sont très rares et surviennent à la suite d'un grand choc de bas en haut. Elles entraînent la pénétration intracrânienne du condyle mandibulaire à travers la fosse mandibulaire sans fracture du col condylien associée. Quand elles ne s'accompagnent pas de lésions létales, leur réduction et l'instauration d'une rééducation active précoce permettra d'éviter l'apparition d'une ankylose temporomandibulaire.

Les luxations postérieures sont associées à une fracture du tympanal, une plaie du conduit auditif externe et une otorragie. Elles aussi doivent être réduites et mobilisées.

Fractures du nez (fig 8 et 9)

Les fractures des os propres du nez (OPN) sont très fréquentes et doivent être suspectées devant tout traumatisme facial, l'auvent nasal constituant en effet un véritable « pare-chocs ». Elles sont le plus souvent isolées mais peuvent être associées à des fractures du tiers médian facial, ou complexe naso-ethmoïdo-maxillo-fronto-orbitaire (CNEMFO), et des disjonctions craniofaciales de type Le Fort 2 et 3.

Le diagnostic des fractures isolées des OPN est souvent évident cliniquement et ce d'autant plus que le déplacement, parfois difficile à apprécier en raison des hématomes et de l'oedème, est important. Un bilan radiographique doit être réalisé comportant au minimum une incidence des OPN de profil et une incidence verticale du type racine-base de Gosserez ou Paoli complétée, si besoin, d'une incidence de Blondeau. La conduite à tenir devant une telle fracture est simple mais trois situations peuvent être rencontrées en urgence :

persistance d'un épistaxis nécessitant un méchage hémostatique ; présence d'un hématome de cloison diagnostiqué à la rhinoscopie antérieure et

imposant son évacuation par une incision interseptocolumellaire effectuée sous anesthésie locale ; ce drainage, associé à une antibiothérapie, prévient du risque de chondrite, voire de nécrose cartilagineuse ;

fracture ouverte à la peau nécessitant un nettoyage antiseptique, un parage économe et une suture soigneuse des berges. Cette voie d'abord translésionnelle peut permettre de contrôler la réduction de petits fragments osseux. La suture est protégée du plâtre par une compresse grasse durant la consolidation.

Le traitement des fractures déplacées des OPN n'est pas, sauf fracture ouverte, à entreprendre en urgence. Il est habituel de temporiser quelques jours sous traitement antibiotique et anti-inflammatoire pour réévaluer l'aspect du nez après disparition de l'oedème et des hématomes.

Le traitement sous anesthésie générale, avec intubation orale et packing pharyngé, permet une réduction osseuse et cartilagineuse par voie endonasale suivie d'une contention interne par méchage, et externe par attelle plâtrée maintenue 8 à 10 jours. Dans certaines fractures septales instables, une contention par deux plaques (film radio découpé) solidarisées de part et d'autre du septum par un point transfixiant est utilisable. L'antibiothérapie est systématique durant toute la durée du méchage.

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Traumatismes de la région orbitaire

L'orbite osseuse est un carrefour traumatique. La traumatologie du massif facial supérieur et des confins craniofaciaux comporte en pratique une variété de tableaux cliniques (fractures du CNEMFO, disjonctions craniofaciales type Le Fort II et III, fractures maxillomalaires et du plancher orbitaire). Tous peuvent intéresser de façon plus ou moins importante l'orbite osseuse (cadre et parois orbitaires) et son contenu, mais aussi les paupières et l'appareil lacrymal. Ces lésions exposent le patient à des complications immédiates et tardives sources de séquelles difficiles, voire impossibles à traiter. Il est donc important de savoir les suspecter et de les diagnostiquer en urgence pour proposer un traitement adapté. L'examen ophtalmologique et de la région orbitaire est donc fondamental et doit être réalisé devant tout traumatisme de l'étage orbitaire afin de s'assurer :

de l'intégrité des globes oculaires surtout en cas de plaies palpébrales transfixiantes. La découverte d'un globe hypotonique avec perte de la vision et issue de vitrée ou d'humeur aqueuse par une plaie sclérale ou cornéenne est caractéristique et impose un traitement en urgence par l'ophtalmologiste. Parfois le tableau est plus frustre et la plaie ne sera découverte que lors de l'examen spécialisé systématique. La conduite à tenir dépend de l'importance des lésions ; suture sclérale ou cornéenne, éviscération avec mise en place d'un implant oculaire, voire énucléation ;

de l'intégrité des nerfs optiques ; un tableau évocateur d'une section physiologique du nerf optique, associant une cécité, une disparition du réflexe photomoteur (RPM) direct (mydriase aréactive) avec conservation du RPM consensuel et un examen du fond d'oeil normal, impose un scanner dans le plan neuro-optique en urgence. Cet examen explore le nerf et son canal osseux à la recherche d'une compression par un fragment osseux ou par un hématome rétrobulbaire. La conduite à tenir en urgence peut faire appel à une décompression chirurgicale par voie transethmoïdosphénoïdale en cas d'embarrure dans le canal optique, à l'évacuation d'un hématome intraconique compressif et/ou à un traitement corticoïde à forte dose par voie parentérale. Si le pronostic visuel reste très sombre, les meilleures chances de récupération sont obtenues lorsque le traitement est instauré dès les premières heures.

En dehors de ces deux situations représentant de véritables urgences, le reste de l'examen apprécie :

la statique des globes recherchant une anomalie de leur position : énophtalmie par enfoncement d'une ou de plusieurs paroi(s) orbitaire(s), exophtalmie ou déplacement latéral du globe secondaire à l'embarrure d'une paroi orbitaire ou à un hématome. L'apparition d'une exophtalmie progressive en post-traumatique ou postopératoire doit faire évoquer un hématome orbitaire expansif à évacuer d'urgence, plus rarement une fistule carotidocaverneuse ;

la dynamique des globes se traduisant en cas d'anomalies par une ou des diplopie(s) d'origine mécanique, neurologique ou mixte.

Les diplopies mécaniques sont les plus fréquentes et peuvent être secondaires :

à une simple contusion ou à un hématome musculaire et sont, le plus souvent, spontanément résolutives ;

à un blocage par une incarcération (musculaire, graisseuse ou aponévrotique) ou par

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une embarrure osseuse entravant les mouvements du globe ;o à la désinsertion du muscle petit oblique ou de la poulie de réflexion du muscle

grand oblique.

Les diplopies neurologiques résultent, en dehors des lésions du système nerveux central, d'une atteinte d'un ou de plusieurs nerfs oculomoteurs :

l'atteinte du nerf moteur oculaire commun (III) est responsable quand elle est complète d'un ptosis, d'une paralysie oculomotrice touchant l'élévation, l'abaissement et l'adduction, d'un strabisme externe et d'une paralysie de la motilité oculaire intrinsèque avec mydriase aréactive ;

l'atteinte du nerf pathétique (IV) est responsable d'un déficit oculomoteur du muscle grand oblique se traduisant par une diplopie verticale accentuée dans le regard en bas et vers le côté sain ;

l'atteinte du nerf moteur oculaire externe (VI) est responsable d'un déficit de l'abduction avec diplopie horizontale et strabisme interne ;

le syndrome de la fente sphénoïdale regroupe une atteinte des III, IV et VI nerfs crâniens donnant une ophtalmoplégie totale avec ptosis et une atteinte de la branche ophtalmique du trijumeau se traduisant par une anesthésie de la paupière supérieure, de la racine du nez, du front et de la cornée avec abolition du réflexe cornéen ;

le syndrome de l'apex orbitaire associe au syndrome de la fente sphénoïdale une atteinte du nerf optique avec cécité unilatérale ;

l'intégrité de l'appareil palpébral : les plaies transfixiantes et les pertes de substance des paupières sont graves, surtout à la paupière supérieure, car elles exposent le globe dont l'état cornéen doit être vérifié. Les plaies transfixiantes sont suturées en deux ou trois plans (plans tarsoconjonctival, musculaire et cutané) avec alignement soigneux du bord libre. Les pertes de substance peuvent, en fonction de leur dimension, être réparées par suture directe ou par des plasties locales ou régionales. L'intérêt d'une tarsorraphie transitoire protégeant le globe et évitant la rétraction est à souligner. Un ptosis peut être d'origine neurologique (atteinte du III) ou mécanique par désinsertion, section ou incarcération du muscle releveur de la paupière supérieure. Une dystopie canthale interne uni- ou bilatérale, responsable d'un télécanthus (augmentation de la distance entre les deux canthi internes), est due à une désinsertion du tendon palpébral ou à un déplacement de son support osseux. Le traitement nécessite une ostéosynthèse du fragment ou une canthopexie transnasale au fil d'acier. Ces lésions sont fréquentes dans les fractures du CNEMFO. L'abaissement d'un os malaire fracturé entraîne une dystopie canthale externe ou faux ptosis statique. La dynamique palpébrale fait intervenir le muscle releveur innervé par le nerf moteur oculaire commun (III) et le muscle orbiculaire innervé par le nerf facial (VII). Il faut toujours vérifier que l'occlusion palpébrale est préservée particulièrement chez des patients comateux et en cas d'exophtalmie importante. La protection cornéenne est assurée par la mise d'un collyre type méthylcellulose et par la fermeture des paupières (Steri-strips®) ;

l'intégrité des voies lacrymales qui peuvent être sectionnées dans la région canthale interne (section des canalicules ou du sac lacrymal) ou comprimées par un fragment osseux au niveau du sac ou du canal lacrymonasal. La lésion est mise en évidence par le cathétérisme des canalicules et l'injection de sérum physiologique qui est extériorisé ou refoulé.

Fractures maxillomalaire et du plancher de l'orbite (fig 10, 11 et 12)

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Ce sont les plus fréquentes des fractures intéressant l'orbite. Seules les fractures en trappe du plancher de l'orbite compliquées d'une incarcération et d'une diplopie franche dans l'élévation du globe sont à traiter en urgence. Les radiographies standards ne montrant le plus souvent qu'une image en goutte appendue au plancher, voire un discret hémosinus maxillaire, ces fractures doivent être explorées par des coupes tomodensitométriques coronales appréciant l'étendue de la fracture et le contenu de l'incarcération. Celle-ci doit être confirmée par un test de Lancaster et un test de duction forcée puis libérée chirurgicalement avant d'effectuer la réparation du plancher. Les fractures isolées de la paroi interne de l'orbite sont beaucoup plus rares.

Les fractures maxillomalaires dues à un traumatisme sur le pare-chocs latéral de la face constitué de l'os malaire sont fréquentes. Cliniquement, la forme typique associe une douleur au niveau des points de fixation du malaire (sutures frontomalaire et zygomatomalaire, rebord orbitaire inférieur, cintre maxillomalaire), un hématome orbitaire et une hémorragie sous-conjonctivale externe, une asymétrie de la pommette avec abaissement du canthus externe, une hypoesthésie dans le territoire du nerf sous-orbitaire et parfois une limitation de l'ouverture buccale. En cas d'association fréquente avec un enfoncement du plancher, il peut exister une énophtalmie et une diplopie. Des incidences radiologiques standards de Blondeau (ou Waters) et de Hirtz (ou ligne des plus grands contours de la face) suffisent, le plus souvent, au diagnostic et sont complétées, si besoin, par des coupes scanner. Le traitement chirurgical est indiqué en cas de déplacement et de complications sensitives et ophtalmologiques. La réduction et l'ostéosynthèse du malaire ainsi que la réparation du plancher permettent, dans ces cas, l'obtention d'excellents résultats.

Fractures de l'étage antérieur de la base du crâne (fig 13 et 14)

Elles regroupent différentes lésions dont les plus fréquentes sont les fractures fronto-orbitaires, touchant le toit et le rebord orbitaire supérieur ainsi que le bandeau frontal, les fractures du CNEMFO et les disjonctions craniofaciales de Le Fort III.

En dehors des urgences neurochirurgicales associées (plaie craniocérébrale, hématomes extradural ou sous-dural aigu, contusions) elles exposent aux risques de brèches méningées faisant communiquer les espaces sous-arachnoïdiens avec les cavités nasosinusiennes (sinus frontal, sphénoïdal, labyrinthe ethmoïdal). Cette brèche ostéodurale peut avoir trois conséquences :

une pneumocéphalie pathognomonique de la brèche ; une rhinorrhée cérébrospinale (RCS), parfois absente ou difficile à mettre en évidence

en post-traumatique immédiat. Elle peut apparaître secondairement après régression de l'oedème des muqueuses nasosinusiennes, après lyse du caillot obstruant la brèche ou lors de la mobilisation chirurgicale (réduction des déplacements) des fractures faciales et basicrâniennes. Le tarissement spontané de cette RCS est effectif dans environ 50 % des cas et les indications thérapeutiques à ce niveau doivent être bien posées ;

une méningite, le plus souvent à pneumocoque, qui fait toute la gravité de ces brèches ; elle peut être précoce ou tardive et alors évocatrice par son caractère récidivant.

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Toutes les fractures de la lame criblée de l'ethmoïde exposent au risque d'anosmie définitive par cisaillement des filets olfactifs traversant cette lame. Cette anosmie peut aussi être iatrogène lors de la fermeture chirurgicale d'une brèche durale siégeant à ce niveau.

Formes anatomocliniques Les fractures du sinus frontal, dont les dimensions sont très variables, peuvent

atteindre les parois antérieure, postérieure et les canaux nasofrontaux. Les fractures déplacées de la paroi antérieure ont des répercussions esthétiques avec perte du galbe frontal. Une fracture déplacée de la paroi postérieure peut provoquer une brèche dure-mérienne et une rhinorrhée cérébrospinale. L'obstruction des canaux nasofrontaux expose, en l'absence de traitement adéquat, au risque de mucocèle frontal.

Les fractures du CNEMFO se traduisent par un enfoncement monobloc ou comminutif du nez osseux dans l'ethmoïde associé à des fractures des parois médiales des orbites et des processus frontaux des maxillaires qui sont valgisés. Des fractures frontales et de la base du crâne sont associées. L'aspect du patient est caractéristique avec un aplatissement et un élargissement, ou une impaction, du nez sous la glabelle, une obstruction nasale et un télécanthus. Leurs conséquences ophtalmologiques, palpébrales, lacrymales, sinusiennes et méningées ont déjà été évoquées.

Les fractures fronto-orbitaires latérales associant une fracture du rebord orbitaire supérieur très solide et du toit de l'orbite peuvent être étendues en dedans aux sinus frontaux s'ils sont volumineux.

Traitement

Le traitement chirurgical, souvent complexe, nécessite au préalable une bonne appréciation des lésions apportée par le scanner et un avis pluridisciplinaire (neurochirurgical, maxillofacial et ophtalmologique si besoin). En attendant une réparation chirurgicale, souvent retardée de quelques jours, la surveillance des patients présentant une brèche ostéodurale repose sur la prise régulière de la température et le dépistage de signes évocateurs d'une méningite. La prescription large d'une antibiothérapie peut en masquer les signes et la ponction lombaire doit donc être effectuée au moindre doute.

Fractures occlusofaciales ou disjonctions craniofaciales (fig 15 et 16)

Ces fractures, secondaires à un traumatisme violent, intéressent le squelette de l'étage moyen de la face et entraînent une solution de continuité osseuse entre l'arcade maxillaire d'une part, et le squelette sus-jacent d'autre part. La classique description de Le Fort repose sur la hauteur de cette disjonction. La disjonction de Le Fort III (disjonction craniofaciale vraie) libère totalement le massif facial de la base du crâne qui peut être atteinte avec un risque de brèche méningée. La fracture de Le Fort II, en disjoignant les sutures maxillomalaires, respecte les malaires ce qui la différencie cliniquement de la fracture de Le Fort III. La fracture de Le Fort I désolidarise totalement et uniquement le plateau maxillopalatin du reste du massif facial. Les formes asymétriques sont fréquentes (hémi-Le Fort II d'un côté et hémi-Le Fort III de l'autre par exemple) ainsi que l'association à des traits de refend verticaux réalisant une disjonction intermaxillaire. Toute ces fractures passant par le nez, les fosses nasales ou les

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sinus maxillaires peuvent entraîner des hémorragies abondantes nasales ou buccales.

Deux signes cliniques sont pathognomoniques de ces disjonctions : le trouble de l'articulé dentaire et de la mobilité de l'arcade dentaire maxillaire. Le trouble occlusal par recul du massif facial ou du plateau maxillopalatin donne au patient un aspect de « faux prognathe » avec béance dentaire antérieure ou latérale. La hauteur de la disjonction peut être appréciée par la main exobuccale lors de la mobilisation endobuccale de l'arcade dentaire maxillaire.

Le diagnostic radiologique repose sur les incidences de Blondeau (ou Waters) donnant une idée assez précise de la hauteur de la disjonction et sur la téléradiographie de profil montrant le recul du massif facial et les fractures des apophyses ptérygoïdes. La radiographie des OPN et le panoramique dentaire complètent ces incidences. Les renseignements fournis par le scanner sont particulièrement utiles dans les Le Fort II et III (dont les traits intéressent les orbites et la base du crâne) et dans les formes complexes.

Traitement

Le traitement d'urgence est celui de tous les traumatismes importants. Le traitement chirurgical a pour but la restauration de l'articulé dentaire préexistant associé aux réparations orbitaires, nasales et basicrâniennes si besoin.

Fractures complexes (fig 16)

La classification des différentes lésions précédemment décrites est indispensable à la clarté de l'exposé. En pratique les associations lésionnelles, surtout en cas de chocs violents, sont extrêmement fréquentes pouvant regrouper tous les types de fractures et réaliser, au maximum, une fracture panfaciale. La multiplicité des traits de fracture augmente la difficulté des réparations osseuses.

Les traumatismes balistiques occupent une place à part dans la traumatologie maxillofaciale en raison de la complexité des lésions et des séquelles dont ils sont responsables. En pratique civile, il s'agit surtout de tentatives d'autolyse par arme de chasse, plus rarement d'agressions par arme de poing. Ces délabrements faciaux sont souvent très impressionnants et mutilants (fig 17). Grâce à la rapidité et à la qualité de la prise en charge et en l'absence de complications endocrâniennes dues au projectile les patients survivent à ces lésions. Les premiers gestes d'urgence ne diffèrent pas des mesures générales communes à tous ces traumatisés. Une fois arrivé dans une unité de soins intensifs, le blessé doit avoir un scanner en urgence pour rechercher une pénétration intracrânienne du projectile et pour faire le bilan des lésions faciales (fig 18). Ce bilan ne peut être fait correctement dans un premier temps qu'au bloc opératoire sous anesthésie générale et après la réalisation d'une trachéotomie. Les hémorragies sont contrôlées par des hémostases sélectives et des méchages, préférables aux ligatures des gros vaisseaux (carotides externes) qui suppriment certaines possibilités de reconstruction secondaires par lambeaux pédiculés ou microanastomosés.

Le traitement maxillofacial initial consiste, pour les parties molles, en un parage économe plan par plan, en un rapprochement des berges et une suture sur un drainage large avec, si

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possible, une fermeture étanche de la muqueuse pour éviter la constitution d'un orostome. En cas de perte de substance interruptrice de la mandibule, il faut rapidement maintenir l'espace grâce à un fixateur externe, à des broches de Kirschner en « X », ou à un blocage intermaxillaire si l'état dentaire le permet. Ce maintien de l'espace est indispensable pour éviter les rétractions des parties molles compliquant les reconstructions osseuses. L'utilisation des ostéosynthèses par fils d'acier ou plaques vissées doit être réduite et n'est indiquée qu'en cas de recouvrement muqueux ou cutané étanche. Les pertes de substance maxillopalatines sont laissées en cicatrisation dirigée, au besoin après isolement de la cavité buccale par une plaque palatine, et réparées secondairement chirurgicalement ou par une prothèse obturatrice. Celle-ci permet le traitement de la communication bucco-sinuso-nasale et la restauration prothétique dentaire très importante esthétiquement et fonctionnellement. La protection des globes est impérative en cas de plaies ou pertes de substance palpébrales.

La prise en charge secondaire de ces patients fait appel à de multiples interventions réparatrices espacées dans le temps et doit être accompagnée d'un suivi psychiatrique prolongé. Le traitement de certaines pertes de substance (nasale, auriculaire, orbitopalpébrale, palatine) peut bénéficier des solutions apportées par les prothèses maxillofaciales.

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Principes thérapeutiques des traumatismes maxillofaciaux

Les buts du traitement des traumatismes maxillofaciaux sont :

la réparation anatomique, squelettique et des parties molles, responsable du résultat esthétique ;

la restauration fonctionnelle intéressant la mastication, la ventilation, la déglutition, la phonation ;

la préservation des fonctions sensorielles et sensitives.

La mastication dépend du bon fonctionnement de l'appareil masticateur dans son ensemble. Les réparations anatomiques maxillomandibulaires et les restaurations dentaires ou prothétiques garantissent un bon articulé dentaire. La récupération de la mobilité des articulations temporomandibulaires dépend de l'intégrité de l'appareil discoligamentaire et des muscles masticateurs. Un compromis entre restauration anatomique et fonction articulaire est à discuter dans certaines fractures condyliennes.

La ventilation dépend de la perméabilité des fosses nasales qui ne doit pas être entravée par une sténose narinaire ou une déviation de cloison nasale.

La phonation et la déglutition dépendent, en dehors d'atteinte neurologique des paires crâniennes, de l'intégrité anatomique linguale, palatine et vélaire, labiale et mandibulaire.

Les troubles sensoriels intéressent la vision compromise par toute atteinte du globe, du nerf optique, des muscles oculomoteurs et de l'appareil palpébral. L'odorat et le goût pouvant être compromis par le traumatisme (fracture de la lame criblée de l'ethmoïde) ou par le traitement

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neurochirurgical d'une rhinorrhée cérébrospinale.

Les troubles sensitifs par atteinte des branches du trijumeau sont fréquents.

La date du traitement des fractures maxillofaciales est variable.

Dans les traumatismes maxillofaciaux isolés et simples, l'intervention doit pouvoir être très précoce, dès que les éléments du bilan sont rassemblés.

Pour les traumatismes complexes, l'obtention d'un bilan complet des lésions demande souvent un délai plus long. L'intervention peut sans dommage être différée de quelques jours dans la mesure où ce retard sera mis à profit par le chirurgien pour lui permettre de coordonner ses temps opératoires avec les autres spécialistes intéressés (neurochirurgien notamment).

Des interventions en un seul temps multidisciplinaires sont parfaitement réalisables en dépit de leur longue durée. Les résultats obtenus tant sur le plan esthétique qu'en ce qui concerne le confort du malade, sont en faveur, dans la mesure du possible, de la généralisation de cette attitude en dépit des contraintes multiples (installation et cohabitation des opérateurs, disponibilité) qu'elle impose.

Les fractures maxillofaciales peuvent induire nombre de séquelles fonctionnelles et esthétiques dont l'importance doit être réduite par un traitement bien et totalement conduit d'emblée (fig 19 et 20). Des interventions itératives, le recours à la kinésithérapie maxillofaciale et à la prothèse maxillofaciale étant souvent un complément indispensable à titre temporaire ou définitif.

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