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JUILLET/SEPTEMBRE 2009 Concurrence Concurrence Revue Lamy de la I Droit I Économie I Régulation I 20 20 Profession réglementée : la théorie de « l’état de la législation antérieure » ne vaut que pour les dispositions législatives adoptées avant 1958 Guylain CLAMOUR Mise en Seine de la concurrence Guylain CLAMOUR Lumière sur le groupe EDF Stéphane DESTOURS Le conseiller auditeur de l’Autorité : un homonyme plus qu’un homologue du conseiller auditeur communautaire Éric BARBIER de la SERRE et Clémence MACÉ de GASTINES Canada : premières modifications significatives de la loi sur la concurrence depuis 1985 Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ La théorie de l’entreprise défaillante « Failing Firm Defense »: une renaissance dans la crise ? Antoine WINCKLER Imputation de l’infraction et prescription : les enjeux de la notion d’entreprise en droit de la concurrence Linda ARCELIN-LÉCUYER La Commission d’examen des pratiques commerciales Jean-Christophe GRALL Aide nouvelle sur aide illégale et incompatible non remboursée ne vaut – Actualité de la doctrine Deggendorf Benjamin CHEYNEL ENTRETIEN « Le droit de la concurrence, garant du Marché commun, est au fondement de la construction économique et politique de l’Europe » Noëlle LENOIR ÉTUDES Droit de la publicité : bilan de l’année 2008 (2 de partie) Linda ARCELIN-LÉCUYER Politique de la concurrence et faillites bancaires – Les éclairages de la théorie économique Anne PERROT Le droit de la concurrence face aux défis de la crise mondiale François BRUNET PRATIQUE Loi de modernisation de l’économie – An I – Dispositions relatives aux relations industrie/commerce (2 de partie) Jean-Christophe GRALL, Thomas LAMY, Nathalia KOUCHNIR-CARGILL et Éléonore CAMILLERI BILLET D’HUMEUR « Plus, n’est pas nécessairement mieux » ou la difficulté de faire apparaître la (les) vraie(s) question(s) de droit dans la masse des décisions des autorités de concurrence Laurence BOY et Marc DESCHAMPS À LIRE Revues Simon GENEVAZ COLLOQUE Rencontres Lamy du droit de la concurrence Questions d’actualité La nouvelle Autorité de la concurrence Lundi 8 décembre 2008

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J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9

ConcurrenceConcurrenceRevue Lamy de la

IDroi t IÉconomie IRégulat ion I

2020

Profession réglementée : la théoriede « l’état de la législation antérieure »ne vaut que pour les dispositionslégislatives adoptées avant 1958Guylain CLAMOUR

Mise en Seine de la concurrenceGuylain CLAMOUR

Lumière sur le groupe EDFStéphane DESTOURS

Le conseiller auditeur de l’Autorité :un homonyme plus qu’un homologuedu conseiller auditeur communautaireÉric BARBIER de la SERREet Clémence MACÉ de GASTINES

Canada : premières modificationssignificatives de la loisur la concurrence depuis 1985Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ

La théorie de l’entreprise défaillante« Failing Firm Defense » :

une renaissance dans la crise ?Antoine WINCKLER

Imputation de l’infractionet prescription : les enjeux

de la notion d’entreprise en droitde la concurrence

Linda ARCELIN-LÉCUYER

La Commission d’examendes pratiques commerciales

Jean-Christophe GRALL

Aide nouvelle sur aide illégale et incompatible non remboursée

ne vaut – Actualité de la doctrineDeggendorf

Benjamin CHEYNEL

ENTRETIEN

« Le droit de la concurrence,garant du Marché commun, estau fondement de la constructionéconomique et politiquede l’Europe »Noëlle LENOIR

ÉTUDES

Droit de la publicité : bilande l’année 2008 (2de partie)Linda ARCELIN-LÉCUYER

Politique de la concurrenceet faillites bancaires –Les éclairages de la théorie économiqueAnne PERROT

Le droit de la concurrence faceaux défis de la crise mondialeFrançois BRUNET

PRATIQUE

Loi de modernisationde l’économie – An I –Dispositions relatives aux relationsindustrie/commerce (2de partie)Jean-Christophe GRALL, Thomas LAMY,Nathalia KOUCHNIR-CARGILLet Éléonore CAMILLERI

BILLET D’HUMEUR

« Plus, n’est pas nécessairementmieux »ou la difficulté de faire apparaîtrela (les) vraie(s) question(s) de droit

dans la masse des décisionsdes autorités de concurrenceLaurence BOY et Marc DESCHAMPS

À LIRE

RevuesSimon GENEVAZ

COLLOQUE

Rencontres Lamy du droitde la concurrenceQuestions d’actualité –La nouvelle Autoritéde la concurrenceLundi 8 décembre 2008

2 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

Conseil scientifique

Éditeur :WOLTERS KLUWER FRANCESAS au capital de 300 000 000 €

Siège social :1, rue Eugène et Armand Peugeot92856 Rueil-Malmaison CedexRCS Nanterre 480 081 306

Directeur de la publication,Président Directeur Général :Xavier GandillotAssocié unique : Holding Wolters Kluwer France Directrice de la rédaction :Héléna AlvesRédactrice en chef : Julie Vasa (01 76 73 42 53 ;[email protected])

Réalisation PAO :Camille Mathy, Audrey ÉvrardAssistante d’édition :Florine Lhuillier

Imprimerie : Delcambre BP 389 - 91959 Courtabœuf cedex

Nº Commission paritaire :1211 T 85786

Dépôt légal : à parution

N° ISSN : 1770-9377

Abonnement annuel :462 € HT (TVA 2,10 %), 471,70 € TTC

Périodicité : trimestrielle

Prix au numéro : 119 € HT (TVA 2,10 %), 121,50 € TTC

Information et commande :Tél. : 0 825 08 08 00Fax : 01 76 73 48 09

Internet : http://www.wkf.fr

Cette revue peut être référencéede la manière suivante :RLC 2009/20, n° 1387 (année/n°de la revue, n° du commentaire)

ConcurrenceConcurrenceRevue Lamy de la

IDroi t IÉconomie IRégulat ion I

> Jacques AzémaAgrégé des Facultés de droit Directeur du Centre Paul Roubier

> Roger BoutAgrégé des Facultés de droit Professeur à l’UniversitéPaul Cézanne, Aix-Marseille III

> Dominique BraultAvocat à la CourAncien Rapporteur général de la Commission de la concurrencePrésident d’honneur de l’AFEC

> Guy CanivetMembre du Conseilconstitutionnel

> Guillaume CerrutiPDG de Sotheby’s FranceAncien Directeur général de la DGCCRF

> Marie-Anne Frison-RocheProfesseur des Universitésà Sciences Po

> Olivier GuersentChef d’Unité « Mergers II »,Commission européenne

> Marie-Dominique HagelsteenPrésident-adjoint de la Section du contentieux du Conseil d’État

> Christine HomobonoDirecteur général de la DGCCRF

> Frédéric JennyPrésident du Comitéde la concurrence de l’OCDE Conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire

> Bruno LasserrePrésident de l’Autoritéde la concurrence

> Aristide LéviDirecteur du CREDA (Centre derecherche sur le droit des affairesde la Chambre de commerceet d’industrie de Paris)

> Christian MontetProfesseur à l’Universitéde Polynésie française et LAMETAUniversité de Montpellier I

> Michel PédamonProfesseur émérite de l’UniversitéPanthéon-Assas (Paris II)

> Jacqueline Riffault-SilkConseiller à la Cour de cassation

> Stephen C. SalopProfessor of Economics and LawGeorgetown University Law Center

> Véronique SélinskyAvocat

> Kurt StockmannAncien Vice-président a. D.du Bundeskartellamt

> Bo VesterdorfAncien Président du Tribunal de première instance des Communautés européennes

> Véronique SélinskyConseiller de la rédaction

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 3

À l’occasion des premières Rencontres judicieusement organisées par l’Autorité de la

concurrence le 15 juin 2009, son président, M. Bruno Lasserre, a fait valoir que si l’on pouvait

regretter que l’Autorité ne puisse toujours pas apprécier l’opportunité des poursuites, cela avait

au moins, en contrepartie, l’avantage de lui permettre d’explorer des champs nouveaux

et intéressants pour la concurrence.

Cela était dit dans un propos introductif à une présentation de la jurisprudence du Conseil

de la concurrence sur le commerce en ligne. Il est exact que, grâce aux latitudes que lui donnent les procédures qui

débouchent sur des engagements, l’organe qui était censé s’en tenir au contrôle des pratiques anticoncurrentielles sans

empiéter sur celui des pratiques restrictives s’est de fait investi dans ce dernier domaine de manière aussi utile

qu’efficace. Il marque des limites à la liberté du refus de vente lorsqu’il réserve aux membres d’un réseau

de distribution sélective celle de vendre des produits de luxe sur Internet. Il offre ainsi aux justiciables une alternative

aux tribunaux qui auraient une vocation plus évidente à sanctionner le parasitisme. C’est encore de concurrence

déloyale que traite l’Autorité de la concurrence lorsque, reprochant à EDF, producteur d’électricité photovoltaïque, de

faire du détournement de clientèle aux dépens de fournisseurs alternatifs, elle corrige sa communication

institutionnelle. Quand l’Autorité sanctionne des actes de publicité comparative diffamante et trompeuse (Aut. conc., déc.

n° 09-D-14, 25 mars 2009, Gaz et Électricité de Grenoble), c’est dans le champ de compétence du tribunal correctionnel qu’elle intervient.

Sans contester le principe et les fondements de ces incursions, on peut s’inquiéter de voir bientôt l’Autorité

submergée par de trop nombreuses sollicitations. Les nouvelles et lourdes missions dont elle a récemment été

chargée, ainsi que sa crédibilité et l’efficacité que lui assure une gamme diversifiée de procédures et de sanctions

ne risquent-elles pas de l’entraîner vers l’engorgement? L’Autorité va-t-elle être victime de son succès? Va-t-elle

connaître un afflux de demandes et l’allongement qui en résulte fatalement pour la durée moyenne de ses

procédures alors que le Conseil de la concurrence avait beaucoup progressé à cet égard? Dans quelle mesure

y remédiera-t-elle par le recours à l’abandon de la collégialité pour la prise de décision? Était-il judicieux d’inviter

l’Autorité à se distraire des vrais problèmes de fonctionnement des marchés en donnant des avis (déjà plus de 15!)

sur les dérogations aux règles relatives aux délais de paiement?

Autant de questions qui suggèrent la nécessité d’alléger la charge de l’Autorité. Un effort budgétaire a été fait pour

proportionner ses moyens à des tâches accrues. Est-ce une réponse suffisante? Nous pouvons en douter. Tôt ou tard

il faudra aussi proportionner les tâches à des moyens qui sont nécessairement limités.

Alors que même la Cour de cassation et le Conseil d’État se sont autorisé une certaine sélectivité, un organe de nature

administrative tel que l’Autorité de la concurrence ne peut même pas rejeter une saisine qui pose principalement des

problèmes relevant de la compétence des tribunaux ou une plainte qui dissimulerait mal son instrumentalisation.

Un premier pas a été fait dans la LME pour doter le rapporteur général d’un certain pouvoir d’appréciation

de l’opportunité des poursuites puisqu’il peut désormais choisir dans les programmes d’enquêtes de la DGCCRF

ou dans les résultats des enquêtes que cette dernière a réalisées les affaires qui lui paraissent mériter d’être traitées

par l’Autorité. Dès lors, on ne voit pas au nom de quelle logique ce qui vaut pour les affaires dont l’origine

est ministérielle ne vaudrait pas pour toutes les saisines, quelle qu’en soit l’origine.

Quelques réserves que l’on ait sur le nouveau dispositif de règlement des pratiques anticoncurrentielles mineures,

il aura au moins le mérite de concourir à une plus grande concentration de l’Autorité sur les principaux

dysfonctionnements des marchés.

Il faudra d’autres idées pour rompre avec l’illusion que, telle une juridiction, l’Autorité a compétence liée quel que

soit l’intérêt des cas dont elle est saisie. Moins encombrée de dossiers, elle pourrait traiter chacun avec davantage

de soin et de célérité.

Je souhaite que des lecteurs de la Revue lancent ces nouvelles idées. ◆

DominiqueBRAULT

Avocat à la Cour

Ancien rapporteurgénéral

de la Commissionde la concurrence

Présidentd’honneurde l’AFEC

L’autorité « unique » court-ellele risque d’un étouffement?

éditorial

56

4 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

9

25

35

43

Concentrations économiquesChristian MONTET et Antoine WINCKLER

ÉCLAIRAGE

9> La théorie de l’entreprisedéfaillante « Failing Firm Defense » :une renaissance dans la crise?Antoine WINCKLER

ACTUALITÉS

17 > Poursuite de la consolidation du secteuraérien : Iberia fait main basse sur le lowcost en Espagne

18 > La Commission autorise la prisede participation par Dassault Aviationdans Thales

19 > La crise financière : la Commissionautorise la première nationalisationd’une banque

19 > Rejet de l’argument de l’entreprisedéfaillante à l’occasion d’une opérationde concentration dans le secteur des batteries de démarrage automobile

20 > Concentration sous conditions dansle secteur de la viande

21 > Comment vendre et garder le contrôle

22 > Premières décisions d’autorisationde l’Autorité de la concurrence

Pratiques anticoncurrentiellesDominique BRAULT et Véronique SÉLINSKY

ÉCLAIRAGE

25> Imputation de l’infractionet prescription : les enjeuxde la notion d’entreprise en droitde la concurrenceLinda ARCELIN-LÉCUYER

ACTUALITÉS

27 > Arrêt cardiaque

27 > Téléphonie mobile et pratiquesconcertées

27 > Recevabilité des enregistrements sonoresréalisés à l’insu des personnesenregistrées : la Cour persiste et signe(de la main de son Président)

29 > Exclusivité dans les stations-service

29 > Exclusivité d’approvisionnement

30 > Les pharmaciens d’officinene bénéficient pas d’une exclusivitéterritoriale

30 > Pratiques tarifaires abusives

31 > Même pour riposter à des pratiquescommerciales critiquables de la partde son concurrent, un opérateurdominant n’est pas autorisé à le dénigrer

31 > Position dominante et marché connexe

32 > (In)compatibilité entre engagementset mesures conservatoires

33 > Calcul des amendes et récidive

33 > Détermination du montant des amendeset ententes

34 > Feu principe de dissociation?

Transparence et pratiques restrictivesMartine BÉHAR-TOUCHAIS

ÉCLAIRAGE

35 > La Commission d’examendes pratiques commercialesJean-Christophe GRALL

ACTUALITÉS

39 > Autonomie de l’action de protectiondu fonctionnement du marchéet de la concurrence du ministre

40 > De l’application de l’article L. 442-6-I-5°du Code de commerce,lors des négociations?

41 > De la rupture immédiate de relationscommerciales établies pour proposracistes tenus par le contractant

41 > Du point de départ du préavispour l’application de l’article L. 442-6-I-5°du Code de commerce

Aides d'ÉtatJean-Louis COLSON, Jacques-Philippe GUNTHER, Christian LAMBERTet Lucien RAPP

ÉCLAIRAGE

43> Aide nouvelle sur aide illégaleet incompatible non rembourséene vautActualité de la doctrine DeggendorfBenjamin CHEYNEL

ACTUALITÉS 52 > Licence UMTS, suite et fin53 > Grille d’analyse de la compatibilité

des aides d’État54 > Communication de la Commission

relative à l’application des règlesen matière d’aides d’Étatpar les juridictions nationales

Concurrence et droit publicGuylain CLAMOUR, Stéphane DESTOURS et Philippe TERNEYRE

ÉCLAIRAGES

56> Profession réglementée : la théoriede « l’état de la législationantérieure » ne vaut que pourles dispositions législatives adoptéesavant 1958Guylain CLAMOUR

58> Mise en Seine de la concurrenceGuylain CLAMOUR

59> Lumière sur le groupe EDFStéphane DESTOURS

Actualités

160117

93 129

81

Ce numéro est accompagné de deux encarts publicitaires

Perspectives

90

132

ENTRETIEN

90> « Le droit de la concurrence,garant du Marché commun,est au fondement de la constructionéconomique et politique de l’Europe »Noëlle LENOIR

ÉTUDES

93> Droit de la publicité : bilande l’année 2008 (2de partie)Linda ARCELIN-LÉCUYER

99> Politique de la concurrenceet faillites bancaires –Les éclairages de la théorieéconomiqueAnne PERROT

104> Le droit de la concurrence faceaux défis de la crise mondialeFrançois BRUNET

PRATIQUE

117> Loi de modernisation de l’économie– An I –

Dispositions relatives aux relationsindustrie/commerce (2de partie)Jean-Christophe GRALL, Thomas LAMY,Nathalia KOUCHNIR-CARGILL et Eléonore CAMILLERI

BILLET D’HUMEUR

129 > « Plus, n’est pas nécessairementmieux » ou la difficulté de faireapparaître la (les) vraie(s) question(s)de droit dans la masse des décisionsdes autorités de concurrencePar Laurence BOY et Marc DESCHAMPS

COLLOQUE

132 > Rencontres Lamy du droitde la concurrenceLa nouvelle Autorité de la concurrence –Questions d’actualité8 décembre 2008

À LIRE

160> RevuesSimon GENEVAZ

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 5

sommaire

66

ACTUALITÉS60 > Un Ordre anticoncurrentiel60 > Obsèques anticoncurrentielles (suite)61 > Eurocontrol hors contrôle61 > Centre Pompidou, extérieurs

concurrentiels63 > Îles déloyauté64 > Concurrence sécurisée64 > Le repos dominical n’est pas un luxe65 > Police et activités économiques

en archéologie préventive

Droit processuelde la concurrenceÉric BARBIER de la SERRE et Cyril NOURISSAT

ÉCLAIRAGE

66> Le conseiller auditeurde l’Autorité : un homonyme plusqu’un homologue du conseillerauditeur communautaireÉric BARBIER de la SERREet Clémence MACÉ de GASTINES

ACTUALITÉS

70 > De nombreux enseignementssur la prescription en droit communautaire

72 > Accès au dossier de la Commissionen vue de poursuites civiles

73 > Les poursuites civiles comme « intérêtpublic supérieur » justifiant un accèsaux documents de la Commission

74 > Quand le ministre tire le premiermais à titre incident

75 > Aides d’État : une jurisprudence sinueusesur le droit de contester devant le Tribunaldes éléments factuels non remis en causedevant la Commission

76 > L’autre façon de prendre en comptela coopération

77 > Absence d’exercice de la pleine juridictiond’office à la hausse

78 > Le contrôle de légalité, une peaude chagrin?

79 > Recours contre les opérations de visiteset saisies : nouveaux délais, nouvellesprocédures

Décisions des autorités nationalesde concurrence étrangèresLoraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ

ÉCLAIRAGE

81> Canada : premières modificationssignificatives de la loisur la concurrence depuis 1985Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ

86 > Nouvelle-Zélande : les entreprisesétrangères et les personnes physiquesn’échapperont pas à l’application du droitde la concurrence

88 > Chine : l’interdiction de l’acquisitiondu groupe Huiyuan Juice par la sociétéCoca-Cola, une décision insatisfaisantepour les entreprises étrangères

6 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

CONCENTRATIONS RLCÉCONOMIQUES

ENTREPRISE DÉFAILLANTE, FAILING FIRM DEFENSE (FFD) 1387CONCENTRATION, SECTEUR AÉRIEN, « LOW COST », CESSIONDE CRÉNEAUX

Déc. Comm. CE, 9 janv. 2009, aff. COMP/M.5364, Iberia/Vueling/Clickair, JOUE 26 mars, n° C 72 1388

CONCENTRATION, DÉFENSE, AÉRONAUTIQUE, EFFETS VERTICAUX

Déc. Comm. CE, 10 mars 2009, aff. COMP/M.5426, DassaultAviation/TSA/Thales 1389

CONCENTRATION, BANQUE, NATIONALISATION, CRISE

Déc. Comm. CE, 14 mai 2009, aff. COMP/M.5508, SoFFin/HypoReal Estate 1390

CONCENTRATION, BATTERIES AUTOMOBILES, ENTREPRISEDÉFAILLANTE

Déc. Comm. CE, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm 1391

VIANDE, EFFETS HORIZONTAUX, EFFETS CONGLOMÉRAUX, PARTAGEDE MARQUE

Lettre min. Éco., n° C2008-100, 17 févr. 2009, Groupe Bigard/Socopa Viandes 1392

CONCENTRATION, BIÈRE, CONTRÔLE CONJOINT, RESTRICTIONACCESSOIRE

Lettre min. Éco., Ind. et Emploi n° C2008/129, 5 mars 2009,aux conseils de la société Pédandel, relative à une concentrationdans le secteur des boissons, BOCCRF 27 avr. 2009 1393

SEUIL DE NOTIFICATION, COMMERCE DE DÉTAIL, CONCESSIONNAIREAUTOMOBILE, HYPERMARCHÉ

Aut. conc., déc. n° 09-DCC-01, 8 avr. 2009, relative à la prisede contrôle de la société Pellier Metz S.A.S. par le groupeBailly S.A.S. ;Aut. conc., déc. n° 09-DCC-04, 29 avr. 2009, relative à la prisede contrôle de la société Noukat par la société d’ExploitationAmidis & Cie SAS, filiale du Groupe Carrefour 1394

PRATIQUES RLCANTICONCURRENTIELLES

NOTION D’ENTREPRISE, IMPUTATION DE L’INFRACTION, PRESCRIPTION

TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg,ArcelorMittal Belval & Differdange, ArcelorMittal Internationalc/ Commission 1395

COMPÉTENCES CONCURRENTES, APPELS D’OFFRES

CA Paris, 1re ch., sect. H, 8 avr. 2009, n° RG : 2008/01092 1396

PRATIQUE CONCERTÉE, PREUVE, RÉUNION

CJCE, 4 juin 2009, aff. C-8/08, T-Mobile Netherlands BV e.a.c/ Raad van bestuur van de Nederlandse Mededingingsautoriteit ;Communiqué CJCE n° 47/09, 4 juin 2009 1397

PREUVE, LOYAUTÉ, PROCÉDURE PÉNALE, PROPORTIONNALITÉ

CA Paris, 29 avr. 2009, 1re ch., sect. H, n° RG : 2008/11907,Philips France e.a. 1398

STATION-SERVICE, EXCLUSIVITÉ, DURÉE, PRIX

CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-260/07, Pedro IV Serviciosc/ Total España SA 1399

PAIEMENT, EXCLUSIVITÉ D’APPROVISIONNEMENT

Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation 1400

ORDRE PROFESSIONNEL, SANTÉ, EXCLUSIVITÉ TERRITORIALITÉ,PHARMACIENS, DÉONTOLOGIE

Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, Ordre des pharmaciensde Basse-Normandie 1401

EXCLUSIVITÉ D’APPROVISIONNEMENT, REMISE, MICROPROCESSEUR,PRATIQUE TARIFAIRE ABUSIVE

Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation 1402

MONOPOLE, POSITION DOMINANTE, ABUS, DÉNIGREMENT,

DÉRÉGULATION

Aut. conc., déc. n° 09-D-14, 25 mars 2009, relative à des pratiquesmises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l’électricité 1403

Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence

Index thématique des sources commentées

POSITION DOMINANTE, MARCHÉ CONNEXE, ABUS, LIEN DE CAUSALITÉ,PRIX PRÉDATEURS

Cass. com., 17 mars 2009, n° 08-14.503, P+B+R 1404

PROCÉDURES NÉGOCIÉES, ENGAGEMENTS, MESURES CONSERVATOIRES,MARCHÉ ÉMERGENT, CONCURRENCE DÉLOYALE

Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, affaire relativeaux pratiques d’EDF visant à favoriser les activités concurrentiellesde sa filiale de production d’électricité photovoltaïque 1405

AMENDE, RÉCIDIVE, LÉGALITÉ DES PEINES

TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland-Werke AGc/ Commission 1406

ENTENTE, AMENDE, ÉGALITÉ DE TRAITEMENT

TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-12/03, Itochu Corp. c/ Commission ;TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo Co., Ltd, Nintendoof Europe GmbH c/ Commission 1407

NOTION D’ENTREPRISE, PRINCIPE DE DISSOCIATION, NAVIGATIONAÉRIENNE, SÉCURITÉ

CJCE, 26 mars 2009, aff. C-113/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA 1408

TRANSPARENCE RLCET PRATIQUES RESTRICTIVES

COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES (CEPC), LME

Ord. n° 2008-1161, 13 nov. 2008, JO 14 nov. 1409

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, PRATIQUES RESTRICTIVES, ACTION PROPRE,DÉLÉGATION DE POUVOIRS, CEDH

Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-15.264, D 1410

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES,NÉGOCIATION, AGENT COMMERCIAL, POURPARLERS

Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-11.916, D 1411

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES, FAUTEDU COCONTRACTANT, PROPOS RACISTES, OBLIGATION DE LOYAUTÉ

Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-13.964, D 1412

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES, PRÉAVISPOINT DE DÉPART, INFORMATION SUR LA NON-CONTINUATIONDES RELATIONS

Cass. com., 7 avr. 2009, n° 08-11.572, D 1413

AIDES D'ÉTAT RLCDOCTRINE DEGGENDORF, AIDE NOUVELLE, AIDE ILLÉGALE, AIDEINCOMPATIBLE

TPICE, 11 févr. 2009, aff. T-25/07, Iride et Iride Energiac/ Commission 1414

CONCURRENCE, AIDES D’ÉTAT, LICENCE UMTS, ANTÉRIORITÉ, AVANTAGE,NATURE ET ÉCONOMIE DU SYSTÈME

CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-431/07, Bouygues et Bouygues Telecomc/ Commission 1415

CONCURRENCE, AIDES D’ÉTAT, LICENCE UMTS, ANTÉRIORITÉ, AVANTAGE,NATURE ET ÉCONOMIE DU SYSTÈME

Projet de principes communs d’évaluation économiquede la compatibilité des aides d’État en application de l’article 87,paragraphe 3 1416

AIDES D’ÉTAT, COMMISSION, JURIDICTIONS NATIONALES, SUBSIDIARITÉ,AIDES ILLÉGALES, RÉCUPÉRATION, DOMMAGES ET INTÉRÊTS,ASSISTANCE

Communiqué Comm. CE n° IP/09/316, 25 févr. 2009,JOUE 9 avr., n° C 85 1417

CONCURRENCE RLCET DROIT PUBLIC

PROFESSIONS RÉGLEMENTÉES, LIBERTÉS PUBLIQUES, LIBERTÉSPROFESSIONNELLES, THÉORIE DE LA LÉGISLATION ANTÉRIEURE

CE, 21 nov. 2008, n° 293960, Association Faste Sud Aveyron 1418

MESURE DE POLICE ADMINISTRATIVE, BATEAU-MOUCHE

CE, 15 mai 2009, n° 311082, Société Compagnie des bateaux-mouches 1419

Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 7

Le texte intégral des sources commentées

est accessible en ligne grâce au cédérom

Revue Lamy de la Concurrence

CONFUSION, OPÉRATEUR HISTORIQUE, ÉLECTRICITÉ

Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, relative à la saisineau fond et à la demande de mesures conservatoires présentéepar la société Solaire Direct 1420

ORDRE PROFESSIONNEL, PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE

Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, relative à des pratiquesmises en œuvre par le conseil régional de l’Ordre des pharmaciensde Basse-Normandie 1421

RÉGIE MUNICIPALE, POMPES FUNÈBRES, ABUS DE POSITIONDOMINANTE

CA Paris, 1re ch., sect. H, 31 mars 2009, n° 2008/11353 1422

ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE, ENTREPRISE, PRÉROGATIVES DE PUISSANCEPUBLIQUE

CJCE, 26 mars 2009, aff. C-11/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA 1423

CONCESSION DOMANIALE, DOMAINE PUBLIC, POSITION DOMINANTE

CAA Paris, 16 mars 2009, n° 07PA02471, Centre national d’artet de culture Georges Pompidou 1424

ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE, SERVICE PUBLIC, CONCURRENCE PUBLIQUE,PRINCIPE DE NON-CONCURRENCE, CONCURRENCE DÉLOYALE,PRIX ANORMALEMENT BAS, RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE

CAA Paris, 15 déc. 2008, n° 05PA01979, Société Transiles 1425

PROFESSION RÉGLEMENTÉE, LIBERTÉ DU COMMERCEET DE L’INDUSTRIE

CAA Versailles, 18 déc. 2008, n° 06VE02076, X. c/ Préfecturede l’Essonne 1426

REPOS HEBDOMADAIRE, DÉROGATION

CE, 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationalede l’habillement, nouveauté et accessoires 1427

ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE, POLICE ADMINISTRATIVE, ACTIVITÉÉCONOMIQUE

CE, 11 mai 2009, n° 296919, Ville de Toulouse 1428

DROIT PROCESSUEL RLCDE LA CONCURRENCE

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE, CONSEILLER AUDITEUR, DROITSDE LA DÉFENSE

L. n° 2008-776, 4 août 2008, JO 5 août ; D. n° 2009-335,26 mars 2009, JO 28 mars 1429

PRESCRIPTION, INTERDICTION (EFFET ERGA OMNES), SUSPENSION(EFFET RELATIF)

TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg e.a.c/ Commission 1430

ACCÈS AUX DOCUMENTS, RÈGLEMENT N° 1049/2001, EXCEPTIONS,PROTECTION DU PROCESSUS DÉCISIONNEL

TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, Borax Europe c/ Commission ;TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, Borax Europe c/ Commission 1431

ACTIONS CIVILES, MÉDIATEUR, ACCÈS AUX DOCUMENTS, ARTICULATIONAVEC PROGRAMMES DE CLÉMENCEProjet de recommandation du Médiateur européen dans sonenquête relative à la plainte 3699/2006/ELB contrela Commission européenne 1432

RECOURS INCIDENT, RECEVABILITÉ, PORTÉE DU RECOURS

CA Paris, 8 avr. 2009, n° 2008/01092, ELA Medical e.a. 1433

AIDES D’ÉTAT, RECOURS EN ANNULATION, RECEVABILITÉ DES MOYENS,ARGUMENTS NON PRÉSENTÉS LORS DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE

TPICE, 4 mars 2009, aff. T-445/05, Associazone italiana del risparmiogestito e.a. c/ Commission ; TPICE, 1er juill. 2009, aff. T-81/07,T-82/07 et T-83/07, KG Holding c/ Commission 1434

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES, AMENDES, COOPÉRATIONEN-DEHORS DE LA COMMUNICATION SUR LA CLÉMENCE, PÉRIODEET VALEUR AJOUTÉE DE LA COOPÉRATION

TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission 1435

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES, AMENDES, PLEINE JURIDICTION,ABSENCE DE RÉVISION D’OFFICE À LA HAUSSE

TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission,non encore publié 1436

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES ET CONCENTRATIONS, CONTRÔLEDE LÉGALITÉ, INTENSITÉ DU CONTRÔLE

TPICE, 7 mai 2009, aff. T-151/05, NVV e.a. c/ Commission ; TPICE,6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission ; TPICE,6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission ;TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a.c/ Commission 1437

OPÉRATIONS DE VISITES, DÉROULEMENT DES OPÉRATIONS, LOIDE SIMPLIFICATION ET DE CLARIFICATION DU DROIT

L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139 VII (1°), JO 13 mai 1438

DÉCISIONS DES AUTORITÉS RLCNATIONALESDE CONCURRENCEÉTRANGÈRE

CANADA, LOI SUR LA CONCURRENCE

L.R., 1985, ch. C-34, Loi sur la concurrence, disponible sur le site< http://lois.justice.gc.ca/fr/ShowFullDoc/cs/C-34//20090728/fr> 1439

NOUVELLE-ZÉLANDE, CARTEL, SECTEUR DES PRODUITS CHIMIQUESDE CONSERVATION DU BOIS

Neil Harris v. The Commerce Commission, CA CA255/2007,18 mars 2009, connu sous le nom de The Koppers Arch Litigation,décision disponible sur le site du ministère de la justicede Nouvelle-Zélande <http://jdo.justice.govt.nz> 1440

CHINE, ACQUISITION, INTERDICTION

Site <www.hhlaw.com/zh-CHS/pressroom/newspubs/pubDetail.aspx?publication = 4387> 1441

Nomenclature des arrêts de la Cour de cassationD : arrêt diffusé - P : arrêt publié au bulletin mensuel - B : arrêt publié au bulletin d’information - R : arrêt mentionné dans le rapport annuel - I : arrêt publié sur le site internet

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 9

INTRODUCTION

Depuis le déclenchement de la crise financière au cours del’été 2007, les économies à l’échelle mondiale connaissent unerécession sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale.Dans cet environnement économique instable, les opérationsde concentration dans lesquelles une des parties (ou les deux)se trouve(nt) au bord de la faillite vont nécessairement se mul-tiplier. Cette situation a fait ressurgir les questions qui entou-rent l’intégration d’objectifs de politique économique ou so-ciale au sens large dans la régulation de la concurrence et plusprécisément celle de la théorie de l’entreprise défaillante –« failing firm defense » (ci-après « FFD ») – dans le cadre ducontrôle des concentrations. La FFD, également connue enEurope sous la dénomination de « concentration de sauve-tage » (« rescue merger »), est un concept reconnu de longuedate et appliqué de manières diverses par une grande majo-rité des autorités de concurrence à travers le monde.La FFD est généralement invoquée par la partie notifiante lorsquela cible est sur le point de faire faillite et se trouve dans une si-tuation telle qu’elle risque de disparaître du marché si l’opéra-tion envisagée n’a pas lieu. Dans de tels cas, la doctrine de laFFD veut que l’autorité de concurrence compétente puisse dé-cider d’autoriser la concentration, quand bien même celle-cicréerait ou renforcerait une position dominante de nature à dé-tériorer la structure concurrentielle du marché, en raison del’absence de lien de causalité entre l’opération de concentra-tion et l’effet négatif potentiel sur la concurrence. L’idée est quemême si l’opération de concentration n’avait pas lieu, la situa-tion concurrentielle serait dégradée puisque la cible et ses ac-tifs sortiraient inéluctablement à court terme du marché et quel’entreprise acquérante récupérerait en tout état de cause la plusgrande partie de la part de marché de l’entreprise défaillante.Dans de tels cas, la perte éventuelle de compétitivité sur le mar-ché due à la faillite de la cible est équivalente à celle qui résul-terait de la réalisation de l’opération de concentration. Il n’y adonc pas de lien de causalité entre la concentration et la dété-rioration de la structure concurrentielle du marché.

On voit combien ce type de justification repose aussi bien surune analyse des conditions de concurrence prévalant histori-quement sur le marché en cause, que sur l’analyse de la plau-sibilité relative des scénarios futurs possibles, voire d’une sortede classement concurrentiel des résultats possibles, selon quel’opération a lieu ou non.La charge de la preuve de l’absence de lien de causalité estclassiquement supportée par les parties à l’opération mais lerôle de l’autorité de régulation est évidemment capital dansl’évaluation difficile des scénarios alternatifs (les « counter-factuals »). On notera au passage que la FFD fait partie d’unensemble d’instruments qui permet aux régulateurs de ré-pondre aux situations d’urgence, comme par exemple le faitde déroger à l’obligation de suspension des opérations deconcentration pendant l’enquête.Étant donné le caractère éminemment hypothétique de l’exer-cice et sachant qu’en tout état de cause – l’autorité de régula-tion est appelée à trancher entre la création d’une position do-minante et la disparition complète d’un concurrent –, il n’estpas étonnant que, malgré une existence déjà ancienne, la FFDn’a été appliquée qu’à de rares occasions. Il n’est pas étonnantnon plus que la mise en œuvre de la FFD ait été entourée clas-siquement de précautions rigoureuses. Néanmoins, la réces-sion économique actuelle amènera nécessairement les autori-tés de concurrence à « revisiter » leur application du contrôledes concentrations (pour plus d’informations, cf. Knox R., ICN 2009 : Enforcers exa-mine merger control in tough times, 3 juin 2009, Global Competition Review, <http://www.glo-balcompetitionreview.com/news/article/15869/icn-2009-enforcers-reconsider-icn-focus>)face à une recrudescence significative des occasions dans les-quelles la FFD sera invoquée (la théorie de l’entreprise défaillante a récemmentété invoquée dans l’affaire de la concentration de la chaîne de grands magasins allemandeKaufhof avec son concurrent Karstadt, annoncée le 18 mai 2009, ainsi que dans l’affaire rela-tive à l’acquisition de Preston Bus Limited par son concurrent Stagecoach Bus Holding Limi-ted – affaire renvoyée à la Competition Commission par l’OFT le 28mai 2009; cf.<http://www.glo-balcompetitionreview.com/news/article/15406/german-department-stores-consider-2-1-merger>,ainsi que <http://www.oft.gov.uk/news/press/2009/62-09>. De même, il n’est pas impos-sible que, sur certains marchés, la faillite de grands constructeurs nord-américains donne lieuà des discussions du même ordre).

La théorie de l’entreprisedéfaillante « Failing FirmDefense » : une renaissancedans la crise?Dans le contexte actuel de la crise financière, la théorie de l’entreprise défaillante pourrait trouverune actualité nouvelle. Le présent article revisite les cas fondateurs de cette théorie aux États-Unis et en Europe, avant d’analyser l’opportunité de son renouveau face à la rapide aggravationde la situation de l’économie réelle.1387

Par AntoineWINCKLER

ACTU

ALITÉS

CONCENTRATIONSÉCONOMIQUESSous la responsabilité de Christian MONTET, Université de la Polynésie française et LAMETA, Université de Montpellier Iet Antoine WINCKLER, Avocat, Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP. ÉCLAIRAG

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RLC

10 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

Le présent article propose un résumé de la position des États-Unis et de l’Union européenne concernant la FFD (I) et ana-lyse quelques exemples et arguments échangés dans le contextede la crise actuelle (II).

I. – RÉSUMÉ DES POSITIONS AMÉRICAINEET COMMUNAUTAIRE

A. – Les États-Unis

La FFD est apparue aux États-Unis dès 1930. Elle est actuel-lement codifiée à l’article 5 des « lignes directrices sur lesconcentrations horizontales » de 1997 qui sont communes auDépartement américain de la Justice (« DoJ ») et à la FederalTrade Commission (ci-après « les lignes directrices » ; US Department of Justice andFederal Trade Commission Horizontal Merger Guidelines, 2 avr. 1992, révisée le 8 avr. 1997,disponible sur <http://www.usdoj.gov/atr/public/guidelines/horiz_book/toc.html>).Les lignes directrices posent quatre conditions cumulativespour l’application de la FFD. Les parties à la concentrationdoivent démontrer que (i) l’entreprise défaillante est incapablede remplir ses obligations financières à court terme, (ii) ellen’est pas en mesure de se réorganiser avec succès dans lecadre du Chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, (iii)elle a fourni, de bonne foi et sans succès, des efforts pour re-chercher une offre alternative d’acquisition raisonnable (moinspréjudiciable pour la structure concurrentielle du marché), et(iv) en l’absence de concentration, ses actifs sortiraient vrai-semblablement du marché, c’est-à-dire ne seraient rachetéspar d’autres opérateurs du marché pertinent (ibid., Section 5.1 « Amerger is not likely to create or enhance market power or facilitate its exercise if the followingcircumstances are met : (i) the allegedly failing firm would be unable to meet its financialobligations in the near future ; (2) it would not be able to reorganize successfully under Chap-ter 11 of the Bankruptcy Act ; (3) it has made unsuccessful good-faith efforts to elicit reaso-nable alternative offers of acquisition of the assets of the failing firm that would both keepits tangible and intangible assets in the relevant market and pose a less severe danger to com-petition than does the proposed merger ; and (4) absent the acquisition, the assets of the fai-ling firm would exit the relevant market »).Les lignes directrices établissent que la FFD est un moyen dedéfense « affirmatif » et, qu’en conséquence, les parties ontla charge de prouver que ses conditions sont remplies.

1° International Shoe Company v. Federal TradeCommission

La première utilisation de la théorie de l’entreprise défaillantepar la Cour suprême des États-Unis remonte à une affaire de1930 relative à l’acquisition de Mc Elwain Company par In-ternational Shoe Company (International Shoe v. FTC, 280 U.S. 291, 302 (1930),disponible sur <http://supreme.justia.com/us/280/291/case.html>).La Cour était appelée à examiner une décision de la FederalTrade Commission interdisant la concentration de deux concur-rents majeurs sur le marché de la production, de la vente etde la distribution de chaussures (la Federal Trade Commission avait décidéque la concentration violait le Clayton Act puisqu’elle aurait pour effet de diminuer la concur-rence entre les deux sociétés sur le marché de la chaussure de restreindre le commerce etde créer un monopole sur le marché). Du fait de la baisse des ventes dansles années 1920 aux États-Unis, Mc Elwain s’est trouvée aubord d’une « ruine financière ». International Shoe, quant àelle, ne disposait pas de capacités de production suffisantespour répondre à la demande. International Shoe a donc dé-cidé d’acquérir Mc Elwain afin de disposer de ses capacitésde production inutilisées.La Cour suprême a autorisé l’opération au motif que Mc El-wain était au bord de la faillite et que la concentration ne di-minuerait pas la concurrence, ni ne restreindrait le commerce

au sens du Clayton Act. La Cour a jugé que les effets anticon-currentiels de la concentration seraient moins dommageablesque la disparition pure et simple de Mc Elwain du marché« qui entraînerait une perte pour ses actionnaires et un dom-mage aux communautés situées à l’endroit où opéraient sesusines » (cette référence aux coûts sociaux qu’entraînerait une interdiction de la concen-tration, déjà présente dans la décision de la Cour suprême dans l’affaire General Dynamics,était l’un des arguments avancés par les partisans de l’idée selon laquelle la théorie de l’en-treprise défaillante devrait prendre en considération les bénéfices sociaux susceptibles d’émer-ger d’une concentration d’assainissement et que, par conséquent, les standards d’évalua-tion devraient être plus souples. Voir infra, Section II). Selon la Cour, l’acquisitionde Mc Elwain par International Shoe (sans qu’il n’y ait eu au-cun autre acquéreur potentiel) n’avait pas pour effet de res-treindre la concurrence mais de faciliter l’intégration des ac-tivités de Mc Elwain et devait permettre d’amoindrir les effetsdommageables sur la concurrence qui auraient probablementrésulté de la faillite de Mc Elwain.Il est intéressant de constater que le raisonnement de la Courcontient déjà, au moins implicitement, un argument fondésur les efficiences industrielles : entre une situation où uneposition dominante est créée par voie de concentration « contrac-tuelle » et celle où le pouvoir de marché est créé par la sortied’un acteur du marché, la première solution n’est préférablequ’en raison des efficiences qui résultent de l’intégration desdeux appareils de production/distribution. En d’autres termes,s’il n’y a qu’un seul acquéreur intéressé et que celui-ci décidede racheter des actifs défaillants pour continuer à les utilisersur le marché, c’est sans doute qu’il croit pouvoir les fairefonctionner de façon plus efficace que le précédent proprié-taire (s’il achète simplement pour profiter d’une hausse desprix, il est probable qu’il aurait plus intérêt à attendre que lesactifs sortent « naturellement » du marché par le biais de lafaillite). C’est là un point capital de la doctrine FFD qui nesera établi que bien plus tard. L’autre enseignement essentielde ce jugement est que le raisonnement doit être fondé surune analyse des alternatives en l’absence d’opération (le « butfor » des économistes).

2° Citizen Publishing Company v. United States

L’affaire Citizen Publishing Company v. United States (CitizenPublishing Co. v. United States, 394 US 131 (1969), disponible sur <http://supreme.justia.com/us/394/131/case.html>) a permis à la Cour suprême de développerla doctrine de la FFD. La Cour a rejeté la défense des partiesà la concentration et adopté un test strict pour l’applicationde la FFD (le test appliqué par la Cour dans cette affaire est similaire, bien que pré-sentant certaines différences, au test finalement adopté dans les lignes directrices).Les deux seuls quotidiens de la ville de Tucson en Arizona,Le Citizen et Le Star, avaient négocié en 1940 un accord d’en-treprise commun par lequel les activités générales des deuxentreprises devaient être fusionnées (par ailleurs, trois typesde contrôle étaient imposés : (i) fixation de prix, (ii) groupe-ment de profits et (iii) contrôle du marché).L’État fédéral américain avait reproché aux parties d’abuserde leur pouvoir de marché en violation de la Section 2 duSherman Act, considérant que l’objet de l’opération était desupprimer toute concurrence entre les deux quotidiens. LaDistrict Court, devant laquelle les entreprises avaient portél’affaire, avait confirmé cette décision. Les parties en avaientalors appelé à la Cour suprême, arguant que Citizen était aubord de la faillite et que la FFD devait être appliquée.La Cour suprême a précisé qu’avant de pouvoir s’appuyer surla FFD, les parties devaient démontrer : (i) que la cible étaiten danger imminent de tomber en faillite ; (ii) qu’il n’existaitaucune perspective réaliste de réorganisation efficace et (iii)

LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 11

que l’entreprise en difficulté avait entrepris de bonne foi, etde manière raisonnable, la recherche d’un acquéreur alterna-tif qui poserait moins de risques en termes de concurrence.En l’espèce, la Cour a considéré que, au moment où Citizenet Star avaient conclu l’accord, Citizen n’était pas au bord dela faillite et qu’il n’existait pas de probabilité sérieuse que Ci-tizen mette fin à ses activités et liquide ses actifs si la concen-tration n’avait pas lieu. En réalité, à ce moment précis, Citi-zen constituait toujours une menace concurrentielle vis-à-visde Star et aurait continué même dans le cadre d’une procé-dure de faillite. La Cour a également indiqué qu’aucun effortn’avait été fait pour vendre le journal et que, par conséquent,le troisième élément du test n’était pas rempli.

3° United States v. General Dynamics Corporation

Dans cette affaire (United States v. GeneralDynamics Corp., 415 US 486, 501, disponible sur <http://su-preme.justia.com/us/415/486/case.html>), la Coursuprême a autorisé une concentrationentre deux producteurs majeurs de char-bon en Illinois. L’acquisition par GeneralDynamics Corp. du contrôle d’UnitedElectric Coal Companies devait donnernaissance à une entreprise disposantd’une part de marché importante sur unmarché fortement concentré. Toutefois,l’avenir de l’une des deux entreprises étaitmenacé à terme par la disparition de sescapacités minières. Par son jugement, laCour a établi un précédent de « quasi-fai-ling firm » ou de l’entreprise affaiblie concurrentiellement (USv. International Harvester Co, 564 F.2d 769, 774 (7th Cir. 1977)). L’État fédéral amé-ricain avait pour sa part considéré que la concentration rédui-sait substantiellement la concurrence sur le marché de la pro-duction et de la vente de charbon. Il avait refusé d’appliquerla doctrine FFD car, au moment de l’acquisition, les deuxsociétés étaient encore dans une situation saine. De plus, lesparties à la concentration n’avaient pas démontré que Gene-ral Dynamics Corp. constituait le seul acquéreur potentiel.La Cour a cependant considéré qu’en dépit de son importantepart de marché, United Electric Coal Companies ne représen-tait qu’une faible contrainte concurrentielle, dans la mesureoù ses réserves de charbon étaient épuisées ou déjà engagéesdans des contrats à long terme. Dès lors, les parts de marchécombinées historiques ne reflétaient pas la capacité concur-rentielle future de la nouvelle entité. La compétitivité d’uneentreprise sur ce marché dépend en effet directement des ré-serves de charbon non engagées. En l’espèce, puisque l’unedes deux entreprises ne disposait pas de telles réserves, ellen’aurait très rapidement plus eu la capacité de conquérir denouveaux contrats d’approvisionnement à long terme. Mêmesi elle a refusé d’appliquer la FFD, la Cour a néanmoins au-torisé la concentration au motif qu’elle ne mettrait pas à malla structure concurrentielle sur le marché (les lignes directrices ontplus tard intégré l’esprit de la décision General Dynamics dans la Section 1.521 « ChangingMarket Conditions » qui dispose que, bien que la concentration du marché et les donnéesde parts de marché soient fondées sur des preuves historiques, la Cour doit parfois prendreen compte dans son analyse les conditions dynamiques de marché et la compétitivité de lasociété résultant de l’opération, en particulier lorsque les changements récents ou en courssusceptibles d’indiquer que les parts de marché actuelles d’une société particulière sous-es-timent ou surestiment l’importance de sa compétitivité future, § 1.521, note 6). Notonsque le précédent General Dynamics a joué un rôle importantdans l’appréciation d’opérations stratégiques aux États-Unis,comme la fusion Boeing-McDonnell Douglas.

B. – L’Union européenne

La doctrine FFD et ses critères d’application sont reflétés auxparagraphes 89 et 90 des Lignes directrices relatives aux concen-trations horizontales (Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations ho-rizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre en-treprises, JOCE 5 févr. 2004, n° C 31 ; 89. La Commission peut conclure qu’une opération deconcentration, qui pose par ailleurs des problèmes de concurrence, est néanmoins compa-tible avec le marché commun si l’une des parties à l’opération est une entreprise défaillante.La condition fondamentale est que la détérioration de la structure de la concurrence qui seproduirait après la concentration ne puisse pas être considérée comme étant causée par cetteopération. Il faut donc que la détérioration de la structure de la concurrence sur le marchésoit au moins aussi grave si l’opération ne se réalisait pas ; 90. La Commission estime queles trois conditions suivantes sont particulièrement pertinentes pour que « l’argument de l’en-treprise défaillante » soit retenu. En premier lieu, l’entreprise prétendument défaillante serait,

dans un proche avenir, contrainte de quitter le marché enraison de ses difficultés financières si elle n’était pas reprisepar une autre entreprise. Deuxièmement, il n’existe pas d’autrealternative de rachat moins dommageable pour la concur-rence que la concentration notifiée. Troisièmement, si laconcentration n’était pas réalisée, les actifs de l’entreprisedéfaillante disparaîtraient inévitablement du marché).Pour pouvoir bénéficier de la FFD, lesparties doivent démontrer qu’en l’ab-sence de concentration, la détériorationde la structure concurrentielle sur le mar-ché serait au moins aussi grave que sil’opération avait effectivement eu lieu.La Commission a retenu trois conditionspour que l’argument de l’entreprise dé-

faillante puisse être retenu : (i) l’entreprise prétendument dé-faillante risque d’être, dans un proche avenir, obligée de quit-ter le marché en raison de ses difficultés financières si ellen’est pas reprise par une autre entreprise, (ii) il ne doit pasexister d’autre alternative de rachat moins dommageable pourla concurrence que la concentration notifiée, et (iii) si la concen-tration n’était pas réalisée, les actifs de l’entreprise défaillantedevraient inévitablement disparaître du marché.Cette approche a été créée et développée à partir de la pra-tique décisionnelle de la Commission et de la jurisprudencedes juridictions communautaires.La théorie de l’entreprise défaillante a été invoquée pour lapremière fois en Europe dans l’affaire Aerospatiale-Alenia/deHavilland (Déc. Comm. CEE n° 91/619, 2 oct. 1991, aff. IV/M.053, Aerospatiale-Alenia/de Havilland, JOCE 5 déc., n° L 334). La Commission avait toutefoisrejeté cette ligne de défense au motif, d’une part, qu’il étaitpeu probable que de Havilland soit contrainte de sortir dumarché en l’absence de l’opération et, d’autre part, que lesparties n’avaient pas démontré l’absence de toute autre alter-native moins dommageable pour la concurrence (ibid., pt. 31).

1° Kali und Salz

Les critères d’application de la FFD ont été établis pour lapremière fois dans l’affaire Kali und Salz/MdK/Treuhand (Déc.Comm. CE n° 94/449, 14 déc. 1993, aff. IV/M.308, Kali und Salz, JOCE 21 juill. 1994,n° L 186). L’opération en cause avait pour objet le regroupe-ment des activités de « potasse » et de « sel gemme » de Kaliund Salz (filiale du groupe chimique allemand BASF) et dela société Mitteldeutsche Kali AG (MdK – entreprise détenueà 100 % par la Treuhand). À la suite d’une chute de la de-mande d’environ 30 % au cours des cinq années précédentes,MdK était au bord de la faillite et ne survivait que grâce ausoutien financier de Treuhand (organisme de droit publicchargé de restructurer les anciennes entreprises publiques

ACTU

ALITÉSCONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES

Pour pouvoir bénéficierde la FFD, les partiesdoivent démontrer

qu’en l’absencede concentration,

la détérioration de lastructure concurrentielle

sur le marché seraitau moins aussi grave

que si l’opération avaiteffectivement eu lieu.

ÉCLAIRAG

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12 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

de la RDA pour les rendre compétitives et les privatiser). Enapplication des règles relatives aux aides d’État notamment,un tel soutien ne pouvait plus perdurer.Bien que la nouvelle entité issue de l’opération soit appeléeà disposer d’une part de marché de 98 %, constituant ainsiun monopole de fait, la Commission a autorisé la concentra-tion en appliquant la doctrine FFD. Celle-ci a identifié troiscritères permettant d’établir l’absence de lien de causalitéentre la concentration et la création d’une position dominante :(i) l’entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché sielle n’était pas reprise par une autre entreprise, (ii) l’entre-prise acquérante reprendrait la part de marché de l’entrepriseacquise si celle-ci venait à disparaître du marché et (iii) il n’yaurait pas d’alternative moins dommageable pour la concur-rence (Kali und Salz, préc., pts. 70 à 72). En l’es-pèce, la Commission a donc considéréque le renforcement de position domi-nante résultait de la disparition de l’en-treprise défaillante du marché et non dela concentration.L’État français a fait appel de cette dé-cision, notamment au motif que la Com-mission avait appliqué la FFD sans res-pecter toutes les conditions posées parle droit américain (CJCE, 31 mars 1998, aff. jtes. C-68/94 et C-30/95, Républiquefrançaise e.a. c/ Commission). Le gouvernement français contestaitpar ailleurs l’introduction du critère de l’absorption de la partde marché de l’entreprise défaillante. La Cour de justice desCommunautés européennes a considéré que, même s’il n’étaitpas suffisant, ce critère contribuait à s’assurer de « la neu-tralité de cette opération par rapport à la dégradation de lastructure concurrentielle du marché » (pt. 116) et donc l’absencede line de causalité. Étant donné que, sans la concentration,MdK serait en faillite et disparaîtrait du marché, sa part demarché serait automatiquement reprise par son seul concur-rent : Kali und Salz. Par conséquent, la structure de la concur-rence résultant de la concentration se serait détériorée de lamême manière si l’opération n’avait pas eu lieu.

2° BASF/Eurodiol/Pantochim

Cette affaire concernait l’acquisition par BASF de deux en-treprises belges, Pantochim et Eurodiol (Déc. Comm. CE n° 2002/365,11 juill. 2001, aff. COMP/M.2314, BASF/Eurodiol/Pantochim, JOCE 17 mai 2002, n° L 132).Les entreprises cibles avaient été placées sous lerégime de la « préfaillite » belge et devaient être déclaréesen faillite en l’absence de repreneur à l’expiration d’une« période d’observation ».Cette affaire a permis à la Commission de préciser les critèresqu’elle avait posés dans Kali und Salz, en maintenant les pre-mier et troisième critères, mais en modifiant celui de la re-prise des parts de marché. La Commission a suivi l’opiniondes parties selon laquelle il n’était pas nécessaire de démon-trer que la société acquérante récupérerait la totalité de lapart de marché de la société acquise si on pouvait démon-trer que (i) les actifs à racheter disparaîtraient inévitablementdu marché en l’absence de la concentration et (ii) la détério-ration de la structure concurrentielle faisant suite à l’opéra-tion de concentration ne serait pas plus importante qu’enl’absence de concentration.Cette affaire peut être distinguée de l’affaire Kali und Salz,dans laquelle seules deux entreprises étaient actives sur lemarché, la société acquérante et l’entreprise défaillante. Enconséquence, il était très probable que la société acquéranteaurait absorbé la part de marché de l’entreprise rachetée, que

la concentration se réalise ou non. La situation était différentedans l’affaire BASF/Eurodiol/Pantochim, puisque d’autresconcurrents étaient présents sur le marché, et auraient pu ré-cupérer une partie des parts de marché des sociétés cibles. LaCommission a toutefois admis que les actifs de l’entreprisedéfaillante disparaîtraient définitivement du marché si l’opé-ration n’était pas autorisée puisque les usines d’Eurodiol etde Pantochim ne pouvaient être exploitées de manière ren-table qu’ensemble, étant donné qu’elles appliquaient un pro-cessus de production intégré qui ne permet pas le rachat d’ac-tifs isolés. La Commission a noté que la disparition des actifset des capacités de production d’Eurodiol et de Pantochimprovoquerait une pénurie de capacités non négligeable puisquele marché se caractériserait déjà par un phénomène de sous-

capacité manifeste. Cela aurait eu deseffets préjudiciables sur les conditionsdu marché pour une période transitoireconsidérable et aurait défavorisé lesconsommateurs européens en entraînantune augmentation des prix.Malgré la création d’une position domi-nante à l’échelle de l’Union européennesur différents marchés de produits chi-miques (BASF obtenant une part de mar-

ché de 70 % à l’issue de l’opération), la Commission a auto-risé la concentration au titre de la FFD, considérant que lestrois critères étaient remplis : (i) les entreprises défaillantesferaient faillite immédiatement si la concentration n’était pasréalisée, (ii) après contacts avec d’autres acteurs du marché,il s’avérait qu’il n’y avait pas d’autre offre d’achat plus concur-rentielle et (iii) les actifs à racheter disparaîtraient inévitable-ment du marché. Notons en passant que le critère de sortiedu marché des actifs de l’entreprise défaillante est en lui-même extrêmement exigeant (il signifie par exemple que doi-vent être en principe exclues les entreprises qui peuvent fairel’objet de procédures de continuation d’activité de type Chap-ter 11 ou les situations dans lesquelles plusieurs acquéreurspotentiels sont intéressés – puisqu’une telle situation dé-montre que les actifs de l’entreprise défaillante ont une chancede rester sur le marché de façon profitable après liquidationou vente concurrentielle).

3° Les affaires Arthur Andersen

Ces affaires ne portaient pas sur la FFD au sens strict puisqueles opérations en cause ne remplissaient pas les critères deson application (les entreprises n’étaient pas en risque defaillite immédiate). La Commission a toutefois autorisé lesconcentrations en constatant l’absence de lien de causalitéentre les opérations et la détérioration de la structure concur-rentielle du marché.À la suite du scandale Enron (dont Arthur Andersen avait cer-tifié les comptes), le réseau mondial d’Arthur Andersen a com-mencé à se désintégrer et les quatre plus importantes entre-prises comptables ont acquis certaines divisions nationalesde l’entreprise, donnant lieu à trois notifications (Déc. Comm. CE,1er juill. 2002, aff. COMP/M.2810, Deloitte & Touche/Andersen UK, §§ 45-60, JOCE 23 août,n° C 200; Déc. Comm. CE, 5 sept. 2002, aff. COMP/M.2816, Ernst & Young/Andersen France,pts. 76 à 90; Déc. Comm. CE, 27 août 2002, aff. COMP/M.2824, Ernst & Young/AndersenGermany, JOCE 12 oct., n° C 246). Deux des trois opérations (Royaume-Uni et France) créaient des chevauchements significatifs surle marché de la fourniture de services d’audit et de compta-bilité aux sociétés cotées au niveau national (dans l’affaire Ernst &Young/Andersen Germany, la Commission a conclu qu’il n’était pas établi que le passagede six à cinq concurrents était de nature à créer ou renforcer une position dominante col-

LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?

Le critère de sortiedu marché des actifs

de l’entreprise défaillanteest en lui-même

extrêmement exigeant.

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lective sur l’un des marchés nationaux des services d’audit et de comptabilité aux sociétéscotées au niveau national, pt. 64).La Commission a toutefois décidé d’autoriser ces deux opé-rations pour les raisons suivantes :– bien qu’il n’ait pas été démontré qu’Arthur Andersen ces-serait complètement ses activités (elle pouvait survivre enfournissant ses services à des entreprises de plus petite taille),la Commission a jugé qu’il était suffisant qu’Arthur Andersenrisque de disparaître définitivement du marché de la fourni-ture de services d’audit et de comptabilité aux grandes socié-tés cotées. Le passage du « Big Five » au « Big Four » était in-évitable;– la Commission a établi que la structure du marché née dela concentration ne serait pas pire que celle résultant del’interdiction des opérations. Pour parvenir à cette conclu-sion, la Commission a examiné en détail deux scénariospossibles (à savoir le scénario de concentration et le scéna-rio contraire, « counterfactual scenario »). Elle en a concluqu’aucun lien de causalité entre l’opération et le risque dedominance collective n’était établi. Les scénarios alterna-tifs incluaient : (i) la dispersion des clients entre les quatreentreprises restantes ou (ii) l’acquisition d’Andersen parl’une des autres entreprises.L’application par la Commission du principe d’absence de liende causalité pour autoriser ces concentrations a conduit cer-tains auteurs à considérer qu’elle avait appliqué une FFD« tronquée », dès lors que le risque de disparition des entre-prises cibles n’était pas complètement établi.

4° JCI/Fiamm

Dans l’affaire récente JCI/Fiamm (Déc. Comm. CE, 10 mai 2007, aff.COMP/M.4381, JCI/Fiamm), la Commission a également pris en comptela FFD. La Commission avait tout d’abord envisagé d’appli-quer la théorie de la « division/branche défaillante » (« failingdivision defence ») mais a rejeté cette possibilité car le groupeFiamm en son entier était en situation de précessation de paie-ment. En effet, la situation financière de la division concer-née rejaillissait sur l’ensemble du groupe (voir infra).Cette opération concernait l’acquisition par VB Autobatteriedes activités de Fiamm dans le domaine des batteries de dé-marrage automobiles. VB était une entreprise commune consti-tuée entre Johnson Controls Inc. et la société allemande Ro-bert Bosch GmbH dans le secteur des batteries de démarrageautomobile, dont elle occupait la première place au niveau del’Espace économique européen.La Commission a constaté que l’opération aurait pour consé-quence de conférer une position dominante à VB sur plusieursmarchés pertinents (notamment en Italie, en Autriche, en Ré-publique tchèque et en Slovaquie).Les parties (ainsi que les créditeurs de Fiamm) ont invoquéla situation financière critique de la société et le fait que laconcentration était cruciale pour la survie de l’ensemble dugroupe Fiamm. La Commission a examiné si la concentrationconcernait un « service défaillant » ou une « entreprise dé-faillante », affirmant à cet égard que la FFD était applicabledès lors que le service en cause était à ce point peu rentablequ’il mettait en danger la viabilité de l’entreprise dans son en-semble (ibid., pt. 710).La Commission a considéré que le troisième critère de Kaliund Salz n’était pas rempli (à savoir la démonstration quetous les actifs de SBB disparaîtraient du marché si la concen-tration n’était pas autorisée). Par ailleurs, elle a comparé lesconséquences de la concentration aux scénarios alternatifs,en particulier les effets probables du scénario de la société

défaillante (la liquidation de SBB) sur la structure concurren-tielle du marché (ibid., pts. 751 et s.). La Commission a conclu qu’ilexistait un lien de causalité entre la concentration notifiée etles effets négatifs sur la concurrence, car les conditions deconcurrence ne se détérioreraient pas autant en l’absence deconcentration, quand bien même cela devait mener à la liqui-dation de Fiamm SBB. La Commission a donc rejeté l’appli-cation de la FFD au cas d’espèce.

C. – La théorie de la division défaillante

Les parties à une concentration portant sur le rachat d’une di-vision défaillante peuvent, dans certaines circonstances ex-ceptionnelles, invoquer une variante à la FFD.

1° Les États-Unis

La première évocation de la théorie de la division défaillantepar le DoJ remonte aux lignes directrices sur les concentra-tions de 1992, qui décrivaient la FFD et précisaient que cettemême théorie était applicable quand l’entreprise défaillanteconstituait une partie non complètement intégrée d’une so-ciété mère plus importante.La version actuelle des lignes directrices reconnaît explicite-ment la théorie de la division défaillante appliquée à desgroupes d’entreprises par ailleurs viables (US Department of Justiceand Federal Trade Commission Horizontal Merger Guidelines, préc., § 5.2 : « A similar ar-gument can be made for “failing” divisions as for failing firms. First, upon applying appro-priate cost allocation rules, the division must have a negative cash flow on an operating ba-sis. Second, absent the acquisition, it must be that the assets of the division would exit therelevant market in the near future if not sold. Due to the ability of the parent firm to allocatecosts, revenues, and intracompany transactions among itself and its subsidiaries and divi-sions, the Agency will require evidence, not based solely on management plans that could beprepared solely for the purpose of demonstrating negative cash flow or the prospect of exitfrom the relevant market. Third, the owner of the failing division also must have compliedwith the competitively-preferable purchaser requirement of Section 5.1 »).Afin de pouvoir bénéficier de l’application de cette théorie, ladivision défaillante doit remplir trois conditions : (i) elle doitdisposer d’un flux de trésorerie négatif, (ii) sans l’acquisition,les actifs de la division disparaîtraient ou seraient vendus horsdu marché pertinent et (iii) aucune solution moins anticon-currentielle ne pourrait être trouvée.Bien qu’ayant été formulée clairement pour la première fois en1982 et bien que cette théorie ait suscité une attente impor-tante, elle n’a jamais été appliquée par les tribunaux améri-cains. Plusieurs raisons à cet état de fait ont été avancées (Wait A. L.,Surviving the shipwreck : a proposal to revive the failing division defence, William and MaryLaw Review, oct. 2003, vol. 45 : 429, pp. 429-468) : (i) les tribunaux américainsn’ont pas eu l’occasion d’appliquer cette théorie : le refus deprendre en compte cette théorie dans des affaires telles que FTCv. Harbour Group Investment, dans laquelle la juridiction com-pétente n’a pas voulu répondre à cette question non résolue, apu décourager les entreprises d’avancer cette théorie, (ii) lesjuridictions américaines ont pu craindre qu’une application decette théorie inciterait à la manipulation des données des en-treprises afin de remplir les conditions de preuves strictes, et(iii) certains tribunaux américains ont pu considérer que lathéorie de la division défaillante était inutile du fait de l’appli-cation accrue de l’analyse « General Dynamics » dans des af-faires impliquant les actifs d’une division défaillante.

2° L’Union européenne

La théorie de la division défaillante n’est même pas mention-née dans les lignes directrices sur les concentrations horizon-tales, mais les juridictions communautaires et la Commissionl’ont prise en compte dans certaines affaires.

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Bertelsmann/Kirch/Premiere.– (Déc. Comm. CE, 27 mai 1998, aff. IV/M.993,Bertelsmann/Kirch/Premiere). La Commission a pris en compte la théo-rie de la division défaillante pour la première fois lors de sonexamen de la prise de contrôle conjointe par les entreprisesCLT-UFA SA et Taurus Betiligung-GmbH & Co. KG, des entre-prises allemandes de télévision payante Premiere, BetaDigi-tal et BetaResearch (cette dernière étant auparavant contrô-lée uniquement par Kirch). Avec la cession des actifs de DF1et de la chaîne sportive DSF, ainsi qu’avec la cession de sesdroits dans les domaines de la télévision payante et du paie-ment à la séance, Kirch devait apporter à Premiere des actifsd’une grande importance sur ce marché. En combinant lesactivités digitales de la chaîne gratuite DF1 avec le diffuseurde télévision payante Premiere, le but était de créer une plate-forme commune de programmation et de commercialisationde la télévision payante.La concentration a été interdite par la Commission, qui aconsidéré que Premiere obtiendrait un quasi-monopole surle marché allemand. La Commission a examiné l’opérationà la lumière de la FFD, mais elle a conclu que celle-ci n’étaitpas applicable au cas d’espèce, car l’opération ne remplissaitaucune des conditions définies dans l’affaire Kali und Salzprécitée.La Commission a toutefois souligné que cette affaire ne concer-nait pas une entreprise défaillante mais une division défaillante,puisque DF1 ne constituait qu’une partie des activités de Kirchdans le domaine de la télévision payante. Dès lors, même dansl’éventualité où DF1 risquait de disparaître du marché, Kirchdans sa totalité n’était pas menacée et pouvait subvenir auxbesoins de sa division (ibid.). La Commission a souligné queles conditions d’une autorisation d’une opération impliquantun service défaillant doivent être plus strictes que dans le casd’une entreprise défaillante. La concentration en cause dansle cas d’espèce ne remplissait pas les critères de la FFD et nepouvait donc pas être autorisée sur ce fondement (pt. 71 : « Dansce cas de figure, où l’argument invoqué est celui de la “division défaillante” (“failing divi-sion defence”) et non celui de l’“entreprise défaillante” (“failing society defence”), il fautexiger des preuves particulièrement solides attestant que les conditions de l’objection de l’ab-sence d’un lien de causalité sont satisfaites. Si tel n’était pas le cas, il suffirait, pour justifierau regard du droit des ententes toute concentration portant sur la vente d’un secteur d’acti-vité supposé non rentable, que le vendeur annonce son intention de mettre fin à l’activité enquestion dans l’hypothèse où l’opération ne se concrétiserait pas »).Le fait que la Commission prenne en considération la théoriede la division défaillante atteste de son existence au moinspotentielle en droit européen, quand bien même elle ne se-rait applicable que dans des circonstances exceptionnelles.

Rewe/Meinl. – (Déc. Comm. CE, 3 févr. 1999, aff. IV/M.1221, Rewe/Meinl, pts. 66à 69). L’opération concernait la prise de contrôle par le groupeRewe, exerçant des activités d’achat, de financement et d’ex-ploitation d’entreprises de commerce de gros et de détail (no-tamment dans le commerce de détail des denrées alimen-taires), de Meinl, la partie alimentaire d’un groupe plus large.La Commission a conclu que la concentration aurait conduità la création d’une position dominante sur le marché autri-chien de la distribution. Les parties avaient convoqué la FFD,argumentant que Meinl se trouverait très défavorisée dans ledomaine alimentaire par rapport à ses concurrents, beaucoupplus puissants.La Commission a considéré que l’absence de lien de causa-lité n’avait pas été démontrée puisque la concentration neremplissait pas les conditions définies dans l’affaire Kali undSalz. Tout comme dans l’affaire Bertelsmann, la Commissiona indiqué que, s’agissant d’un cas de « division défaillante »

et non d’« entreprise défaillante » (puisque Meinl International AG faisaitfonction de holding pour les activités du groupe Meinl en Europe centrale et orientale), ilfallait exiger des preuves particulièrement solides de l’exis-tence des conditions justifiant l’objection relative à l’absenced’un lien de causalité.En particulier, la Commission a énoncé les considérations sui-vantes :– le retrait de Meinl du marché autrichien du commerce del’alimentation de détail constituait une décision de gestion in-terne entérinant l’abandon d’une activité commerciale, dontle développement ne correspondait plus aux attentes de la di-rection. Dès lors Meinl ne pouvait être considérée commeétant déjà, ou allant être dans un proche avenir, insolvable.Quand bien même la situation de Meinl s’était détériorée, lesparties n’avaient en aucune façon prouvé que Meinl disparaî-trait de toute façon rapidement du marché si elle n’était pasreprise par une autre entreprise;– la Commission a également rejeté l’affirmation des parties se-lon laquelle les parts de marché de Meinl iraient essentiellementà Rewe/Billa, puisque les parties avaient également affirmé quele groupe alimentaire Spar pouvait également en bénéficier;– finalement, la Commission a rejeté la thèse des parties selonlaquelle il n’existait aucune possibilité moins dommageablepour la concurrence puisque Spar, en raison de sa position surle marché, ne pouvait être un candidat acceptable (les partiesavaient soutenu que Spar possédait, sur l’ensemble du marchéautrichien, une position similaire à celle de Rewe/Billa en termesde parts de marché, sa plus forte implantation se situait dansl’ouest de l’Autriche et disposait en outre d’une surface de venteplus importante que celle de Rewe/Billa). En effet, les partiesn’avaient ni indiqué avec quelles entreprises intéressées legroupe Meinl avait négocié, ni donné les raisons pour lesquellesces négociations avaient échoué.

NewsCorp/Telepiù. – (Déc. Comm. CE, 2 avr. 2003, aff. COMP/M.2876, News-Corp/Telepiù, pts. 205 à 221). Dans cette affaire, la Commission a au-torisé la concentration entre les sociétés italiennes de télévi-sion payante : Telepiù, appartenant à Vivendi et Stream, uneentreprise commune de NewsCorp et Telecom Italia.L’opération devait aboutir à un quasi-monopole sur le mar-ché italien de la télévision payante. NewsCorp a toutefois in-voqué la FFD, alléguant que le scénario de la concentrationne serait pas pire que le scénario contraire (c’est-à-dire si laconcentration n’avait pas lieu), car dans ce dernier, il est pro-bable que sa propre filiale Stream aurait déposé le bilan.La Commission a noté en premier lieu que Stream était contrô-lée conjointement par NewsCorp et Telecom Italia et qu’elleconstituait, par conséquent, une division de la société acqué-rante, et non de la société acquise qui était défaillante. LaCommission a ensuite exprimé ses doutes quant à la possibi-lité d’appliquer l’argument de la société défaillante lorsquel’entreprise acquérante était financièrement saine, mais quel’une de ses divisions, défaillantait, fusionne avec la cible.Tout comme dans les affaires Bertelsmann et Rewe/Meinl, laCommission a insisté sur le fait que la charge de la preuve del’absence de lien de causalité était plus lourde quand l’argu-ment de la division défaillante était avancé, et qu’en l’occur-rence le groupe Newscorp n’était pas en danger.Les parties n’ayant pas démontré que les conditions telles quedéfinies dans l’affaire Kali und Salz étaient remplies, la Com-mission a refusé d’appliquer la théorie de la division défaillanteconsidérant, en effet, que :– l’entreprise dans son ensemble (NewsCorp) n’était pas ap-pelée à disparaître rapidement du marché puisqu’elle n’était

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confrontée à aucune difficulté financière. Le retrait de Streamdu marché italien de la télévision payante ne revêtirait quela forme d’une simple décision de gestion interne consistantà abandonner une activité économique dont l’évolutionn’avait pas répondu aux attentes du conseil d’administra-tion de l’entreprise ;– dans la mesure où ni NewsCorp, ni Telecom Italia n’avaientoffert de vendre Stream, les parties n’avaient pas démontréqu’il n’y avait pas d’autre alternative moins dommageablepour la concurrence;– il n’était pas nécessaire de prendre position sur la ques-tion de savoir si les actifs à racheter disparaîtraient inévita-blement du marché en l’absence de concentration, puisqueles deux premières conditions n’étaient en tout état de causepas remplies.Toutefois, la Commission, en autorisantl’opération, a réinterprété à sa manièrel’argument de la FFD en expliquant parexemple que l’approbation de la concen-tration, sous réserve de conditions ap-propriées, serait plus avantageuse pourle consommateur que la perturbation pro-voquée par la disparition éventuelle deStream (Déc. Comm. CE, 2 avr. 2003, aff. COMP/M.2876,NewsCorp/Telepiù, pt. 221; Bavasso A. et Lindsay A., Cau-sation in EC merger control, Journal of Competition Law andEconomics (3), 17 avr. 2007, pp. 181-202). Ce cas consti-tue sans doute la formulation européennela plus proche de la doctrine General Dy-namics américaine où l’évolution dynamique des marchés estune dimension-clé de la décision. Comme rappelé ci-dessus,la théorie de la division défaillante a également été évoquéedans l’affaire JCI/Fiamm précitée.

II. – LA CRISE ÉCONOMIQUE ET LE RENOUVEAUDE LA FFD

La crise financière a débuté en juillet 2007, date à laquelle uneperte de confiance des investisseurs dans la valeur des prêtshypothécaires aux États-Unis a entraîné une crise des liquidi-tés qui s’est transmise à l’économie « réelle ». Celle-ci a sus-cité de très importantes injections de capitaux dans les mar-chés financiers en Europe et aux États-Unis, tendance qui s’estétendue à d’autres secteurs de l’économie. La tendance géné-rale a montré que l’économie mondiale était proche d’une dé-faillance systémique du système bancaire qui justifiait le sau-vetage d’urgence des institutions en question. Ces sauvetageset restructurations ont certes donné lieu à des investissementsmassifs de capitaux publics mais ont posé relativement peude questions (à quelques exceptions près) au regard des règlesde la concurrence en raison du faible taux de concentrationdes marchés financiers.À mesure que la crise se traduit par une montée brutale duchômage et une fragilisation des champions industriels natio-naux, la question se pose nécessairement de savoir dans quellemesure les régulateurs de la concurrence doivent infléchir leurpolitique.Il est ainsi probable qu’après une période de « coma » où lenombre d’opérations de M & A non financières est resté trèsfaible, un nombre croissant de parties notifiantes ou de gou-vernements vont s’efforcer de faire valoir sous une forme ouune autre la FFD (cf. l’acquisition de UK’s Bank Of Scotland Halifax par Lloyds TSB(Lloyds TSB/HBOS) en octobre 2008, la concentration de deux compagnies aériennes ita-liennes (Alitalia/Air One) en décembre 2008, la concentration de deux hôpitaux allemands

(Mariahilf/Asklepios) en février 2009 et la concentration dans le marché tchèque de l’assu-rance (CPP/Kooperativa) en mars 2009). Par ailleurs, au nom de considé-rations d’intérêt public, les autorités de concurrence vont in-évitablement être appelées, voire sommées, de plus en plusfréquemment à assouplir l’application des règles de concur-rence, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre de laFFD. Les premiers signes de ces pressions sont déjà apparus.Pour le moment et de façon largement préventive, les autori-tés américaines, la Commission européenne, l’Office of FairTrading (OFT) et la Competition Commission britanniques ont,dans une magnifique unanimité, indiqué leur intention deprincipe de ne pas appliquer des critères moins stricts pourdéterminer si une concentration doit être autorisée sur le ter-rain de la FFD.

Neelie Kroes, Commissaire à la concur-rence, a ainsi récemment déclaré que laCommission va « continuer à appliquerles règles existantes, y compris, le caséchéant, la théorie de l’entreprise dé-faillante » (Kroes N., Faire face à la crise financière ac-tuelle, oct. 2008, disponible sur <http://europa.eu/rapid/press-ReleasesAction.do?reference=SPEECH/08/498>). Cetengagement à respecter les principesexistants en matière de contrôle desconcentrations, même s’ils sont conçuspour faire face à des circonstances ex-ceptionnelles, s’oppose à l’approche plu-tôt pragmatique adoptée par certainsÉtats membres (voir infra). Toutefois, force

est de constater qu’aucun exemple de recours à cette théo-rie n’a été signalé depuis l’été 2008.Ainsi encore, en décembre 2008, l’OFT a réaffirmé sa posi-tion concernant la FFD (l’OFT réaffirme sa position concernant la « FFD », déc.2008, OFT1047, disponible sur <http://www.oft.gov.uk/shared_oft/business_leaflets/general/oft1047.pdf>). Il a en effet déclaré qu’il n’autoriserait desopérations où la FFD a été invoquée que si les conditions né-cessaires à son application étaient satisfaites (les exigences de l’OFTsont similaires à celles appliquées par la Commission et les juridictions communautaires. Ils’agit d’un test en deux étapes : la transaction ne sera autorisée sur le fondement de la FFDque (i) si la cible disparaissait inévitablement du marché en l’absence de concentration et(ii) s’il n’existe aucune alternative réaliste et moins anticoncurrentielle ; cf., par exemple, ladécision de l’OFT sur l’acquisition anticipée par le First West Yorkshire limited of BlackPrince Buses Limited, le 26 mai 2005, <http://www.oft.gov.uk/news/press/2009/62-09>).L’OFT a également précisé qu’il ne prendrait en compte la si-tuation économique et les conditions de marché que dans lamesure où ces critères seraient nécessaires à l’évaluation dela FFD. Quelles que soient les conditions retenues, l’OFT necompte pas assouplir le critère de la « preuve suffisammentdéterminante » requis pour démontrer que la concentrationne conduira pas à moins de concurrence (voir supra).Il n’est pourtant pas complètement évident que cette approchen’ait pas été quelque peu assouplie récemment dans les dé-cisions de renvoi de l’OFT (dans le cadre du « test de référence » (« referencetest ») l’OFT a le devoir de renvoyer certaines opérations à la Commission de la concurrencepour une enquête approfondie, équivalant à la deuxième phase de l’enquête pour la Com-mission européenne) dans l’affaire Preston Limited Bus/Bus Stage-coach Holdings Limited (affaire renvoyée par l’OFT devant la Commission dela concurrence le 28 mai 2009) ainsi que dans sa décision d’autorisa-tion dans l’affaire HMV/Zavvi (le 28 avril 2009, l’OFT a autorisé la concen-tration de 15 anciens magasins Zavvi par HMV plc, tous deux étant les principaux distribu-teurs de produits de divertissement. Zavvi, l’ancienne branche du Groupe Virgin au Royaume-Uniet en Irlande a été déclarée en faillite le 24 décembre 2008 mettant 2500 emplois en danger.Le 14 janvier 2009, HMV a annoncé qu’il allait acquérir certains magasins appartenant àZavvi. L’OFT a examiné, de sa propre initiative, l’opération envisagée, puisqu’avant même

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À mesure que la crisesetraduit par une montéebrutale du chômage etune fragilisation des

champions industrielsnationaux, la question se

pose nécessairementde savoir dans quelle

mesure les régulateursdela concurrence doiventinfléchir leur politique.

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l’effondrement du groupe Zavvi, les deux entreprises étaient propriétaires de magasins dansun grand nombre de localités à travers le Royaume-Uni. Toutefois, l’OFT a conclu que la sai-sine de la Commission de la concurrence n’était pas nécessaire dès lors que les conditionsd’application de la FFD étaient satisfaites. En particulier, l’OFT a conclu que (i) sans laconcentration les deux magasins devraient inévitablement quitter le marché de détail de di-vertissement à la suite de l’effondrement du Zavvi, et (ii) qu’il n’y avait pas d’alternativemoins anticoncurrentielle à la concentration dans ces zones de chevauchement; cf., pourplus d’informations, <http://www.oft.gov.uk/news/press/2009/47-09>). Par ailleurs,dans l’affaire HBOS/Lloyds TSB, le gouvernement de sa Ma-jesté a autorisé un rapprochement bancaire contre l’avis deson autorité de concurrence afin d’assurer « la stabilité du sys-tème financier britannique » (pour plus d’informations, cf. Gérard D., Mana-ging the Financial Crisis in Europe : Why Competition Lawis Part of the Solution, Not of the Problem, déc. 2008, Uni-versity of Louvain, GCP).Le gouvernement italien a quant à luiadopté une approche encore plus disso-nante en adoptant le 28 août 2008 undécret ordonnant la suspension des règlesde concurrence à l’égard des grandes en-treprises en crise (D.-L. n° 134/2008, relatif auxmesures urgentes concernant la restructuration des grandesentreprises en crise), qui a été voté par le par-lement italien le 27 octobre 2008 et a ététransformé en loi (L. n° 166/2008, Decreto-legge 28 agosto 2008, n° 134, Disposi-zioni urgenti in materia di ristrutturazione di grandi imprese in crisi, published in the Uffi-ciale n° 201, 28 août 2008, cf. <http://www.parlamento.it/leggi/decreti/08134d.htm>).Sur le fondement de ce décret, l’autorité italienne de la concur-rence a été forcée d’autoriser l’opération de sauvetage d’Ali-talia/Air one (dans le cadre de la tentative de sauvetage d’Alitalia, une compagnieaérienne nationale italienne subissant de graves difficultés économiques, le Parlement ita-lien a adopté le 27 octobre 2008 une loi visant à modifier les dispositions en matière d’in-solvabilité (également dénommé « loi Marzano »). Ces amendements ont été introduits parle décret-loi n° 134/2008 relatif à des mesures urgentes concernant la restructuration desgrandes entreprises en crise, aussi connu sous le nom de « Decreto Alitalia ». Le décret éta-blit que toute concentration, impliquant une entreprise de services publics, réalisée confor-mément à la procédure mise en place par la loi Marzano à partir du mois de juin 2009 sa-tisfait de manière intrinsèque aux intérêts publics fondamentaux et, en conséquence, estexemptée de la nécessité d’obtenir une autorisation de l’autorité italienne de la concurrenceconformément au régime interne de contrôle des concentrations. Elle s’applique à la procé-dure en ce qui concerne l’administration extraordinaire de grandes entreprises en difficultéemployant au moins 1000 salariés et ayant accumulé un passif total d’au moins un milliardd’euros pendant au moins une année. À la suite d’un recours, le Tribunal de Lazio, un tri-bunal administratif régional, a renvoyé la loi devant la Cour constitutionnelle estimant qu’ilétait probable que le décret serait discriminatoire à l’égard des transporteurs aériens et confè-rerait un traitement plus favorable aux grandes compagnies telles que Alitalia et Air One etque l’opération créerait ou renforcerait une position dominante).La réforme du droit des concentrations en France rendra lapression politique plus difficile dès lors que l’Autorité fran-çaise n’est plus soumise à l’autorité hiérarchique du ministre.Il n’en reste pas moins que certains exemples du passé mon-trent que l’application de la FFD peut donner lieu à des inter-prétations qui ont été taxées en leur temps d’opportunistes(pour un autre exemple moins récent d’une interprétation différente de la notion de FFDentre la Commission européenne et le gouvernement français, cf. Déc. Comm. CE, 13 nov.2001, aff. COMP/M.2621, SEB/Moulinex).L’existence d’approches différentes retenues par la Commis-sion, l’OFT et l’État italien peut, au moins en partie et en de-hors des pressions politiques, s’expliquer par les différentesécoles de pensée qui s’opposent en ce qui concerne l’appli-cation de la FFD en temps de crise.Ceux qui sont en faveur de l’assouplissement des conditionsd’application de la FFD (pour plus d’informations, cf. Mason R. et Weeds H.,The failing firm defence : Merger Policy and Entry, 15 janv. 2003; Waits A. L., Surviving the

shipwreck. A proposal to revive the failing division defence, William and Mary Law Review,oct. 2003) pensent que les « fusions de sauvetage » sont souhai-tables car en période de crise financière, en particulier des en-treprises peuvent être forcées de sortir du marché pour desraisons qui n’ont rien à voir avec le jeu concurrentiel (en pé-riode de crise de liquidités par exemple). Certains auteurs ontavancé qu’une approche plus souple pouvait, en accroissantle pouvoir de marché et la rentabilité des entreprises en tempsde crise financière, encourager de nouveaux entrants. Ainsi,selon Mason et Weeds (Mason R. et Weeds H., préc., p. 4) une politiquede contrôle des concentrations souple peut laisser espérer unerentabilité accrue en période de crise financière. Ce phéno-

mène pourrait, à son tour, inciter les en-treprises qui ne sont pas encore activessur le marché à entrer, réduisant ainsi àterme la concentration. De façon géné-rale, ces entreprises craindraient moinsde perdre la valeur totale de leur inves-tissement si elles savaient que la FFDétait appliquée avec plus de clémence(Mason R. et Weeds H., préc., p. 4, § 2 : « Nous soutenons,par conséquent, que les opérations de sauvetage sont souhai-tables précisément parce qu’elles augmentent le pouvoir demarché de l’entreprise et sont donc profitables en période de

crise financière. En effet, les règles de concentrations influent sur la décision d’entrer sur lemarché et donc sur le moment de l’entrée. L’entrée survient plutôt lorsque les entreprises sontautorisées à fusionner et ainsi à augmenter leurs profits lorsque l’une des entreprises est dé-faillante. Si par principe l’entrant est susceptible d’être le premier à la sortie (parce que l’en-treprise déjà présente sur le marché dispose d’un avantage intrinsèque par exemple), alors lefait d’autoriser l’entreprise défaillante à acquérir une plus grande part de marché grâce à laconcentration encourage l’entrée. Enfin, une politique clémente en matière de concentrations(autorisant la concentration à un stade précoce de la crise financière) portera vraisemblable-ment d’avantage atteinte à l’entreprise présente qu’elle ne profitera à l’arrivant »).D’autres partisans d’une politique de contrôle plus clémentesoulignent aussi que les coûts sociaux résultant du blocaged’une opération dans laquelle l’une des sociétés est défaillantesont d’autant plus visibles et importants en période de crise.Selon Waits (Waits A. L., préc., p. 458), le préjudice social, c’est-à-dire le préjudice aux employés, aux actionnaires, aux créan-ciers ainsi qu’à l’ensemble des membres de la communautéentourant l’entreprise défaillante doit être examiné et contre-balancé par rapport aux effets anticoncurrentiels. À cet égard,Waits fait référence à l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis, International Shoe (ce jugement est examiné en détail dans la section I).À l’inverse, les partisans d’une application stricte des critèresen temps de crise (par exemple, John Fingleton de l’OFT), font valoir queles arguments appuyés sur la FFD et les gains d’efficacité gé-nérés par les concentrations doivent être traités avec prudenceet tenant compte du fait que le pouvoir de marché conduit àmoins, et non pas à plus, d’efficacité au sein des entreprises(voir position de l’OFT supra). D’autres soulignent qu’en temps de criseune remontée des prix anticoncurrentielle ou de concentra-tion du pouvoir de marché est encore plus néfaste dans la me-sure où elle ralentit le processus de reprise de l’économie.Quant à l’argument selon lequel une opération de sauvetageinciterait les entreprises à entrer sur le marché, ceux-ci répon-dent que ces dernières pourraient au contraire être attiréesvers des marchés où la FFD est appliquée avec plus d’indul-gence, ce qui pourrait entraîner un effet de distorsion de laconcurrence (Heyer K. et Kimmel S., Merger Review of Firms in Financial Distress).En ce qui concerne l’argument relatif aux coûts sociaux en-gendrés par le blocage d’une opération de sauvetage, l’an-cienne General Counsel de la Federal Trade Commission,Debra A. Valentine, soulignait en son temps le caractère dou-

LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?

La réforme du droitdes concentrations en

France rendra la pressionpolitique plus difficiledès lors que l’Autoritéfrançaise n’est plussoumise à l’autorité

hiérarchique du ministre.

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teux des arguments fondés sur le sauvetage des emplois enaffirmant que : « des emplois sont susceptibles d’être suppri-més que la concentration soit bloquée ou qu’elle soit autori-sée. Si une opération est bloquée et qu’une entreprise devientdéfaillante, les suppressions d’emplois résulteront, de toute évi-dence, de la fermeture de l’usine. Mais si une opération po-sant des problèmes de compétitivité est autorisée, il résulte dela théorie de l’oligopole [« oligopoly theory »], que des emploisrisquent d’être perdus si l’industrie fait augmenter les prix etréduit la production. La différence est que la suppression d’em-ploi est, dans ce cas, largement disséminée et progressive etpeut être sévère, drastique et localisée lorsqu’un employeur es-sentiel de la communauté disparaît » (Valentine D. A., Horizontal Issues :What’s happening and what’s on the horizon, 8 déc. 1995, Federal Trade Commission, cf.<http://www.ftc.gov/speeches/other/dvhorizontalissues.shtm>).En outre, l’expérience historique va, de manière générale, àl’encontre d’une politique de suspension des politiques deconcurrence en période de crise économique. Un certainnombre de mesures prises par le passé afin de protéger lesentreprises défaillantes ont souvent prolongé la crise écono-mique. Par exemple, en 1933, l’administration Roosevelt a au-torisé une réglementation facilitant les cartels et les mono-poles dans le but de protéger les entreprises fragilisées par laGrande Dépression (The National Industrial Recovery Act (NIRA), 16 juin 1933(Ch. 90 48 Stat. 195, codifié dans 15 USC sec 703). Le NIRA devait expirer en juin 1935,mais la Cour suprême des États-Unis a déclaré l’inconstitutionnalité du Titre I du NIRA le27 mai 1937, au motif que cette loi étendait le sens de la clause commerciale).De même, les mesures prises par le gouvernement japonaisen 1974 (cf., pour plus d’informations Bela Balassa/Marcus Noland, Japan in the worldeconomy, 1988, pp. 59 et seq) n’ont pas été couronnées de succès. Celui-

ci avait établi un « plan de stabilisation de base », qui visaità réduire la capacité existante dans le cadre d’industries « struc-turellement en dépression », « structurally depressed indus-tries ». Un fonds de garantie spécifique a été créé et les mi-nistères de tutelle ont été autorisés à mettre en place desententes, avec la participation d’entreprises opérant dans lessecteurs en difficulté. Plus récemment, la décision prise parle secrétaire d’État britannique Peter Mandelson concernantla concentration Lloyds TSB/HBOS peut également être consi-dérée comme un exemple de mesure anticoncurrentielle quis’est révélée être un cadeau empoisonné pour l’acquéreur (eneffet, depuis la réalisation de la concentration, la santé financière de l’ensemble du groupes’est considérablement détériorée).Pour les raisons citées ci-dessus, le débat actuel ne va pas ma-nifestement dans le sens d’une modification des conditionsd’application de la FFD dans le contexte d’un ralentissementéconomique. En revanche, la rapide aggravation de la situa-tion de l’économie réelle, qui ne fait que commencer, plaideen faveur d’un recours à toutes les formes éprouvées et confir-mées juridiquement de politique de la concurrence et en par-ticulier (i) une approche fondée sur le précédent General Dy-namics, c’est-à-dire sur une analyse dynamique des questionsde concurrence, (ii) une étude au cas par cas plus approfon-die et complète des efficiences économiques sur la base decritères sans doute plus ouverts que ceux appliqués actuelle-ment (où les analyses des efficiences économiques restent en-core le parent pauvre des décisions de concentration) et (iii)une pleine utilisation des outils procéduraux qui permettentune résolution plus rapide et moins bureaucratique des casde concentrations. ◆

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Poursuite de la consolidationdu secteur aérien : Iberia faitmain basse sur le low costen EspagneLa Commission autorise le projet de rachat par Iberiade Vueling Airlines et de Clickair sous réservede mesures correctives.Déc. Comm. CE, 9 janv. 2009, aff. COMP/M.5364, Iberia/Vueling/Clickair,JOUE 26 mars, n° C 72

Le 9 janvier 2009, la Commission a autorisé, à l’issue d’uneprocédure de Phase I et sous réserve de mesures correctives,le projet de rachat des deux compagnies aériennes espagnoleslow cost, Vueling Airlines et Clickair, par la compagnie aé-rienne nationale espagnole Iberia.Iberia est basée à l’aéroport de Madrid-Barajas et assure desservices de transport aérien régulier de passagers de court etlong courriers, ainsi que des services de transport de fret. Clic-kair est basée à l’aéroport de Barcelona-El Prat. Vueling Air-lines est basée à l’aéroport de Barcelona-El Prat ainsi qu’à ce-

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lui de Madrid-Barajas. Les deux compagnies low cost assurentdes services de transport aérien régulier de passagers (courtcourrier) en Espagne et à destination de plusieurs autres payseuropéens. Avant l’opération envisagée, Iberia détenait déjàune participation de 20 % non contrôlante dans Clickair.Le projet de concentration comportait plusieurs opérations ju-ridiques interdépendantes, qui ont fait l’objet d’une analyseglobale : dans un premier temps, une opération de restructu-ration devait permettre de porter la participation d’Iberia dansle capital de Clickair de 20 à 80 %; dans un second temps,Vueling Airlines et Clickair devaient fusionner pour former« Nueva Vueling ». Au final, Iberia devait détenir une partici-pation de 45,8 % dans la nouvelle entité.La décision contient des précisions utiles sur la définition desmarchés dans le secteur du transport aérien régulier de pas-sagers. Fidèle à son approche dite « O & D », la Commissiona défini des marchés point à point, chaque liaison entre deuxvilles constituant un marché distinct. Comme dans la déci-sion Ryanair (Déc. Comm. CE, 27 juin 2007, aff. COMP/M.4439, Ryanair/Aer Lin-gus), la Commission a considéré que, même si les différencesde « business model » pouvaient être prises en compte au stadede l’analyse concurrentielle, les compagnies low cost faisaientpartie du même marché que les compagnies traditionnelles« en réseau ». Par ailleurs, la Commission a analysé la perti-nence d’autres facteurs susceptibles d’affecter la délimitationdes marchés pertinents :– les vols directs et indirects n’ont pas été considérés commesubstituables étant donné que la grande majorité des voya-

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geurs a indiqué ne pas envisager de prendre un vol indi-rect en réaction à une augmentation des prix des vols di-rects de 5 à 10 % ;– l’avion et le train à grande vitesse ont été considéréscomme substituables sur la route Barcelone-Madrid, comptetenu notamment de la similarité de la durée totale du tra-jet et des avantages du train en termes de confort et deproximité. En revanche, le ferry n’a pas été retenu commeune alternative acceptable à l’avion sur les routes à desti-nation d’Ibiza en raison des différences de durée du trajet ;– l’éventuelle distinction entre les passagers, selon qu’ilssont sensibles ou non au temps, a été laissée ouverte. Lesparties avaient soutenu qu’une telle distinction n’avaitpas lieu d’être puisque Clickair et Vueling appliquent destarifs identiques quel que soit le type de passagers alorsque l’enquête de marché tendait à confirmer l’importancedu facteur temps ;– la possibilité d’une substituabilité entre différents aéro-ports – en particulier entre les aéroports principaux et se-condaires – n’a pas été retenue par la Commission. Surla base d’un raisonnement développé dans l’affaire Rya-nair/Aer Lingus selon lequel les aéroports situés dans unrayon de 100 km ou d’une heure de route d’un autre aé-roport pouvaient être considérés comme substituables(cf., également en ce sens, Déc. Comm. CE, 17 déc. 2008, aff. COMP/M.5141, KLM/Mar-tinair, RLC 2009/19, n° 1329, obs. Medina C.), les parties soutenaientnotamment que l’aéroport de Barcelone (où opèrent lesparties) était substituable avec ceux de Girone et de Reus(où opère Ryanair). L’enquête de marché a toutefois mon-tré qu’une majorité de passagers ne considérait pas lesaéroports secondaires de Girone et de Reus comme sub-stituables à celui de Barcelone, en raison notamment descoûts additionnels de déplacement, du peu de créneauxhoraires et des contraintes de temps.En préambule à son analyse concurrentielle, la Commis-sion a relevé que le secteur du transport aérien espagnolétait le deuxième plus important au sein de l’UE et rela-tivement peu concentré, en raison de la présence de troisacteurs domestiques (Iberia, Air Europa et Spanair) et deplusieurs compagnies low cost. Néanmoins, la Commis-sion a identifié des problèmes de concurrence sur 19 liai-sons (principalement des lignes domestiques ainsi qu’àdestination de la France, de l’Italie et de la Grèce). Surces routes, les parties auraient bénéficié d’une situationde monopole ou de quasi-monopole en termes de nombrede passagers transportés, renforcée par la détention d’unetrès grande partie des créneaux disponibles (droits d’at-terrissage ou de décollage sur un aéroport donné pourune plage horaire donnée) dans les aéroports de Barcelona-El Prat (entre 40 et 50 % des créneaux) et de Madrid-Barajas (entre 50 et 60 % des créneaux).Afin de lever les doutes de la Commission, les parties ontprésenté deux types de mesures correctives qui ont étéjugées satisfaisantes. D’une part, les parties se sont en-gagées à mettre à disposition sans frais un certain nombrede créneaux dans plusieurs aéroports afin de permettrel’entrée de nouveaux concurrents ou l’expansion desconcurrents existants (l’enquête de la Commission a mon-tré en effet que les limitations de capacités disponiblesdans les aéroports constituaient la principale barrière àl’entrée ou à l’expansion sur les 19 liaisons probléma-tiques). D’autre part, les parties promettent de permettreà tout nouvel entrant de participer au programme de fi-délité Iberia Plus pour les liaisons concernées.

Les remèdes proposés en l’espèce sont conformes à la pra-tique décisionnelle de la Commission dans les précédentesaffaires liées à la consolidation du secteur aérien euro-péen. L’expérience montre toutefois que ce type de re-mèdes ne s’est pas toujours révélé suffisamment incitatifpour attirer de nouveaux entrants. À l’avenir, on ne peutpas exclure que la Commission souhaite étendre les misesà disposition de créneaux à des routes non directementaffectées par la concentration et/ou les accompagnerd’autres mesures correctives de nature structurelle. À cetégard, la décision de la Commission dans l’affaire Luf-thansa/SN Airholding (Brussels Airlines), qui devrait êtrerendue le 1er juillet après une extension de la Phase II,pourrait apporter un certain nombre d’éclaircissementsutiles.

Frédéric de BURECleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP

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La Commission autorisela prise de participationpar Dassault Aviationdans ThalesLa Commission a conclu que l’opération ne portaitpas atteinte à la concurrence dans les secteurs spatialet aéronautique.Déc. Comm. CE, 10 mars 2009, aff. COMP/M.5426, DassaultAviation/TSA/Thales

Le 10 mars 2009, la Commission a autorisé sans engagementl’acquisition d’une participation minoritaire par Dassault Avia-tion dans Thales. L’opération a été soutenue par l’État fran-çais qui est, d’une part, le principal actionnaire de Thales et,d’autre part, l’un des principaux acheteurs des équipementsmilitaires fabriqués par les parties.Antérieurement à l’opération, Thales était contrôlée conjoin-tement par l’État français (via la société TSA) et le groupeAlcatel-Lucent. Dassault Aviation a racheté les participationsdétenues par Alcatel-Lucent et le Groupe Industriel MarcelDassault (« GIMD ») dans le capital social de Thales et s’estsubstituée à Alcatel-Lucent dans le cadre du pacte d’action-naires qui l’unissait à TSA. La Commission a conclu qu’à l’is-sue de l’opération, Thales serait contrôlée conjointement parl’État français et Dassault Aviation (qui disposeront, respec-tivement, de 41,6 % et 20,4 % des droits de vote).La Commission a examiné l’impact de l’opération sur le sec-teur spatial et notamment sur les marchés des satellites. L’exa-men de la Commission a porté d’une part, sur les liens entreThales et EADS et, d’autre part, sur les rapports verticauxentre Thales et Dassault Aviation :– Thales et EADS sont les principaux constructeurs de satel-lites institutionnels au niveau européen (part de marché com-binée de 80-100 %) et de satellites militaires au niveau fran-çais (part de marché combinée de 90-100 %). EADS détientune participation de 46,3 % dans Dassault Aviation (la ma-jorité du capital de cette société est détenue par GIMD). Tou-tefois, la Commission a conclu qu’EADS ne contrôlait pas Das-sault Aviation car elle ne disposait d’aucun droit de veto surles décisions stratégiques de cette société. Par ailleurs, la par-ticipation aux bénéfices de Thales à laquelle EADS pourraitprétendre via Dassault Aviation (environ 12 %) serait trop

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limitée pour inciter EADS à relâcher la pression concurren-tielle que ce groupe exerce sur Thales;– Dassault Aviation fournit Thales en équipements pyrotech-niques pour satellites (Dassault Aviation est notamment l’uniquefabricant français des initiateurs pyrotechniques). Toutefois,la Commission a estimé que les risques de forclusion sur lemarché français des satellites militaires étaient très limitéspuisque les équipements pyrotechniques ne représententqu’une infime partie du prix total d’un satellite (estimé à0,05 % par les parties) et toute variation du prix de ces com-posantes aurait un impact négligeable sur le coût de la pro-duction d’un satellite. De surcroît, ces équipements ne fontpas partie des composantes stratégiques et les fournisseurspourraient inclure des équipements d’origine étrangère dansdes satellites militaires destinés aux autorités françaises.La Commission a également examiné les effets de l’opérationdans le secteur aéronautique. Dassault Aviation est un fabri-cant d’avions d’affaires, d’avions de combat et de simulateursde vol, alors que Thales est un fournisseur de produits avio-niques et non avioniques. L’examen de la Commission a no-tamment porté sur les marchés suivants :– les drones militaires : Thales fournit des radars dans le cadrede deux programmes de développement de drones, dont l’unest piloté par EADS et l’autre par un consortium composé deDassault Aviation, Indra et Thales. La Commission a concluque l’État français, qui contrôle conjointement Thales et quiest aussi l’unique acheteur des drones militaires en France,ne laisserait pas Thales se retirer du programme développépar EADS pour favoriser celui de Dassault Aviation ;– l’avionique militaire : Dassault Aviation est l’unique four-nisseur d’avions de combat (Rafale) à l’État français alors queThalesfournit la quasi-totalité de l’avionique de Rafale. LaCommission a cependant noté que les programmes militairesdes avions de combat en France étaient figés pour les 20 ou30 prochaines années, ce qui limitait toute possibilité de chan-gement de fournisseurs de systèmes avioniques et non avio-niques. En conséquence, l’intégration verticale des activitésdes parties n’aurait pas d’impact sur la concurrence à courtou moyen terme ;– la simulation de vol militaire : Dassault Aviation et Thalesréalisent les simulateurs du Rafale dans le cadre d’un parte-nariat et détiennent une part de marché cumulée de 90-100 %sur le marché français des simulateurs de vol militaire. Leurpart de marché européenne est d’environ 50-60 %; toutefois,le chevauchement de leurs activités en dehors de la Franceest très limité. Le ministère de la Défense français est forte-ment impliqué dans les programmes développés par les par-ties et n’envisage pas d’autre programme de simulation oud’avion de combat à court ou moyen terme. Le ministère dela Défense a indiqué que l’opération ne serait pas susceptiblede conduire à une augmentation des prix ou à une dégrada-tion de la qualité des produits. La Commission en a déduitque l’opération ne modifierait pas substantiellement la struc-ture du marché.L’analyse de la Commission est conforme à sa pratique déci-sionnelle relative à l’industrie de la défense. Dans ce secteur,la Commission accepte généralement un degré de concentra-tion et d’intégration verticale relativement élevé, compte tenudu pouvoir de négociation des acheteurs (les ministères de laDéfense) et de l’intensité capitalistique de cette industrie(cf. Déc. Comm. CE, 4 avr. 2007, aff. COMP/M.4403, Thales/Finmeccanica/Alcatel AleniaSpace & Telespazio, RCL 2007/13, n° 891, obs. Gérard D.).

Ianis GIRGENSONFried, Frank, Harris, Shriver & Jacobson (London) LLP

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La crise financière :la Commission autorisela première nationalisationd’une banqueLa Commission donne son feu vert au rachat d’HypoReal Estate par le Fonds allemand de stabilisationdes marchés financiers.Déc. Comm. CE, 14 mai 2009, aff. COMP/M.5508, SoFFin/Hypo Real Estate

Le 15 mai 2009, la Commission a autorisé l’acquisition de labanque allemande Hypo Real Estate par le Fonds de stabili-sation des marchés financiers contrôlé par l’État allemand(Sonderfonds Finanzmarktstabilisierung ou SoFFin). Il s’agitde la première nationalisation d’une banque autorisée par laCommission en application des règles sur le contrôle desconcentrations depuis le début de la crise financière (pour unrapprochement entre deux sociétés privées dans le contexte de la crise, cf. Déc. Comm. CE,3 déc. 2008, aff. COMP/M.5384, BNP Paribas/Fortis, RLC 2009/19, n° 1330, obs. Bure (de) F.).Hypo Real Estate est un groupe allemand actif dans le finan-cement de l’immobilier commercial et des infrastructures. Legroupe a été victime de la crise des subprimes et a bénéficiéde plusieurs aides accordées par le gouvernement allemand.Ces aides se sont toutefois avérées insuffisantes et en avril 2009,SoFFin a lancé une offre publique pour acquérir l’intégralitédes actions d’Hypo Real Estate. SoFFin est un organisme pu-blic créé par l’État allemand en octobre 2008 et utilisé commevéhicule d’intervention publique dans le cadre de la crisefinancière.La Commission a constaté que postérieurement à l’opération,Hypo Real Estate serait contrôlée par SoFFin et cesserait d’agiren tant qu’entité économique distincte et autonome. SoFFin estadministré par l’Agence de stabilisation des marchés financierset celle-ci est dirigée par un comité exécutif dont les membressont désignés par le ministère fédéral des Finances. Ce derniercontrôle également l’un des concurrents d’Hypo Real Estate, labanque publique Kreditanstalt für Wiederaufbau (« KfW »). LaCommission a dès lors examiné le chevauchement entre les ac-tivités d’Hypo Real Estate et KfW. Elle a conclu que l’opérationn’était pas de nature à porter atteinte à la concurrence car lesparts de marché combinées des deux banques ne dépassaient20 % sur aucun des marchés pertinents.Tout en autorisant la nationalisation d’Hypo Real Estate, laCommission a ouvert une enquête approfondie concernantles aides accordées par l’Allemagne à cette banque (cf. Commu-niqué Comm. CE n° IP/09/712, 7 mai 2009).

I.G.

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Rejet de l’argumentde l’entreprise défaillanteà l’occasion d’une opérationde concentration dansle secteur des batteriesde démarrage automobileLa Commission autorise, à l’issue d’une enquêteapprofondie et sous réserve d’engagements, une

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concentration entre le premier et le troisième fabricantde batteries de démarrage automobile au seinde l’Espace économique européen, mais rejettel’argument de l’entreprise défaillante.Déc. Comm. CE, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm

Le 5 mai 2009, la Commission a mis en ligne une décision du10 mai 2007, dans laquelle elle avait approuvé à l’issue d’uneenquête approfondie de Phase II, le rachat par l’allemand VBAutobatterie des activités de batteries de démarrage automo-bile du groupe italien Fiamm.Les deux parties à l’opération étaient actives dans la fourni-ture de batteries de démarrage pour voitures et poids lourds(i) sur le marché européen « de première monte » à destina-tion des constructeurs de voitures et de poids lourds et (ii)sur les marchés nationaux « de seconde monte » à destinationdes réparateurs indépendants, des grossistes en pièces déta-chées, des supermarchés et des autres points de vente au dé-tail. La Commission a par ailleurs considéré que les batteriesde démarrage destinées aux voitures et les batteries de dé-marrage destinées aux poids lourds appartenaient à des mar-chés distincts.Sur les marchés de première monte, la Commission craignaiten particulier que l’opération, telle qu’initialement notifiée,ne crée ou ne renforce la position dominante de VB Auto-batterie tant sur les batteries de démarrage destinées auxvoitures (55 à 65 % de parts de marché) que sur celles des-tinées aux poids lourds (entre 50 et 60 % de parts de mar-ché), limitant ainsi considérablement la possibilité pour lesconstructeurs de voitures et de poids lourds de changer defournisseur.Sur les marchés de seconde monte, la Commission estimaitque la combinaison des marques bien implantées de VB Au-tobatterie avec les marques nationales porteuses de Fiammpouvait conférer une position très forte à la nouvelle entitédans quatre États membres : l’Autriche (45-65 % de parts demarché), l’Italie (50-60 % de parts de marché), la Républiquetchèque (60-75 % de parts de marché) et la Slovaquie (entre45-60 % de parts de marché).Les mesures correctives proposées par les parties incluent no-tamment la cession de capacités de production de batteriesdestinées aux marchés de première monte, ainsi que la ces-sion de plusieurs marques reconnues de Fiamm distribuéessur les marchés de seconde monte autrichien, italien, tchèqueet slovaque.L’intérêt particulier que présente cette décision, ainsi que sonactualité, tient au fait que les parties avaient avancé l’argu-ment de l’entreprise défaillante (ou « failing firm defense »)en invoquant les graves problèmes de liquidités rencontréspar le groupe Fiamm et le risque d’ouverture d’une procédurede liquidation judiciaire à son encontre. En effet, malgré laprofitabilité des autres divisions du groupe Fiamm, la divi-sion batteries de démarrage automobile représentait environ40-50 % des ventes et subissait de lourdes pertes depuis plu-sieurs années, mettant en danger l’ensemble du groupe. Dèslors, les parties soutenaient que l’éventuel impact anticoncur-rentiel de l’opération était moins grave que l’atteinte à laconcurrence qui aurait résulté de la disparition de Fiamm.La Commission a donc examiné si les trois conditions cumu-latives définies dans l’affaire Kali und Salz (Déc. Comm. CE, 14 déc.1993, aff. IV/M.308, Kali und Salz/MdK/Treuhand) étaient réunies. Elle a concluque seules les deux premières conditions étaient remplies :– (i) si la concentration n’avait pas lieu, Fiamm serait proba-blement placée en liquidation judiciaire à court terme (ou à

tout le moins la division batterie de démarrage automobiledisparaîtrait du marché);– (ii) il est peu probable que Fiamm pourrait trouver un autreacheteur qui poserait moins de problèmes de concurrence;– (iii) toutefois, il n’est pas suffisamment démontré que, si laconcentration n’avait pas lieu, tous les actifs de la divisionbatterie de démarrage automobile disparaîtraient inévitable-ment du marché. En effet, la Commission évoque la possibi-lité que certains actifs puissent être rachetés par des plus pe-tits producteurs (ou même par JCI) pendant la procédure deliquidation judiciaire et, par conséquent, remis sur le marchéà moyen terme.Au-delà de l’analyse « classique » fondée sur l’examen destrois critères évoqués plus haut, la Commission s’est livrée àune comparaison entre le scénario de l’entreprise défaillanteet celui de la concentration. En effet, même lorsque l’un destrois critères de Kali und Salz n’est pas rempli, la Commis-sion doit évaluer si le scénario de la défaillance n’est pas plusrestrictif de concurrence que celui de la concentration. En l’es-pèce, la Commission a conclu que pour chacun des marchésconcernés les effets anticoncurrentiels engendrés par une dis-parition de la branche défaillante du groupe Fiamm seraientplus limités dans le temps et donc moins néfastes que les ef-fets induits par l’opération de concentration.Cette décision confirme ainsi que la Commission est prête àexaminer l’argument de l’entreprise défaillante, mais qu’elleexigera des parties d’apporter des preuves particulièrementsolides.

F. de B.

OBSERVATIONS • Pour une étude plus générale, voir dans cette rubrique,Winckler A., La théorie de l’entreprise défaillante « Failing Firm Defense » :une renaissance dans la crise?, RLC 2009/20, n° 1387

1392

Concentration sous conditionsdans le secteur de la viandeAprès plusieurs mois d’étude, le ministre de l’Économiea autorisé sous conditions le rapprochement entreSocopa Viandes et le Groupe Bigard, les deuxprincipaux acteurs de la production industriellede viande de boucherie en France.Lettre min. Éco., n° C2008-100, 17 févr. 2009, Groupe Bigard/SocopaViandes

Par un dossier notifié le 14 novembre 2008 mais déclarécomplet seulement le 11 février 2009, le ministre del’Économie a finalement autorisé le 17 février 2009, auterme d’une procédure de Phase I, l’acquisition de SocopaViandes par le Groupe Bigard sous réserve d’engagements.L’opération concernait les marchés de l’abattage d’ani-maux (première transformation), du désossage et de ladécoupe des carcasses (deuxième transformation), de lamise en barquettes de viande prête à cuire (troisième trans-formation) et de la fabrication de produits élaborés à basede viande (quatrième transformation). Le ministre a consi-déré que ces marchés devaient être sous-segmentés enfonction notamment du type de viande (ovine, porcine etbovine), du canal de distribution, du type de produit, deson positionnement. La dimension géographique était na-tionale, régionale ou locale selon les marchés de produits(en particulier le marché de la première transformation aété analysé aux niveaux locaux et régionaux). En raison

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de la présence simultanée des parties sur chacun desquatre stades de transformation de la viande, et ce pourtous les types de viande et tous les canaux de distribu-tion, le ministre a analysé les effets horizontaux, conglo-méraux et verticaux de l’opération.S’agissant des effets horizontaux, le ministre a considéréque l’opération était de nature à porter atteinte à la concur-rence sur les marchés de première, deuxième et troisièmetransformation de la viande bovine (hors veau) et, austade de la quatrième transformation, sur le marché desviandes marinées.En premier lieu, le ministre a identifié des risques de créa-tion d’une puissance d’achat sur les marchés de viandebovine au stade de la première transformation dans leszones nord et est de la France et de la deuxième transfor-mation au niveau national. Afin de remédier à ces risques,les parties ont pris l’engagement de céder plusieurs abat-toirs comportant des ateliers de première et deuxièmetransformation. De manière plus surprenante, le ministrea écarté tout risque d’atteinte à la concurrence, au stadede la première transformation, sur le marché de la col-lecte de bovins destinés à l’abattage en zone ouest, aprèsavoir pourtant identifié 13 marchés locaux sur lesquelsles parties détenaient des parts de marché cumulées su-périeures à 40 % (supérieures à 70 % sur deux de cesmarchés). Le ministre a procédé à une analyse globale dela zone ouest et s’est limité à souligner, sans distinguerselon les marchés locaux, (i) l’existence d’une forte concur-rence et (ii) les capacités de production excédentaires desabattoirs concurrents, de nature à offrir des débouchésalternatifs pour les fournisseurs de bovins.En deuxième lieu, le ministre a relevé que la nouvelle en-tité serait susceptible de se comporter de manière indé-pendante de ses concurrents sur le marché de la troisièmetransformation de la viande bovine au niveau national(en raison de parts de marché cumulées très élevées, su-périeures à 70 % sur certains segments, et de l’absenced’offre équivalente en termes de profondeur de gamme etde positionnement de prix). L’engagement de cession dedeux sites de troisième transformation est toutefois de na-ture à limiter les risques d’atteinte à la concurrence, enréduisant sensiblement les incréments de parts de mar-ché liés à l’opération. Le ministre a également pris encompte les capacités de production excédentaires desconcurrents et la puissance d’achat des clients, notam-ment les grandes et moyennes surfaces.En troisième lieu, l’opération aurait été susceptible d’en-traîner la création d’une position dominante sur le mar-ché de la production de viandes marinées à destinationdes grandes et moyennes surfaces (quatrième transforma-tion), en particulier sur le segment des viandes venduessous marque de fabricant. Sur ce segment, la nouvelle en-tité disposerait en effet des trois grandes marques deviandes marinées (Bigard, Charal et Valtero) et détien-drait une part de marché supérieure à 70 %. Les partiesse sont donc engagées à conclure avec un tiers une licenceexclusive de la marque Valtero portant sur la vente desproduits à base de viande bovine destinés aux grandes etmoyennes surfaces. Le ministre autorise ainsi un partagede marque, souvent vu d’un mauvais œil par les autori-tés communautaires, la nouvelle entité conservant l’ex-ploitation de cette marque pour les autres canaux de dis-tribution et types de viande. Le ministre retient que lalicence de cette marque notoire est susceptible de facili-

ter l’entrée ou la progression sur le segment des marquesde fabricants d’un tiers, qui bénéficiera par ailleurs desinvestissements publicitaires consacrés par le Groupe Bi-gard à cette marque, en particulier pour la distributiond’autres produits carnés (à base de viande porcine no-tamment).Sur les effets congloméraux, le ministre sème le doute surla grille d’analyse à retenir pour apprécier les effets degamme. Dans la décision Somfy/Zürfluh-Feller, le ministreavait examiné, conformément aux lignes directrices de laCommission européenne sur l’appréciation des concen-trations non horizontales, (i) la capacité de la nouvelleentité à évincer ses concurrents, (ii) son intérêt écono-mique à le faire et (iii) l’incidence d’une telle stratégiesur la concurrence (Lettre min. Éco. n° C2007-171, 12 juin 2008, Somfy/Zür-fluh-Feller). Pour établir la première condition, le ministreavait pris soin de caractériser les critères posés par leslignes directrices de la DGCCRF, à savoir : (i) l’existenced’une forte position sur au moins un des marchés connexes,(ii) le caractère déterminant de la détention d’une gammede produits étendue pour les clients et (iii) l’incapacitédes concurrents à proposer une gamme aussi complète.Dans la présente décision, le ministre s’écarte de la grilled’analyse de la Commission et se limite à caractériser lestrois critères précités des lignes directrices de la DGCCRF,s’abstenant ainsi de démontrer l’intérêt économique dela nouvelle entité à évincer ses concurrents et d’analyserl’incidence d’une telle stratégie sur la concurrence. Ce fai-sant, le ministre retient l’existence d’un risque anticon-currentiel de nature conglomérale sur les marchés de troi-sième et quatrième transformation. Pour atténuer ce risque,les parties se sont donc engagées pour une durée de cinqans à (i) ne pas proposer à leurs clients de quelconqueavantage dont la contrepartie serait l’achat simultané deplusieurs produits différents et à (ii) ne pas subordonnerl’octroi d’une réduction de prix sur un produit à l’achatd’un ou plusieurs autres produits. Les parties se sont éga-lement engagées à ne pas subordonner la vente d’un pro-duit à l’achat simultané d’un ou plusieurs autres produitspendant une durée de cinq ans à compter de la présentedécision.S’agissant enfin des effets verticaux, la relative faiblessedes parts de marché sur les marchés verticalement affec-tés et l’existence de nombreux débouchés et sources d’ap-provisionnement alternatifs permettent au ministre d’ex-clure tout risque de forclusion tant sur les marchés amontque sur les marchés aval.

Jean-Baptiste PINÇONCleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP

1393

Comment vendre et garderle contrôleLe ministre de l’Économie a considéré qu’un accordcommercial signé concomitamment à l’opération étaitsuffisant pour donner le contrôle conjoint au vendeur.Lettre min. Éco., Ind. et Emploi n° C2008/129, 5 mars 2009, aux conseilsde la société Pédandel, relative à une concentration dans le secteurdes boissons, BOCCRF 27 avr. 2009

Le 5 mars 2009, le ministre de l’Économie a autorisé l’ac-quisition par le Groupe Bertrand Distribution de plusieurs

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filiales d’Inbev actives dans la distribution de bière enFrance. Inbev est le leader mondial de l’industrie brassi-cole. Le Groupe Bertrand est un négociant en gros et demigros de boissons à destination des Cafés-Hôtels-Restau-rants (« CHR ») en France. Au terme de l’opération, Inbeva néanmoins conservé une action dans chacune des so-ciétés cédées.L’opération ne posait pas de problème de concurrence par-ticulier en raison des parts de marché limitées du GroupeBertrand sur les marchés nationaux et régionaux de la dis-tribution de boissons en France. Le principal intérêt de ladécision réside dans l’appréciation par le ministre de lanature du contrôle exercé sur les sociétés cédées. Le mi-nistre a considéré qu’Inbev conserverait une influence dé-terminante sur la gestion courante et la politique com-merciale des sociétés cédées et en détiendrait donc lecontrôle conjointement au Groupe Bertrand (alors que lesparties avaient notifié une prise de contrôle exclusif parGroupe Bertrand).En effet, concomitamment à l’opération, les parties avaientconclu un accord commercial d’une durée de 10-15 ansaux termes duquel le Groupe Bertrand s’engageait à sefournir auprès d’Inbev pour 70-80 % des besoins des so-ciétés cédées en fûts de bière à destination des CHR. Cesobjectifs de volume étaient assortis de pénalités finan-cières particulièrement importantes (selon les marques,entre 20 et 60 % du prix de l’hectolitre pour tout hecto-litre manquant). L’accord commercial prévoyait égalementun système de « reporting » d’informations et de contrôleparticulièrement détaillé et certaines modalités financièresentre le Groupe Bertrand et Inbev.Le ministre a considéré que les dispositions de l’accordcommercial étaient particulièrement contraignantes pourGroupe Bertrand et suffisaient à conférer un contrôleconjoint à Inbev. Il a toutefois appuyé la requalificationde la nature du contrôle par d’autres indices concordantscomme l’existence de droits de veto attachés à l’actionunique détenue par Inbev dans chacune des sociétés cé-dées (concernant la modification des statuts ou de la com-position du capital). On relèvera, qu’en suggérant qu’unaccord de distribution soit susceptible de donner le contrôleen l’absence de tout lien capitalistique, le ministre s’estécarté de la pratique décisionnelle de la Commission eu-ropéenne. Celle-ci considère traditionnellement que « dansdes circonstances exceptionnelles, une situation de dépen-dance économique peut conduire à un contrôle de faitlorsque, par exemple, de très importants contrats de livrai-son à long terme ou des crédits octroyés par des fournis-seurs ou des clients, conjugués à des liens structurels, confè-rent une influence décisive » (Communication consolidée sur la compétencede la Commission en vertu du règlement n° 139/2004/CE du Conseil relatif au contrôledes opérations de concentration entre entreprises, pt. 20, JOUE 21 févr. 2009, n° C 43).Par ailleurs, le ministre a considéré que l’accord commer-cial conclu entre Inbev et Groupe Bertrand ne constituaitpas une restriction accessoire et n’était donc pas « cou-vert » par la décision d’autorisation. En effet, selon le mi-nistre, l’accord n’était pas lié et nécessaire à l’opérationpuisque ses dispositions ne visaient pas à assurer la sur-vie des actifs cédés ou le démarrage de la nouvelle entité.L’analyse peut surprendre puisque le ministre a considérédans le même temps que l’accord constituait un élémentdéterminant de l’opération qui justifiait à lui seul l’exis-tence d’un contrôle conjoint. En outre, le ministre a exa-miné l’impact de l’accord sur la concurrence dans son

analyse des effets verticaux et a conclu à l’absence d’ef-fets significatifs. Dès lors, il aurait semblé logique de lefaire bénéficier du régime des restrictions accessoires.

F. de B.

1394

Premières décisionsd’autorisation de l’Autoritéde la concurrenceDepuis son entrée en fonction en mars 2009 jusqu’àla rédaction de cette chronique, l’Autorité de laconcurrence a autorisé huit opérations de concentration.Aut. conc., déc. n° 09-DCC-01, 8 avr. 2009, relative à la prise de contrôlede la société Pellier Metz S.A.S. par le groupe Bailly S.A.S. ;Aut. conc., déc. n° 09-DCC-04, 29 avr. 2009, relative à la prise de contrôlede la société Noukat par la société d’Exploitation Amidis & Cie SAS,filiale du Groupe Carrefour

Depuis le 2 mars 2009, date de la première réunion duCollège de l’Autorité de la concurrence, celle-ci exerce lescompétences auparavant dévolues au ministre de l’Éco-nomie et à la DGCCRF en matière de contrôle des opéra-tions de concentration.Aux côtés des trois services d’instruction des affaires d’en-tente ou d’abus de position dominante, l’Autorité de laconcurrence a créé un « service des concentrations » quiexamine les projets de concentration et prépare les projetsde décision, en sollicitant, le cas échéant, le concours duservice économique. Les décisions sont adoptées par uneformation du Collège ou, s’agissant des décisions de Phase I,par le président ou un vice-président désigné par lui.L’Autorité a annoncé qu’elle préparait des lignes direc-trices relatives au contrôle des opérations de concentra-tion – qui feront l’objet d’une consultation publique – etqu’entre-temps, elle s’inspirait des méthodes d’analysesexposées dans les lignes directrices de la DGCCRFd’avril 2007.Depuis mars 2009, l’Autorité a adopté huit décisions d’au-torisation, dont seulement deux ont été publiées : une dé-cision relative à l’acquisition d’un concessionnaire auto-mobile BMW en Lorraine (Aut. conc., déc. n° 09-DCC-01, 8 avr. 2009)et une décision relative à l’acquisition par le groupe Car-refour du contrôle exclusif d’un hypermarché dont ildétenait déjà le contrôle conjoint (Aut. conc., déc. n° 09-DCC-04,29 avr. 2009).Ces deux opérations ont pour point commun de n’avoir éténotifiables qu’en vertu du nouveau régime applicable auxentreprises exploitant des points de vente de détail. En ef-fet, les entreprises dont le changement de contrôle était no-tifié n’atteignaient pas le seuil « traditionnel » de cinquantemillions d’euros de chiffre d’affaires réalisé en France ; enrevanche, elles franchissaient le seuil de quinze millionsd’euros réalisé dans le secteur du commerce de détail enFrance. Il s’agit des premières opérations ainsi notifiées autitre de cette nouvelle série de seuils qui a pour vocationde permettre à l’Autorité de mieux contrôler les conditionsde concurrence dans le secteur de la distribution, et toutparticulièrement de la grande distribution.S’agissant des définitions de marché, la continuité pré-vaut : l’Autorité se réfère aussi bien aux précédents de laCommission européenne qu’à ceux de la DGCCRF.

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L’Autorité considère que les opérations en cause ne portent pasatteinte à la concurrence, même si les parts de marché des par-ties peuvent paraître élevées sur certains segments de marché.S’agissant de la prise de contrôle du concessionnaire BMWimplanté en Lorraine, la nouvelle entité détiendra, sur un mar-ché local regroupant trois départements, une part de marchéde 12 % sur le marché inter-marques et de 63 % sur le mar-ché intra-marque. L’Autorité indique qu’en matière de distri-bution automobile, la concurrence inter-marques joue un rôleplus important que la concurrence intra-marque et que toutetentative de hausse unilatérale des prix de la nouvelle entitése heurterait à un report de la demande sur les modèles concur-rents de Mercedes ou Audi. De surcroît, la nouvelle entité resteen concurrence avec d’autres concessionnaires BMW implan-tés en France, mais aussi en Allemagne et au Luxembourg.

Dans la seconde affaire, le groupe Carrefour détiendra, àl’issue de l’opération, une part de marché de 50 à 54 %sur le segment local des hypermarchés. L’Autorité estimenéanmoins que l’opération elle-même n’augmente pas lepouvoir de marché du groupe Carrefour, dans la mesureoù ce dernier ne fait qu’acquérir le contrôle exclusif d’unhypermarché dont il détenait précédemment le contrôleconjoint et dont il contrôlait déjà la politique commer-ciale.Ces premières affaires auront probablement permis à l’Au-torité de « tester » son dispositif avant l’examen de sa pre-mière opération de concentration significative, le rappro-chement des Caisses d’Épargne et des Banques Populaires.

Éric PAROCHECleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP

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I. – IMPUTATION DE L’INFRACTION À LA SOCIÉTÉMÈRE DE LA FILIALE À 100 %

En principe, une filiale est présumée autonome d’un pointde vue économique en raison de sa personnalité juridiquedistincte de celle de sa société mère. Cependant, lorsquela filiale est détenue à 100 %, c’est une autre présomp-tion qui joue. De façon tout à fait traditionnelle (TPICE,1er avr. 1993, aff. T-65/89, BPB Industries Pic et British Gypsum Limited c/ Commis-sion, Rec. CJCE, II, p. 493, Contrats, conc., consom. 1993, comm. 94, obs. Vogel L.,Europe juin 1993, comm. 249, obs. Idot L. ; cf., également, TPICE, 14 mai 1998, aff.T-354/94, Stora Kopparbergs Bergslags AB c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2111, Eu-rope juill. 1998, comm. 251, obs. Idot L. ; TPICE, 20 avr. 1999, aff. jtes. T-305/94,T-306/94, T-307/94, T-313/94, T-314/94, T-315/94, T-316/94, T-318/94, T-325/94,T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Limburgse Vinyl Maatschappij NV e.a. c/ Commis-sion, Rec. CJCE, II, p. 931, Europe juin 1999, comm. 219, obs. Idot L. ; CJCE, 16 nov.2000, aff. C-286/98 P, Stora Kopparbergs Bergslags AB, Rec. CJCE, I, p. 9925, Europejanv. 2001, comm. 30, obs. Idot L., Contrats, conc., consom. 2001, comm. 30, obs.Poillot-Peruzzetto S. ; TPICE, 13 déc. 2001, aff. jtes. T-45 et T-47/98, Krupp-Thyssen,Europe févr. 2002, comm. 62, obs. Idot L., RTD com. 2002, p. 132, obs. Blaise J.-B. etIdot L. ; TPICE, 15 juin 2005, aff. jtes. T-71/03, T-74/03, T-87/03 et T-91/03, Tokai Car-bon c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1711 ; TPICE, 27 sept. 2006, aff. T-314/01, Avebec/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 3085 ; TPICE, 12 sept. 2007, aff. T-30/05, Prym ;TPICE, 12 sept. 2007, aff. T-112/05, AkzoNobel c/ Commission, Europe févr. 2008,comm. 60, obs. Idot L. ; cf. Krenzer A., Présomption de responsabilité des sociétésmères du fait de leurs filiales en droit communautaire des pratiques anticoncurren-tielles, RLC 2008/15, n° 1116), le Tribunal vient en effet rappeler

que « dans le cas particulier où une société mère contrôleà 100 % sa filiale auteur d’un comportement infraction-nel, il existe une présomption réfutable selon laquelle la-dite société mère exerce effectivement une influence dé-terminante sur le comportement de sa filiale (…) etconstitue donc avec celle-ci une seule entreprise au sensde l’article 81 CE ». Cette autonomie n’est pas circons-crite au domaine de l’infraction mais s’apprécie plus glo-balement. Le TPICE note ainsi que ce n’est pas « une re-lation d’instigation relative à l’infraction entre la sociétémère et sa filiale (…) mais le fait qu’elles constituent uneseule et même entreprise (…) qui habilite la Commissionà adresser la décision imposant des amendes à la sociétémère d’un groupe de sociétés ». Le travail de la Commis-sion est allégé : il lui suffit, expose le TPICE, de prouverque « la totalité du capital d’une filiale est détenue parsa société mère pour que la présomption que cette dernièreexerce une influence déterminante sur le comportementde la filiale sur le marché soit établie. La Commission seraen mesure, par la suite, de tenir la société mère solidai-rement responsable pour le paiement de l’amende infli-gée à la filiale ». Le critère d’imputabilité de l’infractionest donc fondé sur la détention du capital social et nonsur la participation de la société mère à l’infraction. C’esten vain que cette dernière invoque la pratique de la Com-mission consistant à « adresser sa décision à la sociétémère lorsqu’il existe des preuves précises impliquant celle-

Imputation de l’infractionet prescription : les enjeuxde la notion d’entrepriseen droit de la concurrenceLes questions d’imputabilité des infractions concurrentielles n’en finissent pas d’alimenter lajurisprudence. Preuve en est cet arrêt du Tribunal de première instance des Communautéseuropéennes (TPICE) rendu le 31 mars 2009 dans l’affaire des Poutrelles II. La Commissioneuropéenne avait sanctionné le 8 novembre 2006 trois sociétés du groupe ARBED (ArcelorMittalaujourd’hui), à savoir ARBED, TradeARBED et ProfilARBED, pour avoir violé l’article 65,paragraphe 1, CECA prohibant les ententes. ARBED produisait les poutrelles en acier,TradeARBED, sa filiale à 100 %, distribuait moyennant commission ces poutrelles etProfilARBED, filiale à 100 % d’ARBED, avait par la suite repris les activités de production despoutrelles d’ARBED. Seule TradeARBED avait participé à l’entente, ce qui n’a pas empêché laCommission de reconnaître solidairement responsables ARBED et ProfilARBED. Le TPICE rejettecette solidarité mais pour des questions de prescription.

TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg, ArcelorMittal Belval & Differdange, ArcelorMittal International c/ Commission1395

Par LindaARCELIN-LÉCUYER

Maître de conférencesen droit privé

à la Faculté de droitde La Rochelle

Membre du CEJLR

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ALITÉS

PRATIQUESANTICONCURRENTIELLESSous la responsabilité de Dominique BRAULT, Avocat à la Cour, Ancien rapporteur général de la Commissionde la concurrence, Président d’honneur de l’AFEC, et Véronique SÉLINSKY, Avocat ÉCLAIRAG

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ci dans la participation de sa filiale à l’entente ». Pour lejuge communautaire, si la Commission a apporté d’autreséléments, il ne s’agit que d’« éléments de preuve addi-tionnels, qui, par-delà la présomption tirée de la déten-tion par la société mère de la totalité du capital de sa fi-liale, sont venus confirmer non pas la participationmatérielle effective d’ARBED aux infractions en cause,mais l’influence déterminante de celle-ci sur le comporte-ment de TradeARBED et l’usage effectif de ce pouvoir ».La seule échappatoire de la société mère réside dans lerenversement de cette présomption par la démonstrationde l’autonomie économique de la filiale – ce qui, au vude la jurisprudence, est loin d’être aisé (pour les éléments exi-gés, cf. Arcelin-Lécuyer L., Notion d’entreprise en droit interne et communautaire dela concurrence, J-Cl. Concurrence Consommation, Fasc. 35). En revanche,l’argument selon lequel elle n’aurait pas participé à l’in-fraction est inopérant.

II. – IMPUTATION DE L’INFRACTION AU SUCCESSEURÉCONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ MÈRE

C’est encore dans la droite ligne de la jurisprudence an-térieure que le TPICE condamne ProfilARBED en tant quesuccesseur économique d’ARBED dansle domaine de la production des pou-trelles au sein du groupe ARBED. Leprincipe selon lequel la personne ju-ridique qui exploitait l’entreprise aumoment des faits reste responsablede l’infraction tant qu’elle subsiste,connaît en effet une exception en pré-sence d’un groupe de sociétés (TPICE,15 mars 2000, aff. jtes. T-25/95, T-26/95, T-30/95, T-31/95, T-32/95, T-34/95, T-35/95, T-36/95, T-37/95, T-38/95, T-39/95, T-42/95, T-43/95, T-44/95, T-45/95,T-46/95, T-48/95, T-50/95, T-51/95, T-52/95, T-53/95, T-54/95, T-55/95, T-56/95, T-57/95, T-58/95, T-59/95, T-60/95, T-61/95, T-62/95, T-63/95, T-64/95, T-65/95, T-68/95, T-69/95, T-70/95, T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Cimenteries, Rec. CJCE, II, p. 491 ; CJCE, 7 janv. 2004, aff. jtes.C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, AalborgPortland c/ Commission, Rec. CJCE, I, p. 123 ; TPICE, 27 sept. 2006, aff. T-43/02,Jungbunzlauer AG c/ Commission ; CJCE, 11 déc. 2007, aff. C-280/06, Autorità Ga-rante della Concorrenza e del Mercato c/ Ente Tabacchi Italiani (ETI), RLC 2008/14,n° 978, obs. Arcelin-Lécuyer L. ; cf. Arcelin-Lécuyer L., Imputabilité des pratiquesanticoncurrentielles en cas de modification juridique et/ou économique de l’auteur,J.-Cl. Concurrence Consommation, 2009, à paraître). « En cas de transfertde tout ou partie des activités économiques d’une entitéjuridique à une autre, expose le Tribunal, la responsabi-lité de l’infraction commise par l’exploitant initial, dansle cadre des activités en question, peut être imputée aunouvel exploitant si celui-ci constitue avec celui-là unemême entité économique aux fins de l’application desrègles de concurrence, et ce même si l’exploitant initialexiste encore en tant qu’entité juridique ». Comme enconvenait déjà l’avocat général Kokott dans ses conclu-sions sous l’arrêt ETI, l’application stricte du principepourrait conduire l’exploitant initial à devenir « unecoquille vide » à la suite de la restructuration internedu groupe et à priver ainsi la sanction de toute effecti-vité (cf. Concl. av. gén. Kokott, 3 juill. 2007, pt. 79 ; CJCE, 11 déc. 2007,aff. C-280/06, ETI).Si les parties n’ont pas discuté l’imputation de l’infractionà ProfilARBED, elles ont en revanche contesté le fait que laCommission tienne également pour responsable solidaire

ARBED, soit l’exploitant initial. Selon elles, la Commissionaurait dû choisir entre les deux : l’exploitant initial ou sonsuccesseur économique. Cependant, la solidarité s’imposeici en raison de l’unité économique que composent les so-ciétés du groupe ARBED. Contrairement à l’affaire ETI oùle successeur économique a supporté l’amende intégrale-ment puisque l’exploitant initial ne faisait plus partie dugroupe au moment de la décision de la Commission ; dansla présente espèce, ARBED est restée membre du groupe desociétés. Dans ces conditions, la solidarité apparaît « commeune conséquence normale de l’imputation de responsabilitédu comportement d’une société à une autre, en particulierlorsque ces deux sociétés constituent une même entreprise ».Mais encore faut-il pour que la solidarité soit admise quel’infraction puisse « être également constatée dans le chef »d’ARBED, ce qui était le cas.

III. – NOTION D’ENTREPRISE ET PRESCRIPTION

La présente espèce montre les limites de la notion d’en-treprise face à la prescription. En effet, ARBED avait in-tenté un recours devant le juge communautaire lors dela première affaire des Poutrelles, ce qui avait eu pour ef-

fet de suspendre la prescription. LaCommission avait rendu sa décisionen respectant alors le délai quinquen-nal. La question se posait de savoirsi les autres contrevenantes pouvaientse voir opposer cette suspension deprescription.Dans une argumentation assez déve-loppée, le TPICE rappelle que la sus-pension, comme l’interruption, consti-tuent une exception au principe de laprescription quinquennale et qu’ellesdoivent être interprétées de manière

restrictive. Toutefois, leur régime diffère : « à la différencede l’interruption de la prescription, qui vise à permettre àla Commission de poursuivre et de sanctionner efficace-ment les infractions aux règles de concurrence, la suspen-sion de la prescription concerne, par définition, une hypo-thèse dans laquelle la Commission a déjà adopté unedécision ». Une procédure intentée devant le juge com-munautaire n’a qu’un effet inter partes. C’est en vain quela Commission a recours au concept d’entreprise et àl’unité économique qu’elle représente pour étendre les ef-fets de la suspension à l’ensemble des sociétés en cause.Le Tribunal consent que « s’il est vrai que les règles deconcurrence du Traité s’adressent à des entreprises, il n’endemeure pas moins que, aux fins de l’application et del’exécution des décisions de la Commission en la matière,il est nécessaire d’identifier, en tant que destinataire, uneentité dotée de la personnalité juridique, que la commu-nication des griefs doit préciser sans équivoque la personnejuridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendeset être adressée à cette dernière ». Et le TPICE de conclure :« cette personne juridique est seule à même d’introduireun recours contre la décision adoptée à l’issue de la pro-cédure administrative et, dès lors, elle est seule susceptiblede se voir opposer la suspension de la prescription ».Dès lors, seule ARBED peut être mise en cause, excluantla responsabilité de TradeARBED et de ProfilARBED (surcette décision, voir aussi, dans la rubrique « Droit processuel de la concurrence », Bar-bier de la Serre E., RLC 2009/20, n° 1430). ◆

IMPUTATION DE L’INFRACTION ET PRESCRIPTION : LES ENJEUX DE LA NOTION D’ENTREPRISE EN DROIT DE LA CONCURRENCE

Le principe selon lequella personne juridique quiexploitait l’entreprise aumoment des faits reste

responsable de l’infractiontant qu’elle subsiste,connaît en effet une

exception en présenced’un groupe de sociétés.

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ACTU

ALITÉSPRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

PRATIQUESANTICONCURRENTIELLES

COMPÉTENCE1396

Arrêt cardiaquePlusieurs sociétés médicales contestent la décisiondu Conseil de la concurrence concernant l’acquisitionde défibrillateurs cardiaques.CA Paris, 1re ch., sect. H, 8 avr. 2009, n° RG : 2008/01092

Dans sa décision n° 07-D-49 en date du 19 décembre 2007,le Conseil de la concurrence avait condamné l’ententeconstituée entre les sociétés Biotronik, Ela Medical, Gui-dant, Medtronic et Saint Jude Medical qui s’étaient concer-tées pour refuser de répondre à l’occasion de l’appeld’offres lancé par le CHU de Montpellier, mandaté parseize autres centres hospitaliers universitaires, pour seprocurer des défibrillateurs cardiaques (Cons. conc., déc. n° 07-D-49, 19 déc. 2007, relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Biotro-nik, Ela Medical, Guidant, Medtronic et Saint Jude Medical à l’occasion de la passa-tion d’un appel d’offres lancé par le CHU de Montpellier).L’entente avait consisté à mettre en échec une nouvelleprocédure d’achat en commun pour obtenir de meilleursprix et de meilleurs services. Parmi les questions évo-quées, on retiendra celle portant sur la compétence del’autorité. En effet, les entreprises sanctionnées invo-quaient l’irrégularité de cette nouvelle procédure d’appeld’offres : elles considéraient en conséquence que le jugeadministratif était seul compétent, étant précisé qu’au-cune des entreprises condamnées n’y avait participépuisque ce qui leur était reproché était précisément le re-fus de répondre. Très classiquement, la Cour d’appel deParis rappelle les conditions de la répartition des compé-tences entre le juge et l’autorité de concurrence, et la pos-sibilité de qualifier une entente illicite « passive » résul-tant d’un refus collectif de donner suite à un appel d’offres.

Véronique SÉLINSKY

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PREUVE1397

Téléphonie mobileet pratiques concertéesUne seule réunion entre sociétés peut constituer unepratique concertée contraire au droit communautairede la concurrence.CJCE, 4 juin 2009, aff. C-8/08, T-Mobile Netherlands BV e.a. c/ Raad vanbestuur van de Nederlandse Mededingingsautoriteit ;Communiqué CJCE n° 47/09, 4 juin 2009

En 2001, cinq opérateurs de téléphonie mobile néerlandaiss’étaient réunis pour décider d’une réduction de la rémuné-ration standard des revendeurs pour les abonnements et avaientété condamnés pour entente en première instance. La juridic-tion nationale saisie de leur recours en appel demandait à laCour de justice de préciser si le juge national qui examinel’existence d’une pratique concertée est tenu d’appliquer laprésomption de causalité énoncée par la jurisprudence et dedéterminer si cette présomption est applicable même dans lescas où la concertation n’est fondée que sur une seule réuniondes entreprises concernées. La réponse est positive. Le jugenational est tenu d’appliquer cette présomption de causalitéselon laquelle les entreprises participant à la concertation etdemeurant actives sur le marché tiennent compte des infor-mations échangées avec leurs concurrents pendant ladite ré-union pour déterminer leur comportement sur ce marché.La Cour rappelle que, selon la structure du marché, des contactsréguliers sur une longue période peuvent être nécessaires pourmettre en place un système complexe de concertation. Cepen-dant, comme dans le cas d’espèce, une seule concertationponctuelle qui vise un paramètre isolé de la concurrence, peutsuffire pour réaliser la finalité anticoncurrentielle recherchée.Pour la Cour, ce qui importe « n’est pas tant le nombre de ré-unions entre les entreprises concernées que le fait de savoir sile ou les contacts qui ont eu lieu ont offert à ces dernières lapossibilité de tenir compte des informations échangées avecleurs concurrents pour déterminer leur comportement sur lemarché considéré et de substituer sciemment une coopérationpratique entre elles aux risques de la concurrence ».Pour combattre cette présomption, les entreprises doivent rap-porter la preuve que cette concertation n’a pas eu d’influencesur leur comportement sur ledit marché.

Catherine ROBINAvocat, ALERION

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Recevabilitédes enregistrements sonoresréalisés à l’insu des personnesenregistrées : la Cour persisteet signe (de la mainde son Président)La Cour d’appel de Paris se prononce sur lesmodalités d’obtention des enregistrements sonores,

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« Considérant que, si le juge administratif est seul compé-tent pour apprécier la légalité d’un acte administratif, enl’occurrence la procédure d’appel d’offres, et en prononcerl’annulation, le Conseil de la concurrence est compétentpour apprécier, au regard du droit de la concurrence, lescomportements des entreprises auxquelles cet appel d’offress’adresse, qu’elles prennent ou non le parti d’y répondre,et prononcer, le cas échéant, des sanctions et injonctionsà l’encontre de ces entreprises si leur comportement révèleune entente ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel ;que l’intervention du juge administratif pour appréhenderla légalité d’un acte administratif ne fait pas obstacle à lacompétence du Conseil pour examiner de telles pratiques,indépendamment des irrégularités alléguées de l’appeld’offres ».

EXTRAIT DE L’ARRÊT

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entre loyauté de la preuve et volonté de lutte contreles ententes secrètes.CA Paris, 29 avr. 2009, 1re ch., sect. H, n° RG : 2008/11907, Philips France e.a.

1. En l’absence de texte réglementant la production despreuves par les parties à l’occasion de procédures suiviesdevant l’Autorité de la concurrence sur le fondement des ar-ticles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, la questionest souvent au centre des débats : l’objet de la preuve(notamment la question de la concertation dans le cas desententes verticales) et les modes de preuve (documentairesou pas), ainsi que les modalités de leur obtention, consti-tuent des préoccupations récurrentes. Rappelons brièvementles données du problème : dans une décision n° 05-D-66rendue le 5 décembre 2005, le Conseil de la concurrenceavait admis la possibilité pour une partie de produire desenregistrements de conversations téléphoniques réalisés àl’insu de l’interlocuteur. Dans un arrêt du 19 juin 2007, laCour d’appel de Paris avait approuvé cette position en sefondant, notamment, sur l’« autonomie procédurale tant àl’égard du droit judiciaire privé national qu’à l’égard du droitcommunautaire » dont bénéficie l’autorité française de concur-rence. Deux limites étaient malgré tout posées : d’une part,de tels enregistrements ne pouvaient être produits par desenquêteurs, auxquels s’impose une exigence de loyauté ;d’autre part, ils devaient être soumis à la contradiction afind’en apprécier la valeur probante.

2. En juin 2008, cet arrêt était cassé par la chambre com-merciale de la Cour de cassation : tout en rappelant que l’ad-missibilité des modes de preuve relève essentiellement dudroit interne, elle jugeait, au visa de l’article 6, paragraphe 1,de la Convention européenne de sauvegarde des droits del’Homme et des libertés fondamentales, que « l’enregistre-ment d’une conversation téléphonique réalisé par une partieà l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé dé-loyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve »(Cass. com., 3 juin 2008, nos 07-17.147 et 07-17.196, Bull. civ. IV, n° 112, RLC 2008/17,n° 1193, note V.S. et S.C. ; CA Paris, 1re ch., sect. H., 19 juin 2007, n° RG 2006/00628, Phi-lips France e.a., RLC 2007/13, n° 894, note V.S. et RLC 2007/13, n° 937 note B.C. ; Cons.conc., déc. n° 05-D-66, 5 déc. 2005, secteur des produits d’électronique grand public, RTDcom. 2006, p. 325, obs. Claudel E. ; Momège C., Le Conseil de la concurrence reconnaîtla possibilité pour les parties d’utiliser les enregistrements sonores effectués à l’insu desintéressés, mais en borne l’exercice ?, Concurrences, 1-2006, p. 157 ; Nourissat C., Admis-sion d’enregistrements au rang des modes de preuves : attention danger !, RLC 2006/6,n° 459 ; Arcelin L., L’alliance raisonnable entre droit de la concurrence et CEDH, RLC2007/11, n° 804 ; RLC 2006/6, n° 459, obs. Nourissat C. ; Sélinsky V., Sévérité renforcéeà l’égard des accords verticaux, RLC 2006/6, n° 488).

3. Sur renvoi, la Cour de Paris vient de rendre un arrêt enformation solennelle par lequel elle résiste à la Cour de cas-sation. Selon la Cour d’appel, en effet, si « l’article 6, para-graphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde desdroits de l’Homme et des libertés fondamentales, à la lumièrede la jurisprudence de la Cour européenne des droits del’Homme, implique que chaque partie dispose de la faculté,non seulement de faire connaître les éléments nécessaires ausuccès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissanceet de discuter toute pièce ou observation présentée au juge envue d’influencer sa décision, (...) il n’emporte en lui-mêmeaucune conséquence quant à l’admissibilité des preuves, quidemeure régie par le droit national, mais exige seulement quela procédure, prise dans son ensemble, garantisse un procèséquitable ».

« Si les enregistrements opérés ont constitué un procédé déloyalà l’égard de ceux dont les propos ont été insidieusement cap-tés, ils ne doivent pas pour autant être exclus du débat et ainsiprivés de toute vertu probante par la seule application d’unprincipe énoncé abstraitement, mais seulement s’il est avéréque la production de ces éléments a concrètement porté atteinteau droit à un procès équitable, au principe du contradictoireet aux droits de la défense de ceux auxquels ils sont opposés ».

4. Si l’on examine de près les arguments de l’arrêt, il est pos-sible d’en distinguer plusieurs, de nature et de portée diffé-rentes, par lesquels elle valide le procédé. Ces argumentstiennent (i) à la nature des propos recueillis, portant exclu-sivement sur des sujets professionnels, (ii) au comportementdes intéressés qui, loin de protester contre la déloyauté duprocédé ou de renier leurs propos, les ont au contraire confir-més en les explicitant et en apportant des précisions com-plémentaires, (iii) à la possibilité qui leur est offerte de dis-cuter ces éléments de preuve, (iv) à la nécessité de luttercontre les ententes secrètes : « dans le contexte particulierd’ententes qui présentent le plus souvent un caractère occulte,où les victimes sont généralement désarmées et confrontéesà la difficulté de fournir des éléments suffisamment probantsà l’appui de leur saisine pour caractériser les manœuvreselles-mêmes déloyales de partenaires économiques puissantset connaissant bien les lois du marché, comme en l’espèce,que l’utilisation de tels éléments de preuve n’est pas dispro-portionnée aux fins poursuivies par le droit de la régulationéconomique ».

5. La Cour de Paris, par cet acte de rébellion, estime donc queles règles relatives à l’admission des preuves dans le cadre dela procédure civile doivent être écartées au motif que la mis-sion de défense de l’ordre public économique confiée à l’au-torité de concurrence justifie un régime dérogatoire, plus prochede celui admis en procédure pénale. La proximité avec la pro-cédure pénale, si elle ne va pas jusqu’à l’assimilation, est ren-forcée par la loi n° 2008-776 de modernisation de l’économiedite « LME » et les textes subséquents. Le législateur n’a-t-ilpas souligné – non par inadvertance – la soumission des in-vestigations du droit de la concurrence aux règles de la pro-cédure pénale? Or, en matière pénale, l’article 427 du Codede procédure pénale pose le principe de liberté des preuvestempéré par l’exigence d’une procédure pénale équitable etimpartiale tout en restant efficace. Dans ce cadre général, laloyauté des preuves n’est pas une exigence légale et dès lors,la production par une partie d’un procédé de preuve obtenude façon déloyale n’est pas, en soi, une cause de rejet (Lemoine P.,La loyauté de la preuve à travers quelques arrêts récents de la chambre criminelle, Rapp.C. cass. 2004, p. 141). Ainsi, pour la Cour de Paris, les « ruses deguerre » doivent être admises dans ces matières où il est fortdifficile pour une victime de réunir des éléments au soutiende ses affirmations (Carbonnier J., Droit civil, Introduction, PUF, Thémis, 26e éd.,1999, n° 188, p. 363). De là à aller jusqu’à admettre que la « vic-time » de pratiques anticoncurrentielles soit totalement dé-loyale, il y a un fossé que la Cour franchit allègrement. Cettejurisprudence ne va-t-elle pas développer la tentation d’enre-gistrer les enquêteurs à leur insu pour contester la régularitédes enquêtes? Rappelons que l’enquêteur reste pour sa partsoumis au principe de loyauté, ce qui lui interdit de se livrerà des tromperies et machinations, même pour la bonne cause.Il y a quelque chose de gênant dans cette disparité et il estprobable que le sujet ne soit pas encore épuisé.

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ENTENTES ILLICITES1399

Exclusivité dans les stations-serviceDes éclaircissements sont apportés sur la duréede l’exclusivité et les pratiques de prix dans les accordsentre pétroliers et stations-service au regarddu règlement n° 2790/1999.CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-260/07, Pedro IV Servicios c/ Total España SA

Dans cette affaire, la Cour de justice des Communautés euro-péennes (CJCE) était saisie de questions préjudicielles sur l’in-terprétation des clauses de durée et de prix d’une série d’ac-cords contractuels signés entre une station-service, la sociétéPedro IV Servicios (« Pedro IV ») et un pétrolier, Total EspañaSA (« Total ») pour une durée de vingt ans. La station-servicesoutenait la nullité de ces clauses au regard des deux règle-ments d’exemption applicables pendant cette période, les rè-glements n° 1984/83 et n° 2790/1999.Selon les accords contractuels en cause, le terrain appartenaità Pedro IV qui en avait accordé un « droit de superficie » aupétrolier, à charge pour lui de construire une station-servicedont Pedro IV devenait propriétaire au terme de la période devingt ans. Un deuxième contrat concédait la jouissance de lastation-service à Pedro IV. Un troisième contrat prévoyait unapprovisionnement exclusif en carburants auprès de Total etla communication par le pétrolier de prix de vente recomman-dés, tandis que, par un quatrième contrat, Total accordait unprêt hypothécaire à Pedro IV, garantie par une hypothèque surle terrain.

1. Sur la durée de l’exclusivité.– Aux termes de l’article 5, a)du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999 de la Com-mission, un accord vertical ne peut bénéficier de l’exemptionque si l’exclusivité d’approvisionnement (« l’obligation de non-concurrence ») mise à la charge du distributeur est limitée àcinq ans. Le texte prévoit une exception selon laquelle cettelimitation à cinq ans ne s’applique pas lorsque les produits quifont l’objet de cette exclusivité sont vendus par l’acheteur àpartir de locaux et de terrains dont le fournisseur est proprié-taire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l’ache-teur, à condition que la durée effective ne soit pas supérieureà la période d’occupation des locaux et des terrains par l’ache-teur. En cela, il est différent du texte antérieur qui prévoyaitque la limitation de durée (de 10 ans) ne s’appliquait pas auxaccords selon lesquels le fournisseur a donné la station-ser-vice en location au revendeur et qui autorisait donc une ex-clusivité d’approvisionnement dont la durée pouvait être cal-quée sur la période pendant laquelle le revendeur exploite lastation-service (Règl. Comm. CEE n° 1984/83, 22 juin 1983, art. 12, § 1, c).Selon l’interprétation de la Cour, le règlement ancien n’exigeaitpas, comme le soutenaient Pedro IV et la Commission, que lefournisseur soit propriétaire du terrain sur lequel la station-ser-vice a été construite et donnée en location. En revanche, le rè-glement en vigueur aujourd’hui exige, pour le bénéfice del’exemption et la dérogation à la limitation de durée de cinqans, que le fournisseur soit propriétaire tant de la station-ser-vice qu’il donne en location au revendeur que du terrain surlequel celle-ci est bâtie ou, dans le cas où il n’est pas le pro-priétaire, qu’il loue des biens à un tiers non lié au revendeur.

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2. Sur la pratique de prix.– Quel que soit le règlement ap-plicable, la pratique du prix de revente imposé entre le four-nisseur et le revendeur exclut le bénéfice de toute exemptionpar catégorie et peut constituer une pratique d’entente inter-dite par l’article 81, paragraphe 1, CE. En revanche, la pra-tique du prix maximal ou du prix recommandé est expressé-ment mentionnée comme étant licite dans le règlementn° 2790/1999, le règlement antérieur étant muet sur ce point,même s’il prévoyait expressément l’exclusion des obligationsqui tendaient à limiter la liberté du revendeur de déterminerlibrement ses prix de vente.En l’espèce, aux termes du contrat d’approvisionnement ex-clusif, le prix de vente au public est recommandé par Total,sans mention d’un prix maximal. La Cour invite cependantla juridiction nationale à vérifier « les modalités de la fixationdu prix de vente au public » et de « vérifier, en tenant comptede l’ensemble des obligations contractuelles prises dans leurcontexte économique et juridique, ainsi que du comportementdes parties au principal, si le prix de vente au public, recom-mandé par le fournisseur, ne constitue pas, en réalité, un prixde vente fixe ou minimal » (pt. 79; cf., en ce sens, CJCE, 11 sept. 2008, aff. C-279/06, CEPSA, pts. 67 et 70, non encore publié au Recueil).Cette vérification doit être effectuée in concreto. Le revendeurdoit disposer d’une « possibilité réelle » de diminuer le prix devente recommandé et le fournisseur ne doit pas pouvoir luiimposer le respect de ce prix par des moyens indirects, telsque la fixation d’une marge de distribution, un niveau maxi-mal de réduction, des menaces, des intimidations, des aver-tissements, des sanctions ou des mesures d’incitations (pt. 70).Pour autant, rappelle la Cour, même si la fixation d’un prixde vente au public est une restriction de concurrence expres-sément prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE, cette pratiquene relève du champ de l’interdiction que dans la mesure oùl’accord qui la met en œuvre a pour objet ou pour effet derestreindre de manière sensible la concurrence à l’intérieurdu marché commun et où il est de nature à affecter le com-merce entre États membres (pt. 82). S’agissant des accordsd’achat exclusif, la Cour rappelle la nécessité de vérifier leurseffets sur la concurrence et « la nécessité de prendre en consi-dération le contexte économique et juridique au sein duquelcelui-ci se situe et où il peut concourir, avec d’autres, à un ef-fet cumulatif sur le jeu de la concurrence. Il convient, par consé-quent, d’analyser les effets que produit un tel contrat, en com-binaison avec d’autres contrats de même type, sur les possibilités,pour les concurrents nationaux ou originaires d’autres Étatsmembres, de s’implanter sur le marché de référence ou d’yagrandir leur part de marché (cf. CJCE, 28 févr. 1991, aff. C-234/89, Delimi-tis, pts. 13 à 15, Rec. CJCE, I, p. 935; CJCE, 7 déc. 2000, aff. C-214/99, Neste, pt. 25, Rec.CJCE, I, p. 11121 et CEPSA, préc., pt. 43) » (pt. 83).

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Exclusivitéd’approvisionnementL’exclusivité d’approvisionnement par le paiementde sommes d’argent et la restriction à la distributionde produits concurrents est anticoncurrentielle.Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation

En effectuant des paiements au profit de fabricants, à condi-tion qu’ils retardent ou annulent le lancement d’ordinateurséquipés d’un microprocesseur concurrent et en leur imposant

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ALITÉSPRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

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des restrictions à la distribution de certains de ces produits,Intel a mis en place une entente anticoncurrentielle, condam-née par la Commission qui sanctionne également un abus deposition dominante (voir infra, RLC 2009/20, n° 1402).Les preuves de l’existence de ces pratiques illégales ne figu-raient pas explicitement dans les contrats Intel examinés parla Commission. Elles résultaient de toute une série d’élémentsde preuve datant de l’époque des faits, comme des courriersélectroniques obtenus notamment lors d’inspections sur placeeffectuées inopinément, de réponses à des demandes formellesde renseignements et de plusieurs déclarations officielles faitesdevant la Commission par les autres entreprises concernées.L’ensemble de ces éléments montrait qu’AMD, pratiquementle seul concurrent d’Intel sur le marché, était généralementperçu, par les fabricants d’ordinateurs et Intel elle-même,comme ayant amélioré sa gamme de produits, constituant unconcurrent viable et présentant une menace croissante pourla concurrence. La décision constate que les pratiques d’Intelne relevaient pas d’une concurrence fondée sur la qualité in-trinsèque des produits respectifs d’Intel et d’AMD, mais plu-tôt d’une stratégie visant à tirer parti de la solide implanta-tion d’Intel sur le marché à l’époque.

C.R.

1401

Les pharmaciens d’officinene bénéficient pas d’uneexclusivité territorialeL’Autorité de la concurrence condamne l’Ordredes pharmaciens de Basse-Normandie pour avoirencouragé un établissement de soins de se fourniren médicaments auprès de pharmaciens désignéssur des critères de proximité.Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie

1. Les pharmaciens d’officine sont soumis à un numerusclausus en vertu duquel ils ne peuvent exploiter une phar-macie que s’ils sont titulaires d’une autorisation. De tellesautorisations sont délivrées de façon limitative pour unezone donnée, et en fonction de la population de la zone (enmoyenne une officine pour 2669 habitants). Il est donc cer-tainement tentant pour un pharmacien de considérer, symé-triquement, qu’il dispose d’une sorte de priorité d’exploita-tion sur la zone où il est installé. Mais il n’en est rien. C’estainsi que l’Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie aété condamné pour avoir incité un établissement de soinset de séjour (l’EHPAD) à se procurer des médicaments au-près de pharmacies choisies selon un critère de proximité etnon de compétitivité. Contrairement à ce qu’il croyait, à tort,le « maillage territorial des officines de pharmacie » orga-nisé par le Code de la santé publique (C. santé publ., art. L. 5125-1 ets.) a uniquement pour objet de garantir la desserte de la po-pulation en médicaments et non celui de garantir une clien-tèle à chaque pharmacie. Il n’existe donc pas de monopoleterritorial légal des pharmacies.

2. Ce n’est pas la première fois qu’un ordre professionnelest vu comme le support d’une entente illicite. Tel est lecas chaque fois qu’un tel organisme agit en dehors du strictcadre des missions qui lui sont confiées par les pouvoirs

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publics (Cons. conc., déc. n° 97-D-26, 22 avr. 1997, secteur du portage de médi-caments à domicile). Tous les secteurs sont concernés : géo-mètres-experts (Cons. conc., déc. n° 02-D-14, 28 févr. 2002), avocats (Cons.conc., déc. n° 00-D-52, 15 janv. 2001 ; Cons. conc., déc. n° 03-D-03, 16 janv. 2003 ;Cons. conc., déc. n° 03-D-04, 16 janv. 2003 ; Cons. conc., déc. n° 05-D-56, 21 oct. 2005 ;Cons. conc., déc. n° 05-D-57, 21 oct. 2005), architectes (Cons. conc., déc. n° 96-D-18, 26 mars 1996), médecins (Cons. conc., déc. n° 07-D-41, 28 nov. 2007),chirurgiens-dentistes (Cons. conc., déc. n° 05-D-43, 20 juill. 2005), etcela sans que l’ordre puisse s’abriter derrière sa missionde service public (cf. Nourrissat C., RLC 2008/14, n° 1023). La compé-tence de l’Autorité s’exerce donc sur toute « pratique sus-ceptible d’avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel misen œuvre par un [ordre professionnel] ». La décision d’untel organisme « révèle nécessairement une entente, au sensde l’article L. 420-1, entre ses membres » puisque l’Ordreen représente la collectivité (cf. notamment, Cass. com., 16 mai 2000,n° 98-12.612, Bull. civ. IV, n° 100 ; Cons. conc., déc. n° 05-D-43, 20 juill. 2005, rela-tive à des pratiques mises en œuvre par le conseil départemental du Puy-de-Dôme etle Conseil national de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes ; CA Paris, 1re ch., sect.H, 7 mars 2006, BOCCRF 26 sept., p. 864 ; et Cass. com., 20 févr. 2007, n° 06-13.498,BOCCRF 7 juin, p. 763).

3. En l’espèce, le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciensestimait pouvoir bénéficier de l’exemption individuelle sur lefondement de l’article L. 420-4 du Code de commerce au pré-tendu motif, notamment, que « l’exigence de proximité dupharmacien de sa clientèle » résulterait de l’application destextes législatifs et réglementaires du Code de la santé pu-blique. Pour l’Autorité, il y a là au contraire une atteinte à laliberté de choix du client.

Véronique SÉLINSKY et Sylvie CHOLETAvocats à la Cour

OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique« Concurrence et droit public », Destours S., Un Ordre anticoncurrentiel,RLC 2009/20, n° 1421.

DOMINATION1402

Pratiques tarifaires abusivesCondamnation des pratiques de remises et de paiementsdestinées à garantir l’exclusivité de l’approvisionnementen microprocesseurs des fabricants d’ordinateurs auprèsd’Intel.Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation

C’est notamment pour avoir accordé des réductions deprix à des fabricants d’ordinateurs, déjà largement dépen-dants, que la société Intel est sanctionnée. Ce n’est pastant le principe des réductions de prix qui est condamnéque la manière dont il est structuré pour assurer à l’opé-rateur dominant sur le marché l’exclusivité de la totalitédes approvisionnements de ses clients et les découragerradicalement de s’adresser à un concurrent, la sociétéAMD en l’occurrence. Le communiqué de la Commissioncite une tentative de cette société concurrente pour ten-ter de gagner un client : lui accorder un million de pro-duits gratuits. Bien que séduisante et concurrentielle, cetteoffre n’a été retenue qu’à hauteur de 160 000 produits parledit client, qui ne pouvait pas se permettre d’accepterune proposition plus élevée sans perdre la réduction quelui octroyait la société Intel.

RLC

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 31

L’abus de position dominante se manifestait également sur lemarché de la revente au détail : l’enquête a révélé que le dis-tributeur mondial Media Saturn avait bénéficié du versementde sommes d’argent pour ne présenter à la vente, dans l’en-semble de ses magasins, qu’exclusivement des ordinateurséquipés de microprocesseurs Intel.

C.R.

OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, supra, RLC 2009/20,n° 1400.

1403

Même pour riposterà des pratiques commercialescritiquables de la partde son concurrent,un opérateur dominant n’estpas autorisé à le dénigrerProfitant de son monopole, la société Gaz Électricitéde Grenoble a pratiqué une stratégie de dénigrementà l’arrivée d’un nouveau concurrent sur le marché et s’estvue sanctionnée pour abus de position dominante.Aut. conc., déc. n° 09-D-14, 25 mars 2009, relative à des pratiques misesen œuvre dans le secteur de la fourniture de l’électricité

1. Cette affaire s’inscrit dans le cadre de l’ouverture à la concur-rence du secteur de la fourniture d’électricité en France de-puis le 1er juillet 2004 qui a autorisé les clients professionnels(dits « éligibles ») à se procurer de l’électricité auprès du oudes fournisseurs de leur choix à un prix déterminé par la loidu marché libre, à moins qu’ils ne préfèrent continuer à s’ap-provisionner auprès de leur fournisseur historique afin de bé-néficier des tarifs réglementés fixés par l’État. L’exercice dudroit à l’éligibilité est irréversible.

2. En 2005, la société Gaz Électricité de Grenoble (GEG) exer-çait sur Grenoble à la fois le monopole de la distribution del’électricité et l’activité nouvelle soumise à la concurrencepour laquelle elle n’avait qu’un seul concurrent, la sociétéPoweo, qui avait lancé une campagne active de démarchage.En réaction, GEG avait diffusé par voie de presse, un messageaux termes duquel, notamment, elle alertait ses clients pro-fessionnels contre l’arrivée sur le marché « de nouveaux opé-rateurs, pour qui le métier et l’expérience de distributeur et defournisseur d’énergie sont récents. Certains d’entre eux ont uneconception de la qualité de services très relative et n’hésitentpas à faire usage de méthodes peu scrupuleuses pour parvenirà leurs fins, souvent strictement financières ».

3. GEG, en raison du caractère très récent de l’arrivée du nou-veau concurrent sur le marché de la fourniture d’électricité,continuait d’être le fournisseur de la quasi-totalité des clientsprofessionnels, sa position étant renforcée par la circonstancequ’elle restait en monopole sur les marchés connexes de ladistribution d’électricité, de la fourniture d’électricité auxclients résidentiels et sur l’activité gazière. Elle détenait doncune position dominante limitée au marché géographique à lazone desservie par le réseau de distribution de Grenoble.

4. GEG a mis en œuvre des pratiques de dénigrement etentretenu la confusion entre l’activité en concurrence et

RLC

l’activité exercée en monopole en se prévalant de son imagede prestataire de service public. De tels comportementspeuvent être sanctionnés comme fautifs au titre d’une ac-tion en concurrence déloyale. Ils sont plus graves, et pluslourdement condamnés, s’ils sont mis en œuvre par uneentreprise profitant de sa position dominante.En l’espèce, l’Autorité retient que l’entreprise dominante a misà profit sa notoriété et l’ignorance dans laquelle se trouvaientles petits professionnels quant aux détails de la nouvelle ré-glementation. La défense de GEG, invoquant qu’elle avait ré-agi à des pratiques commerciales critiquables de la part descommerciaux de Poweo, n’a pas été retenue. En effet, un opé-rateur s’estimant victime de pratiques illicites peut et doitmettre en œuvre les voies de droit à sa disposition et non sefaire justice lui-même (cf. CA Paris, 1re ch., sect. Concurrence, 3 mai 1990, Confé-dération nationale des syndicats dentaires ; Cons. conc., avis n° 07-A-04, 5 juin 2007). Ausurplus, la riposte était en l’espèce disproportionnée par rap-port aux agissements dénoncés par l’opérateur historique.

5. Ces pratiques, émanant d’un opérateur historique, sontd’autant plus graves qu’elles ont eu pour effet de stopper « leprocessus d’ouverture qui était en cours ». Toutefois, l’obser-vation des prix du marché libre depuis 2004 a permis à l’Au-torité de la concurrence de considérer que « le surplus duconsommateur n’a pas été significativement affecté par les pra-tiques litigieuses » ; en effet, si les prix du marché libre étaientinférieurs au tarif réglementé en 2005, cette situation s’est in-versée depuis, les professionnels n’étant dès lors plus incitésà exercer leur éligibilité. Estimant que « le dommage effectifà l’économie apparaît avoir été limité », l’Autorité n’a condamnél’opérateur historique qu’à une amende représentant 0,00256 %de son chiffre d’affaires.

V.S. et S.C.

1404

Position dominante et marchéconnexeOn ne peut présumer le lien de causalité entrela domination et l’abus affirmé sur un marché connexe.Cass. com., 17 mars 2009, n° 08-14.503, P+B+R

1. Une entreprise dominante sur un marché peut se voir re-procher un abus sur un marché connexe : la règle est ancienne(CJCE, 3 juill. 1991, aff. C-62/86, Akzo, pts. 37 et 43, Rec. CJCE, I, p. 3359; CJCE, 14 nov.1996, aff. C-333/94 P, Tetra Pak, pt. 24) et bien établie, tant en droit com-munautaire qu’en droit interne (Cass. com., 9 mai 2001, n° 98-22.150, Bull.civ. IV, n° 85, BOCCRF 23 juin 2001, p. 527, RTD com. 2001, p. 879, Claudel E. ; affaire des« Pompes funèbres de Gonesse »).

2. On se souvient, en l’espèce, qu’un fabricant de médica-ments génériques, la société Flavelab, avait saisi le Conseil dela concurrence de pratiques émanant du laboratoireGlaxoSmithKline pour avoir vendu un antibiotique injectable(la céfuroxime, dont le brevet était tombé dans le domainepublic) à des prix inférieurs à ses prix d’achat, cela dans lebut de l’évincer du marché. Glaxo soutenait, pour sa part,qu’elle ne dominait nullement le marché du céfuroxime in-jectable, quand bien même ses parts de marché atteignaient80 à 90 % de celui de l’aciclovir injectable.

3. Le Conseil de la concurrence avait condamné le laboratoirepour prix prédateurs en se fondant sur la jurisprudence Akzo

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ACTU

ALITÉSPRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

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32 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

précitée. Il soulignait que cette stratégie de prix bas sur unmarché plus étroit que le marché dominé – moins coûteusecar les quantités vendues sont moins importantes – permetd’envoyer un signal fort aux concurrents potentiels ou de seforger une réputation d’entreprise agressive (Cons. conc., déc. n° 07-D-09, 14 mars 2007). La Cour d’appel de Paris s’était, pour sa part,montrée plus réservée, réformant la décision du Conseil dansun arrêt du 8 avril 2008 (CA Paris, 1re ch., sect. H, n° RG : 2007/07008, dispo-nible sur le site de l’Autorité de la concurrence, <www.autoritedelaconcurrence.fr>)contre lequel le ministre chargé de l’Économie avait formé unpourvoi. À son tour, la Cour de cassation désapprouve la po-sition de l’autorité de concurrence : « Les articles L. 420-2 duCode de commerce et 82 du Traité CE présupposent l’existenced’un lien entre la position dominante et le comportement pré-tendument abusif qui n’est normalement pas présent lors-qu’une pratique abusive est mise en œuvre sur un marché dis-tinct du marché dominé; que ces dispositions peuvent cependanttrouver application notamment lorsque l’autorité de concur-rence démontre l’existence de circonstances particulières ».

4. L’affirmation de l’exigence d’un lien de causalité est géné-rale et dépasse le cas des prix prédateurs. Elle résulte de larédaction même des articles 82 CE et L. 420-2 du Code decommerce.

5. La question de la causalité est nécessairement plus com-plexe lorsque la domination s’exerce sur un marché et l’abuséventuel sur un autre. Le Conseil avait lui-même souligné« que la jurisprudence, tant française que communautaire,vérifie que les pratiques constatées sur un marché donné etdénoncées comme abusives sont dans un rapport de causa-lité avec la domination exercée sur un marché ; que, lorsquele marché où se sont déroulées les pratiques litigieuses et lemarché dominé sont distincts, cette vérification conduit, gé-néralement, à s’assurer que ces deux marchés ont un lien deconnexité objectif » (Cons. conc., déc. n° 00-D-50, 5 mars 2001, Française desjeux). Ce lien « objectif » résultait, dans le cas particulier, duseul fait que l’entreprise dominante (détentrice d’un mono-pole) se livrait à des transferts de ressources illicites prove-nant de la rente dégagée grâce à la position détenue sur lemarché dominé. Dans un arrêt récent, concernant le secteurdes pompes funèbres et les pratiques d’une régie munici-pale, la Cour d’appel de Paris a jugé que « le marché géné-ral des prestations funéraires proposées aux familles » et « lesmarchés particuliers des obsèques dont le corps a été trans-porté en chambre funéraire à la demande des établissementsde soins ou de séjour (…) ont tous un lien de connexité étroit,soit parce qu’ils sont en amont ou en aval les uns des autres,soit parce qu’ils concernent des prestations similaires, à dé-faut d’être complètement substituables » (CA Paris, 31 mars 2009,n° RG : 2008/11353, <www.autoritedelaconcurrence.fr>). Le droit commu-nautaire s’est montré un peu plus restrictif en posant la règleselon laquelle les pratiques mises en œuvre sur un marchénon dominé ne peuvent être, par principe, considérées commeconstitutives d’une exploitation abusive d’un marché do-miné connexe. Il n’en va autrement que si, du fait de cetteconnexité et de la prééminence détenue sur le marché nondominé par l’entreprise, elle peut y manifester, par rapportaux autres opérateurs qui y sont présents, une indépendancede comportement lui conférant une responsabilité particu-lière dans le maintien d’une concurrence effective et nonfaussée (CJCE, 3 juill. 1991, aff. C-62/86, Akzo, préc., pts. 35 à 45 ; CJCE, 14 nov.1996, aff. C-333/94 P, Tetra Pak, préc., pts. 21 à 33, repris par Cons. conc., déc. n° 05-D-28, 15 juin 2005).

6. La Cour de cassation juge, pour sa part, qu’on ne peut pasprésumer le caractère anticoncurrentiel d’une pratique lorsquele comportement désigné comme abusif est perpétré sur unmarché qui n’est pas celui où l’entreprise est dominante. Enpareil cas, la charge de la preuve de l’entrave à la concurrencepèse sur l’autorité de poursuite.

V.S.

DÉCISIONS DES AUTORITÉS1405

(In)compatibilité entreengagements et mesuresconservatoiresL’Autorité de la concurrence se réserve le choixd’accepter une procédure d’engagementsou de prendre des mesures conservatoiresdans la résolution des litiges concurrentiels.Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, affaire relative aux pratiquesd’EDF visant à favoriser les activités concurrentielles de sa filialede production d’électricité photovoltaïque

1. L’Autorité de la concurrence encourage vivement le recoursaux procédures négociées. La procédure d’engagements, no-tamment, prévue par le point I de l’article L. 464-2 du Codede commerce, permet aux entreprises d’élaborer des solutionsrépondant aux préoccupations de concurrence de l’Autoritéet qui, si elles sont acceptées, mettent fin à la procédure sansconstat d’infraction (Aut. conc., Communiqué de procédure, 2 mars 2009, relatifaux engagements en matière de concurrence). Ce dispositif s’inspire, assezlibrement, du droit communautaire où une procédure com-parable quant à ses objectifs existe selon des règles procédu-rales assez différentes (Vialfond A., Le droit de la concurrence et les procéduresnégociées, RID éco. 2007, p. 157). Toutefois, lorsque la procédure d’en-gagements se combine en France avec une procédure de me-sures conservatoires, des difficultés peuvent surgir, commeen témoigne la présente décision.

2. La société Solaire Direct avait dénoncé les pratiques misesen œuvre par le groupe Électricité de France (« EDF ») et sesfiliales EDF Énergies Nouvelles (« EDF EN »), EDF ÉnergiesNouvelles Réparties (« EDF ENR »), sur les marchés de la pro-duction, de la distribution et de la fourniture d’électricité, pourpénétrer le marché émergent de l’offre globale de services des-tinés à la production d’électricité photovoltaïque. Elle deman-dait des mesures conservatoires. Au cours de la séance de-vant le Conseil de la concurrence, EDF SA et EDF ENR ontexprimé le souhait de se soumettre à la procédure d’engage-ments. Leur offre a été présentée un mois plus tard. Toute-fois, à l’issue d’une nouvelle séance organisée deux mois plustard, l’Autorité de la concurrence a décidé, sur proposition desservices d’instruction, d’abandonner la procédure d’engage-ments et de prendre des mesures conservatoires, plus restric-tives, dans l’attente d’une procédure au fond. L’Autorité esti-mait, en effet, que les engagements proposés n’étaient pas denature à mettre fin aux préoccupations de concurrence en cequ’ils (i) ne supprimaient pas la confusion entretenue entreles activités réglementées d’EDF et les activités concurren-tielles de ses filiales, (ii) n’empêcheraient pas ces filiales deproposer des offres sur le marché concurrentiel du secteur

RLC

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 33

photovoltaïque en bénéficiant d’un accès à des données nonreproductibles par ses concurrents. Telle était, du moins, l’opi-nion émise en séance par « les témoins entendus sur le fonde-ment des dispositions de l’article L. 463-7 du Code de com-merce et la saisissante ».

3. Dans ses communiqués de procédure successifs relatifs auxengagements, l’Autorité donne des indications sur les élémentsqui rapprochent la procédure de mesures conservatoires etcelle aboutissant à des engagements : dans les deux cas, unexamen préliminaire de la situation concurrentielle doit êtreétabli, le degré de caractérisation des préoccupations de concur-rence auxquelles les engagements doivent répondre est lemême que celui des mesures conservatoires. Toutefois, « leConseil n’est jamais tenu de décider de rendre obligatoires desengagements plutôt que d’agir par voie de sanction ou d’in-jonction à l’encontre des entreprises ». En d’autres termes, lechoix lui appartient.

4. Il est déjà arrivé que le Conseil refuse des engagementsproposés après la formulation d’une demande de mesuresconservatoires (cf. Cons. conc., déc. n° 07-MC-03, 7 juin 2007). Ce qui estparticulier, en l’espèce, c’est que le refus fait suite à une pre-mière acceptation de mettre en œuvre la procédure d’enga-gements. Cela signifie que les entreprises mises en causesont allées très loin dans la négociation avec le collège. Ellesont nécessairement dévoilé des éléments importants de leurstratégie commerciale et peuvent avoir l’impression d’unmarché de dupes. En effet, EDF avait fait une nouvelle pro-position d’engagements, rejetée au motif qu’une nouvelleprolongation de délais ne pouvait être accordée à EDF sansremettre en cause la réalisation de l’un des objectifs pour-suivis par la procédure d’engagements, qui est « d’accélérerla résolution des affaires ». La question que ne manque pasde se poser le lecteur de la décision est celle de savoir s’iln’aurait pas été possible de s’apercevoir plus tôt de « l’in-adéquation des engagements proposés par rapport aux pré-occupations de concurrence exprimées ». À moins qu’il n’yait eu de la part d’EDF et de ses filiales une volonté délibé-rée de ne pas jouer le jeu. Si les engagements s’inscriventdans une « évolution caractérisée par le décloisonnement desrôles respectifs des acteurs » (Xueref C., in Le développement en Europe dessolutions négociées : engagements, clémence, non-contestation des griefs ?, p. 54), en-core faut-il que les différents acteurs connaissent bien lesrôles de chacun.Global Competition Law Centre, consultable sur le site <http ://gclc.coleurop.be>

V.S.

OBSERVATIONS • Sur la compétence de l’Autorité de la concurrence, voiraussi, RLC 2009/20, n° 1421.

1406

Calcul des amendeset récidiveLa Commission a fait une exacte applicationdu principe de la légalité des peines.TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland-Werke AG c/ Commission

Le Tribunal de première instance des Communautés euro-péennes (TPICE) confirme la décision de la Commission du16 décembre 2003 de sanctionner à hauteur de 78,73 millionsd’euros, six entreprises ayant constitué un cartel de réparti-tion de marché et de fixation de prix sur le marché des tubes

RLC

industriels en cuivre. Les recours portaient essentiellementsur le calcul des amendes et la prise en compte de la coopé-ration des entreprises.La requérante faisait notamment valoir que la Commissionavait exagéré la taille du marché des tubes industriels et,partant, la gravité de l’infraction, ce qui aurait donné lieu àune amende excessive à son encontre. Elle soutenait, entreautres arguments, que le prix du cuivre ne devait pas êtrepris en considération pour évaluer le marché dans la mesureoù il échappe au contrôle des fabricants de tubes industriels,où ce sont les acheteurs de tubes industriels qui décidenteux-mêmes à quel prix le métal est acquis, où l’infractionportait uniquement sur la marge de transformation (30 à40 % du prix final) et où elle n’avait agi en tant qu’intermé-diaire. Selon elle, la Commission aurait donc dû calculer lechiffre d’affaires du marché de la même façon qu’elle cal-cule celui des intermédiaires dans le contexte du contrôledes opérations de concentration et tenir compte de la frac-tion du prix que l’infraction en cause avait affectée, c’est-à-dire la marge de transformation.Le Tribunal accepte de vérifier si c’est à tort que la Commis-sion a pris en compte le prix du cuivre et conclut par la né-gative en constatant qu’« aucune raison valable n’impose quele chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en ex-cluant certains coûts de production. Ainsi que la Commissionl’a relevé à juste titre, il existe dans tous les secteurs industrielsdes coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peutmaîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essen-tiel de l’ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraientété exclus de son chiffre d’affaires lors de la fixation du mon-tant de départ de l’amende (cf., en ce sens, TPICE, 15 mars 2000, aff. jtes. T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Cimenteries CBR e.a.c/ Commission, pts. 5030 et 5031, Rec. CJCE, II, p. 491). Le fait que le prix ducuivre constitue une partie importante du prix final des tubesindustriels ou que le risque de fluctuations des prix du cuivresoit bien plus élevé que pour d’autres matières premières n’in-firme pas cette conclusion » (pt. 69).La requérante critiquait par ailleurs le calcul de l’amende pro-noncée à son encontre par rapport aux autres contrevenantesen ce qui concerne tant la taille des entreprises que la duréede l’infraction, ainsi que le degré de leur coopération avec laCommission. Ces tentatives restent vaines, le Tribunal validel’ensemble de l’analyse de cette dernière.

C.R.

1407

Détermination du montantdes amendes et ententesLe Tribunal respecte le principe d’égalité de traitement,notamment dans la détermination du montantdes amendes infligées aux divers participantsà une entente.TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-12/03, Itochu Corp. c/ Commission ;TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo Co., Ltd, Nintendo of EuropeGmbH c/ Commission

Le Tribunal de première instance des Communautés euro-péennes (TPICE) réduit l’amende infligée par la Commis-sion à la société japonaise Nintendo et sa filiale européenne,d’une part en considérant qu’elles auraient dû bénéficier, autitre de leur coopération, d’un taux de réduction identique

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ACTU

ALITÉSPRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

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34 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

à celui appliqué à leur distributeur exclusif au Royaume-Uniet en Irlande, et, d’autre part, qu’elles avaient versé des com-pensations financières à hauteur de 300000 euros aux tierslésés par l’entente litigieuse (Nintendo).En revanche, la décision rendue à l’encontre du distribu-teur japonais, la société Itochu, pour les infractions com-mises par sa filiale grecque en qualité de distributeur desproduits Nintendo en Grèce, est rejetée. Le Tribunal consi-dère que la société mère n’a pas réussi à renverser la pré-somption selon laquelle la détention à 100 % de sa filialelui permettait d’exercer une influence déterminante surle comportement de celle-ci. Le Tribunal approuve parailleurs l’analyse de la Commission quant au traitementdifférencié des entreprises pour tenir compte de leur tailleet de leurs ressources globales respectives et pour garan-tir un effet dissuasif aux amendes. Il adhère égalementau raisonnement de la Commission qui a refusé à la re-quérante le bénéfice de la circonstance atténuante tenantà son rôle passif dans l’entente. Il relève en effet qu’ensignant l’accord de distribution avec la société Nintendo,la société Itochu avait formellement marqué son accordà la limitation du commerce parallèle et que, si commeelle le soutenait, elle aurait été contrainte de le signercompte tenu de sa forte dépendance économique, elle au-rait pu dénoncer cette pression aux autorités compétentes(Itochu, pts. 126 à 150).

C.R.

IMPUTABILITÉ1408

Feu principe de dissociation?Finalement, Eurocontrol n’est pas une entrepriseau sens du droit de la concurrence. Aucune de sesactivités n’est en effet dissociable de sa missionde gestion de l’espace aérien et de développementde la sécurité aérienne. Faut-il y voir une appréciationrestrictive du principe de dissociation ou une remiseen cause de celui-ci ?CJCE, 26 mars 2009, aff. C-113/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA

Dans son arrêt du 26 mars 2009, la Cour de justice des Com-munautés européennes (CJCE) rejette le recours intenté parSelex Sistemi Integrati SpA contre l’arrêt du Tribunal de pre-mière instance (TPICE) du 12 décembre 2006 (TPICE, 12 déc. 2006,aff. T-155/04, Selex Sistemi Integrati SpA; sur cette décision, cf. Arcelin L., Être ou (et?) nepas être une entreprise. C’est la question…, RLC 2007/11, n° 745, note Arcelin-Lécuyer L.),sans pour autant valider l’ensemble du raisonnement duTribunal.L’organisation européenne pour la sécurité de la naviga-tion aérienne (Eurocontrol) s’était vu reprocher un abusde position dominante de la part de Selex. La Commis-sion, puis le TPICE, avaient écarté l’incrimination dansla mesure où soit Eurocontrol ne pouvait être qualifiéed’entreprise au sens du droit de la concurrence, prémisseà l’application de l’article 82 du Traité, soit elle n’avaitpas abusé de sa position dominante. Dans cette dernièrehypothèse, le Tribunal avait en effet jugé que parmi lesactivités d’Eurocontrol, seule celle d’assistance aux ad-ministrations nationales pouvait être considérée commeune activité économique d’entreprise en raison de sa

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relation indirecte avec sa mission générale de garantie dela sécurité de la navigation aérienne. Étant détachable decette mission, le TPICE, appliquant ensuite un raisonne-ment analogique bien connu, considéra qu’il existait unmarché des conseils sur lequel Eurocontrol agit en tantqu’offreur de services et sur lequel des entreprises spé-cialisées en la matière pourraient œuvrer. Or, « le faitqu’une activité peut être exercée par une entreprise privéeconstitue un indice supplémentaire permettant de quali-fier l’activité en cause d’activité d’entreprise ». Toutefois,aucun abus n’avait été commis.La CJCE censure cette analyse en estimant, au contraire,que l’activité d’assistance aux administrations nationalesn’était pas dissociable de la mission de gestion de l’espaceaérien et de développement de la sécurité aérienne d’Eu-rocontrol. Ainsi, c’est à tort que le TPICE a jugé que « larelation entre ladite activité d’assistance et la sécurité dela navigation aérienne était indirecte, motif pris de ce quel’assistance offerte par Eurocontrol ne couvrait que les spé-cifications techniques lors de la mise en œuvre de procé-dures d’appel d’offres et ne se répercutait donc sur la sécu-rité de la navigation aérienne que par le biais de cesprocédures ». Il en va de même de l’activité de préparationou d’élaboration des normes techniques par Eurocontrolqui, contrairement à ce qu’avait retenu le TPICE, ne peutêtre dissociée de sa mission de gestion de l’espace aérienet de développement de la sécurité aérienne.La Cour se réfère à l’arrêt SAT Fluggesellschaft, dans lequelelle a considéré que « prises dans leur ensemble [nous sou-lignons], les activités d’Eurocontrol, par leur nature, par leurobjet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rat-tachent à l’exercice de prérogatives, relatives au contrôle età la police de l’espace aérien, qui sont typiquement des pré-rogatives de puissance publique et qu’elles ne présentent pasun caractère économique. En conséquence, la Cour a dit pourdroit que les articles 86 et 90 du Traité (devenus articles 82CE et 86 CE) doivent être interprétés en ce sens qu’une or-ganisation internationale comme Eurocontrol ne constituepas une entreprise au sens de ces articles » (CJCE, 19 janv. 1994,aff. C-364/92, SAT Fluggesellschaft, Rec. CJCE, I, p. 43). Faut-il en déduireque le principe de dissociation (cf. CJCE, 16 mars 2004, aff. C-264/01,C-306/01, C-354/01 et C-355/01, AOK-Bundesverband, pts. 58 et s., Rec. CJCE, I, p. 2493)ne joue plus ? La formule « prises dans leur ensemble » sem-blerait plutôt militer en faveur d’une appréciation globaledes activités de l’entité et d’une application du principe « ac-cessorium sequitur principal ». Sans aller jusqu’à une re-mise en cause pure et simple du principe de dissociation,la Cour exige une séparation nette entre les activités de l’en-tité afin de leur faire suivre un régime différent. Il convientdonc de s’assurer de l’intensité des liens entre les activitéspour vérifier si la relation est directe, commandant alorsune approche globale, ou bien indirecte, autorisant une dis-sociation de celles-ci.D’un point de vue procédural, si le TPICE a commis deserreurs de droit dans la qualification des activités d’Eurocon-trol, le recours n’aboutit pas pour autant. La Cour rappelle eneffet que « si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent uneviolation du droit communautaire, mais que son dispositif ap-paraît fondé pour d’autres motifs de droit, le pourvoi doit êtrerejeté ». Le dispositif de l’arrêt étant fondé sur d’autres motifsde droit, celui-ci n’est donc pas annulé.

Linda ARCELIN-LÉCUYER

OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans cette revue,Eurocontrol hors contrôle, RLC 2009/20, n° 1423, obs. S. D.

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 35

F orte d’un nouveau président très média-tique à sa tête depuis la fin du mois d’oc-tobre 2008 (Jean-Paul Charié a été désigné président pardécret du 22 octobre 2008 [JO 23 oct.] en remplacement dePierre Leclercq), la Commission d’examen des

pratiques commerciales (CEPC) a bouleversé son organi-sation et s’est donnée comme objectif d’être « efficace,réactive et lisible » (Rapp. CEPC, 2008-2009, < www.pratiques-commer-ciales.minefi.gouv.fr/>). Désormais, la Commission se réunit tousles quinze jours pour formuler des avis ou des recomman-dations sur les questions concernant les relations entreproducteurs, fournisseurs et revendeurs qui lui sont sou-mises. Les nombreux avis rendus depuis l’arrivée du par-lementaire Jean-Paul Charié (la CEPC a déjà rendu septavis depuis sa réorganisation) témoignent de cette nou-velle dynamique. Pour ce dernier « la CEPC, saisie parde plus en plus d’acteurs, relayée par les investigationsde la DGCCRF et suivie par les tribunaux dotés de nou-veaux moyens, va nous permettre de retrouver la libremais loyale concurrence à dimension humaine » (CEPC,avis, 22 déc. 2008).

Cet article s’attachera à présenter cette nouvelle CEPC (I),avant de procéder à l’analyse des avis rendus depuis lemois de décembre 2008 par cette dernière, principalementsur l’application de la loi de modernisation de l’économie(ci-après dénommée « LME ») du 4 août 2008 (L. n° 2008-776,4 août 2008, JO 5 août ; II).

I. – PRÉSENTATION DE LA CEPC

A. – Carte d’identité de la CEPC

La Commission d’examen des pratiques commerciales(CEPC) a été créée par l’article 51 de la loi n° 2001-420du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations écono-miques, codifié sous l’article L. 440-1 du Code de com-merce. Son organisation, ses moyens et ses modalités defonctionnement ont été fixés par décret n° 2001-1370 du31 décembre 2001 (modifié par D. n° 2009-559, 19 mai 2009, JO 21 mai. Lesdispositions de ce décret ont été codifiées sous les articles D. 440-1 et suivants duCode de commerce).La CEPC n’est ni une instance de médiation (Rapp. CEPC 2008-2009), ni une juridiction (CEPC, avis, 22 déc. 2008). C’est une ins-

La Commissiond’examen des pratiquescommercialesLa CEPC est aujourd’hui devenue un véritable outil au service des professionnels ; ses avisrendus depuis le mois de décembre 2008 le démontrent clairement ; réponses précises etréactivité ; tel semble être devenu son credo sous l’impulsion de son nouveau président !S’agissant des relations industrie/commerce, ce sont ainsi des dizaines de réponses qui ont étéapportées aux professionnels.

Ord. n° 2008-1161, 13 nov. 2008, JO 14 nov.1409

Par Jean-Christophe

GRALLMG Avocats –

Grall & Associés

ACTU

ALITÉS

TRANSPARENCE ET PRATIQUESRESTRICTIVESSous la responsabilité de Martine BÉHAR-TOUCHAIS, Professeur à l’Université René Descartes (Paris V), Directeur du Centre de Droit des affaires et de gestion (CEDAG) ÉCLAIRAG

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Les premières applications jurisprudentielles de la LME dans le domaine des pratiques restrictivesde concurrence se font attendre. Alors que le premier anniversaire de la LME est proche, on mesure ainsique le temps du droit est loin d’être celui de l’économie. Les entreprises ne savent pas plus (ou à peine

plus) qu’il y a un an, ce que sera pour les juges « le déséquilibre significatif » de l’article L. 442-6-I-2° du Codede commerce.Il leur reste tout de même les précieuses indications de la CEPC, les avis de l’Autorité de la concurrence sur lesaccords dérogatoires en matière de délais de paiement.Par ailleurs, aujourd’hui comme auparavant, la jurisprudence reste abondante en matière de rupture brutaledes relations commerciales établies.Martine BÉHAR-TOUCHAIS

36 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

tance consultative placée auprès du ministre de l’Écono-mie, des Finances et de l’Industrie, chargée de veiller àl’équilibre entre producteurs, fournisseurs et revendeurs.Jean-Paul Charié a d’ailleurs rappelé dans le dernier rap-port d’activité de la CEPC ce souci d’équilibre.Les dispositions relatives à la CEPC ont été récemmentmodifiées par la LME et par l’ordonnance du 13 novembre2008 portant modernisation de la régularisation de laconcurrence (Ord. n° 2008-1161, 13 nov. 2008, JO 14 nov.). Ces modifi-cations, exposées ci-après, concernent tant la composi-tion de la CEPC que ses missions.

B. – La composition de la CEPC

La composition de la CEPC a été récemment modifiée parle décret n° 2009-559 du 19 mai dernier. Désormais, elleest composée d’un député (Jean-Paul Charié, député duLoiret et actuel président), d’un sénateur (Alain Fouché,sénateur de la Vienne) ainsi que de 22 membres titulaireset 14 membres suppléants.Ces membres titulaires sont répartis de la manière sui-vante :– trois membres issus des juridictions de l’ordre adminis-tratif ou judiciaire ;– sept représentants des secteurs de la production et dela transformation agricole et halieutique ainsi qu’indus-trielle et artisanale et des transformateurs ;– sept représentants des grossistes et distributeurs ;– deux personnalités qualifiées en matière de problèmerelatif aux relations industrie-commerce ;– trois représentants de l’administration.L’une des modifications apportées par la LME concernele statut du président. À l’origine, ce dernier devait êtreobligatoirement un magistrat de l’ordre administratif oujudiciaire. Cette condition n’a plus lieu de s’appliquer. Leprésident est maintenant désigné par décret parmi sesmembres. C’est ainsi que l’actuel président de la CEPC,Jean-Paul Charié, est député du Loiret et ancien rappor-teur général de la LME.

C. – L’activité de la CEPC

Les missions de la CEPC sont multiples :– donner des avis sur les questions, les documents com-merciaux ou publicitaires et les pratiques concernant lesrelations commerciales entre producteurs, fournisseurs,revendeurs, qui lui sont soumis ;– émettre des recommandations d’ordre général sur lesquestions portant notamment sur le développement desbonnes pratiques commerciales ;– exercer un rôle d’observatoire régulier de ces pratiques :à ce titre, elle établit chaque année un rapport d’activité,qu’elle transmet au Gouvernement et aux assemblées par-lementaires. Ce rapport est rendu public.Depuis la création de la CEPC, six rapports d’activité ontainsi été publiés.La CEPC peut désormais être consultée pour avis par lesjuridictions spécialisées en matière de pratiques restric-tives de concurrence sur les pratiques relevant de sacompétence.

D. – Le fonctionnement de la CEPC

La Commission peut être saisie par le ministre de l’Éco-nomie, le ministre chargé du secteur économique concerné,le président de l’Autorité de la concurrence, les entre-prises, les organisations professionnelles ou syndicales,

les associations des consommateurs agréées et les chambresde commerce, des métiers ou d’agriculture.La CEPC peut également s’autosaisir.En revanche, les saisines anonymes, directes ou par l’in-termédiaire d’un avocat, ne sont pas recevables.Les recommandations et les avis peuvent être publiés avecl’accord de l’auteur de la demande. Depuis la réorganisa-tion de la CEPC, seul un avis n’a pas été publié (CEPC, avisn° 09-02 sur la légalité d’une convention unique proposée par un groupe de distribu-tion bien connu à ses fournisseurs).

II. – BRÈVE ANALYSE DES AVIS DE LA CEPC DEPUISLE MOIS DE DÉCEMBRE 2008

Nous aborderons ici les avis des 19 et 22 décembre 2008et du 5 mars 2009.

A. – La négociation commerciale

La CEPC s’est attachée à définir de manière très pédago-gique le nouveau cadre de la négociation commercialeissue de la LME.

1) Les conditions générales de vente

S’agissant des CGV, la CEPC considère que le socle de lanégociation commerciale est bien constitué par les CGVdu fournisseur :

Le principe clairement rappelé par la CEPC est simple :les CGV du fournisseur demeurent le socle de la négo-ciation commerciale et la dénonciation des CGV ab ini-tio avant même que ne s’engage la moindre négocia-tion commerciale n’est pas conforme à l’esprit de la loi.Nier l’existence de ce socle de la négociation commer-ciale revient à s’inscrire en violation des dispositionsvisées sous l’article L. 441-6 du Code de commerce.

2) Les conditions catégorielles de vente

S’agissant des conditions catégorielles de vente, la CEPCconsidère que :

LA COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES

1. Les conditions générales de vente du fournisseur nesauraient être globalement remises en cause par des condi-tions d’achat souvent qualifiées à tort de générales.2. Dans ces conditions, dénoncer les conditions généralesde vente du fournisseur avant même que s’engagent lesnégociations n’est tout d’abord pas conforme à l’espritde la loi.3. S’il est dans la nature même de la mise en place d’unpartenariat commercial que les dispositions des CGV dufournisseur puissent faire l’objet de négociations, les CGVconstituent un document de référence particulièrementprobant pour appréhender toute exigence formulée parl’un des cocontractants susceptible de relever de la no-tion de « déséquilibre significatif » au sens de l’articleL. 442-6-I-2°.4. Les CGV constituent le socle de la négociation et fontl’objet d’une négociation entre les parties. Les cocontrac-tants peuvent donc légalement décider, d’un commun ac-cord, d’écarter pour partie les conditions du fournisseur,sous réserve de ne pas créer un déséquilibre significatifau sens de l’article L. 442-6 du Code de commerce.

1. « Les CGV catégorielles répondent au souhait de cer-tains fournisseurs de définir par avance plusieurs socles

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 37

La réalité des conditions catégorielles et leur légitimiténe sont plus à démontrer aujourd’hui. La CEPC va mêmejusqu’à reconnaître le caractère légal d’une structuretarifaire qui identifierait une catégorie de clientèle quise résumerait à un seul client.

3) Les conditions particulières de vente

S’agissant des conditions particulières de vente ou« CPV », la CEPC considère que :1. Les conditions particulières de vente viennent, au coursde la négociation, s’ajouter aux conditions générales devente du fournisseur. Imposer des CPV à son fournisseurpeut s’apparenter à un abus prévu dans l’article L. 442-6-I-4° : « Obtenir ou tenter d’obtenir, sous la menace d’unerupture brutale ou partielle des relations commerciales,des conditions manifestement abusives concernant les prix,les délais de paiement, les modalités de vente ou servicesne relevant pas des obligations d’achat-vente ».Nous constatons une quasi-absence d’avis prononcésur le point particulier des CPV ; c’est en effet davan-tage au travers du « déséquilibre significatif » que laCEPC s’est exprimée. Il est important de noter que laCEPC insiste une fois encore sur le fait que les CPVviennent s’ajouter au CGV, ces CPV ne devant pas sesubstituer purement et simplement aux CGV du four-nisseur.

B. – Les autres obligations destinées à favoriserla relation commerciale entre le fournisseuret le distributeur

1) Les anciens services distincts

S’agissant des anciens services distincts, la CEPC consi-dère que :Le législateur a adapté la définition de la coopération com-merciale pour y intégrer certains services rendus par lesgrossistes et les distributeurs s’adressant aux profession-nels. Dès lors, ces services seront facturés par ce type dedistributeurs en tant que services de coopération commer-ciale.Les obligations du distributeur qui ne répondent pas àcette nouvelle définition de la coopération commerciale re-lèvent des 1° et 3° et « concourent à la détermination duprix convenu » que le fournisseur facturera au revendeur.Dès lors, les obligations du 1° et du 3° étant déjà prisesen compte, elles ne peuvent pas donner lieu à une facturedu distributeur. Une instruction de l’administration fis-cale publiée au Bulletin officiel des impôts du 18 novembre2008 assure la sécurité juridique à cet égard.

2) La coopération commerciale

S’agissant de la coopération commerciale, la CEPC consi-dère que :

La LME n’a pas supprimé la possibilité de négociation deservices de coopération commerciale. Conformément auxdispositions de l’article L. 441-3 du Code de commerce(qui n’ont pas été affectées par la LME), la rémunérationde ces services (portant sur des services détachables del’opération achat-vente) doit faire l’objet d’une factura-tion spécifique émanant du distributeur.Par ailleurs, sur le plan fiscal, l’article 266 du Code géné-ral des impôts dispose que : « la base d’imposition à laTVA est constituée par (…) les prestations de services, partoutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à re-cevoir par (…) le prestataire en contrepartie de la (…) pres-tation. Le distributeur s’exposerait donc à un rappel deTVA pour ne pas avoir facturé sa prestation et le fournis-seur pour avoir minoré indûment sa base d’imposition. Sil’administration fiscale vient tirer certaines conclusions dela LME sur les obligations du distributeur qui concourentà la détermination du prix des marchandises qu’il achète,elle rappelle bien que “les services dits de coopérationcommerciale (...) ne sont pas concernés par cette évolu-tion” » (Instr. 18 nov. 2008, BOI 3 E- 2-08).

3) La convention cadre ou unique annuelle

S’agissant de la convention cadre ou unique annuelle,la CEPC considère notamment que :

4) Nos conclusions

Les services distincts ont principalement été rapatriésdans la catégorie des autres obligations destinées àfavoriser la relation commerciale entre un fournisseur

ACTU

ALITÉSTRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES

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de négociation selon le type de partenaires. Ces fournis-seurs sont désormais responsables de la définition descatégories mais naturellement ces catégories doivent ré-pondre à des critères objectifs qui permettent de viser tousles opérateurs répondant à ces critères. Une catégorie nesaurait être conçue pour un opérateur en particulier.2. La notion de CGV catégorielles emporte une consé-quence en matière de communication : celles-ci font l’ob-jet d’une communication vis-à-vis des seuls clients rele-vant de la catégorie concernée ».

1. Le texte vise le fournisseur et le distributeur ou leprestataire de services, ce qui exclut les produits (ouservices) destinés à être transformés par ces derniers.S’agissant du « prestataire de services », le texte s’en-tend comme visant les prestations de services au titrede la coopération commerciale ou les autres obligations,rendues directement ou indirectement par le distribu-teur.2. En dehors des produits ou services soumis à un cyclede commercialisation particulier, la convention est bienannuelle. Elle doit être conclue avant le 1er mars pourl’année en cours. Une tolérance est bien entendu envi-sagée dans le cas où la relation commerciale est établieen cours d’année. Dans ce cas, il convient de signer laconvention dans les deux mois suivant le début de la pé-riode de commercialisation des produits ou services.3. Le contrat peut faire l’objet d’avenants en cours d’an-née, dès lors que l’équilibre commercial est préservé.Cette possibilité – qui n’est pas une renégociation totaledu contrat – permet de tenir compte de la vie des affaireset de la réalité commerciale.4. Les dispositions prévoyant l’obligation de conclure laconvention unique étant pénalement sanctionnées, ilconvient de faire application des principes généraux re-latifs à l’application de la loi pénale française dans l’es-pace, visés aux articles 113-1 et suivants du Code pénal.La loi pénale française s’applique aux infractions dontun des éléments constitutifs a été commis sur le terri-toire français. S’agissant des contrats et servicesvisés à l’article L. 441-7, il convient de considérer quetout contrat qui a un effet sur la revente de produits oula fourniture de services en France entre dans les dispo-sitions de l’article.

38 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

et un distributeur. Dans la plupart des cas, ces anciensservices distincts relèvent par conséquent des réductionsde prix, ce qui ne peut que surprendre aujourd’hui en-core les fiscalistes.Attention à la formalisation de la convention an-nuelle, qu’il s’agisse d’un contrat unique ou d’uncontrat-cadre, dès lors que l’absence de formalisationde cette convention ou bien son incomplétude est sanc-tionnée par une peine d’amende pouvant atteindre75 000 euros pour la personne physique et le quintuplepour la personne morale.La convention prévue par l’article L. 441-7-I possèdeeffectivement un caractère annuel, sauf si nous sommesen présence de produits soumis à un cycle de commer-cialisation particulier (on peut penser à des produits des-tinés au traitement de végétaux, par exemple), auquelcas, la convention peut être signée dans les deux moissuivant le début de la période de commercialisation desproduits en cause.Il est tout à fait possible de procéder par voie d’avenantà la modification de la convention annuelle, sans natu-rellement tomber dans une rétroactivité des avantages com-merciaux consentis par le fournisseur et sans aller versune renégociation globale de l’accord annuel, avec pourobjectif de remettre en cause son équilibre économique.Tout contrat qui a un effet sur la revente des produits enFrance est visé par l’article L. 441-7-I du Code de commerce,peu important que le fournisseur soit à cet égard situé à l’étran-ger ou que la centrale d’achat ou de référencement le soit.Quant au champ d’application du plan d’affaires an-nuel, cette convention est nécessaire, dès lors que lesproduits sont destinés à être revendus en l’état, maispas lorsqu’ils sont destinés à être transformés ou inté-grés à d’autres produits ou à des prestations de services,le « prestataire de services » est d’ailleurs clairement en-tendu par le texte de l’article L. 441-7-I comme étant ce-lui qui rend un service de coopération commerciale ouun ancien service distinct.

C. – Les limites à la libre négociation des tarifs/les abus

La CEPC considère notamment que la notion nouvellede déséquilibre significatif entre droits et obligations desparties a vocation à appréhender toute situation, qu’ellecomporte ou non des pratiques décrites par un autre ali-néa de l’article L. 442-6 du Code de commerce. Elle pourraêtre appréciée au regard des effets de l’application de laconvention sur les parties. La caractérisation de la pra-tique consistant à soumettre un partenaire commercialà des obligations créant un déséquilibre significatif nerequiert pas d’établir au préalable que son auteur dé-tienne une puissance d’achat ou de vente, et est doncfacilitée par rapport aux dispositions antérieures.La libéralisation de la négociation commerciale, suiteà la suppression de la discrimination abusive dans ledroit français, ne doit pas avoir pour conséquence quece soit désormais la « loi de la jungle » qui prévale !

D. – La réforme des délais de paiement

Quelles sont les grandes lignes de force qui animent lesréponses apportées par la CEPC ?

■ Point de départ du délai de 45 jours fin de mois, soitla date d’émission de la facture, soit la date de la fin dumois civil au cours duquel a été émise la facture en cause.

■ Une compensation est-elle possible du fait de la ré-duction des délais de paiement ? La loi n’interdit pasune telle compensation, même si ce n’est pas l’esprit dela loi.

■ Le non-respect des nouveaux délais de paiement est-il sanctionné pénalement ? La réponse est négative, au-cune sanction pénale n’étant prévue par l’article L. 441-6en cas de non-respect des délais de paiement de 60 jours,date de facture ou de 45 jours fin de mois. Seule une sanc-tion civile existe par application des dispositions viséessous l’article L. 442-6-I-7°.

■ La signature d’un accord dérogatoire prévu par l’ar-ticle 21-3 de la LME permet-il de ne pas appliquer lesnouveaux délais de paiement ? La réponse est positivedès lors que l’accord a été conclu avant le 1er mars 2009et que cet accord a été communiqué au service du mi-nistre de l’Économie, étant ici précisé que de très nom-breux avis ont été prononcés par le Conseil de la concur-rence, puis par l’Autorité de la concurrence depuis le1er janvier dernier et que pas moins d’une douzaine dedécrets ont d’ores et déjà été publiés, contribuant ainsià accroître la sécurité juridique des opérateurs écono-miques, qui connaissent les délais conventionnels dé-sormais applicables, sans pour autant que ne subsistentcertaines zones d’ombre quant au champ d’applicationde ces accords interprofessionnels.

◆ ◆ ◆

Trois autres avis ont été rendus par la CEPC : Le premieravis (CEPC, avis n° 09-04, 5 mars 2009) concerne certaines pra-tiques de vente mises en œuvre dans le secteur des ma-nuels scolaires par un négociant-grossiste commerciali-sant des manuels scolaires, en offrant gratuitementl’utilisation d’un logiciel ; le second (CEPC, avis n° 09-03, 5 mars2009) concerne l’industrie cimentière et la validation d’unecharte de bonne pratique en matière de délais de paie-ment ; le troisième (CEPC, avis n° 09-01, 5 févr. 2009) concerne lesaspects logistiques de la « supply chain » au vu d’unerecommandation négociée au sein d’ECR France par lesreprésentants de la distribution et de l’industrie.

◆ ◆ ◆

Nous avons pu constater le dynamisme de la CEPC enparcourant les différents avis rendus depuis le mois dedécembre dernier. Son président souhaite poursuivredans ce sens et propose pour cela de respecter les troisaxes suivants :– le maintien du consensus ;– le souci de l’équilibre entre les parties ;– la réactivité, afin de rendre rapidement les avis, le dé-lai entre la saisine et la publication des avis ne devantpas dépasser un mois.Nous pouvons lui faire confiance ! ◆

LA COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 39

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ALITÉSTRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES

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TRANSPARENCEET PRATIQUESRESTRICTIVES

PRATIQUES RESTRICTIVES –RÈGLES DE FOND

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Autonomie de l’actionde protectiondu fonctionnement du marchéet de la concurrencedu ministreLa Cour de cassation persiste et conforte son analyseà propos de l’action du ministre fondée sur l’articleL. 442-6-III du Code de commerce.Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-15.264, D

Cela ne surprendra personne. La Cour de cassation persiste danssa jurisprudence inaugurée le 8 juillet 2008 (Cass. com., 8 juill. 2008,n° 07-16.761, Bull. civ. IV, n° 143) et continue d’affirmer que l’action duministre fondée sur l’article L. 442-6-III du Code de commerceest « une action autonome de protection du fonctionnement dumarché et de la concurrence qui n’est pas soumise au consente-ment ou à la présence des fournisseurs », sans que cela heurtel’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sau-vegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

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Mais là où l’arrêt Baguyled ici commenté est plus intéressant,c’est dans sa motivation relative à la délégation de pouvoirfaite par le ministre.Le décret n° 87-163 du 12 mars 1987, qui est signé par lePremier ministre, dispose, dans son article 1er, que :« Le ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et dela Privatisation peut, par arrêté, donner délégation pour signerles actes relatifs à l’action prévue par l’article 36 de l’ordonnancesusvisée (ordonnance du 1er décembre 1986) aux fonctionnairesappartenant au cadre A des services extérieurs de la concur-rence, de la consommation et de la répression des fraudes ».Or, chacun sait que l’article 36 de l’ordonnance de 1986, telque visé dans le décret précité, n’a pratiquement plus rien decommun avec le texte de l’article L. 442-6 du Code de com-merce en vigueur aujourd’hui, ou lors de la délivrance de l’as-signation du ministre dans cette espèce. Dès lors, si l’actiondu ministre se fonde sur un alinéa de l’article L. 442-6 quin’existait pas dans l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre1986, la délégation de pouvoirs est-elle bien valable?Nous avions déjà vu (cf. Béhar-Touchais M., L’action du ministre fondée surl’article L. 442-6-III du Code de commerce et le délégataire du ministre, RLC 2009/19,n° 1339) que les grands distributeurs poursuivis par le ministresoutiennent dans divers contentieux en cours que par le dé-cret du 12 mars 1987, le Premier ministre n’a pu autoriserle ministre de l’Économie à déléguer sa signature que pourles pouvoirs que ce dernier détenait au jour dudit décret du12 mars 1987, c’est-à-dire ceux figurant dans le texte initialde l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et nonpas pour les pouvoirs créés postérieurement, surtout quand,pour certains de ces nouveaux pouvoirs, le droit d’action(pour demander la nullité, la restitution de l’indu, et l’amendecivile) n’a été accordé au ministre de l’Économie que 14 ansplus tard, par la loi NRE du 15 mai 2001.La Cour de cassation a rejeté l’argument dans l’arrêt Finamo(Cass. com., 16 déc. 2008, n° 07-20.099, D, RLC 2009/19, n° 1339), en interpré-tant l’arrêté du 27 mai 2004, par lequel le ministre avait dé-légué sa signature aux fonctionnaires désignés, sur le fonde-ment du décret du 12 mars 1987, donnant au délégataire despouvoirs qui n’existaient pas au moment de la délégation.L’arrêt Baguyled renforce la motivation de la Cour de cassation.Elle commence par affirmer que « le décret n° 87-163 du 12 mars1987, (…) n’a pas été abrogé et est toujours applicable ».En d’autres termes, le texte existe, mais il ne semble pas queles opérateurs poursuivis aient soutenu le contraire.Puis, la Cour de cassation poursuit : « la loi NRE du 15 mai2001, si elle a modifié l’article L. 442-6 du Code de commerceet donné de nouvelles définitions de faits illicites ou des de-mandes nouvelles fondées sur ces faits, n’a pas conféré auministre de l’Économie un pouvoir nouveau ».On peut néanmoins être étonné par cette affirmation.On se souvient en effet que par un arrêt du 5 décembre 2000,la Cour de cassation avait affirmé « qu’ayant énoncé que l’ac-tion introduite par le ministre sur le fondement de l’article 36de l’ordonnance du 1er décembre 1986 est une action en ré-paration et non en annulation ne lui donnant pas le pou-voir de saisir directement une juridiction de l’ordre judiciairepour demander la nullité d’une convention à laquelle iln’est pas partie, que le pouvoir d’agir du ministre dans l’exer-cice de sa mission de gardien de l’ordre public économiquepar la seule cessation des pratiques illicites et ne lui donnepas la faculté de se substituer aux victimes des pratiquesdiscriminatoires pour évaluer, à leur place, le préjudicecausé par les agissements restrictifs de concurrence, et en

Extraits de l’arrêt :« Attendu que l’arrêt retient que le décret n° 87-163 du 12 mars1987, qui n’a pas été abrogé et est toujours applicable, au-torise le ministre de l’Économie à déléguer sa signature dansle cadre de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à laliberté des prix et de la concurrence, que cette ordonnance aété codifiée et que son article 36 est devenu l’article L. 442-6du Code de commerce, que la loi NRE du 15 mai 2001, si ellea modifié l’article L. 442-6 du Code de commerce et donnéde nouvelles définitions de faits illicites ou des demandes nou-velles fondées sur ces faits, n’a pas conféré au ministre del’Économie un pouvoir nouveau, et que par arrêté ministérieldu 25 juillet 2005, pris en application du décret n° 87-163du 12 mars 1987, Mme X... a reçu du ministre de l’Économie,des Finances et de l’Industrie, délégation permanente à l’ef-fet de signer, dans la limite de ses attributions et de sa com-pétence territoriale, les actes relatifs à l’action de l’article L. 442-6 du Code de commerce ; qu’ainsi, la cour d’appel a faitl’exacte application des textes invoqués ».« Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’action du ministrechargé de l’Économie, exercée en application des dispositionsde l’article L. 442-6-III, qui tend à la cessation des pratiques quisont mentionnées dans ce texte, à la constatation de la nullitédes clauses ou contrats illicites, à la répétition de l’indu et auprononcé d’une amende civile, est une action autonome deprotection du fonctionnement du marché et de la concurrencequi n’est pas soumise au consentement ou à la présence desfournisseurs, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

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solliciter la réparation, que les dispositions légales ne luidonnent pas davantage le pouvoir de solliciter la restitu-tion des prix et valeurs des biens en cause, aux lieu et placedes victimes, la cour d’appel a fait une exacte interprétationde l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ».Le législateur est donc intervenu pour contrecarrer cette ju-risprudence et a précisé dans l’article L. 442-6-III du Codede commerce :« III. – L’action est introduite devant la juridiction civile oucommerciale compétente par toute personne justifiant d’un in-térêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’Éco-nomie ou par le président du Conseil de la concurrence lorsquece dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sacompétence, une pratique mentionnée au présent article.Lors de cette action, le ministre chargé de l’Économie et leministère public peuvent demander à la juridiction saisied’ordonner la cessation des pratiques mentionnées au pré-sent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques,faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites,demander la répétition de l’indu et le prononcé d’uneamende civile dont le montant ne peut excéder 2 millionsd’euros. La réparation des préjudices subis peut égalementêtre demandée. Dans tous les cas, il appartient au presta-taire de services, au producteur, au commerçant, à l’indus-triel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiersqui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’ex-tinction de son obligation [la dernière phrase a été ajoutée par la loi Dutreildu 2 août 2005] ».En d’autres termes, la Cour de cassation constate en 2000que, sous l’empire de l’ordonnance de 1986, le ministre n’apas le pouvoir de demander la nullité du contrat, les resti-tutions ou des dommages et intérêts (sans parler du pouvoirde demander une amende civile qui n’existait pas à l’époque),alors qu’aujourd’hui, il a ces pouvoirs en vertu de l’articleL. 442-6-III du Code de commerce dans sa rédaction issuede la loi NRE du 15 mai 2001.Et pourtant la Cour de cassation en 2009 en déduit que leministre n’a pas de pouvoir nouveau parce que « la loi NREdu 15 mai 2001, (…) [a] donné de nouvelles définitions defaits illicites ou des demandes nouvelles fondées sur ces faits »!Tout le monde aura compris que la décision est plus fondée surl’opportunité que sur un raisonnement juridique logique. C’estune question de politique juridique de la Cour de cassation quia décidé, au nom de l’effectivité du droit des pratiques restric-tives, de sauver (presque) à tout prix, l’action du ministre.Toutefois, la motivation embarrassée de la Cour de cassationnous fait attendre avec d’autant plus d’intérêt ce que dira lajuridiction administrative, sur la question de la légalité des ar-rêtés pris en application du décret du 12 mars 1987 précité,et déléguant les pouvoirs « inexistants auparavant » mais « quine seraient pas nouveaux » octroyés au ministre par la loi NRE.

Martine BÉHAR-TOUCHAIS

1411

De l’application de l’articleL. 442-6-I-5° du Codede commerce, lorsdes négociations?Des précisions sur la notion de relation commercialeétablie.Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-11.916, D

RLC

On se souvient de l’arrêt de la chambre commerciale du 25 avril2006 (Cass. com., 25 avr. 2006, n° 02-19.577) qui avait décidé « qu’aprèsavoir relevé, par motifs adoptés, que les cinq commandes pas-sées par la société SJM à la société Meech, sur une période desix mois, n’établissent que la preuve de relations commerciales“ponctuelles et non suivies”, l’arrêt précise que les éléments évo-qués par la société Meech dans ses conclusions, notamment dansles pages détaillant l’intégralité des contacts entre les parties etles démarches accomplies dans le cadre de leurs négociations,ne caractérisent pas des relations commerciales établies, maissimplement de longs pourparlers en vue d’un accord commer-cial, qui n’a en fait jamais été concrétisé; qu’il s’en déduit quela cour d’appel a pris en compte l’entière période couverte parla collaboration entre les deux parties, ainsi que les élémentsqualitatifs de celle-ci, et n’encourt pas les griefs du moyen ».Un arrêt du 5 mai 2009 vient légèrement atténuer cette juris-prudence excluant l’article L. 442-6-I-5° du Code de commercelors des pourparlers (ou plutôt lors des pourparlers de cetteespèce).Dans cette affaire, les sociétés Tecno Plastic et Alprene, socié-tés italiennes filiales du « groupe » Fischer, avaient confié, jus-qu’en 2005, à M. X... un mandat de représentant exclusif pourcommercialiser leurs produits en France. À partir d’octobre 2002,M. Y... s’est proposé pour prospecter au service des deux so-ciétés avec leur accord et celui de M. X..., malade. Entre maiet décembre 2003, le lien entre M. Y... et les sociétés italiennesa fait l’objet de réunions et d’échanges écrits et verbaux maisces négociations n’ont pas abouti, M. X... restant l’agent com-mercial en titre et percevant tout ou partie des commissionsgénérées par M. Y... En mars 2004, dans le cadre d’une re-structuration, le « groupe » Fischer a décidé de privilégier l’em-bauche de salariés et a interrompu ses relations avec M. Y...,qui a saisi le tribunal pour voir constater l’existence d’uncontrat direct d’agent commercial entre lui et les sociétés TecnoPlastic et Alprene et qui a subsidiairement invoqué une rup-ture abusive de relations commerciales établies.La cour d’appel a condamné les deux sociétés à indemni-ser M. Y... pour rupture brutale de relations commercialesétablies sur le fondement de l’article L. 442-6-I-5° du Codede commerce.La Cour de cassation, dans cet arrêt du 5 mai 2009, rejette lepourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel, aux motifs que « l’ar-rêt retient que les sociétés Tecno Plastic et Alprene ont large-ment profité des prospections fructueuses de M. Y... pendantdix-sept mois, que pendant cette période elles ont occasionnel-lement présenté M. Y... comme leur “agent” et que ce dernier,qui était en négociation avec elles pour devenir leur agent àl’expiration des contrats d’agent de M. X..., a attendu vaine-ment une régularisation de sa situation; qu’en l’état de cesconstatations, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence

Extrait de l’arrêt :« Attendu que l’arrêt retient que les sociétés Tecno Plastic etAlprene ont largement profité des prospections fructueusesde M. Y... pendant dix-sept mois, que pendant cette périodeelles ont occasionnellement présenté M. Y... comme leur “agent”et que ce dernier, qui était en négociation avec elles pour de-venir leur agent à l’expiration des contrats d’agent de M. X...,a attendu vainement une régularisation de sa situation ; qu’enl’état de ces constatations, la cour d’appel, qui a caractérisél’existence d’une relation de M. Y... avec les sociétés TecnoPlastic et Alprene suivie, stable, et dont il pouvait penser qu’elleallait continuer, a pu statuer comme elle a fait ».

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 41

d’une relation de M. Y... avec les sociétés Tecno Plastic et Al-prene suivie, stable, et dont il pouvait penser qu’elle allait conti-nuer, a pu statuer comme elle a fait ».Cette motivation suscite plusieurs observations :Tout d’abord, on est bien au stade des négociations puisquela Cour de cassation relève que « ce dernier, qui était en négo-ciation avec elles pour devenir leur agent à l’expiration descontrats d’agent de M. X..., a attendu vainement une régulari-sation de sa situation ». La motivation de l’arrêt ne permet pasde considérer que M. Y aurait d’ores et déjà bénéficié d’uncontrat verbal.Ensuite, la Cour de cassation vise une « relation (…) suivie,stable ». Elle ne parle pas expressément de relation commer-ciale établie.On peut même se demander si elle a bien voulu appliquer l’ar-ticle L. 442-6-I-5° du Code de commerce, qu’elle ne vise pasdans sa motivation. Certes, elle rejette un pourvoi contre un ar-rêt qui s’était fondé sur ce texte, mais si l’arrêt peut subsistersur un autre fondement, elle n’avait pas de raison de le casser.On ne manquera d’ailleurs pas de relever que l’agent com-mercial n’est pas un commerçant et que la Cour de cassationn’a peut-être pas voulu parler à son égard d’une relation com-merciale établie. Et cela d’autant plus que l’agent commercialbénéficiant déjà d’un régime protecteur, n’a pas besoin qu’onlui applique le texte susvisé.D’ailleurs, le vocabulaire de la Cour fait davantage penser àune rupture brutale de pourparlers, puisqu’elle relève queM. Y avait été présenté parfois par les deux sociétés commeleur agent et pouvait penser que cette relation suivie et stableallait continuer.Pour finir, il faut tout de même relever que la situation étaitbien différente dans cette espèce et dans celle de 2006.En 2006, seules quelques ventes avaient été conclues pendantla période de pourparlers. Ici, la Cour relève que « les socié-tés Tecno Plastic et Alprene ont largement profité des prospec-tions fructueuses de M. Y... pendant dix-sept mois ».Il apparaît donc que si au cours de pourparlers contractuels, devraies relations suivies se nouent, la rupture brutale de ses re-lations pourrait être sanctionnée, probablement sur le fonde-ment de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, bien quel’arrêt ne soit pas très clair sur le fondement retenu.

M. B.-T.

1412

De la rupture immédiatede relations commercialesétablies pour propos racistestenus par le contractantQuand l’obligation de loyauté vient légitimer unerupture brutale de relations commerciales établies.Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-13.964, D

RLC

Voici une affaire originale de rupture brutale de relations com-merciales établies.Deux sociétés sont en relations d’affaires, l’une livrant àl’autre des produits (probablement du bois). Lors d’unelivraison, le gérant de la société So.Go.Bois émet des pro-pos racistes à l’encontre d’un employé de la société Séguin.La société Séguin rompt alors immédiatement les relationsavec ce fournisseur. Celle-ci est poursuivie pour rupture bru-tale des relations commerciales établies sur le fondementde l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. Or, la courd’appel refuse de considérer que la rupture immédiate étaitjustifiée par une inexécution contractuelle, l’attitude offen-sante et raciste du contractant n’entrant pas dans le champcontractuel. Et elle condamne la société dont le salarié a étéoffensé, à payer à son cocontractant une indemnisation égaleà un an de préavis (soit en l’espèce 139000 euros).Heureusement, la chambre commerciale de la Cour de cassa-tion casse cet arrêt au visa de l’article 1134 du Code civil, aumotif que la cour d’appel n’a pas recherché si la sociétéSo.Go.Bois n’a pas méconnu son obligation de loyauté dansl’exécution du contrat et notamment dans l’exécution de sonobligation de livraison de la chose vendue.On sait que l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce pré-voit une indemnisation en cas de rupture brutale des relationscommerciales établies. Mais le texte ajoute aussitôt que sesdispositions « ne font pas obstacle à la faculté de résiliationsans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obli-gations ou en cas de force majeure ».Toute la question en l’espèce était donc de savoir si en émet-tant des propos racistes à l’égard d’un employé de son contrac-tant, lors de la livraison des marchandises, la société So.Go.Boisavait inexécuté une de ses obligations contractuelles.La question était certes délicate, car ces propos racistes concer-nent davantage la conduite personnelle de la personne phy-sique du gérant de la société Go.Bois, que l’exécution propre-ment dite du contrat. Mais la Cour de cassation va trouver icile moyen de s’en sortir en invoquant l’obligation de loyautédans l’exécution de l’obligation de livraison. Elle reprochedonc à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’obliga-tion de loyauté n’avait pas été violée.Insulter son contractant ou ses employés ne serait pas exécu-ter le contrat de bonne foi !

M. B.-T.

1413

Du point de départ du préavispour l’application de l’articleL. 442-6-I-5° du Codede commerceL’information du contractant du projet de soncocontractant de pas créer une filiale chargéede l’activité objet du contrat, fait courir le délaide préavis.Cass. com., 7 avr. 2009, n° 08-11.572, D

RLC

ACTU

ALITÉSTRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES

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Extrait de l’arrêt :« Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à éta-blir que la société Bois, à laquelle étaient reprochées desfautes commises lors de l’exécution de son obligation delivraison de la chose vendue, n’avait pas méconnu son obli-gation de loyauté dans l’exécution du contrat, la cour d’appela privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134du Code civil. »

Extrait de l’arrêt :« Attendu que, pour décider que la société Sodimas avaitengagé sa responsabilité en rompant brutalement ses rela-tions avec la société Fatton, l’arrêt retient que la rupture a éténotifiée le 24 décembre 2003 sans préavis ;

42 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

Le point de départ du préavis est extrêmement importantpour savoir si le délai de préavis a été ou non suffisant.En droit commun, le point de départ du préavis est la no-tification de la résiliation du contrat, ou du non-renou-vellement de celui-ci.Pour l’application de l’article L. 442-6-I-5° du Code decommerce, la jurisprudence est souple. Le point de dé-part sera le jour où le contractant est informé qu’il n’estplus sûr que le contrat se continue.Ainsi s’explique la jurisprudence rendue sur le fondementde l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, qui a dé-cidé que le délai de préavis de rupture commence à cou-rir à partir de l’écrit par lequel un contractant notifie àson prestataire son intention de recourir à un appeld’offres pour choisir à l’avenir son partenaire contractuel.Cet écrit fait courir le délai de préavis, même si ce n’estque plus tard que le contractant initial est prévenu qu’iln’a pas été choisi lors de l’appel d’offres.C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation le 6 juin 2001,en ces termes :

« Attendu qu’en fixant le point de départ du délai de préavis àla date de notification de l’échec de la société CharpentierArmen à l’appel d’offres organisé par le GIE Élis, alors que lanotification par le GIE Élis à la société Charpentier Armen,de son recours à un appel d’offres pour choisir ses fournis-seurs, manifestait son intention de ne pas poursuivre lesrelations contractuelles dans les conditions antérieures etfaisait ainsi courir le délai de préavis qu’elle a estimé à une durée de six mois, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquenceslégales de ses propres constatations » (Cass. com., 6 juin 2001, n° 98-20.831;jurisprudence constante depuis 2001; cf. par exemple, Cass. com., 18 déc. 2007, n° 05-15.970).L’arrêt du 7 avril 2009 va également en ce sens, en dehorsde l’hypothèse d’un recours à un appel d’offres. Il décideque le préavis commence à courir au moment où « la so-ciété Sodimas, interrogée par la société Fatton sur “le de-venir de leur collaboration”, avait dès le 25 juin 2003confirmé que son projet de création d’une filiale de trans-port, dont la viabilité financière avait été vérifiée, seraitfinalisé au cours du mois de décembre 2003 ».Ainsi, il apparaît que la jurisprudence relative à l’appeld’offres n’est pas propre à ce dernier. Dès lors que lecontractant a été informé, avant même la notification, quele contrat ne se poursuivrait pas avec lui, ou pas forcé-ment avec lui, le préavis commence à courir.Cette jurisprudence doit être approuvée, car le cocontrac-tant dont le contrat ou les relations commerciales établiesvont être rompues, sait dans ce cas qu’il lui faut d’ores etdéjà chercher une solution de remplacement.

M. B.-T.

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’elle constataitque la société Sodimas, interrogée par la société Fatton sur“le devenir de leur collaboration”, avait dès le 25 juin 2003confirmé que son projet de création d’une filiale de transport,dont la viabilité financière avait été vérifiée, serait finalisé aucours du mois de décembre 2003, la cour d’appel a privé sadécision de base légale ».

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Condition déterminante du rétablissement au casd’espèce d’une concurrence libre et non faus-sée, et plus largement de la crédibilité du contrôlecommunautaire des aides d’État, la récupéra-tion des aides d’État distribuées illégalement

par les États – et par la suite déclarées incompatibles par laCommission – s’est pourtant toujours avérée une pierred’achoppement (Karpenschif M., La récupération des aides nationales versées enviolation du droit communautaire à l’aune du règlement n° 659/1999 : mythe ou réalité ?,RTD eur. 2001, p. 551).Pour tenter de remédier à un taux de récupération incontes-tablement insuffisant, la Commission s’est engagée, depuisson plan d’action pour les aides d’État de 2005 (Des aides d’Étatmoins nombreuses et mieux ciblées : une feuille de route pour la réforme des aides d’État2005-2009, document de consultation du 7 juin 2005, COM (2005) 107 final, CommuniquéComm. CE n° IP/05/680, 7 juin 2005), dans une démarche nettement plusoffensive à l’égard des États membres dispensateurs rechi-gnant à se conformer aux ordres de récupération. Et cette ri-gueur a indéniablement porté ses fruits.Le passif d’aides non récupérées s’est ainsi sensiblement ré-duit, au moins en valeur relative. À titre d’illustration, au 31 dé-cembre 2008 et malgré les sept nouvelles décisions de récupé-ration de l’année, le nombre de décisions non exécutées esttombé à 46, soit une décision de moins qu’en 2007 (47) et sen-siblement moins que les années précédentes (50 au 30 juin2007, 60 à la fin de 2006, et 94 à la fin 2004). Toutefois, en dé-pit des progrès accomplis, la situation est encore loin d’être sa-tisfaisante. Ainsi, sur les 46 décisions non exécutées au 31 dé-

cembre 2008, 20 ont été adoptées il y a plus de 4 ans (doncavant le 1er janvier 2004) et 6 il y a plus de 8 ans (avant le 1er jan-vier 2000). Concernant les décisions les plus récentes (de 2005à 2008), le taux de récupération en valeur tourne autour de50 % (exception faite des décisions de 2007 où ce taux tombe à 30 %; pour des statistiquescomplètes à jour au 31décembre 2008, cf. <http://ec.europa.eu/competition/state_aid/studies_re-ports/recovery.html>).Ces statistiques, certes encore insuffisantes mais assurémentencourageantes, tiennent à une double démarche de la Com-mission, que celle-ci entend à l’avenir voir compléter par uninvestissement plus grand des juridictions nationales dans lamise en œuvre des décisions de récupération qui, rappelons-le, se voient reconnaître un effet direct au titre de l’article 249CE (cf. Communication Comm. CE, JOUE 9 avr. 2009, n° C 85, pts. 63 et s., relative à l’ap-plication des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales ; voir cette re-vue, RLC 2009/20, n° 1417, obs. Tayar D. et Giraud A.).Comme annoncé dans le Plan d’action et confirmé dans la ré-cente Communication de la Commission concernant la miseen œuvre effective des décisions de la Commission enjoignantaux États membres de récupérer les aides d’État illégales etincompatibles avec le Marché commun (JOUE 15 nov. 2007, n° C 272,RLC 2008/14, n° 994, obs. Giraud A. et Tayar D.), la Commission a sensible-ment intensifié son recours à la procédure de manquementsimplifiée de l’article 88, paragraphe 2, CE. Depuis quelquesmois, les condamnations des États membres se multiplient(CJCE, 6 déc. 2007, aff. C-280/05, Commission c/ Italie, Rec. CJCE, I, p. 181, RLC 2008/15,n° 1078, obs. Aimino L. ; CJCE, 20 sept. 2007, aff. C-177/06, Commission c/ Espagne, Rec.CJCE, I, p. 7689; CJCE, 14 déc. 2006, aff. C-485/03 à C-490/03, Rec. CJCE, I, p. 11887),

Aide nouvelle sur aideillégale et incompatiblenon remboursée ne vautActualité de la doctrine DeggendorfDepuis la deuxième moitié des années 1990 et les arrêts Deggendorf, la Cour de justice admetque la Commission prenne en compte le défaut de récupération d’une aide préalable déclaréeincompatible pour apprécier la compatibilité d’une aide ultérieure ou, à tout le moins, conditionnerla compatibilité ou le versement d’une aide au remboursement préalable d’une aide antérieure illégaleet déclarée incompatible. Toutefois, jusqu’à l’arrêt sous commentaire, les modalités de mise en œuvrede cette doctrine Deggendorf, ainsi que la marge de manœuvre laissée à la Commission en lamatière, demeuraient floues et appelaient des précisions, ce à quoi le Tribunal vient de procéderà l’occasion du contrôle de la décision de la Commission relative à l’aide de l’État italien à AEM Torinodestinée à rembourser les coûts irrécupérables dans le secteur de l’énergie. Par là même, il meten lumière la responsabilité particulière qui pèse sur les États dispensateurs mais égalementles entreprises récipiendaires à l’occasion de la procédure de contrôle.

TPICE, 11 févr. 2009, aff. T-25/07, Iride et Iride Energia c/ Commission1414

Par BenjaminCHEYNEL

Doctorant à l’UniversitéJean Moulin Lyon 3

Of Counsel (WTT LawFirm, Bruxelles)

ACTU

ALITÉS

AIDES D’ÉTATSous la responsabilité de Jean-Louis COLSON, Chef de l’Unité Marché intérieur et Concurrence à la Direction généraleTransport et Énergie, Jacques-Philippe GUNTHER, Avocat, Willkie Farr & Gallagher LLP,Christian LAMBERT, Président de tribunal administratif, Référendaire à la Cour de justice des Communautés européenneset Lucien RAPP, Professeur agrégé des Facultés de droit, Avocat au Barreau de Paris, Watson, Farley & Williams

ÉCLAIRAG

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touchant tout particulièrement la France (CJCE, 5 oct. 2006, aff. C-232/05, Commission c/ France, Rec. CJCE, I, p. 10071, dans l’affaire Kiberley Clark/Scott Pa-per : Cheynel B., Récupération des aides versées en violation du droit communautaire : in-terrogations, confirmation, sanctions, RLC 2006/9, n° 65; CJCE, 18 oct. 2007, aff. C-441/06,Commission c/ France, Rec. CJCE, I, p. 8887, RLC 2008/14, n° 995, obs. Giraud A., dansl’affaire de l’aide France Telecom par le biais d’une dérogation au régime de droit communde la taxe professionnelle ; CJCE, 13 nov. 2008, aff. C-214/07, Commission c/ France, RLC2009/18, n° 1285, obs. Marchand A., relative au régime d’aide à la reprise d’entreprises endifficulté). Mais au-delà de ces condamnations au titre de l’ar-ticle 88, paragraphe 2, CE, la Commission a franchi un capimportant en faisant usage pour la première fois de la procé-dure de « manquement sur manquement » de l’article 228, pa-ragraphe 2, CE à l’encontre de la Grèce qui refusait de seconformer à un ordre de récupération ayant pourtant déjàdonné lieu à un premier arrêt de manquement sur le fonde-ment de l’article 88, paragraphe 2, CE (CJCE, 7 juill. 2009, aff. C-369/07,Commission c/ Grèce; pour des prémices concernant l’Italie dans l’affaire des Municipaliz-zate et celle des mesures d’aide visant à promouvoir l’emploi, Communiqué Comm. CEn° IP/08/133, 31 janv. 2008, RLC 2008/15, n° 1078, obs. Aimino L.).Toutefois, aussi symboliques que puissent être de telles condam-nations (pour une présentation exhaustive des procédures en cours,cf. <http://ec.europa.eu/competition/state_aid/studies_reports/annex_3.pdf>), ellesn’en demeurent pas moins affectées du défaut congénital dela procédure de manquement qui ne débouche que sur desarrêts déclaratoires et ne saurait emporter de conséquencesimmédiates sur l’opération de récupération litigieuse, commel’illustre l’affaire sous commentaire. C’est certainement pour-quoi, depuis quelques années, la Commission fait un usagecroissant de la doctrine Deggendorf (CJCE, 15 mai 1997, aff. C-355/95 P,TWD c/ Commission, pts. 25 et 26, Rec. CJCE, I, p. 2549, confirmant TPICE, 13 sept. 1995,aff. T-244/93 et T-486/93, TWD c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2265) qui lui per-met de prendre en considération l’absence de récupérationd’une aide illégale antérieurement déclarée incompatible parla Commission, soit pour dénier la compatibilité d’une aidenouvelle, soit pour conditionner la compatibilité ou le verse-ment de cette dernière à la récupération préalable de cetteaide. En ce sens, il suffit de constater que la pratique déci-sionnelle de la Commission sur ce point a sensiblement aug-menté (pour une recension, voir tableau récapitulatif infra) mais égalementque les textes d’encadrement – normatifs comme non norma-tifs – élaborés par la Commission sont notablement empreintsde cette préoccupation. Dernièrement, le nouveau règlementgénéral d’exemption par catégorie a clairement exclu du champde l’exemption « a) les régimes d’aide qui n’excluent pas ex-plicitement le versement d’aides individuelles en faveur d’uneentreprise faisant l’objet d’une injonction de récupération sui-vant une décision de la Commission déclarant des aides illé-gales et incompatibles avec le marché commun [et] b) les aidesad hoc en faveur d’une entreprise faisant l’objet d’une injonc-tion de récupération suivant une décision antérieure de la Com-mission déclarant les aides illégales et incompatibles avec lemarché commun » (Règl. Comm. CE n° 800/2008, 6 août 2008, JOUE 9 août,n° L 214, art. 1 (6), déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché com-mun en application des articles 87 et 88 du Traité ; Karpenschif M., Le RGEC : nouveau dé-part pour le droit des aides d’État?, JCP A 2009, n° 5). Auparavant, dans saCommunication concernant la mise en œuvre effective desdécisions de récupération précitée, la Commission a claire-ment fait état de sa volonté de généraliser l’application de ladoctrine Deggendorf, notamment en « l’intégr[ant] dans toutesles règles et décisions à venir concernant les aides d’État », ceà quoi elle avait déjà procédé à l’occasion des lignes direc-trices communautaires concernant les aides d’État au sauve-tage et à la restructuration d’entreprises en difficulté (JOUE 1er oct.2004, n° C 244, pt. 23) et celles sur le financement des aéroports et

les aides d’État au démarrage pour les compagnies aériennesau départ d’aéroports régionaux (JOUE 9 déc. 2005, n° C 312, pt. 82).Et c’est sur ce point que l’arrêt sous commentaire vient appor-ter d’utiles éclaircissements. Il fait suite à la décision de la Com-mission relative à l’aide de l’État italien à AEM Torino desti-née à rembourser les coûts irrécupérables dans le secteur del’énergie (Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, relative à l’aide d’État C 11/06 (exN 127/05)). Après avoir ouvert la procédure formelle d’examende l’article 88, paragraphe 2, CE au seul motif qu’une précé-dente décision de récupération visant AEM Torino n’avait pasété exécutée et alors qu’elle relevait dans le même temps queles mesures en cause satisfaisaient pleinement les critères dé-finis par la Communication du 26 juillet 2001 relative à la mé-thodologie d’analyse des aides d’État liées à des coûts échoués(Communiqué Comm. CE n° IP/06/1544, 10 nov. 2006, RLC 2007/10, n° 706, obs. Cheynel B.),la Commission a conditionné le versement de cette aide à AEMTorino au remboursement préalable par cette dernière d’uneaide reçue au titre des aides fiscales accordées par l’Italie auxmunicipalizzate et qui avaient fait l’objet d’une décision né-gative et d’un ordre de récupération (Déc. Comm. CE n° 2003/194, 5 juin2002, JOUE 24 mars 2003, n° L 77), demeuré inexécuté malgré un arrêtde manquement (CJCE, 1er juin 2006, aff. C-207/05, Commission c/ Italie, préc.).À l’occasion du recours, les requérantes ont fait valoir plu-sieurs arguments dignes d’intérêt. Tout d’abord, elles ontcontesté l’existence de ressources d’État. Toutefois, le Tribu-nal ne fait pas droit à ces moyens et avalise le raisonnementde la Commission qui avait refusé d’appliquer la jurispru-dence PreussenElektra (CJCE, 13 mars 2001, aff. C-379/98, PreussenElektra AGc/ Schhleswag AG, Rec. CJCE, I, p. 2099) au mécanisme italien de rem-boursement des coûts échoués en faveur de l’AEM Torino, fi-nancé à partir d’un compte spécifique ouvert par l’Autoritàper l’energia elettrica e il gas auprès de la Caisse de péréqua-tion pour le secteur de l’électricité (CCSE), alimenté par leproduit de l’application d’une composante déterminée du ta-rif électrique et mise à la charge de l’ensemble des clients fi-naux. Pour mémoire, cet arrêt avait conduit la Cour à dénierla qualification d’aide d’État pour défaut de ressources d’Étatà une mesure imposant aux entreprises d’approvisionnementen électricité une obligation d’acheter le courant produit dansleur zone d’approvisionnement à partir d’énergies renouve-lables. Pour ce faire, la juridiction communautaire avait re-levé, dans l’affaire PreussenElektra, que l’État allemand n’avaitjoué aucun rôle dans la collecte et/ou la redistribution desfonds en cause : les sommes correspondant au prix d’achatétaient directement transférées entre des acteurs économiquesrelevant du secteur privé, à savoir les entreprises distributricesd’électricité, d’une part, et les producteurs d’électricité pro-duite à partir de sources d’énergie renouvelables, d’autre part.En d’autres termes, elle excluait qu’il puisse y avoir ressourcesd’État lorsque les autorités publiques n’ont ou n’obtiennentà aucun moment le contrôle des fonds qui financent l’avan-tage économique en cause (ibid., pts. 59 à 61). Ainsi, même si lessommes correspondant à la mesure en cause ne sont pas defaçon permanente en possession des autorités publiques, lefait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et parconséquent à la disposition des autorités nationales compé-tentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de ressources d’É-tat (CJCE, 16 mai 2000, aff. C-83/98 P, France c/ Ladbroke Racing et Commission, pt. 50,Rec. CJCE, I, p. 3271; CJCE, 16 mai 2002, aff. C-482/99, France c/ Commission, pt. 37, Rec.CJCE, I, p. 4397; pour des développements plus étoffés, Giraud A. et Tayar D., L’interpréta-tion du critère de l’emploi de ressources d’État par la Cour de justice : le révélateur d’unelecture formaliste de l’article 87 du Traité CE? (Réflexions à propos de l’arrêt Pearle), LPA2005, n° 240, p. 4). Or, en l’espèce, les sommes en cause sontrecouvrées et gérées sur un compte spécifique par la CCSE

AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

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qui est un organisme public, avant d’être redistribuées au bé-néficiaire, à savoir l’AEM Torino. Ainsi, elles étaient constam-ment sous contrôle public (puisque la CCSE pouvait utiliserles sommes disponibles sur son compte A 6 pour couvrir tem-porairement un solde débiteur sur d’autres comptes), maisencore étaient la propriété de l’État (puisque la CCSE ne pos-sédait pas de personnalité juridique distincte de celle de l’Étatitalien). En conséquence, le Tribunal ne pouvait qu’admettrel’existence d’une ressource d’État (pour un raisonnement similaire, cf. Déc.Comm. CE n° C (2009) 230 final, 28 janv. 2009, pt. 56, concernant l’aide sous la forme dela création d’un fonds de compensation dans le cadre de l’organisation du marché de l’élec-tricité mise à exécution par le Luxembourg [C 43/2002 – ex NN 75/2001]).Pour autant, et en dépit de l’existence avé-rée de ressources d’État, la qualificationd’aide d’État n’était pas encore définiti-vement acquise dans la mesure où les re-quérantes contestaient également l’exis-tence d’un avantage en faveur d’AEMTorino, préférant voir dans le rembourse-ment des coûts échoués générés par la li-béralisation du secteur de l’électricité l’éli-mination d’un désavantage concurrentielrésultant d’investissements effectuésconformément à des obligations impo-sées par l’État avant la libéralisation dumarché et qu’elles ne parviennent pas àcouvrir au moyen de leurs seules recettesgénérées par la vente d’électricité sur lemarché libéralisé (pour une illustration, cf. Alexis A., Les aides italiennes octroyéespour compenser les coûts échoués dans le domaine de l’électricité déclarées compatibles,Concurrences, 2-2005, p. 81). Or, cette question était loin d’être dépour-vue de pertinence dans la mesure où la Commission relève,dans sa Communication relative à la méthodologie d’analysedes aides d’État liées à des coûts échoués du 26 juillet 2001 etsans plus de précision, qu’« un système de prélèvement insti-tué par un État membre et transitant par un fonds pour com-penser les coûts d’engagements ou de garanties qui risqueraientde ne pas pouvoir être honorés en raison de l’application de ladirective n° 96/92/CE ne constitue pas une mesure susceptiblede faire l’objet d’une décision de la Commission accordant unrégime transitoire en application de l’article 24 de cette direc-tive : une telle mesure ne nécessite en effet pas de dérogationaux chapitres concernés de la directive. Une telle mesure est enrevanche susceptible de constituer une aide d’État, qui relèvedes articles 87 et 88 du Traité » (nous soulignons). Pour autant, leTribunal se refuse à retenir la perspective compensatoire avan-cée par les requérantes. Au contraire, il confirme la solution re-tenue par la Commission en considérant que ce transfert est unavantage économique qu’AEM Torino n’aurait pas reçu dansdes conditions normales de marché. Pour justifier cette solu-tion, il retient que les investissements effectués par AEM To-rino avant la libéralisation du secteur – ayant donné lieu auxcoûts échoués et justifié les subventions en cause – étaient gre-vés d’un risque normal inhérent à d’éventuelles modificationsde la législation et tout particulièrement à l’ouverture de ce sec-teur à la concurrence. En effet, au regard, d’une part, du faitque dans un État démocratique, le cadre réglementaire est àtout moment susceptible d’évoluer, et, d’autre part, de l’orien-tation générale de la politique économique de la Communautéeuropéenne dans le sens d’une ouverture des marchés natio-naux et de la favorisation du commerce entre les États membres,l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence par ladirective n° 96/92 – et en conséquence la suppression de mo-nopoles nationaux et régionaux – ne peut s’analyser comme

une anomalie par rapport aux conditions normales du marché.Partant, les modifications intervenues dans ce contexte faisaientpartie des évolutions auxquelles les opérateurs économiques,au nombre desquels AEM Torino, devaient s’attendre.Mais, c’est assurément sous l’angle de la mise en œuvre de ladoctrine Deggendorf que l’arrêt sous commentaire présente leplus grand intérêt. Alors que certaines interrogations avaientpu se faire jour dans la doctrine (Gosset-Grainville A. et Olza Moreno L., LaCommission européenne « redécouvre » la valeur de la jurisprudence Deggendorf, Décideurs,Stratégie Finance Droit, 2006, n° 76, pp. 110-111) et de vives critiques avaientpu être formulées par l’Italie dans l’affaire sous commentaire,ainsi qu’à l’occasion d’une seconde décision concernant cette

fois les mesures italiennes en faveur dela réduction des émissions de gaz à ef-fet de serre (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars2005, JOUE 7 sept. 2006, n° L 244, concernant l’aide d’Étatque l’Italie – région du Latium – entend mettre en œuvre enfaveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre,recours pendant sous le numéro T-303/05, introduit le 3 août2005), l’arrêt du 11 février 2009 permet defaire le point sur le champ d’applicationde la doctrine Deggendorf (I) mais éga-lement, en négatif, de faire ressortir ladiligence qui s’impose non seulement àl’État mais également aux entreprises ré-cipiendaires à l’occasion d’une procédureoù apparaît la question de la mise enœuvre de la doctrine Deggendorf (II).

I. – DE LA PORTÉE AFFINÉEDE LA DOCTRINE DEGGENDORF

Prenant appui sur un arrêt du 3 octobre 1991 qui énonçait que« lorsque la Commission examine la compatibilité d’une aided’État avec le marché commun, elle doit prendre en considé-ration tous les éléments pertinents, y compris, le cas échéant,le contexte déjà apprécié dans une décision antérieure, ainsique les obligations que cette décision antérieure a pu imposerà un État membre » (CJCE, 3 oct. 1991, aff. C-261/89, Italie c/ Commission, pt. 20,Rec. CJCE, I, p. 4437), la juridiction communautaire a explicitementreconnu que la Commission était compétente pour prendreen considération, d’une part, l’éventuel effet cumulé des an-ciennes aides et des nouvelles aides et, d’autre part, le faitque les anciennes aides, déclarées illicites, n’avaient pas étérestituées (TPICE, 13 sept. 1995, aff. T-244/93, préc., pt. 56; CJCE, 15 mai 1997, C-355/95 P, préc., pt. 26 confortant cette affirmation en rappelant que dans tout le domainede l’article 87, paragraphe 3, CE, la Commission jouissait d’un large pouvoir d’appréciation,dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être ef-fectuées dans un contexte communautaire).En dépit de la clarté de l’affirmation de principe formulée dansles arrêts Deggendorf, la mise en œuvre pratique de cette fa-culté suscitait un certain nombre d’interrogations légitimesauxquelles l’arrêt sous commentaire apporte des réponses (A)mais laisse encore en suspens certaines questions (B).

A. – Les réponses de l’arrêt Iride SpA et IrideEnergia SpA

Sévèrement attaquée notamment par l’Italie qui fit plusieursfois les frais de son application (Déc. Comm. CE n° 2008/208, 23 oct. 2007,pt. 23, concernant l’aide d’État n° C 30/2006 (ex N 367/05 et N 623/05) que l’Italie entendmettre en œuvre en modifiant un régime existant de réduction des droits d’accises sur lesbiocarburants; Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, concernant l’aide d’État n° C 11/06[ex N 127/05] que l’Italie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino, arrêt souscommentaire; Déc. Comm. CE n° 2006/598, préc., pts. 19 à 23, recours pendant n° T-303/05),

ACTU

ALITÉSAIDES D’ÉTAT

L’ouverture du marchéde l’électricité à laconcurrence par la

directive n° 96/92 –et en conséquence

la suppression de monopoles nationauxet régionaux – ne peut

s’analyser commeune anomalie par rapportaux conditions normales

du marché.

ÉCLAIRAG

E

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la doctrine Deggendorf et plus particulièrement ses modalitésd’application étaient soumises pour la première fois au jugecommunautaire à l’occasion de l’affaire sous commentaire.Confirmant la pratique désormais constante de la Commis-sion (Déc. Comm. CE, 8 oct. 2008, n° C (2008) 5067 final, pt. 76, concernant l’aided’État n° NN 9/2008 – France/Plan de sauvetage et de restructuration des entreprises depêche en difficulté ; Déc. Comm. CE n° 2006/598, préc., pt. 68), le Tribunal vienten premier lieu confirmer la portée générale de la doctrineDeggendorf qui a vocation à être mise en œuvre concernanttant les aides individuelles que les régimes d’aides non en-core recouvrés, nonobstant les difficultés inhérentes à son ap-plication aux régimes d’aides déclarés incompatibles (diffi-cultés d’identifier les bénéficiaires, de déterminer les montantsversés…). Le fait que la jurisprudence Deggendorf originelleait porté sur une aide individuelle non récupérée ne pouvaitpermettre de conclure que seul ce type d’aide – à l’exclusiondes régimes d’aides – était susceptible de donner lieu à la sus-pension d’aides ultérieures. De même, le fait que les régimesd’aides soient susceptibles de poser des difficultés particu-lières ne pouvait faire obstacle à une lecture extensive de lajurisprudence Deggendorf dans la mesure où, d’une part, cesdifficultés sont imputables à l’éventuel manque de coopéra-tion des autorités nationales et, d’autre part, que la jurispru-dence constante de la Cour admet que l’absence d’indicationsexactes, par la Commission, quant aux entreprises bénéfi-ciaires d’un régime illégal et quant aux montants exacts quecelles-ci ont perçus n’affecte pas la validité d’un ordre de re-couvrement ni ne constitue un obstacle à son exécution,l’État membre concerné étant le mieux placé pour obtenir cesdonnées et la Commission habilitée, en cas d’absence de co-opération de l’État membre concerné, à prendre une décisionsur le fondement des informations dont elle dispose (TPICE,14 janv. 2004, aff. T-109/01, Fleuren Compost c/ Commission, pts. 48 à 51, Rec. CJCE, II,p. 127; sur les efforts promis par la Commission sur ce point, Communication concernantla mise en œuvre effective des décisions de récupération, préc., pts. 36 et s.). En d’autrestermes, le Tribunal refuse que les États membres puissent ti-rer profit de leur propre turpitude.Ainsi, dès lors que l’État membre dispensateur a dépassé ledélai de récupération de quatre mois imparti par la Commis-sion européenne (sur ce point et sur le passage du délai commun de deux à quatremois, cf. Communication concernant la mise en œuvre effective des décisions de récupéra-tion, préc., pts. 40 et s.), la Commission est susceptible d’actionnerla doctrine Deggendorf. Naturellement, son usage ne sauraitêtre cantonné aux seules hypothèses dans lesquelles la Courde justice a eu l’occasion de constater un manquement d’État,même si, naturellement, cette hypothèse rend encore plus né-cessaire et justifié le recours à un tel mécanisme, ni mêmeconstituer « une procédure exceptionnelle, à laquelle il ne fau-drait recourir qu’extrema ratio » (Déc. Comm. CE n° 2006/598, préc., pt. 72).En ce sens, la Commission a d’ailleurs relevé qu’« un contrôleeffectif des aides d’État engendrerait précisément une utilisa-tion constante et immédiate de la jurisprudence Deggendorfen vue d’assurer l’efficacité du système, dont l’objectif est deprendre en considération toutes les aides d’État mises à la dis-position du bénéficiaire, de réduire ainsi les distorsions de laconcurrence et d’assurer une application effective de ses déci-sions » (ibid., pt. 72). De même, il nous paraît tomber sous le sensqu’en la matière, le caractère définitif de la Commission n’esten aucun cas pertinent. Bien que l’Italie ait tenté de faire va-loir cet argument (ibid., pt. 71), la Commission l’a sèchement re-prise en soulignant que « ses décisions sont présumées valableset sortent immédiatement leurs effets, ce conformément à l’ar-ticle 242 du Traité CE, aux termes duquel les recours n’ont pasd’effet suspensif » (ibid., pt. 71; CJCE, 5 oct. 2004, aff. C-475/01, Commission

c/ Grèce, pt. 18, Rec. CJCE, I, p. 8923; pour une problématique similaire toujours en ma-tière d’aide d’État, cf. CJCE, 12 févr. 2008, aff. C-199/06, Centre d’exportation du livre fran-çais (CELF), ministre de la Culture et de la Communication c/ Société Internationale de dif-fusion et d’édition (SIDE), Cheynel B., Arrêt CELF : une victoire à la Pyrrhus pour laCommission?, RLC 2007/15, n° 1077; Cheynel B. et Giraud A., New paradigm for recoveryof unlawful aid in the EU – National Judges and the « Exception of Compatibility », in WorldCompetition, 2008, pp. 557-573; pour une problématique similaire en matière d’antitrust,cf. CJCE, 14 déc. 2000, aff. C-344/98, Masterfoods e.a., pt. 53, Rec. CJCE, I, p. 11369). Ilen irait naturellement différemment si la décision de la Com-mission venait à faire l’objet d’une mesure provisoire (sur le ca-ractère illusoire des demandes de sursis d’une décision de récupération, cf. Cheynel B., Me-sures provisoires : l’urgence toujours en question, RLC 2008/16, n° 1138).Outre cette confirmation attendue du champ d’applicationmatériel de la doctrine Deggendorf, l’arrêt sous commentairevient également apporter des précisions sur la charge de lapreuve de l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle avecdes aides antérieures illégales et incompatibles avec le Mar-ché commun et non remboursées. Sur ce point, les requé-rantes faisaient valoir qu’il incombait à la Commission d’ex-pliquer pour quelles raisons les aides nouvelles qui étaient enelles-mêmes compatibles ne pouvaient pas être versées dansla mesure où elles étaient susceptibles d’engendrer une dis-torsion de concurrence par cumul avec les aides incompa-tibles préalables non encore remboursées. Autrement dit, iln’appartiendrait ni à l’État dispensateur, ni à l’entreprise bé-néficiaire de fournir à la Commission les éléments de natureà démontrer l’absence d’effet cumulé des aides illégales an-térieures et des nouvelles aides, sauf à soumettre l’applica-tion de l’article 87, paragraphe 3, CE à une condition supplé-mentaire (ce que la juridiction a déjà eu l’occasion de sanctionner récemment, CJCE,22 déc. 2008, aff. C-333/07, Société Régie Networks, RCL 2009/19, n° 1344, obs. Cheynel B.).Le Tribunal refuse catégoriquement de faire droit à ce moyen,confirmant en cela pleinement la démarche retenue par laCommission par laquelle la charge de la preuve repose surl’État dispensateur et l’entreprise récipiendaire. Pour ce faire,il renvoie à la jurisprudence Deggendorf elle-même qui a clai-rement considéré « que le critère de l’absence d’effet cumuléde l’aide nouvelle examinée avec des aides illégales et incom-patibles antérieures non remboursées relevait de l’examen gé-néral de la compatibilité d’une aide auquel la Commission doitprocéder, et ne constituait donc qu’un des éléments à prendreen considération par elle dans le cadre de l’application [de l’ar-ticle 87, paragraphe 3, CE] » (pt. 103). Il en résulte que l’obliga-tion pesant sur l’État membre et sur l’entreprise potentielle-ment bénéficiaire d’aides nouvelles d’apporter à la Commissionles éléments de nature à démontrer que ces aides sont com-patibles avec le Marché commun s’étend également à la né-cessité d’établir l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelleavec des aides antérieures illégales et incompatibles avec leMarché commun et non remboursées (pt.104).Dès lors, le contrôle effectué par le Tribunal sur les décisionsd’autorisation sous conditions du respect d’engagements parl’État dispensateur (soit de récupérer les aides incompatibles,préalable à toute distribution d’aide nouvelle ; soit, commeen l’espèce, d’apporter la preuve à la Commission que le ré-cipiendaire n’était pas bénéficiaire de l’aide incompatible an-térieure ou a procédé à son remboursement) se réduit à as-sez peu de choses. La juridiction communautaire veille, enpremier lieu, à ce qu’à l’occasion de la décision d’ouverturede la procédure formelle, la Commission explique les raisonspour lesquelles elle entend, en application de la solution dé-gagée par la jurisprudence Deggendorf, subordonner la com-patibilité de l’aide litigieuse à la restitution préalable des aidesillégales déclarées incompatibles. Par la suite, et concernant

AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

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la motivation de la décision adoptée à l’issue de la procédureformelle d’examen (existence d’effets potentiellement néga-tifs sur la concurrence d’un cumul), le Tribunal fait égalementpreuve de peu d’exigences. Ainsi, lorsque, comme en l’espèce,l’État dispensateur et l(es) entreprise(s) récipiendaire(s) n’ontnullement coopéré à la procédure, la Commission peut secontenter de faire état de l’absence d’information pour condi-tionner l’octroi de l’aide nouvelle. En effet, il ne saurait êtrefait grief à celle-ci de ne pas avoir démontré dans sa décisionles effets potentiellement négatifs sur la concurrence d’un cu-mul des aides antérieures illégales et de la mesure litigieuse,puisqu’il ne lui appartenait pas, en l’ab-sence de toute coopération de la Répu-blique italienne et des requérantes, derechercher des éléments prouvant de telseffets. A contrario, si l’État dispensateuret le(s) entreprise(s) récipiendaire(s) ve-naient à faire preuve d’une coopérationloyale lors de la procédure (notammenten fournissant l’identité des récipien-daires, le montant des aides perçues…)sans pour autant démontrer le rembour-sement de l’aide ou s’engager à suspendrele versement de la nouvelle, il ne nousparaît pas infondé de soutenir que laCommission devrait être astreinte à unemotivation plus poussée à l’occasion delaquelle elle devrait démontrer en quoiles éléments fournis par l’État dispensa-teur et/ou le(s) entreprise(s) récipiendaire(s) ne sont pas àmême de lever les doutes qu’elle a formulés dans sa décisiond’ouverture de la procédure formelle, en gardant toutefois àl’esprit que celle-ci dispose, dans le domaine des aides d’É-tat, d’un large pouvoir d’appréciation, soumis à un contrôlerestreint des juridictions communautaires (CJCE, 29 avr. 2004, aff. C-91/01, Italie c/ Commission, pt. 43, Rec. CJCE, I, p. 4355). Mais, en tout état decause, il ne saurait être requis de la Commission qu’elle pro-cède à la délimitation du marché en cause. En effet, de juris-prudence constante, « il suffit que la Commission établisse queles aides litigieuses (…) faussent ou menacent de fausser laconcurrence, sans qu’il soit nécessaire (…) de délimiter le mar-ché en cause » (CJCE, 17 sept. 1980, aff. 730/79, Philip Morris Holland c/ Commis-sion, pts. 9 à 12, Rec. CJCE, I, p. 2671; TPICE, 15 juin 2000, aff. T-298/97, Alzetta e.a. c/ Com-mission, pt. 95, Rec. CJCE, II, p. 2319).

B. – Des questions encore en suspens

Si l’arrêt sous commentaire constitue une consolidation évi-dente de la pratique de la Commission, des questions encoreirrésolues demeurent. Certaines prises de position de la Com-mission dans la mise en œuvre de la doctrine Deggendorf peu-vent susciter le débat ou au moins supposent un aval expli-cite de la juridiction communautaire.Il en va ainsi de l’origine des aides incompatibles que la Com-mission prend en considération pour l’application de la doc-trine Deggendorf. À l’occasion de sa décision relative à l’aidede la région du Latium en faveur de la réduction des émis-sions de gaz à effet de serre (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars 2005,préc.), la Commission a pu préciser que le fait que l’aide pré-cédente non récupérée ait été distribuée par l’État italien etnon par la région du Latium était sans conséquence sur la fa-culté dont elle disposait d’opposer à cette région la non-récu-pération d’une aide distribuée par les autorités centrales ita-liennes. En ce sens, elle a précisé que « le fait qu’il s’agisse,dans ce cas, d’une aide régionale, alors que l’aide relative aux

entreprises municipalisées était nationale, n’a pas d’incidence.Pour la Commission, toutes les aides sont nationales, étantdonné que les autorités nationales sont les seules interlocu-trices directes des institutions communautaires. La preuve enest que l’Italie a elle-même notifié la mesure et qu’elle est ledestinataire de la décision, aux termes des articles 87 et 88 duTraité CE. En outre, les fonds concernés sont nationaux, qu’ilssoient distribués par le gouvernement central ou par les auto-rités régionales » (ibid., pt. 67).Si une telle conclusion nous semble relever de l’évidence, unehypothèse différente suscite assurément plus d’interrogations,

à savoir l’absence de prise en considéra-tion pour l’application de la doctrine Deg-gendorf des aides incompatibles verséesillégalement au même récipiendaire (en-tendu comme entité économique) nonplus par le même État mais par un autreÉtat. Ce cas de figure s’est présenté dansune affaire relative à l’aide de la Franceà la restructuration du groupe FagorBrandt.Elle a conduit la Commission à préciserque, dans l’hypothèse d’une aide nou-velle d’un État à une entreprise dont unefiliale étrangère a reçu d’un autre Étatmembre des aides déclarées incompa-tibles et non encore remboursées, la doc-trine Deggendorf n’avait pas lieu de s’ap-pliquer dans la mesure où il s’agit d’Étatsmembres différents (Déc. Comm. CE n° C (2007)

4526 final, 10 juill. 2007, pt. 31, ouverture de la procédure formelle). Or, il est loisiblede s’interroger sur la pertinence d’une exclusion de principe duchamp de la doctrine Deggendorf des aides versées par les autresÉtats membres et non récupérées. En effet, même si, commele rappelle le TPICE dans l’arrêt sous commentaire, la procé-dure en matière d’aides se noue entre l’État dispensateur et laCommission (et non l’entreprise récipiendaire ou ses concur-rentes et la Commission), la compatibilité d’une aide d’États’apprécie non par rapport à l’État dispensateur mais par rap-port à la nature et aux effets de l’aide en cause. Certes, dans lecas d’espèce, la Commission a pris en compte cet élément dansl’analyse de la viabilité de l’entreprise (la récupération de cette aide remet-elle en cause le retour à viabilité pris en considération pour juger de la compatibilité d’un mé-canisme d’aide à la restructuration de FagorBrandt; cf. Déc. Comm. CE n° C 44/2007 (exN 460/2007), 21 oct. 2008, pts. 61 et 62) mais il nous semblerait légitime deconsidérer qu’elle puisse s’autoriser, voire être obligée, de condi-tionner le versement de la nouvelle aide au remboursement dela première, même si cela a pour effet de faire peser sur un Étatles conséquences de l’incurie d’un autre. Sans vouloir remettreen cause la marge d’appréciation dont dispose la Commissionen matière d’aides (CJCE, 15 mai 1997, aff. C-355/95 P, préc., pt. 26), il nousparaît opportun qu’au lieu d’exclure le jeu de la doctrine Deg-gendorf, la Commission s’assure tout du moins de l’effet du cu-mul des aides et/ou de leur absence de récupération. Il en va,selon nous, de la nature même de l’office de la Commission(qui, selon l’arrêt du 3 octobre 1991, « doit prendre en considération tous les éléments perti-nents, y compris (…) les obligations qu’[une] décision antérieure a pu imposer à un Étatmembre », et pas seulement à l’État partie à la procédure relative à la nouvelle aide, nous sou-lignons) et de la protection si ce n’est de la concurrence au moinsdes concurrents du récipiendaire d’une aide incompatible dontla récupération a été ordonnée. Enfin, il est loisible de s’inter-roger sur la conformité d’une telle pratique au principe géné-ral du droit communautaire d’égalité de traitement qui, ne re-levant pas des droits de la défense (rappelons que ces derniers ne peuventêtre invoqués que par les États à la procédure et non les entreprises notamment récipiendaires,

ACTU

ALITÉSAIDES D’ÉTAT

Dans l’hypothèse d’uneaide nouvelle d’un État

à une entreprise dont unefiliale étrangère a reçu

d’un autre État membredes aides déclarées

incompatibles et nonencore remboursées,

la doctrine Deggendorfn’avait pas lieu

de s’appliquer dans lamesure où il s’agit d’États

membres différents.

ÉCLAIRAG

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48 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

cf. CJCE, 24 sept. 2002, aff. C-74/00 P et C-75/00 P, Falck et Acciaierie di Bolzano c/ Commis-sion, pts. 80 à 83, Rec. CJCE, I, p. 7869), pourrait être invoqué dans le cadred’un recours notamment par les récipiendaires d’aides mul-tiples accordées par un seul et même État et partant, soumis àla doctrine Deggendorf.Toujours concernant le champ d’application matériel de la doc-trine Deggendorf, une autre source d’interrogations persiste.Elle a trait à la nature des mesures susceptibles d’entrer dansson champ d’application. En effet, dans l’affaire des aides es-pagnoles au fonctionnement liées à la livraison de trois na-vires-citernes transporteurs de GNL construits par le chantiernaval IZAR, la Commission a clairement énoncé « qu’elle nepeut prendre une décision ordonnant la suspension du paie-ment d’une aide compatible avec le marché commun – le prin-cipe de l’arrêt Deggendorf – que lorsque l’aide autorisée par lanouvelle décision engendre un cumul des aides rendant la nou-velle aide incompatible » (Déc. Comm. CE n° 2003/691, 9 juill. 2003, pt. 26).En l’espèce, l’Espagne avait fait usage du règlement n° 1540/98concernant la construction navale (remplacé, en 2003, par l’encadrementsur les aides d’État à la construction navale, JOUE 30 déc. 2003, n° C 317, puis prorogé à cejour jusqu’au 31 décembre 2011) pour subventionner la commande d’IZARde plusieurs transporteurs de GNL. En raison de la complexitédu projet, elle réclama à la Commission l’autorisation de pro-roger de trois ans la date de livraison de ces transporteurs, ceque le règlement n° 1540/98 permettait en cas de circonstancesexceptionnelles ou de complexité technique. Or, au momentdu contrôle effectué par la Commission sur la prorogation dece délai de livraison, s’est posée la question de l’applicationde la doctrine Deggendorf, puisque le chantier naval en causeavait également été récipiendaire du crédit d’impôt accordépar l’Espagne aux chantiers navals espagnols, dont la Com-mission avait constaté l’incompatibilité avec le Traité et or-donné sans succès la récupération. Toutefois, la Commissionn’impose pas le remboursement préalable de l’aide. Pour cefaire, elle constate que, « dans la présente affaire, elle n’a pasà se prononcer sur l’éventuel effet de cumul sur le montant del’aide à autoriser, mais simplement sur l’existence de condi-tions spécifiques justifiant une prorogation ». En d’autres termes,elle exclut l’application de la doctrine Deggendorf dans la me-sure où elle était confrontée non pas à une aide nouvelle maisà la prorogation d’une aide existante. Or, pour des raisons as-sez similaires à celles précédemment envisagées, il est loisiblede s’interroger sur le choix de la Commission et ce, d’autantplus qu’en l’espèce, le refus d’autoriser la prorogation du dé-lai aurait eu pour effet de faire tomber ab initio l’aide dansl’incompatibilité et d’imposer sa récupération. On peut en ef-fet s’interroger sur la pertinence économique d’un tel raison-nement ainsi que sur sa justification notamment au regard dela ratio legis de la doctrine Deggendorf.Malgré certaines incertitudes pesant essentiellement sur lechamp d’application de la jurisprudence Deggendorf, une évi-dence s’impose : les États membres dispensateurs ainsi queles entreprises récipiendaires (potentielles) prennent une partactive dans le bon déroulement de la procédure de contrôleet ce, tout particulièrement lorsque la doctrine Deggendorf estsusceptible d’être mise en œuvre. Leur diligence au cours dela procédure de contrôle conditionne grandement la fluiditéet la célérité des procédures devant la Commission.

II. – DES IMPLICATIONS PRATIQUES DE LA DOCTRINEDEGGENDORF

La démonstration de l’absence de soutien préalable, la preuvedu remboursement total d’une aide préalablement déclarée

incompatible (Déc. Comm. CE n° 2004/170, 21 oct. 2003, concernant les aides à larecherche et développement pour le site de Zamudio (Pays basque) que l’Espagne a envi-sagé de mettre à exécution en faveur de l’entreprise Industria de Turbo Propulsores, SA; parremboursement total, il convient d’entendre le remboursement des sommes versées ou ob-tenues assorties du taux d’intérêt calculé conformément aux articles 9 à 11 du règlementn° 794/2004, JOUE 30 avr. 2004, n° L 140) ou encore l’engagement del’État de ne pas procéder au versement de nouvelles aides tantque les précédentes n’ont pas été remboursées sont autantd’éléments à même de libérer l’État dispensateur et l’entre-prise récipiendaire de l’aide du joug de la doctrine Deggen-dorf. Toutefois, pour ce faire, la Commission doit obtenir lacoopération non seulement de l’État dispensateur, mais éga-lement celle des entreprises dont elle sait ou envisage qu’ellesaient pu être bénéficiaires d’une aide préalable déclarée in-compatible. Cette exigence de coopération loyale fait peser,tant sur l’État que sur le récipiendaire (éventuel), une respon-sabilité qui doit modeler leurs relations respectives avec laCommission européenne.

A. – La responsabilité déterminante de l’Étatdispensateur

De jurisprudence constante, l’État membre qui demande àpouvoir octroyer des aides en dérogation aux règles du Traitéest tenu à un devoir de collaboration envers la Commission,en vertu duquel il lui incombe, notamment, de fournir tousles éléments de nature à permettre à cette institution de véri-fier que les conditions de la dérogation sollicitée sont rem-plies (CJCE, 28 avr. 1993, aff. C-364/90, Italie c/ Commission, pt. 20, Rec. CJCE, I, p. 2097;TPICE, 15 juin 2005, aff. T-171/02, Regione autonoma della Sardegna c/ Commission, pt. 129,Rec. CJCE, II, p. 2123). Ce devoir de coopération loyale fait donc del’État dispensateur l’acteur majeur du bon déroulement de laprocédure de contrôle, spécialement lorsque la doctrine Deg-gendorf est susceptible d’être mise en œuvre.Ne pouvant disposer par elle-même des éléments nécessairespour s’assurer que la nouvelle aide n’emporte pas d’effet cu-mulatif ni de distorsion de concurrence et ce, tout particuliè-rement lorsque sont en cause des régimes d’aides dont les bé-néficiaires et le montant des soutiens peuvent s’avérer délicatsà identifier, la Commission doit essentiellement s’appuyer surles États membres dont elle ne saurait admettre qu’ils tirentparti de leur propre turpitude.La diligence de ce dernier dispensateur ou, au contraire, sa mau-vaise volonté et/ou sa réticence à fournir les informations utilesà la Commission conditionne ainsi si ce n’est le sens de la dé-cision de la Commission au moins la célérité de la procédure.La pratique décisionnelle de la Commission révèle ainsi que,même en cas d’absence de récupération préalable d’une aidedéclarée incompatible, la bonne volonté et la diligence desÉtats dispensateurs permettent un traitement aisé si ce n’estrapide des demandes d’autorisation d’aides dont la compati-bilité par elle-même ne pose pas de difficulté. À titre d’exemple,nombreuses sont les décisions dans lesquelles la Commissiona conditionné la compatibilité de l’aide au respect par l’Étatd’engagements de nature à assurer le remboursement desaides incompatibles préalablement au versement de toute aidenouvelle, le plus souvent en transformant l’engagement del’État en condition de compatibilité de l’aide notifiée. Ainsi,elle a pu autoriser l’aide française à FagorBrandt alors mêmeque cette dernière demeurait redevable de l’aide née de l’ar-ticle 44 septies du Code général des impôts (Déc. Comm. CE n° 2004/343,16 déc. 2003, JOUE 16 avr. 2004, n° L 108, Dr. fisc. 2003, n° 272, concernant le régimed’aides d’État mis à exécution par la France concernant la reprise d’entreprises en diffi-culté). De manière plus topique encore, dans l’affaire du planfrançais de sauvetage et de restructuration des entreprises de

AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 49

pêche en difficulté (Déc. Comm. CE n° C (2008) 5067 final, 8 oct. 2008, concer-nant l’aide d’État n° NN 9/2008), la Commission a même pu faire lechoix de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen, non-obstant le fait que les aides en cause concernaient des entre-prises qui, pour la plupart, avaient déjà bénéficié du Fondsde prévention des aléas pêche mis en place en 2004 pour com-penser partiellement les coûts de carburant supportés par lesentreprises de pêche, et au sujet duquel la Commission arendu, le 20 mai 2008, une décision négative accompagnéed’un ordre de récupération (Aide d’État n° C9/20066). Pour ce faireet ainsi permettre un versement rapide et surtout légal desaides en cause, elle s’est contentée de prendre acte d’engage-ments (immédiats) de la France. Alors même qu’elle consta-tait être dans l’impossibilité d’évaluer l’effet cumulatif desaides antérieures et des aides relevant du régime d’aides encause et leur incidence sur le Marché commun en matière dedistorsion de la concurrence, dans la mesure où la Francen’avait pas communiqué la liste des entreprises bénéficiairesni informé de l’état d’avancement desprocédures de recouvrement, elle prendacte des engagements des autorités fran-çaises « lors de la mise en œuvre du pré-sent régime d’aides, à vérifier si les bé-néficiaires de ce régime ont perçu desaides déclarées illégales et incompatiblespar une décision de la Commission et,dans l’affirmative, à procéder au recou-vrement de ces aides majorées des inté-rêts correspondants avant le paiementdes nouvelles aides » et décide que, « apriori, les aides que la France envisagede verser dans le cadre du présent régime d’aides n’auront pasl’effet cumulatif et l’impact sur le marché commun en termesde distorsion de concurrence que l’application de la jurispru-dence Deggendorf permet d’éviter » (ibid., pts. 76 à 79).Si la coopération loyale et poussée de l’État dispensateur està même d’accélérer sensiblement l’adoption d’une décisionpositive au bénéfice tant de l’État que des entreprises réci-piendaires, la mauvaise volonté de celui-ci peut en revanchegénérer un allongement bien inutile et préjudiciable des pro-cédures. Il en va tout particulièrement ainsi lorsque l’ouver-ture de la procédure formelle est justifiée uniquement par lemanque de loyauté de l’État dispensateur vis-à-vis de la Com-mission. En effet, si, le plus souvent, l’absence de recouvre-ment d’une aide préalablement déclarée incompatible ou àtout le moins d’engagements de l’État en ce sens constitueune cause parmi d’autres justifiant l’ouverture de la procé-dure formelle de l’article 88, paragraphe 2, CE (Déc. Comm. CEn° C (2008) 4777 final, 10 sept. 2008, concernant l’aide d’État n° C39/2008 (ex N 148/2008) –Roumanie/aide à la formation à Ford Craiova), il n’est pas exclu qu’elle puisseen être la justification exclusive. En ce sens, l’affaire de l’aideitalienne à AEM Torino, sous commentaire, est topique. Alorsmême que la Commission n’avait aucun doute sur la compa-tibilité du soutien à AEM Torino – puisqu’elle constatait quela méthode utilisée pour calculer le montant des coûts échouésainsi que le calcul lui-même correspondaient à toutes les in-dications figurant dans la Communication relative à la mé-thodologie d’analyse des aides d’État liées à des coûts échoués,elle ouvrit la procédure formelle pour la seule raison que « l’Ita-lie n’a pas précisé si elle a déjà récupéré l’aide antérieure quel’AEM Torino a, selon toute probabilité, reçue ». Dès lors, il estloisible de s’interroger sur les raisons qui peuvent poussercertains États dispensateurs à s’engager dans la voie de l’af-frontement avec la Commission lors des procédures de contrôle

(Déc. Comm. CE n° 2008/208, 23 oct. 2007, concernant l’aide d’État n° C 30/2006 (ex N367/05 et N 623/05) que l’Italie entend mettre en œuvre en modifiant un régime existantde réduction des droits d’accises sur les biocarburants : à l’occasion de l’examen de ce mé-canisme d’aide, l’Italie a refusé, au stade de l’examen préliminaire, de satisfaire à la de-mande de la Commission de suspendre le versement de cette aide aux entreprises qui n’avaientpas encore remboursé un certain nombre d’autres aides illégales déclarées incompatibles,ce qu’elle ne pourra accepter qu’au cours de la procédure formelle d’examen; Déc. Comm.CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, concernant l’aide d’État n° C 11/06 (ex N 127/05) que l’Ita-lie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino : l’Italie n’a pas répondu à la lettrequi lui annonçait l’ouverture de la procédure formelle d’examen). Et ce, d’autantplus que ce comportement va à l’encontre de leurs propresintérêts et préjudicie in fine aux entreprises qu’ils entendentsoutenir. Dans le meilleur des cas, ces derniers doivent pa-tienter jusqu’à l’issue de la procédure formelle d’examen, saufà accepter une aide qui sera grevée d’une illégalité suscep-tible d’être sanctionnée par le juge national, soit par la récu-pération intégrale de l’aide assortie d’intérêts soit, en cas dedécision de compatibilité passée en force de chose décidée,

au mieux par le paiement d’intérêts pourla période d’illégalité (sur ce point, cf. CJCE,12 févr. 2008, aff. C-199/06, CELF, préc.).Enfin, il importe de relever que, si lemanque de diligence ou la mauvaise vo-lonté de l’État peuvent retarder considé-rablement et inutilement les procédures,ils n’ont à ce jour jamais justifié à euxseuls une déclaration d’incompatibilité.Ainsi, ils confortent la Commission dansson appréciation de l’incompatibilité d’unmécanisme de soutien plus qu’ils ne lamotivent (Déc. Comm. CE n° 2007/499, 21 févr. 2007,

concernant l’aide d’État n° C 16/2006 (ex NN 34/2006) de la Région de Sardaigne en faveurde la Nuova Mineraria Silius SpA; Déc. Comm. CE n° 2002/783, 12 mars 2002, relative àl’aide d’État n° C 62/2001 (ex NN 8/2000) accordée par l’Allemagne en faveur de Neue ErbaLautex GmbH et Erba Lautex GmbH in Gesamtvollstreckung). À titre d’exemple,dans l’affaire Euromoteurs (Déc. Comm. CE n° 2006/747, 26 avr. 2006), laCommission adopte une approche décentrée en retenant que« l’aide notifiée et le plan de restructuration l’accompagnantne prennent pas en compte la possibilité du remboursement del’aide illégale et incompatible qu’Euromoteurs a perçue en vertude l’article 44 septies (…) [Or] ce remboursement va aggraverles problèmes financiers de l’entreprise et la Commission consi-dère que, dans ces conditions, le plan ne peut être considérécomme réaliste » (pt. 51).

B. – La responsabilité concurrente des entreprisesrécipiendaires

Traditionnellement considérés comme de simples « sourcesd’informations » de la Commission (CJCE, 12 juill. 1973, aff. 70/72, Com-mission c/ Allemagne, pt. 19, Rec. CJCE, p. 813; CJCE, 20 mars 1984, aff. 84/82, Allemagnec/ Commission, pt. 13, Rec. CJCE, p. 1451; TPICE, 10 avr. 2003, aff. T-366/00, Scott c/ Com-mission, pt. 59, Rec. CJCE, II, p. 1763) et partant réduits à la portion congrue(sur une lente amélioration de leur statut, cf. Karpenschif M., De nouveaux droits pour lesentreprises bénéficiaires d’aides dans le contentieux communautaire des aides d’État?, RLDA2005/4, n° 203; TPICE, 29 mars 2007, aff. T-366/00, Scott c/ Commission, Rec. CJCE, II,p. 797, Muguet-Poullennec G., Vers une redéfinition de la pratique de la Commission en ma-tière d’aides d’État?, RLC 2007/12, n° 832), les bénéficiaires potentiels d’uneaide projetée ne doivent pas pour autant en délaisser la pro-cédure de contrôle des aides d’État.Comme la juridiction communautaire a eu l’occasion de lepréciser et malgré un statut peu enviable, ils sont néanmoinssoumis à une obligation de coopération loyale similaire à celles’imposant aux États membres. Il a en ce sens été jugé que,dès lors que la décision d’ouvrir la procédure prévue à l’ar-

ACTU

ALITÉSAIDES D’ÉTAT

Si le manque de diligenceou la mauvaise volonté

de l’État peuvent retarderconsidérablement

et inutilementles procédures, ils n’ontà ce jour jamais justifié àeux seuls une déclaration

d’incompatibilité.

ÉCLAIRAG

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50 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

ticle 88, paragraphe 2, CE contient une analyse préliminairesuffisante de la Commission exposant les raisons pour les-quelles elle éprouve des doutes quant à la compatibilité desaides en cause avec le marché commun, il revient non seule-ment à l’État membre mais également au bénéficiaire poten-tiel d’apporter les éléments de nature à démontrer que cesaides sont compatibles avec le marché commun et, éventuel-lement, de faire part de circonstances spécifiques relatives auremboursement d’aides déjà versées, dans le cas où la Com-mission viendrait à exiger celui-ci (TPICE, 4 janv. 2004, aff. T-109/01, Fleu-ren Compost c/ Commission, pt. 45, Rec. CJCE, II, p. 127; TPICE, 18 nov. 2004, aff. T-176/01,Ferriere Nord c/ Commission, pts. 93 et 94, Rec. CJCE, II, p. 3931).Les entreprises récipiendaires sont ainsi amenées à devoircontribuer au bon déroulement de la procédure de contrôlevoire éventuellement à palier l’inertie des États dispensateurs,tout particulièrement lorsque la doctrine Deggendorf est ac-tionnée par la Commission. Le Tribunal ayant conclu que l’ab-sence d’effet cumulé des aides illégales antérieures et des aidesnouvelles faisant partie intégrante de l’examen général decompatibilité de l’aide proposée (pt. 103), « il en résulte quel’obligation pesant (…) sur l’entreprise potentiellement béné-ficiaire d’aides nouvelles d’apporter à la Commission les élé-ments de nature à démontrer que ces aides sont compatiblesavec le marché commun (…) s’étend également à la nécessitéd’établir l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle avec desaides antérieures illégales et incompatibles avec le marché com-mun et non remboursées ».En pratique, et même si la bonne volonté démontrée du réci-piendaire des aides incompatibles de rembourser ces dernièresn’est en principe pas de nature à contrebalancer l’inertie del’État dispensateur en matière de récupération et ainsi de per-mettre de faire pièce à l’application de la doctrine Deggendorf(Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, pt. 80, concernant l’aide d’État n° C 11/06(ex N 127/05) que l’Italie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino), la bonnevolonté manifestée par celui-ci au cours de la procédure de

contrôle est, au contraire, tout à son avantage. Notammentlorsque sont en cause des régimes d’aides pour lesquels les bé-néficiaires ainsi que le montant des soutiens ne sont pas ou dif-ficilement identifiables et que l’État fait preuve de peu ou pasde diligence, l’entreprise récipiendaire de l’aide nouvelle peut,voire doit, apporter tous les éléments permettant à la Commis-sion de s’assurer de l’absence d’aide préalable dans le chef durécipiendaire de l’aide nouvelle (Déc. Comm. CE n° 2007/508, 6 déc. 2006,spéc. pt. 49, concernant l’aide d’État C 22/06 (ex N 615/05) que l’Italie envisage de mettre àexécution en vue de la réduction du taux de taxation des émulsions d’eau) ou du rem-boursement de celle-ci. Naturellement et même si les textesn’envisagent pas cette hypothèse, il nous paraît évident qu’unetelle démarche réalisée au cours de la procédure préliminairedans une hypothèse telle que celle de l’affaire AEM Torino està même d’éviter l’ouverture de la procédure formelle de l’ar-ticle 88, paragraphe 2, CE, soit si les doutes de la Commissiontiennent uniquement à un défaut d’information (Déc. Comm. CEn° 2006/598, 16 mars 2005, préc.), soit si cela conduit l’État dispensateurà rapidement s’engager à ne pas procéder au versement del’aide nouvelle tant que l’aide incompatible préalable n’a pasété récupérée.Toutefois, il paraît bien délicat d’évaluer dans quelle mesureles entreprises récipiendaires sont susceptibles de contreba-lancer l’inertie totale de l’État dispensateur dans la récupéra-tion d’une aide incompatible préalable. La jurisprudence duTribunal qui insiste sur le fait que la doctrine Deggendorf s’ap-plique à raison de l’inexécution de l’ordre de récupération parl’État et non de l’absence de remboursement par l’entrepriserécipiendaire (pt. 84) tend à placer l’entreprise récipiendaire debonne volonté dans une impasse. Mais, en sens contraire, lapratique de la Commission semble laisser plus d’espoir dansla mesure où elle paraît réserver l’hypothèse où l’entrepriserécipiendaire viendrait, de sa propre initiative, à constituerune réserve sur un compte bloqué (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars2005, préc., spéc. pt. 80). ◆

AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

Déc. Comm. CE n° C (2008) 5995 final, 21 oct. 2008, concer-nant l’aide d’État n° C 44/2007 (ex N 460/2007) que laFrance envisage de mettre à exécution en faveur de l’en-treprise FagorBrandt

Déc. Comm. CE n° C (2008) 5067 final, 8 oct. 2008, concer-nant l’aide d’État n° NN 9/2008 – France/Plan de sauve-tage et de restructuration des entreprises de pêche en dif-ficulté

Déc. Comm. CE n° C (2008) 4777 final, 10 sept. 2008,concernant l’aide d’État n° C39/2008 (ex N 148/2008) –Roumanie/aide à la formation à Ford Craiova

Déc. Comm. CE n° 2008/408, 20 nov. 2007, concernantl’aide d’État n° C 36/A/06 (ex NN 38/06) mise à exécu-tion par l’Italie en faveur de ThyssenKrupp, Cementir etNuova Terni Industrie Chimiche

Décision de compatibilité à l’issue de la procédure prélimi-naire sous condition de remboursement préalable

Décision de compatibilité à l’issue de la procédure prélimi-naire, sans condition (mais engagement de l’État françaisde vérifier si les bénéficiaires de ce régime ont perçu desaides déclarées illégales et incompatibles par une décisionde la Commission et, dans l’affirmative, de procéder au re-couvrement de ces aides majorées des intérêts correspon-dants avant le paiement des nouvelles aides)

Décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen

Décision d’incompatibilité

RECENSION DES DÉCISIONS DE LA COMMISSION APPLIQUANT LA DOCTRINE DEGGENDORF

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 51

Déc. Comm. CE n° 2008/208, 23 oct. 2007, concernantl’aide d’État n° C 30/2006 (ex N 367/05 et N 623/05)que l’Italie entend mettre en œuvre en modifiant unrégime existant de réduction des droits d’accises sur lesbiocarburants

Déc. Comm. CE n° 2007/375, 7 févr. 2007, concernant l’exo-nération du droit d’accise sur les huiles minérales utiliséescomme combustible pour la production d’alumine dans larégion de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sar-daigne, appliquée respectivement par la France, l’Irlandeet l’Italie [C 78/2001 (ex NN 22/01), C 79/200 (ex NN 23/01),C 80/2001 (ex NN 26/01)] [notifiée sous le numéro C (2007)286] : compatibilité (suspension jusqu’à remboursement)

Déc. Comm. CE n° 2007/508, 6 déc. 2006, concernant l’aided’État C 22/06 (ex N 615/05) que l’Italie envisage de mettreà exécution en vue de la réduction du taux de taxation desémulsions d’eau

Déc. Comm. CE n° 2007/499, 21 févr. 2007, concernantl’aide d’État n° C 16/2006 (ex NN 34/2006) de la Régionde Sardaigne en faveur de la Nuova Mineraria Silius SpA

Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, concernant l’aided’État n° C 11/06 (ex N 127/05) que l’Italie entend mettreà exécution en faveur de l’AEM Torino

Déc. Comm. CE n° 2006/747, 26 avril 2006, concernantl’aide d’État que la France envisage de mettre à exécutionen faveur d’Euromoteurs

Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars 2005, concernantl’aide d’État que l’Italie – région du Latium – entend mettreen œuvre en faveur de la réduction des émissions de gazà effet de serre

Déc. Comm. CE n° 2005/941, 1er déc. 2004, concernantl’aide d’État que la France envisage de mettre à exécutionen faveur de la société Bull

Décision de compatibilité à l’issue de la procédure formelled’examen, sans condition (mais engagements de l’État ita-lien d’insérer dans l’appel d’offres relatif aux biocarburantsune clause qui subordonne le droit de participation à l’ab-sence de tout cumul avec de précédentes aides illégales etde suspendre le paiement des nouvelles aides lorsque lesbénéficiaires n’ont pas encore remboursé les aides incom-patibles réclamées par la Commission dans sa décisiond’ouverture de la procédure)

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédureformelle d’examen, assortie d’une obligation de suspen-sion de versement jusqu’à remboursement des aides illé-gales et incompatibles

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédureformelle d’examen, sans condition (mais engagement desautorités italiennes de suspendre le paiement de l’aide, dansle cas où en bénéficierait une entreprise qui n’aurait pasencore remboursé ni payé sur un compte bloqué une aideillégale et incompatible reçue sur la base des mesures d’aideénoncées par la Commission dans sa décision d’ouverturede la procédure)

Décision d’incompatibilité

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédureformelle d’examen, sous condition pour l’Italie d’apporterla preuve que l’AEM Torino n’est pas bénéficiaire de l’aideantérieure accordée dans le cadre du régime en faveur des« municipalizzate », déclarée illégale et incompatible avecle traité par la décision n° 2003/193/CE, ou la preuve quel’AEM Torino a remboursé avec les intérêts l’aide antérieureobtenue dans le cadre du régime précitéTPICE 11 févr. 2009, aff. T-25/07, Iride et Iride Energiac/Commission (rejet)

Décision d’incompatibilité

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédureformelle d’examen, sans condition mais l’aide ne peut êtreconcédée avant que l’Italie n’ait fourni la preuve qu’ACEA arestitué l’aide déclarée illégale et incompatible appréciée dansle cadre de la décision n° 2003/193/CE, majorée des intérêtsRecours pendant (n° T-303/05), introduit le 3 août 2005

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédureformelle d’examen, sous condition que l’aide ne sera pasversée avant le remboursement de l’aide au sauvetage ap-prouvée par la décision n° 2003/599/CE

ACTU

ALITÉSAIDES D’ÉTAT

ÉCLAIRAG

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52 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

Déc. Comm. CE n° C (2003) 4069 final, 11 nov. 2003, concer-nant les aides n° N 614/02 en faveur de la réduction desémissions polluantes – Italie, Piémont

Déc. Comm. CE n° 2004/170, 21 oct. 2003, concernant lesaides à la recherche et développement pour le site de Za-mudio (Pays basque) que l’Espagne a envisagé de mettreà exécution en faveur de l’entreprise Industria de TurboPropulsores, SA

Déc. Comm. CE n° 2003/691, 9 juill. 2003, relative à l’aided’État que le Royaume d’Espagne envisage d’accorder sousforme d’aides au fonctionnement liées à la livraison de troisnavires-citernes transporteurs de GNL construits par IZAR

Déc. Comm. CE n° 2002/783, 12 mars 2002, relative à l’aided’État n° C 62/2001 (ex NN 8/2000) accordée par l’Alle-magne en faveur de Neue Erba Lautex GmbH et Erba Lau-tex GmbH in Gesamtvollstreckung

Déc. Comm. CE n° 1999/509, 14 oct. 1998 concernant desaides accordées par l’Espagne aux entreprises du groupeMagefesa et à ses successeurs

Décision de compatibilité à l’issue de la procédure prélimi-naire, avec l’engagement de l’État italien de vérifier si cer-taines entreprises n’avaient pas reçu des aides incompa-tibles préalables et, dans l’affirmative, à ne pas verser l’aideen cause avant récupération de la précédente

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédureformelle d’examen.Non-lieu à s’interroger sur l’application de la jurisprudenceDeggendorf dans la mesure où la preuve du rembourse-ment des aides antérieures a été apportée

Non-lieu à s’interroger sur l’application de la jurisprudenceDeggendorf en l’absence de cumul d’aides, puisqu’était encause non pas une aide nouvelle mais la prorogation d’unmécanisme d’aide existant

Décision d’incompatibilité

Décision d’incompatibilité

AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

AIDES D’ÉTAT1415

Licence UMTS, suite et finLa Cour confirme que l’harmonisation du montantdes redevances UMTS entre les différents opérateurspar la France ne constituait pas une aide d’État.CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-431/07, Bouygues et Bouygues Telecomc/ Commission

Nous avions déjà évoqué dans ces lignes l’affaire des licencesUMTS (Gunther J.-P. et Giraud A., Licence UMTS : modification rétroactive (à la baisse)des conditions tarifaires, RLC 2007/13, n° 907 et Giraud A., Licence UMTS, (suite) : l’avo-cat général propose le rejet du pourvoi de Bouygues par substitution de motifs, RLC 2009/18,n° 1287). Par un arrêt en date du 2 avril 2009, la Cour de jus-tice des Communautés européennes est venue confirmer entous points l’analyse du Tribunal de première instance dansson arrêt du 4 juillet 2007.Pour rappel, en 2000, l’État français avait organisé un appelà candidatures afin d’attribuer quatre licences UMTS. Seulsdeux opérateurs, Orange et SFR avaient répondu à cet appeld’offres et s’étaient vu attribuer des licences. Dans le but d’ac-croître la concurrence dans le secteur, les autorités françaisesavaient jugé utile d’organiser un nouvel appel à candidatures,à des conditions économiques plus intéressantes. Cela a amenéBouygues Telecom à se porter candidate et à se voir attribuerune licence près d’un an et demi après ses concurrentes. En

RLC

parallèle, l’État français a modifié les conditions économiquesapplicables à Orange et SFR, pour les aligner sur celles appli-cables à Bouygues Telecom.Considérant que cet alignement des conditions applicablesaux différents opérateurs constituait une aide d’État au béné-fice de ses concurrents, Bouygues Telecom a déposé une plainteauprès de la Commission. Cette dernière a décidé, en appli-cation de l’article 88 du Traité CE, de ne pas soulever d’ob-jections à l’encontre de la mesure en cause.Saisi d’un recours en annulation formé par Bouygues Tele-com, le Tribunal de première instance a confirmé le contenude la décision de la Commission et a affirmé que la modifica-tion du montant des redevances dues par Orange et SFR pourl’aligner sur celui des redevances dues par Bouygues Telecomne constituait pas une aide d’État incompatible au sens del’article 87 du Traité CE. Plus précisément, le Tribunal a consi-déré que (i) le changement des conditions octroyées à Orangeet SFR, se traduisant par la renonciation par la France à sescréances auprès des opérateurs, était justifié par la nature etl’économie du système instauré par la directive n° 97/13 quiimposait aux États membres l’ouverture à la concurrence dece marché, et (ii) que l’antériorité dont avaient bénéficié Orangeet SFR dans l’octroi de leur licence n’avait en réalité pas pro-fité à ces dernières.Malgré les raisonnements alternatifs proposés par l’avocat gé-néral Trstenjak (Concl. av. gén. Trstenjak, CJCE, 8 oct. 2008, aff. C-431/07, BouyguesSA c/ Commission, cf., à ce propos, Giraud A., Licence UMTS, (suite) : l’avocat général pro-pose le rejet du pourvoi de Bouygues par substitution de motifs, préc.), la Cour a re-pris en tous points ceux du Tribunal.

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 53

1. La renonciation de la France aux créances néesdes conditions de licence initialement accordées à Orangeet SFR était justifiée par la nature et l’économiedu système

La directive n° 97/13 ainsi que la décision n° 128/1999 priseen son application imposaient aux États membres d’introduireles services UMTS sur leur territoire avant un délai fixé et enattribuant les licences dans le respect des principes de libreconcurrence et d’égalité de traitement. La Cour considère dansl’arrêt commenté que les contraintes pesant sur les Étatsmembres avaient imposé à l’État français de réagir comme ill’a fait face au nombre réduit de réponses.En effet, selon la Cour, face à l’insuffisance du nombre de can-didatures présentées pour garantir une concurrence effectivesur le marché, la France n’avait que trois options : (i) reprendreab initio la procédure d’attribution des licences, (ii) lancer unappel d’offres complémentaire sans modifier le montant desredevances dues par Orange et SFR ou (iii) lancer un appeld’offres complémentaire en modifiant les montants dus parOrange et SFR – ce qu’a fait la France.La Cour considère, comme le Tribunal, que l’abandon descréances en cause par la France était rendu inévitable par lanature et l’économie du système entourant ces licences. Eneffet, alors que la reprise de la procédure ab initio aurait en-traîné des retards dans la mise en œuvre de l’ouverture dumarché, le maintien du montant des redevances d’Orange etSFR aurait créé une discrimination entre les opérateurs. Lesdeux premières options devaient donc, selon la Cour, être ex-clues dans la mesure où elles auraient placé la France encontravention avec l’encadrement communautaire des ser-vices de télécommunications.En rejoignant de la sorte le raisonnement du Tribunal, la Coura décidé de ne pas suivre celui qui avait été proposé par l’avo-cat général Trstenjak. Selon ce dernier, l’abandon des créancesdétenues par l’État français auprès d’Orange et SFR ne lui étaitpas imputable car il était rendu nécessaire par le respect dudroit communautaire. L’imputabilité de la mesure à l’État étantune des conditions d’existence d’une aide d’État, cette solu-tion présentait l’avantage de la simplicité. La Cour a préféréconsidérer que l’abandon de créances était justifié par la na-ture et l’économie du système. Ce faisant, elle entérine uneinterprétation inhabituelle, longuement discutée dans ceslignes, de cette justification. Historiquement, les notions de« nature et économie du système », qui permettent d’écarterla qualification d’aide en présence de mesures a priori sélec-tives mais dont le champ d’application répond à une logiquepropre et cohérente, trouvent à s’appliquer en matière fiscaleet se réfèrent à un « système » issu d’une réglementation na-tionale (pour une illustration récente, cf. Ababou D., Condition de sélectivité : le Tribu-nal rappelé à l’ordre, RLC 2009/19, n° 1347). Ici, la Cour propose une inter-prétation de la notion qui s’étendrait hors du champ fiscal etprendrait pour référence un corpus de règles communautaires.

2. L’antériorité des licences accordées à Orange et SFRne les mettait pas dans une situation différente de cellede Bouygues Telecom

La seconde question que soulevaient les faits de l’espèce te-nait à l’existence ou non d’une discrimination entre Orangeet SFR, d’une part, et Bouygues Telecom, d’autre part. La re-quérante considérait en effet que l’abandon de créances de laFrance créait une discrimination entre les opérateurs puisqueleur étaient appliquées des conditions financières identiques

alors qu’ils se trouvaient dans des situations différentes. Se-lon elle, l’antériorité d’allocation des licences UMTS à Orangeet SFR leur conférait une valeur économique supérieure.La Cour rejoint Bouygues Telecom sur le fond de son argu-ment en admettant que « l’antériorité des licences UMTS at-tribuées à Orange et à SFR n’aurait pu justifier, voire exiger,la fixation des redevances y afférentes à un montant supérieurà celui de la redevance due par Bouygues Telecom que si la va-leur économique de ces licences pouvait être considérée, du seulfait de cette antériorité, comme supérieure à celle de la licenceattribuée à cette dernière société » (pt. 115). Cependant, elle consi-dère qu’en l’espèce toutes les licences UMTS ont la même va-leur puisque Orange et SFR n’ont pas pu utiliser ces licenceset entrer sur le marché avant leur concurrent, pour des rai-sons qui leur étaient extérieures (en l’occurrence, des diffi-cultés techniques et un contexte économique peu favorable).Dès lors, l’harmonisation du montant des redevances ne com-portait aucune discrimination en faveur d’Orange et de SFR.Nous avions déjà exprimé ici nos réserves quant à ce raison-nement qui revient à exclure la qualification d’aide d’État auregard d’éléments extérieurs à la mesure en cause, tenant àla question de savoir si le bénéficiaire a, dans les faits, pro-fité de l’avantage qui lui était conféré. Une telle approche vaà l’encontre du fait que la notion d’aide est une notion objec-tive; la qualification d’aide dépend non pas des effets que lamesure a produits mais de ceux qu’elle est susceptible de pro-duire.Si l’argumentation sur laquelle repose cet arrêt nous paraîtcritiquable, la solution dans cette affaire est, elle, justifiée. Ladécision de Bouygues Telecom de ne pas participer au pre-mier appel d’offres, certainement dans l’espoir de voir les prixdes licences baisser, justifie seule la décision de la France deréorganiser une consultation et d’aligner les redevances duespar les opérateurs. Cette circonstance aurait permis unemeilleure justification de la mesure en cause, mais n’a, mal-heureusement, pas été examinée par la Cour.

David TAYAR et Adrien GIRAUDAvocats

1416

Grille d’analysede la compatibilitédes aides d’ÉtatLa Commission organise une consultation sur un projetde grille d’application de l’article 87, paragraphe 3,du Traité CE.Projet de principes communs d’évaluation économique de la compatibilitédes aides d’État en application de l’article 87, paragraphe 3

La Commission est actuellement particulièrement active surle chantier de la réforme du droit des aides d’État. Dans cenuméro, nous faisons état de plusieurs publications commu-nautaires participant de cette logique (voir infra, RLC 2009/20, n° 1417,obs. D.T. et A.G.).Elle a notamment organisé une consultation, qui s’est clôtu-rée le 11 juin 2009, sur un projet de «Principes communs d’éva-luation économique de la compatibilité des aides d’État en ap-plication de l’article 87, paragraphe 3 ».L’article 87, paragraphe 3, du Traité CE prévoit que peuventêtre considérées comme compatibles avec le Marché communles mesures constituant des aides d’État mais contribuant à

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ACTU

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des objectifs d’intérêt commun clairement définis sans faus-ser indûment la concurrence entre les entreprises et les échangesentre États membres. Cette disposition met donc en place unbilan, dont la dimension politique est admise par la Commis-sion elle-même, pour l’évaluation des aides d’État. La Com-mission est seule compétente pour appliquer ce texte. Leséclaircissements qu’elle envisage d’apporter sur sa méthoded’analyse sont donc plus que bienvenus.Le texte est organisé autour des trois étapes de la mise en ba-lance entre les effets positifs – la contribution à atteindre desobjectifs d’intérêt commun – et les effets négatifs de l’aide surles échanges et la concurrence au sein du Marché communselon la Commission. Les étapes du raisonnement consistentà s’assurer que (i) l’aide vise à atteindre un objectif d’intérêtcommun bien défini, (ii) l’aide est appropriée, suffisammentincitative et proportionnée pour atteindre cet objectif et (iii)les distorsions de concurrence sont limitées. La Commissionexplique, pour finir, comment les effets positifs et négatifs del’aide seront mis en balance.La Commission propose dans ce projet une définition et unedescription des « objectifs d’intérêt commun » qui peuvent jus-tifier qu’une aide, par principe interdite, puisse être compa-tible avec le marché commun.La Commission s’est principalement fondée sur la théorie éco-nomique pour définir cette notion d’« objectif d’intérêt com-mun ». Reprenant des concepts largement utilisés en « anti-trust » mais peu usités en droit des aides, la Commission estimequ’une aide sera considérée comme compatible si elle vientremédier à une défaillance du marché (objectifs d’efficacité)ou à une mauvaise répartition du bien-être (objectifs d’équité).Ainsi, selon la Commission, un objectif d’intérêt commun ac-ceptable pour une aide d’État consisterait en la réduction desexternalités négatives (aides environnementales) ou l’aug-mentation des externalités positives (aides pour la recherche-développement) produites par les acteurs du marché ; uneaide compatible pourrait également avoir pour objectif de re-médier à l’imperfection et l’asymétrie de l’information ou auxproblèmes de coordination présents sur le marché. L’État de-vra alors prouver que les défaillances du marché affectent larentabilité du projet qu’il entend financer, à tel point que sansl’aide, ce projet ne serait pas entrepris.Par ailleurs, selon le projet de grille d’analyse, une aide com-patible peut poursuivre des objectifs d’équité. Les marchés,qui sélectionnent les gagnants et les perdants, sont intrinsè-quement porteurs d’inégalités, que l’État peut chercher à cor-riger. Répondent à cet objectif les aides régionales, les aidesau sauvetage et à la restructuration ou les mesures visant àfavoriser l’embauche de travailleurs ayant des difficultés par-ticulières.La seconde étape de l’examen consiste à se demander si l’aideproposée permettra d’atteindre l’objectif d’intérêt commundéfini. Cet exercice se décompose en trois phases. Première-ment, l’aide doit être un moyen d’action apte à atteindre l’ob-jectif poursuivi. Deuxièmement, l’aide doit être suffisammentincitative pour que l’objectif soit effectivement atteint ; à cetégard, l’État membre devra comparer la situation sans l’aideet celle avec l’aide pour démontrer son effet incitatif. Troisiè-mement, l’État devra démontrer que le même résultat n’au-rait pu être atteint grâce à une aide d’un montant moindre oucréant des distorsions de concurrence moins importantes.La troisième étape du raisonnement consiste à rechercher lespotentiels effets négatifs de l’aide sur la concurrence et surles échanges au sein du marché commun. La Commissionidentifie trois manières dont une aide peut causer une distor-

sion de concurrence. L’aide peut limiter les profits des concur-rents du bénéficiaire et donc réduire leur propension à inves-tir et à se faire concurrence. L’aide peut aussi, en réduisantles coûts de certains intrants (main-d’œuvre ou coût d’éta-blissement, par exemple), nuire aux fournisseurs d’intrantsconcurrents. La Commission indique qu’elle sera particuliè-rement sensible aux distorsions entre les États membres quipeuvent notamment découler d’aides régionales.Aux termes du projet, l’évaluation des effets négatifs des aidesconsistant en une détermination des potentielles distorsionsde concurrence, elle nécessitera l’identification des produits,consommateurs et concurrents affectés. Sans affirmer quel’analyse des aides d’État supposera une délimitation du mar-ché pertinent, exercice aujourd’hui réservé à l’application desarticles 81 et 82 du Traité CE, il semble que la Commissionsuggère qu’une telle analyse pourrait entrer en ligne de compte.Enfin, la Commission tente de proposer une méthodologie demise en balance des effets positifs et négatifs de l’aide. Elleadmet que cet exercice peut s’avérer très délicat, notammentparce qu’il est difficile, voire impossible, d’évaluer l’ampleurdes effets d’une aide. La Commission se contente donc defournir une liste d’« indicateurs opérationnels », de cas danslesquels la Commission prendra une décision positive ou né-gative. Par exemple, la Commission indique qu’elle se pro-noncera certainement contre la compatibilité d’une aide com-portant des distorsions de concurrence quasi certaines et neprofitant qu’à son bénéficiaire, lorsqu’il s’agit d’une aide aufonctionnement ou encore lorsque le montant de l’aide estimportant, alors que ses effets positifs seront restreints. En re-vanche, la Commission adoptera une position plus favorablesi l’aide, par exemple, va nécessairement engendrer des effetspositifs très importants, profitant à de nombreux États membreset à l’intérêt commun européen ou si elle ne fausse pas sub-stantiellement le fonctionnement du marché commun en in-troduisant des disparités significatives entre les entreprisesétablies dans différentes régions ou dans différents Étatsmembres. La Commission prend évidemment la précautionde souligner que la liste fournie n’est pas exhaustive et qu’au-cun des indicateurs n’est autosuffisant. Elle propose enfin auxÉtats membres une liste de mesures correctives qui permet-traient d’admettre plus facilement la compatibilité d’une aide.

Jacques-Philippe GUNTHERAvocat

Dounia ABABOUJuriste

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Communication de laCommission relativeà l’application des règlesen matière d’aides d’État parles juridictions nationalesLa Commission a publié, au Journal officiel de l’Unioneuropéenne en date du 9 avril 2009, une« Communication relative à l’application des règles enmatière d’aides d’État par les juridictions nationales ».Communiqué Comm. CE n° IP/09/316, 25 févr. 2009, JOUE 9 avr., n° C 85

Cette Communication vient remplacer celle de 1995. Enpresque quinze ans, la législation et la jurisprudence com-

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munautaire ont connu des évolutions majeures sur despoints ayant une incidence directe sur l’application dudroit des aides d’État par les juridictions nationales, commepar exemple l’évolution jurisprudentielle qui a mené auxarrêts SFEI (CJCE, 11 juill. 1996, aff. C-39/94, SFEI e.a. c/ La Poste e.a., Rec.CJCE, I, p. 3547) et CELF (CJCE, 12 févr. 2008, aff. C-199/06, CELF et ministrede la Culture et de la Communication c/ SIDE, Rec. CJCE, I, p. 469) sur le rôledes juridictions nationales en matière de récupération desaides d’État ou encore aux différents règlements d’exemp-tion par catégorie, comme le règlement général d’exemp-tion par catégorie (JOUE 9 août 2008, n° L 214). Cette nouvelleCommunication fait également suite à une étude menéeen 2006 sur l’application au niveau national du droit desaides d’État et constatant la rareté des actions contre lesaides illégales.Bien plus approfondie que l’ancienne version, la Commu-nication de la Commission s’articule autour de deux axes.D’abord, la Commission propose aux juridictions un « moded’emploi » du droit des aides d’État. Cette partie, qui mé-rite d’être saluée pour sa clarté et son aspect pédagogique,passe rapidement sur les conditions de l’existence d’uneaide d’État, renvoyant à la jurisprudence, pour insister surle rôle des juridictions nationales lorsqu’elles sont confron-tées à des aides illégales (non notifiées à la Commission).En particulier, la Commission consacre de longs dévelop-pements au rôle des juridictions nationales en matière derécupération des aides et souligne avec insistance la pos-sibilité d’actions en dommages et intérêts à l’encontre del’État membre. La Commission fait également référence àla possibilité pour les juridictions nationales de prendredes mesures provisoires pour empêcher le versement d’uneaide illégale.

La seconde partie de la Communication porte sur les moda-lités de coopération entre la Commission et les juridictionsnationales. Ces dernières peuvent recourir à la Commissionpour, à certaines conditions, obtenir communication de do-cuments en sa possession ou la consulter sur une questionrelative au droit des aides d’État.On pourra regretter que cette Communication ne prenne encompte que les droits des plaignants devant les juridictionsnationales. Le but avoué de cette Communication est defavoriser les actions nationales à l’encontre des aides d’Étatillégales et elle ne contient que peu d’informations sur lesdroits des États et des bénéficiaires des aides devant lesjuridictions nationales.Enfin, l’orientation générale du projet, principalement tournévers l’objectif d’assurer l’effectivité du droit communautairedes aides d’État, malmène quelque peu le principe d’auto-nomie procédurale des États. En effet, les actions devant lesjuridictions nationales sont normalement, du fait du prin-cipe de l’autonomie procédurale des États, soumises auxrègles de procédure nationales. Or la Communication pro-pose, en point 41, d), une interprétation contestable du prin-cipe d’effectivité, une branche du principe de l’autonomieprocédurale, au terme de laquelle les règles de procédurenationales plus sévères doivent primer sur les règles de pro-cédure communautaires. Il n’est pas certain que ce principeimpose aux juridictions internes d’appliquer les règles na-tionales les plus strictes s’il existe des règles procéduralescommunautaires. Par ailleurs, cela revient à traiter différem-ment des contentieux parfaitement équivalents au seul mo-tif qu’ils relèvent d’autorités distinctes (le juge national etla Commission).

D.T. et A.G.

ACTU

ALITÉSAIDES D’ÉTAT

56 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

Dans l’organisation réglementaire de l’exer-cice des professions, « les garanties et lesprincipes fondamentaux qui sont en causedoivent nécessairement être appréciésdans le cadre des mesures qui ont été

prises », dans tel secteur de la vie économique, par la légis-lation antérieure (CE, 28 oct. 1960, n° 48.293, Martial de Laboulaye, Rec. CE1960, p. 570, AJDA 1961, p. 20, concl. Heumann C., Dr. soc. 1961, p. 141, concl. et noteTeitgen P.-H.). À cet égard, l’on sait que la théorie jurispruden-tielle de « l’état de la législation antérieure » permet au pou-voir réglementaire autonome de prévoir des prescriptionscomplémentaires de celles posées par la loi, dès lors que le

législateur est préalablement intervenu pour aménager l’exer-cice d’une profession.Une telle jurisprudence se comprend, dans le contexte dela répartition des compétences normatives propres à laVe République, en mettant en perspective l’article 34 dela Constitution qui réserve au pouvoir législatif le soin defixer les règles concernant « les garanties fondamentalesaccordées aux citoyens pour l’exercice des libertéspubliques » et les possibilités antérieures d’exercice dupouvoir réglementaire (cf. Cons. const., 27 nov. 1959, n° 59-1, Rec. Cons.const., p. 71, D. 1960, p. 55, chron. Hamon L., RFD publ. 1960, p. 1012, comm.Waline M., GDCC, 4e éd., p. 70).

Profession réglementée :la théorie de « l’état de lalégislation antérieure » ne vautque pour les dispositionslégislatives adoptées avant 1958L’étendue du pouvoir réglementaire ne peut être appréciée dans le cadre des limitationsde portée générale qui ont été apportées par la loi aux garanties et principes fondamentauxpour l’exercice des libertés publiques, dès lors que le législateur est intervenu pour encadrerla profession en cause non pas avant la Constitution de 1958 mais sous empire.

CE, 21 nov. 2008, n° 293960, Association Faste Sud Aveyron1418

Par GuylainCLAMOUR

RLC

En tête de rubrique, le projecteur est placé sur une importante décision du Conseil d’État cantonnantla théorie de « l’état de la législation antérieure » qui permet au pouvoir réglementaire d’apporter desrestrictions à l’exercice des professions dès lors que le législateur a précédemment ouvert la voie. Alors

qu’un arrêt Benkerrou de 2004 laissait entendre que cette théorie trouvait à s’appliquer à toute hypothèsed’intervention législative quelle qu’en soit la date, l’arrêt rapporté du 21 novembre 2008 vient utilementla ramener dans son contexte en limitant sa portée aux législations adoptées antérieurement à l’entrée envigueur de la Constitution de la Ve République.Outre cette jurisprudence de poids, l’actualité est marquée, toujours du côté des juridictions administratives, parune application de la liberté du commerce et de l’industrie et des règles de concurrence à une mesure de policeadministrative réglementant l’activité des bateaux-mouches, par une question de concurrence publique dans lesÎles Loyauté, appréciée dans un cadre juridique formellement dépassé ou encore par un problème dedérogation à la règle du repos dominical.Du côté des autorités de concurrence, l’on retiendra, outre la compétence de l’Autorité pour connaîtredes pratiques d’un Conseil de l’Ordre, les mesures conservatoires adoptées à l’égard d’EDF afin d’imposerune séparation de la communication commerciale entre les activités de service public et celles d’une filialeconcurrentielle. Enfin, la Cour de justice a confirmé, à propos d’Eurocontrol, qu’une activité n’est pas économiquedès lors qu’elle implique l’exercice de prérogatives typiquement de puissance publique.Guylain CLAMOUR et Stéphane DESTOURS

CONCURRENCE ET DROIT PUBLICSous la responsabilité de Guylain CLAMOUR, Professeur à l’Université Montpellier I, Directeur du Master II Contratspublics et partenariats, Codirecteur du Magistère Droit public des affaires, Stéphane DESTOURS, Maître de conférencesà l’Université Montpellier I, Avocat au barreau de Montpellier et Philippe TERNEYRE, Professeur agrégé de droit public,Université de Pau et des Pays de l’Adour, Consultant auprès d’entreprises et de collectivités publiques

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Toutefois, un important arrêt Benkerrou de 2004 a pu lais-ser penser que la théorie de l’état de la législation antérieuren’était pas cantonnée, dans une logique transitoire, aux lé-gislations antérieures à 1958, mais s’étendait à toute inter-vention législative sur une profession donnée, y compris in-tervenue sous l’empire de la Constitution de la Ve République.Ainsi, dans cette affaire Benkerrou, le Conseil d’État a-t-il puretenir que si, « au nombre des libertés publiques, dont lesgaranties fondamentales doivent, en vertu de la Constitution,être déterminées par le législateur, figure le libre accès, parles citoyens, à l’exercice d’une activité professionnelle n’ayantfait l’objet d’aucune limitation légale », la « profession deconducteur de taxi a le caractère d’une activité réglementée »et, qu’en conséquence, « il était loisible à l’autorité investiedu pouvoir réglementaire de fixer, en vertu des pouvoirs qu’elletient de l’article 37 de la Constitution, des prescriptions com-plémentaires de celles résultant de la loi du 20 janvier 1995 »(CE, ass., 7 juill. 2004, n° 255136, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et desLibertés locales c/ Benkerrou, Rec. CE 2004, p. 298, RFDadm. 2004, p. 913, concl. Guyomar M., RFD adm. 2004,p. 1130, note Degoffe M., Dr. adm. 2004, comm. 155, noteBreen E., AJDA 2004, p. 1695, chron. Landais C. et Lenica F.,CJEG 2004, p. 543, note MV, RFD publ. 2005, p. 200, obs.Guettier C.).Des commentateurs avisés avaient alorspu faire état d’une « théorie renouve-lée » de l’état de la législation antérieureen soulignant que « jusqu’alors, l’inter-vention du législateur relevée commepermettant au pouvoir réglementaired’intervenir à son tour était antérieureà l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958. Or, en l’es-pèce, et même si la profession de conducteur de taxi est ré-glementée par la loi depuis 1937, l’Assemblée du contentieuxn’a fait mention dans sa décision que de la loi du 20 jan-vier 1995 relative à l’accès à l’activité de conducteur de taxiet à la profession d’exploitant de taxi. Il est donc raisonnablede penser que le Conseil d’État a choisi d’abandonner lacondition d’antériorité à l’actuelle Constitution de l’inter-vention législative. C’est en tout cas la solution que préconi-sait le Commissaire du gouvernement, qui n’y voyait nulobstacle théorique. Et, de fait, la théorie de l’état de la légis-lation antérieure semble reposer sur l’idée qu’il convient quele législateur ait “ouvert la voie” afin que l’autorité régle-mentaire puisse appliquer, prolonger, aménager, complétersans, naturellement, en altérer la nature, des restrictions delibertés déjà légalement consacrées. Dans ces conditions, l’in-tervention de la Constitution de 1958 paraît sans incidencesur la théorie ; l’important est que le législateur soit inter-venu, peu importe qu’il l’ait fait avant ou après 1958 » (Lan-dais C. et Lenica F., chron. sous l’arrêt préc., AJDA 2004, p. 1695).Ce faisant, l’on pouvait résumer la question en retenantgénéralement que, « dans le cas d’une profession réglemen-tée, ou plutôt initialement légiférée, la liberté ne peut plusêtre invoquée même là où la loi était restée muette » et qu’ilsuffit « que le législateur ait ainsi ouvert la voie concernantune profession pour que le pouvoir réglementaire puisse ap-porter d’autres restrictions, y compris d’une autre nature,à cette liberté professionnelle » (Lombard M., La protection de la libertéd’entreprendre dans le cadre du référé-liberté : un cas effectivement à part, Dr. adm.2004, comm. 179).Mais une telle solution, détachée de ses racines originelles(sur lesquelles cf. de Villiers M., La jurisprudence de « l’état de la législation antérieure »,AJDA 1980, p. 387) et critiquée en conséquence (cf. Alcaraz H., La théo-

rie de « l’état de la législation antérieure » et la protection des droits et libertés, in Re-nouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz,p. 1453) n’était satisfaisante ni pour la portée des compétencesdu législateur ni pour une protection effective des garantiesà apporter à l’exercice des libertés publiques.Telle est bien la conviction du Conseil d’État qui a saisi l’oc-casion d’une affaire relative à l’organisation des « lieux devie et d’accueil » pour retoquer cette interprétation et clai-rement cantonner la théorie en question aux législations an-térieures à 1958.Après avoir rappelé « qu’en vertu de l’article 34 de la Consti-tution, il n’appartient qu’à la loi de fixer tant les garantiesfondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des li-bertés publiques, au nombre desquelles figure le libre exer-cice d’une activité professionnelle », le Conseil d’État retientdans l’arrêt rapporté du 21 novembre 2008 « que relève enconséquence de la compétence législative le principe de l’en-cadrement du régime financier et de la tarification, notam-

ment par les collectivités territoriales etl’assurance-maladie, des personnes mo-rales de droit privé gérant des établis-sements et services intervenant dans lechamp de l’action sociale », avant depréciser que si les dispositions législa-tives pertinentes en l’espèce (CASF,art. L. 312-1-III) ont soumis à autorisationla création des lieux de vie et d’accueil,« il ne résulte ni de ces dispositions, nid’aucune autre disposition législativeque ces derniers devraient être soumisà une réglementation de leur finance-

ment et de la tarification de leurs prestations ». Aussi, leministre ne pouvait « utilement soutenir que l’étendue dupouvoir réglementaire devrait être appréciée dans le cadredes limitations de portée générale qui ont été apportées parla loi aux garanties et principes fondamentaux qui sont encause, dès lors qu’en l’espèce le législateur n’était pas inter-venu pour encadrer l’activité des lieux de vie et d’accueilavant la Constitution de 1958 ».À la lecture de ce considérant, le doute n’est plus permis :la théorie de l’état de la législation antérieure ne s’appliqueque pour les textes adoptés avant l’entrée en vigueur de laVe République. Comme l’avançait Anne Courrèges devantles 1re et 6e sous-sections réunies, « cette jurisprudence doitêtre appréciée en fonction de sa raison d’être historique etde son utilité. Elle se justifiait par l’idée que le Constituantde 1958 ne pouvait avoir voulu restreindre la compétence dupouvoir réglementaire, là où elle pouvait déjà s’exercer (…).Autrement dit, la jurisprudence en cause est une jurispru-dence “contextualisée” dont l’objet est de faciliter la transi-tion entre deux systèmes constitutionnels qui retiennent deslogiques différentes dans le partage entre loi et règlement »(Courrèges A., concl sur l’arrêt rapporté, RFD adm. 2009, p. 151). Et rien d’autre.Certainement pas un fondement à de molles habilitationslégislatives. Une preuve de ce que la juridiction administra-tive trouve aussi sa légitimité dans la protection des liber-tés (sur la question, cf. Le juge administratif et les libertés publiques, Colloque du cin-quantenaire des tribunaux administratifs, 30 sept. 2003, RFD adm. 2003, p. 1045 ; Stirn B.,Le Conseil d’État et les libertés, in La liberté dans tous ses états, regards croisés sur laconception occidentale de la liberté. Liber amicorum en l’honneur de Jacques Georgel,Paris, Apogée, 1998, p. 221. Adde Cassin R., Le Conseil d’État gardien des principes dela révolution française, Rev. int. d’hist. pol. et constit. 1951, p. 13 ; Donnedieu de Vabres J.,La protection des droits de l’Homme par les juridictions administratives en France, EDCE1949, p. 30). ◆

ACTU

ALITÉSCONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

La théorie de l’étatde la législation

antérieure ne s’appliqueque pour les textes

adoptés avant l’entréeen vigueur de laVe République.

ÉCLAIRAG

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58 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

Coule la Seine, transportant avec elle, sous lesponts de Paris, un essaim de bateaux-mouchesau bourdonnement réglementé notamment parle ministre de l’Écologie, du Développement etde l’Aménagement durable. Ministre qui, par

un arrêté du 20 décembre 2006, a modifié l’arrêté du 2 sep-tembre 1970 relatif à la sécurité des bateaux à passagers nonsoumis à la réglementation maritime, en prévoyant que lenombre minimal de membres d’équipage obligatoire pour cesbateaux ne sera plus fonction du « nombre maximal de pas-sagers admis à bord » mais de « la capacité maximale du ba-teau ». Or, cette évolution réglementaire a pour effet « d’exi-ger la présence à bord de quatre membres d’équipage, dont uncapitaine, un mécanicien et deux matelots, pour tous les ba-teaux dont la capacité d’accueil est comprise entre six cents etmille passagers, quel que soit le nombre de passagers effecti-vement à bord lors d’une traversée, alors qu’un seul matelotest requis pour les embarcations de capacité inférieure ».Estimant cette modification illégale et arguant en conséquenced’un préjudice, la Société Compagnie des bateaux-mouchesa demandé l’abrogation de l’arrêté litigieux avant d’attaquerle refus né du silence ministériel à cette demande. Compétenten premier et dernier ressort s’agissant d’un refus portant surun acte administratif ministériel à caractère règlementaire (CE,ass., 8 juin 1973, n° 84.601, Richard, Rec. CE 1973, p. 405), le Conseil d’État astatué par l’arrêt rapporté en ouvrant son raisonnement parun rappel des termes de la jurisprudence Société L & P Publi-cité (CE, sect., avis contx., 22 nov. 2000, n° 223645, Société L & P Publicité, Rec. CE 2000,p. 526, RFD adm. 2001, p. 872, concl. Austry S., AJDA 2001, p. 198, note Rouault M.-C.,D. 2001, p. 2110, note Albert N., D. 2001, p. 1235, obs. Gonzalez G., RFD publ. 2001, p. 393,note Guettier C.) régissant la prise en compte des règles de concur-rence en matière de police administrative générale.Ainsi, la Haute Juridiction administrative pose à nouveau « quedès lors que l’exercice de pouvoirs de police administrative estsusceptible d’affecter des activités de production, de distribu-tion ou de services, la circonstance que les mesures de policeont pour objectif la protection de l’ordre public n’exonère pasl’autorité investie de ces pouvoirs de police de l’obligation deprendre en compte également la liberté du commerce et de l’in-dustrie et les règles de concurrence » avant d’ajouter tout aussifidèlement à la décision de principe, « qu’il appartient au jugede l’excès de pouvoir d’apprécier la légalité de ces mesures depolice administrative en recherchant si elles ont été prises comptetenu de l’ensemble de ces objectifs et de ces règles et si elles enont fait, en les combinant, une exacte application ».En appliquant ce cadre, le Conseil d’État retient la légalité dela modification opérée en 2006. Après avoir souligné l’objec-tif de protection de l’ordre public de la mesure, fondé surl’amélioration de la sécurité des passagers, il considère quel’obligation de calculer l’effectif minimal de l’équipage enfonction de la capacité maximale du bateau, et les consé-quences qui en découlent, constituent « des mesures néces-

saires et proportionnées ». Cette affirmation est d’abord étayéepar la circonstance que « l’objectif de sécurité des passagerssuppose de prendre en compte, pour la détermination de lacomposition de l’équipage exigée, non seulement le nombrede passagers présents à bord ou susceptibles de l’être, maisaussi la taille, le tonnage et la manœuvrabilité du bateau »,avant d’être appuyée par le fait que « l’exigence d’un nombrede matelots variable selon le nombre de passagers admis àbord des bateaux ne permettait pas un contrôle effectif de lamise en œuvre, par les compagnies, de la réglementation rela-tive à l’équipage des bateaux de croisière navigant sur la Seine ».Une telle solution montre bien que l’invocation du droit de laconcurrence à l’encontre d’une mesure de police administra-tive suit le même sort que celle des libertés économiques. Enimposant à l’administration de combiner, pour en faire uneexacte application, les impératifs d’ordre public, la liberté ducommerce et de l’industrie et les règles de concurrence, la ju-risprudence Société L & P Publicité n’aurait rien fait d’autre,en somme, que d’introduire les règles de concurrence au mêmerang que les libertés économiques. Et, qu’au final, une régle-mentation nécessaire et proportionnée, condition que l’onconnaît depuis 1993 pour les restrictions portées aux libertés(CE, 19 mai 1933, nos 17.413 et 17.520, Benjamin, Rec. CE 1933, p. 541, GAJA n° 49), suf-firait à absoudre tout grief tiré du droit de la concurrence.La suite de l’arrêt confirme sans conteste cette analyse en sepréoccupant expressément des règles de concurrence. LeConseil d’État y considère en effet « que s’il ressort des piècesdu dossier, et qu’il n’est pas contesté, que la société requéranteest la seule compagnie organisant des croisières sur la Seine àposséder des bateaux ayant une capacité d’accueil supérieureà six cents passagers, cette seule circonstance ne suffit pas pourpermettre de considérer que les mesures de police édictées parl’arrêté attaqué porteraient atteinte aux règles de la concur-rence ou méconnaîtraient le principe d’égalité, dès lors que lamesure adoptée repose, au regard de sa finalité, sur des cri-tères objectifs au regard desquels elle revêt un caractère pro-portionné ».Une telle formulation n’est pas satisfaisante au premier abord.Elle apparaît trop « administrativiste » et, peut-être à dessein,trop détachée de la rigueur d’analyse du droit de la concur-rence. En effet, derrière les termes de ce considérant, se cachel’idée, on l’espère développée par le moyen, qu’en lien avecla circonstance que la société requérante est la seule à possé-der sur le marché pertinent des bateaux ayant des capacitésd’accueil concernées par les nouvelles dispositions, tel concur-rent, détenant une position dominante, aurait été conduit àen abuser nécessairement du fait de la nouvelle réglementa-tion. Il aurait ainsi mieux valu retenir soit l’absence de posi-tion dominante, soit l’absence d’abus automatique de posi-tion dominante.À moins que l’intention du moyen n’ait pas été telle maisait simplement consisté à avancer que la nouvelle

Mise en Seine de la concurrenceEn modifiant les modalités de calcul du nombre minimal de membres d’équipageobligatoire pour les bateaux-mouches, le ministre n’a pas méconnu les règlesde concurrence qui doivent être prises en compte dans l’édiction de toute mesurede police administrative.

CE, 15 mai 2009, n° 311082, Société Compagnie des bateaux-mouches1419

Par GuylainCLAMOUR

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réglementation aurait « pour effet de conduire à empêcher,restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un mar-ché, notamment en limitant l’accès à ce marché ou le libreexercice de la concurrence par d’autres entreprises », selonles termes de la jurisprudence administrative (CE, 30 avr. 2003,n° 230804, Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux d’eau etd’assainissement, Dr. adm. 2003, comm. 123, note Bazex M. et Blazy S., AJDA 2003,p. 1150, chr. Donnat F. et Casas D., CP-ACCP 2003, n° 24, p. 71, note Richer L., Contratsmarchés publ. 2003, comm. 125, note Delacour E., Dr. soc. 2003, p. 999, note Antonmat-téi P.-H. et Destours S. ; CE, sect., 10 mars 2006, n° 264098, n° 264123 et n° 268524,Commune d’Houlgate, BJCP 2006, n° 46, p. 203, concl. Casas D., p. 209, obs. M. Ch.,

Contrats marchés publ. 2006, comm. 150, obs. Eckert G., Dr. adm. 2006, comm. 94, noteMénéménis A., Contrats, conc., consom. 2006, comm. 136, obs. Brunet P., AJDA 2006,p. 751, note Dreyfus J.-D., RLC 2006/8, n° 578, note Clamour G.). Toutefois, làencore, le moyen ne pouvait espérer prospérer tant la régle-mentation n’interfère pas sur les concurrents dans la situa-tion actuelle et ne prive pas la société requérante de la pos-sibilité d’exercer son activité.Ainsi entendue comme défense d’une situation concurren-tielle, l’invocation des règles de concurrence justifie parfaite-ment une approche en termes de mesure nécessaire et pro-portionnée. ◆

ACTU

ALITÉSCONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

ÉCLAIRAG

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Confusion entretenue autour du rôle d’EDF SAdans la filière photovoltaïque; exploitation parEDF ENR, filiale d’EDF SA, de la base de don-nées clients de l’opérateur historique ; avan-tages matériels et humains consentis par EDF SA

à EDF ENR; verrouillage par EDF SA du marché amont del’approvisionnement en équipements photovoltaïques.Voilà, condensées, les pratiques que la société Solaire Direct,active sur le marché émergent des services rendus aux parti-culiers souhaitant produire de l’électricité solaire photovol-taïque, reproche à EDF SA et sa filiale EDF ENR.On y retrouve tous les griefs possiblement liés à la diversifi-cation des activités d’un ancien monopoleur.C’est ce que confirme la lecture de la décision n° 99-MC-01,imposante à tous égards.Avant d’entamer son analyse concurrentielle circonstanciée,l’Autorité de la concurrence précise, en guise de préambule,que « le Conseil a été conduit, à l’occasion de l’ouverture à laconcurrence des marchés des télécommunications, de l’électri-cité, du gaz et des transports ferroviaires, à maintes repriseset tout autant dans le cadre de son rôle consultatif, que danscelui de ses attributions contentieuses, à se prononcer sur laquestion de l’insertion des monopoles publics dans le libre jeude la concurrence, dès lors que la libéralisation de ces secteurss’accompagne de la diversification des activités des anciensmonopoles. La pratique décisionnelle du Conseil, qui ne mé-connaît pas l’intérêt d’une diversification des activités des opé-rateurs historiques, susceptible, dans certaines circonstances,de stimuler la concurrence sur les marchés, a néanmoins et demanière constante recommandé que soit effectué un suivi vi-gilant d’un tel processus et appelé à une appréciation concrètede ses conséquences en fonction de la structure des marchésconcernés » (pts. 96 et 97).Illustrant ensuite ces considérations générales, l’Autorité rap-pelle que le Conseil de la concurrence a observé « notam-ment dans l’avis n° 94-A-15 du 10 mai 1994 relatif à une de-

mande sur les problèmes soulevés par la diversification desactivités d’EDF et de GDF au regard de la concurrence, que“la situation particulière de ces établissements publics leurpermet d’obtenir de manière privilégiée des moyens de fi-nancement, que l’accès au consommateur final est facilitépar l’existence d’un réseau couvrant l’intégralité du terri-toire national et qu’ils bénéficient de l’image d’intérêt géné-ral du service public, toutes caractéristiques qui constituentdes avantages incontestables facilitant l’implantation sur desmarchés ne relevant pas du monopole légal”. Les conditionsénoncées dans cet avis ont depuis lors fait l’objet de nom-breux rappels au fil de la pratique décisionnelle du Conseil.Il s’agit essentiellement de la “séparation étanche entre lesactivités liées au monopole et celles relatives à la diversifi-cation”. Plus spécifiquement, cette séparation doit être à lafois juridique, matérielle, comptable, financière et commer-ciale » (pts. 98 et 99).Le principe et les limites de la diversification rappelés, il nerestait plus à l’Autorité qu’à « dérouler » le raisonnement. Cequ’elle a fait à grand renfort de citations et références à toutl’acquis consultatif et décisionnel du Conseil de la concur-rence en la matière (sur lequel, cf. Clamour G. et Destours S., Droit de la concur-rence publique, J.-Cl. Collectivités territoriales, Fasc. 724-10).En substance, l’Autorité estime qu’à ce stade de l’instruction,les moyens de communication utilisés par EDF à destinationde l’ensemble de ses abonnés (notamment la Lettre Bleu Cielet la plate-forme téléphonique 3929 qui orientent les particu-liers intéressés par la production d’électricité photovoltaïquevers sa filiale EDF ENR) entretiennent une confusion entre,d’une part, le rôle d’EDF SA en tant que fournisseur d’élec-tricité aux tarifs réglementés et d’autre part, l’activité concur-rentielle de sa filiale EDF ENR (cf. pts. 102 à 120). Elle en déduitque, de ce fait, EDF ENR profite de l’image de l’opérateur his-torique et utilise la base de données détenue par sa sociétémère sur les clients régulés, avantages dont ne bénéficient passes concurrents (cf. pts. 129 à 140).

Lumière sur le groupe EDFL’Autorité de la concurrence enjoint EDF de modifier sa communication commerciale de façon àséparer celle relevant de ses activités de service public et celle de sa filiale intervenant dans lesecteur concurrentiel.

Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, relative à la saisine au fond et à la demande de mesures conservatoires présentée par la sociétéSolaire Direct1420

Par StéphaneDESTOURS

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Considérant que sur un marché émergent en forte croissancede telles pratiques peuvent avoir un effet structurant et por-tent à la concurrence une atteinte grave et immédiate justi-fiant des mesures d’urgence (cf. pts. 170 à 179), l’Autorité de laconcurrence prononce alors des mesures conservatoires dansl’attente de sa décision au fond.Ainsi, enjoint-elle à EDF SA de supprimer dans tous les sup-ports de communication de la marque Bleu Ciel d’EDF (LettreBleu Ciel, facture de fourniture d’électricité EDF, publicités…)toute référence à l’activité d’EDF ENR dans la filière solairephotovoltaïque; de faire cesser, par les agents répondant au

3929, toute référence aux services offerts par EDF ENR; demettre fin à toute communication, à EDF ENR, d’informationsrecueillies par le 3929 (cette injonction vise la prise de ren-dez-vous mais aussi la transmission de renseignements surles personnes intéressées par la production d’énergie photo-voltaïque); de ne plus mettre à la disposition d’EDF ENR d’in-formations dont EDF SA dispose du fait de ses activités defournisseur de services d’électricité aux tarifs réglementés.Pour l’heure, EDF SA est sommée de se conformer à ces in-jonctions dans le délai d’un mois.À venir, une très intéressante décision au fond. ◆

LUMIÈRE SUR LE GROUPE EDF

CONCURRENCEET DROIT PUBLIC

DÉCISIONS DES AUTORITÉSDE CONCURRENCE

1421

Un Ordre anticoncurrentielL’Autorité de la concurrence est compétente pourconnaître du comportement d’un Conseil de l’Ordrequi, parce qu’il invite ses membres à adopter telleou telle attitude sur le marché sur lequel il opère,constitue une intervention dans une activité de services.Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, relative à des pratiques misesen œuvre par le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie

Le 22 avril 2009, l’Autorité de la concurrence a rendu une dé-cision par laquelle elle sanctionne le Conseil régional de l’Ordredes pharmaciens de Basse-Normandie pour être intervenu au-près d’une maison de retraite afin de l’inciter à s’adresser auxpharmacies les plus proches de son implantation au lieu defaire le choix d’un pharmacien plus éloigné, éventuellementplus compétitif.Avant de parvenir à cette conclusion, elle a dû, au préalable,se prononcer sur sa compétence à connaître des pratiques duConseil régional de l’Ordre des pharmaciens mis en cause.Après avoir longuement cité son propre acquis décisionnel enla matière (pts. 30 à 33), l’Autorité rappelle qu’il convient, « pourtrancher la question de compétence soulevée par la partie miseen cause, de faire la part entre :– les comportements qui, parce qu’ils invitent les profession-nels ou des tiers à adopter telle ou telle attitude sur le marché,constituent une intervention dans une activité de services ;– et ceux qui ne sont pas détachables de l’exercice du pouvoirde contrôle et du pouvoir disciplinaire confié à l’Ordre » (pt. 34).En effet, « ces pouvoirs constituent des prérogatives de puis-sance publique de l’Ordre. L’engagement, par un Conseil del’Ordre, d’une action disciplinaire à l’encontre d’un de sesmembres ne relève donc pas en principe du champ de compé-tence du Conseil de la concurrence » (pt. 35. En dernier lieu, pour un rap-pel en ce sens, cf. Cons. conc., déc. n° 09-D-07, 12 févr. 2009, RLC 2009/19, n° 1351, obs.Destours S.).

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Distinguo classique dont il est fait application aux cinqfaits de l’espèce identifiés par le rapporteur pour illustrerla pratique objet du grief : « 1) la demande d’ouvertured’une enquête par la DRASS ; 2) l’envoi d’une circulaire àl’ensemble des pharmacies du ressort pour leur rappelerqu’elles doivent tenir l’Ordre informé des contrats ou ac-cords de fournitures conclus avec certains établissements ;3) l’accueil de plaintes de confrères à l’encontre de M. X...,le lancement d’enquêtes à son égard et la poursuite de leurinstruction alors qu’aucun élément n’était recueilli au sou-tien de ces plaintes ; 4) la décision de saisir la chambre dediscipline alors qu’en définitive, les accusations portées parles confrères se sont avérées sans fondement ; 5) l’envoi dela lettre adressée à une maison de retraite pour l’inciter às’adresser aux pharmacies dont elle dépendrait “géogra-phiquement” » (pt. 37).L’Autorité estime que quatre de ces cinq comportements nerelèvent pas de sa compétence : ceux mentionnés sous 1),3) et 4) dès lors qu’ils ne sont pas détachables de l’exercicedu pouvoir disciplinaire de l’Ordre ; pas plus que celui men-tionné sous 5) car le fait, pour le Conseil régional de l’Ordrede rappeler à ses membres une obligation procédurale pe-sant sur eux afin que lui-même puisse exercer sa mission decontrôle relève de l’exercice d’une prérogative de puissancepublique.En revanche, « l’envoi de la lettre mentionné sous 5) traduit,à l’égard d’un tiers par rapport à l’Ordre, une interventiondans une activité de services et par conséquent le Conseil dela concurrence (sic) est compétent pour examiner sur le fon-dement de l’article L. 410-1 du Code de commerce la pratiqueayant fait l’objet du grief » (pt. 37).

Stéphane DESTOURS

OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Pratiquesanticoncurrentielles » de cette Revue, Sélinsky V. et Cholet S., Lespharmaciens d’officine ne bénéficient pas d’une exclusivité territoriale, RLC2009/20, n° 1401.

1422

Obsèquesanticoncurrentielles (suite)La Cour d’appel de Paris confirme la décisiondu Conseil de la concurrence sanctionnant la villede Lyon pour l’abus de position dominante misen œuvre par sa régie municipale de pompes funèbres.CA Paris, 1re ch., sect. H, 31 mars 2009, n° 2008/11353

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Par un arrêt en date du 31 mars 2009, la Cour d’appel de Pa-ris rejette les recours formés contre la décision n° 08-D-09 duConseil de la concurrence sanctionnant la ville de Lyon pourl’abus de position dominante mis en œuvre par sa régie mu-nicipale de pompes funèbres.Dans cette affaire, on se souvient qu’il était notammentfait grief à la régie municipale d’avoir, sur le marché despompes funèbres à Lyon, abusé de sa position de gestion-naire exclusif de la seule chambre funéraire existant àLyon : d’une part, en empêchant la nuit et les jours fériésl’accès à cette installation aux opérateurs concurrents d’elle-même ou de son transporteur ; d’autre part, en favorisantle choix des familles pour ses propres services commer-ciaux en s’abstenant de distinguer, dans l’information don-née au public ou dans l’organisation externe et interne deslocaux du centre funéraire municipal, ses activités de ges-tionnaire du funérarium, ses activités commerciales deprestataire de pompes funèbres et le service public admi-nistratif funéraire.Se fondant sur sa pratique décisionnelle constante, le Conseilde la concurrence a considéré que « la régie municipale dela ville de Lyon a abusé de sa position dominante en met-tant en place une information et un accueil des famillesainsi qu’une organisation des locaux qui ne permettaientpas de distinguer clairement les activités de la chambre fu-néraire, les autres activités de pompes funèbres et les ser-vices administratifs, s’attribuant ainsi un avantage concur-rentiel indu sur les autres opérateurs de pompes funèbres »(Cons. conc., déc. n° 08-D-09, 6 mai 2008, pt. 179, relative à des pratiques mises enœuvre dans le secteur des pompes funèbres à Lyon et dans son agglomération, RLC2008/16, n° 1148, obs. Destours S.).Assurant la continuité juridique de la régie, auteur de la pra-tique en cause, c’est la ville de Lyon qui s’est alors vu infli-ger une sanction pécuniaire, de 50000 euros en l’occurrence.C’est cette analyse et cette conclusion que la Cour d’appel aconfirmé en tous points.

S.D.

1423

Eurocontrol hors contrôleLa Cour de justice confirme qu’une activité n’est paséconomique dès lors qu’elle implique l’exercicede prérogatives typiquement de puissance publique.CJCE, 26 mars 2009, aff. C-11/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA

On connaît l’importance de la notion d’activité économiqueen droit de la concurrence, tant interne que communautaire.En effet, faute d’être ainsi qualifiée, l’activité exercée par telleentité n’est pas soumise au respect des règles du droit des pra-tiques anticoncurrentielles.C’est dans ce cadre que la jurisprudence communautaire ex-clut, notamment, du champ d’application des articles 81 et 82du Traité CE les organismes qui exercent des prérogatives quiappartiennent par essence aux États et qui participent de leursouveraineté. Bref, une activité n’est pas économique dès lorsqu’elle implique l’exercice de prérogatives typiquement depuissance publique.La Cour de justice en a jugé ainsi concernant l’activité de per-ception des redevances de route consacrées au soutien ducontrôle et de la police de l’espace aérien (CJCE, 19 janv. 1994, aff. C-364/92, Eurocontrol, Rec. CJCE, I, p. 43, Europe mars 1994, comm. 114, obs. Idot L., D. 1995,jur., p. 33, note Lhuillier G.) et à propos de la perception de redevances

RLC

destinées à financer l’activité de surveillance antipollutiondans un port pétrolier (CJCE, 18 mars 1997, aff. C-343/95, Diego Cali, Rec. CJCE,I, p. 1547, Europe mai 1997, comm. 160, obs. Idot L.).Plus récemment, le Tribunal de première instance a considéréqu’il en allait de même s’agissant de certaines des activitésde l’Organisation européenne pour la sécurité de la naviga-tion aérienne, Eurocontrol, à savoir ses activités en matièrede normalisation technique et de recherche et de développe-ment. Il a en revanche qualifié d’activité économique son ac-tivité d’assistance aux administrations centrales (TPICE, 12 déc.2006, aff. T-155/04, Rec. CJCE, II, p. 4797, Europe févr. 2007, comm. 68, obs. Idot L., RLC2007/11, n° 745, note Arcelin L.).Ce dernier arrêt a fait l’objet d’un pourvoi sur lequel la Courde justice s’est prononcée le 26 mars 2009.En substance, la Cour reproche au Tribunal d’avoir « isolé »l’activité d’assistance aux administrations nationales de lamission d’intérêt général dont est investie Eurocontrol. Eneffet, cette activité d’assistance « participe directement à laréalisation de l’objectif d’harmonisation et d’intégration tech-niques dans le domaine de la circulation aérienne » et est« étroitement liée à la mission de normalisation techniqueconfiée par les parties contractantes à Eurocontrol » (CJCE,26 mars 2009, aff. C-113/07 P, pt. 76, Europe mai 2009, comm. 198, obs. Idot L. ; AJDA2009, p. 988, obs. Broussy E., Donnat F. et Lambert Ch., Contrats marchés publ. 2009,comm. 152, obs. Eckert G.). L’activité en cause n’est donc pas « dis-sociable de la mission de gestion de l’espace aérien et de dé-veloppement de la sécurité aérienne » (pt. 77) ; elle « se rat-tache à l’exercice de prérogatives de puissance publique »d’Eurocontrol (pt. 82).

S.D.

OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Pratiquesanticoncurrentielles » de cette Revue, Arcelin-Lécuyer L., Feu principede dissociation?, RLC 2009/20, n° 1408.

DÉCISIONS DES AUTORITÉSADMINISTRATIVES

1424

Centre Pompidou, extérieursconcurrentielsLa mise à la charge de la société Costes, installéesur le domaine public de Beaubourg, de sommescorrespondant à la rémunération d’un agentsupplémentaire de sécurité non prévu au contrat,n’a pu avoir pour effet de placer le Centre Pompidou« en situation de position dominante ».CAA Paris, 16 mars 2009, n° 07PA02471, Centre national d’art et de cultureGeorges Pompidou

À la fin de la dernière décennie, le Centre national d’art et deculture Georges Pompidou, établissement public administra-tif, a consenti pour 18 ans à la SNC Costes, par contrat deconcession, un droit d’occupation portant sur une partie deslocaux dépendant du domaine public gérés par son établisse-ment pour y exploiter une activité de restauration. En contre-partie, cet occupant privatif du domaine public est redevabled’une redevance égale à 5,7 % du montant de son chiffre d’af-faires réalisé par l’exploitation des espaces concédés, avec unmontant minimum garanti annuel de 1,6 MF HT, soit243918,43 euros, et un montant annuel maximum de 4 MFHT, soit 609796,07 euros.

RLC

ACTU

ALITÉSCONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

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62 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

Indépendamment de cette redevance annuelle, la SNC Costess’est contractuellement engagée à participer « aux dépensesd’exploitation et de fonctionnement du Centre strictement né-cessaires à l’exécution du contrat » résultant « de l’applicationaux budgets d’exploitation du Centre de pourcentages corres-pondant à la nature des prestations dont le concessionnaireest bénéficiaire et d’un calcul au prorata des surfaces occu-pées ». Au titre d’une telle participation aux dépenses d’ex-ploitation figurent, notamment, « la sécurité incendie » et la« sécurité/surveillance » pour les heures pendant lesquelles leCentre est fermé mais le restaurant du concessionnaire ou-vert. Plus précisément, pour ce dernier poste, il est stipulé que« le concessionnaire prendra en charge la rémunération, di-recte ou indirecte, de deux agents de sécurité pour la périodede fermeture du centre au public ».Aussi, la SNC Costes est tenue non seulement de s’acquitterd’une redevance domaniale, mais aussi d’assumer le coût dedeux agents de sécurité aux heures de fermeture de l’établis-sement public concédant.Or, en 2004, ce ne sont plus deux mais trois agents de sécu-rité que le Centre Pompidou a affectés à la surveillance encause. Et le Centre d’imposer alors à son concessionnaire lanouvelle charge financière correspondant au troisième larron.C’est ainsi que la SNC Costes a contesté les titres exécutoiresémis à son encontre devant le Tribunal administratif de Parisqui, par un jugement du 2 mai 2007, a annulé les titres en causeau motif qu’ils seraient dépourvus de fondement contractuel,et déchargé en conséquence la société des sommes litigieuses.En appel, l’arrêt rapporté infirme cette solution. Les secondsjuges relèvent en ce sens que c’est suite à la demande du pré-fet de police, elle-même consécutive aux prescriptions de lacommission de sécurité, que « le Centre Pompidou a dû ren-forcer d’un agent l’effectif de nuit de sécurité incendie en rai-son de l’ouverture du restaurant exploité par la société conces-sionnaire après la fermeture du Centre au public et que, pourla même raison, dans le cadre de la mise en œuvre du plan dit“Vigipirate”, il a dû renforcer l’effectif affecté à la sécurité etla surveillance du Centre à hauteur d’un agent ».Certes, mais de telles circonstances ne répondent pas encoreà l’argument du fondement contractuel développé par les pre-miers juges. La Cour administrative d’appel de Paris énoncealors « que les stipulations ci-dessus analysées du contrat deconcession ne faisaient pas obstacle à ce que le Centre natio-nal d’art et de culture Georges Pompidou mette à la charge dela société concessionnaire les dépenses de fonctionnement af-férentes à la mise en œuvre de ces prescriptions de police etliées à l’exploitation du restaurant en dehors des heures d’ou-verture du Centre au public ». Une telle solution trouve appuidans une clause du contrat de concession prévoyant que « laSociété est tenue de se conformer à toute disposition législativeou réglementaire applicable à son activité ainsi qu’à toutes lesprescriptions relatives à l’exploitation du Centre et qu’à toutesconsignes, générales ou particulières, permanentes ou tempo-raires qui seraient mises en vigueur par le Centre ». Mais plusgénéralement, elle s’impose de manière extracontractuelle, laCour soulignant que, si le contrat implique que le Centre Pom-pidou « était seulement fondé, en ce qui concerne les dépensescourantes d’exploitation et de fonctionnement liées à la sécu-rité incendie et à la surveillance, à demander à la SNC Costesde prendre en charge la rémunération de deux agents de sécu-rité, elles ne sauraient faire obstacle à ce que les dépenses af-férentes aux prescriptions de police mises en œuvre par le Centrenational d’art et de culture Georges Pompidou soient, dès lorsqu’elles sont liées à l’exploitation des espaces de restauration,

mises à la charge de la concessionnaire et fassent ainsi l’objetd’une facturation spécifique ».Une fois le jugement du Tribunal administratif ainsi annulé,la Cour examine, par l’effet dévolutif de l’appel, l’ensembledes moyens présentés devant les premiers juges. Parmi eux,il en est un qui mérite attention : l’émission des titres exécu-toires dont il s’agit méconnaîtrait les « règles de concurrence »en cela que le Centre Pompidou, en procédant d’autorité à lafacturation de dépenses non prévues au contrat, aurait abuséde sa position dominante.À ce moyen, la réponse de la Cour est assez succincte : elleconsidère que, « contrairement à ce que soutient la sociétéCostes, la mise à sa charge des sommes sus analysées corres-pondant à des dépenses de fonctionnement du Centre, n’a puavoir pour effet de placer le Centre national d’art et de cultureGeorges Pompidou en situation de position dominante; qu’ilsuit de là que le moyen tiré de ce que les titres exécutoires enlitige méconnaîtraient les règles de concurrence, et notammentla prohibition des abus de position dominante résultant desstipulations de l’article 82 du Traité instituant la Communautéeuropéenne et des dispositions de l’article L. 420-2 du Code decommerce doit être écarté ».Cette solution appelle deux séries de remarques.En premier lieu, elle dénote sinon une incompréhension dudroit de la concurrence, du moins un grand manque de ri-gueur de rédaction, peut-être provoqué par la teneur du moyen,nous l’ignorons. En effet, la question n’est pas de savoir sil’émission d’un titre exécutoire peut ou non placer le CentrePompidou en situation de « position dominante ». La positiondominante de cet établissement public est une question préa-lable, à déterminer par référence à un marché. La questionn’était pas celle-là, mais celle de savoir si le Centre Pompi-dou, en considérant qu’il détient une position dominante dufait de la gestion d’un domaine public sur lequel peuvents’exercer des activités économiques, a abusé d’une telle po-sition dominante en émettant un titre exécutoire procédant àla facturation de charges non prévues directement au contrat.En second lieu, la solution est intéressante en cela que, mal-gré ses carences rédactionnelles et le rejet du moyen, elle ap-préhende l’acte administratif de l’établissement public au re-gard du droit de la concurrence. Plus précisément, il ne s’agissaitpas d’apprécier la légalité du titre exécutoire au regard de seseffets concurrentiels sur une entreprise en considérant quel’acte aurait placé le concurrent en situation de méconnaîtreautomatiquement le droit de la concurrence. Non, il s’agis-sait d’étudier si l’établissement public n’a pas lui-même mé-connu le droit de la concurrence, abusé de sa position domi-nante en émettant un titre exécutoire. Bref, la question étaitcelle d’une application du droit de la concurrence à un acteadministratif, cela expliquant la compétence de la juridictionadministrative.De telles hypothèses dans lesquelles le juge administratif estamené non pas simplement à intégrer le droit de la concur-rence dans le bloc de légalité, mais à le rendre applicable àun acte administratif correspondant à une « activité écono-mique » d’une personne publique, ne sont pas si fréquentes.Le bal a été ouvert, l’on s’en souvient, avec l’arrêt Société Eda(CE, sect., 26 mars 1999, n° 202257 et n° 202260, Rec CE 1999, p. 96, concl. Stahl J.-H.,AJDA 1999, p. 427, concl. et note Bazex M., D. 2000, p. 204, note Markus J.-P., RDP 1999,p. 1545, note Manson S., RFD adm. 1999, p. 977, note Pouyaud D.) et la danse pour-suivie avec quelques décisions rapportées dans ces colonnes(CAA Paris, 4 déc. 2003, n° 00PA02740, Société d’équipement de Tahiti et des îles, Contratsmarchés publ. 2004, comm. 54, obs. Eckert G., AJDA 2005, p. 200, note Nicinski S., RLC2005/3, n° 216, note Clamour G. ; TA Lille, 28 févr. 2006, n° 0405868, SARL Gérald Demeyer

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Communications, RLC 2007/13, n° 926, obs. Clamour G. ; CAA Marseille, 19 fév. 2007,n° 04MA00915, SARL Sata Hanfling, RLC 2008/14, n° 1004, obs. Clamour G. ; CAA Douai,12 avril 2007, n° 06DA00456, SARL Restaurant de l’aérodrome, RLC 2008/14, n° 1005, obs.Clamour G. ; CAA Bordeaux, 27 nov. 2007, n° 06BX00462, Carreras, RLC 2008/15, n° 1090,obs. Clamour G. ; CAA Bordeaux, 30 déc. 2008, n° 06BX01765, SARL CRAM, RLC 2008/19,n° 1358, obs. Clamour G.). Mais en l’espèce, à la différence des pré-cédents rapportés, point de grille d’analyse posée par un rap-pel du considérant de principe et encore moins de dévelop-pements explicatifs.

Guylain CLAMOUR

1425

Îles déloyautéParce que les entreprises ayant un caractèrecommercial restent, en règle générale, réservéesà l’initiative privée, la province des îles Loyautéest reconnue responsable de la mise en œuvred’une concurrence illégale, déloyale et pratiquantdes prix abusivement bas.CAA Paris, 15 déc. 2008, n° 05PA01979, Société Transiles

Une fois advenue la jurisprudence Ordre des avocats au Bar-reau de Paris (CE, ass., 31 mai 2006, n° 275531, OABP, Rec. CE 2006, p. 272, RFDadm. 2006, p. 1048, concl. Casas D., BJCP 2006, n° 47, p. 295, concl., obs. R.S., AJDA 2006,p. 1595, chron. Landais C. et Lenica F., Contrats marchés publ. 2006, comm. 202, noteEckert G., Dr. adm. 2006, comm. 129, note Bazex M., JCP A 2006, n° 1133, note Linditch F.,CP-ACCP 2006, n° 59, p. 78, note Renouard L., Contrats, conc., consom. 2006, comm. 188,obs. Rolin F., RLC 2006/9, n° 641, note Clamour G.) confirmant sa vénérabledevancière issue de l’arrêt Chambre syndicale du commerceen détail de Nevers (CE, sect., 30 mai 1930, Rec. CE 1930, p. 583, GAJA n° 46)en adoptant des termes plus contemporains, il n’est pas ano-din qu’un arrêt reprenne le considérant de principe de 1930et non celui de 2006.C’est ainsi que la Cour administrative d’appel de Paris retientdans l’arrêt rapporté, lu plus de deux ans après l’arrêt OABP,que « les entreprises ayant un caractère commercial restent, enrègle générale, réservées à l’initiative privée » et qu’en consé-quence, « les collectivités publiques ne peuvent ériger des en-treprises de cette nature en services publics que si, en raisonde circonstances particulières de temps et de lieu, un intérêtpublic justifie leur intervention en la matière ».En l’espèce, la société d’économie mixte de développementet d’investissement, la SODIL, créée en 1991 par l’assembléede la province des îles Loyauté pour la mise en œuvre d’opé-rations concourant au développement économique des îlesLoyauté, avait confié, par « contrat d’affrètement », à une fi-liale, la société maritime des îles Loyauté (SMIL), l’exploita-tion du navire « Président Yeiwéné » dans le cadre du servicepublic d’intérêt général de transport maritime de personneset de marchandises. Quelques années plus tard, en 1994, la-dite assemblée provinciale concédait directement à cette mêmeSMIL l’exploitation du service public d’intérêt général de trans-port maritime de personnes et de marchandises.À la même époque, l’assemblée modifiait sa délibération de1991 en limitant l’objet de la concession au seul transport ma-ritime de personnes. Mais du côté de la SODIL et de la SMIL,aucune évolution des prestations ne fut effectuée, la secondecontinuant d’assurer une activité de transport de marchandises.Pour ses concurrents, la SMIL effectuait une activité écono-mique illicite en cela qu’elle excédait le champ de la conces-sion. À cet argument avancé par la société Transiles, la Courrépond donc en s’appuyant sur le considérant de principe

RLC

classique précité et retient que « nonobstant la circonstancequ’elle n’était pas partie à ce contrat, la province des îles Loyautéconservait son pouvoir de modification unilatérale des clausesdudit contrat relatives à la consistance et aux modalités d’ex-ploitation du service concédé [et] qu’à tout le moins, l’autoritéconcédante était tenue, dans le cadre de son obligation decontrôle sur le fonctionnement du service concédé, de s’assu-rer que l’exploitation par la SMIL du navire “Président Yeiwéné”n’excédait pas les limites de la concession ». Aussi, conclut laCour, « en ne faisant pas procéder à la mise en conformité dela convention du 15 octobre 1991, modifiée par l’avenant du4 janvier 1994, avec la délibération du 22 juin 1994 qui limi-tait l’objet de la concession au transport maritime de personnes,la province des îles Loyauté a commis une faute de nature àengager sa responsabilité ».Si l’on comprend l’intention du juge, l’on mesure aussi la ri-gueur peu habituelle avec laquelle se trouvent ici protégéesles libertés économiques des concurrents. En effet, avantcomme après l’arrêt OABP, la formulation d’un principe denon-concurrence des personnes publiques a toujours coïncidéavec une acception large de l’intérêt public et du complémentnormal de nature à permettre la prise en charge d’activitéséconomiques (cf. Clamour G., Qui peut le moins peut le plus…! Ou la liberté éco-nomique de fait des personnes publiques, JCP A 2007, n° 2286). Aussi, l’on auraitpu se poser la question de savoir si le transport de marchan-dises, dans des conditions purement concurrentielles et horsles moyens du service public, n’était pas un complément nor-mal de l’activité de transport de personnes. Et étayer la ré-ponse. Cela étant dit, le juge infère de la caractérisation ra-pide d’une concurrence illégale du concessionnaire l’obligationpour l’autorité publique de mettre fin à cette situation, selonune logique proche de la jurisprudence SARL Somatour (CE,10 avr. 2002, n° 223100, Somatour, Contrats marchés publ. 2002, comm. 148, note Délélis P.,Mon. TP 14 juin 2002, p. 109 et TO, p. 453, JCP G 2002, I, n° 169, obs. Braconnier S.), àceci près qu’il s’agit ici de faire respecter une exigence du droitpublic (la non-concurrence) et non du droit de la concurrence.Par ailleurs, non plus sur le principe de la concurrence maissur ses modalités d’exercice, la Cour relève que la SMIL bé-néficiait de subventions d’exploitation de la province des îlesLoyauté et d’une exonération des droits et taxes sur le carbu-rant et lie cette circonstance au développement, en concur-rence avec les sociétés privées et notamment la Société Tran-siles, d’une activité de transport de marchandises « pour laquelleelle a eu recours à des campagnes publicitaires et proposé desprix très inférieurs à ceux pratiqués par ses concurrents ». Sansplus d’explication, sans caractériser la présence de subven-tions croisées, la Cour conclut alors que « par suite, la SociétéTransiles est fondée à rechercher la responsabilité de la pro-vince des îles Loyauté à raison des pertes de chiffre d’affairesqu’elle a subies (…) du fait de conditions de concurrence dé-loyale ainsi créées ».Il n’est pas fréquent, là encore, qu’une juridiction adminis-trative, alors que la jurisprudence impose que l’interven-tion publique ne se réalise pas « suivant des modalités tellesqu’en raison de la situation particulière dans laquelle se trou-verait cette personne publique par rapport aux autres opé-rateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le librejeu de la concurrence sur celui-ci » (arrêt OABP préc.), se placesur le terrain de la concurrence déloyale qui ne relève pointdu droit des pratiques anticoncurrentielles mais qui, on lesait, est une théorie jurisprudentielle judiciaire issue de l’ar-ticle 1382 du Code civil... Et, le tout, sans véritable démons-tration du lien de causalité entre le dommage concurrentielet les avantages financiers accordés à la SMIL. Encore moins

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ALITÉSCONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

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du fondement de la responsabilité non pas de l’acteuréconomique, la SMIL, mais de la collectivité publique.À la concurrence déloyale succède l’invocation de prix anor-malement bas pratiqués par la SMIL. Pour sa défense, la pro-vince des îles Loyauté soutenait, d’une part, que « les pra-tiques tarifaires de la SMIL ne sont pas fautives en ce que lapratique de prix anormalement bas n’est pas en elle-même cri-tiquable dès lors qu’elle s’inscrit dans une logique de pénétra-tion du marché, n’a eu qu’une durée limitée à un an et demiet n’a correspondu qu’au démarrage de son activité » et, d’autrepart, que « la société requérante a elle-même eu recours à unetarification tout aussi agressive et qu’elle ne peut dès lors sol-liciter la réparation d’un préjudice résultant d’une concurrencecommerciale accrue à laquelle elle s’est elle-même exposée ».Pour la Cour, décidément sensible à la situation des concur-rents, « si la Société Transiles n’a pas subi une baisse de sonactivité de fret en 1993 et 1994 alors même que les sociétés So-lenav et Hanner, sociétés concurrentes, connaissaient une baissesignificative de leur activité de fret au cours de l’année 1994par rapport à 1993, en revanche les effets conjugués de la miseen service du car-ferry “Président Yeiwéné” et des tarifs prati-qués ont entraîné pour la Société Transiles une chute notablede son activité de fret en 1995 ». Et sans plus d’explication, làencore, « par suite, la responsabilité de la province des îlesLoyauté peut être recherchée par la Société Transiles sans qu’ily ait lieu de retenir une quelconque faute de la part de la so-ciété requérante ». Une responsabilité entière, couvrant l’en-semble du préjudice subi… Comme quoi, le laconisme n’estpas forcement signe d’une protection de l’administration.

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Concurrence sécuriséeUn préfet a légalement pu prononcer la suspensionde l’autorisation de fonctionnement d’une sociétéde sécurité employant des agents sans agrément voirefrappés d’incapacité, sans porter une atteinte illégaleau principe de la liberté du commerce et de l’industrie.CAA Versailles, 18 déc. 2008, n° 06VE02076, X. c/ Préfecture de l’Essonne

Gérant de la société US Security exerçant des activités de gar-diennage et de surveillance, et soumis à ce titre à la loi du12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillancede gardiennage et de transport de fonds, M. X a fait l’objetd’une enquête de police ayant conduit à signaler au procu-reur de la République des faits d’exercice d’activité de sur-veillance et gardiennage sans agrément et des faits d’emploide personnes frappées d’incapacité pour exercer une telle ac-tivité de surveillance et de gardiennage (sur les conditions d’agrément,cf. récemment, CAA Nantes, 3 févr. 2009, n° 08NT01733 et n° 09NT01832, Préfet du Loi-ret, AJDA 2009, p. 758, chron. Degommier S.).En conséquence, le préfet de l’Essonne a décidé de suspendrel’autorisation d’exercer des activités de gardiennage et de sur-veillance qui avait été délivrée à la société US Security. M. Xforma alors un recours indemnitaire tendant à la condamna-tion de l’État à lui verser une indemnité en réparation du pré-judice subi du fait de cette décision.Pour trancher cette demande, dont on s’abstiendra d’appré-cier l’opportunité, le juge administratif fait logiquement ap-plication de la jurisprudence Driancourt (CE, sect., 26 janv. 1973,n° 84.768, Rec. CE 1973, p, 77, AJDA 1973, p. 245, chron. Cabanes P. et Léger D.) consis-tant à rechercher une illégalité pour caractériser une faute.

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À l’évidence, point d’illégalité et, donc, point de faute en l’es-pèce : « compte tenu de la gravité de ces faits, le préfet de l’Es-sonne était fondé à prononcer la suspension de l’autorisationde fonctionnement de la société US Security jusqu’à ce que l’au-torité judiciaire se soit prononcée et a pu édicter cette mesuresans porter une atteinte illégale au principe de la liberté ducommerce et de l’industrie ».En effet, la loi précitée du 12 juillet 1983 encadre précisémentles activités, non exercées par un service public administra-tif, consistant à fournir des services ayant pour objet la sur-veillance ou le gardiennage de biens meubles ou immeublesainsi que la sécurité des personnes se trouvant dans ces im-meubles. Plus précisément, elle organise une profession ré-glementée (cf. Perrin A., Les professions réglementées, Dr. adm. 2008, étude 16 ;Clamour G., Libertés professionnelles et liberté d’entreprise, J.-Cl. Libertés, Fasc. 1340) ensubordonnant l’exercice de l’activité en cause « à une autori-sation distincte pour l’établissement principal et pour chaqueétablissement secondaire », qui peut être retirée ou suspen-due lorsque l’un des dirigeants fait l’objet de poursuites pé-nales (art. 12).Face à une telle réglementation, issue directement de la loi,non seulement une mesure de suspension ou de retrait d’agré-ment ne porte pas une atteinte illégale au principe de la li-berté du commerce et de l’industrie, mais l’invocation d’unetelle liberté est même inopérante (Rappr. CE, 12 déc. 1953, n° 18.046, Synd.nat. transporteurs aériens, Rec. CE 1953, p. 547; CE, ass., 21 nov. 1958, n° 30.791, Synd.nat. transporteurs aériens, Rec. CE 1958, p. 578; CE, 29 mai 1970, n° 75.427, Sté Bousse-gui, Rec. CE tables 1970, p. 549; CE, 16 déc. 1994, n° 99.219, SA monégasque « Le Prêt »,Rec. CE 1994, p. 552).

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Le repos dominical n’est pasun luxeAucune circonstance ne permet de regarder le magasinLouis Vuitton situé avenue des Champs-Élysées commeun établissement mettant à la disposition du publicdes biens et des services destinés à faciliter son accueilou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif,récréatif ou culturel, de nature à accorder unedérogation au principe du repos dominical.CE, 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationale de l’habillement,nouveauté et accessoires

L’on sait, aux termes du Code du travail, que si « le repos heb-domadaire doit être donné le dimanche » (art. L. 3132-3), il peuttoutefois être « donné par roulement » pour tout ou partie dupersonnel, « dans les communes touristiques ou thermales etdans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’ani-mation culturelle permanente », pendant la ou les « périodesd’activités touristiques, dans les établissements de vente au dé-tail qui mettent à disposition du public des biens et des servicesdestinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou deloisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel (...) » (art. L. 3132-25.Sur ce thème, cf. Donnette A. Repos dominical vs Grands magasins parisiens : en attendantla réforme..., RLC 2008/18, n° 1296).À ce titre, le préfet de Paris avait accordé en 2005 à la SA LouisVuitton Malletier et à la SNC des magasins Louis Vuitton-France l’autorisation de donner le repos hebdomadaire parroulement aux salariés qu’elles emploient dans l’établisse-ment situé avenue des Champs-Élysées à Paris. Décision an-nulée par le Tribunal de Paris par un jugement du 31 mai 2006,

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lui-même infirmé le 28 mai 2007 par les seconds juges (CAA Pa-ris, 28 mai 2007, n° 06PA02061, RLC 2008/14, n° 1009, obs. Donnette A.). En effet, laCour administrative d’appel de Paris a considéré que cet éta-blissement « met en vente des articles de maroquinerie, joaille-rie, vêtements et accessoires » qui « peuvent être regardés commeétant, au moins pour une certaine catégorie de clientèle étran-gère, au nombre des attraits touristiques de la capitale fran-çaise ». Elle s’est également fondée sur le fait que cet établisse-ment « commercialise des livres d’art et de voyage ayant un lienavec la marque Louis Vuitton » et sur « la présence, dans ce ma-gasin fréquenté par des touristes, d’œuvres artistiques et d’unespace destiné à accueillir des manifestations culturelles en rap-port avec les activités de la société Louis Vuitton ».En cassation, le Conseil d’État annule d’abord l’arrêt des se-conds juges en retenant que « les produits de maroquinerie, dejoaillerie, vêtements et accessoires qui sont mis à la dispositiondu public par cet établissement ne revêtent pas, par nature,quelles que soient les qualités architecturales ou artistiques dulieu dans lequel ils sont mis en vente, le caractère de biens etservices destinés à faciliter l’accueil du public ou les activités dedétente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel », ausens des dispositions du Code du travail. Il ajoute en ce sensque « si les livres d’art et de voyage qui y sont également com-mercialisés peuvent être regardés comme facilitant les activitésde loisirs d’ordre culturel, ils ne sont, ainsi que l’a souveraine-ment apprécié la cour administrative d’appel, destinés qu’à ac-compagner ou promouvoir la vente des autres articles de lamarque Louis Vuitton, leur mise à disposition du public revê-tant dès lors un caractère accessoire de celle de ces derniers pro-duits ». Du reste, termine-t-il, « les espaces d’exposition et lesmanifestations culturelles, accessibles gratuitement aux visiteursdu magasin », n’entrent pas dans les prévisions du texte « quine portent que sur les biens et services mis à la disposition dupublic à titre onéreux ».Réglant l’affaire au fond, la Haute juridiction administrativeconsidère en conséquence que, « pour les raisons indiquées ci-dessus, ni les produits de maroquinerie, de joaillerie, vêtementset autres équipements de la personne mis en vente par l’établis-sement à l’enseigne Louis Vuitton situé avenue des Champs-Ély-sées, ni les livres d’art et de voyage qui n’en sont que l’acces-soire, ni les espaces d’exposition et les manifestations culturellesproposés gratuitement par cet établissement ne permettent deregarder ce dernier comme un établissement mettant à la dis-position du public des biens et des services destinés à faciliterson accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre spor-tif, récréatif ou culturel » et que, dès lors, il ne pouvait être lé-galement dérogé au principe du repos hebdomadaire donné ledimanche.

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Police et activitéséconomiques en archéologiepréventiveSeules les opérations de diagnostics et de fouillesarchéologiques, de nature économique, ne relèvent

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pas des missions de police administrative de l’Étatet peuvent donc être réalisées et financées par des tiers.CE, 11 mai 2009, n° 296919, Ville de Toulouse

La ville de Toulouse avait conclu entre 1993 et 2000 septconventions avec l’État et l’ancienne Association pour lesfouilles archéologiques nationales (AFAN) afin d’autoriseret de financer des opérations de fouilles archéologiques, me-nées par l’AFAN, sous le contrôle technique et scientifiquede l’État, sur des terrains et immeubles lui appartenant etsur lesquels elle avait projeté d’entreprendre des travaux.Dans le cadre des conventions, la ville s’était engagée à ver-ser à l’AFAN la somme de plus de 700000 euros. Mais unefois cette somme presque totalement versée, la ville de Tou-louse a réclamé à l’État des remboursements au motif quele droit en vigueur n’avait pu autoriser l’État à lui faire sup-porter totalement ou partiellement le coût des fouilles ar-chéologiques. Elle a alors formé un recours en responsabi-lité quasi délictuelle tendant à la condamnation de l’État auremboursement des sommes versées avec intérêts au tauxlégal auquel le Tribunal administratif de Toulouse fit partiel-lement droit avant de voir sa décision infirmée en appel enconsidération de ce que la ville ne pouvait engager d’autresactions que celles qu’elle tenait de ses contrats.En cassation, après avoir rappelé les dispositions alors en vi-gueur régissant les conditions dans lesquelles l’État peut pré-céder d’office à l’exécution de fouilles, le Conseil d’État retientde manière très intéressante qu’en l’espèce « l’État a conduitla commune de Toulouse à participer au financement d’opéra-tions de fouilles archéologiques en lui imposant la signaturedes conventions de financement litigieuses [et] que la ville aainsi engagé une action contre l’État sur le seul terrain de saresponsabilité quasi délictuelle, même s’il lui aurait été loisibled’engager une action sur le terrain de la nullité des contratsqu’elle soutenait avoir été contrainte de signer », pour conclureà l’erreur de droit commise par des seconds juges ayant en-fermé l’affaire dans les liens de la responsabilité contractuelle.Le terrain quasi délictuel étant consacré, la Haute juridic-tion administrative retient une seconde erreur de droit de lacour administrative d’appel qui est l’occasion de préciser cequi ressort, en archéologie préventive, des missions de po-lice administrative de ce qui relève des activités économiques :« si les dispositions précédemment évoquées donnent aux ser-vices de l’État la possibilité de procéder d’office à l’exécutionde fouilles archéologiques sur des terrains n’appartenant pasà l’État, dans les conditions qu’elles définissent, elles ne leurpermettent pas de prescrire au propriétaire d’un terrain laréalisation, à ses frais, de fouilles archéologiques ». En effet,« s’agissant de la détection, de la conservation, de la sauve-garde du patrimoine archéologique ainsi que du contrôle etde l’évaluation d’opérations d’archéologie préventive, qui re-lèvent d’une mission de police administrative de l’État, ce-lui-ci ne peut pas plus, y compris par voie contractuelle, pré-voir leur financement total ou partiel par des personnespubliques ou privées », avant d’ajouter que « seules les opé-rations de diagnostics et de fouilles, de nature économique,ne relèvent pas de ces missions de police administrative etpeuvent donc être réalisées et financées par des tiers ».

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ACTU

ALITÉSCONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

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DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCESous la responsabilité d’Éric BARBIER de la SERRE, Avocat, Latham & Watkinset Cyril NOURISSAT, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon 3

Lorsque l’on passe d’une langue à une autre, il ar-rive de rencontrer ce que les traducteurs appel-lent des faux amis. Il semble en aller de même enpassant du droit communautaire au droit fran-çais, comme l’illustre l’appellation de conseiller

auditeur : la même expression renvoie, dans ces deux ordres,à deux réalités différentes.En France, la fonction de conseiller auditeur est apparue lorsde la transformation du Conseil de la concurrence en Auto-rité de la concurrence par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008de modernisation de l’économie (dite « LME »). Le décretn° 2009-335 du 26 mars 2009, relatif aux modalités d’inter-vention du conseiller auditeur auprès de l’Autorité de la concur-rence, est ensuite venu préciser les contours de ce nouveauposte, dont le premier titulaire, nommé le 16 juillet 2009, estM. Dominique Voillemot, ancien avocat spécialisé en droit dela concurrence.La création de cette fonction fait partie des principales nou-veautés de la LME. Cette innovation est en effet remarquabledans la mesure où la fonction de conseiller auditeur n’existedans aucune autre autorité de concurrence, hormis la Com-mission européenne, où elle a été institutionnalisée dès 1982.Toutefois, malgré l’identité d’appellation, une comparaisonmême sommaire entre le conseiller auditeur « à la française »(Bosco D., Parution du dernier décret « LME » sur le conseiller auditeur « à la française »,Contrats, conc., consom. 2009, comm. 138) et celui de la Commission eu-ropéenne montre que les deux conseillers auditeurs ont peude points communs, si ce n’est leur mission exprimée en destermes généraux, à savoir veiller au respect des droits des par-ties. À l’analyse, le conseiller auditeur français apparaît bienplus comme un homonyme qu’un homologue du conseillerauditeur de la Commission européenne. En effet, même si lacréation d’un conseiller auditeur a été saluée par la commu-nauté juridique comme apportant une garantie supplémen-

taire aux entreprises, les pouvoirs qui lui ont été attribués sontassez limités, du moins bien davantage que ceux de son ho-monyme communautaire. Son statut a été âprement discutéet a donné lieu à quelques turbulences législatives (I), maisle vent est retombé sur ce point. C’est désormais le caractèrecirconscrit de sa mission et de ses pouvoirs qui soulève desquestions (II) et amène à s’interroger sur la portée exacte decette avancée pour les droits de la défense (III).

I. – LES TURBULENCES AUTOUR DU STATUTDU CONSEILLER AUDITEUR

La création du statut du conseiller auditeur ne s’est pas faitesans quelques heurts. Selon les dispositions issues de la LME,le conseiller auditeur devait posséder la qualité de magistrat,exigence qui devait permettre de garantir son indépendance.Cependant, à l’occasion de la ratification de l’ordonnancen° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation dela régulation de la concurrence par la loi n° 2009-526 du 12 mai2009 de simplification et de clarification du droit et d’allège-ment des procédures, le législateur a finalement modifié cetteexigence. Désormais, le conseiller auditeur doit soit posséderla qualité de magistrat, soit offrir « des garanties d’indépen-dance et d’expertise équivalentes » (C. com., art. L. 461-4, al. 4, tel quemodifié par L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139-VII, 3°). Cet assouplissementdu statut du conseiller auditeur a été décidé afin d’ouvrir lafonction aux avocats et professeurs de droit, les compétencespouvant être attendues de lui étant les suivantes : une par-faite connaissance du droit français et communautaire de laconcurrence ainsi que des règles de procédure en vigueur de-vant l’Autorité de la concurrence, de même qu’une culture ducontradictoire et des droits de la défense.Cette modification du statut du conseiller auditeur n’est tou-tefois pas intervenue sans difficultés. En effet le législateur,

Le conseiller auditeurde l’Autorité : un homonymeplus qu’un homologuedu conseiller auditeurcommunautaireLa création de la fonction de conseiller auditeur au sein de l’Autorité de la concurrenceest l’une des principales nouveautés de la loi de modernisation de l’économie. D’inspirationcommunautaire, le rôle du conseiller auditeur est toutefois, à ce stade, bien plus limitéque celui du conseiller auditeur de la Commission européenne.

L. n° 2008-776, 4 août 2008, JO 5 août ; D. n° 2009-335, 26 mars 2009, JO 28 mars1429

Par Éric BARBIERDE LA SERRE

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et ClémenceMACÉ

DE GASTINESAvocat au Barreau

de Paris

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avant d’assouplir effectivement ce statut dans la loi du 12 mai2009, avait d’abord tenté, sans succès, de le modifier dans laloi pour l’accélération des programmes de construction et d’in-vestissement publics et privés, adoptée le 29 janvier 2009. Cetempressement s’expliquait par l’expiration proche du délai detrois mois suivant la publication de l’ordonnance au Journalofficiel qui était imposé au gouvernement pour déposer unprojet de loi de ratification.Un premier rebondissement survient toutefois lors de la dis-cussion de cette loi devant l’Assemblée nationale : un amen-dement supprimant toute référence à la qualité de magistratest en effet adopté au motif que cette exigence introduit unerigidité injustifiée qui n’existe pas au niveau communautaire.Deuxième rebondissement, cette fois-ci devant le Sénat, quiintroduit l’alternative aujourd’hui en vigueur selon laquellele conseiller auditeur est soit un magistrat, soit une personneoffrant des garanties d’indépendance et d’expertise équiva-lentes. Une fois la loi adoptée, un troisième rebondissementsurvient devant le Conseil constitution-nel : celui-ci censure la disposition re-lative au conseiller auditeur de la loipour les programmes de constructioncomme étant dépourvue de tout lienavec le projet de loi initial et constituant,dès lors, un « cavalier législatif » (Cons.const., 12 févr. 2009, n° 2009-575 DC). Un quatrièmerebondissement vient ensuite du gou-vernement qui, le lendemain de la dé-cision de censure du Conseil constitu-tionnel, dépose un projet de loi deratification de l’ordonnance ne faisantplus aucune référence au statut du conseiller auditeur (projetde loi n° 1455 du 13 février 2009 ratifiant l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre2008). Enfin, cinquième et dernier rebondissement, la loi du12 mai 2009 de simplification du droit modifie définitivementle statut du conseiller auditeur, lequel peut donc être – saufnouveau rebondissement législatif inattendu – soit un ma-gistrat soit une personne offrant des garanties d’indépen-dance et d’expertise équivalentes.Pour leur part, les principales caractéristiques du poste deconseiller auditeur ont soulevé moins de difficultés. L’articleL. 461-4, alinéa 4, du Code de commerce précise sur ce pointque le conseiller auditeur est nommé par arrêté du ministrede l’Économie après avis du collège. La nomination de M. Do-minique Voillemot comme premier conseiller auditeur de l’Au-torité a enfin eu lieu après quelques mois d’attente et d’incer-titude, sur avis favorable du collège de l’Autorité de laconcurrence (Aut. conc., avis n° 09-A-41, 1er juill. 2009, relatif à une proposition denomination aux fonctions de conseiller auditeur de l’Autorité de la concurrence).Le décret n° 2009-335 du 26 mars 2009, relatif aux modalitésd’intervention du conseiller auditeur, indique en outre que cedernier exerce ses fonctions pour une durée de cinq ans, sonmandat étant renouvelable une fois (C. com., art. R. 461-9-I), à l’in-verse de son homonyme communautaire qui jouit d’un man-dat non limité dans le temps.Enfin, le règlement intérieur et la charte de déontologie de l’Au-torité de la concurrence soumettent le conseiller auditeur, entant que membre de l’Autorité, à certaines obligations. Il doitainsi signer une déclaration sur l’honneur lors de sa prise defonction, dans laquelle il prend l’engagement solennel d’exer-cer ses fonctions « en pleine indépendance, en toute impartia-lité et en conscience, ainsi que de respecter le secret profession-nel, notamment pendant l’instruction » (Règl. int. Aut. conc., art. 5,al. 1er). Lors de son entrée en fonction, le conseiller auditeur a

également l’obligation de communiquer au président de l’Au-torité la liste des intérêts qu’il détient, directement ou par per-sonne interposée, ainsi que la liste des fonctions qu’il exercedans une activité économique. Il communique également laliste des fonctions qu’il a exercées, des mandats dont il a ététitulaire au sein d’une personne morale et des intérêts qu’il adétenus au cours des cinq années précédant son entrée enfonction (ibid., art. 6, al. 1er). Cette obligation de communication seprolonge au cours de l’exécution de son mandat (ibid., art. 6, al. 3).

II. – LA MISSION ET LES POUVOIRS CIRCONSCRITSDU CONSEILLER AUDITEUR

Le législateur a donné au conseiller auditeur des pouvoirs quicorrespondent strictement à son appellation : il conseille et ilécoute, ou plutôt il écoute puis il conseille.La mission du conseiller auditeur telle que définie par la LME,est en effet circonscrite à « recueillir, le cas échéant, les obser-

vations des parties mises en cause et sai-sissantes sur le déroulement des procé-dures les concernant dès l’envoi de lanotification des griefs » (C. com., art. L. 461-4,al. 4). En outre, « [il] transmet au prési-dent de l’Autorité un rapport évaluantces observations et proposant, si néces-saire, tout acte permettant d’améliorerl’exercice de leurs droits par les parties »(C. com., art. L. 461-4, al. 4). En bref, le conseillerauditeur « recueill[e] » donc les observa-tions des parties sur le déroulement dela procédure et « transmet » au président

de l’Autorité un rapport avec ses évaluations et ses proposi-tions. Il joue par là même le rôle d’un observateur extérieuret indépendant de l’exercice des droits des parties au stade del’instruction. Il constitue en d’autres termes l’interface entreles entreprises et l’Autorité sur le bon déroulement de la pro-cédure et veille à l’amélioration de l’exercice des droits de ladéfense et des droits des parties saisissantes.Les pouvoirs du conseiller auditeur restent donc relativementlimités, comme le confirme le décret n° 2009-335 du 26 mars2009, codifié à l’article R. 461-9 du Code de commerce, quimentionne les « modalités [de son] intervention ». L’étenduedes pouvoirs du conseiller auditeur varie toutefois en fonc-tion des stades de la procédure devant l’Autorité de la concur-rence que sont l’enquête, l’instruction et la séance.Premièrement, en matière d’enquête, les pouvoirs du conseillerauditeur sont inexistants, alors que l’Autorité s’est vu confierpar la LME d’importantes compétences dans ce domaine. Lecontentieux contre les ordonnances d’autorisation des opéra-tions de visite et saisie du juge des libertés et de la détentionet celui contre le déroulement de ces opérations restent en ef-fet exclusivement du ressort du premier président de la courd’appel dans le ressort du juge les ayant autorisées (C. com.,art. L. 450-4, al. 6 et 12). Du reste, une autre autorité qu’un juge au-rait-elle pu être saisie en premier ressort de questions ayantune telle portée sur la protection des libertés fondamentales?Pour l’essentiel, les pouvoirs du conseiller auditeur se situentdonc, deuxièmement, au stade de l’instruction, où ils restentmalgré tout étroitement circonscrits. En effet, le conseiller au-diteur n’intervient que « dans les affaires donnant lieu à unenotification de griefs » (C. com., art. R. 461-9-II, al. 2). Ses pouvoirs sontdonc limités aux procédures avec notification des griefs, cequi exclut de son champ de compétence un grand nombred’affaires : les procédures d’engagements, les procédures sur

ACTU

ALITÉSDROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE

En matière d’enquête, les pouvoirs du conseillerauditeur sont inexistants,

alors que l’Autorité s’est vu confier par

la LME d’importantescompétences dans

ce domaine.

ÉCLAIRAG

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demande de mesures conservatoires, de même que les pro-cédures de contrôle des concentrations ne donnant pas lieuà l’ouverture d’un examen approfondi. Pourtant, à des degrésdivers, toutes ces procédures peuvent soulever des problèmesaigus de droits de la défense. Cette limitation paraît donc re-grettable, d’autant que les procédures simplifiées connaissentun succès grandissant.Au stade de l’instruction, le conseiller auditeur peut néan-moins intervenir non seulement à la demande d’une par-tie, mais également de sa propre initiative, en appelantl’attention du rapporteur général sur le bon déroulementde la procédure s’il estime qu’une affaire soulève unequestion relative au respect des droits des parties (C. com.,art. R. 461-9-II, al. 1er).Dans l’exercice de ses fonctions, le conseiller auditeur seradonc en relation à la fois avec les parties, les rapporteurs, lerapporteur général et le président de l’Autorité de la concur-rence. Les parties saisissantes et les parties mises en cause peu-vent lui soumettre leurs observations surles affaires les concernant, mais seule-ment « pour des faits ou des actes inter-venus à compter de la réception de la no-tification de griefs et jusqu’à la réceptionde la convocation à la séance de l’Auto-rité » (C. com., art. R. 461-9-II, al. 2). Le rappor-teur général peut également lui présen-ter des observations sur le déroulementde la procédure. Lorsque le conseiller au-diteur appelle l’attention du rapporteurgénéral sur le bon déroulement de la pro-cédure dans une affaire, il verse ses ob-servations au dossier, ce qui renforcera les garanties des par-ties en consignant pour l’avenir toute difficulté éventuelle (C. com.,art. R. 461-9-II, al. 6). En outre, le conseiller auditeur bénéficie du« concours des services de l’instruction » pour l’exercice de sesfonctions et est habilité à demander la communication despièces du dossier dont il est saisi auprès du rapporteur géné-ral. Comme cela s’imposait pour le bon exercice de son office,la confidentialité et le secret des affaires ne lui sont pas oppo-sables (C. com., art. R. 461-9-III). Enfin, le conseiller auditeur conclutses interventions en remettant un rapport au président de l’Au-torité dans lequel il évalue les observations des parties et pro-pose, si nécessaire, tout acte permettant d’améliorer l’exercicedes droits des parties. Ce rapport doit être remis au présidentau plus tard dix jours ouvrés avant la séance, une copie étantadressée au rapporteur général et aux parties concernées (C. com.,art. R. 461-9-II, al. 4). Cette disposition réglementaire a pu être spé-cialement critiquée dès lors que, d’une part, elle replace le pré-sident au cœur de la phase d’instruction, alors que la LME l’enavait écarté au profit du rapporteur général et, d’autre part,c’est la section appelée à trancher l’affaire qui devrait recevoirce rapport directement (Idot L. et Lemaire Ch., L’avant-projet d’ordonnance por-tant création de l’Autorité de la concurrence, JCP G 2008, Actualités, n° 441). Le rap-port du conseiller auditeur ne semble en outre pas avoir vo-cation à devenir public, contrairement à celui de son homonymecommunautaire, ce qui diminuera la pression qu’il pourraitexercer sur le collège mais sera partiellement compensé par lapossibilité qu’auront les parties de s’en prévaloir, le cas échéant,devant la Cour d’appel de Paris.Troisièmement, au stade de la séance de l’Autorité, lespouvoirs du conseiller auditeur sont résiduels. En effet,le président « peut inviter » le conseiller auditeur « à as-sister à la séance et à y présenter son rapport » (C. com.,art. R. 461-9-II, al. 5).

Enfin, quatrièmement, le conseiller auditeur remet chaqueannée au président de l’Autorité un rapport sur son activité,rapport qui est joint au rapport public de l’Autorité (C. com.,art. R. 461-9-IV).Au terme de cette brève énumération, on ne peut qu’êtrefrappé par la différence des pouvoirs conférés aux conseillersauditeurs français et communautaire. En effet, depuis sa créa-tion en 1982, la fonction de conseiller auditeur communau-taire a été modifiée en 1994 et 2001 pour continuellement ren-forcer ses pouvoirs et son indépendance (Déc. Comm. CE n° 2001/462,23 mai 2001, JOCE 19 juin, n° L 162, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans cer-taines procédures de concurrence; Déc. Comm. n° 94/810/CECA, 12 déc. 1994, JOCE 21 déc.,n° L 330, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans le cadre des procédures deconcurrence devant la Commission), en particulier pour tirer les leçonsdes trois défaites subies par la Commission en matière decontrôle des concentrations durant l’année 2002, véritable an-nus horribilis pour la Commission (TPICE, 6 juin 2002, aff. T-342/99, Air-tours c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2585; TPICE, 22 oct. 2002, aff. T-310/01, Schneider

Electric c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4071; TPICE, 25 oct.2002, aff. T-5/02, Tetra Laval c/ Commission, Rec. CJCE, II,p. 4381). Après l’annulation de ces troisdécisions d’interdiction par le Tribunal,la Commission s’était en effet engagéeà modifier son processus décisionnel et,notamment, à renforcer le rôle duconseiller auditeur en lui donnant lesressources suffisantes pour exercer sonmandat (Comm. europ., XXXIIe rapport sur la politiquede concurrence, 2002, SEC (2003) 467 final, pp. 5 et 94).Au terme de ce processus d’élargisse-ment de ses pouvoirs, le conseiller au-

diteur de la Commission européenne a comme mission de ga-rantir le respect du droit d’être entendu et de conduire lesprocédures de manière à ce qu’elles se déroulent de la façonla plus objective, transparente et efficace possible, dans la li-mite du respect d’une application efficace du droit de la concur-rence. Il dispose en outre d’un domaine de compétence plusétendu que son homonyme français. Il est en effet compétentpour intervenir dans d’autres procédures que celles donnantlieu à une notification de griefs, puisque son action peut no-tamment s’étendre aux procédures d’engagements. En outre,il peut intervenir avant l’ouverture d’une procédure formellelorsque des questions de confidentialité se présentent à pro-pos d’informations devant figurer dans une communicationde griefs, de même qu’il peut statuer au sujet de la versiond’une décision destinée à la publication.Surtout, le conseiller auditeur de la Commission européennene se limite pas à un rôle de simple observateur. Il disposed’un certain nombre de pouvoirs propres et, en particulier,d’un pouvoir de décision dont son homonyme français est dé-pourvu. Il organise et préside les auditions orales et veille àleur bon déroulement. Il statue en outre sur les demandesd’auditions de tiers et assure la protection des secrets d’af-faires des entreprises. Il garantit par ailleurs l’accès au dos-sier, prend parti sur les prorogations de délais et conseille lecommissaire chargé de la politique de concurrence. Pour ac-complir sa mission, il est obligatoirement tenu informé par ledirecteur chargé de l’instruction de l’état d’avancement de laprocédure jusqu’au stade du projet de décision, ce que lestextes français ne prévoient pas. En contrepartie de son pou-voir décisionnel propre, certaines de ses décisions sont sus-ceptibles de recours (TPICE, 30 mai 2006, aff. T-198/03, Bank Austria Creditans-talt c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1429; TPICE, 7 juin 2006, aff. jtes. T-213/01 et T-214/01,Österreiche Postparkasse e.a. c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1601).

LE CONSEILLER AUDITEUR DE L’AUTORITÉ : UN HOMONYME PLUS QU’UN HOMOLOGUE DU CONSEILLER AUDITEUR COMMUNAUTAIRE

Dans l’exercice de sesfonctions, le conseillerauditeur sera donc en

relation à la fois avec lesparties, les rapporteurs,le rapporteur général etle président de l’Autorité

de la concurrence.

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De surcroît, le conseiller auditeur de la Commission euro-péenne a pour mission, comme son homonyme français, derédiger des rapports dans lesquels il présente toutes ses ob-servations liées à des questions de procédure. Toutefois, enplus de cette mission, le conseiller auditeur de la Commissionpeut présenter toutes ses observations liées à des questionsde fond, en particulier sur la nécessité d’un complément d’in-formation, sur l’abandon de certains griefs ou sur la commu-nication de griefs supplémentaires. Ce rapport destiné au Com-missaire n’est pas publié, à l’instar du rapport de son homonymefrançais. En revanche, c’est son rapport final qui sera publiéau Journal officiel des Communautés européennes, rapportdans lequel il donne son avis sur le respect du droit qu’ontles parties d’être entendues.Enfin, le conseiller auditeur dispose de plus de moyens que sonhomonyme français. En effet, si la Commission ne compte ac-tuellement que deux conseillers auditeurs (la décision de la Commissiondu 23 mai 2001 utilise l’expression « un ou plusieurs » et ne limite donc pas leur nombre),ces Hauts fonctionnaires disposent toutefois, pour les aider dansleur mission, d’une équipe composée de dix personnes.

III. – QUELLE AVANCÉE POUR LES DROITSDE LA DÉFENSE?

Qualifié d’« aiguillon de qualité pour les services d’instructionet le rapporteur général » par la rapporteure générale (VirginieBeaumeunier : une rapporteure générale pour l’Autorité de la concurrence, Interview, Concur-rences, 2-2009, p. 6), d’« expert procédural » par le président de l’Au-torité de la concurrence (Lasserre B., La transformation du Conseil de la concur-rence en Autorité de la concurrence, clé de voûte d’une régulation de la concurrence, moderne,juste et efficace, site de l’Autorité, p. 11) ou encore d’« ombudsman desdroits de la défense » (Bosco D., préc.), le conseiller auditeur seprésente pour l’essentiel comme une personnalité disponiblepour remédier à d’éventuelles difficultés en amont de la pro-cédure, et ce sans avoir à attendre la séance du collège. Sesobservations ainsi que la publication de son rapport d’acti-vité permettront sans aucun doute de nourrir le débat sur despoints de procédure.Pourtant, la création de cette fonction avait été critiquée dansson principe même par le Conseil de la concurrence dansson avis du 18 avril 2008. Le Conseil avait ainsi jugé quecette création était surprenante au regard du principe de sé-paration entre la phase d’instruction et de décision. Le Conseilde la concurrence avait considéré que « cette fonction est né-cessaire dans une autorité ne connaissant pas la séparationdes fonctions d’instruction et de décision, telle que la Com-mission européenne. En revanche, son utilité n’apparaît pasdans une autorité telle que le Conseil, qui garantit cette sé-paration et permet aux parties de contester le déroulementde l’instruction devant un collège indépendant. Dans cesconditions on ne voit pas en quoi le conseiller auditeur pour-rait aider le collège à jouer son rôle naturel de gardien de larégularité de la procédure » (Cons. conc., avis n° 08-A-05, 18 avr. 2008,pt. 55, relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence ;cf. également Idot L., La nouvelle Autorité de la concurrence en France : entre deux mo-dèles européens ?, Europe févr. 2009, alerte 7).Le président de l’Autorité de la concurrence s’est ultérieure-ment prononcé dans le même sens : « sur le fond, en dépitd’un intitulé identique à celui retenu par le droit communau-taire, la fonction assurée par le conseiller auditeur de l’Auto-rité est appelée à être sensiblement différente de celle duconseiller auditeur de la Commission européenne. En effet,la séparation des fonctions d’instruction et de décision faitdu collège de l’Autorité le juge naturel de la régularité du

déroulement de la procédure d’instruction. Dans ces condi-tions, le conseiller auditeur ne pouvait pas être doté d’un pou-voir de décision individuel indépendant, car celui-ci auraitconstitué une régression pour les entreprises, auxquelles estactuellement garanti le contrôle collégial de la section char-gée de traiter l’affaire » (Lasserre B., préc.). Autrement dit, « il au-rait été paradoxal et peu efficace de soustraire certaines ques-tions au contrôle du collège pour les faire trancherindividuellement par le conseiller auditeur, dont les décisionsauraient pu faire l’objet de recours autonomes, ce qui auraitencore accru la complexité et la durée des procédures » (Lasserre B.,La nouvelle Autorité de la concurrence, Interview, Concurrences, 1-2009, p. 4).On peut encore noter à cet égard que, dans son avis n° 09-A-41 relatif à la proposition de nomination du conseiller auditeur,le collège de l’Autorité de la concurrence n’examine pas seule-ment les qualités d’expertise et d’indépendance de M. Domi-nique Voillemot; il propose aussi une analyse du rôle que doitjouer le conseiller auditeur, rôle qui doit être, selon lui, toujoursaussi étroitement circonscrit. En effet, il y est énoncé qu’il « res-sort des travaux et des débats parlementaires que le rôle confiéau conseiller auditeur de l’Autorité, dont l’organisation est mar-quée par la séparation des fonctions d’instruction exercées parles services d’instruction sous la direction du rapporteur géné-ral, d’une part, et des fonctions de décision assurées en toute in-dépendance par le collège, d’autre part, est celui d’“un expertprocédural, disponible pour aider à régler d’éventuelles diffi-cultés avant de présenter un point de vue autonome au collègeappelé à se prononcer sur la régularité de la procédure d’ins-truction”. Le conseiller auditeur est donc appelé à faire part d’uneopinion autonome au collège, seul en mesure de prendre unedécision à cet égard » (Aut. conc, avis n° 09-A-41, préc., pt. 4).Il ne nous semble effectivement pas contestable que la sépa-ration des fonctions d’instruction et de décision est bien plusnette dans le contentieux de la concurrence français qu’au ni-veau communautaire. Comme on le lui reproche si souvent,la Commission européenne est une institution intégrée quicumule les différentes fonctions d’enquête, d’instruction etde décision. La séparation fonctionnelle en droit français a deplus été profondément renforcée par la LME, qui a transféréau rapporteur général un certain nombre de pouvoirs autre-fois détenus par le président (notamment : classement d’informations en se-cret des affaires, choix d’une procédure simplifiée sans établissement préalable d’un rap-port et octroi de délais supplémentaires). Le poste de conseiller auditeurs’impose donc incontestablement plus au sein de la Commis-sion, car il constitue une sorte de contre-pouvoir interne sa-lutaire dont l’utilité a été démontrée par les changementsd’orientation de la procédure causés par certaines auditionstenues devant lui (cf., également, Idot L., Le nouveau mandat du conseiller-audi-teur. Quelques progrès dans les « procédures concurrence », Europe févr. 1995, chron. 2 ;Charbit N., Le nouveau mandat du conseiller-auditeur, un pas vers la séparation des fonc-tions?, Gaz. Pal. 21 déc. 1995, p. 3; Idot L., Le mandat des conseillers-auditeurs est modi-fié de manière à accroître leur indépendance, Europe, août-sept. 2001, comm. 277).Il aurait toutefois pu être envisagé de confier au conseiller au-diteur français un authentique pouvoir de décision. Si trans-férer le pouvoir de classement de secret des affaires et d’oc-troi des délais au rapporteur général constitue une avancée,cela n’aurait pas nui aux droits des parties que de voir cesquestions traitées par le conseiller auditeur. De même, commenous l’avons déjà souligné, aurait été particulièrement bien-venue la possibilité pour le conseiller auditeur d’intervenirlors de procédures ne donnant pas lieu à une notification desgriefs mais pouvant néanmoins soulever de graves questionsau regard des droits de la défense, en particulier les procé-dures d’engagements et de mesures conservatoires.

ACTU

ALITÉSDROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE

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Mais peut-être la ruse de l’histoire est-elle ici à l’œuvre :à l’instar de l’évolution du statut et des fonctions duconseiller auditeur communautaire, peut-être le rôle duconseiller auditeur « à la française » se verra-t-il renforcéultérieurement. Après tout, la fonction de conseiller audi-teur de la Commission a mis plusieurs années avant d’évo-luer dans le sens d’une plus grande indépendance et d’unrenforcement de ses pouvoirs, pour finalement lui per-

mettre d’exercer une pression bienvenue sur le processusdécisionnel communautaire, ainsi que M. Voillemot le re-levait en 2006 (Interview, 40 ans de barreau de droit de la concurrence, Concur-rences, 2-2006, p. 6). Surtout, l’importance de son rôle dépenden grande partie du tempérament et de la personnaliténommée : à défaut de décider, le conseiller auditeur serapeut-être finalement en position d’exercer une audacieusemagistrature d’influence. ◆

LE CONSEILLER AUDITEUR DE L’AUTORITÉ : UN HOMONYME PLUS QU’UN HOMOLOGUE DU CONSEILLER AUDITEUR COMMUNAUTAIRE

DROIT PROCESSUELDE LA CONCURRENCE1430

De nombreux enseignementssur la prescription en droitcommunautaireLe Tribunal confirme la large portée des actesinterruptifs de prescription mais affirme par ailleursl’effet relatif de la suspension de la prescription.TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg e.a.c/ Commission

Le plus souvent, d’intéressantes questions de prescription seposent dans les affaires de concurrence à l’occasion desquellesune décision de la Commission est annulée par les juridic-tions communautaires puis remplacée, au terme d’une nou-velle procédure administrative, par une seconde décision (cf.,par exemple, CJCE, 15 oct. 2002, aff. jtes. C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P,C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a. c/ Commission,dit « PVC II », Rec. CJCE, I, p. 8375; TPICE, 1er juill. 2008, aff. T-276/04, Compagnie mari-time belge c/ Commission, non encore publié, RLC 2008/17, n° 1237). L’arrêt com-menté, rendu à propos de l’une des dernières applications desrègles de concurrence du Traité CECA, confirme pleinementcette règle.Bien qu’il ne s’agisse pas du principal apport qui nous occu-pera ici, on remarquera tout d’abord en passant que cette af-faire confirme le droit pour la Commission de sanctionner,sous l’empire des règles procédurales relevant du Traité CE etmalgré l’expiration du Traité CECA, des infractions qui rele-vaient de ce second Traité et étaient constituées avant son ex-piration. L’arrêt s’inscrit ainsi dans la lignée tracée par l’arrêtGonzález y Díez rendu en matière d’aides (TPICE, 12 sept. 2007, aff. T-25/04, González y Díez c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 3121, RLC 2008/14, n° 993,obs. Cheynel B.) et non dans celle de l’affaire dite « Ronds à bé-ton », qui pourtant concernait la prohibition des pratiques an-ticoncurrentielles (TPICE, 25 oct. 2007, aff. jtes. T-27/03, T-46/03, T-58/03, T-79/03,T-80/03, T-97/03 et T-98/03, SP c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4331). Mais il estvrai que, dans la décision attaquée dans l’affaire « Ronds àbéton », la Commission n’avait mobilisé comme base juri-dique que le seul Traité CECA, alors que, dans la décision at-taquée dans l’arrêt commenté, elle avait pris soin de s’ap-puyer également sur le Traité CE et le règlement n° 1/2003.Si cette question de succession de normes à statut constitu-tionnel est d’un grand intérêt pour le droit institutionnel, enraison précisément de l’expiration des règles du Traité CECA

RLC

le présent commentaire se concentrera plutôt sur les ensei-gnements qui peuvent être tirés de l’arrêt commenté à pro-pos de la prescription.Pour mémoire, la prescription applicable au pouvoir de la Com-mission de prononcer des amendes est de cinq ans (Règl. Cons. CEn° 1/2003, 16 déc. 2002, art. 25, § 1). Elle court à compter du jour où l’in-fraction a été commise, sauf pour les infractions continues ourépétées, pour lesquelles elle ne court qu’à compter du jour oùl’infraction a pris fin (ibid., art. 25, § 2). Elle est interrompue « partout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la pour-suite de l’infraction », notamment par les demandes de rensei-gnements de la Commission, les décisions de la Commissionordonnant des vérifications ou l’envoi d’une communicationdes griefs (ibid., art. 25, § 3). Cette interruption vaut à l’égard detoutes les entreprises ayant participé à l’infraction (ibid., art. 25, § 4)et peut donc faire repartir à de multiples reprises le cours de laprescription. Pas indéfiniment toutefois, puisque la prescrip-tion est acquise « au plus tard le jour où un délai égal au doubledu délai de prescription » – c’est-à-dire dix ans – « arrive à ex-piration, sans que la Commission ait prononcé une amende ouune sanction » (ibid., art. 25, § 5). Il s’agit d’une date butoir repo-sant en substance sur le même mécanisme que celui récem-ment consacré par le législateur français en matière de pres-cription civile (C. civ., art. 2232, qui impose un tel délai de 20 ans), si ce n’estqu’en droit des pratiques anticoncurrentielles le délai butoir dedix ans est prorogé de la période durant laquelle la prescriptionest suspendue, c’est-à-dire « aussi longtemps que la décision dela Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant lejuge communautaire » (Règl. Cons. CE n° 1/2003, préc., art. 25, § 6).Contrairement à ce qui est prévu pour les actes interruptifsde prescription, il n’est pas précisé si cette suspension vaut àl’égard de toutes les parties ou des seules entreprises qui ontformé un recours. De façon inédite, l’arrêt commenté optepour la seconde solution.Pour en comprendre toute la portée, un bref retour en arrières’impose. Dans une première décision concernant l’affaire dite« des poutrelles », la Commission avait sanctionné la sociétéARBED, à laquelle elle avait imputé l’infraction commise parsa filiale TradeARBED, sans pour autant adresser la décisionà TradeARBED (Déc. Comm. CECA n° 94/215, 16 févr. 1994, JOCE 6 mai, n° L 116,relative à une procédure d’application de l’article 65 CA concernant des accords et pratiquesconcertés impliquant des producteurs européens de poutrelles). ARBED seule avaitdonc formé un recours en annulation devant le Tribunal. Cerecours avait été rejeté en grande partie du fait d’un arrêt en-suite cassé par la Cour, laquelle avait en outre décidé de sta-tuer elle-même sur le litige et, en raison de la violation desdroits de la défense d’ARBED, d’annuler la décision de la Com-mission pour autant qu’elle concernait cette société (TPICE, 11 mars1999, aff. T-137/94, ARBED c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 303 ; CJCE, 2 oct. 2003, aff. C-176/99 P, ARBED c/ Commission, Rec. CJCE, I, p. 10687).

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À la suite de cette annulation, la Commission avait engagéune nouvelle procédure visant les comportements anticon-currentiels qui avaient fait l’objet de la décision initiale, puisadressé une communication des griefs à ARBED mais aussi àTradeARBED, sa filiale ayant directement participé à l’infrac-tion, ainsi qu’à ProfilARBED, une société constituée en 1992pour poursuivre les activités économiques et industriellesd’ARBED dans le secteur des poutrelles. Finalement, la Com-mission leur avait infligé à titre solidaire une amende de 10 mil-lions d’euros (Déc. Comm. CE n° C (2006) 5342 final, 8 nov. 2006, aff. COMP/F/38.907,Poutrelles en acier, JOUE 13 sept. 2008, n° C 235, relative à une procédure d’application del’article 65 CA concernant des accords et pratiques concertés impliquant des producteurseuropéens de poutrelles).Les heurts de cette procédure amènent le Tribunal à vérifierpour chacune de ces trois sociétés que n’ont été violés ni laprescription quinquennale, interrompue par plusieurs actes,ni le délai butoir de dix ans, suspendu du fait de l’exercicedes voies de recours.À cet égard, ARBED soutenait tout d’abord que la prescrip-tion n’avait pu être interrompue à son égard, car les diversactes interruptifs retenus par la Commission ne l’identifiaientpas comme ayant participé à l’infraction : ils identifiaient uni-quement TradeARBED, sa filiale. Peu importe toutefois pourle Tribunal : selon l’article 25, paragraphe 4, du règlementn° 1/2003, la prescription vaut à l’égard de « toutes les entre-prises ayant participé à l’infraction ». Dès lors, « la circons-tance qu’une entreprise n’a pas été identifiée comme “ayantparticipé à l’infraction” (…) au cours de la procédure admi-nistrative dans le cadre de laquelle l’acte interruptif de la pres-cription s’est inscrit, n’est pas pertinente si cette entreprise estultérieurement identifiée comme telle » (pt. 143, citant en ce sens, TPICE,1er juill. 2008, aff. T-276/04, Compagnie maritime belge c/ Commission, préc., pt. 31).Ainsi, « la prescription est interrompue non seulement à l’égarddes entreprises qui ont fait l’objet d’un acte d’instruction oude poursuite, mais aussi à l’égard de celles qui, ayant parti-cipé à l’infraction, sont encore inconnues de la Commissionet, partant, n’ont fait l’objet d’aucune mesure d’instruction oune sont destinataires d’aucun acte de procédure » (pt. 145). Defait, « l’expression “ayant participé à l’infraction” implique unfait objectif, à savoir la participation à l’infraction, qui se dis-tingue d’un élément subjectif et contingent tel que l’identifica-tion d’une telle entreprise au cours de la procédure adminis-trative » (pt. 145). Ainsi, « une entreprise pourrait avoir participéà l’infraction sans que la Commission le sache au moment oùelle pose un acte interruptif de la prescription » (pt. 145).Appliquant ces principes, le Tribunal constate que la prescrip-tion a été interrompue plusieurs fois à l’égard d’ARBED et que,compte tenu de sa suspension pendant le cours de la procé-dure devant le juge communautaire, la décision a été légale-ment adoptée dans le délai de prescription quinquennale(pt. 148), de même que dans le délai butoir de dix ans, tel quesuspendu à l’égard d’ARBED durant les procédures devant leTribunal et la Cour (pt. 149).À cette occasion, le Tribunal soulève deux questions intéres-santes qu’il ne résout pas. En premier lieu, il réserve la pos-sibilité que la prescription n’ait pas été suspendue durant lapériode de deux mois courant entre l’arrêt du Tribunal et ledépôt du pourvoi devant la Cour (pts. 148 et 149). En second lieu,le Tribunal semble s’interroger implicitement sur l’interrup-tion de la prescription du fait de l’adoption d’une décision ul-térieurement annulée. Le Tribunal constate en effet dans unpremier temps qu’une telle décision interrompt la prescrip-tion (pt. 141). Dans un second temps, il est toutefois beaucoupplus prudent sur cette conséquence, puisque, évoquant les

divers actes interruptifs de prescription observables en l’es-pèce, il n’en évoque aucun entre la dernière demande de ren-seignements envoyée avant l’adoption de la décision et le dé-pôt du recours contre cette décision (pt. 148). Cette prudenceest peut-être due au fait que l’article 25, paragraphe 3, du rè-glement n° 1/2003 n’évoque pas explicitement l’adoptiond’une décision parmi les exemples d’actes interrompant laprescription, même s’il semble acquis qu’il s’agit bien d’unacte « visant (…) à la poursuite de l’infraction ».TradeARBED et ProfilARBED vont pour leur part avoir plusde succès qu’ARBED. À leur égard, comme le résume le Tri-bunal, la principale question consistait à « savoir si l’introduc-tion d’un recours devant le juge communautaire a un effet re-latif, auquel cas la suspension de la prescription pendant toutela durée de la procédure ne vaut qu’à l’égard de l’entrepriserequérante, ou erga omnes, auquel cas la suspension de laprescription pendant la procédure vaut à l’égard de toutes lesentreprises ayant participé à l’infraction, qu’elles aient ou nonformé un recours » (pt. 151). Selon les vues, la question n’étaitpas simple ou au contraire l’était particulièrement, car, contrai-rement à ce que prévoit l’article 25, paragraphe 4, du règle-ment n° 1/2003 s’agissant des actes interruptifs de prescrip-tion, rien n’indique à l’article 25, paragraphe 6, du mêmerèglement que la suspension vaut à l’encontre de toutes lesentreprises ayant participé à l’infraction. Cette différence vase révéler décisive, car, pour le Tribunal, les exceptions auprincipe de la prescription quinquennale, dont fait partie lasuspension, doivent être interprétées strictement (pt. 154). Celas’oppose donc à ce que le silence du législateur soit interprétédans le sens d’une suspension erga omnes, d’autant que lasuspension de la prescription durant le cours des procéduresjudiciaires suppose par nature qu’une décision a déjà été adop-tée. Il n’est donc plus nécessaire alors d’attacher un effet ergaomnes à la prescription, et ce d’autant que « l’effet inter partesdes procédures judiciaires et les conséquences attachées à ceteffet par la Cour (…) s’opposent en principe à ce que le recoursintroduit par une entreprise destinataire de la décision atta-quée ait une quelconque incidence sur la situation des autresdestinataires » (pts. 155 et 156; CJCE, 14 sept. 1999, aff. C-310/97 P, Commissionc/ AssiDomän Kraft Products e.a., pts. 49 et s., Rec. CJCE, I, p. 5363). On ne peutopposer à cette interprétation la notion d’entreprise entenduecomme unité économique : ce qui compte dans cette hypo-thèse est que l’entité juridique reçoit la communication desgriefs, se voit adresser la décision et, de ce fait, « est seule àmême d’introduire un recours (…) et (…) susceptible de se voiropposer la suspension de la prescription » (pt. 158).La solution est parfaitement justifiée et elle démontre une nou-velle fois l’importance procédurale d’une identification correctepar la Commission des entités juridiques pouvant se voir im-puter l’infraction au sein d’une même entreprise. Comme le dé-montre en effet cette affaire, si, au sein d’une même entreprise,la Commission oublie une entité ou commet une erreur en iden-tifiant celle(s) ayant participé à l’infraction, le recours exercépar les entités auxquelles la décision aura été adressée ne sus-pendra pas la prescription à l’égard des entités laissées de côté,de sorte qu’il deviendra très difficile pour elle de corriger sonerreur, sauf si, préventivement, elle a réalisé des actes d’ins-truction interruptifs de prescription à leur égard. Comme le re-levait en substance la Commission dans sa décision partielle-ment annulée, elle pourrait toutefois être malvenue de réaliserde tels actes alors qu’elle a préalablement adopté une décisionlaissant de côté les entités en cause (Déc. Comm. CE n° C (2006) 5342 fi-nal, 8 nov. 2006, aff. COMP/F/38.907, Poutrelles en acier, préc., consid. 451). Eu égardà l’arrêt rendu par le Tribunal, il ne peut cependant être exclu

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que, découvrant ultérieurement son erreur, elle décide d’ac-complir de tels actes à titre conservatoire, par exemple en leurenvoyant une demande de renseignements.

Éric BARBIER de la SERRE

• OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique« Pratiques concurrentielles », Arcelin-Lécuyer L., Imputation de l’infraction et prescription : les enjeux de la notion d’entreprise en droit de laconcurrence, RLC 2009/20, n° 1395.

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Accès au dossierde la Commission en vuede poursuites civilesLe Tribunal confirme l’appréciation strictedes exceptions au droit d’accès sous l’empiredu règlement n° 1049/2001.TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, Borax Europe c/ Commission ;TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, Borax Europe c/ Commission

Le règlement n° 1049/2001, qui constitue la réglementationgénérale sur l’accès aux documents de la Commission, duConseil et du Parlement, fait actuellement l’objet d’un pro-cessus de révision approfondie par le législateur communau-taire (Règl. Parl. et Cons. CE n° 1049/2001, 30 mai 2001, JOUE 31 mai, n° L 145, relatifà l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commis-sion). Le débat est intense entre la Commission, qui prône unerestriction du droit d’accès notamment dans les affaires deconcurrence, et le Parlement, très réservé sur un tel retour enarrière. Loin de ce débat ou peut-être au contraire pour s’y in-sérer, le Tribunal de première instance continue pour sa partde faire progresser les droits prévus par le règlementn° 1049/2001 dans sa version actuellement en vigueur. Lesdeux arrêts commentés confirment en effet la sévérité dontfait normalement preuve le Tribunal lorsqu’il examine si l’unedes exceptions au droit d’accès s’applique.Le règlement n° 1049/2001 n’est plus vraiment à présenter,car de nombreux arrêts le concernant ont déjà été commen-tés dans cette chronique (cf., par exemple, TPICE, 13 avr. 2005, aff. T-2/03, VKIc/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1121, RLC 2005/4, n° 312, obs. GMP, et TPICE, 9 sept. 2008,aff. T-403/05, MyTravel c/ Commission, pt. 97, non encore publié, RLC 2009/18, n° 1307).On peut toutefois rappeler qu’il est d’application extrêmementlarge, puisqu’il donne à « [t]out citoyen de l’Union et toutepersonne physique ou morale résidant ou ayant son siège dansun État membre » un droit d’accès à tous les documents enpossession de la Commission, du Conseil et du Parlement,quelle que soit leur forme et quel que soit le domaine d’acti-vité de l’Union concerné, c’est-à-dire également aux docu-ments concernant les procédures en droit de la concurrence.Le règlement prévoit bien sûr des exceptions, dont les deuxplus pertinentes pour le droit de la concurrence sont, d’unepart, la protection des activités d’inspection et d’enquête dela Commission (Règl. Parl. et Cons. CE n° 1049/2001, préc., art. 4, § 2) et, d’autrepart, la protection du processus décisionnel de la Commis-sion (ibid., art. 4, § 3). La jurisprudence s’est toutefois montréetrès sévère avec la Commission lorsque cette dernière prétenddémontrer que l’une de ces exceptions est présente. La juris-prudence exige notamment que l’atteinte aux intérêts proté-gés ne soit pas simplement hypothétique mais précisémentdémontrée au regard des faits concrets de l’espèce (cf., par exemple,TPICE, 13 avr. 2005, aff. T-2/03, VKI c/ Commission, préc., pt. 69). En outre, mêmelorsqu’une atteinte à ces intérêts est présente et démontrée àsuffisance de droit, encore faut-il qu’un « intérêt public supé-

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rieur » ne justifie pas la divulgation du document visé (Règl.Parl. et Cons. CE n° 1049/2001, préc., art. 4, §§ 2 et 3).S’appuyant sur le règlement n° 1049/2001, Borax, une sociétéproduisant et distribuant du borate et de l’acide borique, a de-mandé à avoir accès aux documents d’un groupe d’expertsconsultés en vue de l’adoption d’une directive classant éven-tuellement ces substances comme dangereuses. La Commis-sion s’y est opposée en invoquant la protection de la vie pri-vée (ibid., art. 4, § 1, sous b)), en l’occurrence celle des experts, ainsiqu’un risque d’atteinte grave portée au processus décisionnel(ibid., art. 4, § 3). Le Tribunal va toutefois lui donner tort sur lesdeux tableaux.S’agissant de la protection de la vie privée, il juge que les as-surances données par la Commission à certaines personnesquant à la confidentialité de leurs conversations ne peuventêtre opposées au règlement n° 1049/2001 (TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, pt. 34). Lorsque la Commission a pris un tel engage-ment, il semble donc qu’elle doive permettre l’accès aux do-cuments en cause, sauf bien sûr si une autre exception s’ap-plique, quitte à devoir en supporter les conséquences par lebiais d’un recours en indemnité.De façon plus importante, le Tribunal confirme que la Com-mission ne saurait qualifier un risque d’atteinte à l’un des in-térêts protégés par les exceptions au droit d’accès en s’ap-puyant sur des motifs généraux et, donc, sans avancer decirconstances propres à l’espèce (ibid., pts. 39, 44, 45 et 50).C’est cette même approche que le Tribunal suit pour écarterle risque d’atteinte au processus décisionnel invoqué par laCommission. Il rejette en effet les justifications appuyées surdes risques inhérents au processus décisionnel, en l’espèce lerisque qu’une confusion soit créée, du fait de l’accès à desdocuments imparfaits, sur ce qui s’est réellement déroulé lorsde ce processus (TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, pts. 90 à 99). Cette jus-tification était, il faut le dire, particulièrement audacieuse,puisque l’accès aux documents ne peut précisément que contri-buer à jeter un peu plus de lumière, même si elle est tamisée,sur le déroulement réel de la procédure administrative.Le Tribunal rejette en outre l’argument de la Commission se-lon lequel il est nécessaire « de protéger les experts contre toutepression extérieure afin de préserver un climat de confiancepropice à des discussions franches et de ne pas les dissuaderd’exprimer librement leur opinion à l’avenir ». Ici aussi la so-lution s’imposait, car la Cour est allée jusqu’à juger qu’iln’existe pas de besoin général de confidentialité en ce quiconcerne les avis du service juridique relatifs à des questionslégislatives (TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, préc., pts. 67 à 72; TPICE, 11 mars2009, aff. T-166/05, préc., pts. 100 à 106), avis dont on pourrait à premièrevue penser que la candeur serait mise en danger si elle étaitofferte aux regards extérieurs (CJCE, 1er juill. 2008, aff. C-39/05 P et C-52/05 P,Suède et Turco c/ Conseil, non encore publié, RLC 2008/17, n° 1241, obs. G. M.-P.). Ilnous semble toutefois que, par cette dernière prise de posi-tion, le Tribunal prend une nouvelle fois parti dans un débattrès important sur la portée des exceptions au droit d’accès.Ce débat oppose deux conceptions.La première peut être appelée « conception systémique » : se-lon cette conception, une exception s’applique si donner ac-cès à des documents dans un cas donné aurait pour effet demettre en danger les intérêts protégés non pas dans le cas enquestion mais dans d’autres affaires du même type, notam-ment parce qu’elle modifierait le comportement futur des ins-titutions ou des justiciables dans un sens qui affecterait l’ac-tion administrative. L’exemple le plus typique de la conceptionsystémique réside dans la communication de la Commissionsur la clémence, selon laquelle « la divulgation publique de

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documents et de déclarations écrites ou enregistrées reçus confor-mément à la présente communication porterait atteinte à cer-tains intérêts publics ou privés, par exemple la protection desobjectifs des activités d’inspection et d’enquête, au sens de l’ar-ticle 4 du règlement (CE) n° 1049/2001 (…), même après l’adop-tion de la décision » (Communication Comm. CE sur l’immunité d’amendes et laréduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, JOUE 8 déc. 2006,n° C 298). Cette conception est également présente dans le ré-cent arrêt MyTravel, dans lequel, aux fins de protéger le pro-cessus décisionnel, le Tribunal a admis que la Commissionne donne pas accès à certains rapports internes de la Direc-tion générale « Concurrence ». Le Tribunal a ainsi jugé que ladivulgation de ces rapports « signifierait que leurs auteursprendraient en compte à l’avenir ce risque de divulgation à unpoint tel qu’ils pourraient être amenés à s’autocensurer et àne plus présenter d’opinion susceptible de faire courir un risqueau destinataire du document en cause. Ce faisant, la commu-nication interservices au sein de la Commission ne serait plusaussi libre et complète qu’elle devrait l’être afin de permettrel’élaboration des décisions et de la communication des griefsrequises au titre d’une procédure de contrôle des concentra-tions » (TPICE, 9 sept. 2008, aff. T-403/05, MyTravel c/ Commission, préc., pt. 97).On peut toutefois opposer à cette approche systémique une« conception in concreto », selon laquelle c’est à la lumièredes seules circonstances du cas d’espèce – et non par rapportau risque que l’accès aux documents ferait courir dans d’autresaffaires – que l’atteinte doit être caractérisée. Une telle concep-tion, qui nous semble plutôt dominante à ce stade dans la ju-risprudence, peut être décelée par exemple dans l’affaire VKI(TPICE, 13 avr. 2005, aff. T-2/03, VKI c/ Commission, préc., pts. 81 à 88), surtoutdans l’affaire Franchet & Byk (TPICE, 6 juill. 2006, aff. T-391/03, Franchet &Byk c/ Commission, pt. 113, Rec. CJCE, II, p. 2023, RLC 2006/9, n° 616) et, aujour-d’hui, dans les arrêts commentés.

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Les poursuites civilescomme « intérêt publicsupérieur » justifiantun accès aux documentsde la CommissionPour le Médiateur européen, la promotion des actionsciviles en réparation peut caractériser l’« intérêt publicsupérieur » qui, selon le règlement n° 1049/2001,justifie l’inapplication des principales exceptionsprévues par ce texte.Projet de recommandation du Médiateur européen dans son enquêterelative à la plainte 3699/2006/ELB contre la Commission européenne

C’est la première fois que cette chronique commente une re-commandation du Médiateur européen. Une fois n’est certespas coutume, mais le projet de recommandation commentémérite assurément que l’on s’y arrête, car il prend directe-ment position sur une question brûlante : dans quelle mesurela Commission est-elle supposée, en ouvrant l’accès à ses dos-siers, prêter assistance aux plaignants qui intentent des ac-tions civiles contre les entreprises s’étant rendues coupablesd’un cartel?Le Médiateur statuait en l’espèce sur le refus de la Commis-sion de faire droit à une demande présentée par deux avocats

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à la Commission sur le fondement du règlement n° 1049/2001(pour une brève présentation de ce règlement, voir RLC 2009/20, n° 1431). Ces avo-cats souhaitaient que leur client puisse prendre connaissancedes documents mentionnés dans une décision de la Commis-sion adoptée à l’encontre d’une société sanctionnée pour in-fraction aux règles de concurrence. Cette demande visait infine à leur permettre de produire ces documents devant lestribunaux nationaux aux fins d’une action en réparation dupréjudice subi en raison de cette infraction.Ayant essuyé un refus sur le fondement de l’exception rela-tive à la protection des activités d’enquête et des intérêts com-merciaux, les demandeurs s’adressent au Médiateur. S’agis-sant de la protection des activités d’enquête, le Médiateurrappelle qu’il appartient à l’institution d’avancer des « argu-ments circonstanciés tenant au contenu précis de chacun desdocuments pour démontrer que la divulgation de ceux-ci, à lademande des plaignants, porterait atteinte à l’intérêt d’uneenquête à venir » (pt. 31), ce que la Commission n’a pas fait enl’espèce. Quant à la protection des informations commerciales,le Médiateur constate que les documents en cause contien-nent encore des informations sensibles (pt. 38). Toutefois – etc’est le point qui nous intéressera le plus – même s’il est dé-montré que l’accès à des documents affecterait l’un des inté-rêts protégés par l’article 4, paragraphe 2, du règlementn° 1049/2001, encore faut-il, pour que l’accès puisse être re-fusé, que n’existe pas un « intérêt public supérieur » imposantl’accès (pt. 39).S’appuyant largement sur le document de travail accompa-gnant le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêtspour infraction aux règles communautaires sur les ententeset les abus de position dominante, le Médiateur constate que,selon la Commission elle-même, les poursuites civiles aurontun effet dissuasif fort à l’égard des contrevenants potentielset que les intérêts de ces victimes « coïncident normalementavec l’intérêt public » (pt. 41). Le médiateur cite également ence sens les arguments avancés par la Commission dans l’af-faire Sumitomo à propos de la nature « vitale » des poursuitesciviles « pour assurer l’application complète des articles 81 CEet 82 CE » (pt. 57; TPICE, 6 oct. 2005, aff. T-22/02, Sumitomo Chemical c/ Commis-sion, pt. 128, Rec. CJCE, II, p. 4065, RLC 2005/5, n° 385), retournement quelquepeu ironique que vient encore couronner une référence à l’ar-rêt Courage (CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage c/ Crehan, pts. 26 et 27, Rec.CJCE, I, p. 629). L’intérêt public des poursuites civiles semble doncnormalement acquis pour le Médiateur. Reste toutefois en-core à déterminer si l’encouragement des poursuites civilesconstitue un intérêt public « supérieur ».Pour le déterminer, il convient, selon le Médiateur, que laCommission établisse « si les documents qui font l’objet de lademande d’accès contiennent réellement des informations pou-vant servir dans une action en dommages et intérêts devantune juridiction nationale, à savoir, par exemple, des informa-tions relatives à un préjudice causé à des tiers (…), ainsi quedes informations relatives à un lien causal entre la violationde la législation communautaire en matière de concurrence etle préjudice causé à ces tiers » (pt. 45). Ainsi, si les documentscontiennent réellement des informations pouvant être utiles,« il sera d’autant plus probable » qu’il existe effectivement unintérêt public supérieur justifiant la divulgation de ces docu-ments (ibid.).Le Médiateur considère également que, parmi les facteurs de-vant être pris en considération au moment de déterminer s’ilexiste un intérêt public supérieur justifiant la divulgation, il ya lieu d’établir si la juridiction nationale peut effectivementdemander à avoir accès aux documents en question, confor-

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mément à l’article 15 du règlement n° 1/2003 (pt. 46). L’accèsà des documents sur le fondement du règlement n° 1049/2001et l’accès judiciaire aux preuves jouent donc comme des vasescommunicants. En effet, d’une part, comme on vient de le voir,la fermeture de l’accès judiciaire aux preuves accroît le champd’application du règlement n° 1049/2001. Inversement, l’ou-verture de l’accès par le biais du règlement n° 1049/2001 di-minue le besoin de recourir aux mesures d’accès aux preuvesdont la Commission envisage de proposer l’adoption dans lecadre de sa future directive sur la réparation des dommagescivils. En effet, le prononcé de ces mesures devrait être sou-mis notamment à une condition de subsidiarité, c’est-à-dire àla preuve de l’impossibilité d’obtenir autrement les preuves etau moyen d’efforts raisonnables. Or, la Commission a beau in-diquer dans son document de travail accompagnant le Livreblanc que le règlement n° 1049/2001 n’est pas pertinent à cetégard (Commission Staff Working Paper, pt. 104), rien ne le prévoit expres-sément à ce stade. Si l’accès judiciaire aux preuves est sup-posé se développer, cela suppose donc que soient referméesles voies d’accès alternatives telles que le règlementn° 1049/2001. C’est du reste précisément une telle fermetureque la Commission cherche à réaliser, puisque sa propositionde modification du règlement n° 1049/2001 prévoit l’exclusiondu droit d’accès d’une très grosse partie des dossiers de la Com-mission. La messe n’est toutefois pas encore dite, puisque leParlement, de son côté, s’est opposé à ce changement.Mais l’intérêt de la recommandation commentée ne s’arrêtepas là, puisque le Médiateur apporte d’autres précisions surl’enchevêtrement du règlement n° 1049/2001 et des poursuitesciviles.Premièrement, il balaie l’argument avancé par la Commissionselon lequel le règlement n° 1049/2001 ne doit pas être uti-lisé pour réunir des preuves dans le cadre d’actions privéesen dommages et intérêts, notant à cet égard que le règlementest applicable dans tous les domaines d’activité de l’Union(pt. 52). Cette conception s’oppose directement à celle retenuepar la Commission dans son document de travail accompa-gnant le Livre blanc, selon laquelle le règlement n° 1049/2001n’est pas pertinent à cet égard (Commission Staff Working Paper, préc.,pt. 104).Deuxièmement, même si l’existence d’un intérêt public supé-rieur lié à la facilitation des poursuites civiles doit faire l’ob-jet d’un examen au cas par cas, le Médiateur suggère que cen’est que dans « dans certains cas exceptionnels » que la di-vulgation pourrait être refusée (pt. 54).Troisièmement, il procède à une division tripartite intéres-sante s’agissant de la mise en balance devant être effectuéeentre la protection des activités d’enquête et un éventuel in-térêt public supérieur.Il juge ainsi nécessaire, lors de cette opération, d’établir unedistinction entre, premièrement, les documents remis volon-tairement à la Commission sous le couvert d’un programmede clémence; deuxièmement, les documents obtenus à la suited’une demande de renseignements formulée par la Commis-sion en application de l’article 18 du règlement n° 1/2003; ettroisièmement, les documents saisis lors d’une inspectionconduite par la Commission en application de l’article 20 durèglement n° 1/2003.S’agissant premièrement des documents obtenus dans le cadred’une demande de clémence, le Médiateur « n’exclut pas que,dans certaines circonstances, il puisse s’avérer nécessaire, afinde protéger l’intérêt public, de garantir la protection des ren-seignements livrés volontairement à la Commission dans lecadre d’un programme de clémence, en particulier lorsqu’une

clémence intégrale est accordée à la partie tierce dont émanentlesdits renseignements » (pt. 70). Il « n’exclut pas » non plus que« l’efficacité du programme de clémence puisse dépendre de laconfiance qu’ont les entreprises sollicitant la clémence dans lefait que la Commission ne divulguera pas les documents à destiers » (pt. 71). Le Médiateur s’exprime avec une grande pru-dence, mais l’on perçoit bien son adhésion au programme declémence et la difficulté qu’auront les demandeurs à obtenirdes documents présentés aux fins de son application.S’agissant deuxièmement des documents obtenus en réponseà une demande de renseignements, le Médiateur constatequ’en dépit de l’obligation d’accéder à une telle demande « lesentreprises conservent une certaine marge d’appréciation quantaux informations qu’elles choisissent de transmettre à la Com-mission, en particulier dans les cas où les demandes de ren-seignements sont formulées dans des termes vagues » (pt. 72).Il n’est donc pas exclu qu’ils doivent être eux aussi écartés dudroit d’accès.S’agissant troisièmement des documents saisis lors d’une ins-pection menée par la Commission en vertu de l’article 20 durèglement n° 1/2003, dès lors que ceux-ci « sont obtenus sansle consentement ni la coopération de la partie incriminée », lacapacité de la Commission à obtenir de tels documents ne de-vrait pas être mise à mal par la possibilité d’une éventuelledivulgation de ces documents (pt. 73).Trois observations peuvent être faites sur cette divisiontripartite.Tout d’abord, si elle était retenue, ce serait pour les entreprisesune raison supplémentaire de coopérer avec la Commission,car l’accès aux documents accompagnant une demande declémence serait beaucoup plus difficile que l’accès aux docu-ments des entreprises qui n’auraient pas coopéré.Ensuite, le projet de recommandation réalise une sorte degrand écart entre les approches systémiques et in concreto dé-crites dans l’actualité précédente : d’une part, elle insiste surla nécessité d’une caractérisation concrète et circonstanciée,mais tout en acceptant, d’autre part, de prendre en compte lacréation de risques systémiques dans d’autres cas que celuien cause.Enfin, troisièmement, à l’occasion de la révision en cours durèglement n° 1049/2001, le législateur communautaire clari-fiera peut-être cette tentative de systématisation, puisque,comme nous l’avons déjà souligné, la proposition de la Com-mission prévoyait l’exclusion du droit d’accès à une grandepartie de ses dossiers, ce à quoi s’oppose le Parlement, tradi-tionnellement féru de transparence et électeur du Médiateur.Le débat entre Commission, Conseil, Parlement, Médiateur etCour ne fait donc que commencer.

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Quand le ministre tire lepremier mais à titre incidentUn recours incident du ministre devant la Cour d’appelde Paris peut viser à l’augmentation de l’amendeimposée à des entreprises n’ayant pas forméde recours principal.CA Paris, 8 avr. 2009, n° 2008/01092, ELA Medical e.a.

La latitude dont dispose la Cour d’appel de Paris pour aug-menter une amende infligée par l’Autorité de la concurrenceest bien plus réduite que celle dont dispose le Tribunal à

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l’égard de la Commission : alors que le juge communau-taire est habilité à exercer sa compétence de pleine juridic-tion à la hausse « lorsque la question du montant de l’amendeest soumise à son appréciation », c’est-à-dire y compris sansconclusions de la Commission en ce sens (CJCE, 8 févr. 2007, aff. C-3/06 P, Groupe Danone c/ Commission, pt. 62, Rec. CJCE, I, p. 1331, RLC 2007/11,n° 793), la Cour d’appel de Paris ne peut le faire qu’à la condi-tion que le ministre forme un recours contre la décision, euégard au « respect du principe général de non-aggravationdu sort du requérant en l’absence de recours du ministrechargé de l’Économie, qui s’oppose à ce que la sanction soitaggravée » (CA Paris, 1re ch., sect. H, 15 janv. 2008, n° 2007/02775, Devin Lemar-chand Environnement, RLC 2008/15, n° 1104 ; cf., également, Ménuret J.-J., Le conten-tieux du Conseil de la concurrence, LGDJ, 2003, n° 839 ; Pénichon C., Le contrôle de laproportionnalité de la sanction par la Cour d’appel de Paris en droit de la concurrence,in Canivet G. (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, LGDJ, p. 363). Desurcroît, le ministre n’exerce, semble-t-il, que très rarementcette prérogative.L’arrêt commenté marque donc peut-être une nouvelle étape,puisque, par le biais d’un recours incident, le ministre y invi-tait la Cour d’appel à augmenter l’amende imposée par leConseil à cinq entreprises coupables d’une entente concer-nant l’approvisionnement des hôpitaux en défibrillateurs car-diaques (Cons. conc., déc. n° 07-D-49, 19 déc. 2007, RLC 2008/15, n° 1056, obs.Sélinsky V. et n° 1108, obs. Cheynel B.). Le ministre ne s’est pas laissé im-pressionner par le fait que seules deux entreprises sur cinqavaient formé un recours principal : son recours incident vi-sait à l’augmentation de l’amende non pas des deux seulesentreprises ayant formé un recours principal mais bien descinq entreprises condamnées, y compris les trois entreprisesqui s’étaient abstenues de former un recours principal.La Cour d’appel s’est interrogée sur la recevabilité de ce re-cours incident à l’égard de ces trois entreprises et résout sonincertitude par une réponse positive : si, selon l’article R. 464-16 du Code de commerce, un recours incident est « dé-noncé (…) aux demandeurs au recours à titre principal », iln’existe pas pour autant de « lien nécessaire entre les modali-tés de la notification du recours incident et de sa portée ». End’autres termes, « rien n’interdit spécialement au ministrechargé de l’Économie de réclamer par cette voie l’aggravationdes sanctions prononcées contre toutes les entreprises, mêmecelles n’ayant pas formé de recours à titre principal ».Une partie condamnée par l’Autorité ne peut donc se tran-quilliser complètement du simple fait que, d’une part, elles’est abstenue de former un recours principal et, d’autre part,le ministre ou une autre partie n’a pas formé de recours prin-cipal contre la décision : encore faut-il que le ministre ne formepas de recours incident dont la portée dépasserait celle desrecours principaux.En l’espèce, deux des trois entreprises mises en cause par leministre avaient elles-mêmes formé un recours incident. Enrevanche, la troisième s’en était abstenue. Eu égard aux risquespesant sur elle, on peut être surpris de constater qu’elle n’étaitpas présente aux débats, bien que, selon l’arrêt, le recours in-cident du ministre lui ait bien été notifié.Lue conjointement avec l’arrêt rendu sur le litige concernantl’iPhone, cette solution confirme l’élargissement récent despossibilités contentieuses devant la Cour d’appel. On rappel-lera en effet que, dans cet arrêt sur l’iPhone, la Cour d’appela jugé que, par la voie de l’intervention, une entreprise pou-vait devenir partie devant la Cour d’appel même si elle n’avaitpas été partie principale (CA Paris, 1re ch., sect. H, 4 févr. 2009, n° RG : 2008/23828et n° RG : 2009/00003, Apple et Orange c/ Bouygues Telecom, RLC 2009/19, n° 1337,Sélinsky V. et RLC 2009/19, n° 1362, Muguet-Poullennec G.).

Si la solution retenue dans l’arrêt commenté s’inscrit doncdans un mouvement plus large, on peut se demander s’il necrée pas une nouvelle dynamique qui pourrait inciter les en-treprises condamnées à former un recours principal par pré-caution, de crainte d’être ensuite mises en cause par le mi-nistre sans pouvoir elles-mêmes former un recours contre ladécision, puisque le Code de commerce ne prévoit pas la pos-sibilité de former un nouveau recours incident. Ce serait alorsaller contre l’une des vertus de ce dernier, qui est de limiterle volume de contentieux en permettant aux parties qui secontentent à première vue de la décision de ne déposer un re-cours que dans l’hypothèse où leurs adversaires le feraient.Sauf bien sûr à penser que c’est le dépôt du recours principallui-même qui pourrait inciter le ministre à former un recoursincident.

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Aides d’État :une jurisprudence sinueusesur le droit de contesterdevant le Tribunaldes éléments factuelsnon remis en cause devantla CommissionLa prudence s’impose pour les bénéficiaires potentielsd’une aide d’État, y compris s’ils n’ont pas participéà la procédure administrative.TPICE, 4 mars 2009, aff. T-445/05, Associazone italianadel risparmio gestito e.a. c/ Commission ;TPICE, 1er juill. 2009, aff. T-81/07, T-82/07 et T-83/07,KG Holding c/ Commission

En matière d’aides d’État, il est désormais quasiment acquisqu’une partie intéressée qui a participé à la procédure admi-nistrative n’est pas en droit de contester pour la première foisdevant le Tribunal des faits qu’elle s’est abstenue de remettreen cause devant la Commission (cf., par exemple, TPICE, 11 mai 2005,aff. jtes. T-111/01 et T-133/01, Saxonia Edelmetalle et ZEMAG c/ Commission, pt. 68, Rec.CJCE, II, p. 1579). La même solution sévère s’applique-t-elle tou-tefois si le requérant n’a pas participé à la procédure admi-nistrative (et, par définition, n’a donc pas contesté les faits encause), que ce soit délibérément, parce qu’il n’était pas aucourant de la procédure ou parce qu’il n’était pas conscientde son importance, comme c’est souvent le cas lorsqu’est encause un régime d’aides? En d’autres termes, est-ce seule-ment la participation à la procédure qui déclenche un risquede forclusion ou est-ce la seule publication de la décision d’ou-verture de la procédure au Journal officiel de l’Union euro-péenne?L’histoire de cette incertitude est relativement sinueuse. Sesétapes les plus récentes peuvent être résumées ainsi.En 2005, dans l’arrêt Saxonia, le Tribunal a jugé sans surprisequ’un requérant, « lorsqu’il a participé à la procédure d’exa-men prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE », ne saurait êtrerecevable à se prévaloir d’arguments factuels inconnus de laCommission et qu’il n’aurait pas signalés à celle-ci au coursde la procédure d’examen (TPICE, 11 mai 2005, aff. jtes. T-111/01 et T-133/01,Saxonia Edelmetalle et ZEMAG c/ Commission, préc., pt. 68, RLC 2005/4, n° 319, obs.

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76 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

Cheynel B.). Faisant preuve d’une certaine prudence, le Tribunala ajouté que « [c]ette jurisprudence ne saurait nécessairementêtre étendue à tous les cas dans lesquels une entreprise n’a pasparticipé à la procédure d’examen prévue à l’article 88, para-graphe 2, CE » (pt. 69). Toutefois, cette inapplication ne se jus-tifiait pour le Tribunal que dans « certains cas tout à fait ex-ceptionnels », dont il n’était pas dit davantage si ce n’est quele cas d’espèce n’en relevait pas (pt. 69). En effet, jugeait le Tri-bunal, la requérante n’avait pas fait usage de son droit de par-ticiper à la procédure d’examen, alors même qu’elle était spé-cifiquement visée à plusieurs reprises par la décision d’ouverturede la procédure d’examen et que cette décision soulevait desdoutes quant à l’utilisation correcte de l’ensemble des aidesen cause (pt. 70).Cinq mois plus tard, le Tribunal utilisait dans l’arrêt FreistaatThüringen des termes plus larges encore en jugeant que, siles parties intéressées considèrent que certains faits qui sontrepris dans la décision d’ouvrir la procédure formelle d’exa-men sont erronés, ils doivent le faire savoir à la Commissiondurant la procédure administrative sous peine de ne plus pou-voir les contester dans le cadre de la procédure contentieuse(TPICE, 19 oct. 2005, aff. T-318/00, Freistaat Thüringen c/ Commission, pt. 88, Rec. CJCE,II, p. 4179). Le Tribunal semblait donc définir une règle d’appli-cation très large dépourvue d’exceptions.Toutefois, six mois plus tard, le Tribunal revenait à plus deprudence dans l’arrêt Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke (TPICE, 6 avr.2006, aff. T-17/03, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1139).Il y jugeait certes qu’un requérant n’ayant pas participé à laprocédure administrative ne saurait se prévaloir d’élémentsdont la Commission n’a pas eu connaissance pendant cettephase, mais en prenant toutefois la précaution de constaterque, d’une part, le requérant en l’espèce était nommémentdésigné comme étant le bénéficiaire de l’aide en cause et,d’autre part, la Commission avait invité les autorités alle-mandes ainsi que les éventuelles parties intéressées à rappor-ter la preuve de certains éléments pertinents (TPICE, 6 avr. 2006,aff. T-17/03, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke c/ Commission, pt. 54, Rec. CJCE, II, p. 1139;s’appuyant sur l’arrêt Saxonia, préc. et TPICE, 14 janv. 2004, aff. T-109/01, Fleuren Com-post c/ Commission, pts. 48 et 49, Rec. CJCE, II, p. 127).Dans l’arrêt Ter Lembeek, le Tribunal confirmait semble-t-ilun retour à la prudence en s’inscrivant dans la lignée de l’ar-rêt Saxonia, c’est-à-dire en réservant les « cas tout à fait ex-ceptionnels » (TPICE, 23 nov. 2006, aff. T-217/02, Ter Lembeek c/ Commission, pt. 85,Rec. CJCE, II, p. 4483). Nonobstant la parfaite connaissance par larequérante de l’ouverture d’une procédure formelle d’examenainsi que de la nécessité et de l’importance pour elle de four-nir certaines informations, elle avait décidé de ne pas partici-per à cette procédure, « sans d’ailleurs avoir allégué que la dé-cision d’ouverture était insuffisamment motivée pour luipermettre d’exercer utilement ses droits » (pts. 86, 91 et 92).Nouveau retour en arrière toutefois dans l’arrêt Scott, arrêtdans lequel le Tribunal ne réservait pas l’hypothèse de cas ex-ceptionnels (TPICE, 29 mars 2007, aff. T-366/00, Scott c/ Commission, pt. 145, Rec.CJCE, II, p. 1763). Cette volte-face est encore confirmée par un ré-cent arrêt sur cette question, dans lequel le Tribunal prendsoin de noter qu’un requérant, « lorsqu’il a participé à la pro-cédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2,CE, ne saurait être recevable à se prévaloir d’arguments fac-tuels inconnus de la Commission et qu’il n’aurait pas signa-lés à celle-ci au cours de la procédure formelle d’examen » (TPICE,4 mars 2009, aff. T-445/05, Associazone italiana del risparmio gestito e.a. c/ Commission,pt. 177, non encore publié).L’incertitude demeure donc sur l’existence et la portée des hy-pothèses dans lesquelles une partie intéressée qui n’a pas par-

ticipé à la procédure administrative peut contester pour la pre-mière fois des faits devant le Tribunal. Il nous semble clairqu’à tout le moins certains cas exceptionnels doivent être ré-servés. En effet, même si une fiction traditionnelle et néces-saire veut que le Journal officiel de l’Union européenne soit luquotidiennement dans tous les foyers et par tous les opéra-teurs économiques, l’expérience pousse à un peu plus de réa-lisme. En matière de régimes d’aides, ce réalisme s’imposeparticulièrement, puisque l’identité des bénéficiaires peut sou-vent être moins apparente que dans le cas des aides indivi-duelles. De surcroît, il nous semble qu’il faut en outre réser-ver le cas où la décision d’ouverture est trop imprécise surcertains points pour que des observations utiles soient pré-sentées à leur égard, réserve qui s’inscrit du reste dans la li-gnée des exigences renforcées que le Tribunal a récemmentposées à l’égard des décisions d’ouverture (TPICE, 22 févr. 2006, aff. T-34/02, Le Levant 001 e.a. c/ Commission, pts. 78 à 83, Rec. CJCE, II, p. 267, RLC2006/7, n° 523). Enfin, le Tribunal vient lui-même de jeter un doutesur la rigueur de sa jurisprudence en retenant, à propos d’uneaide individuelle, que « [l]e droit d’agir d’une personne ne sau-rait être restreint pour la simple raison que, alors qu’elle au-rait pu, au cours de la procédure administrative, présenter desobservations sur une appréciation communiquée lors de l’ou-verture de la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE et re-prise dans la décision litigieuse, elle s’est abstenue de le faire »(TPICE, 1er juill. 2009, aff. T-81/07, T-82/07 et T-83/07, KG Holding c/ Commission, pt. 195).Quoi qu’il en soit, la prudence et la lecture du Journal officielde l’Union européenne continuent de s’imposer : un bénéfi-ciaire potentiel qui souhaiterait contester judiciairement uneéventuelle décision négative doit, à titre de précaution, fairevaloir les éléments de fait qu’il juge pertinents dès la phaseadministrative.

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L’autre façon de prendreen compte la coopérationLe Tribunal de première instance corrige une inégalitéde traitement commise par la Commission lors de laprise en compte de la coopération d’entreprises au titredes circonstances atténuantes plutôt qu’au titre de laclémence. Une même réduction s’impose si lescoopérations sont « comparables ».TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission

Dans sa décision relative à l’affaire dite des « jeux video » (Déc.Comm. CE n° 2003/675, 30 oct. 2002, aff. COMP/35.587, PO Video Games, COMP/35.706,PO Nintendo Distribution et COMP/36.321, Omega c/Nintendo, JOUE, 8 oct. 2003, n° L 255,relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE),la Commission a refusé de tenir compte de la coopération deplusieurs entreprises mises en cause en appliquant la Com-munication sur la clémence. Dès lors en effet qu’étaient encause des restrictions verticales et non l’une des ententes ho-rizontales secrètes visées par la Communication sur la coopé-ration, cette dernière ne trouvait pas à s’appliquer, sauf éven-tuellement à essayer d’invoquer une rupture de l’égalité detraitement en faveur des cartellistes, argument que n’ont tou-tefois pas soulevé les requérantes dans leurs recours devantle Tribunal de première instance.Les requérantes invoquaient en revanche une violation duprincipe d’égalité de traitement entre les parties à l’ententelors de la prise en compte de leur coopération au titre des cir-

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constances atténuantes. À défaut en effet d’appliquer la com-munication sur la coopération, la Commission avait pris encompte la collaboration de ces parties au titre d’une circons-tance atténuante expressément prévue par les lignes direc-trices, dans leur version de 1998 comme de 2006, à savoir la« collabor[ation] à la procédure en dehors du champ d’appli-cation de la Communication sur la coopération » (Lignes directricespour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règle-ment n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, CA, JOCE 14 janv. 1998, n° C 9, B.3, 6e tiret ;Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, para-graphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003, JOUE 1er sept. 2006, n° C 210, pt. 29, 4e ti-ret). Nintendo ne s’en était toutefois pas contentée en criti-quant le taux de réduction de 25 % qui avait été appliqué àson amende, alors qu’une autre entreprise, John Menzies,avait bénéficié d’une réduction de 40 %. On comprend d’ailleursaisément que Nintendo se soit engagée dans cette voie, car,à la lecture des arrêts du Tribunal, sa coopération apparaîtcomme réellement prononcée pour une affaire de restrictionsverticales. Et de fait, le Tribunal va lui donner raison, tout enprécisant très utilement la façon dont l’égalité de traitementse déploie en matière de coopération.Le Tribunal reprend le principe déjà suivi dans l’arrêt Da-none, selon lequel « [l]’appréciation du degré de la coopéra-tion fournie par des entreprises ne saurait dépendre de fac-teurs purement hasardeux » (pt. 171; TPICE, 25 oct. 2005, aff. T-38/02, GroupeDanone c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4407). Il précise toutefois qu’unedifférence de traitement ne peut de ce fait être légale qu’encas de degrés de coopération « non comparables », « notam-ment dans la mesure où ils ont consisté en la fourniture d’in-formations différentes ou en la fourniture de ces informationsà des stades différents de la procédure administrative, ou dansdes circonstances non analogues » (ibid.). S’agissant donc dela nature des informations transmises, une simple « diffé-rence » semble suffisante pour justifier une divergence de trai-tement. S’agissant en revanche de la date ou des circons-tances de leur fourniture, le Tribunal laisse apparemmentmoins de marge de manœuvre à la Commission : la diffé-rence doit être telle que les informations ne sont pas four-nies au même « stade » ou dans des circonstances « ana-logues ». La nature des informations produites par l’entreprisequi coopère semble donc compter un peu plus que la dateou les circonstances de leur fourniture. Quoi qu’il en soit, onne peut qu’approuver la souplesse dont fait ici preuve le Tri-bunal, puisqu’elle découle directement de l’énoncé même duprincipe d’égalité de traitement, lequel est violé « lorsque dessituations comparables sont traitées de manière différente ouque des situations différentes sont traitées de manière iden-tique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement jus-tifié » (TPICE, 13 déc. 2001, aff. jtes. T-45/98 et T-47/98, Krupp Thyssen Stainless et Ac-ciai speciali Terni c/ Commission, pt. 237, Rec. CJCE, II, p. 3757).Faisant donc preuve d’une même souplesse, le Tribunal com-pare ensuite la coopération des entreprises mises en cause« tant du point de vue chronologique, ce qui implique dans unpremier temps un examen du stade auquel la coopération aété fournie, que qualitatif, ce qui conduit dans un second tempsà comparer les conditions dans lesquelles les entreprises ontcoopéré et la valeur intrinsèque des informations communi-quées par chacune d’elles au titre de cette coopération » (pt. 176).D’un point de vue chronologique, le Tribunal juge que le faitpour Nintendo d’avoir commencé à coopérer avec la Com-mission huit jours après John Menzies n’est pas suffisant pourjustifier une différence de réduction d’amende (pt. 177). En ef-fet, « pour être considérées comme comparables, les coopéra-tions des entreprises ne doivent pas nécessairement intervenir

le même jour, mais au même stade de la procédure » (pt. 178).En outre, d’un point de vue qualitatif, John Menzies etNintendo ont tous deux, d’une part, collaboré de façonspontanée (pt. 181) et, d’autre part, produit certaines infor-mations qui avaient largement contribué à la preuve de l’in-fraction (pt. 182). Les coopérations respectives de chacunedes entreprises étaient donc « comparable[s] » et justifiaientdonc toutes deux un même taux de réduction de 40 %.

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Absence d’exercicede la pleine juridictiond’office à la hausseContrairement à ce qu’il avait fait dans les affairesLysine et Danone, le Tribunal s’abstient de corrigerd’office une erreur de calcul commise par la Commissionau bénéfice de la requérante.TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission,non encore publié

S’agit-il d’un changement de pratique? Le célèbre fabricantde jeux vidéo Nintendo pourrait en tout cas avoir eu de lachance. Dans l’arrêt rendu à propos d’une décision sanction-nant Nintendo pour restriction du commerce parallèle, le Tri-bunal s’est en effet abstenu de corriger une apparente erreurde calcul commise par la Commission en faveur de la requé-rante, contrairement à la pratique qu’il avait posée dans lesaffaires Lysine et Danone (cf. TPICE, 9 juill. 2003, aff. T-220/00, Cheil Jedangc/ Commission, pt. 229, Rec. CJCE, II, p. 2473; TPICE, 25 oct. 2005, aff. T-38/02, GroupeDanone c/ Commission, pts. 519 à 525, Rec. CJCE, II, p. 4407).Dans les affaires Lysine et Danone, le Tribunal avait ainsiconstaté que la Commission n’avait pas appliqué correcte-ment les lignes directrices de 1998 (Lignes directrices pour le calcul desamendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’ar-ticle 65, paragraphe 5, du Traité CECA, JOCE 14 janv. 1998, n° C 9). Chose plus in-habituelle, cette erreur avait été commise au bénéfice des re-quérantes. En effet, la Commission avait appliqué le taux deréduction reflétant l’existence de circonstances atténuantesau montant de base majoré en raison des circonstances ag-gravantes (aboutissant à un montant égal à : montant debase x (1 + taux aggravation) x (1 – taux réduction)), alorsque les lignes directrices lui imposaient d’appliquer le tauxde réduction des circonstances atténuantes sur le montant debase non majoré (soit une amende égale à : montant debase x (1 + taux aggravation – taux réduction)). Or la pre-mière approche (erronée) est plus favorable que la seconde(correcte), puisqu’elle aboutit à une amende inférieure d’unmontant équivalent au montant de base multiplié par le pro-duit du taux d’aggravation et du taux de réduction (soit ungain égal à : montant de base x taux d’aggravation x taux deréduction).Dans la décision Video Games, la Commission avait, noussemble-t-il, commis la même erreur au bénéfice de Nintendo(Déc. Comm. CE n° 2003/675, 30 oct. 2002, aff. COMP/35.587, PO Video Games,COMP/35.706, PO Nintendo Distribution et COMP/36.321, Omega c/ Nintendo, JOUE8 oct. 2003, n° L 255, consid. 406 à 475, relative à une procédure d’application de l’ar-ticle 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE). Or, non seulement le Tribu-nal ne corrige pas ce calcul pour le rendre conforme auxlignes directrices, mais en outre, en recalculant l’amende deNintendo pour tenir compte de la majoration du taux de

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réduction de son amende pour coopération, il applique, noussemble-t-il, la méthode suivie par la Commission dans la dé-cision attaquée (pts. 213 à 215).Peut-être faut-il voir dans cette variation jurisprudentielle uneffet lié à la nature de la circonstance atténuante en cause.Nintendo ayant en effet été condamnée pour des pratiques derestrictions verticales, elle ne pouvait bénéficier de la coopé-ration sur la clémence, réservée aux cartels comme le rappellel’arrêt commenté (pts. 157 à 159). Elle pouvait bénéficier en re-vanche de la circonstance atténuante prévue en cas de coopé-ration des entreprises en dehors du cadre de la Communica-tion sur la clémence, prévue par les lignes directrices de 1998(préc., B.3, 6e tiret) comme par celles de 2006 (Lignes directrices pour le cal-cul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement(CE) n° 1/2003, JOUE 1er sept. 2006, n° C 210, pt. 29, 4e tiret). Ce passage par lescirconstances atténuantes ne répare toutefois pas tout, puisqueprécisément le taux de réduction lié aux circonstances atté-nuantes, contrairement à celui qui récompense la coopérationen matière de cartels, ne s’applique pas à l’amende après priseen compte des circonstances aggravantes et atténuantes maisuniquement au montant de base. Or, en appliquant le taux deréduction lié à la coopération de Nintendo au montant de sonamende majoré du fait des circonstances aggravantes, la Com-mission comme le Tribunal ont procédé en pratique commesi la coopération de Nintendo avait été récompensée sur lefondement de la clémence.S’abstenir de tirer toutes les conséquences de la différence entre,d’une part, coopération au titre de la clémence et, d’autre part,coopération au titre des circonstances atténuantes est donc peut-être une façon silencieuse, pour la Commission et le Tribunal,d’en gommer la dureté au bénéfice d’une entreprise dont la co-opération semblait effectivement très poussée.

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Le contrôle de légalité,une peau de chagrin?Dans plusieurs arrêts récents, le Tribunal de premièreinstance utilise des formules exagérément restrictivespour qualifier la portée de son office.TPICE, 7 mai 2009, aff. T-151/05, NVV e.a. c/ Commission ;TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission ;TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission ;TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission

Il est depuis longtemps acquis que le contrôle de légalité exercépar les juridictions communautaires sur les appréciations éco-nomiques complexes de la Commission est restreint (cf., parexemple, CJCE, 31 mars 1998, aff. jtes. C-68/94 et C-30/95, France e.a. c/ Commission,pts. 223 et 224, Rec. CJCE, I, p. 1375). Cette limitation est toutefois bienplus étroite qu’on ne le croit parfois. Ainsi, d’une part, elle nes’applique qu’en présence d’appréciations complexes. D’autrepart, elle n’implique pas que le juge communautaire doit s’abs-tenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de don-nées de nature économique. En effet, le juge communautairedoit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielledes éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohé-rence, mais également contrôler si ces éléments constituentl’ensemble des données pertinentes devant être prises en consi-dération pour apprécier une situation complexe et s’ils sontde nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (CJCE, 15 févr.2005, aff. C-12/03 P, Commission c/ Tetra Laval, pt. 39, Rec. CJCE, I, p. 987; sur le large

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contrôle autorisé par cette règle ; cf. Sibony A.-L. et Barbier de La Serre É., Charge de lapreuve et théorie du contrôle en droit communautaire de la concurrence : pour un change-ment de perspective, RTD eur. 2007, p. 205).On peut donc être surpris de voir dans certains arrêts récentsdu Tribunal des formules qui définissent de façon très restric-tive l’office du juge communautaire.Première occurrence : dans un arrêt rendu en matière decontrôle des concentrations, le Tribunal juge que, « selon unejurisprudence constante, le contrôle juridictionnel des appré-ciations de la Commission en matière de définition des mar-chés de référence est celui de l’erreur manifeste » (TPICE, 7 mai 2009,aff. T-151/05, NVV e.a. c/ Commission, pt. 80). Pourtant, comme le rappellece même arrêt, c’est uniquement « dans la mesure où elle im-plique des appréciations économiques complexes de la part dela Commission » (ibid., pt. 53) que la définition du marché faitl’objet d’un tel contrôle restreint. L’arrêt nous semble doncréitérer par cette formule une approximation regrettable del’arrêt Cableuropa, qu’il cite d’ailleurs à son soutien (TPICE,30 sept. 2003, aff. T-346/02 et T-347/02, Cableuropa e.a. c/ Commission, pt. 119, Rec. CJCE,II, p. 4251).Deuxième occurrence, qui concerne les amendes fixées parla Commission : pour le Tribunal dans deux des trois arrêtsrendus s’agissant du cartel des tubes industriels en cuivre,« dans les domaines tels que la détermination du montantd’une amende infligée en vertu de l’article 15, paragraphe 2,du règlement n° 17, où la Commission dispose d’une marged’appréciation, par exemple en ce qui concerne le taux de ma-joration aux fins de dissuasion, le contrôle de légalité opérésur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’erreur ma-nifeste d’appréciation » (TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Com-mission, pt. 32; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission, pt. 35).La formule nous paraît exagérément restrictive à deux égards.Premièrement, le Tribunal ne limite pas le contrôle restreintaux seules étapes du calcul de l’amende pour lesquelles laCommission dispose d’une certaine marge d’appréciation.C’est ce qu’il a pourtant fait dans le troisième arrêt rendu àpropos de la même affaire, où il juge dans un premier tempsque, malgré les lignes directrices sur la fixation des amendes,la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation(TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission, pt. 35), pour en-suite juger que « dans les domaines où la Commission a conservéune marge d’appréciation, par exemple en ce qui concerne letaux de majoration au titre de la durée, le contrôle de légalitéopéré sur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’er-reur manifeste d’appréciation » (ibid., pt. 36). Cette règle plus res-trictive n’est du reste pas contredite par l’arrêt ScandinavianAirlines System, cité par le Tribunal à son soutien. En effet,dans cet arrêt, le Tribunal avait limité son contrôle à celui del’absence d’erreur manifeste lorsqu’il lui était revenu d’appré-cier la pondération sans aucun doute complexe des trois élé-ments qui à l’époque étaient pertinents pour qualifier la gra-vité d’une infraction (TPICE, 18 juill. 2005, aff. T-241/01, Scandinavian AirlinesSystem c/ Commission, pt. 79, Rec. CJCE, I, 2917).Deuxièmement, même à supposer que la marge d’appré-ciation de la Commission s’applique à tous les stades de lafixation de l’amende, notamment parce que c’est aussi parla fixation de ce montant qu’elle exerce sa politique deconcurrence (CJCE, 7 juin 1983, aff. 100/80, Musique Diffusion française c/ Com-mission, pt. 15, Rec. CJCE, p. 1825), limiter « le contrôle de légalitéopéré sur ces appréciations (…) à celui de l’absence d’er-reur manifeste d’appréciation » fait fi de l’application del’obligation de motivation et de tous les principes générauxdu droit, tels que le principe de proportionnalité et d’éga-lité de traitement, qui restent applicables indépendamment

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de la marge d’appréciation dont dispose la Commission.C’est du reste leur présence qui distingue la marge d’ap-préciation de l’arbitraire.Espérons donc qu’il faut voir dans ces diverses formules unglissement de plume plutôt qu’une évolution profonde, car,même si le Tribunal rappelle que les limites du contrôle de lé-galité ne préjugent pas l’exercice de sa compétence de pleinejuridiction (TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission, pt. 33;TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission, pt. 36; TPICE, 6 mai2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission, pt. 37), le contrôle de lé-galité sur les amendes infligées par la Commission est parti-culièrement important en raison de leur nature quasi pénaleet de leur incessante augmentation.

É.B.S.

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Recours contre les opérationsde visites et saisies :nouveaux délais, nouvellesprocéduresLa loi de simplification et de clarification du droitprocède à des retouches substantielles de l’articleL. 450-4 du Code de commerce quant aux délaiset modes de recours contre les autorisationsdes opérations de visites et le déroulementde ces opérations.L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139 VII (1°), JO 13 mai, de simplificationet de clarification du droit et d’allègement des procédures

Faisant suite à l’arrêt Ravon de la Cour européenne des droitsde l’Homme qui avait indirectement mais sûrement mis à malles procédures d’enquête en matière de concurrence (CEDH,21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon e. a. c/ France, Wilhelm P. et Vever F., Enquêtes de concur-rences : les perquisitions « surprises » remises en cause par la Cour européenne des droitsde l’Homme, in Contrats, conc., consom. 2008, focus 27; Roda J.-Ch., Les procédures ad-ministratives de visites et de saisies à l’épreuve de la Cour européenne des droits de l’Homme,RLC 2008/16, n° 1180; pour des arrêts confirmatifs, CEDH, 24 juill. 2008, n° 18603/03, An-dré c/ France, D. 2008, AJ, p. 2353; CEDH, 18 sept. 2008, n° 18659/05, Kandler c/ France;CEDH, 16 oct. 2008, n° 10447/03, Maschino c/ France; CEDH, 20 nov. 2008, n° 2058/04,Société IFB c/ France; pour une confirmation par une juridiction française : TGI Avranches,ord., 21 nov. 2008, n° 08/00005, contra, et de manière « décevante mais encore navrante »pour le Professeur B. Bouloc, TGI Paris, ord., 2 sept. 2008, n° 2007-6, GTM-GCS c/ DGC-CRF; TGI Paris, 9 sept. 2008, n° 2007/06, Bouygues Construction e.a. c/ DGCCRF; TGI Tou-louse, ord., 1er déc. 2008, n° 2008/1, Société Veolia c/ DGCCRF), l’ordonnancen° 2008-1161 du 13 novembre 2008 avait procédé à une ré-écriture substantielle de l’article L. 450-4 du Code de com-merce (Cheynel B., L’arrêt Ravon et l’avant-projet d’ordonnance portant création de l’Au-torité de la concurrence, RLC 2008/16, n° 1167; Bouloc B., Les visites et saisies en droit dela concurrence – Après l’arrêt Ravon et l’ordonnance du 13 novembre 2008, Gaz. Pal. 2009,doct., p. 10). Elle avait ainsi introduit la faculté pour les entre-prises d’interjeter appel d’une ordonnance d’autorisation devisites et de saisies, alors qu’auparavant cette dernière n’était« susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles pré-vues par le Code de procédure pénale ». À cet effet, il leur ap-partenait, suivant les règles prévues par le Code de procédurepénale, de former leur appel par déclaration au greffe de laCour d’appel dans un délai de quinze jours suivant la notifi-cation de l’ordonnance.Or, pour conférer force législative aux dispositions de l’or-donnance du 4 novembre 2008, il appartenait au législateurde procéder à la ratification de l’ordonnance (sur les préoccupations

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suscitées par le retard dans la ratification de l’ordonnance du 4 novembre 2004, Cheynel B. etNourissat C., RLC 2005/2, n° 149, spéc. pt. 13 ; plus largement, sur les déboires de l’exé-cutif concernant déjà le Code de commerce, Castaing C., La ratification implicite des or-donnances de codification, Haro sur « La grande illusion », RFD const. 2004, pp. 284 et s.).Une première tentative en ce sens s’est conclue par un échecavec la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 31 duprojet de loi pour l’accélération des programmes de construc-tion et d’investissement publics et privés, servant de supportà cette ratification (Cons. const., 12 févr. 2009, n° 2009-575 DC).C’est donc par le biais de la loi de simplification et de clarifi-cation du droit et d’allègement des procédures que le Parle-ment a procédé à la ratification de l’ordonnance (L. n° 2009-526,12 mai 2009, art. 139-I-12°, qui d’ailleurs vient en concurrence avec un projet de loi auto-nome destiné à ratifier ladite ordonnance, adopté en Conseil des ministres et déposé le 13 fé-vrier 2009 à l’Assemblée nationale). Mais, à cette occasion, il est venu re-voir la copie de l’exécutif et procéder à des retouchessubstantielles de l’article L. 450-4 du Code de commerce quantaux délais et modes de recours contre les autorisations desopérations de visites et le déroulement de ces opérations, al-lant au-delà de celles déjà envisagées dans l’article invalidédu projet de loi pour l’accélération des programmes de construc-tion et d’investissement publics et privés.Concernant tout d’abord les titulaires du droit de recours contreles ordonnances relatives aux visites et saisies, l’article L. 450-4 nouveau précise désormais les personnes en droitd’interjeter appel de ces ordonnances du juge des libertés etde la détention (JLD) en les distinguant suivant l’objet du re-cours. Lorsque la contestation porte sur l’autorisation des opé-rations de visite et saisies litigieuses, seuls le ministère publicet la personne à l’encontre de laquelle a été ordonnée cettemesure peuvent contester les ordonnances autorisant les opé-rations. À l’inverse, lorsque la contestation porte non plus surl’autorisation mais sur le déroulement des opérations, dispo-sent toujours de la faculté de contester non seulement le mi-nistère public et la personne à l’encontre de laquelle a été ef-fectuée la visite mais également les personnes mises en causeau moyen de pièces saisies au cours de ces opérations.Concernant ensuite les modalités des recours, les modifica-tions apportées par la loi de simplification et de clarificationdu droit et d’allègement des procédures sont substantielles etmarquent un recul regrettable des droits des entreprises visi-tées. Désormais, ces dernières ne disposent plus de 15 maisuniquement de 10 jours pour ce faire.En ce qui concerne les appels contre les ordonnances d’auto-risation de visite, ce nouveau délai de 10 jours pour saisir d’unappel le premier président de la cour d’appel, dans le ressortde laquelle le juge a autorisé la mesure, court à compter dela notification de l’ordonnance qui est, en principe, effectuéeau début de la visite. Toutefois, lorsque l’ordonnance est no-tifiée après celles-ci par lettre recommandée avec avis de ré-ception (hypothèses où les opérations s’effectuent en l’ab-sence de l’occupant des lieux ou dans un lieu non visé parl’ordonnance), le délai ne court qu’à compter de la date deréception figurant sur l’avis.S’agissant des recours contre le déroulement des opérationsde visite, la computation du délai varie suivant l’auteur durecours. Pour le ministère public et la personne à l’encontrede laquelle a été effectuée l’opération, le délai court à comp-ter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l’in-ventaire, sachant que désormais les textes imposent explici-tement l’obligation faite aux enquêteurs de remettre une copiedu procès-verbal et de l’inventaire à l’occupant des lieux ouà son représentant (ne faisant en cela que consacrer la pratique de la DGCCRF,cf. Marie A., Les enquêtes de la DGCCRF en matière de pratiques anticoncurrentielles,

ACTU

ALITÉSDROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE

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80 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

RLC 2008/14, n° 1029). Ainsi, le point de départ du délai n’est plusla notification à l’occupant de l’ordonnance d’autorisationde visite et saisies domiciliaires. Concernant les personnesn’ayant pas fait l’objet de visite et de saisie mais néanmoinsmises en cause au moyen de pièces saisies au cours d’opé-rations effectuées dans d’autres entreprises, le délai court àcompter de la date à laquelle elles ont reçu notification duprocès-verbal et de l’inventaire et, au plus tard à compter dela notification de griefs prévue à l’article L. 463-2. Dans lamesure où désormais l’article L. 450-4, alinéa 10, fait obliga-tion d’adresser une copie du procès-verbal et de l’inventairepar lettre recommandée avec demande d’avis de réceptionaux personnes mises en cause ultérieurement par les piècessaisies au cours de l’opération, il n’y avait plus lieu de prendreen compte la date à laquelle elles ont eu connaissance del’existence de ces opérations. Et l’on ne peut que s’en réjouirpuisqu’on pouvait légitimement se demander comment cesentreprises pouvaient être en mesure de contester le dérou-lement d’une opération sur le seul fondement de la connais-sance de leur existence.Outre ces aménagements matériels substantiels, une modifi-cation pratique essentielle ne doit pas manquer d’être rele-vée. Alors que sous le court empire de l’ordonnance du 13 no-vembre 2008, l’appel de l’ordonnance d’autorisation de visiteainsi que le recours contre le déroulement des opérations devisite devaient être formés par déclaration au greffe de la courd’appel, il doit désormais être formé par déclaration au greffedu tribunal de grande instance (de toute évidence dont dé-pend le JLD ayant rendu l’ordonnance contestée).Enfin, la loi apporte des précisions tout à fait bienvenues concer-nant le régime procédural des pourvois dirigés contre les or-

donnances des premiers présidents de cours d’appel renduesdans le cadre d’une contestation de l’autorisation de visite etsaisies. Dans la mesure où la version issue de l’ordonnanceétait silencieuse sur ce point, que l’appel contre les ordon-nances d’autorisation de visite et le recours contre leur dérou-lement s’effectuent selon les règles prévues par le Code de pro-cédure pénale, que le pourvoi contre les ordonnances du premierprésident de la cour d’appel concernant le déroulement desopérations est soumis aux règles du Code de procédure pénaleen vertu de l’article L. 450-4, alinéa 13 et enfin que les pour-vois dirigés contre les ordonnances des premiers présidents decours d’appel rendues en matière fiscale, douanière ou encorefinancière sont soumis aux règles du Code de procédure civile(LPF, art. L. 16 B et 38 et C. douanes, art. L. 64, tels qu’issus de L. n° 2008-776, 4 août 2008,de modernisation de l’économie, art. 164; art. L. 621-12 du Code des marchés financiers telqu’issu de Ord. n° 2009-233, 26 févr. 2009, art. 1-I, réformant les voies de recours contre lesvisites domiciliaires et les saisies de l’Autorité des marchés financiers), il était loisiblede s’interroger sur le corps de règles applicables en matière deconcurrence, ce que la doctrine n’avait pas manqué de relever(cf. Bouloc B., préc., spéc. pt. 5, in fine). Désormais, il n’y a plus lieu à in-terrogation; les pourvois contre les ordonnances des premiersprésidents de cours d’appel rendues dans le cadre d’une contes-tation de l’autorisation de visite et saisies sont gouvernés parles règles du Code de procédure pénale. Si une telle précisionne conduit malheureusement ni à une unification matérielle,ni à une unification procédurale, ni à une concentration ducontentieux entre les mains d’une seule chambre, elle a aumoins le mérite de la clarté…

Benjamin CHEYNELDoctorant à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Of Counsel (WTT Law Firm, Bruxelles)

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Adoptée au Canada le 12 mars 2009, la loid’exécution du budget contient un grandnombre de mesures visant à stimuler l’éco-nomie du pays. Loin de se restreindre à sonobjet, cette loi, qualifiée par certains de loi

« omnibus » (Changements fondamentaux à la loi sur la concurrence et la loi sur l’in-vestissement au Canada, McCarthy Tétrault, 13 mars 2009, p. 1, disponible sur<http://www.mccarthy.ca/fr/article_detail.aspx ?id=4420>), a permis à cer-taines réformes d’échapper à un long processus législatif in-cluant les débats parlementaires.C’est notamment le cas des dispositions ayant contribué à mo-derniser la loi sur la concurrence afin de mieux lutter contreles comportements anticoncurrentiels.De manière générale, cette réforme du droit de la concurrences’inscrit dans un mouvement global de relance de l’économiequi dépasse les frontières du pays : à la suite de la crise éco-nomique, de nombreux pays ont en effet repensé leur droit dela concurrence. C’est le cas de pays européens (cf. notamment enFrance, L. n° 2008/776, 4 août 2008, « de modernisation de l’économie », JO 5 août; en Al-lemagne, loi du 25 mars 2009 portant réforme notamment de la « loi relative aux restrictionsde concurrence »; en Bulgarie, loi du 2 décembre 2008 « de protection de la concurrence »),mais également de certains pays d’Asie (cf., notamment, le projet de ré-forme de la « loi sur la concurrence » de 2005 au Japon; en Chine, l’entrée en vigueur le1er août 2008 de « la loi anti-monopole »). Les États-Unis n’ont, quant à eux,pas pour l’heure concrétisé les recommandations développéespar l’Antitrust modernization commission (de nombreux États fédérésont cependant entrepris de réformer leurs législations sur la concurrence. Cf., notamment, laloi du 1er octobre 2009 portant réforme du « Maryland Commercial Law » au Maryland).Si toutes les modifications apportées à la loi sur la concurrencene sont pas encore en vigueur (toutes les modifications de la loi sur la concur-rence sont entrées en vigueur le 12 mars 2009, à l’exception des dispositions relatives auxententes, dont l’entrée en vigueur a été repoussée au 12 mars 2010), il faut soulignerque depuis 1985, date de son adoption, le droit canadien dela concurrence connaît sa réforme la plus significative.

L’objectif affiché par le gouvernement canadien est clair : ils’agit de « veiller à ce que les consommateurs et les entrepriseslégitimes ne soient pas exposés à des activités illégales et qu’ilssachent que, s’ils devaient en être victimes, la loi sur la concur-rence sera réellement appliquée » (cf. Guide sur les modifications à la loisur la concurrence, disponible sur le site du Bureau de la concurrence : <http://www.bu-reaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/vwapj/A-Guide-to-Amendments-to-the-Com-petition-Act-f.pdf/$file/A-Guide-to-Amendments-to-the-Competition-Act-f.pdf>). Autre-ment dit, il s’agit avant tout d’accroître la prévisibilité, l’efficacitéet la portée réelle de l’application de la loi sur la concurrencetant pour les entreprises que pour le Bureau de la concur-rence, mais également de protéger l’ensemble des acteurs éco-nomiques (consommateurs et entreprises) de tout préjudicedécoulant des pratiques anticoncurrentielles. L’augmentationdes sanctions prévues en cas d’infraction à la loi sur la concur-rence s’inscrit très clairement dans cet objectif.Parmi les réformes introduites par la loi d’exécution du bud-get, on insistera tout d’abord sur la refonte en profondeur dudroit des pratiques anticoncurrentielles (I).Le gouvernement a, en effet, fait le choix de rationaliser ledroit des ententes en se concentrant sur les plus nuisibles, aumoyen de l’instauration d’une « dual track approach », quisoumet à un régime pénal les ententes les plus nocives tan-dis que les autres ententes, désormais soumises à un régimecivil, font l’objet de dispositions plus souples. La dépénalisa-tion des pratiques restrictives de concurrence relatives au prix,en vue d’un alignement sur le nouveau régime de l’abus deposition dominante, mérite également de s’y attarder.Ensuite, le droit des concentrations, fortement influencé parle droit américain, est également intégralement refondu (II).À cet égard, les modifications apportées à la loi sur l’investis-sement par la loi d’exécution du budget devront être évoquéesafin d’appréhender leur articulation avec le droit des concen-trations (les modifications ayant trait aux droits des pratiques

Canada : premièresmodifications significativesde la loi sur la concurrencedepuis 1985Soucieux depuis longtemps de moderniser son droit de la concurrence, le gouvernementcanadien a saisi l’occasion de l’adoption de la loi d’exécution du budget pour entreprendreune réforme sans précédent. Au-delà du mouvement global de relance de l’économie, l’objectifaffiché est de donner une portée réelle à la loi sur la concurrence en réformant en profondeurle droit des pratiques anticoncurrentielles et le droit des concentrations.

L.R., 1985, ch. C-34, Loi sur la concurrence, disponible sur le site <http://lois.justice.gc.ca/fr/ShowFullDoc/cs/C-34//20090728/fr>1439

Par LoraineDONNEDIEU

de VABRES-TRANIÉ

ACTU

ALITÉSDÉCISIONS DES AUTORITÉSNATIONALES DE CONCURRENCEÉTRANGÈRESSous la responsabilité de Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ, Avocat à la Cour d’appel de Paris, JEANTET ASSOCIÉS ÉCLAIRAG

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82 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

commerciales trompeuses, intégrées à la loi sur la concur-rence, ne sont pas traitées par le présent article).

I. – UNE REFONTE SANS PRÉCÉDENTDES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES EN VUED’UNE APPLICATION PLUS EFFICACE DE LA LOISUR LA CONCURRENCE

Dans un contexte de ralentissement économique mondial, leCanada fait le choix de rationaliser le contrôle applicable auxententes anticoncurrentielles (A), mais également de réfor-mer le régime de l’abus de position dominante et des pra-tiques restrictives de concurrence, en dépénalisant notam-ment ces dernières (B), tout en procédant à une augmentationconséquente du montant des sanctions pécuniaires suscep-tibles d’être imposées.

A. – L’instauration d’une « dual track approach »en matière d’ententes

La nouvelle procédure met fin à un régime qui était critiquédepuis des années en raison de la portée de ses dispositions àla fois « trop large et trop étroite » (notes pour une allocution prononcée parMelanie L. Aitken, Commissaire de la concurrence intérimaire, Audience sur les modifica-tions à la loi sur la concurrence du Comité sénatorial permanent des banques et du com-merce, Ottawa, Ontario, 13 mai 2009, <http://www.cb-bc.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/03065.html>). Avant l’adoption le 12 mars 2009 de la loid’exécution du budget, toutes les ententes relevaient du mêmearticle de loi. Il était alors nécessaire pour obtenir la condam-nation d’une entreprise qui avait participé à une entente envertu de l’article 45 de la loi sur la concurrence, de prouvernon seulement l’existence d’un « complot » mais égalementque l’entente réduisait « indûment » la concurrence. Au final,et malgré l’importance des moyens mis en œuvre, peu de pour-suites ont été couronnées de succès. Les anciennes disposi-tions recevaient en effet une application beaucoup trop large,toute entente anticoncurrentielle étant susceptible de faire l’ob-jet d’une poursuite « pénale » (la loi sur la concurrence fait ré-férence à la terminologie de « régime criminel ») indépendam-ment de ses effets sur la concurrence. De nombreuses entreprisesétaient ainsi dissuadées de former des alliances bénéfiques etde conclure des « ententes de collaboration » alors même queleur objectif pouvait s’avérer « légitime ».Les modifications de la loi en matière d’ententes anticoncur-rentielles, qui entreront en vigueur le 12 mars 2010, affichentclairement la volonté du gouvernement de limiter la portée desdispositions pénales aux activités de cartel les plus nuisibles etde dépénaliser les autres formes d’accords entre concurrents.Le projet de lignes directrices relatives à la collaboration entreconcurrents (le Bureau de la concurrence a publié aux fins de consultation (jusqu’au8août 2009) son projet de lignes directrices sur la collaboration entre concurrents, cf.<www.com-petitionbureau.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/h_03036.html>) permet d’expliquer endétail cette « dual track approach » qui affiche clairement unobjectif de rationalisation des poursuites en matière d’ententes.Le nouvel article 45 (1) de la loi sur la concurrence énoncedésormais que « commet une infraction quiconque (tant les per-sonnes physiques que les personnes morales et leurs représentants, cf. article 45 (1) et acontrario article 45 (6) de la loi sur la concurrence), avec une personne qui estson concurrent à l’égard d’un produit, complote ou conclut unaccord ou un arrangement : a) soit pour fixer, maintenir, aug-menter ou contrôler le prix de la fourniture du produit ; b) soitpour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des mar-chés pour la production ou la fourniture du produit ; c) soitpour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminerla production ou la fourniture du produit ».

Ce nouveau régime rappelle celui des ententes dites « per se »(Bureau de la Concurrence, foire aux questions, Modifications à la loi sur la concurrence,p. 3; Katz M. et Dinning J., Canada – Cartel Enforcement, p. 25; Changements fondamen-taux à la loi sur la concurrence et à la loi Investissement Canada, McCarthy Tétrault, p. 1),qui tend à sanctionner l’entente par son objet même, indé-pendamment des effets produits sur la concurrence. Seulesces formes les plus abusives d’accords sont désormais sou-mises à un régime « pénal » que l’article 45 (2) de la loi surla concurrence sanctionne par une amende portée de 10 mil-lions (soit environ 6 millions d’euros) à 25 millions de dol-lars canadiens (soit environ 16 millions d’euros) et à une peined’emprisonnement maximale portée de 5 à 14 ans.La loi sur la concurrence prévoit toutefois plusieurs exceptionspermettant d’échapper à l’application de l’article 45 (1) de laloi sur la concurrence. C’est notamment le cas lorsque l’ac-cord, en conformité avec l’article 45 (4) de la loi sur la concur-rence présente toutes les caractéristiques d’un accord acces-soire (conformément à l’article 45 (1) de la loi sur la concurrence : « nul ne peut être déclarécoupable d’une infraction prévue au paragraphe (1) (…) si, à la fois : a) il établit (…) : (i)que le complot, l’accord ou l’arrangement, selon le cas, est accessoire à un accord ou à un ar-rangement plus large ou distinct qui inclut les mêmes parties, (ii) qu’il est directement lié àl’objectif de l’accord ou de l’arrangement plus large ou distinct et est raisonnablement néces-saire à la réalisation de cet objectif ; b) l’accord ou l’arrangement plus large ou distinct, consi-déré individuellement, ne contrevient pas au même paragraphe »). Sont égalementécartés de l’application de l’article 45 (1) de la loi sur la concur-rence certains accords se rattachant exclusivement à l’expor-tation de produits du Canada (cf. L. conc., art. 45 (5)), conclus entredes institutions financières fédérales (ibid., art. 45 (6) et 49 (1)), desfiliales d’une même entreprise (ibid., art. 45 (6)) ou encore autori-sés par une loi ou un règlement (ibid., art. 45 (7)). Ces tempéraments, combinés à une aggravation sans précé-dent des sanctions pénales, annoncent une volonté très nettede recentrer l’activité du Bureau de la concurrence sur les car-tels les plus préjudiciables à l’économie.Les autres formes d’ententes ne sont pour autant pas igno-rées de la loi sur la concurrence puisqu’elles sont désormaissoumises au régime de droit civil lorsqu’elles sont suscep-tibles de produire des effets anticoncurrentiels sur le marché.Le nouvel article 90 (1) de la loi sur la concurrence, s’il ne pré-cise pas les conditions dans lesquelles le Bureau de la concur-rence exerce ses compétences, prévoit que le Tribunal de laconcurrence, à la demande du Commissaire de la concurrence,et après avoir pris en compte un certain nombre de facteurs(conformément à l’article 90.1 (2) de la loi sur la concurrence, le Tribunal peut tenir comptedes facteurs suivants : « a) la mesure dans laquelle des produits ou des concurrents étrangersassurent ou assureront vraisemblablement une concurrence réelle aux entreprises des partiesà l’accord ou à l’arrangement; b) la mesure dans laquelle sont ou seront vraisemblablementdisponibles des produits pouvant servir de substituts acceptables à ceux fournis par les partiesà l’accord ou à l’arrangement; c) les entraves à l’accès à ce marché, notamment : (i) les bar-rières tarifaires et non tarifaires au commerce international, (ii) les barrières interprovincialesau commerce, (iii) la réglementation de cet accès; d) les effets de l’accord ou de l’arrangementsur les entraves visées à l’alinéa c); e) la mesure dans laquelle il y a ou il y aurait encore dela concurrence réelle dans ce marché; f) le fait que l’accord ou l’arrangement a entraîné la dis-parition d’un concurrent dynamique et efficace ou qu’il entraînera ou pourrait entraîner unetelle disparition; g) la nature et la portée des changements et des innovations dans tout mar-ché pertinent; h) tout autre facteur pertinent à l’égard de la concurrence dans le marché quiest ou serait touché par l’accord ou l’arrangement ».), peut interdire à toute per-sonne l’accomplissement d’actes relatifs à l’accord ou enjoindretoute personne de prendre toute autre mesure nécessaire (ibid.,art. 90.1 (1)). Ainsi que mentionné supra, aucune sanction, qu’elleconsiste en une amende ou en un risque d’accusation « pé-nale », n’est en outre encourue.De manière générale, le contrôle effectué par le Tribunal lors-qu’il examine les motifs économiques avancés par le Com-

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missaire de la concurrence, n’est pas sans rappeler la « règlede raison », développée par la jurisprudence de la Cour su-prême des États-Unis (cf., notamment, Standard Oil Co. of New Jersey v. UnitedStates, 221 U.S. 1 (1911) ou encore United States v. Arnold, Schwinn et Al, 18 L.Ed.2d 1249;87 S.Ct. 1856; 388 U.S. 365 (1967)), et qui sert de méthode d’interpréta-tion au « Sherman Act ». Il s’agit de ne pas interdire per se desaccords qui comportent une restriction de concurrence, maisde procéder auparavant à un bilan des effets anti et procon-currentiels de l’accord. Si le bilan est positif, l’entente ne ferapas l’objet d’une décision d’interdiction,malgré la présence d’éléments réputésanticoncurrentiels.Au-delà de ces éléments, l’ancien ar-ticle 45 (1) de la loi sur la concurrencerelatif à l’infraction de « complot », s’ap-pliquait indistinctement aux ententes ho-rizontales et verticales. En faisant expli-citement référence à une pratique « entreconcurrents », le gouvernement a entenduexclure du champ d’application de l’ar-ticle 45 de la loi sur la concurrence lesententes verticales. Désormais, ces pra-tiques ne peuvent plus a priori être sanctionnées, sauf à rele-ver des dispositions relatives aux pratiques restrictives ou àl’abus de position dominante.

B. – Vers une refonte du régime de l’abusde position dominante et des autres pratiquesrestrictives de concurrence

Si l’abus de position dominante continue à être soumis à unrégime de droit civil, les « sanctions administratives pécu-niaires » qui n’étaient auparavant applicables qu’aux entre-prises du secteur aérien (cf. L. conc., art. 79 (3.1) dans sa version antérieure àla loi du 12 mars 2009), sont désormais généralisées à tous les sec-teurs de l’économie (la seule modification de l’article 78 (1) de la loi sur la concur-rence porte ainsi sur la suppression des dispositions spéciales relatives au secteur des trans-ports intérieurs (§§ j) et k) qui énonçaient deux cas d’agissements anticoncurrentiels propresau secteur aérien en vertu de l’article 55 (1) de la loi sur les transports)).À côté du pouvoir d’injonction dont il dispose toujours à l’en-contre des entreprises en position dominante (les ordonnances d’in-jonctions de l’article 79 (1) de la loi sur la concurrence peuvent consister en une interdic-tion de se livrer à une pratique tandis que celles de l’article 79 (2) permettent, dans le casoù l’ordonnance prise en vertu du paragraphe (1) sont insuffisantes, d’ordonner à la per-sonne visée des mesures raisonnables et nécessaires pour « enrayer les effets de la pratique »sur le marché, notamment en lui imposant de « se départir d’éléments d’actif ou d’actions »),le Tribunal a dorénavant la faculté de condamner l’entrepriseconcernée au paiement d’une « sanction administrative pécu-niaire » pouvant s’élever jusqu’à 10 millions de dollars cana-diens (soit environ 6,5 millions d’euros) pour la première in-fraction et 15 millions de dollars canadiens (soit environ9,7 millions d’euros) en cas de réitération (qualifiée d’« in-fraction subséquente » aux termes de la loi sur la concurrence).La généralisation du pouvoir de sanction pécuniaire en ma-tière d’abus de position dominante s’accompagne égalementd’une nouvelle méthode d’appréciation du calcul de la sanc-tion pécuniaire (L. conc., art. 79 (3.2)) : si le Tribunal continue à éva-luer les effets néfastes d’une pratique tout en appréciant seseffets bénéfiques sur le marché pertinent (ibid., art. 79 (4)), il peutdésormais à défaut d’un bilan proconcurrentiel positif, pro-noncer une sanction qui sera alors évaluée en prenant encompte les effets de la pratique sur la concurrence, mais éga-lement les bénéfices, la situation financière et le revenu brutde l’entité concernée. Une telle méthode tranche très claire-ment avec l’ancienne évaluation qui consistait à prendre en

compte la durée, la fréquence de la pratique, ou encore la vul-nérabilité des personnes visées par les agissements anticon-currentiels (ibid., ancien art. 79 (3.2)). Le renforcement du régime civil de l’abus de position domi-nante s’accompagne d’autres réformes majeures sur lesquellesil convient de revenir succinctement.Afin d’alléger les sanctions applicables à l’ensemble des pra-tiques sur les prix, le gouvernement a en effet procédé à unlarge mouvement de « dépénalisation » des pratiques restric-

tives, consistant en réalité à aligner lerégime des infractions autres que le« maintien des prix » sur celui de l’abusde position dominante.Alors que les infractions pénales prévuesà l’ancien article 50 de la loi sur la concur-rence relatif au maintien, à la discrimi-nation par les prix, à l’établissement deprix d’éviction ainsi qu’à la discrimina-tion géographique par les prix sont abro-gées, les dispositions relatives au « main-tien des prix » relèvent désormais d’unrégime civil spécifique (l’article 76 de la loi sur

la concurrence énonce qu’est considéré comme des pratiques de maintien des prix, le faitpour une entreprise « i) soit, par entente, menace, promesse ou quelque autre moyen sem-blable », de faire monter ou d’empêcher « qu’on ne réduise le prix auquel son client ou toutepersonne qui le reçoit pour le revendre fournit ou offre de fournir un produit ou fait de la pu-blicité au sujet d’un produit au Canada », ii) soit de refuser « de fournir un produit à unepersonne ou catégorie de personnes exploitant une entreprise au Canada, ou » de prendre« quelque autre mesure discriminatoire à son endroit, en raison de son régime de bas prix »).La dépénalisation du régime des pratiques sur les prix donnealors lieu à la cohabitation de deux régimes civils distincts.Les pratiques de « maintien des prix » ne sont dorénavantsanctionnées que si elles ont « vraisemblablement pour effetde nuire à la concurrence » (L. conc., art. 76 (1) b)). Le Tribunal peutalors, au moyen d’une ordonnance, enjoindre au contreve-nant « l’approvisionnement d’un client » ou « la fin de la pra-tique susceptible de fausser la concurrence » (ibid., art. 76 (2) : « LeTribunal peut, par ordonnance, interdire à la personne visée au paragraphe (3) de continuerde se livrer au comportement visé à l’alinéa (1) a) ou exiger qu’elle accepte une autre per-sonne comme client dans un délai déterminé aux conditions de commerce normales »). Ilfaut noter, par ailleurs, que l’ordonnance peut désormais êtrerendue à la demande d’un particulier sur la base de l’ar-ticle 103.1 de la loi sur la concurrence.Les autres pratiques d’élimination d’un concurrent par les prixou de discrimination par les prix sont quant à elles susceptiblesde relever des articles 78 et 79 de la loi sur la concurrence re-latifs à l’abus de position dominante. Il est alors désormais né-cessaire de prouver que l’entreprise qui occupe une positiondominante se livre, conformément à l’article 79 de la loi sur laconcurrence i) à un « agissement anticoncurrentiel », ii) ayant« vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sen-siblement la concurrence » dans le marché pertinent. A contra-rio, toute entreprise qui ne détient pas une position dominantepeut librement avoir recours à de telles pratiques.Certaines critiques ou interrogations peuvent toutefois êtresoulevées. On pense tout d’abord à la différence ténue faiteentre une concurrence agressive et un comportement illégal,renforcée par le manque de prévisibilité d’une méthode quirepose sur une appréciation au cas par cas par le Tribunal.Une autre critique a trait, ensuite, à l’ampleur des sanctionsciviles susceptibles d’être imposées. La dépénalisation des in-fractions relatives aux prix s’est en effet accompagnée, ainsiqu’il a été mentionné supra, et à l’exception des dispositionsrelatives au « maintien des prix », de la généralisation de « sanc-

ACTU

ALITÉSDÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES

La généralisation dupouvoir de sanction

pécuniaire en matièred’abus de position

dominante s’accompagneégalement d’unenouvelle méthode

d’appréciation du calculde la sanction pécuniaire.

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tions administratives pécuniaires » relativement lourdes enmatière d’abus de position dominante. Les protections procé-durales applicables à la matière pénale ne sont cependant plusapplicables alors même que le montant susceptible d’être im-posé peut laisser penser que les sanctions pécuniaires ont uncaractère « quasi pénal ».S’agissant de la portée de ces réformes, on notera que la gé-néralisation de l’application des « sanctions administrativespécuniaires » relève selon le gouvernement et la loi elle-même(L. conc., art. 79 (3.3) : « la sanction (…) vise à encourager la personne visée par l’ordon-nance à adopter des pratiques compatibles avec les objectifs du présent article (…) ») d’unedémarche pédagogique à la différence de la sanction pénale.L’idée est par ailleurs probablement d’inciter les entreprisesà se doter de programmes de conformité à la concurrence(« compliance program ») en faisant planer la menace d’unesanction pécuniaire conséquente.Les réformes du gouvernement canadien en matière d’en-tentes et de pratiques restrictives participent d’un mouvementde rationalisation du droit qui se retrouve également en ma-tière de droit des concentrations où la loi sur la concurrencea procédé à une réforme sans précédent.

II. – UNE RÉFORME EN PROFONDEUR DU DROITDES CONCENTRATIONS AUX EFFETS TOUTEFOISENCORE INCERTAINS

La mise en place d’une procédure en deux étapes, clairementinspirée du modèle américain (A) procède avant tout de lavolonté du gouvernement de le rendre plus compréhensiblepar les opérateurs économiques. On peut toutefois regretterque l’adoption de nouvelles dispositions sur la loi sur les in-vestissements soit susceptible de remettre pour partie en causele didactisme prôné par la loi sur la concurrence (B).

A. – Un nouveau droit des concentrationslargement influencé par le droit américain

La réforme de la loi sur la concurrence conserve la distinc-tion antérieure entre les concentrations dont la notificationest obligatoire et celles qui peuvent être réalisées librement.Seules les dispositions applicables aux concentrations dont lanotification est obligatoire ont été en substance modifiées.Si la loi sur la concurrence maintient l’existence de seuils cu-mulatifs au-dessus desquels la notification est obligatoire, ellemodifie certains seuils. Ainsi l’article 109 de la loi sur la concur-rence conserve l’existence d’un premier « seuil général » denotification obligatoire des « transactions » (c’est-à-dire des opérationsd’« acquisition d’éléments d’actifs », d’« acquisition d’actions », de « fusion », et d’« associa-tion d’intérêts ») d’un montant de 400 millions de dollars cana-diens (soit approximativement 258 millions d’euros; Article 109 de la Loi sur la concur-rence : « La présente partie ne s’applique pas à l’égard d’une transaction proposée sauf si lesparties à cette transaction, avec leurs affiliées :a) ont au Canada des éléments d’actif dont la valeur totale dépasse quatre cents millions dedollars, calculé selon ce que les dispositions réglementaires prévoient à cette fin quant au mo-ment à l’égard duquel ces éléments d’actif sont évalués et au mode de leur évaluation, outelle autre valeur réglementaire plus élevée;b) ont réalisé des revenus bruts provenant de ventes au Canada, en direction du Canada ou enprovenance du Canada, dont la valeur totale, calculée selon ce que les dispositions réglemen-taires prévoient à cette fin quant au mode d’évaluation de ce revenu et à la période annuellepour laquelle il est évalué, dépasse quatre cents millions de dollars ou telle autre valeur régle-mentaire plus élevée »). L’article 110 de la loi sur la concurrence re-hausse toutefois quant à lui le seuil relatif à la taille de la « tran-saction » en portant le montant initial de 50 millions de dollarscanadiens (soit 32,3 millions d’euros) à un montant de 70 mil-lions de dollars canadiens (soit environ 45,4 millions d’euros).

Toute opération franchissant ces seuils continue de faire l’ob-jet d’une notification obligatoire qui se déroulera désormaisselon une procédure unique divisée en deux étapes fortementinspirées du droit américain (L. conc., art. 114). La loi prévoit queles parties à une « transaction » doivent le cas échéant noti-fier auprès du Commissaire à la concurrence, avant sa clôture(« closing »), leur projet accompagné de tous les documentsdits « réglementaires » (les documents qui doivent être communiqués sont conte-nus dans les Notifiable Transactions Regulations, non publiés à ce jour). Les partiesne disposent désormais plus du choix qui leur était offert deprocéder à une « notification abrégée » (qui imposait un dé-lai d’attente de 14 jours, susceptible d’être prorogé par unedemande du Commissaire à la concurrence de produire la dé-claration « détaillée ») ou une « notification détaillée » plusexigeante en matière de renseignements (celle-ci imposait un délai d’at-tente de 42 jours à compter de la communication des documents; cf. L. conc., art. 114 (2),dans sa version antérieure à la loi du 12 mars 2009 ainsi que les articles 16 et 17 du règle-ment sur les transactions devant faire l’objet d’un avis). Il faut noter par ailleursque tout projet de fusion déposé avant le 12 mars 2009 de-meure soumis au régime antérieur.Ces deux procédures alternatives de notification (« abrégée »et « détaillée ») sont désormais remplacées par une procédureunique. Les parties sont cependant toujours tenues de com-muniquer l’ensemble des documents « réglementaires » dèsla première phase et leur réception par le Commissaire à laconcurrence fait courir un délai de 30 jours pendant lequelles parties ne peuvent pas réaliser l’opération. Durant ce dé-lai, le Commissaire à la concurrence peut exiger par l’envoid’un « avis » (L. conc., art. 114 (2.1)) que les parties lui communi-quent des renseignements complémentaires (l’article 114 (2) de la loisur la concurrence dans sa version antérieure à la loi du 12 mars 2009 réservait cette possi-bilité à la seule procédure de notification allégée). Ceux-ci sont alors directe-ment énumérés dans l’« avis ». Cette seconde requête en in-formation peut être diligentée directement par le Commissaireà la concurrence sans avoir à solliciter de décision judiciaire(avant l’adoption de la loi du 12 mars 2009, le Commissaire à la concurrence devait deman-der au Tribunal de rendre une ordonnance afin d’obtenir la communication de renseigne-ments complémentaires. Cette ordonnance ne prorogeait pas le délai d’attente, dès lors, ledélai écoulé, les parties pouvaient à leurs risques et périls prendre la décision de conclurela « transaction »). La réception des documents par le Commissaireà la concurrence déclenche alors la seconde période d’attentede 30 jours pendant laquelle la réalisation de la « transaction »reste suspendue à moins que le Commissaire à la concurrencen’émette un avis favorable anticipé (L. conc., art. 123 et s.). Lorsquele Commissaire fait face à une opération particulièrement com-plexe, il dispose en outre toujours de la faculté de demanderau Tribunal de la concurrence de proroger à nouveau de 30 joursla période de suspension de l’opération (ibid., art. 100).Notons que si le Commissaire à la concurrence accorde ex-pressément l’autorisation de conclure l’opération ou qu’ilgarde le silence à l’expiration du délai d’attente, la transac-tion peut alors être réalisée.Ainsi, la transaction ne peut être réalisée préalablement à l’ex-piration des délais que par un accord anticipé du Commis-saire à la concurrence ou encore en sollicitant auprès de luiun « certificat de décision préalable » (« advance ruling certificates » ; l’ar-ticle 124.1 (1) de la loi sur la concurrence dispose de façon constante que toute personneest recevable à demander à la Commissaire à la concurrence son avis sur la conformité detout agissement ou projet avec les prescriptions de la loi sur la concurrence) qui per-mettra d’exempter la « transaction » de toute obligation de no-tification et garantir à celle-ci l’absence de toute remise encause ultérieure.En l’absence d’« advance ruling certificates » il est donc tou-jours loisible au Commissaire à la concurrence de remettre en

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cause la validité d’une opération de concentration en vertude l’article 97 de la loi sur la concurrence. Cependant en di-minuant sensiblement le délai de prescription applicable enle portant de trois à seulement une année, la réforme contri-bue de nouveau à garantir aux parties à l’opération d’avan-tage de sécurité juridique dans la gestion de leurs affaires.Aux objectifs de prévisibilité et de simplification juridique quicaractérisent la réforme du droit des concentrations, s’oppo-sent certaines interrogations d’ordre pratique. On pense toutd’abord aux difficultés soulevées par la durée de la secondephase qui ne commence à courir qu’à la réception des docu-ments requis par le Commissaire à la concurrence. Le pointde départ du délai sera ainsi intrinsèquement lié à la capacitédes parties à réunir plus ou moins rapidement l’ensemble desdocuments demandés et par conséquent à la complexité dudossier. Ainsi, il serait souhaitable que seules les opérationsde concentration les plus complexes (c’est-à-dire celles qui,dans la pratique antérieure, relevaientde la procédure de « notification appro-fondie ») fassent l’objet d’une demanded’informations complémentaires, de fa-çon à limiter au minimum la prolonga-tion excessive des délais de procédures’agissant des opérations de taillemoyenne. Une des solutions pourraitconsister à inciter les parties réalisantdes « transactions » de taille moyenne àcommuniquer dès la première phase uneétude des effets proconcurrentiels atten-dus (comme cela était habituellement lecas dans la procédure antérieure).De manière générale, le déroulement dela nouvelle procédure gagnera à être pré-cisé par les futures lignes directrices (les lignes directrices provisoires rela-tives au droit des concentrations ont été publiées sur <www.competitionbureau.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/h_03036.html>, aux fins de consultation le 24 mars 2009) qui permettrontaux entreprises d’anticiper les demandes du Bureau de la concur-rence, dans un souci, là encore, de simplification du droit.Ce mouvement est souhaitable dans le cadre d’une économiemondialisée car il favoriserait la connaissance et la compré-hension du droit par les investisseurs étrangers, encourageantainsi les opérations transfrontalières. Alors que la réforme is-sue de la loi sur l’exécution du budget rehausse les seuils ap-plicables au droit des concentrations, réduisant ainsi l’éten-due du contrôle effectué par le Bureau de la concurrence, denouvelles dispositions viennent quant à elles remanier le droitapplicable à l’investissement étranger. Les implications en ma-tière de concentrations méritent qu’on s’y intéresse.

B. – Une simplification du droit pour partie remiseen cause en raison de l’adoption de nouvellesdispositions à la Loi sur l’investissement

De la même manière que pour le droit des concentrations, laloi Investissement Canada, entrée en vigueur le 12 mars 2009(à l’exception des dispositions relatives aux seuils de contrôle ; l’entrée en vigueur de cesdispositions doit être définie par le gouverneur en conseil du Canada), a relevé lesseuils de contrôlabilité applicables aux investissements étran-gers. Dans le même temps, elle a toutefois mis en place unnouveau contrôle de l’« atteinte à la sécurité nationale » ap-plicable en l’absence de tout seuil.La réforme du droit de l’investissement étranger au Canadaconserve, au sein de la procédure générale d’examen, la distinc-tion entre les investissements des ressortissants des États par-ties à l’Organisation mondiale du commerce (dits « investisseurs

OMC ») et les investissements tiers. Seuls les investissements di-rects (les investissements indirects étant exemptés à moins derelever d’un « secteur sensible ») au Canada d’« investisseursOMC » sont soumis à un examen du ministre des AcquisitionsDirectes du contrôle d’entreprises canadiennes lorsque les opé-rations envisagées franchissent un seuil, réévalué tous les deuxans, et aujourd’hui porté à 600 millions de dollars canadiens (soit383,6 millions d’euros; l’OCDE définit l’investissement direct à l’étranger (IDE) comme étant« une activité par laquelle un investisseur résidant dans un pays obtient un intérêt durable etune influence significative dans la gestion d’une entité résidant dans un autre pays. Cette opé-ration peut consister à créer une entreprise entièrement nouvelle (investissement de création)ou, plus généralement, à modifier le statut de propriété des entreprises existantes (par le biaisde fusions et d’acquisitions). Sont également définis comme des investissements directs étran-gers d’autres types de transactions financières entre des entreprises apparentées, notamment leréinvestissement des bénéfices de l’entreprise ayant obtenu l’IDE, ou d’autres transferts en capi-tal » les investissements indirects sont quant à eux exemptés).Les investissements directs et indirects des ressortissants de

pays tiers et dans les « secteurs sensibles »(tels que les entreprises culturelles, detransport, de services financiers, et en-fin d’enrichissement d’uranium), quiétaient jusqu’à présent soumis à examenlorsqu’ils franchissaient en cas d’inves-tissement direct un seuil de 5 millionsde dollars canadiens (soit environ 3,2 millionsd’euros; le montant du seuil demeure calculé au regard dela « valeur comptable des actifs » (« book value of assets »))et en cas d’investissement indirect 50 mil-lions de dollars canadiens, ne sont dé-sormais plus sujets à aucun seuil, à l’ex-ception toutefois des investissementsdans les entreprises culturelles pour les-quels ces seuils restent maintenus.

Si la réforme soustrait, de fait, un grand nombre d’investisse-ments étrangers de la procédure générale d’examen, la loi in-vestissement Canada, telle que modifiée, instaure un secondcontrôle par le ministre de l’Industrie au titre de l’« atteinte àla sécurité nationale ». Ainsi, lorsque le ministre « a de bonnesraisons de croire » qu’un investissement (direct ou indirect,majoritaire ou minoritaire) peut « porter atteinte à la sécuriténationale », il peut après consultation du ministre de la Sécu-rité publique et de la Protection civile et de l’investisseurconcerné, saisir le cabinet fédéral afin qu’il prenne toutes lesmesures qu’il estime appropriées pour préserver la « sécuriténationale » (cf. L. investissement Canada, art. 25.4 (1)). La portée de cette nouvelle disposition semble a priori sanslimite, d’autant que le ministre compétent peut examiner ré-troactivement tout investissement étranger réalisé entre le 6 fé-vrier et le 12 mars 2009 (tout examen de ces investissements ne pourra cepen-dant avoir lieu que dans un délai de 60 jours à compter du 12 mars 2009). Rien nepermet, en outre, de conclure que la notion de « sécurité na-tionale », telle qu’elle existe déjà au Canada en matière demarchés publics (cf., par exemple, Lignes directrices pour aider les ministères à re-courir à l’exception au titre de la sécurité nationale dans le cadre des accords commerciauxsur les marchés publics, en vertu desquelles « la sécurité nationale dépasse la question mi-litaire de l’intégrité du territoire et les notions traditionnelles de la souveraineté nationale.Elle comprend aussi le besoin de protéger la sécurité économique, environnementale et hu-maine lorsqu’une société et ses institutions démocratiques deviennent les cibles de menacesterroristes et qu’elles ont besoin d’être protégées et défendues », disponibles sur le site du Se-crétariat du Conseil du Trésor du Canada < http.tbs-sct.gc.ca/cmp/doc/nse-esn-fra.aspx>),réponde à la même acception que pour l’investissement : uneincertitude par ailleurs renforcée par l’absence de règlementsd’application définissant la notion d’« atteinte à la sécurité na-tionale » et précisant ses critères d’appréciation.

ACTU

ALITÉSDÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES

Le déroulement de la nouvelle procédure

gagnera à être précisé par les futures lignes

directrices quipermettront aux

entreprises d’anticiper lesdemandes du Bureau

de la concurrence, dansun souci, là encore, desimplification du droit.

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Ces nouvelles dispositions laissent, en tout état de cause, ap-paraître un durcissement général de la faculté pour un étran-ger d’investir au Canada, sans compter que le droit des concen-trations sera également susceptible de trouver à s’appliquer.De nombreux points restent, par ailleurs, à définir afin dejuger la portée et l’efficacité de ces deux contrôles. Ainsi,en ce qui concerne le contrôle général de l’investissementétranger, la définition et le calcul de ces seuils (dits en« valeur d’affaire ») ou encore la période durant laquelleun investissement étranger pourra être remis en cause,

font défaut. L’absence de règlements d’application et delignes directrices en matière de « sécurité nationale » estégalement susceptible de générer une période d’incerti-tude défavorable à l’investissement étranger au Canada.Il faut donc souhaiter que cette période d’incertitude soitprincipalement due à l’entrée en vigueur très récente dela réforme et n’aie ainsi vocation à être que temporaire,de manière à ne pas priver d’effets les modifications si-gnificatives apportées par les dispositions nouvelles de laloi sur la concurrence. ◆

CANADA : PREMIÈRES MODIFICATIONS SIGNIFICATIVES DE LA LOI SUR LA CONCURRENCE DEPUIS 1985

DÉCISIONS DESAUTORITÉS NATIONALESDE CONCURRENCEÉTRANGÈRES1440

Nouvelle-Zélande :les entreprises étrangèreset les personnes physiquesn’échapperont pasà l’application du droitde la concurrenceLa Court of Appeal of New Zealand confirme la décisionde la High Court dans l’affaire dite « The KoppersArch Litigation », entérinant ainsi une interprétationextensive du champ d’application extraterritorialedu Commerce Act.Neil Harris v. The Commerce Commission, CA CA255/2007, 18 mars 2009,connu sous le nom de The Koppers Arch Litigation, décision disponiblesur le site du ministère de la justice de Nouvelle-Zélande<http://jdo.justice.govt.nz>

Le 18 mars 2009, la Court of Appeal of New Zealand a renduune décision attendue dans une affaire de cartel dans le sec-teur des produits chimiques de conservation du bois.Étaient concernées des pratiques de fixation de prix et de ré-partition des marchés prohibées par les sections 27 et 30 duCommerce Act (le Commerce Act adopté en 1986, constitue l’instrument juridiquerelatif à la défense de la concurrence en Nouvelle-Zélande. Il prohibe les pratiques restric-tives de concurrence notamment les contrats, arrangements ou accords qui restreignent sub-stantiellement la concurrence (Section 27 : contracts, arrangements, or undertakings sub-stantially lessening competition prohibited) et certaines clauses contractuelles considéréescomme portant atteinte à la concurrence (Section 30 : Certain provisions of contracts, etc.,with respect to prices deemed to substantially lessen competition). Le Commerce Act est dis-ponible en ligne sur le site <http://www.comcom.govt.nz>. La Commerce Commission estl’autorité nationale de concurrence en Nouvelle-Zélande en charge de l’application du Com-merce Act), intervenues sur le marché néo-zélandais entre 1998et 2002.Sur les quinze personnes physiques et morales poursuivies,onze étaient des entreprises ou dirigeants d’entreprises étran-gères n’ayant ni résidence ni activité en Nouvelle-Zélande.

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Sept de ces défendeurs étrangers ont reconnu leur participa-tion au cartel et admis leur responsabilité (pts. 12 à 14).Trois dirigeants étrangers ont toutefois préféré contester l’ap-plication du Commerce Act et la compétence de la CommerceCommission devant la High Court qui a rejeté l’argument tiréde l’exception d’incompétence et a admis l’applicabilité duCommerce Act et la compétence des tribunaux néo-zélandais(Arrêt du 16 mars 2007, HC AK CIV 2005-404-2080, disponible en ligne sur le site<http://jdo.justice.govt.nz>). Les trois dirigeants ont ensuite interjeté appel de cette déci-sion, et c’est dans ce contexte que la Court of Appeal of NewZealand, dans un arrêt très didactique, a reconnu la compé-tence de la Commerce Commission pour appliquer le Com-merce Act à ces trois personnes physiques étrangères.Avant de parvenir à cette solution, la Cour of Appeal s’est lon-guement interrogée sur le champ d’application territorial duCommerce Act et plus précisément sur l’applicabilité de la Sec-tion 4 du Commerce Act (la Section 4 du Commerce Act prévoit que l’Act s’ap-plique aux pratiques ayant été diligentées à l’étranger par des personnes résidentes ou ayantune activité en Nouvelle-Zélande si ces pratiques ont eu un effet sur le marché néo-zélan-dais : Section 4 : Application of Act to conduct outside New Zealand : (1) the Act extends tothe engaging in conduct outside New Zealand by any person resident or carrying on businessin New Zealand to the extend that such conduct affects a market in New Zealand) à desresponsables d’entreprises étrangères n’ayant eu ni activité,ni résidence, ni même une quelconque présence physique enNouvelle-Zélande pendant la période des faits (ils résidaienten Australie et aux États-Unis à ce moment-là).Par une interprétation téléologique du Commerce Act, la Courtof Appeal, a considéré que (pt. 52) :(a) la Section 4 du Commerce Act étend le champ d’applica-tion de la loi sur la concurrence aux pratiques commises àl’étranger par des personnes physiques ou morales résidantou ayant une activité en Nouvelle-Zélande dès lors qu’ellesaffectent le marché néo-zélandais, sans exiger que la pratiquesoit commise en Nouvelle-Zélande;(b) la Section 4 ne concerne pas les cas dans lesquels des rési-dents étrangers (qui n’ont pas agi personnellement en Nou-velle-Zélande) ont diligenté à l’étranger une entente anticon-currentielle relative au marché néo-zélandais, entente ayant étémise en œuvre en Nouvelle-Zélande par des résidents néo-zé-landais eux-mêmes parties à l’entente ou agissant sous la di-rection ou avec l’autorisation de personnes physiques ou mo-rales étrangères, ce cas devant être tranché selon une méthodeinterprétative par référence à la politique de concurrence, auxobjectifs du texte et aux principes de droit pertinents;(c) la High Court a eu raison de juger que le dossier de la Com-merce Commission entrait dans le champ d’application duCommerce Act.

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La Court of Appeal a pourtant rappelé qu’il existait un certainnombre d’obstacles juridiques à l’extension du champ d’ap-plication territorial du Commerce Act.On retiendra notamment :

Un premier obstacle d’ordre textuel.– La Section 4 du Com-merce Act qui prévoit les cas d’application du texte aux pra-tiques mises en œuvre en dehors de la Nouvelle-Zélande, necouvre pas les comportements de personnes physiques oumorales étrangères n’ayant aucun rattachement physique (ré-sidence ou activité) avec la Nouvelle-Zélande. La Cour a donceu à trancher la question de savoir (pt. 27) :– si la section 4 (1) du Commerce Act identifie les seuls casdans lesquels les dispositions de la loi s’appliquent à une per-sonne physique ou morale dont les agissements se sont dé-roulés entièrement ou substantiellement hors de la Nouvelle-Zélande ((4)Application of Act to conduct outside New Zealand (1) « This Act extendsto the engaging in conduct outside New Zealand by any person resident or carrying on busi-ness in New Zealand to the extent that such conduct affects a market in New Zealand ») ;et– dans le cas contraire, dans quelles circonstances les dispo-sitions du Commerce Act s’appliquent à une personne phy-sique ou morale hors de la Nouvelle-Zélande en raison de pra-tiques mises en œuvre par une personne physique ou moralesur le territoire néo-zélandais.

Plusieurs obstacles d’ordre pratique. – La Cour rappelle en-suite l’existence de plusieurs éléments en faveur d’une concep-tion restrictive de l’application extraterritoriale des lois in-ternes.Tout d’abord, ainsi qu’il a été précédemment jugé en Nou-velle-Zélande, les personnes qui résident à l’étranger et n’ontpas de présence en Nouvelle-Zélande, ne peuvent pas êtresoumises à la compétence des tribunaux néo-zélandais (Arrêtde la Court of Appeal of New Zealand Kuwait Asia Bank EC v. National Mutual Life Nomi-nees Limited (No 2) [1989] 2 NZLR 50 (CA) : « persons who reside overseas and are not pre-sent in New Zealand will not lightly be subjected to the jurisdiction of the New Zealandcourts »).La Court of Appeal admet toutefois que le développementconsidérable des moyens de communication et de transportont réduit la portée pratique de ce principe.Dans sa décision, la Cour explique ensuite que le pouvoir lé-gislatif néo-zélandais est peu enclin à affirmer la compétencedes tribunaux néo-zélandais sur des pratiques se déroulantentièrement hors de la Nouvelle-Zélande. L’existence d’uneprésomption selon laquelle les lois n’ont pas d’effet extrater-ritorial sauf dans les cas expressément prévus par la loi re-flète cette réalité. Cette présomption procède des principes dedroit international et du respect de la souveraineté des Étatsdans la poursuite des pratiques ayant lieu sur leur territoire.Toutefois, la Cour reconnaît que s’agissant du droit de laconcurrence, ce principe a fait l’objet d’ajustements considé-rables, particulièrement aux États-Unis avec l’adoption de lathéorie dites « des effets » (United States v. Aluminium Co of America (1945)148 F 2d 416 (2nd Cir) and Hardford Fire Insurance Co v California (1993) 509 US 764).Malgré les obstacles identifiés ci-dessus, la Court of Appealconsidère que les personnes étrangères qui mettent enœuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché néo-zélandais par le biais d’intermédiaires, peuvent être consi-dérées comme ayant agi en Nouvelle-Zélande notammentdans les cas où elles ont une autorité de fait ou de droitsur leurs intermédiaires.La Cour cite à titre d’exemple l’affaire du cartel des vitamines(Arrêt Bray v. Hoffman-La Roche Ltd (2002) 190 ALR 1 (FCA)) dans laquelle

plusieurs entreprises multinationales ont mis en œuvre des pra-tiques de fixation de prix en Australie par le biais de leurs agentsà qui elles avaient préalablement envoyé leurs instructions etavec lesquels elles étaient en contact. Les pratiques mises enœuvre sur le territoire australien ont été considérées commedirectement imputables aux entreprises étrangères.Dans sa décision, la Court of Appeal considère que descontacts avec des acteurs néo-zélandais ou des instructionsrelatives aux pratiques anticoncurrentielles données à desacteurs néo-zélandais, quand bien même ces derniers setrouveraient à l’étranger, suffisent à établir l’applicabilité duCommerce Act. Selon elle, si ces acteurs néo-zélandais ont,par la suite, agi en Nouvelle-Zélande pour donner effet à cesconcertations anticoncurrentielles, ils peuvent parfaitementêtre considérés comme ayant agi sur ordre, ou au nom deces résidents étrangers.Selon la Court of Appeal, cette approche est cohérente avecles réalités de la mondialisation, particulièrement tangibleconcernant les pratiques anticoncurrentielles. Adopter une so-lution contraire risquerait de créer un vide dans l’ordre concur-rentiel mondial. Cela aurait également constitué un écueilpour un « petit » pays comme la Nouvelle-Zélande notammenten raison de sa forte dépendance vis-à-vis d’importants pro-duits et technologies importés (« That would create a significant loophole inthe Act, particularly as New Zeland is a relatively small country with a heavy dependence onimported products and technology »). Les entreprises étrangères ne doi-vent pas pouvoir se considérer à l’abri de poursuites si ellesne communiquent pas avec des personnes ou n’assistent pasà des réunions sur le territoire néo-zélandais.Comme la Court of Appeal le reconnaît elle-même, la Com-merce Commission pourrait ainsi faire face à certaines diffi-cultés pratiques pour démontrer la responsabilité de ces en-treprises, ce qui ne l’empêche pas d’entériner la compétencede la Commerce Commission pour appliquer les dispositionsdu Commerce Act (« The commission may face practical problems in seeking to holdsuch entites to account, but there is, in our view, jurisdiction under the Act »).Pour anticiper et résoudre ces difficultés, une coopérationentre les différentes autorités nationales de concurrencesera nécessaire. La Nouvelle-Zélande a d’ailleurs conclu denombreuses conventions de coopération multinationale etbilatérale.C’est notamment le cas avec l’Australie avec laquelle elle en-tretient des liens économiques privilégiés (pour un aperçu exhaustifdes accords liant la Nouvelle-Zélande et l’Australie, cf. le site de l’Australian Competitionand Consumer Commission <http://www.accc.gov.au/content/index.phtml/ite-mId/564911>). Ainsi, plusieurs accords bilatéraux de coopérationentre l’Australie et la Nouvelle-Zélande prévoient notammentl’échange d’informations collectées par la New Zealand Com-merce Commission et l’Australian Competition and ConsumerCommission (« ACCC ») dans le cadre de leurs enquêtes. Deplus, en 2007, a été conclu un accord ouvrant la possibilitépour ces Autorités de collecter sur une base volontaire deséléments de preuve sur leur territoire réciproque (CooperationAgreement between the Australian Competition and Consumer Commission and the NewZealand Commerce Commission, 31 juill. 2007, pt. 2.4 : « Nothing in this Agreement affectsthe right of a Party to seek evidence on a voluntary basis from a person located in the terri-tory of the other Party, nor does anything in this Agreement preclude any such person fromvoluntarily providing evidence to a Party », disponible sur <http://www.accc.gov.au/content/in-dex.phtml/itemId/564911>).À cet égard, un nouveau projet relatif aux pratiques anticon-currentielles prévoyant le renforcement de la coopération entrela Commerce Commission et les autorités de concurrence étran-gères et plus particulièrement l’ACCC est actuellement en dis-cussion devant le Parlement néo-zélandais (ce projet de texte prévoit la

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ALITÉSDÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES

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simplification des procédures de partage d’informations, même confidentielles, recueillies dansle cadre des investigations menées par la Commerce Commission et les autres autorités deconcurrence ainsi que le renforcement des pouvoirs de la Commerce Commission lorsqu’elleassiste les autorités de concurrence étrangères dans leurs investigations (« Explanatory note »du projet de loi disponible sur <http://wwww.legislation.govt.nz>)).

Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉet Thomas PICOT

Avocats, Jeantet Associés

1441

Chine : l’interdictionde l’acquisition du groupeHuiyuan Juice par la sociétéCoca-Cola, une décisioninsatisfaisante pour lesentreprises étrangèresDans une décision remarquée et particulièrementsuccincte (une page et demie), le ministredu Commerce de la République Populaire de Chinedécide de rejeter ce qui aurait pu être le premier rachatd’une entreprise chinoise par une entreprise étrangère.Aucune traduction française ou anglaise de la décision n’est disponible.L’article a été rédigé à partir d’une traduction non officielle disponible surle site <www.hhlaw.com/zh-CHS/pressroom/newspubs/pubDetail.aspx?publication = 4387>

Le 18 mars 2009, le ministre du Commerce de la Républiquepopulaire de Chine (ci-après « MOFCOM »), a sonné le glasde la plus importante prise de contrôle d’une société chinoisepar une compagnie étrangère, en interdisant l’offre amicalede Coca-Cola de 2,4 milliards de dollars lancée sur le GroupeHuiyuan Juice, leader chinois sur le marché des jus de fruits.En dépit des rumeurs de prise de participation minoritairedans Huiyuan Juice, Coca-Cola s’est finalement définitive-ment retiré des négociations mardi 12 mai 2009, scellant ainsile sort de ce projet de mariage (Coca-cola se retire définitivement de Huiyuan,La Tribune, 12 mai 2009).Dans une décision « d’une page et demie » décevante etcréatrice d’insécurité juridique pour les entreprises étran-gères actives sur le marché chinois, le MOFCOM a interditcette opération d’envergure considérant qu’elle aurait deseffets anticoncurrentiels irréversibles, sans davantage demotivation.Comme l’expliquent certains journalistes et avocats, les ru-meurs et les spéculations n’ont pas cessé de perturber cetteopération depuis son commencement (Evans R., Transparency is in MOF-COM’s interest, IFLR, 1er mai 2009, Asia editori) de sorte que ce projet deconcentration prenait des allures de « soap opera ».Cette décision est d’une importance majeure pour les entre-prises actives en Chine, en ce qu’elle pourrait constituer unindicateur de l’attitude du MOFCOM en matière de contrôledes opérations d’acquisition d’entreprises chinoises par desentreprises étrangères.Cette décision de rejet donne lieu à un vif débat. En effet, sicertains considèrent que cette décision est largement politiqueet protectionniste, d’autres en revanche estiment qu’il exis-tait de réels problèmes de concurrence.

Rappel du contexte et de la procédure.– Le 3 septembre2008, The Coca-Cola Company (ci-après « Coca-Cola ») lan-

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çait une offre publique d’achat amicale sur China HuiyuanJuice Group, le plus grand producteur chinois de jus de fruits,pour l’équivalent de 2,4 milliards de dollars, faisant de cetteopération la deuxième plus grande acquisition de l’histoire dugéant américain (la prise de contrôle de Huiyuan par Coca-Cola face à des difficul-tés, Xinhua – Agence de presse, 3 sept. 2008) et la plus importante prise decontrôle d’une société chinoise par une société étrangère (lesprojets de Coca-Cola en Chine soumis au couperet de la loi anti-monopole, AFP infos éco-nomiques, économie et finance, 4 sept. 2008).En application de la récente loi anti-monopoles (LAM) et duparagraphe 3 du règlement du Conseil des affaires de l’Étatrelatif aux seuils de notification des concentrations entre en-treprises, en date du 3 août 2008, Coca-Cola notifiait officiel-lement l’opération le 18 septembre 2008 auprès du MOFCOM.Pour mémoire, l’obligation de notifier une opération de concen-tration auprès du MOFCOM s’applique lorsque l’un ou l’autredes seuils suivants est atteint :« (1) le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial lorsdu dernier exercice par l’ensemble des entreprises concernéesest supérieur à 10 milliards RMB (soit environ 1 milliard d’eu-ros), et le chiffre d’affaires total réalisé individuellement enChine, par au moins deux des entreprises concernées, est su-périeur à 400 millions RMB (soit environ 41 millions d’euros) ;(ou)(2) le chiffre d’affaires total réalisé en Chine lors du dernierexercice par l’ensemble des entreprises concernées est supérieurà 2 milliards RMB (soit environ 208,8 millions d’euros), et lechiffre d’affaires total réalisé individuellement en Chine, parau moins deux des entreprises concernées est supérieur à400 millions RMB (soit environ 41 millions d’euros) ».En l’espèce, le chiffre d’affaires combiné de Coca-Cola et deHuiyuan Juice dépassait les 10 milliards de yuans en 2007 etchacune réalisait individuellement un chiffre d’affaires supé-rieur à 400 millions de yuans en Chine.À la suite de cette notification et à la demande du MOFCOM,Coca-Cola a fourni des informations et documents complé-mentaires à plusieurs reprises (25 sept. 2008, 9 oct. 2008, 16 oct. 2008 et9 nov. 2008, China Antitrust uptade, 19 mars 2009, Hogan & Hartson).Le 20 novembre 2008, après deux mois d’échanges consécu-tifs aux demandes d’informations et documents complémen-taires, le MOFCOM a officiellement accepté la notification etouvert la première phase d’examen du dossier.Compte tenu de l’envergure de cette opération et de ses im-plications, le MOFCOM a déclenché la deuxième phase d’exa-men en ouvrant une enquête approfondie le 20 décembre2008, en application de l’article 26 de la LAM, date à comp-ter de laquelle il disposait alors de 90 jours pour rendre sa dé-cision définitive.Ce fut chose faite le 18 mars 2008, date à laquelle le MOFCOMa annoncé, dans une décision d’une page et demie, l’interdic-tion de l’opération, au motif qu’elle affecterait irrémédiable-ment la concurrence « sur le marché chinois des jus de fruits »(« Chinese fruit juice beverage market » et « sound developpement of the Chinese fruit juiceindustry » selon une traduction non officielle de la décision) et altérerait « le bondéveloppement de l’industrie chinoise du jus de fruits ».Selon le MOFCOM, l’entité issue de la concentration auraitdétenu une position dominante sur le marché des jus defruits, avec pour effet d’éliminer ou de réduire effectivementla concurrence sur ce marché (Communiqué de presse du MOFCOM,20 mars 2009). Le MOFCOM a également affirmé que Coca-Colapourrait tirer profit de sa position dominante sur le marchédes boissons gazeuses et sur celui des jus de fruits, sans pourautant expliquer comment le géant américain aurait été enmesure de le faire.

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Une décision d’interdiction décevante pour les entreprises.–C’est donc dans une décision d’une page et demie, dépour-vue de tout examen approfondi des délimitations de marchéset de toute analyse concurrentielle, que le MOFCOM a décidéd’interdire cette opération d’envergure internationale.Il est véritablement regrettable pour les entreprises étran-gères que le MOFCOM ne se soit pas inspiré de la pratiquedécisionnelle d’autorités de concurrence plus « matures »telles que la Commission européenne, la Federal Trade Com-mission, ou les autorités européennes nationales de laconcurrence (OFT, Bundeskartellamt, Autorité française dela concurrence…).Dans sa décision, le MOFCOM s’est en effet affranchi de dé-veloppements essentiels tels que l’analyse approfondie de ladélimitation des marchés pertinents dans le secteur des bois-sons (pourtant déjà délimité à plusieurs reprises par la Commission européenne, Déc.Comm. CE, 7 févr. 2000, aff. COMP/M.1683, The Coca-Cola company/Kar-Tess Group (Hel-lenic Bottling) ; Déc. Comm. CE, 27 sept. 2001, aff. COMP/M.2276, The Coca-Colacompany/Nestlé/JV ; Déc. Comm. CE, 11 sept. 1999, aff. IV/M.833, The Coca-Colacompany/Calsberg A/S. Dans ces décisions, la Commission avait notamment identifié unmarché des boissons gazeuses distinct du marché autres que les boissons non alcooliséestelles que le café, le thé, le lait, les jus. Selon cette délimitation, les jus de fruits apparte-naient donc au marché des boissons non alcoolisées, à l’exclusion des boissons gazeuses).Il se contente à cet égard de faire référence aux boissons ga-zeuses et aux jus de fruits sans donner de définition précisedu marché pertinent. De même, s’est-il abstenu d’une ana-lyse concurrentielle expliquant en détail les distorsions deconcurrence susceptibles d’être créées par l’opération ou en-core une analyse précise des remèdes proposés par Coca-Cola.De telles explications auraient permis aux entreprises d’anti-ciper le type de solutions envisageables dans le cadre d’opé-rations soumises à l’approbation du MOFCOM, susceptiblesde poser des problèmes de concurrence.

Des soupçons de protectionnisme?– Comme l’indiquent cer-tains praticiens dans leurs commentaires, « cette décision n’estpas expressément protectionniste mais il existe certaines sus-picions que des facteurs sans lien avec la concurrence aientjoué un rôle notamment en raison de la spéculation des mé-dias et du lobbying qui ont entouré cette affaire depuis soncommencement » (China bans Coke Merger, IFLR, avr. 2009, p. 8).Selon une traduction non officielle de la décision (China Anti-trust uptade, 19 mars 2009, Hogan & Hartson), il est explicitement indiquéque le MOFCOM a « sollicité l’opinion de plusieurs servicesgouvernementaux, associations industrielles, entreprises dejus de fruits, etc. », ce qui renforce le sentiment que l’auto-rité de concurrence chinoise a accordé une importance par-ticulière à l’opinion d’hommes politiques et d’acteurs dumarché nécessairement plus disposés à défendre les inté-rêts des entreprises locales, que ceux du géant américain(Evans R., China special : the Coke case « Transparency is in MOFCOM’s interests », IFLR,1er mai 2009, Asia editor).Certains praticiens ont d’ailleurs clairement pris position ence sens à la suite de cette décision, en expliquant notammentque « dans le climat actuel, [ils] suspect[ent] que le MOFCOMait accordé un poids plus important aux plaintes de petites en-treprises ». Selon eux, « le MOFCOM ne pourrait pas autoriserune opération susceptible de créer du chômage ou des troublessociaux » (Martyn Huckerby, associés du bureau de Shanghai, Mallesons Stephen

Jacques). Par ailleurs, d’après leurs sources locales, « il existaitune très forte pression des concurrents pour bloquer l’opéra-tion » ainsi qu’une « volonté de maintenir les marques chi-noises réputées sous contrôle chinois » (Scott P., China blocks Coca-Coladeal, Global Competition Review, 18 mars 2009).Preuve de l’importance de cette polémique, le ministre duCommerce chinois a même pris la peine de démentir dansla presse tout protectionnisme indiquant que « la décisionétait fondée sur des recherches et des investigations suffi-santes » et « strictement alignée avec la loi antimonopoledu pays ». Se voulant rassurant pour les entreprises étran-gères, il a clairement indiqué que « la finalité du contrôleétait le maintien de la concurrence, la protection des consom-mateurs et la sauvegarde de l’intérêt public » (China denies Coca-Cola decision equals trade protectionism, People’s Daily online, 20 mars 2008).

Les implications de la décision pour les entreprises étran-gères.– Il n’en reste pas moins que cette décision consti-tue un message fort du MOFCOM lancé aux entreprises etinvestisseurs étrangers. En effet, il est désormais évidentque l’autorité de concurrence chinoise n’hésitera pas àfaire application des pouvoirs que lui confère la LAM pourinterdire certaines opérations de concentration.En pratique, l’intérêt de cette décision très attendue parles entreprises actives sur le marché chinois est toutefoistrès limité.Elle crée en effet plus d’incertitudes sur la procédure etl’examen au fond des opérations de concentrations sou-mises au MOFCOM, qu’elle n’apporte de réponses.Le MOFCOM avait pourtant commencé l’année 2009 parla publication de neuf lignes directrices et projets de lignesdirectrices, notamment sur le contrôle des concentrations,affichant ainsi une réelle volonté de transparence.Toutefois, comme le rappellent certains praticiens « seulela pratique décisionnelle est susceptible de clarifier la pro-cédure d’autorisation des concentrations » (Only cases can clarifymerger clearance, IFLR, févr. 2009, RE).Les seules clarifications apportées par la décision sont ainsirelatives au calendrier de la procédure de contrôle desconcentrations, dont on apprend qu’il se calcule en « jourscivils », tandis que, jusqu’à présent, le MOFCOM faisait ré-férence aux jours sans préciser leur nature. Elle vient éga-lement préciser que les périodes d’auditions sont inclusesdans la phase d’examen de l’opération et n’impliquent pasde délais supplémentaires (China Antitrust uptade, 19 mars 2009, H & H).Cette décision fournit par conséquent un aperçu extrême-ment limité de la manière dont le MOFCOM examine lesopérations de concentrations soumises à son approbation.Dès lors, il est possible de redouter que les entreprises,confrontées à un fort aléa, soient tentées d’élaborer desstratégies visant à échapper au contrôle du MOFCOM (Chinabans Coke Merger, IFLR, avr. 2009, p. 8) en privilégiant des montagesleur permettant de ne pas franchir les seuils tels que desprises de participations minoritaires, ou des entreprisescommunes soigneusement structurées (en effet, ni la LAM, ni leslignes directrices n’abordent la question des joint-ventures, alors que cette pratique estlargement répandue en Chine : Picot Th. et Zheng C.-H., Après treize années d’attente,la loi chinoise sur la concurrence est enfin votée, RLC 2007/13, n° 945).

Th. P.

ACTU

ALITÉSDÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES

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Revue Lamy de la concurrence :Les élections européennes vien-nent d’avoir lieu. Comment ex-pliquez-vous le taux d’absten-tion à ces élections alors mêmeque l’influence du Parlementmonte, elle, en puissance?

Noëlle Lenoir : C’est un para-doxe. Jamais le Parlement euro-péen n’a eu autant de pouvoir,jamais l’Europe n’a été aussi pré-sente dans les medias, et pour-tant depuis 1979, d’élections en élec-tions, le taux d’abstention grimpeinexorablement. Les raisons de cette si-tuation sont multiples.Pas plus en France qu’ailleurs, elle netraduit à mon sens un rejet du Parlementeuropéen ou une remise en cause de sescompétences en tant qu’assemblée légis-lative européenne.Cette abstention devenue chronique re-flète bien davantage une méconnais-sance et donc une incompréhension desrouages de cette assemblée. C’est pourmoi la raison essentielle de la défectiondes électeurs. Les responsables poli-tiques nationaux eux-mêmes ignorentbien souvent comment travaille le Par-lement européen. Ils ne sont dès lorspas en mesure de sensibiliser les ci-toyens de leur pays à l’apport de cetteinstitution à la vie démocratique. Je rap-pelle que le Parlement de Strasbourg estla seule assemblée législative issue dusuffrage universel direct qui soit vérita-blement transnationale.Les enjeux des élections européennessont d’autant plus mal compris que le

Parlement européen ne répond pas aumode habituel de fonctionnement de nosparlements nationaux. Il n’y a pas d’uncôté une opposition qui est systémati-quement contre la majorité, et une ma-jorité qui entend contrer les propositionsde l’opposition. Au Parlement européen,les votes sur les règlements et directivessont l’expression de majorités d’idées quise dégagent en fonction des sujets et ducontexte politique. La procédure vise àfaire émerger l’intérêt communautaire,qui est toujours le fruit d’un compromisentre les intérêts divergents des États etdes groupes de pression économiques etsociaux. Le Parlement européen est à cetégard plus proche du Congrès américain– bien qu’il soit privé du droit d’initia-tive des lois – que du Parlement français.En votant, les électeurs européens n’ontpas le sentiment qu’ils peuvent réelle-

ment changer la gouvernancepolitique de l’Union euro-péenne. Ce qui est exact dèslors que l’exécutif européen estpartagé entre une Commissionapolitique et un Conseil euro-péen formé des dirigeants desÉtats membres qui, eux aussi,délibèrent sur la base de com-promis entre sensibilités natio-nales et idéologiques. L’Europen’aime pas les positions ex-trêmes, qu’elles soient de

gauche ou de droite. J’ajoute que le faitque les élections européennes se dérou-lent à la représentation proportionnelleintégrale et autorisent ainsi un morcel-lement des groupes politiques, renforcechez les électeurs la conviction que leurvote n’influencera pas les politiquescommunautaires.Le Parlement européen n’est pas un lieude confrontation. C’est un espace de né-gociation conduisant à des textes de com-promis. Ceci est illustré par la pratiquedu partage des présidences instaurée de-puis quelques années. En effet, la prési-dence du Parlement européen est parta-gée pendant le mandat entre les groupesles plus importants. Pour cette législa-ture (2005-2014), c’est le Polonais JanezBuzek – membre du PPE (centre droit)– qui assurera la présidence pour les deuxpremières années et demies et ensuitel’Allemand Martin Shultz – PSE (social-démocrate) – prendra le relais pour lesdeux ans et demi restants.Comme vous le savez, le Parlement eu-ropéen est le grand gagnant des avan-cées du Traité de Lisbonne, dont j’espère

« Le droit de la concurrence,garant du Marché commun,

est au fondement de la constructionéconomique et politique de l’Europe »

Ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes, Noëlle Lenoir vient de rejoindre le cabinet Jeantet.Elle livre ici, à l’issue des récentes élections du Parlement européen, son point de vue sur le rôle

du droit de la concurrence en Europe en cette période de crise économique.

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Entretien avec Noëlle LENOIRAvocate à la Cour

Associée du cabinet JeantetAncienne ministre

RLC

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PERSPEC

TIVESEN

TRETIEN

d’une remilitarisation de l’Allemagne,laquelle devait bien sûr participer à l’ar-mée européenne mise en place par leTraité de la CED.Le plan B a été la Communauté éco-nomique européenne (CEE) créée parle Traité de Rome de 1957, avec à saclé le Marché commun. Pour établirce Marché, le Traité a prévu un doubledispositif : d’une part, le Traité a poséen principe la libre circulation deshommes, des biens, des services et(un peu plus tard) des capitaux, lesfameuses quatre libertés. D’autre part,le Traité a imposé le respect de la libreconcurrence sous le contrôle de laCommission européenne.L’instauration de règles de concurrenceavait une portée presque révolutionnaireà l’époque. En effet, la plupart des Étatsmembres ne connaissaient pas d’enca-drement aussi rigoureux des pratiquescommerciales. Les règles de la concur-rence avaient fait leurs preuves aux États-Unis où étaient sanctionnées de longue

date les pratiques concertées « suscep-tibles d’affecter le commerce entre États »(« interstate commerce clause »). Mais enEurope, la problématique était nouvelle.Il est intéressant de relever que la Hauteautorité de la Communauté européennedu charbon et de l’acier (CECA), ancêtrede la Commission, avait des pouvoirsétendus de contrôle des ententes, desconcentrations et de ce que l’on appe-lait alors les « abus de puissance écono-mique ». Le Traité de Rome, lui, n’évoquepas la question des concentrations, cequi n’a pas empêché la Commission des’en saisir et de pallier les manques duTraité à cet égard.Le paysage juridique du droit de laconcurrence s’est transformé. La Com-mission multiplie les règlements et lignesdirectrices fixant le cadre lui permettantde veiller à prévenir (voire à réprimer)les pratiques entraînant des distorsionsde concurrence qui mettent à mal le mar-ché intérieur. Les États se sont dotésd’autorités nationales de concurrenceformant le Réseau européen de concur-rence (REC) qui se coordonne avec laCommission. Que de chemin parcouru

au passage qu’il pourra être mis en vi-gueur l’année prochaine, après ratifica-tion par référendum en Irlande (en prin-cipe la première semaine d’octobre). Sonpouvoir législatif – à travers la procéduredite de codécision – sera généralisé no-tamment en matière budgétaire, agricoleet dans les domaines de la justice et del’immigration.Les textes adoptés par le Parlement deStrasbourg concerneront de plus enplus aussi bien les entreprises que lescitoyens. Il serait donc temps que lesdirigeants européens se préoccupentde le faire mieux connaître. Il est im-pératif d’établir un lien entre les par-lements nationaux et le Parlement eu-ropéen. Le Traité de Lisbonne confèreindirectement un certain pouvoir d’ini-tiative législative aux parlements na-tionaux en leur permettant, à des ma-jorités renforcées, d’obliger en quelquesorte la Commission européenne à trai-ter d’un sujet particulier, dont ensuitele Parlement européen pourrait avoir àdiscuter. La formule est intéressante.Il faudra toutefois vérifier qu’elle contri-bue à rapprocher effectivement les ins-titutions communautaires des institu-tions politiques nationales.En tous les cas, l’urgence est de faireconnaître le Parlement européen auxcitoyens, car les entreprises, elles, ontpris l’habitude de suivre attentivementles législations en discussion, et sontdonc familiarisées avec son fonction-nement.

RLC : Quelle est à votre avis l’influencedu droit de la concurrence dans laconstruction européenne?

N.L. : Le droit de la concurrence, condi-tion de l’existence du Marché commun,est au fondement de la constructionéconomique et politique de l’Europe.Permettez-moi un bref rappel historiquepour l’expliciter. Le fondement de laconstruction d’une Europe – à l’époqueconfédérale – aurait pu être la défense.C’était le projet de la France lorsqu’ellea promu l’idée en 1952 de la ratifica-tion par les six pays fondateurs de l’Eu-rope d’un Traité sur la Communautéeuropéenne de défense (CED), adosséeà une Communauté politique avec desinstitutions intégrées. Finalement, aprèsque les cinq partenaires de la Franceont ratifié ce Traité ambitieux, c’est l’As-semblée nationale française qui l’a re-poussé en 1954 après un débat serré àla tonalité dramatique. Schématique-ment, les tenants du non, opposés àtout abandon de souveraineté, se plai-saient à alerter l’opinion sur le danger

dans notre pays en particulier depuis lacréation de la Commission de la concur-rence présidée par Jean Donnedieude Vabres, remplacée en 1986 par leConseil de la concurrence, auquel a suc-cédé cette année l’Autorité de la concur-rence présidée par Bruno Lasserre !L’Europe a acquis une véritable culturede la concurrence à tous les niveaux, re-présentant un élément de dynamisme etd’équité à la fois. Il faut la préserver endépit de la crise économique et socialeque nous vivons.

RLC : Quel est selon vous le rôle de lapolitique de concurrence communautaireen cette période de crise économique?

N.L. : Le droit de la concurrence auraitpu être purement et simplement mis decôté du fait des circonstances exception-nelles de la crise systémique bancairequi a failli entraîner l’écroulement dusystème financier mondial. Le respectdes exigences découlant des critères deMaastricht sur la maîtrise des déficits pu-blics et de la dette publique n’a-t-il pasété repoussé à une date ultérieure, etd’ailleurs non précisée à ce jour?Je voudrais saluer le choix fait par lesinstances communautaires, sous l’im-pulsion de Neelie Kroes, Commissaireà la Concurrence, de maintenir l’appli-cation du régime des aides d’État et depermettre à la Commission européennede mettre un peu d’ordre dans les in-terventions étatiques en faveur desbanques et des secteurs industriels lesplus touchés. La base juridique retenue– l’article 87-3, b) – prévoyant la pos-sibilité de telles aides « pour remédier àune perturbation grave de l’économied’un État membre » a légitimé des plansd’aide d’une ampleur sans précédent,certes, mais pas sans condition nicontrôle.On a beau jeu de dire que la Commis-sion n’a pas été très regardante du faitde l’urgence d’empêcher les faillites ban-caires. Le traumatisme de la déconfiturede Lehmann Brothers le 15 septembre2008, le rend compréhensible. Je trouvenéanmoins que la Commission a su seréorganiser pour statuer très rapidementsur les plans d’aides d’État tout en po-sant des exigences que les États ont dansl’ensemble acceptées, notamment en cequi concerne les compensations à ver-ser par les établissements aidés.Le gouvernement américain, n’ayant pasà sa disposition de législation en matièred’aides d’État, n’a pas eu ce point d’ap-pui pour négocier avec les banques etles industries auxquelles pourtant il aversé des sommes colossales. >

L’urgence est de faireconnaître le Parlementeuropéen aux citoyens,car les entreprises, elles,

ont pris l’habitude de suivre attentivement

les législations en discussion (...).

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sives qui n’auraient pas pu être menéessans le concours des contribuables.Reste aux États membres et à la Com-mission de faire respecter ces conditionsélémentaires et de bon sens. Le droit eu-ropéen des aides d’État sera jugé à sonefficacité pour avoir facilité la sortie decrise et sauvé des pans entiers de l’éco-nomie, dont le secteur bancaire, maisaussi pour avoir intégré davantaged’éthique dans les affaires, y comprisconcernant les rémunérations des diri-geants, des traders et des actionnaires.

RLC : Quels sont selon vous les défismajeurs pour l’Europe de demain endroit de la concurrence?

N.L. : Les défis principaux auxquels l’Eu-rope est confrontée en droit de la concur-rence sont liés à la mondialisation.D’une part, le droit de la concurrence sedoit de concilier la nécessité de créer ourenforcer des champions européens mon-diaux et la non moins grande nécessitéde lutter contre les abus de position do-minante qui privent le marché de ses avan-tages intrinsèques. Je songe à l’énergie.Le droit de la concurrence a un rôle capi-tal à jouer dans la mise en place d’unepolitique européenne de l’énergie qui nousassure une indépendance économique etpolitique sur le long terme. Or ce n’estpas gagné.D’autre part, l’Europe devrait être le pro-moteur d’un droit international de laconcurrence. J’ai assisté à plusieurs ré-unions à l’OCDE qui réunissaient des au-torités de concurrence du monde entier.

RLC : Pensez-vous que les interventionscommunautaires ont été jusqu’ici ap-propriées en matière d’aides d’État, no-tamment?

N.L. : Oui. En particulier, les quatre Com-munications de la Commission sur l’aideau secteur bancaire (oct. et déc. 2008, févr. et juill.2009) ont bien campé le décor. Elles ontfermement réaffirmé les principes prési-dant au régime des aides d’État qui, pourêtre compatibles avec le Marché com-mun, doivent répondre à certaines ca-ractéristiques (proportionnalité, adéqua-tion, conditionnalité, contributionfinancière significative des bénéficiaires).Ces conditions ont été adaptées à la si-tuation. La Commission a cherché à nepas entraver l’action des États venus ausecours de leur système bancaire. Maiselle a été claire sur les principes écono-miques et éthiques à respecter. Elle a re-gardé de près les engagements desbanques de maintenir un certain encoursde crédit pour financer l’économie, à ré-tribuer les États prêteurs ou apporteursde fonds propres, à contribuer financiè-rement à leur restructuration. Elle a rap-pelé que les aides d’État, et en particulierles apports en capitaux de l’État, ne doi-vent pas occasionner un transfert descontribuables en faveur des actionnairesou des dirigeants. D’où les recommanda-tions de modération de la politique de dis-tribution des dividendes et de la politiquede rémunérations des bénéficiaires. Dansle même esprit, ces derniers ont été ap-pelés à ne pas utiliser les aides pour desopérations de croissance externe agres-

Tous les pays adoptent le même dogme.Mais il y a parfois loin de la théorie à lapratique, et les atteintes à la concurrencesont légions sur le plan mondial, sansparler même du dumping fiscal, envi-ronnemental et social qui est le droit com-mun dans beaucoup de pays émergents.Sur les plans européen et national, il mesemble que le droit des aides d’État a unbel avenir. Il ne doit pas être conçu uni-quement comme un droit de crise, per-mettant la mobilisation d’aides publiquespour éviter la faillite d’entreprises en dif-ficulté ou de l’économie elle-même. Lesaides d’État doivent être également consi-dérées comme des outils d’une gouver-nance économique européenne destinéeà promouvoir l’innovation et favoriser undéveloppement régional équilibré assu-rant la cohérence économique et territo-riale de l’espace européen.En dehors de ces nouveaux enjeux, restebien entendu au premier plan de l’ac-tualité juridique, le problème de larégulation du marché par la Commis-sion européenne et les autorités natio-nales de concurrence. Comme la crisebancaire l’a révélé, la régulation dans ledomaine de la concurrence est bien pluscohérente qu’en matière financière. Lescontentieux auxquels cette régulationdonne lieu, et que le Pôle concurrencedu cabinet Jeantet appréhende de longuedate, contribuent en effet à la définitiond’un code de bonne conduite que lesentreprises ont intégré dans leurs stra-tégies commerciales.

Propos recueillispar Julie VASA

« LE DROIT DE LA CONCURRENCE, GARANT DU MARCHÉ COMMUN, EST AU FONDEMENT DE LA CONSTRUCTION ÉCONOMIQUE ET POLITIQUEDE L’EUROPE »

BIOGRAPHIE EXPRESSE

Née le 27 avril 1948 à Neuilly-sur-Seine

1972-1982 : Administrateur du Sénat

1982-1984 : Directeur de la réglementation de la CNIL

1984-2001 : Maître des requêtes au Conseil d’État, et Commissaire du gouvernement à la section du Contentieux

1988-1990 : Directeur de cabinet du ministre de la Justice

1990-1991 : Chargée de mission pour la bioéthique auprès du Premier ministre

1992-1998 : Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO

1992 : Membre et présidente du Groupe européen d’éthique pour la recherche et les technologiques nouvelles de l’Union européenne

1992-2001 : Membre du Conseil constitutionnel

Depuis 2001 : Conseiller d’État

2001 : Visiting professor à Columbia University Law School

2002-2004 : Ministre déléguée aux Affaires européennes

2003 -2004 : Secrétaire générale pour la Coopération franco-allemande

2004-2009 : Avocate au sein du cabinet Debevoise & Plimpton

Depuis 2004 : Présidente fondatrice du Cercle des Européens

Depuis 2004 : Présidente de l’Institut de l’Europe d’HEC et professeur affilié à HEC

2006-2007 : Chargée d’une mission sur le statut de la société européenne par le garde des Sceaux

Depuis 2009 : Avocate au sein du cabinet Jeantet

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PERSPEC

TIVESÉTU

DE

(...)

III. – CONTENU DU MESSAGEPUBLICITAIRE22. Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pourle développement de la concurrence auservice des consommateurs. – La loiChatel, complétée par la loi LME du 4 août2008, transpose enfin la directiven° 2005/29/CE du 11 mai 2005 relativeaux pratiques commerciales déloyales.La transposition se fait a minima, le lé-gislateur attendant que la Commissioneuropéenne publie un nouveau règlementtendant à libéraliser les promotions deventes et à renforcer, réciproquement,l’information des consommateurs (cf. Ray-mond G., Les modifications au droit de la consommation ap-portées par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le déve-loppement de la concurrence au service des consommateurs,Contrats, conc., consom. 2008, étude 3). L’articleL. 120-1 du Code de la consommationpose le principe d’interdiction des pra-tiques commerciales déloyales. La trans-position n’a pas repris la définition despratiques commerciales. Au sens de ladirective, il faut entendre ce terme comme« toute action, omission, conduite, dé-marche ou communication commerciale,y compris la publicité et le marketing, dela part d’un professionnel, en relation di-recte avec la promotion, la vente ou lafourniture d’un produit aux consomma-teurs » (art. 2, d)). On comprend donc quela pratique commerciale ne se résumepas uniquement à la publicité, mais peutenglober d’autres formes (cf. Fournier S., De la

publicité fausse aux pratiques commerciales trompeuses, Dr.pén. 2008, étude 4; Lasserre Capdeville J., La substitution dudélit de pratiques commerciales trompeuses au délit de publi-cité fausse ou de nature à induire en erreur, LPA 2008, n° 234,p. 8; Arcelin-Lécuyer L., Campagne de Leclerc pour les mé-dicaments non remboursés : ceci n’est pas une publicité…,JCP E 2008, n° 2499). Selon l’article L. 120-1, ladéloyauté est, elle, définie par deux cri-tères cumulatifs : une contrariété « auxexigences de la diligence professionnelle »et le fait d’« altérer ou [d’être] susceptibled’altérer de manière substantielle, le com-portement économique du consommateurnormalement informé et raisonnablementattentif et avisé, à l’égard d’un bien oud’un service ». La première condition s’en-tend des règles professionnelles type codesde déontologie ou encore règles émisespar l’ancien BVP. Par extension, on pour-rait considérer que toute pratique illiciteenfreint des règles de déontologie profes-sionnelle. La seconde condition renvoie àune interprétation objective de l’altérationdu comportement du consommateur. Ellefait appel à la notion de consommateurnormalement informé et raisonnablementavisé chère au droit communautaire(cf. Arcelin L., La publicité comparative, à la croisée desintérêts des consommateurs et des concurrents, RLC 2007/13,n° 949, pts. 22 et s.) et qui n’est pas loin duconcept de bon père de famille du droitfrançais. La loi distingue ensuite les pra-tiques trompeuses et les pratiques agres-sives. Les premières regroupent les pra-tiques commerciales par action visantconsommateurs et professionnels (art. L. 121-III) et celles par omission visant unique-ment les consommateurs. L’article L. 121-1-I dispose ainsi qu’« une pratiquecommerciale est trompeuse si elle est com-mise dans l’une des circonstances sui-vantes :1° Lorsqu’elle crée une confusion avecun autre bien ou service, une marque, un

nom commercial, ou un autre signe dis-tinctif d’un concurrent ;2° Lorsqu’elle repose sur des allégations,indications ou présentations fausses oude nature à induire en erreur et portantsur l’un ou plusieurs des éléments sui-vants :a) L’existence, la disponibilité ou la na-ture du bien ou du service ;b) Les caractéristiques essentielles dubien ou du service, à savoir : ses quali-tés substantielles, sa composition, ses ac-cessoires, son origine, sa quantité, sonmode et sa date de fabrication, les condi-tions de son utilisation et son aptitudeà l’usage, ses propriétés et les résultatsattendus de son utilisation, ainsi que lesrésultats et les principales caractéristiquesdes tests et contrôles effectués sur le bienou le service ;c) Le prix ou le mode de calcul du prix,le caractère promotionnel du prix et lesconditions de vente, de paiement et de li-vraison du bien ou du service ;d) Le service après-vente, la nécessité d’unservice, d’une pièce détachée, d’un rem-placement ou d’une réparation;e) La portée des engagements de l’annon-ceur, la nature, le procédé ou le motif dela vente ou de la prestation de services ;f) L’identité, les qualités, les aptitudes etles droits du professionnel ;g) Le traitement des réclamations et lesdroits du consommateur;3° Lorsque la personne pour le comptede laquelle elle est mise en œuvre n’estpas clairement identifiable ».Certains éléments sont nouveaux, commela disponibilité des biens, les résultatsattendus de son utilisation ou bien en-core les données visées aux points c), d)et g). Est également une nouvelle trom-perie le fait de ne pas identifier claire-ment la personne pour le compte de

Par LindaARCELIN-LÉCUYERMaître de conférencesen droit privé à la Facultéde droit de La Rochelle

Membre du CEJLR

Droit de la publicité :bilan de l’année 2008

(2de partie)

L’année 2008 a été jalonnée de réformes dans le secteur de la publicité, dont notamment la transformationdu BVP en Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Après s’être attachée à observerles implications de ces modifications sur l’objet et les formes de la publicité (cf. RLC 2009/19, n° 1382),

Linda Arcelin-Lécuyer aborde à présent le contenu même du message publicitaire, se concentrantsur les diverses pratiques illicites rencontrées en la matière.

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laquelle est mise en œuvre la pratiquecommerciale. Néanmoins, la jurispru-dence avait déjà tendance à entendre defaçon compréhensive la liste limitativede l’ancien article L. 121-1 et donc à in-clure ces éléments. On note égalementque la confusion créée avec un autrebien, marque, nom commercial ou autresigne distinctif d’un concurrent ne seraplus sanctionnée uniquement sur la basede la contrefaçon mais entre dorénavantdans l’incrimination de pratique com-merciale trompeuse (art. L. 121-1-I-1°). En-suite, l’article L. 121-1-II appréhende lesomissions trompeuses tournées unique-ment vers le consommateur (art. L. 121-1-III) : « une pratique commerciale est éga-lement trompeuse si, compte tenu deslimites propres au moyen de communi-cation utilisé et des circonstances qui l’en-tourent, elle omet, dissimule ou fournitde façon inintelligible, ambiguë ou àcontretemps une information substan-tielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa vé-ritable intention commerciale dès lors quecelle-ci ne ressort pas déjà du contexte.Dans toute communication commercialeconstituant une invitation à l’achat etdestinée au consommateur mentionnantle prix et les caractéristiques du bien oudu service proposé, sont considéréescomme substantielles les informationssuivantes :1° Les caractéristiques principales du bienou du service ;2° L’adresse et l’identité du profession-nel ;3° Le prix toutes taxes comprises et lesfrais de livraison à la charge du consom-mateur, ou leur mode de calcul, s’ils nepeuvent être établis à l’avance;4° Les modalités de paiement, de livrai-son, d’exécution et de traitement des ré-clamations des consommateurs, dès lorsqu’elles sont différentes de celles habi-tuellement pratiquées dans le domained’activité professionnelle concerné;5° L’existence d’un droit de rétractation,si ce dernier est prévu par la loi ».Les sanctions sont prévues à l’articleL. 213-1 : deux ans d’emprisonnementet une amende de 37500 euros, sachantque l’amende peut être portée à 50 %des dépenses de la publicité ou de la pra-tique constituant le délit (art. L. 121-6).Les pratiques commerciales agressivessont énumérées aux articles L. 122-11 àL. 122-15. Deux conditions sont requises :la pratique commerciale agressive résultede sollicitations répétées et insistantes oude l’usage d’une contrainte physique oumorale, et conduit à une altération duconsentement du consommateur ou àune entrave de ses droits contractuels.L’article L. 122-11-1 énumère, limitative-

ment, huit pratiques réputées agressivesau rang desquelles figure le fait, « dansune publicité, d’inciter directement les en-fants à acheter ou à persuader leurs pa-rents ou d’autres adultes de leur acheterle produit faisant objet de la publicité ».Une sanction pénale est prévue aux ar-ticles L. 122-12 (2 ans d’emprisonnement et uneamende de 150000 euros) et L. 122-13 (interdictiond’exploiter une activité commerciale pendant 5 ans au plus),ainsi qu’une sanction civile consistant enla nullité du contrat siège de la pratiquecommerciale agressive (art. L. 122-15).

23. Feu BVP! Vive l’ARPP.– Le 25 juin2008, le BVP a laissé place à l’Autorité derégulation professionnelle de la publicité(ARPP). Son conseil d’administration estcomposé des trois professions impliquéesdans la production et la diffusion des cam-pagnes publicitaires, à savoir les annon-ceurs, les agences et les médias. Elle estassistée de trois instances : une instancemorale, le Conseil de l’éthique publici-taire (CEP) chargée d’anticiper les pro-blèmes fondamentaux que posent lecontenu de la publicité, sa diffusion, sonévolution et son acceptabilité par la so-ciété ; une instance de concertation, leConseil paritaire de la publicité (CPP),ayant pour mission de faire évoluer lesrègles professionnelles de la publicité enconcertation avec les diverses associationset organisations; une instance de sanc-tion, le Jury de déontologie publicitaire(JDP) présidé par Marie-Dominique Ha-gelsteen, ancienne présidente du Conseilde la concurrence, et chargé de statuersur les plaintes du public. Le JDP est opé-rationnel depuis le 7 novembre 2008 etpeut procéder à une publication de sesdécisions et, en cas d’entrave, prononcerdes sanctions allant jusqu’à la demandede cessation immédiate de diffusion dumessage publicitaire. Cette réformeconsacre le passage d’un système d’auto-régulation à un système de corégulation,les membres du CPP étant issus notam-ment des associations de consommateursou environnementales. Comme son pré-décesseur, l’ARPP réalise chaque annéediverses études ou bilans. Est ainsi parule Bilan 2007 « Publicité et image de la per-sonne humaine » faisant le point sur les96 manquements à la recommandationde 1998 « Image de la personne humaine ».L’ARPP observe ainsi une résurgence duporno-chic essentiellement dans le sec-teur de l’habillement de luxe. L’environ-nement est encore au centre des préoc-cupations de l’autorité de régulation. Le11 avril 2008, une Charte d’engagementet d’objectifs pour une publicité cores-ponsable a été signée entre le ministre del’Écologie, de l’Énergie, du Développe-

ment durable et de l’Aménagement duterritoire, le secrétaire d’État chargé del’Industrie et de la Consommation et leBVP à l’époque. Il s’agit de lutter contrele recours abusif à des arguments envi-ronnementaux dans les publicités ou lespublicités mettant en scène des compor-tements contraires à l’exigence de protec-tion de l’environnement.

A. – Publicité comparative

24. Notion de publicité comparative.Exigence d’un lien de concurrence.–Selon une jurisprudence communautaireconstante, la publicité comparative s’en-tend de façon « large », « de sorte qu’ilsuffit qu’il existe une communication fai-sant, même implicitement, référence àun concurrent ou aux biens ou aux ser-vices qu’il offre pour qu’il y ait publicitécomparative » (CJCE, 9 avr. 2007, aff. C-381/05, DeLandtsheer c/ Comité Interprofessionnel du Vin de Cham-pagne, Veuve Clicquot Ponsardin SA, Contrats, conc., consom.2007, comm. 161, obs. Raymond G., RLC 2007/13, n° 949.En dernier lieu, CJCE, 12 juin 2008, aff. C-533/06, O2 Hol-dings Limited, O2 (UK) Limited; CA Paris, 5e ch., sect. A,18 juin 2008, n° 07/11100, Carrefour c/ Galec). Ce quiimporte est l’identification d’un concur-rent ou de ses biens ou services. Partant,« lorsque l’utilisation dans une publicitéd’un signe similaire à la marque d’unconcurrent de l’annonceur est perçue parle consommateur moyen comme une ré-férence à ce concurrent ou aux biens etaux services qu’il offre (…) il y a publi-cité comparative ». L’existence d’uneconcurrence entre l’annonceur et l’en-treprise mentionnée est donc une pré-misse : à défaut, il ne peut y avoir de pu-blicité comparative. C’est ce qu’a jugé laCour d’appel de Paris le 19 mars 2008.Une société vendant sur Internet des com-pléments alimentaires présentait sur sonsite un tableau comparant 58 marquesconcurrentes, chacune faisant l’objetd’une notation en fonction d’un certainnombre de paramètres. L’un des titulairesd’une marque lui reprocha de se livrer àune publicité comparative illicite pourmanque d’objectivité et de pertinence.La Cour ne procède pas à la vérificationdes conditions de licéité, tout simple-ment parce qu’il n’existait aucun lien deconcurrence entre les deux entreprises,ce qui exclut toute publicité compara-tive. De façon assez pédagogique, lesjuges rappellent que, « en droit, la publi-cité comparative est définie par l’articleL. 121-8 du Code de la consommationcomme celle qui met en comparaison desbiens ou des services en identifiant, im-plicitement ou explicitement, un concur-rent ou des biens et des services offertspar un concurrent. Or (…) en l’espèce, lasociété DDI n’est (…) qu’un simple dé-

DROIT DE LA PUBLICITÉ : BILAN DE L’ANNÉE 2008 (2DE PARTIE)

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taillant de compléments alimentaires dontle site internet <www.lesproteines.com>se présente exclusivement sous la formed’un site de revendeur multimarques decompléments alimentaires, de sorte quele tableau litigieux ne fait que comparerl’ensemble des produits qu’elle offre à laclientèle ; ainsi l’exigence de concurrencequi préside à la reconnaissance de la pu-blicité comparative n’étant pas remplie,la publication du tableau litigieux n’estdonc pas constitutive d’une publicité com-parative en ce que les sociétés DDI et L1Sne sont pas en situation de concurrence ».Reste que le lien de concurrence peutêtre plus ou moins lâche, ce qui peutconduire à considérer comme étant enconcurrence un producteur de cham-pagne et un producteur de bière (cf. CJCE,9 avr. 2007, aff. C-381/05, préc.). Si l’action fondéesur le Code de la consommation est ir-recevable, en revanche, une action fon-dée sur l’article 1382 du Code civil estenvisageable (cf. Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-16.030, Bull. civ. I, n° 274, concernant les tests comparatifsréalisés par UFC-Que choisir?) puisque l’action enconcurrence déloyale n’exige pas une si-tuation de concurrence directe ou effec-tive entre les parties en cause mais seu-lement l’existence de faits fautifsgénérateurs d’un préjudice (Cass. com., 12 févr.2008, n° 06-17.501, Bull. civ. IV, n° 32, D. 2008, p. 2573,note Picod Y., D. 2008, obs. Chevrier É., Contrats, conc.,consom. 2008, comm. 103, note Malaurie-Vignal M.).

25. Usage de la marque d’autrui.– L’ar-rêt du 12 juin 2008 est aussi l’occasionpour la CJCE de préciser les liens entreles directives n° 89/104 sur les marqueset, à l’époque des faits, n° 84/450 en ma-tière de publicité trompeuse et de publi-cité comparative. Dans cette affaire rela-tive au secteur de la téléphonie mobileen Grande-Bretagne, il était reproché àla société H3G d’avoir engagé une cam-pagne publicitaire se servant des imagesde bulles de ses concurrents O2 etO2 (UK), images déposées à titre demarque par ces dernières. La juridictionanglaise posa une série de questions pré-judicielles à la CJCE visant notammentà savoir si l’usage de la marque d’autruidans une publicité comparative doit être« indispensable » et dans l’affirmative, sil’on peut se référer à un signe non pasidentique mais étroitement similaire à lamarque déposée. La Cour fait observerdans un premier temps que l’utilisationdans une publicité comparative d’unsigne identique ou similaire à la marqued’un concurrent peut constituer un usageau sens de l’article 5 de la directiven° 89/104, puisque l’annonceur en vientà identifier les produits et services duconcurrent. Ce dernier pourrait donc s’op-

poser à cette référence. Mais dans un se-cond temps, la CJCE souligne que le droitconféré à la marque peut être limité, enparticulier dans le domaine de la publi-cité comparative si celle-ci répond auxconditions de licéité. À ce titre, la Courprécise les relations entre les deux direc-tives : « lorsque les conditions requises àl’article 5, § 1, b) de la directive n° 89/104pour interdire l’usage d’un signe iden-tique ou similaire à une marque enregis-trée sont réunies, il est exclu que la pu-blicité comparative dans laquelle ce signeest utilisé satisfasse à la condition de li-céité énoncée à l’article 3 bis, § 1, d) dela directive n° 84/450 ». Les juges visentici le risque de confusion qui pourraitjustifier l’interdiction de l’usage de lamarque et qui s’interprète de la même

façon selon les directives : « ainsi, dansl’hypothèse de l’utilisation par un annon-ceur, dans une publicité comparative,d’un signe identique ou similaire à lamarque d’un concurrent, soit le concur-rent n’établit pas l’existence d’un risquede confusion et, partant, n’est pas habi-lité à faire interdire l’utilisation de cesigne sur le fondement de l’article 5, § 1,b) de la directive n° 89/104, soit il éta-blit l’existence d’un risque de confusionet, partant, l’annonceur ne peut s’oppo-ser à une telle interdiction en applicationde l’article 3 bis, § 1, de la directiven° 84/450, faute pour la publicité en causede satisfaire à toutes les conditions énon-cées à cette disposition ». En l’espèce, laCour constate que la publicité litigieusen’a pas créé de risque de confusion, en-tendu comme « le risque que le publicpuisse croire que les produits ou les ser-vices en cause proviennent de la mêmeentreprise ou, le cas échéant, d’entreprisesliées économiquement » et apprécié dansle contexte dans lequel le signe similaireaux marques a été utilisé.

26. Comparateurs en ligne. Charte debonne conduite.– Signalons que le 11 juin2008 a été signée une Charte des compa-rateurs en ligne à l’occasion de l’assem-blée générale de la Fédération e-commerceet vente à distance (FEVAD) prévoyantd’une part, des règles en matière de trans-

parence vis-à-vis des utilisateurs et d’autrepart, des règles sur les relations des sitescomparateurs avec les sites marchands(<www.fevad.com/images/Publications/charte_compara-teur_062008.PDF>). Sept comparateurs en ligneont signé la Charte, mais pas (encore?)Leclerc, dont les méthodes ont pourtantété un temps décriées.

27. Comparateurs en ligne. Méthode.–L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 juin2008 Carrefour c/ Le Galec (CA Paris, 18 juin 2008,n° 07/11100, préc., Comm. com. électr. 2008, comm. 104, obs.Debet A.) est le dernier épisode dans la sagajurisprudentielle du comparateur en lignede Leclerc. Rappelons que Carrefour avaitcontesté les comparaisons faites sur le site<quiestlemoinscher.com> du Groupe-ment d’achats des Centres Leclerc (Ga-lec). Le 7 juin 2006, le président du Tri-bunal de commerce de Paris avaitcondamné le Galec pour publicité com-parative illicite car les données de com-paraison n’étaient pas vérifiables. Tirantla leçon de cette condamnation, le Galecavait rectifié sa méthode, jugée satisfai-sante par le Tribunal de commerce de Pa-ris qui avait été saisi à nouveau par Car-refour (T. com. Paris, 15e ch., 29 mars 2007, RLDI 2007/29,n° 952, obs. Grynbaum L.). Ce dernier a interjetéappel de ce jugement, rejeté par la Courd’appel de Paris. Celle-ci, se référant à lajurisprudence communautaire, va effec-tivement appliquer la définition « large »de la publicité comparative (cf. la 1re partie denotre article, RLC 2009/19, n° 1382, pt. 17). Elle retientainsi qu’il est « tout à fait loisible à l’au-teur d’une publicité comparative (…) dechoisir les paramètres qui lui sont favo-rables dès lors que ceux-ci sont matériel-lement exacts et vérifiables et ne présen-tent pas de caractère trompeur en occultantune circonstance précise dont la connais-sance aurait été de nature à faire renon-cer un nombre significatif de consomma-teurs à leur décision d’achat ». La positioninverse aurait fait perdre à la publicitécomparative tout intérêt. Ce libre choixdes paramètres relève, dit la Cour, « de laseule liberté économique de l’annonceur »et à partir du moment où les donnéessont fondées sur des réalités appréhen-dables et vérifiables, le concurrent ne peuts’y opposer et n’a plus que l’alternativede « lui répliquer par sa propre publicitécomparative sur la base de paramètresautres qu’il estimerait lui être plus favo-rables ». Sur la méthode employée, laCour d’appel se montre tout aussi favo-rable au Galec. En effet, Carrefour avan-çait que le comparatif contenait environ15 % de prix erronés. La société appor-tait pour preuve les tickets de caisse men-tionnant les prix corrects des produitscomparés. Les juges réfutent l’argument

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Le droit conféréà la marque peut êtrelimité, en particulier

dans le domainede la publicitécomparative

si celle-ci répondaux conditions de licéité.

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en retenant que seul compte le prix men-tionné en rayon constituant « la seule offrelégale du commerçant » et que « les tic-kets de caisse comme le logiciel de caissen’établissent aucunement la réalité del’offre ». Il aurait fallu alors que Carrefourapporte la preuve de la réalité de son offreen rayon, unique moyen susceptible dedémontrer l’effectivité des erreurs allé-guées, ce qu’elle ne fait pas.

28. Caddies de la ménagère.– Une foisencore, la Cour de cassation s’est mon-trée stricte dans son appréciation de lapratique des caddies de la ménagère. Lesfaits sont assez similaires à ceux ayantdonné lieu à l’arrêt du 9 mai 2007 (Cass.crim., 9 mai 2007, n° 06-86.373, Bull. crim., n° 119, D. 2007,p. 2144, note Arcelin L., D. 2007, p. 1658, obs. Rondey C.,Contrats, conc., consom. 2007, comm. 314, obs. Raymond G.,Gaz. Pal. 2007, p. 2759, obs. M. B., RLDA 2007/18, n° 1108,obs. Anadon C. Sur renvoi, CA Bordeaux, 5 mars 2008,n° 07/01350). Un centre Leclerc avait exposéà l’entrée du magasin deux caddies rem-plis pour l’un de ses produits et pourl’autre de ceux de son concurrent localLeader Price. Bien évidemment, la com-paraison en termes de prix tournait àson avantage. Les sociétés DistributionLeader Price et Leader Price Région Sudsaisirent le Tribunal correctionnel pourpublicité comparative illicite. Déboutéesen première instance, elles firent appeldevant la Cour d’appel d’Amiens qui, le11 avril 2007, leur donna gain de cause.Le président du conseil d’administrationde la société exploitant le magasin E. Le-clerc en cause et le directeur de celui-cifurent déclarés responsables d’une pu-blicité comparative illicite et condam-nés à réparer le préjudice subi par l’en-seigne locale Leader Price. La chambrecriminelle de la Cour de cassation rejetaleur pourvoi le 4 mars 2008 (Cass. crim.,4 mars 2008, n° 07-83.628, Bull. crim., n° 57, D. 2008,p. 1051, obs. Rondey C.). Elle jugea que « la re-production des seuls tickets de caisse nepermettait pas au consommateur de s’as-surer que les produits comparés, qui, pourcertains, présentaient des différences dequalité, de poids, de contenance et decomposition, et qui étaient placés dansdes chariots recouverts d’un film plasti-fié, présentaient les mêmes caractéris-tiques essentielles, de sorte que leur com-paraison ne pouvait être opérée de façonobjective ». Or, poursuit-elle, « lorsqueles éléments de comparaison sur lesquelsrepose la caractéristique mentionnée dansla publicité comparative ne sont pas énu-mérés, le destinataire du message publi-citaire doit être mis en mesure, par l’an-nonceur, d’en vérifier l’exactitude ainsique celle de la caractéristique en cause ».La Cour ne revient pas sur le défaut d’ob-

jectivité de la publicité mais s’attardeuniquement sur la question de l’acces-sibilité des consommateurs aux élémentsde comparaison. Cependant, la Courn’est guère plus précise en 2008 qu’en2007 sur les conditions de cette acces-sibilité. Comme nous l’avions indiqué àpropos de l’arrêt de 2007 (note préc.), « enpratique, la confrontation des tickets nesuffisant pas, l’annonceur devra établirlui-même la liste des produits comparéset leurs caractéristiques essentielles. Maisde quelle façon? Doit-il apposer cette listesur les caddies ou bien peut-il se conten-ter de renvoyer par exemple à son siteInternet ou à un catalogue publicitaire? ».La position de la chambre commercialesemble au demeurant assez stricte, no-tamment par rapport à l’approche pluslibérale de la CJCE (CJCE, 19 sept. 2006, aff. C-

256/04, Lidl Belgium GmbH & Co KG, pt. 256 : Contrats,conc., consom. 2006, comm. 240; Gaz. Pal. 2007, doct., p. 3,note Bille J. ; Boulet L., Publicité comparative d’assortimentsde produits : comparons les interprétations européenne etfrançaise, Comm. com. électr. 2007, chron. 24) qui jugeque « la possibilité pour le consomma-teur d’obtenir de l’annonceur, dans lecadre d’une procédure administrative oujudiciaire, des preuves de l’exactitudematérielle des données contenues dansla publicité n’est pas de nature à dispen-ser cet annonceur, lorsque les produits etles prix comparés ne sont pas énumérésdans le message publicitaire, de l’obli-gation d’indiquer, notamment à l’atten-tion des destinataires de ce message, oùet comment ceux-ci peuvent prendre ai-sément connaissance des éléments de lacomparaison aux fins d’en vérifier oud’en faire vérifier l’exactitude ». Pour laCJCE, l’important est que l’informationsoit accessible au consommateur quipeut alors se renseigner par lui-même.Ce dernier ne doit pas rester passif, cequi est confirmé par des études récentes.À titre d’exemple, le Rapport Beigbedergsur le Low Cost relève ainsi que « leconsommateur jusqu’ici passif se trans-forme de plus en plus en client arbitre,prêt à faire des concessions sur certainescaractéristiques des produits et services,en contrepartie d’un prix plus faible »

(p. 95). Si la CJCE tient compte de cetteévolution, la Cour de cassation a encoredu mal à sortir d’une approche protec-trice voire surprotectrice du consomma-teur.

29. Personnes responsables.– L’arrêt du4 mars 2008 est d’autant plus sévère qu’ilrejette l’argument selon lequel le diri-geant du magasin avait délégué ses pou-voirs dans le domaine à un directeur sa-larié ce qui lui aurait permis d’échapperà sa responsabilité. La chambre crimi-nelle s’en remet à l’appréciation souve-raine des juges du fond et consacre l’idéeque, du fait de l’importance stratégiquede l’opération quant à l’activité du ma-gasin, le dirigeant avait conservé, concur-remment à la délégation de pouvoirs, « lafaculté et l’initiative de mettre en œuvreune telle action commerciale et de la fairecesser, aux côtés de son directeur sala-rié ». Sauf à ce qu’il y ait une mentionexplicite dans la délégation, seule excep-tion visée par la Cour, le dirigeant estcensé avoir conservé ses pouvoirs et restedonc responsable. Dans le cas contraire,le dirigeant peut s’exonérer de sa respon-sabilité. Ainsi, dans un arrêt du 27 mai2008, la chambre criminelle, après avoirrappelé que « sauf si la loi en dispose au-trement, le chef d’entreprise, qui n’a paspersonnellement pris part à la réalisationde l’infraction, peut s’exonérer de sa res-ponsabilité pénale s’il rapporte la preuvequ’il a délégué ses pouvoirs à une per-sonne pourvue de la compétence, de l’au-torité et des moyens nécessaires », cen-sure les juges du fond pour avoir déclaréla dirigeante responsable alors qu’ils au-raient dû « tirer les conséquences de lavaleur et de l’étendue de la délégation depouvoirs établie par la prévenue et por-tant sur la promotion publicitaire, dont[les juges ont] constaté l’existence » (Cass.crim., 27 mai 2008, n° 07-87.122).

30. Publicité comparative de nature àinduire en erreur.– L’article L. 121-8-1°du Code de la consommation exige quela publicité comparative ne soit pas trom-peuse ou de nature à induire en erreur.La société Ucar est condamnée pour nepas avoir respecté cette condition (Cass.com., 1er juill. 2008, n° 07-15.839, Contrats, conc., consom.2008, comm. 263, obs. Raymond G.). Elle avait axésa campagne de publicité autour des ta-rifs pratiqués par elle et son concurrentAda pour la location d’un même modèlede voiture, pour un même nombre de ki-lomètres. La campagne avait été diffu-sée à Paris, alors qu’Ucar n’y disposaitque de quatre agences, fermées le sa-medi, ce qui obligeait les clients à sedéplacer extra-muros. Cette omission est

DROIT DE LA PUBLICITÉ : BILAN DE L’ANNÉE 2008 (2DE PARTIE)

Si la CJCE tient comptede cette évolution,

la Cour de cassationa encore du mal à sortir

d’une approcheprotectrice voiresurprotectrice

du consommateur.

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de nature à induire le consommateur enerreur, en ce que le service n’était pasdisponible à Paris le samedi. Dès lors, leclient n’était pas en mesure de procéderà un constat objectif des différences entreles offres respectives.

31. Publicité comparative et dénigre-ment.– Se comparer à son concurrentpeut consister à montrer que l’on estmeilleur que lui, ou bien qu’il est moinsbon que soi. Ce second cas de figure peuts’apparenter à du dénigrement. C’est cequ’avait par exemple jugé le Tribunal decommerce de Paris le 28 avril 2006, àpropos d’une publicité d’Anacours dé-butant par la phrase suivante « Mon tai-lor is rich ». Cette citation rappelle la mé-thode d’apprentissage de l’anglaisdéveloppée par Assimil dont la premièreleçon commence justement par « my tai-lor is rich ». Le Tribunal a considéré qu’ily avait dénigrement de la société Assi-mil au motif que « la reprise dans le spotpublicitaire litigieux de la phrase “montailor is rich”, si elle est susceptible deprovoquer une réaction amusée de la partde l’auditeur est bien susceptible de por-ter un discrédit sur la méthode d’ensei-gnement de Assimil à laquelle il est in-vité à substituer la méthode d’Anacours;ce discrédit est augmenté en remplaçant“my” par “mon” sans qu’Anacours n’ex-plique la raison de ce remplacement ».Saisie d’un recours, la Cour d’appel deParis a confirmé l’existence d’un déni-grement et la condamnation d’Anacours(CA Paris, 18 janv. 2008). La caractérisation d’unacte de dénigrement peut parfois êtreplus délicate. Par exemple, communiquerla « mauvaise volonté » du concurrentcomparé peut-il être constitutif d’un dé-nigrement de la part de l’annonceur ?Carrefour l’affirmait dans l’affaire ducomparateur de prix l’opposant au Ga-lec. En effet, le site de Leclerc mention-nait que certains magasins Carrefouravaient refusé l’accès à leurs locaux auxémissaires du Galec. Faute de démontrerla réalité des faits portant publiquementatteinte à sa notoriété ainsi qu’à sa va-leur professionnelle d’une part, et sonpréjudice entendu comme un risque dedétournement de clientèle d’autre part,les prétentions de Carrefour sont reje-tées (CA Paris, 18 juin 2008, préc.). Là encore, laCour motive sa décision par la libertééconomique de l’annonceur dans seschoix de stratégie commerciale et par lefait qu’il s’est contenté de mentionnerun « fait objectif » qui ne peut être consi-déré, en tant que tel, comme un acte dedénigrement. Les juges font ici preuved’une certaine bienveillance, car, commela sagesse populaire enseigne que toute

vérité n’est pas bonne à dire, tout faitobjectif n’est pas bon à révéler. Certes,la Cour pose une limite en précisant quec’est « en tant que tel » que le fait objec-tif n’est pas acte de dénigrement. Faudra-t-il alors démontrer l’intention malveil-lante? Sans doute faudrait-il recherchersi la mention de ce fait apporte une va-leur supplémentaire à la comparaison.En l’espèce, il n’est pas certain que cetteindication par Le Galec remplisse cettecondition. C’est une information supplé-mentaire qui témoigne de la mauvaisegrâce de Carrefour, mais qui n’ajoute rienà la comparaison.

32. Sens de l’expression « tirer indû-ment profit de ».– On attendra avec im-patience l’arrêt de la CJCE dans l’affaireL’Oréal (CJCE, 5 nov. 2007, aff. C-487/07, L’Oréal, JOUE12 janv. 2008, n° C 8). Saisie par une juridic-tion anglaise, la Cour devra répondre àune série de questions préjudicielles ten-dant notamment à savoir, aux fins del’article 3 bis, g) de la directive n° 84/450,quel est le sens de l’expression « tire (…)indûment profit de » et en particulier, siun commerçant comparant, dans uneliste comparative, son produit avec unproduit commercialisé sous une marquenotoirement connue, tire en cela indû-ment profit de la notoriété attachée àcette marque. L’expression s’applique-t-elle aussi lorsque le commerçant faitusage d’un signe similaire à une marqueenregistrée qui jouit d’une renommée etqu’il n’y a pas de risque de confusion?

B. – Publicité trompeuseou de nature à induire en erreur

33. Remise exceptionnelle et cadeauxà gogo...– La pratique est bien connue :pour l’achat d’un magnifique canapé ouautre bien, le client, parfois sans négo-cier, mais parce qu’il est sympathique auvendeur, se voit offrir une remise excep-tionnelle de 50 % sur le produit, assortid’un cadeau tout aussi extraordinaire, àsavoir un coffret de six couteaux à viandeau manche imitation ivoire ou un réveil-radio-CD-grille-pain… Cela prête à sou-rire mais ce genre de pratique touchebien souvent des personnes vulnérablesqui cèdent aux sirènes d’un vendeur bienhabile et repartent du magasin croyantavoir fait une bonne affaire, qui in finene sera bonne que pour le profession-nel. La Cour de cassation a déjà eu l’oc-casion de sanctionner ces comportementsen se fondant sur la publicité menson-gère ou de nature à induire en erreur (Cass.crim., 29 juin 2004, n° 04-80.535; Cass. crim., 30 nov. 2004,n° 04-83.749; Cass. crim., 7 févr. 2006, n° 05-82.580). L’ar-rêt rendu par la chambre criminelle le18 mars 2008 s’inscrit dans cette juris-

prudence constante (Cass. crim., 18 mars 2008,n° 07-82.792). La Cour s’en remet à l’ana-lyse souveraine des juges du fond quiont retenu que « la pratique de ristournes,proposées par les vendeurs à des clientshésitants et non informés du prix réel deséléments d’équipement, de surcroît nonexposés dans le magasin, est confirméepar Mme V... à laquelle Samuel A... avaitfait une ristourne de 3 399 euros, deMme M... à laquelle le directeur du ma-gasin appelé par Osman Z... avait pro-posé une ristourne de 40 % sur lesmeubles, de M. P..., auquel, après inter-vention du directeur du magasin, Os-man Z... avait proposé une remise de38 %, et de M. Q... qui avait bénéficiéd’une remise exceptionnelle de 53 % ac-cordée par Léonardo D... ; que le mon-tant même de ces ristournes, dites excep-tionnelles, dont certaines avoisinent plusde 50 % apparaît comme une incitationdes consommateurs, non avertis sur lesprix réels, à signer des bons de commandeet dès lors une publicité trompeuse ausens de l’article L. 121-1 du Code de laconsommation ».

34. Tromperies.– Ont été jugées commepublicités trompeuses : la remise à chaqueclient d’un document contractuel men-tionnant « l’aménagement sur mesure »de la cuisine ou de la salle de bains pro-posée alors que, dans les faits, aucuneprise de mesure n’était effectuée avantla prise de commande, la validation d’unecommande, après le passage du métreuralors que la commande était définitivedès sa signature (Cass. crim., 18 mars 2008, n° 07-82.792) ; l’offre d’inscription diffusée parla SARL Annuaire Pro en raison de saprésentation (le document ainsi envoyé,intitulé « Demande d’inscription-Épreuve », comportait au recto quatrecases à cocher par le client en fonctionde la prestation choisie, dont trois men-tionnaient un prix alors que la premièred’entre elles, correspondant à l’offre debase, ne faisait état d’aucune tarificationet renvoyait à un paragraphe de onzelignes écrites en lettres d’un millimètre,placé en bas de page et consacré notam-ment au coût de cette prestation, fixé à845 euros hors taxes par an, et à sa du-rée de souscription de deux années), deson intitulé, de son absence de précisionquant à la spécificité de l’offre elle-mêmeet quant aux prestations offertes, et dela période de diffusion choisie pour coïn-cider avec les diffusions de Pages Pro etde Pages jaunes notamment. De surcroît,les prospects devaient répondre dans debrefs délais et étaient dès lors incités pourtoutes ces raisons à une lecture trèssuperficielle du document litigieux, en-

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tretenant dans leur esprit la confusionavec les autres annuaires profession-nels, dont l’inscription de base est gra-tuite (Cass. crim., 19 févr. 2008, n° 07-83.858) ; lefait d’annoncer des marchandises gra-tuites alors qu’elles sont livrées en quan-tités insuffisantes et ont été indispo-nibles pour des clients à certainespériodes (Cass. crim., 21 oct. 2008, n° 08-82.594) ;le fait d’organiser un jeu de hasard sansaléa, tendant à offrir une semaine d’hé-bergement gratuite à chaque partici-pant, qui devaient toutefois payer leursfrais de transport à l’agence, dès lorsque le but du jeu gagnant est « de fairearriver tous les participants dans un sitede vente de “time share” pour fairecontracter une vente après avoir faitcontracter l’achat des billets d’avion »par l’agence et qu’elle était « incapablede disposer des destinations et résidencesannoncées » (Cass. crim., 10 sept. 2008, n° 08-80.076). En revanche, il n’y a pas trom-perie à annoncer sur le site de la Fédé-ration française des jeux que celui-cin’est accessible qu’aux personnes ma-jeures, dès lors que le public ne pou-vait se méprendre sur le sens du com-muniqué incriminé qui signifiait qu’enréalité seule la mise d’argent en ligneétait interdite aux mineurs, puisque l’in-ternaute doit être, pour lire ledit com-muniqué, déjà sur le site (Cass. crim., 3 juin2008, n° 07-13.916).

C. – Publicité dénigrante

35.– Voir pt. 31, supra.

D. – Publicité et parasitisme

36. Citation de la marque d’autrui dansla publicité.– Dans un arrêt du 4 juillet2008 (CA Paris, 4 juill. 2008, n° RG : 07/05473), laCour d’appel de Paris a condamné L’Oréalpour acte de parasitisme pour avoir uti-lisé la marque MC Peel n° 96 6499233de la société Sunlab pour la promotionde sa crème ReFinish. Le document pu-blicitaire du produit mentionnait qu’ils’agissait de réaliser une « micro-derma-brasion à domicile, qui serait une tech-nique réalisée par les dermatologues pourrajeunir la peau au moyen d’une exfolia-tion superficielle de la couche cornée ». Ilétait précisé que ReFinish permettait d’ap-pliquer plus aisément chez soi cette tech-nique, sans avoir recours à un appa-reillage lourd tel que, sous entendu, celuicommercialisé par la société Sunlab etdont une photographie, figurant en der-nière page, montrait la marque MC Peel.Les juges ont estimé que cette reproduc-

tion est « intervenue dans la vie des af-faires et plus spécialement pour la pro-motion commerciale d’un produit cosmé-tique supposé avoir la même fonction quel’appareil représenté, mais avec l’avan-tage sous-entendu de s’y substituer aisé-ment puisqu’il peut être appliqué ma-nuellement à domicile et permet ainsi defaire l’économie du recours au type d’ap-pareil commercialisé par l’appelante ».Le procédé aurait pu être admis s’il avaitrespecté les conditions de licéité de lapublicité comparative, ce qui n’est pasle cas. La Cour relève en effet que « lareprise ainsi faite de la marque, porte at-teinte aux droits de son titulaire d’en pro-hiber l’usage par un tiers, dans la vie desaffaires – mais en dehors du cadre de lapublicité comparative – pour la promo-

tion de produits destinés à remplacer ceuxpour la désignation desquels la marqueest exploitée (…). Que par ailleurs, enl’absence de toute comparaison entre lesappareils MC Peel et la crème ReFinish –comparaison qui en ferait ressortir objec-tivement les caractéristiques et les diffé-rences – la société L’Oréal ne peut soute-nir que cet usage s’inscrirait dans le cadred’une publicité comparative ». L’Oréal estdonc condamnée pour contrefaçon, maispas au titre de concurrence déloyale, lesfaits n’étant pas distincts.

37. Ambush marketing et humour.– Leton décalé et l’humour peuvent-ils toutracheter? La réponse pourrait bien êtrepositive à la lecture d’un arrêt de la Courd’appel de Paris du 7 mars 2008. En l’es-pèce, le magazine TÊTU avait présentéson numéro de l’été 2004 comme « Spé-cial JO d’Athènes » en reprenant les cou-leurs de l’emblème olympique et en fai-sant certains jeux de mots alliant lestermes d’Olympiades, de Jeux olym-piques à celui de sexe… Le Comité na-tional olympique et sportif français(CNOSF) s’est ému de cette utilisationet a tenté de la faire sanctionner pour at-

teinte aux marques et parasitisme, l’unedes voies d’appréhension de l’ambushmarketing (cf. Arcelin-Lécuyer L., De la difficulté d’ap-préhender l’opportunisme commercial : l’exemple de l’am-bush marketing, D. 2008, p. 1501). La Cour d’appelrejette la demande. Tout d’abord, elleprécise que si l’article L. 141-5 du Codedu sport dispose que « le Comité natio-nal olympique et sportif français est pro-priétaire des emblèmes olympiques na-tionaux et dépositaire de la devise, del’hymne, du symbole olympique et destermes Jeux Olympiques et Olympiades »,il demeure que l’article n’assure pas uneprotection absolue de ces signes. Concer-nant ensuite l’emploi des termes, les jugesrelèvent que la société éditrice n’a nul-lement cherché à s’associer à l’événe-ment sportif mais que les références aux« Olympiades » s’inscrivent dans un pro-pos à l’évidence ludique et humoristique,non dénigrant, et ne sauraient dès lorscaractériser une exploitation injustifiéedu signe « Olympiades ». Dans le mêmesens, le ton humoristique, non dénigrantet distancé, de l’emploi de la marque« Jeux Olympiques » n’est pas de natureà causer un préjudice au titulaire de droitset pas davantage à caractériser une ex-ploitation injustifiée de cette dernière.Quant à la reproduction des couleurs,elles « font référence à celles associées ha-bituellement à la communauté homo-sexuelle ; il s’est en l’espèce simplementagi d’une forme de clin d’œil à partird’une référence au “rainbow flag”, dra-peau de cette communauté, qui se pré-sente sous la forme d’une bannière tan-dis que les couleurs olympiques sont cellesdes anneaux symbolisant les jeux qu’ellen’a nullement reproduits ». Il ne sauraity avoir parasitisme ni d’ailleurs pour lareprise de chacun des signes pris isolé-ment ou l’emploi de l’ensemble de ceux-ci dans la mesure où « le contexte de lareprise de ces références sportives, le tondécalé et l’humour qui la sous-tend pré-viennent la réalisation d’un préjudice quele CNOSF se borne d’ailleurs à alléguersans en justifier ». Décidément, avec lesourire tout passe mieux… Mais c’estaussi, comme le souligne la Cour d’ap-pel, et peut-être surtout le contexte de lareprise qui légitime celle-ci. L’ambushmarketing consiste à s’associer à l’évé-nement sans bourse délier. Or, c’est cettevolonté d’association à la manifestationqui fait défaut en l’espèce. Nul doute quepersonne n’aura cru que TÊTU était parlà sponsor officiel des JO… ◆

DROIT DE LA PUBLICITÉ : BILAN DE L’ANNÉE 2008 (2DE PARTIE)

Le ton décaléet l’humour peuvent-ils

tout racheter?La réponse pourrait bienêtre positive à la lectured’un arrêt de la Cour

d’appel de Paris.

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PERSPEC

TIVESÉTU

DE

Les étapes successives de la crise mon-diale actuelle conduisent tour à tour ac-teurs économiques et décideurs de po-litique publique à s’interroger sur le rôleque devraient jouer les instrumentsqu’ils ont entre les mains dans l’arse-nal des remèdes aux désordres de l’éco-nomie réelle et financière. D’abordconvoqués à cette remise en cause, lesbanques, les établissements de crédit etles agences de notation, mais aussi leursrégulateurs, pris en défaut d’avoir puempêcher les prises de risque inconsi-dérées et la mise en marché d’instru-ments financiers vecteurs de transmis-sion des actifs « pourris ». Les instancesde gouvernance des entreprises, ensuite,accusées d’avoir distribué salaires et bo-nus en donnant à leurs salariés et à leursresponsables des incitations perverses,menant à des décisions inadéquates.Les États eux-mêmes, mis en cause pourleur intervention, jugée trop timide ettrop tardive par ceux qui préconisentdes politiques de relance plus massives,ou au contraire trop intrusive aux yeuxde ceux qui font encore confiance auxseuls mécanismes de marché pour trou-ver l’issue de la débâcle (1).À son tour, la politique de la concur-rence est interrogée sur la pertinence deses actions dans une conjoncture aussiparticulière, et sur la question de savoirs’il convient d’en amender la mise en

œuvre. Les principes qui guident les au-torités de concurrence peuvent grossiè-rement être résumés comme suit : pourla plupart des secteurs économiques, lesmécanismes de marché donnent aux en-treprises des incitations à accroître leurefficacité productive et à en redistribuerles fruits aux autres agents. Ils aident àsélectionner les bons projets d’investis-sement, attirent les entreprises efficaceset chassent les autres ou les poussent àaméliorer coût et qualité. Pour permettrele jeu de ces mécanismes vertueux, laloi interdit et les autorités de concur-rence corrigent et sanctionnent les en-traves à la concurrence. La répressiondes ententes ou des abus de position do-minante, le contrôle ex ante des opéra-tions de concentration, et au niveau com-munautaire celui des aides accordéespar les États, poursuivent tous ce mêmeobjectif : empêcher que le pouvoir demarché que détiennent soit les entre-prises dominantes, soit des groupes d’en-treprises agissant de façon collusive soitutilisé pour fausser le jeu de la concur-rence et priver les consommateurs deses bénéfices.En temps de crise économique, les en-treprises souffrent de multiples manièreset sur tous les fronts : chute de la de-mande, incertitude sur le futur, difficul-tés à trouver des financements auprèsdes marchés financiers ou du systèmebancaire, licenciements. Ces difficultésaux nombreuses facettes ont conduit ré-cemment certaines voix, venant princi-palement des milieux politiques, maisaussi, et c’est plus compréhensible, desentreprises elles-mêmes, à réclamer nonl’abandon mais au moins une applica-

tion plus lâche des règles de concur-rence, celles-ci étant dans ce raisonne-ment supposées faire obstacle à laguérison des économies malades. Évi-demment, les autorités de la concur-rence s’en sont défendues, arguant dece que la concurrence serait « une par-tie de la solution et non une partie duproblème », comme l’a répété à plusieursreprises Neelie Kroes, Commissaire eu-ropéenne à la concurrence, depuis lemois d’octobre 2008. Pourtant, la ten-tation est grande de recourir à des so-lutions apparemment simples commela restriction des échanges internatio-naux pour protéger les entreprises do-mestiques ou le recours aux contri-buables pour pallier la désertion desconsommateurs ou les défaillances desbanquiers.Ces derniers sont depuis l’automne 2008l’objet de toutes les attentions : d’un côtéaccusées d’avoir provoqué la crise finan-cière par leurs comportements spécula-tifs, puis de l’avoir propagée au monderéel par la restriction du crédit, lesbanques sont d’un autre côté sous l’œilinquiet des dirigeants des grands pays,qui ne cessent de mettre sur pied plansde redressement ou rachat des actifstoxiques, et d’encourager des concentra-tions entre établissements bancaires sup-posées rétablir la situation des plus fra-giles. La transmission rapide de la crisefinancière aux autres secteurs de l’éco-nomie semble justifier cette attentionportée au secteur bancaire et la volontéde trouver des remèdes à un pan de l’éco-nomie qui ne s’est pourtant pas illustrépar des décisions particulièrement avi-sées : de l’octroi massif de crédits à des

Par Anne PERROTVice-présidentede l’Autoritéde la concurrence

Politique de la concurrenceet faillites bancaires

Les éclairages de la théorie économique

Face à la crise mondiale, certaines voix plaident en faveur d’un aménagement de la politique de la concurrence :répressive à l’égard des entreprises, la politique de la concurrence devrait tenir compte des difficultéséconomiques rencontrées par ces dernières et adopter en temps de crise une attitude plus clémente.

Cet article passe en revue les arguments venant au soutien de cette thèse et envisage les conséquencesd’un changement d’attitude de la part des autorités de concurrence.

Un éclairage particulier est donné au cas du secteur bancaire.

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1444RLC

(1) Cet article reprend une intervention présentée au Colloque organisé le 20 mars 2009 par la Chambre de commerce internationale sur le thème « Le droit de la concurrence face à la crisemondiale ».

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ménages non solvables au processus detitrisation, ce sont bien les établissementsde crédit qui ont transmis le retourne-ment du marché de l’immobilier améri-cain et la réalisation corrélative desrisques de défaut des américains suren-dettés à l’économie mondiale.Au-delà du débat qui oppose les vieuxponcifs de l’interventionnisme et dulaisser-faire, les enseignements de lathéorie économique peuvent-ils contri-buer à éclairer les questions que posel’application de la politique de la concur-rence en temps de crise, et au secteurbancaire en particulier ?C’est ce que nous examinerons en deuxtemps. Le premier répondra aux argu-ments qui invitent à une altération gé-nérale de la politique de la concurrenceen temps de crise, en examinant d’unepart les bénéfices et pertes collectifs as-sociés à un fonctionnement concurren-tiel des marchés et à l’action des autori-tés de concurrence, notamment durantles récessions, et en envisageant d’autrepart les différents angles sous lesquelsla politique de la concurrence pourraitvoir son application relâchée. Le secondtemps s’attachera à la situation particu-lière des banques et à la question de sa-voir si ce secteur possède des caractéris-tiques de nature à justifier un traitementdifférencié du secteur bancaire par tempsde crise.

I. – DOIT-ON MODIFIERL’APPLICATION DE LA POLITIQUEDE LA CONCURRENCE EN TEMPSDE CRISE ?

Rares sont, en temps de crise, les avo-cats de la politique de la concurrence.En effet les victimes les plus apparentesdes crises sont les entreprises. La poli-tique de la concurrence, répressive àleur égard, est dès lors vécue commeune contrainte de plus dont les entre-prises devraient pouvoir s’affranchir enpériode de récession. Les sorties dumarché des entreprises défaillantes,nombreuses pendant les crises, sontperçues à juste titre comme coûteusessur le plan collectif. Il faudrait doncprotéger les profits des entreprises (etpartant les salariés), les consommateursquant à eux, n’ayant plus qu’à s’accom-moder de cet environnement défavo-rable à leurs intérêts.Ces arguments portent, on le voit, surdeux aspects différents de la politique dela concurrence : la question de l’inflé-chissement de ses objectifs (A), et celled’une mise en œuvre différente de sesoutils en temps de crise (B), questionsqui seront successivement examinées.

A. – Infléchir les objectifsde la politique de la concurrence?La réponse à cette question mérite d’êtreabordée sous l’angle de la perspectivetemporelle de la politique de la concur-rence et de sa place au sein du spectredes autres instruments de politique éco-nomique.L’horizon de la politique de la concur-rence est le moyen terme. Si, bien sûr,certains de ses effets se manifestent ra-pidement (le retour à la concurrence parles prix après le démantèlement d’un car-tel par exemple), bien des bénéfices ti-rés d’un fonctionnement concurrentieldes marchés ne se manifestent qu’aprèsun certain temps. Tel est le cas des mé-canismes de sélection des entreprises,qui font progressivement sortir du mar-ché les produits de mauvaise qualité etles entreprises aux coûts trop élevés, etattirent au contraire les plus performantes.Ce mouvement « démographique », quise traduit in fine par une baisse tendan-cielle des prix, liée à la transmission desréductions de coûts aux consommateurs,par l’augmentation de la qualité et de ladiversité des produits, par des innova-tions, prend du temps. Il découle d’unesituation où les entreprises les moins per-formantes ne sont pas soutenues à re-bours des mécanismes concurrentielsspontanés tendant à les éliminer et oùles plus productives ne se voient pas res-treindre l’accès au marché (cf., pour une quan-tification de ces effets le Livre blanc britannique de 2001,« Productivity and Enterprise : a World Class CompetitionRegime », dont les conclusions ont été confirmées par denombreuses autres études). Ce processus longn’est pas, bien sûr, celui qui est observédans les phases de contraction de l’acti-vité, qui entraînent des défaillances bru-tales d’entreprises confrontées à la chutede leur demande. Les périodes de reprisequant à elles peuvent être marquées parde fortes hausses de productivité parceque la récession a accéléré la sortie desentreprises les moins performantes. Dansun souci de préserver la reprise et la pro-ductivité à plus long terme, il peut êtreparadoxalement inutile de s’opposer à larapidité de ce mécanisme de sélection.Les pertes de bien-être, elles, sont res-senties à court terme : les fermetures oules délocalisations d’entreprises, les pertesd’emploi, la désertification et l’appau-vrissement des régions les plus touchéespar ces processus sont évidemment bienréels et coûtent à ceux qui les subissent,un prix qui paraît sans commune me-sure avec les lointains – donc hypothé-tiques – bénéfices du retour à la produc-tivité future.La question principale en réalité est cellede savoir quel est l’outil le plus adapté

à la correction de ces effets négatifs, voiredramatiques, qui n’apparaissent pas ex-clusivement lors des crises généralisées.En période de conjoncture normale, onentend parfois soutenir l’idée que la po-litique de la concurrence devrait « tenircompte de l’emploi », ce qui est évidem-ment dérogatoire vis-à-vis de l’objectifqui lui est assigné (défendre les intérêtsdes consommateurs et non ceux des sa-lariés). Intégrer un tel objectif à l’ana-lyse concurrentielle est dangereux, ycompris vis-à-vis du but recherché : lapolitique de la concurrence ne peut avoirqu’une vision locale et au cas par casdes créations et destructions d’emploi :ainsi, à l’occasion d’une concentrationpar exemple, on observe que certainesrestructurations industrielles sont sou-vent « localement » défavorables à l’em-ploi – la concentration détruit des em-plois –, alors qu’elles sont « globalement »bénéfiques au niveau sectoriel, y com-pris pour l’emploi, si elles s’accompa-gnent de rationalisations de la produc-tion, de gains de productivité quipermettent d’abaisser les prix et d’ac-croître la demande. D’une façon plus gé-nérale, une concentration peut n’êtreque la partie visible d’un processus plusvaste de redéploiement des ressourcesintra et intersectorielles potentiellementcréateur d’emploi (pour une analyse des proces-sus de création et destruction d’emploi, cf. Cahuc P. et Zyl-berberg A., Le chômage, fatalité ou nécessité, Flammarion,2004). Demander à la politique de laconcurrence, par exemple lors ducontrôle d’une concentration, de prendreen compte des objectifs éloignés dessiens est au mieux inefficace, au pirecontre-productif : pourquoi privilégierles salariés des entreprises concernéespar la fusion au détriment potentiel desautres salariés du secteur ou de ceux desautres secteurs? Les autorités n’ont niles moyens, ni la compétence pour ap-préhender les effets sur l’emploi globald’une concentration donnée. Mieux vautdès lors utiliser des outils appropriés(politique générale de l’emploi, mise enœuvre de mesures de protection socialeou de reclassement et accompagnementdes chômeurs éventuels) plutôt que dedistordre les objectifs d’une politiquequi n’est pas conçue pour cela. Parailleurs, l’infléchissement des décisionsen faveur de l’emploi localementconcerné aboutirait simplement à trans-férer des rentes des consommateurs versles salariés. De tels mécanismes redis-tributifs relèvent clairement de choix po-litiques et n’ont pas à être entre les mainsdes autorités de concurrence.Cet argument prévaut aussi lors des pé-riodes de crise : amender la politique de

POLITIQUE DE LA CONCURRENCE ET FAILLITES BANCAIRES – LES ÉCLAIRAGES DE LA THÉORIE ÉCONOMIQUE

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la concurrence pour protéger les entre-prises, l’emploi et les salariés menacésn’est pas efficace pour plusieurs raisons.Comme dans l’exemple précédent,d’autres outils élaborés précisément pourrépondre à ces problèmes économiquesexistent et sont mieux ciblés. S’il s’agitd’aider les entreprises à préserver leursactifs durant la crise, d’autres mesures(aides ciblées et ponctuelles) sont sansdoute plus adaptées. Ensuite, entraverles restructurations liées à une crise éco-nomique peut retarder l’adoption de cer-taines technologies plus économes (enénergie, en travail).Examinons maintenant plus en détailquels seraient les moyens d’aboutir à untel « adoucissement » des politiques deconcurrence.

B. – Infléchir la mise en œuvrede la politique de la concurrence :par quelles voies ?

Les pouvoirs publics et les autorités deconcurrence chargées de les contrôler enla matière peuvent décider de distribuerplus généreusement des aides d’État. Enthéorie, ce type d’intervention peut per-mettre de pallier la « myopie » des mar-chés financiers et les restrictions de cré-dit bancaire, en aidant temporairementles entreprises en difficulté à surmonterune période de crise. Le problème habi-tuel que soulève ce type d’aide est bienconnu depuis les travaux de Laffont etTirole (cf., par exemple, Laffont J.-J. et Tirole J., A Theoryof Incentives in Procurement and Regulation, MIT Press,Cambridge, 1993) : la puissance publiquesouffre d’un déficit d’information sur lesperformances des entreprises, ne sait pasdistinguer les entreprises efficaces desautres et est ainsi très mal placée pourdistribuer efficacement ses aides. Lerisque est donc grand d’aider des entre-prises qui ne devraient pas l’être, soitparce qu’elles profitent de façon oppor-tuniste des aides, soit parce qu’indépen-damment de toute récession ces entre-prises seront amenées à disparaître dufait de leur inefficacité. Dans ce cas, cesont donc les contribuables qui in finepaieront les erreurs. Malgré tout, certainsfacteurs rendent les aides d’État sansdoute moins dangereuses que d’autrestypes d’interventions publiques, car ellessont susceptibles d’être octroyées condi-tionnellement à certaines actions des en-treprises et d’être remboursables une foisla crise surmontée.Autre possibilité : accepter des concen-trations anticoncurrentielles. Le paysageest ici moins riant : une concentration estun processus qui engage l’avenir pourlongtemps. Laisser les structures de mar-ché évoluer, à la faveur d’une crise né-

cessairement temporaire quelle que soitson ampleur, vers des structures pérenneset qui permettront sur une longue périodel’exploitation du pouvoir de marché ainsiacquis, c’est laisser cette fois-ci lesconsommateurs payer les difficultés desentreprises et leur imposer des transfertsen faveur d’entreprises qui auront acquisleur position par d’autres moyens quepar leurs mérites. Les structures de mar-ché ainsi constituées seront à long termeinefficaces, collectivement coûteuses etsources de distorsions importantes, per-manentes et difficiles à corriger.Faut-il alors être moins sévère avec lespratiques anticoncurrentielles que sontles cartels de crise ou les abus de posi-tion dominante?

Les cartels de crise ont typiquement pourobjectif de répartir entre les participantsles baisses de demande caractéristiquesdes récessions. Les secteurs touchés parde telles récessions se trouvent en situa-tion de surcapacités de production etl’ajustement aux nouvelles conditions dedemande appelle souvent la destructionde certains actifs. Si on laisse le marchéfaire disparaître les surcapacités, ce sontd’abord les sites de production les plusinefficaces ou les lignes de productionles moins demandées qui disparaîtront :en d’autres termes, le marché élimined’abord les actifs les moins valorisés col-lectivement. Ce mécanisme spontané,une fois encore, n’exclut aucunementl’appui de plans d’accompagnement pu-blics aidant les salariés laissés-pour-compte. Les cartels de crise, quant à eux,poursuivent un objectif de la maximisa-tion du profit de leurs membres. Si le car-tel se charge de décider du rythme et del’identité des actifs qui doivent être sa-crifiés, il le fera dans un objectif de main-tien des profits de ses membres, en ajou-tant souvent à cette action d’autresmesures défensives comme la fermeturedu marché aux concurrents. Les solu-tions résultant du jeu concurrentiel de lagestion de la crise et de celles mises enplace par un cartel diffèrent : le cartel decrise est certes profitable aux entreprises« insiders » qui en sont membres mais

préjudiciable à la collectivité (entreprisesoutsiders, consommateurs…). Il distordles signaux de prix, retarde les restruc-turations sans jamais les éviter à longterme, s’octroie des rentes prélevées surles acheteurs, retarde l’allocation des res-sources vers des secteurs plus produc-tifs. Encore une fois, il vaudrait mieuxfaire payer non par les acheteurs maispar des transferts sociaux « conscients »les pertes de bien-être des acteurs tou-chés. Les abus de position dominante,notamment lorsqu’ils sont destinés à em-pêcher l’entrée de nouveaux concurrents,peuvent faire l’objet de la même analyse.Dernier recul possible de la politique dela concurrence en temps de crise : mo-duler les sanctions pour tenir compte dela situation défavorable du marché. Siune telle modulation est moins aisée auniveau communautaire, où les sanctionsont un caractère généralement forfaitaire,elle peut être envisagée par les autoritésfrançaises, pour deux raisons. D’abord,le droit français de la concurrence pré-voit que la sanction doit être proportion-née au dommage à l’économie que la pra-tique a engendré. En cas de crise dansun secteur, ce dommage peut être réduiten valeur absolue du fait de la baisse del’activité : le nombre et la valeur des tran-sactions baissant, la pratique anticoncur-rentielle affecte un volume d’affairesmoins important et le dommage s’entrouve évidemment amoindri. Pour au-tant, il peut demeurer inchangé en termesrelatifs lorsqu’on le rapporte au marchéaffecté. Par ailleurs, le dommage à l’éco-nomie évoqué par le Code de commerceest une notion d’ordre qualitatif et nonquantitatif. Pour toutes ces raisons, il se-rait imprudent de tirer des conséquencesmécaniques de la simple existence d’unecrise sectorielle et, à plus forte raison,d’une crise générale. Ensuite, les dispo-sitions légales prévoient aussi que lessanctions tiennent compte de la situationparticulière de l’entreprise. Ces deux élé-ments expliquent que les sanctions reflè-tent notamment le contexte particulierdans lequel se trouve l’entreprise sanc-tionnée, qui peut être celui d’une réces-sion. Mais la jurisprudence montre qu’ilne suffit pas d’alléguer l’existence d’unecrise : celle-ci doit présenter certaines ca-ractéristiques dont l’impact sur l’entre-prise doit être démontré concrètement.Enfin, il est possible à l’entreprise en dif-ficulté financière d’obtenir, dans certainesconditions, des délais permettant d’éche-lonner le paiement d’une sanction.Une conclusion générale peut être tiréede ces considérations : préconiser unemoindre rigueur des politiques deconcurrence en temps de crise revient,

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Le cartel de crise estcertes profitable aux

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à court terme, à faire payer les consom-mateurs et, à long terme, à retarder lesajustements sectoriels qui pourraient ai-der à une reprise plus rapide de la pro-ductivité en sortie de crise. Or lesconsommateurs disposent de peu demoyens de se faire entendre du fait deleur atomisation et souffrent eux aussides chutes de revenus en cas de réces-sion. Par ailleurs, le prix à payer à pluslong terme en matière de productivitépeut être élevé. Tous ces arguments plai-dent donc en faveur d’un maintien desobjectifs poursuivis par les autorités deconcurrence et d’une application de laloi en matière de sanction.

II. – FAILLITES BANCAIRESET POLITIQUE DE LA CONCURRENCE

Venons-en maintenant à l’analyse plusparticulière du secteur bancaire. Deuxquestions doivent être examinées : celledes caractéristiques du secteur bancairequi lui feraient jouer un rôle spécifique(A), et celle de l’attitude que devraientavoir à son égard les acteurs des poli-tiques publiques et notamment de laconcurrence (B).

A. – Les banques : un secteurparticulier ?

Les banques peuvent être vues commede simples offreurs de services finan-ciers : cette délimitation étroite de leurrôle n’invite pas à les envisager sous unangle différent des autres secteurs de ser-vices. C’est méconnaître une série decaractéristiques qui leur sont propres(cf. Vickers J., The Financial Crisis and Competition Policy :Some Economics, Global Competition Policy, déc. 2008).Tout d’abord, les banques entretiennententre elles des liens très étroits : onparle d’ailleurs du « système bancaire »,mais non du « système pharmaceutique »ou automobile et la sémantique traduitbien l’idée que les banques forment unensemble d’agents économiques liésentre eux. Ces liens proviennent desmécanismes de refinancement inter-bancaire, des commissions d’inter-change liées à la mise en place de sys-tèmes de paiement interconnectés(comme les cartes bancaires), de la par-ticipation à des marchés financiers com-muns où les phénomènes spéculatifs etla propagation des risques touchent tousles établissements financiers et de cré-dit. Ce secteur est ainsi le lieu « d’ex-ternalités horizontales » : la faillite d’unebanque peut de proche en proche en-traîner celle de toutes les autres et c’estce risque « systémique » que les Étatset la régulation cherchent en premierlieu à éviter.

Ensuite, du fait de leur rôle dans le fi-nancement de l’économie, les banquesexercent des externalités en direction detous les secteurs d’activité : le « creditcrunch » ou resserrement du crédit, se-lon qu’il contraint les particuliers ou lesentreprises, interdit les achats immobi-liers et le crédit à la consommation, en-trave le développement des entreprises,empêche les investissements de seconcrétiser, limite les possibilités de fu-sions entre entreprises, accélérant ainsiles chutes de production, la baisse de laconsommation et des investissements etpropageant à l’économie toute entièreles difficultés du secteur bancaire et fi-nancier. Ces « externalités verticales »,qui s’ajoutent aux facteurs systémiqueshorizontaux évoqués précédemment, pla-cent le secteur bancaire dans une posi-tion particulièrement sensible.

L’État peut-il se substituer à un systèmebancaire défaillant et financer l’écono-mie à sa place? Cette question mérite-rait une réponse plus détaillée que ne lepermet cet article. Certains argumentsplaident en faveur d’une renationalisa-tion du système bancaire. Il faut consta-ter que peu ou prou ce processus est déjàen cours sous diverses formes. D’autres,au contraire, soulignent que si l’on attri-bue à la « finance folle » la responsabi-lité de la crise actuelle, c’est aussi, acontrario, la libéralisation des marchésde capitaux et l’ouverture à la concur-rence du secteur financier qui ont per-mis le développement des investisse-ments et la croissance depuis vingt ans.Certains problèmes, de nature informa-tionnelle, déjà évoqués, interviennentaussi dans ce débat. Les banques sont,comme la puissance publique, dans uneposition de déficit informationnel parrapport aux entreprises mais contraire-ment à elle, disposent de plus de moyenspour y faire face. Elles mettent au pointdes méthodes de filtre destinées à dépar-tager les bons et les mauvais projets(même si la crise actuelle témoigne ducaractère imparfait de cette discrimina-tion), donnent des incitations aux entre-prises à révéler des informations sur leurs

coûts et la qualité de leurs projets d’in-vestissement. La nécessité de faire duprofit avec les crédits distribués incite lesbanques à mettre en place toute une sé-rie de mécanismes incitatifs à la révéla-tion d’informations et d’apprentissagesur les caractéristiques des entreprises.Le fait que les banques soient en concur-rence pour attirer les différents types declientèle (particuliers, divers segmentsd’entreprises) joue évidemment un rôledans l’efficacité avec laquelle elles met-tent en place ces mécanismes de collectedes informations.Dès lors, laisser le système bancaire al-ler à la faillite, c’est non seulement perdrele bénéfice de son activité économiquedirecte mais aussi sa capacité à extrairede l’information mieux que l’État ne sau-rait le faire. De cet effondrement du sys-tème bancaire découlerait donc un arrêtdu financement de l’économie et l’inca-pacité de la puissance publique à prendrele relais.Ces caractéristiques font bien du secteurbancaire un secteur à part : laisser le tex-tile ou l’élevage péricliter a des consé-quences négatives évidemment tangibles,mais à peu de choses près limitées auxseules activités concernées. Tel n’est pasle cas du système bancaire et la crise ac-tuelle démontre à suffisance que concen-trer les efforts sur l’assainissement de cesecteur est justifié.

B. – Régulation ou politiquede la concurrence?

Les éléments qui précèdent et qui souli-gnent le rôle pivot joué par les banquesexpliquent le problème crucial de crédi-bilité auquel se heurte un État qui vou-drait mettre en place une politique de dis-cipline ou de sanction à l’égard desbanques : ex ante, la puissance publiquea intérêt à annoncer qu’elle ne sauverapas les banques en perdition, pour les in-citer à se comporter de façon prudente etrationnelle. Ex post en revanche, une foisqu’une banque est en difficulté, le risquede voir se propager la défaillance de l’uneà tout le système bancaire peut être élevé– et ses conséquences en être alors telle-ment désastreuses – que l’État a intérêt àne pas respecter cet engagement : son ap-plication serait trop coûteuse en raisondes externalités négatives entraînées surtoute l’économie par une faillite du sys-tème bancaire. En d’autres termes, cetteannonce ex ante n’est pas crédible, ce queles économistes qualifient de problèmed’engagement (commitment). Comme cedéfaut de crédibilité est parfaitement an-ticipé et compris par les banques, il consti-tue en fait une incitation pour elles à secomporter imprudemment. C’est donc

POLITIQUE DE LA CONCURRENCE ET FAILLITES BANCAIRES – LES ÉCLAIRAGES DE LA THÉORIE ÉCONOMIQUE

La faillite d’une banquepeut de proche

en proche entraîner cellede toutes les autres et c’est ce risque

« systémique » que lesÉtats et la régulationcherchent en premier

lieu à éviter.

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l’incapacité pour l’État à se lier lesmains par l’annonce d’une politiquecrédible et coercitive à l’égard des com-portements trop risqués qui est finale-ment à l’origine de la garantie d’impu-nité dont jouissent les acteurs dusystème financier. Ex ante, la puissancepublique aimerait pouvoir annoncerdes politiques sévères (laisser lesbanques faire faillite), ex post s’ycontraindre est trop coûteux et il fauty renoncer.Comment dans ce contexte la politiquede la concurrence devrait-elle agir àl’égard du système bancaire ?L’exposé qui précède aura tenté deconvaincre que la seule issue au pro-blème d’engagement exposé plus hautest de nature régulatoire et non concur-rentielle. Si les gouvernements ne peu-vent pas se tenir à une surveillance età une riposte crédibles aux comporte-ments illégaux ou seulement trop ris-qués, des autorités de régulation ban-caire fortes, dotées d’outils coercitifs,capables d’intervenir au cours du dé-veloppement des pratiques qui mettenten danger le fonctionnement du sec-teur bancaire et du reste de l’économiele peuvent. C’est clairement de régu-lation ex ante qu’il s’agit là, nécessi-tant un suivi continu du secteur et unecapacité d’intervention puissante et trèsprécoce.La politique de la concurrence ne maî-trise aucun de ces outils, intervenantex post et dans un objectif de disciplinedes comportements concurrentiels (etnon prudentiels) selon les principesqui guident cette « light hand regula-tion ». La seule contribution que la po-litique de la concurrence peut avoirl’ambition d’apporter à une telle régu-lation ex ante concerne l’activité desagences de notation : on n’ose parlerde « marché », tant ces agences, donttrois contrôlent 90 % de la notationmondiale, ont des intérêts étroitementreliés avec ceux qu’elles conseillent et

notent. Les autorités de concurrenceont l’habitude de traiter ce type de si-tuation et peuvent enjoindre à des en-treprises de séparer certaines de leursactivités, dont la corrélation empêchele bon fonctionnement concurrentiel,ou de résoudre les problèmes de bar-rières à l’entrée qui interdisent l’entréede concurrents.Si les accords de Bâle I poursuivaientle double objectif clairement affichéd’empêcher les comportements anti-concurrentiels de certaines banquessur les marchés internationaux (lesbanques japonaises notamment) et dedéfinir une politique prudentielle com-mune, certains spécialistes du systèmebancaire affirment aujourd’hui que cesobjectifs ont été quelque peu oubliéslors de la mise en œuvre des accordsde Bâle II (cf., par exemple, pour la défense d’unetelle position, Rochet J.-C., Le futur de la réglementationbancaire, Working paper, Toulouse School of Economics,2008), aux objectifs plus flous et auxcontraintes plus vagues, régulation quide proche en proche aurait permis lesdérives en matière de prise de risque.Dans ce cadre, la politique de la concur-rence est bien mal armée pour résoudrele moindre des problèmes de la criseactuelle dans ses aspects bancaires : letraitement des concentrations permetdéjà de prendre en compte la défensede l’entreprise défaillante, seul biaispar lequel le contrôle des concentra-tions permet de tenir compte desrisques de faillites ; l’analyse des effetsunilatéraux ou coordonnés, desbanques comme des autres entreprises,reste inchangée en période de crise. Ona mentionné les effets de long termed’une politique laxiste qui accepteraitdes concentrations anticoncurrentielles.Les ententes ou les abus de positiondominante auraient des effets encoreplus négatifs sur l’économie qu’en pé-riode de conjoncture plus classique, etse montrer plus tolérants à leur égardserait certainement pénalisant pour le

reste de l’économie. Ces comporte-ments anticoncurrentiels nuisent auxacheteurs, c’est-à-dire en l’occurrenceles entreprises et les ménages ayant re-cours aux services des banques. En ma-tière de crédit, on voit ainsi que les res-trictions à la concurrence, qui limitentle volume des services échangés, sontparticulièrement nuisibles dans une pé-riode de crise comme celle que nos éco-nomies connaissent, marquée par unresserrement du crédit qui empêchel’alimentation de l’activité économiqueréelle.En conclusion, on voit que les remèdesà la crise ne sont sans doute pas à re-chercher du côté d’une distorsion desobjectifs ou d’une application plus laxistedes outils de la politique de la concur-rence. Telle qu’elle est mise en œuvre,la politique de la concurrence françaisetient compte de la conjoncture et desrisques de faillite des entreprises pourétablir le niveau des sanctions. Elle s’yrapporte encore lorsqu’elle considère lesarguments de l’entreprise défaillante enmatière de concentrations. Elle examinetoujours les gains d’efficacité associés àla mise en œuvre d’une pratique, d’unaccord, d’une fusion. Ces instrumentspermettent d’appliquer pleinement lapolitique de la concurrence en périodede crise. Les banques, quant à elles,jouent un rôle particulier dans le fonc-tionnement de l’économie, qui justifiecertainement un traitement particulier,mais on ne voit pas que la politique dela concurrence soit particulièrement biendotée pour participer à la régulation exante de ce marché, régulation réclaméepar la crise actuelle. L’un des enseigne-ments de la théorie économique est quepour mener de bonnes politiques, la puis-sance publique doit disposer d’autantd’instruments que d’objectifs. Vouloirfaire jouer à la politique de la concur-rence un rôle pour lequel elle n’est pastaillée dérogerait à ce principe de base,sans doute pour le pire. ◆

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104 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

INTRODUCTIONDe manière quasi unanime, les pouvoirspublics au sens large (gouvernements,ministres en charge des Affaires écono-miques, banques centrales, régulateursbancaires) se sont exprimés en faveurde réformes significatives de notre sys-tème global de régulation financière. Demême, certains économistes ont publiéde longues chroniques expliquant lesraisons pour lesquelles ils s’étaient silourdement trompés, au point de n’an-ticiper d’aucune manière une crise, quiparaît bien plus sérieuse encore que lacrise de 1929, mais dont chacun espèrequ’elle n’aura pas des effets aussi fu-nestes.Dans ce contexte de remise en question,les représentants des principales auto-rités de la concurrence font entendreune voix différente, en affirmant avanttout la nécessité de rester fermes dansl’application des principes et des règlesde droit en vigueur. Ainsi, Mme le Com-missaire Neelie Kroes a assuré que leséquipes de la DG Concurrence (Commis-sion européenne) n’avaient « aucune inten-tion de faire quoi que ce soit si ce n’estde continuer d’appliquer [le droit de laconcurrence] » (Kroes N., Many achievements,more to do, Communiqué Comm. CE n° SPEECH/09/106,12 mars 2009, p. 5 : « (…) we have no intention of doinganything except maintaining our enforcement and findingways to speed our economic recovery »). De même,Mme Christine Varney, secrétaire

d’État en charge des questions antitrustau Department of Justice (États-Unis),s’est récemment prononcée pour uneapplication vigoureuse des règles anti-trust en cette période de crise (Varney Ch.,Vigourous Antitrust Enforcement in This Challenging Era– Remarks as Prepared for the United States Chamber ofCommerce by Assistant Attorney General Christine A. Var-ney, discours prononcé devant la chambre de commercedes États-Unis le 12 mai 2009). De manière simi-laire, M. Bruno Lasserre, président del’Autorité de la concurrence, a évoquéla nécessité de maintenir le cap dans cecontexte difficile, au motif que le droitde la concurrence « constitue une solu-tion et non un problème » (Lasserre B., L’Au-torité de la concurrence, née sous le signe du pouvoir d’achat,maintient le cap en temps de crise », RLC 2009/19, édito).Enfin, Mme Anne Perrot, vice-présidentede l’Autorité de la concurrence, plaidedans la présente revue « en faveur d’unmaintien des objectifs poursuivis par lesautorités de la concurrence et d’une ap-plication de la loi en matière de sanc-tion » (Perrot A., Politique de la concurrence et faillitesbancaires – Les éclairages de la théorie économique, RLC2009/20, n° 1444).Ces positions n’ont pas lieu de nousétonner.Il est normal et légitime que les autori-tés de concurrence rappellent avec fer-meté leur intention de maintenir lesorientations de leurs politiques deconcurrence dans les circonstances pré-sentes. En effet, dans la période de criseactuelle, nul ne paraît considérer qu’ily a lieu de critiquer ou de mettre encause un excès ou une insuffisance despolitiques de concurrence européennes.Bien au contraire, de nombreux obser-vateurs regrettent aujourd’hui que lesrégulateurs bancaires, financiers etcomptables européens n’aient pas ac-

compli aussi consciencieusement leurmission que ne l’ont fait la DG Concur-rence, le Bundeskartellamt, l’Office ofFair Trading ou le Conseil de la concur-rence (désormais, Autorité de la concur-rence).Cela étant, même si les autorités euro-péennes de la concurrence peuvent êtrefières des résultats qu’elles ont obtenusen matière de régulation économiqueau cours des dix dernières années, iln’empêche que le système européen derégulation de la concurrence n’est pasparfait et que la crise actuelle, par sonacuité et sa brutalité, devrait conduirel’ensemble des parties prenantes (régu-lateurs, entreprises, conseils) à s’inter-roger sur les limites du système et lesaméliorations qu’il serait opportun delui apporter. Et ce, d’autant plus qu’endépit de leurs déclarations générales,certaines autorités de concurrence ontdéjà amorcé des inflexions significatives.Il en va notamment ainsi pour la Com-mission européenne dans le domainedes aides d’État.À cet égard, plusieurs questions noussemblent mériter une attention particu-lière :– la création par la Commission euro-péenne d’un nouveau corpus de règlesrelatives aux aides d’État applicablesuniquement en cas de crise financièremondiale ;– le besoin d’introduire une plus grande« proportionnalité » dans les amendesanticartel ;– la clarification de l’exception dite de« l’entreprise défaillante » en matière decontrôle des concentrations ; et– la nécessité d’un débat sur les ac-cords « multilatéraux » de réduction decapacité.

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Par François BRUNETAvocat (Cleary, Gottlieb, Steen& Hamilton)

Président de la Commissionde la concurrencede la Chambre de commerceinternationale (Comitéfrançais) (2).

Le droit de la concurrenceface aux défis de la crise

mondiale(1)

La crise économique et financière que le monde traverse actuellement est d’une inédite intensité.De par son acuité, cette crise à la fois mondiale et systémique pousse au questionnement,

à l’autocritique et à la remise en cause.

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(1) Cet article fait suite à un colloque organisé le 20 mars 2009 par la Chambre de commerce internationale sur « Le droit de la concurrence face à la crise mondiale ».(2) François Brunet tient à remercier Caroline Medina et Thibaud Delaunois pour leur aide précieuse dans la préparation de cet article.

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 105

I. – LE DROIT DES AIDES D’ÉTAT : LA CRÉATION PRAGMATIQUED’UN NOUVEAU CORPUS DE RÈGLESAPPLICABLES EN CAS DE CRISEFINANCIÈRE MONDIALE

Dans le cadre du plan d’action quinquen-nal lancé en 2005, la Commission euro-péenne a profondément réformé et mo-dernisé le droit des aides d’État, en visanttrois principaux objectifs : des aidesd’État moins nombreuses et mieux ci-blées, une approche économique plusfine et une procédure plus efficace et plustransparente. Prise à contre-pied par lacrise mondiale, la Commission a été obli-gée de modifier profondément son ap-proche.Confrontée à la multiplication des plansde sauvetage des institutions financières,la Commission a cherché à concilier deuxobjectifs : (i) l’objectif politique de sau-vetage du secteur bancaire et financieret (ii) l’objectif « constitutionnel » du droiteuropéen des aides d’État, à savoir lemaintien de règles de jeu équitables pourl’ensemble des entreprises exerçant desactivités dans le marché unique euro-péen. Autrement dit, la Commission s’estefforcée de contribuer à la restaurationdes marchés financiers (en particulier,les marchés interbancaires), tout enveillant à éviter des dommages à pluslong terme pour le secteur bancaire (dom-mages qui résulteraient d’une course auxsubventions entre les États membres etd’une dérive vers un protectionnisme fi-nancier).Pour concilier ces deux objectifs pourpartie contradictoires, la Commission aexhumé l’article 87, paragraphe 3, b) duTraité CE, qui lui permet d’autoriser lesaides d’État destinées « à remédier à uneperturbation grave de l’économie d’unÉtat membre » et a mis en place, au furet à mesure de son expérience en la ma-tière, de nouvelles lignes directrices re-latives aux conditions d’autorisation desaides d’État octroyées pour faire face auxconséquences de la crise.Alors que l’article 87, paragraphe 3, b)fait partie du Traité CE depuis sa pre-mière rédaction, la Commission n’apresque jamais accepté d’autoriser desaides d’État sur le fondement de cettedisposition. La dernière affaire où cet ar-ticle a été appliqué concernait l’autori-sation, en 1987, d’une loi relative au re-dressement financier des entreprises enGrèce. À cette époque, une vingtained’entreprises grecques, représentant en-viron 20 % de l’emploi industriel de laGrèce, risquaient d’être mises en liqui-dation à défaut d’application de cette loi(Déc. Comm. n° 88/167/CEE, 7 oct. 1987, JOCE 22 mars

1988, n° L 76, concernant la loi n° 1386/1983 par laquellele gouvernement grec accorde une aide à l’industrie grecque).On comprend ainsi aisément que la Com-mission ait considéré que les subven-tions en cause avaient pour objet de « re-médier à une perturbation grave del’économie de l’État membre concerné ».À l’inverse, la Commission a refusé, en1995, d’autoriser une aide d’État accor-dée au Crédit Lyonnais sur la base decette disposition, dès lors que cette aidevisait à remédier aux difficultés du seulCrédit Lyonnais, et non pas aux difficul-tés d’un secteur et que les problèmes duCrédit Lyonnais ne trouvaient pas leurorigine dans une crise bancaire systé-mique, mais dans la politique agressivede crédit et d’investissement de la banque

(Déc. Comm. CE n° 95/547, 26 juill. 1995, JOCE 2 déc.,n° L 308, portant approbation conditionnée de l’aide accor-dée par la France à la banque Crédit Lyonnais). Demême, les aides d’État octroyées à desbanques en difficulté avant octobre 2008ont été autorisées par la Commission surle fondement des lignes directrices rela-tives aux aides au sauvetage et non passur le fondement de l’article 87, para-graphe 3, b) du Traité CE (Northern Rock, IKB,Sachsen LB, Bradford & Bingley, Roskilde Bank).Peu après la faillite de Lehman Brothers,la Commission a considéré, ainsi qu’ilressort de la première Communicationde la Commission relative aux aidesd’État aux institutions financières dansle contexte de la crise, en date du 13 oc-tobre 2008, que les aides d’État aux ins-titutions financières pouvaient être au-torisées sur la base de l’article 87,paragraphe 3, b) du Traité CE, « eu égardau degré de gravité atteint par la crise quitouche aujourd’hui les marchés financierset à l’incidence possible de celle-ci surl’économie globale des États membres »(Communication Comm. CE, JOUE 25 oct. 2008, n° C 270,Application des règles en matière d’aides d’État aux mesuresprises en rapport avec les institutions financières dans lecontexte de la crise financière mondiale).Alors que la Commission avait d’abordestimé, dans cette Communication, quele recours à l’article 87, paragraphe 3, b)ne pouvait pas être envisagé, par prin-cipe, dans des situations de crise touchant

des secteurs autres que le secteur finan-cier (pour lesquels il n’existe pas de risque de répercus-sions sur l’économie globale), la Commission a fi-nalement décidé, dans une autreCommunication, en date du 17 décembre2008, relative au cadre communautairetemporaire pour les aides d’État destinéesà favoriser l’accès au financement dansle contexte de la crise économique et fi-nancière, que, eu égard à la gravité de lacrise financière, certaines catégoriesd’aides aux autres secteurs de l’écono-mie pouvaient être autorisées sur la basede l’article 87, paragraphe 3, b) (Communi-cation Comm. CE, JOUE 7 avr. 2009, n° C 83, Cadre commu-nautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favori-ser l’accès au financement dans le contexte de la criseéconomique et financière actuelle).L’invocation de cette disposition a per-mis à la Commission d’éviter l’applica-tion des conditions strictes d’autorisa-tion des aides au sauvetage. Selon leslignes directrices communautaires concer-nant les aides d’État au sauvetage et àla restructuration d’entreprises en diffi-culté (JOUE 1er oct. 2004, n° C 244), les aides ausauvetage ne peuvent être octroyées qu’àdes entreprises en difficulté (elles sont défi-nies par les lignes directrices comme les entreprises qui sontincapables, avec leurs ressources propres ou avec les fondsque sont prêts à leur apporter leurs propriétaires/actionnairesou créanciers, d’enrayer les pertes, qui les conduiraient, enl’absence d’une intervention extérieure des pouvoirs publics,vers une mort économique quasi certaine à court ou moyenterme). Par ailleurs, des mesures structu-relles ne peuvent en principe être auto-risées au titre des aides au sauvetage,dans la mesure où le régime des aidesaux sauvetages est réservé aux aides àcaractère temporaire et réversible. Desmesures structurelles ne peuvent être au-torisées qu’au titre des aides à la restruc-turation, lesquelles sont subordonnéesà la mise en œuvre d’un plan de restruc-turation préalablement homologué parla Commission européenne.Les Communications successives prisespar la Commission pour adapter le droitdes aides d’État aux différentes étapesde la crise, se décomposent de la ma-nière suivante :– la première Communication relativeaux aides d’État aux institutions finan-cières dans le contexte de la crise, en datedu 13 octobre 2008, fournit des indica-tions sur les critères de compatibilité desdifférentes mesures d’aide prises par lesÉtats en faveur des institutions finan-cières et développe tout particulièrementles conditions d’autorisation des régimesde garantie de dettes : ainsi, les régimesde garanties doivent bénéficier à toutesles institutions de l’État concerné, y com-pris les filiales d’entreprises établies dansun autre État ; les garanties ne doivent

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Des mesures structurellesne peuvent en principeêtre autorisées au titredes aides au sauvetage,dans la mesure où lerégime des aides auxsauvetages est réservéaux aides à caractère

temporaire et réversible.

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couvrir que les dettes dont la couvertureest nécessaire pour faire face à la crise(dépôts des particuliers et certains typesde dépôts interbancaires), et doivent êtrelimitées dans le temps au minimum né-cessaire; les bénéficiaires doivent appor-ter « une contribution significative » aucoût de la garantie et, s’il était fait appelà la garantie, au coût de l’interventionde l’État (les frais liés à l’octroi de la garantie doiventse rapprocher d’un niveau pouvant être considéré commeun prix de marché, même si la détermination d’un tel prixest un exercice difficile) ; enfin, les régimes degarantie doivent prévoir des garde-fouspour éviter les retombées négatives surles banques n’en bénéficiant pas (restric-tions comportementales qui peuvent concerner, par exemple,les prix pratiqués ou le développement des activités, limita-tion de la taille du bilan, limitation de la croissance externe).À cet égard, la conciliation entre les ob-jectifs de politique publique et de droitde la concurrence semble parfois diffi-cile ; ainsi, la limitation de la croissancedu bilan risque d’aboutir à limiter le mon-tant de crédit à l’économie réelle, alorsque c’est l’objectif principal des aidesaux institutions financières.– Confrontée à la multiplication des plansde recapitalisation par les États membres,la Commission a précisé les conditionsrelatives à l’autorisation des aides d’Étatsous forme de recapitalisation dans uneCommunication en date du 5 décembre2008 (Communication Comm. CE, JOUE 15 janv. 2009,n° C 010, Recapitalisation des établissements financiers dansle contexte de la crise financière actuelle : limitation de l’aideau minimum nécessaire et garde-fous contre les distorsionsindues de concurrence) : ainsi, quel que soit l’ins-trument financier choisi pour procéder àla recapitalisation, le prix d’émission doitêtre proche des prix du marché pour li-miter les distorsions de concurrence (entenant compte de la situation de chaqueétablissement – profil de risque, niveaude solvabilité, distinction entre les banquesfondamentalement saines et les autres);le niveau de rémunération de la recapi-talisation par la banque doit être raison-nablement élevé pour inciter la banqueà remplacer le capital public par du ca-pital privé dès la fin de la crise; la me-sure d’aide doit prévoir des garde-fous(par exemple, politique restrictive en ma-tière de dividendes, plafonnement de larémunération des dirigeants, obligationde maintenir un ratio de solvabilité élevé);un réexamen des effets de la recapitali-sation doit être effectué six mois après larecapitalisation ;– après l’annonce par les États membresde leur intention de compléter leurs me-sures d’aides existantes en adoptant desplans de sauvetage des actifs bancairesdépréciés, la Commission a, dans unenouvelle Communication en date du

25 février 2009 (Communication Comm. CE, 25 févr.2009, JOUE 26 mars 2009, n° C 072, concernant le traite-ment des actifs dépréciés dans le secteur bancaire de la Com-munauté), indiqué aux États membres lesconditions d’autorisation d’aides sousforme de garanties ou de rachats desactifs dits « toxiques » : les banques doi-vent évaluer ex ante la valeur écono-mique réelle des actifs (experts indépen-dants, certification par les autorités desupervision bancaire); la valorisation desactifs doit être validée par la Commis-sion sur la base de critères d’apprécia-tion uniformes; les coûts liés aux actifsdépréciés doivent être partagés entre lesactionnaires, les créanciers et l’État ; lamesure doit prévoir une rémunérationadéquate de l’État; la banque doit prendre

en charge les pertes découlant de l’éva-luation des actifs sur la base de leur va-leur économique réelle ;– par ailleurs, lorsque les effets de lacrise financière sur l’économie réelle sesont fait sentir, la Commission a adoptéun cadre temporaire, en date du 17 dé-cembre 2008, dotant les États membresde possibilités supplémentaires à titretemporaire, afin d’aider les entreprisesdes autres secteurs que le secteur ban-caire et financier, et notamment les PME,à faire face à la crise (Communication Comm. CE,JOUE 7 avr. 2009, n° C 83, Cadre communautaire tempo-raire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès aufinancement dans le contexte de la crise économique et fi-nancière actuelle). Il s’agit essentiellementd’une adaptation des instruments exis-tants : aides « de minimis » à hauteurde 500000 euros par entreprise, au lieude 200000 euros, ainsi que le règlement« de minimis » le prévoit, aides sousforme de garantie avec une réduction dela prime annuelle, aides sous forme detaux d’intérêt bonifié dont la formuletient compte des circonstances excep-tionnelles, aides aux investissementsdans la production de « produits verts »,apports de l’État en capital-investisse-ment dans les PME dont le montant estlimité à 2,5 millions d’euros par PME etpar période de 12 mois (au lieu de 1,5 millionainsi que les lignes directrices relatives au capital-investis-sement le prévoient) ;

– enfin, alors que de nombreuses aidesaux institutions financières ont été auto-risées de manière temporaire sous réservede l’homologation par la Commission d’unplan de restructuration dans les six moissuivant l’octroi de l’aide, la Commissionvient d’adopter une nouvelle Communi-cation dans laquelle elle présente les cri-tères de son appréciation des aides à la re-structuration des banques dans le contextede la crise (Communication Comm. CE, 23 juill. 2009,non encore publiée au JOUE, concernant le retour à la viabi-lité et l’évaluation des mesures de restructuration dans le sec-teur financier dans le contexte de la crise actuelle au regard dudroit des aides d’État). Il s’agit d’une adaptationau contexte de crise, valable jusqu’à la finde l’année 2010, des conditions habituellesd’octroi des aides à la restructuration (tellesqu’elles résultent des lignes directricescommunautaires concernant les aides d’É-tat au sauvetage et à la restructurationd’entreprises en difficulté, qui seront ànouveau applicables au secteur financieraprès cette date). En premier lieu, les plansde restructuration devront démontrer laviabilité à long terme des banques aidées :à cet égard, la Communication prévoit queles banques devront procéder à des testsde résistance (« stress testing »). Autrementdit, les résultats attendus du plan de re-structuration devront être démontrés tantdans le cas d’un scénario de base que danscelui d’un « stress scenario » et ce, en pre-nant en compte le contexte de crise. Ainsi,les mesures de restructuration (réexamendu modèle commercial, traitement des ac-tifs dépréciés, désengagement des activi-tés déficitaires, absorption par un concur-rent, voire liquidation), pourront être misesen œuvre sur une période de cinq ans aulieu de la période de trois ans habituelle-ment acceptée. En second lieu, les banquesdevront apporter « une contribution sub-stantielle » à la restructuration (ce qui passenotamment par une rémunération appro-priée des soutiens financiers apportés parl’État et peut rendre nécessaire la vented’actifs significatifs). Afin de disposer d’unemarge de manœuvre et de pouvoir cali-brer sa politique de concurrence à l’acuitéde la crise, la Commission n’a toutefoispas fixé ex ante le niveau minimum de lacontribution qui devra être apportée parles banques (alors que les lignes direc-trices relatives aux aides à la restructura-tion prévoient une contribution à hauteurde 50 % des coûts de la restructurationpour les grandes entreprises). En troisièmeet dernier lieu, les banques devront prendredes mesures de nature à limiter les distor-sions de concurrence induites par les aidesoctroyées, dont la nature (cessions d’acti-vité, limitation de la croissance interne)dépendra de deux critères : les caractéris-tiques des aides (montant des aides dans

LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE

Quel que soitl’instrument financierchoisi pour procéderà la recapitalisation,

le prix d’émission doitêtre proche des prix

du marché pour limiterles distorsions

de concurrence.

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l’absolu et par rapport aux actifs pondé-rés en fonction des risques, niveau de lacontribution du bénéficiaire) et les carac-téristiques des marchés (importance de labanque). La mise en œuvre de ces me-sures sera également adaptée au contextede crise : par exemple, la période de ces-sion d’actifs (limitée généralement à18 mois) pourra être prolongée en raisondes difficultés pour trouver un acquéreurjusqu’à 5 ans. Par ailleurs, la Communi-cation prévoit que les banques ne pour-ront pas utiliser les aides pour acquérir denouvelles activités pendant une périodeminimale de trois ans. Elle ne pourrontpas non plus mener de stratégies agres-sives de fixation des prix qui seraient fi-nancées par les aides ou invoquer l’octroid’aides en tant qu’avantage compétitifdans leurs stratégies de marketing. De plus,contrairement à la règle de non récurrence(« one time last time ») qui s’applique ha-bituellement aux aides à la restructura-tion, la Communication prévoit la possi-bilité d’octroyer des aides complémentairespendant la période de restructuration.Il ressort de ces développements que laCommission a fait preuve d’un niveauélevé de pragmatisme et de réactivité, encréant un nouveau corpus de règles ap-plicables uniquement en cas de crise fi-nancière majeure. La Commission a ainsipermis l’adoption, dans l’urgence, de me-sures de sauvetage du secteur bancairequi ont empêché l’effondrement du sys-tème financier européen. Au total, la Com-mission a ainsi adopté, depuis le débutde la crise et dans des délais extrême-ment brefs, une cinquantaine de déci-sions d’autorisations d’aides individuellesou de régimes d’aides, dont le montantmaximum global s’élève à environ3000 milliards d’euros, soit 24 % du PIBde l’UE (tableau de bord de la Commission du 8 avril2009, COM (2009) 164 : il s’agit du montant maximum glo-bal des systèmes de garantie et des autres mesures instau-rées par les États, et non pas de l’élément aide d’État contenudans les mesures en question).Cependant, il ne sera possible de tirer deconclusions définitives sur l’efficacité dece nouveau corpus de règles relativesaux aides d’État octroyées dans uncontexte de crise mondiale qu’à la lu-mière de l’application par la Commis-sion de ces nouveaux critères d’appré-ciation des aides à la restructuration desbanques (par exemple, la Commission a récemment ou-vert plusieurs procédures formelles d’examen, en ce quiconcerne les aides publiques octroyées à Northern Rock,ING, Hypo Real Estate, WestLB et BayernLB) : tant l’im-position de conditions strictes à la vali-dité des aides (cessions d’activité, res-trictions limitant l’agressivité de lapolitique commerciale) que l’absence detels garde-fous pourrait susciter d’impor-

tantes déconvenues et un abondantcontentieux de la part des bénéficiairesou de leurs concurrents.Il est clair en revanche que la gravité in-édite de la crise financière a transforméla Commission en régulateur de facto dusecteur bancaire européen. Si la crise per-dure au-delà de deux ou trois ans, il estprobable que de nombreuses voix s’élè-veront pour exiger que cette mission decontrôle des aides d’État octroyées ausecteur bancaire soit confiée – pour desraisons de cohérence institutionnelle etd’efficacité administrative – à un régu-lateur bancaire européen spécifique auxcompétences éventuellement élargies àd’autres domaines : normes comptables,ratios prudentiels, voire contrôle desconcentrations.

II. – LE BESOIN D’INTRODUIRE UNE PLUS GRANDE« PROPORTIONNALITÉ » DANS LES AMENDES ANTICARTEL

Le niveau des amendes infligées par laCommission européenne est un problèmeancien, qui pourrait avoir des effets dé-vastateurs si la crise venait à perdurer.En effet, à supposer que la Commissioncontinue d’infliger des amendes très éle-vées, il y aurait alors un risque que cer-taines entreprises, déjà fortement affec-tées par la crise économique, seretrouvent confrontées à des difficultésfinancières inextricables si jamais ellesvenaient à être condamnées par la Com-mission à une amende de plusieurs cen-taines de millions d’euros (voire dépas-sant le milliard d’euros).Pour simplifier notre propos, nous noussommes volontairement limités à la ques-tion des amendes pour les infractions ho-rizontales les plus graves (cartels et en-tentes de prix). Il va de soi cependantque les remarques ci-après sont en par-tie transposables, mutatis mutandis, auxamendes en matière d’abus de positiondominante.

A. – Une méthode de calculet des montants d’amende inadaptésau contexte de « crise systémique »

La crise économique et financière ac-tuelle intervient dans un contexte dehausse très importante des amendes in-fligées par les autorités de concurrenceen matière de cartels et d’ententes deprix. Depuis le milieu des années 1990,les amendes imposées par la Commis-sion européenne aux entreprises impli-quées dans ce type de pratiques ont eneffet augmenté de manière quasi expo-nentielle. Ainsi, le montant total desamendes infligées par la Commission en

matière de cartels est passé de 567 mil-lions d’euros pour la période 1990-1994à plus de 8 milliards d’euros pour la pé-riode 2005-2009, soit une multiplicationdes montants par un peu moins de 15,alors qu’en même temps, le nombre d’af-faires n’a été multiplié que par 2,5. Cettetendance de fond a été confirmée récem-ment par l’imposition d’amendes recordpar les autorités de concurrence euro-péennes. En novembre 2008, la Commis-sion a ainsi infligé à des producteurs deverre automobile des amendes d’un mon-tant total record de plus de 1,3 milliardd’euros (dont une amende individuellede 896 millions d’euros à l’entrepriseSaint-Gobain) pour avoir conclu des ac-cords de partage de marchés (CommuniquéComm. CE n° IP/08/1685, 12 nov. 2008). La Commis-sion a confirmé de nouveau sa fermetédans une affaire récente concernant lesentreprises Gaz de France et E.ON AGoù elle a infligé une amende de 553 mil-lions d’euros à chacune des deux entre-prises incriminées (cf. Communiqué Comm. CEn° IP/09/1099, 8 juill. 2009). En France, la ten-dance est similaire, le Conseil de laconcurrence n’ayant pas hésité, justeavant d’être remplacé par la « nouvelle »Autorité de la concurrence, à condam-ner les membres d’un cartel dans le sec-teur de la sidérurgie à des amendes d’unmontant total record de 575,4 millionsd’euros (dont une amende de 301,7 millions d’eurospour le groupe ArcelorMittal, Cons. conc., déc. n° 08-D-32,16 déc. 2008, relative à des pratiques mises en œuvre dansle secteur du négoce des produits sidérurgiques).Cette hausse très significative du niveaudes amendes communautaires en ma-tière d’ententes horizontales s’expliquenotamment par l’adoption en 2006 denouvelles lignes directrices pour le cal-cul des amendes (Lignes directrices pour le calculdes amendes infligées en application de l’article 23, para-graphe 2, sous a), du règlement (CE) n°1/2003, JOUE 1er sept.2006, n° C 210, ci-après, « lignes directrices de 2006 »).Les lignes directrices de 2006 ont, en ef-fet, introduit trois innovations qui ontentraîné une augmentation du niveaumoyen des amendes. Premièrement, lemontant de base de l’amende est désor-mais calculé à partir d’un certain pour-centage de la valeur des ventes des bienset services en relation avec l’infraction,qui est multiplié par le nombre d’annéesd’infraction. Deuxièmement, un méca-nisme de droit d’entrée, correspondantà une valeur située entre 15 et 25 % dela valeur des ventes de l’entreprise enrelation avec l’infraction, est appliqué in-dépendamment de la durée de l’infrac-tion. Troisièmement, les récidivistes peu-vent désormais voir le montant de basede leurs amendes augmenter de 100 %pour chaque infraction aux règles de

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concurrence européennes, antérieure auxpratiques en cause et dûment sanction-née par la Commission ou toute autoriténationale de concurrence.La présence de ces nombreux éléments« forfaitaires » dans la détermination dela sanction pécuniaire explique en par-tie le caractère disproportionné desamendes infligées par la Commissiondans les affaires de cartels. Ce problèmede proportionnalité trouve également sasource dans l’absence de prise en compte,par la Commission, de l’effet concret ducartel sur le niveau des prix. Ni les lignesdirectrices pour le calcul des amendes,ni la jurisprudence du Tribunal de pre-mière instance des Communautés euro-péennes n’obligent en effet la Commis-sion à porter une appréciation sur l’effetconcret des pratiques sanctionnées aumoment de fixer le montant de sesamendes. À cet égard et à titre de com-paraison, il est intéressant d’observerqu’en France, l’Autorité de la concur-rence est tenue de prendre en compte ledommage causé à l’économie par les pra-tiques qu’elle sanctionne et module enconséquence le montant des amendesqu’elle inflige aux entreprises délin-quantes. L’article L. 464-2-I, alinéa 3 duCode de commerce prévoit en effet no-tamment que les sanctions pécuniairessont notamment « proportionnées (…) àl’importance du dommage causé à l’éco-nomie », qui constitue un critère distinctde la gravité des faits reprochés. Certes,de nombreux facteurs – tels que la du-rée et l’ampleur de la pratique, la struc-ture du marché concerné, la nature desproduits en cause ou encore les caracté-ristiques des pratiques incriminées –concourent à la détermination du dom-mage causé à l’économie, mais il ressortégalement de la pratique décisionnellefrançaise que « le point de savoir si [une]pratique a eu des effets, notamment ence qui concerne le niveau des prix (…)est (…) utile pour apprécier le dommageà l’économie et donc le montant de lasanction » (Cons. conc., déc. n° 07-D-15, 9 mai 2007,pt. 440, relative à des pratiques mises en œuvre dans lesmarchés publics relatifs aux lycées d’Île-de-France).En cette période de crise économique ex-trêmement sévère, il paraît essentiel quela Commission accepte une discussionsur la prise en compte de l’effet concretde l’entente dans la détermination de lasanction qu’il convient d’infliger aux en-treprises ayant participé à un cartel ou àune entente de prix. Il est, en effet, sin-gulier qu’un cartel soit condamné de lamême manière, qu’il ait été mis en œuvredans un contexte de crise et dans uncontexte de marché mature ou en fortecroissance. En effet, dans le premier cas,

les profits illicites sont quasi nuls, dansla mesure où la faiblesse de la demanderend généralement impossible l’imposi-tion de prix de monopole ou le relève-ment durable du niveau des prix sur lemarché. À l’inverse, en cas de marchémature ou en forte croissance, il est pro-bable que, pour peu que l’élasticité-prixde la demande soit faible, les membresdu cartel parviendront aisément à aug-menter leurs prix et à se partager unerente de monopole.

B. – Une prise en compteexceptionnelle et aléatoire desdifficultés économiques du secteurou des entreprises concernés

La sévérité affichée par la Commissioneuropéenne vis-à-vis des cartels et en-tentes de prix peut être tempérée danscertains cas par la prise en compte, aumoment de la fixation des amendes, desdifficultés économiques éventuellementrencontrées par l’ensemble du secteuréconomique concerné ou par les seulesentreprises délinquantes. Les modalitésde cette prise en compte par la Commis-sion apparaissent toutefois excessive-ment restrictives, imprécises et arbitraires.

1) La prise en compte de la situation du secteuréconomique concerné

Il ressort de la pratique décisionnelle dela Commission européenne que les dif-ficultés économiques du secteur concernépar l’infraction peuvent être exception-nellement considérées comme une cir-constance atténuante de nature à réduirele montant de base de l’amende encou-rue. Ainsi, dans une décision Extra d’al-liage de 1998, la Commission a notam-ment pris en compte le fait que « lasituation économique du secteur (…) étaitparticulièrement critique » pour accorderdes minorations de 10 à 30 % du mon-tant de base des amendes au titre descirconstances atténuantes (Déc. Comm. CEn° 98/247/CECA, 21 janv. 1998, aff. IV/35.814, Extra d’al-liage, pts. 81 à 84, JOCE 1er avr. 1998, n° L 100). En l’es-pèce, le caractère critique de la situationéconomique du secteur de l’acier inoxy-dable résultait de l’augmentation rapidedu cours du nickel, qui est l’un des élé-ments d’alliage utilisés par les produc-teurs d’acier inoxydable et dont le coûtreprésente une proportion très impor-tante des coûts totaux de production,tandis que le prix de vente de l’acier in-oxydable demeurait très bas.De la même manière, la Commission aretenu, dans une décision Tubes d’aciersans soudure de 1999, le fait que « le sec-teur des tubes d’acier a connu une situa-tion de crise de longue durée » pour ac-

corder une minoration de 10 % des mon-tants de base des amendes au titre descirconstances atténuantes (Déc. Comm. CEn° 2003/382, 8 déc. 1999, aff. IV/35.860, Tubes d’acier sanssoudure, pts. 168 à 169, JOUE 6 juin 2003, n° L 140). Enl’espèce, la Commission a relevé que l’en-semble de l’industrie sidérurgique était,depuis les années 1970, dans une situa-tion de crise, caractérisée par une chutepersistante de la demande et par l’effon-drement des prix, ce qui a rendu inévi-table un processus de restructuration sé-vère. En particulier, la Commission a prisen compte le fait que les capacités deproduction dans le secteur européen destubes en acier avaient été réduites d’en-viron 20 % entre 1980 et 1990, tandisque plus de 20000 emplois avaient étésupprimés entre 1988 et 1991 dans cemême secteur et que cette situation s’étaitencore dégradée après 1991.On peut également noter la réductiondu montant de l’amende de 70 %, quia été accordée dans les circonstancestrès particulières de l’affaire Viandes Bo-vines françaises au moment de la crisedite de la « vache folle » (TPICE, 13 déc. 2006,aff. jtes. T-217/03 et T-245/03, FNCBV e.a. c/Commission(Viande Bovine)). Conformément au para-graphe 5 (b) des lignes directrices de1998 pour le calcul des amendes, la Com-mission avait pris en considération le« contexte économique spécifique » del’affaire pour accorder une réduction de60 % du montant de l’amende, que leTribunal de première instance avait en-suite porté à 70 %. En l’espèce, la spé-cificité du contexte économique repo-sait sur la combinaison des facteurssuivants : (i) la « crise de la vache folle »et les craintes relatives à la maladie deCreutzfeld-Jacob, affectant l’homme,avaient entraîné une perte de confiancedurable des consommateurs et avaientfortement accentué la baisse, constatéedepuis le début des années 1990, de laconsommation et des prix de la viandede bœuf ; (ii) la Commission avait auto-risé les autorités françaises à octroyerdes aides exceptionnelles aux agricul-teurs les plus durement touchés par lacrise.La portée de cette « jurisprudence » –chaque affaire est un cas particulier –demeure toutefois limitée. La Commis-sion considère en effet que les condi-tions économiques sectorielles invoquéespar les entreprises en cause doivent êtreexceptionnellement graves et soudainespour justifier une diminution del’amende et que le simple fait pour uneentreprise de se trouver en difficulté fi-nancière ne saurait à elle seule consti-tuer une circonstance atténuante (cf. Déc.Comm. CE n° 2004/337, 20 déc. 2001, aff. COMP/36.212,

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Papier autocopiant, pts. 431 et 461, JOUE 21 avr. 2004,n° L 115 ; cf., également, Déc. Comm. CE n° 2004/104,27 nov. 2002, aff. COMP/37.978/, Méthylglucamine, pt. 253,JOUE 10 févr. 2004, n° L 38). La Commission sou-ligne à cet égard que la majorité des en-tentes horizontales est la conséquencedirecte ou indirecte de conditions éco-nomiques difficiles. Le Tribunal de pre-mière instance a validé cette approchedans l’affaire des Électrodes de graphiteen observant que « si l’on suivait le rai-sonnement des requérantes [selon lequelles circonstances économiques difficilesdevraient justifier le bénéfice d’une cir-constance atténuante], l’amende devraitrégulièrement être réduite dans la quasi-totalité des cas » (cf. TPICE, 29 avr. 2004, aff. jtes.T-236/01, T-239/01, T-244/01 à T-246/01, T-251/01 et T-252/01,Tokai Carbon Co. Ltd e.a. c/Commission (Électrodes de gra-phites), pt. 345). Or, le Tribunal de premièreinstance a refusé de procéder dans cetteaffaire à une appréciation des circons-tances de fait et a considéré d’une part,que « la Commission n’est pas tenue deconsidérer comme circonstance atté-nuante la mauvaise santé financière dusecteur en cause », et d’autre part, que« ce n’est pas parce que la Commissiona tenu compte, dans de précédentes af-faires, de la situation économique du sec-teur comme circonstance atténuantequ’elle doit nécessairement continuer àobserver cette pratique ».Autrement dit, le Tribunal de premièreinstance a reconnu à la Commission unpouvoir totalement discrétionnaire enmatière de difficultés économiques : se-lon les affaires, la Commission peutprendre en considération ces difficultésau titre des circonstances atténuantes,tout comme elle est libre de ne pas lefaire, et ce, sans avoir à justifier les va-riations de sa pratique décisionnelle. Lareconnaissance à la Commission par lejuge communautaire d’une telle discré-tion paraît contraire aux principes fon-damentaux de non-discrimination, deproportionnalité et d’équité.Espérons que, dans le contexte de crisemondiale actuelle, la Commission renon-cera à user d’une telle discrétion et tien-dra systématiquement compte des diffi-cultés économiques pour réduire lesamendes imposées à des entreprises im-pliquées dans des accords horizontauxillicites. Une telle approche, qui revien-drait à infliger des amendes inférieuresde 30 à 40 % (voire davantage) pour lescartels mis en œuvre en temps de crise,n’inciterait pas les entreprises à partici-per à des accords délictueux, comptetenu du niveau actuel très élevé desamendes « anticartel » en vigueur tantau niveau français qu’au niveau com-munautaire. En effet, des amendes

mêmes réduites de 30 à 40 % demeure-ront extrêmement dissuasives en tempsde crise (ou de sortie de crise), comptetenu des pertes que ne manqueront pasd’accumuler de nombreux groupes pen-dant la crise. Une telle approche permet-trait également de mieux prendre encompte l’effet réel des ententes de prixet des cartels, qui est généralement trèsfaible en période de crise sérieuse.

2) La prise en compte des difficultésindividuelles des entreprisesdélinquantes

En dehors de l’hypothèse d’une crisesectorielle, la Commission s’est mon-trée peu encline à prendre en compteles difficultés particulières éventuelle-ment rencontrées par les entreprises dé-linquantes pour réduire le montant de

leurs amendes. Elle estime en effet que« tenir compte du simple fait qu’une en-treprise se trouve dans une situation fi-nancière difficile en raison des condi-tions générales du marché équivaudraità lui conférer un avantage concurren-tiel indu » (cf. Déc. Comm. CE, Papier autocopiant,préc., pt. 461).Cela étant, il existe une jurisprudencedu Tribunal de première instance et dela Cour de justice selon laquelle uneamende ne saurait, en vertu du principede proportionnalité, entraîner le dépôtde bilan d’une entreprise (TPICE, 15 mars 2000,aff. T-25/95, Cimenteries CBR e.a. c/Commission, pt. 4705,Rec. CJCE, II, p. 491). Cette idée a été retrans-crite dans les lignes directrices de 2006,qui prévoient que la Commission peut« dans des circonstances exceptionnelles,(…) tenir compte de l’absence de capa-cité contributive d’une entreprise dansun contexte social et économique parti-culier » (Lignes directrices de 2006, pt. 35). Il esttoutefois précisé qu’« aucune réductiond’amende ne sera accordée à ce titre parla Commission sur la seule constatationd’une situation financière défavorableou déficitaire ».Une analyse de la pratique décisionnellede la Commission en la matière indiqueque l’argument relatif à l’absence de ca-pacité contributive a été pour l’instant le

plus souvent rejeté au motif que n’étaitpas démontrée l’existence d’un « contexteéconomique et social particulier ». Cetteexpression pour le moins vague mérite-rait par conséquent d’être précisée afinque les entreprises, auxquelles incombela charge de la preuve, soient en mesurede développer les arguments appropriés(cf. Déc. Comm. CE n° 2004/420, 3 déc. 2003, aff. C.38.359,Produits à base de carbone et de graphite pour applicationsélectriques et mécaniques, pts. 350 et 357, JOUE 28 avr. 2004,n° L 125; Déc. Comm. CE n° C (2008) 926 final, 11 mars2008, aff. COMP/38.543, Services de déménagements inter-nationaux, pts. 617 à 655).La Commission a toutefois déjà eu l’oc-casion de réduire le montant de certainesamendes en tenant compte du fait queles entreprises concernées non seulementconnaissaient de sérieuses difficultés fi-nancières, mais avaient été en outrecondamnées récemment au paiementd’amendes pour des infractions connexes.En 2002 et 2003, dans les affaires Gra-phites spéciaux et Produits à base de car-bone et de graphite, les amendes infli-gées à la société SGL, déjà condamnéeen 2001 par la Commission à payer uneamende de 80,2 millions d’euros, ontainsi été réduites de 33 % (Déc. Comm. CEn° 2004/420, 3 déc. 2003, aff. C.38.359, préc., pt. 360). Ilest toutefois intéressant de relever que,dans sa décision de 2003, la Commissiona refusé de réduire l’amende infligée àune autre entreprise, alors que celle-cifaisait également état de difficultés finan-cières. La Commission a en effet consi-déré que les deux situations étaient dif-férentes dans la mesure où l’amende déjàinfligée à cette entreprise pour une in-fraction connexe était, en pourcentagedu chiffre d’affaires mondial, nettementinférieure à l’amende infligée en 2001 àla société SGL.Il ressort de ces développements que laprise en compte par la Commission desdifficultés rencontrées par le secteurconcerné ou par les seules entreprisesdélinquantes, n’intervient que rarementet de manière tout à fait aléatoire. Iln’existe pas en effet, dans la version ac-tuelle des lignes directrices relatives aucalcul des amendes, de règles claires per-mettant aux entreprises faisant état dedifficultés économiques ou financièresde bénéficier systématiquement d’uneréduction d’amende. Cette absence desécurité juridique est particulièrementregrettable dans un contexte de crisemondiale majeure, où les repères des en-treprises sont déjà considérablement bou-leversés.Il semblerait néanmoins qu’une réflexionait été engagée au sein de la Commis-sion afin de faciliter la prise en comptede l’absence de capacité contributive des

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La prise en compte par la Commission

des difficultés rencontréespar le secteur concerné

ou par les seulesentreprises délinquantes,

n’intervient querarement et de manièretout à fait aléatoire.

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entreprises délinquantes (lors de la table rondeorganisée en 2009 par l’OCDE sur la sphère réelle de l’éco-nomie et les défis de la politique de la concurrence en pé-riode de repli de l’activité, la Commission européenne a re-connu la nécessité pour les autorités de concurrence de « fairepreuve de réalisme quant à l’impact sur le marché des amendesou des rectifications de périmètre qu’elles imposent et [de]prendre pleinement en compte la capacité d’une entreprise depayer une amende, en particulier si cela a pour effet d’affai-blir la concurrence »). Si l’on ne peut que se ré-jouir d’une telle initiative, on peut toute-fois souhaiter qu’elle soit élargie afin depermettre notamment à la Commissionde mieux prendre en compte les effetsconcrets des cartels sur le niveau des prixdans le calcul des amendes antitrust.

III. – LA CLARIFICATION DE L’EXCEPTION DITE DE« L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE » EN MATIÈRE DE CONTRÔLEDES CONCENTRATIONS

En raison du nombre peu élevé d’opéra-tions de concentration affectant le com-merce entre États membres depuis le dé-but de la crise, l’activité de la Commissioneuropéenne demeure, en la matière, pourl’instant inférieure à son niveau habi-tuel. Il est toutefois permis de penserque, du point de vue du droit de la concur-rence, les opérations à venir, à défautd’être nombreuses, présenteront un de-gré inédit de complexité. On peut, en ef-fet, aisément imaginer que, compte tenude la crise actuelle, on assistera prochai-nement à des opérations de rapproche-ment à forts niveaux de synergies indus-trielles, qui soulèveront, dans le cas desmarchés oligopolistiques, de délicats pro-blèmes de concurrence.En matière de contrôle des concentra-tions, la Commission a déjà montréqu’elle pouvait adopter, en temps de crisesystémique, une approche pragmatique,comme en témoignent les délais raccour-cis de procédure, la possibilité pour lesentreprises d’obtenir plus facilement desdérogations à l’obligation de suspensionde l’article 7 du règlement n° 139/2004,ainsi que la forte disponibilité et la granderéactivité dont les équipes de la Com-mission ont fait preuve sur de nombreuxdossiers récents (ces mêmes remarquesgénérales valant également pour l’Auto-rité de la concurrence).Au-delà de cette flexibilité dans la miseen œuvre du contrôle, se pose la ques-tion de l’argument de « l’entreprise dé-faillante » ou failing firm defense, que laCommission s’est dite prête à prendre encompte chaque fois que les conditionsen seraient réunies (Kroes N., Dealing with thecurrent financial crisis, Communiqué Comm. CEn° SEECH/08/498, 6 oct. 2008, p. 3 : « (…) the Commission

can and will take into account the evolving market condi-tions and, where applicable, the failing firm defense »).L’« exception » d’entreprise défaillante,qui est apparue aux États-Unis dans lecontexte de la crise économique et finan-cière de 1929, permet d’autoriser uneopération de concentration ayant poten-tiellement des effets anticoncurrentiels,lorsque la création ou le renforcementde la position dominante affectant sen-siblement la concurrence se produiraitde toute façon, du fait de la disparitioninévitable de l’entreprise cible (l’arrêt fon-dateur de la théorie de l’entreprise défaillante a été rendupar la Cour suprême des États-Unis le 6 janvier 1930 dansl’affaire International Shoe v. FTC. La Cour a considéré enl’espèce que l’opération prévue n’était pas contraire à la sec-

tion 7 du Clayton Act, dans la mesure où les graves difficul-tés rencontrées par la société cible étaient irrémédiables etoù la faillite à moyen terme était certaine, même si son ac-tivité à court terme pouvait être sauvée grâce au soutien desbanques). Si le règlement « concentrations »,qu’on le considère dans sa rédactiond’origine (Règl. Comm. n° 4064/89/CEE, 21 déc. 1989)ou dans sa rédaction actuelle (Règl. Cons. CEn° 139/2004, 20 janv. 2004), ne fait pas référenceà cet argument, la Commission euro-péenne a toutefois accepté d’en exami-ner la substance dans un certain nombred’affaires (Déc. Comm. CE n° 94/449, 14 déc. 1993,aff. IV/M.308, Kali und Salz/MdK/Treuhand, JOCE 21 juill.1994, n° L 186; Déc. Comm. CE n° 98/663, 26 juin 1997,aff. IV/M.890, Blokker/Toys ‘R’Us, JOCE 25 nov. 1998,n° L 316 ; Déc. Comm. CE n° 1999/674, 3 févr. 1999,aff. IV/M.1221, Rewe/Meinl, JOCE 23 oct., n° L 274; Déc.Comm. CE n° 97/610, 4 déc. 1996, aff. IV/M.774, Saint-Gobain/Wacker-Chemie/NOM, JOCE 10 sept. 1997, n° L 247;Déc. Comm. CE n° 2002/365, 11 juill. 2001, aff. COMP/M.2314,BASF/Eurodiol/Pantochim, JOCE 17 mai 2002, n° L 132;Déc. Comm. CE, 1er juill. 2002, aff. COMP/M.2810, Deloitte& Touche/Andersen (UK), JOUE 23 août, n° C 200; Déc.Comm. CE, 5 sept. 2002, aff. COMP/M.2816, Ernst & YoungFrance/Andersen France, JOUE 28 sept., n° C 232 ; Déc.Comm. CE n° 2004/311, 2 avr. 2003, aff. COMP/M.2876,Newscorp/Telepiù, JOUE 16 avr. 2004, n° L 110; Déc. Comm.CE, 10 mai 2007, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm, pts. 238à 241 et 689 à 816), dont on présentera ici briè-vement les plus importantes.

A. – L’affaire Kali und Salz

D’un point de vue historique, la décisionKali und Salz rendue le 14 décembre 1993par la Commission européenne, consti-

tue le premier cas d’application en Eu-rope de l’argument de « l’entreprise dé-faillante » (Déc. Comm. CE n° 94/449, 14 déc. 1993,préc.). En l’espèce, l’opération de concen-tration consistait à regrouper les activi-tés « potasse » et « sel gemme » d’une fi-liale du groupe chimique BASF (Kali undSalz AG) et de la société MitteldeutscheKali AG (MdK) dans une entreprise com-mune créée par Kali und Salz et l’action-naire unique de MdK. La réalisation decette opération devait notamment abou-tir à la création d’un monopole de faitsur le marché allemand de la potasseagricole. La Commission a néanmoinsautorisé l’opération en considérant quele renforcement de la position dominantede Kali und Salz AG aurait de toute fa-çon eu lieu, indépendamment de la réa-lisation de l’opération.La Commission a en effet accepté l’ar-gument de « l’entreprise défaillante »avancé par les parties, selon lesquellesla société MdK était vouée à disparaître,indépendamment de la réalisation del’opération, en raison de difficultés éco-nomiques graves et durables. Plus pré-cisément, la Commission a considéré quecet argument pouvait être pris en comptedans le cadre de l’article 2, paragraphe 2,du règlement n° 139/2004, selon lequelune concentration doit être déclarée com-patible avec le droit communautaire enl’absence de lien de causalité entre l’opé-ration elle-même et l’existence d’une en-trave significative à la concurrence dansle marché commun.L’affaire Kali und Salz a été ainsi l’occa-sion pour la Commission de poser lesconditions dans lesquelles une « concen-tration d’assainissement » est susceptibled’être autorisée. En l’espèce, la Commis-sion a considéré qu’« en général, uneconcentration n’est pas la cause de la dé-térioration de la structure concurrentielles’il est certain que : (i) l’entreprise ac-quise disparaîtrait rapidement du mar-ché si elle n’était pas reprise par une autreentreprise »; (ii) « l’entreprise acquérantereprendrait la part du marché de l’entre-prise acquise si celle-ci venait à dispa-raître du marché » ; et (iii) « il n’y a pasd’autre alternative d’achat moins dom-mageable pour la concurrence ».Cette approche, bien que différente decelle adoptée aux États-Unis, a été vali-dée par la Cour de justice, qui avait étésaisie en appel de la décision de la Com-mission (CJCE, 31 mars 1998, aff. jtes. C-68/94 et C-30/95,République française et Société commerciale des potasses etde l’azote (SCPA) et Entreprise minière et chimique (EMC)c/ Commission, Rec. CJCE, I, p. 1375). Le juge com-munautaire a en effet considéré à cetteoccasion que « le fait que les conditionsposées par la Commission pour conclure

LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE

L’« exception »d’entreprise défaillante

permet d’autoriserune opération

de concentrationayant potentiellement

des effetsanticoncurrentiels.

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à l’inexistence d’un lien de causalité entrela concentration et la détérioration de lastructure concurrentielle ne recoupent pasintégralement les conditions retenues dansle cadre de la théorie américaine de la “fai-ling company defense” n’est pas en soiun motif d’invalidité de la décision liti-gieuse ».En particulier, l’utilisation du critère del’absorption des parts de marché, qui nefigure pas dans les lignes directrices amé-ricaines relatives aux opérations deconcentration horizontale (l’article 5 (1) deslignes directrices du Department of Justice et de la FederalTrade Commission relatives aux opérations de concentrationhorizontale dispose que : « A merger is not likely to create orenhance market power or facilitate its exercise if the follo-wing circumstances are met : 1) the allegedly failing firmwould be unable to meet its financial obligations in the nearfuture; 2) it would not be able to reorganize successfully un-der Chapter 11 of the Bankruptcy Act ; 3) it has made unsuc-cessful good-faith efforts to elicit reasonable alternative offersof acquisition of the assets of the failing firm that would bothkeep its tangible and intangible assets in the relevant mar-ket and pose a less severe danger to competition than doesthe proposed merger ; and 4) absent the acquisition, the as-sets of the failing firm would exit the relevant market »),avait été contestée par le gouvernementfrançais. La Cour de justice a toutefoisestimé que ce critère, bien que n’étantpas « suffisant à lui seul pour exclure lecaractère préjudiciable de l’opération deconcentration pour le jeu de la concur-rence, concourt à assurer la neutralité decette opération par rapport à la dégrada-tion de la structure concurrentielle dumarché, ce qui est conforme à la notionde causalité figurant à l’article 2, para-graphe 2, du règlement » (pts. 115-116 de l’ar-rêt). D’un certain point de vue, l’approchede la Cour dans l’affaire Kali und Salzapparaît donc un peu plus large que cellede la Commission, dans la mesure où,au-delà du critère formel mis en placepar cette dernière, le juge communau-taire s’est attaché à la question de savoirsi la dégradation de la structure concur-rentielle du marché serait intervenue dela même manière en l’absence de l’opé-ration de concentration.

B. – L’affaireBASF/Eurodiol/Pantochim

La décision BASF/Eurodiol/Pantochimrendue par la Commission le 11 juillet2001, constitue une étape importantedans le développement de la pratique dé-cisionnelle communautaire relative à l’ar-gument de « l’entreprise défaillante » (Déc.Comm. CE n° 2002/365, 11 juill. 2001, aff. COMP/M.2314,BASF/Eurodiol/Pantochim, JOCE 17 mai 2002, n° L 132).En l’espèce, l’opération envisagée consis-tait en l’acquisition par l’entreprise alle-mande BASF du contrôle à 100 % desentreprises belges Pantochim et Euro-

diol. La réalisation de cette opération de-vait notamment aboutir à la créationd’une position dominante à l’échelle eu-ropéenne sur plusieurs marchés de pro-duits chimiques. Dans ce contexte, l’en-treprise BASF a invoqué l’argument de« l’entreprise défaillante » en soutenantque les entreprises Eurodiol et Pantochimauraient disparu du marché si elle ne lesavait pas rachetées.Après avoir rappelé sa propre décisiondans l’affaire Kali und Salz, ainsi quel’arrêt rendu par la Cour de justice danscette même affaire, la Commission a toutd’abord redéfini les conditions dans les-quelles une « concentration d’assainis-sement » peut avoir lieu. Ainsi, les troisconditions posées dans l’affaire BASF/Eu-rodiol/Pantochim sont les suivantes : (i)« l’entreprise acquise disparaîtrait rapi-dement du marché si elle n’était pas re-prise par une autre entreprise » ; (ii) « iln’y a pas d’autre alternative d’achatmoins dommageable pour la concur-rence » ; et (iii) « les actifs à racheter dis-paraîtraient inévitablement du marchés’ils n’étaient pas repris par une autreentreprise ».Le critère relatif à la disparition des ac-tifs constitue l’innovation essentielle ap-portée par la Commission dans cette af-faire. Contrairement à ce qu’elle avaitestimé dans sa décision Kali und Salz,la Commission a considéré en l’espècequ’il n’était pas pertinent de prouver quel’entreprise acquérante reprendrait toutesles parts de marché de l’entreprise ciblesi celle-ci venait à disparaître du marché.En l’espèce, une application stricte ducritère de l’absorption des parts de mar-ché aurait en effet conduit la Commis-sion à rejeter l’argument de « l’entreprisedéfaillante » dans la mesure où, en rai-son de la structure oligopolistique dumarché en cause, l’entreprise acquéranten’aurait pas pu récupérer toutes les partsde marché des entreprises cibles.En revanche, la Commission a considéréqu’il était pertinent d’examiner la pro-babilité selon laquelle les actifs et les ca-pacités de production des entreprisescibles disparaîtraient définitivement dumarché en l’absence de concentration.En l’espèce, la Commission a estiméqu’une telle disparition était très pro-bable et qu’elle aurait été à l’origine d’unepénurie de capacité non négligeable pourdes produits déjà offerts sur le marchésous des contraintes de capacité trèsstrictes. Étant donné l’inélasticité de lademande en l’espèce, la Commission aconsidéré que la disparition des actifs etdes capacités de production des entre-prises cibles aurait engendré une haussedes prix considérable.

Par contraste, la Commission a estiméque les conditions du marché seraientplus favorables pour les clients dans l’hy-pothèse où la concentration serait auto-risée. Les usines rachetées devant êtreexploitées presque à pleine capacité pourêtre rentables et profiter pleinement dupotentiel de réduction des prix offert parla technologie, la Commission a consi-déré que BASF chercherait à diminuerles coûts après la concentration en dé-veloppant l’effort de vente de certainsproduits. Dans ces conditions, le clientpouvait attendre, selon la Commission,de meilleures conditions d’approvision-nement et des prix plus favorables surle marché après la concentration quedans un scénario de faillite. Sur la basede ces considérations, la Commission aautorisé l’opération envisagée.La position adoptée par la Commissiondans l’affaire BASF/Eurodiol/Pantochima été « codifiée » dans les lignes direc-trices de 2004 sur l’appréciation desconcentrations horizontales. Dans lestrois derniers paragraphes consacrés àl’argument de « l’entreprise défaillante »,la Commission rappelle ainsi les condi-tions « particulièrement pertinentes » pourque l’argument de « l’entreprise dé-faillante » soit retenu : « En premier lieu,l’entreprise prétendument défaillante se-rait, dans un proche avenir, contraintede quitter le marché en raison de ses dif-ficultés financières si elle n’était pas re-prise par une autre entreprise. Deuxiè-mement, il n’existe pas d’autre alternativede rachat moins dommageable pour laconcurrence que la concentration noti-fiée. Troisièmement, si la concentrationn’était pas réalisée, les actifs de l’entre-prise défaillante disparaîtraient inévita-blement du marché » (Lignes directrices sur l’ap-préciation des concentrations horizontales au regard durèglement du Conseil relatif au contrôle des concentrationsentre entreprises, JOUE 5 févr. 2004, n° C 031, §§ 89 à 91).

C. – La notion de « concentrationd’assainissement » dans le contexte actuel : un besoinurgent de clarification

Le rappel des deux principales décisionsde la Commission dans lesquelles l’ar-gument de « l’entreprise défaillante » aété invoquée avec succès, a permis demontrer l’importante évolution de la pra-tique décisionnelle en la matière. Il res-sort notamment de ces développementsque les conditions dans lesquelles l’ar-gument de « l’entreprise défaillante » peutêtre accepté par la Commission ont d’oreset déjà été largement assouplies. Ainsi,le critère de « l’absorption des parts demarché », appliqué dans l’affaire Kali undSalz, a été remplacé à l’occasion de l’af-

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faire BASF/Eurodiol/Pantochim par celuide « la disparition inévitable des actifs àracheter ».Si l’on en croit la version en vigueur deslignes directrices sur l’appréciation desconcentrations horizontales, ce critèreest toujours d’actualité. Or, la décisionrendue par la Commission le 10 mai 2007dans l’affaire JCI/VB/Fiamm semble in-diquer que la disparition inéluctable detous les actifs de l’entreprise défaillantene serait plus un critère décisif dans l’ap-préciation de l’argument de l’entreprisedéfaillante (Déc. Comm. CE, 10 mai 2007,aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm). En l’espèce,l’opération envisagée consistait en l’ac-quisition par l’entreprise allemande VBAutobatterie, qui est active sur le mar-ché des batteries automobiles de démar-rage, des activités du groupe italienFiamm sur le même marché (brancheFiamm SBB). La réalisation de l’opéra-tion, telle qu’initialement notifiée, auraiteu pour effet de conférer à VB Autobat-terie une position dominante (entre 45et 75 % de parts de marché) sur les mar-chés de première monte et de secondemonte en Italie, en Autriche, en Répu-blique Tchèque et en Slovaquie, du faitde la forte position de marché occupéepar le groupe Fiamm dans ces pays. Dansce contexte, les parties ont invoqué l’ar-gument de « l’entreprise défaillante ». Eneffet, le groupe Fiamm connaissait aumoment de la notification de l’opérationde graves difficultés, en raison des lourdespertes enregistrées par sa branche FiammSBB, qui représentait alors entre 40 et50 % des ventes du groupe. Si la Com-mission a estimé en l’espèce que les deuxpremiers critères posés dans sa décisionBASF/Eurodiol/Pantochim étaient rem-plis, elle a en revanche considéré que letroisième critère faisait défaut, dans lamesure où il était probable, selon elle,que certains actifs de la branche FiammSBB soient rachetés par des concurrentsen cas de liquidation de cette dernière.Au lieu de s’en tenir à ce constat et derejeter l’argument de « l’entreprise dé-faillante » dans la mesure où ce troisièmecritère faisait défaut, la Commission s’estlivrée à une comparaison détaillée entreles scénarios « concentration » et « liqui-dation de la branche défaillante », afinde déterminer dans quel cas l’effet surla concurrence serait le plus domma-geable. Au final, la Commission a rejetél’argument de « l’entreprise défaillante »en considérant que les effets anticoncur-rentiels engendrés par la liquidation deFiamm SBB (pour l’essentiel, une dimi-nution de l’offre à court terme) seraientmoins néfastes que les effets induits parl’opération de concentration (pour l’es-

sentiel, une hausse du niveau des prixet une altération à long terme de la struc-ture concurrentielle).La Commission semble ainsi désormaisprivilégier la réalisation d’un « test de neu-tralité concurrentielle », consistant à en-visager des scénarios alternatifs, afin dedéterminer si la dégradation de la concur-rence qui résulterait de la réalisation del’opération serait plus ou moins forte qu’encas de faillite de l’entreprise cible. En toutétat de cause, force est de constater qu’au-jourd’hui, il existe un doute sur les condi-tions précises à remplir pour invoqueravec succès devant la Commission l’ar-gument de « l’entreprise défaillante ». Etce d’autant plus qu’on peut aisément ima-giner qu’une opération puisse respecterle critère de « la disparition inévitable desactifs à racheter », tout en ne passant pasle « test de neutralité concurrentielle ». Or,nul ne sait s’il existe une hiérarchie entreces deux critères.Ce n’est pas la seule incertitude juridique.On doit ajouter qu’un doute existe éga-lement, en ce qui concerne l’argumentde la « branche défaillante ». Cet argu-ment, qui ne figure pas dans les lignesdirectrices de la Commission sur l’appré-ciation des concentrations horizontales,est expressément prévu par l’article 5 (2)des lignes directrices du Department ofJustice et de la Federal Trade Commissionrelatives aux opérations de concentra-tion horizontales (après l’article 5 (1), qui concernela « failing firm defense », l’article 5 (2) des lignes directricesdu Department of Justice et de la Federal Trade Commissionrelatives aux opérations de concentration horizontale évoquela « division firme defence » en ces termes : « A similar ar-gument can be made for “failing” divisions as for failing firms.First, upon applying appropriate cost allocation rules, the di-vision must have a negative cash flow on an operating ba-sis. Second, absent the acquisition, it must be that the assetsof the division would exit the relevant market in the near fu-ture if not sold. Due to the ability of the parent firm to allo-cate costs, revenues, and intracompany transactions amongitself and its subsidiaries and divisions, the Agency will re-quire evidence, not based solely on management plans thatcould be prepared solely for the purpose of demonstrating ne-gative cash flow or the prospect of exit from the relevant mar-ket. Third, the owner of the failing division also must havecomplied with the competitively-preferable purchaser requi-rement of Section 5.1 »). Cet argument a déjà étéinvoqué par le passé devant la Commis-sion (cf. Déc. Comm. CE n° 1999/674, 3 févr. 1999,aff. IV/M.1221, Rewe/Meinl, JOCE 23 oct., n° L 274), maisil n’a jamais été retenu à ce jour favora-blement. À cet égard, on peut regretterque la Commission n’ait pas profité del’affaire JCI/VB/Fiamm pour clarifier sapratique décisionnelle en la matière, alorsqu’elle avait laissé entendre qu’une ana-lyse sous l’angle de l’argument de la« branche défaillante » aurait été possibleen l’espèce (pts. 710 et 711 de la décision).

Au-delà de ces incertitudes, les condi-tions fixées par la Commission pour pou-voir bénéficier de l’« exception » de l’en-treprise défaillante apparaissentextrêmement restrictives. À ce jour eneffet, seules deux opérations de concen-tration – il s’agit des opérations envisa-gées dans les affaires Kali und Salz etBASF/Eurodiol/Pantochim – ont été au-torisées sur la base de cet argument (onexclut ici les affaires Deloitte & Touche/An-dersen (UK) et Ernst & Young France/An-dersen, dans lesquelles la Commission asemblé faire application d’une version« tronquée » de la théorie de l’entreprisedéfaillante, sans toutefois y faire réfé-rence de manière explicite). Ceci peutêtre notamment expliqué par le carac-tère très contraignant du critère de « ladisparition inévitable des actifs à rache-ter ». En effet, une application stricte dece critère peut conduire la Commissionà refuser d’autoriser une opération deconcentration, alors même qu’il seraitdémontré qu’en l’absence de rachat del’entreprise défaillante, la majorité (maisnon l’ensemble) des actifs de cette der-nière disparaîtrait du marché. En outre,le test alternatif dit de « neutralité concur-rentielle » est, en pratique, excessivementlourd et coûteux à réaliser, dans la me-sure où il requiert la réalisation d’étudeséconométriques extrêmement sophisti-quées : il s’agit, en effet, de simuler leniveau des prix dans les deux hypothèsesconsidérées (rachat ou faillite), ce quiimplique de construire un modèle mi-croéconomique et de rassembler des don-nées très importantes pour faire « tour-ner » ce modèle dans les deux scénariiconsidérés. Ainsi, en dépit de son inté-rêt théorique et de sa « consécration »dans les lignes directrices sur l’apprécia-tion des concentrations horizontales, l’ar-gument de « l’entreprise défaillante » pré-sente aujourd’hui une utilité pratiquefortement réduite.Or, compte tenu de la situation écono-mique actuelle, un grand nombre d’en-treprises en difficulté pourraient être ten-tées de recourir à ce type d’argument. Ilnous semble par conséquent nécessairequ’un débat soit ouvert sur la possibilitéde clarifier et d’assouplir les conditionsdans lesquelles l’argument de « l’entre-prise défaillante » peut être aujourd’huisoutenu.À cet égard, le critère de « la disparitioninéluctable de tous les actifs de l’entre-prise défaillante » nous semble pouvoirêtre remplacé par celui de « risquesérieux de disparition des actifs de l’en-treprise défaillante sur le marché problé-matique ». De même, le test de « neutra-lité concurrentielle » pourrait également

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être assoupli. Cet assouplissement pour-rait consister en l’établissement d’uneprésomption simple de neutralité chaquefois que serait démontré un risque sé-rieux de disparition des actifs de l’entre-prise défaillante sur le marché problé-matique : en effet, d’un point de vuemicroéconomique, on peut généralementestimer que la disparition d’un acteur ouson rachat ont généralement un effet si-milaire sur le niveau des prix. Cette pré-somption pourrait être renversée par laCommission, chaque fois qu’elle seraiten mesure de démontrer que l’opérationenvisagée présente plus de risques entermes d’impact sur l’offre et le niveaudes prix que le scénario de disparitionde l’entreprise défaillante.Espérons que ces réflexions préliminairesouvriront un débat sur une notion es-sentielle, qui risque de jouer un rôle im-portant dans de nombreux dossiers deconcentrations à venir.

IV. – LA NÉCESSITÉ D’UN DÉBAT SUR LES ACCORDS MULTILATÉRAUXDE RÉDUCTION DE CAPACITÉS

À la suite des grandes crises des années1970, la Commission a envisagé l’idée« d’accepter, pour lutter contre les pro-blèmes structurels d’un secteur, des ac-cords restrictifs de concurrence qui concer-nent ce secteur dans son ensemble, àcondition qu’ils ne prévoient qu’une ré-duction coordonnée des surcapacités etqu’ils ne limitent pas autrement la libertéde décision individuelle » (XIIe rapport sur la po-litique de la concurrence, publié en relation avec le XVIe Rap-port général sur l’activité des Communautés européennes,1982, Office des publications officielles des Communautéseuropéennes, Luxembourg, 1983, § 39). Ainsi, des ac-cords conclus entre l’ensemble ou la ma-jorité des entreprises d’un même secteuret portant sur une réduction coordonnéedes capacités en réponse à une crise sec-torielle, ont pu être exceptionnellementexemptés d’interdiction en application del’article 81, paragraphe 3, du Traité CE.Étant donné la situation économique ac-tuelle, on pourrait penser que la possi-bilité de conclure de tels accords, quisont parfois présentés sous le terme trom-peur de « cartels de crise », retrouve unsecond souffle. Or, cela ne serait pas d’ac-tualité si l’on en croit la Commission eu-ropéenne, qui aurait fait clairement com-prendre, de manière informelle, que cetype d’argument n’avait aujourd’hui au-cune chance de prospérer (le Directeur géné-ral de la DG Concurrence, Philip Lowe, a confirmé cette hos-tilité de principe à l’occasion d’une intervention lors de latable ronde organisée en 2009 par l’OCDE sur la sphère réellede l’économie et les défis de la politique de la concurrenceen période de repli de l’activité : « S’agissant des ententes,

plus les producteurs ont de latitude pour coordonner leur pro-duction ou leurs prix, plus il est probable que les mesuresprises pour répondre à la crise en réduisant les capacités s’ac-compagneront d’une collusion nuisant à la concurrence, auxconsommateurs et aux contribuables. Il faut donc que les me-sures destinées à régler les problèmes systémiques d’un sec-teur ne soient pas décidées uniquement par ceux auxquelselles s’appliqueront »). La tendance dominanteau sein de la DG Concurrence consiste-rait en effet à penser que les problèmesde surcapacités sont inhérents à notresystème économique et doivent pouvoirnormalement être résolus par le simplefonctionnement du marché.Il n’en demeure pas moins que la possi-bilité de conclure des accords de réduc-tion concertée de capacités en périodede crise est fondée sur une pratique dé-cisionnelle de la Commission qui n’a été

ni confirmée, ni officiellement remise encause depuis le milieu des années 1990.Avec la suppression de la procédure d’au-torisation préalable par le règlement deprocédure n° 1/2003, les entreprises nebénéficient plus de la sécurité juridiquequi résultait de la validation de leurs ac-cords par une décision officielle de laCommission ou, à défaut, par une lettrede confort. Il incombe donc désormaisaux entreprises et à leurs conseils de dé-terminer si une entente horizontale rem-plit ou non les conditions d’exemptionde l’article 81, paragraphe 3, du TraitéCE. Or, la pratique décisionnelle relativeaux accords de réduction de capacitésen période de crise est ancienne et cettequestion n’est pas abordée dans la ver-sion actuelle des lignes directrices rela-tives aux accords de coopération hori-zontale (Communication Comm. CE, JOUE 6 janv. 2001,n° C 003, Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81du Traité CE aux accords de coopération horizontale).Dans ces conditions, il apparaît donc ur-gent que la Commission clarifie et, le caséchéant, actualise sa position concernantces accords. Si la Commission a décidéd’abandonner définitivement cette juris-prudence, il est souhaitable qu’elle ledise clairement et qu’elle donne ses rai-sons. Si, au contraire, il est toujours pos-sible aujourd’hui de conclure des accords

multilatéraux de réduction de capacités,la Commission serait bien avisée d’ac-tualiser sa position en adaptant les condi-tions d’exemption de ces accords à lacrise économique et financière que noustraversons actuellement. À cet égard, ilserait utile que certaines entreprises in-voquent dès à présent les deux précé-dents communautaires en la matière afind’encourager la Commission à prendrerapidement position sur cette question.

A. – L’affaire des Fibressynthétiques

En 1984, dans l’affaire des Fibres synthé-tiques, la Commission a exempté un ac-cord conclu pour une période de troisans par les principaux producteurs eu-ropéens de fibres synthétiques, qui vi-sait à réduire leurs capacités à l’écheloneuropéen (Déc. Comm. n° 84/380/CEE, 4 juill. 1984,aff. IV/30.810, Fibres synthétiques, JOCE 2 août, n° L 207).En l’espèce, l’existence de surcapacitésimportantes provenait essentiellementde la combinaison entre un développe-ment rapide de la technologie et une stag-nation de la demande. L’objectif fixé parles signataires de l’accord était de fairepasser le taux d’utilisation des capacitésde 70 à 85 %. Si la Commission a consi-déré que cet accord constituait une en-tente prohibée par l’article 81, para-graphe 1, du Traité CE, elle a néanmoinsestimé qu’il pouvait faire l’objet d’uneexemption au titre du paragraphe 3 dece même article.Dans un premier temps, la Commissiona considéré que cet accord pouvait contri-buer à améliorer la production et à pro-mouvoir le progrès technique et écono-mique dans la mesure où : (i) il permettaitaux entreprises de se libérer des chargesfinancières dues au maintien des capaci-tés excédentaires inutilisées tout en per-mettant d’augmenter les taux d’utilisa-tion des capacités maintenues ; (ii) ilrenforçait les structures les plus fortes enincitant les entreprises à fermer les capa-cités les moins rentables et les moins per-formantes; (iii) le recentrage des entre-prises signataires sur la production decertains produits entraînait des effets despécialisation permettant d’optimaliserles dimensions des unités de productionet d’offrir des produits plus perfection-nés et de meilleure qualité; et où (iv) lacoordination des fermetures permettaitde faciliter le reclassement du personnel.Dans un deuxième temps, la Commis-sion a estimé que l’accord réservait auxconsommateurs une partie équitable duprofit qui en résultait. En particulier, ellea considéré qu’à long terme, les consom-mateurs bénéficieraient de l’assainisse-ment du secteur, d’une offre compétitive

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Il incombe désormaisaux entreprises

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et de produits de meilleure qualité grâceà la spécialisation, tandis qu’à courtterme, ils continueraient de bénéficier dela concurrence qui subsisterait entre lesparticipants.Dans un troisième temps, la Commis-sion a estimé que les restrictions impo-sées aux signataires de l’accord étaientlimitées aux mesures indispensables pouratteindre les objectifs prévus. À cet égard,elle a notamment observé que : (i) l’en-tente ne portait que sur la réduction descapacités excédentaires et était limitéedans le temps; (ii) l’accord ne restrei-gnait pas la liberté des parties concer-nant la production et les livraisons, lesclauses qui auraient pu porter atteinte àcette liberté ayant été éliminées; et (iii)la stipulation d’amendes contractuellesétait indispensable pour obliger les si-gnataires à respecter strictement le ca-lendrier des fermetures prévues.Enfin, la Commission a constaté que l’ac-cord ne donnait pas aux parties la pos-sibilité d’éliminer la concurrence pourune partie substantielle des produits encause, après avoir relevé que : (i) d’autresopérateurs présents sur le marché faisaitune concurrence vive aux signataires del’accord; (ii) les produits faisant l’objetde l’accord pouvaient entrer en concur-rence avec d’autres produits (fibres na-turelles et cellulosiques) ; (iii) la duréede l’accord obligeait les signataires à te-nir compte dans leur comportement dela disparition prochaine des restrictionsprévues; et (iv) aucune disposition del’accord ne visait à coordonner le com-portement commercial des signataires.

B. – L’affaire des Briqueshollandaises

En 1994, la Commission a exempté unautre « cartel de crise » dans l’affaire desBriques hollandaises (Déc. Comm. CE n° 94/296,29 avr. 1994, aff. IV/34.456, Stichting Baksteen, JOCE 26 mai,n° L 131). En l’espèce, l’accord avait pourobjet de répondre aux difficultés rencon-trées par l’industrie hollandaise desbriques depuis plusieurs années. En ef-fet, la mise en place de nouveaux pro-cédés technologiques et la constructionde plus grandes installations, associéesà une baisse de la consommation de20 %, avaient entraîné entre 1989 et 1991une diminution de 10 % du taux d’utili-sation des capacités. Ainsi, le stock debriques aux Pays-Bas représentait à la finde 1991 environ 32 % de la vente totalede briques par les entreprises néerlan-daises, soit un pourcentage largementsupérieur à ce qui était alors considérécomme supportable au regard des chargesfinancières générées par le maintien deces capacités inutilisées. En outre, le prix

des briques avait baissé de 30 % en dixans et les entreprises impliquées connais-saient des pertes d’exploitation sans pou-voir espérer une amélioration durable dela situation à court terme.Afin de permettre une réduction des ca-pacités de production des briques auxPays-Bas, un accord de restructurationet d’assainissement a été conclu en 1992pour une durée de cinq ans par seizeproducteurs néerlandais. L’accord repo-sait notamment sur l’engagement dequatre producteurs à fermer définitive-ment sept usines et à ne pas vendre leséquipements de production de ces usinesà des producteurs localisés dans un rayongéographique de 500 kilomètres à partirde la frontière néerlandaise. L’accord pré-voyait également la création d’un fondsde compensation, géré par l’associationStichting Baksteen. Ce fonds devait êtrealimenté par l’ensemble des entreprisessignataires et était destiné à couvrir lescoûts de fermeture des usines. Enfin, l’ac-cord stipulait une interdiction pour toutesles parties signataires de créer de nou-velles capacités de production pendantune période de cinq ans.Bien que le marché des briques soit consi-déré comme étant structurellement ré-gional, la Commission a estimé que cetaccord était susceptible d’affecter le com-merce entre États membres. Elle a tou-tefois considéré que les conditionsd’exemption posées par l’article 81, pa-ragraphe 3, du Traité CE, étaient en l’es-pèce réunies.S’agissant de la condition relative à l’amé-lioration de la production et à la promo-tion du progrès technique et économique,la Commission a retenu les éléments sui-vants : (i) les entreprises s’étant enga-gées à fermer des capacités ne l’auraientpas fait si elles n’avaient pas eu la certi-tude de ne pas être les seules à le faire,si elles n’avaient pas reçu de soutien fi-nancier et si elles n’avaient pas eu la cer-titude qu’aucune capacité nouvelle neserait construite pendant une durée decinq ans; (ii) la réduction des capacitéspermettait d’éliminer le coût du main-tien des capacités excédentaires, sanspour autant entraîner une baisse de laproduction; et (iii) en raison de la fer-meture des usines les plus inadaptées etles moins performantes, la productiondevait être désormais concentrée dansles usines les plus modernes, ce qui de-vait leur permettre de fonctionner à unniveau de capacité et de productivité plusélevé et de diminuer d’autant l’incidencedes coûts fixes.En ce qui concerne la condition relativeau bénéfice tiré de l’accord par lesconsommateurs, la Commission a consi-

déré qu’à long terme, ceux-ci bénéficie-raient de l’assainissement du secteur etd’une offre compétitive, tandis qu’à courtterme, ils continueraient de bénéficier dela concurrence qui subsisterait entre lesparticipants. Si la Commission a admisqu’il existait un risque d’augmentationdes prix à court terme, elle a toutefoisestimé que ce risque était compensé parla baisse envisagée des coûts de stoc-kage, qui permettait d’escompter une in-cidence favorable sur les prix de vente,ainsi que par la possibilité pour lesconsommateurs de faire appel à d’autressources d’approvisionnement en cas deprix inéquitables pratiqués par les entre-prises signataires de l’accord.La condition relative au caractère in-dispensable et proportionné des restric-tions de concurrence au regard de l’ob-jectif poursuivi par l’accord étaitégalement remplie selon la Commis-sion, dans la mesure où : (i) il était né-cessaire que l’accord contienne un pro-gramme de fermeture détaillé etcontraignant, qui garantisse le déman-tèlement effectif des sept usines ainsique l’absence de création de toute nou-velle capacité pendant une période decinq ans ; (ii) la liberté des parties ence qui concerne la production, les prix,les conditions de vente, les importa-tions/exportations, les livraisons et lesfusions/acquisitions n’étaient pas res-treintes par l’accord, les dispositionsqui auraient pu porter atteinte à ces li-bertés ayant été éliminées ; (iii) aucunedisposition de l’accord ne visait à co-ordonner le comportement commercialdes entreprises signataires ; (iv) le sys-tème de compensation était indispen-sable car la moitié des entreprisesconcernées ne pouvait pas réduire leurscapacités au risque de cesser toute ac-tivité et il était nécessaire d’encouragerles entreprises plus importantes à fer-mer certaines de leurs usines ; (v) la sti-pulation de pénalités contractuelles,ainsi que l’extension des engagementspris par les quatre producteurs aux éven-tuels non signataires acheteurs des sitesdestinés à être fermés, étaient néces-saires pour assurer la fermeture effec-tive des usines ; et où (vi) l’accord étaitstrictement limité dans le temps.Enfin, la Commission a estimé que l’ac-cord ne donnait pas aux entreprises si-gnataires la possibilité d’éliminer laconcurrence sur une partie substantielledu marché en cause, car : (i) la concur-rence continuait à jouer entre les entre-prises, notamment en matière de prix;(ii) les entreprises ne renonçaient pas àtoute liberté d’action en matière de stra-tégie concurrentielle ; (iii) d’autres pro-

LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE

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ducteurs non signataires ainsi que desimportateurs présents sur le marché as-suraient l’existence d’une concurrenceexterne; (iv) les produits concernés parl’accord entraient en concurrence avecdes matériaux alternatifs de constructionet de finition suffisamment substituables;et car (v) l’accord était strictement limitédans le temps, ce qui incitait les entre-prises à tenir compte, dans leur compor-tement pendant la durée même de l’ac-cord, du fait qu’elles redeviendraient àterme des concurrents à part entière.On voit bien dans ces deux décisions queles accords de réduction de capacités ontété conclus alors que (i) les marchés encause étaient relativement fragmentés et(ii) qu’il existait des surcapacités impor-tantes et durables. Dans ces conditions,les réductions envisagées étaient peu sus-ceptibles d’aboutir à une hausse du ni-veau des prix. À cet égard, il est probableque de nombreuses filières industriellessoient tentées prochainement de conclurede tels accords, plutôt que de laisser fairele marché. Agir de manière concertéeleur permettrait en effet non seulementde partager équitablement les coûts en-gendrés par les réductions de capacités,mais également de parvenir à un ajuste-ment rapide de l’offre aux conditions dumarché. Dans le contexte actuel, il n’estpas certain que le libre jeu du marchésoit en mesure de remédier aussi effica-cement aux problèmes de surcapacitésindustrielles.

CONCLUSION

Face aux défis de la crise systémique, laCommission a pour l’instant concentrétous ses efforts sur l’adaptation de sa po-litique de concurrence en matière d’aidesd’État. Elle a ainsi fait preuve d’un grandpragmatisme dans l’application des règlesexistantes, créant un nouveau corpus derègles applicables uniquement en cas decrise mondiale. S’il est encore trop tôt

pour juger de l’efficacité de cette poli-tique, on peut toutefois déjà s’interrogersur la question de savoir si la transfor-mation de la Commission en régulateurde facto du secteur bancaire européenne devrait pas aboutir à la création d’uneautorité européenne spécifique de régu-lation bancaire, qui aurait pour doublemission de veiller au respect de la régle-mentation prudentielle européenne et decontrôler les aides d’État accordées ausecteur financier.Par ailleurs, ainsi que nous nous sommesefforcés de le démontrer, la crise actuelledevrait favoriser un débat sur le niveauactuel extrêmement élevé des amendesantitrust, en particulier dans le domainedes ententes de prix et des cartels. Il est,en effet, singulier qu’un cartel soitcondamné de la même manière, qu’il aitété mis en œuvre dans un contexte decrise ou dans un contexte de marché ma-ture ou en forte croissance, alors que,dans le premier cas, les profits illicitessont quasi nuls et que, dans le secondcas, ces mêmes profits illicites peuventêtre élevés. Afin d’assurer une plus grandeproportionnalité entre ses amendes et lesinfractions incriminées, la Commissioneuropéenne pourrait utilement s’inspi-rer de la loi française, qui oblige l’Auto-rité de la concurrence à apprécier l’effetsur le consommateur (et donc l’effet surle niveau des prix) de chaque infractionau travers de la notion de « dommage àl’économie ».En matière de contrôle des concentrations,on peut redouter que les autorités de laconcurrence européennes soient confron-tées à de nombreuses affaires impliquantdes entreprises en difficulté, ce qui leurpermettrait de clarifier les conditions dela « failing firm defense » et de la « divi-sion firm defense ». Espérons que cetteclarification ait lieu dans le sens d’unesimplification et d’un assouplissement descritères existants. À cet égard, le critèrede « la disparition inéluctable de tous les

actifs de l’entreprise défaillante » noussemble pouvoir être remplacé par celuide « risque sérieux de disparition des ac-tifs de l’entreprise défaillante sur le mar-ché problématique ». De même, le test de« neutralité concurrentielle » pourrait éga-lement être assoupli. Cet assouplissementpourrait consister en l’établissement d’uneprésomption simple de neutralité chaquefois que serait démontré un risque sérieuxde disparition des actifs de l’entreprise dé-faillante sur le marché problématique : eneffet, d’un point de vue microéconomique,on peut généralement estimer que la dis-parition d’un acteur ou son rachat ont uneffet similaire sur le niveau des prix. Cetteprésomption pourrait être renversée parla Commission, chaque fois qu’elle seraiten mesure de démontrer que l’opérationenvisagée présente plus de risques entermes d’impact sur l’offre et le niveaudes prix que le scénario de disparition del’entreprise défaillante.Enfin, il est urgent que la Commissionclarifie sa position en matière d’accordsmultilatéraux de réduction de capacités.Par le passé, des accords conclus entrel’ensemble ou la majorité des entreprisesd’un même secteur et portant sur uneréduction coordonnée des capacités enréponse à une crise sectorielle, ont faitl’objet d’une exemption individuelle surle fondement de l’article 81, para-graphe 3, du Traité CE. Cela étant, il sem-blerait que la Commission soit désor-mais devenue hostile à ce type d’accord.Si la Commission européenne a décidéd’abandonner définitivement cette ju-risprudence, il est souhaitable qu’elle ledise clairement et qu’elle donne ses rai-sons. Si, au contraire, il est toujours pos-sible aujourd’hui de conclure des ac-cords multilatéraux de réduction decapacités, la Commission serait bien avi-sée d’actualiser sa position, en adaptantles conditions d’exemption de ces ac-cords à la crise économique et financièreque nous traversons actuellement. ◆

PERSPEC

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(…)

II. – LA RÉFORME DES DÉLAISDE PAIEMENTRappel des dispositions de l’article L. 441-6du Code de commerce :« (…)9. Le délai convenu entre les parties pour réglerles sommes dues ne peut dépasser 45 jours fin demois ou 60 jours à compter de la date d’émissionde la facture.

10. Les professionnels d’un secteur, clients et four-nisseurs, peuvent décider conjointement de ré-duire le délai maximum de paiement fixé à l’ali-néa précédent. Ils peuvent également proposer deretenir la date de réception des marchandises oud’exécution de la prestation de services deman-dée comme point de départ de ce délai. Des ac-cords sont conclus à cet effet par leurs organisa-tions professionnelles. Un décret peut étendre lenouveau délai maximum de paiement à tous lesopérateurs du secteur ou, le cas échéant, validerle nouveau mode de computation et l’étendre àces mêmes opérateurs.

11. Nonobstant les dispositions précédentes de l’ali-néa précédent, pour le transport routier de mar-chandises, pour la location de véhicules avec ousans conducteur, pour la commission de transportainsi que pour les activités de transitaire, d’agentmaritime et de fret aérien, de courtier de fret et decommissionnaire en douane, les délais de paiementconvenus ne peuvent en aucun cas dépasser trentejours à compter de la date d’émission de la facture.

12. Les conditions de règlement doivent obligatoi-rement préciser les conditions d’application et letaux d’intérêt des pénalités de retard exigibles lejour suivant la date de règlement figurant sur lafacture dans le cas où les sommes dues sont ré-glées après cette date. Sauf disposition contrairequi ne peut toutefois fixer un taux inférieur à troisfois le taux d’intérêt légal, ce taux est égal au tauxd’intérêt appliqué par la Banque centrale euro-péenne à son opération de refinancement la plusrécente majoré de 10 points de pourcentage. Lespénalités de retard sont exigibles sans qu’un rap-pel soit nécessaire.

(…)

14. Est puni d’une amende de 15 000 euros, le faitde ne pas respecter les délais de paiement men-tionnés aux huitième et onzième alinéas, le fait dene pas indiquer dans les conditions de règlementles mentions figurant à la première phrase du dou-zième alinéa ainsi que le fait de fixer un taux oudes conditions d’exigibilité selon des modalitésnon conformes aux dispositions du même alinéa ».

Dispositions non codifiées relatives auxdélais de paiement (article 21 de la LME) :

« III. – Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que desaccords interprofessionnels dans un secteur déter-miné définissent un délai de paiement maximumsupérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l’ar-ticle L. 441-6 du Code de commerce, sous réserve :1° Que le dépassement du délai légal soit mo-tivé par des raisons économiques objectives et

spécifiques à ce secteur, notamment au regarddes délais de paiement constatés dans le secteuren 2007 ou de la situation particulière de rota-tion des stocks ;2° Que l’accord prévoie la réduction progressivedu délai dérogatoire vers le délai légal et l’appli-cation d’intérêts de retard en cas de non-respectdu délai dérogatoire fixé dans l’accord ;3° Que l’accord soit limité dans sa durée et quecelle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.Ces accords conclus avant le 1er mars 2009 sontreconnus comme satisfaisant à ces conditions pardécret pris après avis du Conseil de la concur-rence. Ce décret peut étendre le délai déroga-toire à tous les opérateurs dont l’activité relèvedes organisations professionnelles signataires del’accord.IV. – Les I et II s’appliquent aux contrats conclusà compter du 1er janvier 2009.V. – Dans le cas des commandes dites “ouvertes”où le donneur d’ordre ne prend aucun engage-ment ferme sur la quantité des produits ou surl’échéancier des prestations ou des livraisons, lesI et II s’appliquent aux appels de commande pos-térieurs au 1er janvier 2009.VI. – Pour les livraisons de marchandises qui fontl’objet d’une importation dans le territoire fiscaldes départements de la Guadeloupe, de la Mar-tinique, de la Guyane et de La Réunion, ainsi quedes collectivités d’outre-mer de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, le délai prévu au neuvième alinéade l’article L. 441-6 du Code de commerce est dé-compté à partir de la date de réception des mar-chandises ».

par Jean-ChristopheGRALLAssocié fondateurdu Cabinet MG AvocatsMeffre & Grall

Loi de modernisation de l’économie– An I –

Dispositions relatives aux relationsindustrie/commerce (2de partie)

Après avoir abordé les modifications du cadre légal de la négociation commerciale impliquées par l’adoptionrécente de la loi de modernisation de l’économie (cf. RLC 2009/19, n° 1383), nous envisagerons à présentla réforme des délais de paiement et la véritable problématique de l’applicabilité des dispositions de la LME

aux ventes internationales de marchandises. Ensuite, Nathalie Daley, consultante et économiste au seindu cabinet Microeconomix, nous livrera son analyse économique des marges arrière.

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1446RLC

Thomas LAMYAssocié du CabinetMG Avocats Meffre& Grall

Nathalia KOUCHNIR-CARGILLAssociée du CabinetMG Avocats Meffre& Grall

et EléonoreCAMILLERIAvocatdu CabinetMG Avocats –Grall et associés

118 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2DE PARTIE)

Quel est le point de départ de lacomputation du délai?

Il s’agit de la date d’émission de la fac-ture dans la généralité des cas.En revanche, le point de départ est ladate de réception des marchandisespour les départements d’outre-mer etles collectivités d’outre-mer de Mayotte,de Saint-Pierre et Miquelon, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.Toutefois, le point de départ peut êtrela date de réception des marchandisesou d’exécution de la prestation de ser-vices si des accords entre les organisa-tions professionnelles concernées leprévoient. Ce choix de point de départne doit néanmoins pas conduire à undélai final supérieur à 60 jours calen-daires ou 45 jours fin de mois à comp-ter de la date d’émission de la facture.

Ce nouveau plafond légal s’applique-t-il à tous produits ou services?

Oui, la loi n’opère pas de distinction.

De qui dépend le choix entre 60 jourscalendaires et 45 jours fin de mois?

C’est un choix qui relève de la libertécontractuelle des opérateurs. Pour lesopérateurs soumis à l’établissementd’une convention unique, celle-ci de-vra mentionner ce choix.

Comment comprendre le mode decomputation des 45 jours fin de mois?

Une pratique consiste à comptabili-ser les 45 jours à compter de la dated’émission de la facture, la limite depaiement intervenant à la fin du moiscivil au cours duquel expirent ces45 jours.Toutefois il est également envisa-geable de comptabiliser les délaisd’une autre façon, consistant à ajou-ter 45 jours à la fin du mois d’émis-sion de la facture.

S’agissant des dérogations à la loi, àquoi la date du 1er mars correspond-elle exactement : la date de conclusionde l’accord, du visa du Conseil de laconcurrence, de la parution du décret?

La date du 1er mars est celle de laconclusion de l’accord.

Les professionnels qui sont en train denégocier un accord dérogatoire pour-ront-ils être sanctionnés au 1er janvier2009?

Les accords conclus avant le 1er jan-vier 2009 ne donneront pas lieu àcontrôle avant la décision d’homolo-guer ou pas. Pour le reste, la loi estd’application le 1er janvier 2009.

Qui va examiner les projets d’accordsau regard des critères définis dans laloi?

C’est l’administration qui va effectuercet examen et si les conditions prévuespar la loi sont remplies, un projet dedécret validant l’accord sera transmisà l’Autorité de la concurrence pour avis.Il examinera le bilan concurrentiel del’accord et ses éventuels effets anticon-currentiels. Enfin, le ministre prendrasa décision.

Un contrat conclu par exemple pour3 ans avant le 1er janvier 2009 échap-pera-t-il au nouveau plafond légal du-rant tout le temps de son exécution?Quid d’un contrat annuel tacitementreconductible?

Pour les relations entre un fournis-seur et un distributeur, la questionne se pose pas dès lors que la conven-tion unique est obligatoirementannuelle.Pour les autres cas, il convient de dis-tinguer entre une clause d’indexationcontenue dans le contrat et qui faitvarier le prix automatiquement et uneclause de révision de prix qui impliqueun nouvel accord de volonté entre lesparties. La première correspond ef-fectivement à un contrat pluriannuel,tandis que la seconde est en réalitéune succession de contrats annuelsmême s’il existe une convention cadre.Enfin, la loi nouvelle s’applique éga-lement aux contrats tacitement renou-velés, ceux-ci étant considérés de ju-risprudence constante comme denouveaux contrats.

Les débiteurs peuvent-ils exiger de leurscréanciers une « compensation » du faitde la réduction des délais de paiement?

Au sens strict, une obligation légaled’ordre public n’a pas à donner méca-niquement lieu à une compensation aupremier euro. La situation des délaisde paiement a toutefois toujours étéprise en compte dans les négociationscommerciales. Elle le sera égalementà l’avenir.

Le dépassement des nouveaux plafondsintroduits par la loi de modernisationde l’économie fait-il l’objet d’une sanc-tion pénale?

Non, le dépassement des nouveauxplafonds fait l’objet d’une sanction ci-vile, prévue à l’article L. 442-6 du Codede commerce.En revanche, l’article L. 441-6 du Codede commerce prévoit encore une sanc-tion pénale pour un certain nombre decas particuliers : le respect du délai sup-plétif (lorsque les parties n’ont pasconvenu d’un délai), le délai relatif ausecteur du transport et les mentionsobligatoires dans les conditions de rè-glement. En effet, les conditions de rè-glement doivent obligatoirement pré-ciser les conditions d’application et letaux d’intérêt des pénalités de retardexigibles le jour suivant la date de rè-glement figurant sur la facture dans lecas où les sommes dues sont régléesaprès cette date.

Quelle utilisation fera-t-on des rapportsdes commissaires aux comptes?

Ils concourront à l’élaboration des pro-grammes d’enquête de la DGCCRF.Le décret d’application sur les rapportsdes commissaires aux comptes estprévu pour la fin de l’année 2008.

Les nouvelles dispositions relatives auxdélais de paiement s’imposent-elles auxcontrats internationaux?

La jurisprudence a reconnu le carac-tère d’ordre public à l’article L. 442-6du Code de commerce qui prévoit lasanction civile du dépassement des dé-lais légaux de paiement. La DGCCRF,qui intervient au nom de l’ordre pu-blic économique, veillera à ce que descréanciers français ne se voient pas im-poser des délais de paiement anorma-lement longs par leurs débiteurs, en

FAQ de la DGCCRF :Le nouveau plafond légal s’applique-t-il à tous les secteurs économiques?

Oui, le nouveau plafond s’applique àtout producteur, commerçant, indus-triel ou artisan, à l’exclusion des nonprofessionnels.Toutefois, certains secteurs demeurentsoumis à des délais spécifiques :30 jours pour le transport de marchan-dises et 20 ou 30 jours selon les pro-duits alimentaires périssables. Lesdélais de 75 jours pour certaines bois-sons alcooliques ont été ramenés à60 jours ou 45 jours fin de mois.

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 119

Avis de la CEPC :Délais de paiement au 1er janvier 2009 :Un contrat conclu par exemple pour3 ans avant le 1er janvier 2009 échap-pera-t-il au nouveau plafond légal du-rant tout le temps de son exécution?Quid d’un contrat annuel tacitement re-conductible?Pour les relations entre un fournisseur etun distributeur, la question ne se posepas dès lors que la convention unique estobligatoirement annuelle. Pour les autrescas, il convient de distinguer entre uneclause d’indexation contenue dans lecontrat et qui fait varier le prix automa-tiquement et une clause de révision deprix qui implique un nouvel accord devolonté entre les parties. La première cor-respond effectivement à un contrat plu-riannuel, tandis que la seconde est enréalité une succession de contrats annuelsmême s’il existe une convention cadre.Enfin, la loi nouvelle s’applique égale-ment aux contrats tacitement renouve-lés, ceux-ci étant considérés de jurispru-dence constante comme de nouveauxcontrats.

Délais de paiement – Compensations :Est-il légal de négocier des compensa-tions à la réduction des délais de paie-ment ? Quel peut-être le taux de cettecompensation?Oui. Si l’obligation légale d’ordre publicn’a pas à donner mécaniquement lieu àune compensation au premier euro, ellene l’interdit pas. La situation des délaisde paiement peut toujours être prise encompte dans les négociations commer-ciales.Le taux de la compensation à une réduc-tion des délais de paiement ne doit pasêtre abusif, il ne peut créer un déséqui-libre significatif entre les droits et obliga-tions des parties.

Délais de paiement – Facturation : Est-il légal de délocaliser à l’étranger soncentre de facturation, ou de facturer parune filiale à l’étranger, pour ne pas êtreobligé de respecter la réduction des dé-lais de paiement?Non, bien sûr, s’il s’agit de détournerou de contourner la loi. Mais, cette ré-ponse mérite des précisions en coursde rédaction.

Délais de paiement – Livraisons : Est-il légal d’imposer des livraisons pour

six mois de stocks quand le client doitpayer à 60 jours?Non si cette contrainte crée un déséqui-libre significatif et/ou un abus de dépen-dance économique.

Délais de paiement – Sanctions : Le dé-passement des nouveaux plafonds in-troduits par la loi de modernisation del’économie fait-il l’objet d’une sanctionpénale?Non, le dépassement des nouveauxplafonds fait l’objet d’une sanction civile,prévue à l’article L. 442-6 du Codede commerce. En revanche, l’articleL. 441-6 du Code de commerce prévoitencore une sanction pénale pour un cer-tain nombre de cas particuliers : le res-pect du délai supplétif (lorsque les par-ties n’ont pas convenu d’un délai), le délairelatif au secteur du transport et les men-tions obligatoires dans les conditions derèglement. En effet, les conditions de rè-glement doivent obligatoirement préciserles conditions d’application et le taux d’in-térêt des pénalités de retard exigibles lejour suivant la date de règlement figurantsur la facture, dans le cas où les sommesdues sont réglées après cette date.

Délais de paiement au 1er janvier 2009 :Est-il légal de ne pas appliquer, dansla filière de la jardinerie, la réductionimposée au 1er janvier 2009 à des com-mandes de pré-saison passées en 2008mais livrables que, par exemple, auprintemps 2009?Oui, dès lors que les commandes por-tent sur des quantités précises de pro-duits déterminées à des prix convenus,elles peuvent être traitées aux conditionsde règlement licites en 2008.

Délais de paiement au 1er janvier 2009 :Est-il légal de ne pas appliquer la ré-duction obligatoire à 60 jours à uncontrat « ferme » signé avant le 31 dé-cembre 2008?Oui, les nouveaux délais de paiement nesont applicables qu’aux contrats conclusà compter du 1er janvier 2009. Toute venteconclue avant cette date (accord sur lachose et sur le prix) peut donc compor-ter des délais plus longs. Plusieurs cassont à distinguer :– « contrat-cadre » conclu avant le 1er jan-vier 2009, sans accord sur la chose et leprix : le contrat n’est pas formé, toutescommandes ou contrats passés après le1er janvier 2009 devront appliquer les dé-lais de paiement de la LME;– « contrat-cadre » conclu avant le 1er jan-vier 2009, avec accord sur la chose etle prix mais sans quantité et/ou unéchéancier : le contrat est formé, toutes

les commandes passées après le 1er jan-vier doivent appliquer les délais de paie-ment de la LME;– « contrat-cadre » conclu avant le 1er jan-vier 2009, avec accord sur la chose etle prix et avec des quantités et/ou unéchéancier : les commandes passéesaprès le 1er janvier n’ont pas l’obliga-tion d’appliquer les délais de paiementde la LME.

Délais de paiement – Calcul : Commentcomprendre le mode de computationdes 45 jours fin de mois?Une pratique consiste à comptabiliser les45 jours à compter de la date d’émissionde la facture, la limite de paiement in-tervenant à la fin du mois civil au coursduquel expirent ces 45 jours. Toutefois,il est également envisageable de comp-tabiliser les délais d’une autre façon,consistant à ajouter 45 jours à la fin dumois d’émission de la facture.

Délais de paiement – Calcul : De quidépend le choix entre 60 jours calen-daires et 45 jours fin de mois?C’est un choix qui relève de la libertécontractuelle des opérateurs. Pour lesopérateurs soumis à l’établissement d’uneconvention unique, celle-ci devra men-tionner ce choix.

Délais de paiement concernés : Ce nou-veau plafond légal s’applique-t-il à tousproduits ou services?Oui, la loi n’opère pas de distinction.

Délais de paiement concernés : Le nou-veau plafond légal s’applique-t-il à tousles secteurs économiques?Oui, le nouveau plafond s’applique à toutproducteur, commerçant, industriel ou ar-tisan, à l’exclusion des non professionnels.Toutefois, certains secteurs demeurent sou-mis à des délais spécifiques : 30 jours pourle transport de marchandises et 20 ou30 jours selon les produits alimentaires pé-rissables. Les délais de 75 jours pour cer-taines boissons alcooliques ont été rame-nés à 60 jours ou 45 jours fin de mois.

Délais de paiement – Contrôles : Quelleutilisation fera-t-on des rapports descommissaires aux comptes?Ils concourront à l’élaboration des pro-grammes d’enquête de la DGCCRF. Ledécret d’application sur les rapports descommissaires aux comptes est prévu pourla fin de l’année 2008.

Délais de paiement – Dérogations : Lesprofessionnels qui sont en train de né-gocier un accord dérogatoire pourront-ils être sanctionnés au 1er janvier 2009?

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particulier ceux qui utiliseraient descentrales de paiement à l’étranger, dansle seul but d’échapper aux dispositionsnationales.

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Les accords conclus avant le 1er janvier2009 ne donneront pas lieu à contrôleavant la décision d’homologuer ou pas.Pour le reste, la loi est d’application le1er janvier 2009.

Délais de paiement – Dérogations :S’agissant des dérogations à la loi, àquoi la date du 1er mars correspond-elle exactement : la date de conclusionde l’accord, du visa du Conseil de laconcurrence, de la parution du décret?La date du 1er mars est celle de la conclu-sion de l’accord.

Délais de paiement – Dérogations : Quiva examiner les projets d’accords auregard des critères définis dans la loi?C’est l’administration qui va effectuer cetexamen et si les conditions prévues parla loi sont remplies, un projet de décretvalidant l’accord sera transmis au Conseilde la concurrence pour avis. Il examinerale bilan concurrentiel de l’accord et seséventuels effets anticoncurrentiels.Enfin, le ministre prendra sa décision.

Délais de paiement – Détournement :Est-il légal de conclure un nouveau sys-tème de vente en consignation pourn’engager le début du délai de paie-ment qu’après la vente effective desproduits?Non s’il s’agit manifestement de « dé-tourner » ou de « contourner » la loi. LaLME ne remet pas en cause le régime ju-ridique du dépôt-vente ou vente en consi-gnation. La vente en consignation n’estpas interdite. Cependant, appliquercontrairement aux habitudes anciennesune telle pratique, dans le but de contour-ner les obligations relatives à la réduc-tion des délais de paiement, devient unepratique abusive.

Délais de paiement – Escomptes : Lesdébiteurs peuvent-ils exiger de leurscréanciers une « compensation » du faitde la réduction des délais de paiement?Au sens strict, une obligation légaled’ordre public n’a pas à donner mécani-quement lieu à une compensation au pre-mier euro. La situation des délais de paie-ment a toutefois toujours été prise encompte dans les négociations commer-ciales. Elle le sera également à l’avenir.

Délais de paiement partenaires étran-gers : Est-il légal d’appliquer la limitedes délais de paiement par un fournis-seur en France à un client étranger?Est-il légal d’appliquer la limite des dé-lais de paiement par un fournisseurétranger à un client en France?Réponses en attente de rédaction.

Délais de paiement – Point de dé-part : Quel est le point de départ dela computation du délai ?Il s’agit de la date d’émission de lafacture dans la généralité des cas. Enrevanche, le point de départ est la datede réception des marchandises pourles départements d’outre-mer et lescollectivités d’outre-mer de Mayotte,de Saint-Pierre et Miquelon, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.Toutefois, le point de départ peut être ladate de réception des marchandises oud’exécution de la prestation de servicessi des accords entre les organisationsprofessionnelles concernées le prévoient.Ce choix de point de départ ne doitnéanmoins pas conduire à un délai fi-nal supérieur à 60 jours calendairesou 45 jours fin de mois à compter dela date d’émission de la facture.

Nos observations :L’article 21 de la LME (article 6 du pro-jet de loi) plafonne à 45 jours fin demois ou 60 jours calendaires dated’émission de facture le délai de paie-ment convenu entre les entreprises, sousréserve bien entendu des délais régle-mentaires qui existent d’ores et déjà au-

jourd’hui sous l’article L. 443-1 du Codede commerce pour les produits ali-mentaires périssables, le bétail surpied et la viande fraiche dérivée, lesboissons alcooliques, le poisson sur-gelé, etc.S’agissant des boissons alcooliques vi-sées sous l’article L. 443-1, quatrièmealinéa, du Code de commerce, l’ar-ticle 22 de la LME modifie le délai depaiement réglementaire existant de75 jours après la date de livraison etle plafonne à 45 jours fin de mois ou60 jours calendaires date d’émissionde facture.

Pour les livraisons de marchandisesqui font l’objet d’une importation surle territoire fiscal des départementset des collectivités d’outre-mer, telsque la Martinique, la Guadeloupe,la Guyane, la Réunion, etc., le délaine commencera à courir qu’à comp-ter de la réception des marchandises,ce qui est logique dès lors qu’en l’ab-sence de telles dispositions les fac-tures pourraient devoir être régléesavant même que les marchandisesvoyageant par bateau ne parviennentà destination !

LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2DE PARTIE)

PPRRIINNCCIIPPEE EEXXCCEEPPTTIIOONN

Délais maxima de règlement :

– 45 jours fin de mois ;ou– 60 jours date d’émission de facture (oudate de réception des marchandises pourles DOM et les collectivités d’outre-mer).

(NB : Le délai supplétif minimal de 30 joursdemeure à défaut de dispositionscontraires dans les CGV)

Les organisations professionnelles d’unsecteur peuvent conclure un accordréduisant ces délais de paiement. Ilspeuvent également proposer de retenir ladate de réception des marchandises oud’exécution de la prestation de servicescomme point de départ de ce délai. Undécret peut étendre ce nouveau délai àtous les opérateurs d’un secteur ou validerle nouveau mode de computation etl’étendre à tous les opérateurs concernés.

30 jours émission de la facture pour letransport routier de marchandises, pour lalocation de véhicules avec ou sansconducteur, pour la commission detransport ainsi que pour les activités detransitaire, d’agent maritime et de fretaérien, de courtier de fret et decommissionnaire en douane.

Des accords interprofessionnels d’unsecteur donné peuvent convenir de délaisde paiement supérieurs si :– raisons économiques objectives ;réduction progressive vers le délai légal etapplication d’intérêts de retard en cas denon-respect de l’objectif ;– durée limitée (l’accord ne doit pasdépasser le 1er janvier 2012).

Accords validés par décret après avis duConseil de la concurrence.

Délais réglementés de l’article L. 443-1 duCode de commerce (produits alimentairespérissables, bétail et viande fraîche,boissons alcooliques).

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S’agissant des délais de paiement appli-cables aux DOM/TOM, la DGCCRF a pufournir les informations suivantes, quisont très précises et fort utiles aux opé-rateurs économiques :« Vous souhaitez d’abord savoir com-ment définir la date de réception desmarchandises visées par l’article 21-VIde la LME dans les DOM-COM.Cette date doit être entendue comme ladate d’enregistrement de la déclarationen douane des marchandises, à l’arri-vée des produits sur le territoire d’unDOM ou d’une COM. Cette déclarationrend exigible les droits de douane etl’octroi de mer.Par ailleurs, l’article L. 441-3 du Codede commerce prévoit que “la facturementionne également la date à laquellele règlement doit intervenir”. Il est aléa-toire de fixer ex-ante une date sur lafacture sans connaître le délai de routeexact des marchandises. Aussi, afin desatisfaire aux exigences de transparencede l’article L. 441-3, et sous réserve del’appréciation souveraine des tribunaux,il peut être admis que le fournisseur nementionne pas la date elle-même, in-connue de lui, mais précise sur la fac-ture les conditions de détermination decette date, dans une formulation qui se-rait : “60 jours (ou 45 jours fin de mois)à compter de la date d’enregistrementde la déclaration en douane des mar-chandises” ».

◆ ◆ ◆

Des accords interprofessionnels ont étéconclus ou sont en cours de négocia-tion :Deux types d’accords sont prévus parl’article 21 de la LME :Les nouvelles dispositions prévoient queles professionnels d’un secteur d’activitépourront proposer de retenir la date deréception des marchandises ou d’exécu-tion de la prestation de services deman-dée comme point de départ de ce délai.Des accords seront conclus à cet effet parleurs organisations professionnelles.Ce texte prévoit également la possibilitéd’étendre par décret à l’ensemble d’unsecteur professionnel les accords qui au-raient été conclus par les organisationsprofessionnelles du secteur en cause envue de réduire les délais de paiement endessous des nouveaux plafonds.Mais surtout des accords interprofes-sionnels peuvent également intervenirafin de déroger jusqu’au 1er janvier2012 aux nouveaux délais de paiement.Il est en effet prévu des dérogations ex-ceptionnelles par accord interprofession-nel pour une durée limitée, sans pouvoir

excéder le 31 décembre 2011, lorsque dessituations objectives liées à des secteurséconomiques le justifieront ; ces accordsinterprofessionnels doivent faire l’objetd’un décret après avis du Conseil de laconcurrence devenu l’Autorité de laconcurrence.De très nombreux secteurs d’activité ontsouhaité bénéficier de cette dérogation :Ces accords concernent les secteurs etorganisations professionnelles signa-taires suivants : <http://www.dgccrf.bercy.gouv.fr/documentation/lme/dero-gations_delais_paiement.htm>.

Le jouet :– Fédération française des industriesjouet-puériculture– Fédération des commerces spécialistesdu jouet et des produits de l’enfant

Le bricolage :– Fédération des magasins de bricolageUnion nationale des industriels du bri-colage, du jardinage et de l’aménage-ment du logement– Syndicat des entreprises de commerceinternational de machines portatives, dematériel pneumatique et de machines àagrafer et à clouer

L’horlogerie – bijouterie – orfèvrerie –joaillerie :– Fédération nationale des chambres syn-dicales des horlogers, bijoutiers, joaillierset orfèvres, détaillants et artisans de France– Syndicat Saint-Éloi, Union du com-merce de l’horlogerie, bijouterie, joaille-rie, orfèvrerie et accessoires– Chambre syndicale nationale de la bi-jouterie fantaisie, bijouterie métaux pré-cieux, orfèvrerie, cadeaux, industries s’yrattachant– Union française bijouterie, joaillerie,orfèvrerie, des pierres et des perles– Fédération de l’horlogerie– Chambre française de l’horlogerie etdes microtechniques– Fédération nationale artisanale des mé-tiers d’art, de création du bijou– Conseil interprofessionnel de la bijou-terie et de l’horlogerie

La papeterie :– Union de la filière papetière– Syndicat national des papetiers répar-titeurs spécialisés– Fédération de l’équipement de bureau– Association des industriels de la pape-terie et du bureau

Le bâtiment et travaux publics :– Fédération française du bâtiment (FFB)– Confédération des artisans et petitesentreprises du bâtiment (CAPEB)

– Fédération nationale des travauxpublics (FNTP)– Fédération nationale des sociétéscoopératives de production du bâtimentet des travaux publics (FNSCOP BTP)– Union des maisons françaises (UMF)– Syndicat des entreprises de génie élec-trique et climatique (SERCE)– Confédération du négoce bois-matériaux (CNBM)– Fédération du négoce des matériauxde construction (FNMC)– Fédération française du négoce de bois(FFNB)– APIBOIS, Syndicat national desconstructeurs de charpentes en bois la-mellé (SNBL)– Syndicat national des fabricants destructures et charpentes industrialiséesen bois (SCIBO)– Syndicat des fabricants de maisons àossature bois (SYMOB)– Union française des fabricants et en-trepreneurs de parquet (UFFEP)– Union des fabricants de contreplaqué(UFC), Union des industries des pan-neaux de process (UIPP)– Chambre syndicale des fabricants duverre plat (CSPVP)– Chambre syndicale française de l’étan-chéité (CSFE)– Fédération française des tuiles etbriques (FFTB)– Fédération de l’industrie du béton(FIB)– Syndicat des isolants et des laines mi-nérales (FILMM)– Groupement bâtiment de la Fédéra-tion des industriels des peintures, encres,couleurs, colles et adhésifs (FIPEC)– Syndicat français des enducteurs ca-landreurs (SFEC)– Syndicat français de l’industrie cimen-tière (SFIC)– Syndicat français des joints et façades(SFJF)– Syndicat national des industries duplâtre (SNIP)– Syndicat national des mortiers indus-triels (SNMI)– Syndicat national des plastiques al-véolaires (SNPA)– Syndicat national du béton prêt à l’em-ploi (SNBPE)– Syndicat national des industries deroches ornementales et de construction(SNROC)– Syndicat national des adjuvants pourbétons et mortiers (SYNAD)– Union nationale des producteurs degranulat (UNPG)– Syndicat des tubes et raccords en PVC(STR PVC)– Syndicat des tubes et raccords en po-lyéthylène (STR PE)

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– Syndicat des composants de systèmesintégrés de chauffage et de rafraîchisse-ments COCHE BAT)– Chambre syndicale du carreau céra-mique de France (CSCCF)– Syndicat national des extruder plas-tiques (SNEP)– Syndicat national des fabricants de pla-fonds tendus (SNAFAPT)– Union française des tapis & moquettes(UFTM)– Syndicat des industries françaises dufibres-ciment (SIFF)– Fédération des industries des plafondssuspendus (FIPS)– Fédération nationale du bois (FNB)– Union des industries du bois (UIB)– Fédération nationale de la décoration(FND)– Syndicat national des écrans de sous-toiture (SNEST)– Syndicat des accessoires manufactu-rés de toiture (SAMT)– Syndicat des entreprises de commerceinternational de machines portatives, dematériels pneumatiques et de machinesà agrafer et à clouer (SECIMPAC)– Syndicat de la brosserie, Fédération desbois tranchés, Syndicat national du char-bon de bois, Commerce du bois (LCB)– Syndicat des isolants en matériaux durs(SIMD)– Association professionnelle du systèmed’étanchéité liquide, Union des fabricantsde menuiseries extérieures (UFME)– Association des nappes à excroissancespour parois enterrées (ANEPE)– Association française des sous-couchesacoustiques minces (AFSCAM)– Association pour la promotion des pro-duits minces réfléchissants (APPMR)– Syndicat national de la constructiondes fenêtres façades et activités associées(SNFA)– Syndicat national de l’isolation– Syndicat français de l’échafaudage, ducoffrage et de l’étaiement– Syndicat national de la fermeture, dela protection solaire et des professionsassociées– Groupement infrastructure de la Fédé-ration des industries ferroviaires– Chambre nationale de l’artisanat, destravaux publics, des paysagistes et desactivités annexes (CNATP)– Fédération française des artisans co-opérateurs du bâtiment (FFACB)– Fédération des coopératives d’achatspour les artisans du bâtiment (FORCAB)– Union nationale des entrepreneurs dupaysage (UNEP)– Syndicat national du second œuvre(SNSO)– Groupement peintures anticorrosion(GPA)

– Syndicat national des blancs de craie,marbre et dolomie (SNCRAIE)– Syndicat national des formulateursde résines synthétiques (SNFORES)– Syndicat national des fabricants decouches d’usure pour sols industriels(SYNFAD)

Le sanitaire-chauffage et le matérielélectrique :– Fédération des grossistes en matérielélectrique (FGME)– Fédération française des négociantsen appareils sanitaires, chauffage, cli-matisation et canalisation (FNAS)– Confédération de l’artisanat et des pe-tites entreprises du bâtiment (CAPEB)– Fédération des électriciens, électro-niciens (FEDELEC)– Fédération française du bâtiment(FFB)– Fédération nationale des SCOP du bâ-timent et des travaux publics (FNSCOPBTP)– Syndicat des entreprises de génie élec-trique et climatique (SERCE)– Association française des industriesde la salle de bains (AFISB)– Syndicat national des fabricants decomposants et de systèmes intégrés dechauffage, rafraîchissement et sanitaires(COCHEBAT)– Groupement des industriels de l’ap-pareillage électrique d’installation et deses applications domotiques (DOMER-GIE)– Groupement des fabricants de maté-riels de chauffage central (GFCC)– Groupement interprofessionnel desfabricants d’appareils d’équipement mé-nager (GIFAM)– Syndicat professionnel représentantl’ensemble des constructeurs d’appa-reils électriques autonomes de sécurité(GISEL)– Syndicat des tubes et raccords en po-lyéthylène (STR PE)– Syndicat national des tubes et rac-cords en PVC (STR PVC)– Fédération de l’industrie française desfils et câbles électriques et de commu-nication (SYCABEL)– Syndicat des fabricants d’équipementspour la protection et le support descâbles électriques et de communication(SYCACEL)– Syndicat professionnel regroupant lesentreprises de matériel aéraulique, ther-mique, thermodynamique et frigorifique(UNICLIMA)– Syndicat des entreprises de commerceinternational de machines portatives,de matériels pneumatiques et de ma-chines à agrafer et à clouer (SECIMPAC)– Syndicat de l’éclairage

L’édition du livre :– Syndicat national de l’édition (SNE)– Syndicat de la librairie française (SLF)– Syndicat des distributeurs de loisirs cul-turels– Fédération de l’imprimerie et de la com-munication graphique, Union nationalede l’imprimerie et de la communicationgraphique

◆ ◆ ◆

Mais d’autres accords ont été concluset concernent notamment les spéciali-tés pharmaceutiques non rembour-sables et le textile.D’autres accords sont pour leur part en-core en cours de discussion et devraientêtre communiqués au ministre de l’Éco-nomie dans les prochaines semaines; entout état de cause, ils devront être signésavant le 1er mars 2009, date limite pré-vue par la LME.

Le nouveau rôle joué par les commis-saires aux comptes.Par ailleurs, les sociétés dont les comptesannuels sont certifiés par un commis-saire aux comptes devront publier desinformations sur les délais de paiementde leurs fournisseurs ou de leurs clientssuivant des modalités qui seront définiespar décret.Ces informations feront l’objet d’un rap-port du commissaire aux comptes dansdes conditions fixées par ce décret.

Les nouveaux délais de paiement pré-vus par la LME sont-ils applicables auxventes internationales de marchan-dises?Cette question fait l’objet de beaucoupde discussions et en l’absence de juris-prudence, il n’est pas possible de se pro-noncer avec certitude sur le sujet. Ce quisuit ne reflète ainsi que l’opinion des au-teurs au regard des règles de droit inter-national privé, applicables en la matière.La LME a notamment introduit en droitfrançais deux nouvelles règles relativesaux délais de paiement :– d’une part, les dispositions de l’articleL. 441-6, alinéa 9 du Code de commercedans le Chapitre I du Titre IV du Livre IVrelatif à la transparence;– d’autre part, les dispositions de l’ar-ticle L. 442-6-I-7° du Code de commercedans le Chapitre II du Titre IV du Livre IVrelatif aux pratiques restrictives de concur-rence.Bien qu’elles soient intimement liées, cesdeux dispositions doivent être indénia-blement distinguées :L’article L. 441-6, alinéa 9 du Code decommerce :

LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2DE PARTIE)

Droit I Économie I Régulation N 0 2 0 • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E 123

L’article L. 441-6, alinéa 9 dispose que :« Le délai convenu entre les parties pour régler lessommes dues ne peut dépasser 45 jours fin de moisou 60 jours à compter de la date d’émission de la fac-ture ».

Contrairement aux autres dispositionsde l’article L. 441-6 du Code de com-merce, ce neuvième alinéa n’est assortid’aucune sanction.En effet, ni une nullité de la clause pré-voyant de tels délais, ni une sanction pé-nale, ni une amende civile ne viennentsanctionner le fait de convenir de délaissupérieurs.Par ailleurs, dès lors que le texte vise lefait de « convenir » d’un délai, il seraitdifficile pour une entreprise d’engager laresponsabilité contractuelle de son co-contractant à ce titre : il faut être deuxpour convenir, ce qui sous-entend unecoresponsabilité des deux parties aucontrat.Ainsi, même si la loi française est appli-cable, le simple fait de convenir de dé-lais supérieurs à 45 jours fin de mois ou60 jours date d’émission de la facturen’est, en l’état de la législation, pas di-rectement condamnable.C’est par le biais de l’article L. 442-6-I-7°qu’une violation des délais prévuspar l’article L. 441-6, alinéa 9 est sanc-tionnée.

L’article L. 442-6-I-7° du Code de com-merce :L’article L. 442-6-I du Code de commercesanctionne en ces termes le non-respect desdélais prévus par l’article L. 441-6, alinéa 9précité :« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige àréparer le préjudice causé le fait, par tout producteur,commerçant, industriel ou personne immatriculée au ré-pertoire des métiers :(…)7° De soumettre un partenaire à des conditions de rè-glement qui ne respectent pas le plafond fixé au neu-vième alinéa de l’article L. 441-6 ou qui sont manifes-tement abusives, compte tenu des bonnes pratiques etusages commerciaux, et s’écartent au détriment du créan-cier, sans raison objective, du délai indiqué au huitièmealinéa de l’article L. 441-6. Est notamment abusif le fait,pour le débiteur, de demander au créancier, sans raisonobjective, de différer la date d’émission de la facture.(…) ».

L’article L. 442-6-III précise pour sa partque :« L’action est introduite devant la juridiction civile ou com-merciale compétente par toute personne justifiant d’unintérêt, par le ministère public, par le ministre chargé del’Économie ou par le président du Conseil de la Concur-rence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des af-faires relevant de sa compétence, une pratique mention-née au présent article.

Lors de cette action, le ministre chargé de l’Économieet le ministère public (…) peuvent également deman-der le prononcé d’une amende civile dont le montantne peut être supérieur à 2 millions d’euros (…) ».

La loi sanctionne ici le fait de soumettreun partenaire à des conditions de règle-ment qui ne respectent pas les délais pré-vus par l’article L. 441-3, alinéa 9, c’est-à-dire les délais maximums de 45 joursfin de mois ou 60 jours date d’émissionde la facture.Ainsi, une interprétation littérale de laloi mènera à ne sanctionner que l’ache-teur qui soumet son vendeur à des dé-lais excessifs et non le vendeur qui estla victime de la faute ainsi commise.Il s’agit d’une infraction civile, sanction-née par une amende civile d’un montantmaximum de 2 millions d’euros.

Cet article est-il applicable à un éven-tuel litige relatif à un contrat de venteinternational?Afin de répondre à cette question, il estnécessaire de déterminer préalablementle juge compétent puisqu’il reviendra àce dernier de déterminer la loi applicableau litige, selon ses propres règles de droitinternational privé, qui seront le plussouvent issues du droit conventionnelinternational ou du droit communautairedérivé.En effet, la question du droit applicablen’a d’intérêt pratique qu’au regard de lapossibilité de voir sanctionnées par unjuge les règles en cause.Or, seul le juge compétent pour trancherle litige pourra déterminer selon sespropres règles de droit dans quelles condi-tions la violation de cette loi sera sanc-tionnée (caractère de loi de police ounon, applicabilité territoriale de la loi,caractère délictuel ou contractuel, etc.).En conséquence, la question du juge com-pétent est nécessairement préalable à laquestion des conditions d’application dela loi.Le présent mémo n’envisage pas l’hypo-thèse où la juridiction saisie et compé-tente est celle d’un état tiers à l’Union eu-ropéenne. En effet, dans cette hypothèse,le juge déterminera le droit applicable enfonction de son propre droit internationalprivé, que nous ne pouvons bien évidem-ment pas appréhender par anticipation.Il sera donc uniquement étudié l’hypo-thèse où la juridiction saisie et compé-tente est, soit le juge français, soit le juged’un autre État membre de l’Union eu-ropéenne, cette compétence étant déter-minée en vertu des principes posés parle règlement n° 44/2001 du 22 décembre2000 concernant la compétence judiciaire,la reconnaissance et l’exécution des dé-

cisions en matière civile et commerciale,dit « Bruxelles I ».À ce titre, il convient de rappeler que cerèglement prévoit que la juridiction com-pétente est, en principe, celle de l’Étatmembre où le défendeur possède son do-micile, quelle que soit sa nationalité (Règl.Cons. CE, n° 44/2001, 22 déc. 2000, art. 2). Le règle-ment « Bruxelles I » prévoit égalementdes règles de compétence spéciales al-ternatives à la règle de compétence gé-nérale.Ainsi en matière contractuelle, le deman-deur dispose d’une option de compé-tence entre le juge du domicile du dé-fendeur et le juge « du lieu où l’obligationqui sert de base à la demande a été oudoit être exécutée », étant précisé que celieu est, pour la vente de marchandises,celui où « les marchandises ont été ouauraient dû être livrées » (ibid., art. 5-1).En matière délictuelle, le règlement« Bruxelles I » prévoit également une op-tion de compétence : le juge compétentest soit celui de l’État du domicile du dé-fendeur, soit « le Tribunal du lieu où lefait dommageable s’est produit ou risquede se produire » (ibid., art. 5-3), étant préciséque la notion de « fait dommageable »recouvre, selon les cas, la faute commiseou le dommage subi.Le règlement autorise cependant les par-ties à convenir d’une clause attributivede juridiction.Le juge désigné par cette clause a alorsune compétence exclusive (ibid., art. 23).Après avoir envisagé les règles de conflitde juridiction, il convient à présent dedéterminer la loi applicable devant lejuge saisi du litige, ce juge étant par hy-pothèse soit le juge français, soit le juged’un autre État membre de l’Union eu-ropéenne.Afin de déterminer le droit applicable aulitige selon les règles du droit internatio-nal privé, il convient préalablement dequalifier la responsabilité encourue, au-trement dit, il faut déterminer si la vio-lation de l’article L. 442-6-I-7° du Codede commerce relève de la matière délic-tuelle ou contractuelle.Force est de constater que cette questionest particulièrement délicate et qu’il n’estpas possible, à ce jour, de se prononceravec certitude sur l’une ou l’autre qua-lification.Toutefois, plusieurs éléments tendent àune qualification délictuelle :– en effet, il s’agit d’un délit civil sanc-tionné par une amende civile ;– l’action peut être introduite par toutepersonne intéressée, dont le ministèrepublic, le ministre de l’Économie, le pré-sident de l’Autorité de concurrence, etnon pas uniquement le cocontractant ;

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124 R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 • N 0 2 0 Droit I Économie I Régulation

– et de plus, la jurisprudence considèreque la responsabilité engendrée par l’ap-plication de l’article L. 442-6-I-5° du Codede commerce relatif à la rupture brutalede relations commerciales établies, re-lève de la matière délictuelle et non dela matière contractuelle.C’est à tout le moins ce qu’a affirmé laCour de cassation dans des hypothèsesoù les relations commerciales n’étaientpas encadrées par un contrat.La chambre commerciale de la Cour decassation a en effet précisé à deux re-prises et notamment très récemment dansun arrêt du 21 octobre 2008 que :« Le fait pour tout producteur, commer-çant, industriel ou personne immatri-culée au répertoire des métiers de romprebrutalement une relation commercialeétablie engage la responsabilité délic-tuelle de son auteur et que la loi appli-cable à cette responsabilité est celle del’État du lieu où le fait dommageables’est produit » (Cass. com., 21 oct. 2008, n° 07-12.336. Cf., également, Cass. com., 6 févr. 2007, n° 04-13.178,Bull. civ. IV, n° 21).La Cour de cassation ne s’est en revanchepas positionnée dans le cas où un contratencadrerait les relations commercialesou s’agissant des autres alinéas de l’ar-ticle L. 442-6 du Code de commerce. Ceciétant, ses attendus ne font pas de dis-tinction selon l’existence d’un contrat ounon.Ces différents éléments mèneraient àconsidérer que l’article L. 442-6, prisdans son ensemble, relèverait de la ma-tière délictuelle.La responsabilité encourue en cas deviolation de l’article L. 442-6-I-7° se-rait alors délictuelle et il conviendraitd’appliquer les règles de droit interna-tional privé relatives aux obligationsnon contractuelles pour déterminer laloi applicable.Néanmoins, il n’est pas possible d’ex-clure que les juges qualifient la respon-sabilité engagée sur le fondement de l’ar-ticle L. 442-6-I-7° de contractuelle.Rappelons à ce titre que la CJCE a éla-boré, s’agissant de la compétence judi-ciaire et plus précisément de l’applica-tion de l’article 5 de la Convention deBruxelles (aujourd’hui règlement« Bruxelles I »), des définitions auto-nomes, spécifiquement communau-taires, de la matière contractuelle etde la matière délictuelle.La CJCE a défini la matière contractuellede manière négative :« La notion de “matière contractuelle”,au sens de l’article 5, paragraphe 1 (…)ne saurait être comprise comme visantune situation dans laquelle il n’existe au-cun engagement librement assumé d’une

partie envers une autre » (CJCE, 17 juin 1992,aff. C-26/91, Jacob Handte, Rec. CJCE, I, p. 3967).La CJCE a fait de la matière délictuelleune catégorie résiduelle de la matièrecontractuelle : la responsabilité qui n’estpas contractuelle est délictuelle (CJCE, 27 sept.1988, aff. C-189/87, Kalfelis, Rec. CJCE, I, p. 5565).Jusqu’à présent, il pouvait être consi-déré que ces définitions autonomesétaient propres à l’interprétation de laConvention de Bruxelles puis du règle-ment « Bruxelles I » relatifs à la com-pétence judiciaire et n’avaient pas né-cessairement vocation à s’imposers’agissant de la détermination de la loiapplicable.Toutefois, le règlement « Rome I » et lerèglement « Rome II » précisent tousdeux, en leur considérant n° 7, que leurchamp d’application respectif doit être« cohérent » par rapport au règlement« Bruxelles I », et le considérant n° 11du règlement « Rome II » prône expres-sément le recours aux définitions auto-nomes.La lecture de ces considérants devraitamener les juges nationaux à rechercherla nature de l’obligation en cause en ap-pliquant ces définitions autonomes éla-borées par la CJCE, hors de toute réfé-rence aux droits nationaux, pourdéterminer non seulement le juge com-pétent mais également la loi applicableà un litige.S’agissant des dispositions de l’articleL. 442-6-I-7° du Code de commerce,l’existence d’un contrat entre les par-ties, et donc d’un « engagement libre-ment consenti », pourrait mener les jugesà retenir la qualification contractuellede la responsabilité engagée sur ce fon-dement.Compte tenu de l’incertitude attachéeà la qualification de la responsabilitéencourue, il convient d’envisager lesdeux cas de figure pour déterminer dansquelles conditions l’article L. 442-6-I-7°du Code de commerce français aura vo-cation à s’appliquer à un contrat inter-national.

Premier cas de figureL’article L. 442-6-I-7° relève de la res-ponsabilité délictuelle :Afin de déterminer la loi applicable àune obligation non contractuelle, ilconvient de se référer aux règles dudroit international privé français rela-tives aux délits civils.En vertu de ces règles du droit inter-national privé français, la loi appli-cable pour régir la responsabilité ci-vile délictuelle est « la loi du lieu oùle délit a été commis » (Cass. civ., 25 mai1948, Lautour). En cas de dissociation entre

les lieux du fait générateur et du pré-judice, ces deux rattachements ont unevocation égale à déterminer la loi ap-plicable, mais l’existence d’un « lienplus étroit » avec l’un des deux payspermet de désigner l’une ou l’autrebranche de l’option (Cass. 1re civ., 11 mai 1999,n° 97-13.972, Bull. civ. I, n° 153 ; Cass. 1re civ., 5 mars2002, n° 99-20.755, Bull. civ. I, n° 75).Toutefois, ces règles de droit interna-tional privé français vont céder leurplace, dès le 1er janvier 2009, au rè-glement « Rome II » sur la loi appli-cable aux obligations non contrac-tuelles, adopté le 11 juillet 2007, ce quiconduira à une harmonisation des so-lutions au niveau européen.L’article 4 de ce règlement consacre lajurisprudence précitée en la simpli-fiant :en règle générale, la loi applicable est« la loi du pays où le dommage sur-vient quel que soit le pays où le faitgénérateur du dommage se produit etquels que soient le ou les pays danslesquels des conséquences indirectesde ce fait surviennent ».Ainsi, la loi applicable à un délit ci-vil est, en principe, la loi du lieu desurvenance du dommage.En matière de ventes de marchan-dises, le dommage est subi au lieude l’établissement du vendeur, le-quel subit un délai de paiement consi-déré comme excessif. La loi appli-cable sera donc celle du vendeur,victime du délit.

Deuxième cas de figureL’article L. 442-6-I-7° relève de la res-ponsabilité contractuelle :La loi applicable aux contrats est enprincipe désignée par application dela Convention de Rome sur la loi ap-plicable aux obligations contractuelles,puis, à partir du 17 décembre 2009 parle règlement « Rome I » adopté le17 juin 2008, qui a vocation à rempla-cer ladite convention.Selon les principes qui s’en dégagent :– le contrat est régi par la loi choisiepar les parties, choix qui doit être ex-près ou résulter de façon certaine desdispositions du contrat ou des circons-tances de la cause (Conv. Rome n° 80/934/CEE,19 juin 1980, art. 3, § 1 ; Règl. Parl. et Cons. CEn° 593/2008, 17 juin 2008, dit « Rome I » ; Conv. La Haye,15 nov. 1955, art. 2) ;– à défaut de choix, le contrat de ventede biens est régi par la loi du paysdans lequel le vendeur a sa résidencehabituelle.Ainsi, la loi applicable aux obliga-tions contractuelles est, en principe,la loi choisie par les parties.

LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2DE PARTIE)

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À défaut de choix, et en matière devente, la loi applicable serait la loi dupays de résidence du vendeur.Il est à noter que ces règles s’appliquentsur l’ensemble du territoire de l’Unioneuropéenne.Ainsi, que la responsabilité de l’articleL. 442-6-I-7° soit de nature délictuelleou contractuelle, la loi du vendeur serale plus souvent (sauf loi de l’acheteurchoisie parles parties) applicable aucontrat.Ceci étant, l’article L. 442-6-I-7° pour-rait être également applicable mêmesi les faits étaient soumis à une loi étran-gère, s’il devait être considéré commeune « loi de police » au sens du droitinternational privé.Le principe est en effet qu’une disposi-tion nationale impérative constituant uneloi de police doit prévaloir sur la loi étran-gère considérée comme applicable envertu de la règle de conflit de lois du jugesaisi.Ce principe est consacré tant par laConvention de Rome et le règlement« Rome I » sur la loi applicable auxobligations contractuelles, que par lerèglement « Rome II » sur la loi appli-cable aux obligations non contrac-tuelles :– ainsi, l’article 7 de la Convention deRome, et son successeur, l’article 9 durèglement « Rome I » (Règl. Parl. et Cons. CEn° 593/2008, 17 juin 2008, préc.) qui s’appliqueraaux contrats conclus après le 17 décembre2009, prévoient l’application de sespropres lois de police par le juge com-pétent quelle que soit la loi choisie parles parties au contrat ;– de même, le règlement n° 864/2007sur la loi applicable aux obligations noncontractuelles dit « Rome II » adopté le11 juillet 2007, qui sera applicable à par-tir du 11 janvier 2009, prévoit en son ar-ticle 16 que ses dispositions « ne portentpas atteinte à l’application des disposi-tions de la loi du for qui régissent impé-rativement la situation, quelle que soit laloi applicable à l’obligation non contrac-tuelle ».La Convention de Rome et le règlement« Rome I » prévoient également qu’uneloi de police étrangère puisse être appli-quée. Ce point n’est en revanche pasprévu par le règlement « Rome II » surla loi applicable aux obligations noncontractuelles.En l’occurrence, l’article L. 442-6 du Codede commerce est habituellement consi-déré par la jurisprudence et la doctrinefrançaise comme étant une « loi depolice », ce qui signifie que les tribunauxfrançais doivent considérer son applica-tion comme obligatoire.

Ainsi, la Cour d’appel de Lyon a affirmépar un arrêt du 9 septembre 2004 queles dispositions de l’article L. 442-6-I-5°« constituent une loi de police au sensdu droit international privé ayant vo-cation à s’appliquer à l’ensemble despratiques dommageables, aux effets éco-nomiques et/ou concurrentiels défavo-rables, constatés sur le territoire natio-nal » (CA Lyon, 9 sept. 2004, n° RG : 2004/00108).De même, la Cour d’appel de Paris a pupréciser, dans un arrêt du 28 septembre2006 relatif à une rupture de relationscommerciales entre un fournisseur amé-ricain et un distributeur français, que lesdispositions de l’article L. 442-6 du Codede commerce étaient « des dispositionsimpératives relevant de l’ordre publicéconomique et comme telles constitu-tives d’une loi de police » (CA Paris, 28 sept.2006, n° RG : 2006/313940).Certes, cette décision vient d’être casséepar un arrêt de la première chambre ci-vile de la Cour de cassation du 22 oc-tobre 2008, mais la cassation porte surle refus de la Cour d’appel d’appliquerla clause attributive de juridiction quiétait contenue dans le contrat, sans quela Cour de cassation ne prenne positionsur le caractère de loi de police de l’ar-ticle L. 442-6 (« En statuant ainsi, alors que la clauseattributive de juridiction contenue dans ce contrat visait toutlitige né du contrat, et devait en conséquence, être mise enœuvre, des dispositions impératives constitutives de lois depolice fussent-elles applicables au fond du litige, la Cour d’ap-pel a violé le texte et les principes susvisés »).En l’état, ce point n’est donc pas tran-ché par la Cour de cassation.Nous considérons cependant qu’il estprobable que l’article L. 442-6 du Codede commerce dans son ensemble soitqualifié de loi de police au sens du droitinternational privé par un juge fran-çais et appliqué, bien que le contrat aitun caractère international.En partant de cette hypothèse, si le jugefrançais était saisi du litige et qu’il soitcompétent, il serait tenu d’appliquer l’ar-ticle L. 442-6-I-7° du Code de commerce.Un juge européen saisi et compétent pour-rait également (c’est une faculté) appli-quer l’article L. 442-6-7°, à tout le moinssi le litige était considéré comme relevantde la nature contractuelle. Toutefois, il estfort rare qu’un juge national applique uneloi impérative d’un autre pays, cette pos-sibilité fut-elle envisagée par la Conven-tion de Rome et le règlement « Rome I ».

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Il résulte de ces éléments que si le four-nisseur est français, le droit français seraprobablement applicable à la situation sou-mise au juge, ce qui entraînera l’applica-

tion des dispositions de l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce et la possibi-lité subséquente pour le vendeur françaisd’engager la responsabilité de son client.Selon nous, dans l’hypothèse où le ven-deur est français, le droit français seraen effet applicable dans la très grandemajorité des cas.Deux hypothèses pourraient nous ame-ner à une autre solution à savoir :– la responsabilité est considérée commede nature contractuelle et il y a uneclause dans le contrat désignant un autredroit : ce droit sera applicable;– la responsabilité est considérée commede nature délictuelle et les parties ontprévu une clause rendue possible par lerèglement « Rome II » prévoyant l’appli-cation d’un autre droit pour leur futureresponsabilité délictuelle.Dans ces hypothèses, se posera alors laquestion du caractère de loi de policede l’article L. 442-6-I-7° du Code decommerce.Le vendeur français pourrait en effet alorsenvisager d’agir contre son client sur lefondement de l’article L. 442-6-I-7°, consi-déré comme une loi de police. Il luifaudrait alors rechercher le juge compé-tent pour être sûr que celui-ci puisse ap-pliquer la loi de police française (ce quisera le cas si le juge compétent est fran-çais et dans une moindre mesure, s’il esteuropéen).En tout état de cause, si l’administrationvenait à constater la situation, le fournis-seur français, ayant de son côté respectéles dispositions de l’article L. 441-6 duCode de commerce, devrait, a priori, êtreà l’abri de toutes poursuites civiles, dansla mesure où ce dernier est dans la posi-tion du débiteur qui subit la volonté del’acheteur étranger.On imagine mal par ailleurs l’adminis-tration poursuivre l’acheteur étranger de-vant les juridictions françaises, si tant estqu’elles soient compétentes, mais nousne pouvons naturellement pas préjugerde la position de l’administration dansune telle situation, ni de celle du jugefrançais qui serait ensuite saisi du litige.L’hypothèse pourrait devenir plus plau-sible en cas de contournement de la loipar l’implantation d’acheteurs françaisà l’étranger accompagnée du choix de laloi d’un pays tiers, mais seul l’avenir nousle dira (si l’on en croit le site internet de la DGCCRF, cetype de procédé sera tout particulièrement en ligne de mire :« La DGCCRF, qui intervient au nom de l’ordre public écono-mique, veillera à ce que des créanciers français ne se voient pasimposer des délais de paiement anormalement longs par leursdébiteurs, en particulier ceux qui utiliseraient des centrales depaiement à l’étranger dans le seul but d’échapper aux dispo-sitions nationales » : <http://www.dgccrf.bercy.gouv.fr/do-cumentation/lme/delais_paiement.htm>).

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À l’inverse, si le fournisseur est étran-ger, son droit sera probablement appli-cable. Se posera alors le caractère de loide police de la loi française, loi de l’ache-teur français, et son applicabilité par lejuge éventuellement saisi.Le tribunal du domicile de la personneassignée étant compétent par principe en

application du règlement « Bruxelles I »,le vendeur étranger pourra en théorie as-signer l’acheteur français devant le jugefrançais et évoquer l’article L. 442-6-I-7°du Code de commerce en tant que loi depolice.Cependant, dans l’hypothèse d’une clauseattributive de compétence aux tribunaux

du vendeur, la compétence du juge fran-çais pourrait être contestée, ce qui ren-drait plus difficile pour le vendeur étran-ger la revendication de l’application dela loi française.Restera cependant la possibilité d’actionde l’administration française contrel’acheteur français… ◆

LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2DE PARTIE)

L’analyse économique des marges arrièrePar Nathalie Daley, Docteur en économie de l’École des mines de Paris –Consultante du cabinet Microeconomix, cabinet d’analyse économique appliquée au droit de la concurrence

aux distributeurs et de les discuter au re-gard des résultats empiriques et de la ju-risprudence.

Les effets proconcurrentiels.– La théo-rie économie identifie plusieurs effetsproconcurrentiels des marges arrière. Ilssont liés aux problèmes d’asymétrie d’in-formations entre producteurs et distribu-teurs dans un contexte d’offre surabon-dante de nouveaux produits.

Signaler la qualité des produits.– EnFrance, 1500 nouvelles références sontlancées chaque année et les innovationsaugmentent à un rythme annuel de 10 à15 % (Sénat, Rapport d’information sur l’avenir du sec-teur agroalimentaire, 1999-2000, n° 39). Dans un telenvironnement, le distributeur estconfronté à un problème d’asymétried’information quant à la qualité des pro-duits offerts. Un producteur est mieuxinformé de la probabilité de réussite deson produit et les services commerciaux,en particulier les services de référence-ment, lui permettent de signaler la qua-lité de ses produits au distributeur (Kelly K.,The antitrust analysis of grocery allowances : the pro-competitive case, Journal of public policy & marketing, 1991,10 (1), pp. 187-198).L’argument repose sur l’idée que le prixpayé par un producteur pour référencerson produit est un coût fixe qu’il amor-tit sur le volume total de ses ventes. Plusun producteur est confiant dans son pro-duit, plus il est prêt à payer un prix deréférencement élevé, toutes choses égalespar ailleurs, pour être sélectionné par ledistributeur. Ce coût sera ensuite amortisur un volume élevé de ventes.Le consentement à payer d’un produc-teur pour le service de référencementpeut donc être vu comme un signal dela qualité et de la probabilité de succèsde ses nouveaux produits.

La loi Chatel du 3 janvier 2008 et la loide modernisation de l’économie (LME)du 4 août 2008 modifient profondémentles règles régissant les négociations com-merciales (pour une analyse des effets pervers de la loiGalland, cf. Allain M.-L., Chambolle C., Vergé T., La loi Gal-land sur les relations commerciales : jusqu’où réformer?,2008, coll. du CEPREMAP). La première redéfi-nit le seuil de revente à perte au niveaudu triple net (le triple net est égal au prix net facturémoins les remises et ristournes conditionnelles et les rému-nérations des services commerciaux rendus à l’industriel,les deux composantes des marges arrière) et la secondeintroduit la négociabilité des tarifs enabrogeant l’interdiction per se de discri-miner.Les marges arrière n’ont pas été re-mises en cause lors des réformes. Lelégislateur considère que les servicescommerciaux (les services de coopération com-merciale sont « des contrats de prestation de services dontle contenu et la rémunération sont définis d’un communaccord entre un fournisseur et un distributeur. (…) Il s’agitpar exemple de la mise en avant de produits sur les rayons(têtes de gondole ou emplacements privilégiés), ou de pro-motion publicitaire. C’est aussi dans le cadre de ces ac-cords que sont négociés les budgets de référencement »,Cons. conc., avis n° 04-A-18, 18 oct. 2004, § 10)qu’elles rémunèrent bénéficient auxfournisseurs puisqu’ils incitent les dis-tributeurs à mettre en avant les pro-duits et qu’ils participent ainsi au dé-veloppement des ventes.L’analyse économique des rémunérationsau titre de la coopération commercialeest plus réservée. Elle met en évidenceque les marges arrière peuvent être àl’origine d’effets proconcurrentiels, maiségalement d’effets anticoncurrentiels.L’objectif de cette note est d’offrir unebrève synthèse des théories économiquesdes effets sur la concurrence des diversesrémunérations (nous emploierons le terme de margesarrière pour désigner l’ensemble de ces rémunérations quelque soit leur type) versées par les fournisseurs

Le partage des coûts et des risques.–Un deuxième argument favorable auxmarges arrière est qu’elles permettent audistributeur de faire supporter aux pro-ducteurs une partie des coûts croissantsqui résultent de la gestion d’un nombretoujours plus élevé de références, ainsiqu’une partie du risque associé au lan-cement de nouveaux produits (Sullivan M.W.,Slotting allowances and the market for new products, Jour-nal of Law and Economics, 1997, 40 (2), pp. 461-493).Le distributeur supporte des coûts pourréférencer, stocker et mettre en rayon lesproduits qui augmentent proportionnel-lement avec le nombre de références. Ilest également confronté à une incerti-tude sur le succès des nouveaux pro-duits. 50 % des nouveautés sont en ef-fet des échecs, et seuls 30 % de cellesréussissant à s’imposer subsistent en-core au bout de deux ans (Sénat, Rapp. d’in-formation, préc.).Le distributeur est donc peu incité à ac-cepter de nouveaux produits au succèsincertain qui viendront de surcroît rem-placer une partie des produits déjà réfé-rencés et dont le potentiel est connu. Lesservices commerciaux, en permettant detransférer une partie des coûts et desrisques aux producteurs, incitent le dis-tributeur à accroître son offre et à accep-ter un plus grand nombre de nouveauxproduits.La rémunération que le distributeur re-çoit pour les services commerciaux qu’ilfournit au producteur l’incite donc à pro-poser une plus grande variété de pro-duits. Si l’on suppose que le consom-mateur valorise les innovations et ladiversité des produits, cet effet est pro-concurrentiel.

L’allocation efficace du linéaire.– Untroisième effet proconcurrentiel identifiédans la littérature économique est que

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les services commerciaux permettent audistributeur d’allouer plus efficacementle linéaire (Chu W., Demand signaling and screeningin channels of distribution, Marketing Science, 1992, 11, pp.327-347).Le linéaire est une ressource rare propo-sée par le distributeur aux producteurs.Ses modalités d’allocation peuvent êtreanalysées comme un mécanisme efficaced’enchères permettant aux producteursles plus offrants de le « louer ».L’argument d’efficacité repose ici surl’idée que les fournisseurs proposant l’en-chère la plus élevée sont également ceuxle mieux à même de rentabiliser le li-néaire en offrant les produits et les va-riétés les plus valorisées par le consom-mateur.En fondant sa décision d’assortiment surle consentement à payer des fournisseurs,le distributeur rentabilise ainsi plus effi-cacement ses rayons et maximise dans lemême temps l’utilité du consommateuren lui offrant les variantes qu’il préfère.

Les risques d’effets anticoncurrentiels.– La coopération commerciale peut égale-ment permettre aux producteurs ou auxdistributeurs d’exercer un pouvoir demarché pouvant conduire à une réduc-tion significative de la concurrence et àl’augmentation des prix de détail.

L’exercice d’un pouvoir de marché.–Un premier effet anticoncurrentiel po-tentiel des services commerciaux peutse manifester par un écart entre le prixfacturé par les distributeurs pour ces ser-vices et leurs coûts.Les services de coopération commercialese sont développés dans un contexte deconcentration accrue des distributeurs.Le pouvoir de marché au sein de la chaîneverticale s’est progressivement déplacéen faveur de ces derniers. Il leur permetde mieux négocier les prix tout en exi-geant des producteurs qu’ils paient enretour des contreparties toujours plusélevées. À titre d’illustration, les margesarrière sont passées de 22 % en moyenneà 37 % entre 1998 et 2006, et peuventatteindre jusqu’à 60 % selon les catégo-ries de produits (LSA, L’ILEC dénonce une forte dé-rive des marges arrière, 2007, édition du 15 févr.).Ce changement peut être à l’origine dedeux effets. À court terme, le consom-mateur peut bénéficier du pouvoir demarché des distributeurs si ces derniersl’utilisent pour négocier les prix avec lesproducteurs et fixer des prix de détailplus bas. La plus ou moins forte réper-cussion au consommateur sous formede baisse de prix dépend ensuite du de-gré de concurrence entre les distributeurssur le marché aval.

À long terme, le déséquilibre dans les re-lations commerciales peut en revancheêtre à l’origine d’effets pervers condui-sant les petits producteurs et ceux detaille moyenne à sous-investir dans l’in-novation par manque de moyens, ou àsortir du marché, et les plus grands àaugmenter leurs tarifs pour compenserla hausse des marges arrière.

L’éviction des concurrents.– Undeuxième effet potentiel anticoncurren-tiel relève de la théorie d’augmentationdu coût des rivaux : les producteurs lesplus importants peuvent augmenter lescoûts d’accès aux linéaires de leursconcurrents en surenchérissant lors desnégociations avec les distributeurs (MacA-voy C.J., Antitrust treatment of slotting allowances, ABA sec-tion of antitrust law, 1997, 45e congrès, Washington, 9-11 avr.).Les effets de cette stratégie sont plus oumoins forts en fonction du pouvoir demarché des producteurs. Elle peut am-puter les profits des concurrents et ré-duire leurs capacités à exercer une pres-sion concurrentielle ou à innover. Maiselle peut également entraîner l’évictiondes concurrents d’une firme dominantesi cette stratégie lui permet d’obtenir unaccès exclusif au linéaire.Dans les deux cas, la stratégie d’augmen-tation des coûts des concurrents peut, àterme, conduire à limiter le nombre denouveaux produits et ainsi à restreindrele choix du consommateur (Shaffer G., Slot-ting allowances and optimal product variety, Advances inEconomic Analysis and Policy, 2005, 5).

L’augmentation des prix de vente audétail.– Enfin, la tarification des ser-vices de coopération peut in fineconduire à limiter la concurrence en avalet induire une hausse des prix de venteau détail (Foros O., Kind H.J., Do slotting allowancesharm retail competition?, Scandinavian Journal of Econo-mics, 2008, 110 (2), pp. 367-384). Deux phéno-mènes peuvent être à l’origine de lahausse des prix.En l’absence de services commerciaux,des producteurs en concurrence tarifientleur produit au coût marginal. Un distri-buteur accepte donc implicitement depayer des prix de gros plus élevés lors-qu’il facture des services de référence-ment (les profits des producteurs ne peuvent être néga-tifs, ils répercutent donc ce coût dans leur prix de gros ettarifient au-dessus de leur coût marginal). En s’enga-geant à payer des prix de gros plus éle-vés, il annonce ainsi qu’il adoptera unepolitique de prix moins agressive, ce quiincite ses concurrents à augmenter leursprix de vente et réduit la concurrence enaval (Shaffer G., Slotting allowances and resale price main-tenance : a comparison of facilitating practices, RAND Jour-nal of Economics, 1991, 22 (1), pp. 120-135).

L’interdiction de revente à perte coupléeà l’impossibilité pour les distributeurs deréintégrer les marges arrière dans le prixde revente atténuent la concurrence éga-lement entre producteurs. Lorsque le pou-voir de marché des distributeurs est im-portant, les producteurs savent qu’ilscapteront une faible part du profit au seinde la chaîne verticale. Ils sont alors inci-tés à fixer un prix de gros élevé afin d’ac-croître la taille du profit total qu’ils par-tagent avec les distributeurs. Comptetenu de la règle d’interdiction de reventeà perte, les prix de vente au détail aug-mentent donc au détriment du consom-mateur (Allain M.-L., Chambolle C., Anticompetitive ef-fects of resale-below-cost laws, 2005, mimeo).

Une question toujours en débat.– Leseffets sur la concurrence des rémunéra-tions perçues par les distributeurs encontrepartie des services qu’ils rendentaux producteurs suscitent de nombreusesinterrogations chez les autorités deconcurrence tant en Europe qu’aux États-Unis (cf., par exemple, les rapports des autorités de concur-rence anglaise (2000), américaine (2001, 2003) et norvé-gienne (2005)). À ce stade, le débat académique sur leurseffets est loin d’être tranché et les tra-vaux empiriques (ces travaux concernent unique-ment le marché américain) apportent un éclai-rage limité. Ils sont en effet peu nombreuxen raison de la nature confidentielle desnégociations et les résultats diffèrent se-lon les méthodes et les hypothèses tes-tées (les études empiriques reposent généralement sur desdonnées telles que celles de Nielsen, ou bien sur des en-quêtes auprès des producteurs et distributeurs).Sudhir & Rao (Sudhir K., Rao V.R., Do slotting al-lowances enhance efficiency or hinder competition ?, Jour-nal of Marketing research, 2006, 43 (2), pp. 137-155) uti-lisent des données sur les nouveauxproduits offerts à une chaîne de super-marché et concluent que les servicescommerciaux sont utilisés par les pro-ducteurs pour signaler la qualité de leursproduits, et qu’ils permettent aux dis-tributeurs de partager les risques et d’al-louer efficacement leurs linéaires. Maisils observent aussi que les services com-merciaux réduisent la concurrence enaval.Sur la base d’enquêtes auprès de pro-ducteurs et de distributeurs, d’autres tra-vaux (Mahi H., Rao V.R., The price of launching new pro-duct : empirical evidence on factors affecting the relativemagnitude of slotting allowances, Marketing Science, 2003,22 (2), pp. 246-268) concluent également queles effets de ces rémunérations sontmixtes. Elles permettent un partage desrisques et une meilleure allocation du li-néaire. Mais elles permettent aussi, tantaux distributeurs qu’aux fournisseurs,d’augmenter les prix (Bloom P.N. e.a., Slotting

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allowances and fees : schools of thought and the viewsof practicing managers, Journal of Marketing, 2000, 64,pp. 92-108).Stanton et Herbst (Stanton J. L., Herbst K., Slot-ting allowances : short-term gains and long term negativeeffects on retailers and consumers, International Journal ofRetail and Distribution Management, 2006, 34, pp. 187-197) parviennent aux mêmes types deconclusions en se fondant sur des étudesde Nielsen. Les rémunérations serventà réduire l’incertitude sur la qualité desnouveaux produits mais elles empêchentparfois les petits producteurs d’accéderau marché. Ils observent aussi qu’ellesincitent les fournisseurs à répercuter lescoûts des marges arrière dans leurs prix.Enfin, Wright (Wright J.D., Slotting contracts andconsumers welfare, Antitrust Law Journal, 2007, 74 (2),pp. 439-473) teste les effets des marges ar-rière sur le bien-être du consomma-teur en étudiant l’impact de leur inter-diction sur les prix des produits vendusdans les magasins de l’armée. Il conclutque ces contrats ne sont pas néfastespour le consommateur mais ses résul-tats sont mitigés. À la suite de l’inter-diction de ces pratiques, le prix de cer-tains produits augmente tandis qu’ilbaisse sur d’autres produits.La théorie économique montre ainsiqu’il est nécessaire d’arbitrer entre leseffets pro et anticoncurrentiels desmarges arrière. Seule une analyse aucas par cas est à même de déterminerquels effets l’emportent. La jurispru-dence en la matière confirme la perti-nence de cette approche.

La Cour américaine de Caroline duNord a en effet débouté les concur-rents de Philip Morris accusés de res-treindre la concurrence et d’entraverl’accès aux linéaires en offrant des ré-ductions aux distributeurs en échangede services de mise en avant de sesproduits (R.J. Reynolds Tobacco v. Philip Morris,199 F Supp 2d 362 (MDNC 2002)). Elle a constatéque cette stratégie n’avait pas eu d’im-pact sur les parts de marché desconcurrents ni porté atteinte à leursprofits, et qu’elle n’avait pas non plusempêché de nouveaux acteurs d’en-trer et de prendre des parts de marchésignificatives (pour une analyse approfondie ducas, cf. Bronsteen P e.a., Price-Competition and SlottingAllowances, 2005, 50 Antitrust Bulletin 267).En France, le Conseil de la concur-rence a en revanche sanctionné la so-ciété des Caves et des Producteurs ré-unis de Roquefort pour des pratiquescomparables. En position dominantesur le marché du roquefort, la sociétéoffrait des budgets de référencementimportants à plusieurs distributeurssous la forme de remises hors facturepour obtenir une exclusivité d’appro-visionnement. Le Conseil a considéréque ces pratiques, visant « à restreindrel’accès ou le maintien d’entreprisesconcurrentes sur le marché du roque-fort, notamment pour la distributionen GMS, (…) ont eu pour objet et poureffet de limiter l’accès des concurrentsau marché » (Cons. conc., déc. n° 04-D-13, 8 avr.2004, pt. 68).

À notre connaissance, la jurisprudenceimpliquant des distributeurs est moinsabondante et concerne des pratiquesd’abus telles que la facturation de ser-vices fictifs aux fournisseurs (par exemple, lasociété Leclerc a été condamnée par le Tribunal de Rennesen 2007 pour de telles pratiques) ou des ententesverticales. Le Conseil a ainsi condamnéà plusieurs reprises (Cons. conc., déc. n° 03-D-45,25 sept. 2003, Calculettes scolaires ; Cons. conc., déc. n° 07-D-50, 20 déc. 2007, Jouets de Noël) des ententesentre producteurs et distributeurs sur lesprix de détail s’appuyant sur un systèmeartificiel de marges arrière.Il a notamment sanctionné les sociétésCarrefour et Casino pour avoir appliquéles prix de vente conseillés par la sociétéBuena Vista Home Entertainment éditeurde cassettes vidéo, « le respect de ces prixétant assuré par leur correspondance avecun seuil de vente à perte artificiellementfixé au même niveau pour chacun des dis-tributeurs, du fait du report de la majeurepartie de la rémunération des distributeursen ristournes faussement conditionnellesou en prestations de services fictives » (Cons.conc., déc. n° 05-D-70, 19 déc. 2005, Vidéocassettes, pt. 225).En conclusion, les systèmes de margearrière doivent être analysés au cas parcas à l’instar de ce que préconise la Com-mission européenne pour appréhenderles effets des pratiques sur la concur-rence dans ses lignes directrices sur l’ap-plication de l’article 82 (CE, Guidance on theCommission’s Enforcement Priorities in Applying Article 82EC Treatyto Abusive Exclusionary Conduct by DominantUndertakings, déc. 2008). ◆

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« Plus, n’est pasnécessairement mieux »et Marc

DESCHAMPS (*)Université

de Nice Sophia-Antipolis – GREDEG-

CNRS UMR 6227

Chercheur, GREDEGUMR 6227 CNRS

D epuis maintenant quelquesannées, les nouvelles tech-nologies, notamment l’In-

ternet, permettent l’accès aux décisionsdes instances en charge de la concur-rence de nombreux pays, qu’il s’agissedes décisions administratives ou juri-dictionnelles (sans oublier les avis que les autoritésde concurrence peuvent rendre, même si ces derniersn’engagent pas leurs auteurs sur ce qu’ils seraient à mêmede décider ultérieurement, y compris dans le cas où ils’agirait de faits semblables), ainsi qu’à celles desinstances communautaires. En outre, larapidité avec laquelle ces décisions sontmises « en ligne » par les personnels deces instances constitue un effort quel’on se doit de saluer. Toutefois, si selonl’une des conclusions classiques del’économie de l’information « les in-formations sont comme les huîtres, ellesne valent que par leur fraîcheur »(Shapiro C. et Varian H., Économie de l’information : guidestratégique de l’économie des réseaux, De Boeck, 2005,p. 56), il nous semble également utilede rappeler que « trop d’informationtue l’information » (dans la même veine,Simon H. soulignait déjà que « l’abondance d’informationengendre une pénurie d’attention » comme le rappellentShapiro C. et Varian H., ibid., p. 12). En ce sens, ilfaut faire le constat accablant selonlequel les autorités de concurrencetendent, de plus en plus, à rendre desdécisions d’une « ampleur problé-matique » (il serait sans doute intéressant d’essayerd’analyser s’il existe une corrélation entre le nombrede pages des décisions et le montant des amendesinfligées). À titre d’illustration, signalonsla toute récente décision de la Commis-sion européenne sanctionnant la firmeIntel, dans une décision annoncée de542 pages (on peut noter qu’il s’agit là d’unenouveauté. C’est en effet la première fois, à notreconnaissance, que la Commission fournit un communiqué

de presse ainsi que des documents présentant sa décision,sans mettre à disposition, dans le même temps, la décisionelle-même), ainsi que l’arrêt du Tribunal depremière instance des Communautéseuropéennes dans l’affaire Microsoft,lequel comportait déjà 300 pages.En ce qui concerne l’autorité françaisede concurrence, la tendance est stric-tement la même comme le démontre letableau suivant :

Remarque : ce tableau est établi à partir du résultat de l’in-terrogation de la base de données de l’Autorité de la concur-rence, qui fait ressortir 52 décisions portant sur le contrôledes pratiques anticoncurrentielles, entre le 1er janvier 2008et le 25 mai 2009 (la première décision de l’Autorité date du18 mars 2009, avant il s’agissait du Conseil). Pour conser-ver la cohérence de ce décompte, nous avons comptabiliséles décisions ayant explicitement à la fois pour visas les ar-ticles L. 420-1 et L. 420-2, dans les décisions relevant de l’ar-ticle L. 420-1 et dans celles relevant de l’article L. 420-2. Nousn’avons pas comptabilisé les décisions portant sur une de-mande de mesure conservatoire ou celles acceptant des en-gagements, ce sont donc 40 décisions qui ont été analysées.Ce tableau permet de constater l’impor-tance de la masse de pages à traiter, mêmedans le cas extrême et peu rigoureux oùseules les décisions de l’Autorité de concur-rence nationale seraient analysées (on si-gnalera, en particulier, la décision n° 08-D-32 portant sur despratiques mises en œuvre dans le secteur du négoce des

produits sidérurgiques de 151 pages ou encore la décisionn° 08-D-30 relative à des pratiques mises en œuvre par dessociétés pétrolières de 84 pages).Ce constat – mais nous sommes évidem-ment tributaires sur ce point de nos lec-tures –, semble pouvoir être généraliséà de nombreux pays.Dans cette perspective, nous tenons àfaire observer que plus personne n’estréellement aujourd’hui à même de pou-

voir suivre l’ensembledes décisions des ins-tances nationales,communautaires,voire internationales(si l’on pense, parexemple, aux déci-sions de l’Organe derèglement des diffé-rends de l’Organisa-tion mondiale ducommerce ayant unvolet concurrentiel).

Serait-on tenté de pratiquer du droit com-paré? Il faudrait rapidement y renoncer.Les citoyens, y compris les chefs d’en-treprise, risquent désormais d’être ré-duits à ce que les médias généralistesleur « disent le droit » (ce qui nous semble no-tamment contradictoire avec la volonté des autorités deconcurrence de mettre en œuvre des programmes de com-pliance, dont on peut voir l’actualité dans le colloque orga-nisé par le Conseil de la concurrence sur ce thème, cf. RLC2009/19, n° 1384). Plus problématique encore,même les spécialistes du droit de laconcurrence ont les plus grandes diffi-cultés à effectuer une veille information-nelle, notamment grâce à la lecture desrésumés établis par les instances, celledes articles de revues académiques (prin-cipalement la Revue Lamy de la concurrence et la revue Concur-rences), des blogs ou des lettres spéciali-sées (cf. notamment le succès de la Lettre CREDA >

1447RLC

ou la difficulté de faire apparaîtrela (les) vraie(s) question(s) de droitdans la masse des décisionsdes autorités de concurrence

Par LaurenceBOY (*)

Professeurà l’Université

de Nice SophiaAntipolis

CREDECO/GREDEG UMR 6227

CNRS/INRA

(*) Les idées et opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteurs et en aucune façon les institutions auxquelles ils appartiennent. Nous remercions Céline Savard-Chambard, PierreBernhard et Michel Rainelli pour leurs commentaires sur une version préliminaire, tout en restant seuls responsables tant du contenu que de la forme.

Autorité Dispositif Nombrede décisions

Nombrede pages

Conseil de la

concurrence

Autorité de la

concurrence

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L. 420-2

L. 420-1

L. 420-2

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Concurrence, animé par A. Ronzano, sur ce point),contraints qu’ils sont de conserver leurtemps pour leur(s) « micro-domaine(s)de spécialité » ou pour le problème pré-cis qu’ils cherchent à résoudre à un ins-tant donné.Ce billet d’humeur repose sur l’obser-vation selon laquelle plus personne n’està même de se forger, par sa seule ana-lyse, une conception claire et précise del’évolution du droit de la concurrence,voire de son domaine de spécialité. C’estun constat très grave car émerge peu àpeu un problème de prévisibilité juri-dique lié à une trop grande masse d’in-formations indigestes, y compris pourles spécialistes. Nous plaidons donc pourun retour à la culture juridique française,dans laquelle les arrêts et les décisionsposent clairement le(s) problème(s) dedroit en les désignant comme tels, ne

présentant les faits bruts qu’en supportà la qualification juridique des faits.L’« attractivité du droit », vantée par lesrapports Doing business de la banquemondiale, devrait sans doute se mesu-rer aussi à l’aune de la lisibilité et del’intelligibilité du « droit » de la concur-rence. La prévisibilité juridique en droitde la concurrence passe par un retour àdes formes épurées de la décision juri-dictionnelle.

I. – UN PROBLÈME DE PRÉVISIBILITÉJURIDIQUE

Traditionnellement, la doctrine soulignequ’il existe un problème de prévisibi-lité juridique lorsque la règle de droitapplicable n’est pas clairement identi-fiée (cf., par exemple, Boy L., Racine J.-B. et Siiriainen F.(Coord), Sécurité juridique et droit économique, Larcier,2008, 586 p.). C’est notamment le caslorsque la règle de droit n’est pas connue,lorsqu’il est difficile d’y accéder oulorsque son application demeure sourced’imprévisibilité. L’une des sources ma-jeures de l’imprévisibilité juridique enFrance résulterait, selon la tradition, dela « jurisprudence » au sens large et, plusprécisément, des revirements de juris-prudence.De nos jours, c’est également la massed’informations hebdomadaires que doi-vent traiter les spécialistes du droit dela concurrence qui est devenue une vé-ritable source d’imprévisibilité. Il ne

s’agit pas, à notre sens, d’une évolutioncomparable – et qui se justifie – à celleque l’on peut constater dans de nom-breuses autres disciplines juridiques,par exemple en matière de responsabi-lité médicale (c’est ainsi que la juris-prudence distingue de mieux en mieuxles conditions de mise en œuvre de laresponsabilité d’un chirurgien cardiaquede celles d’un chirurgien spécialiste dufoie). Même si l’on considère qu’aujour-d’hui le droit de la concurrence se com-pose de quatre grands « organes » (les en-tentes, les abus de position dominante, les concentrationset les aides d’État), personne n’est plus enmesure d’avoir une appréhension ex-haustive de sa spécialité.Pour résumer, si les instances n’ontpas, pour l’essentiel, le choix quant aunombre de décisions à rendre, elles ont,en revanche, une responsabilité essen-

tielle quant à la longueur de celles-ciet en conséquence, quant à leur acces-sibilité et, surtout, à leur intelligibilité(le problème consistant pour le juriste à repérer les in-formations pertinentes dans une masse énorme est sen-siblement analogue à celui que rencontre le consomma-teur confronté, lors de l’achat de biens de consommation,à des modes d’emploi toujours plus complexes. Nousn’évoquons même pas le cas de l’acquéreur de produitsfinanciers ou de prêts hypothécaires dont l’actualité amontré le désarroi).Ce problème de l’accès au droit noussemble d’autant plus crucial, qu’à cejour, malgré les efforts faits en ce do-maine par les instances, toutes les dé-cisions ne sont pas accessibles sur In-ternet et que les moteurs de rechercheproposés sur les sites officiels ne sontpas à la hauteur des possibilités offertesen la matière par les dernières avancéestechnologiques. C’est sans doute là unelimite à ces avancées, si elles ne sontpas accompagnées par des hommes. Ilest clair que la technologie ne sauraitse substituer au juriste. Les deux doi-vent se compléter. Il s’ensuit qu’il estextrêmement difficile, de nos jours, d’ap-préhender exhaustivement une ques-tion précise, certaines décisions « pu-bliées » ainsi que leurs résumés risquantmême d’induire en erreur, comme le dé-montre la récente affaire GlaxoSmithK-line où, selon le Communiqué du Conseilde la concurrence du 14 mars 2007, ilétait prétendu qu’il s’agissait de la pre-mière affaire sanctionnant une pratique

de prix prédateurs en France, ce qui étaitparfaitement erroné. Difficile dès lorsde prévoir, avec une très faible marged’erreur, quelle sera la sanction de telleou telle pratique (ce point est encore plus gravesi l’on prend en compte le fait que les autorités de concur-rence ne décomposent jamais explicitement le montant desamendes qu’elles infligent à partir des infractions qu’ellesont retenues ni, du reste, pourquoi elles sanctionnent àhauteur d’un certain pourcentage du chiffre d’affaires mon-dial). Sans doute faudrait-il en revenir àde courtes décisions, axées sur les pro-blèmes juridiques, accompagnées d’an-nexes détaillées sur les aspects factuelset techniques, ce qui faciliterait incon-testablement l’accès au droit de laconcurrence.

II. – PLAIDOYER POUR UN RETOURÀ LA CULTURE JURIDIQUE FRANCAISE

Si l’on estime que le droit est un modede communication, à l’instar de toutelangue, il doit à la fois constituer un lan-gage, support d’une communication mi-nimale, et permettre de construire dessystèmes généraux visant à se com-prendre pour résoudre des conflits maistenant compte, dans le même temps,des spécificités liées aux réalités histo-riques et sociales. C’est en particuliersur ce postulat que l’on peut faire repo-ser l’idée d’un droit commun de laconcurrence, mais qui ne se confondraitpas non plus avec un droit unique (ouunifié ; pour une appréhension générale de cette probléma-tique, on pourra notamment se reporter au magnifique ou-vrage de Delmas-Marty M., Pour un droit commun, Seuil,Paris, 1989, 305 p.).Dès lors, sans promouvoir une posi-tion protectionniste ni nationaliste surles solutions de fond du droit, il noussemble indispensable, légitime et mêmecrucial que les instances nationales etcommunautaires retrouvent l’un desapports essentiels de la culture juri-dique romano-germanique : la brièvetétraditionnelle des décisions et des ar-rêts. Celle-ci permet d’exposer de ma-nière claire et intelligible, le(s) pro-blème(s) de droit tiré(s) du casd’espèce. Mais, et c’est sans doute ladifférence fondamentale avec le droitanglo-saxon, à partir de ces différentscas d’espèce, les magistrats ont apprisà dégager des décisions ou arrêts deprincipe, dont la connaissance permetà tout juriste d’anticiper l’élaborationde la solution du problème nouveauqui lui sera posé.Nous appelons donc instamment les au-torités de concurrence à modifier trèssensiblement la présentation de leursdécisions en posant, dans un premiertemps, sous une forme similaire à celle

Plus personne n’est à même de se forger, par saseule analyse, une conception claire et précise

de l’évolution du droit de la concurrence,voire de son domaine de spécialité.

« «

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des arrêts de la Cour de cassation ou duConseil d’État, le(s) problème(s) juri-dique(s) soulevé(s) par l’affaire tran-chée, en le(s) détachant des contin-gences liées au cas d’espèce, afin deprésenter, dans un second temps, lesdonnées idiosyncratiques.Une telle présentation aurait pour pre-mier avantage de mieux cibler le(s)problème(s) de fond du droit ainsi queles difficultés procédurales. En consé-quence, elle rendrait plus intelligiblesles jurisprudences des cours d’appelet des cours suprêmes. Les spécialistesdu domaine, mais aussi les magistratsnon spécialistes, les juristes généra-listes (notamment les juristes d’entreprises), toutcomme l’ensemble de la doctrine,

auraient ainsi accès à un document,plus riche que le résumé superficiel(et pas nécessairement pertinent)fourni généralement aujourd’hui parles services de ces instances. Enfin,de manière plus accessoire mais sansdoute tout aussi importante, cette pré-sentation rénovée permettrait égale-ment aux enseignants de pouvoir exi-ger des étudiants qu’ils lisent toutesles décisions utiles pour les cours dis-pensés. Ceci éviterait un double men-songe : celui de l’enseignant qui feintde croire que les étudiants ont réelle-ment la possibilité de lire ces déci-sions, et celui des étudiants qui se sen-tent obligés de faire croire qu’ils lesont lues.

Pour finir, il est important de soulignerque ce changement auquel nous appe-lons peut se faire à moyens constants.En outre, il relève de « l’état d’esprit »de tout juriste qui, de par sa formationet la lecture des décisions des autresautorités administratives indépendantes(ARCEP, CRE, CNIL, AMF, HALDE,CSA, AMRT, ASN, entre autres), est ha-bitué à ce genre d’exercice.Place maintenant donc, nous l’espé-rons, à la critique et au débat sur notreappel, y compris évidemment de lapart de l’Autorité de la concurrencequi a « le goût du débat » comme lesoulignait Bruno Lasserre dans le pre-mier numéro d’« Entrée libre », la lettred’information de l’Autorité. ◆

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCEQuestions d’actualitéLa nouvelle Autorité de la concurrenceLundi 8 décembre 2008

Avec la concrétisation de nombreux projets tant au niveau national que communautaire, l’année 2008 a étéune année particulièrement active dans tous les domaines du droit de la concurrence.L’adoption de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 fut l’événement marquant du secondsemestre, avec la transformation du Conseil de la concurrence en Autorité dotée de pouvoirs et de moyensrenforcés pour assurer la surveillance concurrentielle des marchés dans tous ses aspects. Les nouvellesattributions de l’Autorité de la concurrence en matière d’investigation, de contrôle des concentrations et d’avissur les questions générales de concurrence furent au cœur des discussions, ainsi que la modernisationde la procédure « antitrust ».2008 confirme également l’attrait pour les procédures négociées avec l’adoption, par la Commissioneuropéenne, d’une procédure de transaction communautaire. Au plan national, après la clémence, outil majeurde lutte contre les cartels, c’est la procédure d’engagements qui fait l’objet d’un communiqué de procédurepar le Conseil de la concurrence, le premier sur ce thème en Europe.Concernant le contentieux des dommages concurrentiels, l’actualité est marquée par la publication, par laCommission européenne, du tant attendu Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infractionaux règles de concurrence communautaires. Les propositions de la Commission sur la dépénalisation du droitdes affaires relancent quant à elles la discussion sur la place du droit pénal en matière de concurrence.En matière d’aides d’État, la Commission a adopté le Règlement général d’exemption par catégorie qui permetd’harmoniser les règles relatives à plusieurs catégories d’aides et de les dispenser d’une notification préalable.Autant de questions qui furent l’objet de nombreux et riches débats lors de la 5e édition des RencontresLamy du droit de la concurrence organisées par la Lettre des Juristes d’affaires et dont les actes sont ci-aprèsreproduits.

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INTRODUCTIONCyril NOURISSAT,Professeur à l’Université Jean Moulin, Lyon III

ALLOCUTION D’OUVERTUREBruno LASSERRE,Président du Conseil de la concurrence

LA NOUVELLE RÉGULATIONDE LA CONCURRENCEBruno LASSERRE

QUESTIONS-RÉPONSES

ACTUALITÉ DES AIDES D’ÉTATJean-Louis COLSON,Chef de l’Unité Marché intérieur et Concurrence,Direction générale Transport et Énergie,Commission européenne

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ACTUALITÉ DU DROIT DES CONCENTRATIONSAntoine WINCKLER,Avocat, Cabinet Cleary Steen & Hamilton LLP

ACTUALITÉ DES PRATIQUES RESTRICTIVESMartine BÉHAR-TOUCHAIS,Professeur à l’Université Paris-Descartes

ACTUALITÉ DU CONTENTIEUX DES DOMMAGES CONCURRENTIELSMuriel CHAGNY,Professeur à l’Université Paris-Descartes

et Jacqueline RIFFAULT-SILK,Conseiller à la Cour de cassation

ACTUALITÉ DU DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCEÉric BARBIER de la SERRE,Avocat, Cabinet Latham & Watkins

et Cyril NOURISSAT

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INTRODUCTIONPar Cyril NOURISSAT,Professeur à l’Université Jean Moulin, Lyon III

« J’ai l’honneur d’ouvrir ces cinquièmes Rencontres dudroit de la concurrence, même si ce plaisir est quelque peu

gâché par l’absence de ma collègue Véronique Sélinsky, re-tenue ce jour à Montpellier. Cette rencontre se déroule dansun contexte d’actualité extrêmement chargé cette année. Denombreux textes sont adoptés et promulgués ; il s’avère im-portant de les analyser. Nous évoquerons évidemment la loide modernisation de l’économie et la nouvelle Autorité dela concurrence.» ◆

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ALLOCUTION D’OUVERTURE (1)

Par Bruno LASSERRE,Président du Conseil de la concurrence

« Je souhaite revenir sur la régulation de la concurrenceet aborder les traits principaux de cette réforme. Quel serale nouveau visage de l’Autorité de la concurrence, quali-fiée d’autorité administrative indépendante par la loi demodernisation de l’économie ? Je souhaite également abor-der le nouveau contrôle des concentrations et le change-ment survenu dans le traitement des pratiques anticon-currentielles.Cette réforme a été menée tambour battant. À la fin dumois de janvier 2008, la Commission de libération de lacroissance française, présidée par Jacques Attali, a remisses propositions au président de la République. Ce derniera exprimé son soutien aux propositions de création d’uneAutorité de la concurrence unique et renforcée. Tout est en-suite allé très vite, alors même qu’il a fallu une loi, uneordonnance et toute une série de décrets d’application pourconcrétiser ces propositions. La Commission pour la libé-ration de la croissance française s’est emparée de ce sujetcar elle a vu un lien entre plus de concurrence, plus decroissance et plus de pouvoir d’achat. Dès lors que la Com-mission a légitimement pensé qu’une politique de concur-rence plus efficace pouvait contribuer à la croissance et àla modernisation de notre économie, il fallait aussi revoirla régulation de la concurrence et rassembler les compé-tences aujourd’hui dispersées autour d’une Autorité indé-pendante et unique.Les trois axes principaux de cette réforme sont les suivants :le transfert du contrôle concurrentiel des concentrations àl’Autorité indépendante ; le transfert également des enquê-teurs de concurrence, qui permet d’intégrer les compétenceset les moyens au sein d’une chaîne unique et plus efficace,de la détection des pratiques au suivi de l’exécution desdécisions, en passant par l’enquête, l’instruction et la prisede décision ; le fait de permettre à l’Autorité indépendantede rendre, de sa propre initiative, des avis sur des ques-tions générales de concurrence ou de faire des recomman-dations aux pouvoirs publics, au gouvernement ou au Par-lement, pour améliorer le fonctionnement concurrentieldes marchés.Cette réforme s’est faite, au total, en onze mois, ce quiconstitue un délai extrêmement rapide. On pourrait regret-ter qu’elle ait été scindée en deux puisqu’une partie a ététraitée par le législateur et une autre par ordonnance, cequi a pu empêcher d’avoir une vision globale des choses.Pour ma part, je trouve plutôt positif que le Sénat – puisque

c’est le sénateur Larcher qui présidait à l’époque laCommission spéciale chargée d’examiner la loi de moder-nisation de l’économie – ait estimé que ce sujet institu-tionnel, soit la création de l’Autorité, était politiquementtrop important pour échapper à une discussion parlemen-taire. Le Sénat a donc exigé qu’une partie de la réforme,relative à la création de l’Autorité et à la fixation des règlesconcernant son indépendance et la composition du collège,soit transférée de la future ordonnance à la loi. Ceci mesemble constituer un signe plutôt positif de l’intérêt qu’amontré le législateur à la création de cette nouvelle Auto-rité, même si le découpage entre loi et ordonnance a pucompliquer certains points.L’ordonnance à laquelle renvoie la LME pour traiter lesquestions résiduelles qui n’ont pas été évoquées par le lé-gislateur porte le titre de « modernisation de la régulationde la concurrence » ; elle a été adoptée le 13 novembre 2008,au terme d’une consultation du Conseil de la concurrencequi a eu lieu au mois d’avril, puis de la place, pendantl’été. Je souhaite rendre hommage à la ministre de l’Éco-nomie, de l’Industrie et de l’Emploi, Mme Christine La-garde, qui, sur ce sujet mais aussi sur la mise en œuvredes décrets d’application de la LME comme de l’ordon-nance, s’est engagée à ce que le processus se déroulerapidement.Les décrets prévus par la LME aussi bien que par l’ordon-nance sont en cours de finalisation. Deux principaux dé-crets de fond sont prévus par la LME : l’un traite du conseillerauditeur, l’autre de la représentation en justice de l’Auto-rité ; ils devraient paraître dans les prochains jours. L’or-donnance prévoit également d’autres décrets relatifs, no-tamment, à l’articulation entre l’Autorité et les servicesministériels en ce qui concerne l’instruction des affairesde pratiques anticoncurrentielles ou à la question du contrôledes micro-pratiques sur le plan local. Enfin, un décret ba-laiera et toilettera l’ensemble du Code de commerce pourtirer toutes les conséquences de la réforme.En ce qui concerne les moyens, l’arbitrage gouvernemen-tal a été clair : 60 emplois en année pleine et 48 pendantl’année de transition ont été transférés à l’Autorité de laconcurrence. Le budget a été rapproché de celui des auto-rités administratives indépendantes, notamment des ré-gulateurs sectoriels en France, ce qui montre, dans uncontexte budgétaire serré, la volonté du gouvernement demettre en œuvre rapidement cette réforme. Les recrute-ments ont débuté pour que la nouvelle Autorité soit opé-rationnelle début 2009.La première réunion du collège de la nouvelle Autorité mar-quera le basculement des règles de fond et de compétence ;elle aura lieu aussi tôt que possible en 2009. » ◆

(1) Le style oral de cette allocution a été conservé.

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCELundi 8 décembre 2008

La nouvelle régulation de la concurrencePar Bruno LASSERRE

checks and balances, soit un vrai contradictoire entre le col-lège qui décide et les services qui instruisent, est très utilepour le Conseil. Elle génère une dialectique qui enrichit le dé-bat et garantit aux entreprises qui viennent en séance la chancede pouvoir réellement discuter les griefs devant des personnesqui n’ont joué aucun rôle en amont, dans leur établissement.J’avais établi des statistiques lorsque nous avions débattu decette question : 45 % des décisions du Conseil ne suivent pasles services d’instruction, que ce soit en tout ou en partie. Ladernière décision que vient de rendre le Conseil, relative àl’affaire de l’approvisionnement en carburéacteurs d’Air Franceà l’escale de la Réunion, l’illustre, puisque le Conseil n’a re-tenu qu’un des trois griefs notifiés par le rapporteur.

2) La mission de régulation de la concurrence

La mission de régulation de la concurrence est inscrite dansla loi pour la première fois, y compris dans sa dimension eu-ropéenne : toutes les conséquences du règlement n° 1/2003et de la mise en place du Réseau de concurrence européensont ainsi tirées. Ce sujet est d’actualité : le Conseil vient dese prononcer pour la première fois sur des aspects importantsdu règlement n° 1/2003 dans une affaire qui concerne l’ap-provisionnement en carburéacteurs d’Air France à son escalede la Réunion. Dans cette affaire, le rapporteur général avaitdécidé, sur le fondement de l’article 22 du règlement n° 1/2003,de demander à l’Office of Fair Trading de l’assister dans samission d’enquête pour rechercher des preuves auprès de so-ciétés dont le siège était à Londres. Pour la première fois, leConseil de la concurrence vient de se prononcer sur le contrôlequ’il exerce sur le recours à l’assistance formé dans le cadrede cet article 22, en distinguant dans cette assistance, deman-dée et obtenue d’une autorité nationale membre du Réseau,trois phases :– la demande d’assistance, formulée par le rapporteur géné-ral, contrôlée selon le droit national par le Conseil et les juri-dictions de contrôle ;– l’autorisation et le déroulement de l’enquête menée par l’au-torité auprès de laquelle la demande d’assistance a été faite,contrôlée au regard du droit national de cette autorité, par lesjuridictions de cet État membre;– l’utilisation des informations obtenues dans le cadre de cetteassistance, régie par le droit national, sous le contrôle des ju-ridictions nationales.En contrepartie de cette indépendance accrue figure la res-ponsabilité : l’Autorité pourra approfondir ses rapports avecle Parlement en lui adressant son rapport annuel, en lui pré-sentant son bilan et ses perspectives chaque année et surtouten portant les messages de la politique de la concurrence aucœur du débat législatif.

B. – Les droits des entreprises renforcés

1) L’achèvement de la séparation des fonctionsd’instruction et de décision

Nous achevons la séparation des fonctions d’instruction et dedécision, entamée en 2001. Un certain nombre de pouvoirsdemeurés entre les mains du président à l’époque mais éga-lement rattachables à l’instruction, seront dorénavant exer-cés par le rapporteur général. Ainsi, il pourra désormais, lorsque

I. – LA TRANSFORMATION DU CONSEIL EN AUTORITÉINDÉPENDANTE UNIQUE PLUS VISIBLE, PLUS FORTEET PLUS EFFICACE

A. – Une autorité indépendante renforcée

1) Le statut de l’Autorité

La LME a tranché le débat sur la nature de l’Autorité qui estune autorité administrative indépendante. La précédente or-donnance, de décembre 1986, ne qualifiait pas le Conseil dela concurrence. Un débat avait donc eu lieu, au tout début desa création, sur la nature juridictionnelle ou administrative decette nouvelle autorité. La Cour d’appel de Paris avait tran-ché clairement, notamment dans son arrêt Coca-Cola, en qua-lifiant le Conseil d’autorité administrative. Désormais, la loiqualifie elle-même l’Autorité d’autorité administrative indé-pendante. Ce point est important car, en 20 ans, le Conseil adérivé sur certains points vers une certaine judiciarisation.Les termes employés dans les textes réglementaires y pous-sent d’ailleurs parfois comme « juger » plutôt que « décider ».Les réflexes sont tels que ce langage judiciaire revient régu-lièrement. Quand je rédige des décisions, je fais toujours lachasse aux termes qui pourraient induire en erreur le lecteuret laisser penser que nous sommes une juridiction. Il n’estainsi pas possible de parler de jurisprudence du Conseil de laconcurrence mais plutôt de pratique décisionnelle comme onle fait pour la Commission européenne.Cela dit, certaines évolutions qui ont rapproché le Conseil dela concurrence des règles applicables aux juridictions sontplutôt positives. À titre personnel, je suis favorable à la sépa-ration des fonctions d’instruction et de décision. Cette réforme,qui fait suite à l’évolution de la jurisprudence de la Cour decassation et du Conseil d’État, a été bienvenue. Contrairementà ce qui est souvent écrit, cette séparation n’est pas exigéepar la Cour de Strasbourg pour la prise d’une décision admi-nistrative. D’ailleurs, alors que la Commission nationale de laconcurrence espagnole suit les mêmes règles que le Conseilde la concurrence français, en séparant instruction et déci-sion, d’autres grandes autorités de concurrence en Europe,telles que le Bundeskartellamt allemand ou l’Office of Fair Tra-ding britannique, ne pratiquent absolument pas cette sépara-tion. En Allemagne, les décisions en matière de pratiques an-ticoncurrentielles sont prises par des chambres duBundeskartellamt, formations de trois personnes dont le rap-porteur qui a voix délibérative : ceci n’a jamais été censurépar les juridictions allemandes dont on connaît le haut degréd’attachement pour la garantie des droits. Au Royaume-Uni,le directeur général de l’Office of Fair Trading dirige les en-quêteurs et prend les décisions de sanctions. Dès lors que laneutralité est garantie à un degré ultérieur de la procédure, etnotamment devant le juge de plein contentieux qui peut an-nuler ou réformer la décision, la jurisprudence de la CEDHjuge que le fait que cette garantie soit offerte plus tard dansle procès régularise la situation en amont; il n’est alors pasbesoin d’assurer cette impartialité dès le premier stade de laprocédure.La France est allée plus loin, ce qui me semble constituer unebonne chose; je crois qu’il est important d’assurer l’impartia-lité dès le premier stade de la décision. Cette séparation desfonctions d’instruction et de décision, qui crée un système de

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les griefs seront notifiés, décider de recourir à la procéduresimplifiée qui dispense de l’établissement d’un rapport, ceque faisait le président précédemment. L’octroi de délais auxentreprises relèvera également du pouvoir du rapporteur gé-néral : ce dernier décidera ainsi de la prolongation des délaisdemandée par les entreprises, soit à la suite de la notificationdes griefs, soit à la suite de l’envoi du rapport. Enfin, le rap-porteur général traitera toutes les questions liées au secret desaffaires dont l’ordonnance simplifie d’ailleurs la procédure,actuellement lourde et bureaucratique.À l’inverse, cette séparation ne vaudra pas pour les procé-dures d’engagements, dans les affaires de concentrations ouencore dans les procédures d’avis où l’on ne poursuit per-sonne.

2) La création du conseiller auditeur

La seconde nouveauté est la création d’un conseiller auditeur.Cette nouvelle fonction s’inspire de la Commission européenne,tout en s’en distinguant radicalement. À Bruxelles, le conseillerauditeur est effectivement la contrepartie d’une absence deséparation entre instruction et décision : parce que la Com-mission européenne obéit à un fonctionnement très intégré,le conseiller auditeur permet aux entreprises de s’adresser àune personne distante de l’instruction et de la décision, pourse faire entendre. Il s’agit donc d’une garantie d’un examenimpartial et distancié par rapport au rôle de la direction gé-nérale de la concurrence.La conception française, dans un système qui sépare les fonc-tions d’instruction et de décision, est plutôt celle d’un expertprocédural, accessible aux entreprises en cas de contestationsur les droits de la défense pendant la phase d’instructioncontradictoire de la procédure de contrôle des pratiques anti-concurrentielles. Le conseiller auditeur fournira, lorsqu’il serasaisi de telles contestations, une évaluation autonome au col-lège, qu’il aidera donc à prendre la mesure des contestationsprocédurales. Le collège demeure toutefois seul juge de la ré-gularité de la procédure.

II. – LE NOUVEAU CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS

La réforme va dans le sens d’un meilleur partage des rôlesentre l’Autorité indépendante et le gouvernement. Cet objec-tif est essentiel : il s’agit de préciser clairement la responsa-bilité de l’Autorité indépendante et l’étendue du pouvoir duministre.

A. – Les différentes phases du contrôle

La LME institue un guichet unique pour le contrôle concur-rentiel des concentrations; elle met en place un traitement in-tégré avec un interlocuteur unique pour les entreprises, de laprénotification à la décision et au suivi de sa mise en œuvre.L’équilibre entre les deux phases de la procédure est préservé.Dans le premier cas, le président ou le vice-président déléguéstatue seul. Les cas qui font l’objet d’une Phase II restent,comme aujourd’hui, traités de manière collégiale. Ceci n’ex-clut pas du tout qu’en Phase I, de manière informelle, le pré-sident ou le vice-président délégué puisse consulter les autresvice-présidents ou le président, avec un système de checksand balances et un dialogue interne à l’Autorité. Sont doncdistingués le traitement rapide des cas qui ne posent pas dedifficultés de concurrence et le traitement approfondi, contra-dictoire et collégial des cas soulevant des questions.Ensuite, la Phase II est restructurée de fond en comble. Ellepréserve toutes les traditions du Conseil – débat contradic-toire, formalisé, par écrit – avec l’envoi d’un rapport et la te-nue d’une séance pendant laquelle s’engage un débat direct

entre les entreprises et le collège. La Phase III, qui prévoyait,après l’examen collégial et l’émission d’un avis, que l’affaireétait réexaminée par les services ministériels pour une nou-velle négociation qui revenait parfois sur l’avis, ou du moinsentretenait certaines ambiguïtés, est en revanche supprimée.Cette phase était souvent déstabilisante pour les entreprises,qui pensaient l’affaire terminée avec la prise de position duConseil. De fait, elle engendrait une rupture des équipes as-sez compliquée à gérer. Dorénavant, il n’y aura plus qu’unseul travail de conviction à réaliser pour les entreprises, quiportera sur tous les aspects du « deal », soit les aspects proou anticoncurrentiels de l’opération mais aussi les remèdes.Cette réforme est de nature à procurer des gains d’efficacité,qui sont évidemment retransmis aux entreprises, comme lemontre le fait que les délais sont raccourcis à 65 jours à comp-ter de l’ouverture de la Phase II.En outre, le traitement des cas devient plus homogène et co-hérent. Le bilan qu’exercera l’Autorité de la concurrence sefocalisera exclusivement sur les questions de concurrence ausens large, en intégrant les gains d’efficacité. L’analyse éco-nomique devrait donc être au cœur du travail de la future Au-torité. Celle-ci dispose, je le rappelle, d’un service économiquedédié, dirigé par un chef économiste, qui pourra participer àl’examen de l’affaire, notamment au dialogue avec les entre-prises. Durant la Phase II, les rapporteurs du service concen-trations pourront aussi bénéficier du renfort des rapporteursantitrust, dans les cas qui le justifient.Je tiens à ce que cette procédure de contrôle en deux tempssoit utilisée plus clairement pour différencier les affaires. Jesuis sensible au message des entreprises qui insistent sur lefacteur temps. Les concentrations d’entreprises constituentun tel défi organisationnel, en particulier lorsque les marchéssont volatiles, que la course au temps s’avère très importante.Pouvoir apporter une réponse rapide aux entreprises est unélément majeur de la crédibilité du nouveau contrôle. Il fau-dra donc, chaque fois que possible, aller plus vite, tout en pré-servant les caractéristiques de notre système de checks andbalances, et n’ouvrir une Phase II que lorsqu’il s’agira de lameilleure solution. Cela fonctionnera si deux conditions sontremplies : les entreprises doivent continuer à prénotifier leursaffaires le plus en amont possible, pour informer loyalementet complètement l’Autorité des enjeux de la concentration;elles doivent également avancer vers un diagnostic partagéavec l’Autorité le plus tôt possible. Je constate que les entre-prises attendent parfois le dernier moment pour proposer desremèdes ou partager le diagnostic. Dans ces conditions, il estdifficile de garantir une prise de décision rapide. Enfin, il fautaccepter que, lorsque l’affaire ne pose aucune difficulté – cequi est souvent le cas, lorsqu’il n’y a pas de recoupements demarchés entre les entreprises qui se concentrent ou lorsqueles parts de marché sont extrêmement faibles – l’Autoritéprenne des décisions qui ne tranchent pas la délimitation desmarchés et ne font pas jurisprudence. Je suis partisan, pourles affaires très simples, d’un système reposant sur une ins-truction très allégée, à la condition qu’on n’attende pas desdécisions qu’elles fassent jurisprudence.

B. – Le pouvoir d’évocation du ministre

Une question demeure quant au pouvoir résiduel du ministre.Le Conseil s’est d’emblée montré favorable à l’équilibre despouvoirs entre l’Autorité indépendante recentrée sur l’examendu bilan concurrentiel au sens large et la possibilité pour leministre de porter, sur certaines affaires stratégiques, un re-gard politique qui mette en balance le bilan concurrentiel avecla contribution que peut apporter le projet à d’autres intérêts >

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généraux. Le Conseil a toujours considéré que cet équilibreétait un élément du succès de la réforme. Une difficulté ré-side toutefois dans le fait que la LME permet au ministre d’évo-quer une affaire de concentration aussi bien dans le cas danslequel l’Autorité a estimé qu’il existait un problème de concur-rence qui justifiait soit une décision d’interdiction, soit unedécision assortissant son autorisation de remèdes non accep-tés par les entreprises, que dans le cas où l’Autorité a estiméqu’il n’existait pas de problèmes de concurrence ou que cesproblèmes de concurrence étaient résolus par des engage-ments proposés par les entreprises elles-mêmes.Il faudra voir comment s’exerce ce pouvoir d’évocation.Mme Lagarde a clairement confirmé que le ministre n’enten-dait utiliser ce pouvoir qu’à titre exceptionnel. Les années àvenir nous aideront à comprendre son fonctionnement.Il faut, en définitive, retenir de la réforme du régime de concen-trations que le fait de placer l’examen des concentrations etle traitement des pratiques anticoncurrentielles sous un mêmetoit, celui de l’Autorité de la concurrence, permettra d’avoirune approche cohérente et bien articulée du contrôle des struc-tures et des comportements.

III. – LE NOUVEAU CONTRÔLE DES PRATIQUESANTICONCURRENTIELLES

Ce contrôle est unifié. C’est un changement majeur. La dis-persion des compétences actuelles en matière de contrôle despratiques anticoncurrentielles affecte effectivement bien plusque le seul pouvoir d’enquête. Le Code de commerce dans sarédaction actuelle donne le pouvoir de décision au ministreen cas d’abus rattaché à une concentration, ainsi que le pou-voir de contrôler la bonne exécution des décisions prises parle Conseil. Toutes ces dispositions disparaissent à compter dela date de la première réunion du nouveau collège, puisquel’ensemble des compétences est intégré pour assurer l’effica-cité de la régulation de la concurrence.

A. – Les compétences transférées à l’Autoritéde la concurrence

1) Le transfert du pouvoir d’enquête

Le pouvoir d’enquête est intégré dans une chaîne de respon-sabilité continue et homogène, de la détection des comporte-ments et de la collecte des preuves sur le terrain à la décisionfinale et au suivi de cette dernière. Cela permettra à l’Autoritéd’être informée plus en amont et plus complètement, et doncde construire une stratégie de traitement des cas beaucoupplus fine. Cette intégration aidera aussi à opter beaucoup plusvite pour des engagements quand le comportement n’a pasporté atteinte à la concurrence ou quand l’entreprise fait despropositions crédibles et constructives. Le fait de réunir dansles mêmes mains enquête et instruction aidera aussi en pré-sence de comportements graves, pour lesquels la seule ré-ponse possible doit être la sanction, notamment du point devue de la non contestation des griefs : le nouveau systèmepermettra d’accélérer la procédure en évitant de prolongerl’incertitude. Ces changements sont cohérents avec les nou-velles stratégies procédurales, qui incitent les entreprises àprendre en main leur avenir concurrentiel.

2) Le transfert du pouvoir de traiter complètementles abus

La réforme transfère à l’Autorité indépendante le pouvoir detraiter les abus liés à des opérations de concentration. Jusqu’àprésent, ce pouvoir était détenu par le ministre : le Conseil nepouvait que proposer au ministre de prendre des mesures

structurelles en cas d’abus permis par des opérations de concen-tration antérieures, ce qu’il n’a fait qu’une seule fois, dansl’affaire des filiales communes de la distribution d’eau. Cettedisposition est modifiée dans la mesure où le pouvoir de dé-cision est transféré à l’Autorité indépendante.Si l’on regarde les bonnes pratiques en vigueur au sein du ré-seau européen, on constate que le pouvoir horizontal d’in-jonction structurelle est, en revanche, un point qui n’a pas étérepris par le droit français. Un régime spécifique est cepen-dant créé dans le secteur de la distribution, à la demande duParlement. Le Code de commerce comprend ainsi une nou-velle disposition qui, dans le cas où un abus de position do-minante est commis par une entreprise du secteur de la dis-tribution et où l’entreprise poursuit son comportementanticoncurrentiel, permet à l’Autorité de prendre des injonc-tions structurelles à son égard, qui pourront aller jusqu’à l’obli-gation de céder des surfaces à des concurrents pour rétablirla concurrence sur la zone de chalandise affectée. Ce pouvoird’injonction structurelle a donc été traité de manière relative-ment fragmentée, en transférant le pouvoir de décision à l’Au-torité indépendante en premier lieu dans le cas d’un abus per-mis par une opération de concentration et en second lieu dansle cas de la distribution.

3) Le transfert du contrôle de l’exécution des décisions

Dans la répartition des rôles entre le Conseil et le ministre, leministre est actuellement le gardien de l’exécution des déci-sions du Conseil ; il lui arrive d’ailleurs de saisir le Conseil encas de non-respect par les entreprises des injonctions ou desengagements pris devant le Conseil. Dorénavant, l’Autoritéveillera elle-même à l’exécution de ses décisions. Ce point estfondamental pour l’avenir : une des caractéristiques essen-tielles des autorités indépendantes est que, à la différence desjuges, elles ne sont pas là simplement pour trancher des li-tiges et prendre des décisions qui s’imposent aux entreprises,mais aussi pour vérifier in concreto que les marchés fonction-nent de manière concurrentielle. Elles doivent donc s’intéres-ser à l’efficacité de leurs décisions en vérifiant concrètementque celles-ci sont correctement appliquées par leurs destina-taires. C’est un des points sur lesquels les pratiques étrangèresse développent : de nombreux régulateurs de la concurrence,qu’il s’agisse de la Commission européenne ou de l’Office ofFair Trading britannique, réalisent des études sur l’efficacitédes décisions prises en vérifiant leur application et leur in-fluence sur les comportements sur les marchés. L’Autorité en-tend investir beaucoup sur ce point car de nombreux cas ontété traités par des engagements et la crédibilité de cette pro-cédure dépend du respect des conditions dans lesquelles cesengagements sont appliqués par les entreprises. L’Autorité seradonc extrêmement vigilante, en mettant en œuvre les moyensnécessaires pour vérifier que les engagements et les remèdessont appliqués de manière totale et sincère.

B. – Un contrôle modernisé

La réforme a cherché à consolider 20 ans de pratique déci-sionnelle et de mise en œuvre du Code de commerce maisaussi à créer une Autorité modèle à partir des meilleures pra-tiques en vigueur à l’étranger.La consolidation de la jurisprudence se traduit par de nom-breuses précisions. Par exemple, la Cour d’appel de Paris, dansl’arrêt Coca-Cola, avait énoncé le principe que le désistementd’une partie ne faisait pas échec à la poursuite de l’affaire parle Conseil, autorité indépendante. Le Code de commerce letraduit maintenant concrètement : il n’y a pas besoin d’auto-saisine pour poursuivre l’instruction de l’affaire, le désiste-

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ment d’une partie ne faisant pas échec à la poursuite de l’ins-truction. Dans les rapports entre prescription pénale et pres-cription administrative devant l’Autorité de la concurrence, leCode de commerce consolide et codifie également les pointstranchés par le Conseil et la Cour d’appel de Paris.Certaines zones d’ombre du Code de commerce sont égale-ment levées en réponse à des problèmes rencontrés en pra-tique, notamment en ce qui concerne le secret des affaires,qui est simplifié, ou le recours des tiers en matière de perqui-sitions.Dans bien d’autres cas, l’ordonnance inscrit dans le Code decommerce des solutions envisagées par le Rapport Donnedieude Vabres en 1986, mais qui n’avaient pas été retenues par legouvernement, telles que l’ambiguïté sur le champ d’applica-tion des pouvoirs d’enquête : les services d’instruction duConseil pourront en faire usage non seulement en antitrustmais aussi en matière de contrôle des concentrations, puis-qu’il est clairement reconnu aux services d’instruction la pos-sibilité de procéder à toute enquête nécessaire à l’applicationdes Titres II et III du Livre IV du Code du commerce.Le règlement n° 1/2003 est apparu comme un modèle évi-dent, très utile dans les discussions techniques qui ont pré-cédé l’adoption des textes, car il fournit un précédent utilepour fonder un grand nombre d’avancées, par exemple sur ledispositif d’obstruction à l’instruction. Le système précédentn’était pas satisfaisant dans la mesure où il reposait sur lasanction pénale, difficile à mettre en œuvre et parfois dispro-portionnée. L’Autorité aura désormais la possibilité de sanc-tionner spécifiquement l’obstruction mise par les entreprisesà l’instruction des affaires, ce qui permettra un traitement gra-dué aux différents cas d’obstruction constatés.Cette réforme a aussi été l’occasion de réaliser tout un travailde benchmarking à partir des outils juridiques en vigueur àla fois dans les États membres mais aussi au sein des autresautorités administratives indépendantes de régulation écono-mique telles que l’ARCEP, le CSA, la CRE ou l’AMF. La possi-bilité pour le président de déposer un pourvoi en cassationcontre les arrêts de la Cour d’appel qui annulent ou réformentles décisions de l’Autorité s’inspire ainsi des procédures del’AMF où le président dispose de ce même pouvoir.

1) Le fonctionnement de l’instruction

Les services d’instruction pourront désormais effectuer touteenquête utile sur le modèle des pouvoirs dont disposent au-jourd’hui le ministre ou la Commission européenne. Ces ser-vices d’instruction disposeront de pouvoirs d’enquête égale-ment plus complets : ils pourront auditionner pendant lesperquisitions; ils pourront conserver les pièces saisies pen-dant qu’un contentieux est pendant; ils pourront, sous le re-gard du collège, traiter des cas d’obstruction, avec toutefoisune différence par rapport à la situation communautaire puisquel’amende procédurale devrait être fixée dans la décision finalesur le fond. Ils auront également une panoplie d’outils plusefficaces : ainsi, le recours à la procédure simplifiée se déci-dera au moment de l’envoi de la notification des griefs. Enmême temps, ces pouvoirs nouveaux seront contrebalancéspar de nouvelles garanties octroyées aux entreprises. Ainsi,le couperet de la prescription passera à 10 ans.

2) Le fonctionnement du collège

Les outils du collège sont eux aussi perfectionnés. Par exemple,la nature non incriminatoire de la procédure d’engagementsest clarifiée. Le texte du Code de commerce, issu de l’ordon-nance de novembre 2004, n’était pas très bien rédigé dans lamesure où il permettait aux entreprises de proposer des en-

gagements de nature à mettre fin à des pratiques anticoncur-rentielles. Ce texte est modifié pour s’accorder au vocabulairecommunautaire et à la pratique décisionnelle du Conseil : onparle de préoccupations de concurrence concernant des faitssusceptibles d’être qualifiés de pratiques anticoncurrentielles.D’autres changements résultent de la concertation menée avecle barreau spécialisé : nous obtenons le découplage entre non-contestation des griefs et engagements. Cela avait été préco-nisé de longue date par le Conseil. Dorénavant les entreprisesauront le choix, lorsqu’elles décideront de ne pas contesterles griefs, soit de se limiter à renoncer à cette contestation,soit d’accompagner cette renonciation de propositions d’en-gagements pour l’avenir permettant d’obtenir une réductionplus importante du quantum de la sanction.Le chantier de la défense des décisions en justice, ouvert en2005 avec la possibilité pour le Conseil d’être présent devantla Cour d’appel de Paris, est parachevé avec la possibilité dese pourvoir en cassation. Il s’avère effectivement très impor-tant de faire trancher par la juridiction suprême des points dedroit.Enfin, l’Autorité pourra décider de donner son avis sur desquestions générales de concurrence. Cet outil est conçu pourêtre à géométrie variable : l’Autorité pourra rendre des avisd’initiative sur des questions générales de concurrence per-mettant de donner des signaux plus clairs pour la commu-nauté des affaires ou pour les pouvoirs publics ; elle pourraégalement faire le bilan concurrentiel de législations ou de ré-glementations en vigueur ou en projet et recommander desréformes, comme l’ARCEP ou la CRE; elle pourra faire des en-quêtes sectorielles, sur le modèle de la Commission euro-péenne. Ce dernier point est utile car, en amont du traitementindividuel des cas, il peut y avoir des secteurs dans lesquelsun regard plus large peut être intéressant.Comme le Conseil, l’Autorité mettra cette pédagogie au cœurde ses priorités en recourant aussi plus largement aux com-muniqués de procédure. En matière de concentrations, nousferons nôtres les lignes directrices adoptées par le ministre del’Économie, élément fondamental de stabilité et de confiancedans le dispositif actuel, en n’écartant pas une évolution ul-térieure en fonction de nos propres convictions et de ce quenous aurons expérimenté en ce domaine.

CONCLUSION

Quelles seront les dernières étapes avant la mise en œuvre dela réforme? Il s’agit tout d’abord de finaliser les décrets pré-vus par la LME et par l’ordonnance.La LME prévoit plusieurs décrets : l’un s’intéresse aux condi-tions de publication des décisions ; l’autre doit préciser lechamp de l’intervention du conseiller auditeur; le troisièmedoit définir les modalités de représentation en justice de l’Au-torité. L’ordonnance prévoit également plusieurs décrets, dontdeux à retenir, sur :– l’articulation entre l’Autorité et les services ministériels austade de l’enquête, qui doit fonctionner au mieux pour quesoit atteint l’objectif d’efficacité administrative et pour assu-rer la sécurité juridique des entreprises;– l’articulation au stade de la prise de décision, avec le pointdes micro-pratiques locales : le Conseil avait émis au moisd’avril 2008 son avis sur le projet gouvernemental que le gou-vernement n’a pas suivi.Sur ce dernier point, le Conseil souhaitait effectivement pré-voir, si le pouvoir de transaction était maintenu, une articu-lation avec le collège de l’Autorité, au préalable, sur les pro-jets de transaction, pour que le collège vérifie que l’imputabilitédes pratiques avait été correctement traitée, que le standard >

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de preuve appliqué par les services ministériels était le mêmeque celui du Conseil, que le standard de sanction était co-hérent avec le standard qu’aurait appliqué le Conseil dansune telle hypothèse. L’ordonnance n’a toutefois pas retenuune telle articulation et les transactions seront donc déci-dées sans information préalable du collège. Dès lors que l’or-donnance a clairement tranché, il faut que l’ensemble fonc-tionne de manière satisfaisante pour permettre aux servicesministériels d’exercer ce pouvoir de mise en garde et de tran-saction dans un souci de cohérence du droit de la concur-rence, sans divergence avec l’Autorité, et dans le respect desgaranties que les entreprises attendent légitimement. Je suis

personnellement favorable à ce que ces transactions soientrendues publiques car je crois qu’il s’agit d’un élément im-portant de pédagogie.Le second chantier, après les décrets, sera l’adoption d’unnouveau règlement intérieur qui se substituera à l’actuel ettraitera un certain nombre de points transférés de la partie ré-glementaire du Code de commerce vers ce règlement inté-rieur, par exemple les règles de quorum concernant les diffé-rentes formations de l’Autorité.Je souhaite saluer une nouvelle fois l’engagement de tous auservice d’une réforme qui aura été menée de manière rapide,volontariste et, je le crois, relativement efficace. ◆

Cyril Nourissat. – « Je vous remercie pour cette présentation ; vous avez parfaitement brossé le panorama de l’intégrationet de l’autonomie qui caractérisent cette réforme. » ◆

QUESTIONS-RÉPONSES

Marc Levis, avocat au Conseil d’État et à la Cour decassation : « Les textes détermineront le régime del’application dans le temps, en fonction de l’entrée envigueur des textes. M. le président, vous avez observéque certaines dispositions peuvent éclairer ou consacrerle droit positif. Ainsi, la consécration de la nature del’institution en Autorité administrative indépendanteconsacre la nature du recours exercé contre ses décisionset dissipe l’ambiguïté sur le caractère d’effet dévolutif dece recours. Serait-il possible, sous réserve del’appréciation des tribunaux, de lister les élémentsnouveaux de cette réforme et les éléments déclaratifsqui, à ce titre, pourraient être utilisés à titred’arguments pour éclairer les problèmes existants et lecontentieux en cours ? »Bruno Lasserre : « Chaque fois que les modificationsdu Code de commerce clarifient certaines questions, ellesle font par des solutions qui sont le reflet de pratiquesdécisionnelles ou de jurisprudences passées ; elles neportent pas sur des sujets conflictuels qui auraient faitl’objet de divergences entre la Cour d’appel de Paris et laCour de cassation. C’est le cas pour la nature del’Autorité car l’arrêt Coca-Cola de la Cour d’appel deParis, rendu sous la signature du président Canivet,n’avait jamais été remis en cause. L’effet du désistementd’une partie ne faisait pas débat non plus. Les rapportsentre prescription pénale et prescription administrativerelèvent quant à eux d’une solution initiée par le Conseilde la concurrence et confirmée par la Cour d’appel deParis. Je ne suis donc pas certain que ces modificationspuissent éclairer des débats contentieux encore obscurs.Le seul point sur lequel un changement de fond estapporté concerne le régime des visites et des saisies.L’arrêt Ravon rendu par la Cour européenne des droits del’Homme à propos de perquisitions fiscales et douanièresa suscité des questions quant à sa portée : fragilise-t-iluniquement les perquisitions fiscales ou douanières ous’étend-il à d’autres perquisitions ? Certains éléments desperquisitions de concurrence se rapprochent du régimedes perquisitions fiscales et douanières, mais en mêmetemps des différences existent. La grande distinctionentre ces perquisitions réside dans le fait que, dans lesperquisitions de concurrence, les entreprises ont la

possibilité, après l’autorisation délivrée par le juge deslibertés et de la détention, de revenir devant ce juge pourcontester concrètement les conditions dans lesquelles sesont déroulées les visites et saisies. Il arrive ainsi que lejuge des libertés et de la détention rende des pièces à desentreprises qui contestent ces saisies. Les entreprises ontun juge effectif devant lequel elles peuvent se présenter,un juge du fait qui contrôle in concreto les conditionsdans lesquelles se déroulent les visites et saisies et statuesur les contestations qui peuvent surgir. Le gouvernementa préféré prendre les devants et mettre le droit positiffrançais en accord avec les exigences de l’arrêt Ravon, enintroduisant la possibilité d’un contentieux d’appel surles ordonnances par lesquelles le juge des libertés et de ladétention autorise les visites et saisies. Dorénavant, lesentreprises pourront donc contester devant un juged’appel les ordonnances du juge des libertés et de ladétention autorisant les visites et saisies avant de sepourvoir éventuellement en cassation. L’ordonnance meten place des dispositions transitoires qui ouvrent desdroits nouveaux aux entreprises pour leur permettre debénéficier de ces avancées, alors même que lesperquisitions ont été ordonnées sur le fondement du droitantérieur. »Mélanie Thill-Tayara, SCP Salans & Associés : « Sur lecontrôle des concentrations, j’imagine que lesprénotifications s’adressent au rapporteur général. Je crainstoutefois que ce dernier soit très occupé au vu des tâches quilui incombent. Par ailleurs, envisagez-vous de traiter lesaffaires très simples par des autorisations tacites ? »Bruno Lasserre : « Très en amont, il faudra quel’entreprise sache qui prendra part au processus. Monintention est d’identifier cet interlocuteur le plus tôtpossible de manière à ce que l’entreprise prenne contactavec celui-ci, normalement le chef du service desconcentrations, nouvelle équipe dédiée pour examinerles dossiers de concentrations. Le dialogue devras’engager avec cette personne, ce qui n’exclut pas quedes contacts puissent être pris avec le président ou levice-président délégué. »Christine Vilmart, Castaldi, Mourre & Partners :« Sur un plan pratique, une difficulté concerneactuellement le point de départ du délai lorsque le

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dossier est complet. Comme le délai était très court enPhase I, le dossier n’était jamais totalement complet. Ilpourrait donc être utile que le délai entre la notificationet le point de départ du dossier notifié complet ne soitpas trop long.Vous avez indiqué dans votre présentation que desrapporteurs de l’antitrust pourraient travailler sur lesconcentrations : cette disposition pourrait s’avérerdangereuse pour les entreprises, du fait d’une étanchéitéde fonctionnement au sein du collège d’instruction entrele bureau concentrations et les rapporteurs quis’occupent des enquêtes antitrust. »Bruno Lasserre : « Cette disposition ne jouera quepour les Phases II. Dans mon esprit, le système actuelsera le suivant : en Phase I, le service des concentrationstraitera l’affaire, qui donnera lieu à une décisionindividuelle prise par le président ou un vice-présidentdélégué, tandis qu’en Phase II la décision relèvera ducollège. Pour approfondir l’examen en Phase II, il faudrarenforcer l’expertise du service des concentrations parl’envoi d’un rapport écrit puis d’un débat contradictoireavec le collège, qui bénéficiera du concours derapporteurs antitrust du Conseil. Il s’agit donc du refletdu système actuel, si ce n’est que le collège ne rendraplus un avis mais une décision à l’issue de la Phase II.S’agissant du délai d’autorisation tacite, il ne court qu’àpartir du moment où le dossier est complet. Nous pouvonsnous pencher sur la question de savoir si les informationsexigées sont excessives ou pas mais le mécanismed’autorisation tacite s’avère redoutable puisqu’il conduit àprendre une décision du seul fait de l’écoulement dutemps. Il est donc fondamental que les entreprises aienttotalement informé l’autorité chargée de prendre ladécision du contenu du dossier exigé par les textes avantque ne courre le délai d’autorisation tacite. »Dominique Brault, Herbert Smith LLP : « Avez-vousanticipé l’importance que pourrait avoir dans votreactivité le contrôle des concentrations dans ladistribution avec les nouveaux seuils ?Par ailleurs, vous exprimez votre attachement pour laséparation entre instruction et décision, à notre grandesatisfaction. Or nous assistons parfois à uneprolongation de l’instruction devant le Conseil : jetrouve que cela décrédibilise le choix de principe en cequi concerne la non-participation au délibéré.L’influence exercée par les services de l’instruction surles membres du Conseil me semble tout aussi manifesteque s’ils participaient au délibéré. Je souhaiterais doncque le règlement intérieur de la future Autorité délimiteplus clairement la frontière entre l’instruction et ladélibération, dans l’esprit de la séparation. »Bruno Lasserre : « Sur votre première question, il estdifficile d’anticiper le nombre d’affaires qui devront êtrenotifiées et faire l’objet d’une décision dans le secteur dela distribution, compte tenu de l’abaissement du seuilpour les affaires locales, sauf en extrapolant les donnéesdu passé. En année pleine, cela pourrait concerner entre10 et 15 affaires au moins.Sur le second point, je ne vous suis pas du tout. LaCour de cassation a clairement jugé que le rapporteurdevait quitter la séance avec les entreprises et lescommissaires du gouvernement et laisser les seuls

membres du Conseil délibérer. C’est ce qu’il se passedepuis 2001 : nous nous réunissons seuls, parfoislonguement, pour examiner attentivement le bien-fondédes griefs, la question des objections procédurales et lessanctions éventuelles. Que la séance soit vivante etcontradictoire ne me choque pas du tout, au contraire :il me semble normal que le rapporteur qui présente lepoint de vue de l’instruction l’énonce et, si on lequestionne, l’explicite ou le précise. La séance doitpermettre au Conseil de délibérer en toute connaissancede cause. Par conséquent, après la présentation dupoint de vue du rapporteur et du rapporteur général, ilest parfaitement naturel que le rapporteur puisserevenir sur certains points de fait pour donner sonpoint de vue, à condition bien entendu que lesentreprises puissent répliquer aux propos du rapporteur.La différence entre une autorité administrativeindépendante et une juridiction réside dans le fait quenous n’écoutons pas des plaidoiries qui se succèdentmais que nous essayons de nous forger une conviction àpartir de tous les éléments présents. Le rapporteurn’influe en rien sur le délibéré du fait de saparticipation à la séance. De cette confrontation entrela vision du rapporteur et celle des entreprises naîtra laconviction des membres du Conseil. Je suis tout à faitopposé à l’idée selon laquelle le Conseil ne pourraitdélibérer objectivement que si le rapporteur se taisait :il doit au contraire pouvoir donner son point de vue,qui peut ensuite être contesté par les entreprises. »Public : « Le juge des libertés et de la détentionactuellement saisi de contestation de visites et saisiesdoit-il se dessaisir au profit de la Cour d’appel ? »Public : « La mesure ne vaut que pour l’avenir. Lejuge des libertés et de la détention saisi d’uncontentieux finira de le traiter. »Public : « Parmi les novations de fond confiées àl’Autorité figure la possibilité de sanctionner les abus deposition dominante suite à une concentration endéfaisant l’opération si nécessaire, dans le domaine ducommerce. Quel type d’abus pourrait alors êtresanctionné ?Ma deuxième question concerne la novation en matièrede contrôle des concentrations dans le commerce. Lesystème est-il déjà bien en vigueur ? Sur le fond, y aura-t-il ou non opération de contrôle en cas de changementd’enseigne d’un commerçant membre d’un systèmecoopératif ? »Bruno Lasserre : « Ces questions montrent que nous nesommes pas venus à bout de toutes les difficultés ouinterprétations auxquelles peuvent donner lieu ces textes.Sur le premier point relatif au pouvoir d’injonctionstructurelle en cas d’abus de position dominante, il existemaintenant deux habilitations données à l’Autorité pouragir. La première ne fait que transférer le pouvoir actueldu ministre à l’Autorité pour les abus qui ont été renduspossibles par une opération de concentration antérieure :dans ce cas, l’Autorité indépendante pourra prendre elle-même la décision. La seconde est nouvelle ; elle estrestreinte au secteur de la distribution dans lequell’Autorité pourra adresser des injonctions structurelles. Cepouvoir est strictement encadré puisqu’il ne suffira pas de >

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCELundi 8 décembre 2008

constater un abus dans une zone de chalandise pourmettre en œuvre cette nouvelle possibilité : il faudra aussique l’entreprise ait poursuivi son comportement malgréun constat d’infraction préalable dressé par l’Autorité quiaura soit sanctionné, soit enjoint l’entreprise de cesser lecomportement appréhendé. La LME ne définit pas le typed’abus : par conséquent, il peut s’agit de tout typed’abus, tel qu’un abus d’éviction, c’est-à-dire uncomportement abusif qui tenterait d’évincer du marchélocal un concurrent par toutes sortes de pratiques, ou unabus d’exploitation d’une position dominante etnotamment la pratique de prix excessivement élevés. Lelégislateur n’a pas restreint aux abus d’éviction le champde ce nouveau pouvoir. Jusqu’ici, le Conseil de laconcurrence n’a jamais sanctionné une entreprise pourabus d’exploitation lié à des tarifs excessifs. Le seul casoù il aurait pu le faire, puisque la clientèle étaitréellement captive de l’opérateur dominant, est l’affairede la prison d’Osny où les prisonniers s’étaient plaintsdes prix excessifs pratiqués par l’épicerie. Dans cetteaffaire, le Conseil a utilisé sa pratique décisionnelleclassique en matière de prix excessifs, en regardant s’ilexistait une disproportion manifeste soit entre les prixpratiqués et les coûts supportés soit entre les prixpratiqués par cet opérateur dominant et d’autresopérateurs agissant sur le même marché. Ce standard depreuves est si exigeant que le Conseil n’a jamais pul’appliquer de manière positive ; il est applicable à desabus d’exploitation liés à des tarifs excessifs, infractiontrès difficile à démontrer car l’Autorité de la concurrencene peut être le régulateur des prix et ne peut sanctionnerces infractions que dans des cas de disproportionmanifeste. »Public : « Lorsqu’un avocat voulait regarder les piècessaisies, il n’avait pas ce droit. Sa présence est désormaisreconnue et non plus seulement tolérée. Pour uneopération de saisie, un inventaire permettrait d’identifierles pièces saisies. S’il s’agit d’une mesure d’instruction,ce problème procédural pourra faire l’objet d’unediscussion avec le conseiller auditeur. Affirmer que laprésence d’un avocat est reconnue ne suffit pas : quandexiste-t-il une mesure d’obstruction ? Selon moi, il n’y apas obstruction lorsque l’avocat demande à voir lespièces saisies car cela fait partie du travail d’assistanced’un avocat pendant la procédure de vérification. Jesouhaiterais avoir quelques éclaircissements sur ce quevous en pensez. »Bruno Lasserre : « Il m’est impossible de vousrépondre car cela me ferait préjuger de ce qui pourraêtre décidé dans telle ou telle hypothèse. Il est en outredifficile d’extrapoler à partir de la pratique actuelledans la mesure où il existe une novation importante :la loi reconnaît dorénavant la possibilité de la présencede l’avocat, à la condition qu’il ne fasse pas obstructionau déroulement des opérations. Sur le second point, ilfaut veiller à ne pas créer de télescopage entre les voiesde droit qui existent, et notamment les voies juridiquesde recours, et le conseiller auditeur. Ce dernier n’a pasvocation à se substituer aux autorités juridictionnellesou au collège pour trancher les questions de procédure.Tel n’est pas le rôle que lui impartit la loi. Le conseillerauditeur a vocation à permettre au collège, sur desquestions de procédure, de décider en toute

connaissance de cause, avec un éclairage neutre parrapport aux services d’instruction et aux parties. »Public : « La LME prévoit que les parties peuvents’adresser au conseiller auditeur en lui faisant part deleurs contestations sur le déroulement de la procédured’instruction et non sur le déroulement de la procédured’enquête. C’est donc après la notification de griefs quele conseiller auditeur peut être sollicité par les parties. Sides mesures d’enquête ont lieu pendant la phased’instruction, elles peuvent alors être portées devant leconseiller auditeur. En revanche, si les mesures d’enquêteont lieu avant la notification de griefs, elles ne peuventalors pas être soumises au conseilleur-auditeur. »Bruno Lasserre : « C’est exact. Je voudrais revenir surla question qui m’a été posée tout à l’heure concernantl’entrée en vigueur des nouveaux seuils de concentrationapplicables à la distribution. L’ordonnance intervient, dufait même de la Constitution en matière législative,même si elle n’a pas encore été ratifiée par le Parlement,et peut donc modifier ou restreindre la loi antérieure.Rien ne lui interdit de modifier ou de restreindre desrègles auparavant décidées par le législateur. De monpoint de vue, c’est clairement la première réunion de lanouvelle Autorité qui crée le basculement des règles decompétences et des règles de fond qui y sontassociées. »Public : « Je suppose pourtant que les notificationspeuvent déjà arriver. »Bruno Lasserre : « Non, car les notifications nepourront se faire que devant l’Autorité qui n’existe pasencore. »Cyril Nourissat : « Vous avez souligné votreattachement à l’exécution des décisions. Quelle formeprendra le contrôle de l’exécution des décisions del’Autorité ? »Bruno Lasserre : « Dans le cas où des injonctionsaccompagnent la décision ou lorsque la décision setraduit par une obligation de faire, l’Autorité pourras’autosaisir pour vérifier que ces engagements ouinjonctions ont été respectés par les entreprises. Defacto, c’est ce qui existe déjà aujourd’hui. L’Autoritéexercera cette prérogative seule ; elle sera en charge deveiller à l’exécution de ses propres décisions. Mêmedevant les juridictions suprêmes, telles que le Conseild’État, il existe une section du rapport et des études quis’intéresse concrètement aux difficultés d’exécution desdécisions. Les juges sont de plus en plus dotés depouvoirs destinés à s’assurer que les décisions qu’ilsprennent sont exécutées. Ainsi, le juge administratifpeut préciser dans sa décision les conditions concrètesdans lesquelles l’administration devra exécuter ladécision. Cela va plutôt dans le sens, du point de vue duplaignant, de la satisfaction de ses droits car unedécision tranche le litige mais aussi le remplit de sesdroits dans la réalité. »Cyril Nourissat : « Je vous remercie pour cetteintervention et pour les éclaircissements que vous avezpu apporter. » ◆

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Actualité des aides d’ÉtatPar Jean-Louis COLSON,Chef de l’Unité Marché intérieur et Concurrence, Direction générale Transport et Énergie, Commission européenne (2)

B. – Le critère des ressources publiqueset de l’imputabilité de la mesure à l’État

1) L’imputabilité de la mesure à l’État

Dans l’arrêt du 26 juin 2008 sur la télévision portugaise (TPICE,26 juin 2008, aff. T-442/03, préc.), le Tribunal a été amené à interpréterla notion d’imputabilité puisque Portugal Telecom, à l’époqueentreprise publique, avait octroyé des facilités de paiement àla télévision publique portugaise pour le paiement de la re-devance. Les plaignants considéraient qu’il s’agissait d’uneaide. Dans sa décision, la Commission avait considéré que cesfacilités de paiement ne constituaient pas une aide car ellen’était pas en mesure de démontrer l’imputabilité de la me-sure à l’État. Elle s’était fondée sur certains indices : en pre-mier lieu la loi ne prévoyait aucune relation particulière entrePortugal Telecom et la télévision publique portugaise; ensuite,Portugal Telecom n’était en rien intégré dans l’administrationpublique portugaise; troisièmement, la Commission avait spé-cifiquement demandé à Portugal Telecom et à l’État portugaissi ces facilités avaient été octroyées à l’initiative de l’État etl’un comme l’autre avaient assuré la Commission que tel n’étaitpas le cas; quatrièmement, aucun autre tiers, hormis le plai-gnant, n’avait donné des éléments pouvant laisser penser quela mesure en question avait été prise à l’initiative de l’État ;cinquièmement, ce comportement de Portugal Telecom s’étaitpoursuivi même après la privatisation de Portugal Telecom;enfin, sixièmement, ce comportement de Portugal Telecomsemblait être dû à des considérations privées puisqu’il résul-tait d’un conflit entre Portugal Telecom et la télévision pu-blique portugaise sur le montant de la redevance. Sur la basede ces six critères, la Commission avait considéré qu’ellen’était pas en mesure de démontrer l’imputabilité de la me-sure à l’État et par conséquent, l’existence d’aides de Portu-gal Telecom à la télévision publique portugaise. Ce raisonne-ment a été intégralement confirmé par le Tribunal dans l’arrêtdu 26 juin 2008.

2) Ressource d’État

L’arrêt du 17 juillet 2008 de la Cour de justice (CJCE, 17 juill.,aff. C-206/06, Essent Netwerk Noord) est intéressant car il restreint la por-tée d’un arrêt de principe extrêmement important dans le do-maine des aides qui était l’arrêt Preussen-Elektra. Dans celui-ci, la Cour avait considéré que, lorsque des acteurs privés étaientcontraints par l’État à fournir des avantages à des entreprises,la mesure en question n’était pas une aide d’État, même si elleétait imputable à l’État, car des ressources d’État n’étaient pasen cause. Il s’agissait d’un arrêt dans le domaine de l’électri-cité en Allemagne où il était imposé par la loi aux distributeursd’électricité, privés comme publics, d’acheter à un tarif favo-rable l’électricité aux producteurs qui produisent cette électri-cité à partir d’énergies renouvelables. La Cour de justice avaitconsidéré que cette obligation d’achat à taux préférentiels faiteà des acteurs privés au profit d’entreprises sur le marché – àsavoir des producteurs d’électricité verte – n’était pas une aidecar il n’y avait pas de ressources d’État en cause.La portée de cet arrêt est restreinte, en ligne avec la pratiquede la Commission, par l’arrêt du 17 juillet 2008. Celui-ci

Je me propose de présenter une revue de la jurisprudencedans le domaine des aides d’État pour l’année 2008. La juris-prudence a été extrêmement importante, tant quantitative-ment que qualitativement, avec plusieurs arrêts de principefort utiles dans le domaine du contrôle des aides d’État.

I. – LES ARRÊTS PRÉCISANT LA NOTION D’AIDE D’ÉTATUne aide est une mesure qui répond simultanément à quatrecaractéristiques : elle procure un avantage; elle concerne cer-taines entreprises ou certaines productions; elle est financéeaux moyens de ressources d’État et est imputable à l’État ; ellea un impact sur les échanges entre États membres et engendreune distorsion de concurrence dans la Communauté.Les arrêts de 2008 ont principalement précisé les trois pre-miers critères, à savoir l’avantage, la ressource publique et lasélectivité.

A. – La notion d’avantage

1) Garanties publiques

L’arrêt du 26 juin 2008 (TPICE, 26 juin 2008, aff. T-442/03, SIC c/Commission)constitue la suite de la « saga » de la télévision publique por-tugaise. Dans cet arrêt, le Tribunal a précisé la notion d’avan-tage dans le contexte des garanties d’État. Il a indiqué qu’unegarantie d’État ne peut se déduire de la simple appartenanced’une entreprise à l’État ou du fait que l’entreprise est contrô-lée par l’État. Pour qu’il y ait garantie d’État, il faut qu’il existeun acte, donc une constatation objective de l’existence d’unegarantie. La perception de la part du marché qu’une entre-prise a, en matière d’emprunt, des conditions avantageusesparce qu’elle est contrôlée par l’État ou parce qu’elle appar-tient à l’État, n’est pas suffisante pour conclure que l’État aoctroyé explicitement ou implicitement une garantie.

2) La notion d’investisseur privé en économie de marché

Dans l’arrêt du 9 juillet 2008 (TPICE, 9 juill. 2008, aff. T-301/01, Alitalia),le Tribunal a précisé la notion d’investisseur privé en éco-nomie de marché. Lorsque l’État procède à une augmenta-tion de capital, ou à un apport en capital dans une entre-prise, il est réputé ne pas octroyer d’avantages et donc d’aidesd’État s’il intervient dans les conditions d’un investisseurprivé en économie de marché. La jurisprudence a considé-rablement évolué sur le point de savoir si l’intervention del’État doit s’apprécier différemment suivant qu’il en est déjàactionnaire (majoritaire) ou pas. Ainsi, dans les années 1980et 1990, la Cour de justice et le Tribunal avaient considéréque lorsque l’État intervenait dans une entreprise publique,son intervention devait alors s’apprécier en tant qu’action-naire déjà présent. Cette jurisprudence a depuis considéra-blement évolué et, dans cet arrêt du 8 juillet 2008, le Tribu-nal précise très clairement que tel n’est pas le cas : le principede l’investisseur privé en économie de marché doit s’appré-cier comme celui d’un investisseur quel qu’il soit, sansprendre en compte le fait que l’État était déjà actionnaire del’entreprise ou qu’il ne l’était pas. Il faut donc comparer l’in-vestissement de l’État à celui d’un investisseur quelconqueprésent sur le marché.

(2) Les développements qui suivent sont ceux de l’auteur et ne sauraient engager la Commission européenne.

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCELundi 8 décembre 2008

concerne des distributeurs d’électricité aux Pays-Bas qui ontune obligation d’achat. Ces distributeurs d’électricité sont desentreprises publiques. Ils n’ont aucune liberté sur l’usage defonds collectés auprès des consommateurs d’électricité qu’ilsdoivent rétrocéder à une entreprise selon une clé de réparti-tion imposée par l’État. Toutefois, ces fonds sont considéréscomme une ressource publique car les distributeurs sont touspublics. Les fonds qui transitent par eux deviennent donc uneressource publique.

C. – Le critère de la sélectivité.

L’arrêt du Tribunal du 10 avril 2008 (TPICE, 10 avr. 2008, aff. T-233/04,Royaume des Pays-Bas c/Commission) concerne les droits d’émission pourles oxydes d’azote. Le Tribunal confirme que les quotas d’émis-sion octroyés gratuitement par un État pour limiter les émis-sions de certains gaz à effet de serre constituent un actif in-corporel donné gratuitement et donc un avantage. Il s’agissaitde droits d’émission qui pourront ensuite être échangés ouvendus par les entreprises qui les reçoivent. Toutefois, étantdonné que ce mécanisme, en termes de droits d’émission,concerne certaines entreprises qui ne peuvent être comparéesà d’autres car elles sont les seules à appartenir audit méca-nisme de droits d’émission, il n’y a pas sélectivité. Unique-ment les grandes installations qui produisent du NOx sontsoumises au mécanisme et, donc, elles seules peuvent dispo-ser de cet avantage. Le cercle fermé de bénéficiaires de la me-sure correspond aux seules entreprises qui font partie du mé-canisme : on ne peut donc pas dire qu’elles perçoivent unavantage par rapport aux autres entreprises qui ne font paspartie du mécanisme.Un autre arrêt précise la notion de nature et d’économie dusystème. Même si une mesure est sélective, elle échappe à lanotion d’aide d’État si cette sélectivité résulte de la nature etde l’économie du système. Dans l’arrêt SIC contre Commis-sion du 26 juin 2008, une mesure visait la transformation dela télévision publique portugaise d’entreprise publique à sta-tut spécifique en société anonyme. Or, cette transformationimpose normalement le passage devant notaire et donc le paie-ment de certains droits. Dans le cas d’espèce, la transforma-tion était imposée par la loi et dispensait du passage devantnotaire et, implicitement, du paiement des droits devant no-taire. La Commission avait fait le raisonnement suivant : latransformation, étant imposée par la loi, dispensait par consé-quent du passage devant notaire et du paiement des droitsliés au passage devant notaire ; de ce fait, l’exonération dedroits devant notaire est dans la nature et l’économie du sys-tème et ne constitue donc pas une aide. Le Tribunal annulela décision de la Commission sur ce point en invoquant unraisonnement insuffisant. Pour le Tribunal, la vraie questionest la suivante : est-ce le recours à la loi qui est dans la na-ture et la logique du système juridique portugais et a pourconséquence l’absence de passage devant notaire et donc l’ab-sence de paiement de taxes? Tel est ce que la Commission au-rait dû regarder. Pour vérifier la nature et l’économie d’unemesure, il faut donc aller plus loin que la simple constatationde la conséquence du recours à la loi et se poser la questionde savoir si le recours à la loi lui-même était bien dans la na-ture et l’économie du système juridique portugais.L’arrêt du 11 septembre 2008, dit « de la fiscalité basque » (CJCE,11 sept. 2008, aff. C-428/06, UGT-Rioja e.a. c/Juntas Generales del Territorio Histórico deVizcaya e.a.), est fondamental quant au concept de sélectivité ré-gionale et précise l’arrêt Açores de 2006. Dans ce dernier, laCour avait posé trois conditions pour affirmer qu’il n’y a pasde sélectivité et donc pas d’aides lorsqu’une mesure fiscaleautomatique non discrétionnaire et non autrement sélective

est adoptée par une entité régionale autonome sans que lesautres entités de même niveau puissent toutes le faire. En pre-mier lieu, il faut que la collectivité régionale ou locale auteurde cette mesure dispose d’un statut politique et administratifdistinct, consacré constitutionnellement (critère de l’autono-mie institutionnelle). Le second critère relève de l’autonomieprocédurale : il faut qu’il n’y ait aucune possibilité d’inter-vention directe de la part du gouvernement central pour lamise en œuvre de la mesure. Enfin, le troisième critère est ce-lui de l’autonomie économique et financière : les conséquencesfinancières de la mesure ne doivent pas être compensées pardes concours ou des subventions en provenance des autresrégions ou du gouvernement central. Pour qu’il n’y ait pas sé-lectivité, il faut donc que l’entité régionale ou locale se com-porte véritablement comme aurait pu se comporter un État etqu’elle dispose de l’autonomie institutionnelle, procéduraleet financière.Dans l’arrêt fiscalité basque du 11 septembre 2008, la Cour dejustice a précisé ces trois critères. Elle a été très claire sur lefait qu’il n’existait pas d’autres critères que les trois précé-demment cités. La Commission avait effectivement plaidé quel’arrêt Açores pouvait être lu comme signifiant que, pour qu’unemesure ne soit pas une aide, il fallait répondre aux trois cri-tères cités mais également à un quatrième critère : la collec-tivité locale ou régionale devait également jouer un rôle fon-damental dans la définition de l’environnement économiqueet politique dans lequel opèrent les entreprises. La Cour, dansl’arrêt fiscalité basque, rejette cet argument en considérantque ce critère n’est pas additionnel mais simplement la consé-quence de la réunion des trois autres critères.La Cour précise également dans cet arrêt du 11 septembre2008 que l’existence d’un contrôle juridictionnel ne remet pasen cause l’autonomie procédurale. La Commission avait éga-lement plaidé que le contrôle juridictionnel sur les actes dela collectivité locale ou régionale, c’est-à-dire la possibilitépour le juge de s’opposer ou d’annuler l’acte de la collectivitélocale ou régionale, excluait l’autonomie procédurale à la col-lectivité. Dans l’arrêt fiscalité basque, la Cour rejette égale-ment cet argument en considérant que le contrôle juridiction-nel est inhérent aux sociétés démocratiques et ne remet pasen cause l’existence d’une autonomie procédurale. Par ailleurs,un processus de concertation entre le niveau régional et le ni-veau central, pour autant que le niveau régional dispose dudernier mot, ne remet pas en cause non plus la notion d’au-tonomie procédurale.Enfin, le critère de l’autonomie financière doit s’entendre dansle sens qu’il implique l’absence de transferts ayant un lien decause à effet avec la mesure. Les transferts financiers entrel’État et la collectivité, non imputables à la mesure en cause,ne permettent donc pas de considérer que la collectivité lo-cale ou régionale n’est pas autonome financièrement.

II. – LES ARRÊTS SUR LA COMPATIBILITÉ DES AIDES

A. – Les précisions sur les critères de compatibilité

Deux arrêts précisent les critères de compatibilité : l’un portesur l’article 87-3, d) et l’autre sur l’article 87-2, b).L’article 87-3, d) concerne la dérogation en matière cultu-relle. Certaines aides peuvent être déclarées compatiblespar la Commission lorsqu’elles visent à favoriser la cultureou la conservation du patrimoine. Dans un arrêt du 15 avril2008 (TPICE, 15 avr. 2008, aff. T-348/04, SIDE c/Commission), le Tribunal in-dique que l’article 87-3, d), instauré par le Traité d’Amster-dam, ne saurait être invoqué avant l’entrée en vigueur duTraité.

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L’arrêt Olympiaki (TPICE, 25 juin 2008, aff. T-268/06, Olympiaki c/ Commission)sur l’article 87-2, b) traite des « événements extraordinaires ».La Commission doit considérer comme compatibles avec lemarché commun les aides qui visent à remédier à des événe-ments dits extraordinaires. La Commission avait utilisé cettedérogation dans le secteur du transport aérien après les évé-nements du 11 septembre 2001. Elle avait toutefois refusé d’ac-cepter cette dérogation lorsqu’elle estimait que les consé-quences pour les compagnies aériennes étaient trop éloignéesdes événements eux-mêmes. Dans cet arrêt, le Tribunal semblefaire une interprétation moins restrictive de cette dérogationnotamment en acceptant apparemment la non-simultanéitéentre l’événement et le dommage.

B. – Les questions de services d’intérêt économiquegénéral (3)

Deux arrêts concernent la problématique des services d’inté-rêt économique général (SIEG) : l’un dans la télévision pu-blique et l’autre dans le secteur de l’assurance santé.

1) L’arrêt BUPA

L’arrêt BUPA (TPICE, 12 févr. 2008, aff. T-289/03, BUPA e.a. c/Commission) est as-sez complexe et concerne le deuxième pilier de l’assurancemaladie irlandaise. Dans cet arrêt, le Tribunal étudie l’ensembledu système irlandais à cet égard et précise les questions decompensation de service d’intérêt économique général.Cet arrêt indique tout d’abord que l’arrêt Altmark est appli-cable, même si les faits concernés sont antérieurs audit arrêt.Dans celui-ci, la Cour de justice avait effectivement posé quatrecritères pour que les compensations pour service d’intérêtéconomique général ne soient pas des aides. Le Tribunal es-time que la Cour n’a fait qu’interpréter une disposition duTraité et que, si elle n’a pas limité son arrêt dans le temps,alors l’arrêt est valable, y compris pour des décisions adop-tées antérieurement. Les critères Altmark peuvent donc êtreappliqués en l’espèce.L’arrêt contient des développements sur ce qui peut êtrequalifié de service d’intérêt économique général. L’obliga-tion imposée à un assureur public d’accepter tous les clientsdans le domaine de l’assurance maladie peut-elle être consi-dérée comme un service d’intérêt économique général ? LeTribunal répond par l’affirmative pour plusieurs raisons.En premier lieu, il rappelle qu’en droit communautaire, iln’y a pas en principe de définition de ce qu’un État membreentend indiquer comme un SIEG : de ce fait, l’État membrea une large marge d’appréciation. Deuxièmement, cecivaut encore plus dans les domaines où le droit commu-nautaire est peu présent et où les États membres conser-vent un rôle fondamental, comme celui de la santé. En-fin, l’article 16 du Traité insiste sur l’importance des servicesd’intérêt économique général dans la construction com-munautaire, ce qui confirme une marge d’appréciation im-portante de l’État membre. De ce fait, la Commission nepeut remettre en cause la définition du SIEG qu’en casd’erreur manifeste d’appréciation, laquelle n’est pas consta-tée dans le cas d’espèce.Un service d’intérêt économique général doit-il nécessaire-ment faire l’objet d’un droit exclusif? Le Tribunal répond parla négative : un service d’intérêt économique général peut êtreoctroyé à divers opérateurs. De plus, une loi est suffisantepour qu’une ou plusieurs entreprises soient chargées d’un ser-vice d’intérêt économique général. Il n’est pas non plus né-cessaire que la désignation soit individuelle.

Un service d’intérêt économique général doit-il absolumentêtre universel? Le Tribunal répond par la négative : un Étatmembre peut très bien définir un service d’intérêt économiquegénéral et le limiter à certaines catégories de la population.En l’espèce, toute la population irlandaise n’était pas couvertepar le service en question. De même, l’opérateur auquel estimposé le service d’intérêt économique général peut avoir unecertaine marge de manœuvre pour le choix de ses clients, pourautant que des conditions minimales lui soient imposées. Eneffet, la sécurité sociale irlandaise pouvait, dans des condi-tions très particulières et sous contrôle de l’État, refuser cer-tains clients. Certaines catégories de personnes peuvent doncêtre exclues par l’État ou par les opérateurs si cela s’avère né-cessaire pour éviter les abus ou pour gérer convenablementle fonctionnement du système. Le service d’intérêt écono-mique général n’implique pas nécessairement la gratuité duservice : en l’espèce, des cotisations étaient effectivementpayées par les assurés. De même, l’État membre peut impo-ser des standards de qualité à l’entreprise chargée du serviced’intérêt économique général ce que le Tribunal justifie parle principe de cohésion économique et sociale. Enfin, une cer-taine marge de manœuvre peut être laissée à l’État et à l’opé-rateur pour le calcul de la compensation, si cette marge demanœuvre est toutefois limitée.

2) L’arrêt SIC contre Commission

L’arrêt SIC contre Commission précité confirme dans une largemesure l’arrêt BUPA, en particulier pour la définition du ser-vice. Les États membres peuvent prescrire une définitionextrêmement large du service d’intérêt économique général.Le Tribunal se fonde sur un certain nombre d’éléments :l’État membre a un large pouvoir d’appréciation pour la dé-finition du service public ; l’article 16 confirme l’importancedes services publics dans le Traité ; enfin, pour la télévisionpublique, ceci est renforcé par l’existence d’un protocole spé-cifique annexé au protocole d’Amsterdam et par une résolu-tion du Conseil du 25 janvier 1994.Le fait de devoir fournir un service d’intérêt économique gé-néral n’empêche en rien l’entreprise qui en est chargée d’avoirdes activités commerciales. Une télévision publique chargéede services d’intérêt économique général peut par ailleurs sefinancer grâce à la publicité.Sur les critères de qualité, le Tribunal confirme que lorsquel’État impose une mission de service public, il peut intégrerdes critères qualitatifs à cette mission. Dans ce cas, la Com-mission ne saurait vérifier le respect de tels critères; en re-vanche, elle doit vérifier qu’existe dans la loi concernée unmécanisme qui en permette le respect.L’obligation pour la Commission de s’assurer de l’absence desurcompensation s’étend à la nécessité de répondre aux cri-tiques d’un plaignant sur la non-fiabilité des comptes de l’en-treprise chargée du SIEG.

3) L’arrêt TV 2/Danemark

Le service économique d’intérêt général dans la télévision pu-blique danoise était défini comme devant assurer une pro-grammation télévisuelle variée, visant la qualité, l’universa-lité et la diversité.La plaignante, la télévision privée danoise, estimait qu’il nes’agissait pas d’un vrai service d’intérêt économique général.Le Tribunal (TPICE, 22 oct. 2008, aff. T-309/04, TV 2/Danemark c/ Commission)confirme la possibilité pour un État membre, en particulierdans le domaine de la télévision, de définir de manière très >

(3) Les développements sur cet aspect dépassent la question de la compatibilité mais sont repris sous la Section II par facilité.

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCELundi 8 décembre 2008

générale la notion de service d’intérêt économique général. Ilse fonde pour cela sur le pouvoir d’appréciation très large del’État membre dans un tel domaine, sur l’article 16 du Traité,sur le protocole susvisé et ajoute que le fait d’avoir une pro-grammation télévisuelle variée, visant la qualité, l’universalitéet la diversité n’est rien de plus que le reflet de la liberté d’ex-pression et de l’indépendance éditoriale. En conséquence, sil’État membre avait défini une mission de service public plusprécise, il aurait pu aller à l’encontre de ces principes fonda-mentaux de liberté d’expression et d’indépendance éditoriale.Le Tribunal confirme que la mission de service d’intérêt éco-nomique général ne doit pas nécessairement se limiter auxémissions non rentables et que l’existence d’un service d’in-térêt économique général n’est pas remise en cause par le faitque l’entreprise concernée ait aussi des activités commerciales.Enfin, d’après le Tribunal, la notion d’absence de surcompen-sation ne s’oppose pas nécessairement à celle de réserve pouraléas.

III. – LES ARRÊTS PRÉCISANT LES QUESTIONSDE PROCÉDURE

A. – L’arrêt CELF

L’arrêt CELF (CJCE, 12 févr. 2008, aff. C-199/06, CELF et ministre de la Culture et dela Communication c/ SIDE) concerne les pouvoirs des juridictions na-tionales en matière d’aides illégales mais jugées compatiblespar la Commission.La Cour part du principe que l’effet suspensif a pour but d’évi-ter que des aides potentiellement incompatibles soient misesen œuvre. Par conséquent, donner à la juridiction nationale lapossibilité d’ordonner le remboursement d’une aide illégale etincompatible, simplement sur la base de l’illégalité, serait igno-rer le but réel de l’effet suspensif qui est d’éviter la mise enœuvre d’aides incompatibles alors interdites par la Commis-sion. La Cour tire trois conclusions. En premier lieu, une juri-diction nationale n’est jamais obligée de demander le rem-boursement d’une aide illégale une fois que celle-ci a étéconsidérée comme compatible par la Commission. En second

lieu, en fonction du droit national, elle peut toutefois le faire.Enfin, elle doit cependant tenir compte de la conséquence del’illégalité : entre le moment où l’aide a été octroyée et celui oùelle a été considérée comme compatible par la Commission, ilexiste une période où l’entreprise qui a reçu l’aide n’aurait pasdû en disposer. La juridiction nationale doit donc supprimercet avantage de trésorerie et exiger du bénéficiaire de l’aide qu’ilrembourse les intérêts correspondant à cet avantage.En revanche, la juridiction nationale est encouragée à octroyer,si le droit national le permet, des dommages et intérêts auxconcurrents du fait de l’illégalité.

B. – L’arrêt Salzgitter

Dans cet arrêt, la Cour considère que le temps mis par la Com-mission pour commencer l’instruction d’une aide illégale,même s’il est particulièrement long (10 ans) n’est contraireau principe de sécurité juridique que pour autant qu’il y aiteu une carence manifeste et une violation évidente de l’obli-gation de diligence par l’institution. Même si cet arrêt est fondésur le Traité CECA, il renforce le principe de notification préa-lable en tant qu’élément central du contrôle des aides d’État.

C. – L’arrêt Athinaïki

L’arrêt Athinaïki (CJCE, 17 juill. 2008, aff. C-521/06 P, Athinaïki c/ Commission)concerne le domaine des plaintes. Lorsque la Commission estsaisie d’une plainte, elle peut soit adopter une décision adres-sée à l’État membre concerné, soit envoyer, sur la base de l’ar-ticle 20, paragraphe 2, deuxième phrase du règlement de pro-cédure, une lettre au plaignant pour l’informer qu’elle nedispose pas d’éléments suffisants pour poursuivre l’instruc-tion de sa plainte. Ces lettres sur la base de l’article 20, para-graphe 2, deuxième phrase n’ont pas de caractère décision-nel : ce ne sont pas des actes attaquables.Dans l’arrêt Athinaïki, la Cour précise toutefois que s’il estexact qu’une lettre de ce type envoyée dans un premier tempsn’est pas un acte attaquable, la Commission est en revanchetenue, dans un second temps, d’adopter un acte attaquablesi le plaignant le souhaite. ◆

Cyril Nourissat. – « Vous avez évoqué les événements extraordinaires. Or nous vivons une période d’événementsextraordinaires : pouvez-vous faire quelques observations sur les décisions récemment prises par la Commission enmatière bancaire, et notamment sur la situation bancaire belge ? »Jean-Louis Colson. – « La Commission a accepté d’utiliser l’article 87-3, b) du Traité relatif aux perturbations gravesde l’économie d’un État membre. Cette disposition n’avait été utilisée qu’une seule fois depuis 1958, après l’adhésionde la Grèce à l’Union européenne. C’est donc la seconde fois que la Commission accepte d’utiliser une telle dispositionet elle le fait dans un contexte totalement différent. Une communication spécifique a effectivement été adoptée rapidementpour les banques ; elle encadre l’utilisation de l’article 87-3, b) pour faire face à la crise financière. » ◆

Actualité du droit des concentrationsPar Antoine WINCKLER,Avocat, Cabinet Cleary Steen & Hamilton LLP

première instance qui a pour antécédent Schneider, toujoursen cours. La seconde affaire concerne l’acquisition par SFRde Neuf Cegetel autorisée sans conséquences majeures saufde très nombreux engagements ponctuels : à la différence dela doctrine classique en matière de concentrations, il s’agitmajoritairement d’engagements de nature comportementale.

Pour couvrir à la fois le champ du droit communautaire et lechamp du droit français, j’illustrerai mon propos de deuxexemples : l’un du Tribunal de première instance et l’autre duConseil de la concurrence.Le cas important de cette année, en matière de droit des concen-trations communautaires, est l’arrêt MyTravel du Tribunal de

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Le Conseil de la concurrence reprend dans cette affaire uneapproche que la Commission avait elle-même déjà adoptéedans l’acquisition par SFR de Télé 2.

I. – L’ARRÊT MYTRAVEL

Le 22 septembre 1999, la notification de cette acquisition parAirtours, devenu ensuite MyTravel, de First Choice fait l’ob-jet d’une décision d’incompatibilité pour position dominantecollective. Cette décision d’incompatibilité est annulée le 6 juin2002. Un report en indemnités est introduit le 18 juin 2003 etle 9 septembre 2008, le Tribunal de première instance rendcet arrêt.Le fond de la discussion consiste à savoir si les erreurs com-mises par la Commission en 1999 dans son analyse corres-pondaient à une violation suffisamment caractérisée de dis-positions du droit communautaire capables de créer des droitsdans le chef des particuliers. Sur ce point, l’approche du Tri-bunal est assez proche de celle qu’aurait pu avoir le Conseild’État français. Le Tribunal de première instance reste dansune parenté forte avec la jurisprudence administrative fran-çaise. Il regarde si la disposition communautaire mal appli-quée par l’institution en cause crée des droits dans le chef desparticuliers : il étudie précisément quelles dispositions du rè-glement sur les concentrations créent ce droit. On sait pour-tant, depuis l’arrêt Schneider, qu’il n’existe pas de présomp-tion de légalité dans le système de contrôle des concentrationscommunautaire. À l’inverse, en principe, une opération quin’est pas interdite en France est légale. L’approche dans l’af-faire Schneider était différente puisqu’elle ne reposait pas surune présomption : une opération de concentration peut êtrelégale ou illégale. Le Tribunal se fonde donc sur l’article 2 durèglement concentration qu’il interprète en indiquant que lesparticuliers ont droit à une autorisation si l’opération estconforme aux critères du règlement, mais qu’ils ont égale-ment « droit » à une interdiction si leur opération ne corres-pond pas à ces critères.La seconde étape consistait pour le Tribunal à savoir si l’er-reur était suffisamment grave : il faut pour cela tenir comptede la complexité de la tâche de l’institution administrativeet donc apprécier l’erreur en fonction de la tâche imposée àla Commission. Dans le cas particulier du droit des concen-trations, le texte du règlement est « complexe » : par consé-quent, c’est dans ce contexte qu’il faut juger de la gravitéd’une erreur.La troisième étape concerne la marge d’appréciation : il fautdonc, comme en droit public français, considérer la marged’appréciation de l’institution communautaire. Le juge com-munautaire ne souhaite pas faire du jugement d’opportunitéet se substituer, en opportunité, au jugement de l’institutioncommunautaire. Il examine donc uniquement l’erreur mani-feste d’appréciation.Enfin, il faut tenir compte d’un éventuel « effet inhibant »qu’une application trop stricte des critères de responsabilitépourrait avoir sur la politique communautaire de concentra-tions. Le juge indique pour la première fois qu’il ne souhaitepas gêner l’action de l’institution communautaire dans l’ap-plication d’une politique très importante. Le juge européenréaffirme ce faisant son adhésion à une interprétation téléo-logique (ou politique?) des textes.Il faut enfin, nous dit le juge, regarder si, lorsque l’institutioncommunautaire commet une erreur, celle-ci est « excusable »sur la base des « contraintes objectives » qui pèsent sur l’ins-titution. Ceci signifie que certaines erreurs pourraient doncêtre excusées ou comprises dans le cadre de l’institution com-munautaire lorsqu’il applique un texte très complexe. Le ju-

gement Schneider évoque ainsi le critère de la « faute inexcu-sable » : ces jugements indiquent donc que, lorsqu’il y a marged’appréciation, l’erreur doit être exceptionnellement gravepour une administration normalement diligente. Ce critère estainsi considérablement protecteur des institutions commu-nautaires. Lorsqu’il n’y a pas marge d’appréciation, le degréde responsabilité peut être moindre.Le juge applique cette théorie au cas de MyTravel : dans cetteaffaire (à la différence de l’affaire Schneider), il n’y a pas d’er-reur de procédure mais une marge d’appréciation et, par consé-quent, le juge applique le critère de la faute inexcusable àchaque étape du raisonnement. La décision MyTravel concerneessentiellement une erreur d’analyse commise par la Com-mission en instruisant le dossier. Cette dernière pensait que,dans le mécanisme central dans ce marché qui comptait peud’acteurs, les grands groupes d’agences de voyage bloquaientdes sièges de manière quasi automatique d’une année surl’autre et qu’il était donc possible de prévoir la manière dontle marché évoluerait. Ce point central s’est finalement révéléassez faux car les réservations ne s’effectuaient pas de ma-nière automatique : l’existence d’une multiplicité d’acteursimpliquait au contraire que le rôle réciproque des différentesagences n’était pas le même et non reproductible d’une an-née sur l’autre. La transparence supposée n’existe donc pas.Il est frappant, dans la décision MyTravel, que la Commissiona négligé certains moyens de preuves que la partie requérantelui avait pourtant produits. Le juge met pourtant de côté toutesces erreurs car la Commission pouvait « raisonnablement »penser, sur la base du dossier, que sa démonstration était fon-dée. Ainsi, l’établissement d’un standard de preuves en ma-tière de responsabilité ne repose pas sur un standard de cer-titude suffisante mais sur un standard de type « common law »du caractère raisonnable de la décision de l’institution admi-nistrative.Un autre élément mis en avant par le requérant est qu’il n’estpas question dans la décision des engagements proposés. Enappliquant sa théorie de la faute inexcusable, le juge sauve lamise de la Commission en indiquant que l’institution a pour-tant fait cet examen, sans exposer ses conclusions de manièredétaillée dans sa décision. En l’occurrence, il ne s’agit doncpas d’une faute inexcusable. Ceci confirme par suite l’arrêtSchneider III sur la responsabilité et la limitation de la possi-bilité d’obtenir des réparations à des cas exceptionnels.Une audience dans l’affaire Schneider s’est tenue la semainedernière devant la Cour de justice : j’y ai assisté et vous livrequelques observations que vous prendrez avec la distance né-cessaire car j’ai un intérêt dans cette affaire. Dans l’audienceSchneider III devant la Cour, trois questions importantes seposaient, qui recoupent les motifs d’appel de la décision duTribunal de première instance qui reconnaît la Commissionresponsable par la Commission.Tout d’abord, dans l’affaire Schneider, la faute procéduraleest-elle suffisante pour ouvrir le droit à un dédommagement?À la différence de MyTravel, dans l’affaire Schneider, la fautedéterminante est effectivement de nature procédurale : en l’oc-currence, la Commission avait omis le grief qui avait permisd’interdire l’opération, c’est-à-dire la théorie du portefeuilleou de l’adossement concurrentiel. À la fin de l’instruction deson affaire devant la Commission, Schneider avait offert desremèdes qui supprimaient la totalité des additions de parts demarché et allait même au-delà dans un certain nombre de sec-teurs importants, en faisant baisser sa part de marché en des-sous du niveau où les entreprises étaient présentes individuel-lement avant l’opération. Le remède a été refusé du fait de lathéorie du portefeuille qui consistait à dire que Legrand étant >

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCELundi 8 décembre 2008

très puissant sur les marchés ultra-terminaux tandis que Schnei-der l’était pour les marchés amont des tableaux électriques(l’entreprise allait pouvoir jouer de sa dominance dans le do-maine de l’ultra-terminal pour forcer les distributeurs à ache-ter également les tableaux). Cette théorie de l’adossement aété très critiquée par la suite, en particulier dans les arrêts Te-tra Pak. Le fait de ne pas mentionner l’adossement commegrief en tant que tel constitue une faute procédurale mani-feste dans la mesure où elle a rendue vaine la présentation deremèdes, mais est-elle de nature à ouvrir droit au dédomma-gement? C’est ce que la Cour doit trancher à nouveau.Deuxièmement, quel est le critère pour déterminer si une er-reur sur le fond constitue une violation suffisamment carac-térisée pour ouvrir droit à dédommagement? La Cour devraégalement trancher ce point pour savoir si l’identification d’ungrief en tant que tel, (grief qui dans l’affaire Tetra Pak, à ladifférence de l’affaire Schneider pourtant pratiquement contem-poraine, avait été clairement identifié dans la notification)constitue une faute suffisante pour ouvrir droit à responsabi-lité ou pas. Le critère de la faute « inexcusable » n’est passimple à manier.Troisièmement, dans le cas d’espèce une seconde décisionavait été prise et, en tout état de cause, l’entreprise cible (Le-grand) avait du être revendue par Schneider. Dans un tel cas,l’erreur procédurale ouvre-t-elle droit à dédommagement àsupposer même que la faute soit par la suite « réparée » pourl’avenir par une décision qui est devenue légale ou que ledommage soit interrompu du fait de la revente? La clé de cedébat est celui du dommage créé par le temps qui s’est écouléentre la décision fautive et l’issue de l’affaire (nouvelle déci-sion et/ou revente). Le temps écoulé et l’immobilisation dessommes investies pendant une période longue ont bien en-tendu un coût considérable qui lui n’est pas « effaçable » pourles entreprises. La Cour doit trancher ce point essentiel.

II. – L’OPÉRATION SFR/NEUF CEGETEL

Il s’agit d’une opération très importante qui crée en France,dans le domaine des télécommunications, un duopole impor-tant avec une asymétrie entre les deux acteurs que sont Orangeet SFR. L’opération a pourtant été acceptée sans obligation dedésinvestissement important.Les deux acteurs avaient une géographie assez différentepuisque Neuf Cegetel est le challenger dans le domaine dufixe et de l’ADSL alors que SFR réalise surtout du mobile, aprèsavoir toutefois déjà racheté Télé 2 qui faisait de la téléphonie

fixe et de l’Internet. Cinq marchés sont concernés : ceux descommunications, de la téléphonie mobile, de la distributionde la télévision payante, de la musique en ligne et des jeuxvidéo, en amont.Cette décision est très intéressante car elle couvre toutes lesdifficultés possibles en droit de la concentration puisqu’il y ades effets horizontaux, verticaux et congloméraux. Sur ce der-nier point, la théorie conglomérale s’est beaucoup démonéti-sée depuis les affaires Tetra Pak et autres : les régulateurs sesont accordés pour considérer que les offres conglomérales –qui ajoutent des activités qui ne sont pas sur le même mar-ché et pas nécessairement en relation verticale – sont en gé-néral des opérations extrêmement proconcurrentielles. Desproduits nouveaux sont ainsi offerts en assemblant les acti-vités diverses; les coûts d’opportunité sont réduits ; les phé-nomènes de double marginalisation sont en outre atténués.Cette opération pose néanmoins des problèmes du point devue congloméral sur la question du « triple/quadruple play ».Jusqu’à cette opération, un seul opérateur était capable detout donner à l’utilisateur du téléphone : il s’agissait d’Orangequi pouvait acheter du contenu, offrir de l’accès à l’ADSL etoffrir de la téléphonie fixe. Avec les effets d’économies de ré-seau, il devient très difficile pour les opérateurs qui ne ven-dent qu’une partie de ces services de rester attractifs car ilsne bénéficient pas des avantages détenus par les deux autresopérateurs. Ces petits opérateurs peuvent alors reconstituerl’offre conglomérale en s’alliant avec d’autres entreprises. Avecles effets de réseau, plus de nombreux consommateurs choi-sissent une de ces offres, plus cette plate-forme devient at-tractive : il est alors complexe de répliquer l’attractivité decette offre. L’effet d’entraînement amène à changer la donneconcurrentielle; ainsi, le ministre s’est penché sur ces aspects.Dans cette affaire, il est intéressant de voir comment le ré-gulateur français a géré ces problèmes, par toute une séried’engagements de nature uniquement comportementale pourchaque domaine : pour le contenu, chacun doit ainsi pou-voir continuer à acheter du contenu et des chaînes Canal +ou M6. Sur l’ADSL et la téléphonie mobile, il faut rester ou-vert aux personnes qui fabriquent du contenu et à celles quiveulent accéder au réseau mobile de SFR pour leurs clients.Ces engagements comportementaux ont une durée entre troiset quatre ans. Il serait intéressant d’observer si ces engage-ments ont été utilisés et dans quelle mesure, pour tirer desenseignements sur le réalisme des solutions du Conseil dela concurrence. ◆

Actualité des pratiques restrictivesPar Martine BÉHAR-TOUCHAIS,Professeur à l’Université Paris-Descartes

la contrainte. Il est difficile de trancher entre les deux car tropde liberté peut être nuisible, comme l’illustre l’exemple desmarchés financiers, mais les contraintes sont également sclé-rosantes. Il s’agit donc de prendre les meilleurs aspects desdeux possibilités. En 2008, l’actualité a été dominée par la loiChatel du 3 janvier 2008 qui poursuit sa course vers le troisfois net, la LME du 4 août 2008 qui met à terre le pilier du

Le droit des pratiques restrictives n’est pas insensible auxcrises. La baisse du pouvoir d’achat des Français avait d’ailleursincité le gouvernement, avant même que la crise ne soit vive,à réagir pour tenter de faire baisser les prix, notamment dansles hypermarchés.La manière d’agir du droit des pratiques restrictives pouvaitprendre deux voies inverses : l’une accroissant la liberté, l’autre

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droit des pratiques restrictives, à savoir l’interdiction de la dis-crimination, et enfin par l’ordonnance du 13 novembre 2008qui modifie une fois de plus l’article L. 442-6 pour changer laréférence au Conseil de la concurrence en se référant à l’Au-torité de la concurrence.Le droit des pratiques restrictives ainsi profondément rema-nié a entraîné deux changements fondamentaux dans les pra-tiques et dans les sanctions.

I. – LES CHANGEMENTS RELATIFS AUX PRATIQUES

Il y eu vraiment ici beaucoup de bouleversements. Quelques« licenciements » tout d’abord puisque certaines pratiques ontété remerciées (A). En contrepartie, on a engagé de nouveauxarrivants (B) et on a tout de même gardé quelques valeurssûres de la vieille garde (C).

A. – Les évictions

Certaines pratiques sont ainsi congédiées.

1) L’interdiction per se de la discrimination

Après 50 ans de bons et loyaux services, l’interdiction per sede la discrimination a été « renvoyée à ses pénates » par la loiLME du 4 août 2008. En effet, depuis plus de 50 ans, nous vi-vions sous le dogme de l’interdiction per se de la discrimina-tion, mesure centrale du droit des pratiques restrictives, au-tour de laquelle tout s’était bâti. C’est elle qui a été à l’originede l’obligation de transparence. Il a fallu obliger à communi-quer les CGV pour que l’on puisse vérifier si l’on était victimede discrimination. Il a fallu faire des factures précises pourque l’on puisse contrôler s’il y avait discrimination. Pendantles travaux parlementaires, Luc Chatel a expliqué que, désor-mais, « le distributeur pourra se consacrer de nouveau à sonmétier en margeant “non pas sur les services mais sur la re-vente des produits” ».Les conséquences de cette éviction sont nombreuses.Tout d’abord, l’opérateur a aujourd’hui la liberté de fairedes conditions générales de vente catégorielles (cf. C. com.,art. L. 441-6) : la disparition de l’interdiction de discriminer per-met à l’opérateur de choisir lui-même les catégories de sesclients entre lesquels il entend différencier.Ensuite, l’opérateur aura désormais la liberté de faire desCPV (conditions particulières de vente) puisqu’il a le droit dediscriminer, sous réserve néanmoins du droit des pratiquesanticoncurrentielles.Il résulte de tout cela une nouvelle façon de fixer le prix dansce domaine. Les nouveaux textes invitent à fixer deux prix :– il s’agit tout d’abord du prix de vente qui tient compte dutarif du fournisseur dans ces conditions générales de vente :de ce tarif seront retirées les remises ou ristournes qui figu-raient dans les conditions générales de vente, puis les réduc-tions accordées au titre des CPV et enfin les autres réductionsde prix reposant sur ce que l’on appelait avant les servicesdistincts, et qui s’appelle aujourd’hui « les autres obligations »(par exemple, une communication de statistiques, un référen-cement de produits ou un complément d’assortiment) ;– ensuite, le prix de la coopération commerciale sera fixé,le cas échéant.Cette nouvelle façon de fixer le prix pose néanmoins des dif-ficultés pratiques. Le nouvel article L. 441-7 a ainsi suscité undébat puisque ce texte vise, après les « conditions de l’opéra-tion de vente (1°), les conditions de la coopération commer-ciale (2°), les autres obligations destinées à favoriser la rela-tion commerciale entre le fournisseur et le distributeur » (3°)et qu’il précise que ces obligations du 1° et du 3° concourentà la détermination du prix convenu.

Les opérateurs se sont immédiatement demandé comment ilfallait facturer ces dernières sommes. Une instruction fiscaledu 18 novembre 2008 a été suivie par les réponses aux ques-tions fréquemment posées (FAQ) de la DGCCRF pour réglerces problèmes. Il apparaît dans ces deux textes que la coopé-ration commerciale est toujours facturée par le prestataire deservices (le distributeur) mais aussi que les obligations quin’entrent pas dans la coopération commerciale et qui concou-rent à la formation du prix devront, elles, être facturées parle fournisseur.Est-il possible d’envisager des obligations qui n’entrent pasdans la coopération commerciale mais qui ne concourraientpas à la formation du prix car elles n’auraient pas été prisesen compte pour réduire le prix? A priori, si on s’en tient àl’article L. 441-7 et aux réponses aux FAQ, la réponse est né-gative.Dans quelle mesure les entreprises peuvent-elles se fier à l’ins-truction fiscale eu égard au risque fiscal et pénal que cela en-traîne. Le risque fiscal me semble moins lourd que le risquepénal puisqu’il sera possible d’opposer à l’administration sapropre interprétation : une jurisprudence en matière fiscalepermet effectivement d’opposer à l’administration ses propresinterprétations pour l’empêcher de faire un redressement sil’entreprise a suivi l’instruction fiscale. En revanche, le risquepénal semble plus important, du fait du conflit né avec l’ar-ticle L. 441-3 du Code de commerce, qui exige que, sur la fac-ture du fournisseur, figurent seulement des réductions de prixdirectement liées à la vente. Ce texte est sanctionné pénale-ment et son interprétation ne peut pas être affectée par l’ins-truction fiscale ou par les FAQ : le risque serait donc que l’émis-sion d’une facture fournisseur, sur laquelle la réduction deprix tenant aux obligations du 3° a été prise en compte, nesoit pas considérée comme conforme à l’article L. 441-3. Cer-tains suggèrent donc aux entreprises que le distributeur conti-nue à facturer les autres obligations du 3°. Cela pourrait êtreréglé en considérant que des obligations qui concourent à ladétermination du prix de vente sont forcément directementliées à la vente. Telle n’est cependant pas l’interprétation ad-mise jusqu’à maintenant.Mais parmi les pratiques remerciées, on ne trouve pas uni-quement « l’interdiction per se de la discrimination ». Ontrouve aussi l’abus de dépendance.

2) L’abus de dépendance

Sa suppression est principalement due à son inefficacité opé-rationnelle. Consacrée en 1985 et 1986, cette notion d’abusde dépendance avait alors intégré le « service » des pratiquesanticoncurrentielles où la notion ne pouvait toutefois jouerque dans des cas exceptionnels puisque la disparition d’uneentreprise sur un marché n’a généralement pas d’influencesur ce marché. Le législateur avait donné une seconde chanceà la pratique en l’affectant au « service » des pratiques restric-tives. Là encore, les définitions de l’abus de dépendance dé-gagées en jurisprudence se sont avérées strictes et cette pra-tique n’a pas pu trouver sa place. Elle disparaît donc dansl’article L. 442-6-1-II et demeure simplement en pratique an-ticoncurrentielle.Certains se demandent si elle ne réapparaîtra pas sous d’autrespratiques, ce dont personnellement je doute.Mais si l’on s’est ainsi séparé de pratiques anciennes, c’estpour renouveler les cadres.

B. – Les arrivées

Dans les nouveaux venus, on distingue les pratiques nouvellesde l’article L. 442-6-I, soit celles qui apparemment engagent >

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCELundi 8 décembre 2008

la responsabilité de leurs auteurs (1), et les pratiques nou-velles de l’article L. 442-6-II, soit les pratiques dont les clausespeuvent être annulées (2). Cette distinction entre les articlessemble toutefois un peu fallacieuse (3).

1) Les nouveaux arrivés de l’article L. 442-6-I

La jeune recrue qui est la plus attendue, c’est le « déséquilibresignificatif » de l’article L. 442-6-I-2°. Est ainsi puni le fait « desoumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercialà des obligations créant un déséquilibre significatif dans lesdroits et obligations des parties ». Après avoir supprimé l’in-terdiction per se de la discrimination, le législateur crée doncun garde-fou en sanctionnant les abus. Cette notion de « désé-quilibre significatif » fait pourtant l’objet de nombreuses in-terrogations, dans les colloques qui se déroulent depuis cetété : elle marque un rapprochement manifeste avec les termesdu droit de la consommation et des clauses abusives : ce rap-prochement est-il pour autant opérationnel? Il me semble quele droit de la consommation n’est ici qu’une inspiration et queles solutions dégagées par le droit de la consommation ne se-ront pas transposées à la lettre. En imposant la liberté de né-gociation, le législateur semble avoir craint que le grand dis-tributeur oblige le fournisseur à baisser tellement ses prix qu’ilen résulterait une lésion appréciée globalement et due à unabus de faiblesse économique du fournisseur.Dans les réponses aux FAQ, le ministre indique qu’il n’y aurapas, avec ce texte, d’abus de puissance de vente ou d’achat.Certes, il n’y aura pas à démontrer ces notions, mais cela res-semble tout de même à ce qu’on appelle en droit civil la lésionqualifiée, soit un contrat lésionnaire imposé à une partie faible.Ce large pouvoir donné au juge de s’immiscer dans l’équi-libre d’une clause ou dans l’équilibre du contrat peut consti-tuer un risque pour la sécurité juridique qui peut toutefoisêtre limité si la Cour de cassation contrôle la notion ou dumoins contrôle précisément la motivation. Il serait opportunque la Cour de cassation soit saisie dès les premiers conten-tieux pour avis, de manière à limiter ce risque et à donner unedéfinition à cette notion. La CEPC pourra également être sai-sie pour avis : compte tenu de sa composition paritaire, onpeut supposer qu’elle cherchera à apprécier de manière équi-librée ce qu’est le déséquilibre significatif.Nouveau venu également est le 4° de l’article L. 442-6-I, quisanctionne ensuite le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir, sousla menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relationscommerciales, des conditions manifestement abusives concer-nant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente oules services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente ».Bien sûr, on est tenté de se demander si cela ne fait pas doubleemploi avec le déséquilibre significatif du 2°. Peut-être le 4°sanctionnerait-il l’abus clause par clause alors que le 2° sanc-tionnerait le déséquilibre significatif global. Mais, dans ce cas,où se situerait le 1° dont le contenu n’a pas été changé? Cedernier sanctionne le fait de recevoir « un avantage quelconquemanifestement disproportionné au regard de la valeur du ser-vice rendu ».Les trois textes ont certaines zones de chevauchements ; ilreste difficile de se prononcer globalement.Nouveau venu également : le 7° qui interdit « de soumettreun partenaire à des conditions de règlement qui ne respectentpas le plafond fixé au neuvième alinéa de l’article L. 441-6 »,soit le délai plafond de 45 jours fin de mois ou de 60 jours àcompter de la date d’émission de la facture. Il s’agit d’unegrande avancée de la LME qui impose ce plafond pour les dé-lais de paiement en permettant des accords interprofession-nels dans un secteur donné, selon certaines modalités. Quand

les parties n’ont pas prévu de délai, le non-respect du délaisupplétif légal de 30 jours à compter de la réception de la mar-chandise est sanctionné pénalement par une amende de15000 euros. En revanche, si les parties prévoient un délai,l’irrespect du plafond est alors sanctionné par une amende ci-vile qui peut aller jusqu’à 2 millions d’euros. À tout prendre,le droit pénal est bien plus clément! C’est tout de même unpeu compliqué.En tout cas, alors que certains préconisaient une simplifica-tion extrême, voire une suppression de l’article L. 442-6, c’estl’inverse qui se produit. Le texte résiste, se modifie, mais laliste des interdits ponctuels continue de s’allonger.

2) Les nouveaux arrivés de l’article L. 442-6-II

L’article L. 442-6-II prévoit aussi de nouvelles clauses qui se-ront annulées :– d’abord, pour protéger la nouvelle liberté de négocier, le lé-gislateur a interdit la clause permettant à un contractant debénéficier automatiquement des conditions plus favorablesconsenties aux entreprises concurrentes par le contractant. Lelégislateur ne souhaite pas la clause du client le plus favorisé,autrement appelée clause pari passu;– ensuite, le législateur a également interdit la clause qui per-met de renforcer la situation de dépendance du petit distribu-teur, soit celui qui a une surface de moins de 300 m2 et quin’est pas lié par un contrat de licence et de savoir-faire (C. com.,art. L 442-6-II, e)). Est interdit le fait « d’obtenir d’un revendeur ex-ploitant une surface de vente au détail inférieure à 300 m2 qu’ilapprovisionne mais qui n’est pas lié à lui, directement ou in-directement, par un contrat de licence de marque ou de savoir-faire, un droit de préférence sur la cession ou le transfert deson activité ou une obligation de non-concurrence post-contrac-tuelle, ou de subordonner l’approvisionnement de ce reven-deur à une clause d’exclusivité ou de quasi-exclusivité d’achatde ses produits ou services d’une durée supérieure à deux ans ».Cette interdiction est destinée à protéger le petit commerce,mais en ont été délibérément exclus les franchisés qui, eux,sont liés par un contrat de savoir-faire.

3) Une distinction fallacieuse entre le I et le II

Avec ces nouveaux arrivés, l’article L. 442-6 a maintenu ladistinction entre le I (qui est sanctionné par la responsabilitéde son auteur) et le II (qui est sanctionné par la nullité desclauses visées). Cette distinction me semble toutefois falla-cieuse. En effet, en vertu du III de l’article L. 442-6, le ministrede l’Économie pourra demander la nullité des pratiques, qu’ellesfigurent dans le I ou dans le II. Outre le fait qu’il est très fré-quent que l’action émane du ministre, il ne me semble pasque la possibilité d’invoquer la nullité pour les pratiques du Ine concerne que l’action du ministre. En effet, la Cour de cas-sation vient de rappeler que le ministre agissait pour proté-ger le marché et pour faire respecter l’ordre public écono-mique : ceci signifie donc bien que les pratiques du I commedu II sont contraires à l’ordre public économique. Or, uncontractant pourra tout à fait demander la nullité des pra-tiques du I en se fondant sur l’article 6 du Code civil, qui éta-blit qu’un contrat contraire à l’ordre public encourt la nullité.Les recueils de jurisprudence montrent d’ailleurs justementque le contentieux des pratiques restrictives est très souventun contentieux de nullité.

C. – Les valeurs sûres

Le renouvellement des cadres n’a pas atteint les valeurs sûres,qui traversent les réformes sans sourciller. C’est le cas préci-sément de la rupture brutale des relations commerciales éta-

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blies de l’article L. 442-6-I-5°. Nous étions plusieurs à penserque ce texte aurait dû sortir de l’article L. 442-6 pour devenirun texte à part et ainsi échapper au pouvoir exorbitant du mi-nistre. C’est en effet dans ce contentieux que les parties agis-sent le plus fréquemment. Ce texte est pourtant demeuré dansl’article L. 442-6. Et la jurisprudence a mis cet article à l’hon-neur au long de l’année 2008 : c’est à propos de celui-ci quela jurisprudence a mis en pratique en quelque sorte à l’avancele critère du déséquilibre significatif appliqué à des clausesindividuelles. La jurisprudence a effectivement considéré trèstôt qu’une clause fixant un délai de préavis dérisoire devaitêtre écartée. Or, une telle clause donne un avantage excessifaux grands distributeurs et pourrait être qualifiée individuel-lement d’abusive, car créant un déséquilibre significatif. Lesentreprises ont réagi en soulignant que cet article ne s’appli-quait pas quand la rupture est fondée sur une faute de l’autrepartie. Certains ont donc pensé à stipuler une clause résolu-toire de plein droit en cas d’irrespect véniel du contrat. Dansun arrêt du 25 septembre 2007, la Cour de cassation a consi-déré qu’il ne peut pas être fait obstacle aux dispositions d’ordrepublic de l’article L. 442-6-I-5° par des clauses permettant unerupture sans préavis, dès lors que l’inexécution du contrat n’apas un degré de gravité suffisant. Cette clause résolutoire deplein droit pour une inexécution vénielle donne donc un avan-tage excessif à la partie forte du contrat ; elle pourrait êtreconsidérée comme entraînant un déséquilibre significatif. Cesclauses abusives sont écartées.La jurisprudence a en outre une conception large de l’appli-cation de ce texte, à tous les producteurs, commerçants, arti-sans, Français ou étrangers, dès lors que la victime de la rup-ture subit en France ce dommage puisque ce texte établit uncas de responsabilité délictuelle. La Cour de cassation vientde rappeler ce point dans un arrêt du 21 octobre 2008. Elleapplique également ce texte quand deux contractants se sontsuccédé si le repreneur a continué la relation commercialeétablie : il profitera dans ce cas de l’ancienneté de la relationcommerciale de celui dont il a repris le contrat. Tel est ce qu’adécidé la Cour de cassation dans un arrêt du 29 janvier 2008(Cass. com., 29 janv. 2008, n° 07-12.039).La crise des pratiques restrictives a obligé à renouveler le per-sonnel. Mais elle oblige aussi à renouveler les sanctions.

II. – LE RENOUVELLEMENT DES SANCTIONS

L’amende civile augmente considérablement; elle s’ajoute aumaintien de l’action du ministre.

A. – L’amende civile

L’amende civile a été créée par la loi NRE. L’amende civile estrépressive et devrait être atténuée par des principes emprun-tés au droit pénal tels que la présomption d’innocence ou larétroactivité in mitius (cf. L’amende civile est-elle un substitut satisfaisant à l’ab-sence de dommages et intérêts punitifs?, in Faut-il moraliser le droit français de la répara-tion du dommage?, Colloque du CEDAG du 21 mars 2002, LPA 2002, n° 32, pp. 36 et s.).Mais sous l’empire de la loi NRE, cette proposition n’a pasreçu beaucoup d’écho. Il en va différemment maintenant quel’amende civile peut atteindre 2 millions d’euros ou trois foisle montant des restitutions. Depuis ce renforcement de l’amendecivile, de nombreux auteurs admettent la nature répressivede cette amende et certains souhaitent en tirer des consé-quences, telle que la rétroactivité in mitius : une pratique dis-criminatoire réalisée avant l’entrée en vigueur de la LME nedevrait ainsi pas se voir appliquer une amende civile de laLME, dans la mesure où cette peine n’est plus justifiée.Il faut aller plus loin et admettre que la charge de la preuvene puisse pas être renversée pour ces pratiques respectives.

Je crois qu’une vraie réflexion doit porter sur les conséquencesde la nature répressive de l’amende civile.Il semble toutefois bon d’avoir renforcé l’amende civile car ils’agit d’un signal législatif assez fort. Par analogie, lorsque lelégislateur a modifié les sanctions en droit des pratiques an-ticoncurrentielles, le Conseil de la concurrence a tiré les consé-quences de la volonté législative de renforcement des sanc-tions pour accroître leur efficacité.S’agissant des pratiques restrictives, dans le passé, le débat aété obscurci par le fait que tout tournait autour des restitutionsaprès nullité demandées par le ministre, non partie au contrat.Les juges du fond étaient gênés par cette règle exorbitante etavaient alors l’impression d’imposer une double peine.Je persiste à penser qu’il aurait été préférable de supprimer ledroit du ministre de demander des restitutions pour lui don-ner uniquement le droit de demander cette amende renforcée.Maintenant il peut demander le tout. Est-ce bien raisonnable :l’avenir nous le dira.

B. – Le maintien de l’action du ministre

Nul n’a pu échapper au grand débat passionnel de l’année2008 sur l’action du ministre : celle-ci heurte-elle l’article 6,paragraphe 1 de la Convention européenne des droits del’Homme lorsqu’elle est menée hors la présence des fournis-seurs et sans les informer quand il s’agit de demander des res-titutions? Certaines cours d’appel avaient jugé qu’il y avaitviolation de cet article. La Cour de cassation, par ses deux ar-rêts du 8 juillet 2008, considère en revanche que le ministreagit pour la défense du marché et de l’ordre public écono-mique et exerce une action et un droit propre. Je reconnaisvolontiers que le ministre agit pour la défense du marché etde l’ordre public économique et que l’action est propre : enrevanche, que le droit aux restitutions, né dans le patrimoinedes fournisseurs, soit propre au ministre me semble plus dif-ficile à comprendre. Il reste que, tant qu’il n’y aura pas de ré-bellion des Cours d’appel ou d’action devant la Cour euro-péenne, cette jurisprudence s’appliquera.Il faudra néanmoins que la Cour de cassation tranche la ques-tion de l’autorité de chose jugée de l’arrêt condamnant legrand distributeur à des restitutions à la demande du ministre.Deux solutions sont envisageables.En premier lieu, la Cour de cassation pourra respecter le prin-cipe selon lequel l’autorité de la chose jugée en droit françaisest relative : comme le ministre ne représente personne dansl’action, les fournisseurs sont étrangers à l’instance et l’arrêtn’aura alors pas autorité de chose jugée à leur égard. Puisquela nullité n’aura d’effet qu’entre le grand distributeur et le mi-nistre, le fournisseur pourrait demander l’exécution du contratainsi que le grand distributeur. Je doute cependant que la Courde cassation ait posé cette règle pour aboutir à cette solution.En second lieu, la Cour de cassation peut aller jusqu’au boutdu caractère exorbitant de l’action et créer une exception à larelativité de la chose jugée : elle dira alors que la décision denullité et la décision sur la restitution ont une autorité abso-lue de chose jugée. Dans ce cas, le fournisseur, qui n’aura éténi informé, ni appelé à une instance qui lui fait grief et le spo-lie d’un contrat, aura alors vu tous ses droits méconnus.Moralité : j’exhorte le ministre à demander demain l’amendecivile renforcée à hauteur des restitutions (ou plus) et de neplus utiliser le texte dans sa version exorbitante. La Cour decassation a voulu préserver l’effectivité de la sanction deman-dée par le ministre, mais cela s’est fait au mépris de la cohé-rence du droit. Maintenant que le législateur a augmenté consi-dérablement l’amende civile, le ministre a les moyens del’effectivité de sa sanction sans incohérence. ◆

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCELundi 8 décembre 2008

QUESTIONS-RÉPONSES

Public : « Considérez-vous que les nouvellesdispositions sur les délais de paiement pourraient êtreconsidérées comme des dispositions de police ? »Martine Béhar-Touchais : « Ces dispositions mesemblent pouvoir être considérées comme des lois de police.Dans les FAQ du ministre, pour l’article L. 441-7, ce derniera indiqué que tout contrat qui a un effet sur la revente deproduits ou la fourniture de services en France entre dansles prévisions de ce texte. Ainsi, le fait d’avoir un centre defacturation à l’étranger ne devrait pas permettre d’échapperaux nouvelles dispositions sur les délais de paiement. »Jacqueline Riffault-Silk, Conseiller à la Courde cassation : « Le droit pénal français est applicable àdes infractions comportant des éléments d’extranéité, dèslors qu’un fait entrant dans l’élément matériel del’infraction peut être rattaché au territoire national. C’estce qu’a rappelé la Cour de cassation dans l’affairePéchiney-Triangle, où les délits d’initiés reprochés auxopérateurs concernaient la valeur Triangle, cotée sur lemarché boursier américain, tandis que certains ordres debourse avaient été passés par l’intermédiaire deprestataires exerçant leur activité en France : le droit pénalfrançais était bien applicable, en raison de l’élément de faitque constituait la passation des ordres à partir du territoirenational. Cette définition est donc très large. C’est unequestion de fait, et de territoire. »Martine Béhar-Touchais : « Si l’infraction est passibled’une amende civile, puisque l’amende civile est égalementun texte répressif, il faudra donc élaborer des règlesd’application territoriale de l’amende civile. »Jacqueline Riffault-Silk : « Sur cette question de lasanction civile prononcée à la demande du ministre, laCour d’appel de Paris dans l’affaire Intermarché avait déjàfait allusion à la nécessité d’un critère de proportionnalité.On se souvient qu’en droit des pratiquesanticoncurrentielles, la jurisprudence de la Cour decassation a eu une grande influence sur les réformesapportées à la motivation des sanctions prononcées par leConseil de la concurrence, dans le sens d’une plus grande

exigence – en particulier la loi du 31 décembre 1992modifiant l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre1986, devenu l’article L. 464-2 du Code de commerce. Iln’est pas impossible que la Haute juridiction s’oriente,dans le domaine des pratiques restrictives, vers desexigences analogues. »Martine Béhar-Touchais : « Je le souhaite, mais lelégislateur a également posé une présomption deculpabilité, assortie d’une amende civile, puisqu’il aindiqué qu’il appartient au grand distributeur de faire lapreuve qu’il a rendu les services pour lesquels il a reçupaiement, et cela sous peine d’amende civile. Il n’est plusalors présumé innocent : ce n’est plus à l’autorité depoursuite de prouver, par exemple, qu’il y a faussecoopération commerciale, mais c’est à la personnepoursuivie de prouver que la coopération commerciale a étéréelle. Cette inversion de la charge de la preuve va àl’encontre d’un régime répressif de l’amende civile car enmatière répressive, la présomption d’innocence doit êtreassurée. »Cyril Nourissat : « Sur la question de l’applicationdans l’espace du dispositif des délais de paiement, lenouveau règlement « Rome I » sur la loi applicable auxobligations contractuelles dégage un critère et unedéfinition textuelle des lois de police. Il rappelle la nécessitéd’un lien de proximité, d’un rattachement de proximité. Sil’acheteur ou le vendeur a son siège sur le territoirefrançais ou que la livraison se réalise sur le territoirefrançais, le juge français sera amené à caractériser, mesemble-t-il, l’existence de cette proximité. La Cour decassation a cependant quelque peu mis à mal ceraisonnement dans un arrêt du 22 octobre 2008 (Cass. 1re civ.,22 oct. 2008, n° 07-12.823, P+B+I).Je souhaite vous poser une question sur le visa de l’arrêtdu 21 octobre 2008 relatif à la rupture brutale des relationscommerciales sur l’article 5 du règlement « Bruxelles I »qui pose une option de compétences : l’action part-elled’une relation contractuelle, renvoit-elle à une action denature délictuelle ? La question mérite d’être posée, car lelégislateur français a toujours ignoré en la matière lesrelations transfrontalières, ce qui risque de déboucher surdes oppositions frontales entre juge communautaire et jugenational quant à l’application de ces dispositions. » ◆

Actualité du contentieux des dommagesconcurrentielsPar Muriel CHAGNY, Professeur à l’Université Paris-Descarteset Jacqueline RIFFAULT-SILK, Conseiller à la Cour de cassation

modernisation – revendiquée jusque dans les termes mêmes deslois –, Mme Riffaut-Silk et moi-même pouvions-nous faire pourmoderniser cette présentation en duo qui, dorénavant à l’instardes lois réformant la concurrence, revient année après année?

Muriel CHAGNY

Comment? Comment, Mesdames, Messieurs, à la fin d’une an-née dominée en droit de la concurrence par un maître-mot, la

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Les actualités du contentieux des dommages concurrentielsse suivent et se ressemblent parfois, mais pas toujours. LeLivre blanc sur les actions en dommages et intérêts est enfinparu, tant et si bien que l’Arlésienne du contentieux commu-nautaire des dommages concurrentiels n’est plus. En revanche,l’Arlésienne du contentieux français des dommages concur-rentiels, la désormais célébrissime action de groupe, demeuredans les placards des ministères pour le moment… en dépitde la double modernisation législative opérée en 2008.Dans cette quête de modernisation, l’idée directrice a été d’ar-ticuler cette présentation autour du personnage central ducontentieux des dommages concurrentiels, à savoir le juge.À l’origine du contentieux des dommages concurrentiels (I),se trouve la saisine du juge à laquelle nous allons nous inté-resser, avant de porter notre attention sur la décision du juge (II).

I. – LA SAISINE DU JUGE, À L’ORIGINEDU CONTENTIEUX DES DOMMAGES CONCURRENTIELS

S’il est loisible à toute personne ayant intérêt et qualité à agirde saisir un juge d’une prétention, encore faut-il saisir le jugecompétent et être effectivement titulaire de l’action. Cela nousconduit à envisager successivement le juge (A) et l’initiateurdu contentieux des dommages concurrentiels (B).

A. – Le juge du contentieux des dommagesconcurrentiels

S’agissant du juge du contentieux des dommages concurren-tiels et sans revenir sur les règles classiques de compétencejuridictionnelle, il importe tout d’abord de se demander dansquelle mesure le juge est au choix des parties en présenced’une situation d’extranéité. Plus spécifiquement, il s’agit en-suite d’évoquer le défi que représente le choix effectué par lelégislateur français en faveur de la spécialisation du juge.

1) Le juge du contentieux des dommages concurrentielsau choix des parties

Se pose la question de savoir quelle est l’efficacité d’une clauseattributive de compétence dans un contentieux des dommagesconcurrentiels. Cette interrogation, si elle n’est pas propre à cecontentieux, se présente avec une acuité singulière en raisond’un important arrêt rendu par la première chambre civile dela Cour de cassation, le 22 octobre 2008, à propos de la rup-ture d’une relation commerciale établie. Elle n’est cependantpas développée ici, étant évoquée par M. Cyril Nourissat (voirBarbier de la Serre É. et Nourissat C., Actualité du droit processuel de la concurrence, infra).

2) Le juge du contentieux des dommages concurrentielsau défi de la spécialisation

Après avoir décidé, en 2001, de spécialiser les juridictions ap-pelées à mettre en œuvre le droit des pratiques anticoncurren-tielles, le législateur a retenu la même option dans la loi du 4 août2008, pour une partie du droit des pratiques restrictives. Commeil l’a fait précédemment pour les pratiques anticoncurrentielles(C. com., art. L. 420-7, issu de la loi du 15 mai 2001), il s’est contenté d’en arrê-ter le principe et de confier à un décret le soin de désigner lesjuridictions compétentes (L. n° 2008-776, art. 93-I-3°, c), modifiant C. com.,art. L. 442-6-III). Sans méconnaître les attraits d’une telle mesure, ilreste qu’elle est, en l’occurrence, source d’incertitudes et d’inter-rogations, temporaires pour les unes, plus durables pour les autres.Si l’on peut sans doute compter sur une entrée en vigueur decette réforme suspendue à l’édiction du décret d’application– plus prompte que pour la spécialisation en matière de pra-tiques anticoncurrentielles – autrement dit en moins de…quatre ans et demi…, il est permis de s’interroger, dans cetteattente, sur le périmètre qui sera retenu. S’agira-t-il des mêmes

juridictions que pour les pratiques anticoncurrentielles, ce quisemblerait rationnel, mais procéderait d’une concentrationexcessive du contentieux des dommages concurrentiels?Par ailleurs, bien qu’une mesure transitoire de la LME indiqueexpressément que « les juridictions qui, à la date d’entrée envigueur du décret [d’application] sont saisies d’un litige relatif[à l’article L. 442-6 du Code de commerce] restent compétentespour en connaître » (art. 93-II), il n’est pas certain que cette dis-position suffise à écarter toute difficulté, n’ayant pas tout prévu.Quelle solution retenir par exemple dans le cas où une procé-dure a été engagée, avant l’adoption du décret, sur un fonde-ment autre que l’article L. 442-6 et que, postérieurement audécret, une demande soit formée en application de ce texte?Au-delà même des difficultés transitoires, les questions pra-tiques ne devraient pas manquer, suscitées notamment parl’invocation conjointe – fréquente! – par voie d’action ou àtitre de moyen de défense, des règles concernées par la spé-cialisation et d’autres dispositions, qu’elles se rattachent auTitre IV ou au droit des contrats.L’opportunité même de la spécialisation peut sembler discu-table car certaines règles concernées, comme celle qui sanc-tionne la rupture brutale des relations commerciales établies,donnent lieu à un contentieux très abondant : est-il alors ju-dicieux de le concentrer? Cela est d’autant plus vrai que l’ar-ticle L. 442-6, loin de nécessiter une analyse de l’impact surla concurrence, donne lieu à des contentieux d’allure large-ment contractuelle. Le doute sur l’utilité même de la spécia-lisation apparaît d’autant plus légitime qu’en parallèle, la loioctroie aux juridictions la faculté de consulter pour avis laCommission d’examen des pratiques commerciales.Savoir quel est le juge à saisir ne suffit pas; encore faut-il pré-ciser qui est à l’initiative du contentieux des dommages concur-rentiels.

B. – L’initiateur du contentieux des dommagesconcurrentiels

Cette question des titulaires de l’action se pose avec une par-ticulière acuité, en l’état de la pusillanimité des victimes di-rectes, parfois réticentes à agir, soit parce qu’insuffisammentinformées et souffrant d’un préjudice trop diffus, dans le casdes consommateurs, soi-disant par crainte de représailles dansle cas des entreprises. Dès lors, cela conduit à envisager d’abord,l’initiative collective du contentieux des dommages concur-rentiels en évoquant l’action de groupe et à revenir, ensuite,sur la place très controversée de l’initiateur public qu’est leministre de l’Économie dans le contentieux des pratiques res-trictives de concurrence.

Jacqueline RIFFAULT-SILK

1) L’initiative collective : l’action de groupe

L’introduction dans le droit français des actions de groupe –« class actions » en droit américain – a été recommandée parle Rapport Cerutti sur l’action de groupe en décembre 2005,soutenue par le Conseil de la concurrence dans un avis rendupublic en septembre 2006, préconisée par le Rapport Attalipour la libération de la croissance en 2007, défendue par leRapport Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires enfévrier 2008… Ce dernier proposait de la limiter au seul droitde la consommation, et préconisait le modèle opt in dans le-quel les consommateurs doivent décider de se joindre à l’ac-tion collective engagée devant une juridiction, par oppositionavec le modèle opt out, dans lequel toutes les personnes re-levant des critères d’une classe de victimes préalablement dé-finie par le juge, sont ipso facto membres de cette classe, sauf >

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s’ils expriment leur volonté de ne pas en être. Mais elles n’exis-tent toujours pas en droit français! On peut noter que le Conseilconstitutionnel a lui-même exclu que le droit français puisseprévoir des actions de type opt out, estimant que la victimedevait avoir eu personnellement connaissance de l’action en-gagée par autrui pour pouvoir y être associée, et que son in-clusion automatique dans une action collective porterait at-teinte au principe de la liberté individuelle.Ces actions collectives présentent toutefois de grands avan-tages, car elles facilitent les actions en réparation des victimesde pratiques anticoncurrentielles, entreprises ou consomma-teurs, lorsque les préjudices unitaires subis sont de faiblesmontants. Elles permettent également des économies de coûtsconsidérables. La crainte d’une utilisation abusive de ces pro-cédures, parfois exprimée dans les milieux économiques, est-elle justifiée? Les pouvoirs donnés aux juges, pour en contrô-ler l’exercice, répondent à cette préoccupation. Il reste qu’unefois encore, la diversité des solutions adoptées par les Étatsmembres de l’Union européenne est frappante. Ainsi, le lé-gislateur danois a adopté le 22 février 2007 (L. 41, n° 2006-07) uneclass action, sous ses deux versions d’opt in et d’opt out, enles plaçant l’une et l’autre sous le contrôle du juge. Dans lepremier cas, le représentant du groupe sera désigné par lejuge. Dans le second, la procédure ne pourra être engagéequ’à l’initiative de l’Ombudsman, seul représentant des plai-gnants. Les modalités de l’action de groupe de type « opt in »récemment introduite en Italie (D.-L. 15 nov. 2007, n° 244/2007) puisentrée en vigueur le 29 juin 2008, apparaissent plus prochesdes règles adoptées en France pour les actions en représenta-tion (C. consom., art. L. 422-1 et s.) : ce sont en effet les associationsde consommateurs qui sont habilitées en Italie à engager cesactions collectives devant les juridictions civiles. Si elle leurest favorable, la décision des juges – obligatoirement réunisen formation collégiale – sera déclaratoire en ce qui concernela faute et le lien de causalité, et ouvrira une procédure deconciliation destinée à chiffrer les réparations devant être ver-sées à chaque victime.Approuvée par les juridictions civiles allemandes, l’action col-lective « de fait » créée à l’initiative d’une société commer-ciale belge constitue une intéressante alternative à ces sys-tèmes de prise en charge des intérêts collectifs des plaignants,soit par des associations de consommateurs, soit par des ins-titutions étatiques. À la suite de la décision de sanction pro-noncée par le Bundeskartellamt, autorité de concurrence al-lemande, contre les membres du cartel des ciments, les victimesde ce cartel ont ainsi cédé leur droit d’action à la société belgeCDC pour un prix symbolique d’une centaine d’euros, étantconvenu qu’en cas de succès de cette action, 85 % des sommesallouées par le Tribunal reviendront aux cédants. Confirmantle jugement du Tribunal régional de Düsseldorf, qui rejetaitla fin de non-recevoir soulevée par les membres du cartel,pour absence de qualité et d’intérêt à agir, la Cour d’appel ré-gionale de Düsseldorf, par arrêt du 14 mai 2008, a même re-fusé aux membres du cartel le droit de se pourvoir en cassa-tion devant la Cour suprême fédérale contre sa décision.Dans son Livre blanc sur les actions privées fondées sur ledroit européen de la concurrence diffusé en avril 2008, fai-sant suite au Livre vert déjà consacré au « private enforce-ment », la Commission européenne a rappelé que les actionscollectives sont essentielles, particulièrement, s’agissant desvictimes de cartels, lorsque ce sont des acheteurs indirects,en raison des difficultés accrues rencontrées tant en matièred’administration de la preuve que de coût de ces procédures.Elle observe que les actions en représentation confiées à desentités qualifiées telles que des associations ou des organismes

d’État constituent une option intéressante, dans la mesure oùces entités n’auront pas les hésitations que peuvent éprouvercertains entrepreneurs pour engager des actions en répara-tion contre de plus puissants partenaires. Le Livre blanc sou-tient également l’action collective dans son modèle d’opt in,où chacune des victimes fait la démarche volontaire d’adhé-rer à cette action.

2) Le « private enforcement » dans l’Union européenne

Il existe maintenant une jurisprudence plus nombreuse et uneaugmentation significative des procédures portées devant lesjuridictions nationales. Des réponses ont été données par lesjuges nationaux à des questions cruciales posées par le Livreblanc, en particulier sur le droit et la qualité à agir, l’établis-sement de la responsabilité, la question de la faute, le lien decausalité, la notion et les méthodes de calcul du préjudice.

La levée des obstacles institutionnels.– Il a fallu en premierlieu lever les obstacles institutionnels. Dans la plupart desÉtats membres, à la différence des règles françaises, la régu-lation de la concurrence était organisée sur le modèle euro-péen, et caractérisée, notamment, par l’impossibilité pour lesjuges civils de se prononcer sur les pratiques anticoncurren-tielles lorsqu’ils étaient saisis de plaintes fondées sur le droitde la concurrence, tant national qu’européen. Il est remar-quable de constater que les réformes intervenues dans lesÉtats membres, à la suite de l’entrée en vigueur du règlementn° 1/2003, ont transformé dans le même sens les dispositionsdu droit national de ces États, et ainsi contribué à une har-monisation européenne des règles nationales, au-delà de laseule application directe, par les juridictions nationales, dudroit européen de la concurrence.Ainsi, en Allemagne, la réforme du droit de la concurrenceentrée en vigueur le 1er juillet 2005 a introduit un systèmed’exemptions automatiques inspiré du droit européen, et uni-fié le fondement légal sur lequel sont engagées les actions enréparation de pratiques anticoncurrentielles, la violation desrègles européennes, comme les manquements au droit natio-nal de la concurrence pouvant désormais être invoquée surle fondement du paragraphe 33 de la loi allemande sur laconcurrence (ARC).En Espagne, la Cour suprême a abandonné (Tribunal supremo, 2 juin2000, déc. n° 540/2000, Rafael c/Disa) sa jurisprudence antérieure (Tribu-nal supremo, 20 déc. 1993, déc. n° 1262/1993, Rodriguez c/ Campsa), selon laquelleles juridictions civiles espagnoles n’avaient pas compétencepour appliquer directement les dispositions du droit européende la concurrence. Il faudra toutefois attendre la réforme dudroit national de la concurrence intervenue en 2007 (L. n° 15/2007,3 juill. 2007) pour que les juridictions civiles espagnoles puissentse prononcer sur une demande en réparation fondée sur ledroit national espagnol de la concurrence.D’autres obstacles tenaient aux restrictions apportées à la qua-lité à agir : dans nombre d’États membres, le droit d’actionn’appartenait qu’aux entreprises, considérées comme les seulsacteurs du marché et par conséquent comme les seules vic-times éventuelles de pratiques anticoncurrentielles.Les juridictions allemandes avaient ainsi adopté une doctrineselon laquelle seules les victimes « directes » d’une pratiqueanticoncurrentielle avaient qualité pour agir en réparation. Le7e amendement au paragraphe 33 de la loi allemande sur laconcurrence, entré en vigueur le 1er juillet 2005, a mis unterme à ces restrictions en prévoyant que « toute personne af-fectée » par une pratique anticoncurrentielle a désormais qua-lité et intérêt à agir en justice. Mais ces dispositions ont sus-cité un nouveau débat : comment interpréter le terme

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« personnes affectées »? En d’autres termes, dans le cas d’uncartel, les acheteurs secondaires sont-ils protégés par ces nou-velles dispositions? Cette question fait encore débat (Cour régio-nale de Mannheim, 29 avr. 2005, Carbonless paper, rejetant les plaintes des victimes indi-rectes d’un cartel motif pris de ce qu’une solution inverse porterait atteinte à une mise enœuvre efficace des actions privées fondées sur le droit antitrust).En Italie, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudenceantérieure selon laquelle la ratio legis du droit de la concur-rence italien se limitait à la protection des entreprises, avec pourconséquence de refuser tout droit d’agir aux consommateurs,et a décidé que ces derniers, derniers maillons de la chaîne deproduction et de distribution d’un bien, sont eux aussi acteursdu marché (Mario Ricciarelli c/ Spa Uniupol Assicurrazioni, 4 févr. 2005).

La coopération entre les autorités de concurrence et les ju-ridictions nationales.– La coopération entre la Commissioneuropéenne et les juridictions nationales est prévue par l’ar-ticle 15 du règlement n° 1/2003. L’application de ces dispo-sitions par la Commission s’est révélée assez restrictive, ainsique le confirme la réponse qu’elle a donnée à la Cour suprêmesuédoise (Högsta Domstolen, 1er mars 2007, déc. T-2808-05, Bornholms Trafikken c/ Ys-tad Hamn Logistik AB), sur la demande d’avis de cette juridiction,concernant la détermination du marché pertinent et la carac-térisation des pratiques en cause. Dans sa réponse, la Com-mission souligne que son rôle, en tant qu’amicus curiae,consiste seulement à fournir une information factuelle, ou uneclarification juridique ou économique, à l’exclusion de touteopinion sur le fond de l’affaire. Elle rappelle enfin que sonavis n’a pas autorité pour la juridiction, contrairement à laforce obligatoire donnée à la réponse de la Cour de justice,lorsqu’elle est saisie d’une question préjudicielle en vertu del’article 234 du Traité.On relèvera pourtant l’importance, dans ces affaires, de l’aideapportée par les autorités de régulation : ainsi, en France (TGI,26 janv. 2005, Luk Lamellen c/ Valeo), les juges ont pu bénéficier des ana-lyses de marché fournies par le Conseil de la concurrence, àla demande du tribunal. De même, en Espagne, la juridictionconsulaire (T. com. Madrid, 11 nov. 2005, déc. n° 36/2005, Conduit Europe SA c/ Te-lefonica de España) a fait droit à la demande d’indemnisation duplaignant, une société de télécommunication irlandaise, quireprochait un abus de domination à l’opérateur historique surle marché espagnol de la téléphonie; mais la constatation decette domination, et celle de l’abus dénoncé par le plaignant,se sont trouvées facilitées par la procédure déjà conduite parl’autorité sectorielle des télécommunications, qui avait déjàsanctionné cet opérateur.

L’établissement de la responsabilité : la faute.– Les actionsen réparation engagées sans décision préalable du régulateur(stand-alone actions) sont rares, du fait de la complexité et ducoût des analyses de marché rendues nécessaires pour la dé-termination du marché pertinent, également en raison des dif-ficultés rencontrées dans la collecte des preuves. Elles sont sou-vent rejetées faute de preuves suffisantes, notamment en ce quiconcerne la caractérisation du marché pertinent et celle des pra-tiques dénoncées (T. com. Suède, 5 juin 2007, aff. Dnr A 9/05, Tidnings Aktiebola-get Metro c/ Stockholm City Sverige AB). Il peut également s’agir de diffi-cultés de preuves sur l’existence d’une domination exercée surle marché pertinent (Royaume-Uni, High Court, Chancery Division, 15 juin 2007,aff. HC06C03700, Chester City Council and Chester City Transport c/ Arriva PLC).Mais ces actions se sont révélées particulièrement efficacesdans deux domaines : celui de litiges fondés sur la mauvaiseexécution ou la rupture brutale de relations contractuelles,ainsi que le montre en France l’affaire Butagaz, et celui desmesures provisoires lorsque sont en cause des pratiques li-

mitant l’accès de nouveaux opérateurs aux marchés de latéléphonie ou du commerce sur Internet (net-economy cases),illustrées par les décisions britanniques.Saisi d’un litige portant sur la rupture par la société Butagazdes contrats de distribution de longue durée qu’elle avaitconclus, motif pris d’une demande de clémence portée de-vant l’autorité de régulation et imposant, selon le fournisseur,la dénonciation immédiate de ces accords, le Tribunal de com-merce de Nanterre (T. com. Nanterre, ord., 28 avr. et 30 juin 2005, Butagaz) ad’abord sursis à statuer pour recueillir l’avis du Conseil de laconcurrence, puis ordonné, au vu des conclusions de ce der-nier, la prolongation des contrats de distribution pour un an,pour qu’il soit mis fin aux relations contractuelles de manièreplus conforme aux intérêts de toutes les parties.Au Royaume-Uni, dans l’affaire Truphone de juillet 2007, laHigh Court a fait droit à la demande d’injonction formée parun nouvel opérateur de téléphonie contre l’opérateur his-torique et ordonné à celui-ci d’entrer en relation contrac-tuelle avec celui-là, relevant que les conditions tenant à l’ur-gence et à la certitude du manquement reproché, réuniesen l’espèce, justifiaient la mesure demandée dès lors que ladominance alléguée sur le marché était « plausible » (HighCourt, Chancery Division, 17 juill. 2007, aff. HC07C, Truphone Software cellular Networkc/ T-Mobile UK Ltd).Lorsqu’elles interviennent dans un second temps, après quel’autorité de régulation a rendu sa décision, et que celle-ci estdevenue définitive, les actions en réparation (actions dites en« follow-on ») apparaissent plus faciles : la charge de la preuvene porte plus que sur le lien de causalité, et sur l’étendue dupréjudice.Ces actions civiles se heurtent pourtant à une première diffi-culté : quelle autorité donner à la décision du régulateur?L’article 16 du règlement n° 1/2003 fait obligation aux juri-dictions nationales de se conformer aux décisions rendues ou« envisagées » dans les procédures intentées par la Commis-sion européenne. Il en va de même, a fortiori, des décisionsrendues par les juridictions européennes. Mais jusqu’à quelpoint s’étend cette autorité?Les suites de l’affaire Courage devant les juridictions civilesbritanniques ont été l’occasion pour la chambre des Lords defixer sa doctrine à cet égard (Chambre des Lords, 19 juill. 2006, UKCL 38,Inntrepreneur Pub Company CPC v. Crehan). On se souvient qu’à la suitedes enquêtes menées par la Commission européenne sur lemarché des contrats de bière, des actions civiles engagées de-vant les juridictions britanniques et de la question préjudi-cielle posée par ces dernières à la Cour de justice, celle-ci avaitdécidé qu’une partie à un contrat portant atteinte aux règlesdu droit européen de la concurrence peut intenter devant lesjuridictions nationales une action civile fondée sur ce man-quement à l’encontre de son cocontractant, écartant la règle« nemo auditur… » s’opposant en droit interne à ces actions.Se prévalant de cette décision, M. Crehan avait attrait sonfournisseur devant la High Court, et demandé la réparationde son préjudice. La décision de cette juridiction, rejetant sademande en relevant qu’il n’était pas établi que le « contratde bière » conclu entre ces deux parties avait eu un effet res-trictif de concurrence à l’époque des faits, avait été censuréepar la Cour d’appel britannique, au motif que la High Court,juridiction nationale, était dans l’obligation de se conformeraux conclusions formulées dans cette affaire par la Commis-sion européenne, préalablement à la réponse donnée par laCJCE sur cette question d’interprétation du Traité (Court of Ap-peal, 21 mai 2004, case n° A3/2003/1725, Crehan v. Inntrepreneur Pub Company).C’est cette automaticité que rejette la chambre des Lords,qui énonce que les juridictions nationales ne sont pas te- >

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nues de suivre une décision de la Commission, lorsqu’ellesstatuent dans un litige concernant d’autres parties et d’autresfaits. En effet, les décisions rendues par la Commission dansces affaires ne concernaient pas spécifiquement le brasseurmis en cause par M. Crehan. La chambre des Lords observe,toutefois, que, bien que n’ayant pas de caractère liant, lesdécisions de la Commission doivent être considérées commeun élément de preuve que la juridiction peut prendre enconsidération.Également au Royaume-Uni, on relèvera la décision renduepar le Competition Appeal Tribunal (CAT), juridiction d’ap-pel de l’Office of Fair Trading, à laquelle a été conféré le pou-voir de statuer sur les réparations comme juridiction de pre-mier degré, lorsque les parties lui en font la demande et quela décision sur le manquement, émanant soit du régulateurnational, soit des instances européennes, est définitive. Lesrègles de procédure du CAT (art. 31-3) prévoient que ce der-nier peut exceptionnellement autoriser l’engagement d’unetelle procédure alors que la décision sur le manquement n’apas encore acquis un caractère définitif, et les victimes d’uncartel sanctionné par la Commission européenne se fon-daient sur ces dispositions pour demander l’ouverture d’uneprocédure en réparation en dépit du recours encore pendantcontre la décision de la Commission. Cette autorisation leurest refusée, aux motifs que les plaignants ne justifient d’au-cun préjudice particulier résultant du rejet de leur demande,également en considération de la portée du recours, qui por-tait sur le fond et pas seulement sur une simple minorationde la sanction (CAT, 28 avr. 2008, case n° 1077/5/7/07, Emerson Electric Co & alc/ Morgan Crucible Plc).Mais ces dispositions strictes ne font pas obstacle à l’alloca-tion d’indemnités provisionnelles dès lors qu’est acquis leprincipe de la responsabilité, ainsi que l’a retenu le CAT, saisid’une action en réparation dans une affaire d’abus de domi-nation dans le domaine médical sanctionnée par l’OFT, dontla décision était définitive (CAT, 15 nov. 2006,, case n° 1060/5/7/06, Health-care at home c/ Genzyme Ltd).

Le lien de causalité.– La démonstration d’un lien de causa-lité entre la faute et le préjudice est nécessaire à l’établisse-ment de la responsabilité des entreprises pour manquementaux règles du droit de la concurrence, ainsi que l’a rappelé laCour de justice dans la décision Manfredi (CJCE, 13 juill. 2006, aff.jtes. C-295/04 à 298/04, Manfredi).Mais qu’en est-il lorsque la décision retenant une infractionaux règles de la concurrence retient que les pratiques sanc-tionnées ont eu pour « objet » – et non pour effet – d’empê-cher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence surun marché?Telle était la question posée aux juridictions italiennes, dansune affaire d’entente entre assureurs, lesquels opposaient àl’action en réparation engagée à leur encontre l’absence dedémonstration d’un lien de causalité direct et certain, puisqueseul l’objet des échanges litigieux d’informations avait été in-criminé. La Cour d’appel avait rejeté ce moyen, au motif quele préjudice allégué – une augmentation des primes payéespar les clients – résultait « automatiquement » de la fauteconstatée par le régulateur.Cette décision a été cassée par la Cour de cassation italienne,qui énonce que le lien de causalité peut être établi sur la basede probabilités et de présomptions, il appartient néanmoinsau juge de prendre en considération les moyens produits parle défendeur pour soutenir que d’autres facteurs ont pu cau-ser, ou contribuer à causer le dommage (Cour de cassation italienne,15 déc. 2006, Fondiaria Societa Assicuratrice Industtriale c/ Nigriello). En d’autres

termes, la présomption résultant de la constatation du man-quement aux règles de la concurrence est une présomptionréfragable, et le juge doit motiver sa décision au regard éga-lement des éléments produits par la défense.

Le préjudice.– Contrairement aux règles américaines des dom-mages « au triple », la plupart des États membres écartent lesnotions de dommages punitifs ou fondés sur l’enrichissementde l’auteur de l’infraction, et s’en tiennent à un concept deréparation intégrale du préjudice. La Cour de justice a précisépour sa part (CJCE, 13 juill. 2006, aff. jtes. C-295/04 à 298/04, préc., pt. 95) qu’ilrésultait du principe d’effectivité que cette réparation devaitinclure non seulement les pertes éprouvées, mais égalementle gain manqué ainsi que les intérêts. En revanche, elle a ajoutéque le principe d’équivalence autorisait l’allocation d’autresindemnisations, telles que des dommages-intérêts « punitifs »ou « exemplaires » pour réparer le préjudice résultant d’uneatteinte aux règles du droit européen de la concurrence, si desrègles autorisant ce type de compensation existaient dans ledroit interne d’un État membre.Une telle invitation semble avoir été promptement suivie d’ef-fet : dès l’année suivante, il était demandé à la High Court,dans l’affaire du cartel des vitamines, d’allouer aux victimesdu cartel des dommages punitifs ou équivalents aux profitsréalisés par les cartelistes, dès lors que de telles compensa-tions sont prévues en droit interne. La High Court a néan-moins rejeté cette demande, dans une décision fortement mo-tivée (High Court, Chancery Division, 19 oct. 2007, Devenish Nutrition Ltd & al c/ SanofiAventis & al.). Elle a observé tout d’abord que dans les affairescomme en l’espèce en « follow-on », l’allocation de dommagesexemplaires, de par leur caractère punitif, reviendrait à contre-dire non seulement le principe non bis in idem, mais aussil’article 16 du règlement n° 1/2003 qui interdit aux juges na-tionaux d’aller contre la décision rendue par l’autorité euro-péenne. Elle a ajouté qu’il ne lui appartenait pas de décidersi la restitution des profits illégaux réalisés par les membresdu cartel pouvait constituer un remède adéquat dans les af-faires antitrust, à moins qu’une juridiction supérieure n’endécide autrement, et observé que le principe d’une compen-sation des préjudices constituait un remède adapté dans cedomaine.

Muriel CHAGNY

3) L’initiateur « public » du contentieux des dommagesconcurrentiels : le ministre de l’Économiesur la sellette

Les prérogatives reconnues par l’article L. 442-6-III au ministrede l’Économie et lui permettant de s’immiscer dans les rap-ports contractuels, se sont trouvées sur la sellette et au cœurd’une véritable bronca doctrinale. Est notamment contesté lecaractère conventionnel au regard de la CEDH de cette dispo-sition, silencieuse quant au régime de l’action ouverte au mi-nistre. Comme Mme Béhar-Touchais l’a déjà indiqué (voir Béhar-Touchais M., Actualité des pratiques restrictives, supra), par ses deux arrêts du8 juillet 2008, la Cour de cassation, se prononçant en faveurde la conformité de cette règle à l’article 6, paragraphe 1 aconforté l’action du ministre. En complément des observationsdéjà formulées, il s’agit ici de procéder à une simple analysetechnique de l’attendu central commun aux deux arrêts de lachambre commerciale. Selon ces décisions, « l’action du mi-nistre chargé de l’Économie (…) qui tend à la cessation des pra-tiques, à la constatation de la nullité, à la répétition de l’induet au prononcé d’une amende civile, est une action autonomede protection du fonctionnement du marché et de la concur-

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rence ». Ainsi, là où la Cour de Versailles avait considéré quele ministre exerçait une action de substitution, la Cour régu-latrice retient la qualification d’action autonome : le droitd’agir est attribué au ministre, non pas pour se substituer àla victime, mais pour assurer le bon fonctionnement du mar-ché. Il est toutefois possible de s’interroger sur l’étendue decette solution, dans la mesure où l’attendu ne mentionne pasla possibilité également reconnue au ministre de demander« la réparation des préjudices subis ». Ce silence traduit-il uneomission purement fortuite d’une prérogative, mentionnée sé-parément des autres dans le texte législatif et qui n’a jamaisété utilisée? Ou bien ce silence signifie-t-il, tout au contraire,que, dans le cas de la réparation, où il s’agit, au premier chef,de rétablir la victime dans ses droits patrimoniaux, l’actiondu ministre devrait être autrement qualifiée, constituant uneaction de substitution?De même, s’agissant du régime de l’action, précisé par les ar-rêts à partir de la qualification retenue, l’affirmation selon la-quelle l’action exercée par le ministre « n’est pas soumise auconsentement ou à la présence des fournisseurs » laisse entièrela question de savoir si ces derniers ont le droit d’être informés.Au demeurant, l’article L. 442-6-III du Code de commercen’est pas quitte pour autant avec la CEDH dans la mesure oùd’autres textes que l’article 6, paragraphe 1, ont parfois étéinvoqués à son encontre et où, par ailleurs, la Cour euro-péenne des droits de l’Homme est susceptible d’être saisie.Quel qu’en soit l’initiateur, l’issue normale du contentieux desdommages concurrentiels, comme d’ailleurs de n’importe quelcontentieux, est la décision rendue par le juge.

II. – LA DÉCISION DU JUGE, ISSUE DU CONTENTIEUXDES DOMMAGES CONCURRENTIELS

Cela conduit à s’interroger successivement sur les règles dedroit que le juge est appelé à mettre en œuvre (A), ainsi quesur les sanctions qu’il est susceptible de prononcer (B).

A. – Les règles applicables au contentieuxdes dommages concurrentiels

Les nouvelles règles ne manquent pas en cette année d’unedouble réforme législative en janvier et août 2008, nous nereviendrons pas ici sur les nouveautés substantielles, maissur des difficultés qui peuvent se présenter en amont au jugeet qui tiennent aux éventuels conflits de lois, soit dans l’es-pace en présence d’un élément d’extranéité, soit dans letemps du fait de la succession de plus en plus rapprochéedes lois nouvelles.S’agissant des conflits dans l’espace, le sujet brûlant de cettefin d’année concerne le nouveau dispositif adopté dans la LMEquant aux délais de paiement et applicable au 1er janvier pro-chain, question épineuse qui sera abordée par Cyril Nouris-sat (infra). Dans la mesure où un conflit de lois dans l’espacepeut se résoudre au profit d’une loi étrangère, il convient d’évo-quer le contentieux des dommages concurrentiels hors la loifrançaise.

Le contentieux des dommages concurrentiels à l’épreuvedes conflits de lois dans le temps du temps.– Les interro-gations quant à l’application dans le temps des lois nou-velles sont d’autant plus fortes que le législateur n’a guèreprévu de disposition transitoire. Sans entrer faute de tempsdans le détail, je me contenterai d’évoquer quelques dispo-sitions parmi les plus symptomatiques (cf., à ce propos, UtzschneiderY. et Chagny M., Les mesures transitoires, in La loi de modernisation de l’économie et ledroit des pratiques restrictives, conférence organisée par l’Association française d’étudede la concurrence, le 6 octobre 2008, disponible sur le site de l’AFEC).

S’agissant de la suppression de l’interdiction per se des pra-tiques discriminatoires – qui est assurément l’une des me-sures centrales de la réforme par la LME du droit des pra-tiques restrictives de concurrence, il ne fait aucun doute queles discriminations commises postérieurement à la date d’en-trée en vigueur de la LME sont licites. La question se pose enrevanche pour les agissements antérieurs au 6 août 2008, pourlesquels il convient de distinguer selon la sanction attachéeau comportement.Le principe de la rétroactivité in mitius semble susceptible des’appliquer à l’amende civile prévue à l’article L. 442-6-III duCode de commerce : en conséquence, il ne serait donc pluspossible de prononcer une amende civile au titre de compor-tements commis avant le 6 août 2008 en violation de la règleabrogée. En revanche, s’agissant de la nullité, ce qui n’étaitpas valable sous l’empire de la loi ancienne ne le devient passous l’effet de la loi nouvelle : de ce fait, un contrat concluavant le 6 août 2008 et qui aurait été le vecteur de pratiquesdiscriminatoires pourrait être annulé. Quant à l’engagementde la responsabilité civile délictuelle, il est permis de penser,au vu de la jurisprudence dominante, que les pratiques dis-criminatoires commises avant le 6 août 2008 peuvent donnerlieu à des actions en dommages et intérêts, nonobstant l’abro-gation de l’interdiction per se : en effet, en matière de délit ouquasi-délit, les conséquences sont régies par la loi en vigueurau moment du fait dommageable.

B. – Les sanctions appliquées au contentieuxdes dommages concurrentiels

Revenir sur les sanctions que le juge peut être amené à pro-noncer conduit à envisager successivement le contentieux despratiques restrictives de concurrence et le contentieux des pra-tiques anticoncurrentielles.

Le contentieux des pratiques restrictives de concurrence.–S’agissant des pratiques restrictives de concurrence, les loisrécentes ont doublement innové quant aux sanctions.D’un côté, la loi de modernisation de l’économie a renforcéles sanctions : outre la possibilité d’ordonner la publicité sousdifférentes formes (publication, diffusion, affichage, insertiondans le rapport de gestion) de tout ou partie de la décision dejustice et de prononcer une astreinte, ce sont surtout les nou-veaux cas de nullité, prévus à l’article L. 442-6-II du Code decommerce ainsi que la sévérité accrue de l’amende civile quiretiennent l’attention.De l’autre côté, le législateur a procédé, au cours de l’année2008, à une dépénalisation partielle du droit des pratiques res-trictives de concurrence. Cela étant, la dépénalisation réaliséepar la loi du 3 janvier 2008, en ce qui concerne le refus de com-muniquer les conditions générales de vente – devenu un neu-vième cas d’engagement de la responsabilité civile sur le fon-dement de l’article L. 442-6 – apparaît bien limitée. C’est, parailleurs, une dépénalisation furtive qu’a effectuée à son tourla loi du 4 août 2008 : certains des changements apportés àl’article L. 441-7 du Code de commerce prescrivant, depuis laloi du 3 janvier 2008, l’établissement d’une convention glo-bale assortie de sanctions pénales, consacrent en effet un adou-cissement du régime pour une partie des services précédem-ment rattachés à la défunte catégorie des services distincts.Reste à savoir ce que sera la dépénalisation future du droitdes pratiques restrictives, la réflexion sur cette question ayantété différée dans l’attente d’une dépénalisation du droit desaffaires. Sans se livrer sur ce point à des conjonctures, il resteà évoquer, pour finir, le contentieux des pratiques anticoncur-rentielles et le si attendu Livre blanc. ◆

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCELundi 8 décembre 2008

Actualité du droit processuel de la concurrencePar Éric BARBIER de la SERRE, Avocat, Cabinet Latham & Watkinset Cyril NOURISSAT

sion du pouvoir des autorités par la nécessité de l’efficacitédes procédures trouve ici une certaine limite. Dans sa déci-sion, le Conseil s’était en effet appuyé, notamment, sur cetimpératif d’efficacité pour juger les preuves recevables, toutcomme la Cour de justice avait pu précédemment le faires’agissant de preuves produites de façon anonyme et non sou-mises à la contradiction. L’efficacité de la procédure, souventprise en compte pour étendre les pouvoirs des juridictions oudu Conseil, trouve donc avec cet arrêt une limite en tant queprincipe justificatif.

B. – La transaction communautaire

Le dispositif de transaction adopté par la Commission com-prend deux éléments principaux : d’une part, un règlementqui modifie le règlement de mise en œuvre du règlementn° 1/2003 et, d’autre part, une communication qui précise leséléments que la Commission utilisera pour mettre en œuvresa politique de transaction.En substance, l’objet de la procédure est de permettre une sortede marché entre la Commission et les entreprises par lequelces dernières reconnaissent leur implication dans un cartel etacceptent l’application d’une procédure simplifiée, en échangede quoi elles bénéficient d’une réduction d’amende de 10 %.

1) Les principaux traits de la procédure

Il ne s’agit pas d’une procédure de clémence, même si elleprésente avec elle certains points communs. La procédure in-tervient ainsi après l’enquête et ne vise pas à faciliter le ras-semblement des preuves, mais à récompenser le fait pour l’en-treprise en cause d’accepter l’application d’une procéduresimplifiée. Cette procédure est donc dotée d’une économietrès différente de la procédure classique, durant laquelle laplus grande partie de la procédure a lieu après la communi-cation des griefs : dans le cadre de la procédure de transac-tion, une partie très importante de la procédure se dérouleavant la communication des griefs.

Les trois étapes de la procédure. – En substance, cette pro-cédure se déroule en trois temps.En premier lieu, la Commission et les entreprises doiventmanifester leur intérêt pour la transaction. La Commissiondoit ainsi envoyer une lettre aux parties pour leur deman-der si elles veulent entamer des négociations en vue d’unetransaction. Si les entreprises y répondent favorablement,elles ne s’engagent toutefois pas à transiger. On doit noterégalement que l’expiration du délai imparti par la Commis-sion pour manifester un tel intérêt marque la fin du délaiapplicable pour déposer une demande de clémence.En deuxième lieu, des discussions bilatérales se tiennententre la Commission et l’entreprise. Ces discussions per-mettent aux entreprises de présenter leur point de vue età la Commission de les informer sur des éléments auxquelselles n’ont normalement pas accès avant la communica-tion des griefs : il s’agit d’informations sur les faits rete-nus, la qualification juridique de ces faits, leur gravité, ladurée de l’infraction, l’attribution des diverses responsa-bilités, les fourchettes d’amendes envisagées par la Com-mission et les éléments de preuve sur lesquels la Commis-sion entend s’appuyer. En outre, les entreprises ont dès ce

Éric BARBIER de la SERRE

I. – LE CONTENTIEUX OBJECTIF

A. – Le droit national

1) Les engagements

En matière d’engagements, deux étapes très importantes ontété franchies cette année avec, d’une part, l’adoption par leConseil du Communiqué de procédure du 3 avril 2008, quiconsolide en grande partie la pratique décisionnelle dans cedomaine, et, d’autre part, l’arrêt de la Cour de cassation du4 novembre 2008 dans l’affaire GIE Les Indépendants. Ce der-nier arrêt rappelle l’importance du principe du contradictoire,qui s’applique également aux procédures d’engagements.Tirant directement les conséquences de ce rappel, trois arrêtsde la Cour d’appel de Paris du 26 novembre 2008 ont annulétrois décisions du Conseil de la concurrence pour violationdu contradictoire.

2) La loyauté des preuves

L’arrêt de la chambre commerciale du 3 juin 2008 consacrel’entrée effective du principe de loyauté des preuves dans lecontentieux des pratiques anticoncurrentielles. Les faits à l’ori-gine de cette affaire sont simples : le gérant de la société Avan-tage avait porté plainte devant le Conseil contre une pratiquede prix imposés dans le secteur de l’électronique grand pu-blic. Ce gérant avait produit des preuves inhabituelles, à sa-voir des enregistrements de discussions avec des fournisseursréalisés à l’insu de ces derniers. Se posait donc la question dela recevabilité de preuves obtenues de manière déloyale. Surcette question, deux approches s’opposaient : d’un côté, leschambres civile et commerciale de la Cour de cassation ju-gent ces preuves irrecevables alors que, de l’autre, la chambrecriminelle les juge recevables si elles émanent du plaignantet non de l’autorité de poursuite. Le Conseil avait finalementopté pour l’approche pénale, c’est-à-dire la recevabilité despreuves, en s’appuyant à cet effet sur un important effort demotivation : il s’appuyait sur l’autonomie procédurale duConseil, sur le principe de liberté de la preuve, sur sa missionde protection de l’ordre public économique et, enfin, sur lecaractère répressif de cette mission et l’efficacité qui en est at-tendue. Le Conseil avait toutefois posé certaines limites : toutd’abord, les preuves avaient été jugées recevables car ellesétaient produites par le plaignant et non par l’autorité de pour-suite ; ensuite, elles étaient simplement utilisées à titre d’in-dice; enfin, elles devaient être soumises au contradictoire.La Cour de cassation a toutefois cassé l’arrêt de la Cour d’ap-pel de Paris qui avait approuvé le Conseil de la concurrence.L’arrêt vise l’article 6-1 de la CEDH et il pose le principe se-lon lequel l’enregistrement de conversations à l’insu des per-sonnes enregistrées est un procédé déloyal qui rend les preuvesirrecevables. Malgré le caractère laconique de cette motiva-tion, deux leçons sont à tirer de cet arrêt. Premièrement, il nes’agit pas pour la Cour de cassation d’écarter le principe d’au-tonomie procédurale du Conseil ; l’arrêt vise en effet unique-ment l’article 6-1 de la CEDH et non l’article 9 du Code deprocédure civile, sur lequel les chambres commerciale et ci-vile s’étaient appuyées pour écarter des preuves constituéesde manière déloyale. D’autre part, la justification de l’exten-

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moment accès au dossier, c’est-à-dire avant même la com-munication des griefs. La Commission peut toutefois mettrefin aux discussions si l’accès intégral au dossier met endanger l’efficacité de la procédure. Ces discussions ne vi-sent en outre pas à négocier certains griefs, mais à per-mettre aux entreprises de présenter leurs observations à laCommission et donc, en pratique, d’exercer leurs droits dela défense par avance.En troisième lieu, si les entreprises et la Commission arri-vent à une appréciation commune sur les griefs et l’amendeenvisageable, les entreprises auront alors la possibilité dedéposer, dans un délai fixé par la Commission, une propo-sition de transaction qui contiendra une reconnaissance deresponsabilité, une indication de l’amende maximale quel’entreprise s’attend à se voir infliger, une reconnaissanceexpresse du fait que les droits de la défense ont été respec-tés et un engagement à suivre la procédure de transactionjusqu’à son terme si la Commission le décide. Les entre-prises s’engagent donc expressément à ne pas se rétracteralors que la Commission, pour sa part, n’est jamais enga-gée jusqu’à la décision. A ensuite lieu la communicationdes griefs, qui reprend largement les éléments exposés dansla demande de transaction. Puis, l’entreprise répond à cettecommunication en confirmant son acceptation et sans de-mander d’audition. La Commission consulte enfin le co-mité consultatif et peut alors adopter immédiatement la dé-cision finale, avec la réduction forfaitaire de 10 %.

2) Les avantages et inconvénients de la procédure

Dans une certaine mesure, les entreprises ne pourront-ellespas se sentir contraintes de transiger avec la Commission? Eneffet, la Commission instruit le dossier mais adopte égalementla décision finale ; elle dispose en outre d’une grande libertépour fixer le montant des sanctions. Quelles sont alors les ga-ranties apportées aux entreprises qui participent à une procé-dure de transaction?La procédure ne peut fonctionner que si les intérêts des en-treprises et de la Commission se rejoignent. Le seul risque queprend la Commission en mettant en œuvre la procédure detransaction est d’offrir un accès précoce au dossier et de de-voir finalement revenir à une procédure normale si les entre-prises refusent de transiger. Pour éviter que certaines entre-prises ne prennent en otage la procédure, la Commissionacceptera sans doute les transactions hybrides, c’est-à-dire lestransactions avec seulement certaines entreprises de l’ententeprésumée.Pour les entreprises, la procédure de transaction est beaucoupplus contraignante, et ce en raison de quatre éléments. Pre-mièrement, la procédure est asymétrique, puisque les entre-prises sont fortement engagées alors que la Commission restelibre jusqu’à la décision finale. Deuxièmement, le gain de 10 %sur le montant de l’amende pourra souvent paraître quelquepeu réduit au vu des droits abandonnés par les entreprises.Troisièmement, les entreprises courent le risque de faciliterles poursuites civiles du fait de l’aveu prévu dans la transac-tion. Certes, la Commission a prévu de pouvoir protéger laconfidentialité des demandes de transaction et de la commu-nication des griefs. Toutefois, la procédure de transaction ac-célèrera probablement la décision de la Commission et donc,par voie de conséquence, les poursuites civiles en follow-on.Enfin, quatrièmement, les entreprises affectent leurs droits derecours contentieux. Un arrêt du Tribunal de première ins-tance de d’octobre 2008 a ainsi jugé que des faits expressé-ment admis devant la Commission ne peuvent plus être contes-tés devant le Tribunal (TPICE, 8 oct. 2008, aff. T-69/04, Schunk e.a. c/ Commission),

solution qui ne va pas sans soulever de nombreuses questionsmais limite en tout cas fortement à ce stade les possibilitéscontentieuses des entreprises qui auront recouru à une pro-cédure de transaction.En conclusion, comme le relevait Jean-François Bellis, la pro-cédure de transaction constitue la dernière brique de la pro-cédure de clémence et devrait surtout intéresser les entreprisesqui coopèrent avec la Commission. Toutefois, si les preuvesdont dispose la Commission sont suffisamment convaincantes,cette procédure peut également présenter un intérêt pour lesautres entreprises, qui n’auront pas forcément intérêt à contes-ter l’incontestable.

Cyril NOURISSAT

II. – LE CONTENTIEUX SUBJECTIF

La justice est apaisée au regard de deux techniques contrac-tuelles régulièrement utilisées : les clauses attributives de ju-ridiction et les clauses compromissoires. Elles sont utiliséestant en droit des pratiques anticoncurrentielles qu’en droit despratiques restrictives de concurrence. La jurisprudence ré-cente apporte un éclairage intéressant sur ces deux techniques.

A. – Les clauses attributives de juridiction

L’arrêt Monster Cable du 22 octobre 2008 de la premièrechambre civile de la Cour de cassation tranche une ques-tion : celle de savoir quelles étaient les relations entre deslois de police, en l’espèce l’article L. 422-6 du Code de com-merce, et la stipulation de clauses attributives. En l’espèce,un contrat liant une société française à une société nord-américaine prévoit compétence du juge de l’État de New-York. La clause est contestée en indiquant que l’action étantfondée sur l’article L. 442-6, soit une loi de police et que seulle juge français peut avoir compétence. La première chambrecivile vise les principes généraux du droit international etestime que seul le juge américain doit connaître de l’actionen raison de la clause stipulée au contrat. Le fait que l’ar-ticle L. 442-6 rentre dans la catégorie des lois de police n’em-pêche pas de porter le litige devant un juge autre que natio-nal. L’action du cocontractant ne pourra être portée quedevant le juge américain qui pourra seul statuer : la ques-tion de l’exequatur peut alors se poser sur le territoire fran-çais. Hormis l’hypothèse où la décision du juge américainheurtant l’ordre public français, la décision rendue à l’étran-ger vaudra en France.Cet arrêt rejoint donc une solution antérieure de la premièrechambre civile de la Cour de cassation qui confirme que lavalidité d’une clause attributive de juridiction n’est étudiéequ’au regard des seules exigences du droit international etnon celles du droit interne.La solution dégagée rejoint celle qui prévaut par l’applica-tion de l’article 23 du règlement « Bruxelles I » sur la com-pétence, la reconnaissance et l’exécution en matière civileet commerciale. Ce règlement communautaire exprime unefaveur extrême à l’égard des clauses attributives. Tant les ju-ridictions nationales que communautaires ont régulièrementjugé que les seules conditions d’appréciation de la validitéou de l’opposabilité de la clause attributive sont celles édic-tées par les textes communautaires. Je rappelle que la pre-mière chambre civile de la Cour de cassation a ainsi consi-déré que rien ne s’opposait à ce qu’un non-commerçant soitappelé devant le Tribunal de commerce de Paris en vertud’une clause attributive de juridiction stipulée dans un contratqui le liait avec une société de droit luxembourgeois. >

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B. – Les clauses compromissoires

Un arrêt du 4 juin 2008 de la première chambre civile de laCour de cassation vient confirmer un mouvement engagésous l’égide de la Cour d’appel de Paris, qui fait le droit enmatière d’arbitrage, soit un mouvement en faveur de l’arbi-trage au mépris éventuellement des exigences de l’ordrepublic économique et du droit des pratiques anticoncurren-tielles (Cass. 1re civ., 4 juin 2008, n° 06-15.320, Bull. civ. I, n° 162 ; Nourissat C.,Arbitrage et concurrence : sur la violation flagrante, effective et concrète de l’ordre publicinternational…, RLC 2008/16, n° 1162). En l’espèce, le Tribunal arbitralse constitue en vertu de la clause compromissoire et rendune sentence qui fait l’objet d’un recours en annulation, dufait de la violation de l’ordre public économique internatio-nal, soit la violation par les arbitres de l’article 81 du Traitésur la Communauté européenne. La Cour de cassation in-dique que « s’agissant de la violation de l’ordre public inter-national, seule la reconnaissance ou l’exécution de la sen-tence est examinée par le juge de l’annulation au regard dela compatibilité de sa solution avec cet ordre public, dont lecontrôle se limite au caractère flagrant, effectif et concret dela violation alléguée ».Se pose la question de savoir quel est en réalité le travaildu juge de l’annulation ou de l’exécution de la sentence.Comment apprécier un caractère flagrant, effectif et concret,sans entrer dans un contrôle du bien-fondé ? Or un des prin-cipes fondamentaux du droit de l’arbitrage est l’interdictionde la révision au fond de la sentence. Certains observateursestiment donc que, tout en respectant les exigences posées

par la Cour de justice des Communautés européennes dansl’arrêt Eco Swiss de 1999, la Cour de cassation adressait enréalité une fin de non recevoir dans une logique de contrôleau regard de l’ordre public économique d’une sentence ar-bitrale. Cette solution réjouira les défendeurs du droit de l’ar-bitrage et inquiétera les spécialistes du droit de la concur-rence, en raison des stratégies d’évitement qu’il peut induire.Il faut rester prudent en la matière, notamment au regard dela révision annoncée du règlement « Bruxelles I » sur la com-pétence en matière civile et commerciale. La Commission acommandé il y a deux ans un rapport aux juristes allemandsafin d’établir le bilan de ce règlement et savoir s’il fallaitlever l’exclusion du droit d’arbitrage du champ de la matièrecivile et commerciale. Les conclusions du Rapport de Heidel-berg conduisent à affirmer la nécessité d’ouvrir le règlement« Bruxelles I » au domaine de l’arbitrage et à faire entrer laquestion de la reconnaissance et de l’exécution des sentencesarbitrales dans l’espace intracommunautaire. Si cette voie estsuivie, c’est peut-être par cet angle que le droit communau-taire s’intéressera alors à l’application par les arbitres et dansla non-application par le juge de l’annulation des règles dudroit communautaire de la concurrence. Il faudrait peut-êtremieux analyser les relations entretenues par le droit de l’ar-bitrage et le droit de la concurrence pour éviter certaines stra-tégies d’évitement. Certaines réponses préjudicielles récentesapportées par la Cour de justice des Communautés euro-péennes dans le domaine des règlements d’exemption à desquestions posées par le juge national démontrent que la Cours’adresse également à l’arbitre. ◆

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PER

SPEC

TIVE

LIRE

Sous la responsabilité de Simon GENEVAZ, Rapporteur permanent auprès de l’Autorité de la concurrence (*)

REVUES

Concentrations> « Breaking up is hard to do » – National Merger

Remedies in the Information and CommunicationIndustryThomas Hoehn, Suzanne Rab et Grant Saggers, ECLR,vol. 30, n° 6, 2009, p. 255

> The Revised Merger Remedies Notice –Some CommentsWerner Berg et Rob Lipstein, ECLR, vol. 30, n° 6, 2009,p. 281

Pratiques anticoncurrentiellesPRATIQUES UNILATÉRALES

> The French Competition Council and ParallelTrade in the Pharmaceutical Industry : A StepAhead of EU Case Law?Fleur Herrenschmidt, World Competition, vol. 31, n° 2,p. 235

> Predatory Pricing under Article 82 and theRecoupement Test : Do Not Go Gentle intothat Good NightMiguel Moura e Silva, ECLR, vol. 30, n° 2, 2009, p. 61

> Finally a bit of clarity for pharmaceuticalcompanies; but uncertainties remain :Judgement of the ECJ in Sot. Lélos Kai Sia EEv. GlaxoSmithKline AEVEPeter Turner-Kerr, ECLR, vol. 30, n° 2, 2009, p. 57

> A Proposed Test for Separating Pro-competitiveConditional Rebates from Anti-competitive OnesDamien Gerardin, World Competition, vol. 32, n° 1,mars 2009, p. 41

> Consumer Welfare and Article 82 EC : Practiceand RhetoricPinar Akman, World Competition, vol. 32, n° 1,mars 2009, p. 71

Cet article étudie la différence entre la pratique et la rhéto-rique en ce qui concerne le rôle joué par le dommage auconsommateur dans l’application de l’article 82 CE. En effet,au-delà de déclarations de principe, l’auteur, qui ne trouveque relativement peu de référence au dommage au consom-mateur dans la jurisprudence, considère que la question del’objet du dommage (le consommateur ou la concurrenceen général) n’est pas tranchée en jurisprudence. À tel pointque, pour Pinar Akman, « la seule chose qui semble suffi-samment claire en ce qui concerne la question du dommageen application de l’article 82 est la dissonance entre la pra-tique et la rhétorique ». Mais l’article 82 CE étant une dispo-sition de droit de la concurrence, et non de droit de la consom-mation, le critère d’application est limité à la restriction deconcurrence, et le seul dommage au consommateur sansune telle restriction est insuffisant pour sanctionner les com-

portements. Néanmoins, en l’absence d’une définition clairepar la Commission européenne du standard de dommageau bien-être du consommateur que l’institution met pourtantelle-même en avant, « l’article 82 CE demeure un domainejuridique qui pose plus de questions qu’il n’en résout ».

> Legal Uncertainty and Competition policyin European Deregulated Electricity Markets :the Case of Long-term Exclusive Supply ContractsAdrien de Hauteclocque, World Competition, vol. 32, n° 1,mars 2009, p. 91

La question des contrats d’approvisionnement de long termeen électricité est d’une actualité brûlante, avec des procéduresen cours au niveau communautaire concernant certains pro-ducteurs historiques, parmi lesquels EDF. Cette question est,pour l’auteur, topique des difficultés posées par l’approche« plus économique » de la règle de raison dans des secteursoù les autorités de concurrence manquent d’informations surla dynamique concurrentielle qui découle du processus delibéralisation. La question des contrats d’approvisionnementde long terme est cependant une priorité de la Commissioneuropéenne, qui en souligne les effets anticoncurrentiels. L’au-teur insiste cependant sur l’absence de précédents en la ma-tière, source d’une forte incertitude pour les opérateurs.L’auteur pose donc les jalons de l’analyse économique. Toutd’abord, du point de vue des contractants, l’intérêt des contratsde long terme est qu’ils permettent de limiter leur risque deprix et de quantité sur la durée. En contrepartie, cependant,ces contrats constituent une barrière à l’entrée sur le marchéde nouveaux concurrents et limitent le développement dumarché de gros spot. De ces effets contrastés découle l’idéeque l’impact des contrats de long terme sur l’ouverture desmarchés est délicat à évaluer et que « l’application aveugledu droit de la concurrence dans l’électricité pourrait créerdes incitations pour plus d’intégration verticale et mettre endanger l’allocation contractuelle optimale du risque entre lesparties, ce qui irait à l’encontre des objectifs de l’Union eu-ropéenne en terme d’efficacité de marché et d’investisse-ment ». L’auteur considère cependant qu’une « nouvelle mé-thodologie » dans l’évaluation des effets d’exclusion émergeactuellement dans la pratique de la Commission européenne,dont l’exemple le plus clair est celui de l’affaire Distrigaz.Cette méthodologie résulte notamment d’une approche uni-fiée dans l’application des articles 81 et 82 CE et d’une conver-gence dans l’application du droit dans divers secteurs. L’exis-tence d’une telle approche n’est cependant pas une panacée,l’auteur soulignant qu’il n’existe aucune raison justifiant quele secteur de l’énergie soit traité de la même manière quecelui de la bière ou des glaces.

> La nouvelle approche de la Commissiondans la mise en œuvre de l’article 82 CEMona Chammas, JTDE 2009, p. 69

ENTENTES

> « Publicly Distancing » Oneself from a CartelDavid Bailey, World Competition, vol. 31, n° 2, p. 177

> EC Commission’s Post-Conference MaritimeTransport Guidelines – true guidance to navigatethrough antitrust complianceDr Peter D. Camesasca et Anna K. Schmidt, ECLR, vol. 30,n° 3, p. 143

1449RLC

(*) Les opinions exprimées sont purement personnelles.

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PERSPEC

TIVESÀ LIRE

> RPM as Exclusion : Did the US Supreme CourtStumble Upon the Missing Theory of Harm?Timothy J. Brennan, The Antitrust Bulletin, vol. 53, n° 4,winter 2008, p. 967

AIDES D’ÉTAT

> The Current Financial Crisis and State Aidin the EUAbel M. Mateus, European Competition Journal, vol. 5,n° 1, avr. 2009, p. 1

> European commission Adopts Guidance on StateAids to the Financial SectorCatriona Hatton et Jean-Michel Coumes, ECLR, vol. 30,n° 2, 2009, p. 51

ACTIONS PRIVÉES

> Inciter les actions en dommages et intérêtsen droit de la concurrence – Le point de vued’un processualisteSoraya Amrani-Mekki, Gaz. Pal. 22 au 26 mars 2009,pp. 4-5

Après le Livre blanc de la Commission européenne, l’auteurs’interroge sur l’incitation des actions en dommages et inté-rêts. Si l’évolution du droit de la concurrence va vers le renfor-cement des droits des victimes, il faut se demander, selon l’au-teur, non seulement si l’incitation des actions privées estsouhaitable, mais également si elle est réaliste. Pour assurerl’effectivité de la politique incitatrice des actions privées, il fautd’abord « banaliser » la qualité à agir, la conférer à toute vic-time d’une pratique anticoncurrentielle. Ceci implique de nepas limiter l’action en réparation aux consommateurs finals,puisque les victimes de pratiques anticoncurrentielles se si-tuent souvent sur des marchés intermédiaires. Il faut ensuiteadmettre des options processuelles évitant de multiplier lesactions individuelles causées par la même pratique. L’auteurenvisage les actions représentatives (actions d’entités pour ladéfense d’un intérêt collectif) et les actions collectives (actionsde groupe).L’auteur se penche ensuite sur les moteurs de l’action privée etle coût de l’action en justice. À cet égard, si le Livre blanc ap-pelle de ses vœux une réduction des frais de procédure, l’au-teur souligne que ceux-ci « sont loin de couvrir la totalité du coûtdu procès ». Les vraies questions touchent, en revanche, à la re-présentation. Faut-il adopter une représentation qui jouerait éga-lement un rôle de gestion du risque procédural, notamment enpermettant un système de contingency fee, qui assurerait ungage d’incitation à l’action? Un tel système a pour inconvénientde réduire la part d’indemnisation des victimes (au profit deleurs avocats), si bien que l’auteur propose de se pencher surd’autres systèmes de financement (l’autofinancement, l’aide ju-ridictionnelle et le financement par les tiers). Une mesure radi-cale de réduction des coûts reste, bien sûr, la possibilité de leséviter en incitant au règlement extrajudiciaire des litiges. C’estce qui conduit le Livre blanc à suggérer aux États membresd’adopter des règles de procédure incitant à la transaction.L’auteur se consacre enfin à la question du temps, « obses-sion des processualistes », c’est-à-dire le point de départ et lasuspension des délais de prescription. À cet égard, l’auteur cri-tique la proposition de la Commission d’ouvrir un nouveaudélai de prescription à la date d’adoption de décisions consta-tant une infraction, solution « qui irait à l’encontre de l’institu-

tion même de la prescription » et qui « voudrait dire que ladécision publique crée le droit à la réparation ». La critiqueest d’autant plus percutante que la décision publique est enrevanche susceptible de marquer le point de départ du délaide prescription, puisqu’on pourra estimer que la victime peutraisonnablement être considérée comme ayant connaissancede l’infraction à partir de la décision.

> The Relationship Between Public AntitrustEnforcement and Private Actions for DamagesWouter P.J. Wils, World Competition, vol. 32, n° 1,mars 2009, p. 3

Droit processuel et institutionnel> La nouvelle Autorité de la concurrence

Interview de Bruno Lasserre, Concurrences, 1-2009, p. 6

> Virginie Beaumeunier : Une Rapporteuregénérale pour l’Autorité de la concurrenceInterview de Virginie Beaumeunier, Concurrences,2-2009, p. 6

> Competition Law Proceedings beforethe European Commission and the Rightto a Fair Trial : No Need for Reform?Donald Slater, Sébastien Thomas et Denis Waelbroeck,European Competition Journal, vol. 5, n° 1, avr. 2009, p. 97

> Unbundling through the Back Door… the caseof network divestiture as a remedy in the energysectorHubertus von Rosenberg, ECLR, vol. 30, n° 5, 2009

Cet article porte sur la pratique récente de la Commission eu-ropéenne en matière d’engagements dans des affaires concer-nant le secteur de l’énergie. Cette pratique a consisté à mettreen œuvre des engagements de la part d’opérateurs domi-nants dans les secteurs de l’électricité et du gaz de céder leursréseaux, alors même que la question de la séparation patri-moniale, prônée par la Commission dans le cadre du troisièmepaquet énergie, faisait l’objet d’âpres discussions au sein del’exécutif et du Parlement européen. Selon l’auteur, cette pra-tique ne constitue cependant pas la mise en œuvre imposéepar la Commission d’une solution légale non adoptée par lesparlementaires européens. L’application du principe de pro-portionnalité agirait ainsi comme un neutralisateur des « am-bitions politiques » de la Commission, en liant le remède aucas d’espèce.

> Indépendance et interdépendance des juridictionset autorités de concurrence (éléments de droitcomparé)Silvia Pietrini, LPA 2009, n° 62, p. 7

> Is it time to rebrand legal professional privilegein EC competition law?Gavin Murphy, ECLR, vol. 30, n° 3, 2009, p. 125

> The EC Commission’s 2006 Fine GuidelinesReviewed from an Economic Perspective :Risking OverdeterrencePatrick Van Caysteele, Peter D. Camesasca et KristianHugmark, The Antitrust Bulletin, vol. 53, n° 4, winter2008, p. 1083

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PER

SPEC

TIVE

LIRE

> Inciter les actions en dommages et intérêtsen droit de la concurrenceSoraya Amrani-Mekki, Gaz Pal. 22 au 24 mars 2009, p. 5et Gaz. Pal. 25 au 26 mars 2009, p. 4

ÉTUDES TRANSVERSALES ET SECTORIELLES

> La crise économique et financière, la régulationet la concurrenceFrédéric Jenny, Concurrences, 2-2009, p. 59

> Programmes de conformité et risquede concurrence : Témoignages croisésd’un juriste d’entreprise et d’un avocatMichel Debroux et Rémy Sainte Fare Garnot,Concurrences, 2-2009, p. 230

> Puissance d’achat et politique de concurrenceÉtienne Pfister, Concurrences, 1-2009, p. 34

Cet article passe en revue la théorie économique concernantla puissance d’achat et la pratique décisionnelle du Conseilde la concurrence. L’analyse économique aboutit à des conclu-sions ambiguës. Au-delà de la puissance d’achat dans le cadrede relations bilatérales, la doctrine s’est intéressée aux effetsde la puissance d’achat sur l’investissement des producteurs– un débat irrésolu tant les incitations opposées sont suscep-tibles de jouer – et sur la concurrence entre distributeurs –avec un risque de hausse des prix pour les concurrents d’ache-teurs puissants. Cette ambiguïté est reflétée dans la pratiquedécisionnelle du Conseil de la concurrence en matière decontrôle de la puissance d’achat. À cet égard, l’auteur rap-pelle que ce contrôle a évolué avec les lois Chatel et de mo-dernisation de l’économie, qui ont modifié les dispositionsde l’article L. 442-6 I.1° du Code de commerce et l’exclusiondes remises et ristournes du calcul de vente à perte. De fait,le Conseil de la concurrence a trouvé un rôle accru dans lecontrôle des comportements d’exercice de puissance d’achat.Celle-ci a ainsi pu être appréhendée en tant que facteur

d’intensité concurrentielle et en tant qu’abus, la puissanced’achat pouvant conduire à réduire la concurrence sur lesmarchés aval, même si ce dernier cas de figure s’est rare-ment présenté.L’auteur conclut au bien-fondé d’une approche considérant lapuissance d’achat comme un élément positif du bilan concur-rentiel, tout en soulignant que, « dans certaines circonstancesbien précises, les effets de la puissance d’achat peuvent tou-tefois s’avérer plus ambigus », notamment lorsqu’elle passepar une baisse des quantités achetées ou l’établissement deliens exclusifs ou détrimentaux pour les concurrents sur le mar-ché aval. Aussi, « le meilleur moyen de s’assurer que la puis-sance d’achat continue de s’exercer au bénéfice des consom-mateurs est de préserver ou de renforcer la concurrence entreles acheteurs-revendeurs, le cas échéant grâce à des inter-ventions structurelles adaptées sur les marchés avals ».

> Powers and duties of arbitrators in the applicationof competition law : an EC approach in the lightof recent developmentsEpameinondas Stylopoulos, ECLR, vol. 30, n° 3, 2009,p. 118

> Women in AntitrustGlobal Competition Review, vol. 12, n° 5, mai 2009, p. 7

Le sujet du rôle des femmes dans le secteur de l’antitrust estd’actualité avec la nomination de Christine Varney à la tête dela section antitrust du DoJ. Le GCR s’intéresse ainsi à la placedes femmes en droit de la concurrence. L’article est assezsuperficiel, mais le papier comporte un grand nombre d’inter-views intéressantes de personnalités incontournables du droitde la concurrence, y compris celles d’Eleanor Fox, de NeelieKroes et de Christine Varney.

> Next Steps in the Evolution of Antitrust Law :What to Expect from the Roberts CourtGregory J. Werden, Journal of Competition Law &Economics, vol. 5, n° 1, mars 2009, p. 49