conclusion - crid.be

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Conclusion En instaurant l'exonération de responsabilité inscrite dans l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contratsde travail, le législateur ne peut être présumé avoÎr entendu violer l'article 25, alinéa 2, de la Constitutionfixant un régime de responsabilité en cascadeen ma- tière de presse. Cette exonération légale doit donc s'intelpréter commene s'appliquant pas aux journalistes qui exercent leur profession dans les liensd'un contrat de travail. . De cette jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes on retiendra que contrairement à l'opinion de nombreux auteurs et que nous avions nous-mêmes défendue (9), il est parfaitement concevable qu'un droit d'auteur ou de modèles existe et demeure protégé dans un pays de l'Union européenne alors qu'il n'a ja- mais été protégé ou a cessé de l'être dans son pays d'origine. La conception «unitaire» ou « universaliste» du droit d'auteur est contredite par le principe de l'indépendance des protec- tions territoriales inscrit à l'article 5, alinéa 2, de la Convention de Berne (10) Assurément, le droit communautaire s'efforce de réduire ces distorsions de législations au moyen de divêrses directives d'harmonisation comme celle sur la durée du droit d'auteur. Mais en attendant leur aboutissement, le princi- pe de non-discrimination fait échec à l'applica- tion du principe de réciprocité, du moins entre Etats membres, et impose l'égalité, par assimi- lation au national, lorsque celui-ci est mieux traité que l'étranger dans un pays de l'union. 1. -Objet desquestions préjudicielles etprocédure. Par arrêt du 31 mai 2005 en cause de S. Mikhailov contre A. Lallemand et S. Lam- broschini, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 3 juin 2005, la cour d'appel de Bruxelles aposé les questions préjudicielles suivantes: « 1. -L'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 [relative aux contrats de travail], en ce qu'il s'appliquerait aux journalistes sous contrat d'emploi, viole-t-ill'article 25 de la Constitu- tion et le principe de la responsabilité en cas- cade qu'il contient? » 2. -L'article 18 de la loi du 3 juillet 1978, en ce qu'il ne s'appliquerait pas auxjoumaIis- tes sous contrat d'emploi alors qu'il s'appli- que bien aux autres catégories de travailleurs sous les liens d'un contrat d'emploi, viole-t-il les articles 10 et Il de la Constitution? ». Louis VAN BUNNEN 1. PRESSE. -Responsabilité en cascade (article 25, Const.). - Journaliste souscontrat de travail. - Exonération de responsabilité(non). -Il. RESPONSABILITÉ QUASI- DÉLICTUELLE. -Exonération de responsabilité au profit du travailleur salarié (article 18,L. du 3 juillet 1978).-Champ d'application.- Journaliste souscontrat de travail. - Non. -III. CONSTITUTION. - Conflit de normes. -Régime de la responsabilité en cascade (article 25, Const.). -Exonération de responsabilité(article 18, loi du 3 juillet 1978). -Journaliste sous contrat detravail. -Prévalence de la Constitution. m. -En droit. la double protection (du droit d'auteur et du droit des dessins et modèles) que si le pays de l'origine de l'oeuvre le fait également» (point 33). Or, dit la Cour, aucune circonstance objective de nature à justifier cette exigence de récipro- cité, n'a été avancée, de sorte que celle-ci doit être considérée comme constitutive d'une dis- crimination indirecte. Pour être condamnée point n'est besoinque la discrimination soit« ostensible », c'est-à-dire patente, évidente, comme dans l'affaire Phil Collins. Il suffit qu'elle soit indirecte et c'est là que sesitue l'apport de l'arrêt annoté et qui confirme, au demeurant, l'enseignement de l'arrêt dela Cour de justice des Communautés européennesdu 6 juin 2002 (7), rendu à pro- pos d'une autre règle unioniste fondée sur le critère du pays d'origine, à savoir l'article 7 de la Convention de Berne organisant en ma- tière de droit d'auteur ce qu'on appelle la comparaisondes délais de protection. Il s'agissait de savoir si des droits d'auteur pouvaient être réclamés pour la représenta- tion, en 1994 au théâtre d'Etat de Wiesbaden, géré par le Land Hessen, de l'opéra «La Bohème» de Puccini, mort en 1924,par l'édi- teur Ricordi ayant droit de Puccini, alors qu'en droit italien la durée de la protection du droit d'auteur était de cinquante-six ans à compter du décès de cet auteur tandis qu'en 2 0 0 6 Allemagne la durée de protection était de sep- tante ans après la mort (8). Ricordi soutenait 45 ~ que les oeuvres de Puccini étaient protégées en Allemagne jusqu'au 31 décembre 1994 - septante ansaprès la mort du compositeur - sur base d'une application (non-discrimina- toire) de la loi allemande. Son adversaire,le Land Hessen, soutenait au contraire, se fon- dant sur 1'article 7 de la Convention de Berne, que « La Bohème » ne pouvait être protégée que pour la durée de protection accordée par la loi italienne et qu'elle était donc expirée de- puis le 31 décembre 1980. Sur pourvoi en cassation du Land Hessen, dont la thèseavait été rejetée par les juges du fond, le Bundesgerichtshof adressaà la Cour de justice des Communautés européennes, une question préjudicielle à laquelle répond 1'arrêt du 6 juin 2002. On retiendra de celui-ci que l'interdiction du Traité CE de« toute dis- crimination exercée en raison de la nationalité » impose à chaque Etat membre d'assurer une parfaite égalité de traitement entre ses ressortissants et les ressortissants d'autres Etats membres se trouvant dans une situation régie par le droit communautaire. Ce qui s'oppose par conséquent à ce que «la durée de protection accordéepar le règlement d'un Etat membre aux oeuvres d'un ressortis- sant d'un autre Etat membre, soit inférieure à celle accordée aux oeuvres de ses propres ressortissants ». Siég. : M. Melchior et A. Arts (prés.),P. Mar- tens (rapp.). R. Henneuse, M. Bossuyt (rapp.). E. De Groot. L. Lavrysen. A. Alen. J.-P. Snappe. J.-P. Moerman. E. Derycke et J. Spreutels. Plaid. : MMes X. Magnée et L. Demez loco G. Demez. (arrêt n° 47/2006). B .1. -L'article 25 de la Constitution dispose: « La presse estlibre, la censure ne pourra jamais être établie; il ne peut être exigé de cautionne- mentdes écrivains, éditeurs ou imprimeurs. » Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distri- buteur ne peut être poursuivi ». B.2. -Par le deuxième alinéa de cette dispo- sition, le constituant de 1831 entendait rom- pre avec le régime antérieur qui admettait les recours collectifs mettant en cause la respon- sabilité à la fois de l'auteur, de l'éditeur, de l'imprimeur et du distributeur. En consacrant le régime de la responsabilité « en cascade», le constituant a institué un mécanisme de res- ponsabilité successive et isolée afin d'éviter que l'auteur ne subisse la pression que l'édi- teur, l'imprimeur ou le distributeur risque- raient d'exercer sur lui s'ils étaient passibles de poursuitesalors même que l'auteur est con- nu et domicilié en Belgique. Il s'agit donc d'un élément essentiel de la protection consti- tutionnelle de la liberté de la presse. B.3. -Cette disposition, ainsi que l'a consta- té la Cour de cassation,confère aux éditeurs, imprimeurs et distributeurs le privilège de pouvoir se soustràire à toute responsabilité, tant pénale que civile, lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique et elle apporte ainsi une restriction à l' applicabilité de l'article 1382 du Code civil (Cass., 31 mai 1996, Pas., 1996, J, 559). . (7) Affaire La Bohème, Rec., 2002, l, 5089-5115; R.7:D. cam., 2002, p. 676, obs. A. Françon. (8) Le litige se situait avant la date de transposition (1er juillet 1995) de la directive 93/98 CEE relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur qui a aujourd'hui pratiquement aboli la rè- gle de la comparaison desdélais. n s'agissait de sa- voir si cette abolition pouvait se déduire rétroactive- ment du seul principe de non-discrimination. (9) L. Van Bunnen, « L'interdiction CE de toute dis- crimination s' oppose-t-elle à une certaine réciprocité? », Liber amicorum A. De Caluwé, Bruxelles, Bruylant, 1995,pp. 355 à 363. (10) F. de Visscher et B. Michaux, op. cit., n° 702. Journal des tribunaux

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Page 1: Conclusion - crid.be

Conclusion En instaurant l'exonération de responsabilitéinscrite dans l'article 18 de la loi du 3 juillet1978 sur les contrats de travail, le législateur nepeut être présumé avoÎr entendu violerl'article 25, alinéa 2, de la Constitution fixantun régime de responsabilité en cascade en ma-tière de presse. Cette exonération légale doitdonc s'intelpréter comme ne s'appliquant pasaux journalistes qui exercent leur professiondans les liens d'un contrat de travail.

.

De cette jurisprudence de la Cour de justice desCommunautés européennes on retiendra quecontrairement à l'opinion de nombreux auteurset que nous avions nous-mêmes défendue (9), ilest parfaitement concevable qu'un droit d'auteurou de modèles existe et demeure protégé dans unpays de l'Union européenne alors qu'il n'a ja-mais été protégé ou a cessé de l'être dans sonpays d'origine. La conception «unitaire» ou «universaliste» du droit d'auteur est contreditepar le principe de l'indépendance des protec-tions territoriales inscrit à l'article 5, alinéa 2, dela Convention de Berne (10)

Assurément, le droit communautaire s'efforcede réduire ces distorsions de législations aumoyen de divêrses directives d'harmonisationcomme celle sur la durée du droit d'auteur.Mais en attendant leur aboutissement, le princi-pe de non-discrimination fait échec à l'applica-tion du principe de réciprocité, du moins entreEtats membres, et impose l'égalité, par assimi-lation au national, lorsque celui-ci est mieuxtraité que l'étranger dans un pays de l'union.

1. -Objet des questions préjudicielleset procédure.

Par arrêt du 31 mai 2005 en cause de S.Mikhailov contre A. Lallemand et S. Lam-broschini, dont l'expédition est parvenue augreffe de la Cour d'arbitrage le 3 juin 2005, lacour d'appel de Bruxelles a posé les questionspréjudicielles suivantes:« 1. -L'article 18 de la loi du 3 juillet 1978[relative aux contrats de travail], en ce qu'ils'appliquerait aux journalistes sous contratd'emploi, viole-t-ill'article 25 de la Constitu-tion et le principe de la responsabilité en cas-cade qu'il contient?» 2. -L'article 18 de la loi du 3 juillet 1978,en ce qu'il ne s'appliquerait pas auxjoumaIis-tes sous contrat d'emploi alors qu'il s'appli-que bien aux autres catégories de travailleurssous les liens d'un contrat d'emploi, viole-t-illes articles 10 et Il de la Constitution? ».

Louis VAN BUNNEN

1. PRESSE. -Responsabilitéen cascade (article 25, Const.). -

Journaliste sous contrat de travail. -Exonération de responsabilité (non).-Il. RESPONSABILITÉ QUASI-DÉLICTUELLE. -Exonération de

responsabilité au profit du travailleursalarié (article 18, L. du 3 juillet

1978). -Champ d'application.-Journaliste sous contrat de travail. -

Non. -III. CONSTITUTION. -Conflit de normes. -Régime de la

responsabilité en cascade (article 25,Const.). -Exonération de

responsabilité (article 18, loi du3 juillet 1978). -Journaliste souscontrat de travail. -Prévalence

de la Constitution.

m. -En droit.

la double protection (du droit d'auteur et dudroit des dessins et modèles) que si le pays del'origine de l'œuvre le fait également»(point 33).

Or, dit la Cour, aucune circonstance objectivede nature à justifier cette exigence de récipro-cité, n'a été avancée, de sorte que celle-ci doitêtre considérée comme constitutive d'une dis-crimination indirecte.

Pour être condamnée point n'est besoin que ladiscrimination soit« ostensible », c'est-à-direpatente, évidente, comme dans l'affaire PhilCollins. Il suffit qu'elle soit indirecte et c'estlà que se situe l'apport de l'arrêt annoté et quiconfirme, au demeurant, l'enseignement del'arrêt de la Cour de justice des Communautéseuropéennes du 6 juin 2002 (7), rendu à pro-pos d'une autre règle unioniste fondée sur lecritère du pays d'origine, à savoir l'article 7de la Convention de Berne organisant en ma-tière de droit d'auteur ce qu'on appelle lacomparaison des délais de protection.

Il s'agissait de savoir si des droits d'auteurpouvaient être réclamés pour la représenta-tion, en 1994 au théâtre d'Etat de Wiesbaden,géré par le Land Hessen, de l'opéra «LaBohème» de Puccini, mort en 1924, par l'édi-teur Ricordi ayant droit de Puccini, alorsqu'en droit italien la durée de la protection dudroit d'auteur était de cinquante-six ans àcompter du décès de cet auteur tandis qu'en

2 0 0 6 Allemagne la durée de protection était de sep-tante ans après la mort (8). Ricordi soutenait

45 ~ que les œuvres de Puccini étaient protégées en

Allemagne jusqu'au 31 décembre 1994 -

septante ans après la mort du compositeur -sur base d'une application (non-discrimina-toire) de la loi allemande. Son adversaire, leLand Hessen, soutenait au contraire, se fon-dant sur 1'article 7 de la Convention de Berne,que « La Bohème » ne pouvait être protégéeque pour la durée de protection accordée parla loi italienne et qu'elle était donc expirée de-puis le 31 décembre 1980.

Sur pourvoi en cassation du Land Hessen,dont la thèse avait été rejetée par les juges dufond, le Bundesgerichtshof adressa à la Courde justice des Communautés européennes,une question préjudicielle à laquelle répond1'arrêt du 6 juin 2002. On retiendra de celui-cique l'interdiction du Traité CE de« toute dis-crimination exercée en raison de lanationalité » impose à chaque Etat membred'assurer une parfaite égalité de traitemententre ses ressortissants et les ressortissantsd'autres Etats membres se trouvant dans unesituation régie par le droit communautaire.

Ce qui s'oppose par conséquent à ce que «ladurée de protection accordée par le règlementd'un Etat membre aux œuvres d'un ressortis-sant d'un autre Etat membre, soit inférieure àcelle accordée aux œuvres de ses propresressortissants ».

Siég. : M. Melchior et A. Arts (prés.), P. Mar-tens (rapp.). R. Henneuse, M. Bossuyt (rapp.).E. De Groot. L. Lavrysen. A. Alen. J.-P.Snappe. J .-P. Moerman. E. Derycke etJ. Spreutels.Plaid. : MMes X. Magnée et L. Demez locoG. Demez.

(arrêt n° 47/2006).

B .1. -L'article 25 de la Constitutiondispose:« La presse est libre, la censure ne pourra jamaisêtre établie; il ne peut être exigé de cautionne-ment des écrivains, éditeurs ou imprimeurs.» Lorsque l'auteur est connu et domicilié enBelgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distri-buteur ne peut être poursuivi ».

B.2. -Par le deuxième alinéa de cette dispo-sition, le constituant de 1831 entendait rom-pre avec le régime antérieur qui admettait lesrecours collectifs mettant en cause la respon-sabilité à la fois de l'auteur, de l'éditeur, del'imprimeur et du distributeur. En consacrantle régime de la responsabilité « en cascade »,le constituant a institué un mécanisme de res-ponsabilité successive et isolée afin d'éviterque l'auteur ne subisse la pression que l'édi-teur, l'imprimeur ou le distributeur risque-raient d'exercer sur lui s'ils étaient passiblesde poursuites alors même que l'auteur est con-nu et domicilié en Belgique. Il s'agit doncd'un élément essentiel de la protection consti-tutionnelle de la liberté de la presse.

B.3. -Cette disposition, ainsi que l'a consta-té la Cour de cassation, confère aux éditeurs,imprimeurs et distributeurs le privilège depouvoir se soustràire à toute responsabilité,tant pénale que civile, lorsque l'auteur estconnu et domicilié en Belgique et elle apporteainsi une restriction à l' applicabilité del'article 1382 du Code civil (Cass., 31 mai1996, Pas., 1996, J, 559).

.

(7) Affaire La Bohème, Rec., 2002, l, 5089-5115;R.7:D. cam., 2002, p. 676, obs. A. Françon.(8) Le litige se situait avant la date de transposition(1er juillet 1995) de la directive 93/98 CEE relative àl'harmonisation de la durée de protection du droitd'auteur qui a aujourd'hui pratiquement aboli la rè-gle de la comparaison des délais. n s'agissait de sa-voir si cette abolition pouvait se déduire rétroactive-ment du seul principe de non-discrimination.

(9) L. Van Bunnen, « L'interdiction CE de toute dis-crimination s' oppose-t-elle à une certaineréciprocité? », Liber amicorum A. De Caluwé,Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 355 à 363.

(10) F. de Visscher et B. Michaux, op. cit., n° 702.

Journaldes tribunaux

Page 2: Conclusion - crid.be

l'écrit publié. Aussi est-il logique que le prin-cipe de la responsabilité en cascade s'appliquenon seulement aux poursuites pénales, maiségalement, par identité de motifs, à l'action ci-vile en responsabilité (1). C'est ce que la Courde cassation a décidé par son arrêt du 31 mai1996 (2), confirmant ainsi sa jurisprudence éta-blie depuis un arrêt du 24 janvier 1863 (3) (4).

Cette controverse à peine tranchée, une nou-velle a vu le jour autour de la question de sa-voir si le journaliste sous contrat de travailpeut invoquer à son profit l'i=unité de re~-ponsabilité civile prévue à l'article 18 de la loidu 3 juillet 1978 relative au contrat de travail.C'est la Cour d'arbitrage cette fois qui, parl'arrêt co=enté, met fin à la controverse, enréponse à une double question préjudicielleposée par la cour d'appel de Bruxelles (5) (1).

Il aura donc fallu l'intervention de deux denos juridictions suprêmes pour faire la clartésur la portée de l'article 25, alinéa 2, de laConstitution. Est-ce à dire que cette disposi-tion constitutionnelle est désormais à l'abri detoute discussion (il)?

qui exercent leur profession dans les liensd'un contrat de travail.

La première question préjudicielle appelleune réponse négative.

B.8. -La seconde question préjudicielle in-terroge la Cour sur la discrimination qui nai-trait de ce que 1'article 18 de la loi du 3 juillet1978 s'appliquerait aux travailleurs qui sontdans les liens d'un contrat d'emploi, mais nonaux journalistes sous contrat d'emploi.

Cette différence de traitement provient, nonde l'article 18 précité, mais de l'article 25,alinéa 2, de la Constitution, qui fait obstacle àl'application de cette disposition législativeaux journalistes.

La Cour n'est pas compétente pour se pronon-cer sur une différence de traitement qui dé-coule d'un choix du constituant.

Par ces motifs:

La Cour,

Dit pour droit:

L'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relativeaux contrats de travail, qui ne s'applique pasaux journalistes qui exercent leur activitéd'auteur dans les liens d'un contrat de travail,ne viole ni l'article 25, alinéa 2, ni lesarticles 10 et Il de la Constitution.

I. -Le régime de la responsabilitéen cascade souffre-t-il

l'application de l'article 18de la loi sur le contrat de travail?

La position de la Cour de cassation suivant la-quelle la responsabilité en cascade s'applique 2006aussi en matière civile a été approuvée par la -plupart des auteurs et de nombreuses juridic-

(1) Nonobstant l'utilisation du terme « poursuivi»dans le libellé de l'article 25, alinéa 2, de la Consti-tution.(2) Cass., 1~ ch., 31 mai 1996, J.1:, 1996, p. 597,avec les conclusions conformes de l'avocat généralJ.-Fr. Leclercq, R.~, 1996-1997, p. 565, R.C.J.B.,1998, p. 357 et note M. Hanotiau, « La responsabili-té en cascade en matière civile », A&M, 1996,p. 363, obs. F. Jongen, C.D.P.K., 1997, p. 412 et noteA. Schaus, Rev. Cas..., 1996, p. 389 et le commentai-re de D. Voorhoof, « De regel van de getrapteverantwoordelijkheid: van de 19de naar de 21steeeuw?» (pp. 385-389).(3) Cft Cass., 24 janvier 1863, Pas., 1864, J, p. 110,avec les conclusions conformes du premier avocatgénéral Faider; Cass., 14 juin 1883, Pa..., 1883,p. 267, avec les conclusions conformes du procureurgénéral M. Faider.(4) On a pu croire que la Cour était revenue entre-temps sur sa position, la formulation utilisée danscertains de ses arrêts n'étant pas exempted'ambiguïté: « Attendu que la Constitution, en con-sacrant la liberté de la presse et, partant, la liberté decritique de la presse, n'apporte aucune restriction auprincipe fondamental inscrit dans l'article 1382 duCode civil» (Cass., 4 décembre 1952, Pas., 1953, J,p. 215. Sur les différents arrêts de la Cour de cassa-tion et les difficultés d'interprétation qu'ils ont pususciter, voy. M. Hanotiau, op. cit., R. C.J.B. , pp. 365et s.). En vérité, il faut comprendre que le régime del'article 25, alinéa 2, concerne uniquement la dési-gnation des personnes susœptibles d'être déclaréesresponsables, sans déroger, sur le fond, au principedéposé dans les article~ 1382 et 1383 du Code civil.il reste que, dans cette (seule) mesure, la dispositionconstitutionnelle apporte une restriction -notable!-à l'applicabilité des articles précités du Code ci-vil. C'est ce qu'exprime l'arrêt du 31 mai 1996 endes termes particulièrement nets.(5) CfT Bruxelles, 4" ch., 31 mai 2005, A&M, 2005/4, p. 322.

Quand la responsabilité en cascadecessera-t-elle de faire des vagues?

L'application du principe de la responsabilitéen cascade en matière civile ne va décidémentpas de soi.

Pendant longtemps, la doctrine et la jurispru-dence ont été, l'une et l'autre, divisées sur lefait de savoir si ledit principe s'applique seu-lement en matière pénale ou vise tant l'actioncivile que l'action publique.

Comme l'on sait, l'article 25, alinéa 2, de laConstitution établit une imputabilité successi-ve et isolée, en manière telle que l'on ait tou-jours un seul responsable: l'auteur d'abord, àcondition qu'il soit connu et domicilié en Bel-gique, à défaut l'éditeur, à défaut l'imprimeur,à défaut le distributeur. Sous le régime hollan-dais prévalait un système de responsabilité cu-mulative et les auxiliaires de la presse étaientsouvent inquiétés par des procès en responsabi-lité. C'est en réaction à ces dérives et afin degarantir efficacement la liberté d'expressionque le constituant de 1830 a entendu dérogeraux règles de la participation criminelle en ins-taurant le principe de la responsabilité en cas-cade. L'objectif était de prévenir la censure in-terne de la presse par les éditeurs, imprimeurset distributeurs: en effet, on peut compterqu'ils soient moins tentés d'exercer une pres-sion sur les auteurs, de les censurer ou de leurrefuser leur concours s'ils ne se trouvent pasexposés en permanence à une mise en cause deleur responsabilité au titre de complices de

B.4. -Le juge a quo considère toutefois quel'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relativeaux contrats de travail pourrait s'appliqueraux journalistes qui sont dans les liens d'uncontrat de travail. Selon cette disposition:« En cas de dommages causés par le tra-vailleur à l'employeur ou à des tiers dansl'exécution de son contrat, le travailleur ne ré-pond que de son dol et de sa faute lourde.» n ne répond de sa faute légère que si celle-ci présente dans son chef un caractère habituelplutôt qu'accidentel.» A peine de nullité, il ne peut être dérogé à laresponsabilité fixée aux alinéas 1 cr et 2 quepar une convention collective de travail ren-due obligatoire par le Roi, et ce uniquementen ce qui concerne la responsabilité à l'égardde l' employeur.» L'employeur peut, dans les conditions pré-vues par l'article 23 de la loi du 12 avril 1965concernant la protection de la rémunérationdes travailleurs, imputer sur la rémunérationles indemnités et dommages-intérêts qui luisont dus en vertu du présent article et qui ontété, après les faits, convenus avec le tra-vailleur ou fixés par le juge ».

En application de cet article, le journalisteemployé qui a commis une faute légère occa-sionnelle ne répondrait pas des dommagesqu'il a causés à l'employeur ou à des tiersdans l' exécution de son contrat.

B.5. -Si l'article 18 de la loi du 3 juillet1978 devait s'interpréter, en raison de sa gé-néralité, comme s'appliquant à tout tra-vailleur, ffit-il journaliste, il violeraitl'article 25, alinéa 2, de la Constitution puis-qu'il mettrait en échec le régime de responsa-bilité en cascade.En limitant la responsabilité civile du travailleur,le législateur entendait le protéger contre les ris-ques particuliers auxquels il s'expose dansl' exécution de son contrat de travail et qui peu-vent impliquer pour lui une charge financièreconsidérable. Mais rien n'indique qu'à l'égarddes journalistes, il aurait voulu mettre en échecle système de la responsabilité en cascade.En outre, l'exonération de responsabilité ac-cordée au travailleur n'enlève rien à la respon-sabilité de l'employeur fondée surl'article 1384, alinéa 3, du Code civil.Il s'ensuit que, si l'exonération prévue parl'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 s'appli-quait au journaliste employé, seul son em-ployeur assumerait la responsabilité des écritsde celui-ci. Une telle conséquence serait con-traire à la lettre et à l'esprit de l'article 25,alinéa 2, de la Constitution puisqu'elle feraitcourir au journaliste le risque de voir ses écritscensurés par son employeur car celui-ci en as-sumerait seul la responsabilité.

B.6. -Sans doute la situation des journalistesdiffère-t-elle de celle qui était la leur lors del'adoption de l'article 25, alinéa 2, de laConstitution puisqu'actuellement ils sont enmajorité engagés dans les liens d'un contratde travail. Mais la Cour n'est pas compétentepour mettre en cause un choix du constituant.

B. 7. -n découle de ce qui précède que, parl'article 18 de la loi du 3 juillet 1978, le légis-lateur ne peut être présumé avoir entendu vio-ler l'article 25, alinéa 2, de la Constitution.Cette disposition doit donc être interprétéecomme ne s'appliquant pas aux journalistes

Journaldes tribunaux

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tions du fond s'y sont ralliées (6). Certainsjuges réfractaires ont néanmoins trouvé lemoyen d'éluder le principal enseignement del'arrêt du 31 mai 1996 (7). Voici leur raisonne-ment: dès l'instant où le journaliste peut êtreconsidéré comme un préposé au sens del'article 1384, alinéa 3, du Code civil, sa fauteest susceptible d'engager, outre sa responsabi-lité personnelle, celle de l'éditeur en sa qualitéde commettant. Mais il y a plus. Lorsqu'il estengagé dans les liens d'un contrat de travail, ilpeut bénéficier de l'article 18 de la loi sur lecontrat de travail et, à ce titre, échapper auxconséquences de sa faute légère occasionnelle.Tout se passe comme si la qualité de préposél'emportait sur celle de journaliste, par l'effetde la subordination dans laquelle il se trouvepar rapport à l'éditeur (8). Une analyse en troistemps crée l'illusion que toutes les dispositionssont respectées: 10 c'est au journaliste à en-dosser la responsabilité pour délit de presse(Const., article 25, alinéa 2); 20 néanmoins,s'il est salarié et n'a commis qu'une faute oc-casionnelle, il est immunisé à l'égard de l'em-ployeur comme des tiers (art. 18 de la loi sur lecontrat de travail); enfin, il reste à retenir la res-ponsabilité de l'éditeur en sa qualité de com-mettant (C. civ., article 1384, alinéa 3).A la suite d'une doctrine quasi unanime (9), laCour d'arbitrage, en son arrêt du 22 mars2006, vient de condamner cette applicationcombinée des dispositions citées, qui, en réa-

2 0 0 6 lité, heurte de front le principe de la responsa-bilité en cascade. Sa motivation est limpide:le législateur ordinaire étant censé se confor-

~60 mer à la Constitution, les dispositions légalesdoivent être interprétées et mises en œuvreconformément au principe constitutionnel

1 inscrit à l'article 25, alinéa 2. Or, cette dispo-sition prévoit que les auteurs/journalistes sontseuls responsables de leurs publications (10).

Par conséquent, ils ne sauraient se soustraire àcette responsabilité en invoquant l'article 18de la Constitution: « si l'article 18 de la loidu 3 juillet 1978 devait s'interpréter, en raisonde sa généralité, comme s'appliquant à touttravailleur, ffit-il journaliste, il violeraitl'article 25, alinéa 2, de la Constitution puis-qu'il mettrait en échec le régime de responsa-bilité en cascade» (point B.5). Le législateura souhaité limiter la responsabilité du tra-vailleur salarié, en lui évitant de devoir sup-porter les risques auxquels il s'expose dansl'exécution de son contrat, mais, poursuit laCour, «rien n'indique qu'à l'égard des jour-nalistes, il aurait voulu mettre en échec le sys-tème de la responsabilité en cascade»(point B.5).

Par ailleurs, la Cour d'arbitrage rappelle quel'immunité de responsabilité instituée au pro-fit du travailleur n'enlève rien à la responsabi-lité de l'employeur sur le fondement del'article 1384, alinéa 3, du Code civil. Il s'ensuit que si l'article 18 devait s'appliquer aujournaliste, la responsabilité pourrait être re-jetée sur l'éditeur. «Une telle conséquenceserait contraire à la lettre et à l'esprit del'article 25, alinéa 2, de la Constitution ». Eneffet, « elle ferait courir au journaliste le ris-que de voir ses écrits censurés par son em-ployeur car celui-ci en assumerait seul laresponsabilité» (point B.5).

Autrement dit, contrairement à une certainejurisprudence, il faut considérer que c'est in-contestablement la qualité d'auteur (et le texteconstitutionnel). qui l'emporte sur celle depréposé ou d'employé (et le régime de faveurprévu par les textes de loi).

Enfin, à la question de savoir si une discrimi-nation ne naitrait pas du fait que l'article 18de la loi sur le contrat de travail s'appliqueraitaux travailleurs sous contrat d'emploi et nonaux journalistes sous un même contrat, laCour d'arbitrage répond, sans surprise, quecette différence de traitement résulte, non del'article 18 précité, mais de l'article 25,alinéa 2, de la Constitution, et qu'il ne lui ap-partient pas de se prononcer sur une différen-ce de traitement provenant d'un choix duConstituant (point B.8). Comme on va le voir,cette différence de traitement est le prix àpayer pour assurer une certaine autonomie dujournaliste. A ce titre, elle peut se justifier.

(6) Pour de nombreuses références doctrinales et ju-risprudentielles, voy. E. Montero et H. Jacquemin,"La responsabilité des médias », in Responsabilités-Traité théorique et pratique, vol. 3, livre 26ter,Bruxelles, KIuwer, 2004, p. 6, n° 164, notes 4 à 6;M. Hanotiau, op. cit., p. 367, n° 3, notes 29 et 30.(7) Voy., par exemple, Civ. Bruxelles, 14. ch.,16 décembre 2003, J.LM.B., 2004, p. 793; Bruxel-les, 9. ch., 18 février 2001, A&M, 2002, p. 282,Journ. proc., n° 411, 2001, p. 22, note Ph. T.;Bruxelles, 9. ch., 9 novembre 2001, J.7:, 2002,p. 167; Civ. Bruxelles, 14. ch., 23 décembre 1999,A&M, 2000, p. 138; Civ. Liège, 7" ch., 15 décembre1999, A&M, 2000, p. 160; Civ. Bruxelles, 14. ch.,16 novembre 1999, A&M, 2000, p.117, obs. S.-P. De Coster; Bruxelles, 9. ch., 5 février 1999,A&M, 1999/2, p. 274, obs. F. Ringelheim, Journ.proc., n° 367,1999, p. 26, obs. F. Jongen, R.G.A.R.,2000, n° 13296, note R.-O. Dalcq; Gand, 6. ch.,29 juin 1998, A&M, 1999, p. 87; Civ. Bruxelles,14. ch.,10 mars 1998,A&M,1998, p. 377,J.LM.B.,1999, p. 901 (réouverture des débats sur ce point);Liège, 30 juin 1997, J.LM.B., 1998, p. 9.(8) Ce sont les termes mêmes d'un arrêt de la courd'appel de Liège, 30 juin 1997, J.LM.B., 1998, p. 9.(9) E. Montera et H. Jacquemin, op. cit., pp. 11-12,nos 174 à 176; M. Hanotiau, op. cit., pp. 382-383,n° 8; P. Robert, "La respônsabilité civile dujournaliste », A&M, 2000, pp. 21 et s.; D. Voorhoof,op. cit., p. 386. Voy. toutefois: C. Doutrelepont etD. Fesler, " La presse et le droit », in G. Thoveron etC. Doutrelepont (éd.), La presse, pouvoir en devenir,éd. V.L.B., 1995, p. 201.(10) Pourvu que l'éditeur, l'imprimeur et le distribu-teur aient apporté une collaboration purement maté-

II. -Suranné, le régimede la responsabilité en cascade?

On ne saurait perdre de vue que les disposi-tions concernées s'inscrivent dans des ordresde préoccupations distincts. L'article 25,alinéa 2, de la Constitution vise à garantir1'autonomie de 1'auteur, dans la mesure où il abesoin du concours des auxiliaires de la pressepour pouvoir manifester ses idées et opinions.Tout au contraire, les articles 1384, alinéa 3,du Code civil et 18 de la loi sur le contrat detravail assurent une protection du préposédans un contexte de subordination et de dé-pendance. fi est donc vain de chercher à con-cilier des dispositions qui s'inscrivent dans

des logiques si différentes et, pour tout dire,irréconciliables.

n reste que la donne a changé depuis 1830 ence qui concerne le statut des journalistes. LaCour d'arbitrage signale le problème, tout endéclinant logiquement sa compétence pour enconnaître: « sans doute, la situation des jour-nalistes diffère-t-elle de celle qui était la leurlors de l'adoption de l'article 25, alinéa 2, dela Constitution puisqu'actuellement ils sonten majorité engagés dans les liens d'un con-trat de travail. Mais la Cour n'est pas compé.tente pour mettre en cause un choix duconstituant » (point B.6).

Ce choix demeure-t-il pertinent à l'aube duXXIc siècle? Incontestablement, il est loin lecontexte révolutionnaire dans lequel le régimede responsabilité en cascade a vu le jour. Lespratiques journalistiques ont fortement évoluédepuis 1830. A l'époque, les journalistesavaient rarement le statut d'employé, alorsqu'aujourd'hui la plupart d'entre eux sont en-gagés par l'organe de presse dans le cadred'un contrat salarié et travaillent sous l'auto-rité d'un rédacteur en chef. n est probable quele constituant n'ait pas prêté attention àl'article 1384, alinéa 3, du Code civil qui rendl'employeur responsable des fautes commisespar ses employés dans l'exercice de leursfonctions (11). Ne doit-on pas désormais rela-tiviser l'autonomie des journalistes et souli-gner la part de responsabilité qui incombe àceux qui défiuissent la ligne rédactionnelle etla politique commerciale du journal?

Faut-il en conclure que le régime de la res-ponsabilité en cascade, tel qu'interprété auxplus hauts niveaux, est « injuste» (12) et ina-dapté aux réalités journalistiquesd'aujourd'hui (13)? La tendance des cours ettribunaux à en neutraliser les effets par uneapplication des articles 1384 et 18 incompati-ble avec la Constitution serait-elle le signed'un besoin de réforme?

L'hésitation est permise. L'idée du système,on l'a vu, est de garantir l'autonomie du jour-naliste, en le désignant, paradoxalement, pourresponsable en première ligne de ses écrits. Sil'éditeur est tenu à l'abri d'actions en respon-sabilité, il sera en principe moins enclin à cen-surer les publications polémiques. Mais, ob-jectera-t-on, dès lors qu'il fait peser un risquefinancier important sur les épaules du journa-liste, le système ne risque-il pas de conduirece dernier à l'autocensure (14)? Ajuste titre,la censure ne suscite pas l'empathie. Pourautant, faut-il voir l'autocensure d'un mauvaisœil? Si elle porte le journaliste à mieux recou-per ses sources, à vérifier ses informationsdeux fois plutôt qu'une, à éviter des juge-ments à l'emporte-pièce, à émettre des réser-ves quand le doute le titille... l'autocensureserait mieux nommée « prudence» ou « sensdes responsabilités », et nous paraI"! une bonnechose. La liberté sort renforcée lorsqu'elles'adosse à une responsabilité.

Encore faut-il affronter une autre difficulté,épinglée plus haut: peut-on raisonnablement

(11) En ce sens, C. Doutre1epont et D. Fes1er, op.cir., p. 201.(12) P. Robert, op. cir., p. 24.(13) En ce sens, parmi d'autres, F. Jongen, obs. sousCass., 31 mai 1996, précité.(14) P. Robert, op. cir., p. 24.

rielle, à l'exclusion de toute participation directe à larédaction de l'écrit litigieux (voy. ci-après).

.Journaldes tribunaux

Page 4: Conclusion - crid.be

faire endosser la responsabilité au seuljourna-liste, alors qu'il est contraint de se plier à la li-gne rédactionnelle déterminée par l'organe depresse qui l'emploie? Précisément, cette vuedes choses doit être nuancée à un double titre.D'abord, l'économie générale du système im-plique que l'éditeur, l' imprimeur et le distribu-teur soient restés dans les limites de leur rôle-de simples auxiliaires -se bornant à prêtermatériellement leur concours aux auteurs. Leprincipe de l'imputabilité personnelle -péna-le et civile -recouvre tous ses droits lors-qu'ils s'immiscent dans le travail de rédaction,en participant directement à l'élaboration dutexte, en le modifiant ou en y apportant des re-touches (15). Autrement dit, s'il est attesté inconcreto (16) qu'il a coopéré à la rédaction del'écrit, l'éditeur ne sera plus considéré commecomplice mais comme coauteur et, à ce titre, ilpourra être tenu pour responsable (17). Ainsicompris, l'article 25, alinéa 2, de la Constitu-tion apparaît comme une invitation faite auxauxiliaires de la presse à ne pas s'immiscerdans le contenu des publications. En pratique,il est vrai, le degré d'implication de la rédac-tion n'est pas toujours facile à établir (18).Par ailleurs, on rappelle que la responsabilitéde l'éditeur peut être retenue également dansdes situations où, sans avoir la qualitéd'auteur ou de coauteur (à défaut d'avoir co-opéré directement à la rédaction de l'écrit), ilcommet une faute, distincte de celle del'auteur, liée à la présentation de l'écritlitigieux: choix des titres des articles ou deschapeaux, des photos et des légendes souscelles-ci, mise en page, encarts destinés àmettre certains extraits en exergue, voire cam-pagne de publicité organisée... (19).

Ces considérations conduisent à nuancer1'image du journaliste condamné à porter seulle chapeau et à tempérer les critiques dont se-rait justiciable le principe de la responsabilitéen cascade.

Etienne MONTEROProfesseur aux Facultés universitaires

Notre-Dame de la Paix

Si l'article 144 de la Constitution met tous lesdroits civils sous la protection du pouvoir judi-ciaire, cette disposition n'autorise toutefois pasle juge à contrôle/; directement ou indirecte-ment, la manière dont le Parlement exerce sondroit d'enquête ou prend sa décision, ni, par-tant, la manière dont les membres des Chambresexpriment leur opinion.La Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertés fondamentales fixe deslimites au droit de contrôler les activités du Par-lement et de ses membres. A cet égard, l'immu;:nité parlementaire poursuit un but légitime.. laprotection de la liberté d'expression au sein duParlement et le maintien de la séparation despouvoirs entre le législateur et le juge. Déciderque le juge ne peut apprécier si une opiniond'un parlementaire ou d'une commission parle-mentaire constitue une faute susceptible d'en-traîner la responsabilité de l'Etat fédéral, neporte pas atteinte de façon disproportionnée audroit d'accès à unjuge.

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(Traduction libre)

J. -La procédure devant la Cou/:

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêtrendu le 28 juin 2005 par la cour d'appel de 2006Bruxelles.Siég. : J. Verougstraete (prés. et rapp.), E.

Forrier, C. Parmentier, R. Boes, E. Watlters,C. Storck, G. Londers, D. Batselé et A. Fett-weis.

Min. publ. : M. De Swaef (proc. gén.).Plaid. : MMes J. Verbist et L. De Gryse.

(Etat belge, représenté par le président de laChambre des représentants c. a.s.b.l. Egliseuniverselle du royaume de Dieu et crts).

(15) En jurisprudence, voy. déjà Liège, 9 juillet1936, B.J., 1937, p. 246 Gugé qu'en retouchant l'ar-ticle, l'éditeur s'en est rendu coauteur et doit, à cetitre, en supporter les conséquences dommageables).(16) On ne saurait donc déduire la qualité de coauteurde l'éditeur du seul fait qu'il a laissé publier l'articleincriminé, transgressant ainsi un supposé devoir decontrôle du contenu, sans mettre à mal tout le systè-me de l'article 25, alinéa 2, de la Constitution.(17) En ce sens, D. Voorhoof, op. cit., p. 386;O. Orban, Le droit constitutionnel de la Belgique,t. III, Liège -Paris, Dessain-Giart et Brière, 1911,p. 455, auquel renvoie M.l'avocat général Lec1ercqdans ses conclusions précédant l'arrêt du 31 mai1996; P. Wigny, Droit constitutionnel- Principes etdroit positif, t. J, Bruxelles, Bruylant, 1952, p. 356,n° 228; P. de Visscher, Droit public, I, V.C.L., 1972-1973, p. 195. En jurisprudence, voy., par exemple,Civ. Bruxelles, 16 décembre 2003, précité; Civ.Bruxelles (réf.), 18 avril 2003, Rev. dl: santé, 2003-2004, p. 28; Civ. Bruxelles, 14. ch., 23 juin 1998,J.7:, 1999, p. 196, A&M, 2000, p. 96, J.L.M.B.,1999/21, p. 921; Civ. Liège, 6. ch., 21 septembre1999, Joum. proc., n° 384, 2000, p. 29, A&M, 2000,p. 155; Civ. Bruxelles, 14. ch., 10 mars 1998,A&M,1998/4, p. 377, J.L.M.B., 1999/21, p. 901 Gugé, enl'espèce, après un rappel des principes exposés autexte, qu'il n'est pas établi que l'éditeur serait coau-teur de l'écrit litigieux, « ayant participé directementet principalement à son élaboration,,).(18) Dans les faits, le journaliste n'est pas à l'abri depressions de la part de la rédaction qui, tout en segardant d'intervenir directement dans l'élaborationdes articles, peut chercher à lui imposer une ligne oului refuser une publication. Ce risque est réel, on enconvient, mais il nous semble qu'il ressortit aussi àla déontologie de la presse et peut être traité à ce ni-veau.

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Les principes de la séparation des pouvoirs et del'indépendance du pouvoir législatif et desmembres du Parlement n'impliquent pas quel'Etat serait, d'une manière générale. soustraità l'obligation de réparer le dommage causé àautrui par une faute du Parlement.

(19) Cass., 29 juin 2000, Joum. proc., na 398, 2000,p.24 et note F. Tulkens et A. Strowel, J.L.M.B.,na 37, 2000, p. 1589, note F. Jongen, R.G.A.R.,2002, na 13473. En l'espèce, la Cour de cassation arejeté le pourvoi formé contre un arrêt de la courd'appel de Bruxelles ayant considéré que les éditeursde la publication incriminée avaient contribué, parune publicité tapageuse, à la faute apparente del'auteur et avaient de la sorte aggravé le dommage dela victime. Voy. aussi Civ. Namur, 1re ch., 18 avril2005, Joum. proc., 2005, p. 26 (décision ambiguë);Civ. Namur, 1re ch., 26 septembre 2003, R.G.A.R.,na 13.896; Civ. Liège, 7" ch., 12 septembre 2001,A&M, p. 193 (cette décision se réfère explicitementà l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2000, sanstoutefois convaincre que la solution établie par cetarrêt trouve à s'appliquer in casu); Civ. Bruxelles,14" ch., 25 avril 2000, Joum. proc., na 406, 2001,p. 24; Civ. Liège, 27 mai 1998, J.L.M.B., 1998,p. 1125; Liège, 30 juin 1997, J.L.M.B., 1998, p. 9.

m. -lA décision de la Cou/:

1. -Les principes de la séparation des pou-voirs et de l'indépendance du pouvoir législa-tif et des membres du Parlement n'impliquentpas que l'Etat serait, d'une manière générale,soustrait à l'obligation de réparer le dommagecausé à autrui par une faute du Parlement.En attribuant aux cours et tribunaux la con-naissance exclusive des contestations qui ontpour objet des droits civils, l'article 144 de laConstitution met sous la protection du pouvoirjudiciaire tous les droits civils.En vue de réaliser cette protection, le consti-tuant n'a eu égard ni à la qualité des partiescontendantes ni à la nature des actes quiauraient causé une lésion de droit, mais uni-quement à la nature du droit faisant l'objet dela contestation.L'Etat est, comme les gouvernés, soumis auxrègles de droit, et notamment à celles qui ré-gissent la réparation des dommages résultantde fautes portant atteinte aux droits subjectifset aux intérêts légitimes des personnes.

2. -La protection de l'article 144 de la Consti-tution n'autorise pas le juge à contrôler, directe-ment ou indirectement, la manière dont le Parle-ment exerce son droit d'enquête ou prend sa dé-cision, ni, partant, la manière dont les membresdes Chambres expriment leur opinion.

3. -L'article 56 de la Constitution disposeque chaque Chambre a le droit d'enquête. LaConstitution ne limite pas ce droit.

4. -L'article 58 de la Constitution disposequ'aucun membre de l'une ou de l'autreChambre ne peut être poursuivi ou recherché

Journal

des tribunaux