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Germivo i re 5/2017 ISSN 2411-6750
Eckra Lath TOPPE: Concepts d’intertextualité et d’intermédialité. De Julia Kristeva à Jürgen Ernst Müller:Sens et évolution
http://germivoire.net/?ivoire=detailart&idart=504&rub=180
Concepts d’intertextualité et d’intermédialité. De Julia Kristeva à Jürgen Ernst Müller: Sens et évolution
Eckra Lath Toppé, Université Alassane (Bouaké, Côte d’Ivoire) [email protected]
Résumé Les notions d’«intertextualité» et d’«intermédialité» contribuent à la compréhension des textes et/ou médias. Leur rôle dans le processus d’explicitation des rapports entre les différents médias est avéré, d’autant plus qu’elles font découvrir le dialoguisme entre des éléments textuels et/ou médiatiques considérés jusque-là comme isolés. Notre analyse conduit à la redéfinition de ces deux notions a priori opposées, par la révision de notre acception des termes ’’texte’’ et ’’média’’. Mots-clés: Dialoguisme – Intermédialité – Intertextualité – Média - Texte
Abstract The notions of «intertextuality» and «intermediality» contribute to the comprehension of textes and/or medias. Their role in the process of explanation of the relations between the different medias is real, because they let discover the dialogism between textual and/or medial elements that are until there considered as isolated. Our analysis leads to the redefinition of these two a priori opposite notions through the revision of our acception of the terms ’’text’’ and ’’media’’.
Keywords: Dialogism – Intermediality – Intertextuality – Media - Text
Zusammenfassung Die Begriffe ‘‘Intertextualität‘‘ und ‘‘Intermedialität‘‘ tragen zum Verständnis der Texte und/oder Medien. Ihre Rolle im Erklärungsprozess der Zusammenhänge zwischen den verschiedenen Medien ist nachweislich, zumal da sie den Dialogismus zwischen textuellen und/oder medialen Elementen entdecken lassen, die bisher als isoliert betrachtet werden. Unsere Analyse mündet auf die Neudefinition dieser beiden a priori entgegengesetzten Begriffe durch die Revision unserer Bestimmung der Begriffe ‘‘Text‘‘ und ‘‘Medium‘‘. Schlüsselbegriffe: Dialogismus- Intermedialität – Intertextualität - Medium -
Text
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Introduction
Quoi de plus normal que de mentionner les noms de Julia Kristeva et de Jürgen Ernst Müller quand il est question d’intertextualité et d’intermédialité!
Ce n’est donc pas un hasard si notre étude fait référence à ces théoriciens
considérés comme les deux représentants respectifs de l’intertextualité et de l’intermédialité. Comme tout concept, ces deux notions vont connaître des
évolutions sémantiques diverses liées au dynamisme de la recherche.
Les notions d’intertextualité et d’intermédialité ont différentes définitions d’un auteur à un autre. Ce foisonnement de conceptions ne modifie en rien l’objet
de leur étude qui consiste à analyser les liens existant entre textes et/ou
médias ou ce qui est considéré comme tel. La définition basique de l’intertextualité est qu’elle se conçoit comme «le caractère et l'étude de
l'intertexte, qui est l'ensemble des textes mis en relation (par le biais par
exemple de la citation, de l'allusion, du plagiat, de la référence et du lien
hypertexte) dans un texte donné»1. Cette définition de l’intertextualité fait référence à des notions de relation, de corrélation, d’échanges.
Relativement à la notion d’intermédialité, il faut aussi retenir les concepts d’échanges, de mise en relation ou d’interconnexion d’éléments ou médias. A
ce sujet, Volker Dörr évoque trois éléments englobant cette notion: il utilise
les concepts de Medienkombination (combinaison médiatique), de
Medienwechsel (échange médiatique) et enfin d’intermediale Bezüge (références intermédiatiques) (Dörr 2014: 7f).
Pourquoi une étude sur les notions d’intertextualité et d’intermédialité chez Julia Kristeva et Jürgen Ernst Müller? Quelle est la pertinence d’une telle
analyse? La présente analyse vise à répondre à ces interrogations en
revenant sur l’origine de ces deux notions, à savoir ce qu’est l’intertextualité d’abord, ce qu’est l’intermédialité ensuite et enfin le rapport entre eux.
1 Intertextualité. https://fr.wikipedia.org/wiki/Intertextualité [23.12.2016].
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1. Texte et intertextualité
Ici, il s’agit de s’interroger sur les notions de texte et d’intertextualité pour faire ressortir leur signification au regard de l’évolution de l’écriture.
1.1 Qu’est-ce qu’un texte?
Importe-t-il, à ce stade de la réflexion, de se poser une telle question, étant
donné que la notion d’intertextualité a été déjà définie? Cette interrogation
est-elle nécessaire puisque la notion de ’’texte’’ est intrinsèquement liée à celle de l’intertextualité? Ce questionnement s’impose parce qu’il convient de
se mettre d’accord sur des thèmes de référence pour savoir ce dont il est
question ici. Un texte n’est pas seulement un ensemble de mots bien agencés
ou non et dont l’objectif est de produire du sens et de l’effet.
Du latin ’’texere’’ signifiant ’’tisser’’2, on obtient ’’textum’’ qui a donné le mot
’’texte’’3. Si à l’origine «l'entrelacement des fibres utilisées dans le tissage4» s’applique à cette notion, son sens va évoluer pour désigner des «éléments
de langage organisés et enchaînés5», un «agencement particulier du
discours6».Udo Friedrich définit le texte comme suit: «Text ist eine formal
durch Anfang und Ende markierte sprachliche, insbesondere schriftliche Äußerung, z. B. eine inhaltlich zusammenhängende und abgeschlossene
Folge von Sätzen7» (Friedrich 2017: 84).
En outre, François Rastier définit le texte comme «une suite linguistique
autonome (orale ou écrite) constituant une unité empirique, et produite par un
ou plusieurs énonciateurs dans une pratique sociale attestée8» Le texte est également vu comme «une série orale ou écrite de mots perçus comme
constituant un ensemble cohérent, porteur de sens et utilisant les structures
propres à une langue (conjugaisons, construction et association des
phrases…)9».
Par ailleurs, la définition du texte par Sabine Becker nous conduit au-delà
d’un simple agencement de mots en nous plongeant dans l’univers culturel: «(…) Texte sind demnach nicht aufgrund ihrer ästhetischen Struktur oder
2 Le texte. https://fr.wikipedia.org/wiki/Texte [23.12.2016]. 3 Id. 4 Ibid. 5 Ibid. 6 Ibid. 7 ’’Le texte est une déclaration orale, surtout écrite, formellement marquée par un début et une fin, par exemple une suite de phrases cohérentes et finies sur le plan du contenu’’ (Traduit par moi). 8 François Rastier, 2001, Arts et sciences du texte, Paris, PUF, p. 302. 9 https://fr.wikipedia.org/wiki/Texte [23.12.2016].
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Eigenqualität Gegenstand literaturwissenschaftlicher Analyse, sondern weil
sie Teil ,,kultureller Kommunikation und kulturellen Handelns‘‘ sind10»
(Leskovec 2011: 19). L’évocation, ici, de la valeur culturelle que peut transporter un texte est un élément capital parce que la notion de texte va
s’étendre progressivement à des concepts qui ne s’appliquaient pas à son
univers. En effet, pour étayer une démarche argumentative, on fait appel à
d’autres sources pour mieux soutenir et rendre convaincantes nos réflexions. A ce sujet, il est fait appel aux citations ou aux allusions, qui sont autant
d’éléments de l’intertexte, comme déjà évoqué plus haut. Mais la notion de
texte va au-delà des simples mots pour embrasser d’autres réalités et concepts plus ou moins complexes. De ce fait, tout discours, écrit ou oral, est
un texte. Ce discours, qui renvoie à une réalité, peut être une chose, un objet,
une idée, un concept.
Si on part donc du principe que tout est texte, alors la culture est un texte
parce qu’elle est un élément de réflexion qui produit de la réflexion. Dans un
article au titre évocateur:‘‘Kultur als Text? Literatur- und Kulturwissenschaften jenseits des Textmodells‘‘11, l’auteur aborde le concept de texte perçu comme
de la culture:
Was mir daran als gemeinsame Grundlage aller kulturwissenschaftlichen Disziplinen erhaltenswert erscheint, ist keineswegs die Annahme, daß Kultur aus Texten im engeren Sinne besteht (auch wenn Handlungen, Kunst, Streichquartette, Feste, usw. als Texte aufgefaßt werden können, eben um ihre Bedeutungsstruktur freizulegen). Vielmehr ist es die Herausforderung, eine Lesart von wahrgenommener Realität zu entwickeln und Kultur in Symbolen zugängliches Handeln zu betrachten. ,,Kultur als Text‘‘ aufzufassen bedeutet, ,,eine Lesart dessen zu erstellen, was geschieht12 (Bachmann-Medick 2004: 149).
De cette définition, il apparaît clairement que la conception traditionnelle de la
notion de texte est dépassée et qu’il convient de le saisir autrement. Le texte
n’est plus seulement la création littéraire, mais tout ce qui suscite ou peut susciter cette création littéraire ou cet écrit. Tout objet, tout homme, toute
notion doit être pris comme un texte, pour la simple raison qu’ils constituent
des sources de réflexion et de connaissances et ce, au même titre que le
texte écrit qui contient en lui des connaissances et des savoirs. Un être 10’’(…) Les textes ne sont donc pas un élément d’analyse littéraire à cause de leur structure ou qualité propre, mais parce qu’ils sont partie d’une «communication et d’une action culturelle»’’ (Traduit par moi). 11 ’’La culture comme texte? Littératures et cultures au-delà du modèle de texte’’ (Traduit par moi). 12‘’En tant que fondement commun de toutes les disciplines culturelles, ce qui me parait digne d‘intérêt n’est nullement l’hypothèse que la culture, au sens stricte, se compose de textes (même si des actions, l’art, des quatuors à cordes, des fêtes, etc. peuvent être perçus comme des textes pour justement exposer leur structure significative). Le défi est plutôt de développer une lecture de réalité perçue et de considérer la culture comme des symboles d’action accessible. Saisir la ,,culture comme texte’’ signifie ,,établir une lecture de ce qui se passe’’ (Traduit par moi).
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humain par exemple est un texte parce qu’en l’observant en action ou dans
une posture passive, il fait naître des idées, des pensées, des réflexions et
beaucoup d’autres formes d’interprétations qui constituent un texte. C’est le cas de tout objet ou de tout concept.
Le texte est donc une transposition de soi ou de tout autre chose ou concept en tant que texte. Il est par conséquent le résultat d’un ou de plusieurs textes.
L’auteur d’une œuvre par exemple ne fait que faire jaillir un texte déjà présent en lui et qui le constitue. C’est justement de cela qu’il s’agit chez Roland
Barthes quand il affirme: «Tout texte est un intertexte; d'autres textes sont
présents en lui à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables: les textes de la culture antérieure et ceux de la culture
environnante; tout texte est un tissu nouveau de citations révolues13».
Autrement dit, tout texte, et au-delà, toute production, est un agrégat, une
fusion, un assemblage, un rappel d’autres œuvres déjà rencontrées. En fin de compte le ’’texte’’ n’existe pas vraiment, du moins dans sa définition
traditionnelle. Tout objet existant et pouvant susciter une création littéraire
orale ou écrite n’est en fait qu’un intertexte, c’est-à-dire le résultat d’une fusion de connaissances antérieures. Par conséquent la notion
d’intertextualité doit être revue.
1.2 L’intertextualité au delà de la tradition
Tout texte étant un intertexte, selon Roland Barthes14, l’intertextualité est
donc une textualité, c’est-à-dire l’étude du croisement de plusieurs textes qui
sont eux-mêmes le résultat d’autres croisements. L’intertextualité n’est pas la simple étude de l’intertexte, mais celle des intertextes. Ici aussi, à l’instar du
texte, il n’y a rien de nouveau: toute création étant le fruit d’autres créations,
le contexte historique de l’univers de chaque individu influence sa pensée et ses créations. Nos créations sont plus ou moins conditionnées par notre
vécu, notre passé qui agit d’une manière ou d’une autre sur notre réflexion.
Nos résultats acquis sont le fruit des expériences accumulées plus ou moins
consciemment. L’intertextualité est alors l’analyse du croisement d’autres croisements. A juste titre, Jacques Poulin écrit:
Il ne faut pas juger les livres un par un. Je veux dire: il ne faut pas les voir comme des choses indépendantes. Un livre n’est jamais complet en lui-même; si on veut le comprendre, il faut le mettre en rapport
13 Intertextualité. https://fr.wikipedia.org/wiki/Intertextualité [23.12.2016]. 14 Id.
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avec d’autres livres, non seulement avec les livres du même auteur, mais aussi avec des livres écrits par d’autres personnes15.
Jacques Poulin évoque ici, sans le nommer, la notion de dialogisme
développée par Mikhaïl Bakhtine. C’est justement de cela que parle Kareen
Martel en écrivant que « pour Bakhtine, le langage est un médium social et
tous les mots portent les traces, intentions et accentuations des énonciateurs qui les ont employés auparavant16».
Chez Bakhtine, le langage joue deux rôles capitaux: il est d’abord un médiateur social qui fait la jonction entre les différents éléments de la société
(les hommes, les concepts, les objets, etc.) qui sont des textes et ensuite en tant qu’historien, une instance consignatrice et gardienne des faits sociaux.
Pour en revenir à Roland Barthes, il faut retenir que:
Cette définition de l'intertextualité emprunte beaucoup au dialogisme tel que l'a défini Mikhaïl Bakhtine. Il considère en effet que le roman est un espace polyphonique dans lequel viennent se confronter divers composants linguistiques, stylistiques et culturels. La notion d'intertextualité emprunte donc à Bakhtine l'idée suivant laquelle la littérarité naîtrait de la transformation de différents éléments culturels et linguistiques en un texte particulier17.
L’importance du dialogisme dans l’intertextualité est également évoquée par
Violaine Houdart-Mérot pour qui le texte est le résultat d’échanges, de convocations de connaissances antérieures. A cet effet, elle écrit:
De fait, l’idée de dialogisme est présente en filigrane dans cette conception du texte comme productivité: l’auteur n’est pas «sous influence», copiste ou héritier d’une tradition, mais il entre en dialogue avec ses lectures, qu’il interprète à sa façon, le texte nouveau amenant même à relire différemment ses hypotextes. L’intertextualité suppose donc une altérité constitutive de tout texte, s’il est vrai, comme l’affirme M. Bakhtine, que tous les mots de la langue sont habités par la voix d’autrui et que chaque mot est «un drame à trois personnages18.
Le dialogisme de Bakhtine va inspirer le groupe Tel Quel19 au sein duquel va
apparaitre la notion d’intertextualité à la fin des années 1960. Julia Kristeva,
qui est le symbole de cette théorie, la définit comme une «interaction
15 Jacques Poulin, cité d’après Kareen Martel. "Les notions d'intertextualité et d'intratextualité dans les théories de la réception." Protée 331 (2005): 93–102. http://www.erudit.org/fr/revues/pr/2005-v33-n1-n1/012270ar/ [17.03.2017]. 16 Kareen Martel, 2005."Les notions d'intertextualité et d'intratextualité dans les théories de la réception", in: Protée 331 (2005): 93–102, in:http://www.erudit.org/fr/revues/pr/2005-v33-n1-n1/012270ar/ [17.03.2017]. 17 Intertextualité. https://fr.wikipedia.org/wiki/Intertextualité [23.12.2016]. 18 Violaine Houdart-Mérot, 2006. «L'intertextualité comme clé d'écriture littéraire », Le français aujourd'hui 2006/2 (n° 153), p. 25-32. http://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2006-2-page-25.htm [17.03.2017]. 19 Tel quel est une revue de littérature française d'avant-garde, fondée en 1960 à Paris. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Tel_quel_(revue) [23.12.2016].
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textuelle20». Ce qui signifie que «le texte littéraire se constituerait donc
comme la transformation et la combinaison de différents textes antérieurs
compris comme des codes utilisés par l'auteur21». L’intertextualité apparaît donc comme le jeu de déconstruction, de construction et de reconstruction
textuelle, autrement dit, l’action consistant à défaire, faire et refaire des textes
mis en interaction, en dialogue.
En ce qui concerne Gérard Genette, il propose le terme de transtextualité qui est plus généralisant, car intégrant l’intertextualité. Il conçoit la transtextualité
comme la théorie qui «analyse tous les rapports qu'un texte entretient avec
d'autres textes22». Contrairement à ce qui a été dit jusque-là et qui perçoit l’intertextualité comme une notion qui va au-delà du simple texte oral ou écrit,
Genette a une perception restrictive de cette notion en ne la réservant qu’aux
cas de «présence effective d'un texte dans l'autre23», notamment par la
citation, le plagiat et l’allusion24.
Avec l’évolution des moyens de communication et de diffusion du savoir ainsi que des rapports nouveaux qui s’établissent entre ceux-ci, il convient
désormais d’intégrer le fait que tout est texte et de s’aligner sur la position de Michael Hofmann pour qui la compréhension et la communication scientifique
se seraient complexifiées au point où des notions telles que l’interculturalité,
l’étranger, le dialogue (qui sont à considérer comme des textes) seraient
revues et corrigées sémantiquement (Hofman 2006: 4). Il va de soi qu’il s’agit, ici, d’un recadrage de la notion d’intertextualité. Qu’en est-il de la notion
d’intermédialité?
2. Des notions de média et d’intermédialité
A ce stade de notre étude, il convient aussi de se pencher sur les notions de ’’média’’ et d’´´intermédialité´´ pour situer leur rôle dans le processus de
compréhension des médias.
2.1 La notion de média
La notion de média renvoie à un ensemble d’éléments très variés dans leur
forme. La définition que lui donne Udo Friedrich informe déjà qu’il englobe divers domaines: «Medium ist ein lateinisches Wort für Mitte, Mittler. (…)
Alltagssprachlich bezeichnet man damit oft die Menge aller Institutionen, die
unter erheblichem technischem, menschlichem und finanziellem Aufwand 20 Intertextualité. https://fr.wikipedia.org/wiki/Intertextualité [23.12.2016]. 21 Id. 22 Intertextualité. https://fr.wikipedia.org/wiki/Intertextualité [23.12.2016]. 23 Id. 24 Cf. Ibid.
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Informationen in der Gesellschaft sammeln, erzeugen und verteilen25»
(Friedrich 2017: 63).
Si Udo Friedrich s’est limité à l’ensemble des institutions produisant ces
médias, Emilie Lumière va plus loin en énumérant, en référence à la
conception très large du terme «média» par Jürgen Müller, ce qui est considéré comme média. A ce propos, elle écrit que «notre quotidien est
marqué par les médias et les concepts de médialité26» qui sont: les «textes,
lettres, images, photographies, couvertures, bandes dessinées, téléphone,
télétexte, télévision, radio, publicité, cinéma, vidéo, vidéo-clip…27» Autrement dit, tous les moyens de communication et d’interaction sociale.
De ces définitions, il faut retenir que la notion de média est transdisciplinaire et qu’elle englobe tout ce qui est porteur de savoirs et de connaissances. Son
champ d’action est transcendantal. Aux éléments énumérés par Emilie
Lumière, il faut ajouter les concepts, les idées, les notions ou tout autre
élément pouvant transporter aussi des savoirs, à l’instar des textes ou de ce qui est considéré comme tel. Le média peut donc prendre plusieurs formes tel
qu’exprimé par Joachim Paech pour qui: «Medium bedeutet, die Form von
etwas annehmen können, ohne es zu sein28» (Paech 2014: 46). En d’autres termes, tout est média. Toute chose qui existe et qui participe à la formation,
à l’information est considérée comme un média au sens large du terme. Que
peut donc signifier le terme ’’intermédialité’’?
2.2 De la question de l’intermédialité
Le concept d’intermédialité est attribué au Professeur Jürgen Ernst Müller qui semble avoir été le premier à l’avoir théorisé à la fin des années 198029. Mais
de quoi s’agit-il quand il est question d’intermédialité? La réponse peut être la
suivante:
Il s’agit d’une approche conceptuelle pluridisciplinaire s’intéressant aux relations et interactions entre des médias distincts à l’intérieur d’une œuvre et se développant «dans des contextes sociaux et historiques spécifiques». Il s’agit de s’intéresser à la production de
25 ’’Le média est un terme latin pour désigner centre, intermédiaire. (…) Dans le langage courant, on désigne ainsi la multitude de toutes les institutions qui, par des efforts techniques, humains et financiers considérables, collectent, produisent et diffusent des informations au sein de la société’’ (Traduit par moi). 26 Emilie Lumière. 2015. ’’Jürgen E. Müller et le concept d’intermédialité’’. http://cinemadoc.hypotheses.org/3457 [22.01.2017]. 27 Id. 28 ’’Le média signifie le fait de pouvoir prendre la forme de quelque chose sans l‘être’’ (Traduit par moi). 29 Intermédialité. https://fr.wikipedia.org/wiki/Interm%C3%A9dialit%C3%A9 [22.01.2017].
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sens qui émerge de ces convergences médiatiques et donc de cesser de considérer les médias comme isolés les uns des autres30.
Aujourd’hui, la récurrence de ce terme semble faire croire à un concept
nouveau qui, pourtant, a toujours existé, d’autant plus que la pluralité de
médias a toujours existé et qu’il n’y a pas de cloisons absolument étanches entre eux. Dans un article intitulé ’’Warum Intermedialität?’’ (’’Pourquoi
l’intermédialité?’’), l’auteur Joachim Paech tente d’expliquer la récurrence du
terme. Selon lui, l’intermédialité n’est pas un ’’nouveau concept’’, mais que l’apparition de ce nouveau thème s’explique par le fait qu’il est un
changement significatif dans la relation des arts entre eux et avec les
nouveaux médias, et aussi l’ouverture d’un nouveau champ de recherche qui,
avec ses propres méthodes, réagit au ‘processus intermédial’ dans les arts et
médias (Paech 2014: 46).
De ce point de vue de Joachim Paech, l’on peut retenir que l’intermédialité est
interdisciplinaire. Pour Werner Wolf, son interdisciplinarité se caractérise par
le fait qu’elle éclaire des phénomènes qui, traditionnellement analysés par
diverses disciplines, peuvent désormais l’être sous un concept nommé Intermédialité et parle a cet effet d’hybridation des médias (Cf. Wolf 2014:
12). Pour lui, c’est donc le caractère hybride des médias qui crée leur
interdisciplinarité. Dans un article, il aborde l’importance de cette notion pour la littérature en faisant un rappel historique qui démontre que la notion existe
depuis longtemps, mais que son regain de vitalité est dû à la naissance de
nouveaux médias:
Die Bedeutung von Intermedialität für die Literaturwissenschaft sei hier an einigen Beispielen hauptsächlich aus der englischen Literatur illustriert. Literatur ist ein Medium (im semiotischen Sinn), das durch eine Vielzahl technischer und institutioneller Dispositive übermittelt wird und wurde Intermedialität: Lyrik, wie in den alten Epen, wurde ursprünglich bekanntlich rezitiert, d.h. in mündlicher Rede aufgeführt, z. T. mit musikalischer Begleitung, bevor sie dominant ein schriftliches und buchdruckvermitteltes Medium wurde. Das Drama kann als Buchmedium aufgefasst werden, wenn es sich um ein reines Lesedrama handelt. In den meisten Fällen jedoch ist es besser als aufgeführtes und daher ,plurimediales’ Theater anzusehen, das Text, Geräusche, Musik und Visuelles (inklusive Gestik) vereinigt. Seit der Antike haben die bildenden Künste zur Vermittlung von Literatur beigetragen, seit dem 19. Jahrhundert tut dies auch die Programmmusik. Seit dieser Zeit haben sich durch die Entwicklung neuer Medien weitere Möglichkeiten ergeben: Photographie, Film, das Radio und Comics müssen in diesem Zusammenhang erwähnt werden, da sie alle dazu beitragen können und beigetragen haben, Literatur zu vermitteln, und dabei ihr je eigenständigen mediales Profil einbringen. Mit Blick auf neueste technische Medien sollte man das
30 Id.
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Spektrum (auch) literaturvermittelnder Medien ergänzen, und zwar um Videos und DVDs, CDs (vor allem wenn es um Hörbücher geht), iPads und E-Books sowie allgemein den PC als digitales Medium, das nicht nur hyperfiction übermitteln kann, sondern auch literarisch inspirierte virtual realities produzierende Computerspiele; diese sind ihrerseits im Begriff, zu einer Art neuem, interaktivem Gesamtkunstwerk zu werden, selbst wenn man noch zögern möchte, hier den traditionellen Kunstbegriff anzuwenden31(Wolf 2014: 13f).
Par ailleurs, Wolf conçoit l’intermédialité, dans un sens large, comme le
franchissement des frontières entre des médias conventionnellement perçus
comme distincts et, dans un sens plus restreint, interne à l’œuvre,
analogiquement à l’intertextualité décrivant une référence entre au moins deux textes ou deux médias (Cf. Wolf 2014: 7). On peut dès lors se
demander s’il y a un lien entre l’intertextualité et l’intermédialité ou si ces deux
notions sont absolument opposées.
3. L’intertextualité et l’intermédialité: divergence, complémentarité ou superposabilité?
Diverses positions semblent rapprocher ou différencier nettement les notions
d’intertextualité et d’intermédialité. Qu’en est-il réellement? Ces deux notions
ont-elles des points communs ou se caractérisent-elles par une opposition tranchée?
3.1 Intertextualité vs intermédialité Si on s’en tient d’abord à leur orthographe, les deux notions n’ont rien à voir
l’un avec l’autre. Et ensuite, même s’il s’agissait de synonymes, elles ne
pourraient absolument avoir le même contenu l’un pour l’autre parce qu’un
terme ne peut avoir de contenu absolument identique avec un autre terme que le terme lui-même. Autrement dit, une notion ne peut avoir de synonyme
ayant un même contenu et renvoyant au même sens que cette notion elle- 31 ’’L’importance de l’intermédialité pour la littérature serait principalement illustrée ici par quelques exemples issus de la littérature anglaise. La littérature est un média (au sens sémiotique) qui est transmis par une multitude de dispositifs techniques et institutionnels et devint intermédialité: la poésie, comme dans les épopées anciennes, était à l’origine, comme on le sait, récitée, c’est-à-dire présentée dans un discours oral. En partie, avec un accompagnement musical avant de devenir, de façon dominante, un média écrit et transmis au moyen du livre. Le théâtre peut être saisi comme un média livresque quand il s’agit d’une pure œuvre dramatique à lire. Dans la plupart des cas cependant, il est mieux de le considérer comme un théâtre représenté et donc ’’plurimédiatique’’ qui réunit le texte, les bruits, la musique et le visuel (y compris la gestuelle). Depuis l’Antiquité, les arts plastiques ont contribué à la diffusion de la littérature et depuis le 19e siècle, le programme musical le fait également. Depuis cette époque, d’autres possibilités sont nées par le développement de nouveaux médias: la photographie, le cinéma, la radio et les bandes dessinées doivent être évoqués dans ce contexte, puisqu’ils peuvent tous contribuer et ont contribué à la diffusion de la littérature et à cela, chacun lui apporte son profil médiatique autonome. Avec le regard sur les plus récents médias techniques, on devrait compléter le spectre des médias transmettant (aussi) la littérature et ce, autour des vidéos et DVD, des CD (surtout quand il s’agit de livres audios), des iPads et des livres électroniques ainsi qu’en général le PC comme média numérique qui ne peut transmettre seulement l’hyperfiction, mais également des réalités virtuelles qui produisent des jeux d’ordinateurs inspirés par la littérature; ceux-ci, de leur côté, sont sur le point de devenir une sorte de nouvelle œuvre d’art globale interactive, même si on pourrait encore hésiter à utiliser ici le terme artistique traditionnel’’ (Traduit par moi).
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même. En d’autres termes, c’est le terme ’’Intertextualité’’ qui est son propre
synonyme absolu; il en va de même pour le terme ’’Intermédialité’’. Cela
revient à dire que les deux notions sont opposées.
Relativement à cette opposition, Jürgen Müller voit le concept d’intertextualité
comme plus restrictif que celui d’intermédialité32. Par conséquent, on admet une démarcation entre ces deux notions qui ne peuvent donc renvoyer au
même contenu. A propos de Müller justement, Emilie Lumière donne la
position de celui-ci relativement à l’opposition entre l’intertextualité et
l’intermédialité
Müller reconnaît la pertinence du concept d’intertextualité qui, historiquement, n’était pas limité au texte écrit. Il rappelle que lorsque Julia Kristeva fonde la notion à la fin des années 1960, comme, il la cite, une «interaction textuelle qui se produit à l’intérieur d’un seul texte», l’intertextualité pouvait renvoyer à des «processus intermédiatiques». Néanmoins, les recherches menées par la suite et notamment par Genette au début des années 1980, ont restreint le concept à une interaction particulière (une «présence effective d’un texte dans l’autre» [Palimpsestes]) et l’ont prioritairement axé sur le texte écrit. Efficace pour la recherche en littérature, l’intertextualité ne permet pas, selon Müller, d’aborder la complexité des interactions médiatiques et ne donne pas suffisamment de place à la matérialité des médias et à leur fonction sociale33.
Comme il est donné de constater dans les propos ci-dessus d’Emilie Lumière, l’intertextualité, à l’origine, ne se distinguerait pas de l’intermédialité.
L’opposition constatée ne serait due qu’aux recherches ultérieures qui
auraient confinées l’intertextualité dans l’étude des relations entre textes écrits uniquement. Alors que la notion d’intermédialité renvoie à l’étude des
relations entre des éléments aussi divers qu’hétéroclites. L’opposition, voire la
différence entre ces deux notions réside, selon Müller, dans leur
fonctionnalité. Il conçoit, en effet, l’intermédialité comme beaucoup plus fonctionnelle dans l’étude des médias par rapport à l’intertextualité,
l’interartialité et l’hybridité qu’il considère comme des notions concurrentes34.
Si on s’en tient aux définitions des deux notions, on peut retenir qu’elles n’ont a priori rien en commun, d’autant plus qu’elles ont des caractéristiques
propres. Mais y a-t-il vraiment une opposition absolument tranchée entre ces
deux notions?
32 Cf. Emilie Lumière. 2015. ’’Jürgen E. Müller et le concept d’intermédialité’’. http://cinemadoc.hypotheses.org/3457 [22.01.2017]. 33 Cf. Emilie Lumière. 2015. ’’Jürgen E. Müller et le concept d’intermédialité’’. http://cinemadoc.hypotheses.org/3457 [22.01.2017]. 34 Cf. Id.
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3.2 Intertextualité et/ou intermédialité?
Si on part du principe que tout est texte (voir le point 1.2. L’intertextualité au
delà de la tradition de la présente analyse), alors les notions d’intertextualité et d’intermédialité renvoient à la même réalité, du moins à des contenus
semblables, en procédant par déduction logique. Tout étant texte, le média
est donc un texte et vice-versa. La différenciation, à ce niveau, est due à leur
ontologie. Longtemps, la rigidité définitionnelle de ces deux notions les a confinées dans des limites desquelles la recherche et l’évolution des
techniques et de la technologie les font échapper aujourd’hui. Le point de vue
d’Emilie Lumière à ce sujet nous informe et nous rassure que ces deux notions ne peuvent être séparées. Les références contenues dans sa citation
produisent à la fois des interactions intertextuelles et intermédiatiques:
Le mot de Simonides de Kéos, «la peinture comme une poésie muette», dans les Moralia de Plutarque, est une des premières réflexions sur l’interaction entre les médias. Cette perspective est reprise pendant la Renaissance italienne: selon Giordano Bruno, il y a des liens inséparables entre musique, poésie, peinture et philosophie. Un poète produit des images à partir de visions et de sons. Cette idée semble très moderne et pourrait renvoyer, par exemple, à l’art vidéo35.
Les notions d’intertextualité et d’intermédialité se rejoignent en se confondant
très souvent dans leur développement. Revenons quelque peu sur la
définition de la notion d’intermédialité par Werner Wolf qui s’appuie sur celle d’Irina Rajewsky: «Intermedialität bedeutet das Überschreiten von Grenzen
zwischen konventionell als distinkt angesehenen Kommunikationsmedien,
wobei solches Überschreiten sowohl innerhalb von einzelnen Werken oder Zeichenkomplexen als auch zwischen solchen vorkommen kann36» (Wolf
2014: 21).
De la définition ci-dessus, on retient que l’intermédialité a lieu entre au moins
deux médias ou textes, et cela est aussi de l’intertextualité (au sens premier
de l’intertextualité définie par Julia Kristeva et qui consiste en l’étude de la présence effective d’un texte dans un autre et qui «pouvait renvoyer à des
’’processus intermédiatiques’’37». Autrement dit, l’intermédialité et
l’intertextualité renvoient à la même réalité. Pour Anna Zamolska, cette
35 Emilie Lumière. 2015. ’’Jürgen E. Müller et le concept d’intermédialité’’. http://cinemadoc.hypotheses.org/3457 [22.01.2017]. 36’’L’intermédialité signifie le franchissement des frontières entre des médias de communication conventionnellement considérés comme distincts, où un tel franchissement peut se faire aussi bien à l’intérieur qu’entre des œuvres uniques ou complexes de signes’’ (Traduit par moi). 37 Emilie Lumière. 2015. ’’Jürgen E. Müller et le concept d’intermédialité’’. http://cinemadoc.hypotheses.org/3457 [22.01.2017]
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intermédialité au sens intertextuel doit être considérée comme de la
transmédialité (Cf. Zamolska 2014: 121).
Dans une étude comparée sur le roman de Daphne du Maurier intitulé Rebecca et le film éponyme d’Alfred Hitchcock qui en est tiré, Anna Zamolska
écrit que la recherche de caractéristiques du conte dans les deux médias (le
roman et son adaptation cinématographique) engendre un cadre transmédial
parce que ces caractéristiques, au sens d’Irina Rajewsky, ne sont pas spécifiques aux médias et peuvent de ce fait être considérées comme non
indépendants des médias (Cf. Zamolska 2014: 121).
Qu’il s’agisse donc de transmédialité ou d’intermédialité, il apparait clairement que les barrières entre les médias s’estompent pour provoquer une
interpénétration médiatique qui met ainsi fin à une sorte de ’’ghettoïsation
médiatique’’, comme l’exprime Philip Grimm:
L’intérêt de Jürgen Müller pour le concept d’intermédialité est indissociable de l’émergence de cette notion dans le contexte académique occidental des années 1980. Comme il l’explique, Müller fait partie des premiers chercheurs qui ont eu recours, à cette époque, au concept d’intermédialité en réaction à une hyperspécialisation universitaire, corollaire d’une conception isolatrice des médias et des arts en général. Il était temps de décloisonner les disciplines tout en décloisonnant les théories sur les médias, à une période de plus en plus marquée par des médias toujours plus complexes (Grimm 2014: 138).
Par ailleurs, Volker C. Dörr et Tobias Kurwinkel montrent qu’il n’y avait pas de
cloisonnement en tant que tel parce que la recherche sur l’intermédialité
différencie trois sous-catégories qui démontrent l’interpénétration médiatique (Cf. Dörr 2014: 7). Leur subdivision donne la Medienkombination
(combinaison médiatique) qui concerne le film et qui fait apparaitre une
structure de base plurimédiale qui est une spécificité de ce média; la
Medienwechsel (échange médiatique) qui est l’adaptation cinématographique, par exemple: l’adaptation d’un texte littéraire écrit en un texte
cinématographique et enfin les intermedialen Bezüge (références
intermédiales) qui consistent à faire référence à un média dans un autre (Cf. Dörr 2014: 7f). Ici, on voit bien qu’il y a une collaboration entre différents
médias, car le concept d’intermédialité, «bien que différent dans son
approche théorique, est complémentaire aux notions d’intertextualité,
d'interdiscursivité et d’interartialité38.
38 Intermédialité. https://fr.wikipedia.org/wiki/Interm%C3%A9dialit%C3%A9 [22.01.2017].
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La complémentarité entre les notions d’intertextualité et d’intermédialité chez
Müller est évoquée par Emilie Lumière:
Dans La Révolution du langage poétique, Kristeva conçoit l'intertextualité comme «le passage d'un système de signes à un autre» (…). La définition reste convaincante; alors, quel besoin de cette autre notion qu'est l'intermédialité? Évidemment, il y a beaucoup de rapports entre les notions d'intertextualité et d'intermédialité, mais la première servit presque exclusivement à décrire des textes écrits. Le concept d'intermédialité est donc nécessaire et complémentaire dans la mesure où il prend en charge les processus de production du sens liés à des interactions médiatiques39.
Relativement à la complémentarité de l’intertextualité et de l’intermédialité,
Philip Grimm s’interroge de savoir à quels résultats peut aboutir l’utilisation des méthodes de l’intertextualité et de l’intermédialité dans une étude
comparée sur deux films, l’un pour le cinéma, en l’occurrence Der Pate (Le
Parrain), et l’autre qui est une série télévisée, Die Sopranos (Les Sopranos)
(Cf. Grimm 2014: 136f). Les deux notions interviennent dans cette étude d’autant plus qu’il y a par exemple des citations littérales du film Der Pate qui
se retrouvent dans Die Sopranos (Cf. Grimm 2014: 136f). Il est clair que
l’intertextualité et l’intermédialité se complètent, mais, selon les propos ci-dessus de Jürgen Ernst Müller, l’intermédialité va beaucoup plus loin que
l’intertextualité dans les études intermédiatiques:
[…] L’intertextualité se présente aujourd’hui comme un concept-clef des études culturelles et littéraires; et un concept qui, après son succès des années quatre-vingt, s’avère toujours utile pour toutes sortes d’analyses. C’est pourquoi nous pouvons nous demander quel serait, par rapport à la catégorie de l’intertextualité, le bénéfice spécifique de celle d’intermédialité. Le potentiel de la notion d’intermédialité me paraît résider dans le fait qu’elle transgresse les restrictions de la recherche sur le média «littérature», qu’elle opère une différenciation des interactions et des interférences ENTRE plusieurs médias, et qu’elle oriente la recherche vers les matérialités et les fonctions sociales de ces processus40.
Les interactions et interférences entre différents médias évoquées par Müller
sont aussi abordées par Martin Seel qui fait cas des relations entre le cinéma
et plusieurs disciplines telles que l’architecture, la musique, le théâtre, la
littérature et les arts plastiques qui produisent un dialogue (Seel 2013: 9f). Sur ce point, il faut donc retenir que l’intermédialité et l’intertextualité ne divergent
pas vraiment, mais se complètent et peuvent être parfaitement utilisées l’une
à la place de l’autre dans le processus d’explication textuelle et / ou médiatique parce que tout texte est média et vice-versa.
39 Cf. Emilie Lumière. 2015. ’’Jürgen E. Müller et le concept d’intermédialité’’. http://cinemadoc.hypotheses.org/3457 [22.01.2017]. 40 Emilie Lumière. 2015. ’’Jürgen E. Müller et le concept d’intermédialité’’. http://cinemadoc.hypotheses.org/3457 [22.01.2017].
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Conclusion
Ya-t-il eu changement sémantique et/ou évolution dans les notions d’intertextualité ou d’intermédialité depuis leur conception, respectivement par
Julia Kristeva et Jürgen Ernst Müller? C’est à cette problématique qu’a
essayé de répondre cet article. De notre analyse, il faut retenir que la définition traditionnelle de la notion de ’’texte’’ doit être dépassée pour
s’étendre à tout ce qui peut être considéré comme support de communication
et/ou diffusion d’un savoir quelconque. Ainsi pourra-t-on dire que la radio, la
télévision, l’internet, la pensée… ou tout objet du quotidien sont des textes au même titre que tout ce qui est contenu dans un ouvrage traditionnel et
communément appelé ’’texte’’. L’intertextualité est donc l’étude des rapports
entre ces différents ’’textes’’.
Quant à la notion de média, elle renvoie également à tout ce qui peut être
porteur de savoirs et de connaissances, c’est-à-dire, entre autres, le
téléphone, le texte, l’image, la lettre, la télévision, le cinéma, la publicité, la vidéo. L’étude des rapports entre ces différents éléments est ce qui est
appelé ’’intermédialité’’.
Il apparait donc clairement que les notions d’intertextualité et d’intermédialité
se rejoignent et se complètent pour faire accéder à la compréhension des
liens entre les divers médias. Il n’existe donc pas de séparation tranchée
entre ces deux notions tel que formulé ci-dessous par Müller:
[…] Let us take a short glance at the beginnings of the academic discussions of intermediality in the 1980s. At that period, the isolating tendencies of media theories and histories and the rather banal fact that no medium could be considered as a ‘monade’ motivated me and also some other scholars to direct our attention towards the intricate and complex processes of media interactions or media encounters. The notion of intermediality was based on the assumption that there are no (?) pure media and that media would integrate structures, procedures, principles, concepts, questions of other media which have been developed in the history of Western media and would play with these elements41.
L’intertextualité telle que conçue et définie par Julia Kristeva a connu des
développements ultérieurs qui ont fait évoluer son sens en considération des pratiques sociales. Aujourd’hui, elle rejoint cette autre notion qu’est
l’intermédialité théorisée par Jürgen Ernst Müller pour expliquer les rapports
entre les textes et/ou médias. Les notions d’intertextualité et d’intermédialité
41 Emilie Lumière. 2015. ’’Jürgen E. Müller et le concept d’intermédialité’’. http://cinemadoc.hypotheses.org/3457 [22.01.2017].
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se complètent et peuvent parfois être utilisées indépendamment pour
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