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PUBLICUM Commission de droit public du Barreau de Bruxelles 9ème année, n°21 Septembre 2016 Responsable de la rédaction : Me Jean-Paul Lagasse ([email protected]) Editeur responsable : Me Bernard Renson Av. de la Chasse, 132 1040 Bruxelles Messagerie : [email protected] CONTRAT DE TRAVAIL ET FONCTION PUBLIQUE : L'ADMINISTRATION EN ROUE LIBRE ? A l'occasion de son assemblée générale qui s'est tenue à la Maison de l'Avocat à Bruxelles le 24 juin dernier, la Commission de droit public a consacré ses travaux à une réflexion concernant les agents contractuels des pouvoirs publics suite au prononcé de deux arrêts importants par la Cour de cassation d'une part et par le Conseil d'Etat d'autre part. Comme annoncé dans le dernier numéro de "Publicum", le lecteur trou- vera ci-après les contributions des orateurs de cette après-midi dans l'ordre de leur présentation à la nombreuse assistance présente : - Agents contractuels recrutés illégalement : le chèque en blanc ? Com- mentaires sur l'arrêt "Goedseels" prononcé par l'Assemblée générale du Conseil d'Etat le 4 mars 2016, par Jérôme SOHIER ; - Motivation formelle du licenciement des agents contractuels : la fin de l'histoire ou l'histoire sans fin ? Commentaires sur l'arrêt prononcé par la Cour de cassation le 12 octobre 2015, par Vincent VUYLSTEKE ; - Vers une privatisation de la fonction publique ? par Laure DEMEZ ; - Agents contractuels et secteur public : oxymore ou mort du statut ? par Jean BOURTEMBOURG. Les textes publiés ci-dessous expriment les opinions personnelles de leurs auteurs et, selon la formule consacrée, n'engagent dès lors qu'eux- mêmes. La rédaction de "Publicum" souhaite une bonne lecture à ses lecteurs et répercutera dans son prochain numéro les réactions que ceux-ci pour- raient lui manifester à l'adresse "[email protected]". .-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-. Lettre d'information de la commission de droit public du barreau de Bruxelles

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Page 1: Commission de droit public du Barreau de Bruxelles … · ment contractuel est illégal, le Conseil d’Etat a jugé avec constance qu’il faut rectifier, le cas échéant, la qualification

PUBLICUM Commission de droit public

du Barreau de Bruxelles

9ème année, n°21

Septembre 2016

Responsable de la rédaction :

Me Jean-Paul Lagasse

([email protected])

Editeur responsable :

Me Bernard Renson

Av. de la Chasse, 132

1040 Bruxelles

Messagerie : [email protected]

CONTRAT DE TRAVAIL ET FONCTION PUBLIQUE :

L'ADMINISTRATION EN ROUE LIBRE ?

A l'occasion de son assemblée générale qui s'est tenue à la Maison de l'Avocat à Bruxelles le 24 juin dernier, la Commission de droit public a consacré ses travaux à une réflexion concernant les agents contractuels des pouvoirs publics suite au prononcé de deux arrêts importants par la

Cour de cassation d'une part et par le Conseil d'Etat d'autre part.

Comme annoncé dans le dernier numéro de "Publicum", le lecteur trou-vera ci-après les contributions des orateurs de cette après-midi dans

l'ordre de leur présentation à la nombreuse assistance présente :

- Agents contractuels recrutés illégalement : le chèque en blanc ? Com-mentaires sur l'arrêt "Goedseels" prononcé par l'Assemblée générale

du Conseil d'Etat le 4 mars 2016, par Jérôme SOHIER ;

- Motivation formelle du licenciement des agents contractuels : la fin de l'histoire ou l'histoire sans fin ? Commentaires sur l'arrêt prononcé par

la Cour de cassation le 12 octobre 2015, par Vincent VUYLSTEKE ;

- Vers une privatisation de la fonction publique ? par Laure DEMEZ ;

- Agents contractuels et secteur public : oxymore ou mort du statut ? par

Jean BOURTEMBOURG.

Les textes publiés ci-dessous expriment les opinions personnelles de leurs auteurs et, selon la formule consacrée, n'engagent dès lors qu'eux-

mêmes.

La rédaction de "Publicum" souhaite une bonne lecture à ses lecteurs et répercutera dans son prochain numéro les réactions que ceux-ci pour-

raient lui manifester à l'adresse "[email protected]".

.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.

Lettre d'information de la commission de droit public du barreau de Bruxelles

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AGENTS CONTRACTUELS RECRUTES ILLEGALEMENT : LE CHEQUE EN BLANC ?

Commentaires sur l’arrêt d’Assemblée générale du Conseil d’Etat « Goedseels » du 4 mars 2016

par Jérôme SOHIER

Avocat au barreau de Bruxelles (« Lallemand & Legros »)

Maître de conférence à la Faculté de Droit de l’U.L.B.

1. Le recrutement d’un agent par une personne morale de droit public emporte une présomption, juris tantum, de régime statutaire : « en vertu des principes généraux du droit administratif, le caractère public de l’association de droit public implique que le régime juridique de son personnel est, normalement, le régime statutaire » (1). Dans les hypothèses subsidiaires, où les pouvoirs publics ont l’autorisation de recruter des agents sous contrat, conformément aux dispositions de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail (2), les contestations relatives aux relations de travail relèvent, en

principe, de la compétence exclusive des juridictions du travail (3).

Si la jurisprudence du Conseil d’Etat retient ainsi la présomption statutaire à l’égard des agents publics, en ce sens que la relation est qualifiée de statutaire à défaut de preuve non-équivoque de l’existence d’un engagement contractuel, les choses sont moins claires dans le cas où les parties se sont clairement engagées par contrat de travail, mais que la décision de recourir à un tel engagement contractuel s’avère illé-gale. Dans un tel cas, la jurisprudence était traditionnellement fixée en ce sens que, vu l’irrégularité de l’engagement contractuel, il y avait lieu de requalifier la relation de travail en un recrutement statutaire, de telle manière que le juge administratif

était bien compétent pour statuer à ce sujet (4).

Il a ainsi été constaté que « le Conseil d’Etat a dégagé au fil des années une jurispru-dence devenue constante, admise par les cours et tribunaux, faisant prévaloir le respect de la loi sur le sens, même clair, donné par les parties à leur relation. Il estime que la loi prévaut sur la volonté des parties au cas où celles-ci méconnaissant leur obligation lé-gale, auraient qualifié ou donneraient à penser qu’elles ont qualifié leur relation con-tractuelle, alors que la loi a imposé un régime statutaire » et que « lorsqu’un engage-ment contractuel est illégal, le Conseil d’Etat a jugé avec constance qu’il faut rectifier, le cas échéant, la qualification contractuelle d’un engagement, même lorsque la volonté

des parties s’est exprimée dans ce sens sans ambiguïté aucune » (5).

L’évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat a fait apparaître, par la suite, une divergence de jurisprudence entre chambres flamandes, qui sont restées sur cette position, et chambres francophones, qui se sont engagées dans une tendance inverse, refusant de contrôler la légalité d’un engagement par contrat, dès lors que la déci-sion de l’autorité administrative de procéder à un tel engagement est devenue défi-

nitive (6).

2. C’est à cette divergence de jurisprudence que le Conseil d’Etat, réuni en assem-blée générale, a entendu mettre fin par son arrêt Goedseels n° 234.035 du 4 mars 2016, en confirmant cette dernière tendance, déniant toute compétence du juge ad-ministratif en présence d’un contrat de travail conclu sans équivoque entre les par-

ties.

En l’occurrence, ce recours a été introduit par un agent du CPAS de Schaerbeek, en-gagé par contrat de travail d’employé dans le cadre particulier de l’arrêté royal du 18 juillet 2002 portant des mesures visant à promouvoir l’emploi dans le secteur non marchand (« Maribel social »), en tant que secrétaire administrative de niveau B. En l’espèce, le contrat indiquait, sans aucune équivoque, qu’il était bien « régi par la loi

du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ».

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Ce recours a donné lieu à un premier arrêt, rendu par le président de la VIIIème chambre du Conseil d’Etat au contentieux de la suspension, constatant que, si les agents d’un service public doivent en principe se trouver dans une situation statutaire et que pareille situation est présumée en cas de doute, il n’était toutefois pas contes-té qu’en l’espèce « l’acte qui a donné naissance à la relation de travail de la requé-rante au sein du CPAS de Schaerbeek, est un contrat de travail ». A partir de cet élé-ment, l’arrêt énonce qu’« aucun élément du dossier ne dément la qualification contrac-tuelle que la relation de travail revêtait à son origine ; que, quand bien même ce contrat de travail aurait été conclu illégalement, le Conseil d’Etat ne peut, à peine de porter atteinte à la sécurité juridique, en faire abstraction, dès lors que les décisions d’y recou-rir sont devenues définitives ; que l’acte attaqué a donc pour objet de mettre fin, en se fondant sur les dispositions de la loi du 3 juillet 1978 précitée, à un contrat de travail ; que la contestation relative à cet acte, relève de la compétence exclusive des juridictions

du travail » (C.E. 6 mai 2014, Goedseels, n° 227.285).

On relèvera que cet arrêt a été rendu sur avis contraire de l’Auditeur Madame PI-RET, qui s’était référée à la jurisprudence traditionnelle suivant laquelle la volonté des parties relative à un engagement contractuel ne suffisait pas pour exclure la compétence du Conseil d’Etat, puisqu’il fallait encore qu’une telle volonté soit con-forme aux dispositions légales et réglementaires, et que, dans l’hypothèse d’un en-gagement contractuel non conforme, il y avait lieu de constater cette irrégularité et de requalifier la relation de travail en un recrutement statutaire. En l’espèce, l’irrégu-larité du contrat de travail ne faisait aucun doute, puisqu’il ne respectait manifeste-ment pas les dispositions des articles 55 et 56 autorisant, de manière exceptionnelle,

le recrutement par contrat au sein du CPAS.

Dans le cadre du contentieux en annulation, l’Auditeur Madame PIRET a reviré d’avis, en considérant qu’il convenait de confirmer l’arrêt rendu en référé dans cette affaire, dès lors que le contrôle « incident » exercé par le Conseil d’Etat sur la décision de recourir à un engagement contractuel, se heurte en réalité, d’une part, à une limite de temps, face à un acte individuel devenu définitif, et, d’autre part, à une limite de compétence du juge administratif pour contrôler la régularité d’un tel contrat, ainsi

qu’a fortiori du sort à réserver à un contrat irrégulier.

L’arrêt du 4 mars 2016, rendu en Assemblée générale, suit, en substance, les conclu-

sions de ce rapport, en portant notamment les considérations suivantes :

- « Le Conseil d'État applique une présomption d'engagement statutaire aux agents des services publics, à défaut de preuve non équivoque de l'existence d'un engage-ment contractuel. Inversement, si l'existence d'un contrat de travail est établie, la

présomption statutaire est renversée et la volonté des parties prime ».

- « La présomption de l'engagement statutaire s'applique logiquement sans limite dans le temps, dès l'origine de la relation de travail, dès lors que celle-ci est dou-teuse. Toutefois, l'hypothèse de la décision illégale d'engager sous contrat de travail est différente. Dans pareil cas, l'existence d'un contrat de travail ne fait aucun doute, mais c'est le choix de recourir au contrat qui est contesté parce qu'il est irré-gulier. Au regard des dispositions du Code judiciaire et plus particulièrement de l'article 578, 1°, il revient au tribunal du travail de trancher les contestations rela-tives au contrat de travail. Le Conseil d'État n'est ainsi pas compétent pour contrôler

la régularité d'un contrat de travail ».

- « Le Conseil d'Etat juge, de manière générale qu'un acte administratif individuel, comme celui qui est ici attaqué, devient définitif s'il n'a pas fait l'objet d'un recours en annulation devant lui dans le délai de soixante jours prévu par le règlement gé-néral de procédure. En dehors de ce délai, la légalité de cet acte ne peut pas être contestée devant le juge administratif, même par la voie incidente, en application de l'article 159 de la Constitution, l'objectif étant de préserver la sécurité et la sta-bilité des relations juridiques. Il en résulte que, comme l'a décidé l'arrêt en suspen-sion prononcé dans la présente affaire, le Conseil d'État ne peut plus vérifier la légalité de la décision de recourir à un engagement contractuel, dès lors que cette

décision est devenue définitive. La décision d'engager un agent sous contrat es t

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créatrice de droits dans le chef de celui-ci. La sécurité juridique requiert de ne pas

porter atteinte au respect des droits acquis à la suite de cette décision ».

- « Quant à la question de savoir s'il appartient au Conseil d'État de requalifier la relation de travail de la requérante et de présumer une situation statutaire au motif que le recours à l'engagement contractuel est irrégulier, le présent arrêt confirme que le Conseil d'État ne peut contrôler la légalité des décisions prises par la partie adverse de recourir à des contrats de travail, dès lors que ces décisions sont deve-nues définitives. En toute hypothèse, le Conseil d'État est sans compétence pour ju-ger de la validité d'un contrat de travail, faire fi de son existence et décider de son écartement au bénéfice de la présomption de l'engagement statutaire » (C.E. 4 mars

2016, n° 234.035 précité).

3. Si l’arrêt de l’Assemblée générale a le mérite de mettre fin à une divergence de jurisprudence gênante au sein du Conseil d’Etat, il n’en suscite pas moins certaines réserves, la principale étant qu’il se base essentiellement sur un refus d’exercer un contrôle incident de la légalité des actes individuels, en application de l’article 159 de la Constitution, lorsque le délai de recours de 60 jours, qui était ouvert contre ces

actes individuels, est expiré et que ces actes sont ainsi devenus définitifs (7).

Il convient de rappeler ici que, sur ce point, la jurisprudence de la Cour de cassation est clairement divergente, en ce qu’elle énonce que les juridictions judiciaires peuvent – et doivent – faire application de l’exception d’illégalité en tout temps, et ce aussi bien à propos des actes administratifs individuels, que des règlements (8). Par un arrêt du 8 janvier 2015, la Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de confirmer sa jurisprudence suivant laquelle l’article 159 de la Constitution impose à tout organe juridictionnel « le pouvoir et le devoir de vérifier si les décisions de l’Administration dont l’application est en cause, sont conformes à la loi », et ce sans qu’il y ait lieu à distinction selon que ces décisions doivent être tenues pour définitives, ou non (9)

(10).

Force est effectivement de constater que l’article 159 de la Constitution ne soumet l’obligation pour tous les juges – en ce compris le Conseil d’Etat – d’écarter tout acte illégal, à aucune réserve de temps (11). Au demeurant, le délai de recours de 60 jours pour introduire un recours devant le Conseil d’Etat n’est fixé que par un règle-

ment et n’a donc assurément pas la même force dans la hiérarchie des normes…

D’autre part, si l’on peut convenir qu’il est assez déplaisant de voir un agent remettre en cause la légalité de son engagement contractuel (qu’il a parfaitement accepté in tempore non suspecto), plusieurs années plus tard lors d’un éventuel licenciement, au mépris du principe général de l’exécution de bonne foi des contrats, il faut égale-ment admettre que les parties ne se trouvent pas, en pratique, en situation d’égalité lors d’un tel recrutement et que c’est bien l’autorité qui est responsable, en tout pre-mier lieu, de l’irrégularité du recrutement contractuel. Dans un tel contexte, il paraît assez malvenu, pour une partie adverse, de se prévaloir d’une telle irrégularité – et partant, de son propre comportement fautif – pour justifier une exception d’irreceva-bilité d’un recours devant le juge administratif. Entre l’éventuelle mauvaise foi de l’un

et les petits dols de l’autre, on navigue ici en eaux troubles !

4. Cette jurisprudence a en tout cas des conséquences explicites à court terme et

suscite diverses interrogations pour l’avenir :

1° L’incompétence du Conseil d’Etat pour connaître de ce type de contentieux concernant les agents publics contractuels, constitue clairement un nouveau sens interdit, ces litiges étant désormais appelés à être traités par les juridictions

judiciaires (12).

Le Conseil d’Etat ne pourra encore intervenir comme juge administratif que

dans deux hypothèses assez réduites :

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- soit, si un recours était introduit par l’agent concerné ou un tiers dans les 60 jours de l’acte d’engagement, via le recours à la théorie de l’acte déta-chable (C.E. 29 juin 2012, Dembour, n° 220.130) et à condition que l’affir-mation, contenue dans l’arrêt du 4 mars 2016 précité, selon laquelle « le Conseil d’Etat est sans compétence pour juger de la validité d’un contrat de travail, faire fi de son existence et décider de son écartement au bénéfice de la présomption de l’engagement statutaire », ne vale que lorsque la décision

d’engager l’agent par contrat est devenue définitive ;

- soit, si l’agent contractuel a exercé un recours de tutelle, pour contrôler la légalité de la décision qui aurait été prise par l’autorité de tutelle d’annuler la délibération de l’autorité décentralisée portant sur l’exécution et la rup-ture du contrat de travail. En ce cas, le recours porte sur l’acte unilatéral pris par cette autorité de tutelle, et non sur le contrat, et ce pour autant que le Conseil d’Etat ne considère pas que l’objet réel d’un tel recours porte sur un

contrat devenu définitif en l’espèce.

2° Toute possibilité de requalification de l’engagement contractuel ne nous paraît pas exclue désormais, puisque l’agent pourra toujours présenter une telle de-mande devant le juge judiciaire, lequel est pareillement tenu par le principe de la présomption statutaire et sera sans doute davantage enclin, quant à lui, à écarter le contrat illégal sur base de l’article 159 de la Constitution. De fait, ce n’est pas l’opération de requalification qui est condamnée par l’arrêt Goed-seels, mais seulement la compétence du Conseil d’Etat pour connaître d’une telle

demande.

3° Il n’est pas du tout sûr que ce contentieux relève désormais de la compétence du Tribunal du travail, comme suggéré par le Conseil d’Etat. En effet, si l’agent conteste la régularité du contrat et en demande l’écartement au bénéfice de la présomption statutaire, il n’y a en réalité plus de base à la compétence exclu-sive du tribunal du travail (13), de telle manière que ce serait alors au tribunal de première instance de se prononcer sur une telle demande de requalification. Il y aura sans doute de belles controverses de compétence du tribunal saisi -ainsi que des délais de prescription, différents selon l’objet de l’action- à ani-mer par les plaideurs à l’avenir…

Notes : (1) Cass. 29 avril 1960, J.T. 1960, p. 418 ; cf. dans le même sens, C.E. 9 février

2000, Damoiseau, n° 85.245.

(2) Sur les différentes hypothèses de recrutement contractuel aux différentes voies de pouvoir, cf. J. SAROT, Précis de fonction publique, « La nature juridique de la rela-tion sur l’Administration et son agent », par E. GILLET, Bruylant 1994, p. 25 et suiv. ; P. BOUCQUEY, « L’engagement d’agents contractuels par les communes et le respect des principes généraux du droit administratif, Rev. dr. com. 2003, p. 19

et suiv.

(3) La compétence du Conseil d’Etat pour connaître de ce type de contentieux, en cas de rupture du contrat de travail, n’est cependant pas totalement exclue, dès lors que l’acte de licenciement est en principe précédé d’une décision administrative unilatérale détachable, décidant de licencier l’agent en question (cf. à ce sujet notamment, Th. STIEVENARD, « Le licenciement des agents contractuels des collecti-vités locales », Rev. dr. comm. 2003, p. 47 et suiv. ; L. DEAR et O. DEPRINCE, « Incidences de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs sur le licenciement du personnel contractuel du secteur pu-blic », J.T.T. 2005, p. 173 ; voy. également notre étude J. SOHIER, « Actualités en fonction publique », in Actualités en droit administratif, Cycle de conférences U.B.3, Bruylant 2012, p. 69).

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(4) C.E. 28 février 1985, Geerts, n° 25.085, à propos d’une décision du CPAS d’An-vers portant démission d’office du requérant de ses fonctions de concierge engagé à titre temporaire auprès d’une maison de repos ; C.E. 23 avril 2009, Matthijs, n° 192.580, à propos du licenciement, par le CPAS de Saint-Gilles, du directeur d’une maison de repos, jugeant que « même s’il ressort clairement du dossier admi-nistratif que la volonté des parties étaient d’engager le requérant sous contrat de travail, cette volonté doit s’effacer devant les règles du droit administratif, notam-ment les articles 55 et 56 de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS, lesquels interdisent le recours au contrat de travail pour l’exercice de telles fonctions de direc-teur de maison de repos » ; C.E. 5 juillet 2012, Vanderhasselt, n° 220.177, à pro-pos d’une décision similaire de désigner un agent contractuel pour le poste de di-recteur d’une maison de repos ; cf. également, C.E. 18 novembre 2002 – chambre francophone –, Demoulin et Baillez, n° 112.590, constatant que l’engagement du requérant ne s’inscrit pas dans les hypothèses du statut du personnel de la partie adverse permettant le recours au contrat et qu’il doit dès lors se trouver dans une relation statutaire, mais le dossier ne faisait pas apparaître ici l’existence d’un

écrit non-équivoque à ce sujet.

(5) E. GILLET, « La nature juridique de la relation entre l’Administration et son agent », in Précis de fonction publique par J. SAROT, op. cit., p. 25 et 47 ; cf. dans le même sens, Th. STIEVENARD, « Le licenciement des agents contractuels de la fonction pu-blique, in Droit et contentieux de la fonction publique – 10 années d’actualités, sous la direction de P. Levert et D. Lombaert, IFE 2013, p. 299 et suiv., énonçant que « l’employeur public est toujours autorisé à engager sous contrat, sauf dans les cas où un texte légal ou réglementaire l’interdit ou le restreint, en le soumettant à des conditions objectives particulières. Lorsque l’employeur public procède à un engage-ment d’un agent sous contrat de travail en violation d’un texte légal ou réglementaire interdisant le recours au contrat de travail pour pourvoir à l’emploi concerné, la rela-

tion de travail doit être qualifiée de statutaire avec l’agent ».

(6) cf. C.E. 6 mai 2011, Paliouras, n° 213.041 – rendu en débats succincts – jugeant que le Conseil d’Etat « ne peut faire fi de l’existence d’un contrat de travail, fût-il illégalement conclu, dès lors que la décision d’y recourir est devenue définitive » ; cf. également C.E. 22 janvier 2013, Malengreaux, n° 222.189, avec cette nuance que le requérant ne soutenait pas ici que son engagement contractuel comme « manœuvre » était irrégulier, mais que ce contrat n’était en réalité pas détermi-nant en l’espèce pour apprécier la nature de la relation de travail, dès lors qu’il exerçait, selon lui, en réalité, des prestations de pompier, lesquelles n’étaient pos-

sibles que dans un cadre statutaire.

(7) cf. P. GOFFAUX, Dictionnaire de droit administratif, 2ème éd., Bruylant 2016, se référant notamment à C.E. 23 novembre 1990, Demotte, n° 35.867 et C.E. 10 oc-tobre 2011, Harlez, n° 215.678, présentant l’originalité de se justifier par le cons-tat que l’article 159 de la Constitution ne précise pas expressément la durée d’ap-plication de la prescription qu’il édicte. Ce serait ainsi une lacune que le juge pourrait dès lors combler en appliquant les principes généraux de droit, et, tout particulièrement, le principe de sécurité juridique. Comme l’énonce le Prof. P. GOFFAUX, « le raisonnement repose toutefois sur la prémisse contestable, selon la-quelle parce que l’article 159 de la Constitution ne prévoit pas expressément un délai d’application, il serait de ce seul fait lacunaire. On pourrait fort bien soutenir que si le constituant n’a pas prévu de délai, c’est précisément parce qu’il n’a pas entendu limiter dans le temps le pouvoir du juge de contrôler la légalité sensu lato des actes administratifs qui sont invoqués devant lui » (P. GOFFAUX, Dictionnaire de droit ad-

ministratif, op. cit., p. 562).

(8) Cass. 21 avril 1988, Pas. 1989, I, p. 983 ; R.C.J.B. 1990, p. 402 et note Ph. QUERTAINMONT ; Cass. 9 janvier 1997, R.C.J.B. 2000, p. 257 et note D. LA-

GASSE.

(9) Cass. 8 janvier 2015, J.L.M.B. 2015, p. 875. En l’occurrence, l’arrêt entrepris avait jugé qu’un acte administratif, créateur de droits, mais illégal (il s’agissait d’une

décision ministérielle portant une reconnaissance de dette susceptible d’interrompre

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la prescription et de servir de fondement à l’action du demandeur, alors que le Ministre « n’avait pas compétence d’engager l’Etat belge à réaliser des travaux pour un bien qui n’était pas sa propriété »), était devenu définitif et continuait de ce fait à produire ses effets en dépit de son illégalité, dès lors qu’il n’était plus susceptible d’être annulé, au vu de l’expiration du délai de 60 jours pour intro-

duire un recours en annulation.

(10) Par un arrêt du 9 février 2012, la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de préci-ser, à ce sujet, que, « si l’article 159 de la Constitution ne prévoit, explicitement, aucune restriction au mode de contrôle de légalité qu’il consacre, une telle restric-tion se justifie néanmoins si elle est nécessaire pour assurer le respect d’autres dis-positions constitutionnelles ou de droits fondamentaux » (C.C. 9 février 2012, n° 18/2012). En l’occurrence, la Cour a entendu concilier les dispositions de l’article 159 de la Constitution avec celles de son article 160, consacrant l’existence du Conseil d’Etat et attribuant au législateur le pouvoir de déterminer ses compé-tences et son mode de fonctionnement, ce qui, selon le juge constitutionnel, im-plique que le contrôle juridictionnel de légalité prévu à l’article 159 « doit rai-sonnablement tenir compte de l’effet utile des arrêts d’annulation du Conseil d’Etat et des modalités dont ils peuvent être assortis » (cf. à ce sujet, notamment D. Ren-ders, « L’article 159 de la Constitution prime l’article 14ter des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat », obs. sous Corr. Charleroi, 11 février 2011, J.T. 2011, p. 368 ; M. Nihoul, « L’article 160 de la Constitution combiné avec le principe de sécurité juridique au détriment du principe de légalité : une ‘arme à construction massive’ dans les mains du Conseil d’Etat et de la Cour constitutionnelle », A.P.T.

2012, p. 401).

(11) cf. à ce sujet, C.E. 18 octobre 2000, Dechamp, n° 90.287, J.T. 2001, p. 333 et obs. D. LAGASSE, qui énonce, à juste titre, que « l’argument du principe de la sécurité juridique traditionnellement invoqué par le Conseil d’Etat, ne nous paraît pas devoir l’emporter sur le principe fondamental de la légalité de l’action adminis-

trative, ni sur celui de son contrôle par les juridictions ».

(12) On rappellera ici qu’un avant-projet de loi avait été préparé par la Ministre de la Justice en novembre 2012, tendant à modifier le Code judiciaire pour attribuer dans diverses matières cette compétence au « juge naturel », ce qui aurait justifié le transfert aux tribunaux du travail de l’ensemble du contentieux

relatif à la fonction publique. Ce projet a apparemment fait long feu.

(13) Il faut également se demander si le Tribunal du travail est réellement la juridic-tion la plus adéquate pour connaître de ce type de contentieux très spécifique à l’égard des agents du secteur public. En effet, de par sa composition mixte, le Tribunal du travail fait participer des juges « sociaux » représentant les travail-leurs et les employeurs, présentés par les différentes associations représenta-

tives de ceux-ci, lesquelles concernent, pour l’essentiel, le secteur privé.

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MOTIVATION FORMELLE DU LICENCIEMENT DES AGENTS CONTRACTUELS :

LA FIN DE L’HISTOIRE OU L’HISTOIRE SANS FIN ? (CASS., 12 OCTOBRE 2015)

par Vincent Vuylsteke

Avocat au barreau de Bruxelles ("Van Olmen & Wynant")

1. Introduction

La présente contribution reprend l’intervention de Vincent Vuylsteke à l’occasion de l’Assem-

blée Générale de la Commission de droit public de l’Ordre français du Barreau de Bruxelles

tenue le 24 juin 2016, et elle est donc arrêtée à cette date-là. Un arrêt important rendu le

30 juin par la Cour constitutionnelle, donc juste après l’Assemblée Générale, est toutefois

également mentionné dans le texte.

La problématique de la motivation formelle du licenciement des agents contractuels du

secteur public a déjà fait couler beaucoup d’encre.

Le 12 octobre 2015, la Cour de cassation a rendu une décision importante, fort attendue

par les praticiens. La Cour a considéré que la loi du 29 juillet 1991 relative à la motiva-

tion formelle des actes administratifs ne s’appliquait pas aux licenciements des agents

contractuels.

Dans la foulée, elle a également considéré que l’employeur public n’avait pas commis de

faute en ne respectant pas les principes généraux de bonne administration, et en particu-

lier le principe d’audition. Ceci ne constitue pas le propos de la présente contribution, qui

porte exclusivement sur la question de la motivation.

Le titre de ce texte pose la question de savoir si l’arrêt commenté constitue la fin de l’his-

toire. Il peut d’emblée être mis fin au suspense : ce n’est pas le cas. La décision de la

haute juridiction laisse un certain nombre de questions ouvertes. C’est désormais, plus que

jamais, au législateur d’intervenir en la matière.

Après un résumé de la problématique et une analyse de l’arrêt, l’auteur propose une piste

de réflexion pour l’avenir. La présente contribution est inspirée d’un article récent paru

dans la revue Tijdschrift voor Gemeenterecht, auquel l’auteur renvoie pour plus de détails

(S. DE SOMER, V. VUYLSTEKE, « De Wet Motivering Bestuurshandelingen en het ontslag

van de overheidscontractant : het langverwachte oordeel van het Hof van Cassatie en een

blik op de toekomst », Tijdschrift voor Gemeenterecht, 2016/2, pp. 125 à 138. L’article

contient notamment une analyse plus détaillée des thèses en présence concernant la moti-

vation formelle des licenciements ; parmi les autres contributions doctrinales récentes, on

relèvera notamment S. GILSON, F. LAMINET, Z. TRUSGNACH, Les obligations particulières

de l’employeur public lors du licenciement des travailleurs contractuels – Les méandres de la

doctrine et de la jurisprudence à la croisée des droits administratif et social, Limal, Anthémis,

2016; L. DEAR, A. LHOSTE, « La motivation du licenciement. Les conséquences de l’arrêt

de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 », in L. MARKEY, L. BERTRAND, D. CAS-

TIAUX, L. DEAR, S. WYNSDAU (dir.), Actualités en droit social – Rétrospectives et perspec-

tives concernant la loi sur le statut unique, le régime de chômage avec complément d’entre-

prise et la loi sur les pensions complémentaires, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 41 à 91 ; T.

STIEVENARD, « Licenciement d’un travailleur contractuel du secteur public : quels sont les

derniers développements ? », contribution lors des journées IFE « Actualités du droit et du

contentieux de la fonction publique » des 24 et 25 mai 2016).

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2. Avant l’arrêt de cassation - Rappel de la controverse : « thèse francophone » vs « thèse néerlandophone »

Il existait deux grandes tendances dans la doctrine et la jurisprudence avant l’arrêt com-

menté.

Du côté francophone, les auteurs et les juridictions considéraient traditionnellement (et con-

tinuent d’ailleurs de le faire pour certains même après l’arrêt de la Cour de cassation)

que la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ainsi

que les principes généraux de bonne administration (et, en particulier, le principe d’audi-

tion) étaient applicables aux licenciements des agents contractuels du secteur public

(voyez notamment S. GILSON, F. LAMINET, Z. TRUSGNACH, Les obligations particulières de

l’employeur public lors du licenciement des travailleurs contractuels – Les méandres de la doc-

trine et de la jurisprudence à la croisée des droits administratif et social, Limal, Anthémis,

2016, pp. 144 à 148 ; L. DEAR, A. LHOSTE, « La motivation du licenciement. Les consé-

quences de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 », in L. MARKEY, L. BER-

TRAND, D. CASTIAUX, L. DEAR, S. WYNSDAU (dir.), Actualités en droit social – Rétrospec-

tives et perspectives concernant la loi sur le statut unique, le régime de chômage avec com-

plément d’entreprise et la loi sur les pensions complémentaires, Bruxelles, Larcier, 2016, pp.

73 et 74). La sanction du non-respect de l’obligation de motivation formelle, lorsqu’elle

était reconnue, demeurait toutefois bien souvent frustrante pour les plaignants, dès lors

que les dommages et intérêts octroyés sur cette base étaient généralement limités (entre 0

et 5.000 EUR).

Du côté néerlandophone, en revanche, la doctrine et la jurisprudence se montraient plus

défavorables à l’application de la loi du 29 juillet 1991 et des principes de bonne admi-

nistration (voyez notamment A. DE BECKER, « De motivering van het onstlag van ar-

beidscontractant in de publieke sector », R.W., 2007-2008, pp. 90 et s.).

La division « nord-sud » rappelée ci-avant n’était toutefois pas absolue. Le paysage était

plus nuancé : tous les auteurs néerlandophones n’étaient pas contre l’application de la loi

du 29 juillet 1991 aux licenciements des contractuels (voir A. COOLSAET, « Contractueel

overheidspersoneel », in I. OPDEBEEK, A. COOLSAET (dir.), Formele motivering van bes-

tuurshandelingen, Bruges, Die Keure, 2013, pp. 530 et 531) et, inversement, tous les fran-

cophones n’y étaient pas favorables. Les deux tendances générales précisées ci-avant

pouvaient toutefois être dégagées.

En fin de compte, on peut constater qu’il existait des arguments convaincants en faveur

des deux thèses (S. DE SOMER, V. VUYLSTEKE, « De Wet Motivering Bestuurshandelingen

en het ontslag van de overheidscontractant : het langverwachte oordeel van het Hof van

Cassatie en een blik op de toekomst », Tijdschrift voor Gemeenterecht, 2016/2, pp. 125 à

131). Ainsi, on peut argumenter que licencier un agent contractuel ne constitue pas une

prérogative propre à l’administration, étant donné que ce pouvoir est issu du contrat de

travail, soit un instrument de droit privé. Un tel licenciement n’est d’ailleurs pas attaquable

devant le Conseil d’Etat. Par conséquent, la loi du 29 juillet 1991 ne devrait pas s’appli-

quer. Toutefois, il faut aussi relever que si le licenciement d’un agent contractuel ne peut

pas être attaqué devant le Conseil d’Etat, c’est parce qu’il s’agit d’un contentieux portant

sur un droit subjectif, que le législateur réserve expressément aux juridictions du travail.

Ce n’est pas pour cela qu’il ne s’agirait pas d’un acte à motiver formellement. D’ailleurs, il

ne résulte pas de la loi du 29 juillet 1991 que son champ d’application devrait être iden-

tique à celui des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat. Sans procéder ici à une analyse

détaillée, on peut donc constater qu’il existait des arguments pertinents dans les deux

sens. C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a été amenée à trancher la ques-

tion.

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3. La décision de la Cour de cassation du 12 octobre 2015

Comme illustration du fait que la division « nord-sud » mentionnée ci-avant n’était pas si

tranchée, la Cour de cassation se prononce dans le cadre d’un pourvoi adressé à l’en-

contre d’une décision de la Cour du travail de Gand qui avait considéré que la loi sur la

motivation formelle et les principes de bonne administration s’appliquaient bien au licen-

ciement d’un contractuel, soit une décision néerlandophone qui s’inscrivait donc dans le

sens de la doctrine et de la jurisprudence majoritaires au sud du pays.

La Cour de cassation considère dans son arrêt que ni la loi du 29 juillet 1991, ni les prin-

cipes généraux de bonne administration ne sont applicables aux licenciements des con-

tractuels. Elle souligne ce qui suit (l’arrêt n’est pas encore disponible en français) :

“1. Krachtens artikel 2 Wet Motivering Bestuurshandelingen moeten de bestuurshandelingen

van de besturen bedoeld in artikel 1 uitdrukkelijk worden gemotiveerd. Artikel 1 van die wet

definieert een bestuurshandeling als de eenzijdige rechtshandeling met individuele strekking

die uitgaat van een bestuur en die beoogt rechtsgevolgen te hebben voor één of meer be-

stuurden of voor een ander bestuur en de besturen als de administratieve overheden als be-

doeld in artikel 14 van de gecoördineerde wetten op de Raad van State.

2. Zoals de wetsgeschiedenis aangeeft, volgt uit deze bepalingen niet dat een administratie-

ve overheid die een werknemer ervan in kennis stelt dat zij de tussen hen bestaande arbeids-

overeenkomst beëindigt, verplicht is dit ontslag uitdrukkelijk te motiveren.

3. Het arrest dat oordeelt dat de ontslagbrief waarmee de eiseres aan de verweerder ter

kennis bracht dat zij besloten had de arbeidsovereenkomst te beëindigen, niet voldoet aan

de door de Wet Motivering Bestuurshandelingen opgelegde motiveringsplicht en op die

grond beslist tot het bestaan van een fout in hoofde van de eiseres, verantwoordt zijn beslis-

sing niet naar recht. Het onderdeel is gegrond.

Tweede middel 4. Artikel 32, 3°, Arbeidsovereenkomstenwet bepaalt dat behoudens de alge-

mene wijzen waarop de verbintenissen teniet gaan, de verbintenissen voortspruitende uit de

door deze wet geregelde overeenkomsten een einde nemen door de wil van een der partijen,

wanneer de overeenkomst voor onbepaalde tijd werd gesloten. Krachtens artikel 37, § 1,

eerste lid, Arbeidsovereenkomstenwet heeft ieder der partijen het recht om de arbeidsover-

eenkomst te beëindigen door opzegging aan de andere wanneer de overeenkomst voor on-

bepaalde tijd gesloten is. Artikel 39, § 1, eerste lid, Arbeidsovereenkomstenwet, zoals te

dezen van toepassing, bepaalt dat indien de overeenkomst voor onbepaalde tijd is gesloten,

de partij die de overeenkomst beëindigt zonder dringende reden of zonder inachtneming van

de opzeggingstermijn vastgesteld in de artikelen 59, 82, 83, 84 en 115, gehouden is de

andere partij een vergoeding te betalen die gelijk is aan het lopend loon dat overeenstemt

hetzij met de duur van de opzeggingstermijn, hetzij met het resterende gedeelte van die ter-

mijn.

5. De regeling inzake de beëindiging van arbeidsovereenkomsten voor onbepaalde duur

waarin de voormelde wetsbepalingen voorzien, verplicht een werkgever niet om een werkne-

mer te horen alvorens over te gaan tot diens ontslag. Aan die regeling die overeenkomstig

artikel 1, tweede lid, Arbeidsovereenkomstenwet ook de overeenkomsten beheerst van de

werknemers tewerkgesteld door de gemeenten en wier toestand niet statutair geregeld is, kan

geen afbreuk worden gedaan op grond van een algemeen beginsel van behoorlijk bestuur.

6. Het arrest oordeelt dat “de beginselen van behoorlijk bestuur, met inbegrip van de hoor-

plicht,(…) ook van toepassing [zijn] op het ontslag van contractanten” en stelt vast dat de

eiseres die met de verweerder een arbeidsovereenkomst voor onbepaalde duur had gesloten,

heeft nagelaten om de verweerder te horen vooraleer hem te ontslaan. Het arrest dat op die

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grond beslist tot het bestaan van een fout in hoofde van de eiseres, verantwoordt zijn beslis-

sing niet naar recht. Het middel is gegrond.”

La Cour de cassation penche donc pour la thèse « néerlandophone », qui est celle de la

non application de la loi du 29 juillet 1991. Ceci ne surprend pas réellement, dès lors que

certains arrêts précédents de la haute juridiction semblaient s’inscrire dans la voie de la

séparation stricte entre les règles de droit privé et de droit public. La Cour de cassation

avait ainsi considéré précédemment qu’il n’existait pas d’obligation d’indiquer la possibili-

té d’une action devant le tribunal du travail et le délai de prescription de celle-ci dans la

décision de mettre fin à un contrat de travail (Cass., 28 mars 2011, S.010.0147.F,

www.juridat.be).

Plus récemment, elle avait également relevé que dans le cadre de l’article 63 de la loi du

3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (licenciement abusif des ouvriers), le juge

pouvait tenir compte d’éléments qui ne figurent pas dans la lettre de congé (Cass., 12 mai

2014, S.13.0092.F, www.juridat.be). Même si cet arrêt n’avait pas fermé la porte à l’ap-

plication de la loi du 29 juillet 1991 aux licenciements des contractuels, il en avait en tout

cas réduit les conséquences potentielles.

Désormais, depuis la décision du 12 octobre 2015, la position de la Cour est claire. En

référence au titre de la présente contribution, on soulignera toutefois que l’arrêt de la

Cour de cassation ne constitue pas la fin de l’histoire. Une série importante de questions

demeurent. Pour les comprendre au mieux, il importe de s’arrêter d’abord sur les évolu-

tions importantes qu’a récemment connues le secteur privé dans le domaine du licencie-

ment.

4. Evolutions intervenues dans le secteur privé et questions posées par la situation

actuelle

4.1. Evolutions dans le secteur privé

a) L’article 38 de la loi sur le statut unique

La loi sur le statut unique (loi du 26 décembre 2013 concernant l'introduction d'un sta-

tut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le

jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement) a modifié de manière im-

portante les règles en matière de licenciement des travailleurs sous contrat de travail,

notamment en ce qui concerne les délais de préavis.

L’article 38 prévoit l’introduction d’un régime de motivation. Il distingue les employeurs

visés par la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les

commissions paritaires et leurs travailleurs (soit les entreprises du secteur privé et cer-

taines institutions publiques nommément visées) et ceux qui ne le sont pas (soit la

grande majorité des institutions du secteur public, ce qui explique que nous appelle-

rons ci-après « secteur public » les institutions non visées par la loi de 1968). Pour les

premiers, le législateur invite les partenaires sociaux à conclure une Convention Col-

lective de Travail, qui sera rendue obligatoire par arrêté royal, relative à la motiva-

tion des licenciements. Pour le secteur public, un régime de motivation qui devra être

« analogue » à celui de la CCT conclue dans le secteur privé est mentionné. Jusqu’à

l’introduction de ces régimes de motivation, l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978

reste applicable, puisque l’article 38 prévoit ceci :

« L'article 63 de la même loi, modifié par la loi du 22 janvier 1985 et l'arrêté

royal du 21 mai 1991 cesse de s'appliquer :

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1° en ce qui concerne les employeurs qui relèvent du champ d'application de la loi du 5

décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires

et leurs travailleurs, à partir de l'entrée en vigueur d'une convention collective de travail

conclue au sein du Conseil National du Travail, rendue obligatoire par le Roi, relative à

la motivation du licenciement;

2° en ce qui concerne les employeurs qui ne relèvent pas du champ d'application de la loi

du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions pari-

taires et leurs travailleurs, à partir de l'entrée en vigueur d'un régime analogue à celui

prévu par la convention collective de travail visée au 1°. »

b) La CCT 109

Pour les entreprises visées par la loi du 5 décembre 1968 précitée (le « secteur pri-

vé »), un régime de motivation des licenciements a été prévu dans la CCT 109, con-

clue le 12 février 2014 et entrée en vigueur le 1er avril 2014.

Cette CCT, qui a donc remplacé le régime antérieur et en particulier l’article 63 de la

loi sur les contrats de travail, vaut pour les contrats à durée indéterminée. Le Chapitre

II (articles 2 et s.) détaille le champ d’application, et prévoit entre autres que la CCT

109 ne s’applique pas à certaines hypothèses de licenciement (notamment le licencie-

ment en raison de la cessation définitive d’activité).

La CCT 109 prévoit que le travailleur a le droit d’être informé des motifs de son li-

cenciement (article 3). Il dispose d’un délai (cf. article 4 : deux mois après la fin du

contrat de travail et, si le préavis est presté, six mois après le congé sans dépasser

deux mois après la fin du contrat) pour demander à son employeur les motifs de son

licenciement. La motivation est donc prévue sur demande, ce qui constitue une diffé-

rence majeure avec le régime de motivation formelle résultant de la loi du 29 juillet

1991 (laquelle prévoit une motivation formelle « d’office », qui doit figurer dans

l’acte administratif même ou dans un document communiqué au plus tard avec l’acte

en cause). On précisera que ce régime de motivation sur demande ne s’applique pas

au licenciement pour motif grave, lequel doit être motivé d’emblée en application de

l’article 35 de la loi relative aux contrats de travail.

Si l’employeur n’a pas communiqué les motifs (soit d’initiative, soit après la demande

formulée par le travailleur), il est redevable à ce travailleur d’une amende civile for-

faitaire correspondant à deux semaines de rémunération (article 7).

Le chapitre IV de la CCT 109 (articles 8 et s.) constitue le cœur du système de contrôle

des licenciements instauré par la CCT 109. La CCT 109 introduit la notion de

« licenciement manifestement déraisonnable », soit, selon l’article 8, « (…) le licencie-

ment d’un travailleur engagé pour une durée indéterminée, qui se base sur des motifs qui

n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés

sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, et

qui n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable ».

L’article 9 prévoit l’indemnisation en cas de licenciement reconnu comme étant mani-

festement déraisonnable. Elle doit être fixée à un montant correspondant au minimum

à 3 semaines et au maximum à 17 semaines de rémunération. Le préambule de la

CCT 109 prend également soin de souligner que « le travailleur peut toutefois toujours

invoquer l’abus du droit de licencier par l’employeur en application de la théorie civiliste

de l’abus de droit, s’il peut en prouver les éléments ».

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La motivation formelle de la décision a une influence sur la charge de la preuve du

caractère manifestement déraisonnable ou non du licenciement. L’article 10 de la CCT

prévoit en effet que si l’employeur a communiqué les motifs du licenciement, la partie

qui allègue des faits en assume la charge de la preuve. En revanche, lorsque l’em-

ployeur n’a pas donné suite à la demande du travailleur de connaître les motifs, il lui

appartient de fournir la preuve des motifs du licenciement invoqués qu’il n’a pas com-

muniqués au travailleur et qui démontrent que le licenciement n’est pas manifestement

déraisonnable. A l’inverse, si le travailleur n’a pas introduit de demande visant à con-

naître les motifs de son licenciement, il lui appartiendra de fournir la preuve d’élé-

ments qui indiquent le caractère manifestement déraisonnable du licenciement.

La CCT 109 introduit donc un système de contrôle des licenciements consistant dans la

vérification du caractère manifestement déraisonnable ou non du licenciement. La mo-

tivation formelle est prévue sur demande (ce qui constitue une grande différence avec

la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs) et

est un élément important de ce système de contrôle, mais la violation de cette obliga-

tion n’impliquera pas nécessairement que le licenciement sera qualifié comme étant

manifestement déraisonnable. Les partenaires sociaux ont notamment été sensibles au

rôle préventif de la communication des motifs, puisque le préambule de la CCT 109

souligne, entre autres, que « les partenaires sociaux estiment que le droit pour un tra-

vailleur de connaître les motifs concrets qui ont conduit à son licenciement peut avoir un

effet préventif à l’égard des procédures de contestation d’un licenciement. En effet, lors-

que le travailleur est informé des motifs concrets qui sont à l’origine de son licenciement,

il pourra apprécier s’il peut contester ce licenciement sur la base des motifs invoqués à

cet effet ou s’il peut accepter la décision de l’employeur de le licencier. L’employeur est

encouragé à préciser ses motivations et le travailleur pourra se forger une opinion éclai-

rée, ce qui permettra d’éviter des procédures judiciaires ». La motivation formelle est

donc importante, et elle permet au destinataire de comprendre les motifs de la déci-

sion, mais l’élément principal est la vérification du caractère manifestement déraison-

nable ou non du licenciement. L’employeur peut s’appuyer à cet égard sur des élé-

ments qui ne figuraient pas dans la motivation formelle, pour autant qu’ils soient avé-

rés et légitimes.

4.2. La situation actuelle implique de nouvelles questions

La situation actuelle est paradoxale, puisqu’il existe une obligation de motivation dans

le secteur privé, mais pas dans le secteur public. On est pourtant en principe en droit

d’attendre plus de transparence du secteur public.

Dans ce contexte, de nouvelles questions ne manquent pas de se poser. Outre la dif-

férence de traitement qui peut être constatée entre les travailleurs contractuels du

secteur privé et du secteur public, deux questions particulières retiennent l’attention.

a) Existe-t-il une discrimination, au sein du secteur public, entre les travailleurs statutaires

et les travailleurs contractuels ?

Selon l’arrêt de la Cour de cassation, les principes de bonne administration ne sont

pas applicables aux décisions de licenciement des contractuels. Au sein du secteur

public, les travailleurs contractuels et les travailleurs statutaires ne bénéficient donc

pas de l’application des mêmes règles.

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Certains y voient une discrimination. Par jugement du 14 avril 2016 (numéro de rôle

14/13388/A), le tribunal du travail de Bruxelles a posé une question préjudicielle à

la Cour constitutionnelle tendant à savoir s’il n’était pas contraire aux articles 10 et 11

de la Constitution que le principe d’audition ne s’applique qu’aux statutaires et pas

aux contractuels.

b) Article 63 de la loi relative aux contrats de travail : l’imbroglio

L’article 63 est toujours formellement applicable au secteur public

Comme explicité ci-avant, il ressort de l’article 38 de la loi sur le statut unique que

l’article 63 de la loi sur les contrats de travail (qui prévoit, pour les ouvriers, le con-

cept de « licenciement abusif ») a cessé de s’appliquer, dans le secteur privé, à

partir de l’entrée en vigueur de la CCT 109 (le 1er avril 2014).

Dans le secteur public, l’article 38 précité prévoit que l’article 63 demeure appli-

cable jusqu’à l’entrée en vigueur d’un régime de motivation « analogue » à celui du

secteur privé.

Pour rappel, l’article 63 de la loi relative aux contrats de travail dispose, pour les

ouvriers uniquement, que l’employeur doit apporter la preuve du caractère non

abusif du licenciement. A défaut, une indemnité forfaitaire correspondant à six mois

de rémunération est due. Ce régime de protection particulier pour les ouvriers était

perçu comme la contrepartie des délais de préavis plus réduits applicables aux

ouvriers. Par contre, les employés se plaignant d’un abus du droit de licencier de-

vaient s’appuyer sur les théories civilistes classiques, basées sur les articles 1134 et

1382 du Code civil, lesquelles impliquent la démonstration de la faute, du dom-

mage et du lien causal.

L’article 63 prévoit ce qui suit :

« Est considéré comme licenciement abusif pour l'application du présent article, le

licenciement d'un ouvrier engagé pour une durée indéterminée effectué pour des

motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne

sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établisse-

ment ou du service.

En cas de contestation, la charge de la preuve des motifs du licenciement invoqués

incombe à l'employeur.

Sans préjudice de l'article 39, § 1er, l'employeur qui licencie abusivement un ou-

vrier engagé pour une durée indéterminée est tenu de payer à cet ouvrier une

indemnité correspondant à la rémunération de six mois, sauf si une autre indemni-

sation est prévue par une convention collective de travail rendue obligatoire par le

Roi.

L'indemnité visée à l'alinéa 3 est due indépendamment du fait que l'ouvrier a été

licencié avec ou sans préavis; elle ne peut être cumulée avec les indemnités prévues

à l'article 39, §§ 2 et 3, de la présente loi, aux articles 16 à 18 de la loi du 19

mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du

personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'em-

bellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats-délégués du person-

nel, ou à l'article 118, § 3, de la loi de redressement du 22 janvier 1985 portant

des dispositions sociales.»

Cette disposition continue donc à s’appliquer au secteur public, dans l’attente d’un

régime de motivation « analogue » à celui de la CCT 109.

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La jurisprudence de la Cour constitutionnelle critiquant l’article 63

La Cour constitutionnelle s’en est également mêlée. Dans un arrêt n° 187/2014 du

18 décembre 2014, elle a considéré que l’article 63 est inconstitutionnel car il

créée une discrimination entre ouvriers et employés.

Dans la lignée de l’arrêt n° 125/2011 du 7 juillet 2011, relatif aux délais de pré-

avis, la Cour assortit le constat d’inconstitutionnalité d’un maintien des effets de la

disposition censurée, et ce jusqu’au 1er avril 2014, date d’entrée en vigueur de la

CCT 109. La Cour souligne qu’il s’agit d’éviter une « insécurité juridique considérable

» et que cette situation puisse « engendrer des difficultés financières graves pour un

grand nombre d’employeurs » (point B.5 de l’arrêt).

Il subsiste néanmoins une difficulté, et non des moindres : dans le secteur public,

l’article 63 est appelé à produire ses effets au-delà du 1er avril 2014, puisque

cette disposition est maintenue, en vertu de l’article 38 de la loi sur le statut unique,

jusqu’à l’entrée en vigueur d’un régime de motivation.

A la date de l’Assemblée Générale de la Commission de droit public, le 24 juin

2016, nous nous devions de constater que c’était dès lors l’incertitude totale qui

régnait. L’article 63 s’appliquait toujours formellement mais avait été déclaré in-

constitutionnel. Les conséquences d’une telle situation n’étaient pas claires : fallait-il

en conclure que les ouvriers ne pouvaient plus invoquer l’article 63 ? Ou fallait-il,

au contraire, considérer que les employés, pourtant non visés par cette disposition,

pouvaient également en revendiquer l’application ? Nous relevions, le 24 juin der-

nier, l’existence d’une procédure pendante devant la Cour constitutionnelle concer-

nant l’application de l’article 63 dans le secteur public. L’arrêt de la Cour dans

cette affaire a finalement été prononcé le 30 juin 2016, moins d’une semaine après

l’Assemblée Générale. Bien que cet arrêt n’ait pas pu être commenté lors de

l’Assemblée Générale, il nous semble important de le mentionner.

Interrogée sur l’existence d’une discrimination entre ouvriers et employés dans le

secteur public, la Cour constitutionnelle confirme, dans son arrêt n°101/2016 du 30

juin 2016, que les articles 10 et 11 de la Constitution sont violés. La Cour se réfère

à son arrêt du 18 décembre 2014 et observe que le constat d’inconstitutionnalité

s’impose d’autant plus que le législateur a désormais prévu un régime unique de

délais de préavis, depuis l’adoption de la loi du 26 décembre 2013.

A l’instar de ce qui avait été accordé dans l’arrêt du 18 décembre 2014, le Con-

seil des ministres avait demandé de maintenir les effets de l’article 63 après le 31

mars 2014. La Cour refuse cette demande. Visiblement agacée par l’inertie du

législateur en la matière, elle souligne qu’il lui appartient d’adopter « sans délai »

un régime de protection contre les licenciements manifestement déraisonnables dans

le secteur public (ou, plus exactement, dans les entreprises ne relevant pas du

champ d’application de la loi du 5 décembre 1968).

La Cour s’oppose au maintien de l’application de l’article 63, et ce même pour les

ouvriers. Elle précise, in fine, que « dans l’attente de l’intervention du législateur, il

appartient aux juridictions, en application du droit commun des obligations, de garan-

tir sans discrimination les droits de tous les travailleurs du secteur public en cas de li-

cenciement manifestement déraisonnable, en s’inspirant, le cas échéant, de la Conven-

tion collective de travail n°109 ».

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La Cour constitutionnelle utilise donc la CCT 109 comme référence pour le secteur

public, et invite les juridictions à s’en inspirer temporairement, en attendant l’inter-

vention du législateur.

4.3. Eléments de réflexion en vue des choix à poser pour l’avenir

La situation dans le secteur public est donc empreinte d’une grande incertitude à

l’heure actuelle. Il est donc souhaitable que le législateur intervienne le plus rapide-

ment possible.

Quelques éléments de réflexion à cet égard sont repris ci-dessous, avant une propo-

sition concrète en vue de sortir de l’impasse.

a) L’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 met-il fin à la controverse concer-

nant l’application de la loi du 29 juillet 1991 ?

La question se pose, lorsque l’on aborde les perspectives futures, de savoir si l’arrêt

de la Cour de cassation tranche définitivement la controverse relative à l’application

de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs

aux licenciements des contractuels du secteur public.

Tout en rappelant qu’un revirement de jurisprudence est toujours possible, force est de

constater que la position de la Cour de cassation concernant l’application de la loi du

29 juillet 1991 est désormais sans équivoque.

Il nous revient que le Conseil d’Etat devrait se prononcer prochainement dans le cadre

d’un recours lié à une décision de licenciement d’un contractuel contestée auprès de

l’autorité de tutelle. Même si le juge administratif n’est nullement tenu par la décision

de la Cour de cassation, on peut tout de même penser qu’il adoptera la même posi-

tion.

L’auteur ne partage pas la position défendue après l’arrêt de la Cour de cassation et

selon laquelle la loi du 29 juillet 1991 conserverait sa pertinence dans la cadre de la

fin du contrat du travail dans la mesure où ce n’est pas le congé qui devrait être for-

mellement motivé, mais bien la décision de l’autorité de licencier (voir S. GILSON, F.

LAMINET, Z. TRUSGNACH, Les obligations particulières de l’employeur public lors du

licenciement des travailleurs contractuels – Les méandres de la doctrine et de la jurispru-

dence à la croisée des droits administratif et social, Limal, Anthémis, 2016, pp. 67 et s.).

Cette motivation « formelle » de l’autorité compétente pour licencier ne devrait pas

nécessairement être transmise au destinataire mais devrait permettre de faciliter le

contrôle ultérieur, notamment de l’autorité de tutelle. Une telle position nous paraît

contestable car le but de la loi du 29 juillet 1991 est d’informer le destinataire de

l’acte de ses motifs. Une motivation formelle qui n’est pas portée à la connaissance du

destinataire de l’acte n’est pas une motivation au sens de la loi du 29 juillet 1991.

Par contre, il convient de rappeler que l’arrêt de la Cour de cassation ne permet pas

aux autorités publiques d’évoluer en roues libres. La motivation matérielle de la déci-

sion demeure essentielle : l’administration doit toujours faire reposer des décisions sur

des motifs adéquats, que le juge peut être appelé à contrôler. Mais il s’agit là d’une

motivation matérielle et non d’une motivation formelle de l’acte au sens de la loi du

29 juillet 1991, c’est-à-dire une motivation à transmettre au destinataire de la déci-

sion.

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Rien n’empêche les autorités de motiver les décisions de licenciement dans l’acte

même, et ceci offre des avantages en termes de transparence et facilite le contrôle du

juge, mais à l’heure actuelle, une administration ne devrait pas être condamnée pour

ne pas l’avoir fait.

Quant à l’obligation d’audition, qui ne constitue pas l’objet de cette contribution, on

constatera simplement, au-delà du principe général de droit public, qu’en vertu no-

tamment du principe d’exécution de bonne foi des conventions, il peut être utile d’en-

tendre l’agent dans certains cas, particulièrement quand le licenciement est lié au com-

portement. Les discussions quant à l’existence d’une véritable obligation à cet égard

se poursuivent actuellement en doctrine et en jurisprudence.

b) L’application pure et simple de la loi du 29 juillet 1991 n’aurait pas mis fin aux diffé-

rences qui existent entre les statutaires et les contractuels

L’importance donnée dans la doctrine à la controverse relative à l’application de la

loi du 29 juillet 1991 aux contractuels peut être trompeuse. On pourrait en déduire

que l’application de la loi du 29 juillet 1991, éventuellement combinée avec les prin-

cipes de bonne administration, aurait été de nature à rapprocher sensiblement la si-

tuation des contractuels et celle des statutaires. Or, plusieurs différences plus essen-

tielles auraient en tout état de cause subsisté entre les statutaires et les contractuels

(stabilité d’emploi, etc.). La constatation vaut en particulier pour le mécanisme de pro-

tection juridictionnelle. Il convient en effet de rappeler qu’en cas d’illégalité d’une

décision prise à l’encontre d’un statutaire, le Conseil d’Etat prononce l’annulation de la

décision, c’est-à-dire son anéantissement avec effet rétroactif. Pour une décision impli-

quant la rupture du lien statutaire, cela implique donc la réintégration de l’agent, sauf

si l’administration adopte une nouvelle décision après l’annulation. En revanche, en cas

d’illégalité d’une décision prise à l’encontre d’un agent contractuel, les juridictions du

travail condamneront tout au plus les administrations au paiement d’une indemnité.

Elles ne prononceront pas l’annulation de la décision.

Imposer les mêmes règles aux statutaires et aux contractuels, notamment concernant la

motivation, n’est donc pas de nature à conférer à ces catégories de membres du per-

sonnel une protection similaire. Ceci permet de relativiser le débat sur la question de

la motivation formelle. Ne pas prévoir les mêmes règles de motivation pour les statu-

taires et les contractuels n’est pas anormal dans un système juridique où ces deux ca-

tégories de personnel ne disposent en tout état de cause pas de la même protection

juridictionnelle.

c) Les conséquences limitées du non-respect de la motivation formelle d’ « initiative » au

sens de la loi du 29 juillet 1991

Dans le cadre de notre réflexion sur les choix à poser par le législateur, il nous paraît

également important de revenir sur la réalité suivante : pour les plaignants, la loi du

29 juillet 1991 a souvent un côté frustrant puisqu’obtenir gain de cause sur cette base

se révèlera souvent une victoire aux conséquences fort limitées.

Avant l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015, les contractuels licenciés

qui voyaient reconnaître leur licenciement comme étant fautif pour violation de l’obli-

gation de motivation formelle, devaient démontrer un dommage consistant dans la

perte d’une chance de conserver leur emploi. Dans ce contexte, plusieurs décisions ont

considéré qu’il y avait une faute, mais pas de dommage. D’autres décisions ont accor-

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dé des dommages et intérêts relativement réduits, rarement supérieurs au montant de

5.000 EUR. La même réflexion vaut pour le principe d’audition.

Obtenir gain de cause sur cette base ne permettait donc pas d’obtenir une indemnisa-

tion très importante, et en particulier depuis que la Cour de cassation a décidé, dans

son arrêt du 12 mai 2014 mentionné ci-avant, que l’absence de motivation formelle

n’impliquait pas nécessairement un licenciement abusif au sens de l’article 63 de la loi

relative aux contrats de travail. La victoire n’était souvent que de principe.

Pour les statutaires également, obtenir gain de cause sur la base d’un vice de motiva-

tion formelle se révèle aussi souvent décevant. Si l’annulation prononcée par le Conseil

d’Etat ne touche qu’à la motivation formelle, l’autorité publique peut en effet prendre

une nouvelle décision et adopter un acte de réfection. En droit de la fonction publique,

la jurisprudence du Conseil d’Etat considère d’ailleurs que l’acte de réfection peut être

assorti d’un effet rétroactif lorsque le vice corrigé est de nature formelle (C.E., arrêt

n° 115.351, Dubuc, du 31 janvier 2003, www.raadvst-consetat.be).

La motivation formelle telle qu’elle est prévue dans la loi du 29 juillet 1991 constitue

une obligation juridique importante, dont on ne déniera évidemment pas l’utilité. Mais

il faut se rendre compte du fait que les conséquences de sa violation peuvent se révé-

ler (très) limitées pour les plaignants.

5. Un système de motivation sur demande dans le secteur public ?

Après les éléments de réflexion formulés ci-dessus, il est temps de procéder à l’ana-

lyse finale.

5.1. La motivation formelle en tant qu’accessoire du droit d’accès au juge

Dans le contexte précédemment décrit, il est utile de revenir à un des rôles premiers

de la motivation formelle, à savoir son rôle préventif. Une des idées phares à la base

de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs

est en effet de permettre d’informer l’administré des raisons pour lesquelles l’adminis-

tration a pris la décision, ce qui lui permet d’apprécier s’il y a lieu ou non d’introduire

un recours (X. DELGRANGE, B. LOMBAERT, « La loi du 29 juillet 1991 relative à la

motivation formelle des actes administratifs : questions d’actualité », in P. JADOUL, S.

VAN DROOGHENBROECK (dir.), La motivation formelle des actes administratifs,

Bruxelles, La Charte, 2005, pp. 4 à 6). Le législateur voulait éviter les recours à

l’aveugle, c’est-à-dire les recours introduits uniquement pour connaître les motifs de

l’acte, sachant que la motivation formelle faciliterait également le travail ultérieur du

juge.

La même idée se retrouve dans le préambule de la CCT 109, comme déjà précisé ci-

avant.

A cet égard, on observera que la loi du 29 juillet 1991 ne remplit pas vraiment son

rôle préventif devant le Conseil d’Etat. Alors qu’elle avait notamment pour objet d’évi-

ter les recours introduits uniquement pour connaître les motifs d’une décision, force est

de constater que le moyen pris de la violation de la motivation formelle est, aujour-

d’hui, devenu le moyen le plus utilisé devant le Conseil d’Etat...

L’exigence de motivation formelle est donc en grande partie liée à l’accès à la justice,

puisqu’elle permet de connaître les motifs d’une décision. Elle a donc un rôle impor-

tant. Toutefois, la motivation formelle ne doit pas prendre plus d’importance que le

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fond de la décision. L’essentiel demeure l’exigence de motivation matérielle, selon

laquelle chaque décision doit reposer sur un dossier révélant les motifs adéquats sur

lesquels se base l’autorité, et ceci vaut tant pour les décisions à l’égard des statutaires

que des contractuels. Le contrôle de la motivation formelle ne peut prendre le pas sur

celui de la motivation matérielle.

5.2. La CCT 109 dans le secteur public ?

Dans le contexte précédemment décrit, nous plaidons pour un système comparable à

celui de la CCT 109 pour le licenciement des contractuels du secteur public.

Dans le cadre de la CCT 109, le cœur du débat est le caractère manifestement dé-

raisonnable ou non du licenciement. Et la motivation formelle (dans l’acte), qui est pré-

vue sur demande, retrouve sa juste place : elle est importante, mais reste avant tout un

élément facilitant l’accès à la justice. Le non-respect de l’obligation de motivation for-

melle par l’employeur implique une petite sanction et a une influence sur la charge de

la preuve. C’est le contrôle du caractère manifestement déraisonnable ou non du li-

cenciement qui est l’élément central du système.

Force est de constater qu’un tel contrôle du fond des décisions manque actuellement

dans le secteur public. Les travailleurs contractuels du secteur public méritent pourtant

un système clair, permettant un contrôle effectif des décisions.

Dans ce contexte, un système de motivation sur demande se justifierait parfaitement.

Le législateur pourrait donc largement s’inspirer de la CCT 109.

Les droits des travailleurs seraient préservés. La différence de traitement avec les

statutaires, qui bénéficient d’une motivation « d’initiative » seraient à notre estime

justifiée. Il convient en effet de ne pas oublier une grande différence entre un statu-

taire et un contractuel : le statutaire ne dispose que de soixante jours pour introduire

un recours devant le Conseil d’Etat (et il sera même bien inspiré d’agir plus rapide-

ment s’il entend obtenir la suspension de la décision). Il doit donc connaître rapidement

les motifs. En revanche, un travailleur contractuel dispose d’un délai d’un an après la

cessation du contrat pour introduire un recours devant le tribunal du travail (article 15

de la loi relative aux contrats de travail). Il existe donc un délai suffisamment impor-

tant pour prévoir une demande de communication des motifs du travailleur, et la ré-

ponse de l’employeur. Un système de motivation sur demande permet d’éviter les re-

cours introduits à l’aveugle.

Prévoir une motivation sur demande ne signifie aucunement que l’autorité reçoive un

blanc-seing pour adopter n’importe quelle décision et dispose ensuite d’un délai pour

essayer de la justifier. La décision devra, en tout état de cause, reposer sur un dossier

clair, faisant apparaître les motifs adéquats de la décision, et qui devra exister au

moment du licenciement. L’exigence de motivation matérielle devra être strictement

respectée.

Soyons bien clairs : nous n’avons aucune objection à ce que le législateur prévoie une

motivation d’initiative dans le secteur public, assortie d’une sanction raisonnable.

C’était d’ailleurs en ce sens là que s’inscrivait un projet de texte qui avait été établi

sous le gouvernement précédent. Mais le caractère d’initiative ou non de la motivation

reste un débat d’ordre plutôt secondaire. Ce qui importe surtout, c’est que le secteur

public ne soit plus le parent pauvre du contrôle du contenu des licenciements.

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L’article 38 de la loi sur le statut unique prévoit l’instauration, dans le secteur

public, d’un régime de motivation « analogue » à celui du secteur privé. Le légi-

slateur a tout en main : un simple « copier-coller » de la CCT 109 est tout à fait

possible. L’essentiel est l’instauration rapide d’un système de contrôle clair. Des

discussions sans fin sur le caractère sur demande ou non de la motivation ne peu-

vent y faire obstacle.

Depuis l’arrêt de cassation du 12 octobre 2015, certains invoquent la jurispru-

dence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de procès équi-

table. Dans un arrêt KMC c. Hongrie en 2012, la Cour européenne a ainsi rap-

pelé l’obligation d’exposer aux travailleurs les motifs du licenciement. Une déci-

sion récente du tribunal du travail de Liège, section Dinant, du 18 janvier 2016

se réfère notamment à cet arrêt (R.G. 14/481/A, mentionnée dans S. GILSON,

F. LAMINET, Z. TRUSGNACH, Les obligations particulières de l’employeur public

lors du licenciement des travailleurs contractuels – Les méandres de la doctrine et de

la jurisprudence à la croisée des droits administratif et social, Limal, Anthémis,

2016, p. 75).

A notre sens, une motivation sur demande respecte les obligations internationales.

Le droit international ne va pas aussi loin que d’imposer une motivation d’initia-

tive. On peut d’ailleurs se référer à cet égard aux recommandations n° 166 de

l’Organisation Internationale du Travail sur le licenciement qui, dès 1982, pré-

voyaient ceci en leur article 13 :

« Un travailleur auquel son licenciement a été notifié ou qui a été licencié devrait

avoir le droit de se faire délivrer, à sa demande, par l'employeur une déclaration

écrite du motif ou des motifs du licenciement. »

6. Conclusion

La situation actuelle dérange car le secteur public est à la traîne en matière de con-

trôle des licenciements.

Pourtant, le législateur a tous les éléments en main pour créer un système cohérent. Il

lui suffirait de s’inspirer de la CCT 109. L’article 38 de la loi sur le statut unique vise,

au sujet du régime à introduire dans le secteur public, un régime « analogue ». Pour-

quoi dès lors ne pas reprendre la CCT 109, éventuellement moyennant certaines

adaptations ? La Cour constitutionnelle elle-même utilise d’ailleurs la CCT 109 comme

référence pour le secteur public dans son arrêt du 30 juin 2016, et invite les juridic-

tions à s’en inspirer temporairement, en attendant l’intervention du législateur.

Bien que ceci ne soit nullement obligatoire sur le plan juridique, nous ne sommes pas

contre une adaptation du régime de la CCT 109 qui consisterait à prévoir une motiva-

tion d’initiative et non sur demande. Mais les discussions quant au caractère sur de-

mande ou non de la motivation ne peuvent justifier l’immobilisme et constituer un obs-

tacle à l’introduction d’un système adéquat de contrôle des licenciements.

L’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 ne constitue donc clairement pas

la fin de l’histoire. Espérons toutefois que l’histoire ne se révèlera pas sans fin et qu’un

système cohérent, éventuellement calqué sur celui de la CCT 109, voie le jour prochai-

nement.

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VERS UNE PRIVATISATION DE LA FONCTION PUBLIQUE ?

Par Laure DEMEZ

Avocate au barreau de Bruxelles ("Cambier Avocats")

1. Contractualisation de la fonction publique en Belgique

Depuis de nombreuses années, au gré des réformes législatives et réglementaires, au gré

de l’évolution jurisprudentielle, on ne peut que faire ce constat. L’engagement contractuel

dans la fonction publique est encouragé, voire privilégié.

Un des fondements du régime statutaire qui est d’assurer à l’agent, en contrepartie des

contingences du service, la stabilité d’emploi lui garantissant un minimum d’indépendance

et de protection à l’égard du politique est désormais remis en cause.

L’encouragement de la contractualisation résulte de l’applicabilité évolutive des lois du

service public aux agents contractuels de la fonction publique (A.), au stade de l’engage-

ment, de l’extension des hypothèses d’engagements contractuels et de leur interprétation

moins restrictive (B.), au stade de la carrière, de l’ouverture de perspectives de carrière

administrative et pécuniaire dans le chef des agents contractuels (C .) et, au stade du li-

cenciement, de la non application des principes généraux du droit administratif (D.).

A. De l’applicabilité des lois du service public aux contractuels de la fonction publique

1. Alors même que la prérogative de changement unilatérale résultant de la loi du chan-

gement paraît conceptuellement incompatible avec le droit du contrat, dans un arrêt

du 11 octobre 2010 (1), la Cour de cassation fait une application nuancée de ce ius

variandi aux contractuels de la fonction publique en autorisant la modification unilaté-

rale d’un élément du contrat et le fait de revenir sur les clauses du contrat si l’intérêt

général l’exige. La Cour de cassation précise que toute modification unilatérale im-

portante d’un élément essentiel au contrat (2) ne constitue pas automatiquement un

acte équipollent à rupture, notamment lorsque la modification est justifiée par des

considérations stratégiques importantes et n’entraîne aucune dévalorisation ou rétro-

gradation.

Sur base de cet arrêt, l’autorité peut ainsi se prévaloir des circonstances de l’espèce

et, notamment, des nécessités du service pour s’opposer à la dénonciation d’un acte

équipollent à rupture.

Par ailleurs, selon une certaine doctrine, l’application de la loi du changement ne se-

rait pas conceptuellement incompatible avec le caractère contractuel de l’engage-

ment, les agents contractuels se trouvant toujours en « situation » légale et réglemen-

taire ou de droit public (3).

2. Quant à la loi de continuité du service public qui implique des prestations continues de

la part de ceux qui assurent ce service public, l’évolution constatée (cfr points 16 et

17 ci-après) visant à autoriser l’engagement de contractuels dans des emplois dits

« permanents » permettrait de défendre le fait que la continuité du service pourrait

être assurée tout autant par des agents contractuels que par des agents statutaires.

3. Quant au principe de l’égale admissibilité aux emplois publics, tel qu’il est établi par

l’article 10 de la Constitution, dont est déduit, d’une part, la règle de l’objectivité du

recrutement et de la progression des agents et, d’autre part, la règle de la comparai-

son des titres et mérites des candidats à une nomination ou une promotion, il trouve

également à s’appliquer pour les agents contractuels.

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Au niveau fédéral, dans son avis n°38.002/1 du 10 février 2005 sur l’avant-projet

d’arrêté royal du 25 avril 2005 fixant les conditions d'engagement par contrat de

travail dans certains services publics, le Conseil d’Etat a relevé l’importance d’une sé-

lection objective des agents contractuels. La section du contentieux administratif du

Conseil d’Etat s’est prononcée dans le même sens (4).

4. Finalement, doctrine et jurisprudence tolèrent majoritairement que la liberté d’expres-

sion consentie à un agent contractuel soit quelque peu restreinte par un certain devoir

de réserve, devoir de discrétion, voire de neutralité (5).

B. Des hypothèses d’engagements de contractuels

1. Dès 1932 et à de nombreuses reprises depuis lors, la Cour de cassation a énoncé le

principe du recrutement statutaire du personnel des services publics (6).

Après quelques atermoiements, la jurisprudence du Conseil d’Etat a aligné sa position

de principe sur celle de la Cour de cassation. Elle retient ainsi le principe de la pré-

somption de l’engagement statutaire des agents publics et l’exception de l’engage-

ment contractuel (7).

Les juridictions de l’ordre judiciaire ont adopté une jurisprudence identique.

2. Afin d’éviter les abus d’engagements contractuels dans les « circonstances exception-

nelles » - dont l’étendue est appréciée au cas par cas par l’autorité -, la liste des hy-

pothèses d’engagements contractuels a été fixée limitativement par des textes légaux

et réglementaires.

3. Concernant la fonction publique fédérale, les articles 3 et 4 de la loi du 22 juillet 1993

portant certaines mesures en matière de fonction publique (8) consacrent le principe du

recrutement statutaire et ses exceptions (9).

Il est à rappeler que les articles 443 et 450 de la loi-programme du 24 décembre

2002 (10) ont modifié l’article 4 de cette législation pour habiliter le Roi à déterminer

librement de la façon la plus large les circonstances justifiant le recours à des engage-

ments contractuels, et ce en lieu et place des quatre hypothèses traditionnelles stricte-

ment déterminées. Cette nouvelle disposition doit entrer en vigueur à une date fixée

par arrêté royal, lequel n’a toujours pas été adopté à ce jour.

Cela étant, bien que les travaux préparatoires (11) précisent que cette modification

vise à rendre au Roi le pouvoir qui lui est conféré par les articles 37 et 107, alinéa 2

de la Constitution et qui lui avait été enlevé par la loi du 22 juillet 1993 et confirment

que le statut constitue toujours la règle, les principales modifications consistant à ins-

crire les quatre motifs de recrutement possibles pour les contractuels dans un arrêté

royal (en lieu et place de la loi), Eric Hannay se pose la question de l’utilité d’abroger

une disposition pour en retranscrire la teneur exacte dans un texte hiérarchiquement

inférieur, si ce n’est pour permettre une extension considérable des hypothèses d’enga-

gements contractuels (12).

4. Concernant la fonction publique des entités fédérées, le principe du recrutement statu-

taire et son corollaire, le caractère exceptionnel de l’engagement contractuel, ont éga-

lement été formellement consacrés par l’arrêté royal du 22 décembre 2000 fixant les

principes généraux du statut administratif et pécuniaire des agents de l’Etat appli-

cables au personnel des services des Gouvernements de Communauté et de Région et

des Collèges de la Commission communautaire française ainsi qu’aux personnes mo-

rales de droit public qui en dépendent (ci-après l’ARPG) adopté sur pied de l’article

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87, §4 de la loi du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Les quatre exceptions

sont identiques à celles retenues par la loi du 22 juillet 1993.

Toutefois, vu le remplacement de l’article 87 § 4 de la loi spéciale du 8 août 1980

par une disposition ayant un autre objet par la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative

à la Sixième Réforme de l’Etat (13), l’ARPG n’a désormais plus de fondement légal

depuis le 1er juillet 2014. Les principes généraux fixés par le pouvoir exécutif fédéral

ne sont donc plus consacrés par une norme supérieure s’imposant aux communautés et

aux régions. Comme le relève Eric Hannay, « Faut-il pour autant préjuger d’emblée

l’abandon prochain de la voie statutaire par les entités fédérées ou par certaines d’entre

elles ? » (14).

Même si on ne peut parler d’abandon proprement dit, l’examen des réformes depuis

2014 permet de constater que des entités fédérées ont opté pour le libre choix du

recours à des engagements contractuels, voire pour l’obligation d’y recourir.

A titre d’exemple, l’article 2 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-

Capitale du 27 mars 2014 portant réglementation de la situation administrative et

pécuniaire des membres du personnel contractuel du ministère de la Région de

Bruxelles-Capitale prévoit, depuis le 1er juillet 2014, une nouvelle hypothèse d’enga-

gement contractuel, étrangère aux quatre hypothèses de l’ARPG, à savoir pour rem-

plir un emploi devenu vacant qui n’a pas pu être pourvu par nomination ou promotion,

mais après avoir organisé une procédure de sélection.

On relèvera également l’article 159 du Code wallon du logement qui consacre le

principe de l’engagement contractuel exclusif dans les sociétés de logement de service

public wallon.

5. Concernant la fonction publique locale, pour les communes situées en Région wallonne,

le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation a principalement

opté pour le statut, tant pour les communes que pour les provinces (articles L1212-1 et

L2212-32, §5).

En revanche, pour les intercommunales wallonnes, le Code opte pour le libre choix

(article L1523-1).

Pour les 19 communes situées en Région de Bruxelles-Capitale, l’article 145 de la

Nouvelle loi communale permet aux agents contractuels d’accéder à toute fonction

(15) au sein de l’administration communale.

6. On relèvera également la tendance, dans la pratique, de ne plus réserver une inter-

prétation restrictive aux hypothèses légales d’engagements contractuels pourtant déro-

gatoires.

A titre d’exemples, la conclusion de contrats à durée indéterminée pour des engage-

ments pourtant fondés sur des besoins exceptionnels et temporaires, des modifications

constantes des arrêtés déterminant la liste des « tâches auxiliaires ou spécifiques »

dans le sens d’un recouvrement partiel de celles du statut CAMU, une interprétation

large donnée aux tâches d’expertise eu égard aux critères vagues et généraux tels

ceux des « connaissances particulières ou une expérience large de haut niveau », etc.

7. Finalement, la politique de l’emploi a créé de nombreux incitants aux engagements

contractuels dans la fonction publique, notamment les différents programmes de pro-

motion de l’emploi et de résorption du chômage (16).

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C. De la carrière des contractuels

1. Les agents contractuels n’ont, en principe, accès qu’aux emplois de recrutement en

raison du caractère supposé temporaire et/ou accessoire des fonctions qui leur sont

confiées dans le cadre des hypothèses légales d’engagements contractuels et ne peu-

vent obtenir que la rémunération liée au grade de recrutement correspondant à la

fonction exercée.

L’absence de perspective de carrière des agents contractuels par exclusion des procé-

dures d’avancement et de promotion a toutefois tendance à être relativisée dès lors

que, dans la pratique, une grande majorité du personnel contractuel exercent des

fonctions permanentes.

Par ailleurs, la réglementation autorise, dans une certaine mesure, l’accès aux grades

de promotion pour les agents exerçant des tâches spécifiques ou recrutés en qualité

d’experts ainsi que l’attribution d’échelles de traitement afférentes à ces grades.

2. Concernant la fonction publique fédérale, l’article 2, §1er bis de l’arrêté royal du 11

février 1991 fixant les droits individuels pécuniaires des personnes engagées par

contrat de travail dans les services publics fédéraux prévoit un régime de dérogation

pour l’obtention d’une rémunération plus élevée.

Concernant la fonction publique des entités fédérées, en Région wallonne, l’article 8 de

l’arrêté du Gouvernement wallon du 18 décembre 2003 relatif aux conditions d’en-

gagement et à la situation administrative et pécuniaire des membres du personnel

contractuel instaure des perspectives de carrière pour les agents contractuels engagés

pour l’exercice de fonctions permanentes et autorise l’attribution d’une échelle de trai-

tement supérieure, tout en les maintenant dans les mêmes fonctions.

3. On relèvera également que, dans certaines hypothèses, la jurisprudence a reconnu le

droit, pour des agents contractuels ayant été contraints de prester pendant des an-

nées des fonctions largement supérieures, sans possibilité de révision de grades, à une

indemnité sur pied de l’article 1382 du Code civil (17).

4. Le personnel contractuel peut dorénavant accéder à toutes les fonctions, même s’il

s’agit d’une fonction qui implique l’exercice d’une parcelle de la puissance publique -

par ex. les emplois permanents de direction - depuis un arrêt de la Cour constitution-

nelle n° 89/2008 du 11 juin 2008 qui valide l’engagement d’un contractuel pour une

fonction de manager en gestion des ressources humaines au sein d’une entreprise pu-

blique autonome, et ce en vertu de l’article 4, §1er, 4° de la loi du 22 juillet 1993

portant certaines mesures en matière de fonction publique, l’article 2, §1er, 4° de

l’ARPG et l’article 29, §1er, 2° de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de cer-

taines entreprises publiques économiques, chacune de ces dispositions autorisant le

contrat afin « d’exécuter des tâches nécessitant une connaissance ou expérience de haute

qualification ».

Le personnel contractuel peut ainsi accéder à des emplois de promotion dans la me-

sure où des dispositions législatives et réglementaires le permettent, telles que par

exemple :

- L’article 2 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 27

mars 2014 portant réglementation de la situation administrative et pécuniaire des

membres du personnel contractuel du Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale

qui permet, depuis le 1er juillet 2014, l ’engagement d’un agent contractuel pour

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remplir un emploi de promotion qui n’a pas pu être pourvu après avoir organisé

une procédure de sélection. Dans cette hypothèse, l’agent affecté à un emploi su-

périeur reste contractuel ;

- L’article 6.32 du statut du personnel flamand (18) qui donne aux agents contrac-

tuels accès à tous les emplois de promotion et les statutarise ;

- L’article 145 de la Nouvelle loi communale applicable aux communes de la Région

de Bruxelles-Capitale (tel que modifié par ordonnance du 27 février 2014) qui

permet aux agents contractuels d’accéder à toutes les fonctions (à l’exception des

grades légaux) au sein de l’administration communale (sauf dérogation expresse

par le conseil).

La jurisprudence valide également l’exercice possible des prérogatives liées aux em-

plois de direction à du personnel contractuel, sans le concours d’un agent statutaire

hiérarchiquement supérieur. Il en va ainsi pour la prérogative de signature de l’éva-

luation d’un stagiaire ayant débouché sur son licenciement pour inaptitude profession-

nelle (19) et de la prise de sanction disciplinaire contre un agent statutaire (20).

5. La voie réglementaire est utilisée pour pérenniser la situation des agents contractuels en

leur conférant un contrat à durée indéterminée (21), voire en les « staturisant » (22).

6. On relèvera finalement la prise en compte des services contractuels tant dans l’ancien-

neté administrative que dans l’ancienneté pécuniaire, ce qui permet une évolution de

carrière plus rapide pour l’agent ayant été engagé sous contrat avant sa nomination

à titre définitif.

D. Du licenciement des contractuels

Conformément à l’arrêt de la Cour de cassation (23) commenté par Vincent Vuylsteke,

la lettre de licenciement d’un agent contractuel ne doit pas être motivée et, de sur-

croît, l’agent ne doit pas être préalablement entendu.

Cette jurisprudence confirme la tendance -constatée depuis quelques années- de ne

pas appliquer les principes généraux du droit administratif au licenciement des agents

contractuels du secteur public (24).

II. Critiques

1. L’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 commenté par Vincent Vuylsteke

suit ce courant de contractualisation de la fonction publique dès lors que la protection

des agents contractuels de la fonction publique ainsi réduite encouragera d’avantage

les pouvoirs publics à recourir aux engagements contractuels, lesquels présentent pour

eux des qualités de souplesse et flexibilité.

Cette jurisprudence est toutefois critiquée, notamment sous les deux angles suivants :

Sous l’angle des obligations de droit international :

a. Comme le relève Steve Gilson (25), l’obligation d’audition préalable au licencie-

ment et celle de motivation formelle du congé « peuvent découler du principe

d’exécution de bonne foi des contrats et de l’abus de droit interprété à la lumière

des dispositions internationales, dont l’article 7 de la Convention n° 158 de l’OIT du

22 juin 1982 et de l’article 24 de la Charte sociale européenne, alors même que la

première n’a pas été ratifiée par la Belgique et que le second a fait l’objet d’une

réserve (26) par la Belgique ».

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Il précise en outre que la Cour européenne des droits de l’homme considère que

les dispositions d’un texte international relatif au droit à la protection en cas de

licenciement irrégulier et injustifié (27) peuvent s’interpréter à la lumière d’autres

instruments internationaux. Ainsi, une règle de droit international qui n’est pas

ratifiée par un Etat reste une source d’interprétation nonobstant l’absence de

force obligatoire, s’agissant d’une règle pertinente qui fait l’objet d’un consensus

en droit international et qui équivaut ainsi à un principe général (28).

Ainsi, récemment, dans un jugement du 18 janvier 2016 (29), le Tribunal du tra-

vail de Liège, division de Dinant, a décidé qu’il y a une obligation tant dans le

secteur privé que dans le secteur public, d’audition préalable et de motivation en

application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme tel

qu’interprété par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme K.M.C. c.

Hongrie (30) qui consacre l’obligation de motivation du licenciement au regard

de l’article 6, §1er de la Convention européenne des droits de l’homme. Le tribu-

nal constate également que l’absence d’audition préalable doit être sanctionnée

sur le fondement de la violation de l’exécution de bonne foi du contrat et de

l’abus de droit interprété à la lumière des dispositions internationales précitées.

b. Sous l’angle des discriminations entre les contractuels et les statutaires de la

fonction publique, entre les contractuels du secteur privé et ceux du secteur pu-

blic, voire encore entre les contractuels du secteur public.

La question pourrait se poser de savoir si ne seraient pas discriminatoires :

- l’application différenciée du principe de l’audition préalable aux seuls statu-

taires et non aux contractuels de la fonction publique. Selon Vincent Vuylsteke,

par jugement du 14 avril 2016 (31) , le Tribunal du travail de Bruxelles a

posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle sur le caractère dis-

criminatoire ou non de cette différence de traitement ;

- l’application différenciée de l’obligation de motivation aux statutaires et non

aux contractuels de la fonction publique, mais également aux contractuels du

secteur privé (via la CCT n° 109) et non aux contractuels du secteur public ;

- en l’absence de motivation a priori du licenciement des contractuels de la fonc-

tion publique, l’application différenciée du licenciement entre les contractuels

(32).

S’agissant des différences de traitement entre contractuels et statutaires, la Cour

constitutionnelle a déjà eu à statuer sur de telles différences en matière de res-

ponsabilité civile (33), de prescription (34), de fixation de l’ancienneté devant

servir au calcul du préavis (35), etc. Elle considère de manière constante que les

spécificités que présente le statut par rapport au contrat de travail ne sont à

prendre en compte que par rapport à l’objet et la finalité de la disposition en

cause et qu’une différence de traitement entre ces deux catégories de travail-

leurs n’est pas nécessairement discriminatoire.

Les statutaires et les contractuels (du secteur public et du secteur privé) paraissent

se trouver dans des situations comparables par rapport à la finalité de l’audition

préalable et de la motivation du licenciement, c’est-à-dire la protection du tra-

vailleur en cas de licenciement. On voit mal en quoi les différences de traitement

énoncées ci-avant se justifieraient.

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2. Parmi les différences existantes entre le sort des statutaires et celui des contractuels,

c’est du point de vue de la protection juridictionnelle dont ils bénéficient que la dif-

férence de traitement est la plus criante.

La question pourrait en effet se poser de savoir si ne serait pas discrimina-

toire l’application différenciée de la protection juridictionnelle du droit administratif

aux seuls statutaires et non aux contractuels de la fonction publique. En effet, le résul-

tat différencié des protections pourrait constituer une discrimination entre les justi-

ciables, ce que la Cour constitutionnelle a déjà expressément admis (36).

Concernant la protection juridictionnelle des statutaires, l’acte irrégulier est annulé par

le Conseil d’Etat et, en raison de la règle du droit administratif de l’annulation qui

produit ses effets erga omnes et ex tunc, il est censé n’avoir jamais existé de telle ma-

nière que la situation juridique de l’agent concerné par cet acte doit être reconstituée

en faisant comme s’il n’avait jamais existé, c’est-à-dire, en cas de licenciement irrégu-

lier, l’agent doit être réintégré (sauf réfection de l’acte) et sa situation pécuniaire et

administrative doit être régularisée.

Concernant la protection juridictionnelle des contractuels de la fonction publique, en

l’état actuel du droit social, en présence du licenciement irrégulier d’un agent contrac-

tuel de la fonction publique, les juridictions du travail refusent d’écarter les effets de

l’acte irrégulier sur la base de l’article 159 de la Constitution en refusant d’ordonner

la réintégration forcée du travailleur licencié irrégulièrement. Elles situent la sanction

de leur contrôle au seul niveau de l’indemnisation de l’éventuel dommage, outre le

préavis ou l’indemnité compensatoire de préavis légalement due en vertu de la loi du

3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

3. S’agissant de l’indemnisation du préjudice subi par l’agent contractuel victime d’un

licenciement irrégulier, il y a en outre lieu de distinguer deux hypothèses selon les

vices qui entachent l’acte d’irrégularité.

a. L’irrégularité du licenciement résulte de la violation de dispositions légales ou principes

lors du licenciement

Si l’irrégularité résulte d’un vice de forme (violation de la motivation formelle, de

l’obligation d’audition préalable,…), la jurisprudence du tribunal du travail conclut

majoritairement en la réparation civile de la perte d’une chance d’éviter le licen-

ciement et de conserver son emploi, préjudice distinct de celui couvert par le préa-

vis ou l’indemnité compensatoire de préavis. La possibilité d’obtenir une telle répa-

ration est toutefois loin d’être évidente au regard du principe de la séparation des

pouvoirs, mais également au regard de la difficulté, voire de l’impossibilité, de

rapporter la preuve que, sans la faute, c’est-à-dire si le travailleur avait été préa-

lablement auditionné par exemple, il est certain qu’il n’aurait pas été licencié.

Si l’irrégularité résulte d’un vice de fond, la jurisprudence du tribunal du travail

conclut en la réparation civile de l’intégralité du préjudice résultant de ce licencie-

ment irrégulier, avec les difficultés pour l’agent de pouvoir prétendre à un enga-

gement contractuel jusqu’à l’âge de sa pension en invoquant la stabilité d’emploi

et de démontrer un préjudice distinct de celui couvert par le préavis ou l’indemnité

compensatoire de préavis.

Que l’on soit donc en présence d’un vice de forme ou d’un vice de fond, l’indemni-

sation tendrait à se limiter au seul préavis ou à la seule indemnité compensatoire

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de préavis, lesquels sont censés légalement couvrir l’ensemble du préjudice maté-

riel et moral résultant du licenciement.

b. L’irrégularité du licenciement résulte de l’irrégularité du contrat de travail lui-même

conclu en violation des règles législatives ou réglementaires qui interdisent ou limi-

tent le recours à l’engagement contractuel

Les juridictions du travail n’ont pas eu à connaitre à ce jour d’une irrégularité de

cette nature étant donné qu’avant l’arrêt Goedseels du Conseil d’Etat commenté

par Jérôme Sohier, par l’opération de requalification du contrat de travail en

engagement statutaire réalisée par le Conseil d’Etat, seul le tribunal de première

instance était compétent pour statuer sur les conséquences d’une annulation par le

Conseil d’Etat de la décision de rupture irrégulière.

Or, lorsque le tribunal de première instance a été amené à statuer sur l’indemni-

sation du dommage subi par un agent, requalifié comme statutaire, irrégulière-

ment « licencié », il se devait d’ordonner sa réintégration sous astreinte (si elle

avait été demandée) et de condamner l’autorité à régulariser sa situation admi-

nistrative et pécuniaire, voire à l’indemniser.

Ce pouvoir du tribunal de première instance, après requalification en statutaire

par le Conseil d’Etat, est conforme à celui que cette juridiction exerce lorsqu’il est

saisi d’une demande d’indemnisation des suites d’une annulation par le Conseil

d’Etat d’une décision de cessation des fonctions d’un statutaire. En effet, par un

arrêt du 18 octobre 2013, la Cour de cassation a dit pour droit que l’arrêt de la

Cour d’appel qui énonce que l’annulation (par le Conseil d’Etat) de la sanction

disciplinaire de la démission d’office n’oblige pas l’autorité à réintégrer l’agent

dans ses fonctions et à lui payer les traitements correspondants méconnaît l’effet

de l’arrêt d’annulation consistant, en l’absence de réfection de l’acte annulé, à

replacer de plein droit l’agent dans la situation où il se trouvait avant que l’acte

annulé fut pris et, partant, viole le principe général du droit administratif relatif

à l’autorité de chose jugée qui est attachée aux décisions des juridictions adminis-

tratives. (37)

4. Dès lors que le Conseil d’Etat ne s’estime plus compétent pour juger de la validité d’un

contrat, faire fi de son existence et décider de son écartement au bénéfice de la pré-

somption de l’engagement statutaire, se pose légitimement la question du juge com-

pétent au judiciaire et de ses pouvoirs.

Le tribunal du travail est compétent pour trancher les contestations relatives aux con-

trats de louage de travail et, en conséquence, décider de la régularité du contrat en

vertu de l’article 578, 1° du Code judiciaire. Cela étant, cette compétence ne nous

paraît pas exclusive, mais spéciale. Il s’ensuit qu’elle ne tient pas en échec d’office la

compétence ordinaire du Tribunal de première instance sur pied de l’article 568, al.

1er du Code judiciaire.

Cela étant précisé, si le tribunal du travail est saisi et décide de l’irrégularité du con-

trat de travail, est-il pour autant toujours compétent pour décider du sort à réserver à

ce contrat qu’il considère comme irrégulier et de ses éventuelles conséquences indem-

nitaires ? Doit-il alors privilégier la réparation en nature sous la forme de la réinté-

gration de l’agent, mais alors dans quel statut ? Doit-il se limiter à une réparation par

équivalent, mais alors de quel préjudice : perte d’une chance d’un contrat régulier,

perte d’une chance d’être statutaire ?

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Par ailleurs, comme le relève Jérôme Sohier, l’opération de requalification par les

juridictions judiciaires n’étant pas condamnée par le Conseil d’Etat dans son arrêt

Goedseels, le tribunal du travail est-il compétent pour requalifier la relation de travail

en statutaire et statuer sur les conséquences de cette requalification (réintégration,

sécurité sociale, ..) ? En d’autres termes, la question de la requalification d’un contrat

de travail en nomination statutaire et ses conséquences entre-t-elle dans le champ

d’application de l’article 578, 1° du Code judiciaire ?

En outre, si requalification il y a, l’agent est considéré comme statutaire dès son enga-

gement et son licenciement est a fortiori irrégulier au motif qu’il est impossible de li-

cencier un agent statutaire moyennant préavis ou indemnité, qu’il a vocation à faire

carrière jusqu’à la pension et qu’il bénéficie de la stabilité de l’emploi. Le tribunal doit-

il alors privilégier la réparation en nature sous la forme de la réintégration de

l’agent, mais alors dans quel statut ? Doit-il se limiter à une réparation par équiva-

lent ?

5. Vu ces nombreuses nouvelles questions, en plus de celles déjà existantes, les arrêts ici

commentés ne vont pas dans le sens d’une simplification de l’accès au juge et de la

sécurité juridique, bien au contraire.

Notes

1. Cass., 11 octobre 2010, S.09.0117.F., www.juridat.be.

2. En l’espèce, la modification de fonction d’un cadre supérieur.

3. E. Hannay, « La contractualisation de la fonction publique en Belgique », in Droit et contentieux de la fonction publique : 10 années d’actualité, sous la dir. de P. Levert et B. Lombaert, IFE, éd. EFE 2013, pp. 204-208-238 ; E. Gillet, « La nature juridique de la relation entre l’administration et son agent », in J. Sarot, Précis de fonction pu-

blique, Bruylant, Bruxelles, 1994, p. 20.

4. C.E., Gillard, n° 194.567 du 22 juin 2009.

5. Cfr la problématique du port des signes religieux.

6. Cass., 8 décembre 1932, Pas., 1933, I, p. 44 ; Cass., 29 avril 1960, Pas., I, p. 1000 ;

Cass., 13 juin 1973, Pas., I, p. 949 ; Cass., 18 novembre 1985,.

7. C.E., n° 10.510 du 13 mars 1964, Vanderhagen ; n° 14.218 du 2 juillet 1970, Beck ; n° 19.754 du 13 juillet 1979, Solon ; n° 20.280 du 24 avril 1980, Caers ; n° 85.245 du 9 février 2000, Damoiseau ; n° 92.580, du 24 janvier 2001, Ville de Goyet ; n° 112.590 du 18 novembre 2002, Demoulin ; n° 214.390 du 1er juillet 2011, Fochesa-

to ; n° 215.338 du 26 septembre 2011, Daube.

8. M.B., 14 août 1993.

9. L’arrêté royal du 25 avril 2005 fixant les conditions d’engagement par contrat de travail dans certains services publics a été adopté en exécution de l’article 4 alinéa 2

de la loi du 22 juillet 1993.

10. M.B., 31 décembre 2002.

11. Doc. Parl., Ch., 2002-2003, 50-2124/029, p. 13.

12. E. Hannay, o.c., p. 217.

13. A la suite de la Sixième réforme de l’Etat, les entités fédérées acquièrent la maîtrise totale de leur fonction publique sauf en ce qui concerne le statut syndical, les pensions

et le recrutement par le SELOR.

14. E. Hannay, o.c., p. 200, n° 217.

15. A l’exception des grades légaux, emplois conférés soit par mandat, soit à titre défini-

tif.

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16. Par ex. le décret wallon du 25 avril 2002 relatif aux aides visant à favoriser l’en-gagement de demandeurs d’emploi inoccupés par les pouvoirs locaux, régionaux et communautaires, par certains employeurs du secteur non marchand, de l’enseigne-

ment (M.B., 24 mai 2002) et son arrêté d’exécution du 19 décembre 2002.

17. G. Jacquemart, « Le statut hybride des agents contractuels de la fonction publique locale », Or. 2014/9, p.7 ; J. Jacqmain, note sous C.T.Lg., 27 juin 2002, Chron.D.S., 2002, p.453 ; C.T. Lg., sect. Namur, 26 avril 2011, RG 2009/AN/8250, www.juridat.be ; C.T. Bxl., 16 janv. et 11 sept. 2007, Chron.D.S., 2008, p.167 et

obs. J. Jacqmain « Un paradis patronal ? ».

18. Arrêté du Gouvernement flamand du 13 janvier 2006 fixant le statut du personnel

des services de la Région flamande (M.B., 27 mars 2006).

19. C.E., n° 212.578 du 8 avril 2011, Lekeu.

20. C.E., n° 188.123 du 21 nov. 2008, Maes ; C.E., n° 192.102 du 31 mars 2009 et n° 216.269 du 14 nov. 2011, Bequet ; C.E., n° 193.988 du 9 juin 2009, Vitiello : « la thèse du requérant quant aux limites des prérogatives d'un agent contractuel ne repose sur aucun fondement constitutionnel, législatif ou réglementaire; que pour autant que la distinction qui a historiquement été faite entre les organes et préposés soit encore d'ac-tualité, il est admis que la qualité d'organe ne peut être déniée à un agent parce qu'il a été recruté par contrat; qu'il n'est pas contestable que, nonobstant la nature contrac-tuelle de son lien juridique, un agent contractuel puisse engager le pouvoir public pour lequel il travaille; que l'on doit certes s'interroger sur la compétence que pourrait avoir un agent contractuel de poser des actes de puissance publique; que l'acte de puissance publique est traditionnellement défini au regard des prérogatives qui s'y attachent dont les "privilèges du préalable et de l'exécution d'office"; que s'il est vrai qu'une sanction disciplinaire prononcée à l'égard d'un agent sous statut est un acte administratif assorti desdits privilèges, l'on ne peut cependant en déduire qu'il ne pourrait pas rentrer dans

les compétences d'un agent contractuel ».

21. Par ex. l’article 451 de la loi-programme du 24 décembre 2002 a régularisé la situation des contractuels engagés pour des « besoins exceptionnels et temporaires » depuis 2 ans au 1er janvier 2003 en considérant que ces personnes étaient « censées » satisfaire aux conditions d’engagement et bénéficiaient pour l’avenir

d’un contrat à durée indéterminée.

22. E. Hannay, o.c., p. 249-252 : par ex. les articles 15 et 16 de l’arrêté du Gouver-nement wallon du 27 mars 2009 ayant modifié l’arrêté du Gouvernement wallon du 18 décembre 2003 ; circulaire 2012/MINFP/01 du 15 novembre 2012 (M.B., 13 décembre 2012) qui prévoient la possibilité de promotion conférée aux contractuels engagés en CDI avant le 1er janvier 2004 et l’accélération de recrutement des con-

tractuels engagés en CDI et étant en ordre utile.

23. Cass., 12 octobre 2015, RG S.13.0026.N.

24. Concernant le refus d’appliquer la règle fondamentale de droit administratif de la publicité de l’administration (mention des voies de recours) cfr. Cass., 28 mars 2011,

RG S.10.0147.F., J.T., 2011, p. 36.

25. S. Gilson, F. Lambinet et Z. Trusgnach, Les obligations particulières de l’employeur

public lors du licenciement des travailleurs contractuels, Anthémis 2016, pp.72-73.

26. La Belgique a ratifié la Charte sociale européenne en acceptant d’être liée par la grande majorité de ses dispositions, à l’exception toutefois de quelques dispositions dont l’article 24 consacrant le droit des travailleurs à une protection en cas de licen-

ciement.

27. En l’occurrence, l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union euro-péenne, qui est contraignant pour la Belgique, et dont les commentaires font réfé-rence à l’article 24 de la Charte sociale européenne qui, lui-même, se base sur la

Convention n° 158 de l’OIT.

28. Cour eur. D.H., 12 nov. 2008, Demir et Baykara c. Turquie, Chr.D.S., 2009, p. 403,

note J.Jacqmain.

29. Trib. Trav. Liège, Division Dinant, 18 janvier 2016, RG n° 14/481/A, inédit.

30. Cour eur. D.H., 10 juillet 2012, K.M.C. c. Hongrie

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29. Trib. Trav. Liège, Division Dinant, 18 janvier 2016, RG n° 14/481/A, inédit.

30. Cour eur. D.H., 10 juillet 2012, K.M.C. c. Hongrie.

31. Trib. Trav. Bxl, 14 avril 2016, RG n° 14/13.388/A, inédit.

32. La motivation du licenciement permet en effet de contrôler le respect des articles 10,

11 et 23 de la Constitution. A défaut de motivation, ce contrôle est impossible.

33. C.A., n° 77/96 du 18 décembre 1996 ; C.A., n° 20/99 du 17 février 1999, C.A., n°

19/2000 du 9 février 2000 ; C.C., n° 17/2003 du 28 janvier 2003.

34. C.C., n° 127/2001 du 16 octobre 2001.

35. C.C., n° 54/2010 du 12 mai 2010 ; C.T.Lg., 15.11.2005, J.L.M.B. 2007, p. 242.

36. C.A., n° 41/2003 du 9 avril 2003 : dans cet arrêt, sous l’angle des voies de recours différentes ouvertes aux étudiants contre les décisions de la commission de délivrance des attestations pour les études de science dentaire, selon qu’ils soient d’une universi-té libre (devant les tribunaux judiciaires) ou d’une université de la Communauté (devant le Conseil d’Etat), la Cour considère que les étudiants des universités libres sont traités différemment de ceux des universités de la Communauté sans que cette différence puisse se fonder sur les caractéristiques propres aux pouvoirs qui les or-

ganisent et que cette différence de traitement est discriminatoire.

37. Cass., 18 octobre 2013, RG C.12.0011.F.

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AGENTS CONTRACTUELS ET SECTEUR PUBLIC : OXYMORE OU MORT DU STATUT ?

Par Jean BOURTEMBOURG Avocat au barreau de Bruxelles,

Maître de conférences à l'UCL-Mons

1. Les considérations dont nous ont fait part Jérôme SOHIER et Vincent VUYLSTEKE ou-

vrent des questionnements qui, à peine formulés, en appellent d’autres qui conduisent à

s’interroger sur ce que l’on croyait acquis.

2. Le fait ne peut être ignoré : les pouvoirs locaux comptaient à l’échelle de la Belgique,

au deuxième trimestre de l’année 2015, 361.414 agents, dont 131.911 statutaires et

229.503 contractuels.

Plus de 63 % des agents sont donc des agents contractuels.

Entre 2005 et 2015 le nombre de contractuels – hors contractuels subventionnés – a

augmenté de 16,35 %, là où le nombre de statutaires diminuait de 0,33 %.

3. Un arrêté royal du 21 décembre 2013 nous apprend que, dans le secteur communal,

le fonctionnaire sanctionnateur peut être contractuel.

4. Comment s’étonner de cette situation lorsque les communes connaissent de graves dif-

férences de financement sauf si l’on voulait empêcher les pouvoirs locaux de participer

à des programmes qui sont conçus, notamment pour eux qui leur permettent de :

- faire appel au régime des contractuels subventionnés ;

- participer

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- participer aux programmes d’insertion professionnelle avec le CPAS ;

- bénéficier de programmes Maribel, le tout supposant d’engager des travailleurs

contractuels.

5. Depuis des années, l’autorité ne cesse de proclamer, de manière récurrente, le principe

statutaire pour immédiatement ouvrir la brèche au recrutement contractuel. La distor-

sion entre le droit et le fait devient de plus en plus évidente ; elle est source de diffi-

cultés et d’incompréhension.

D’une part, on voit dans certaines entités où le statut doit être considéré comme étant

en extinction, des statutaires considérés comme des travailleurs de seconde zone,

d’autre part dans d’autres entités – et on songe particulièrement aux pouvoirs locaux –

on voit le principe d’égalité sérieusement malmené par cela que le contractuel ne peut

mener carrière tandis qu’il paiera cher, au moment de son admission à la pension, le

fait de n’avoir pas été nommé.

6. On supposait jusqu’il y a peu qu’il était des fonctions qui ne pouvaient être occupées

que par un agent statutaire dès lors que leur exercice impliquait celui d’une parcelle

de la puissance publique.

7. L’arrêt Khemessi, n° 127.677 prononcé par le Conseil d’Etat le 2 février 2004, se pro-

nonçait de manière claire lorsqu’une fonction implique l’exercice d’une parcelle de la

puissance publique, elle ne peut être confiée à un agent contractuel, sauf si une dispo-

sition législative expresse l’autorise.

8. La question s’est alors posée de savoir si un membre du personnel qui n’est pas soumis

au statut peut intervenir pour prendre à l’égard d’un travailleur statutaire des mesures

prévues par le statut de ce dernier.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat suivra le raisonnement proposé par l’arrêt

Khemessi : la décision unilatérale portant nomination d’un agent constitue un acte de

puissance publique. Le pouvoir de révoquer se rattache au pouvoir de nommer. Dès

lors, le pouvoir de révoquer ne peut être exercé que par une personne ou un organe

titulaire d’une parcelle de la puissance publique (Maes, n° 161.214, du 10 juillet

2006).

9. La Cour constitutionnelle interviendra. L’article 29, § 1er, de la loi du 21 mars 1991

portant réforme de certaines entreprises publiques économiques dispose qu’une entre-

prise publique autonome peut recruter et employer du personnel en vertu d’un contrat

de travail afin, notamment, d’exécuter des tâches nécessitant une connaissance ou une

expérience de haute qualification.

Le Conseil d’Etat interroge la Cour constitutionnelle sur la compatibilité de la disposi-

tion avec les articles 10 et 11 de la Constitution si toutefois elles devaient être inter-

prétées comme n’incluant pas, parmi les tâches nécessitant une connaissance ou une

expérience de haute qualification, les fonctions de managers en gestion des ressources

humaines.

Le recrutement par voie contractuelle de managers en gestion des ressources humaines

au sein des entreprises publiques autonomes est-il admissible ?

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La Cour décidera que le principe d’égalité et de non-discrimination n’impose pas

qu’un statut juridique identique soit appliqué à toute personne qui travaille au sein

des services publics et il appartient à l’autorité compétente de choisir « la voie la

plus appropriée » pour réaliser les missions de services publics dont elle est chargée.

Le statut d’entreprise publique autonome n’est en rien de nature à justifier l’interdic-

tion d’engager, par voie contractuelle, des managers en gestion des ressources hu-

maines.

Cet arrêt de la Cour constitutionnelle conduira à l’arrêt Maes n° 188.123 prononcé

le 21 novembre 2008 par le Conseil d’Etat de même qu’à l’arrêt d’assemblée Be-

quet n° 192.102 du 31 mars 2009 : la thèse relative aux limites des prérogatives

d’un agent contractuel ne repose sur aucun fondement constitutionnel, législatif ou

réglementaire. S’il est vrai qu’une sanction disciplinaire prononcée à l’égard d’un

agent sous statut est un acte administratif assorti des privilèges du préalable et de

l’exécution d’office, l’on ne peut cependant en déduire « qu’il ne pourrait pas rentrer

dans les compétences d’un agent contractuel ».

Il paraît dès lors suffire qu’une disposition n’interdise pas un recrutement contractuel

pour des fonctions supérieures pour qu’il en soit déduit que le membre du personnel

contractuel peut, à l’égard des membres du personnel statutaire, décider de sanc-

tions disciplinaires.

10. On peut immédiatement se demander comment il serait possible de réserver certains

actes de puissance publique à des travailleurs statutaires tout en plaçant ceux-ci sous

l’autorité de travailleurs contractuels qui pourraient les sanctionner !

Le pouvoir de commander emportant le principe de pouvoir faire ce que l’inférieur a

le droit de faire, il faudrait ici en déduire que le supérieur ne pourrait pas faire ce

que l’inférieur peut faire mais peut, quand même, le sanctionner pour n’avoir pas

bien fait ce qui est réservé aux travailleurs statutaires.

11. On a oublié le fondement donné à la thèse selon laquelle l’agent doit être régi par

une situation légale et réglementaire. C’était parce qu’ainsi le voulait l’une des lois du

service public qui comporte le pouvoir de modification unilatérale de l’organisation et

de l’action, pour pourvoir à la nécessité des changements jugés opportuns.

Dès 1968, Monsieur Cyr CAMBIER écrivait ce qui suit :

« Les caractéristiques du régime réglementaire qui sont de permettre à l’admi-

nistration de modifier unilatéralement pour l’avenir la situation des agents ces-

sent d’apparaître comme un apanage redoutable de la puissance publique ; les

textes ne se chargent-ils pas de domestiquer l’action de celle-ci ?

Mais, du coup, les vertus qui inspiraient l’adoption du système règlementaire

perdent de leur efficacité. L’on entendait ménager à l’administration une liberté

de mouvement. Ce n’est pas ce que le régime adopté consacre. Il recherche

(…) le difficile équilibre entre ce qui revient au pouvoir et à ses agents ; en fin

de compte, c’est à ces derniers qu’il assure une situation privilégiée de stabili-

té ».

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On ne la résumera pas ici.

Qu’on retienne, cependant, que les premiers arrêtés royaux « principes généraux »

contenaient un corps relativement détaillé de règles issues du statut des agents de

l’Etat et trouvant à s’appliquer à la fonction publique des entités fédérées. L’arrêté

royal du 22 décembre 2000 qui leur succèdera réduit ces principes à une peau de

chagrin sauf la réaffirmation du principe du régime statutaire.

La modification de l’article 87 de la loi spéciale du 8 août 1980 sonne le glas de la

seule disposition qui semble-t-il imposait aux entités fédérées le principe statutaire.

13. La situation actuelle n’est guère tenable. La distorsion entre le droit, le discours et le

fait devient insupportable, surtout pour les agents contractuels.

Les propositions d’amélioration de la situation des contractuels sont souvent bloquées

par cela que cela rendrait le contrat plus attractif et réduirait à une peau de cha-

grin la fonction publique statutaire.

14. Je me permets, pour terminer, de vous soumettre trois réflexions.

Il paraît évident, tenant compte de l’ampleur du recrutement contractuel d’une part

et de la circonstance d’autre part, que de plus en plus nombreux sont ceux qui font

toute leur carrière en qualité d’agents contractuels, qu’il convient d’organiser, à leur

profit, des possibilités de développement de carrière sauf à jeter aux orties un autre

fondement de la fonction publique le système de carrière et non celui de l’emploi et

à maintenir une discrimination de plus en plus insupportable.

15. On insistera sur la différence fondamentale entre les statutaires et les contractuels à

propos de la protection juridictionnelle. L’illégalité de la rupture se traduira, devant

le tribunal du travail, par une indemnité, le cas échéant alourdie si l’on admettait

que le principe « audi alteram partem » et l’obligation de motivation formelle sont

applicables et ont été méconnus.

Cependant, si en toute matière, les cours et tribunaux doivent refuser l’application

d’un acte administratif illégal, les juridictions du travail acceptent de l’appliquer lors-

que l’acte administratif illégal est une décision de licenciement d’un travailleur con-

tractuel.

A cela s’ajoute que la conception de certaines juridictions du travail témoigne sans

doute d’une méconnaissance de la réalité du secteur public. Il en est ainsi lorsqu’un

arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, 2ème chambre, estime que quelle que soit la

nature du travail que l’autorité confie à un agent contractuel, même si l’autorité re-

crute faussement l’agent à un grade correspondant à des fonctions qu’il n’a jamais

été question de lui faire remplir, il faudra s’attacher à la réglementation et dénier à

l’agent le droit à percevoir la rémunération conforme à ce qu’il fait.

16. Les juridictions du travail ne connaissent pas à suffisance, au contraire du Conseil

d’Etat, les institutions publiques, leurs exigences de fonctionnement et les principes

qui les gouvernent. Les juridictions du travail comptent dans leurs rangs, selon le prin-

cipe de l’échevinage, outre des magistrats professionnels, des juges sociaux. Mais

ces juges sont désignés sur présentation d’organisations représentatives des

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des

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Commis-sion de droit

public Nouvelles brèves

Vous avez des questions à poser ou des

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travailleurs et des employeurs du secteur privé. Tous les travailleurs et les

institutions soumis au statut syndical ne sont-ils pas victimes d’une discrimina-

tion par cela qu’ils sont les seuls à ne pouvoir bénéficier de l’échevinage.

17. Le travailleur contractuel a, en réalité, tout intérêt à s’adresser, quand il le

peut à une autorité de tutelle plutôt qu’au juge du travail, seule la première

pourra annuler la décision de licenciement et contraindre l’autorité à re-

prendre l’agent à son service.

18. Soit, demain, les juges du travail se reconnaissent compétents pour annuler

le licenciement irrégulier d’un travailleur contractuel soit il convient de per-

mettre au Conseil d’Etat de se prononcer en l’espèce sachant qu’il est déjà

le juge spécialisé de la fonction publique.

19. Le troisième et dernier point à résoudre est celui de la pension. On retien-

dra une déclaration récente du Ministre des pensions à cet égard. S’agissant

du secteur des pouvoirs locaux, il a évoqué la piste d’un deuxième pilier

réservé aux agents contractuels du secteur public financé en déduction des

cotisations que les pouvoirs locaux doivent payer au titre de la responsabili-

sation.

Ne faut-il pas étendre à tous les agents contractuels le bénéfice d’un tel

régime comblant, à tout le moins, en partie la différence entre le régime

public et le régime privé.

Le statut se meurt, certains disent qu’il est mort, préparons la relève.

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