commerce international et environnement

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E-mail : [email protected] Commerce international et Environnement : un mariage unique en son genre Par KOTSAP MEKONTSO ARNAUD DUCLAIR Etudiant en Master II professionnel, Contentieux International- IRIC Le commerce international, dont le rythme de croissance est près de deux fois plus rapide que celui de l’ensemble des activités économiques mondiales, devient un facteur de développement économique de plus en plus important. Un nombre toujours croissant de pays en développement placent le commerce et l’investissement au centre de leurs stratégies de développement. Par ailleurs, les considérations commerciales déterminent de plus en plus l’orientation des politiques économiques de tous les pays, développés et en développement. Parallèlement, néanmoins, la majorité des indicateurs environnementaux mondiaux se sont continuellement détériorés 1 . Les considérations environnementales sont donc de plus en plus au centre des préoccupations des pays dans leur course vers le développement industriel, économique et 1 Cheick Omar Touré, Protection de l’environnement et commerce international , 2008, p.1, consulté le 17/01/16, sur www.mémoireonline.com . 1

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Page 1: Commerce international et Environnement

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Commerce international et Environnement : un mariage unique en son genre

Par

KOTSAP MEKONTSO ARNAUD DUCLAIR

Etudiant en Master II professionnel, Contentieux International- IRIC

Le commerce international, dont le rythme de croissance est près de deux fois

plus rapide que celui de l’ensemble des activités économiques mondiales, devient un

facteur de développement économique de plus en plus important. Un nombre toujours

croissant de pays en développement placent le commerce et l’investissement au centre

de leurs stratégies de développement. Par ailleurs, les considérations commerciales

déterminent de plus en plus l’orientation des politiques économiques de tous les pays,

développés et en développement. Parallèlement, néanmoins, la majorité des indicateurs

environnementaux mondiaux se sont continuellement détériorés1.

Les considérations environnementales sont donc de plus en plus au centre des

préoccupations des pays dans leur course vers le développement industriel,

économique et commercial. L’Organisation Mondiale du Commerce2, seule

organisation internationale qui s’occupe des règles régissant le commerce entre les

pays, est de ce fait sur la sellette. Doté d’un Organe de Règlement des Différends,

l’OMC est le principal régulateur de l’activité commerciale entre les Etats, et le

principal arbitre, chargé de trancher les litiges liés au commerce entre les Etats.

1Cheick Omar Touré, Protection de l’environnement et commerce international, 2008, p.1, consulté le 17/01/16, sur www.mémoireonline.com . 2Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s’occupe des règles régissant le commerce entre les pays. Sa principale fonction est de favoriser autant que possible la bonne marche, la prévisibilité et la liberté des échanges. www.wto.org , consulté le 17/01/16.

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Le souci de protéger l’environnement donc gagné tous les secteurs de la vie

internationale, y compris le secteur du commerce. Or, en dépit de cette excroissance, la

prise en compte des préoccupations d’ordre écologique reste faible à l’Organisation

mondiale du commerce (OMC), organe mis en place en vue de servir de cadre

institutionnel commun pour la conduite des relations commerciales entre ses membres.

Cela tient au fait que les conditions dans lesquelles l’exception environnementale peut

être mobilisée avec succès devant cette organisation internationale sont très

contraignantes et ont du mal à prospérer dans la jurisprudence de l’organe de

règlement des différends (ORD) qui, jouit, auprès de l’opinion publique, de la très peu

flatteuse réputation de chantre juridictionnel du libéralisme. Ses détracteurs lui

reprochent en effet le sacrifice de valeurs non commerciales, telles que l’intérêt des

consommateurs, la protection des travailleurs et surtout l’environnement, sur l’autel du

libre-échange.3

La principale question, au regard de tout ce qui précède, est donc la suivante : peut-on

espérer une pleine et définitive intégration des considérations environnementales aux

règles de l’OMC ?

Il y a lieu de rester optimiste dans la mesure où non seulement les juges de l’OMC

n’ont pas définitivement fermé la porte aux préoccupations d’environnement (I), mais

également du fait de l’émergence d’un principe du soutien mutuel dans l’ordre

juridique international, et qui apparaît comme une opportunité de réconcilier deux

branches du droit international aux apparences contradictoires, à savoir le droit

international du commerce et le droit international de l’environnement4(II).

I)- L’OUVERTURE DES JUGES DE L’OMC AUX PREOCCUPATIONS ENVIRONNEMENTALES

Il s’agira pour nous, dans cette partie, de montrer que si l’ORD se prononce sur

les différends qui lui sont soumis selon la règlementation de l’OMC, il s’efforce à

incorporer au fur et à mesure, des questions et des principes environnementaux dans le 3S. Georges, Remettre l’OMC à sa place, Paris, Editions Mille et une nuits, 2001, pp. 38-39.4Jacques Joël Andela, « L’article xx du GATT de 1994 dans la jurisprudence de l’organe de règlement des différends de l’OMC : une analyse sous le prisme environnemental  », Revue québécoise de droit international, 2012, p.1

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droit du commerce international. La jurisprudence de l’ORD va dans ce sens (A), et la

possible articulation entre les accords de l’OMC et le principe de précaution semble

envisageable devant l’ORD5 (B).

A)- LA JURISPRUDENCE DE L’ORD ET L’ENVIRONNEMENT

Les affaires « crevettes et tortues » (1) et amiante (2) furent celles qui permirent

une application stricte de l’article XX respectivement dans le domaine de

l’environnement et de la protection de la santé humaine.

1)- L’affaire « crevettes et tortues »6

Les principaux protagonistes dans cette affaire furent l’Etat de l’Inde, la

Malaisie, le Pakistan, la Thaïlande et les Etats Unis d’Amérique.

Plainte déposée par l’Inde, la Malaisie, le Pakistan et la Thaïlande contre les Etats Unis

d’Amérique, les rapports du groupe spécial et de l’Organe d’appel ont été adoptés en

1998.

Les faits de cette affaire fut les suivants : au début de 1997, l’Inde, la Malaisie, le

Pakistan et la Thaïlande ont déposé conjointement une plainte au sujet de

l’interdiction d’importer des crevettes, imposée par les Etats-Unis. La protection des

tortues marines était la raison d’être de l’interdiction.

Dans son rapport, l’Organe d’appel a clairement dit qu’au titre des règles de l’OMC,

les pays ont le droit de prendre des mesures commerciales pour protéger

l’environnement (en particulier la santé des personnes, des animaux ou la préservation

des végétaux) ainsi que les espèces en voie d’extinction et les ressources épuisables. Il

ne revient pas à l’OMC de leur accorder ce droit7.

Que les mesures visant à protéger les tortues marines seraient légitimes au regard de

l’article XX du GATT8.

5Yda Alexis Nagalo, La jurisprudence de l’organe de règlement des différends de l’organisation mondiale du commerce et protection de l’environnement, 2009, p.1, consulté le 17/01/16, sur www.memoireonline.com .6Il s’agit là du différend n°58 de l’OMC. La Décision a été adoptée le 06 novembre 19987Source : www.wto.org , consulté le 18/01/16.8L’article XX du GATT énonce diverses exceptions aux règles commerciales normales de l’OMC, sous réserve que certains critères, notamment la non-discrimination, soient respectés. Ces exceptions

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Il s’agit de « la première décision dans l’histoire du mécanisme de règlement des

différends de l’OMC à avoir reconnu qu’une mesure basée sur les PMP (Procédés et

Méthodes de Production) d’un produit était compatible avec les accords de l’OMC »9.

2)- L’affaire Amiante

Cette affaire avait pour protagonistes, les Communautés Européennes (la

France) et le Canada. Le Canada a déposé une plainte devant l’ORD sur le fondement

de la violation de l’obligation de traitement national en affirmant que la fibre amiante

qu’il produisait ne présentait pas de risque identifiable pour la santé humaine.

Eu égard au fait que la mesure de prohibition était définitive et que le risque sanitaire

était incertain, les Communautés Européennes n’ont pas fondé leur argument sur

l’article 5.7 de l’accord SPS mais plutôt sur l’article XX de l’Accord instituant l’OMC

et sur les obstacles techniques au commerce10.

Le panel dans cette affaire, a constaté que les Communautés Européennes ont violé

l’article III11 de l’Accord instituant l’OMC. Le différend a été tranché en faveur des

Communautés Européennes parce que la mesure visant à l’interdiction d’importer de

fibres d’amiante en provenance du Canada était conforme à l’article XX alinéa b, qui

vise particulièrement la protection de la santé et la vie des personnes12.

Ces quelques affaires connues par l’ORD et ainsi présentées, nous montrent avec

clarté la grande ouverture des juges de l’OMC aux préoccupations environnementales.

Il s’agit là d’un effort considérable que mène l’OMC dans la prise en compte des

questions environnementales. Cet effort peut également se faire ressentir dans la

tentative de rapprochement des Accords de l’OMC au principe de précaution.

B)- LES ACCORDS DE L’OMC ET LE PRINCIPE DE PRECAUTION

concernent, entres autres, la protection de l’environnement, de la santé, du consommateur et des ressources naturelles.9Doelle, (M), « climate change and the WTO : opportunities to motivate state action on climate change throught the WTO » (2004), 13, 1. R.E.C.I.E.L.85, cité par Madeleine Beaudet, art.cit.10Yda Alexis Nagalo, op.cit. 11Cet article III de l’Accord instituant l’OMC dispose que les pays doivent accorder un traitement équivalent aux produits similaires.12Yda Alexis Nagalo, op.cit.

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Nous étudierons dans ce paragraphe, dans un premier temps, le principe de

précaution dans sa signification (1), et d’autre part, son interaction avec les accords de

l’OMC (2).

1)- Le principe de précaution : signification

Pratiquement inconnu jusqu’au milieu des années 1990, le « principe de

précaution » est devenu, avec l’affaire de la vache folle, une expression populaire.13

On invoque l’application du principe de précaution dans les domaines les plus

hétérogènes (climat, couche d’ozone, faune, flore, pêcheries, OGM, santé,

alimentation, jusqu’aux conditions d’utilisation des armes sur les champs de bataille).

Il est donc devenu une référence majeure de la gestion des risques dans le champ de

l’environnement et de la sécurité alimentaire et sanitaire. Un spécialiste de la santé

publique y voit à travers le « principe de précaution » une reprise de la démarche

épidémiologique classique face au risque : confrontée à une maladie dont les causes ne

sont pas élucidées, la prévention s’organise, sans attendre des certitudes, à partir de

l’analyse des facteurs de risques, qui ne sont pas des causes.14

« Le principe de précaution » est une approche de gestion des risques qui s’exerce

dans une situation d’incertitude scientifique, exprimant une exigence d’action face à

un risque potentiellement grave sans attendre les résultats de la recherche

scientifique.15

Il s’agit là d’un principe de plus en plus en droit de l’environnement, les dégâts

environnementaux n’étant pas en principe susceptible de restauration. D’où son

élargissement au commerce international, par l’OMC.

Le concept du « principe de précaution » a été considérablement développé et

juridiquement établi dans le domaine de la protection de l’environnement. De

13EWALD F., GOLLIER C., DE SADELEER N., Le principe de précaution, Paris, PUF, 2001, p. 3. 14SITACK YOMBATINA Béni, Le principe de précaution en droit de l’environnement : règle juridique obligatoire ou simple principe politique destiné à… Portée et conséquences dans les ordres juridiques international et national, p.3, consulté sur file:///E|/sitackprecaution.htm, le 18/01/16.15ZACCAI E., et MISSA J.N., (dir.) Le principe de précaution, Significations et conséquences, Bruxelles, éd. de l’Université de Bruxelles, 2000, p. 42.

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nombreuses conventions internationales16 ont instauré ce principe comme base des

actions de prévention17.

2)- Principe de précaution et Accords de l’OMCLes pays ont le droit de prendre des mesures commerciales pour protéger

l’environnement (en particulier la santé des personnes, des animaux ou la préservation

des végétaux) ainsi que les espèces en voie d’extinction et les ressources épuisables. Il

ne revient pas à l’OMC de leur accorder ce droit18. Il s’agit là donc d’une règle adoptée

par l’ORD en vertu des accords de l’OMC, dans l’affaire « crevettes et tortues », qui

met en exergue le principe de précaution, dans la mesure où il permet aux Etats

membres de l’OMC de prévenir des catastrophes environnementales susceptibles de

survenir sur leurs territoires.

L’OMC prend donc en considération le principe de précaution, aussi bien que le

principe du soutien mutuel.

II)-RENFORCEMENT DE LA PRISE EN COMPTE DES CONSIDERATIONS ENVIRONNEMENTALES PAR L’OMC: LA

SURVENANCE DU PRINCIPE DU SOUTIEN MUTUEL

Dans cette seconde partie, il sera question pour nous d’une part de présenter le

principe du soutien mutuel dans sa globalité (A), et d’autre part son impact dans le

renforcement de la prise en compte des questions environnementales par l’OMC (B).

A)- PRESENTATION DU PRINCIPE DU SOUTIEN MUTUEL

Ce principe renvoi plus à la coopération internationale, à la coopération entre

les Etats. Les Etats, dans leurs relations diverses et variées, doivent veiller à se

soutenir mutuellement dans tous les domaines (politique, militaire, social,

économique, commercial) de leurs relations. En effet, les Etats entretenant des

relations commerciales, doivent veiller à se soutenir mutuellement dans le cadre des

16Comme conventions internationales prévoyant « le principe de précaution », nous pouvons citer entre autres : le principe 15 de la déclaration de Rio de 1992, l’article 3 de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Le Traité d’Amsterdam ayant modifié l’article 130 R (2) du Traité sur l’Union européenne, etc. 17SITACK YOMBATINA Béni, op.cit., p.718Source : www.wto.org , consulté le 18/01/16.

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dommages éventuels que leurs relations commerciales pourraient engendrer. Il s’agit là

d’un principe ayant un fondement à caractère universel (1), et imposant des obligations

aux Etats (2).

1)- Fondement du principe du soutien mutuel19

Nous pouvons ici en premier chef, citer la Charte des Nations Unies, en son

préambule, qui dispose que : « NOUS, PEULES DES NATIONS UNIES, RESOLUS :

(…) à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales »20.Cette

disposition de la Charte des Nations Unies, a pour objectif de rapprocher les peuples

dans tous les domaines, afin de maintenir « la paix et la sécurité internationales ».

Cette disposition de la Constitution du monde implique pour chaque Etat du monde, le

respect de certaines obligations.

2)- Les obligations incombant aux Etats du fait du principe du soutien mutuel

Nous pouvons ici citer : l’obligation de prêter main forte aux Etats en difficulté,

l’obligation de veiller au respect des droits fondamentaux des citoyens du monde, y

compris le droit de vivre dans un environnement sain.

B)- IMPACT DU PRINCIPE DANS LE RENFORCEMENT DE LA PRISE EN COMPTE DES QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES PAR

L’OMC

Ici, nous verrons d’une part le soutien mutuel dans la gestion des catastrophes

environnementales du fait du commerce entre les Etats (1), et d’autre part l’effet

réconciliateur du principe (2).

1)- Le principe dans la gestion des catastrophes environnementale du fait du commerce international

Tous les Etats doivent participer à la gestion des catastrophes

environnementales nées du fait de leurs relations commerciales. Ainsi, tous les Etats

19Selon un proverbe africain, Lorsque la case de ton voisin brûle, dépêches toi de l’aider à éteindre le feu, de peur qu’il ne se propage et attaque ta propre case.20Lire préambule de la Charte des Nations Unies

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doivent concourir à la protection de la couche d’ozone, des conséquences néfastes des

industries de production.

2)- L’effet réconciliateur du principe du soutien mutuel

En effet, ce principe est réconciliateur, dans la mesure où il concoure à

rapprocher deux domaines d’essences antagonistes, à savoir le commerce international

et le droit de l’environnement. Les aspects environnementaux sont de plus en plus pris

en compte dans la pratique commerciale internationale, notamment à travers l’article

XX du GATT.

Courte nous l’avouons, notre conclusion générale nous permet juste de dire en

quelques mots, que le Commerce international et le droit de l’environnement, loin

d’être des cousins éloignés, ont toujours été considérés comme des ennemis.

Cependant, à travers nos illustrations et développements, nous avons pu démontrer à

quel point ces deux disciplines se rapprochent de plus en plus, et cheminent ensemble,

à travers l’OMC. Notons toutefois qu’il s’agit là d’un mariage « entre une poule et un

grain de maïs ».21L’on pourrait donc parler ici d’une relation de contrenature, qui ne

cessera d’être marqué par les multiples tentatives de phagocytassions des

considérations environnementales par le commerce international car, « en affaire, il

n’y a pas de sentiments »22. Cette tentative ou ce semblant de prise en considérations

des questions environnementales par l’ORD de l’OMC ne serait donc qu’un leurre,

ayant pour objectif de détourner tous les projecteurs et regards déjà braqués sur l’OMC

car, chasse le naturel, il reviendra toujours au galop23.

21Inspiré de la Citation camerounaise : « le grain de maïs aura toujours tort devant la poule ». En effet, face à un grain de maïs, la poule, du fait de sa nature de granivore, aura toujours tendance à se pencher et picorer. Un mariage entre un grain de maïs et une poule devient donc de ce fait difficile, voire même impossible, car un grain de maïs ne saurait être heureux auprès d’une poule, de peur de se retrouver dans l’estomac de cette dernière.22 Le commerçant ou encore l’Homme d’affaire a pour principal souci de générer des bénéfices, souvent à tous les prix.23 Les missions premières de l’OMC sont la règlementation et le suivi de la pratique du commerce international. Cette mission est déjà encrée au sein de cette Organisation, qui aura beaucoup de peine à s’en éloigner, ou à en intégrer d’autres.

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