commentaire d'arretexercice de la séance de travaux dirigés
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Exercice de la séance de travaux dirigés
Séance n° 9 : les droits de la personnalité
Commentaire d’arrêt
Cass. civ. 1ère, 22 mai 2008, Revue Lamy droit de l’immatériel, n° 39, juin 2008,
obs. L. COSTES
Attendu que, dans son numéro du 29 avril 2005, le journal France-Dimanche a fait
paraître un article, annoncé dès la page de couverture par le titre : " Exclusif X...
rattrapé par son passé ? Cette femme l'accuse : il a abandonné notre fille B... Y... ",
accompagné de la photographie du prince X... A... et de celle de la femme ; que le propos
est également mentionné au sommaire avec un autre cliché de l'intéressé, assorti du
commentaire : " Face à une incroyable accusation ! " ; qu'ensuite, sous le titre : " X.... Z...
est le père de ma fille ! ", les sous-titres : " Alors que Monaco est encore en plein deuil,
une jeune américaine vient de faire une incroyable révélation, " Elle s'appelle B... et
aura bientôt 13 ans " et les inter-titres :
" C'est X... qui aurait demandé à ce que Y... soit son deuxième prénom ", et " si un test
sanguin prouve que B... Y... est bien la fille du nouveau prince régnant, elle pourrait
prétendre au trône ", les pages 4 et 5 de l’hebdomadaire sont consacrées à cette enfant
d'existence ignorée ; qu'elles sont illustrées par une photographie du prince X...
affichant un visage soucieux et reproduite sur une demi-page, ainsi que par des clichés
de la jeune fille et de la mère ; que Z... X... a assigné la société Hachette Filipacchi
associés (la société), éditrice de l'hebdomadaire, en dommages-intérêts pour atteinte
au respect dû à sa vie privée et à son droit sur son image ; que l'arrêt confirmatif
attaqué (Versailles, 11 janvier 2007) a accueilli sa demande ;
Sur le premier moyen, tel qu'exposé au mémoire en demande et reproduit en annexe :
[…]
Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches, pareillement exposé et
reproduit ;
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Attendu que toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune ou ses
fonctions a droit au respect de sa vie privée ; que, si la reprise de faits publics déjà
divulgués ne constitue pas en elle-même une atteinte à la vie privée de personnes
impliquées, il n'en va pas de même de l'article prenant pour objet exclusif des données
strictement personnelles dont la révélation antérieure s'est opérée contre le gré de
l'intéressé et dans une perspective étrangère à l'information légitime du public ; que la
cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que la paternité d' X... A... n'avait
fait l'objet d'aucune reconnaissance publique, qu'il s'était, de façon périodique mais
vaine, opposé auprès de la société Hachette Filipacchi à toute intrusion dans sa vie
privée, que la Constitution monégasque exclut qu'un enfant né hors mariage puisse
accéder au trône ; qu'elle a relevé par ailleurs l'ampleur des détails, réels ou fictifs,
livrés sur les circonstances de la rencontre, de la liaison, de l'annonce par la future
mère de sa grossesse au prince X..., les réactions de ce dernier, ainsi que sur des
négociations secrètes menées pour régler les conséquences de cette paternité, et le but
de divertir un public indiscret et curieux des sentiments et comportements privés des
personnalités, sous le prétexte de poursuivre un débat d'intérêt général inexistant ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur les deux dernières branches du second moyen, pareillement énoncées et
reproduites : […]
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ; […]
Corrigé
Révision de la méthode de la fiche d’arrêt
Faits
Le 29 avril 2005, le journal France-Dimanche publie un article relatif à la probable
paternité du prince de Monaco à l’égard d’une jeune fille de 13 ans, entouré de
précisions relatives notamment à la rencontre du prince avec la mère de l’enfant et à
leur liaison.
Le prince de Monaco demande réparation de l’atteinte ainsi portée à son droit au
respect de sa vie privée (ainsi que de l’atteinte à son droit à l’image, cette question
n’étant pas étudiée ici).
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Procédure
1ère instance :
Juridiction : non spécifiée, dans le ressort de la Cour d’appel de Versailles.
Demandeur : le prince de Monaco.
Défenderesse : la société Hachette Filipacchi.
Solution : le tribunal retient une atteinte au droit au respect de la vie privée du prince
et condamne la société à lui verser des dommages et intérêts.
En appel :
Juridiction : Cour d’appel de Versailles, arrêt rendu le 11 janvier 2007.
Appelante : la société Hachette Filipacchi.
Intimé : le prince de Monaco.
Solution : la Cour d’appel de Paris rend un arrêt confirmatif.
Pourvoi en cassation :
Juridiction : 1ère Chambre civile de la Cour de cassation, arrêt rendu le 22 mai 2008.
Demanderesse au pourvoi : la société Hachette Filipacchi.
Défendeur au pourvoi : le prince de Monaco.
Solution : la Cour de cassation rend un arrêt de rejet.
Arguments et prétentions des parties
Motifs de la Cour d’appel : la Cour d’appel a relevé que l’information communiquée
n’avait pas été reconnue par le prince qui s’oppose régulièrement aux intrusions dans
sa vie privée. Les enfants nés hors mariage sont exclus de la succession au trône par la
Constitution monégasque. Les informations détaillées révélées par le magazine
constituent une atteinte au droit au respect de la vie privée du prince qui n’est justifiée
par aucun débat d’intérêt général.
Arguments de la demanderesse au pourvoi, la société Hachette Filipacchi : on peut
supposer que la société Hachette a fait valoir que la possible paternité d’un prince
relevait de la liberté d’information du public garantie par l’article 10 de la
Convention européenne des droits de l’homme et qu’elle ne faisait que reprendre des
divulgations déjà publiées par des tiers.
Problèmes de droit
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1. La vie sentimentale et la possible paternité d’un prince relèvent-t-elles de sa vie
privée ?
2. La liberté de l’information et la révélation antérieure des faits litigieux par d’autres
médias justifient-elles leur redivulgation ?
Solution
La Cour de cassation rappelle que toute personne, quels que soient son rang, sa
naissance, sa fortune ou ses fonctions, a droit au respect de sa vie privée.
Elle approuve la Cour d’appel d’avoir décidé que la révélation de la possible paternité
du prince ainsi que des détails qui l’accompagnent ne relèvent pas d’un débat d’intérêt
général.
Elle souligne également que si la reprise de faits publics déjà divulgués ne constitue pas
en soi une atteinte au droit au respect de la vie privée, il en va autrement lorsqu’un
article ne relate que des données strictement personnelles dont la révélation
antérieure n’était justifiée ni par la liberté de l’information, ni par l’autorisation de
l’intéressé.
Dispositif
En conséquence, elle rejette le pourvoi.
Commentaire de l’arrêt
Introduction
L’introduction du commentaire d’arrêt reprend dans l’ordre les rubriques de la
fiche d’arrêt, à l’exception des arguments et prétentions des parties et de la solution
retenue par la décision commentée qui serviront à alimenter les développements.
Phrase d’accroche indiquant les références de l’arrêt et le thème concerné
L’arrêt à commenter a été rendu par la Première Chambre civile de la Cour de
cassation le 22 mai 2008 et est relatif au droit au respect de la vie privée.
Faits
Le 29 avril 2005, le journal France-Dimanche publie un article relatif à la
probable paternité du prince de Monaco à l’égard d’une jeune fille de 13 ans, entouré
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de précisions relatives notamment à la rencontre du prince avec la mère de l’enfant et à
leur liaison. Le prince a assigné la société éditrice du magazine en réparation de son
préjudice.
Procédure
En première instance, la société Hachette Filipacchi, défenderesse, a été
condamnée à verser au prince des dommages et intérêts en réparation du préjudice
subi par lui du fait de l’atteinte portée à sa vie privée. La société a interjeté appel.
La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt rendu le 11 janvier 2007, a confirmé
le jugement critiqué. La Première Chambre civile de la Cour de cassation a ensuite eu à
connaître du pourvoi formé par la société d’édition.
Problème de droit
La Cour de cassation a été conduite à répondre à deux questions : il convenait en
premier lieu de se demander si l’objet des faits révélés, à savoir la possible paternité
d’un prince, ressortissait de sa vie privée, mais aussi d’étudier la possible justification
des atteintes portées à sa vie privée fondée sur la liberté d’information ou sur la
divulgation antérieure des éléments relatés.
Annonce de plan
Nous étudierons successivement ces deux points.
I. DES REVELATIONS PORTANT ATTEINTE A LA VIE PRIVEE
Bien que le prince de Monaco soit une personne célèbre, il jouit, comme toute
personne, du droit au respect de sa vie privée (A), dont font partie sa vie sentimentale
et sa possible paternité à l’égard d’une « enfant cachée » (B).
A. L’indifférence à la notoriété de la personne concernée
L’article 9 du Code civil dispose en son premier alinéa que « chacun a droit au
respect de sa vie privée ». L’article 8 § 1 de la Convention européenne des droits de
l’homme dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale
[…] ».
Selon une jurisprudence constante, il en résulte que la notoriété, le rang, ou
encore la profession d’une personne sont indifférentes et qu’elle jouit comme toute
autre personne du droit au respect de sa vie privée (en ce sens, voir par exemple Cass.
civ. 1ère, 13 avril 1988, Bull. civ. I, n° 88 : « un monarque [a],
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comme toute autrepersonne, droit au respect de sa vie privée ».- Cass. civ. 1ère, 23
octobre 1990, Bull. civ. I, n° 222 : au sujet d’un prince mineur).
En rappelant dans la décision commentée que « toute personne, quels que
soient son rang, sa naissance, sa fortune ou ses fonctions, a droit au respect de sa vie
privée », la Cour de cassation retient donc une solution classique : ni la notoriété du
prince de Monaco, ni son appartenance à une famille régnante, ni les fonctions qu’il
exerce ne sauraient le priver de son droit au respect de sa vie privée.
Encore fallait-il, pour caractériser une atteinte à la vie privée du prince, que les
données révélées eussent relevé de sa vie privée.
B. La paternité du prince : un élément de sa vie privée
Afin de déterminer s’il y avait en l’espèce atteinte à la vie privée du prince de
Monaco, il convenait de déterminer si les éléments révélés ressortissaient de sa vie
privée. En effet, les informations relatives à la vie publique d’une personne peuvent
librement être évoquées, sans que cela constitue une atteinte à la vie privée de
l’intéressé.
Il était essentiellement question en l’espèce de la possible paternité du prince
de Monaco à l’égard d’une enfant de 13 ans, mais aussi de la relation amoureuse qu’il
avait entretenue avec la mère, de l’annonce de la grossesse par la mère au prince et des
prétendues négociations secrètes subséquentes.
La Cour de cassation relève en l’espèce que l’article ne concernait que « des
données strictement personnelles ». Elle suit ainsi une jurisprudence constante, selon
laquelle la vie sentimentale et familiale des personnes ressortit de leur vie privée et
constitue même le cœur de celle-ci. La liaison entretenue avec la mère de l’enfant, ainsi
que les autres détails fournis par le magazine, qu’ils soient « réels ou fictifs », relèvent
donc de sa vie privée. Il en va de même pour l’information première, à savoir la
paternité du prince. La Cour de cassation avait d’ailleurs déjà retenu cette solution au
sujet de la même personne, mais concernant sa paternité à l’égard d’un autre enfant
(Cass. civ. 1ère, 27 février 2007, Bull. civ. I, n° 85).
Bien que le prince de Monaco soit une personne célèbre, les révélations
relatives à sa possible paternité étaient donc susceptibles de porter atteinte à son droit
au respect de sa vie privée. Il peut arriver que des révélations d’ordre privé soient
parfois justifiées par certaines circonstances, ce qui n’était cependant pas le cas en
l’espèce, de sorte que la Cour de cassation rejette le pourvoi.
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II. DES ATTEINTES DEPOURVUES DE JUSTIFICATION
En l’espèce, ni la liberté de l’information (A), ni la révélation antérieure des faits
relatés ne justifiait la publication des éléments litigieux par le magazine (B).
A. L’absence de débat de société justifiant les révélations
Dans une société démocratique, il est légitime que le public soit informé : le droit
à l’information est notamment protégé par l’article 10 de la Convention européenne des
droits de l'homme. Dès qu’un fait est utile à l’information du public, il peut lui être
communiqué, quel qu’en soit le procédé et quel qu’en soit l’auteur. Il est donc admis
qu’un fait d’actualité ou relevant d’un débat d’intérêt général puisse être porté à la
connaissance du public, alors même qu’il relève de la vie privée de la personne visée.
Aussi peut-on supposer que les auteurs du pourvoi avaient avancé que l’intérêt
informationnel était susceptible de justifier la publication d’un article relatif à la
possible paternité d’un prince, d’ailleurs appelé à régner prochainement suite au décès
de son père. Ce n’est toutefois pas l’analyse à laquelle s’est livrée la Cour d’appel,
approuvée en cela par la Cour de cassation. Il a en effet été relevé que la
Constitution monégasque n’autorise pas les enfants nés hors mariage à accéder au
trône. Aussi la paternité potentielle du prince n’avait-elle aucune incidence
dynastique. La Cour de cassation décide que cette révélation ne relève pas d’un débat
d’intérêt général et corrélativement de la liberté de l’information, pas plus que les
détails fournis par le magazine sur divers points qui ne servent qu’à « divertir un public
indiscret et curieux des sentiments et comportements privés des personnalités ».
Par la décision commentée, la Cour de cassation retient une interprétation
restrictive de l’intérêt informationnel, alors qu’elle adoptait ces dernières années une
position relativement libérale. Elle a ainsi décidé récemment que la mauvaise santé d’un
acteur particulièrement connu relève de l’information du public (Cass. civ. 1ère, 16 mai
2006, Bull. civ. I, n° 247). Par un arrêt rendu par la Première Chambre civile le 19
février 2004 (Cass. civ. 1ère, 19 février 2004, Bull. civ. I, n° 72) et opposant la sœur du
prince au même journal, la Cour avait d’ailleurs décidé que l’annonce de la grossesse de
celle-ci relevait de l’information légitime du public. Toutefois, dans une affaire
comparable opposant le prince de Monaco à un autre journal (Cass. civ. 1ère, 27 février
2007, précité), il avait été retenu que la révélation de sa paternité à l’égard d’un autre
enfant ne relevait ni de l’actualité, ni d’un débat d’intérêt général justifiant sa révélation.
Elle adopte par la décision commentée une solution comparable qui semble davantage
protectrice de la vie privée des personnes célèbres.
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L’objet des révélations du journal France-Dimanche ne permet donc pas
d’exclure l’atteinte à la vie privée du prince. Il en est de même de leur absence
d’originalité.
B. L’incidence de la divulgation antérieure des faits rapportés
En affirmant dans la décision commentée que « la reprise de faits publics déjà
divulgués ne constitue pas en elle-même une atteinte à la vie privée de personnes
impliquées », la Première Chambre civile semble admettre que l’évocation de faits non
inédits, car déjà portés à la connaissance du public, ne constitue pas une atteinte illicite
au droit au respect de la vie privée. Elle confirme ainsi une tendance de sa
jurisprudence récente (voir déjà en ce sens Cass. civ. 1ère, 3 avril 2002, Dr. et patr. n°
111, p. 115 s., obs. G. Loiseau : un magazine avait évoqué la rupture d’un couple qui
avait été révélée par d’autres publications contemporaines. La Cour de cassation avait
décidé que cette rupture ne relevait plus de la vie privée et était un fait public.- Voir
aussi Cass. civ. 2ème, 3 juin 2004, Bull. civ. II, n° 272 : « la relation de faits publics déjà
divulgués ne peut constituer en elle-même une atteinte au respect dû à la vie privée »).
Ainsi, selon la Première Chambre civile, la divulgation primitive d’un fait relevant de la
vie privée lui ferait prendre la nature de fait devenu public, ce qui autoriserait sa
reprise par d’autres médias sans que l’intéressé puisse se plaindre d’une violation de sa
vie privée.
Toutefois, cette solution n’est pas absolue : la Cour de cassation soumet la licéité
de la redivulgation à celle de la divulgation primitive. La possibilité de redivulguer des
faits déjà portés à la connaissance du public est écartée lorsque ces faits concernent
des « données strictement personnelles dont la révélation antérieure s'est opérée
contre le gré de l'intéressé et dans une perspective étrangère à l'information légitime
du public ». Une première révélation portant atteinte à la vie privée ne saurait donc
logiquement légitimer les redivulgations postérieures.
En l’espèce, la liberté de l’information ne permettait pas de légitimer les
révélations initiales. Quant au prince, il n’avait jamais porté lui-même ces faits à la
connaissance du public et s’était, de manière générale, opposé à l’intrusion de la presse
à scandale dans sa vie privée. La première révélation était donc illicite et sa reprise par
le journal France-Dimanche l’était pareillement, malgré son absence d’originalité.
La solution se veut protectrice des personnages publics et vise à empêcher
qu’en cas d’atteintes multiples à leur vie privée, seule la première puisse donner lieu à
sanctions.
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