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1 Comment le Vietnam a été spolié de sa victoire Günter Giesenfeld « L'achèvement » de la guerre du Vietnam, comme on dit souvent pour l'enjoliver a été un processus dur et laborieux. Les négociations par lesquelles un traité de paix a été débattu ont été les plus longues de l'histoire de la diplomatie politique : on a siégé pendant 5 ans en face à face avec peu d'interruptions à la table des négociations à Paris et ce qu'il n'est pas permis d'oublier : la guerre se poursuivait. Les bombardements accompagnaient les négociations presque sans répit et n'ont été suspendus qu'après la signature de l'accord final. Négociations « privées » à Gif-sur-Yvette

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Comment le Vietnam a été spolié de sa victoire

Günter Giesenfeld

« L'achèvement » de la guerre du Vietnam, comme on dit souvent pour l'enjoliver a été un processus

dur et laborieux. Les négociations par lesquelles un traité de paix a été débattu ont été les plus

longues de l'histoire de la diplomatie politique : on a siégé pendant 5 ans en face à face avec peu

d'interruptions à la table des négociations à Paris et ce qu'il n'est pas permis d'oublier : la guerre

se poursuivait. Les bombardements accompagnaient les négociations presque sans répit et n'ont été

suspendus qu'après la signature de l'accord final.

Négociations « privées » à Gif-sur-Yvette

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(3)

Négociations à Paris

1968 – 73

« Il n'y a que deux hommes responsables de la tragédie cambodgienne : M. Nixon et le Dr.

Kissinger. »

Prince Norodom Sihanouk, roi du Cambodge

Pugwash

Fin juin 1967, le diplomate français Raymond Aubrac à l'époque employé à la FAO1 à Rome reçoit

l'appel d'un ami qui le prie de rentrer immédiatement à Paris. Mais l'appelant ne se voit pas dans la

situation de lui dire pourquoi. Il s'avère qu'il doit rencontrer dans la capitale française, chez Etienne

Bauer, directeur de l'institut National des Sciences et Techniques Nucléaires (centre national de

recherches atomiques) un groupe international de scientifiques de haut rang. Quand il y arrive « je

fus dès l'abord frappé par les liens de connivence qui unissaient ces hommes2 Il ne s'agissait pas de

cette familiarité trompeuse qu'on observe, indépendamment de leurs attaches partisanes, chez les

parlementaires qui se tutoient même quand ils se combattent et souvent se méprisent. C'était le

climat d'hommes qui se respectent et ont un idéal commun. »3

Il s'agit de la réunion du comité exécutif d'une organisation du nom de Pugwash. Ce groupe

informel d'atomistes s'était créé en 1945 en rapport avec le manifeste de Bertrand Russell et

d'Albert Einstein en réaction à la bombe atomique d'Hiroshima. Les participants avaient été tous

plus ou moins concernés par le développement de ces nouvelles armes, ont pris alors conscience des

conséquences de leurs activités scientifiques et ont décidé de mettre en garde l'opinion

internationale contre ces développements. C'est au cours d'une réunion en 1957 dans la maison de

l'industriel américain Cyrus Eaton à Pugwash, au Canada, d'où il était natif, que l'organisation

internationale a pris son nom. Depuis cette époque, 30 scientifiques du monde entier se sont réunis

en des lieux différents, alternativement à l'ouest et à l'est en sessions plénières avec conférence de

presse attenante. Il n'y a pas de participation formelle et chacun ne parle qu'en son nom. Mais les

scientifiques participants appartiennent en règle générale à l'élite respective de leurs pays, peuvent

rapidement se libérer à titre personnel pour des réunions et entretiennent les meilleures relations

avec leurs gouvernements respectifs.4

Cette année-là, ils se sont rencontrés à Paris, à l'occasion de la guerre des six jours mais, malgré de

longues discussions, n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Depuis quelques années, la guerre du

Vietnam était aussi un sujet de discussions permanent. Cette fois-là, un certain Henry Kissinger

participait à la réunion. Il s'était procuré l'accès en tant que professeur à Harvard5. Il est apparu qu'il

voulait utiliser cette organisation pour établir un contact entre les gouvernements états-unien et

vietnamien. Le président US de l'époque Johnson considérait comme inévitables des négociations

1 Food and Agriculture Organization des Nations Unies, fondée en 1945 avec son siège à Rome.

2 Ils provenaient des instituts de recherche les plus réputés de l’Union Soviétique, des USA, d’Angleterre et de France.

3 Raymond Aubrac : Où la mémoire s’attarde. Paris 1996, p. 319 et suivantes.

4 Le groupe a reçu le Prix Nobel de la paix en 1995.

5 Il avait toutefois publié un livre en 1957 sous le titre : « Nuclear War and Foreign Policy » dans lequel il considérait

tout de même les armes atomiques tactiques comme une « réalité » car elles devaient jouer un rôle dans les

considérations de politique de défense.

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avec le gouvernement de la RDV mais, à Hanoi où les bombes tombaient presque chaque jour, on y

opposait un refus strict. Kissinger doit explorer la « french connection » à condition qu'il n'y

apparaisse que comme un « particulier intéressé » et un scientifique, pas comme mandaté par le

gouvernement.6 Kissinger se montre disposé à transmettre à la Maison Blanche une réaction

informelle du gouvernement de Hanoï. Il n'y a qu'un seul problème : qui peut prendre en charge la

contrepartie à Hanoï ? Les scientifiques soviétiques participants déclinent. C'est là qu'on en arrive à

l'idée que Raymond Aubrac serait la bonne personne.7

Et voilà la proposition initiale de Pugwash, démarrer des négociations dans le but de renoncer

bilatéralement à une escalade de la guerre. Discuter directement avec Ho Chi Minh avec, comme

but initial, obtenir de lui une réponse informelle. Aubrac a alors posé comme condition que son ami,

le médecin Herbert Markovitch puisse l'accompagner. Pour garder secret le but intrinsèque du

voyage, Markovitch s'est fait mandater par son employeur, l'Institut Pasteur, pour visiter des

instituts similaires à Hanoï.

Les deux personnages ont pu accomplir leur mission, non sans difficultés (en raison des

bombardements, Hanoï est tabou pour les visiteurs étrangers, les visas ne sont accordés que sur

intervention personnelle de Ho Chi Minh) et rencontrer personnellement Ho Chi Minh. Le Président

salue l'initiative de Pugwash et s'est mis à remémorer le discours du Président de Gaulle à Phnom

Penh en septembre 1966 au cours duquel il avait conseillé expressément aux USA de se retirer du

Vietnam. Au cours d'une conversation plus longue entre quatre yeux, il se montre

fondamentalement disposé à entamer des négociations. Le préalable incontournable serait l'arrêt

immédiat des attaques contre la RDV. Et des négociations au sujet du Sud Vietnam ne pourraient

avoir des chances de succès qu'après le retrait des troupes US. Cette déclaration du Président sera

officiellement, le lendemain, précisée et actée par le Premier Ministre Pham Van Dong en présence

de Markovitch.

Pham Van Dong expose que les USA se trouvent devant un problème qu'ils se sont eux-mêmes

fabriqués. Après des semaines de bombardements pendant la saison des pluies, les digues et

barrages au nord risquent de se rompre et de produire de grandes inondations. Malgré tout, son pays

n'a pas l'intention d'humilier les USA. Mais ces derniers devraient apprécier correctement la réalité

de la situation actuelle, à savoir qu'ils vont perdre la guerre.

Les buts du Front de Libération au Sud sont : indépendance, démocratie, paix, neutralité. Ni le Front

de Libération, ni la RDV ne seraient d'avis de précipiter la réunification du pays. Et on ne voudrait

pas non plus, dans le Sud, « précipiter l’avènement du socialisme, immédiatement après la fin de la

guerre », mais au contraire commencer à « discuter de la voie juste et ensuite la rechercher »8.

A leur retour, les deux émissaires ont rapporté la réponse de Hanoï à Kissinger. Kissinger voulait

tout savoir tellement précisément et posait tellement questions sur questions que l’entretien a duré

15 heures, aussi du fait de la traduction en anglais. Kissinger est aussitôt reparti à Washington et le

17 août 1967, il revient voir Aubrac et Markovitch qui remarquent avec surprise que la position de

Kissinger « avait changé imperceptiblement. Il était toujours précis, articulé, un peu péremptoire et

très professoral. Mais en plus, il était impressionné, semblait investi d’une sorte de mission, comme

adoubé par les autorités. »9

Pendant quelques semaines, Kissinger s’efforce de continuer à utiliser le nouveau canal de

6 Il est intéressant de remarquer que le nom de Pugwash n’apparaît ni dans les mémoires de Kissinger, ni dans les

biographies le concernant. Le groupe passait aux USA pour « communiste ». 7 Aubrac avait hébergé Ho Chi Minh dans sa maison pendant les négociations de Fontainebleau. Voir VNK, 3-4/2009.

8 Conversation du 25 juillet 1967, cité par Aubrac, p. 336.

9 Idem, p. 341.

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communication. On planifie même un deuxième voyage à Hanoi10

qui échoue sur le refus du

gouvernement vietnamien de renouveler les visas. Aubrac utilise alors le contact que lui avait

recommandé Pham Van Dong à l’Ambassade du Vietnam à Paris en la personne de Mai Van Bo qui,

de façon cohérente, refuse de discuter directement avec Kissinger. Il devient clair que la différence

dans l’approche des négociations réside dans le fait que Kissinger apparaît comme le représentant

d’une partie qui négocie avec la partie adverse et, en tant que tel, veut s’assurer des avantages,

arracher des concessions, marchander, ce qui est incompatible avec le principe d’action de Pugwash

qui repose sur la neutralité et le combat pour la paix. Par contre, pour Hanoï, il y va de l’existence

de la nation et pas seulement, comme dans le cas des USA, de la minimisation des inévitables

concessions que l’on est amené à faire pour se sortir d’un problème.11

Cette différence devient le

schéma de base des négociations à venir, même quand la partie vietnamienne rentre au cas par cas

dans le jeu des exigences et des compromis.

L’offensive du Têt

Pendant qu’à Paris on en arrive à un échange de notes, le secrétaire à la défense Robert McNamara

tient un discours12

aux USA devant une sous-commission du Sénat dans le but de décrire l’état des

forces combattantes des USA, discours au cours duquel il affirme par la même occasion sa

conviction de l’inefficacité totale de l’intensification des bombardements du Nord Vietnam. Il

apparaîtra ultérieurement qu’il s’est aussi exprimé pour un démarrage des négociations et un arrêt

immédiat des bombardements.

Le 29 septembre 1967, le Président Johnson tient son fameux discours à San Antonio au cours

duquel il se déclare pour la première fois ouvert à des négociations. Un arrêt des bombardements

serait possible pourvu qu’il soit immédiatement suivi par l’ouverture de négociations « sérieuses »

et que « l’infiltration de troupes nord-vietnamiennes » au Sud cesse immédiatement.13

Trois mois

plus tard, McNamara donne sa démission et devient Président de la Banque Mondiale et Johnson

fait savoir le 31 mars 1968 qu’il n’est pas candidat pour un deuxième mandat. Cette annonce est

interprétée par la presse comme le signe que, même le gouvernement ne croit plus possible la

victoire militaire.

En effet, entre temps, la situation militaire s’est transformée pour les USA de façon décisive. Fin

janvier 1968, le front de libération déclenche ce qu’il est convenu d’appeler l’offensive du Têt avec

le soutien d’unités nord-vietnamiennes. Les troupes américaines et sud-vietnamiennes se trouvent

soumises à une forte pression militaire sur leurs positions dans tout le Sud-Vietnam. De grandes

bases américaines comme Khe Sanh, les capitales de 36 des 44 provinces tombent, Hué est

conquise et reste occupée des jours entiers. Et même à Saigon, les insurgés pénètrent jusqu’à

l’intérieur de l’ambassade américaine, conquièrent l’aéroport de Tan Son Nhut, le Palais du

Gouverneur et le quartier général de l’armée sud-vietnamienne.

Mais les succès ne peuvent ni être tenus militairement dans la durée, ni déclencher le soulèvement

populaire général attendu.14

L’offensive sera écrasée dans le sang par l’intervention de l’US Air

Force et des troupes américaines au sol et débouche ainsi sur une défaite accompagnée de lourdes

pertes.

10

Kissinger a même affirmé que, pendant la durée de la nouvelle mission, le centre de Hanoï serait épargné par les

bombardements. (!) 11

Dans ce contexte, Aubrac parle du « double jeu » de Kissinger qui l’avait pratiquement conduit à interrompre son

activité de conciliateur. Néanmoins, il se sentait engagé envers son donneur d’ordres Pugwash. 12

Le 25 août 1967. 13

Cette proposition a été connue ultérieurement sous le nom de « formule de San Antonio ». 14

De surcroît, les historiens discutent encore aujourd’hui (même au Vietnam) pour savoir si on avait déjà compté à

l’époque, libérer complètement le Sud.

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Les conséquences stratégiques et politiques de l’offensive apparaissent essentiellement positives,

surtout avec le recul du temps. Le Têt marque l’instant où l’armée américaine rencontre pour la

première fois un adversaire « sur un pied d’égalité ». Ainsi se révèlent comme faux tous les

pronostics des militaires américains annonçant une « victoire rapide », en tête desquels se trouvait le

Général Westmoreland dont la fameuse tactique de guerre d’attrition15

s’est révélée être une faute

grossière. Il avait prédit la victoire militaire pour fin 1967 et a dû abandonner son poste en juillet

1968, son successeur étant Creighton Abrams.

La conséquence de cette prise de conscience est la reconnaissance que la guerre du Vietnam ne peut

pas être gagnée militairement et qu’on ne peut par voie de conséquence, la terminer que par des

négociations. Bien que la supériorité de l’armée américaine soit toujours écrasante, par comparaison

directe des forces armées en présence, l’opinion publique américaine et dans le monde entier

commence doucement à jouer un rôle. Il ne se constitue pas que un mouvement pacifiste en

croissance rapide, mais encore on observe ce que les militaires aiment à appeler une « lassitude » ou

une « lâcheté » mais qui est en fait un mouvement démocratique qui se renforce progressivement au

point d’influencer la politique (le Congrès) et les élections. La pression croissante pour terminer la

guerre et ramener les « boys » à la maison est une conséquence de l’offensive du Têt. Johnson, le

Président du Parti démocrate se voit contraint de négocier, déjà avant l’offensive mais c’est

seulement après qu’il est devenu possible de l’évoquer ouvertement.

A cette époque, Kissinger n’est pas encore une personnalité éminente. De 1964 à 1968, il a été

conseiller en politique extérieure du Gouverneur de New-York, Nelson Rockfeller qui n’a pourtant

pas réussi à poser sa candidature à la présidentielle. Dans les années 1960, Kissinger était au service

des Présidents Kennedy et Johnson comme « conseiller ». Son occupation principale était

professeur à Harvard et il n’avait à Washington, ni un poste officiel, ni une légitimation

démocratique. C’est pourquoi il n’a plus joué aucun rôle dans la première phase des négociations de

Paris, tant que Johnson était Président, c’est-à-dire jusqu’à fin 1968.

Paris, la première phase

Bien que de conceptions libérales (droits civils, lutte contre la pauvreté sous le nom de « Great

Society »), le Président Johnson avait dans les premières années de son mandat régulier16

adopté

sans analyse critique la position militariste des « faucons » en ce qui concerne le Vietnam et fait

déposer la « résolution du Golfe du Tonkin » qui a signifié le déclenchement de l’intervention

militaire des USA au Nord-Vietnam.17

Les bombardements contre le Nord-Vietnam ont commencé,

ainsi que l’escalade militaire avec toujours plus de troupes. Sa plus importante décision stratégique

a été la « vietnamisation » de la guerre par laquelle, d’une part, il contrait les critiques grandissantes

contre cette guerre dans son propre pays, d’autre part il voulait accélérer la victoire militaire. Mais il

s’est rendu compte aussi, après l’offensive du Têt, que cette victoire militaire était une illusion et

s’est efforcé, à partir de là, de négocier. Comme signe visible de cette évolution, le Président

annonce le 31 mai 1968 un arrêt unilatéral des bombardements sur les territoires situés au nord du

20ème

parallèle, lequel ne tiendra toutefois que 2 mois environ.

15

Elle reposait sur les opérations tristement célèbres « Search and Destroy » suivant lesquelles les combattants de la

guérilla ennemie devaient être tués, blessés, faits prisonniers ou expulsés jusqu’à ce que l’ennemi n’ait plus les moyens

de les remplacer. 16

Il avait pris en 1963 en tant que Vice-Président la succession de Kennedy après son assassinat, puis avait été élu en

1965. 17

En 1964, il y a eu un accrochage avec quelques bateaux vietnamiens dans le Golfe du Tonkin qui s’est avéré par la

suite avoir été mis en scène par les USA. Sur ces entrefaites, le Président avait imposé une résolution qui lui a permis

d’envoyer des troupes en Asie du Sud-Est et d’attaquer le Nord.

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Sur ces entrefaites, la partie vietnamienne accepte le 3 avril 1968, le démarrage de négociations

directes. Xuan Thuy18

et Ha Van Lo doivent diriger la délégation de la RDV. La partie américaine

sera représentée par Averell Harriman et Cyrus Vance.19

Le 13 mai 1968 a lieu à Paris la première

rencontre, en bilatéral pour commencer. Le gouvernement français met à disposition le centre de

conférences de l’avenue Kléber. Les 2 parties explicitent leur position par de longs exposés. Les

différences de vue dans cette histoire se résument comme suit.

Xuan Thuy : les USA doivent terminer la guerre parce qu’ils l’ont commencée. Ils doivent retirer

leurs troupes et permettre au peuple vietnamien de régler lui-même ses affaires. Mais au préalable,

tous les bombardements et autres actes de guerre doivent durablement cesser.

Harriman : le Nord-Vietnam a attaqué le Sud-Vietnam et violé la zone démilitarisée20

. Les USA

n’ont aucunement l’ambition de régner sur l’Indochine mais défendent la liberté et s’opposent à

l’agression d’autrui. Ils ne veulent ni violer le territoire de la RDV ni renverser son gouvernement.

Ils ne veulent que défendre le Sud-Vietnam contre l’agression communiste. Les USA proposent de

prendre l’accord de Genève de 1954 comme base de départ des négociations.

Les USA proposent un concept pour la négociation et le Vietnam l’accepte en principe :

parallèlement aux sessions plénières de la conférence doivent se tenir des conversations privées

avec un nombre de participants réduit « pour vérifier les propositions, mais pas pour négocier »

comme l’a souligné le ministre vietnamien des affaires étrangères Nguyen Duy Trinh dans un

message à la délégation daté du 3 juin 1968. Cette dualité va rapidement devenir la spécificité des

négociations de Paris et, par-dessus tout, le « privé » va devenir de toute évidence le forum le plus

important surtout après que Kissinger réapparaisse comme interlocuteur principal des USA. On

croit que le caractère secret des négociations, sur lequel on s’est mis d’accord pourra être utile pour

progresser. Plus tard les USA ont aussi profité de cet arrangement et l’ont à dessein rompu quand ça

leur était favorable. On verra que la délégation vietnamienne a fini par en faire autant.21

Le 12 juin 1968, Le Duc Tho rejoint la délégation vietnamienne. Xuan Thuy est resté officiellement

le chef de la délégation, Le Duc Tho étant présenté comme « conseiller »22

. Débute alors le premier

échange de coups. Vance explicite une fois de plus la position des USA. C’est-à-dire que l’arrêt des

bombardements dépend selon eux, de ce qui sera décidé pour la suite. Il insiste sur l’importance de

la zone démilitarisée qui est pour lui le lieu de « l’infiltration » du fait que le territoire situé des

18

Xuan Thuy avait été ministre des affaires étrangères, journaliste et écrivain. Il avait participé aux négociations sur le

Laos à Genève en 1962 et, de ce fait, connaissait déjà Harriman. Ha Van Lam avait été membre de la délégation de la

RDV aux négociations de Genève en 1954. 19

Harriman était un milliardaire qui s’était enrichi dans les chemins de fer et qui était entré en politique pendant la

seconde guerre mondiale. Il a joué un rôle clé dans les négociations sur le Laos à Genève en 1962 et a été connu plus

tard pour son scepticisme envers une solution militaire au Vietnam. Sous Johnson, il a été un des « vieux sages » qui

l’ont conseillé en politique étrangère. – Cyrus Vance a d’abord été avocat à New York puis est rentré au Département de

la Défense et a été de 1977 à 1980 Secrétaire d’Etat sous Carter. 20

La Zone Démilitarisée (DMZ) a été créée en exécution de l’Accord de Genève de 1954 entre les 2 parties

(provisoires) du Vietnam. Elle devait disparaitre avec les élections prévues pour 1956. Mais ces élections n’ont jamais

eu lieu. 21

Il en résulte que cette façon de présenter les choses donne la priorité aux conversations privées. C’est à relier au fait

que les sessions de l’Avenue Kléber n’ont jamais donné lieu à des procès-verbaux officiels. On sait qu’elles avaient lieu

typiquement une fois par mois. Par contre, les conversations secrètes privées ont donné lieu à des enregistrements

presque minutieux dans lesquels de nombreuses déclarations sont citées mot à mot. Ils ont été publiés au Vietnam en

anglais. Luu Van Loi et Nguyen Anh Vu : Le Duc Tho – Kissinger Negotiations in Paris, Hanoi, The Gioi Publishers

1996. Cité ci-après sous Loi/Vu. 22

Le Duc Tho était fils d’un fonctionnaire colonial et avait bénéficié d’une éducation française. Ensuite, il a adhéré à la

résistance anti colonialiste, il a passé des années dans les prisons françaises et a vécu dans la clandestinité. En 1968, il

est parti dans le Sud pour renforcer l’organisation du Parti pendant l’offensive du Têt. Ho Chi Minh l’a personnellement

rappelé de là-bas et l’a nommé comme délégué à Paris.

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deux côtés de la ligne de démarcation est sous contrôle du Front de Libération. Une condition

supplémentaire d’un arrêt des bombardements serait un accord suivant lequel les USA et la RDV

s’interdisent d’augmenter leurs troupes. De plus, des représentants du régime de Saigon doivent être

présents aux négociations plénières (avenue Kléber). Hanoï aurait aussi la possibilité de faire

participer des représentants d’autres forces. Chacune des deux parties ne se verrait pas tenue de

reconnaître les institutions représentées par l’autre, donc pas de reconnaissance de Saigon par la

RDV, pas de reconnaissance du Front de Libération par les USA. On exige en plus, qu’il n’y ait plus

aucune offensive de type Têt, en particulier, aucune attaque contre Saigon, Da Nang et Hué.

Cette exigence résulte du fait que le Front de Libération continue à connaître des succès malgré

l’échec de l’offensive du Têt. Il continue à exercer dans tout le Sud et même à Saigon une pression

militaire. Même si la conquête espérée de Saigon a échoué, il règne depuis lors, là-bas, une

atmosphère d’état de siège, tendue à l’extrême à laquelle contribue le Président sud-vietnamien

Nguyen Van Thieu23

lui-même puisque, non seulement il fait assassiner les soutiens réels ou

supposés du Front de Libération, mais en plus, il fait preuve d’une méfiance croissante envers les

USA et refuse et sabote ouvertement toutes les initiatives de l’administration Johnson.24

Entre temps, aux USA, la campagne électorale entre le démocrate Humphrey et le républicain

Richard Nixon, crédité des meilleures chances, entre dans sa phase critique. Le Vietnam y joue un

grand rôle, pourtant les concepts des deux partis pour la solution du « problème Vietnam » se

distinguent à peine. Ayant pris conscience de l’impossibilité d’une victoire militaire, les opérations

militaires ne peuvent plus servir qu’à améliorer la position initiale des USA lors des inévitables

négociations diplomatiques.

Ces négociations tournent à longueur de semaines autour des deux positions présentées à la

première session : la partie vietnamienne exige l’arrêt durable des bombardements comme condition

préalable d’une négociation sérieuse. En face, on veut d’abord y voir clair sur ce qui se passera

après un arrêt des bombardements. En septembre 1968, les USA rajoutent un troisième différend à

caractère durable : le régime de Saigon, c’est-à-dire l’exigence de sa reconnaissance. Au refus de la

partie vietnamienne, Harriman brandit la menace : « Si vous voulez la guerre, alors les bombes

tomberont sur vos têtes. » Le Duc Tho répond : « Nous y sommes préparés. (…) Vous ne pouvez

pas nous impressionner avec des menaces de guerre. »25

Fin septembre, les activités militaires du Front de Libération au Sud-Vietnam ont faibli. Les troupes

sont affaiblies. Le ravitaillement n’arrive pas assez vite au Sud. Sur le terrain certaines positions

doivent être abandonnées. La zone libérée se rétrécit à nouveau.

La stratégie des USA est de plus en plus définie par ses intérêts globaux en Asie du Sud-Est et il en

résulte que le Sud-Vietnam doit être conservé dans la sphère d’influence américaine. A ce sujet,

règne une unité de vues entre les deux partis pendant la campagne électorale.

Au cours de la session du 11 octobre, Le Duc Tho demande si les bombardements s’arrêteraient

dans l’hypothèse où la RDV se déclarerait prête à accepter Saigon aux négociations. Vance et

Harriman esquivent. Ils n’auraient jamais considéré ça comme un « préalable », mais seulement

23

Thieu était militaire de carrière et avait déjà combattu comme lieutenant contre le Viet Minh. Il devient bientôt l’un

des généraux les plus influents dans l’armée sud-vietnamienne, sous les Américains après la chute de Diem. Il a pris en

charge en 1965 avec Nguyen Cao Ky le gouvernement militaire que Ky dirigera par la suite. En 1967, il s’est imposé

aux élections contre ce dernier. 24

L’ambiance à Saigon à cette époque a été évoquée par Oriana Fallaci dans son reportage Niente e cosi sia, Milano

1969. Edition en langue allemande Wir, Engel und Bestien (Nous, les anges et les bêtes féroces), Dusseldorf 1970. 25

Session privée du 20 septembre 1968, Loi/Vu, p. 40. Ce dialogue aussi va se répéter tout au long des négociations,

avec quelques variantes dans la formulation.

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comme indication du « sérieux » des intentions d’Hanoï. Le Duc Tho insiste : « si nous acceptons

ça, y aura-t-il un arrêt des bombardements ? Harriman répond qu’il ne peut rien dire à ça.26

La

disposition à faire une concession sur ce point repose sur de nouvelles instructions de Hanoï.27

S’il

y avait un arrêt des bombardements, on serait d’accord avec une conférence à quatre, le Front de

Libération devrait alors y participer. Le Duc Tho trouve cette dernière condition trop rigide et

retourne à Hanoï. On ne pourrait pas exiger des USA de discuter directement avec le Front de

Libération.

Il est possible qu’on soit trop rigide. Oriana Fallaci rapporte une tentative de prise de contact

« organisée par la CIA » entre des représentants du Front de Libération et l’Ambassade US à

Saigon. Ce seraient un professeur d’université et son assistant, apparemment « pas du tout

communistes qui voudraient discuter avec l’Ambassadeur Bunker. Mais la police de Thieu les a

attrapés et arrêtés avant qu’ils puissent être admis dans l’Ambassade ». On doit sous-entendre qu’ils

ont été abattus. Fallaci dépeint l’horreur que cette manière d’agir a déclenchée dans la salle de

presse de l’Ambassade US.28

Hanoi pense que des conversations directes entre les USA et le Front de Libération, par exemple

concernant des changements dans la politique de Saigon ne sont plus un préalable pour une

conférence avec participation de Saigon et du Front de Libération. Ces questions doivent plutôt être

discutées dans celle-ci. La conférence peut commencer grosso modo 10 jours après un arrêt des

bombardements. A la session plénière avenue Kléber du 17 octobre 1968 Washington demande une

inversion du déroulement des opérations : dès que Hanoï aura fixé le jour du début de la conférence

à quatre, les bombardements cesseront le jour qui précède. Entre temps, on discute encore de

détails : que signifie « sans conditions »29

au sujet de l’arrêt des bombardements ? Comment doit-on

publier l’accord au sujet de la conférence ?

Ça se réalise le 27 octobre après accord, sous la forme d’un procès-verbal qui contient 2 points :

premièrement, les USA stoppent les bombardements aériens, navals et par l’artillerie et toutes autres

actions qui signifient l’emploi de la force contre le territoire de la RDV ; deuxièmement, concernant

la conférence pour le règlement pacifique du problème vietnamien à Paris, on fixera une remarque

additionnelle suivant laquelle une délégation du Front de Libération et des représentants de la

République du Sud-Vietnam y assisteront. Mais il se révèle que le Président Thieu se rétracte à la

dernière minute et n’est pas disposé à envoyer une délégation à Paris. Johnson décide de passer

outre : « Si c’est ça, nous devrons négocier seuls ».30

Dans la campagne électorale, cette décision a été présentée comme exemple de patriotisme dans une

négociation du gouvernement soutenue par tous les candidats (Nixon, Humphrey et Wallace)31

. En

fait, on a su plus tard que, en coulisses, des représentants du Parti Républicain avaient usé

d’influence sur Thieu pour torpiller l’accord.32

On lui a raconté que ça irait mieux pour lui sous une

administration Nixon que sous celle de Humphrey.

26

Loi/Vu p. 46 27

Il y avait là-bas au Ministère des Affaires Etrangères un groupe de conseillers, en contact permanent avec la direction

du Parti. 28

Fallaci p. 95 29

On s’est disputé pour savoir s’il y avait une différence entre without condition et unconditional. 30

Lyndon B. Johnson : The Vantage Point, New York 1971, p. 622 ; pour l’homogénéité, je cite de préférence les

éditions originales et non les éventuelles traductions des mémoires des hommes politiques américains. 31

William Bundy dans le New York Times du 13 juin 1991. 32

D’après Clark Clifford, le contact est passé par Anna Chennault, une adepte de Nixon à Saigon, à comparer avec

Loi/Vu p. 58. L’affaire est décrite en détails dans Christopher Hitchens : The Trial of Henry Kissinger, London, New

York 2001, p. 14.

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9

Le 31 octobre 1968, le Président Johnson ordonne l’arrêt des bombardements au Nord-Vietnam et

propose la réunion d’une conférence quadripartite pour le 6 novembre à Saigon. Le gouvernement

de Saigon n’envoie aucun représentant. Le 7 novembre 1968, Nixon gagne les élections avec une

très courte avance de 43,3 % contre 42,7 % et beaucoup plaide en faveur de l’idée que

l’obstructionnisme de Thieu a été électoralement décisif. « Si Johnson avait arrêté les

bombardements 5 à 7 jours plus tôt, le résultat aurait peut-être été différent. »33

Conférence avenue Kléber

Nixon prend la relève

A sa prise de fonction en janvier 1969, Nixon explique que dans l’actualité, l’achèvement de la

guerre au Vietnam est le problème le plus important et la clé de tous les autres. Il est de ce fait sous

pression nationale et internationale. L’opinion publique aux USA exige de lui qu’il tienne la

promesse de son prédécesseur de ramener les « boys » à la maison. Chez les alliés aussi se

manifestent des changements politiques (de Gaulle, Japon, « Ostpolitik » de Brandt). D’un autre

côté, le conflit sino-soviétique semble lui apporter un nouvel allié (la Chine). 6 mois après sa prise

de fonction, le nouveau président annonce sa nouvelle politique mondiale, la « doctrine Nixon » (ou

doctrine de Guam). Elle promet la démilitarisation des conflits sous réserve de la conservation des

zones d’influence : « Si le problème du Vietnam est un jour résolu, nous aurons besoin d’une

nouvelle politique asiatique pour empêcher qu’il y ait là-bas de nouveaux Vietnam. Mais dès à

présent nous allons soutenir avec du matériel ces pays qui sont prêts à se défendre eux-mêmes. »34

Dans le cas du Vietnam, ça signifie la continuation du concept Johnson de vietnamisation

(renforcement maximal des troupes de Thieu, puis retrait).

L’évolution de la situation militaire au Sud-Vietnam est favorable à Nixon. Les effets à long terme

de l’échec de l’offensive du Têt se font perceptibles. « Nous avons mis toutes nos forces dans

33

C’est dans Loi/Vu p. 62. 34

The memoirs of Richard Nixon, London 1978, p. 395.

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l’offensive générale et, quand l’ennemi a démarré sa contre-offensive, notre position était affaiblie

et nous n’avons pu nous affirmer contre lui que péniblement. De 1969 à 1971, nous étions dans une

situation critique. »35

Il y a des problèmes de ravitaillement. « En 1969, nous n’avions une réserve

de nourriture, plus que pour une semaine. »36

De plus, les environs de Saigon sont revenus sous le

contrôle de Saigon. Les troupes actives du Front de Libération doivent se replier dans les

montagnes. « Quand nous avons démarré la grande offensive, nous avons commis la faute d’estimer

de façon subjective et erronée le rapport de forces, puisque nous avions escompté à tort le

soulèvement de la population dans les villes. »37

Le début des négociations « dans le nouveau format » à Paris est resté avant tout, marqué dans les

mémoires par la « dispute au sujet de la forme de la table ». Ce qui est en fait ridicule, est pour les

délégations une question politique. Comme les 4 partenaires de la négociation ont un statut

absolument différent, c'est la question de la reconnaissance respective du statut de la partie adverse.

Est-ce que le Front de Libération n'était qu'un « appendice de la RDV » ? Est-ce que la

« République du Vietnam » n'était qu'une « marionnette des USA » ? Ça a duré longtemps jusqu'à

ce qu'on se mette d'accord sur une table ronde au centre et 2 tables rectangulaires à 45 cm de

distance. En plus, il ne devait y avoir ni drapeaux, ni noms inscrits sur la table.

A la première session plénière, le 25 janvier 1969, les USA ont envoyé un nouveau chef de

délégation, Cabot Lodge, un bon ami de Nixon.38

La délégation vietnamienne avait reçu en ce début

d'année, de nouvelles instructions dans lesquelles est fixé entre autres buts, celui de renforcer le rôle

international du Front de Libération. Est signifiée aussi la crainte qui s'est révélée plus tard fondée,

que les USA reprennent les bombardements et peut-être même les étendent au Laos et au

Cambodge. La session commence par des affirmations politico-historique générales, pimentées de

durs reproches envers la partie adverse. « Les participants étaient physiquement présents mais leurs

espoirs étaient sur le champ de bataille. »39

Pendant que le Front de Libération recommence à lancer quelques opérations militaires, Xuan Thuy

reproche aux USA d'avoir rompu l'Accord de Genève en occupant la zone démilitarisée, de plus le

Nord-Vietnam a été à nouveau bombardé, onze fois rien qu'en janvier. En fait, Nixon a commencé,

en dépit des négociations et parallèlement à celles-ci, toute une série d'actions militaires qui seront

tenues secrètes non seulement vis-à-vis de la partie vietnamienne, mais encore face à l'opinion

publique US, comme le bombardement de supposées « cachettes » du Front de Libération au Sud-

Vietnam et au Cambodge. C'est ainsi que l'agression s'est poursuivie pendant toute la durée des

négociations à Paris.

A Paris, Xuan Thuy et Le Duc Tho présentent leurs propositions pour la suite des négociations.

Pour l'essentiel, ce sont les points déjà formulés par Pham Van Dong en avril 1965 :

Les USA doivent retirer leurs troupes et mettre fin à leur alliance militaire avec Saigon.

Jusqu'à la réunification, les stipulations de l'Accord de Genève de 1954 font foi.

Les problèmes politiques au Sud-Vietnam doivent être résolus par des négociations avec le

FLN.

L'objectif est la réunification pacifique du Vietnam.

35

Tran Do dans la revue Militärische Revue de février 1968, cité d’après Loi/Vu p. 66. 36

Histoire de la résistance contre les USA, éditée par le ministère de la défense volume 1 Hanoi 1990, p. 311, cité

d’après Loi/Vu p. 66. 37

Le Duc Tho in Militärische Revue, février 1968, p. 311, cité d’après Loi/Vu p. 67. 38

Henry Cabot Lodge a été journaliste et a beaucoup voyagé au Vietnam, y compris au temps des Français. Il a siégé au

Sénat depuis 1932 dans les rangs des Républicains. En 1963, Kennedy l’avait nommé ambassadeur à Saigon. Il y a été

impliqué dans le coup d’état contre Diem. 39

Loi/Vu p. 74

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Lodge exige un retrait des troupes « comme après 1954 », donc le regroupement bilatéral.40

Il refuse

de mettre fin à l'aide à Saigon, « tant que les troupes nord-vietnamiennes continuent à s'infiltrer ».

Le 8 mai 1969, le Front de Libération nouvellement arrivé à la conférence présente pour sa part un

plan de paix en 10 points. La nouveauté y réside en une phrase selon laquelle « la question des

troupes vietnamiennes au Sud-Vietnam doit être réglée par les Sud-Vietnamiens eux-mêmes. »

Comme la conférence siège publiquement avenue Kléber, la proposition attire immédiatement

l'attention de la presse. Kissinger a par la suite commenté ainsi ce plan « impertinent » : « Au moins

la simple existence d'un plan de paix communiste, si surprenant soit-il, a déclenché une réaction

immédiate dans les médias et l'opinion publique, d'où il a résulté une pression sur le gouvernement,

afin de ne pas laisser passer cette occasion. »41

Après un instant de réflexion, Nixon présente le 14 mai 1969 (à la télévision, pas à la conférence),

un contre-plan en 8 points qui offre le retrait rapide des troupes US du Sud-Vietnam et l'abandon

des bases militaires si, dans le même temps, les troupes nord-vietnamiennes se retirent du Sud-

Vietnam. En plus, les USA autoriseraient le Front de Libération à participer à la vie politique au

Sud-Vietnam, mais pour commencer, sous le régime Thieu. Toutefois le texte contient aussi la

menace de recourir à nouveau à la force si Hanoi ne se montre pas « flexible ».

Ainsi et pour la première fois, sont présentés par les deux parties des plans de paix conséquents,

permettant une comparaison des positions. Xuan Thuy et le Front de Libération persistent sur deux

exigences : aucun retrait des troupes nord-vietnamiennes, dissolution du gouvernement Thieu et

formation d'un gouvernement de coalition incluant le Front de Libération et, éventuellement,

d'autres forces politiques. Les USA exigent aussi le retrait des troupes nord-vietnamiennes et la

reconnaissance pratique du régime Thieu et, par voie de conséquence, l'existence de deux états au

Vietnam. On démarre une pause de trois mois dans les négociations.

Une nouvelle situation : la création du GRP

Dans le cadre d'un grand voyage en Asie, Nixon rencontre le Président Thieu sur l'île de Guam. Il

essaie sans résultat de le convaincre d'accepter un retrait des troupes US par étapes, mais démarrant

immédiatement, retrait auquel Nixon se voit contraint pour des raisons de politique intérieure. Le

retrait fait partie du concept de « dé-américanisation » ou de « vietnamisation », récupéré de

Johnson et dont il a fait la base de sa politique.42

Comme contrepartie, il offre un programme

d'entraînement et de nouvelles livraisons d'armement à l'armée Thieu. Thieu refuse mais envoie tout

de même par la suite des représentants à Paris.

Selon l'idée de Nixon, le Sud-Vietnam doit pouvoir tenir seul pendant 5 ans après un armistice. Par

la suite, les USA ne s'opposeraient plus à une négociation.43

Dans le cadre d'un nouveau concept de politique extérieure globale, Nixon fait sonder Moscou et

40

Il y a en arrière-plan des différences fondamentales : la RDV considère le Vietnam, conformément à l’Accord de

Genève, comme un état unitaire dont le partage n’est que transitoire. Donc il ne peut y avoir au Sud-Vietnam de troupes

« étrangères » qui devraient se retirer. Les USA insistent sur le caractère propre du Sud-Vietnam en tant qu’état, en

contradiction avec l’Accord de Genève. 41

Henri Kissinger : Ending the Vietnam War, New York 2003, p. 79. Ce livre est la récapitulation des morceaux de ses

mémoires qui concernent les négociations de Paris (White House Years, 1979) ainsi que de ses livres Years of Upheaval

(1982) et Diplomacy (1994). 42

On peut dire : de bon ou de mauvais gré. Mais comme il ne peut pas s’écarter dans la campagne électorale, du

consensus fracassant, régnant entre tous les partis, il ne lui reste pas d’autre choix. 43

Aucun politicien ou journaliste sérieux n’a jamais cru que le régime Thieu pourrait se maintenir longtemps après le

retrait des Américains. La durée de cette période a été discutée en tant que « decent interval ». Elle a servi d’échelle de

mesure jusqu’à quel point le retrait US serait « honorable ».

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Pékin, ce qui va sensiblement influencer le cours des négociations à Paris. Nixon s'efforce

constamment de thématiser la question du Vietnam, dans le processus de prise de contact avec les

deux puissances orientales44

jusqu'aux deux sommets de Pékin et de Moscou. Ces deux pays sont

sollicités pour exercer une influence sur Hanoi, dans son sens.

Et Nixon écrit une lettre à Ho Chi Minh, affirmant sa volonté de « mettre une fin à cette guerre

tragique, à la table de conférence ». Dans sa réponse du 25 août, Ho Chi Minh écrit : « Je suis

scandalisé par les pertes et les destructions que les troupes US infligent à notre pays et à notre

peuple. Je suis aussi profondément consterné par le nombre croissant de jeunes Américains tués au

Vietnam pour rien. »45

C'est le dernier document diplomatique signé par le Président Ho Chi Minh.

Sa mort le 2 septembre 1969 a un grand retentissement et on porte le deuil dans tout le pays.

Le mouvement de libération vietnamien a pris conscience, du fait de son plan de paix, de ne pas être

préparé à participer à un gouvernement de coalition, ne serait-ce que parce qu'il n'avait quasiment

pas de personnel approprié à proposer pour un tel gouvernement. En réaction à cette prise de

conscience, on se met à organiser un organe politique qui pourrait devenir un partenaire légal sur la

scène diplomatique à Paris et dans un gouvernement de coalition. Le 30 décembre 1969, différentes

organisations patriotiques se sont réunies dans la province de Tay Ninh, ont discuté de la situation et

ont décidé la formation d'un « Gouvernement Révolutionnaire Provisoire du Sud-Vietnam (GRP).

L'avocat saïgonnais Huynh Tan Phat devient le Président, Nguyen Thi Binh la ministre des affaires

étrangères.46

Le GRP décide un programme d'action dont le but est une réconciliation nationale et la formation

d'un large gouvernement de coalition. Dans les 4 semaines qui suivent, le GRP est reconnu par 23

pays.

Kissinger entre en scène

Dès le mois de décembre 1968, Nixon avait nommé Henry Kissinger chef de son bureau pour la

sécurité nationale (NSC), une autorité sans légitimité démocratique ni fonction de gouvernement

officielle. Nixon et Kissinger en font quelque chose comme un organe d'exécution de politique

étrangère au sein duquel les plus importantes décisions sont discutées et prises, et en particulier sans

consultation des ministères compétents (extérieur et défense), souvent sans même les tenir au

courant. Avant tout, les activités de cet organe étaient complètement cachées à l'opinion publique.

Aucune des discussions menées et des décisions prises ne pouvait être publiée ni divulguée. Cette

« construction » correspondait au penchant de Kissinger, de prendre des décisions en solitaire et de

discuter des initiatives de politique extérieure tout au plus avec le Président.47

Ainsi ont pu et dû être

gardées complètement secrètes face à la presse et à l'opinion publique, des opérations militaires

44

Là aussi, Kissinger est l’entremetteur. 45

A comparer avec Kissinger, Ending, p. 85 à 91, Loi/Vu p. 95 et suivantes. 46

Huynh Tan Phat est originaire du Centre-Vietnam. Il a étudié le droit à l’Université d’Hanoi avant de se rallier à la

résistance anticolonialiste. Il a ensuite combattu au Sud le régime Diem et a été secrétaire général du Front de

Libération. Nguyen Thi Binh est originaire de Saigon et y a combattu comme étudiante la domination coloniale. Elle a

passé les années 1951 à 1954 dans les prisons françaises, puis elle s’est engagée contre le régime Diem. Elle a été de

1963 à 1966, Vice-Présidente de l’Association des Femmes pour la Libération du Sud Viêt Nam. Elle dirigeait la

délégation du Front de Libération à Paris. 47

Le « National Security Council » a été créé après la Seconde guerre Mondiale. Par la suite son importance a été

limitée parce que de fortes personnalités (Dulles, Rusk) dirigeaient le département d’état (ministère des affaires

étrangères). C’est seulement le Président Kennedy qui a initié une tradition de marginalisation des affaires étrangères.

Johnson en a fait l’organe de décision de sa « diplomatie de crise ». Nixon y a rajouté une aversion presque maladive

envers la bureaucratie élitaire. Et Kissinger a fait de cet organe, son instrument. Il en a recruté les membres qui l’ont

servi « avec le dévouement d’un moine » comme l’a dit une fois Alexander Haig. A comparer avec Marvin Kalb et

Bernard Kalb : Kissinger, Boston 1974, p. 73 et suivantes.

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importantes (telles que le bombardement du Cambodge). Dans cette fonction-là, Kissinger apparaît

tout naturellement comme la personnalité la plus appropriée pour négocier à Paris, bien qu'il n'ait

jamais agi en tant que dirigeant officiellement la délégation US, entraînant l'embarras constant de la

délégation vietnamienne. Il n'apparaît pratiquement jamais en session plénière, ses activités se

concentrent sur les négociations secrètes en cercle restreint qui ont lieu dans des maisons

particulières de la banlieue parisienne.

Donc pendant que Nixon fait son grand voyage en Asie, Kissinger s'entretient pour la première fois

en privé avec Xuan Thuy au domicile de Jean Sainteny. A l'avenir, toutes les rencontres semblables

auront ce caractère secret, privé et aussi informel, même si elles ont lieu dans le cadre de la

conférence. Kissinger veut de cette façon intégrer leur fonction à la conférence, quitte à trouver,

plus tard, une formule qui n’engage pas. Kissinger a clairement formulé ce qu'il voulait obtenir de

cette façon : « Les Nord-Vietnamiens ne pouvaient pas utiliser le canal secret parisien pour leur

propagande. S'ils avaient refusé de mener ces discussions, ça aurait été utilisé contre eux. Il aurait

juste suffi de rendre public ce refus. »48

Ils rentrent et sortent séparément : Le Duc Tho,

Xuan Thuy …

… Kissinger et collaborateurs

La première rencontre privée « officielle » a lieu le 4 août 1969. Le nouveau partenaire doté de

compétences mystérieuses salue la délégation vietnamienne par des compliments exubérants et

précise que sa participation à la réunion en dehors de la conférence de l'avenue Kléber est de nature

purement privée et doit donc rester confidentielle. Malgré tout, il se présente comme envoyé du

Président américain et transmet ses vieilles exigences : Toutes « les armées communistes et non

communistes doivent être dissoutes. » Comme cette guerre n'est pas celle de Nixon, ce dernier ne

doit pas craindre le risque de ne pas la gagner. Du point de vue du contenu, ça ne signifie rien de

nouveau, c'est seulement le ton par lequel Kissinger assène ces paroles, qui est plus agressif. Xuan

Thuy élucide la position inchangée du Vietnam : retrait des troupes US, gouvernement de coalition,

fin du régime Thieu et propose comme base de négociation, le plan en 10 points du Front de

Libération.

Xuan Thuy ajoute : « Les USA veulent en fait prolonger leur présence militaire au moyen de

mesures de retrait au compte-gouttes ». Au sujet du gouvernement sud-vietnamien : « Tant que vous

voudrez les garder, le problème ne peut pas se résoudre ou alors il faut changer les hommes et la

politique de cette administration. »49

Il semble qu'on soit d'accord pour qu'il y ait un gouvernement

provisoire au Sud-Vietnam mais il faut que ça soit un gouvernement de coalition à trois

composantes. Kissinger répond : on ne peut pas forcer les USA à remplacer Thieu, de la même

façon que les USA ne peuvent pas exiger de changer la direction du Front de Libération. On décide

48

Kissinger : Ending p. 111 49

Loi/Vu p. 102

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de continuer des négociations secrètes.

L'entrée en scène offensive de Kissinger est aussi en rapport avec la détérioration de la situation au

Sud-Vietnam. De l'été à la fin 1969, les actions militaires du Front de Libération ont été à nouveau

très limitées et souvent sans résultat. Des portions de territoire libéré sont perdues, surtout à la

campagne. Sur tout le front, l'adversaire construit 5800 « villages stratégiques »50

. Il n'y a plus que

4,7 millions au lieu de 7,7 millions d'habitants dans les zones libérées.

Un des points de rencontre secrets : rue Darthe, Choisy-le-Roi

D'un autre coté le mouvement anti-guerre prend aux USA un élan monstrueux culminant avec le

« moratoire » du 15 octobre 1969. Plusieurs centaines de milliers de personnes protestent dans

toutes les grandes villes.

50

Une mesure déjà initiée sous Diem avait pour but de contraindre la population à soutenir le régime (à cette époque,

les nouveaux camps surveillés militairement s’appelaient « AgroCity »). Le programme des « villages fortifiés » a servi

à Thieu dans le même but.

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Placé de cette façon sous pression, Nixon tient le 3 novembre 1969 un discours de politique

extérieure annoncé de longue date dans lequel il renouvelle sa promesse de résoudre le problème

vietnamien par les négociations et la vietnamisation. On déclare vouloir une paix honorable et par la

même occasion faire en sorte que le Sud-Vietnam soit capable de s'auto défendre. Il fait appel à la

« majorité silencieuse » pour le soutenir. En réaction enthousiaste de cette majorité silencieuse,

orchestrée par le Parti conservateur, des centaines de milliers de lettres, d'appels, etc. arrivent à la

Maison Blanche.

Simultanément, l'Ambassadeur soviétique à Hanoi transmet à Pham Van Dong la position du

gouvernement US sans se ranger explicitement au côté de Hanoï. On envoie à Paris une directive

afin de durcir la position. Le 29 novembre, Cabot Lodge démissionne de son mandat de chef de la

délégation US à la conférence de l'avenue Kléber. Nixon décide de ne pas le remplacer. Il veut, de

cette façon exprimer son insatisfaction au sujet de l'absence de progrès dans les négociations dont

Hanoï serait coupable.51

La partie vietnamienne doit reconnaître dans le discours de Nixon que les anciennes exigences sont

répétées publiquement avec un nouveau mordant et ne voit aucune motivation à reprendre les

négociations secrètes. C'est seulement le 21 février 1970 qu'on se retrouve et, pour la première fois,

Kissinger trouve en face de lui un nouveau « partenaire principal inofficiel de négociation » en la

personne de Le Duc Tho qui devait devenir le plus important contradicteur du diplomate américain.

Kissinger présente un discours préparé qui contient les vieilles exigences et signale que le discours

de Nixon a valu à ce dernier un large soutien dans la population US.52

Hanoï ne pourrait plus tabler

sur les difficultés intérieures aux USA pour les exploiter contre ces derniers. De plus, sont signifiées

des indications suivant lesquelles le Vietnam « ne pourrait plus longtemps jouir du soutien unanime

de ces pays qui jusqu'à présent le lui accordait. »53

Kissinger propose que les 10 points du FLN et/ou les 8 points de Nixon pourraient, voire ne

devraient pas être le fondement d’un accord. Si les principes étaient clarifiés dans les négociations

secrètes, on pourrait discuter des détails en session plénière, avenue Kléber. Suit alors une de ces

phrases typiques de Kissinger par lesquelles il croyait pouvoir détendre l'atmosphère : « Pardonnez-

moi de parler si longuement mais, comme professeur à Harvard, je parle toujours pendant 55

minutes. »54

Simultanément, il devient menaçant, Nixon devant rester encore 7 ans au pouvoir, il

serait insensé de le défier.

Les discussions, au sujet des litiges essentiels à présent formulés vont caractériser la conférence et

les conversations secrètes jusqu'à la conclusion. Parfois les délégués vietnamiens interrompent le

« marchandage » pour essayer d'élucider leur position générale, ainsi que la situation. Ce jour-là, Le

Duc Tho déclare dans cette intention : « Bien que nous ayons consenti de grands sacrifices, subi des

pertes et enduré des peines, nous avons gagné. » – Kissinger dresse l'oreille : « Quoi ? Vous avez

gagné la guerre ? » – « Nous avons gagné et vous avez échoué. Vous n'avez toujours pas accepté de

reconnaître la réalité. Vous croyez toujours en la possibilité d'exercer une pression militaire sur le

champ de bataille. Vous persistez à refuser de résoudre sérieusement le problème. M. Nixon

continue à déclarer vouloir nous contraindre à négocier au moyen de la vietnamisation. Croyez-vous

sérieusement pouvoir utiliser la vietnamisation comme moyen de pression à la table de

51

Kissinger : Ending p. 111 52

Dans sa réponse, Le Duc Tho a surpris Kissinger par sa connaissance exacte des sondages Gallup d’après lesquels le

nombre des partisans d’un retrait immédiat des troupes US est monté de 21 à 35 % à l’issue du discours de Nixon. 53

Kissinger : Ending p. 115. Allusion au conflit soviéto-chinois et aux efforts de Nixon de mettre dans son camp Pékin

et Moscou dans la question du Vietnam. 54

Loi/Vu p. 116

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négociation ? »55

A cette dernière question de Le Duc Tho, à savoir comment les USA pouvaient

espérer, rien qu'avec les troupes de Saigon, atteindre un objectif militaire que ces dernières

n'auraient pas atteint avec les troupes US, Kissinger a semblé rester un moment sans voix et a

concédé plus tard que c'était une question qui l'avait souvent tourmenté.

Le Duc Tho pose aussi la question de l'utilité de la conférence par rapport aux conversations

secrètes : « Est-ce bien M. Nixon qui vous a envoyé ici, … ou bien venez-vous de temps en temps,

juste pour tâter le terrain ? Vous n'avez aucun chef de délégation aux séances plénières. Quelqu'un

devrait tout de même parler officiellement en votre nom si nous voulons parvenir à un accord. »

Entre temps, le Général Walters, successeur de Cabot Lodge était parti aussi. Il était clair pour Xuan

Thuy et Le Duc Tho que, après ces provocations ouvertes selon les règles de la diplomatie, ils ne

pourraient plus rester longtemps à Paris.

Kissinger rend compte à Washington que cette rencontre a été la plus importante jusqu'à maintenant.

Jusqu'à mai 1970, il y a encore deux rencontres supplémentaires, sans résultat. Ainsi se termine le

« premier round » des conversations secrètes, sans avoir pratiquement produit le moindre résultat.

Nouveaux événements et nouvelles constellations

En janvier 1970, le Général Abrams annonce à Nixon que la vietnamisation n'avance pas comme

prévu. La résistance s'est renforcée, surtout dans le Sud-ouest du Sud-Vietnam, surtout dans la

région dite du « Bec de canard », une langue de terre cambodgienne pénétrant dans les provinces de

Tay Ninh et Long An. Nixon ordonne le bombardement de ces deux provinces.

Le 18 mars 1970, l'officier Lon Nol prend le pouvoir par un coup d'état contre le Prince Sihanouk. A

ce moment-là, Sihanouk était en voyage à Pékin et va donc y rester dans un premier temps. Jusqu'à

maintenant, on estime, mais ça n'a jamais été prouvé, que la CIA a organisé le putsch de façon à se

débarrasser du Prince qui poursuivait une politique de neutralité.56

Le soupçon est renforcé par le

comportement du gouvernement US. La junte militaire n'aurait pas pu se maintenir longtemps au

pouvoir sans que les USA ne soient immédiatement venus en aide par des livraisons d'armes et avec

le renfort des troupes de Saigon. En dépit de ce soutien, les forces réunies de la résistance au

Cambodge ont pu libérer toutes les provinces du nord en mai et juin 1970.

Le 22 mars 1970, Pham Van Dong visite le Prince Sihanouk et soutient le mouvement de résistance

créé par le Prince, le Front d'Union Nationale du Cambodge (FUNC). Pendant que des morceaux de

l'armée de Saigon étaient engagés au Cambodge, le Front de Libération a pu reconquérir des

territoires et ce, dans toutes les régions jusqu'au delta du Mékong. Le mouvement de résistance

gagne aussi en importance et en influence à Saigon et dans d'autres villes. Le 24 avril 1970 a lieu à

Canton (Chine) une conférence au sommet des trois organisations de libération indochinoises. Y

participent, Pham Van Dong, Nguyen Huu Tho (GRP), le Prince Sihanouk et le Prince

Souphanuvong (Laos). En réaction à l'élargissement de la guerre à toute l'Indochine, les

organisations de libération se fédèrent.

Aux USA, le Congrès abroge la résolution Tonkin. D’autres lois sont discutées, par exemple pour

interdire le soutien à Lon Nol et pour réduire et supprimer des ressources pour la guerre.

Le 20 avril 1970, Nixon envoie officiellement des troupes au Cambodge, qui à vrai dire y sont déjà

pour partie. Il justifie sa décision comme étant une action passagère et limitée dans le but de

55

Loi/Vu p. 119 56

Il est connu que la CIA agit souvent à l’insu du gouvernement US. Mais c’est peu crédible dans ce cas précis,

tellement l’action cadre ostensiblement avec le concept du gouvernement.

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« mettre fin à la guerre du Vietnam » (!)57

Cette nouvelle déclenche des protestations à l’échelle

nationale, à l’université Kent un étudiant meurt sous la grêle de balles de la Garde Nationale.

Le 6 mai, une session plénière avenue Kléber est rapidement interrompue parce que les délégations

de la RDV et du GRP quittent la salle en signe de protestation contre la guerre au Cambodge. A une

nouvelle invitation à une nouvelle rencontre secrète, Hanoï répond : « Les protestations de paix des

USA sont des mots creux, dans ces circonstances une rencontre n'est pas utile. »58

Délibération de la délégation vietnamienne Nguyen Thi Binh et la délégation du GRP

Des employés du gouvernement participent à une nouvelle « journée moratoire » le 9 mai 1970,

devant la Maison Blanche. Le Secrétaire d’État Rogers et le Secrétaire à la Défense Laird se

déclarent opposés à la guerre au Cambodge.59

Un projet de loi est déposé au Congrès US pour le retrait de toutes les troupes US à fin 1971. La

proposition rencontre un large soutien dans le public. On en attend que la politique dilatoire de

l'administration Nixon trouve une fin. L'acceptation du projet de loi aurait signifié la fin de la

stratégie de vietnamisation. Le projet est repoussé par 55 voix. Néanmoins 39 sénateurs avaient voté

pour. Le 30 juin 1970, Nixon doit finalement céder partiellement à la pression, les troupes US

doivent se retirer du Cambodge, il est vrai sur instruction du Congrès et non du Président.

Les conversations suivantes ne reprendront à Paris que le 7 septembre 1970 en l'absence de Le Duc

Tho. Kissinger commence par des reproches : les USA désiraient une fin prochaine de la guerre

mais comme la partie vietnamienne ne voulait pas négocier, les USA se sont vus contraints de

suivre d'autres voies, par exemple le renforcement de l'armée sud-vietnamienne. Il renouvelle sa

menace de rupture des négociations et de poursuite de la guerre dont l'issue serait incertaine. Les

USA repoussent invariablement les deux exigences vietnamiennes : retrait des troupes US et

renversement du régime Thieu.

Kissinger cite trois principes de Nixon pour une solution politique sud-vietnamienne :

Les souhaits de la population sud-vietnamienne doivent être respectés.

Le rapport de forces actuel ne doit pas être modifié par des ingérences extérieures.

Les USA sont prêts à respecter le processus politique que les deux camps voudraient

emprunter.

Xuan Thuy rétorque que les opinions divergent en ce qui concerne le droit à l'autodétermination du

57

Loi/Vu p. 141 58

Loi/Vu p. 123 59

Peut-être aussi parce qu’ils n’ont pas été consultés, une fois de plus.

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peuple sud-vietnamien. Kissinger répond : « La force de conviction de la RDV et du Front de

Libération est certainement grande, mais la force de conviction des USA est aussi grande que

l'effectif de ses troupes au Sud-Vietnam. » Après avoir accordé cet aperçu involontaire sur la façon

de penser américaine, Kissinger essaie à nouveau de se montrer décontracté : si M. Nixon me

demande ce que j'ai atteint en étant venu ici, et veut savoir si le ministre a dit quelque chose de

nouveau, quelle réponse dois-je lui faire ? »

Xuan Thuy : « C'est tout à fait simple. Vous lui répondrez : Parce que M. Nixon vous a chargé de ne

rien dire de nouveau, en particulier concernant les problèmes politiques, M. le Ministre Xuan Thuy

ne peut, lui non plus, rien dire de nouveau. Seulement ce qui suit : le plus important est que le

Président Nixon doit changer sa politique. »60

Le GRP s'active

Le GRP qui ne peut s’asseoir à la table, que en session plénière avenue Kléber et n'a aucun accès

aux négociations secrètes propose le 17 septembre 1970 son propre plan en 8 points dont les plus

importants sont :

Retrait des troupes US d'ici au 30 juin 1971. Dans l'intervalle, on se retiendra s'attaquer. Il

faudra discuter de la sécurité pendant le retrait et de la libération des prisonniers de guerre.

Mise en place d'une administration61

à Saigon sans Thieu ni Nguyen Cao Ky62

afin de

rétablir la paix, l'indépendance et la neutralité, de prendre en charge l'amélioration du niveau

de vie de la population et de veiller aux libertés démocratiques, libérer les prisonniers

politiques, dissoudre les villages fortifiés et les camps de concentration. Le FNL négociera

avec un tel gouvernement et on préparera ensemble les élections. Une assemblée nationale

ainsi élue préparera alors une constitution.

C'est la première proposition de paix détaillée qui est présentée officiellement en séance plénière.

La presse internationale et US réagit positivement. Le GRP est invité à participer à la conférence au

sommet des pays non alignés à Lusaka.

Nguyen Thi Binh Le Duc Tho et Xuan Thuy

Le plan du GRP est le thème de la réunion secrète suivante, le 27 septembre 1970. Kissinger est

visiblement irrité par l'initiative du GRP et critique surtout les passages sur la mission d'un

60

Loi/Vu p. 149 61

Une expression voulue abstraite pour éviter un débat sur la légitimité d’un gouvernement de coalition. 62

Ky est général de l’armée de l’air et pilote, premier ministre sous Thieu, il a été longtemps son rival politique. Son

comportement élitaire est aussi connu que son admiration pour Hitler. Il était la force motrice des persécuteurs des

bouddhistes sous Diem. Il doit son ascension au soutien des USA. C’est seulement après 1970 que Thieu a pu s’imposer

contre lui.

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gouvernement de coalition (paix, indépendance etc.). Le GRP ne s'intéresserait qu'à décider seul,

qui est à la hauteur et aspirerait à un gouvernement qui serait en fait formé de trois composantes

communistes. Les USA se voient alors contraints de faire une contre-proposition substantielle. Elle

viendra de Nixon lui-même et ne sera pas, encore une fois, déposée à la conférence mais étalée dans

les médias (le 7 octobre 1970). La nouveauté est dans l'exigence d'une conférence de paix portant

sur toute l'Indochine. Xuan Thuy présume qu'il s'agit seulement d'occulter l'immobilisme des

négociations à Paris avec la proposition (vague) d'une conférence de paix sur toute l'Indochine.

Averell Harriman a été amené à s’exprimer dans le même sens : à son avis, les USA ne feraient

aucun effort pour parvenir à un accord.63

Au moins un indice en faveur de cette supposition réside dans le fait que Nixon intensifie, une fois

de plus, le bombardement du Nord-Vietnam avec 200 raids par jour.64

Deux mois plus tard, le 12 décembre 1970, le GRP fait une nouvelle proposition, cette fois sur le

thème de l'armistice. Il contient trois points :

Arrêt des combats et retrait des forces combattantes US d'ici le 30 juin 1971.

Arrêt immédiat des combats dans le Sud après accord entre le GRP et le gouvernement de

Saigon au sujet d'un gouvernement de coalition sans Thieu.

Négociations entre les protagonistes (Saigon et GRP) pour le contrôle et le respect de la

trêve.

Aucune réaction de la part des USA et plus aucune réunion depuis octobre. Seuls se poursuivent les

bombardements.

Le Doi Moi de Nixon

Nixon pousse la vietnamisation jusqu'au début de l'année 1971, bombarde au B52 les « cachettes »

du Front de Libération, envoie des troupes au Cambodge neutralisé et intensifie les opérations

militaires au Laos. Tout ceci se passe dans le secret le plus complet possible, car Nixon doit

redouter que les « colombes » obtiennent la majorité au Congrès et parviennent à imposer une

décision de retrait immédiat et total. D'avril à juin 1971, sont déposées 17 propositions de loi (toutes

ont échoué) dans le but de limiter le pouvoir du Président de continuer la guerre, ou de lui imposer

le retrait immédiat. L'économie US entre en dépression, le taux de chômage est à son plus haut

depuis 1961. Et les prochaines élections présidentielles sont en 1972.

Pendant cette période, la conférence quadripartite de Paris est systématiquement ignorée par Nixon.

Il arme l'armée de Saigon et veut mettre un point final à la destruction totale de la piste Ho Chi

Minh. Mais il y affecte des troupes sud-vietnamiennes afin d'éviter les protestations aux USA

(opération Lam Son 719). Les troupes US n'assurent que le soutien logistique et aérien. La

continuité de la ligne de communication doit être interrompue au niveau de Tchépone au Laos.

L'action militaire doit occuper entièrement les mois de janvier et de février. Peu avant la prise de

Tchépone, le 12 février 1971, l'attaque se grippe. A Washington, on attend avec impatience

l'annonce du succès, il s'agit en effet du premier test concret de la vietnamisation. Mais de Saigon

parviennent de sombres évaluations de la situation. Pour prendre Tchépone, il faudrait 3 divisions

US, or on ne disposerait que de 2 divisions de troupes de Saigon. Le 8 mars, le Général Abrams

63

Dans la revue Philadelphia Bulletin, est paru le 22 février 1970 un article de Roger Hilsman qui a abondamment

étayé ce soupçon et a désigné Harriman comme étant un expert qui aurait été d’accord. Comparer avec Kissinger

Ending, p. 118 Fn. 64

En fait, l’arrêt des bombardements décidé par Johnson est encore en vigueur à cette époque. Il n’y a aucune

chronologie précise et publiée des bombardements et de leurs moratoires et les différentes sources provenant du

Vietnam ou des USA comportent à cet égard des lacunes, voire même se contredisent.

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annonce que le haut commandement sud-vietnamien est d'avis que la mission serait accomplie et

que les forces combattantes auraient déjà entamé leur repli. Il s'agit d'un mensonge comme tant

d'autres cris de victoire des généraux de Saigon. En vérité, l'action se termine par un fiasco, c'est-à-

dire par une défaite complète. D'importantes unités d'élite de l'armée de Saigon sont neutralisées. Il

en résulterait dans le pays un manque de forces pour imposer la vietnamisation. La résistance

intensifie promptement son activité. La période d'affaiblissement semble surmontée.

Pendant ce temps, Nixon opère énergiquement le rapprochement avec les deux grandes puissances

orientales, l'Union Soviétique et la République Populaire de Chine. En février 1972, il fait le voyage

à Pékin, en mai à Moscou. A Moscou, il s'agit principalement des négociations SALT65

pour la

limitation bilatérale des armes stratégiques et nucléaires. A Pékin, il y a eu Taïwan comme point de

friction. Chaque fois, il met à l'ordre du jour le « problème collatéral » du Vietnam66

. Ça prend déjà

l'allure d'un chantage quand Nixon et Kissinger font dépendre à Moscou le succès des négociations

SALT de « progrès » dans l'influence exercée sur Hanoï et laissent entendre à Pékin des concessions

dans la question de Taïwan si on exerce une influence sur Hanoï, dans le sens américain.

Du reste, chacun des deux pays informe « promptement » Hanoï après leurs sommets respectifs

avec Nixon. Mais ces rapports contiennent le conseil amical de ne pas se sentir verrouillé par les

exigences des USA.67

Le Vietnam doit alors prendre connaissance du fait que le rapprochement entre les USA et la Chine

populaire a pour conséquence un déplacement des intérêts chez les deux pays amis et que le

Vietnam doit poursuivre seul son combat pour l'indépendance, dans des conditions nouvelles, plus

compliquées. Néanmoins, les contacts avec les alliés de toujours restent amicaux et nécessaires. Au

cours de sa visite à Hanoï, l'ambassadeur de l'URSS Shcherbakov transmet des nouvelles offres

inofficielles de Kissinger : ça signifie la possibilité que les USA ne s'obstinent plus à exiger le

retrait des troupes nord-vietnamiennes du Sud-Vietnam, si Hanoï et le Front de Libération

respectent un certain temps la trêve. En outre, si les Vietnamiens s'entendaient sur un compromis,

une éventuelle guerre ultérieure entre le Nord et le Sud du Vietnam ne serait plus l'affaire des USA.

Si on parvenait à se mettre d'accord là-dessus, ça épargnerait aux USA une négociation sur une

solution politique au Sud-Vietnam. Mais Pham Van Dong trouve qu'on ne pourrait discuter de telles

propositions indirectes, que si elles étaient présentées dans les négociations.

Un nouveau round

C'est seulement le 31 mai 1971 qu'a lieu à Paris une nouvelle réunion secrète. Le Duc Tho n'est pas

là. Kissinger arrive avec une nouvelle proposition qu'il menace d'être la dernière. Elle contient sept

points :

1. Les USA sont prêts à fixer une date ferme pour le retrait.

2. Le Vietnam et les autres pays d'Indochine fixent en commun accord quand les autres troupes

étrangères quittent leurs territoires.

3. Une trêve doit démarrer dans toute l'Indochine au même moment que le retrait des troupes

US.

4. Par la suite, aucune infiltration de troupes étrangères ne sera tolérée.

5. La trêve sera surveillée internationalement.

6. Les Accords de Genève de 1954 et de 1962 entrent en application au Laos et au Cambodge.

7. Simultanément au retrait des troupes US, tous les prisonniers de guerre et tous les

prisonniers civils innocents sont libérés dans toute l'Indochine.

65

Strategic Arms Limitation Treaty. 66

Comparer avec Kissinger Ending, p. 289. 67

Chou En-Lai voir Loi/Vu p. 191, Dobrynin voir Loi/Vu p. 165 et suivantes.

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Aussitôt Xuan Thuy fait référence aux points obscurs ou à ceux qui tout simplement font défaut : la

date d'achèvement du retrait US, les élections, le gouvernement de coalition. Et Xuan Thuy sait,

bien sûr, que Thieu prépare actuellement des « élections » à Saigon qui visiblement dans l'esprit de

Kissinger doivent avoir une valeur définitive. Ce plan est supposé avoir été mis au point avec Thieu

et avoir été accepté par lui.

Malgré les nouveautés que contient le plan (fixation d'une date de retrait contre la trêve et l'échange

de prisonniers ab initio), on se concentre une fois de plus, exclusivement sur les questions

militaires. Apparemment les USA ont hâte de résoudre ces questions d'ici l'été 1971, avant une

nouvelle offensive éventuelle du Front de Libération. D'ici là, le statu quo politique devrait être

maintenu au Sud-Vietnam. On ajourne.

A la nouvelle session du 26 juin 1971, Xuan Thuy tire un bilan des négociations. En 1969, après des

premières conversations réussies, ont eu les bombardements au Laos (plaine des Jarres). En février

1970, après de nombreuses sessions, des discussions substantielles ont été sabotées par le putsch

soutenu par les USA, immédiatement suivi de l'invasion du Cambodge. Une rencontre fructueuse en

septembre 1970 a été suivie par un bombardement intense du Nord. En janvier 1971, il n'y a eu plus

aucune session, parce que les USA ont envahi militairement le Sud du Laos.

Xuan Thuy sait bien que, entre temps, une nouvelle pression s'exerce aux USA sur Nixon. Par 57

voix contre 42, le Congrès a voté une loi le 22 juin 1971 qui prescrit le retrait des troupes US dans

les 9 mois (donc d'ici mars 1972), si Hanoï libère les prisonniers de guerre. C'est la première

décision majoritaire, longtemps redoutée du Congrès contre la guerre. Ça rend caducs les

principaux points de la proposition de Kissinger.

Sans aborder cette question, Xuan Thuy poursuit : « Donc systématiquement quand nous nous

sommes mis d'accord pour résoudre les problèmes, vous avez enchaîné sur des offensives militaires.

Nous nous demandons qu'est-ce qui va se passer maintenant à l'issue de cette rencontre. Voulez-

vous vraiment résoudre les problèmes ou voulez-vous encore manœuvrer toujours et toujours ? »

On discuterait des semaines et des semaines sans résultat parce que Kissinger veut

inconditionnellement mettre entre parenthèses les problèmes politiques afin d'obtenir un accord

rapide mais douteux. Toutefois, « il n'y a pas de guerre sans but politique. La force militaire est un

moyen ou un instrument au service d'une politique. Donc si on sépare les questions militaires des

questions politiques, aucun problème ne pourra se résoudre. » Au lieu de ça, il approuve que des

Vietnamiens combattent des Vietnamiens et que des Indochinois combattent des Indochinois et plus

particulièrement dans le but d'instaurer le néocolonialisme.68

Il s'ensuit une déclaration qui donne

un aperçu des intentions d’Hanoï au sujet de l'avenir du Vietnam après la guerre : « le Sud-Vietnam

ne doit pas devenir une sorte de Néocolonie, pas plus qu'un pays socialiste. Il devrait bien plus être

indépendant et neutre, ce qui est impossible tant que vous vous accrochez à Kieu. »

Kissinger répond qu'il a remarqué que la position du Vietnam repose sur des principes stricts, que

tous les arguments vietnamiens sont dérivés de réflexions générales et que, de ce fait, le Vietnam a

besoin de beaucoup de temps, pour céder à un certain point. « Les Américains sont pour cette raison

d'avis que les Vietnamiens ne voudraient en aucun cas négocier. »69

Un discernement tout à fait

avéré qui ne reflète tout de même pas le Kissinger à la maison quand lui et Nixon reprochent

presque quotidiennement au Vietnam de refuser toute négociation,

A la même session la délégation vietnamienne propose un nouveau plan qui contient et précise les

68

Loi/Vu p. 176 et suivantes 69

Loi/Vu p. 178

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positions du GRP. En résumé rapide, les 9 points contiennent ce qui suit :

1. Retrait avant la fin 1971.

2. Parallèlement, libération des prisonniers.

3. Fin du soutien au régime Thieu par les USA. Installation d'une administration à Saigon qui

défendra la paix, l'indépendance, la démocratie et la neutralité.

4. Les USA paient les dommages de la guerre.

5. Respect de l'Accord de Genève sur le Cambodge de 1964 et sur le Laos de 1962, arrêt de

l'intervention dans ces pays.

6. Tous les problèmes en Indochine seront réglés par les pays de l'Indochine.

7. Trêve absolue après signature d'un accord en conséquence.

8. La trêve sera surveillée internationalement.

9. Les droits fondamentaux des pays indochinois seront garantis internationalement.

Kissinger promet une vérification soigneuse, mais refuse déjà l'article 4. Les USA pourraient de

toute façon fournir une aide économique. A la session plénière du 1er

juillet 1971, Madame Binh

dépose cette proposition sous forme résumée et relativement au Sud-Vietnam (7 points) et par là

même le rend public, donc connu au Sud-Vietnam et effectivement, juste avant les élections de là-

bas. Ni Nixon, ni Thieu n'ont l'audace de repousser immédiatement le plan.

Kissinger se montre en colère et vocifère à la session secrète suivante du 12 juillet. « Nous

négocions avec le Vietnam et pas avec le New York Times. » Le plan de Madame Binh ne serait que

de la « propagande ».70

Malgré tout, les points sont discutés un par un et, sur bon nombre d'entre

eux, il y accord. Au sujet de Thieu, chacune des parties reste ferme. Les USA veulent le garder à

tout prix jusqu'à un traité de paix. Car il est le partenaire nécessaire pour le concept de

vietnamisation. Le Duc Tho : « Nous et le GRP voulons négocier avec un gouvernement qui soit

pour la paix et disposé à résoudre sérieusement le problème. »

Au cours d'une visite gardée secrète de Chou En Lai à Hanoï, ce dernier assure à Pham Van Dong

que la Chine soutient les 7 points du GRP. Le 26 juillet 1971, une nouvelle rencontre secrète

n'apporte aucun aspect nouveau et on ajourne sine die. Il s'ensuit une nouvelle intensification des

bombardements : 17 attaques lourdes sur Vinh Linh et Quang Binh, rien que fin juillet. Des B52

attaquent la DMZ à la bombe.

Au Sud, on poursuit le tristement célèbre programme « Phoenix » qui est une action de « contre-

insurrection » instituée après l'offensive du Têt, en commun entre le régime de Saigon et la CIA. Il

s'agit d'identifier des « VC »71

, puis de les neutraliser. Ce que ça signifie n'est pas un secret. Ceux

qui sont soupçonnés d'être des « Vietcongs » sont « abattus comme des bêtes ». D'innombrables

cadres capables du Front de Libération sont tombés à cette époque, victimes de la terreur blanche et

l'état des prisons où les prisonniers politiques sont enfermés dans les conditions les plus cruelles,

soulève l'indignation dans le monde.72

C'est avant tout la façon d'intimider la population. On lui

signifie que « autant de fois elle sera passée sous le contrôle du Vietcong, autant de fois le

gouvernement de Saigon reviendra pour la mater à nouveau. »73

Au Cambodge, les troupes de Saigon et de Lon Nol combattent ensemble le FUNC. Au Laos,

70

Loi/Vu p. 183 71

Vietcong, c’est-à-dire membres du Front de libération. 72

Cette situation a été rendue publique par un rapport de Holmes Brown et de Don Luce : Hostages of War, Saigon’s

Political Prisoners, New York 1973 ; en allemand : Die politischen Gefangenen Saigons, München 1973 au sujet de ce

qu’on appelle les « cages à tigres » ; voir aussi Jean-Pierre Debris et André Menras : Rescapés des bagnes de Saigon,

nous accusons, Paris 1973. 73

Déclaration de K. Barton Osborne, un ancien agent de la CIA à Saigon, cité d’après : Heynowski et Scheumann :

Phoenix, Inside CIA, Berlin 1980, p. 17

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succès des attaques avec le soutien de la Thaïlande contre le Pathet Lao, le mouvement de libération

laotien. Le 9 août 1971, le Département d’État US déclare ne plus se sentir lié par l'Accord de

Genève sur le Laos de 1962. C'est en contradiction frontale avec ce à quoi les USA s'étaient

engagés : « Les deux parties reconnaissent les Accords de Genève de 1954 et de 1962. »

Cette phrase se trouve dans une nouvelle proposition d'accord cadre présentée à la session du 16

août 1971. Xuan Thuy74

constate que, pour la première fois, il y a dans le texte une date ferme de

retrait (1er août 1972), même si cette date est très éloignée des conceptions vietnamiennes. Mais, du

point de vue politique, ce papier n'apporte rien de nouveau. Il y a toujours les « quatre veto » de

Thieu qui planent : non à la coalition, non à la neutralité, non à la reconnaissance du FNL, non aux

concessions territoriales. Il ajoute : « Où est-ce que Thieu n'aurait pas constamment fait la politique

que les USA lui dictaient ? Kissinger : les USA seraient prêts à créer à Saigon une situation

permettant d'installer un nouveau gouvernement mais il ne croit pas que cette situation puisse se

produire à court terme. Car les troupes US devraient rester encore 5 à 6 mois, même avec des

effectifs réduits par étapes. Dans ces circonstances, il ne faut pas s'attendre à un changement de la

situation politique à Saigon. Au lieu de cela, Kissinger propose de repousser cette discussion après

les élections de Saigon. Peut-être même, Duong Van Minh les gagnerait. On se déclare tout à fait

neutres à ce sujet. Xuan Thuy fait état de la présence d'une armée sud-vietnamienne de 1 million de

soldats, d'une police hautement équipée, de 200 000 soldats US, sans compter l'aide US, les

conseillers politiques et militaires via l'Ambassade US et le réseau de la CIA. – « Est-ce que des

élections libres pourraient avoir lieu dans ces circonstances ? La neutralité des USA n'est rien

d'autre que le soutien à Thieu. »75

Comme pour confirmer les craintes de Xuan Thuy, Nguyen Cao

Khy et Duong Van Minh retirent leur candidature respectivement les 20 et 23 août 1971. Il ne reste

plus que Thieu. Même aux yeux des observateurs saïgonnais bien-pensant, les élections ne sont plus

qu'une farce.

Une nouvelle rencontre, 4 semaines plus tard, sera la plus brève depuis le début des négociations :

au moment où Xuan Thuy commence à commenter les 7 points, Kissinger l'interrompt : « Je sais

que le ministre ne suit que les instructions qu'il a reçues, par conséquent je voudrais adresser ma

réponse à la personne qui a donné ces instructions. » Xuan Thuy : « Puis-je de mon côté vous

interrompre ? Je me demande pour qui vous parlez ici ? Suivez-vous des instructions de la Maison

Blanche ou présentez-vous, ici, vos propres idées ? » Il se déclare prêt à écouter Kissinger quand il

parlera au nom de la Maison Blanche.76

La rencontre se termine au bout de 2 heures.

Dans une analyse politique faite à Hanoï, on arrive à reconnaître que Nixon veut un accord

publiable et utilisable par lui en interne et à l'étranger, comme un « succès » et un « signe de volonté

de paix ». Dans la suite, on pourra, soit considérer les détails comme enterrés, soit faire traîner

indéfiniment les négociations sans risque, ce qui va aussi dans le sens de Thieu. Les rencontres

secrètes sont à nouveau suspendues, mais le contact n'est pas rompu.

Pause dans les négociations

Le 20 novembre, Pham Van Dong va à Pékin. Au cours de sa rencontre avec Chou En-Lai, ce

dernier essaie pour la première fois d'exercer franchement une pression sur Hanoï : le Vietnam

devrait pourtant saisir maintenant l'occasion d'arriver à un accord avec les USA et céder dans la

question Thieu. « L'élimination du régime Thieu est une question de long terme. »77

Ainsi la Chine

74

Le Duc Tho est absent pour maladie. 75

Loi/Vu p. 207. 76

Loi/Vu p. 208. 77

Cité d’après : La vérité sur les relations sino-vietnamiennes dans les 30 dernières années. Edité par le ministère des

affaires étrangères de la RDV, Hanoï 1979, p. 37.

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s'est faite le porte-parole des USA. Le contexte concret : le 25 octobre 1971, la Chine Populaire est

entrée à l'ONU. Si Hanoï acceptait les points proposés par Nixon, la Chine se procurerait un

avantage sur Moscou dans la course pour être dans les bonnes grâces des USA. Au sujet des

négociations, on est d'avis à Hanoï qu'il faut d'abord attendre de voir l'impact du changement de

perspectives entre les 3 grandes puissances. Par ailleurs, la situation militaire au Sud-Vietnam s'est à

nouveau détériorée. Il faut d'abord attendre de voir comment les préparatifs pour une offensive de

printemps en 1972 se développent. Est-ce utile d'arriver à un accord avant ou est-ce mieux après.

Pour cette raison, Hanoï non plus ne précipite plus les contacts ou les négociations.

Non, ce n’est pas une poignée de main, il ne s’agit que d’un stylo : Kissinger et Le Duc Tho

En janvier 1972, Nixon annonce qu'il va se présenter pour un deuxième mandat de Président. Ses

espoirs de réélection s'appuient sur la perspective de nouvelles relations avec Moscou et Pékin et

sur leur effet sur les conversations de Paris. Simultanément et en contradiction avec les accords,

Nixon donne à la presse le texte de sa dernière offre de négociation (le plan en 8 points et les

contenus des conversations) avant de partir au sommet de Pékin (21 février 1972). Il en revient très

satisfait. « Maintenant nous comptons sur Moscou pour écraser le Vietnam. »78

La publication des textes secrets était une fuite en avant au regard de la lutte électorale imminente :

Nixon veut apparaître comme celui qui, par tous les moyens, vise une solution négociée, veut

terminer la guerre et au lieu de ça, c'est seulement Hanoï qui persiste obstinément à vouloir faire

tomber Khieu. Simultanément, on exalte les succès de la vietnamisation. Nixon espère par ce coup

d'échec, empêcher la poursuite des opérations au Sud-Vietnam pendant ses visites à Moscou et à

Pékin.

Ses explications sont tout de même trop peu dignes de foi pour que l'opinion publique aux USA

puisse être longtemps calmée. Aux USA, de nombreux observateurs sont de l'avis que les 8 points

ne peuvent avoir qu'un effet de retardement et ne font que prolonger la durée de vie du régime

78

Henry Kissinger : White House Years, Boston 1979, Mémoires, p. 1380.

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Thieu. Kissinger : « Une semaine passée et nos critiques reprenaient de la voie. Et une fois de plus,

l'impasse – le refus par Hanoï des propositions américaines – nous était imputée à nos torts

exclusifs.79

La délégation de la RDV réagit à la publication du plan en 9 points du 26 juin 1971. C'est seulement

parce que Kissinger y tenait absolument qu'on a approuvé la conservation du secret. La délégation

remet aussi à la presse des notes et des messages qui avaient été échangées dans le cadre de la

réunion du 20 novembre 1971. Au cours d'une des rares sessions plénières avenue Kléber, le 2

février 1972, Nguyen Thi Binh explicite les deux exigences essentielles de son plan en 7 points du

1er juillet 197180

: les USA doivent afficher une date claire de retrait. Il est remarquable de constater

que le renversement de Thieu n'est plus exigé, mais sa démission liée à un changement politique à

Saigon, et aussi, sans forcément remplacer tout le gouvernement. Cette concession rencontre un fort

écho aux USA. Le Sénateur Edmund Muskie (candidat démocrate à la présidence) exige l'arrêt de

toute aide à Thieu si ce dernier n'est pas prêt à s’expliquer. Cette exigence est intégrée dans le

programme électoral de l'opposition.

Entre temps, au Sud, le Front de Libération est sur le point de consolider sa situation. La population

dans les zones libérées compte déjà 2,78 millions de personnes, presque deux fois plus que fin

1970. Une offensive ciblée se prépare contre la province de Quang Tri, à la frontière du Nord-

Vietnam. La ligne de défense Dac Tho – Tan Canh située au nord des plateaux est rompue. Le 1er

mai 1972, les troupes de Saigon prennent la fuite à Quang Tri, la ville est conquise. Les combats se

poursuivent tout l'été jusqu'au début de la saison des pluies. Nixon recommence à bombarder Hanoï

et Haiphong à partir du 6 avril 1972, la ville de Vinh au nord de la DMZ le 17 avril 1972.

Simultanément il annonce officiellement l'interruption des sessions plénières, avenue Kléber.

Le ministre vietnamien des affaires étrangères Nguyen Duy Trinh envoie un message à Xuan Thuy

dans lequel on peut lire :

« Ces actions ne sont pas un signe de force de l'adversaire, leur caractère précipité est un signe de

faiblesse des USA. (…) Mais ce n'est pas dans notre intérêt de déserter les négociations de Paris.

Les USA sont susceptibles de nous en imputer toute la faute et d'exiger une conférence

internationale sur l'Indochine. En fonction des développements internationaux81

, ça ne serait pas

avantageux pour nous. Nous devons garder la Conférence de Paris comme possibilité pour propager

nos buts et continuer à nous efforcer d'obtenir une solution directe avec les USA. Cette conférence

nous sert de complément à nos opérations militaires. »82

Quand les USA proposent une nouvelle réunion secrète pour le 24 avril 1972, la délégation

vietnamienne répond qu'il faut au préalable reprendre les négociations officielles avenue Kléber.

Les USA acceptent mais retardent cette reprise de contact et continuent à bombarder, prétendument

en réaction à la rupture des accords sur la DMZ. Une note de protestation contre les bombardements

est envoyée au gouvernement US.

En cette époque d'attente de la prochaine session, a lieu un vif échange d'opinions entre

l'Ambassadeur soviétique à Hanoï Shcherbakov et le gouvernement vietnamien. Shcherbakov

transmet des menaces du gouvernement US, au nom de Kissinger. Ce dernier réfléchit même à une

attaque au sol contre la RDV. Pour cette raison, l'Union Soviétique proposerait la médiation d'une

79

Kissinger Ending p. 230 et suivantes. Dans les mémoires (White House Years), ils sont appelés « détracteurs »

(disparagers) au lieu de « critiques ». 80

Même les initiés ne peuvent pas toujours s’y retrouver dans la numérotation exacte des propositions successives en xx

points. Le problème est atténué par le fait qu’on discute toujours des mêmes thèmes avec des progrès réduits au

minimum. 81

« L’ouverture » de Nixon en direction de la Chine et de l’URSS. 82

Cité d’après Loi/Vu p. 220.

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rencontre à Moscou (!). Hanoï voudrait « renverser le prochain président US ». C'est pour cette

raison que Nixon aurait ordonné les bombardements. Une telle assertion (faite sans distanciation) ne

peut signifier autre chose que le fait que l'Union Soviétique place ses nouveaux intérêts avant tout le

reste.83

Le directeur de la commission de politique extérieure du Comité Central du PCUS Kanushev tient

un discours similaire à Hanoï le 25 avril. Son invité lui en faisant le reproche, Pham van Dong

répond : « Si nous n'avions pas une position militaire solide, vous ne viendriez pas en parler avec

nous. Nous devons agir de sorte que vous compreniez que votre vietnamisation est vouée à l'échec,

que vos marionnettes seront inéluctablement balayées, qu'il n'existe aucune possibilité de les

maintenir en vie. Mais il faut y aller très prudemment et avec modération. Nous devons déployer

l'activité militaire juste nécessaire pour qu'ils restent à la table des négociations, mais sans être

humiliés. »84

A la rencontre privée suivante, le 2 mai 1972, Kissinger ne joue plus le rôle du professeur

d'université qui fait des longs discours émaillés de plaisanteries, mais au contraire il est taciturne,

visiblement embarrassé et mal assuré. Invité à s'exprimer, il dit toujours attendre des réactions sur

les 10 points de l'année précédente et sur les 8 points de janvier. Les USA seraient toujours

intéressés à une entente, mais pas avec le canon sur la tempe. « Tant que des troupes nord-

vietnamiennes pénètrent sur notre territoire, il est illusoire de discuter d'une solution pour

l'avenir. »85

Il exige l'arrêt immédiat de la nouvelle offensive au Sud.

Le Duc Tho lui répond : « Après 8 mois sans contacts, j'avais espéré que désormais nous allions

discuter directement de la solution mais, à mon regret, vous n'avez rien dit de nouveau. J'ai fait un

voyage beaucoup plus long que vous pour venir ici et personne d'autre n'a exercé de pression

militaire sur les négociations pour imposer vos conditions. C'est pour cette raison que les hommes

et femmes des deux zones du Vietnam doivent contrer vos attaques. »

Et Le Duc Tho se met à citer le Sénateur démocrate Fulbright : « L'intensification des actions

militaires des forces patriotiques ne sont rien d'autre que la réponse naturelle à la politique US de

rupture de l'Accord de Genève. » – « Je sais tout cela. » hurle Kissinger. Le Duc Tho : « Donc cette

vérité n'est pas énoncée que par nous. Elle est reconnue aussi par des Américains à qui il reste un

minimum de conscience. Donc votre affirmation selon laquelle nous avons envahi le Sud-Vietnam

est absurde. »

Sans rentrer dans ces considérations, Kissinger se met soudain à parler du départ de Thieu et pose

des questions : que deviennent alors les autres membres du gouvernement, que signifie « une autre

politique », qu'entend-on par « camps de concentration » et quand devrait avoir lieu le départ de

Thieu ? Xuan Thuy : « De préférence, demain ». Alors Xuan Thuy précise qu'il refuse de parler

d'informations colportées par des tiers.86

Il serait préférable de négocier directement, par exemple

ici et maintenant. Kissinger rompt les pourparlers.87

Le 18 mai 1972, Nixon intensifie encore une fois substantiellement la guerre. Les bombardements

sont intensifiés. L'armée US mine le port de Haiphong et bloque tous les estuaires au Nord-

Vietnam. Simultanément, en contournant la conférence de Paris, Nixon annonce une nouvelle

proposition qui met l'accent88

sur un nouvel enchaînement des actions élémentaires :

83

Voir les déclarations à la lettre de Shcherbakov dans Loi/Vu p. 222 et suivantes. 84

Loi/Vu p. 226. 85

Loi/Vu p. 228. A noter l’expression « notre territoire ». 86

Il s’agit ici de l’Ambassadeur soviétique Shcherbakov, voir ci-dessus. 87

Kissinger : « Ma rencontre avec Le Duc Tho a été brutale » Kissinger Ending p. 236. 88

L’allocution télévisée de Nixon en accompagnement du plan a une nouvelle tonalité : nous devrions arracher les

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1. Libération de tous les prisonniers de guerre US

2. Trêve dans toute l'Indochine, sous surveillance internationale

3. Puis (!) achèvement de toutes les opérations militaires des USA dans toute l'Indochine

4. Alors seulement, retrait complet des troupes US du Sud-Vietnam en l'espace de 4 mois

Conformément à l'habitude, la proposition est de nature exclusivement militaire. Nixon est déçu par

les troupes sud-vietnamiennes qui ne peuvent rien aligner face à la pression militaire du Front de

Libération à Hué, An Loc et autres villes. Ce développement militaire met même quelque fois en

question le sommet de Moscou.

Car il n'y a plus beaucoup de troupes US au Sud-Vietnam. Ça permet au Front de Libération de

rétablir les lignes d'approvisionnement au Sud. Mais les envois d'aides de l'Union Soviétique sont

moins abondants et doivent être transportés par la terre en raison du blocus naval. Et Thieu contrôle

encore les 2/3 de la population, presque toutes les grandes villes. Donc on décide à Hanoï d'adopter

une nouvelle stratégie, une stratégie de paix. Concrètement, ça signifie qu'on renonce d'emblée à 2

exigences : le gouvernement de coalition et le paiement de réparations.

Un nouveau début ?

La session secrète suivante a lieu le 19 juillet 1972 dans le cadre de cette stratégie et dans le

contexte de nouveaux développements au Sud-Vietnam et aux USA : pendant l'été, les combats au

Sud-Vietnam ont de nouveau baissé d'intensité. Pourtant, des tentatives de reconquête par les

Saïgonnais et les troupes US tournent court. Aux USA, l'opposition à la guerre continue à se

renforcer, en particulier, une nouvelle protestation virulente s'élève contre les bombardements des

digues au Nord-Vietnam. Avec McGovern, est élu un candidat démocrate à la présidentielle,

fortement opposé à la guerre.

Kissinger annonce une « ultime » proposition, mais commence d'abord par donner un de ses cours

magistraux. Il parle des sommets de Pékin et de Moscou, prétend ne pas avoir parlé du Vietnam

avec ces pays – si on part du principe que Kissinger était très bien informé des contacts de ces deux

pays avec le Vietnam, c'était un mensonge provocateur.

Ensuite, parviennent des assurances de toutes sortes : les USA n'auraient aucunement l'intention de

revenir ultérieurement au Vietnam. Les USA ne feraient aucune fixation, au Sud-Vietnam sur telle

ou telle personne. La situation devrait forcément évoluer là-bas, sans présence, ni ingérence US.

La réponse de Le Duc Tho est aussi circonstanciée : il ajoute des éléments que Kissinger n'avait pas

évoqués : vietnamisation, bombardements. « Pour faire avancer les négociations », Kissinger

propose une trêve de trois ou quatre mois. Puis, il présente son plan en 5 points : ce sont

pratiquement les mêmes que ceux de la proposition affichée par Nixon, seul le séquencement

provocateur est abandonné.

Bizarrement, Kissinger aborde ensuite le sujet des élections aux USA et souligne que Nixon aurait

le droit d'utiliser les conversations pour sa propre campagne électorale et va le faire. Mais il

déconseille fortement à l'autre partie d'en faire autant avec menaces à l'appui.

Après cette conversation, Le Duc Tho et Xuan Thuy apprécient comme suit la situation : Nixon ne

veut ni ne peut abandonner Thieu. La proposition d'une trêve pour permettre des négociations

sereines n'était visiblement pas sérieuse mais devait servir à passer le cap des élections. Mais

malgré le refus attendu, il fallait s'attendre à ce que ça soit rendu public. Mais Kissinger semble

armes des mains des « bandits internationaux » (outlaws) au Nord-Vietnam. » Cité dans Kissinger : Ending p. 279.

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avant tout espérer réellement que les nouvelles relations avec Pékin et Moscou changent la

situation, que le soutien de ces deux pays au Vietnam faiblisse et que la politique de Hanoï puisse

changer.

La cachette de Gif-sur-Yvette a été aussi rapidement trouvée par les reporters

La conversation suivante, le 1er août 1972 n'apporte pas non plus grand chose de nouveau, à part la

proposition de Kissinger, de rendre publics à l'avenir les résultats des conversations dans un

communiqué commun.89

Le Duc Tho réplique sidéré : « Vous pouvez dire officiellement ce que

vous voulez et nous publierons aussi des communiqués quand nous le jugerons opportun mais que

devient alors l'accord suivant lequel les négociations privées sont menées dans le secret ? » La

réponse de Kissinger est édifiante : « Les USA ne font pas de propagande. Je ne peux pas accepter

que vous transformiez les élections aux USA en un référendum sur le problème du Vietnam. »90

Comme si elles ne l'étaient pas déjà depuis longtemps.

Ensuite, il soumet à nouveau les exigences des USA. Ces derniers seraient prêts à traiter

simultanément des questions militaires et politiques. Il présente les propositions connues (7 points)

avec élargissements en une nouvelle proposition à 12 points, en réaction aux propositions de la

partie vietnamienne. Les deux négociateurs vietnamiens commentent avec sarcasme : Xuan Thuy :

« la dernière fois, vous aviez 5 points, maintenant vous en avez rajouté 7 » – Le Duc Tho : « sur le

plan des chiffres, c'est un gros progrès. » Kissinger explique ce qui lui apparaît comme nouveau :

On a raccourci à 4 mois la durée du retrait des troupes US. Donc s'il y avait un accord avant

septembre, le dernier soldat US aurait quitté le Vietnam avant la fin de l'année.

On approuve formellement un changement de gouvernement au Sud-Vietnam. Mais on

n'aurait pas le droit de le décider a priori à Paris. Le peuple sud-vietnamien devrait le

89

Entre temps, les lieux des pourparlers secrets ont transpiré dans la presse à tel point que des reporters se trouvaient

systématiquement devant les maisons. Mais la proposition signifie un dénigrement provocateur supplémentaire de la

conférence de l’avenue Kléber. 90

Loi/Vu p. 260.

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décider lui-même. Après la signature d'un accord, le peuple sud-vietnamien exercerait lui-

même son droit à l'autodétermination sans immixtion des USA. Thieu serait même disposé à

se retirer environ deux mois avant les élections.

Kissinger se montre satisfait car il tient sa proposition pour particulièrement raffinée : « En d'autres

termes, nous acceptons vos exigences ! ».

Le Duc Tho commence par éluder pour, par contre, se référer à l'escalade des bombardements et

protester en revanche contre la comparaison par Nixon dans son discours, de la RDV avec

l'Allemagne hitlérienne. Au regard des bombardements internationalement condamnés et du minage

des ports vietnamiens, la partie vietnamienne ne peut tolérer de passer mine de rien à des

négociations sur des détails. Les exigences vietnamiennes sont inchangées :

Retrait des troupes US dans le mois suivant la signature,

Mise en place d'un gouvernement national de réconciliation avec pleins pouvoirs en

politique intérieure et extérieure et dissolution simultanée des deux administrations

existantes,

Le retrait de Thieu pourrait avoir lieu après la signature d'un accord cadre,

Des conversations entre le FNL et Saigon seront nécessaires et possibles dans le processus

d'entente sur un accord cadre.

Les USA s'engagent à aider la reconstruction et à secourir les blessés de guerre. Le Duc Tho

donne pour la première fois des chiffres : 8 milliards de $ US dont 4,5 pour le Nord et 3,5

pour le Sud.

Pour faciliter la solution de ces questions compliquées par certains aspects, Le Duc Tho propose la

formation de quatre forums pour la négociation des détails.

Kissinger conteste le bombardement des digues, car ce ne serait pas la politique américaine. Comme

les Vietnamiens suivent aussi la presse US, il s'agit là encore d'un mensonge provocateur. En

réaction aux propositions, Kissinger rétorque que les USA ne pourraient pas se retirer du Vietnam

tant qu'il resterait des prisonniers de guerre. Le paiement de réparations ne pourrait être accepté en

aucun cas. Il pourrait y avoir au mieux des accords bénévoles sur une aide économique dont le

montant devra être défini par le Congrès.

Début août, des combats violents reprennent au Sud-Vietnam. Dans les villes, l'opposition est

réprimée encore plus brutalement. Les troupes US poursuivent le programme de « pacification »,

conçu déjà du temps de l'administration Johnson et devenu entretemps un massacre de la population

civile. Le but est la mise au pas de la province Kim Hoa sur le Mékong pour le compte du

gouvernement Thieu. Certes le ministre de la défense McNamara avait déjà déclaré devant le Sénat

en 1968 n'y avoir « aucune unité nord-vietnamienne » dans le delta du Mékong. Dans ce cas l'action

ne pourrait pas, comme prétendu, être dirigée contre la soif de conquête insatiable de Hanoï. Il s'agit

bien plus du Front de libération. Le correspondant du Newsweek Kevin Buckley était dans le delta à

cette époque et il rapporte qu'un « nombre incroyablement élevé de civils non combattants, peut-

être même jusqu'à 5000 selon des sources non officielles, ont été tués sous le feu américain dont le

but était de 'pacifier' Kien Hoa. A côté, My Lai était une bagatelle. » Plus tard, le porte-parole de la

presse US a annoncé que 11 000 « ennemis » auraient été tués (d'après le bodycount) et 748 armes

saisies.91

Comme chacun savait que les « Vietcongs » étaient constamment bien armés, on peut en

déduire le nombre des civils assassinés.

Les bombardements du Nord sont intensifiés. Entre temps, 20 villes de province sont régulièrement

attaquées là-bas. Barrages et digues sont détruits par exemple les 2 et 3 août 1972 à Thai Binh,

91

Newsweek 19 juin 1972.

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Nghe Anh et Quang Binh.

Pourtant, le plan qui consiste à couper le Vietnam de l'aide extérieure est, de l'avis général un échec.

Il n'a fait que rendre plus difficile l'intendance sur les différents fronts. Les lignes de ravitaillement

du Nord vers le Sud sont pour l'essentiel intactes. Le Sud est bombardé avec plus d'intensité,

comme du temps de Johnson.

L'opposition croit aux USA, soutenue entre temps par des hommes politiques connus. Les

opposants à la guerre se montrent très actifs au Congrès mais leurs propositions de lois n'obtiennent

presque jamais la majorité. Nixon s'en remet de plus en plus à l'Union Soviétique et à la Chine pour

faire pression sur Hanoï.

Avant la prochaine rencontre prévue pour le 14 août 1972, les USA exigent dans une note à la

délégation vietnamienne que, à l'avenir, les rencontres soient annoncées publiquement sinon il n'y

en aurait plus. La délégation vietnamienne décline ce chantage : « il est clair que les USA ne

veulent une annonce publique des négociations privées, que dans un but de propagande et pas pour

amener ces conversations au succès. » La rencontre a tout de même lieu.

Kissinger présente 3 documents :

un statement politique des USA,

un nouveau plan en 10 points,

et un agenda de négociations.

Pour prendre de court la critique attendue de Le Duc Tho, Kissinger concède aussitôt que les

questions politiques sont à nouveau omises car il doit d'abord en discuter à Saigon.

Il manque l'assurance que les USA ne vont plus insister sur un régime pro américain. Les 10 points

ne concernent plus que des questions militaires. Ils ne contiennent plus de date de retrait US. En

réponse à une question, Kissinger déclare : « peut-être moins de quatre mois et peut-être plus que un

mois. »92

Puis Kissinger constate qu'il y a des différences de vue croissantes dans la question du

rapport entre les conversations privées et les négociations officielles. Il déplore que, à la conférence

de l'avenue Kléber, le Vietnam s'efforcerait de donner l'impression que les conversations privées

soient arrêtées, là où il y aurait des progrès remarquables.93

Le Parti Communiste Français avait mis à disposition de la délégation vietnamienne un centre de

formation comme hébergement

Le Duc Tho pose la question à Kissinger de la situation au Sud Vietnam tel qu'il la perçoit avant son

92

Loi/Vu p. 269. 93

Les participants à l’avenue Kléber ne sont pas informés officiellement sur les négociations secrètes.

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voyage. Après un peu d'hésitation, Kissinger dit : « Il y a deux gouvernements, deux armées et une

troisième force à caractère purement politique qui est toutefois moins importante, plus précisément

il y a deux partis et demi. »94

En réponse au nouveau texte, Le Duc Tho déclare qu'il ne contient rien de nouveau et qu'on en est

resté au même point : les contradictions subsistent sur les questions de fond. Comme toujours,

Kissinger veut maintenir au pouvoir aussi longtemps que possible le régime dictatorial de Thieu.

Tant que ce régime, avec son appareil d'oppression et ses mécanismes de répression reste en place,

aucune élection libre ne peut avoir lieu. « Dans ces circonstances, comment peut être garantie

l'autodétermination du peuple sud-vietnamien ? »95

La réunion se termine sans accord.

Dans leur rapport à Hanoï, Le Duc Tho et Xuan Thuy résument l'état actuel des conversations qui

n'ont encore que le caractère d'une exploration réciproque. « Nixon teste deux variantes. Ou bien

résoudre le problème du Vietnam de façon à emporter les élections, ou dans le même temps, se

préparer à gagner les élections sans avoir obtenu d’accord préalable ? »96

Le rapport conduit Hanoï

à réfléchir très intensément sur les chances et les risques de cette phase qui s'ouvre avant et après les

élections US. Hanoï forme son propre « groupe d'études » sous la dénomination CP50 avec pour

mission exclusive le soutien à la délégation de Paris.

L’entrée de la maison aujourd’hui Plaque commémorative avec inscription

remarquable : … Fin de la guerre d’agression

américaine

Pour Kissinger, trois possibilités :

Accord avant les élections

Fin de la guerre après les élections au moyen d'une escalade qui pourrait s'imposer après la

victoire électorale

Poursuite des combats dans l'espoir qu'Hanoï s'incline avant les élections.

Kissinger est pour la première solution, Nixon pour la deuxième, donc pour l'escalade. Aucun des

94

Loi/Vu p. 270. 95

Loi/Vu p. 272. 96

Loi/Vu p. 276.

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deux n'accorde visiblement une chance à la troisième variante. Ce qui est délicat dans la solution

qui a la faveur de Nixon, c'est que le Congrès nouvellement élu en janvier pourrait voter la fin de la

guerre et ce, à des conditions qui pourraient être pires que celles qui paraissent encore atteignables à

Paris.

La voie à l'accord d'octobre

Donc Kissinger fait le 15 septembre 1972 une nouvelle proposition en 10 points qui « ne devra être

considérée que comme un cadre » négociable. Le document fait marche arrière sur plusieurs

concessions déjà faites, principalement en ce qui concerne le statut du Sud-Vietnam qui est un état

indépendant, donc c’est un nouveau durcissement de la position. Et le GRP n'est plus considéré

comme une administration locale mais défini vaguement comme une force politique à l'intérieur de

la zone d'influence de Saigon.

Par voie de conséquence, le texte contient de nombreuses précisions sur la légalité et la

constitutionnalité du régime de Saigon, à préserver jusqu'après les élections. Au lieu de « trêve », on

voit émerger le terme « solution équitable » et il est de nouveau exigé le retrait des troupes nord-

vietnamiennes. De plus, on essaye de comptabiliser l'aide US au Sud-Vietnam contre l'aide des pays

socialistes au Nord-Vietnam. De plus, la RDV devrait stopper son aide au FNL et aussi, du

personnel US actif dans des domaines non militaires devrait avoir le droit de rester après le retrait

des troupes : domaines tels que le programme de pacification et les domaines militaro-techniques et

aussi comme « conseillers ».97

Le retrait des troupes nord-vietnamiennes du Laos et du Cambodge

est exigé mais pas celui des troupes US et thaïlandaises qui sont là-bas.

Visiblement, avec ces exigences maximalistes qui ignorent presque tous les résultats des

négociations antérieures, Kissinger veut s'accorder le plus d'avantages possibles en vue d'un

marchandage dans la foulée sur des points particuliers.

Le Duc Tho pressent bien la fonction de cette nouvelle proposition et la critique vigoureusement

mais seulement dans son allure générale. Sur le point décisif du gouvernement de coalition, il fait

une contre-proposition qui contient des concessions certaines : le gouvernement d'unité nationale

devra être formé sans que les deux administrations du GRP et de Saigon aient été dissoutes. Ça

limite la compétence du gouvernement d'union mais les deux autres entités seront liées à ses

instructions bien qu'elles exercent provisoirement le pouvoir de gouvernement dans leurs domaines.

Kissinger ne fait pas de commentaires sur cette proposition. On fixe une deadline pour le succès de

ces pourparlers : le 15 octobre 1972. Ça signifie qu'il y a maintenant une pression des deux côtés

pour arriver à un accord. On prévoit que la prochaine session puisse durer plusieurs jours et elle a

lieu du 26 au 28 septembre et avoir lieu à un nouvel endroit dont on espère qu'il ne sera pas trop vite

découvert par la presse : 108 rue du Général Leclerc, Gif-sur-Yvette.98

Kissinger concède qu'il a

quelques problèmes pour obtenir l'assentiment de Saigon aux résultats des négociations. C'est

pourquoi il va envoyer le Général Haig à Saigon.

La délégation vietnamienne précise ses propositions de la session précédente : le gouvernement de

coalition d'unité nationale doit être formé de trois composantes de taille égale et les décisions ne

pourront être prises qu'à l'unanimité. Ses pouvoirs seront limités à l'exécution des objectifs

militaires et politiques de l'accord signé.

97

De fait, ça signifie un maintien sur place de militaires US car, que pourraient avoir comme fonction des civils US

dans un programme de pacification ? 98

Dans une villa qui avait appartenu au peintre Fernand Léger. Il avait été membre du PCF et l’avait léguée au Parti

dans son testament.

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Par-dessus le marché, l'instance supérieure de surveillance devra être une commission de contrôle

internationale composée de représentants de quatre pays. Afin de rendre les propositions plus

attractives pour Kissinger, Le Duc Tho ajoute : « la solution pacifique du problème du Vietnam

créera les conditions favorables pour la solution des problèmes au Laos et au Cambodge. Car il n'y

aura plus de raison de poursuivre la guerre là-bas. »99

Malgré tout, on évalue la situation depuis Hanoi avec scepticisme : « la rencontre précédente avait

une fois de plus remis sur le tapis les faux-fuyants chers aux USA depuis le 19 juillet 1972. Ils font

chaque fois une petite concession et simultanément remettent de nouvelles questions à l'ordre du

jour afin de faire traîner les négociations en longueur. Il saute aux yeux que les USA ne veulent pas

signer un accord avant les élections. Ils veulent au contraire utiliser les négociations pour continuer

à discuter de questions essentielles de façon à n'aboutir à aucun accord. »100

Néanmoins, à Hanoï, on s'efforce toujours de parvenir à un accord. Le groupe d'études met au point

un concept de négociation détaillé contenant des propositions et des variantes en réponse à chacune

des questions :

1. Le retrait complet des troupes US peut et doit être atteint.

2. Sud-Vietnam :

La reconnaissance de deux administrations, de deux armées, de deux territoires est

l'exigence de base. Mais il n'existe aucun moyen de pression pour l'imposer.

L'exigence de libertés démocratiques est importante. Il faut donc que cette liberté

s'organise. L'exigence d'abrogation de toutes les lois et de dissolution de toutes les

institutions de l'administration de Saigon serait difficile à imposer. Ça doit être vérifié et

éventuellement testé.

L'exigence de mise en place d'un conseil de réconciliation nationale doit être négociée de

façon flexible depuis que les USA ont donné leur accord à un comité de réconciliation.101

Dont les fonctions sont l'exécution des accords et l'organisation des élections.

L'institution doit travailler à des niveaux différents, y compris dans les provinces. Nous

pouvons être flexibles en ce qui concerne son nom mais la fixation doit avoir lieu

immédiatement après la signature.

Les élections générales peuvent porter différentes dénominations telles que « élections

des organes exécutifs et législatifs » ou « élection des organes du pouvoir politique ».

3. La question des dommages de guerre à la charge des USA peut être réglée dans un accord

séparé.

4. Indochine : nous pouvons nous entendre sur le fait que les troupes étrangères doivent cesser

toute hostilité et doivent respecter la souveraineté et la sécurité des pays de l’Indochine.

Toutes les troupes étrangères doivent quitter l’Indochine.

5. Contrôle international :

Ce serait bon de se mettre d’accord sur quatre pays. Peut-être que la Pologne et le

Canada pourraient mettre à disposition du personnel.

Au sujet de la commission de contrôle internationale ICCS les quatre délégations

pourraient se mettre d’accord sur le nombre des équipes et sur leurs effectifs. Elle n’aura

pas de compétences sur les affaires internationales des trois pays.

6. La signature : les documents à signer seront des résumés simplifiés auxquels on pourra

ajouter des protocoles additionnels.

7. Kissinger est invité à Hanoï pour la signature. La condition préalable est la cessation de tout

99

Loi/Vu p. 294. 100

Le ministre des affaires étrangères Nguyen Duy Trinh dans une instruction à la délégation à Paris, datée du 1er

octobre 1972, citée par Lui/Vu p. 298. 101

Hanoï ne veut donc plus persister sur un gouvernement de réconciliation nationale.

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bombardement et de toute pose de mine.

Du 8 au 10 octobre 1972 a lieu une nouvelle rencontre privée. Kissinger est accompagné par le

Général Haig qui rentre juste de Saigon.102

On discute des points proposés par la délégation

vietnamienne sans pour autant entrer dans la formulation détaillée.103

Le Duc Tho propose un

agenda pour l’achèvement des négociations. « Sur la base de nos 10 points et de vos 10 points, la

RDV et les USA vont s’entendre et signer un accord sur l’achèvement de la guerre et la

restauration de la paix au Vietnam. Ce document doit clarifier les questions militaires. L’accord ne

reprendra que les grands principes des questions militaires et politiques concernant le Sud-Vietnam.

Après la signature, il y aura une trêve immédiate. »

« A côté de cet accord, nous signerons un accord sur la garantie du droit à l’autodétermination du

peuple sud-vietnamien dans lequel figureront les principes de la solution de la question sud-

vietnamienne auxquels nous sommes arrivés dans ce forum. »

Le Duc Tho indique aussi qu’il ne peut pas déjà être question dans ces accords, d’une entité de

réconciliation avant la trêve. Les deux parties sud-vietnamiennes se donnent trois mois après la

trêve pour l’instaurer.

Kissinger : « Ça sera réglé plus tard ? » Le Duc Tho : « Oui. Exact. » On serait d'accord pour créer

ce qui a toujours été appelé le forum des deux parties sud-vietnamiennes, directement après la trêve,

sans aucune condition préalable. Ça fournirait à Thieu une nouvelle marge de manœuvre pour sa

démission.

Kissinger a demandé une courte interruption de la session et a écrit à ce sujet, plus tard dans ses

mémoires : « mes collègues et moi-même, nous avons compris la signification de ce que nous

venions d'entendre. Winston Lord et moi-même, nous nous sommes serrés la main et nous avons

dit : 'nous y sommes parvenus' ».104

Et à Le Duc Tho, il a dit plus tard « par cette fraiche après-midi

de dimanche » : « Avec vos idées et votre façon de les présenter, vous avez, je pense, ouvert une

nouvelle page dans nos négociations et nous pourrons arriver bientôt à un accord. »105

Les deux jours suivants, le texte est parcouru, chapitre par chapitre. Rien que le 11 octobre 1972, ça

a duré 16 heures. A la fin, il ne restait plus à régler que des questions concernant le Laos et le

paiement de réparations. Le Duc Tho assure qu'il peut convaincre le gouvernement laotien de faire

trêve aussi. Avec succès : après consultation avec Vientiane, les conversations particulières qui se

tiennent là-bas sont interrompues. Ça doit être acté par une déclaration en conséquence, après la

signature. La situation au Cambodge semble plus difficile car il n'y a qu'un gouvernement en exil à

Pékin et Hanoï refuse de négocier avec Lon Nol.

Sur la base de l'entente réalisée, un texte de traité bon pour la signature est élaboré à Hanoï. Il

comprend dix chapitres avec les thèmes suivants :

1) Le droit fondamental du Vietnam à la paix, à l'indépendance, à l'unité, à la souveraineté et à

l'intégrité territoriale.

2) et 3) L'arrêt des hostilités au Sud- et au Nord-Vietnam, la trêve, le retrait des troupes US (45

jours), l'échange de prisonniers.

4) La mise en application du droit à l'autodétermination de la population au Sud-Vietnam par des

élections générales, le maintien de la paix et la réconciliation nationale. Formation d'une institution

102

Kissinger lui-même a été à Saigon les 17 et 18 août. 103

Avec une exception : pour l’institution de réconciliation qui ne doit pas être un « gouvernement », les USA acceptent

la dénomination « entité ». 104

Kissinger Ending, p. 329 et suivantes. 105

Loi/Vu p. 316 et suivantes.

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de réconciliation nationale.

5) Réunification.

6) Commission de contrôle internationale.

7) Cambodge et Laos.

8) Les relations entre la RDV et les USA.

9) Entrée en vigueur.

10) Autres stipulations.

Entre temps, Kissinger a fait rapport des résultats à Nixon et ils en ont discuté. Ce dernier est loin

d'être aussi euphorique et exige encore des changements sur des points substantiels pour le Vietnam.

A la rencontre suivante, le 17 octobre 1972, il y va de l'un de ces points : la libération des

prisonniers sud-vietnamiens. Kissinger : « Vous demandez que 30 000 prisonniers soient libérés

mais ils vont tout de suite retourner dans l'opposition. » Xuan Thuy répond que ça vaut la même

chose pour les pilotes libérés qui pourront tout de suite remonter dans les avions et reprendre la

guerre aérienne contre le Vietnam. Kissinger persiste à ce que certains prisonniers politiques

devront rester prisonniers au Sud-Vietnam mais ne dit rien sur le comment ni sur quels critères ces

derniers seront sélectionnés. Des déclarations contradictoires arrivent de Washington. D'un côté

Nixon écrit que les USA et la RDV sont « très proches d'un accord », d'un autre côté il exige encore

des changements sur les dispositions concernant les armes ou bien leur échange106

ainsi que sur la

libération des prisonniers dans les prisons et les camps sud-vietnamiens. Hanoï accepte les

changements exigés, les prisonniers doivent maintenant être libérés en deux phases.

Là-dessus, Nixon écrit une lettre au Premier Ministre de la RDV : « Le texte peut être considéré

comme figé. » Donc les bombardements devraient cesser probablement le 23 octobre 1972. Le 20

octobre 1972, Washington fait à nouveau savoir à Pham Van Dong que sa réponse « a satisfait toutes

les exigences posées par le Président Nixon ».

Le tournant

Il reste un problème : Thieu. Le chef du gouvernement sud-vietnamien est systématiquement privé

de toute information sur les négociations. C'est pourquoi la conférence de l'avenue Kléber n'est pas

non plus tenue au courant. Elle ne se réunit pas du tout à cette époque. Kissinger fournit même à

l'Ambassadeur US Bunker à Saigon, de fausses informations pour empêcher que Thieu se doute de

quelque chose. Mais par une interview menée par le journaliste Arnaud de Borchgrave avec Pham

Van Dong et parue107

dans Newsweek le 23 octobre, Thieu prend connaissance tout de même de ce

qui a été négocié à Paris et conclu.

Kissinger s'indigne et se sent « personnellement blessé » par cette indiscrétion du Premier Ministre.

Mais en réalité, et comme il le verra plus tard, cette indiscrétion108

est plutôt utile aux USA : « Par

bonheur (dans ces circonstances-là), Hanoï a commis une erreur qui nous a offert un prétexte pour

différer. » La volte-face de Kissinger dans l'appréciation de l'interview est un indice en faveur de

l'idée qu'il a alors accepté l'objectif de Nixon, de retarder encore plus les négociations. Et il exécute

sans hésitation les instructions de Nixon, de repousser la conclusion de l'accord après les élections

et, d'ici là, de « tenir tranquilles » les deux parties vietnamiennes.

Simultanément, Nixon affiche sa vision suivant laquelle l'accord est totalement acceptable. Il le fait

106

Il est entendu que les deux Parties auront le droit de remplacer des armes anciennes ou endommagées. Il est

seulement interdit d’apporter des nouvelles armes supplémentaires au Vietnam. 107

Les services secrets de Thieu aussi ont depuis longtemps eu connaissance de ces informations par les documents du

Front de libération qui ont été saisis. 108

La cause en était un défaut de coordination tel que Pham Van Dong a cru que l’accord était acquis et qu’on pouvait

désormais rompre le silence.

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même dans une lettre à Thieu dans laquelle il exprime de très sérieuses menaces : « Si vous étiez

d'avis que l'accord tel qu'il est, est totalement inacceptable pour vous, (…) mon opinion est que

votre décision aurait les conséquences les plus sérieuses concernant ma propension à prolonger le

soutien pour vous et pour le gouvernement du Sud-Vietnam. »109

Nixon sait, bien sûr, que Thieu qui

se tient pour un nationaliste engagé, se doit de refuser l'accord, après cette lettre. Et aussi, sans cette

erreur de Pham Van Dong, la politique ambiguë de Nixon serait devenue claire : tout en irritant

Thieu à l'extrême, il fait le nécessaire dans un premier temps pour différer la signature.

Comme conséquence de cette sournoiserie, Kissinger doit encaisser à Saigon le 17 octobre 1972 la

plus profonde humiliation de toute sa vie de diplomate. Thieu refuse l'accord aussi sec. Son discours

est une mise en scène théâtrale et abstruse de patriotisme héroïque avec crises de larmes et pathos

dramatique.

Après la libération en 1975, on a retrouvé dans le palais de Thieu un compte rendu des entretiens

des 17 et 18 août. Il y est écrit : « le docteur Kissinger dit que les USA passent à ce moment-là une

phase de turbulences et que la situation y est instable du fait des élections. Le Parti Démocrate

s'efforcerait de faire du Vietnam le fer de lance et le thème central de la lutte électorale. Cette

machine de propagande et la presse exigeraient une solution rapide qui, pour le Vietnam (Saigon, le

cas échéant) serait un danger mortel. Pour cette raison, il serait urgemment nécessaire pour nous

(USA et Saigon, le cas échéant) d'empêcher que nous soyons contraints de faire ce que les

communistes demandent (entente dans des négociations, le cas échéant), c'est-à-dire que nous

devons tenir les deux prochains mois. Ensuite, tout sera plus facile. » Kissinger est cité mot à mot

comme suit : « Nos propositions doivent être vagues et ambiguës de façon à ce que beaucoup de

négociations dans d'autres forums soient nécessaires pour discuter des détails. » Il faut faire

attention à ce que, en tout cas, un besoin de discussions apparaisse de façon plausible, de façon à ce

que la date de signature ne puisse pas être tenue. Ensuite, il y aurait quatre ou six semaines de

« lune de miel » au cours desquelles on pourra travailler l'opinion publique en conséquence.

Kissinger s'est donc complètement fait à l'opinion de Nixon, a complètement adapté son vocabulaire

et ne laisse à Thieu, d'une autre manière, pas d'autre choix que de refuser. Dans ses mémoires, c'est

une toute autre histoire, il y est dit qu'il aurait signifié à Thieu « que nous sommes absolument

décidés à conclure cet accord ». Simultanément, il fait passer à la délégation vietnamienne un

message suivant lequel on devrait avoir de la compréhension du fait que les USA « ne veulent pas

contraindre leurs alliés à une solution unilatérale ». D'où il résulterait que de nouvelles négociations

sont nécessaires. « En signe de bonne volonté, les USA vont continuer à limiter les bombardements

jusqu'à la conclusion d'un accord ».110

On ne peut plus qualifier ça autrement que de cynisme quand

Kissinger décrit ainsi son rôle dans le jeu brutal de Nixon : « J'étais décidé à faire tout mon possible

pour protéger les perspectives de paix contre les accès de fureur qui allaient fondre sur nous : contre

la pression d'Hanoï à nous faire signer le texte existant, contre l'exigence de Saigon de n'en rien

faire, contre les pressions à Washington pour opérer un changement d'orientation... »111

Au vu de ces machinations, le gouvernement vietnamien décide le 25 octobre 1972 de publier le

texte de l'accord, le contenu des dernières négociations secrètes ainsi que les lettres de Nixon. Ainsi

tout un chacun peut non seulement lire ce que contient l'accord mais aussi constater que les USA

l'ont approuvé depuis longtemps. Hanoï consulte le corps diplomatique et tous ses ambassadeurs à

l'étranger. Même Chou En-Lai qualifie de « nécessaire » la publication et de « correcte » l'exigence

de signature immédiate. On s'exprime de façon semblable à Moscou.112

Kissinger remarque que

109

Kissinger Ending p. 361. 110

Kissinger Ending p. 369. 111

Kissinger Ending p. 370. 112

Loi/Vu p. 350.

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c'est le moment d'afficher la couleur et prend ses distances avec son Président. Dans sa célèbre

interview télévisée du 26 octobre tombe une phrase qui devrait encore lui donner du fil à retordre

puisque, même en tout honneur, c'était encore un mensonge : « Peace is at hand », la paix serait à

portée de la main. Car Kissinger sait depuis longtemps que Nixon va faire une nouvelle escalade de

la guerre après les élections. La déclaration produit dans la presse un écho très positif et lui vaut un

concert de louanges. En tout cas Nixon est à ce point furieux que Kissinger lui offre une nouvelle

fois sa démission. Simultanément, Nixon affirme dans une lettre à Thieu que Kissinger n'a émis

dans la conférence de presse que « sa propre opinion ».113

Le 27 octobre, Kissinger propose à la délégation vietnamienne un dernier round de négociations et

offre d'arrêter les bombardements dans les 48 heures suivant un accord. Mais, entre-temps, Saigon

est aussi devenu actif. Dans une note « longue et pointilleuse » (Kissinger), un grand nombre de

points de l'accord sont qualifiés d'inacceptables. Nixon répond d'une façon aussi raide que

précédemment et menace de couper les vivres. De plus il assure qu'il ne changera pas de politique

après les élections, ce qui est aussi un mensonge de plus.

Le débat public aux USA menace de s'aigrir : à l'enthousiasme de la « peace at hand » se mélangent

des voix sceptiques qui se demandent si « la paix promise ne serait pas qu'un masque préalable à

une nouvelle escalade. »114

Après les élections : les bombes

Nixon gagne les élections du 7 novembre 1972 par 60,7 % des voix contre 37 % à McGovern. Mais

son parti perd 3 sièges au Sénat et, à la Chambre des Représentants, le Parti Démocrate a toujours la

majorité. Le ton s'exacerbe entre Saigon et Washington. Pour Thieu, l'accord est un « document de

la capitulation ». Nixon envoie le Général Haig à Saigon afin de travailler Thieu.

Mais simultanément, il ordonne l'opération « enhance plus », un pont aérien pour le transport de

matériel de guerre et d'armes vers le Sud-Vietnam. Du jamais vu à cette échelle. En plus des

livraisons d'armes et de munitions déjà effectuées les mois précédents, Thieu obtient maintenant :

120 avions de combat F5

90 bombardiers d'attaque A27

20 bombardiers A1

30 avions de transport Hercules C316

et 20 hélicoptères de combat

En plus, toutes les bases US seront transférées aux troupes de Thieu.115

Pham Van Dong proteste

contre cet armement massif par lequel l'armée sud-vietnamienne devient la deuxième du monde du

point de vue de son armement. Sans se laisser impressionner, Thieu exige dans de nombreuses

lettres à Nixon, pour son assentiment, la suppression de 20 points de l'accord. Nixon répond :

« Nous ferons tout pour imposer ces changements dans l'accord. » Mais il ne peut ni ne veut, par ces

changements, mettre en danger un accord « que nous considérons déjà comme excellent »116

Au

cours de sa rencontre avec Haig, le 11 novembre 1972, Thieu refuse tout net d'établir une liste de

priorité de ses souhaits de changements car aucun d'entre eux n'est négociable. Nixon écrit lettres

sur lettres, Kissinger s'efforce par l'Ambassadeur Bunker interposé d'intervenir dans les

113

Kissinger Ending p. 378. Le comportement de Nixon est difficile à comprendre même s’il est typique. La déclaration

de Kissinger a sans doute contribué à sa victoire électorale, une semaine et demie plus tard. Cette déclaration n’a excité

sa colère que parce que son conseiller lui avait une fois de plus volé la vedette. 114

Voir le New York Times du 6 novembre 1972. 115

Les chiffres sont tirés de Kalb/Kalb : Kissinger, p. 84. Toutes les capacités de transport de l’armée US ont été mise

en œuvre. 116

Kissinger Ending p. 384.

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négociations mais Thieu fait attendre ce dernier 24 heures pour, du reste, le recevoir et lui remettre

une liste de pas moins de 69 souhaits de changement. Thieu propose d'envoyer un représentant à

Washington pour les expliquer – une belle gifle pour Haig et Kissinger.

Déjà juste avant les élections, on avait pris rendez-vous pour le 20 novembre pour de nouvelles

conversations. Le problème le plus urgent, et le seul, était désormais Thieu. Quand Kissinger arrive

à Gif-sur-Yvette, il y a une grande foule de reporter et de caméras de télévision – ce lieu secret de

pourparlers secrets n'était plus secret, lui non plus.

Kissinger essaye en vain de créer une atmosphère amicale. Le Duc Tho en vient immédiatement au

fait : « Nous avons été trompés par les Français, les Japonais et les Américains. Mais la déception

n'a jamais été aussi éclatante que maintenant. » Kissinger tente encore une plaisanterie : « J'ai

finalement contribué à l'unité des deux zones du Vietnam, car le Nord- et le Sud-Vietnam me

haïssent maintenant l'un et l'autre. » Après de longues passes d'armes rhétoriques, Kissinger fait

connaître les principaux souhaits de changement des USA (en fait, de Thieu).

Le nom du GRP doit disparaître de la totalité du document et aussi l'allusion à deux

administrations au Sud-Vietnam.

Il est exigé le retrait du Sud-Vietnam, de toutes les troupes non sud-vietnamiennes.

On n'a plus le droit d'évoquer l'existence de deux armées au sud du 17ème parallèle et de

deux zones au Sud-Vietnam.

Il ne peut plus non plus être question de prisonniers politiques civils au Sud-Vietnam.

La commission de réconciliation ne peut plus être constituée de trois composantes, elle ne

peut pas avoir de ramifications régionales, ni être compétente pour la mise en œuvre de

l'accord par les deux parties.

Le chapitre 1 doit être changé pour que les USA n'apparaissent pas comme coupables.

Toutes les assurances suivant lesquelles les USA « ne soutiendront pas une certaine ligne

politique ou une certaine personne au Sud-Vietnam et s'interdisent d'ériger un régime pro-

américain » doivent disparaître.

Il devient très rapidement évident que les USA ont repris à leur compte toutes les exigences de

changements de Thieu et on ne peut pas s'empêcher d'avoir l'impression qu'ils s'abritent derrière

Thieu pour remettre sur le tapis leurs propres exigences auxquelles ils avaient renoncé depuis

longtemps. Kissinger lui-même a dû le reconnaître plus tard : « C'était une erreur tactique. La liste

des changements était si déraisonnable et allait si loin au-delà de tout ce que nous avions

ambitionné, aussi bien dans les négociations secrètes qu'officielles, que ça a renforcé l'attitude déjà

dure d'Hanoï de rester sur ses positions et d'attendre que nous soyons pris dans une impasse du fait

de la deadline que le Congrès avait instaurée. »117

Dans les pourparlers, Kissinger essaye néanmoins

de présenter les exigences comme étant seulement verbales, techniques. Le Duc Tho repousse la

plupart des exigences et en pose à son tour de nouvelles. Kissinger aurait dû savoir que ça allait

arriver.

Les rencontres sont maintenant quotidiennes. Nixon qui s'est retiré à Camp David devient impatient

et envoie une lettre à Kissinger qui n'est pas à prendre au sérieux mais dont on doit se servir pour

faire plier les Vietnamiens : « Le Président est très déçu par le ton et le contenu des dernières

rencontres avec Le Duc Tho. Dans ces circonstances, si l'autre partie ne montre pas la même bonne

volonté d'être raisonnable comme nous, je vous signifie que je vais rompre les négociations. »118

Les USA sont pris par le temps car le nouveau Congrès va probablement bientôt mettre fin à la

guerre en coupant les crédits. Kissinger n'est plus très sûr de lui, à savoir si le Vietnam accepterait

117

Kissinger Ending p. 389. 118

Kissinger Ending p. 391.

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encore quelques modifications, ou même s'il accepterait encore de revenir au texte originel

d'octobre. Mais il sait très bien que Saigon n'approuverait en aucun cas. Nixon est du même avis. Il

écrit à Kissinger le 24 octobre : « Nous devons reconnaître la réalité fondamentale que nous n'avons

pas d'autre choix que, dans le meilleur des cas, arriver à un accord qui, dans les grandes lignes

suivrait celui d'octobre. »119

Déjà le jour suivant, Nixon change encore d'avis. Il recommande à

Kissinger d'interrompre les négociations, soi-disant pour consulter les gouvernements respectifs.

« Ensuite j'ordonnerais une attaque aérienne massive sur le Nord-Vietnam.120

Ceci est la première

indication de ce que Nixon va réaliser plus tard, en fait.

Les Vietnamiens prennent conscience dans l'horreur du fait que, pratiquement toutes les questions

précaires doivent être renégociées. Dans leur vision, les USA ne retardent les négociations, plus que

pour avoir plus de temps pour équiper l'armée sud-vietnamienne. Ça signifie que même quand les

USA auront cédé sur leurs nouvelles revendications, en majorité, la signature ne pourra avoir lieu

qu'après le 20 janvier 1973, date de prise de fonctions de Nixon. Sinon, la guerre va continuer sans

limites. Au Vietnam, on se prépare pour le pire des cas. La population, les ateliers de production et

les écoles sont déplacés à grande échelle, de Hanoï et autres villes vers la campagne ou sous terre.

Au demeurant, le texte négocié doit être défendu aussi longtemps que possible.

La rencontre suivante a lieu le 4 décembre 1972 avec un nombre de participants réduit à la demande

des USA – pas plus de 3 personnes de chaque côté. Le Duc Tho tire un bilan amer : « Au cours des

dix dernières années, nous avons appris à connaître toutes les horreurs de la guerre. Ces atrocités

ont redoublé d'intensité sous l'administration Nixon. Et nous savons aussi que, sans un accord, la

guerre sera encore plus impitoyable. Vous allez envoyer vos B52 pour rayer de la carte Hanoï et

Haiphong. Vous dites que votre Président est prêt à tout. Et nous savons ce que ça signifie : invasion

de notre pays et destructions terribles. Pourtant nous allons négocier, bien que vos menaces et la

rupture de vos promesses nous montrent clairement que vous ne voulez pas sérieusement

négocier. » Kissinger rétorque : « Nous nous sommes déjà rencontrés 23 fois. Je ne vois pas que les

USA aient à aucun moment menacé l'indépendance du Vietnam. » Et il refait encore la liste des

exigences pour lesquelles les USA ne feront aucun compromis : le retour des troupes, les

prisonniers civils et quelques autres points. Alors qu'il se plaint que la RDV a posé de nouvelles

exigences, Le Duc Tho dit : « Si vous acceptez l'accord présent sans changements, alors nous n'y

changerons pas un seul mot. »

Alors commence le jeu de ping-pong entre Kissinger et Nixon. Kissinger à Nixon : « Nous devons

nous préparer à rompre les négociations et à intensifier les bombardements afin d'accroître la

pression sur le Vietnam ». Nixon est d'accord mais : « Nous ne devons pas apparaître comme étant

ceux qui cassent. » Les jours suivants, Kissinger jette dans les négociations une foule de nouvelles

questions, met en question certaines formulations ou paroles. Il fait des concessions qui, le jour

suivant, sont repoussées par Nixon. Il faut que la rupture soit provoquée par Hanoï. Finalement (le

11 décembre), il y va avant tout de la circulation frontalière et du statut de la DMZ ; frontière ou

ligne de démarcation, toutes questions pour lesquelles on avait déjà deux mois auparavant trouvé les

formules de compromis. Sur cette question, Hanoï n'est plus disposé à aucun compromis. Le

lendemain, aux négociations de détail avec des spécialistes des deux côtés, Kissinger repasse

toujours à l'attaque et insulte le personnel vietnamien : « M. Luu devrait être démobilisé et renvoyé

dans son pays. »121

Les détails préparés doivent encore être vérifiés dans les capitales respectives.

Le 15 décembre, Kissinger accuse Hanoï dans une conférence de presse, de saboter les

négociations. Quand Le Duc Tho arrive le 18 décembre 1972 sur l'aéroport de Gia Lam à Hanoï, la

ville est déjà bombardée.

119

Kissinger Ending p. 392. 120

Kissinger Ending p. 393. 121

Loi/Vu p. 414.

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Avenue Kléber, le jour de la signature

Bombardements de Noël

Sous ce nom macabre est enregistrée dans l'histoire du Vietnam l'absurde tentative de Nixon de

« terminer la guerre » en répondant aux Vietnamiens à la table de négociation par des

bombardements – table de négociation qu'ils n'ont jamais abandonnée. Force est de dire que, par

cette action impitoyable, Nixon a mis en œuvre ses plus profondes convictions politiques : « Je

crains que, dans l'exécution des ordres, dans le passé, la Navy et l'Air Force aient été trop hésitantes

et que nos buts politiques ne soient pas atteints, précisément à cause de cette prudence de la part des

militaires »122

Cette déclaration montre à quel point la perception de la situation par le Président

Nixon est perturbée par des clichés sur la bravoure militaire : « Je sentais que nous le devions du

fait de la situation par laquelle les Vietnamiens ont d'abord accepté un accord, puis ont posé une

série de nouvelles exigences et ont ensuite refusé de négocier sérieusement. »123

Sous la dénomination « Linerbaker II » démarre l'opération militaire qui aura le plus intensément

semé la terreur par les bombes au Vietnam durant cette guerre. Elle a été préparée de longue date124

,

tous les bombardiers de type B 52 dont l'armée disposait ont déjà été transférés de leurs bases dans

122

Par allusion à une phrase de Winston Chuchill, la « témérité » et la « prudence » ne seraient pas deux attitudes

compatibles. The Memoirs of Richard Nixon, London 1978 p. 736 et suivantes. 123

Nixon Memoirs p. 735. 124

Au moins déjà depuis la mi-novembre, voir Nixon Memoirs p. 722.

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la région et, le 14 décembre, Nixon donne aux militaires les instructions précises sur l'ampleur et

l'intensité. C'est alors que, tous les jours, entre 30 et 129 bombardiers B 52 attaquent Haiphong,

Hanoï et aussi des villes plus petites. Chaque avion déverse chaque fois 30 tonnes de bombes. Le

port de Haiphong est à nouveau miné. L'action dure du 18 au 30 décembre, les attaques sont

interrompues le 24 décembre « pour des raisons humanitaires ». Les bombardements déclenchent à

travers le monde et surtout aux USA (même chez les sénateurs républicains) les protestations les

plus vives. Mais elles ne sont pas le plus gros des soucis de Nixon, il peut s'en arranger – les

élections sont passées. Plus grave, ce sont les pertes élevées en B 52. Elles menacent sérieusement

d'affaiblir sensiblement les capacités au combat de l'US Air Force et aussi du fait des pertes en

pilotes qui ne sont pas si faciles à remplacer.

Nguyen Duy Trinh, ministre des affaires

étrangères de la RDV

Nguyen Thi Binh, ministre des affaires

étrangères du GRP

En tout, 81 avions sont abattus dont 34 bombardiers B 52, 5 chasseurs F 111, 43 pilotes sont faits

prisonniers, dont 32 pilotes de B 52. Xuan Thuy tient une conférence de presse à Paris. Le Duc Tho

écrit des communiqués à Hanoï. Les délégations de la RDV et du GRP quittent la conférence de

l'avenue Kléber en signe de protestation. Pendant que le bombardement sème la terreur, la

délégation vietnamienne est assaillie d'exigences multiples, elle devrait reprendre les négociations

sur la base de l'accord d'octobre avec les changements de novembre et de décembre. Hanoï répond

le 26 décembre 1972 qu'on ne reviendra à la table des négociations que quand les bombardements

auront cessé. Le 30 décembre, l'action militaire est interrompue. « Nixon a stoppé les négociations

pour bombarder. Maintenant il stoppe les bombardements pour poursuivre les négociations. »125

Le 6 janvier, Le Duc Tho rentre à Paris. Il est accueilli à l'aéroport par Xuan Thuy et un petit groupe

de Vietnamiens et d'amis du monde entier et par des centaines de journalistes. Aux USA, les

démocrates portent au vote du Congrès le 2 janvier 1973 une résolution qui exige l'arrêt de toutes

opérations militaires autres que celles de retrait et de rapatriement des prisonniers de guerre. Cette

résolution est votée.

125

Loi/Vu p. 422.

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William Rogers, secrétaire d’état des USA Kurt Waldheim, secrétaire général de l’ONU est

présent à la signature, pas Kissinger

Les 8 et 9 janvier, les négociations reprennent à Gif-sur-Yvette. Le Duc Tho reçoit Kissinger par des

reproches amères : « Sous prétexte que les négociations étaient interrompues, vous avez

recommencé à bombarder juste au moment où j'arrivais à Hanoï. C'était un accueil très amical ! Ce

que vous avez fait est abject et démesuré. Vous deviez penser parvenir de cette façon à nous

soumettre. Vous vous êtes une fois de plus trompé. Vous avez, vous et personne d'autre entravé les

négociations. Vous et personne d'autre, vous avez sali l'honneur des États-Unis. » Kissinger répond

que le comportement de la délégation vietnamienne en décembre a éveillé l'impression que le

Vietnam voulait sortir de la négociation et refuser de résoudre les problèmes. » Le Duc Tho ferait

mieux de ne pas utiliser « autant d'adjectifs » pour critiquer les USA. Le Duc Tho : « J'ai utilisé tous

ces adjectifs avec une grande retenue. L'opinion publique du monde entier, la presse US et les

hommes politiques américains ont employé des adjectifs bien plus tranchants. »126

On en arrive au fait. Il apparaît une dispute pour savoir quel texte va servir de base pour les

nouvelles négociations, celui du 23 novembre ou celui des 16 et 27 décembre. Le Duc Tho

interrompt ce débat et établit qu'il y a avant tout deux problèmes à discuter. Le premier, c'est la

DMZ et le trafic frontalier. Il y avait déjà eu un conflit de principe semblable à Genève en 1954, à

savoir que les USA continuent à voir deux états dans le Vietnam (et la ligne de démarcation

provisoire comme frontière d'état), ce que nie la partie vietnamienne. Il s'agit maintenant de ce que

le Vietnam ne veut pas se laisser entraver la liberté de mouvement de ses troupes sur son propre

territoire par une puissance étrangère. Le terme « civil » sur lequel les USA s'obstinent, interdirait

implicitement les « mouvements de militaires ».

Mais il apparaît que l'importance de cette question est surévaluée, par la partie vietnamienne aussi,

surtout du fait que les territoires sont libérés des deux côtés de la DMZ. De la même façon,

l'exigence des USA est de caractère théorique puisqu'ils ne contrôlent pas tout le territoire au sud de

la DMZ et Quang Tri. Aussi on se met d'accord sur la formulation « trafic civil sur la ligne de

démarcation militaire provisoire ».

Le deuxième point de litige est à nouveau le chapitre 1 (le droit du Vietnam à la paix, à

l'indépendance, à l'unité, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale) : les USA ne veulent pas

concéder de « droits nationaux » au Vietnam. Le Duc Tho refuse. Les pourparlers sont ajournés.

Lors de la rencontre suivante, du 10 au 13 janvier 1973, on se met d'accord sur quelques points

126

Loi/Vu p. 425.

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techniques et de détail. Il y aura 8 « additifs » (understandings) à l'accord. A leur sujet, on discute

longtemps.

Ensuite, on discute de « la forme de la signature » qui touche encore à des divergences d'opinion de

principe. Quatre Parties prennent part à la conférence, divisées en deux camps. Les USA n'ont

jamais reconnu diplomatiquement la RDV mais étaient tout de même disposés à signer un accord

avec elle. Par contre, les USA aussi bien que Thieu avaient la ferme intention de ne pas reconnaître

le GRP, ce qu'une signature commune au bas d'un traité aurait signifié. La RDV et le GRP étaient

disposés à négocier avec Saigon mais ne peuvent accepter le refus, même, d'évoquer le nom du

GRP dans le document. On s'était déjà disputé là-dessus en novembre et en décembre avec de

nombreuses propositions, certaines d'entre elles grotesques. Cette fois, Le Duc Tho propose qu'il y

ait deux rédactions du traité, deux Parties doivent être les principaux signataires, un autre document

(largement identique) doit être signé par les quatre Parties. Kissinger accepte. Il est décidé que les

USA et la RDV signent l'accord tel qu'il était prévu en octobre 1972 avec préambule et article 23127

.

Le deuxième document signé par les quatre Parties ne doit pas contenir les noms de République du

Vietnam ni de GRP ni les fonctions des signataires. Dans le premier document, sont conservés le

préambule en totalité ainsi que l'article 23. Accord : les copies signées par le GRP et par Saigon

doivent commencer avec la formulation : « les Parties associées à la conférence de Paris. » Dans

l'article 23, il doit y avoir : « Cet accord est signé par les ministres des affaires étrangères des

Parties concernées par la Conférence de Paris. » et dans le document principal aussi doivent alors

figurer les noms des ministres des affaires étrangères signataires. Kissinger exige : « les

représentants ». Finalement on se met d'accord sur : « les plénipotentiaires » (plenipotentiary

representatives). Kissinger exige finalement que les quatre signent chacun sur une page séparée. On

se met d'accord sur deux pages, une pour la RDV et le GRP, une deuxième pour les USA et Saigon.

Il y aura deux cérémonies de signature, mais le même jour, avenue Kléber. Ensuite, les annexes

préparées par William Sullivan et Nguyen Co Thach seront présentées et les détails discutés. Ils

concernent essentiellement l'ICCS (la Commission de Contrôle).

Le 13 janvier 1973 a lieu la dernière réunion. Il y va essentiellement des formalités de signature.

Kissinger souhaite qu'il n'y ait aucun discours. Il ne veut autoriser des éventuelles félicitations ou

salutations qu’en dehors de la cérémonie. C'est seulement maintenant que les USA acceptent

d'arrêter les bombardements et la pose des mines, à la date du 15 janvier. La cérémonie de signature

officielle (quatre Parties le matin, deux Parties l'après-midi) aura lieu le 27 janvier. A 24 heures

GMT le même jour, la trêve entre en vigueur dans tout le Vietnam. Le 29 janvier, il doit y avoir une

rencontre quadripartite à Saigon et le 7 ou le 8 février, Kissinger doit venir à Hanoï.

Mais les USA ont encore un problème. Le 16 janvier 1973, Nixon écrit une lettre à Thieu, lettre que

le Général Haig lui remettra en mains propres : « Il a été décidé irrévocablement de signer l’accord

et ce, seul, si rien ne change. Si nous y étions contraints, je devrais publiquement expliquer que

votre gouvernement sabote la paix. Le résultat serait un arrêt inévitable et immédiat de l’aide

économique et militaire des USA. »128

Mais, dans une de ses voltefaces typiques, Nixon assure

Thieu le 17 janvier que « les USA reconnaissent votre gouvernement comme le seul légal au Sud-

Vietnam. »129

Là-dessus, Thieu approuve l’accord et envoie son ministre des affaires étrangères

Tran Van Lam à Paris. Il fait tout de même dépendre son accord de ce qu’un communiqué unilatéral

soit ajouté comme protocole stipulant cette reconnaissance par les Américains, ainsi que l’assurance

que Hanoï n’aura pas le droit de laisser ses troupes au Sud-Vietnam, ce qui, dans l’effervescence

finale, est passé inaperçu.

127

Le chapitre 9 règle les formalités de signature. 128

Loi/Vu p. 443 et suivantes, Nixon Memoirs p. 749 et suivantes. Kissinger est censé avoir dit que cette lettre était

incendiaire. 129

Cité seulement par Loi/Vu, ce n’est pas dans les Mémoires. Nixon semble avoir utilisé de telles déclarations

contradictoires en un temps court pour avoir une latitude de choix selon les opportunités. (Loi/Vu p.444)

Page 44: Comment le Vietnam a été spolié de sa victoiredominiquedemiscault.com/jcdemiscault/jc/famille/GG.pdf · Les troupes américaines et sud-vietnamiennes se trouvent soumises à une

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Résumé

Il est souvent affirmé que les USA n’auraient pas réussi à imposer un accord véritablement

nouveau, au moyen des bombardements. L’accord signé en janvier serait pour l’essentiel, identique

à celui d’octobre. Ça n’est qu’en partie vrai.

Le texte d’octobre (TO) ne comprend aucune annexe ou protocole.

Le TO contenait quelques formulations imprécises et qui auraient pu conduire

ultérieurement à des disputes.

La principale demande des USA et de Saigon était que le nom du GRP n’apparaisse nulle

part. Dans la version purement bilatérale, ce n’est pas un point litigieux. La version signée

par les quatre Parties contient intégralement les noms des signataires avec leurs fonctions.

Il y a des modifications minimales dans la description des tâches du conseil de

réconciliation.

L’ICCS sera composée de membres de 4 pays : Pologne, Canada, Hongrie et Indonésie.

La règlementation de la DMZ (circulation frontalière) est légèrement modifiée par rapport

au TO.

Toutes ces modifications ne sont peut-être pas sans importance, mais elles ne peuvent en aucun cas

excuser la conduite des USA.

Ils ont de cette façon anéanti la vie de milliers de Vietnamiens et causé les pires destructions de

toute la guerre, pour finalement n’atteindre que des « améliorations » marginales. Kissinger s’est

aussi posé la question plus tard : « Est-ce que ça méritait toute cette agitation ? Est-ce que les

changements sont suffisamment importants pour justifier les peurs et les désillusions de ces derniers

mois ? Sans doute pas pour nous, mais sûrement pour Saigon dont la survie aura été finalement le

mobile de toute cette guerre. »130

Il n’évoque pas un argument supplémentaire : les USA voulaient

« une fin honorable » de la guerre. Qu’ils y soient parvenus, on peut en douter. Il reste ce fameux

« decent interval », cet « intervalle décent » qui devait se produire et au sujet duquel on s’est

amèrement disputés jusqu’à la chute finale de Thieu.

130

Kissinger, Ending p. 425.