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1 IUFM DE BOURGOGNE COMMENT CANALISER DES ELEVES DE SIXIEME « DYNAMIQUES »? RIGAUX Anne Professeur certifié Lettres classiques Directrice de mémoire : Madame Anne-Marie ACHARD Année 2004 Dossier n°03STA16038

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IUFM DE BOURGOGNE

COMMENT CANALISER DES ELEVES DE SIXIEME « DYNAMIQUES »?

RIGAUX Anne

Professeur certifié

Lettres classiques Directrice de mémoire : Madame Anne-Marie ACHARD Année 2004 Dossier n°03STA16038

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Sommaire Présentation de mon établissement et de ma classe. p.4 I. Analyse de la situation et des problèmes qui se posent. p.5 A.Différents cas : p.5 1.Les élèves « individualistes ». p.5 2.Les élèves « bébés ». p.6 3.Les élèves « kinesthésiques ». p.6 4.Divers cas. p.6 B.Conséquences pour la classe : p.7 1.Conséquences directes. p.7 2.Conséquences à long terme. p.8 C.Pour une amélioration et un équilibre : p.8 1.Stabiliser. p.8 2.Améliorer. p.9 II. Solutions testées : p.10 A.Travail sur le rythme du cours : p.10 1.Pour le professeur. p.10 2.Varier les activités. p.11 3.Un oral dirigé. p.12 B.Motivation et éducation de l’élève : p.12 1.Par le professeur : p.13 a. Charisme, exemple, passion. p.13 b. Les encouragements. p.14 c. Les rappels à l’ordre et les punitions. p.14 2.Le rôle des parents. p.15 3.Les autres adultes du collège. p.16 C.Donner du sens à ce qui est fait : p.17 1.Le sens du travail donné à la maison ou fait en cours. p.17 2.Le sens du silence. p.19 3.Le sens des punitions : rédaction-punition, exposé-punition. p.20 4.Le sens du comportement demandé. p.21

D.Habitudes de cours : p.22 1.L’entrée et la sortie de classe : p.23 a. L’entrée en classe et le début du cours. p.23 b. La sortie de classe. p.23 2.Habitudes des élèves (garants, répétiteurs, jury, etc.) p.24 3.Rompre les habitudes du professeur. p.25

III. Analyse critique : p.27 A.Evolutions positives : p.27 1.Progrès des élèves. p.27 2.Progrès de la classe. p.28

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3.Progrès du professeur. p.28 B.Evolutions négatives : p.28 1.Ma classe. p.28 2.L’image que je donne. p.29 C.A voir encore : p.30 1.Les fins de cours. p.30 2.Trouver des solutions dans la construction du cours. p.31 3.Travail sur moi-même. p.31 Conclusion. p.32 Annexes : A1.Bilan du comportement et du travail de mes sixièmes à la fin du deuxième trimestre. A2. A2’.Rédaction-punition : exemple de Jessica. A3.Exposé-punition : exemple de Florian. A4.Exposé-punition : exemple de Guillaume. A5. Exemple de l’organisation d’une prise de notes après un bref oral : Les personnages dans Les Contes du Chat Perché de Marcel Aymé. Bibliographie.

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Comment canaliser des élèves de sixième « dynamiques »? Présentation de mon établissement et de ma classe :

J’ai été nommée professeur de français au collège Marcel Aymé de Marsannay-La-Côte, en Côte d’Or. C’est un petit collège calme, comprenant trois ou quatre classes par niveau ainsi que quatre niveaux de SEGPA. L’équipe de direction (principal, principal adjoint, secrétaire de direction) et la CPE sont nouvelles mais ont vite trouvé leurs marques.

Ma classe est la sixième 3. Vingt-quatre élèves, treize garçons et onze filles venus de différentes écoles primaires des environs. Le niveau est hétérogène : il y a de très bons élèves, de très faibles et un groupe moyen. Cinq élèves redoublent et étaient déjà dans cet établissement pour leur première sixième.

En français, le travail demandé en classe ou à la maison est fait assez facilement. La participation orale est excellente et spontanée, voire même trop importante : chacun veut s’exprimer sans tenir compte des autres. Cette classe est indisciplinée, bruyante, et tous les professeurs le constatent. Nombre de félicitations, compliments et encouragements qui auraient été mérités pour le bon niveau et les efforts de travail de certains n’ont pas été accordés à cause des problèmes de discipline.

De plus, les heures auxquelles j’ai cours n’offrent pas les conditions idéales avec des élèves si agités : le lundi de 16h à 17h, le mardi de 15h à 17h et le vendredi de 15h à 17h. Mes élèves n’ont pas cours le mercredi et sont donc aussi énervés le mardi soir que le vendredi soir. En somme, c’est une classe dynamique, mais pas nécessairement dans le bon sens du terme. J’ai donc choisi de travailler particulièrement sur la manière de canaliser cette classe, pour m’obliger à préciser mon analyse et en espérant trouver des solutions au cours de la rédaction même de ce mémoire.

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I.Analyse de la situation et des problèmes qui se posent.

L’analyse de la situation dans ma classe passe par une étude des différents cas que représentent certains élèves ou groupes d’élèves et par la constatation des problèmes qui en découlent. Cela me permet de voir où il est le plus urgent d’agir et de savoir comment il sera possible de procéder, puisqu’on ne traite pas de la même manière un élève kinesthésique, qui chute involontairement, et un élève qui fait preuve de mauvaise volonté, « oublie » ses devoirs et ses affaires.

A. Différents cas :

C’est une classe très hétéroclite au niveau des comportements, et j’ai tenté

d’en souligner les plus caractéristiques.

1. Les élèves « individualistes ».

Il s’agit d’élèves qui concentrent l’attention sur eux, qui ont appris un jour à parler et qui ont oublié d’apprendre à se taire. Ils ignorent aussi l’existence de l’autre. Lorsque je pose une question, les élèves « individualistes » répondent sans lever la main et sans considérer que j’interroge un autre élève. Il arrive qu’ils lèvent la main et répondent en même temps qu’ils font ce geste, ou, dans d’autres cas, ils lèvent la main en criant « M’dame ! M’dame ! » pour attirer de force mon attention et donner leur réponse quand je les regarde enfin, alors que je ne leur donne pas pour autant mon assentiment. Lorsque je ne pose pas de question, ces élèves-là trouvent tout de même le moyen d’intervenir, donnant leur avis sur tout ce qui se passe en classe. Romain, par exemple, pendant l’explication d’un texte, me conseille : « Madame, vous auriez dû punir Jessica, c’est elle qui a parlé » ; ou : « Madame, alors là, il s’est pris un vent, c’est bien fait », etc. Certains élèves imposent une idée précise aux autres et à moi-même. Pour Romain, nous l’avons vu, c’est le commentaire sur ma manière de gérer les problèmes d’une heure de cours. Pour Sébastien, c’est une idée fixe : épargner la forêt amazonienne. Voilà l’argument qu’il utilise à chaque fois que je demande de sortir une feuille. Prise de conscience écologique ? Provocation ? Mauvaise volonté ? En tout cas, pendant que je donne des explications sur ce que l’on va noter sur cette feuille, Sébastien lève la main, je l’interroge en pensant répondre à une question et il interrompt mes explications pour parler des arbres, ce qui immanquablement nous fait perdre du temps et m’oblige à répéter les consignes. D’autres encore ponctuent chaque parole, chaque action, d’une exclamation, d’un avis. Ils expriment à voix haute les réflexions que l’on se fait d’ordinaire à soi-même, peut-être parce qu’ils ne savent pas « penser » en silence, et peut-être surtout parce qu’ils estiment nécessaire de donner leur point de vue aux autres. Tous ces comportements révèlent des élèves qui ont besoin de se faire remarquer, d’être le centre d’intérêt de toute la classe et du professeur. Il y a là, à la fois de l’impolitesse ( manque « d’éducation »), de la provocation (« au moins, vous savez que j’existe »), et un appel (« j’ai besoin que vous sachiez que j’existe et que vous me le manifestiez »). Un seul de ces élèves suffit à perturber un cours et j’estime en avoir quatre ou cinq ainsi dans ma classe.

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2. Les élèves « bébés ».

Les élèves « bébés » sont proches des élèves « individualistes », ils demandent au professeur autant de patience et d’attention qu’un petit en demande à sa maman.

La question si caricaturale : « Quand j’ai fini la page, j’écris où ? », se révèle déroutante quand elle est posée la première fois, mais aussi la deuxième fois, la dixième fois. Sottise ? Manque profond d’autonomie. Besoin d’être accompagné dans chaque acte. Ce besoin est si essentiel qu’il justifie aux yeux des élèves le fait d’interrompre le professeur au milieu de sa phrase. Cela va plus loin : il ne s’agit pas de justification mais d’un acte naturel. J’ai besoin, je demande (chez les bébés par des pleurs, chez les élèves par des « M’dame !»), j’obtiens. Et si ces élèves-là n’obtiennent pas, ils boudent, ils déconcentrent leurs voisins ou insistent autrement auprès du professeur.

Il y a des enfantillages moins prononcés, involontaires, mais à l’effet catastrophique : « Maîtresse, tu peux répéter ? ». Cela provoque immédiatement des rires et les reprises des autres élèves fusent : « C’est pas maîtresse, c’est madame ! », « T’as dit tu, c’est vous ! ».

Ces enfantillages marquent le besoin d’être guidé. Ces élèves doivent apprendre à se comporter en collégiens, à prendre de la distance avec le primaire et avec le lien proche qu’ils avaient vis-à-vis du professeur des écoles.

3. Les élèves « kinesthésiques ».

Ce sont les turbulents, qui bougent, qui gigotent et chutent involontairement de leur chaise, distrayant joyeusement la classe ; ils font des séries de grimaces sans même s’en apercevoir ; ils font la « ola » quand ils veulent répondre à une question, jouent avec leurs ciseaux, leurs stylos et se retrouvent avec du blanc sur la moitié du visage ou de l’encre dans la bouche.

Evidemment, tomber de sa chaise, se tacher, cela peut arriver, mais lorsque cela se produit au moins une fois par semaine pour chaque kinesthésique et, je le précise, sans que cela soit voulu, les cours sont perturbés, les élèves sont distraits et le calme est difficile à retrouver.

4. Divers cas.

Chez certains, la moindre difficulté ou insatisfaction provoque l’expression bruyante d’interjections grossières. Le reste de la classe pointe l’incorrection avec le professeur, l’attention se trouve de nouveau détournée.

Si de nombreux élèves s’expriment ainsi largement pendant mes cours, d’autres ont une discrétion qui les fait presque disparaître. Au bout d’un mois de classe, je n’ai à peine entendu d’Olivier qu’un faible « Présent » à l appel de son nom. Comment espérer son épanouissement au milieu de personnalités rivalisant les unes avec les autres pour que je les remarque ? Il appartient autant qu’elles au groupe classe et il faut que je lui donne aussi sa place.

Tout comme je dois m’occuper d’Amandine, dont mes collègues s’accordent à dire qu’elle serait bien mieux en SEGPA (d’après les évaluations de début d’année et ses grandes difficultés pour comprendre et suivre en cours), dont le niveau baisse chaque semaine, et qui gazouille, papote et papillonne en distrayant ses voisins.

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Et pour finir ce rapide tour de classe, ajoutons le « cas » Jessica. Cette élève a un comportement changeant d’heure en heure, parfois provocatrice et insupportable (je la retrouve en train de discuter à l’autre bout de la classe, « Mais ! Fallait bien que j’lui rende son stylo ! »), parfois légèrement agressive, parfois vous dévorant des yeux pendant toute l’heure et quêtant désespérément votre approbation (« Hein qu’c’était mieux là, hein ? »). Mais j’ai vite appris par la CPE (et par les bruits de couloir) que Jessica avait été victime de violences familiales, qu’elle était au tribunal les jours où je ne la voyais pas en cours, que son père avait l’interdiction de l’approcher dans un rayon déterminé. Avec un environnement aussi perturbé, ce n’est pas étonnant qu’elle teste le comportement des adultes autour d’elle, qu’elle passe d’un mépris affiché à la manifestation d’une attente intense, monopolisant en tout cas au maximum l’attention.

Si je mets un prénom en face de chaque cas, je m’aperçois rapidement de

deux choses : d’abord que des élèves réapparaissent dans plusieurs catégories de cette « classification », ce qui va nécessiter une réelle « éducation », et ensuite, et surtout, que je cite ainsi plus de la moitié des élèves de ma classe, (voire les deux tiers les mauvais jours), ce qui va me demander une grande énergie, une grande patience et la capacité de ne pas me laisser surprendre et déborder par un comportement incongru à un moment mal choisi de mon heure de cours. B. Conséquences pour la classe :

Avec tous ces comportements gênants, ma classe se révèle être un curieux mélange d’hydre et d’hécatonchire, c’est-à-dire que chaque cas pris séparément apparaît gérable, mais que tous ces cas, en même temps et au même endroit, forment un tout dont les gestes et les paroles sont difficiles à gérer. Ce qui n’est pas sans poser problème, aussi bien dans l’immédiat, pour mener une heure de cours, que sur le long terme, par rapport à l’ambiance de la classe.

1. Conséquences directes :

Mon cours se trouve constamment interrompu par des interventions ou des questions qui n’ont aucun lien direct avec le contenu que je propose. Il devient donc difficile à un élève attentif de suivre et même de souhaiter rester attentif. Quant aux élèves naturellement dissipés, je me demande fréquemment ce qu’ils peuvent bien retenir ou comment ils ont pu retenir ce qu’ils notent dans leurs contrôles. Les consignes sont généralement mal comprises et mal suivies. Il faut alors répéter, expliquer de nouveau, ce qui en soi ne devrait pas être un problème, puisque c’est le propre du professeur, mais cela devient pesant quand la majorité des élèves a enfin compris, que nous pouvons passer à autre chose, et qu’un élève demande soudain : « Faut le ranger où ? », suivi cinq minutes plus tard par un autre : « Madame, c’est où qu’il faut le ranger ? ». Bref, la perte de temps est considérable, et donne l’impression de faire de la discipline plutôt que du français.

Je dois multiplier les rappels à l’ordre, distribuer des punitions qui semblent n’impressionner que modérément ceux qui les reçoivent. Pendant ces apartés ou ces adresses à l’ensemble de la classe, je l’ai dit, c’est le contenu du cours qui en pâtit, et un certain brouhaha s’installe, d’où un retour délicat à une ambiance de travail.

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Certains élèves se plaignent d’ailleurs de maux de tête à la fin de mes heures de cours.

Cela constitue un cercle vicieux : répétitions, perte de temps, perte d’intérêt et d’attention, énervement, etc.

2. Conséquences à long terme :

Le programme n’avance que lentement, alors qu’il serait possible d’aller un peu plus vite sans perturber la compréhension d’élèves moyens ou faibles. Je constate cela lors des visites de ma tutrice. Les exercices sont corrigés plus rapidement que d’ordinaire, les consignes sont écoutées plus attentivement, les problèmes de discipline sont moins nombreux. Je le constate également lorsqu’un contrôle est prévu dans la deuxième moitié de l’heure et qu’il faut « absolument » avoir corrigé « cet » exercice pour réviser une dernière fois.

Mes séquences s’étirent, parfois parce que j’avais prévu des séances trop ambitieuses, le plus souvent à cause des interférences qui se multiplient durant les heures de cours. Et la motivation des élèves en souffre. J’ai ainsi vu de bons élèves se dissiper, imiter le comportement des autres, perdre patience. Ce qui ne fait qu’amplifier le problème.

J’ai encore remarqué que les élèves qui dérangent le cours captent de plus en plus mon attention, me font oublier ou négliger les autres. C’est-à-dire que mon comportement change : je deviens moins objective, plus dure certainement avec les fauteurs de trouble, je perds patience plus facilement, même si les élèves me voient à peu près toujours aussi calme, et il m’arrive d’essayer de couvrir avec ma voix le brouhaha ambiant, ce qui n’est pas une solution mais un réflexe.

Je ne peux pas tolérer que les choses continuent ainsi, c’est évident, mais il

est difficile de réagir de manière adaptée et efficace et de transmettre en même temps des connaissances, ce qui, je le croyais au début, était le but de mon métier. Je comprends maintenant qu’être professeur dépasse largement le cadre de la matière et que l’Ecole d’aujourd’hui a une réelle mission d’éducation.

C.Pour une amélioration et un équilibre : J’ai peut-être en tête un idéal scolaire, mais j’aimerais une classe qui à la fois soit attentive et participe. Maintenant que la situation est analysée, il me faut la stabiliser et l’améliorer, en gardant tout de même en tête cet idéal.

1.Stabiliser :

La première des choses à faire, c’est de stabiliser la situation, c’est-à-dire éviter que cela n’empire. Il faut que mes élèves comprennent qu’ils ne sont pas chez eux, sujets de toute l’attention (hormis cas particuliers). Ils sont ensemble au collège et ont à chaque heure de cours un seul adulte pour eux tous : le professeur. Un professeur « capitaine à bord », qui parle et doit être écouté, parce que les élèves sont en cours pour apprendre.

Au fond, mes sixièmes savent très bien qui commande et pourquoi ils sont à l’école, mais ils conservent le comportement qu’ils ont dans leurs familles (au sein desquelles ils peuvent être très écoutés, changer d’activité selon leur goût, participer

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à des prises de décision, être grossiers aussi, selon l’éducation et les permissions qui leur sont données bien entendu). Ils doivent distinguer les deux lieux (maison/collège) et les deux comportements tolérés ou exigés en ces lieux. Est-ce le problème d’adaptation des sixièmes ? Ils étaient pourtant à l’école avant d’arriver au collège. Est-ce alors une évolution de la société (société de consommation, culture du zapping, enfant-roi, pour ne donner que des lignes très grossières) qui rend si difficile la soumission à une autorité juste et constructrice?

Je souhaite créer une ambiance correcte de travail. Pour cela, je dois montrer à mes élèves qu’une telle ambiance est possible et nécessaire. Ma tolérance au bruit est sans doute assez élevée, (peut-être parce que je débute, que je n’ai qu’une seule classe et des journées légères), aussi ne demandé-je pas un silence absolu mais le respect de la parole de l’autre, professeur ou élève, et la capacité de garder ses réflexions et questions pour un moment approprié. Je n’ai pas l’intention (ni certainement l’autorité pour cela) de tomber dans l’excès inverse et d’exiger une rigueur militaire : ce serait vouloir faire un cours magistral et penser que l’apprentissage ne se fait que par une écoute passive.

Je veux conserver les qualités propres de mes élèves (et des sixièmes généralement), l’enthousiasme, la participation volontaire, la spontanéité, la curiosité. C’est peut-être aussi à moi de n’accorder de valeur à ces qualités que si elles rentrent dans le cadre défini pour le cours de français. J’ai fait noter les consignes à respecter en début d’année. Je devrais n’écouter que ceux qui ont eu l’autorisation de parler, par exemple, en acceptant tout de même une réponse spontanée si elle permet de conserver le rythme du cours et n’a pas dérangé les autres élèves.

2.Améliorer :

Puisque mes élèves ont tant d’énergie (pour bouger, pour parler) et qu’elle est mal utilisée, mon but est de transformer cette énergie handicapante en énergie utile. Pour cela, je dois lui donner une direction et un cadre. Le cadre, c’est une classe attentive, respectueuse de l’autre, réceptive. La direction, c’est comprendre, apprendre, retenir, progresser. La vitesse et la variété du cours sont des facteurs très importants : si mes élèves ont le temps de s’ennuyer, de penser à autre chose qu’au français, je vais vite avoir à faire des rappels à l’ordre.

Comme nous ne sommes plus au début de l’année, c’est point par point que je dois obtenir un bon comportement de mes élèves. Le déroulement de l’heure de cours doit être habituel pour qu’ils aient leurs repères et sachent alors quelle attitude adopter. Il faudrait que leur comportement progresse régulièrement et que je ne tolère pas un retour en arrière.

Quant à ma matière, je compte bien développer l’intérêt de mes élèves pour elle. Je suis tout de même spécialiste en littérature française et ancienne : j’ai des choses passionnantes à enseigner. Si je sais faire naître de l’intérêt, si mes élèves ont envie d’apprendre ce que je peux leur transmettre, leur énergie sera utilisée de manière productive. Le fait qu’ils comprennent qu’en français, il y a beaucoup à découvrir et que cela a son utilité, me permettra peut-être de ne pas faire que de la discipline. Je vois bien où il faut emmener mes élèves, mais y parvenir demande une attention de chaque instant. D’un autre côté, c’est enthousiasmant de penser que l’ont peut faire évoluer des élèves en leur transmettant un savoir et en leur donnant des règles de vie en groupe.

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Dans l’ensemble, mes élèves sont de bonne volonté, (sauf peut-être un ou deux), ils ne demandent qu’à apprendre et à trouver leur place en classe avec le professeur. C’est une classe assez souple qui ne proteste pas devant ma constante recherche de solutions et qui accepte sans difficulté de se plier à des règles en évolution (caractéristiques des stagiaires qui cherchent leur propre équilibre ?) II. Solutions testées.

Pour trouver des solutions, les ressources sont nombreuses : tutrice, collègues, CPE, principal et principal adjoint au sein de l’établissement, formatrice, intervenants et collègues à l’IUFM. Je bénéficie ainsi de conseils divers et variés et d’idées nouvelles que je peux essayer avec ma classe quand je les ai triés et adaptés à ma situation. Plusieurs pistes se sont dégagées : jouer sur le rythme du cours, sur la motivation de l’élève, expliquer le sens de ce qui est fait ou demandé, instaurer des habitudes qui cadrent les élèves.

A.Travail sur le rythme du cours :

Lors de sa visite-conseil, ma formatrice IUFM a immédiatement constaté que

ma classe était très (trop) vive et qu’il me fallait gérer différemment mon cours pour la canaliser : « Il faut les fatiguer en les faisant beaucoup travailler, en les occupant constamment, pour éviter qu’ils ne vous épuisent ». En effet, je faisais des moments d’oral beaucoup trop longs et je n’en tirais pas tout le parti possible. Plusieurs choses étaient à modifier : ma propre préparation, l’alternance des activités (notamment oral/écrit) et la manière de diriger l’oral.

1.Pour le professeur :

La première des choses à faire était d’améliorer la précision de ma préparation en me donnant des repères chronologiques. En supposant ainsi la durée de chaque élément du cours (même de manière erronée), j’ai une idée de ce qui se passe bien ou de ce qui déborde beaucoup trop. Disons que le but que je dois atteindre est mieux délimité et que je suis plus à même de l’évaluer. S’il me reste dix minutes de cours pour aborder le sens du texte « Abel et Caïn», c’est que j’ai passé trop de temps sur la fin de la correction de la rédaction, parce que j’ai eu trop souvent à m’interrompre pour demander le silence et pour distribuer des punitions. Conclusion : je dois rendre plus efficaces et plus rapides mes interventions punitives, je dois convaincre mes élèves de l’importance de ce que nous étudions, je dois garder en tête le déroulement chronologique de mon cours. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire !

Mais en donnant le déroulement de l’heure à mes élèves, eux aussi ont des repères, et je peux espérer que mon programme les intéresse assez pour qu’ils veuillent passer à l’étape suivante et se convainquent mutuellement de respecter les règles de la classe dans ce but. Il m’est arrivé d’annoncer que j’allais rendre des copies après avoir procédé à un échange de livres et, entre ces deux moments, de récupérer des punitions. Une élève a tout de suite levé la main : « Mais Madame, je croyais que vous nous rendiez les rédactions après les livres ? » Je n’avais pas respecté ma propre annonce, pour un point de détail, mais c’était suffisant pour déconcerter mes élèves.

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C’est la même chose avec les devoirs : il faut idéalement les donner en début d’heure. Au moins, les élèves les copient pendant que divers points sont réglés (punitions, livres, affaires, signatures) : ils sont occupés et je suis libre d’intervenir auprès des élèves concernés uniquement. Et si ce n’est pas fait à ce moment, certains élèves vont s’en inquiéter pendant le cours ou je vais moi-même interrompre une explication, comme cela m’est arrivé un jour, pour ne pas oublier de donner le travail. Ne parlons pas des devoirs donnés à la fin de l’heure : des élèves les prennent partiellement, d’autres ne les notent pas du tout, tout préoccupés à l’idée de manquer leur bus, d’autres encore les notent un mauvais jour.

Il me faut aussi préciser toutes les consignes en début d’activité, cela peut aller de soi, mais en retenant les élèves. Par exemple, lors de la restitution de copies : « Bon, je vais vous rendre les dictées. Je ne dirai pas les notes, ne vous inquiétez pas, mais je suis allée de zéro à dix-huit. Vous écrirez la note dans le carnet de liaison dans la catégorie orthographe. Dès que vous avez vos copies, vous regardez vos fautes et vous les corrigez en vert. Ne me posez pas de questions pendant que je distribue les feuilles, ça ira plus vite.» Ou bien, lorsque je demande de sortir une nouvelle feuille : « Vous allez prendre une feuille pour… J’ai dit : vous allez , Solène, pas vous prenez ! Quand j’aurai tout expliqué et que vous aurez tout compris, vous prendrez une feuille.» Autrement dit, le professeur de collège doit diriger les élèves.

Si j’ai personnellement des repères et une façon habituelle de procéder avec les élèves, je cadre le cours, j’évite certaines pertes de temps.

2.Varier les activités : Le plus souvent, j’ai mes élèves deux heures de suite avec une récréation au

milieu. Ces deux heures me permettent d’aborder divers points (textes, grammaire, corrections). Mais il est nécessaire d’alterner car la concentration des élèves est brève et il faut constamment renouveler leur attention. Il vaut mieux éviter de rester plus de vingt minutes sur la même activité sans changer au moins d’approche. C’est-à-dire que si ma correction de dictée dure quarante minutes, mais qu’en plein milieu, j’envoie un élève au tableau pour rappeler la conjugaison d’un verbe au passé simple, en lui nommant un garant (voir plus loin), je reste dans ma correction, mais l’approche est différente et implique peut-être davantage les élèves.

Lors de ma visite-conseil, j’avais fait trop d’oral quand il aurait fallu écrire beaucoup plus. « Les élèves adorent écrire, alors n’hésitez pas », avait dit ma formatrice. La façon la plus efficace de procéder avec ma classe, c’est d’alterner les phases d’oral et d’écrit : cinq minutes à faire parler les élèves, cinq minutes à les faire copier, afin de leur donner l’impression de faire beaucoup de choses en une heure et afin de capter leur attention régulièrement. « Que pouvez-vous me dire sur les personnages des contes de Marcel Aymé ?… Il y a Delphine et Marinette, oui… Et leurs parents… Et des animaux, oui… Lesquels ?… Qu’ont-ils de particulier ces animaux ?… Ils parlent, oui, c’est bien. Bon, nous allons noter tout cela : les êtres humains d’un côté et les animaux de l’autre.» Voilà de manière abrégée la façon dont s’est déroulée une partie d’une séance sur Marcel Aymé, l’auteur éponyme du collège. Mes élèves participent beaucoup et ce sont leurs réponses que je note en les organisant : leur travail, leur participation, se retrouve sur leur classeur ; mon travail, c’est de faire circuler la parole, d’obtenir des formulations correctes qui disent à peu près tout ce qu’il me semblait important de montrer pour le niveau sixième.

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L’alternance des activités est de la sorte gratifiante pour mes élèves et, lorsque cela se déroule bien, ils ne réalisent pas réellement que mes interventions les dirigent.

3.Un oral dirigé : Quand la classe est calme, je peux faire circuler la parole très rapidement et

cela donne une impression d’émulation, compte tenu de la forte participation volontaire chez ces sixièmes. J’ai souvent une douzaine de mains levées, et c’est un drame si les élèves au bout de ces mains n’ont pas pu s’exprimer. Il faut donc aller très vite, écouter chacun et déjà passer au suivant en félicitant pour la réponse. Quand je vois un élève qui ne participe que rarement (ou qui a davantage de difficultés) lever la main, je l’interroge et j’essaie de le mettre en valeur. Ces moments-là sont gratifiants, à condition de ne pas être interrompus par une question formelle (« Fallait l’écrire, ça ? ») ou une remarque de discipline (« Il a lancé une boulette ! »).

Souvent, quand une réponse juste a été donnée et qu’il y a de nombreux « frustrés de la parole », je dois montrer aux élèves que j’avais remarqué leur envie de participer et que je pensais qu’ils savaient eux aussi la bonne réponse. Mais je peux également leur demander de reformuler ce qui vient d’être dit, leur faisant manipuler les mots et les idées et m’assurant par là qu’ils ont bien compris. Il faut que cela aille assez vite pour que ce moment d’oral soit intense et pour conserver l’attention de tous. Il m’arrive également de demander de reformuler quand j’ai donné des consignes et que je veux être certaine qu’une question à laquelle j’ai déjà répondu ne va pas m’être de nouveau posée.

Pour donner du rythme à un temps d’oral, une description rapide peut aussi être intéressante. J’ai apporté un jour en cours un petit troll en résine et j’ai demandé à chaque élève d’en donner une caractéristique en une phrase. En cinq minutes, un tour de classe a été fait : « Il est ventru », « Il a des cheveux ébouriffés », « Il a un très long nez », « Son teint est verdâtre », etc. Et les plus timides comme Olivier n’étaient pas trop mal à l’aise pour parler puisque chacun devait faire sa phrase. Ce n’est pas se faire remarquer que de passer lorsque c’est son tour, de dire très vite sa description pour ne pas casser le rythme de l’exercice. Je n’ai pas mentionné des temps plus lents, comme un exercice à faire en binôme (« Vous avez dix minutes, à seize heures trente, nous mettons en commun »), mais il faut en organiser également. Ce sont des petits moments de relâchement pendant lesquels les élèves peuvent parler à voix basse. Le jeu sur les rythmes du cours est important pour conserver l’attention mais c’est parfois difficile à mettre en place. La montre se révèle être un outil essentiel du professeur.

B.Motivation et éducation de l ‘élève : L’élève (et l’enfant bien sûr) se construit en se référant, notamment, aux adultes qui l’entourent. Je compte beaucoup sur ce regard des élèves sur le professeur pour réussir à les motiver et à leur donner envie d’apprendre. Et pour ce qui est de l’éducation, les adultes influencent principalement par leurs encouragements et leurs blâmes (la carotte et le bâton).

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1.Par le professeur :

a.Charisme, exemple, passion : Je reste persuadée que mon autorité rayonnera quand ma personnalité et

mon rôle de professeur seront en adéquation. Quand mes hésitations disparaîtront (extérieurement du moins), quand mes exigences seront claires, justes et que les élèves n’auront aucun doute : il faut les suivre. Evidemment, cela prendra du temps : il s’agit d’une alchimie complexe. Mais le charisme joue énormément. Pour l’instant, j’ai le sentiment de ne dégager que de la gentillesse, et si parfois je manifeste de l’agacement, je n’intimide pas par ma manière d’être.

Cela peut être un avantage. La maman d’Olivier, lors d’une rencontre parents-professeurs, m’a dit que je ne faisais pas peur à son fils. Et, de fait, Olivier a un jour osé venir me demander l’autorisation de changer de place. Il faut dire qu’Olivier est à ce point timide, « timoré », que s’il était absent, on ne remarquerait pas de changement dans la classe. Ayant moi-même été très timide, je sais que c’est presque un exploit, dans cet état d’esprit, que d’aller trouver quelqu’un (un adulte) pour lui demander quelque chose.

J’ai ce rapport de confiance avec mes élèves, à défaut de réussir à leur faire tenir leur langue et rester assis sagement sur leurs chaises pendant mes explications. La confiance est un premier pas important. Morgane est venue me voir à la fin d’un cours pour me dire qu’elle savait qui avait envoyé une lettre de menace à Betty, à condition de ne pas le répéter. Le reste s’est joué entre la CPE et les élèves concernés. Cela prouve tout de même que ma relation avec mes élèves est en bonne voie et que ce rapport est important pour eux.

Je fais aussi en sorte d’être imitée, ce qui a très bien fonctionné pour la lecture. J’ai commencé par parler des livres que je lisais (pour un stagiaire, la littérature pour jeunesse est souvent un domaine inconnu à explorer). J’ai conseillé des titres de livres et des noms d’auteurs et j’ai dit à mes élèves que s’ils avaient aussi des livres à me faire découvrir, je serai ravie de les lire.

Le principe de l’échange a vite porté ses fruits : j’ai fait circuler mes propres livres (en faisant une liste de prêts) , mes élèves m’ont prêté les leurs avant de les prêter également à la classe ; j’ai lu des passages, les élèves m’ont donné leur avis sur leurs lectures ; j’ai dit que j’aimais tel ou tel livre, certains ont foncé au CDI les emprunter (comme Jessica qui a dévoré Matilda de Roald Dahl et l’a choisi pour faire sa fiche de lecture ; comme Amandine qui m’a suppliée de l’accompagner au CDI rendre un livre pour qu’elle puisse le prendre sur-le-champ). J’ai profité de ma vitesse de lecture pour impressionner mes sixièmes : « Oh ! Madame, c’est pas possible, vous pouvez pas avoir déjà fini les neuf cents pages d’Harry Potter V.! »

Parmi mes élèves, ce sont ceux qui ont le plus de difficultés qui demandent à lire les livres que je fais passer. Je pense que le fait de donner des pistes, de faire découvrir des aventures susceptibles de les passionner, est important : les bons élèves savent trouver eux-mêmes, les autres ont peut-être besoin d’être guidés. La maman de Romain m’a ainsi avoué qu’elle avait été très étonnée, et ravie, de voir son fils (d’un niveau correct mais réfractaire à la lecture) lire et avoir envie de lire. Quand mes élèves lisent, ils font du français, ils aiment le français, et ils ne savent pas qu’ils font du français ! Ma boulimie de lecture a un réel impact.

J’essaie de transmettre ma passion de manière plus profonde : derrière les livres, il y a la littérature, la culture, les textes, les mots. Si je suis enthousiaste, je

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deviens captivante, et dans ces moments-là, la classe est calme, avide de savoir (et j’aimerais que cela se reproduise plus souvent !).

Lors de ma séquence sur le conte, j’ai réussi à créer un de ces temps d’attention et Solène a été émerveillée par un texte. Solène a de grandes difficultés dans toutes les matières, elle a un comportement enfantin, son écriture en est révélatrice (lettres détachées, ronds sur les –i), son orthographe est catastrophique. C’est pourtant elle qui a levé la main (dans un contexte ou le sens des mots péjoratif et marâtre avait été expliqué) pour demander « Mais marâtre, c’est péjoratif par le sens ou par le son –âtre ? » Il m’est arrivé aussi de faire une digression sur la divination romaine (le vol des oiseaux, le templum céleste défini par les prêtres, qui est devenu temple terrestre), j’ai raconté cela comme une histoire et mon auditoire a été attentif, et Solène a été ébahie « Madame, c’est incroyable ! » Comme quoi les élèves sont une matière vivante qui répond bien aux stimuli , à condition que ceux-ci soient provoqués de manière adaptée. Le fait de croire à ce que l’on dit en est une.

b.Les encouragements :

Les encouragements sont une autre manière adaptée de canaliser les élèves. Ne pas se moquer d’une réponse fausse, ne pas brimer un élève qui s’est trompé. Au contraire, encourager, pousser l’élève à chercher plus loin, à utiliser sa logique, ses connaissance, jusqu’à ce qu’il trouve et progresse. Lorsque j’en ai le temps, je construis les appréciations sur les copies de manière à pointer ce qu’il faut retravailler et à marquer aussi ce qui a été bien compris, bien utilisé. Donner du positif même s’il est parfois dur à trouver !

A l’oral, j’applique cela le plus possible : « Allons Matthieu, je sais que tu sais… Ah ! tu vois, tu le savais ! », « Non, ce n’est pas ça, mais tu n’étais pas loin », « C’est juste, mais tu ne crois pas aussi que… ?». J’essaie de montrer aux élèves qu’ils sont écoutés et pris au sérieux quand ils parlent et qu’ils ont le droit de se tromper.

Même les appréciations sur les bulletins peuvent influencer les élèves. Anaïs a tendance à se laisser distraire, elle pique des fous rires, écoute le voisin, le professeur , la copine derrière. Au premier trimestre, j’avais noté sur son bulletin : « Avec davantage de concentration et de régularité dans le travail, des progrès apparaîtront ». Après réception des bulletins, Anaïs m’a confié : « J’ai bien aimé ce que vous avez noté. Je vais faire comme vous avez dit ». Maintenant, à la fin du deuxième trimestre, je ne peux pas dire qu’Anaïs ait beaucoup progressé, mais sa moyenne s’est maintenue à douze alors que j’ai durci ma notation, j’ai une élève qui fait le travail demandé, fait preuve de bonne volonté, écoute mes remarques et en tient compte, et c’est assez réconfortant.

c.Les rappels à l’ordre et les punitions :

Comme tous les élèves ne se comportent pas comme Anaïs ou comme

Quentin que les encouragements motivent, il y les rappels à l’ordre et les punitions. Le recours utile, à condition d’être adapté à l’élève et à ses débordements, mais pas la solution miracle. Il en existe toute une palette pour faire comprendre à un élève les limites qu’il doit respecter. Cela va du simple blâme oral aux célèbres heures de colle. Je n’évoquerai guère les sanctions données par le chef d’établissement ou son adjoint, qui concernent des cas plus sérieux (hormis l’avertissement, il y a l’exclusion, la convocation devant le conseil de discipline, etc.).

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Les réprimandes n’ont souvent qu’un très court effet : cela fait taire le bavard et cinq minutes après, on l’entend de nouveau. Je fais tout de même appel à l’intellect et à un meilleur comportement : « Cédric, d’ordinaire je t’entends moins ». Mais je me demande si cela ne fonctionne pas qu’avec des élèves sérieux, qui auraient peut-être honte d’avoir été pris en faute.

Quand mes appels au calme restent ignorés, je mets des « bâtons » (d’autres font des croix). J’ai donc une « feuille à bâtons » sur laquelle je consigne d’un côté les bavardages intempestifs et les « mouvements » (kinesthésiques qui tombent de leur chaise pour la dixième fois depuis le début de l’année, etc.), et de l’autre les oublis de matériel et les travaux non faits. En début d’année, trois bâtons donnaient un exercice supplémentaire et trois fois trois bâtons une heure de colle, mais c’était trop de tolérance et cela ne tenait pas compte de la personnalité de chaque élève. Désormais, trois bâtons provoquent l’obligation de faire un exposé-punition et des excuses à la classe (voir C.3) et trois bâtons après cet exposé conduisent directement en colle. Chaque élève connaît sa position (plus ou moins loin) par rapport à l’exposé ou à la colle.

Quand le bruit est général, une simple menace peut suffire : « Il va pleuvoir » annonce une imminente « pluie de bâtons ». Tous ceux qui sont surpris à parler après le rappel se voient attribuer un bâton. J’ai fini par remplacer cette menace par une formule plus terrifiante : « Trois… deux… un… » A zéro, distribution de bâtons. C’est terrifiant car je pense que de nombreux parents font respecter l’ordre chez eux par ce compte à rebours. Cela symbolise certainement plus l’autorité que ma première allusion à une mauvaise météo.

Les changements de place peuvent être perçus comme des punitions par les élèves : « Si je constate que le bruit persiste, je vous change de place, et ce sera une fille à côté d’un garçon ! » Ca, c’est efficace en tant que menace. Le plan de classe en lui-même est plus complexe : c’est un vrai casse-tête (comme ménager les susceptibilités en faisant le plan de table d’un dîner !). Entre les élèves à éloigner des fenêtres, ceux qui doivent être devant, les grands bavards à isoler, les groupes à séparer, le résultat est souvent mitigé : progrès d’un côté, nouveaux foyers de discussion de l’autre.

Mais si l’on demande à un seul élève de changer de place, cela peut être réussi. Etienne parlait constamment, avec tout le monde. Dès qu’il a été déplacé, il n’a plus posé problème. J’ai même obtenu un effet secondaire inattendu : de sa nouvelle place, il s’est lié d’amitié avec le timide Olivier au point que ce dernier a commencé à parler et à exister comme un petit garçon vivant (progrès notable).

J’ai parfois collé (peut-être pas assez souvent), parfois exclu de cours (voir C.3) , parfois fait sortir les carnets de liaison. Je n’ai jamais fait mettre sous fiche de suivi (cela pourrait peut-être canaliser Jessica, sait-on jamais ?). Mais je cherche toujours ce qui peut réellement modifier le comportement des élèves et c’est à inventer au cas par cas. Je compte assez sur la peur de la réaction des parents (quand une signature est obligatoire). En tout cas, les punitions doivent être distribuées rapidement et efficacement pour éviter le temps perdu et les élèves déconcentrés.

2.Le rôle des parents: Comme je l’ai dit précédemment, les parents ont un rôle important, ne serait-ce que si leur autorité résonne comme la mienne et ne la contre pas (« Veuillez excuser mon fils pour sa maladresse » : si le fils a eu trois bâtons, c’est que je n’avais pas eu

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connaissance auparavant de cas de maladresse vocale chronique !) Dans l’ensemble, les parents des élèves de ma classe se sentent vraiment concernés par le travail et le comportement de leur enfant à l’école. Et leur implication a une réelle influence dans le bon comme dans le mauvais sens. Lors de la première rencontre parents-professeurs, pour donner le résultat des évaluations de début d’année, j’ai rencontré les deux tiers des parents. Malheureusement, ceux qui auraient dû être là principalement, du fait des difficultés scolaires et des problèmes de comportement de leur enfant , étaient absents. J’ai tout de même rencontré la maman de Matthieu, un redoublant qui avait tendance à ne pas finir les mots qu’il écrivait. J’ai pu ainsi vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un problème d’audition mais d’un effort à faire pour aller au bout des choses. J’ai compris que cette dame aidait énormément son fils pour le faire progresser et cela a au moins l’avantage que les devoirs maison de Matthieu soient faits et comportent bien moins de fautes d’orthographe : à force de travailler avec sa maman, il va finir par acquérir quelques automatismes. J’ai rencontré les parents de Romain (qui avait un comportement très individualiste et m’interrompait pour donner son avis). J’ai pu faire comprendre à ses parents qu’il fallait qu’il apprenne à se taire, que sa facilité à parler et à donner son avis était intéressante, mais qu’il devait la réserver à son rôle de délégué et qu’il devait montrer l’exemple. Le changement de comportement a été radical. Si Romain parlait avant de lever la main, il s’interrompait de lui-même en réalisant son erreur et attendait mon autorisation. Mais j’ai parlé d’évolutions dans le mauvais sens. Devant les progrès de Romain et leur continuité, j’ai félicité cet élève. J’ai croisé ses parents et je leur ai dit ma satisfaction. Eux aussi l’ont félicité. Là encore, le changement a été radical : Romain est redevenu l’élève moralisateur intarissable du début d’année. J’ai revu les parents, nous avons observé que Romain avait prouvé qu’il pouvait faire des efforts, il doit donc réitérer. Malheureusement, il n’a plus vraiment changé de comportement. Alors que Morgane si. Elle avait la même tendance à parler que Romain. Mais depuis la rencontre avec sa maman, la progression est constante dans le comportement. En ce qui concerne le travail, sa mère l’aide beaucoup : j’avais donné à faire une rédaction sur le cross du collège (pour raconter un fait vécu), mais Morgane était absente ce jour-là. Elle a tout de même reconstitué avec sa maman le déroulement de la course de manière excellente. Ces exemples montrent l’importance au collège et pour le collège de l’engagement parental. J’ai pu insister sur quelques points quand les professeurs ont parlé tour à tour devant les parents : les parents doivent vérifier que le travail a été fait, que le classeur est rangé correctement, que les leçons sont revues et que la partie « essentiels » du classeur est relue fréquemment. De plus, ils doivent encourager leur enfant à lire. Je sais toutefois que les élèves restent très inégaux quant à l’aide apportée pas les parents.

3.Les autres adultes du collège : En revanche, tous mes élèves côtoient les mêmes adultes au collège et ces adultes jouent tous leur rôle pour les canaliser. A commencer par les ATOS qui veulent des classes correctes à la fin des cours (stores baissés, chaises contre les tables, papiers ramassés). Les surveillants font ranger les élèves et arrêtent ceux qui courent dans les couloirs. La CPE possède un statut particulier pour les élèves : elle dégage une autorité propre à sa fonction (en plus de son autorité personnelle) et

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remet bien les élèves à leur place (voir II.D.3). Tout cela, c’est le fonctionnement normal d’un collège, mais il est bon de rappeler l’existence et une partie du rôle de ce cadre d’adultes. Le principal et le principal-adjoint m’aident beaucoup, la plupart du temps de manière apotropaïque : leur simple présence ou l’idée de leur présence non loin de ma salle de cours suffit à m’assurer une heure de calme. Ils incarnent l’autorité aux yeux de mes élèves. Des rumeurs circulent aussi : le principal-adjoint se cacherait dans la salle des professeurs ou dans les escaliers pour observer les rangs qui montent en classe. Cela me garantit un rang qui ne ressemble pas à un « troupeau ».

La cohésion des collègues compte évidemment beaucoup. Si seule la stagiaire de français se plaint de ses élèves, tout le monde va penser, (avec elle), que le problème vient d’elle. Si les professeurs d’anglais, de technologie, de sciences humaines se plaignent aussi, on sait que la classe est en cause. Un discours harmonieux entre les professeurs, par l’intermédiaire du professeur principal, avec l’aide du principal-adjoint (chargé des sixièmes), l’existence d’une équipe soudée d’adultes qui ont le même but (enseigner) et la même condition (dans une classe attentive et au comportement correct), cela fait comprendre aux élèves quels sont leur rôle et leur place.

Enfin, en tant que stagiaire, je bénéficie d’autres intervenants : ma tutrice et ma formatrice IUFM. J’ai employé le verbe « bénéficier » parce que les visites de ces collègues modifient sensiblement le comportement de mes élèves. Ces derniers, en voyant s’asseoir au dernier rang de leur classe des adultes à la mine sévère, cessent de bavarder, se montrent attentifs, et il faut même un certain temps d’adaptation pour que la participation redevienne aussi nombreuse que d’ordinaire. Le fait de ne pas avoir l’habitude de ces visiteuses, de ne pas les connaître comme ils connaissent leur professeur, provoque chez mes élèves inquiétude et calme. L’effet « visite » est très appréciable, mais il a tendance à s’estomper rapidement. Cela me prouve en tout cas que mes élèves peuvent bien se tenir quand ils le veulent et ainsi, l’heure de cours est agréable et profitable. A moi maintenant d’obtenir cette ambiance de travail le plus souvent possible.

En comptant sur les gens avec lesquels je travaille et sur les parents, j’assure

mieux mon autorité. Et surtout, mes élèves ont plusieurs référents adultes qui font leur éducation, qui sont tournés dans la même direction et qui donc apparaissent plus crédibles.

C.Donner du sens à ce qui est fait : Si les élèves comprennent pourquoi ils sont en classe, pourquoi ils ont

certains travaux à faire, certaines choses à savoir, pourquoi il y a un comportement à adopter, ils se montrent de meilleure volonté.

1.Le sens de travail donné à la maison ou fait en cours.

Le simple fait d’expliquer aux élèves que nous envisageons certains thèmes,

que nous étudions les fables ou les contes parce que c’est au programme peut suffire à les satisfaire. Si c’est au programme, si tous les autres sixièmes étudient les mêmes sujets, ils ne posent pas de questions et acceptent de travailler, parce que

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c’est comme cela. J’ai distribué au mois de septembre le programme de l’année pour la lecture, l’écrit et l’oral et, en ramassant les classeurs, j’ai observé qu’un élève avait systématiquement coché les points que nous avions vus. Je crois que ça le rassurait de suivre notre avancée et de savoir où nous en étions. J’ajouterai que le fait de distribuer le programme rassure également les parents et évite nombre de questions et commentaires le jour de la réunion parents-professeurs.

J’appréhendais l’étude de la Bible, parce qu’il est délicat d’éviter de froisser des convictions en abordant les religions. Certains élèves m’ont répété que leurs parents leur avait dit qu’ils ne comprenaient pas pourquoi ce texte était étudié. J’ai mentionné les programmes et il n’y a plus eu de commentaires. Quant à l’aspect religieux, j’ai fait un rappel historique (une civilisation occidentale d’origine judéo-chrétienne et gréco-romaine) et j’ai expliqué qu’il y avait des bases d’une culture commune qu’il fallait absolument posséder : et si plus tard ils lisaient un texte, un article de journal, sur le déluge par exemple et qu’ils ignoraient qui était Noé ? Il faut une certaine culture pour comprendre correctement le monde dans lequel nous vivons. Cet argument a convaincu les élèves les plus brillants et m’a permis d’expliquer que nous allions travailler la Bible comme un texte littéraire, comme une légende et non comme un texte religieux, que chacun était libre de sa religion et que ce n’était pas le propos du jour, et qu’enfin, il y avait des thèmes ou des textes communs aux trois grandes religions monothéistes et qu’ils en tireraient probablement une certaine ouverture d’esprit et de quoi étoffer leur réflexion plus tard peut-être. En faisant appel à la raison des élèves, en expliquant pourquoi un thème est abordé, non seulement ce thème passe mieux, les protestations cessent, mais en plus, la curiosité est éveillée.

En ce qui concerne le travail maison, je n’ai jamais eu besoin de justifier qu’il y en ait. Il est toujours fait sans trop de problèmes : c’est normal en français d’avoir des rédactions à faire. Ce sont les leçons qui sont apprises plus difficilement : si je n’écris pas au tableau, dans les devoirs, qu’il faut apprendre la leçon, peu d’élèves auront révisé pour le cours suivant, alors qu’il devrait s’agir d’un automatisme. Mais ces élèves ne sont qu’en sixième. Ce qui donne du sens à cet apprentissage régulier, c’est une note. Désormais, à chaque séance ou presque, j’interroge oralement un élève sur la leçon vue au cours précédent et je lui mets une note sur cinq points (qui me permet de compléter les contrôles que j’ai pu noter sur cinq ou sur dix). Et attention, celui qui parle ou qui souffle les réponses pendant cette interrogation aura le quart de la note de l’élève interrogé ! La note paie le travail et aucun élève ne se plaint.

Lors d’une visite de ma tutrice, j’ai donné aux élèves une fiche de lecture à faire et une de mes demandes était qu’une citation qui leur semblerait intéressante ou importante soit recopiée. Un élève a demandé pourquoi et j’ai répondu spontanément : «Ça vous servira plus tard », argument insuffisant en soi mais qui a , aux dires de ma tutrice, pleinement satisfait mes sixièmes. Je pensais au conseil que l’on m’avait donné pendant mes études : se faire son propre carnet de citations, en apprendre et être capable d’en replacer dans les dissertations. Pour des sixièmes, la perspective du bac français reste lointaine, je n’ai donc pas approfondi davantage et l’effet en a peut-être été meilleur. Je veux dire par là qu’il est bon d’expliquer, de faire comprendre et réfléchir, mais qu’il faut toutefois conserver une part d’aléatoire : vous apprenez parce que je l’ai décidé, c’est comme ça et c’est tout. Il ne faut pas tomber dans la justification à outrance que des élèves plus âgés auraient vite fait de retourner contre leurs professeurs.

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2.Le sens du silence.

Pour régler mes problèmes de discipline, il m’est arrivé de demander aux

élèves pourquoi ils étaient à l’école et quel était le comportement à avoir en classe. Nous avons ainsi fait un travail oral et écrit (notes dans le classeur) qui a fait appel à leur réflexion et à leur logique. Ils en ont tiré un long enchaînement : on travaille à l’école pour avoir des diplômes, pour choisir un bon métier et avoir la vie qu’on veut, et pour apprendre à réfléchir. Bref, l’école comme une chance. D’où l’importance de bonnes conditions de travail : il faut que la classe reste silencieuse quand le professeur parle pour mieux écouter, mieux comprendre, mieux retenir. Et si on a bien écouté, on a moins à apprendre chez soi le soir, argument qui semble avoir été bien retenu. Il faut aussi écouter les autres quand ils prennent la parole, cela évite de donner la même réponse ou de poser la même question. Si on écoute, on ne parle pas. Si tout le monde écoute, il n’y a pas de bruit, on n’a pas mal à la tête, on avance plus vite dans le programme, on s’ennuie moins, etc. Tous mes élèves ont bien compris l’importance du silence mais sont encore loin d’adapter leur comportement. J’ai dû chercher des méthodes pour mettre cela en pratique. Par exemple, pour les élèves qui posent des questions avant même que j’aie terminé de donner des consignes, j’ai demandé d’avoir à côté de soi un « brouillon-question », c’est-à-dire une feuille de brouillon sur laquelle sont notées toutes les questions qui semblent importantes aux élèves. Si les réponses à leurs questions ne sont pas données dans mes explications, lorsque j’ai terminé, ils peuvent poser leurs questions. Normalement, ils ne devraient pas avoir à les poser s’ils écoutent bien. Mais cette méthode n’est pas encore au point : mes sixièmes n’ont pas encore pris le réflexe de noter. Ils restent obnubilés par leur question jusqu’à ce qu’ils l’aient posée. Cela fonctionne cependant lors d’un exposé : ils ne se permettent pas d’interrompre leur camarade et notent ce qui les intéresse. J’ai demandé le silence (pas le silence absolu, il faut bien le comprendre, mais un silence relatif qui n’est pas entrecoupé d’appels, de questions urgentes qui devraient me faire cesser toute forme d’activité sur-le-champ, bref, un temps de repos) lorsque je rends des devoirs. Avant de rendre les copies (cf. précédemment), je dis où il faut marquer la note, où il faudra ranger la feuille. Si l’on me laisse rendre toutes les copies sans m’interrompre par d’horribles « Madame, on y range où ? » criés sans avoir levé la main, nous perdrons moins de temps. Même chose pour les dictées : il est inadmissible qu’un élève rompe la concentration de ses camarades par un « Madame, vous pouvez répéter ? ». Les élèves perdus lèvent la main, je vais répéter la phrase autant de fois qu’il le faudra. Et le temps de relecture final doit être lui aussi parfaitement silencieux. J’ai vu au début de l’année de bons élèves qui ont sauté un passage complet de la dictée ou qui ont marqué deux fois la même phrase parce qu’ils étaient dérangés dans leur concentration.

En théorie, tout cela est assez simple, mais en pratique, cela reste difficile à faire appliquer avec cette classe. Je n’ai pas de points de comparaison avec d’autres sixièmes, mais mes collègues trouvent cette classe difficile et parlent d’en répartir les élèves dans diverses classes l’an prochain pour éviter de conserver un groupe aussi difficile à canaliser. C’est pour cela que j’essaie de les faire changer de comportement par la compréhension des conséquences de leurs actes, en donnant du sens.

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3.Le sens des punitions: rédaction-punition, exposé-punition.

Au début de l’année, je l’ai expliqué plus haut, les punitions que je donnais

étaient des exercices supplémentaires. Mais ce n’était pas forcément ressenti comme une punition par les élèves si ce n’est par l’obligation de faire signer la feuille par les parents. En outre, ce n’était pas adapté particulièrement aux élèves comme c’est demandé dans les BO, et l’aspect formateur restait attaché à la matière et non à la manière de se comporter.

J’ai donc cherché une punition utile, qui ferait réfléchir sur le sens même de son existence : la rédaction-punition. C’est tout simplement une rédaction supplémentaire dont le sujet a un rapport avec les problèmes de discipline au collège. Le sujet suivant a eu beaucoup de succès : « Que se passe-t-il quand je parle pendant les cours ? Pour moi ? Pour mes camarades ? Pour le professeur ? Qu’est-ce que cela va m’apporter ? ». Mes élèves punis ont su analyser leur comportement et ses conséquences. Certains sont même spontanément venus me trouver pour me dire qu’ils ne recommenceraient plus. Mais ce sujet a des limites : j’ai bien dû le donner et le corriger une douzaine de fois, et je pense que certains allaient demander des idées à leurs camarades punis avant eux, bien que j’aie tout rendu en une fois. Cela s’éloignait d’une punition individualisée, et il m’aurait fallu distribuer plusieurs sujets simultanément pour punir ceux qui avaient le comportement le moins bon.

C’est alors que mes élèves sont un jour venus en cours avec la nouvelle idée de leur professeur d’anglais pour régler les problèmes de discipline : à la fin de l’heure, les élèves vont mettre un « oui » sur une feuille d’émargement s’ils ont eu un comportement correct. A la fin de la semaine, des exercices sont donnés à ceux qui n’ont pas eu assez des « oui ». C’est donc une sorte de fiche de suivi que les élèves rempliraient eux-mêmes, une auto-évaluation. J’ai essayé également cette méthode mais cela n’a pas fonctionné avec moi, certains mettant « oui » en ayant été dissipés, d’autres mettant non en ayant été sages à mon idée, et cela prenait du temps. Mais le fait qu’une collègue expérimentée ait eu besoin d’un nouveau système pour canaliser cette classe en milieu d’année, qu’elle fasse elle aussi réfléchir les élèves sur leur comportement, c’était pour moi rassurant et cela me confortait dans ma logique de punition raisonnée.

Les élèves se sont aperçus de cette volonté commune de leurs professeurs de trouver un moyen de les rendre responsables de leur comportement. J’en ai profité pour faire une séance d’oral : chaque élève devait exprimer clairement son idéal de punition efficace et défendre son point de vue. Une fois les solutions disproportionnées mises à part (jeter les élèves gênants par la fenêtre), nous avons procédé à un vote et une double punition a été choisie, qui me satisfait parfaitement : les élèves ayant dépassé leur quota de bâtons doivent faire un exposé-punition dont le sujet est choisi par le professeur, suivi d’excuses à la classe et de la promesse de ne plus recommencer. Cela reprend l’idée de la rédaction-punition, avec un aspect plus spectaculaire (devant la classe), sans être humiliant évidemment, puisque les élèves eux-mêmes l’ont trouvé approprié, avec un engagement public ( je ne recommencerai plus),et le français est travaillé (notamment la difficulté de faire un exposé, de parler en public sans lire ses notes, et d’écrire avec une orthographe correcte puisque je ramasse la feuille). J’ai déjà donné divers sujets : « Le respect », « les mouvements en classe (pour les kinesthésiques) », « la prise de parole », etc. Je choisis le sujet en fonction de ce qui est le plus problématique dans le

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comportement de l’élève, et je le donne pour la prochaine journée de cours, sans tenir compte de la quantité de travail maison. J’écoute un exposé par séance pour ne pas perdre trop de temps, et je fais à chaque fois des commentaires sur la manière de prendre la parole (« Crois-tu que le fond de la classe t’entende ? »). Et ceux qui ont fait un exposé doivent se tenir à carreau : trois remarques et c’est l’heure de colle. Ils se sont engagés devant la classe à ne plus déranger. Et ils ont réfléchi sur le comportement à modifier.

4.Le sens du comportement demandé :

Au collège, l’éducation à la citoyenneté doit trouver sa place, c’est souvent à travers un texte que l’on montre un comportement à adopter ou à éviter. Mais les fréquents rappels à l’ordre que je fais à ma classe sont aussi l’occasion d’en parler et de développer le sens éthique de mes élèves. Ne serait-ce qu’en distinguant les comportements corrects et incorrects. Les élèves sont à l’école, ils y ont des droits et des devoirs et sont soumis notamment à l’obligation scolaire. Des élèves ont réfléchi à ce sujet : « De toute façon , si tu te comportes mal et que tu n’apprends pas parce que tu n’aimes pas l’école, tu redoubles et tu restes encore plus longtemps à l’école si tu veux un diplôme. » Puisque c’est obligatoire, autant faire en sorte que cela se passe bien.

Les délégués sont les plus à mêmes de comprendre cela, puisqu’ils assistent aux conseils de classe et aux discussions des adultes présents. C’est à eux aussi de rappeler à leurs camarades les conséquences de leur comportement (pas d’encouragements par exemple). Mais il s’agit tout de même d’un poids assez lourd pour eux que de dire « stop » aux autres, c’est difficile de s’imposer ainsi. Romain est délégué. Son comportement alterne entre celui de l’élève bavard et celui du petit homme responsable qui fait des rappels à l’ordre. S’il ne sait pas lui-même où il en est, comment demander le calme aux autres, comment exiger un comportement ?

Parfois, une simple explication suffit. Le fait de se lever quand un adulte entre en classe pendant le cours, c’est une preuve de respect et une manière de saluer. Lorsque le professeur principal a expliqué aux élèves que c’était mieux de se lever que de tous dire bonjour bruyamment, ils ont très bien compris la signification du geste et depuis, ils se mettent debout quand quelqu’un entre. L’explication est bien mieux passée qu’une simple obligation.

J’ai eu un jour une mauvaise surprise en corrigeant des copies. Il s’agissait de

fiches de lecture sur des contes de Gripari. Chaque élève devait choisir son conte préféré et répondre aux questions que je posais. J’ai découvert que quatre élèves avaient triché deux par deux : un excellent élève avait prêté sa copie à un redoublant qui l’avait recopiée telle quelle, fautes comprises ; une fille avait repris la copie de sa copine en changeant quelques termes, par exemple, « bicyclette » devenait « vélo », il y avait un effort de maquillage. J’étais stupéfaite parce que je pensais que mes élèves oseraient me dire qu’ils n’avaient pas eu le temps de faire leur travail et me demanderaient un délai, chose qu’il m’arrivait d’accorder en début d’année. Mais non. Ils avaient préféré tenter de me tromper et surtout, ils n’avaient pas conscience de la malhonnêteté de leur geste, seul comptait le fait de me rendre la copie.

J’ai voulu « marquer le coup ». J’ai pris conseil à l’IUFM et auprès de collègues et j’ai fini par trouver la solution adaptée. J’ai établi un sermon sur la triche que j’ai présentée sous un angle tout a fait épouvantable, de manière à impressionner durablement mes sixièmes. J’ai dit que j’avais trouvé dans quelques

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copies des choses inadmissibles qui me déplaisaient fortement et qui m’avaient énormément déçue. J’ai lu des extraits des copies, sans citer de noms, en faisant constater aux élèves eux-mêmes les ressemblances. Puis j’ai parlé de ma manière habituelle de procéder, qui était alors assez tolérante. J’ai enchaîné avec les cas de tricherie aux examens, sanctionnés par cinq ans sans pouvoir obtenir de diplôme. « Imaginez-vous pris en flagrant délit de tricherie au brevet …» Réaction immédiate : « Alors on ne pourra plus avoir de diplômes jusqu’à l’âge de vingt ans ! On ne pourra pas avoir de bon métier ! »

Ensuite j’ai expliqué une nuance qui m’importe beaucoup : en classe, j’ai en face de moi des élèves avec leur personnalité propre, tandis que chez eux, ils sont des enfants, des personnes. C’est-à-dire que je distingue l’élève-Morgane et l’enfant-Morgane. Quand un élève se trompe ou a une mauvaise note, ce n’est pas grave, c’est le métier du professeur de lui expliquer encore. Dans un cas de tricherie, j’estime que c’est la personne, l’enfant qui a agi. « Je ne suis pas déçue par un élève qui a des difficultés, mais un tricheur me déçoit. Je ne veux pas être déçue par les personnes que vous êtes ! » J’ai joué sur la corde sensible des élèves : ils sont plus proches de moi que de tout autre professeur du fait de mon âge, je suis aussi une femme à laquelle on se confie plus facilement qu’à un homme. Bref, j’espérais que ces paroles auraient un impact considérable, que mes élèves souhaiteraient garder ma confiance.

J’ai complété cela en faisant raconter le jugement de Salomon et en proposant d’appliquer la même sanction aux élèves : « Vous avez le choix entre trois possibilités. Comme j’ai deux fois la même copie, je peux couper la note en deux. Cela vaut seize, alors chacun huit. Ou je peux mettre seize au tricheur et un (pour le papier) à celui qui a prêté son devoir, car il a négligé la valeur de son travail, puisqu’il a pu le donner si facilement. Ou encore, le tricheur a un et l’élève qui a fait son travail a seize. J’attends que vous vous dénonciez à la récréation et que vous me disiez votre choix. » Ma proposition a été ponctuée d’exclamations et de protestations, signe que cela touchait beaucoup la classe. Et les tricheurs et leurs « complices » étaient très pâles, j’avais bien fait de ne pas les nommer. A la sonnerie, ils sont immédiatement venus se dénoncer. Les tricheurs ont choisi de donner la note du devoir à leurs complices, cela leur semblait le plus juste. Ils ont promis de ne plus recommencer. J’ai alors proposé aux deux copieurs de refaire le devoir et de remplacer leur « un » par leur future note, ce qu’ils ont accepté avec soulagement.

Grande peur, petite punition. Pas de récidive.

Le sens a une grande importance pour les élèves, c’est pourquoi j’ai largement développé ce point. Quand les élèves comprennent qu’on s‘est adressé à eux comme à des gens responsables, ils deviennent responsables (avec les nuances qui s’imposent…). Cela montre aussi qu’ils ont un bon fond : ils ne refusent pas d’écouter les paroles du professeur, ils ne refusent pas de s’y conformer.

D. Habitudes de cours:

Le collège prend une grande place dans la vie des élèves, ils y ont des amis, y reçoivent un enseignement, et y passent surtout beaucoup de temps. Les journées se succèdent, les cours se ressemblent. Pourtant, cet aspect répétitif, avoir des habitudes, savoir que cela se déroulera d’une manière définie, connaître les «modes de fonctionnement » des professeurs, est rassurant pour les élèves et permet de les

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cadrer. J’ai moi aussi mis en place cette année un mode de fonctionnement auquel les élèves s’attendent lorsqu’ils vont en cours de français.

1.L’entrée et la sortie en classe : a. L’entrée en classe et le début de cours.

Je mets généralement un temps assez long avant d’avoir une classe calme

pour pouvoir commencer le cours. J’ai essayé diverses solutions : attendre sans rien dire jusqu’à ce que les élèves cessent de parler, les laisser debout tandis que je m’assois et me lever quand ils peuvent s’asseoir. Ce qui a fonctionné le mieux, c’est une idée qui m’est venue de mes propres années de collège : les élèves sont debout et je fais asseoir ceux qui sont silencieux, jusqu’à ce que tout le monde soit assis. Si un élève assis parle, je lui demande de se lever de nouveau. Cette méthode est rapide, en attendant un fonctionnement idéal : dès leur entrée en classe, les élèves sortent leurs affaires en silence et ont quasiment tout de suite l’autorisation de s’asseoir.

En fait, je n’avais pas été suffisamment ferme sur le comportement à avoir lorsque les élèves entrent en classe : je les laissais entrer alors même que le fond du rang continuait ses bavardages. Depuis, j’ai exigé le silence dans le couloir, je suis restée une seule fois dix minutes à attendre, et désormais, cela se passe beaucoup mieux.

Le principal, lors d’un entretien pour analyser mes pratiques, les bonnes comme les moins bonnes, m’a fait remarquer que je devrais être plus exigeante également quand je vais chercher les élèves dans la cour après la récréation : les élèves devraient me suivre sagement dans les couloirs et les escaliers, avec la possibilité de parler, mais calmement, et l’entrée en classe s’en trouverait améliorée. Je me suis empressée de dire à mes élèves que le principal les avait observés et avait constaté qu’ils ne se tenaient pas correctement dans les rangs. Ce qui a provoqué une situation comique à la récréation suivante : le principal surveillait les montées en classe, mes élèves se sont spontanément rangés de façon militaire, le rang a fait un angle droit pour me rejoindre, la fierté se lisait dans leurs yeux et l’amusement dans ceux du principal.

L’autre problème que je peux avoir, ce sont les retardataires. Il ne devrait pas y avoir de retard à 15h ou 16h, mais depuis la récente attribution de casiers à tous les sixièmes et cinquièmes, les élèves font des détours par leur casier après la sonnerie. J’ai réglé cela en envoyant à la vie scolaire tous ceux qui se présentaient dans ma classe après que j’avais fermé la porte et en conseillant de n’aller aux casiers que pendant les récréations et non pendant les intercours, de prévoir ses affaires en fonction des récréations.

b. La sortie de classe. Lorsque mon cours est suivi par une récréation, je n’ai pas de souci avec ma

classe car c’est avec moi qu’a également lieu le cours suivant. C’est même un avantage car j’utilise la récréation comme moyen de pression : « Si l’on n’a pas fini ce travail à la sonnerie, je vous garde en récréation pour terminer ». C’est très efficace, je ne garde jamais les élèves en récréation.

Lorsque mon cours est le dernier de la journée (trois fois par semaine sur quatre journées !), en revanche, la fin de la séance est perturbée. Les élèves

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commencent très tôt à ranger leurs affaires, à mettre leurs manteaux et à se dissiper. Dès que la sonnerie retentit, une véritable horde s’échappe de ma classe. « Madame, je veux pas rater mon bus ! », « Madame, mon père m’attend ! ». Evidemment, ces élèves ont sept ou huit heures de cours par jour et ils terminent avec une ou deux heures de français. Il est normal qu’ils soient pressés de sortir, mais cela ne se déroule pas dans de bonnes conditions.

J’ai alors utilisé la même idée que pour l’entrée en cours : je demande aux élèves d’être debout à côté de leur chaise replacée contre leur table, sans papier ni à terre ni sur les tables et je fais sortir la rangée la plus sage. Mais la sonnerie semble annihiler toute forme d’autorité, et les résultats ne sont pas encore très bons. On m’a conseillé de faire enlever les manteaux et ressortir les affaires et, pourquoi pas ? de faire une heure de cours supplémentaire un autre jour pour récupérer le temps perdu.

Toutefois, j’ai été depuis peu agréablement surprise : mon propre comportement a servi d’exemple (et également celui des autres professeurs et probablement les habitudes du primaire, en plus des demandes des ATOS). Les professeurs quittant une salle se doivent bien évidemment d’essuyer le tableau et, à la fin de la journée, de baisser les stores. Les élèves qui traînent un peu pour ranger leurs affaires m’ont vu faire et, depuis, je n’ai quasiment plus à essuyer le tableau moi-même ou à baisser les stores.

Ainsi, même si plusieurs points laissent encore à désirer, avec le temps s’instaurent des automatismes, les élèves savent davantage comment ils doivent se comporter en classe.

2.Habitudes des élèves (garants, répétiteurs, jury, etc.)

Comment faire pour que toute la classe se comporte correctement quand un

élève est envoyé au tableau ? Comment faire pour que tous les élèves se sentent impliqués quand un seul est interrogé ? Notamment en donnant au plus grand nombre le sentiment de participer, d’avoir un rôle à jouer à ce moment. C’est ainsi qu’ont été instituées diverses pratiques dans la classe: les garants, les jurys, les répétiteurs, etc.

Au début de l’année, j’avais de réels problèmes pour envoyer un élève au tableau : les autres se seraient battus pour aller à sa place, je suivais ce qui était noté au tableau et la classe se dissipait, l’élève interrogé faisait le pitre. J’ai alors nommé un élève « garant ». C’est lui qui est chargé de vérifier particulièrement ce que l’élève interrogé note au tableau. Moi, je surveille la salle sans trop regarder le tableau. Quand l’élève a terminé, je demande au garant si la réponse est correcte, puis j’interroge l’ensemble de la classe : « Etes-vous d’accord avec le garant ? ». J’ai ainsi pu voir si l’élève interrogé et le garant avaient compris, tout en maintenant l’ordre en cours et en conservant l’attention de la classe qui espère que l’élève au tableau et son garant se trompent pour pouvoir intervenir aussi.

Le passage des consignes est souvent délicat, je l’ai dit plus haut. Quand je dois répéter pour la cinquième fois qu’il faut ouvrir le livre page soixante-quatre, cela peut devenir insupportable, alors que si deux répétiteurs ont été nommés, (deux par mesure de précaution), il me suffit de dire : « Répétiteur numéro un », pour que le premier répétiteur dise à l’élève inattentif à quelle page nous sommes. Le répétiteur numéro deux répondra à la demande suivante ou remplacera le répétiteur numéro un si celui-ci n’a pas suffisamment écouté lui-même. Il s’agit ici d’éduquer l’attention et

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c’est un gros travail : même un élève nommé pour écouter deux fois plus peut être incapable de répondre.

Lors des récitations j’ai constitué des jurys : quatre élèves récitaient tour à tour et un jury de quatre membres avait pour mission de vérifier certains points (un point par membre), comme le respect des liaisons, l’oubli ou non de mots, la prononciation des « e » muets, la qualité de l’enchaînement (ne pas s’arrêter à chaque fin de vers si ce n’est pas justifié). Grâce à cela, cinq élèves avaient une tâche particulière (le récitant et les membres du jury) et les autres faisaient aussi attention aux points proposés pour tenter de mettre en défaut le jury. Evidemment, je faisais également moi-même cette vérification. Les élèves n’interviennent pas dans ma notation. Ils ont une tache pour se sentir impliqués et réviser quelques notions : la prononciation de certains « e » en poésie, les liaisons. Les récitations m’ont donné l’occasion de faire prendre une autre habitude. Au théâtre, trois coups sont souvent frappés pour annoncer le début d’une pièce. En classe, trois coups sont frappés quand un élève va réciter ce qu’il a appris. Les autres savent alors qu’il faut respecter le travail de leur camarade et que, lorsque leur tour viendra, leur travail sera respecté de la même manière. Comme cela, je donne une valeur particulière à un moment particulier et les élèves savent que ce moment exige un comportement particulier. Quand je lis un texte, désormais je reste immobile et les élèves sont en « position de lecture », les bras croisés sur la table. Auparavant, il m’arrivait de me promener dans la salle en lisant, mais cela ne favorisait pas l’attention. Souvent aussi, même en restant moi-même immobile, certains élèves étaient distraits et commençaient à se retourner pour discuter ou à jouer avec le contenu de leur trousse. La position de lecture permet de voir où sont leurs mains et de ne leur donner comme sujet d’attention que le texte, pas les voisins. Ces habitudes prises réduisent considérablement le brouhaha qui pourrait être causé par l’ennui ou l’inquiétude. Les élèves sont rassurés: ils savent comment il faut se comporter.

3.Rompre les habitudes du professeur :

Le fait de changer exceptionnellement de comportement peut marquer les élèves. Je suis d’ordinaire assez souriante et je bouge beaucoup devant le tableau. Ma tutrice a remarqué que lorsque la classe devenait bruyante, je cessais de sourire et je croisais les bras en restant immobile. Immédiatement les élèves comprennent qu’ils dépassent les limites. Je ne m’étais pas rendu compte moi-même de ce geste, mais depuis que j’en suis consciente, j’évite de croiser les bras naturellement, pour lui conserver sa valeur autoritaire et montrer ma désapprobation.

De même, je fais rarement sortir les carnets de liaison, je gère davantage la discipline avec ma « feuille à bâtons ». Aussi ai-je eu un grand succès le jour où j’ai demandé son carnet à Aurélien : il a cessé tout bavardage et la classe a senti que quelque chose se produisait qui n’était pas courant. Un autre jour, Etienne avait un comportement insupportable. A partir du moment où je lui ai fait poser son carnet sur sa table en le menaçant d’y mettre un mot à ses parents au moindre bruit ou geste déplacé, j’ai été tranquille avec lui jusqu’à la sonnerie. Autre solution que je n’ai utilisée que tard dans l’année : l’envoi chez la CPE (ou à la vie scolaire en son absence). Des petits mots circulaient dans ma classe alors que c’est évidemment interdit. J’ai surpris Amandine en train d’en lire un alors qu’elle n’avait pas ses affaires, que son exercice n’avait pas été fait, et que je l’avais déjà reprise dans l’heure pour bavardage. Je lui ai demandé son mot et elle a refusé

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de me le donner. Bien plus, elle est devenue provocante et l’a déchiré et froissé devant la classe. J’ai alors envoyé Amandine chez la CPE avec la déléguée, en chargeant la déléguée d’expliquer ce qui s’était passé, et j’ai rédigé dès la fin du cours un bref rapport que j’ai remis à la CPE. La classe s’est trouvée considérablement assagie pendant le reste du cours. Et à la fin de l’heure, Amandine est venue me trouver avec une lettre d’excuse et la promesse de ne plus recommencer. Lors des cours suivants, dès que j’ai menacé un élève de l’envoyer chez la CPE, Amandine s’est bien chargée de dire que c’était « terrible chez la CPE » et que pour sa part, elle ne voulait plus « y retourner ». La CPE lui avait en fait demandé de raconter ce qui s’était passé et lui avait expliqué en quoi son comportement était inacceptable. Amandine avait pleuré en écrivant sa lettre d’excuses. Depuis, je n’ai renvoyé des élèves qu’à deux reprises, pour des raisons totalement différentes, en prenant bien garde de ne pas « user » cette solution. J’ai exclu Aurélien et Florian qui ne m’avaient pas rendu leur devoir le lundi et qui sont venus en cours le mardi sans leur devoir et sans leurs affaires, j’ai rédigé directement un petit rapport et j’ai donné un travail à faire. Cette fois-là, j’ai presque anticipé sur la manière dont ces deux élèves dérangeraient la classe et j’ai évité tout débordement.

J’ai exclu Jessica qui n’arrêtait pas de bavarder ou de me provoquer, comportement qu’elle adopte de temps en temps quand elle ne va pas bien. Le reste de la classe a été soulagé et a vu clairement le changement d’ambiance que cela a donné. Et au cours suivant, c’est à peine si Jessica ne me manifestait pas de la gratitude pour m’être montrée ferme avec elle. Ces exclusion m’ont donné à voir comment un seul élève peut dégrader l’ambiance de la classe s’il est de mauvaise humeur ou s’il a décidé de ne pas travailler. C’est un réel soulagement de ne plus l’avoir en cours pendant une heure, mais il ne faut pas que cela devienne une habitude, car cet élève pourrait penser qu’il n’est pas à sa place ou que le professeur « ne l’aime pas ». Il m’est arrivé aussi de surprendre toute la classe par une punition. Aurélien se montrait passablement énervé, il n’avait pas son livre, il semblait avoir sérieusement besoin d’être recadré rapidement et je n’imaginais pas le supporter ainsi toute l’heure. C’est lui qui m’a donné une idée de punition : il a déformé le verbe mourir dans une phrase pour se rendre intéressant auprès de ses camarades, disant « je mourirai ». Ma réaction a été immédiate : je suis restée très calme, j’ai interrompu ce que je disais pour continuer sur le même ton docte « Eh bien, puisque Aurélien semble mal maîtriser la conjugaison du verbe mourir, il va pour demain le conjuguer au présent, au passé simple, au futur, à l’imparfait et au passé composé de l’indicatif. Tu as bien noté ce que j’ai dit, Aurélien ?». Comme il s’apprêtait à protester, j’ai enchaîné : « Une seule remarque et tu me feras aussi le subjonctif ». L’effet a été immédiat : silence prudent d’Aurélien et silence satisfait et impressionné de la clase. Cette punition m’a offert une heure calme. Pourquoi alors ne pas l’utiliser plus souvent ? Je dirais que c’est encore une question de réflexe, savoir réagir de manière adaptée au milieu d’un cours et de tout ce qui s’y passe, sans perdre le fil de ses idées. Je pense que chaque professeur, par les habitudes qu’il fait prendre aux élèves, se rend différent des autres : ses exigences participent à sa personnalité et créent peut-être par ce biais une forme de complicité avec la classe. C’est sans doute plus vrai pour moi qui, en tant que stagiaire, n’aie qu’une classe : mes élèves doivent être les seuls du collège à savoir ce qu’est un « garant ».

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Mais ce statut de stagiaire n’est pas facile à assumer. Je fais de ma classe un lieu d’expérimentations constant, jusqu’à trouver la solution la plus adaptée, je tâtonne, je me trompe ; et mes élèves m’ont comme professeur : ont-ils moins de chance que les autres sixièmes du collège ? Est-ce que ma souplesse, mon enthousiasme, le fait que j’étais encore élève il n’y a pas si longtemps suffisent à compenser mon manque d’expérience, mon autorité qui se construit ? III.Analyse critique.

Mes tentatives pour canaliser la classe méritent un bilan, du côté des élèves comme de mon côté, dans mon apprentissage du métier. Je vais commencer par les points positifs et enchaîner avec les points négatifs, car ces derniers donnent la direction à suivre pour améliorer l’ambiance et le travail de la classe.

A.Evolutions positives : Des progrès ont été réalisés depuis le début de l’année, par les élèves, par la classe, par moi. Je manque cependant de recul et d’objectivité. Peut-être aurait-il fallu filmer un des cours du début de l’année et le comparer avec un cours actuel pour prendre vraiment conscience des évolutions.

1. Progrès des élèves :

La plupart des élèves s’est tout de même adaptée au collège. J’ai vu une évolution remarquable du comportement de certains. J’avais parlé de Morgane : elle a appris à prendre la parole correctement, en ayant pour cela contré sa nature, je pense ! Mais j’ai pu, sans avoir à le regretter, la laisser s’asseoir à côté d’une amie. Au lieu de discuter, ces deux filles travaillent ensemble de manière intelligente. Sébastien aussi a progressé : il fait la part des choses et ne m’interrompt plus pour des broutilles. Le comportement de Romain fluctue mais s’est sans doute atténué depuis les premiers cours. Et Betty compense par sa bonne volonté des interventions déplacées. Le point commun de ces élèves : c’étaient ceux que je considérais comme « individualistes » dans mon classement. Ceux-là sont donc capables de se maîtriser.

Pour les « bébés » et les « kinesthésiques », j’attends qu’ils grandissent. La fréquence des chutes et des taches d’encre a un peu diminué, ainsi que celle des tutoiements. Les « Maîtresse ! » ont disparu.

Scolairement, il y a aussi des progrès. Je suis très satisfaite de Quentin qui, en plus d’un comportement très correct, a largement augmenté sa moyenne (largement car mes notes sont devenues plus strictes). A un moindre degré, Solène a fait un effort sur elle-même pour ne plus mettre de ronds sur ses –i dans les devoirs qu’elle me rend. Et Florian est venu me demander des conseils pour progresser car il a pris conscience de ses problèmes en français et veut augmenter au troisième trimestre.

Quand aux nouvelles connaissances de mes élèves, tout ce que j’ai enseigné cette année, je n’arrive pas à les estimer, mes élèves non plus, mais il y en a, c’est certain. Tous ces exemples semblent n’être que de petits acquis, cependant ce sont les preuves concrètes que mon travail a été utile.

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2.Progrès de la classe :

Faire une estimation des progrès au niveau de la classe est plus simple. Je vois bien que les automatismes que j’ai mis en place fonctionnent bien. Lorsque je demande de préparer une feuille de copie pour un contrôle, chacun sait comment il doit présenter et nous perdons moins de temps. Là encore, c’est peu de chose, mais c’est important tout de même, surtout en sixième. L’organisation de l’heure est devenue habituelle : les élèves qui ont des livres à rendre viennent spontanément au bureau en début d’heure tandis que les autres révisent pour l’interrogation orale qui va suivre.

Si je demande un « garant » ou un « répétiteur », je l’ai presque dans la seconde qui suit. Et ces petites habitudes, non seulement sont bien ancrées dans la classe, mais en plus, plaisent beaucoup aux élèves et font gagner un temps considérable.

3.Progrès du professeur :

Même si je n’en suis pas tout à fait consciente, j’ai désormais quelques

automatismes sur la manière de gérer un cours. Ma tutrice m’a signalé une façon de réagir spontanée : j’ai un regard qui englobe mieux la classe, une manière d’écrire au tableau qui me permet de ne pas trop tourner le dos à mes élèves.

Je suis à l’aise en classe, je vais en cours sans me demander si je vais réagir correctement, parce que je commence à prendre confiance en moi. Certes, je crains toujours que mes élèves soient difficiles à gérer, mais cela se passe tout de même assez bien. Toutes les questions que l’on se pose lorsque l’on débute trouvent maintenant une réponse rapide et naturelle : « Comment vais-je répondre si un élève me pose une question ? Comment vais-je expliquer ? Comment faire pour parler en regardant tous les élèves ? » Cette multitude d’interrogations me laisse désormais l’esprit libre pour résoudre les problèmes de la classe.

Mes acquisitions personnelles croissent à chaque heure. J’ai le sentiment d’apprendre beaucoup plus que mes élèves et d’être à ma place devant eux. Mes élèves sont façonnés en même temps que moi, c’est pourquoi il est si difficile de voir clairement les évolutions chez chacun alors que quelqu’un d’extérieur les trouverait facilement.

B.Evolutions négatives : En revanche, les défauts sont plus évidents dans la représentation que j’ai de

ma classe et dans l’image que les élèves ont de moi.

1.Ma classe :

Mes élèves ont parfaitement compris pourquoi ils sont en cours, comment ils doivent se comporter, mais ils sont encore loin d’adapter leur comportement à leur compréhension. Cela reste une contrainte qu’ils refusent. Ils conservent beaucoup d’insouciance et sont peu affectés par les diverses sanctions données (d’où ma recherche constante de punitions efficaces).

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Le brouhaha n’a pas quitté ma classe : il me suffit d’une seconde d’inattention pour qu’il renaisse. Certains élèves n’écoutent plus du tout mes remarques, comme Amandine qui est devenue réellement insupportable et sur qui les punitions n’ont plus guère d’effet, ou comme Thibaut, dont la moyenne et le comportement ont sérieusement chuté au deuxième trimestre. De bons élèves se dissipent : Marion, Cédric se sont laissés gagner par l’agitation ambiante avant de se reprendre en mains, mais je comprends qu’ils aient perdu patience et se soient laissés aller. C’est difficile de camper sur ses positions quand on constate que les camarades n’en font qu’à leur tête. Ainsi, les acquis doivent être constamment confortés. Les règles de classe doivent être répétées encore et encore, sans perdre leur sens.

Il existe d’autres éléments qui ne dépendent pas trop du professeur ou qui nécessiteraient un suivi constant. Est-ce que je peux lutter contre la paresse et la mauvaise foi d’Aurélien ? Est-ce que je peux changer quelque chose au comportement de Jessica si la veille elle a eu des nouvelles de son père ? A moi aussi de faire la part des choses, et de ne pas considérer comme un échec ce que je ne peux pas faire évoluer, parce qu’aucun professeur n’y parviendrait de toute façon.

2.L’image que je donne :

Partant d’une bonne intention, excuser mon manque d’autorité par mon inexpérience et mon âge, le professeur principal a révélé et expliqué mon statut de stagiaire à mes élèves. Ce qui m’a sérieusement compliqué la vie, puisque mes élèves ont trouvé une grande faille chez moi et s’y sont engouffrés. C’est une stagiaire, alors elle ne sait pas bien faire cours, elle n’a pas d’autorité, elle apprend encore, ce n’est pas un vrai professeur.

Ma réputation a chuté auprès des autres élèves du collège en particulier. Une de mes élèves (brillante) est venue me voir, très angoissée et blessée : une de ses copines d’une autre classe lui avait dit : «Tu n’apprends rien avec ta prof ». J’ai tenté de remettre les choses au point : « Marion, est-ce que toi, tu considères que tu n’apprends rien avec moi ? » La réponse a été spontanée (et pas pour me faire plaisir !) : « Oh non ! On apprend plein de choses ! » J’ai poursuivi : « Sait-elle comme toi ce qu’est un article défini contracté ou un moyen mnémotechnique ? » Alors, dès que l’occasion s’est présentée, Marion est allée trouver son amie pour lui prouver qu’elle savait des choses intéressantes. Etait-ce un peu de jalousie parce que Marion a un professeur jeune et atypique ou de la suffisance parce que cette élève a, elle, un professeur expérimenté ?

Ma réputation a chuté auprès des parents. Lors de la dernière réunion parents-professeurs, certains m’ont fait des remarques qu’ils n’avaient pas faites à Madame Rigaux, jeune professeur, mais professeur à part entière, au premier trimestre. C’était remettre en cause ma compétence : « Vous pensez à leur faire apprendre du vocabulaire ? », « Il y a tout de même du bruit dans votre cours, ma fille s’en plaint ». Alors que les questions posées aux autres professeurs étaient plutôt de ce type : « Est-ce que ce ne serait pas le nombre de redoublants qui crée une ambiance de classe aussi agitée ? » Mon inexpérience a peut-être d’autres avantages, comme me donner de la souplesse, de l’ouverture d’esprit, me rendre capable de remettre en cause ma manière de gérer le cours, mais cela, les parents le négligent. Pourtant, il faut bien commencer à enseigner, les professeurs expérimentés ont été des débutants aussi.

Il faut ajouter à cela des torts que j’ai réellement : parce que je n’ai pas été assez sévère en début d’année, je me suis laissée tromper ; les élèves écoutaient et

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faisaient ce que je voulais, je n’ai pas pensé qu’ils étaient en train de m’observer et de me tester. Depuis, j’ai durci mes pratiques, mais les élèves sont restés sur leur idée de départ « La prof, elle est gentille » ; les efforts de ma part doivent être plus importants pour porter finalement moins de fruits. Et comme désormais les parents, les amis, mettent en doute mon autorité de manière non fondée, les élèves sentent certainement qu’il y a moins de risque à faire du bruit en cours de français que lors de tout autre cours.

Ce qui aurait été simple en début d’année devient plus compliqué maintenant.

J’ai perdu du crédit à cause de mon statut et de mon manque de fermeté à la rentrée. Heureusement pour moi et pour mon moral, mes élèves sont difficiles à gérer pendant d’autres cours également. Il faut donc les cadrer, encore et toujours.

C.A voir encore :

Le nombre de choses qu’il me faut encore revoir, préciser, perfectionner est considérable mais je n’en aborderai ici que trois : les fins de cours, la construction du cours et pour finir, le travail sur moi-même.

1.Les fins de cours :

J’ai connu deux fins de cours particulièrement ratées il n’y a pas si longtemps. Je distribuais des feuilles et les élèves rangeaient leurs affaires en même temps, ils étaient très anxieux à l’idée que cela pourrait sonner et qu’ils n’auraient pas eu leur feuille, et pendant que j’étais d’un côté de la classe, de l’autre côté, un élève a lancé son cahier de texte à un camarade qui n’avait pas noté les devoirs en temps voulu. Mais c’est une élève qui a reçu le cahier sur la tempe et qui aurait pu être blessée. J’ai fait plusieurs erreurs : donner les devoirs en fin de cours et distribuer des feuilles à la fin aussi, quand je sais que c’est un moment de grande agitation.

Une autre fois, j’ai voulu anticiper : j’ai pris mon temps pour que les élèves rangent leurs affaires et s’habillent et je les ai fait sortir dans le calme (pour la première fois certainement). Je croyais que cela allait sonner dans les secondes qui suivaient, mais il y a bien eu deux minutes de battement. Si un élève était tombé dans les escaliers, cela aurait pu se retourner contre moi. Heureusement, il ne s’est rien passé et les élèves ne pouvaient quitter le collège en avance car les grilles ne sont ouvertes qu’à la sonnerie.

Que faire alors ? Une collègue m’a conseillé de consacrer ce temps qui pose problème (les cinq minutes de la fin) à faire de petites révisions sur ce qui a été vu pendant l’heure, pour constater ce qui a été retenu. Les inspecteurs nous ont également suggéré de faire la lecture aux élèves à ce moment.

Je pourrais peut-être aussi confier à un élève le rôle de « monsieur sonnerie » (certains élèves ont leur montre réglée sur la sonnerie du collège à deux secondes près). Cet élève serait chargé de d’annoncer 16h58, (c’est-à-dire deux minutes avant la sonnerie), afin que les élèves aient le temps de ranger leurs affaires et de s’habiller dans le calme, de remettre de l’ordre dans la classe, et qu’ils puissent sortir à 17h précises. Ceux qui auraient commencé leurs préparatifs avant auraient des verbes à conjuguer en plus. Pourquoi pas ?

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2.Trouver solutions dans la construction du cours.

C’est un domaine que je n’ai pas encore beaucoup approfondi (voir II. A) mais qui a son importance : en occupant les élèves, je les canalise. Et probablement, toutes les solutions que j’ai pu trouver pour gérer les indisciplines dans ma classe pourraient devenir inutiles si je prenais le problème à sa racine, qui est peut-être tout simplement le fait de laisser aux élèves l’occasion de penser à autre chose, de s’ennuyer un instant de trop.

Je suppose que si mes élèves se plaignaient de moi à cause de la vitesse de mon cours, je n’aurais pas à intervenir beaucoup de manière répressive. Alors, en plus d’améliorer l’enchaînement et l’alternance des éléments de mon cours, je devrais peut-être travailler beaucoup la rapidité.

Peut-être que le fait de donner un objectif à mes élèves pourrait aussi capter suffisamment leur attention. Monter un projet ? J’avais eu du succès quand j’avais fait écrire et réécrire des contes à mes élèves. Pour une autre année, pourquoi ne pas faire un recueil de ces écrits travaillés encore davantage ? Pourquoi les récitations ne seraient-elles pas apprises dans le but d’être présentées à un public de parents et de professeurs ? Cela aurait l’avantage d’être concret pour les élèves, bien plus que la perspective lointaine des examens.

Etre bien plus ambitieuse que je ne le suis pour ma classe, voilà peut-être la piste à essayer : vitesse, projets, originalité, exigences.

3.Travail sur moi-même : Il faut que je précise mon auto-analyse et d’ailleurs ce mémoire y participe. En évaluant mieux ma manière de réagir, je pourrai savoir sans intervenants extérieurs (comme ma tutrice et ma formatrice) quels sont mes points forts et les éléments à travailler pour être efficace. L’an prochain, je serai seule face à mes élèves.

Je vais tenter d’améliorer aussi mon regard sur ma classe. En connaissant bien mes élèves, j’adapte mes réactions. Mais ce regard doit être objectif, dans le sens où je dois m’intéresser aux défauts et aux qualités. Cela me permettre de rester optimiste et de ne pas me laisser décourager : mes élèves peuvent.

Pour l’an prochain, je sais maintenant qu’il me faudra être vraiment sévère en début d’année, pour ne m’adoucir que plus tard, quand mon autorité sera bien établie. Ce qui ira avec une baisse de ma tolérance par rapport au bruit et aux débordements. Et pourquoi ne pas marquer mon autorité également grâce à un jeu sur ma voix ( rythme, intensité, fluctuations) ? Cela pourrait en même temps me servir à varier les différents temps du cours. Cela me laisse encore de nombreux domaines à explorer pour pouvoir exercer convenablement mon métier. Et apparemment, il ne faut pas être à cours d’imagination pour y parvenir quand on débute.

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Conclusion.

Toute cette analyse me prouve, si besoin était, que j’ai encore beaucoup de travail en perspective pour faire les bons choix avec ma classe (et mes futures classes). C’est tout un équilibre à trouver, entre distance et proximité, souplesse et fermeté, découragement et enthousiasme, savoir de spécialiste et transmission simplifiée. C’est accepter de rassurer, d’encourager, de punir, d’analyser, de s’adapter et d’évoluer pour ne transmettre qu’un tout petit peu et ne faire que légèrement évoluer.

Si cette année je suis confrontée à des problèmes de discipline, je relativise tout de même : j’ai une classe difficile par son comportement mais il ne s’agit pas d’une classe explosive de banlieue. Et puis par-delà la discipline, j’ai tout de même un réel plaisir à enseigner le français à des élèves curieux, ouverts, qui participent. Mes sixièmes ont compris mes attentes, ce qu’elles impliquent et leurs diverses raisons ; il faudrait juste qu’ils se laissent guider un peu plus facilement… Pour ma part, je fais de mon mieux pour les canaliser, tout en sachant que vouloir bien faire ne signifie pas nécessairement bien faire.

D’ailleurs, le temps jouera beaucoup en ma faveur : il est des acquis (jugement, analyse, réflexes, solutions) que seule l’expérience donnera , car il faut « sept ans pour devenir un professeur ».

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Bibliographie : Le présent mémoire se fondant essentiellement sur l’analyse des solutions que j’ai trouvées pour les problèmes de discipline de ma classe grâce aux conseils de mon entourage professionnel, la bibliographie s’en trouve donc assez sommaire, ne comprenant que quatre ouvrages consultés et un article bref. -DAUJEARD Christian, Animation et dynamisation de la classe, CRDP de Dijon, 2002. -DAVISSE Annick, ROCHEX Jean-Yves, « Pourvu qu’ils m’écoutent… » Discipline et autorité dans la classe, CRDP de Créteil, 1995. -MEIRIEU Philippe, Fernand Oury : y a-t-il une autre loi possible dans la classe ? PEMF, 2001. -VIALA Jean-Pierre, HALUSKA Patricia, Lire, écrire, produire en classes difficiles, Hachette Education, « Pédagogies pour demain », 1996. Atelier de Mittelwhir, « Premiers secours en cas de désastre incontestable après quelques semaines », Cahiers Pédagogiques, n°306, sept. 1992.

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COMMENT CANALISER DES ELEVES DE SIXIEME « DYNAMIQUES » ?

RESUME : Face à des élèves de sixième indisciplinés, individualistes et débordant d’énergie, comment réagir ? Comment réussir à faire un cours de français dans de bonnes conditions ? J’ai pour cela analysé précisément le comportement de mes élèves et ses conséquences pour la classe, afin d’adapter au mieux mes réponses, et j’ai observé le succès ou l’échec de ces solutions. MOTS CLES : - Analyser. - Cadrer le cours. - Eduquer. - Donner du sens. - Varier les activités. Anne RIGAUX. Collège Marcel Aymé à Marsannay-la-Côte. Classe en responsabilité : sixième en français. Tutrice : Madame Corine CHERRIER-CHAUDAT. Formatrice IUFM : Madame Anne-Marie ACHARD.