comment airbnb squatte la france

5
Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/5 Comment Airbnb squatte la France PAR MICHAËL HAJDENBERG ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 3 AOÛT 2015 Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit. Un géographe, une anthropologue et un chercheur en informatique ont transmis à Mediapart leur étude exhaustive sur le phénomène «Airbnb » en France. Nous présentons leurs données ville par ville et rue par rue à Paris. Résultat ? Nouveaux marchands de sommeil, fraude aux impôts, multipropriétaires qui s’enrichissent grassement et font flamber les prix des loyers : les pouvoirs publics sont à la peine. Renaud dispose d’un appartement rue Oberkampf, dans le 11 e arrondissement de Paris. Une chambre, une salle de bains : a priori, pas de quoi faire fortune. Sauf que dans cette piaule rebaptisée « dortoir », il a installé 10 lits, qu’il loue chaque soir viaAirbnb à 10 personnes différentes, au prix de 22 euros chacun. Une opération financière visiblement très confortable, puisqu’en dépit de nos diverses demandes, nous n’avons jamais réussi à dormir sur place. À moins que ce ne soit notre qualité de journaliste qui ait refroidi le propriétaire ? Quoi qu’il en soit, nous ne saurons ni comment cette sorte d'auberge de jeunesse respecte les normes de sécurité, ni ce qu’elle déclare aux impôts (6000 euros de revenus potentiels par mois quand même), ni même si Renaud s’appelle bien Renaud. Une chambre, 10 couchages. Parfait pour ceux qui aiment la promiscuité. © DR Ces derniers temps, le phénomène Airbnb prend une ampleur et des formes inattendues, et pas seulement en Ile-de-France comme le montre pour la première fois une étude menée par le géographe Sébastien Jacquot, l’anthropologue Saskia Cousin et le chercheur en informatique Gaël Chareyron. Passionnés par les phénomènes touristiques, ils ont récupéré sur le site Airbnb toutes les annonces publiées et ainsi compilé les informations qui les intéressaient (prix, profil du locataire, etc.). © Gael Chareyron/ELSIV Voici le tableau des villes de France (ou arrondissements) où les locations Airbnb sont les plus importantes. On retrouve des villes à fort potentiel touristique, où les résidences secondaires sont nombreuses. Classement des communes présentant la plus forte offre airbnb au regard de la population Les pouvoirs publics ne savent pas toujours quoi penser de ce développement. Est-ce toujours légal ? Souhaitable ? En phase avec les intérêts de l’hôtellerie ? Dangereux pour le prix des logements ? « Le phénomène nous inquiète beaucoup », confie Ian Brossat, adjoint au logement du maire de Paris. À l’Hôtel de Ville, on ne songe pas encore à installer quelques centaines de lits superposés dans le bureau du maire pour financer la politique du logement. Mais on

Upload: infolibre

Post on 17-Jul-2016

827 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Artículo en francés de Mediapart

TRANSCRIPT

Page 1: Comment Airbnb squatte la France

Directeur de la publication : Edwy Plenelwww.mediapart.fr 1

1/5

Comment Airbnb squatte la FrancePAR MICHAËL HAJDENBERGARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 3 AOÛT 2015

Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit.

Un géographe, une anthropologue et un chercheuren informatique ont transmis à Mediapart leur étudeexhaustive sur le phénomène «Airbnb » en France.Nous présentons leurs données ville par ville et ruepar rue à Paris. Résultat ? Nouveaux marchands desommeil, fraude aux impôts, multipropriétaires quis’enrichissent grassement et font flamber les prix desloyers : les pouvoirs publics sont à la peine.

Renaud dispose d’un appartement rue Oberkampf,

dans le 11e arrondissement de Paris. Une chambre, unesalle de bains : a priori, pas de quoi faire fortune.Sauf que dans cette piaule rebaptisée « dortoir », ila installé 10 lits, qu’il loue chaque soir viaAirbnb à10 personnes différentes, au prix de 22 euros chacun.Une opération financière visiblement très confortable,puisqu’en dépit de nos diverses demandes, nousn’avons jamais réussi à dormir sur place. À moins quece ne soit notre qualité de journaliste qui ait refroidile propriétaire ? Quoi qu’il en soit, nous ne saurons nicomment cette sorte d'auberge de jeunesse respecte lesnormes de sécurité, ni ce qu’elle déclare aux impôts(6000 euros de revenus potentiels par mois quandmême), ni même si Renaud s’appelle bien Renaud.

Une chambre, 10 couchages. Parfait pour ceux qui aiment la promiscuité. © DR

Ces derniers temps, le phénomène Airbnb prend uneampleur et des formes inattendues, et pas seulement enIle-de-France comme le montre pour la première foisune étude menée par le géographe Sébastien Jacquot,l’anthropologue Saskia Cousin et le chercheur eninformatique Gaël Chareyron. Passionnés par lesphénomènes touristiques, ils ont récupéré sur le site

Airbnb toutes les annonces publiées et ainsi compiléles informations qui les intéressaient (prix, profil dulocataire, etc.).

© Gael Chareyron/ELSIV

Voici le tableau des villes de France (ouarrondissements) où les locations Airbnb sont lesplus importantes. On retrouve des villes à fortpotentiel touristique, où les résidences secondairessont nombreuses.

Classement des communes présentant la plus

forte offre airbnb au regard de la population

Les pouvoirs publics ne savent pas toujours quoipenser de ce développement. Est-ce toujours légal ?Souhaitable ? En phase avec les intérêts del’hôtellerie ? Dangereux pour le prix des logements ?« Le phénomène nous inquiète beaucoup », confie IanBrossat, adjoint au logement du maire de Paris.

À l’Hôtel de Ville, on ne songe pas encore à installerquelques centaines de lits superposés dans le bureau dumaire pour financer la politique du logement. Mais on

Page 2: Comment Airbnb squatte la France

Directeur de la publication : Edwy Plenelwww.mediapart.fr 2

2/5

peine un peu à trouver les réponses à hauteur de l'enjeu.Certes, l’équipe de 15 agents, dont 7 contrôleursassermentés, chargée de contrôler la transformationdes logements en commerces, bureaux, etc., passeà présent un bon tiers de son temps à s’occuperde ces locations meublées de courte durée. Mais lamairie continue régulièrement de se référer à uneétude de l’APUR qui date de 2011, alors que lephénomène des meublés locatifs a pris depuis cettedate une ampleur tout autre : 94% des quelque 45000utilisateurs parisiens actuels de Airbnb se sont inscritsaprès 2011.

Pour en savoir plus sur le concept et l’évolution deAirbnb, consulter l’onglet Prolonger.

Cette ampleur soudaine constitue-t-elle un problème ?Aucunement selon la mairie de Paris, s’il s’agit depropriétaires qui louent leur appartement, par exemple,

le temps de leurs vacances. La démarche s’inscrit alorsdans le cadre de « l’économie du partage » telle quedéfinie par ses fondateurs.

Classement des rues où l'on trouve le plusde locations Airbnb © Gaël Chareyron/ESILV

La question est très différente lorsqu'il s'agit desmultipropriétaires « spéculateurs », qui louent toutel’année sans le déclarer. Destinés en permanenceaux touristes, ces appartements font disparaître deslogements auparavant destinés aux Parisiens. Les

Page 3: Comment Airbnb squatte la France

Directeur de la publication : Edwy Plenelwww.mediapart.fr 3

3/5

données sont cependant à prendre avec prudencepuisque, parmi les multipropriétaires, il y a desagences.

Classement des 50 rues où il y les plus de locations airbnb proposées par desutilisateurs cherchant à louer plus de 4 logements © Gaël Chareyron/ESILV

Une économie du partage sans partaged'informations

Les travaux des chercheurs font apparaître ces deuxtypes de loueurs différents. Ci-dessous, on voitbien que les appartements de l'Est et du Nordparisien disparaissent en grande partie de la carte desmultipropriétaires.

Carte des locations Airbnb proposées à Paris par des personnespossédant un appartement ou plus © Gaël Chareyron/ESILV

Carte des locations proposées à Paris par des personnespossédant plus de 5 appartements © Gaël Chareyron/ESILV

Résultat : la population a baissé au cours des dernières

années dans le 4e et le 6e arrondissements, où leslocations de ce type explosent. En tout, selon la mairie,quelque 20000 appartements seraient aujourd’huiloués à Paris de cette façon (via plusieurs dizaines desites internet du genre).

Airbnb minimise, communique sur le fait que plusde 90% des utilisateurs du site ne proposent qu’unseul logement à la location. C'est vrai. Mais c'est uneprésentation avantageuse. Selon les auteurs de notreétude, à Paris, 19% des appartements mis en location lesont par des personnes multipropriétaires dans la zone.

S'agissant du Marais (dans les 3e et 4e arrondissementsde Paris), Airbnb considère que le zoom fait surce quartier doit être relativisé. « Le Marais nereprésente que 6 % de nos locations à Paris. »Sauf que la superficie du Marais protégé représenteseulement 1% de la surface de Paris. À y regarderde plus près, les auteurs de l'étude se sontsurtout aperçu que dans cette zone, 36% despropriétaires sont des multipropriétaires. Des sites oudes investisseurs spécialisés aident les spéculateurs àdétecter les appartements les plus rentables pour ce

Page 4: Comment Airbnb squatte la France

Directeur de la publication : Edwy Plenelwww.mediapart.fr 4

4/5

type d'opération, en leur indiquant les superficies lesplus recherchées, les tarifs pratiqués, les lieux les plusindiqués, etc.

Un site qui permet de faire le meilleur investissement possible pour ensuite louer via airbnb

La mairie de Paris dit avoir procédé à environ 550« enquêtes sur place » depuis 2013. Lorsque lesagents constatent des infractions, ils transmettent ledossier au Parquet. Ce qui a donné lieu en 2014 à15 condamnations, représentant 46 logements pour untotal de 516000 euros d’amende.

Un début, donc, au regard du travail de masseà effectuer. Nos chercheurs, au prix de quelquesjournées de travail, ont réussi à détecter lesmultipropriétaires potentiellement problématiques.Mais « la géolocalisation est très imparfaite »,tempèrent les agents de la mairie qui traquent lesarnaques. « Les sites font tout pour qu’on ne retrouvepas l’appartement. Contrairement à ce que laissentpenser les données apparentes, l’appartement ne sesitue pas au numéro 22 de la rue indiquée mais aunuméro 20. Et il y a de moins en moins d’informations.On ne sait pas l’étage, ni rien de précis. » Sanscompter que certains cachent leur identité, placent desannonces complémentaires sur des sites différents, etc.

En clair, le roi de l’économie coopérative ne semontre pas bien coopératif. « Airbnb se moque dumonde quand il déclare coopérer pleinement avec lespouvoirs publics. L’entreprise dispose d’absolumenttoutes les informations (durée des locations, trace despaiements, etc.) qui permettraient d’identifier les casproblématiques. » Cela pourrait-il poser un problèmede collecter de données personnelles de la sorte ? Detels fichiers pourraient-ils s'avérer illégaux ? Airbnb, lànon plus, n’a pas répondu à la plupart de nos questions,se contentant d'expliquer : «Nous avons travaillé maindans la main avec les décideurs français pour établirdes règles claires qui permettent aux particuliers de

louer leur logement et nous demandons aux hôtes des'engager à prendre connaissance de ces lois et à lesrespecter avant de créer leur annonce. »

Pour Jean-François Martins, adjoint au tourisme, « onne peut pas demander à Airbnb de faire la police. Elledoit informer ses utilisateurs des règles en vigueur.Et ensuite, c’est à nous de nous organiser ». Jean-François Martins est-il influencé par le fait que Airbnbne fait pour l’instant pas trop peur à l’hôtellerie ?Le taux d’occupation des hôtels ne bouge pas. EtAirbnb permet d’offrir aux touristes, notamment auxplus jeunes, aux moins aisés, des hébergements à desprix abordables. « Du fait de la saturation de l'offre,le prix moyen d’une chambre d’hôtel à Paris s'élèveà 220 euros la semaine du Salon de l’auto ! », expliqueJean-François Martins.

Les chercheurs, de leur côté, se demandent quandmême pourquoi paris.fr ne met pas en place un sitecomparable à Airbnb, plus éthique, et qui éviteraitque les commissions perçues par la start-up ne partentdirectement sur un compte à l’étranger.

Sans aller jusque-là, la mairie dit aujourd'hui fairetout son possible pour que Paris ne devienne pasun nouveau Barcelone, où ce type d'hébergementa défiguré la cité. À Paris, de nouvelles règles sontentrées en vigueur, sans qu’on sache encore quelimpact elles auront. Bientôt, une taxe de séjour serapayée par les hôtes, qu'Airbnb se chargera de collecteret de reverser. Par ailleurs, depuis janvier 2015,tous ceux qui transforment un logement en meublétouristique doivent créer un logement d’une mêmesurface dans le même arrondissement (en transformantun bureau en logement par exemple). La mesure estcependant trop récente pour qu'on en mesure les effets.

En attendant, une autre question demeure sansréponse. Nul ne sait quelle est la part des propriétairesqui déclarent leurs revenus, parfois non négligeables,

à l’administration fiscale. Celui qui se fait un 13e moisde salaire en louant discrètement son appartement aumois d’août aura forcément la tentation de garder celapour lui. Là aussi, on pourrait imaginer des solutionscomme celle prônée par Jean-François Martins: « Jesuis favorable à ce qu'Airbnb et les autres sites du

Page 5: Comment Airbnb squatte la France

Directeur de la publication : Edwy Plenelwww.mediapart.fr 5

5/5

genre participent à la déclaration préremplie adresséepar l’administration fiscale. » Le sujet n’est pourl’instant pas à l’étude chez Airbnb.

Directeur de la publication : Edwy Plenel

Directeur éditorial : François Bonnet

Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS).Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007.

Capital social : 28 501,20€.

Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des

publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071.

Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Gérard Cicurel, Laurent Mauduit,

Edwy Plenel (Président), Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires directs et

indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie-

Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des

Amis de Mediapart.

Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris

Courriel : [email protected]

Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08

Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90

Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions

simplifiée au capital de 28 501,20€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,

dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.

Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart

peut être contacté par courriel à l’adresse : [email protected]. ou par courrier

à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez

également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012

Paris.