colette l'ingenue libertine

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Colette

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  • Colette

    LINGNUE LIBERTINE

    (1909)

  • PRFACEJe ne voulais, lorsque jcrivis Minne, qucrire une

    nouvelle, avec lespoir que je la signerais de mon nom. Ilfallait donc, pour dtourner delle une convoitise quisadressait dhabitude aux dimensions du roman, que manouvelle ft assez brve. Elle le fut : pas longtemps. Sonsuccs la perdit : jentendis dune bouche conjugale desparoles de louange, et dautres paroles aussi qui furenttrop insistantes pour que je leur donne une place danscet Avertissement. Il me fallut dlayer Minne quelque peu.

    Que ceux qui nont jamais dsir la paix comme leplus grand des biens me jettent la premire pierre : je duscrire encore Les garements de Minne, que je ne pusjamais considrer comme un bon roman.

    Fut-il meilleur lorsque, redevenu plus tard maproprit, abrg, soulag, je le soudai Minne pourconstituer un seul volume sous le titre : LIngnuelibertine ? Je voudrais bien le croire, mais je crains quecette dition dfinitive elle-mme ne parvienne pas men donner la certitude, ni me rconciliercompltement avec les premiers aspects de ma carrirede romancire.

    COLETTE.

  • PREMIRE PARTIE

  • I

    Minne ? Minne chrie, cest fini, cette rdaction !

    Minne, tu vas abmer tes yeux ! Minne murmure dimpatience. Elle a dj rpondu trois

    fois : Oui, maman Maman qui brode derrire ledossier de la grande bergre

    Minne mordille son porte-plume divoire, si penche surson cahier quon voit seulement largent de ses cheveuxblonds, et un bout de nez fin entre deux boucles pendantes.

    Le feu parle tout bas, la lampe huile compte goutte goutte les secondes, Maman soupire. Sur la toile cire desa broderie un grand col pour Minne laiguille, chaquepoint, toque du bec. Dehors, les platanes du boulevardBerthier ruissellent de pluie, et les tramways du boulevardextrieur grincent musicalement sur leurs rails.

    Maman coupe le fil de sa broderie Au tintement despetits ciseaux, le nez fin de Minne se lve, les cheveuxdargent scartent, deux beaux yeux foncs apparaissent,guetteurs Ce nest quune fausse alerte ; Maman enfilepaisiblement une autre aiguille, et Minne peut se pencherde nouveau sur le journal ouvert, demi dissimul sous son

  • cahier de devoirs dHistoire Elle lit lentement,soigneusement, la rubrique Paris la nuit :

    Nos diles se doutent-ils seulement que certainsquartiers de Paris, notamment les boulevards extrieurs,sont aussi dangereux, pour le promeneur qui sy aventure,que la Prairie lest pour le voyageur blanc ? Nos modernesapaches y donnent carrire leur naturelle sauvagerie, ilne se passe pas de nuit sans quon ramasse un ouplusieurs cadavres.

    Remercions le Ciel il vaut mieux sen remettre luiqu la police quand ces messieurs se bornent sedvorer entre eux, comme cette nuit, o deux bandesrivales se rencontrrent et se massacrrent littralement.La cause du conflit ? Cherchez la femme ! Celle-ci, unefille Desfontaines, dite Casque-de-Cuivre cause de sesmagnifiques cheveux roux, allume toutes les convoitisesdune douteuse population masculine. Inscrite aux registresde la prfecture depuis un an, cette crature, qui compte peine seize printemps, est connue sur la place pour soncharme quivoque et son caractre audacieux. Elle boxe,lutte, et joue du revolver loccasion. Bazille, dit La Teigne,le chef de la bande des Frres de Belleville, et Le Fris,chef des Aristos de Levallois-Perret, un souteneurdangereux dont on ignore le vritable nom, se disputaientcette nuit les faveurs de Casque-de-Cuivre. Des menaceson en vint aux couteaux. Sidney, dit la Vipre, dserteurbelge, grivement bless, appela Le Fris son aide, lesacolytes de la Teigne sortirent leurs revolvers, et alors

  • commena une vritable boucherie. Les agents, arrivsaprs le combat, selon leur immuable tradition, ontramass cinq individus laisss pour morts ; Defrmont etBusenel, Jules Bouquet, dit Bel-il, et Blaquy, dit la Boule,ont t transports durgence lhpital, ainsi que le sujetde Lopold, Sidney la Vipre.

    Quant aux chefs de bandes et la Colombine, causepremire du duel, on na pu mettre la main dessus. Ils sontactivement recherchs.

    Maman rouie sa broderie. Vite, le journal disparat sousle cahier, o Minne griffonne, au petit bonheur :

    Par ce trait, la France perdait deux de sesmeilleures provinces. Mais elle devait quelque temps aprsen signer un autre beaucoup plus avantageux.

    Un point un trait dencre la rgle au bas du devoirdHistoire le papier buvard quelle lisse de sa mainlongue et transparente et Minne, victorieuse, scrie :

    Fini ! Ce nest pas trop tt ! dit Maman soulage, va vite au

    lit, ma souris blanche ! Tu as t longue, ce soir. Ctaitdonc bien difficile, ce devoir ?

    Non, rpond Minne qui se lve. Mais jai un peu mal la tte.

    Comme elle est grande ! Aussi grande que Maman,presque. Une trs longue petite fille, une enfant de dix ans

  • quon aurait tire, tire troite et plate dans son fourreaude velours vert empire, Minne sallonge encore, les bras enlair. Elle passe ses mains sur son front, rejette en arrireses cheveux ples. Maman sinquite :

    Bobo ? Une compresse ? Non, dit Minne. Ce nest pas la peine. Ce sera parti

    demain.Elle sourit Maman, de ses yeux marron fonc, de sa

    bouche mobile dont les coins nerveux remuent. Elle a lapeau si claire, les cheveux si fins aux racines, quon ne voitpas o finissent les tempes. Maman regarde de prs cettepetite figure quelle connat veine par veine, et setourmente, une fois de plus, de tant de fragilit. On ne luidonnerait jamais ses quatorze ans huit mois

    Viens, Minne chrie, que je roule tes boucles !Elle montre un petit fagot de rubans blancs. Oh ! Sil te plat, non, maman. cause de mon mal de

    tte, pas ce soir ! Tu as raison, mon joli. Veux-tu que je taccompagne

    jusqu ta chambre ? As-tu besoin de moi ? Non, merci, maman. Je vais me coucher vite.Minne prend lune des deux lampes huile, embrasse

    Maman et monte lescalier, sans peur des coins noirs, nide lombre de la rampe qui grandit et tourne devant elle, nide la dix-huitime marche qui crie lugubrement. quatorze

  • ans et huit mois, on ne croit plus aux fantmes Cinq ! Songe Minne. Les agents en ont ramass cinq,

    laisss pour morts. Et le Belge aussi qui a reu un mauvaiscoup ! Mais elle, Casque-de-Cuivre, on ne la pas prise, niles deux chefs, Dieu merci !

    En jupon de nanzouk blanc, en corset-brassire decoutil blanc, Minne se regarde dans la glace :

    Casque-de-Cuivre ! Des cheveux rouges, cest beau !Les miens sont trop ples Je sais comment elles secoiffent

    deux mains, elle relve ses cheveux de soie, les rouleet les pingles en coque hardie, trs haut, presque sur lefront. Dans un placard elle prend son tablier rose du matin,celui qui a des poches en forme de cur. Puis elleinterroge la glace, le menton lev Non, lensemble restefade. Quest-ce qui manque donc ? Un ruban rouge dansles cheveux. L ! Un autre au cou, nou de ct. Et, lesmains dans les poches du tablier, ses coudes maigriots endehors, Minne, charmante et gauche, se sourit et constate :

    Je suis sinistre. Minne ne sendort jamais tout de suite. Elle entend, au-

    dessous delle, Maman fermer le piano, tirer les rideaux quigrincent sur leurs tringles, entrouvrir la porte de la cuisinepour sassurer quaucune odeur de gaz ne filtre par lesrobinets du fourneau, puis monter pas lents, toutemptre de sa lampe, de sa corbeille ouvrage et de sa

  • jupe longue.Devant la chambre de Minne, Maman sarrte une

    minute, coute Enfin, la dernire porte se ferme, on neperoit plus que les bruits touffs derrire la cloison.

    Minne est tendue toute raide dans son lit, la nuquerenverse, et sent ses yeux sagrandir dans lombre. Ellena pas peur. Elle pie tous les bruits comme une petitebte nocturne, et gratte seulement le drap avec les onglesde ses orteils.

    Sur le rebord en zinc de la fentre, une goutte de pluietombe de seconde en seconde, lourde et rgulire commele pas du sergent de ville qui arpente le trottoir.

    Il magace, ce sergent de ville ! songe Minne. quoia peut-il servir, des gens qui marchent si gros ? Les lesFrres de Belleville, et les Aristos on ne les entend pas,eux, ils marchent comme des chats. Ils ont des souliers detennis, ou bien des pantoufles brodes au point croisComme il pleut ! Je pense bien quils ne sont pas dehors cette heure-ci ! Pourtant, La Teigne et lautre, le chef desFrres, Le Fris, o sont-ils ? Enfuis, cachs dans dansdes carrires. Je ne sais pas sil y a des carrires par iciOh ! ce gros pas ! Pouf ! pouf, pouf pouf Et sil y en avaitun, tout dun coup, qui vienne par-derrire et qui lui enfonceun couteau dans sa vilaine nuque, au sergent de ville !Devant la porte, juste pendant quil passe ! Ah ! ah !jentends Clnie demain matin : Madame, madame ! il ya un agent de tu devant la porte ! Cest pour le coup

  • quelle se trouverait mal !Et Minne, blottie dans son lit blanc, ses cheveux de soie

    balays dun ct et dcouvrant une oreille menue, sendortavec un petit sourire.

  • II

    Minne dort et Maman songe. Cette petite fille si mince,

    qui repose ct delle, remplit et borne lavenir deMadame quimporte son nom ? elle sappelle Maman,cette jeune veuve craintive et casanire. Maman a crusouffrir beaucoup, il y a dix ans, lors de la mort soudaine deson mari ; puis ce grand chagrin a pli dans lombre doredes cheveux de Minne fragile et nerveuse, les repas deMinne, les cours de Minne, les robes de Minne Mamanna pas trop de temps pour y penser, avec une joie et uneinquitude qui ne se blasent ni lune ni lautre.

    Pourtant, Maman na que trente-trois ans, et il arrivequon remarque dans la rue sa beaut sage, teinte sousdes robes dinstitutrice. Maman nen sait rien. Elle sourit,quand les hommages vont aux surprenants cheveux deMinne, ou rougit violemment, lorsquun vaurien apostrophesa fille, il ny a gure dautres vnements dans sa vieoccupe de mre-fourmi. Donner un beau-pre Minne ?vous ny pensez pas. Non, non, elles vivront toutes seulesdans le petit htel du boulevard Berthier qua laiss papa sa femme et sa fille, toutes seules jusqu lpoque,confuse et terrible comme un cauchemar, o Minne sen iraavec un monsieur de son choix

    Loncle Paul, le mdecin, est l pour veiller de temps entemps sur elles deux, pour soigner Minne en cas de

  • maladie et empcher Maman de perdre la tte ; le cousinAntoine amuse Minne pendant les vacances. Minne suit lescours des demoiselles Souhait pour sy distraire, yrencontrer des jeunes filles bien leves et, mon Dieu, syinstruire loccasion Tout cela est bien arrang , sedit Maman qui redoute limprvu. Et si lon pouvait allerainsi jusqu la fin de la vie, serres lune contre lautredans un tide et troit bonheur, comme la mort serait vitefranchie, sans pch et sans peine !

    Minne chrie, cest sept heures et demie.Maman a dit cela mi-voix, comme pour sexcuser.Dans lombre blanche du lit, un bras mince se lve,

    ferme son poing et retombe.Puis la voix de Minne faible et lgre demande : Il pleut encore ?Maman replie les persiennes de fer. Le murmure des

    sycomores entre par la fentre, avec un rayon de jour vertet vif, un souffle frais qui sent lair et lasphalte.

    Un temps superbe !Minne, assise sur son lit, fourrage les soies emmles

    de sa chevelure. Parmi la clart des cheveux, la pleurrose de son teint, la noire et liquide lumire de ses yeuxtonne. Beaux yeux, grands ouverts et sombres, o toutpntre et se noie, sous larc lgant des sourcilsmlancoliques La bouche mobile sourit, tandis quils

  • restent graves Maman se souvient, en les regardant, deMinne toute petite, dun bb dlicat tout blanc, la peau, larobe, le duvet de la chevelure, un poussin argent quiouvrait des yeux tonnants, des yeux svres, tenaces,noirs comme leau ronde dun puits

    Pour linstant, Minne regarde remuer les feuilles dun airvide. Elle ouvre et resserre les doigts de ses pieds,comme font les hannetons avec leurs antennes La nuitnest pas encore sortie delle. Elle vagabonde la suite deses rves, sans entendre Maman qui tourne par lachambre, Maman tendre et toute frache en peignoir bleu,les cheveux natts

    Tes bottines jaunes, et puis ta petite jupe bleu marineet une chemisette une chemisette comment ?

    Enfin rveille, Minne soupire et dtend son regard : Bleue, maman, ou blanche, comme tu voudras.Comme si davoir parl lui dliait les membres, Minne

    saute sur le tapis, se penche la fentre : il ny a pas desergent de ville tendu en travers du trottoir, un couteaudans la nuque

    Ce sera pour une autre fois , se dit Minne, un peudue.

    Larme vanill du chocolat sest gliss dans lachambre et stimule sa toilette minutieuse de petite femmesoigne ; elle sourit aux fleurs roses des tentures. Desroses partout sur les murs, sur le velours anglais des

  • fauteuils, sur le tapis fond crme, et jusquau fond decette cuvette longue, monte sur quatre pieds laqus enblanc Maman a voulu superstitieusement des roses, desroses autour de Minne, autour du sommeil de Minne

    Jai faim ! dit Minne qui, devant la glace, noue sacravate sur son col blanc luisant dempois.

    Quel bonheur ! Minne a faim ! voil Maman contentepour la journe. Elle admire sa grande fille, si longue et sipeu femme encore, le torse enfantin dans la chemisette plis, les paules frles o roulent les beaux cheveux encopeaux brillants

    Descendons, ton chocolat tattend.Minne prend son chapeau des mains de Maman et

    dgringole lescalier, leste comme une chvre blanche. Ellecourt, pleine de lheureuse ingratitude qui embellit lesenfants gts, et flaire son mouchoir o Maman a versdeux gouttes de verveine citronnelle

    Le cours des demoiselles Souhait nest pas un courspour rire. Demandez toutes les mres qui y conduisentleurs filles ; elles vous rpondront : Cest ce quil y a demieux frquent dans Paris ! Et on vous citera coup surcoup les noms de mademoiselle X, des petites Z, dela fille unique du banquier H On vous parlera des sallesbien ares, du chauffage la vapeur, des voitures dematre qui stationnent devant la porte, et il est peu prssans exemple quune maman, sduite par ce luxehyginique, blouie par des noms connus et fastueux,

  • saventure jusqu plucher le programme dtudes.Tous les matins, Minne, accompagne tantt de

    Maman, tantt de Clnie, suit les fortifications jusquauboulevard Malesherbes o le cours Souhait tient sesassises. Bien gante, une serviette de maroquin sous lebras, droite et srieuse, elle salue dun regard lavenueGourgaud verte et provinciale, dune caresse les chiens etles enfants du peintre Thaulow qui vagabondent en matressur lavenue dserte.

    Minne connat et envie ces enfants blonds et libres, cespetits pirates du Nord qui parlent entre eux un norvgienguttural Tout seuls, sans bonne, le long desfortifications ! Mais ils sont trop jeunes, ils ne savent quejouer Ils ne sintressent pas aux chosesintressantes

    Arthur Dupin, le styliste du Journal, a cisel un nouveauchef-duvre :

    ENCORE NOS APACHES ! CAPTUREIMPORTANTE.

    LE FRIS INTROUVABLE. Nos lecteurs ont encore prsent lesprit le rcit

    lugubre et vridique de la nuit de mardi mercredi. Lapolice nest pas reste inactive depuis ce temps, et vingt-quatre heures ne staient pas coules que linspecteurJoyeux mettait la main sur Vandermeer, dit LAndouille, qui,dnonc par un des blesss transports lhpital, se

  • faisait pincer dans un garni de la rue de Norvins. DeCasque-de-Cuivre, point de nouvelles. Il semblerait mmeque ses amis les plus intimes ignorent sa retraite, et lonnous fait savoir que lanarchie rgne parmi ce peuple privde sa reine. Jusqu prsent, Le Fris a russi chapperaux recherches.

    Minne, avant dentrer dans son lit blanc, vient de relire leJournal avant de le jeter dans sa corbeille papiers. Elletarde sendormir, sagite et songe :

    Elle est cache, elle, leur reine ! Probablement aussidans une carrire. Les agents ne savent pas chercher. Ellea des amis fidles, qui lui apportent de la viande froide etdes ufs durs, la nuit Si on dcouvre sa cachette, elleaura toujours le temps de tuer plusieurs personnes de lapolice avant quon la prenne Mais, voil, son peuple semutine ! Et les Aristos de Levallois vont se disperser aussi,privs du Fris Ils auraient d lire une vice-reine, pourgouverner en labsence de Casque-de-Cuivre

    Pour Minne, tout cela est monstrueux et simple lamanire dun roman dautrefois. Elle sait, nen pointdouter, que la bordure pele des fortifications est une terretrange, o grouille un peuple dangereux et attrayant desauvages, une race trs diffrente de la ntre, aismentreconnaissable aux insignes quelle arbore : la casquettede cycliste, le jersey noir ray de vives nuances, qui colle la peau comme un tatouage bariol. La race produit deuxtypes distincts :

  • 1 Le Trapu, qui balance en marchant des mainspaisses comme des biftecks crus, et dont les cheveux,bas plants sur le front, semblent peser sur les sourcils ;

    2 Le Svelte. Celui-l marche indolemment, sans lemoindre bruit. Ses souliers Richelieu quil remplacesouvent par des chaussures de tennis montrent deschaussettes fleuries troues ou non. Parfois aussi, au lieude chaussettes, on voit la peau dlicate du cou-de-pied,nu, dun blanc douteux, vein de bleu Des cheveuxsouples descendent sur la joue bien rase, en maniredaccroche-curs, et la pleur du teint fait valoir le rougefivreux des lvres.

    Daprs la classification de Minne, cet individu-lincarne le type noble de la race mystrieuse. Le Trapuchante volontiers, promne ses bras des jeunes filles encheveux, gaies comme lui. Le Svelte glisse ses mainsdans les poches dun pantalon ample, et fume, les yeux mi-clos, tandis qu son ct une infrieure et furieusecrature crie, pleure, et reproche Elle lennuie, inventeMinne, dun tas de petits soucis domestiques. Lui, il nelcoute mme pas, il rve, il suit la fume de sa cigarettedOrient

    Car les songeries de Minne ignorent le caporal vulgaire,et pour elle il nest de cigarettes quorientales

    Minne admire combien, pendant le jour, les murs dela race singulire restent patriarcales. Lorsquelle revientde son cours, vers midi, elle les aperoit, nombreux, au

  • flanc du talus o leurs corps tendus pendent, assoupis.Les femelles de la tribu, accroupies sur leurs talons,ravaudent et se taisent, ou lunchent comme la campagne,des papiers gras sur leurs genoux. Les mles, forts etbeaux, dorment. Quelques-uns de ceux qui veillent ont jetleurs vestes, et des luttes amicales entretiennent lasouplesse de leurs muscles

    Minne les compare aux chats qui, le jour, dorment,lustrent leur robe, aiguisent leurs griffes courbes au boisdes parquets. La quitude des chats ressemble uneattente. La nuit venue, ce sont des dmons hurleurs,sanguinaires, et leurs cris denfants trangls parviennentjusqu Minne pour troubler son sommeil.

    La race mystrieuse ne crie point la nuit ; elle siffle. Descoups de sifflets vrillants, terribles, jalonnent le boulevardextrieur, portent de poste en poste une tlphonieincomprhensible. Minne, les entendre, frmit descheveux aux orteils, comme traverse dune aiguille

    Ils ont siffl deux fois une espce de ui-ui-uitrembl a rpondu, loin, l-bas Est-ce que a veut dire :Sauvez-vous ? ou bien : Le coup est fait ? Peut-tre quilsont fini, quils ont tu la vieille dame ? La vieille dame estmaintenant au pied de son lit, par terre, dans une mare desang . Ils vont compter lor et les billets, senivrer avec duvin rouge et dormir. Demain, sur le talus, ils raconteront lavieille dame leurs camarades, et ils partageront lebutin

  • Mais, hlas ! leur reine est absente, et lanarchie rgnele Journal la dit ! tre leur Reine avec un ruban rouge et unrevolver, comprendre le langage siffl, caresser lescheveux du Fris et indiquer les coups faire La reineMinne la reine Minne ! Pourquoi pas ? on dit bien lareine Wilhelmine

    Minne dort dj et divague encore

  • III

    Aujourdhui, dimanche, comme tous les dimanches,

    loncle Paul est venu djeuner chez Maman, avec son filsAntoine.

    a sent la fte de famille et la dnette, il y a un bouquetde roses au milieu de la table, une tarte aux fraises sur ledressoir. Ce parfum de fruits et de roses entrane laconversation vers les vacances prochaines ; Maman songeau verger o jouera Minne, dans le bon soleil ; son frrePaul, tout jaune de mal au foie, espre que le changementdair dpaysera ses coliques hpatiques. Il sourit Mamanquil traite toujours en petite sur ; sa figure longue etcreuse semble sculpte dans un buis plein de nuds.Maman lui parle avec dfrence, penche pour lapprouverson cou serr dans le haut col blanc. Elle porte une robetriste en voile gris, qui accentue son allure de jeune femmehabille en grand-mre Elle a gard un puril respect pource frre hypocondriaque, qui a voyag sur lautre face dumonde, qui a soign des ngres et des Chinois, qui arapport de l-bas un foie congestionn dont la bile verditson visage, et des fivres dune espce rare Antoinereprendrait bien du jambon et de la salade, mais il nosepas. Il craint le petit sifflement dsapprobateur de son preet lobservation invitable Mon garon, si tu crois quecest en te bourrant de salaisons que tu feras passer tes

  • boutons Antoine sabstient, et considre Minne endessous. De trois ans plus g quelle, il sintimidepourtant ds que les yeux noirs de Minne se posent sur lui :il sent ses boutons rougir, ses oreilles senflammer, et boitde grands verres deau.

    Dix-sept ans, cest un ge bien difficile pour un garon,et Antoine subit douloureusement son ingrate adolescence.Luniforme noir petits boutons dor lui pse comme unelivre humiliante, et le duvet qui salit sa lvre et ses jouesfait que lon hsite : Est-il dj barbu ou pas encorelav ? Il faut une longue patience aux collgiens poursupporter tant de disgrces. Celui-ci, grand, le nezchevalin, les yeux gris bien placs, fera sans doute un belhomme, mais qui couve dans la peau dun assez vilainpotache

    Antoine dpche sa salade bouchesprcautionneuses : Ma tante a la rage de servir de laromaine coupe en long cest rudement embtant manger ! Si je rattrape une feuille avec mes lvres, Minnedira que je mange comme une chvre. Cest patant, lesfilles, ce que a a du culot, avec leurs airs de ne rien dire !Qua-t-elle encore, ce matin ? Mademoiselle a les yeuxaccrochs ! Elle na pas dmusel depuis les ufs lacoque. Des manires !

    Il pose sa fourchette et son couteau sur son assiette,essuie sa bouche ombre de noir et dvisage Minne dunil froid et arrogant. Cependant quelle semble le

  • ddaigner de quelle hauteur ! il songe : Cest gal, elle est plus jolie que la sur de

    Bouquetet. Ils ont beau la chiner, la bote, parce que, surses photographies, ses cheveux viennent blancs ; ils nontgure de cousines aussi chouettes, ni aussi distingues.Ce pied de Bouquetet qui la trouve maigre ! Cestpossible, mais je napprcie pas, comme lui, les femmesau poids !

    Minne est assise face au grand jour, le reflet desfeuilles, la rverbration du boulevard Berthier, blanccomme une route campagnarde, la plissent encore.Distraite, absorbe depuis le matin, elle fixe sans cligner,la fentre blouissante, avec une attention de somnambule.Elle suit ses visions familires, cauchemars longuementinvents, tableaux recomposs cent fois, et que varie laminutie des dtails : la Tribu, honnie et redoute, desSveltes et des Trapus coaliss assaille Paris terrifi Unsoir, vers onze heures, les vitres tombent, des mainsarmes de couteaux et dos de mouton renversent la tablepaisible, la lampe gardienne Elles gorgentconfusment, parmi des rles doux, des bondissementsouats de chat Puis, dans des tnbres rosesdincendie, les mains enlvent Minne, lemportent duneforce irrsistible, on ne sait pas ou

    Minne chrie, un peu de tarte ? Oui, maman, merci. Et du sucre en poudre ?

  • Non, maman, merci.Inquite de sa Minne ple et absente, Maman la

    dsigne du menton loncle Paul qui hausse les paules : Peuh ! elle va trs bien, cette enfant. Un peu de

    fatigue de croissance Ce nest pas dangereux ? Mais non, voyons ! Cest une enfant qui se forme tard,

    voil tout. Quest-ce que a te fait ? Tu ne veux pas lamarier cette anne, nest-ce pas ?

    Moi ? grand Dieu !Maman se couvre les oreilles des deux mains, ferme

    les yeux comme si elle avait vu la foudre tomber de lautrect du boulevard Berthier.

    Quest-ce qui te fait rire, Minne ? demande lonclePaul.

    Moi ?Minne dcroche enfin son regard de la fentre ouverte : Je ne riais pas, oncle Paul. Mais si, petit singe, mais siSa longue main osseuse tire amicalement une des

    anglaises de Minne, dfrise et refrise le brillant copeaudargent blond

    Tu ris encore ! Cest cette ide de te marier, hein ?

  • Non, dit Minne sincrement. Je riais dune autreide

    Mon ide, poursuit Minne au fond delle-mme, cestque les journaux ne savent rien, ou quon les paie pour setaire Jai cherch toutes les pages du Journal, sansque Maman me voie Cest tout de mme jolimentcommode, une maman comme la mienne, qui ne voitjamais rien !

    Oui, cest commode Il est bien vident que linsolubleproblme de lducation dune jeune fille na jamais troubllme simplette de Maman. Maman na trembl, devantMinne, depuis presque quinze ans, que de crainte etdadmiration. Quel dessein mystrieux a form, en elle,cette enfant dune inquitante sagesse, qui parle peu, ritrarement, prise en secret du drame, de laventureromanesque, de la passion, la passion quelle ignore, maisdont elle murmure tout bas le mot sifflant, comme on essaiela lanire neuve dun fouet ? Cette enfant froide, qui neconnat ni la peur, ni la piti, et se donne en pense desanguinaires hros, mnage pourtant, avec unedlicatesse un peu mprisante, la sensibilit nave de samre, gouvernante tendre, nonne voue au seul culte deMinne

    Ce nest pas par crainte que Minne cache ses penses sa mre. Un instinct charitable lavertit de demeurer, auxyeux de Maman, une grande petite fille sage, soigneusecomme une chatte blanche, qui dit oui, maman et non,

  • maman , qui va au cours et se couche neuf heures etdemie Je lui ferais peur , se dit Minne en posant sursa mre, qui verse le caf dans les tasses, ses calmesyeux insondables

    La chaleur de juillet est venue tout dun coup. La Tribu,sous les fentres de Minne, halte dans lombre maigre,sur la pente pele du talus. Les rares bancs du boulevardBerthier sencombrent de dormeurs aux membres mortsdont la casquette, pose comme un loup, masque le hautdu visage. Minne, en robe de lingerie blanche, un grandpaillasson cloche sur ses cheveux lgers, passe tout prsdeux, jusqu frler leur sommeil. Elle cherche devinerles visages masqus, et se dit : Ils dorment. Dailleurs, onne lit plus dans les journaux que des suicides et desinsolations Cest la morte-saison.

    Maman, qui conduit Minne son cours, loblige changer de trottoir chaque instant et soupire :

    Ce quartier nest pas habitable !Minne nouvre pas de grands yeux et ne demande pas

    dun air innocent : Pourquoi donc, maman ? Cespetites roueries-l sont indignes delle.

    Parfois, on rencontre une dame, une amie de Maman,et lon cause cinq minutes. On parle de Minne,naturellement, de Minne qui sourit avec politesse et tendune main aux doigts longs et minces. Et Maman dit :

    Mais oui, elle a encore grandi depuis Pques ! Oh !

  • cest un bien grand bb ! Si vous saviez comme elle estenfant ! Je me demande comment une fillette pareillepourra devenir une femme !

    Et la dame, attendrie, se risque caresser les beauxcheveux reflets de nacre que lie un ruban blancCependant, le bien grand bb , qui lve ses beauxyeux noirs et sourit de nouveau, divague frocement : Cette dame est stupide ! Elle est laide. Elle a une petiteverrue sur la joue et elle appelle a un grain de beautElle doit sentir mauvais toute nue Oui, oui, quelle soittoute nue dans la rue, et emporte par Eux, et quilsdessinent, la pointe du couteau, des signes fatidiques surson vilain derrire ! Quils la tranent, jaune comme dubeurre rance, et quils dansent sur son corps la danse deguerre, et quils la prcipitent dans un four chaux !

    * * *Minne, toute prte, sagite dans sa chambre claire,

    nerveuse au point de pitiner. Clnie, la grosse femme dechambre, se fait attendre Sil tait parti !

    Depuis quatre jours, Minne le rencontre au coin delavenue Gourgaud et du boulevard Berthier. Le premierjour, il dormait assis, adoss au mur et barrant la moiti dutrottoir. Clnie, effraye, tira Minne par sa manche ; maisMinne elle est si distraite ! avait dj effleur les piedsdu dormeur, qui ouvrit les yeux Quels yeux ! Minne en eutle choc, le frisson des admirations absolues Des yeuxnoirs en amandes, dont le blanc bleuissait dans le visage

  • dune pleur italienne. La moustache fine, commedessine lencre et des cheveux noirs tout boucls demoiteur Il avait jet, pour dormir, sa casquette carreauxnoirs et violets, et sa main droite serrait, du pouce et delindex, une cigarette teinte.

    Il dvisagea Minne sans bouger, avec une effronterie sioutrageusement flatteuse quelle faillit sarrter

    Ce jour-l, Minne eut cinq en histoire et, dame, commeon dit au cours Souhait : Cinq, cest la honte ! Minnesentendit infliger un blme public, tandis que, soumise etles yeux ailleurs, elle vouait silencieusement mademoiselleSouhait des tortures ignominieusement compliques

    * * *Chaque jour, midi, Minne frle le rdeur, et le rdeur

    regarde Minne, toute claire dans sa robe dt, et qui nedtourne pas de lui ses yeux srieux. Elle pense : Ilmattend. Il maime. Il ma comprise. Comment lui fairesavoir que je ne suis jamais libre ? Si je pouvais lui glisserun papier o jaurais crit : Je suis prisonnire. TuezClnie et nous partirons ensemble Partir ensemblevers sa vie vers une vie o je ne me souviendrai mmeplus que je suis Minne

    Elle stonne un peu de linertie de son ravisseur quisomnole, lgant et sans linge, au pied dun sycomore.Mais elle rflcht, sexplique cette veulerie extnue, cettepleur dherbe des caves : Combien en a-t-il tu cettenuit ? Elle cherche, dun coup dil furtif, le sang qui

  • pourrait marquer les ongles de son inconnu Point desang ! Des doigts fins trop pointus, et, toujours, unecigarette, allume ou teinte, entre le pouce et lindex Lebeau chat, dont les yeux veillent sous les paupiresdormantes ! Que son bondissement serait terrible, pouroccire Clnie et emporter Minne !

    * * *Maman, elle aussi, a remarqu linconnu la

    mridienne. Elle presse le pas, rougit, et soupirelonguement quand le pril est dpass, lavenue Gourgaudfranchie

    Tu vois souvent cet homme assis par terre, Minne ? Un homme assis par terre ? Ne te retourne pas ! Un homme assis par terre au

    coin de lavenue Jai toujours peur que ces gens-l neguettent un mauvais coup faire dans le quartier !

    Minne ne rpond rien. Tout son petit tre secret sedilate dorgueil : Cest moi quil guette ! Cest pour moiseule quil est l ! Maman ne peut pas comprendre

    Vers le huitime jour, Minne est frappe dune ide,quelle nomme tout de suite une rvlation : cette pleurmate, ces cheveux noirs qui moutonnent en boucles cestLe Fris ! Cest Le Fris lui-mme ! Les journaux lont dit : On na pas pu parvenir semparer du Fris Il est aucoin du boulevard Berthier et de lavenue Gourgaud, LeFris, il est amoureux de Minne et pour elle, tous les jours,

  • expose sa vieMinne palpite, ne dort plus, se lve la nuit pour chercher

    sous sa fentre lombre du Fris. Cela ne peut se prolonger longtemps, se dit-elle. Un

    soir, il sifflera sous la fentre, je descendrai par une chelleou une corde nuds, et il memportera sur unemotocyclette, jusquaux carrires o lattendront ses sujetsassembls. Il dira : Voici votre Reine ! Et et ce seraterrible !

    Un jour, Le Fris manqua au rendez-vous. DevantMaman navre, Minne oublia de djeuner Mais lelendemain, ni le surlendemain, ni les jours suivants, pointde Fris somnolent et souple, qui ouvrait sur Minne desyeux si soudains lorsquelle le frlait

    Oh ! les pressentiments de Minne ! Je le savais bien,moi, quil tait Le Fris ! et maintenant il est en prison, laguillotine peut-tre ! Devant les larmes inexplicables, lafivre de Minne, Maman, perdue, envoie chercher lonclePaul, qui prescrit bouillon, poulet, vin tonique et lger, etdpart pour la campagne

    Durant que Maman emplit les malles avec une activitde fourmi qui sent venir lorage, Minne appuie, dolente etoisive, son front aux vitres, et rve Il est en prison pourmoi. Il souffre pour moi, il languit et il crit dans son cachotdes vers damour : une inconnue

  • IV

    Minne, veille en sursaut par un grincement de poulie,

    ouvre des yeux pouvants sur la chambre paisible : Osuis-je ?

    Arrive depuis trois jours chez loncle Paul, Minne nestpas encore habitue sa maison des champs. Ellecherche, au sortir de son tumultueux sommeil, peupl derves fumeux, lombre bleue et claire de sa chambreparisienne, lodeur citronne de son eau de toilette Ici, cause des volets pleins cest la nuit noire, malgr les coqsqui crient, les portes qui battent, le tintement de vaissellequi monte de la salle manger o Clnie dispose lestasses du petit djeuner, la nuit massive, perceseulement, la fentre, dun rai dor vif, mince comme uncrayon

    Ce petit bton tincelant guide Minne, qui va pieds nus, ttons, ouvrir les persiennes et recule, aveugle delumire Elle reste l, les mains sur les yeux, lair, dans salongue chemise, dun ange repentant

    Quand le soleil a perc la coquille rose de sa main, elleretourne son lit, sassied, saisit son pied nu, sourit lafentre o dansent des gupes et ressemble prsent, labouche entrouverte et les yeux nafs, un baby demagazine anglais. Mais les sourcils sabaissent, une

  • pense habite soudain les larges prunelles qui se moirentcomme un tang. Minne songe que tout le monde ne jouitpas de cette lumire bourdonnante, quil y a, dans unegrande ville, un cachot sombre, o rve, sur son grabat, uninconnu aux cheveux noirs en boucles

    Il faut pourtant shabiller, descendre, humer le lait quimousse, rire, sintresser la sant de loncle Paul Cest la vie ! soupire Minne en peignant ses cheveux,que le soleil pntre et dvore comme sils taient en verrefil.

    Au pas lger de Minne, le plancher gmit. Si elle resteimmobile, les fauteuils empire stirent, craquent, clatent,le bois du lit leur rpond. La maison dessche et sonoreptille, comme travaille dun sourd incendie. Deboutdepuis deux sicles dans le soleil et le vent, sa charpentechaude gmit sans cesse, et on lappelle, dans le pays, laMaison Sche.

    Minne laime pour ses vastes dimensions, pour sonsalon tout faire quun perron de cinq marches spare seuldu jardin, pour ses parquets de bois blanc tide aux piedsnus, pour les dix hectares, parc et verger, qui lentourent.En petite Parisienne accoutume aux nuances discrtes,elle stonne quen sa chambre tant de nuances cruesrjouissent les yeux. Le papier rayures dun rose foncsaccorde au couvre-lit de perse treillag de liserons bleus,de guirlandes vertes ; des rideaux de mousseline orangependent aux fentres, et le bignonier, lourd de fleurs,

  • balance jusque dans la chambre dardents bouquetsMinne, pale comme une nuit de lune, se rchauffe, un peublesse, ce feu de couleurs, et parfois, toute nue ausoleil, un miroir la main, cherche en vain, travers soncorps mince, lombre plus noire de son squelette lgant

  • V Une lettre pour toi, Minne a, cest Femina ; a,

    cest le Journal de la Sant et puis la Chroniquemdicale, et puis un prospectus

    Il ny a rien pour moi ? implore Antoine.Loncle Paul merge, tout jaune, du bol de lait quil tient

    deux mains : Mon pauvre garon, tu es extraordinaire ! Tu ncris

    personne, pourquoi veux-tu quon tcrive ? Fais-moi lagrce de me rpondre !

    Je ne sais pas, dit Antoine.La boutade de son pre lagace ; lironie suprieure de

    Minne lexaspre. Elle ne prend aucune part ladiscussion, elle boit son lait petites gorges, reprendhaleine de temps en temps, et regarde la fentre ouverte,fixement, comme elle faisait boulevard Berthier. Ses yeuxnoirs refltent trangement le vert du jardin

    Elle est bien fire pour une lettre ! se dit Antoine.Fire ? il ny parat pas. Elle a pos lenveloppe ferme

    prs de son assiette et vide son bol de lait avant de louvrir. Viens voir, Minne ! appelle Antoine, qui feuillette

    Femina. Cest patant Il y a des photos de la journe

  • des Drags Oh ! on voit Polaire ! Qui, Polaire ? daigne questionner Minne.Antoine sesclaffe, reprenant du coup tous ses

    avantages : Ah ! ben, vrai ! tu ne connais pas Polaire ?La rveuse petite figure de Minne devient mfiante : Non. Et toi ? Quand je dis connatre, naturellement, je ne lui dis pas

    bonjour dans la rue Cest une actrice. Je lai vue unereprsentation de charit. Elle tait avec trois autres ; ellefaisait une pierreuse

    Antoine ! gronde la voix douce de Maman. Oui, ma tante Une femme, je veux dire, des

    boulevards extrieurs.Les yeux de Minne grandissent, brillent : Ah ! Elle tait habille comment ? patante ! un corsage rouge, un tablier, et puis les

    cheveux comme a jusque dans les yeux, et puis unecasquette

    Comment, une casquette ? interrompt Minne,choque par linexactitude du dtail.

    Oui, en soie, trs haute. Ctait tout fait aMinne se dtourne, dsintresse :

  • Moi, je naurais pas mis de casquette, dit-elle avecsimplicit.

    Elle regarde Antoine, sans le voir, machinalement. Ilsagite, gn par la beaut de Minne, par la petite flammediabolique de ses yeux noirs. Il enfonce dans sa poche unmouchoir mal roul qui fait gros, brosse dun revers demain le duvet de sa lvre, et ramasse la cloche de paillejete sous la chaise.

    Je vais manger des mirabelles, dclare-t-il. Pas trop ! prie Maman. Laisse donc, dit loncle Paul derrire son journal, a le

    purge.Antoine rougit violemment et sort comme si son pre

    lavait maudit.Minne, en tablier rose, se lve et noue sous son menton

    les brides dune capeline de lingerie, qui la rajeunit encore.Toute gentille, elle tend Maman la lettre bleue :

    Garde-moi ma lettre, maman. Cest dHenrietteDeslandres, ma voisine de cours. Tu peux la lire, tu sais,maman. Je nai pas de secrets. Adieu, maman. Je vaismanger des prunes.

    Lherbe du verger blouit, miroite de toutes ses lancesde gazon, vernies et coupantes. Minne la traverse grandes enjambes, comme si elle fendait une eaucourante ; il en jaillit, en claboussures, mille sauterelles,

  • bleues en lair, grises terre. Le soleil traverse la capelineruche de Minne, cuit ses paules dun feu si vif quellefrissonne. Les fleurs de panais sauvage font la roue,encensent le passage de Minne dune odeur curante etdouce. Minne se dpche parce que les pointes delherbe, enfiles aux mailles de ses bas, la piquent : sictaient des btes ?

    La prairie ondule creuse des combes o lherbebleuit ; par-dessus la clture demi ruine, les petitesmontagnes rondes et rgulires semblent continuer lahoule du sol

    Est-il bte, cet Antoine, de ne pas mavoir attendue !Sil venait un serpent, pendant que je suis toute seule ?Eh bien, je tcherais de lapprivoiser. On siffle, et ilsviennent. Mais comment saurais-je si cest une vipre ouune couleuvre ?

    Antoine est assis sur les roches plates qui se montrent fleur de terre. Il a vu venir Minne et appuie deux doigts sa tempe, dun air pensif et distingu.

    Cest toi ? dit-il comme au thtre. Cest moi. Quest-ce quon fait ? Moi, rien. Je rflchissais Je ne voudrais pas te dranger.Il tremble de la voir partir et rpond maladroitement qu

    il y a place pour deux dans le verger !

  • Minne sassied par terre, dnoue sa capeline pour quele vent touche ses oreilles Elle considre Antoine avecsoin et sans mnagement, comme un meuble :

    Tu sais, Antoine, je taime mieux comme a, enchemise de flanelle, sans gilet.

    Il rougit une fois de plus. Ah ! tu trouves ? Je suis mieux quen uniforme ? a, oui. Seulement cette cloche de paille te donne

    lair dun jardinier. Merci ! Jaimerais mieux, poursuit Minne sans lentendre,

    une oui, une casquette. Une casquette ! Minne, tu as un grain, tu sais ! Une casquette de cycliste oui Et puis les cheveux

    attends !Elle dtend ses jarrets comme une sauterelle, vient

    tomber genoux contre lui et lui te son chapeau. Troubl,il ramne ses pieds sous lui et devient grossier :

    Vas-tu me fiche la paix, sacre gosse !Elle rit des lvres, pendant que ses yeux srieux

    refltent, tout au fond, les petites montagnes, le ciel blancde chaleur, une branche remuante du prunier Elle peigneAntoine avec un petit dmloir de poche, manie son cousinsans plaisir, sans pudeur, comme un mannequin.

  • Ne bouge donc pas ! L ! comme a les cheveux surle front, et puis bien ramens sur les cts Mais ils sonttrop courts sur les cts Cest gal, cest dj mieux.Avec une casquette carreaux noirs et violets

    Ces derniers mots ont voqu trop vivement lelanguissant dormeur des fortifs ; elle se tait, laisse sonmannequin et sassied sans mot dire. Encore une lune ! songe Antoine.

    Lui non plus ne dit rien, remu de rancune et denvieconfuse. Cette Minne si prs de lui il aurait compt sescils ! ces petites mains maigres, froides comme dessouris, les doigts pointus courant sur les tempes, dans lesoreilles Le grand nez dAntoine palpite, pour rassemblerce qui flotte encore du parfum de verveine citronnelleAssis, humble et mcontent, il attend quelque reprise deshostilits. Mais elle rve, les mains croises, le regardvague devant elle, inattentive la gne dAntoine, salaideur don-quichottesque : grand nez osseux et bon,grands yeux cerns dadolescent, grande bouchegnreuse aux dents carres et solides, teint ingal,enflamm au menton de quelques rougeurs

    Soudain, Minne sveille serre les lvres, tend un doigtpointu :

    L-bas ! dit-elle. Quoi ? Tu le vois ?

  • Antoine rabat en visire son chapeau sur ses yeux,regarde, et bille avec indiffrence :

    Oui, je vois. Cest le pre Corne. Quest-ce qui teprend ?

    Oui, cest lui, chuchote Minne profondment.Elle se dresse sur ses pieds fins, jette en avant des

    bras de Furie : Je le dteste !Antoine sent venir encore une lune . Il prend un

    visage neutre, o la mfiance combat lapitoiement : Quest-ce quil ta fait ? Il ma fait ? Il ma fait quil est laid, que loncle Paul

    lui a prt un morceau de verger pour planter des lgumes,que je ne peux plus venir ici sans rencontrer le pre Corne,qui ressemble un crapaud, qui pleure jaune, qui sentmauvais, qui plante des poireaux, qui qui Dieu ! que jesouffre !

    Elle se tord les bras comme une petite fille qui joueraitPhdre. Antoine craint tout de cette mnade. Mais ellechange de visage, se rassied sur la roche plate, tire sarobe sur ses souliers. Ses yeux prsagent le potin et lemystre

    Et puis, tu sais, Antoine Quoi ?

  • Cest un vilain homme, le pre Corne. Oh ! l, l ! Il ny a pas de oh ! l, l ! dit Minne vexe. Tu

    ferais mieux de me croire et de remonter tes chaussettes.Tout le monde na pas besoin de savoir que tu portes descaleons mauves.

    Ce genre dobservations plonge Antoine dans uneirritation pudique dont Minne se dlecte.

    Et puis, il joue du flageolet dans son lit, le dimanchematin !

    Antoine se roule le dos dans lherbe, comme un ne : Du flageolet ! Non, Minne, tu es tordante ! Il ne sait

    pas ! Je nai pas dit quil savait en jouer. Je te dis quil en

    joue. Clnie la vu. Il est couch, en tricot marron, avec satte abominable, il pleure jaune, ses draps sont sales, et iljoue du flageolet Oh !

    Un frisson dhorreur secoue Minne de la tte auxpieds Les filles, cest toujours un peu maboul ,philosophe tout bas Antoine, qui connat depuis quinze ansle pre Corne, un vieil expditionnaire aux yeux malades,geignard et malpropre, dont le seul aspect suscite chezMinne une sorte de frnsie rpulsive

    Quest-ce quon pourrait bien lui faire, Antoine !

  • qui ? Au pre Corne. Je ne sais pas, moi Tu ne sais jamais, toi ! As-tu un couteau ?Il pose instinctivement la main sur la poche de son

    pantalon. Si ! affirme Minne premptoire. Prte-le !Il ricane, gauche comme un ours devant une chatte Dpche-toi, Antoine !Elle se jette sur lui, plonge une main hardie dans la

    poche dfendue et sempare dun couteau manche debuis Antoine, les oreilles violettes, ne dit mot.

    Tu vois, menteur ! Il est joli, ton couteau ! il teressemble Viens, le pre Corne est parti. On va jouer,Antoine ! on va jouer dans le potager du pre Corne ! Lespoireaux sont les ennemis, les potirons sont lesforteresses : cest larme du pre Corne !

    Elle brandit, comme une petite fe redoutable, lecouteau ouvert ; elle divague tout haut et pitine les laitues :

    Han ! ae donc ! nous tranerons leurs cadavres etnous les violerons !

    Hein ! Nous les violerons, je dis ! Dieu, que jai chaud !

  • Elle se jette plat ventre sur une planche de persil.Antoine, mdus, regarde cette enfant blonde, qui vient deprofrer quelque chose de scandaleux :

    Jentends bien Tu sais ce que a veut dire ? Probable.Ah ?Il te son chapeau, le remet, gratte du talon la terre

    fendille de scheresse Que tu es bte, Antoine ! Tu espres toujours men

    remonter. Cest Maman qui ma expliqu ce que asignifie.

    Cest ma tante qui Un jour, dans une leon, je lisais : Et leurs spultures

    furent violes. Alors, je demande Maman : Quest-ceque cest violer une spulture ? Maman dit : Cestlouvrir sans permission Eh bien, violer un cadavre,cest louvrir sans permission. Tu bisques ? coute lacloche du djeuner ! tu viens ?

    table, Antoine sessuie le front avec sa serviette, boitde grands verres deau

    Tu as bien chaud, mon pauvre loup ? lui demandeMaman.

    Oui, ma tante, nous avons couru ; alors Quest-ce que tu racontes ? crie du bout de la table

  • cette diablesse de Minne. On na pas couru du tout. On aregard le pre Corne qui jardinait !

    Loncle Paul hausse les paules : Il est congestionn ce gamin-l. Mon garon, tu me

    feras le plaisir de te remettre boire de la gentiane : a tefera passer tes boutons.

    * * * Ce melon a du mal descendre, soupire loncle Paul,

    affal dans un fauteuil de canne. Cest lestomac que vous avez faible, dcrte le pre

    Luzeau. Moi, je prends du Combier avant et aprs mesrepas, et je peux manger autant de melon et de haricotsrouges que a me convient.

    Le pre Luzeau, droit et raide dans un complet dechasse en toile kaki, fume sa pipe, lil embusqu sousdes poils rousstres. Ce solide dbris est une faiblesse deloncle Paul qui se rsigne, une fois la semaine, hbergersa stupidit solennelle de vieux chasseur. Le pre Luzeau pipe avec bruit, fleure le cabaret et le sang de livre, etMinne ne laime pas.

    Il a lair dun retre, se dit-elle. On prtend que cest unbrave homme, mais il cache son jeu. Cet il ! il doitenlever des petits enfants et les donner aux porcs.

    Une soire immobile pse sur la campagne. Aprs

  • dner, pour fuir les lampes cernes de moustiques, debombyx bruns coiffs dantennes mphistophliques, depetits sphinx aux yeux doiseaux, fourrs de duvet, lonclePaul et son convive, Minne et Antoine sont venus sasseoirsur la terrasse.

    Le feu de la cuisine, la lampe de la salle mangerdardent sur le jardin deux pinceaux de lumire orange.Les cigales crient comme en plein jour, et la maison, qui abu le soleil par tous les pores de sa pierre grise, resteratide jusqu minuit.

    Minne et Antoine, assis, jambes pendantes, sur le murbas de la terrasse, ne disent mot. Antoine cherche danslobscurit distinguer les yeux de Minne ; mais la nuit estsi dense Il a chaud, il est mal laise dans sa peau, etsupporte patiemment cette sensation trop familire.

    Minne, immobile, regarde devant elle. Elle coute lespas de la nuit froisser le sable du jardin et cre danslombre des figures pouvantables qui la font frmir daise.Cette heure apaise et lourde lemplit dimpatience, et,devant tant de beaut calme, elle voque le Peuple aimque gouvernent ses songes

    Nuit accable, o les mains cherchent le froid de lapierre ! Elle sera, le long des fortifications, emplie de fivreet de meurtre, traverse de sifflements aigus Minne setourne, brusque, vers son cousin :

    Siffle, Antoine !

  • Siffle quoi ? Siffle un grand coup, aussi fort que tu pourras Plus

    fort ! Plus fort Assez ! tu ny connais rien !Elle joint ses mains, fait craquer toutes ses phalanges

    et bille au ciel comme une chatte. Quelle heure est-il ? Il ne va pas sen aller, ce pre

    Luzeau ? Pourquoi ? Il nest pas tard. Tu as sommeil ?Une moue de mpris : sommeil ! Il magace, ce vieux ! Tout tagace aussi ! Cest un brave homme, un peu

    bassinElle hausse les paules et parle droit devant elle dans

    le noir. Tout le monde est un brave homme, avec toi ! Tu nas

    donc pas vu ses yeux ? Va, je sais ce que je sais ! Tu sais peau de balle. Sois convenable, je te prie ! qui crois-tu parler ?

    Le pre Luzeau est un vtran du crime. Un vtran du crime, lui ! Minne, sil tentendait ! Sil mentendait, il noserait plus revenir ici ! Dans sa

    petite cabane de chasseur, il attire des fillettes et puis ilabuse delles, et il les trangle ! Cest comme a que la

  • petite Quenet a disparu. Oh ! Oui.Antoine sent sa cervelle fumer. Il clate voix basse,

    prudemment : Mais cest pas vrai ! Tu sais bien que ses parents ont

    dit quelle tait partie pour Paris en compagnie dun Dun commis voyageur, je sais. Le pre Luzeau les a

    pays pour ne pas raconter la vrit. Ces gens-l, a faittout pour largent.

    Antoine demeure cras une minute, puis son bon sensse rvolte. Il senhardt jusqu saisir, dans ses mainsrudes, les poignets de Minne :

    coute, Minne, on navance pas des horreurs commea sans en tre sre ! Qui ta dit tout a ?

    Le halo argent, autour de la figure invisible de Minne,tremble aux secousses de son rire :

    Ah ! ah ! penses-tu que je serais assez bte pour tedire qui ?

    Elle dgage ses poignets, reprend sa raideur dinfante : Jen sais bien dautres, monsieur ! Mais je nai pas

    assez confiance en vous !Le grand garon tendre et gauche se sent tout de suite

    envie de pleurer, et prend un ton rogue :

  • Pas confiance ! est-ce que jai jamais rapportquelque chose ? Encore ce matin, quand le pre Corne estvenu se plaindre pour ses lgumes abms, est-ce que jaibavard ?

    Il ne manquerait plus que a ! Cest lenfance de lart. Alors ? supplie Antoine. Alors quoi ? Tu me diras encore ?Il a renonc toute parade de ddain, il penche sa

    longue taille vers cette petite reine indiffrente, qui abritetant de secrets sous ses cheveux de poudre blonde

    Je verrai, dit-elle.* * *

    Je peux entrer, Antoine ? crie la voix aigu de Minnederrire la porte.

    Antoine, effar comme une vierge surprise, court dect et dautre en criant : Non ! non ! et chercheperdument sa cravate. Un petit grattement dimpatienceet Minne ouvre la porte :

    Comment non, non ? Parce que tu es en bras dechemise ? Ah ! mon pauvre garon, si tu crois que a megne !

    Minne, en bleu de lin, les cheveux lisses sous le rubanblanc, sarrte devant son cousin, qui noue dune main

  • nerveuse sa cravate enfin retrouve. Elle le dvisage deses profonds yeux noirs, o tremble et se mire lherbe finedes cils. Devant ces yeux-l, Antoine admire et sedtourne. Ils ont la candeur svre quon voit aux yeux desbbs trs jeunes, ceux qui sont si srieux parce quils neparlent pas encore. Leur eau sombre boit les images, et,pour sy tre mir un instant, Antoine, gn en manches dechemise comme un guerrier sans cuirasse, perd touteassurance

    Pourquoi mets-tu de leau sur tes cheveux ?questionne Minne agressive.

    Pour que ma raie tienne, donc ! Ce nest pas joli, a te fait des cheveux plaqus de

    Peau Rouge. Si cest pour me dire a que tu viens me voir quand je

    suis en chemise !Minne hausse les paules. Elle tourne dans la chambre,

    joue la dame en visite, se penche sur une bote vitre,pointe un index :

    Quest-ce que cest que ce papillon-l ?Il se penche, chatouill par les cheveux fins de Minne. Cest un vulcain. Ah !Saisi dun grand courage, Antoine a pris Minne par la

  • taille. Il ne sait pas du tout ce quil va faire ensuiteUn parfum de citronnelle, blond comme les cheveux de

    Minne, lui met sous la langue une eau acide et claire Minne, pourquoi ne membrasses-tu plus en me

    disant bonjour ?Rveille, elle se dgage, reprend son air pur et grave : Parce que ce nest pas convenable. Mais quand il ny a personne ? comme maintenant ?Minne rflchit, les mains pendantes sur sa robe : Cest vrai, il ny a personne. Mais a ne me ferait

    aucun plaisir. Quen sais-tu ?Ayant parl, il seffraie de son audace. Minne ne rpond

    rien Il se remmore, le sang aux joues, un aprs-midi delectures vilaines qui lont laiss, comme en ce moment,vibrant, les oreilles chaudes et les mains geles Minnesemble se dcider tout coup :

    Eh bien, embrasse-moi. Mais il faut que je ferme lesyeux.

    Tu me trouves si laid ?Point touche du cri humble et sincre, elle hoche la

    tte, secoue ses boucles brillantes : Non. Mais cest prendre ou laisser.

  • Elle ferme les yeux, reste toute droite, attend. Ses yeuxnoirs disparus, elle est soudain plus blonde et plus jeune :une fillette endormie Dun lan mal calcul, Antoineatteint sa joue dune bouche goulue, veut recommencerMais il se sent repouss par deux petites mains griffues,tandis que les yeux tnbreux, brusquement dvoils, luicrient sans paroles :

    Va-ten ! tu nas pas su me tromper ! Ce nest paslui !

    * * *Minne dort mal, cette nuit, dun sommeil inquiet

    doiseau. Quand elle sest couche, le ciel bas avanaitlouest comme une muraille noire, lair sec et sableuxdurcissait les narines Loncle Paul, trs mal laise, lefoie gonfl, a cherch en vain une heure de repos sur laterrasse, et puis il est mont de bonne heure, laissantMaman cadenasser les volets, gourmander Clnie : Lapetite porte den bas ? Elle est frome. La lucarne dugrenier ? On louvre jamais. Ce nest pas une raisonJy vais moi-mme

    Pourtant, Minne sest endormie, berce par desroulements sourds et doux Un bref fracas lveille, suividun coup de vent singulier, qui dbute en brisechuchotante, senfle, assaille la maison qui craque toutentire Puis, un grand calme mort. Mais Minne sait quece nest pas fini elle attend, aveugle par les lames de feubleu qui fendent les volets.

  • Elle na pas peur ; mais cette attente physique etmorale la surmne. Ses pieds et ses mains sont anxieux,et le bout de son nez fin remue dune angoisse autonome.Elle rejette le drap, relve ses cheveux sur son front, carleur frlement de fils daraigne lagace crier.

    Une autre vague de vent ! Elle accourt en furie, tourneautour de la maison, insiste, secoue humainement lespersiennes ; Minne entend les arbres gmir Un vacarmecreux couvre leur plainte ; le tonnerre sonne vide et faux,rejet par les chos des petites montagnes Ce nestpas le mme tonnerre qu Paris, songe Minne, plie enchien de fusil sur son lit dcouvert Jentends la porte dela chambre de Maman Je voudrais voir la figuredAntoine ! Il fait le brave devant le monde, mais il a peurde lorage Je voudrais voir aussi les arbres tendre ledos

    Elle court la fentre, guide par les clairs. Aumoment o elle pousse les volets, une lumire foudroyantela frappe, la repousse et Minne croit quelle meurt

    La certitude de vivre lui revient avec lobscurit. Un ventirrsistible lve ses cheveux tout droits, gonfle les rideauxjusquau plafond. Ranime, Minne peut distinguer, dans lalumire fantastique qui jaillit de seconde en seconde, lejardin tortur, les roses qui se dbattent, violaces souslclair mauve, les platanes qui implorent, de leurs mainsde feuilles ouvertes et pouvantes, un ennemi invisible etinnombrable

  • Tout est chang ! songe Minne : elle ne reconnatplus lhorizon paisible des montagnes, dans cettedcoupure de cimes japonaises, tantt verdtres et tanttroses, et quune arborescence tincelante relie tour tourau ciel tragique.

    Minne, visionnaire, slance vers lorage, vers lathtrale lumire, vers le grondement souverain, de touteson me amoureuse de la force et du mystre. Ellecueillerait sans peur ces fougres qui donnent la mort,bondirait sur les nuages ourls de feu, pourvu quun regardoffensant et flatteur, tomb des paupires languissantes duFris, len rcompenst. Elle sent confusment la joie demourir pour quelquun devant quelquun, et que cest l uncourage facile, pourvu que vous y aident un peu dorgueilou un peu damour

    Antoine, la figure dans son oreiller, serre les mchoires fler lmail de ses dents. Lapproche de lorage le rendfou. Il est tout seul, il peut se tordre laise, touffer dans laplume chaude plutt que de regarder les clairs, esprer,avec la ferveur dun explorateur mourant de soif, lespremires gouttes de laverse apaisante

    Il na pas peur, non, pas positivement. Mais cest plusfort que lui Pourtant, la violence extrme de la temptearrive dtacher de lui-mme son goste apprhension.Dress sur son sant, il coute : Sr, a vient de tomberdans le verger ! Minne ! elle doit mourir de peur !

    Lvocation prcise de Minne affole, ple en sa

  • chemise blanche, les cheveux en pluie mle dargent etdor, prcipite dans lme dAntoine un flot de pensesamoureuses et hroques. Sauver Minne ! courir sachambre, ltreindre linstant mme o la voix lui manquepour appeler au secours Ltendre auprs de lui, ranimersous des caresses ce petit corps froid dont la minceur sefminise peine Antoine, les jambes hors du lit, la nuquebaisse pour garer son visage des clairs qui le frappenten gifles, ne sait plus sil fuit lorage, ou sil court chezMinne, quand la vue de ses longues jambes faunesques,dures et velues, arrte son lan : a-t-on ide dun hros enbannire ?

    Pendant quil hsite, tour tour exalt et timide, loragesloigne, samortit en artillerie lointaine Une une, lespremires gouttes dun dluge tombent, rebondissent surles feuilles daristoloche comme sur des tambourinsdtendus Une dpression exquise accable Antoine etglisse dans tous ses membres lhuile bienfaisante de lalchet

    Minne napparat plus sous les traits dune victimemouvante, mais sous laspect, non moins troublant, dunejeune fille en vtement de nuit Prolonger magiquementson sommeil, ouvrir ses bras assouplis, baiser sespaupires transparentes que bleuit le noir cach de sesprunelles

    Recouch au creux du lit tide, Antoine tire sonnervement transform. Sous le petit jour qui vient, gris et

  • rassurant, il va fermer les yeux, possder longuementMinne endormie, la plus jeune, la plus menue de son srailcoutumier, o il lit tantt Clnie, la forte et brune femmede chambre, Polaire aux cheveux courts, mademoiselleMoutardot, qui fut reine du lavoir Saint-Ambroise, et Didon,qui fut reine de Carthage

  • VI

    Antoine et Minne, seuls dans la salle manger sonore,

    gotent, debout prs de la fentre ferme, et regardent,mlancoliques, tomber la pluie. Fine et serre, elle fuit verslest, en voiles lentement remus, comme le pan dune robede gaze qui marche. Antoine assouvit sa faim sur une largeet longue tartine de raisin, o ses dents marquent desdemi-lunes. Minne tient, le petit doigt en lair, une tartineplus mince, quelle oublie de manger pour chercher, l-bas, travers la pluie, plus loin que les montagnes rondes,quelque chose quon ne sait pas cause de la pluiefroide, elle a repris son fourreau de velours vert empire, sacollerette blanche qui suit la ligne tombante des paules.Antoine aime tristement cette robe, qui rajeunit Minne desix mois et fait songer la rentre doctobre.

    Plus quun mois ! et il faudra quitter cette Minneextravagante, qui dit des monstruosits avec un air paisiblede ne pas les comprendre, accuse les gens de meurtre etde viol, tend sa joue veloute et repousse le baiser avecdes yeux de haine Il tient cette Minne de tout son cur,en potache dvergond, en frre protecteur, en amantcraintif, en pre aussi quelquefois par exemple le jour oelle stait coupe avec un canif, et quelle serrait les lvresdun air dur, pour retenir ses larmes Cette journe tristegonfle son cur dune tendresse dont il rougit devant lui-

  • mme. Il tire ses longs bras, glisse un regard vers saMinne blonde, partie si loin Il a envie de pleurer, deltreindre, et scrie :

    Fichu temps !Minne dcroche enfin son regard de lhorizon cendreux

    et le dvisage, silencieuse. Il semporte sans motif : Quest-ce que tu as me regarder, avec un air de

    savoir quelque chose de mal sur mon compte ?Elle soupire, sa tartine mordue au bout des doigts : Je nai pas faim. Mtin ! il est pourtant fameux, le raisin de Clnie !Minne fronce un nez distingu : Il y parat ! Tu manges comme un maon. Et toi comme une petite chipoteuse ! Je nai pas faim pour du raisin aujourdhui. Pour quoi as-tu faim ? du beurre frais sur du pain

    chaud ? du fromage blanc ? Non. Je voudrais une pipe en sucre rouge. Ma tante ne voudra pas, observe Antoine sans autre

    tonnement. Et puis, ce nest pas bon. Si, cest bon ! une pipe en sucre rouge pas trop

    frache, quand le dessus est blanc et un peu mou, et quilny a plus au milieu quun petit tuyau de sucre dur qui

  • craque comme du verre Porte ma tartine sur le buffet :elle magace.

    Il obit et revient sasseoir aux pieds de Minne, sur unechaise basse.

    Parle-moi, Antoine. Tu es mon ami, distrais-moi !Cest bien ce quil craignait. La dignit dami confre

    Antoine une gne extraordinaire. Quand Minne raconte deshistoires dassassinat ou doutrage aux murs, a vabien ; mais parler tout seul, il sen dclare incapable

    Et puis, tu comprends, Minne, un jeune hommecomme moi, a na pas un rpertoire danecdotes pourjeunes filles !

    Eh bien, et moi donc ! riposte Minne blesse. Tefigures-tu que je pourrais te raconter tout ce qui se passe mon cours ? Va, la moiti de ces chipies qui viennent aucours en automobile en remontreraient au pre Luzeau !

    Non ? Si ! Et la preuve cest quil y en a cinq ou six qui ont

    des amants ! Oh ! Tu blagues ! leurs familles le sauraient. Pas du tout, monsieur. Elles sont trop malignes ! Et toi, comment le sais-tu ? Jai des yeux peut-tre !Ah ! oui, elle a des yeux ! Des yeux terriblement srieux

  • quelle penche sur Antoine lui donner le vertige Tu as des yeux, oui Mais leurs parents aussi ! O

    se rencontreraient-elles, tes copines, avec leurs amants ? la sortie des cours, tiens ! rplique Minne

    indmontable. Ils changent des lettres. Ah ! ben vrai ! sils nchangent que des lettres ! Quest-ce que tu as rire ? Eh bien, elles ne courent pas le risque dcoper un

    enfant, tes amies !Minne bat des cils et se mfie de sa science

    incomplte : Je ne dis que ce que je veux dire. Penses-tu que je

    vais livrer la honte llite de la socit parisienne ? Minne, tu parles comme un feuilleton ! Et toi, comme un voyou ! Minne, tu as un sale caractre ! Cest comme a ? je men vais. Eh bien, va-ten !Elle se dtourne, trs digne, et va quitter la chambre,

    lorsquun brusque rayon, jailli dentre les nues, provoquechez les deux enfants le mme ah de surprise : lesoleil ! quel bonheur ! Lombre digite des feuilles demarronnier danse leurs pieds sur le parquet

  • Viens, Antoine ! courons !Elle court au jardin, qui pleure encore, suivie dAntoine

    qui trane ses semelles avec mauvaise grce. Elle longeles alles encore trempes, contemple le jardin rajeuni. Auloin, lchine des montagnes fume comme celle dun chevalsurmen et la terre finit de boire dans un silence fourmillant.

    Devant larbre perruque, Minne sarrte, blouie. Il estpomponn, vaporeux et rose comme un ciel Trianon : de sachevelure en nuages pommels, diamante deau, ne va-t-on pas voir senvoler des Amours nus, de ceux qui tiennentdes banderoles bleu tendre et qui ont trop de vermillon auxjoues et au derrire ?

    Lespalier ruisselle, mais les pches en forme decitrons, quon nomme ttons-de-Vnus, sont demeuressches et chaudes sous leur velours impermable etfard Pour secouer les roses lourdes de pluie, Minne arelev ses manches et montre des bras divoire fluets,iriss dun duvet encore plus ple que ses cheveux ; etAntoine, morose, se mord les lvres en pensant quilpourrait baiser ces bras, caresser sa bouche ce duvetdargent

    La voil accroupie au-dessus dune limace rouge, et lefin bout de ses boucles trempe dans une flaque deau :

    Regarde, Antoine, comme elle est rouge et grenue !On dirait quelle est en sac de voyage !

    Il ne daigne pas pencher son grand nez qui boude.

  • Antoine, sil te plat, retourne-la : je voudrais savoir silfera beau demain.

    Comment ? Cest Clnie qui ma appris : si les limaces ont de la

    terre au bout du nez, cest signe de beau temps. Retourne-la, toi ! Non, a me dgote.En grognant, pour sauvegarder sa dignit, Antoine

    retourne, dun brin de bois, la limace qui bave et se crispe.Minne est trs attentive :

    quel bout est son nez, dis ?Accroupi prs delle, Antoine ne peut dfendre son

    regard de glisser vers les chevilles de Minne, sous le juponblanc feston, jusquaux dents brodes du petit pantalonLe vilain animal, en lui, tressaille : il songe quun gestebrusque renverserait Minne dans lalle humide Mais ellese lve dun bond :

    Viens, Antoine ! nous allons ramasser des courgellessous le cornouiller !

    Rose danimation, elle lentrane vers le potager lav etreconnaissant. La tle gondole des choux dborde depierreries, et les arbres fins qui portent la graine desasperges balancent un givre rutilant

    Minne ! un escargot ray ! Regarde : on dirait un

  • berlingot.EscargotManigot,

    Montre-moi tes cornes !Si tu m les montres pas,

    J te ferai prendrePar ton pre,Par ta mre,

    Par le roi de France !Minne chante la vieille ronde de sa voix haute et pure,

    puis sinterrompt soudain : Un escargot double, Antoine ! Comment double ?Il se baisse et reste penaud, nosant toucher les deux

    escargots accols, ni regarder Minne qui se penche : Ny touche pas, Minne ! cest sale ! Pourquoi sale ? Pas plus sale quune amande ou une

    noisette Cest un escargot philippine !* * *

    Aprs cette grande pluie, la chaleur est revenue brutale, peine supportable, et la Maison Sche a referm sespersiennes.

  • Comme le dit Maman, dolente dans ses percalesclaires : La vie nest plus possible ! Loncle Paul tuedans sa chambre les lentes heures du jour, et la salle manger sombre, pleine dchos et de craquements, abritede nouveau Minne alanguie, Antoine bienheureux Il estassis en face de sa cousine et dispose mollement lestreize paquets de cartes dune patience. Il est ravi davoirdevant lui Minne change, qui a relev hardiment sescheveux en chignon haut pour avoir frais . Elle dcouvre,en tournant la tte, une nuque blanche, bleute comme unlis dans lombre, o des cheveux impalpables, chappsdu chignon, se recroquevillent avec une grce vgtale.

    Sous cette coiffure qui la dguise en dame , Minneparade dun air ais et tranchant, qui relgue loin Antoineet ses essais dlgance : pantalon de coutil blanc,chemise en tussor, ceinture haute bien sangle Sansquil sen doute, avec sa chemise de soie rouge, sescheveux noirs et son teint hl, il ressemble terriblement un cow-boy du Nouveau-Cirque. Pour la premire fois,Antoine prouve lindigence des moyens de plaire, et quunamoureux ne saurait tre beau, sil nest aim

    Minne se lve, brouille les cartes : Assez ! il fait trop chaud !Elle sen va aux volets clos, applique son il au trou

    rond quy fora un taret, et assiste la chaleur comme uncataclysme :

  • Si tu voyais ! Il ny a pas une feuille qui bouge Et lechat de la cuisine ! il est fou, cet animal, de se cuirecomme a ! Il attrapera une insolation, il est dj tout platTu peux me croire, je sens la chaleur qui me vient danslil par le trou du volet !

    Elle revient en agitant les bras pour faire de lair etdemande :

    Quest-ce quon va faire, nous ? Je ne sais pas Lisons Non, a tient chaud.Antoine enveloppe du regard Minne, si mince dans sa

    robe transparente : a ne pse pas lourd, une robe comme a ! Encore trop ! Et pourtant je nai rien mis dessous,

    presque : tiensElle pince et lve un peu lourlet de sa robe, comme une

    danseuse excentrique. Antoine entrevoit les bas de filhavane, ajours sur la cheville nacre, le petit pantalondentel, serr au-dessus des genoux Les cartes patience, chappes de ses mains tremblantes, glissent terre

    Je ne serai pas si bte que la dernire fois, songe-t-il,affol.

    Il avale un grand coup de salive et russit feindre

  • lindiffrence : a, cest pour en bas Mais tu as peut-tre chaud

    par en haut, dans ton corsage ? Mon corsage ? Jai juste ma brassire et ma chemise

    en dessous tte !Elle soffre de dos, la tte tourne vers lui, cambre et

    les coudes levs. Il tend des mains rapides, cherche laplace plate des petits seins Minne, quil a effleure peine, saute loin de lui, avec un cri de souris, et clate dunrire secou qui lui emplit les yeux de larmes :

    Bte ! bte ! Oh ! a, cest dfendu ! ne me touchejamais sous les bras ! je crois que jaurais une attaque denerfs !

    Elle est nerve, il la croit provocante, et dailleurs il afrl, sous les bras moites de la fillette, un tel parfumToucher la peau de Minne, la peau secrte qui ne voitjamais le jour, feuilleter les dessous blancs de Minnecomme on force une rose oh ! sans lui faire de mal, pourvoir Il sefforce la douceur, en se sentant des mainssingulirement maladroites et puissantes

    Ne ris pas si haut ! chuchote-t-il en avanant sur elle.Elle se remet lentement, rit encore en frissonnant des

    paules, et sessuie les yeux du bout des doigts : Tiens, tu es bon, toi ! je ne peux pas men empcher !

    ne recommence pas, surtout ! Non, Antoine, ou je crie !

  • Ne crie pas ! prie-t-il trs bas.Mais, comme il continue davancer, Minne recule, les

    coudes serrs la taille pour garantir la placechatouilleuse. Bientt bloque contre la porte, elle syarcboute, tend des mains qui menacent et supplientAntoine saisit ses poignets fins, carte ses bras peureux etsonge alors que deux autres mains lui seraient en cemoment bien utiles Il nose pas lcher les poignets deMinne incertaine, silencieuse, dont il voit bouger les yeuxcomme une eau remue

    Des cheveux envols frlent le menton dAntoine, y

    suscitent une dmangeaison enrage qui se propage surtout son corps en flamme courante Pour lapaiser, sanslcher les poignets de Minne, il carte davantage les bras,se plaque contre elle et sy frotte la manire dun chienjeune, ignorant et excit

    Une ondulation de couleuvre le repousse, les poignetsfins se tordent dans ses doigts comme des cous decygnes trangls :

    Brutal ! Brutal ! Lche-moi !Il recule dun saut contre la fentre, et Minne reste

    contre la porte o elle semble cloue, mouette blanche auxyeux noirs et mobiles Elle na pas bien compris. Ellesest sentie en danger. Tout ce corps de garon appuy ausien, si fort quelle en sent encore les muscles durs, les os

  • blessants Une colre tardive la soulve, elle veut parler,injurier, et clate en grosses larmes chaudes, cache dansson tablier relev

    Minne !Antoine, stupfait, la regarde pleurer, tourment de

    chagrin, de remords, et de la crainte aussi que Mamanrevienne

    Minne, je ten supplie ! Oui, sanglote-t-elle, je dirai je diraiAntoine jette son mouchoir terre, dun mouvement

    rageur : Naturellement ! Je le dirai Maman ! Les filles

    sont toutes les mmes, elles ne savent que rapporter ! Tune vaux pas mieux que les autres !

    Instantanment, Minne dcouvre un visage offens oles cheveux et les larmes ruissellent ensemble.

    Oui, tu crois a ? Ah ! je ne suis bonne qurapporter ? Ah ! je ne sais pas garder de secrets ? Il y ades filles, monsieur, quon brutalise et quon insulte

    Minne ! Et qui en ont plus lourd sur le cur que tous les

    collgiens du monde !Ce vocable innocent de collgien pique Antoine

    lendroit sensible. Collgien ! cela dit tout : lge pnible,

  • les manches trop courtes, la moustache pas assez longue,le cur qui gonfle pour un parfum, pour un murmure dejupe, les annes dattente mlancolique et fivreuse Lacolre brusque qui chauffe Antoine le dlivre de sa troubleivresse : Maman peut entrer, elle trouvera cousin et cousinedebout lun devant lautre, qui se mesurent avec ce gestedu cou familier aux coqs et aux enfants rageurs. Minnesbouriffe, comme une poule blanche, le chignon enbataille, mousselines froisses ; Antoine, en nage, relveses manches de soie rouge de la manire la moinschevaleresque Et Maman parat, arbitre en percaleclaire, portant sur ses mains ouvertes deux assiettes deprunes blondes

    * * *Ce soir-l, Minne rve dans sa chambre avant de se

    dshabiller. Autour dun ruban blanc, elle roule lentement ladernire boucle de sa chevelure et demeure immobile,debout, les yeux ouverts et aveugles sur la flamme de lapetite lampe. Tous ses cheveux rouls, lis de rubansblancs, la coiffent bizarrement de six escargots dor, deuxsur le front, deux sur les oreilles, deux sur la nuque, et luidonnent un air de villageoise frisonne

    Les volets clos enferment lair pesant, et lon entenddistinctement, dans lpaisseur de leur bois, le prcieuxtravail du ver. Si lon ouvrait, les moustiques se rueraientvers la lampe, chanteraient aux oreilles de Minne, quibondirait comme une chvre, et marbreraient ses joues

  • dlicates de piqres roses et boursouflesMinne rve, au lieu de se dshabiller, bouche pensive,

    yeux fixes et noirs o se mire, toute petite, limage de lalampe, beaux yeux somnambuliques sous les sourcils develours blond, dont la courbe noble prte tant de srieux cette figure enfantine

    Minne pense Antoine, laffolement qui le renditsoudain si brutal et si tremblant. Elle ne sait gure jusquoft alle la lutte, mais elle voue au collgien une sourderancune de ce quil fut, cet instant-l, Antoine et non unautre. Elle en souffre, seule devant elle-mme, comme pourun inconnu quelle et embrass par mprise danslobscurit. Point dindulgence, mme physique, pour lepauvre petit mle ardent et maladroit : Minne proteste, detout son tre, contre une erreur sur la personne. Car, si lenonchalant dormeur du boulevard Berthier ft sorti, aupassage de Minne, de son menaant sommeil, si lesmains fines et moites eussent saisi les poignets de lapetite fille et quun corps trop souple, fleurant la paresse etle sable chaud, se ft tir contre le sien, Minne frmit pressentir quun tel assaut, renforc de gestes doux, deregards insultants, let trouve soumise, peinetonne

    Il faut attendre, attendre encore , songe-t-elleobstinment. Il svadera de sa prison et reviendramattendre au coin de lavenue Gourgaud. Alors je partiraiavec lui. Il mimposera son peuple, il membrassera sur

  • la bouche devant tous, pendant quils gronderontdenvie Notre amour crotra dans le pril quotidien LaMaison Sche craque. Aussi lger quune robe tranante,un vent chaud balaie, dehors, les fleurs tombes du jasminde Virginie

    * * * On aurait vu des choses plus ridicules ! conclut

    Antoine en lui-mme. Il pointille lencre le bois de sonpupitre, mord son porte-plume en merisier odorant. Lethme latin lcure presque physiquement ; il prouveprmaturment cette dfaillance de la rentre, qui blmitles collgiens au matin du premier octobre mesureque septembre scoule, lme dAntoine se tournedsesprment vers Minne, Minne blanche aux refletsdors, Minne, image rafrachissante dun juillet libre, dunbeau mois neuf et brillant comme une monnaie vierge,Minne fuyante, insaisissable autant que lheure mme,Minne et les vacances ! Oh ! garder Minne, saffiner peu peu au contact de sa duplicit voile de candeur ! Il y abien une solution, un arrangement, une conclusionlumineuse et naturelle On a vu, se rpte-t-il pour lavingtime fois, des choses plus ridicules que desfianailles longue chance entre un garon de dix-huitans et une jeune fille de quinze Dans les famillesprincires, par exemple Mais quoi bon argumenter ?Minne voudra ou ne voudra pas, voil tout. Le hochementde tte dune petite fille aux cheveux dor peut suffire changer le monde

  • Onze heures sonnent. Antoine sest lev, tragique,comme si cette pendule Louis-Philippe sonnait son heuredernire La glace de la chemine lui renvoie limagersolue dun grand diable au nez aventureux, dont les yeux,sous labri touffu des sourcils, disent Vaincre oumourir ! Il franchit le corridor, frappe chez Minne dundoigt assur Elle est toute seule, assise, et fronce un peules sourcils parce quAntoine a claqu la porte.

    Minne ? Quoi ?Elle na dit quun mot. Mais ce mot, mais cette voix

    signifient tant de mchantes choses sches, de dfiance,de politesse exagre Le vaillant Antoine ne faiblit pas :

    Minne ! Minne maimes-tu ?Habitue aux faons incohrentes de ce sauvage, elle

    le regarde de profil, sans tourner la tte. Il rpte : Minne, maimes-tu ?Une intraduisible expression dironie, de piti

    ngligente, dinquitude, anime cet il noir, coul en coinentre les cils blonds ; un sourire fugitif tire la bouchenerveuse En une seconde, Minne a revtu ses armes.

    Si je taime ? Bien sr que je taime ! Je ne te demande pas si cest bien sr ; je te

    demande si tu maimes ?

  • Lil noir sest dtourn. Minne regarde la fentre et nemontre quun profil presque irrel de fragilit, aux lignesfondues dans la lumire dore

    Fais attention, Minne. Cest une chose trs grave queje veux te dire. Cest aussi une chose trs grave que tu vasrpondre Minne, est-ce que tu maimerais assez pourmpouser plus tard ?

    Cette fois, elle a boug ! Antoine voit, en face de lui,une sorte dange ttu, dont les yeux menaants parlaientdj avant que sa voix et rpondu :

    Non.Il ne ressent pas, dabord, la douleur physique prvue,

    la douleur espre qui let empch de penser. Il aseulement limpression que son tympan crev laisse sacervelle semplir deau, mais il fait bonne figure.

    Ah ?Minne juge superflue une seconde rponse. Elle guette

    Antoine en dessous, la tte penche. Lun de ses pieds,avanc, bat le parquet imperceptiblement.

    Est-ce indiscret, Minne, de te demander les raisonsde ton refus ?

    Elle soupire, dun long souffle qui soulve, comme desplumes, les cheveux gars sur ses joues. Elle mord,pensive, longle de son petit doigt, considre amicalementle malheureux Antoine qui, raide comme la parade,

  • laisse stoquement la sueur rouler le long de ses tempes, etdaigne enfin rpondre :

    Cest que je suis fiance.Elle est fiance. Antoine na rien pu obtenir de plus.

    Toutes les questions ont chou devant ces yeux sansfond, cette bouche serre sur un secret ou sur unmensonge Seul prsent dans sa chambre, Antoinecrispe ses mains dans ses cheveux et essaie derflchir

    Elle a menti. Ou bien elle na pas menti. Il ne sait, desdeux, quel est le pire. Les filles, cest terrible ! songe-t-ilingnument. Des lambeaux de romans passent toutimprims devant ses yeux : La cruaut de la femme, laduplicit de la femme, linconscience fminine Ils ontpeut-tre souffert, ceux qui crivaient cela , pense-t-il avecune piti soudaine Mais au moins ils ont fini de souffrir,et, moi, je commence Si jallais demander la vrit ma tante ? Il sait bien quil nira pas, et ce nest passeulement la timidit qui larrte, cest que tout lui est sacrqui lui vient de Minne. Confidences, mensonges, aveux :les prcieuses paroles de Minne Antoine doiventsenfouir en lui, dpt inestimable quil gardera contretous

    Minne est fiance ! Il se rpte ces trois mots avecun dsespoir respectueux, comme si sa Minne blondeavait conquis un grade notable ; il dirait peu prs demme : Minne est chef descadron , ou bien : Minne

  • est premire en thme grec. Ce nest pas sa faute, cetamant sincre, sil na que dix-huit ans.

    Cest un pitoyable corps qui se roule, demi vtu, sur lelit dAntoine. Le pauvre enfant peine, dans ses soupirs debcheron, comprendre ceci : que la douleur peutenfivrer les sens, et quil lui faudra longtemps mrir, sansdoute, pour souffrir purement.

  • VII

    Minne est malade. La maison sagite en silence ;

    Maman a des yeux rouges dans une figure tire. LonclePaul a parl de fivre de croissance, de mauvais moments passer, dembarras gastrique, maman perd la tte. Sachrie, son petit soleil, son poussin blanc a la fivre etreste couche depuis deux jours

    Antoine erre, prt saccuser de tout ce qui arrive ; parla porte entrebille, il glisse dans la chambre de Minneson long museau ; mais ses gros souliers craquent et des chut ! chut ! le chassent jusquau bas de lescalier. peine a-t-il entrevu Minne couche, ple, dans le lit persebleue et verte Elle boit un peu de lait, trs peu, avec unpetit bruit de ses lvres sches, puis retombe et soupireSauf le cerne mauve des yeux, et ce pli au coin des ailesfines du nez, on la croirait couche par caprice. Seulement,le soir, quand Maman a tir les rideaux, allum la veilleusedans le verre bleu, voil que Minne soupire plus fort, remueles mains, sassoit, se recouche, et commence murmurerdes choses indistinctes : Il dort il fait semblant dedormir la reine, la reine Minne , de courtes phrasespuriles, enfin, la manire dun enfant qui rve haut

    Par une aube de brouillard rouge, qui sent la moussehumide, le champignon et la fume, Minne sveille, endclarant quelle se sent gurie. Avant que Maman en croie

  • sa joie, Minne bille, montre une langue plotte mais pure,stire longue, longue, dans son lit, et pose cent questions : Quelle heure est-il ? o est Antoine ? est-ce quil faitbeau ? est-ce que je peux avoir du chocolat ?

    Le surlendemain, elle dguste au bout dune mouillettele lait blanc et la crme jaune dun uf la coque. Minne,gourmande, bien cale entre deux oreillers, joue laconvalescente. Lair dlicieux, par la fentre ouverte, gonfleles rideaux et fait penser la mer

    Minne se lvera demain. Aujourdhui, il fait humide etles feuilles pleuvent. Le vent douest chante sous lesportes, avec une voix dhiver, une voix qui donne envie decuire des chtaignes dans la cendre. Minne serre sur sespaules un grand chle de laine blanche, et ses cheveuxnatts dcouvrent ses oreilles de porcelaine rose. Elleadmet Antoine lui tenir compagnie, et il en tmoigne unegratitude discrte de chien trouv. Le menton amenuis deMinne lattendrit aux larmes il voudrait prendre cette petitedans ses bras, la bercer et lendormir Pourquoi faut-ilquil lise, dans les yeux noirs mystrieux, tant de malice etsi peu de confiance ? Antoine a dj lu haute voix, parlde la temprature, de la sant de son pre, du dpartproche, et ce regard pntrant ne dsarme pas ! Il vareprendre le roman commenc ; mais une main effile setend hors du lit, larrte :

    Assez, prie Minne. a me fatigue. Tu veux que je men aille ?

  • Non Antoine, coute ! Je nai confiance, ici, quentoi Tu peux me rendre un grand service.

    Oui ? Tu vas crire une lettre pour moi. Une lettre que

    Maman ne doit pas voir, tu comprends ? Si Maman me voitcrire dans mon lit, elle pourrait demander qui jcrisToi, tu cris l, cette table, tu me tiens compagnie,personne na rien y voir Je voudrais crire monfianc.

    Elle peut guetter, ce coup, la figure de son cousin :Antoine, trs en progrs, na pas bronch. vivre prs deMinne, il a gagn le sens de lextraordinaire et du variable.Simple comme la frocit de Minne, cette ide latravers : Je vais crire sans faire semblant de rien ;alors, je saurai qui il est et je le tuerai.

    Sans parler, il suit, docile, les instructions de Minne. Dans mon buvard, non, pas ce papier-l du blanc

    sans chiffre, nous sommes obligs de prendre tant deprcautions, lui et moi !

    Lorsquil sest assis, quil a humect la plume neuve,affermi le sous-main, elle dicte :

    Mon bien-aimIl ne tressaille pas. Il ncrit pas non plus. Il regarde

    Minne profondment, sans colre, jusqu ce quellesimpatiente.

  • Eh bien, cris donc ! Minne, dit Antoine dune voix change et lente,

    pourquoi fais-tu cela ?Elle croise sur sa poitrine son chle blanc, dun geste

    de dfiance. Une motion nouvelle rosit ses jouestransparentes. Antoine lui parat trange, et cest son tourde le regarder, dun air lointain et divinateur. Peut-tredcouvre-t-elle, travers lui, linstant dun regret, lAntoinequil sera dans cinq ou six ans, grand, solide, laise danssa peau comme dans un vtement sa taille, nayantgard daujourdhui que ses doux yeux de brigand noir ?

    Pourquoi, Minne ? Pourquoi me fais-tu cela ? Parce que je nai confiance quen toi.Confiance ! elle a trouv le mot qui suffit abmer la

    volont dAntoine Il obira, il crira la lettre, soulev parce flot de lchet sublime qui a absous tant de mariscomplaisants, tant damants humbles et partageurs

    Mon bien-aim, que tes chers yeux ne stonnentpas dune criture qui nest pas la mienne. Je suis maladeet quelquun de dvou La voix de Minne hsite,semble traduire mot mot un texte difficile

    quelquun de dvou veut bien te donner de mesnouvelles, pour que tu te rassures, que tu te donnes tout ta dangereuse carrire

    Sa dangereuse carrire ! rumine Antoine. Il est

  • chauffeur ? ou sous-dompteur chez Bostock ? Tu y es, Antoine ? Ta dangereuse carrire. Mon

    bien-aim quand me retrouverai-je dans tes bras etrespirerai-je ta chre odeur ?

    Une grande vague amre emplit le cur de celui quicrit. Il endure tout cela comme un rve pnible, dont onsouffre mourir en sachant que cest un rve.

    Ta chre odeur Je voudrais parfois oublier que jefus toi Tu y es, Antoine ?

    Il ny est pas. Il tourne vers elle une figure de noy, unefigure enlaidie et suffoque qui irrite Minne sur-le-champ :

    Eh bien, va donc !Il ne va pas. Il secoue la tte comme pour chasser une

    mouche Tu ne dis pas la vrit, dit-il enfin. Ou bien tu perds la

    tte. Tu nas pas appartenu un homme.Rien plus que lincrdulit ne peut exasprer Minne. Elle

    ramasse sous elle, avec une grce brusque, ses jambescaches. Les lumineux yeux noirs, dvoils, accablentAntoine de leur colre :

    Si ! crie-t-elle, je lui ai appartenu ! Non ! Si ! Non !

  • Si !Et elle jette comme un argument sans rplique : Si ! je te dis, puisque cest mon amant !Leffet, sur Antoine, dun mot aussi catgorique est au

    moins surprenant. Toute son attitude obstine et tenduesassouplit. Il pose son porte-plume, soigneusement, aubord de lencrier, se lve sans renverser sa chaise etsapproche du lit o trpide Minne. Elle ne fait pas attentionquaux prunelles dAntoine luit la singulire et fauvedouceur dune bte qui va bondir

    Tu as un amant ? tu as couch avec lui ? demande-t-iltrs bas.

    Comme sa voix appuie, presque mlodieuse, sur lesderniers mots ! La vive rougeur de Minne avoue, croit-il,sa faute.

    Certainement, monsieur ! jai couch avec lui ! Oui ? O donc ?Par un renversement des rles quelle naperoit pas,

    cest Minne qui rpond, embarrasse, un Antoineagressif plein dune lucidit quelle navait point prvue

    O ? a tintresse ? a mintresse. Eh bien ! la nuit sur le talus des fortifications.

  • Il rflchit, fixe sur Minne des yeux rapetisss etprudents.

    La nuit sur le talus Tu sortais de la maison ? tamre nen sait rien ? non, je veux dire : cest quelquundont tu ne pouvais expliquer la prsence chez ta mre ?

    Elle rpond oui dun grave hochement de tte. Quelquun de condition infrieure ? Infrieure !Redresse, tremblante, elle le foudroie du sombre clat

    de ses yeux grands ouverts, ses nobles petites narines,serres et farouches, palpitent. Infrieur ! Infrieur, cetami silencieux et menaant, dont le corps souple jet entravers du trottoir, feignait une mort gracieuse ! Narcisseen jersey ray, vanoui au bord dune source Infrieur, lehros de tant de nuits, qui cache sous ses vtements lecouteau tide et porte les marques roses de tant donglespouvants !

    Je te demande pardon, Minne, dit Antoine trs doux.Mais tu parles de dangereuse carrire Quest-ce quilfait donc, ton ton ami ?

    Je ne peux pas te le dire. Une dangereuse carrire, poursuit Antoine

    patiemment, cauteleusement Il y en a beaucoup dedangereuses carrires Il pourrait tre couvreur ouconducteur dautomobile

  • Elle arrte sur lui des yeux meurtriers : Tu veux le savoir, ce quil fait ? Oui, jaimerais mieux Il est assassin.Antoine hausse ses sourcils de Mphistophls

    dpartemental, ouvre une bouche badaude et part dunjeune clat de rire. Cette bonne grosse plaisanterie leremet, et il tape sur ses cuisses dun air plus convaincu quedistingu

    Minne frmit ; dans ses yeux, o se mire un couchantrouge de septembre, passe lenvie distincte de tuerAntoine

    Tu ne me crois pas ? Si si Oh ! Minne, quelle toque tu fais !Minne ne connat plus de raison, ni de patience : Tu ne me crois pas ? Et si je te le montrais ! Si je te le

    montrais vivant ? Il est beau, plus beau que tu ne serasjamais, il a un jersey bleu et rouge, une casquette carreaux noirs et violets, des mains douces comme cellesdune femme ; il tue toutes les nuits daffreuses vieilles quicachent de largent dans leur paillasse, des vieuxabominables qui ressemblent au pre Corne ! Il est chefdune bande terrible, qui terrorise Levallois-Perret. Ilmattend, l