classes moyennes en afrique : consommer dans un environnement incertain

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    ______________________________________________________________________

    Consommerdans un environnement incertain

    Le paradoxe des classes moyennes africaines__________________________________________________________________

    Hlne Qunot-Suarez

    Mars 2012

    .

    NNoottee ddee ll II ff rr ii

    ProgrammeAfrique subsaharienne

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    Sommaire

    INTRODUCTION ................................................................................... 3

    PEUT-ON PARLER DE CLASSES MOYENNES EN AFRIQUE ? ............... 7

    Le terme de classe ne convient pas ................................................ 7

    Classe moyenne locale, classe moyenne globale :des ralits diffrentes ............................................................................ 9

    Un groupe trs disparate ...................................................................... 11CONSOMMER EN TOUTE SECURITE : ACHAT ET LIEN SOCIAL ................ 17

    Supermarchs : laccs une consommation loccidentale ? ............................................................................... 17

    Traditionnel et informel :la consommation comme patrimoine social ....................................... 19

    La grande modernit de systmes souples ...................................... 20Rseaux alternatifs et de seconde main .......................................... 23

    STRATEGIES DE SECURISATION ET DE TRANSMISSION :

    LA RECHERCHE DE LAUTONOMIE ....................................................... 27Futurs incertains .................................................................................... 27

    Investir dans la pierre : une stratgie de longue dure ............... 29

    CONCLUSION .................................................................................... 37

    Un continent encore loin dtre unifi ................................................. 37

    De nouveaux dfis ................................................................................. 39

    BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE................................................................ 43

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    Introduction

    300 millions1 de personnes appartenant aux classes moyennesafricaines, autant de consommateurs potentiels : limage peut fairerver plus dun entrepreneur. De fait, alors que lafro-pessimismeavait prvalu pendant de longues annes au sein de lopinion publi-que occidentale, cest maintenant un afro-optimisme excessif quisemble tre le nouveau catchisme en vogue, dans les mdiascomme dans les milieux conomiques.

    Lvolution conomique du continent permet de fait dtreoptimiste. Cependant, il faut mesurer la solidit des fondements de lacroissance africaine : si le continent connat effectivement une crois-sance moyenne annuelle de 5 % de son PIB, celui-ci reste cependantmodeste. En outre, comme nous allons le voir, la croissance et ledynamisme conomiques sont trs ingalement rpartis et ce, toutes les chelles considres.

    Figure 1 : Croissance moyenne du PIBen Afrique subsaharienne (en %)

    Source : World Bank, Africa Development Indicators 2011, 2011, p. 9,http://data.worldbank.org/sites/default/files/adi_2011-web.pdf

    Hlne Qunot-Suarez est chercheur au programme Afrique subsaharienne de lIfri.1 Les chiffres varient selon les modes de dfinition de la catgorie classemoyenne , nous le verrons dans la premire partie de cette note.

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    Afrique subsaharienne

    Afrique subsaharienne,

    Afrique du Sud exclue

    http://data.worldbank.org/sites/default/files/adi_2011-web.pdfhttp://data.worldbank.org/sites/default/files/adi_2011-web.pdfhttp://data.worldbank.org/sites/default/files/adi_2011-web.pdf
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    Loptimisme affich propos du continent procde au moinsautant dun changement de perspective sur le continent que de sondveloppement effectif. Le continent des catastrophes , que lonplaint et/ou victimise est apparu, dans un contexte internationalrenouvel, comme la dernire frontire pour les investisseurs. Lesclasses moyennes africaines, pallient, aux yeux des investisseurs, lafaiblesse de leurs revenus par leur nombre et par le fait que lesmarchs sont encore largement construire.

    Limage de lAfrique qui progresse peut donc tre lersultat dune entreprise peut-tre cynique et tout aussi factice queson pendant afro-pessimiste de lgitimation de la conqute denouveaux marchs. Cette lgitimation passe par la minimisation dessituations de catastrophe, dont la trop grande visibilit rendrait aumoins trs contestable aux yeux du public, en particulier occidental,la volont des grandes firmes de conqurir le march. Danslensemble, dailleurs, limage du continent est largement le rsultat

    des choix des mdias : lactuelle crise alimentaire en Afrique de lEstsouffre dun silence tout fait assourdissant dans les mdias occi -dentaux alors que les crises alimentaires des annes 1980 avaientbnfici dune grande couverture mdiatique, en particulier du faitde leur irruption sur la scne internationale en fin danne2.

    Lmergence dune classe moyenne, laccs de la populationafricaine des biens et services de plus en plus nombreux sont bienrels mais ne doivent pas conduire un optimisme bat : le continentest vaste et les situations rgionales et nationales sont extrmementvaries. Par ailleurs, en labsence de rgulation et de scurisationpolitiques fortes, la croissance conomique, mme forte, garde dans

    une majorit de situations nationales des lments de fragilit.Parler des classes moyennes dans ce contexte de crois-

    sance conomique renvoie limage que la situation du continentafricain tend, aux yeux du monde, se normaliser . Pourtant, lessituations restent trs variables dune zone lautre. Les classesmoyennes oscillent entre le dsir de consommer et linquitude face ces lendemains peu scuriss. Cette histoire lourde, dans descontextes toujours difficiles et avec une croissance conomiquerapide est donc autant de facteurs qui modlent une attitude ambi-valente et complexe de la population accdant au statut de classe moyenne vis--vis de la consommation.

    2 thiopie, novembre-dcembre 1984 ; Sud-Soudan, dcembre 1988 ; Somalie,dcembre 1992. Voir Alex de Waal, Dix ans de famines dans la Corne de lAfrique :un premier bilan de laction humanitaire , Politique Africaine, n 50, juin 1993, p. 74-87 : Lun des traits les plus importants et les plus marquants de ces crises est lemoment auquel elles sont intervenues : toutes ont eu lieu entre une lectionprsidentielle amricaine et la fin de lanne. Les semaines qui suivent llection oula rlection dun candidat la prsidentielle dvou la cause de lenrichissementde tous et la lutte contre la rcession intrieure, alors que Thanksgiving et Nolapprochent, constituent une priode o la conscience politique amricaine est la plusvulnrable (p. 74).

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    Il ne sagit pas ici de faire un tat des lieux de ce que lesclasses moyennes consomment mais plutt danalyser quelquespoints clslachat comme lment de socialisation et la question dela scurisation par exemplequi permettent dexpliquer au moins enpartie les choix oprs par cette population et de comprendre sonpositionnement social.

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    Peut-on parler de classesmoyennes en Afrique ?

    Le terme de classes moyennes est souvent utilis au pluriel dansle langage courant, comme pour rappeler implicitement quel point leconcept est flou. Satteler une dfinition nest donc pas seulementun exercice acadmique, cest galement et surtout une nces-sit pour comprendre les dynamiques luvre au sein des popu-

    lations africaines.Par ailleurs, sobliger dfinir les classes moyennes permet

    didentifier ses implications en termes idologiques et en termes dereprsentation du monde. Cela permet, au moins partiellement, de nepas plaquer un concept historiquement trs li lconomie indus-trielle occidentale un continent qui na pas du tout eu la mmetrajectoire.

    Le terme de classe ne convient pas

    Le premier problme rencontr, en franais, est lut ilisation du termede classe , trs connot historiquement et idologiquement. La classe moyenne est un concept qui a t cr pour tenter de dfi-nir lmergence dun nouveau type de travailleurs , une nouvellecatgorie de salaris lis la modernisation de la structure deproduction industrielle 3. Il sagissait alors de pouvoir dcrire destravailleurs qui nappartiennent pas la classe ouvrire, parce quilsnont pas le mme type demploi, la mme culture ni la mmeconscience de classe mais qui nont pas pour autant un patrimoinesuffisant pour tre dfinis comme bourgeoisie . Lexpression sins-crit donc dans un contexte conomique et industriel trs particulier etspcifiquement occidental.

    Le problme de dfinition est compliqu par le fait que leterme classes moyennes recouvre des ralits diffrentes selonles langues. Ainsi, l'analyse de middle class anglo-saxonne nemet pas l'accent sur les mmes points que l'analyse franaise. LesAnglo-Saxons mettent plus l'accent sur les modes de vie et laconsommation quand la dmarche franaise tend donner plus

    3 Catherine Bidou-Zachariasen, Les classes moyennes : dfinitions, travaux etcontroverses , ducation et socit, 2/2004 (n14), p. 119-134.

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    dimportance au revenu et au patrimoine. Les Anglo-Saxons ont enconsquence dvelopp des descripteurs fins tels que lower middleclass ou upper middle class qui n'existent pas en franais4.

    Quen est-il dans des pays non occidentaux ? En Chine, par

    exemple, lhistoire idologique interdit presque de parler de classemoyenne . Cest une sorte daberration smantique : commentconcevoir une classe moyenne dans une pense marxiste o laclasse ouvrire, rvolutionnaire, soppose au capital? Lexpression revenu moyen (zhongden shouru) na t autorise par leCongrs du parti quen 20025. On voit aisment la limite de cetteexpression autorise , qui ne se rfre quau patrimoine et met dect les pratiques et la culture.

    Lapplication du terme une socit non occidentale permetde mettre en valeur ses sens implicites. Ainsi, le terme dsigne danslOccident postindustriel la majorit des membres de la socit. Ce

    nest pas le cas en Chine, o la part de la classe moyenne nedpasse pas 20 % de la population, prsentant une structure sociale en forme de tte doignon [] avec un corps assez importantmais une base encore plus importante 6.

    Ce rappel de la difficult de la dfinition du concept qui nousintresse et des difficults smantiques lies sa traduction estimportant pour une analyse africaine. Ces considrations doiventnous inviter toujours garder lesprit que lexpression classesmoyennes nest quun pis-aller, mal adapt des socits non-occidentales. Sa dfinition est bien plus souvent en creux quepositive. Par ailleurs, cest un point essentiel, une socit avec des classes moyennes nest pas forcment une socit de classes moyennes. Il existe bien dans des proportions variablesselon les rgions une augmentation du nombre de personnes quine sont pas pauvres mais n'appartiennent pas non plus l'liteculturelle, politique ou conomique.

    4 Virginie Gimber & Arnaud Rohmer, Les classes moyennes en qute dedfinition , Observatoire des Ingalits, fvrier 2009,http://www.inegalites.fr/spip.php?article727Consult le 24 septembre 20105 Chapitre 4 : La classe moyenne chinoise dans un parcours de sociologie Interview de Li Qiang, in Jean-Louis Rocca, La socit chinoise vue par sessociologues, Presses de Sciences Po Acadmique , 2008, p. 134.6 Xiaohong Zhou, Chapitre 5 : La classe moyenne chinoise. Ralit ou illusion ? ,Jean-Louis Rocca, La socit chinoise vue par ses sociologues, Presses deSciences Po Acadmique , 2008, p. 156.

    http://www.inegalites.fr/spip.php?article727http://www.inegalites.fr/spip.php?article727
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    Classe moyenne locale, classe moyenneglobale : des ralits diffrentes

    En Afrique, nous lavons dit, la question des classesmoyennes est revenue sur le devant de la scne car le dveloppe-ment du continent sacclre. Depuis 20 ans, la croissance a touchla plupart des pays africains, et pas seulement, comme on le croitsouvent, ceux qui ont dimportantes ressources naturelles. Ainsi, leGhana a connu une croissance annuelle moyenne de son PIB de4,3 % dans les annes 1990. Cette croissance sest accentue pouratteindre 5,5 % entre 2000 et 20087 alors que le pays ne possdaitpas encore de ressources naturelles importantes8. Avec une crois-sance moyenne de 5 % du PIB, lAfrique apparat depuis quelquesannes comme un eldorado pour les entreprises prives, ledernier march conqurir. De fait, le continent compte un milliard

    dhabitants qui, leur modeste niveau, souhaitent consommer etconstitueront, en 2050, plus de 20 % de la population mondiale9. Cetaccroissement trs rapide de la population se double dune trs forteurbanisation. Actuellement, avec 45 % durbains, le continent serapproche des moyennes chinoises. Cette urbanisation est unlment essentiel parce quelle permet un accs plus facile aux lieuxde consommation et quelle unifie loffre et la demande.

    7 William Davidson Institute cit par Amine Tazi-Riffi, Lions on the Move: LAfrique laube dune croissance prenne, McKinsey et Africa Partnership Forum, 21 avril2011, p. 6,http://www.nepad.org/system/files/Lions%20on%20the%20Move.pdfConsult le 20 juin 2011.8Les premiers barils de ptrole ont t extraits dbut 2011 louest du pays mais onne connat pas encore limpact conomique de lexploitation du gisement.9 Nations Unies, Department of Economic and Social Affairs, Population Division,World Population Prospects: The 2006 Revision, Highlights, Working PaperESA/P/WP.202, p. 1

    http://www.nepad.org/system/files/Lions%20on%20the%20Move.pdfhttp://www.nepad.org/system/files/Lions%20on%20the%20Move.pdf
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    Figure 2 : Rpartition de la population urbaine et ruraleen Afrique subsaharienne

    (Afrique sans Maghreb, Sahara occidental et gypte)

    Source : UN-HABITAT's Global Urban Indicators database,http://www.unhabitat.org/stats/Default.aspx, consult le 15 mars 2012

    Deux types de dfinitions des classes moyennes coexistent.La Global Middle Class (GMC) est constitue de la populationmondiale qui gagne entre 4 000 et 17 000 $ par an (soit de 12 50 $par personne et par jour). En pratique, cette dfinition couvre laclasse moyenne du Brsil lItalie et permet une comparaison entre

    pays de zones diffrentes. Elle ne permet cependant pas de saisir lesdynamiques luvre sur le continent africain car alors presque tousles Africains devraient tre considrs comme pauvres. Sur le milliarddhabitants du continent, seuls 43 millions appartiennent la GMC. Ilfaut donc tenter de dterminer ce quest une classe moyenne afri-caine en gardant lesprit que le continent, qui compte plus de 50pays, prsente des disparits locales fortes. Cependant, il est ind-niable quil prsente galement une convergence de dynamiques.

    La dfinition en termes absolus pose donc des difficultspuisquelle ne permet pas de rendre compte des dynamiques luvre sur le continent. La dfinition en termes relatifs on peut

    alors parler de Local Middle Class(LMC) semble plus adapte laralit des pays africains, puisquelle intgre les individus dont lerevenu est compris entre 0,75 et 1,25 fois le revenu mdian du pays.Si cette dfinition est plus adapte, elle ne doit pas faire oublier le faitque, face une masse de trs pauvres, le revenu moyen peutparadoxalement tre marginal.

    Quest-ce donc quappartenir la classe moyenne en Afriquesubsaharienne ? Llment principal est que cest une population quiest sortie des logiques de survie. Quimporte de gagner 2 ou 10 $ parjour : la classe moyenne se dfinit dabord par le fait quelle connatune certaine stabilit. Cette stabilit, mme relative, permet au moins

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    Population

    urbaine (en

    millions

    d'habitants)

    http://www.unhabitat.org/stats/Default.aspxhttp://www.unhabitat.org/stats/Default.aspxhttp://www.unhabitat.org/stats/Default.aspx
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    de dgager de petites sommes, investies dans des produits ou desservices nouveaux. Il sagit alors par exemple de pouvoir sacheter untlphone portable et dy mettre rgulirement des units10. La sortiede la survie permet galement de faire des projets pour lavenir.Ainsi, les classes moyennes investissent largement dans lducationde leurs enfants et peuvent envisager de devenir propritaire de leurlogement.

    Nous conserverons donc ici lexpression classes moyen-nes en gardant lesprit quelle est trs imparfaite. Encore une fois,le recours au chinois peut se rvler trs utile. Ainsi, les Chinoisparlent volontiers de petite prosprit . Lintrt de lexpression estquelle ne fait pas rfrence une classe et quelle permetdintgrer la rflexion lensemble des tout petits pargnants qui,pour modestes quils soient, sont la base de la moyennisation dessocits africaines11. En termes de chiffres stricts, les classesmoyennes regroupent donc des individus qui gagnent au moins entre

    2 (sortie de la survie) et 10 $ par jour. Lestimation haute est legroupe-cible des banques africaines, qui veulent attirer les mnagesgagnant entre 800 et 1 500 $ par mois.

    Un groupe trs disparate

    Il est tentant dutiliser le singulier pour dfinir la classe moyenne.Cette classe est de fait extrmement htrogne. Cela sexpliquepar le fait quil y a plusieurs manires daccder au statut moyen.Pierre Bourdieu12 a clair ce point en divisant ce quil appelle la

    petite bourgeoisie en trois catgories : - celle en dclin. Il s'agit des artisans et com-merants indpendants, qui sont de fait de moins enmoins nombreux

    - la petite bourgeoisie d'excution : il s'agitdes employs et des cadres moyens. Cette populationsalarie est d'une certaine manire la classe moyenne

    10 Il ny a pas toujours de corrlation entre avoir un tlphone portable et

    pouvoir tlphoner en Afrique. Dans la plupart des pays, cest le rechargementpar carte qui prvaut et les tlphones sont souvent vides ou tout juste chargs pourpermettre de flasher ou bipper (c'est--dire de faire rappeler) la personne quidoit tre jointe. Par ailleurs, les services voix restent onreux. 11 Dominique Darbon, Une classe moyenne peut en cacher une autre :l'mergence de la petite prosprit en Afrique , Afrique Eco, LExpansion.com,03 juin 2010,http://lexpansion.lexpress.fr/afrique/une-classe-moyenne-peut-en-cacher-une-autre-l-emergence-de-la-petite-prosperite-en-afrique_233325.htmlConsult le 11 dcembre 201112 Pierre Bourdieu, La distinction, 1979, cit par Catherine Bidou-Zachariasen, Lesclasses moyennes , op. cit., p. 121

    http://lexpansion.lexpress.fr/afrique/une-classe-moyenne-peut-en-cacher-une-autre-l-emergence-de-la-petite-prosperite-en-afrique_233325.htmlhttp://lexpansion.lexpress.fr/afrique/une-classe-moyenne-peut-en-cacher-une-autre-l-emergence-de-la-petite-prosperite-en-afrique_233325.htmlhttp://lexpansion.lexpress.fr/afrique/une-classe-moyenne-peut-en-cacher-une-autre-l-emergence-de-la-petite-prosperite-en-afrique_233325.htmlhttp://lexpansion.lexpress.fr/afrique/une-classe-moyenne-peut-en-cacher-une-autre-l-emergence-de-la-petite-prosperite-en-afrique_233325.html
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    historique puisque c'est la gnralisation du sala-riat qui a conduit l'mergence du groupe en Occidentau cours du XIXe sicle.

    - La nouvelle petite bourgeoisie . Il s'agit ldes professions intermdiaires de l'ducation et de lasant par exemple.

    Cette varit des statuts empche largement lmergencedune conscience de classe qui permettrait aux personnes revenu moyen de peser politiquement. Par ailleurs, comme lerappelle Bourdieu, la classe moyenne est, par dfinition, toujourstiraille entre le haut et le bas , entre lendroit do elle vient etcelui auquel elle tend accder. Cela complique la dfinition et laconscience de soi en tant que classe mais cela permet, au gr desopportunits et des dsirs de se comporter (en matire culturelle,

    ducative, alimentaire, etc.) tantt comme le haut , tantt commele bas . Cela permet lmergence de pratiques culturelles inno-vantes, qui pallient en partie le dficit dinscription sociale dontsouffrent les classes moyennes13. Cette originalit des pratiques estdautant plus forte que les classes moyennes africaines sontconstitues de gens qui cumulent les activits. Ainsi, un salari peutavoir une activit moins officielle , de commerce, par exemple, enmarge de son activit principale, ce qui lui permet dobtenir desrevenus complmentaires14 :

    Greffier, Papa Sidi L arrondit [] ses fins de mois enjouant les consultants en cration dentreprises entredeux audiences. Personne ne dit tout, mais si tu nas

    pas dautres revenus, tu vas la guillotine financireIl apparat donc que le seul revenu des mnages ne peut suf-

    fire dfinir les classes moyennes. Les pratiques sont galement unpoint important. Il faut donc, pour tenter une analyse complte desclasses moyennes en Afrique, croiser plusieurs facteurs, que sontleurs revenus et leur patrimoine (lavoir), leur statut social (ltre) etleurs pratiques (le faire).

    Lavoir se rfre au salaire et au patrimoine des personnesconcernes. Nous lavons vu, se rfrer au salaire local et non desnormes globales est dj, en soi, un choix scientifique.

    13 En loccurrence, il sagit du fait que, les classes moyennes tan t mobiles, ellespossdent peu de caractres propres. Voir Catherine Bidou-Zachariasen, Lesclasses moyennes , op. cit., p. 123-124 : Pour ma part [] javais pu vrifierlhypothse que la forte visibilit ou agitation culturelle (mouvements sociaux horstravail et pratiques sociales innovantes) de ces couches sociales avait voir avecleur dficit dinscription sociale, lui-mme li des itinraires frquents de dcalageou de mobilit sociale et au fait quelles exeraient des professions nouve lles ou enrenouvellement, offrant peu de support didentification sociale .14 Benjamin Neumann, This se dcouvre une classe moyenne ,LExpansion.com, 1er fvrier 2008, http://lexpansion.lexpress.fr/afrique/thies-se-decouvre-une-classe-moyenne_141385.html ; consult le 4 janvier 2011

    http://lexpansion.lexpress.fr/afrique/thies-se-decouvre-une-classe-moyenne_141385.htmlhttp://lexpansion.lexpress.fr/afrique/thies-se-decouvre-une-classe-moyenne_141385.htmlhttp://lexpansion.lexpress.fr/afrique/thies-se-decouvre-une-classe-moyenne_141385.htmlhttp://lexpansion.lexpress.fr/afrique/thies-se-decouvre-une-classe-moyenne_141385.html
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    L'tre est le point le plus dlicat : comme nous lavonsexpliqu, les classes moyennes, contrairement ce que le terme classe pourrait laisser entendre, n'ont pas de conscience d'elles-mmes. Par ailleurs, elles sont difficilement identifiables par lesautres groupes de population. Lors de nos dernires recherches deterrain menes au Ghana en 2011 nous avons pu interviewer despersonnes qui se dfinissaient comme faisant partie de la classemoyenne parce quelles taient tout juste sorties des logiques desurvie. lautre bout de la classe , une professeure duniversit sedfinissait galement comme classe moyenne , alors que sonmode de vie (voyages rguliers et tudes ltranger, voitures,consoles de jeux pour les enfants) la place plus nettement dans lliteghanenne voire dans la classe moyenne globale. Son identification la classe moyenne peut cependant sexpliquer par le fait que,contrairement beaucoup de ses collgues, elle tient un mode devie africain , en termes de nourriture et dhabillement en

    particulier. Par ailleurs, les upper middle classes, plus en contactavec linternational savent, consciemment ou non, que lexpression classe moyenne porte, bien plus que le terme lite , desvaleurs positives en termes de dmocratisation et de rsultatsconomiques. Sen revendiquer est donc une manire de se lgitimerau plan international15.

    Le faire , enfin, est paradoxalement l'lment le mieuxidentifiable. Les classes moyennes sont dfinies a posterioripar cequ'elles font. Elles mettent en place des stratgies de scurisation pour viter le dclassement et le retour aux logiques de survie. Cesstratgies sont trs coteuses financirement mais ncessaires : eneffet, la Banque africaine de dveloppement (BAD) estime quunepart de plus en plus importante de la classe moyenne est flottante et peut donc retomber dans la survie lors dune crise16.

    15 Entretiens avec Dominique Darbon, professeur de science politique,IEP de Bordeaux, 201116 Charles Leyeka Lufumpa (dir.), The Middle of the Pyramid: Dynamics of the MiddleClass in Africa, Market Brief, Banque africaine de dveloppement, 20 avril 2011,p. 18

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    Figure 3 : Composition du groupe classes moyennes (2-20 $/j)en fonction des revenus

    Source : Charles Leyeka Lufumpa (dir.), The Middle of the Pyramid: Dynamics of theMiddle Class in Africa, Market Brief, Banque africaine de dveloppement, 20 avril2011, p. 3

    Il sagit en particulier de linvestissement dans limmobilier etdans lducation des enfants. On pourrait dire en sinspirant deBourdieu quil sagit de crer un patrimoine (culturel et immobilier)destin aux enfants. Dautre part, plus court terme, les classesmoyennes consomment de nouveaux produits, mieux adapts leur

    demande et leur bourse adoptant peu peu un style de vie spci-fique et crant ainsi une african way of life.

    C'est sur ce faire que nous allons insister, parce que c'estcelui qui semble prsenter le plus de points de convergence et quiinclut de manire indirecte les deux autres volets : le faire est condi-tionn par l'avoir et produit de la conscience de soi (ltre) par lespratiques.

    Enfin, il ne faut jamais perdre de vue le caractre performatifde ltude des classes moyennes: cest en tentant de les dfinir et,surtout, de les nommer, quon les cre17. Dans le cas prcis desclasses moyennes, leur tude prcde leur conscience de classe et

    contribue en retour constituer leur identit.Lexpression de classes moyennes est donc un terme

    imparfait mais utile pour dsigner une partie de la population africainequi nappartient pas llite conomique ou culturelle mais quiaccde nanmoins la scurit et la consommation. Mme si lessommes dpenses sont modestes, la masse que reprsentent les

    17 Elodie Escusa, Classes moyennes en Afrique : document de travail, LAM-IEP deBordeaux, 2011.

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    Classe moyenne

    flottante (2-4 $/j)

    en milliers

    Lower middle-

    class (4-10 $/j) en

    milliers

    Upper middle-

    class ( 10-20 $/j)

    en milliers

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    classes moyennes entre 300 et 500 millions de personnes18 crede nouvelles dynamiques. Cest la promesse de sattacher ces mil-lions de consommateurs potentiels qui a incit les entreprises tran-gres et locales investir massivement sur le continent. Pour autant,les pratiques de consommation des classes moyennes restent trslocales et donnent lieu des mtissages culturels complexes.

    18 Charles Leyeka Lufumpa (dir.), The Middle of the Pyramid, op. cit., p. 1.

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    Consommer en toute scurit :achat et lien social

    La plus grande richesse , mme relative, des classes moyennes aentran leur accession la socit de consommation. Cela nimpli-que cependant pas, loin de l, une occidentalisation des pratiques.Pour comprendre quelles sont leurs pratiques de consommation,nous allons nous arrter sur la question des lieux dachat, dont

    les problmatiques permettent galement dapprhender les choix deproduits consomms. De fait, les lieux dachat permettent denvisagerla question du formel et de linformel, le caractre minemment socialde la consommation et la volont, la fois culturelle et politique, deconsommer africain .

    Il sagit de montrer ici que la diversification de loffre deconsommation a certes modifi les habitudes de consommation maisna pas entam des pratiques spcifiquement africaines, qui se trou-vent adaptes mais non abandonnes. La consommation reste unacte social majeur, dans des socits qui mettent plus laccent sur lesrelations interpersonnelles que sur les objets.

    Supermarchs: laccs une consommation loccidentale ?

    Les supermarchs et les malls19 (centres commerciaux) sesont dvelopps de manire trs rapide ces dernires annes sur lecontinent. Nagure rservs des pays assez dvelopps, tels quelAfrique du Sud ou le Kenya, ils se sont multiplis dans des paystraditionnellement moins pourvus, quils soient comparativement pluspauvres comme le Ghana ou de tradition francophone et donc

    moins habitus aux malls comme le Sngal. Sur ce march dela grande distribution, lvolution est trs rapide. Ainsi, le gant sud-

    19 Je conserverai ici le terme de mallcar le terme centre commercial ne rend pastout fait compte de la grande varit dactivits proposes par les malls: on ytrouve videmment des magasins (supermarchs et boutiques) mais galement denombreux restaurants (les food courts), des amnagements touristiques (fontaines,marchs traditionnels) et des loisirs (cinmas, bowlings) qui en font de vritableslieux de vie o il est possible de passer une journe entire.

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    africain Shoprite affiche un chiffre daffaires de 7 milliards deuros,soit 7,3 % de croissance en 201020.

    Lenseigne est prsente dans 16 pays africains, hors lAfriquedu Sud21. Mme si cest lAfrique du Sud qui tient lessentiel du

    march de la grande distribution, dautres enseignes sont trs dyna-miques, comme par exemple le Knyan Nakumatt, qui essaime dansles pays de la sous-rgion. Ils se diffrencient des grandes sur-faces historiques, tenues par la communaut libanaise ou la com-munaut indienne selon les zones, qui proposent des produits occi-dentaux imports des prix trs levs. Situs en centre-ville, ceux-ci concernent une clientle essentiellement expatrie ou de trs hautniveau conomique. Lmergence de nouvelles grandes surfacespermet de toucher une nouvelle clientle, africaine : elles proposentcertaines marques occidentales ainsi que des marques locales desprix beaucoup plus modestes pour des produits quil tait auparavantdifficile de trouver, quils soient exotiques, comme lhuile dolive ou

    simplement considrs comme luxueux, tels que les livres neufs.Ces centres commerciaux et ces supermarchs sont trs

    visibles et semblent, de lextrieur, symboliser lmergence de nou-veaux types de consommation, proches des habitudes occidentales.Les mallssont dindniables centres dattraction pour les populationsurbaines. De fait, la prsence de fast-foods, danimation et, lmentnon ngligeable, de la climatisation attirent les familles, qui viennentsy promener . Les visites nimpliquent cependant pas encoresystmatiquement des achats. Ainsi, au Sea Plaza, le nouveau malldakarois ouvert en juillet 2010, peine faire dpenser les visiteurs.De fait, les boutiques du centre sont souvent trs luxueuses et donc

    inaccessibles la plupart des Sngalais22

    , qui pourront plutt fairequelques courses au supermarch puis dpenser en nourriture ousucreries. Au Ghana, une rapide enqute de terrain23 montre que laperception des malls est trs diversifie. Si plus dinterviewsrappellent que les prix sont modrs , dautres affirment quils sonttrop chers. Lachat dans les mallset les supermarchs est justifi parla qualit des produits et par le fait que ces endroits soient pra-tiques car cest un one stop shop24. On retrouve au cours desentretiens la notion de window shopping (lche-vitrines) et de

    20 Afrique du Sud : Le groupe Shoprite investit et se prpare l'arrive imminente

    de Walmart , UbiFrance, 24 aot 2011,http://www.ubifrance.fr/boulangerie-patisserie-epicerie-divers/001B1103855A+afrique-du-sud-le-groupe-shoprite-investit-et-se-prepare-a-l-arrivee-imminent.html?SourceSiteMap=1064 ; consult le 6 janvier 2012.21 LAfrique, grande surface arc-en-ciel , Jeune Afrique, 11 avril 2011,http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2621p120-123.xml0/ ; consult le29 avril 201122 Sngal. Sea Plaza : un temple cherche ses adeptes , Jeune Afrique, n 2616du 27 fvrier au 5 mars 2011.23 Interviews de trente personnes, ayant toutes un emploi, soit salari soit commeentrepreneur, Accra, janvier 2011.24 Entretien avec Edwina Assan, fondatrice dEdtex Ltd., Tema, Ghana, janvier2011.

    http://www.ubifrance.fr/boulangerie-patisserie-epicerie-divers/001B1103855A+afrique-du-sud-le-groupe-shoprite-investit-et-se-prepare-a-l-arrivee-imminent.html?SourceSiteMap=1064http://www.ubifrance.fr/boulangerie-patisserie-epicerie-divers/001B1103855A+afrique-du-sud-le-groupe-shoprite-investit-et-se-prepare-a-l-arrivee-imminent.html?SourceSiteMap=1064http://www.ubifrance.fr/boulangerie-patisserie-epicerie-divers/001B1103855A+afrique-du-sud-le-groupe-shoprite-investit-et-se-prepare-a-l-arrivee-imminent.html?SourceSiteMap=1064http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2621p120-123.xml0/http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2621p120-123.xml0/http://www.ubifrance.fr/boulangerie-patisserie-epicerie-divers/001B1103855A+afrique-du-sud-le-groupe-shoprite-investit-et-se-prepare-a-l-arrivee-imminent.html?SourceSiteMap=1064http://www.ubifrance.fr/boulangerie-patisserie-epicerie-divers/001B1103855A+afrique-du-sud-le-groupe-shoprite-investit-et-se-prepare-a-l-arrivee-imminent.html?SourceSiteMap=1064http://www.ubifrance.fr/boulangerie-patisserie-epicerie-divers/001B1103855A+afrique-du-sud-le-groupe-shoprite-investit-et-se-prepare-a-l-arrivee-imminent.html?SourceSiteMap=1064
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    promenade. Certaines qualits attribues aux malls sont plusinattendues : certains interviews indiquent en effet aimer sy rendreparce que ces endroits sont safe. Le caractre clt, peu peupl ettrs surveill des centres commerciaux donne de fait cette impres-sion. Cet lment pourrait tre anecdotique Accra, qui reste uneville globalement trs sre, mais est essentiel dans des villes plusdangereuses, telles que Nairobi ou Johannesburg, o les centrescommerciaux sont alors des lieux de sociabilit part entire etparfois les seuls endroits de la ville o marcher pied ne prsenteaucun risque majeur.

    Les lieux dachat modernes que sont les supermarchs etles malls sont largement des non-lieux 25, des espaces inter-changeables o lon passe sans crer de lien social. La perception deces lieux est, elle, en revanche, spcifique chaque contexteculturel. Dans le cas ghanen, par exemple, les mallssont la foisdes objets de dsir et de plaisir, des lieux socialement difficiles

    investir et des objets de culpabilit car la consommation ainsi que lapratique de ces lieux nient en partie le caractre minemment socialde lacte dachat.

    Traditionnel et informel : la consommationcomme patrimoine socialLes modes alternatifs de consommation restent importants car, dunepart, lacte de consommation est un acte hautement social et, dautrepart, ils permettent aux classes moyennes daccder un tauxdquipement suprieur ce quon pourrait attendre de leur niveau derevenus.

    25 Marc Aug, Non-lieux. Introduction une anthropologie de la surmodernit, Paris,Seuil, 1992.

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    La grande modernit de systmes souplesPhoto 1 : Vente informelle le long dune voie

    Ouagadougou, dcembre 2006.

    Source : lauteur

    La photo prsente a t prise Ouagadougou lapprochede Nol. Sur le bas-ct dune grande artre du centre-ville, un jeunehomme vend des sapins en plastique, des crches et des dcorations

    de Nol. Le fait quil soit install dans la rue, hors de toute zone demarch indique que cest un commerce au moins en partie informel26.Pour autant, il ne vend pas de produits traditionnels , bien aucontraire.

    Contrairement ce quil serait facile de penser, le marchinformel nest pas rserv aux pauvres. Cest ce que montre laphoto : la cliente potentielle possde une mobylette coteuse car detrs bonne qualit. Son sac main ainsi que son tailleur impeccableindiquent plus probablement une salarie faisant des achats lasortie du bureau quune femme venant acheter dans linformel pardfaut .

    26 La notion dinformel mriterait une tude elle seule. Nous retiendrons que le secteur informel est celui qui chappe, au moins en partie, au paiement destaxes et/ou lenregistrement. De fait, beaucoup dactivits sont partiellementinformelles. Par exemple, une structure est formelle mais certains employstravaillent de manire informelle. De mme, nous lavons vu, une mme personnepeut avoir un emploi formel et une activit informelle par ailleurs. Enfin, informel ne veut pas dire sans rgle . Voir par exemple sur ce point CatherineCoquery-Vidrovitch, Villes coloniales et histoire des Africains , Vingtime sicle,vol. 20, n 20, p. 71, 1988 : [Les travailleurs informels sont un] groupe socialcomplexe, tout fait organis et fortement hirarchis, au sein duquel lasurexploitation des moins favoriss peut faire la fortune des moins dmunis

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    Les mmes produits sont accessibles dans des bazars ducentre-ville. Pourquoi alors des classes de population pouvant ache-ter dans des magasins prfrent-elles toujours acheter dans linformelou, quand les produits sont disponibles sur les marchs, dans unestructure plus traditionnelle ?

    Dune part, lachat dans linformel est bien souvent pluspratique pour les travailleurs. Ouagadougou, les magasins sontdans le centre-ville bond et non accessible par les transports encommun. Les commerces de rue sont plus accessibles car situsplus prs des bureaux. On peut mme acheter beaucoup de produits(matriel scolaire, eau, glaces et mme papier hyginique !) dans larue, les vendeurs ambulants mettant profit les embouteillages (quise gnralisent dans toutes les grandes villes africaines) pour propo-ser leurs produits. Par ailleurs, les centres commerciaux sont souvent la priphrie des villes et les classes moyennes nont pas toujoursde moyen de transport personnel.

    Dautre part, dans la rue ou au march, les prix peuventtoujours tre ngocis. On peut supposer qualors les prix obtenusseront moins levs que dans une structure formelle. Pourtant, laquestion du marchandage va au-del de la question du prix. Il sagitplutt dune comptence sociale, de loccasion pour le vendeurcomme pour lacheteur de jouer de son ge, de son appartenanceethnique ou de son genre. Cest ce quexplique Mireille Lecarme-Frassy27 :

    Au march, un individu peut mobiliser dans les inter-actions plusieurs facettes sociales, de faon allusive ouexplicite. La finalit implicite est argumentative. Le site

    impose la ngociation, soit sur les prix, soit sur les quan-tits. Chaque trait social voqu produit un type de rap-port social. Quil sagisse de la classe dge, de lappar-tenance un groupe socioprofessionnel, du statut, delethnie, mais aussi du voisinage, de la parent, de lamit-i, de la fidlit entre protagonistes, tous ces traits consti-tuent les thmes majeurs de largumentation discursiveau march .

    Au Ghana, sur 30 personnes interroges ayant des activitssalaries ou de petites entreprises, 21 indiquent acheter leursmeubles chez le menuisier, alors que seulement deux mentionnentles grandes surfaces spcialises28 : outre la question du cot, elles

    rappellent ainsi que les classes moyennes ne peuvent ou neveulent saffranchir du fait que leurs pratiques dachat sont des

    27 Mireille Lecarme-Frassy, Marchandes dakaroises entre maison et march:approche anthropologique, Paris, LHarmattan, coll. tudes africaines , 2000,p. 60.28Cinq nont pas rpondu cette question ; une interviewe indique que ce sont sesparents qui fournissent les meubles, le dernier est charpentier et les fabrique lui-mme.

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    pratiques sociales et que le lieu et le vendeur comptent autant si cenest plus que le bien achet.

    Photo 2 : Vendeur de glaces dans les embouteillagesAccra janvier 2011

    Source : lauteur

    La prsence dun prix fixe dans les supermarchs empcheen consquence cette souplesse permise par la ngociation, en parti-culier les aides ponctuelles quand un client a des difficults finan-

    cires. Une chef dentreprise ghanenne notait lors dune interviewque beaucoup de ses compatriotes prfraient acheter au marchplutt quau supermarch, arguant que les produits y taient moinschers alors mme que les dtaillants du march se fournissaientdans lesdits supermarchs29. On peut lanalyser comme le fait que ce

    29 Entretien avec Edwina Assan, fondatrice de Edtex Ltd., Tema, Ghana,janvier 2011.

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    qui est cher nest pas ce qui est le plus coteux en soi mais bience quil est difficile de payer.

    Enfin, le recours aux rseaux traditionnels, formels ou non, enparticulier pour la nourriture, permet de connatre la provenance des

    produits. Ainsi, les Ouagalais30

    couvrent parfois de grandes distancesen ville pour sapprovisionner en marachages chez des dtaillantsconnus et viter ceux dont les champs sont enrichis dengrais noncontrls et tris. Les marachers passent parfois de fait des accords illgaux avec les ramasseurs dordures pour quils dversent proximit de leurs champs les dchets mnagers ramasss, qui sontde fait trs fertiles grce aux excrtas humains et aux dchetsvgtaux mais galement trs dangereux du fait par exemple de laprsence de mtaux lourds issus de la dgradation des pileslectriques31.

    Lachat dans des structures traditionnelles et/ou informelles

    reste donc, dans le contexte africain, une institution, au sens large duterme, avec ses rgles et ses pratiques qui, sans tre crites ouexprimes, sont trs codifies.

    Il ne faut pas sous-estimer ce point dans lanalyse de lusagedes supermarchs. Il serait en effet rducteur dopposer le choixdacheter en supermarch celui daller au march. Les supermar-chs ne sont pas la ngation de lachat socialisant mais plutt unnouveau type doffre. Dans les supermarchs, la relation au vendeurest par dfinition bien moindre. En revanche, acheter dans les super-marchs est en partie laffirmation dune identit dun type nou-veau, qui met en avant la russite sociale, la modernit, lefficacit etpeut-tre finalement lappartenance une classe de population,qui transcende les catgories habituelles. Cest une complmentaritqui permet de penser que la multiplication des structures modernesde consommation ne signera pas la fin des structures plus traditionnelles .

    Rseaux alternatifs et de seconde mainLachat ngoci dans des structures informelles ou traditionnellescomme les marchs permet en outre aux acheteurs davoir accs des produits de seconde main. Cet accs est essentiel sur le conti-nent africain, en particulier pour les produits les plus manufacturs.Ainsi, le march des tlphones portables doccasion est extrme-ment important. Il permet des acheteurs trs modestes de squiper bas cot avec des produits en bon tat et dun niveau

    30 Habitants de Ouagadougou31 Derek Eaton, & Thea Hilhorst Opportunities for managing solid waste flows in theperi-urban interface of Bamako and Ouagadougou , Environment & Urbanization,vol. 15, n 1, avril 2003, p. 55 et 56.

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    technologique permettant des rparations faciles. Annie Chneau-Loquay, note, ds 200132 :

    ct du sige dAliz, loprateur de tlphoniemobile Dakar, sinstallait en mars avril1999 un ensem-

    ble dune soixantaine de petites boutiques toutes voues la vente de tlphones portables doccasion ou mmeneufs et de leurs accessoires. Lon peut y trouver les(avant) derniers modles des meilleures marques desprix dfiant toute concurrence. Ils sont collects enEurope ou aux tats-Unis et arrivent par conteneurs. []Une autre manire courante de se procurer lappareil estde se le faire offrir par un parent ou un ami

    Laccs du matriel technologique a sans doute t favorispar le fait quil tait vendu dans des structures de type informel oudu moins locales : les grandes boutiques des oprateurs inter-nationaux peuvent se rvler impressionnantes pour de nouveaux

    consommateurs modestes qui pensent ne pas avoir le capitalsocial suffisant pour entrer dans de tels espaces. Le march voluecependant rapidement et les fabricants historiques de tlphonesmobiles ainsi que les nouveaux fabricants chinois proposent mainte-nant des appareils neufs des prix dappel trs intressants33.

    Cet accs aux biens par des rseaux qui ne sont pas formelsest un point particulirement important pour comprendre les pratiquesde consommation des classes moyennes africaines. En ayantrecours ces rseaux, un individu peut avoir accs un niveaudquipement trs suprieur celui quil aurait eu en passant par lesboutiques formelles, plus chres et qui ne proposent que des produitsneufs. Cest videmment trs marqu pour la tlphonie : il est facilede se procurer des appareils de seconde main en trs bon tat pourun prix trs bas. Par ailleurs, ces appareils, moins technologiquesque les smartphones tactiles plus rcents, peuvent prsenter lavan-tage dtre plus facilement rparables, et ce moindre cot34.

    Acheter dans le rseau informel est galement une stratgiedvitement : les individus les plus modestes ou pensant ne paspossder le capital social suffisant auront de la peine entrer dansles trs belles boutiques de tlphonie, trs aseptises et o lesderniers modles de tlphones, dordinateurs portables et de clefs

    32 Annie Chneau-Loquay, Les territoires de la tlphonie mobile en Afrique ,NETCOM, vol. 15, n 1-2, sept. 2001, p. 933Le Nokia dentre de gamme 1202 (noir et blanc et avec lumire) coutait au Kenyaen 2010 environ 20 . Il tait par ailleurs propos en anglais et kiswahili (ou enamharique en thiopie) Cest une grande avance des prix et de loffre mais lamme priode, on pouvait trouver un Nokia ancien (de type 3310) pour environ 6 .34 Ces pratiques ont consacr pendant longtemps la supriorit des appareils Nokia,trs rsistants, peu chers et dont certains quipements, comme la fameuse lampe,taient trs utiles aux Africains. Par ailleurs, leur grande diffusion rendait trs facilelachat de pices dtaches et dquipements annexes, tels que des chargeurs oudes coques dorigine chinoise.

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    3G trnent en vitrine. Les rseaux informels permettent donc peut-tre une transition douce vers la modernit .

    Enfin, ne pas consommer par les rseaux de distributionmoderne semble permettre de consommer africain . Les membres

    des classes moyennes sont gnralement duqus mais nont pasfait dtudes ltranger. Cette revendication de la consommation africaine est trs variable et les critres de son importance sontnombreux mais il semble quelle soit mieux assumequauparavant.Ainsi, dans les annes 1980, au Burkina Faso, Thomas Sankara,alors prsident, avait promu la consommation locale. Il sagissait pourlui de vivre au niveau du pays il se dplaait en Renault 5 etde favoriser les industries locales, telles que lindustrie textile FasoFani. lpoque, il avait dailleurs incit les employs de servicepublic se vtir local . Les employs avaient t trs rticents etnutilisaient leur tenue locale que pour sen vtir quand Sankaraannonait une visite. Si lengouement pour les vtements europens

    et amricains reste important, le vtement local (et non traditionnel)est redevenu une marque importante didentit dans les classesmoyennes ouest-africaines35.

    Anthony Selomey note36 :

    On tend mlanger les valeurs. On ne les abandonne pas, on les mlange. [] Par exemple pour les vte-ments, les toges37 ne sont pas pratiques pour travailler.On shabille donc loccidentale et on met des chemisestraditionnelles le vendredi. Il faut quon cre uneconscience chez les gens, quils profitent de ce quilspossdent

    Par ailleurs, le fait que les jeunes soient plus forms leurpermet dinnover sur leur continent. Ainsi, un jeune Nigrian a mis aupoint une tablette lectronique peu chre environ 230 pour lemarch local. Ses premires commandes viennent pourtant pourmoiti de lEurope, attire par le cot rduit du produit38 : les dyna-miques Sud-Nord se mettent donc en place et favorisent lmergence

    35 On ne retrouve pas cet engouement partout. Au Kenya, par exemple, o lesclasses moyennes sont pourtant bien plus nombreuses quen Afrique de lOuest, lesvtements de travail restent trs majoritairement de type europen. Cela peutsexpliquer par le fait que lindustrie des textiles africains est moins diversifie quen

    Afrique de lOuest, que limmense march du vtement de seconde main rend lesvtements occidentaux trs abordables et trs nombreux et, enfin, sans doute par lefait que les conditions climatiques sont diffrentes, le climat de Nairobi durant lhiveraustral tant trs frais.36 Greater Accra Regional Manager, National Board for Small Scale Industries(NBSSI), entretien Accra, janvier 2011.37Le vtement traditionnel ghanen est une toge porte sur lpaule gauche. Pourles chefs akan, elle est en kente dont les motifs et couleurs varis ont dessignifications prcises.38 La tablette africaine dbarque en Europe , Courrier International, 25 janvier2012, http://www.courrierinternational.com/breve/2012/01/25/la-tablette-africaine-debarque-en-europe, consult le 25 janvier 2012.

    http://www.courrierinternational.com/breve/2012/01/25/la-tablette-africaine-debarque-en-europehttp://www.courrierinternational.com/breve/2012/01/25/la-tablette-africaine-debarque-en-europehttp://www.courrierinternational.com/breve/2012/01/25/la-tablette-africaine-debarque-en-europehttp://www.courrierinternational.com/breve/2012/01/25/la-tablette-africaine-debarque-en-europe
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    de rfrentiels et de marques locaux, dj prsents mais jusquicilargement clipss par les rfrentiels occidentaux.

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    Stratgies de scurisationet de transmission :

    la recherche de lautonomie

    Les dynamiques de consommation sont donc paradoxales : dunct, le recours la ngociation et la seconde main permet auxclasses moyennes de bien squiper. Dans le mme temps, laconsommation, qui est un acte relativement nouveau, est limite parle fait que lenvironnement politique et conomique reste trop souventincertain. Les classes moyennes cherchent donc, autant que faire sepeut, scuriser leur futur. Il sagit de ne pas retomber dans la surviemais galement dtre plus indpendant des ventuelles crises politi-ques ou conomiques, quil sagisse de violences dans le pays ou dedvaluation.

    Il est essentiel de comprendre que laccroissement de laconsommation en Afrique nest pas quune question de moyens co-nomiques : cest galement une question denvironnement. Au dbutde cette note, nous avons rappel que le terme classes moyen-nes , cr pour le contexte industriel occidental, est trs dpendant

    du contexte dun tat fort, efficace et produisant beaucoup derichesses nationales. Ce tableau ne sapplique presque aucun paysafricain. Les stratgies de scurisation individuelle de lenvironne-ment sont donc essentielles pour les classes moyennes africaines.Nous axerons la rflexion sur lexemple de limmobilier en gardant lesprit quil existe dautres manires de scuriser le futur, comme,par exemple, linvestissement dans lducation et que toutes lesclasses moyennes nont pas le luxe de pouvoir scuriser leur environ-nement.

    Futurs incertains

    Linscurit politique est un facteur limitant du dveloppement de lamasse des classes moyennes et de leur consommation. Cette ins-curit peut tre de plusieurs types. Il peut sagir par exemple dinsta -bilit des rgimes et de climats de violence. Ainsi, la Cte dIvoire aconnu, aprs les lections de 2010, des violences qui ont paralyslconomie. Mme dans des pays dvelopps et globalement stables,les lections apparaissent comme des moments dinquitude voire deviolences qui limitent les investissements trangers mais galementla consommation locale en rendant les villes peu sres : les petites

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    boutiques, les restaurants et maquis ptissent de cet tat de fait.Ainsi, dans un pays aussi traditionnellement stable que le Sngal,lapproche des lections de 2012 et la volont du prsident Wade dese reprsenter malgr lopposition dune large partie de la populationentrane manifestations et violences Dakar39 et fait poindre lespectre dune anne blanche luniversit , ce qui constitue unfacteur dinscurit pour les classes moyennes qui investissentbeaucoup dans lducation.

    La corruption est une autre source dinscurit pour lesclasses moyennes et elle pse directement sur leur pouvoir dachat.La corruption est prsente tous les niveaux, de la classe politiqueaux simples agents de police. Les indices de perception de la corrup-tion (IPC) donns par lONG Transparency International indiquentque, sur les 47 pays dAfrique subsaharienne analyss, 33 sont au -del de la 100e place40. La corruption touche tous les secteurs de lavie quotidienne. Ainsi, au Kenya, les matatu41 sont ranonns tout au

    long de leur parcours par les policiers. Ces pots-de-vin sont institu-tionnaliss et psent donc sur le prix des transports limitant ce titrele pouvoir dachat des voyageurs. De manire plus gnrale, cestlensemble des services publics qui demande des pots-de-vin, avecun record de cinq pots-de-vin pas personne et par an pour accderaux services de police. Les plus forts pots-de-vin sont demands parles coles publiques, avec un record de plus de 16 000 KenyanShillings (Ksh) en 200542. Ces sommes considrables grventlourdement le budget des familles.

    Dune manire gnrale, cest galement linvestissementlocal qui est pnalis, puisque lensemble des aspects lgaux (autori-

    sations de mise sur le march, impts, etc.) passe par des servicespublics extrmement corrompus. Outre le cot financier de cesautorisations, il faut noter galement la lenteur de nombreux services.

    39

    Les exemples dagitation autour des lections sont innombrables. On peut parexemple citer le cas du Kenya, fin 2007, o les violences post-lectorales ont fait1 500 morts et 300 000 dplacs. Certains pays chappent cependant cesviolences, cest le cas en particulier du Burkina et surtout du Ghana, o les lections,toujours trs disputes, sont galement trs paisibles.40 Transparency International, Indice de perception de la corruption 2010,http://www.transparency.org/policy_research/surveys_indices/cpi/2010/in_detail#141Il sagit de mini-bus, gnralement de 12 15 places qui assurent lessentiel destransports inter-urbains au Kenya.42Courant 2005, le taux de change tait de lordre de 1 USD = 76 Ksh , ce qui portece pot-de-vin plus de 200 $. ;http://www.transparency.org/policy_research/surveys_indices/africa_middle_east

    http://www.transparency.org/policy_research/surveys_indices/cpi/2010/in_detailhttp://www.transparency.org/policy_research/surveys_indices/africa_middle_easthttp://www.transparency.org/policy_research/surveys_indices/africa_middle_easthttp://www.transparency.org/policy_research/surveys_indices/cpi/2010/in_detail
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    Tableau 1 : tat de la corruption au Kenya en 2005

    Source : Transparency International, Kenya Bribery Index 2006, p. 5.

    Il est important de noter que la corruption nest pas intrins-quement une entrave lentreprenariat, elle peut mme permettredobtenir plus vite ce dont lentrepreneur a besoin. En revanche,quand, comme dans le cas kenyan, la corruption est galement forteau niveau de ltat et quelle met en danger les infrastructures, alorselle apparat plus comme un facteur de ralentissement que damlio-ration des activits prives.

    Les environnements sont donc essentiels la stratgie descurisation des classes moyennes. Or, mme quand ces environne-ments sont stables, comme cest le cas au Ghana, il persiste des inscurits profondes 43 qui rendent la fois les entreprisesconomiques et la vie quotidienne trs difficiles car peu prdictibles. Ilfaut donc distinguer le processus politique du processus conomiqueet social44 et rappeler par exemple que les prix fluctuent de maniredramatique pour les mnages, laugmentation dbut 2011 du prix delessence ayant t prtexte laugmentation gnrale des prix deconsommation courante45 :

    Quand le carburant a pris 30 %46, le prix de la lessive a

    augment de 50 % cause duprix du transport

    Investir dans la pierre :une stratgie de longue dure

    Face cette inscurit structurelle, linvestissement dans un bienimmobilier apparat comme un lment de stabilisation des mnages.Au Ghana, possder un tel bien reste souvent un idal. De fait, il estdabord difficile dacqurir une terre : elles sont possdes par leschefs traditionnels, qui en disposent leur gr et les cdent sous

    43 Entretien avec Thomas Pelletier, directeur de CFAO Ghana, Accra, janvier 2011. 44 Entretiens avec Christian Joly, Attach de coopration et Arnaud Dornon,Conseiller de coopration et d'action culturelle, ambassade de France au Ghana,Accra, janvier 2011.45 Entretien avec Thomas Pelletier, directeur de CFAO Ghana, Accra, janvier 2011. 46 30 % en une seule fois, le 4 janvier 2011. Le mme jour, le gaz augmentait de25 % et, en consquence et non sans grincements de dents les transports de18 %.

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    forme de baux emphytotiques. Le fait par exemple de ne pasappartenir la zone o lon veut acheter est un handicap47 :

    Tu vois, a fait 20 ans que je suis Accra, mais je suistoujours considr comme un tranger parce que je ne

    suis pas n ici. Du coup, cest difficile dacqurir uneterre

    Mais cette acquisition, pour difficile quelle soit, est une rellescurisation des biens pour les familles des classes moyennes. AuGhana, les loyers doivent tre pays au moins une anne lavance.Cela oblige les mnages dbourser beaucoup dargent en uneseule fois et sendetter pour honorer leur loyer.

    Les maisons proposes par les promoteurs immobiliersrefltent lidal dindpendance des familles des classes moyennes :les modles les plus courants nont que trois chambres. Cela indiqueun resserrement des liens et des obligations familiales sur la famille

    nuclaire. Ce resserrement nest pas, contrairement une croyancelargement partage, nouveau. Nous avons pu observer il y a plus dedix ans que certaines familles aises de Ouagadougou avaient cetype de stratgies48 :

    Pourquoi ne terminez-vous pas la construction dudernier tage de votre immeuble ? [Il y a un magasin aurez-de-chausse ainsi quun clibatorium (un deux-pices) pour le plus g des fils dans la cour, un salon etdeux chambres seulement pour trois femmes au premieret rien au deuxime]

    Parce que si je termine le deuxime tage, jai toute la parent au village qui va savoir que jai de la place et

    quil va falloir que je loge.

    47Entretien avec J. R. A. Ayee, professeur duniversit, Accra-Legon, janvier 2011.48Entretien avec une couturire, chef dentreprise, Ouagadougou, mai 2003.

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    Document 1 : Brochure immobilire Ghana, 2011

    (Prix indicatifs 2011 : Seashell, 61 500 $ ; Dolphin, 142 500 $)Source : Lakeside Estate, par lauteur, Accra, janvier2011

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    Actuellement la famille africaine idale ou moderne estdonc une famille nuclaire et rduite, la croise entre tradition-nel et moderne. Ces familles solvables pour les banques et lespromoteurs immobiliers doivent gagner entre 800 et 2 500 dollars parmois et par mnage49. Cest le groupe cible des banques. Cest avecces revenus quune famille peut esprer acqurir une maison basiquedenviron 20 30 000 dollars, avec un apport de 25 %50. Loffre definitions trs simples sur des terrains modestes donne la possibilitaux mnages les moins fortuns daccder la proprit.

    Le fait que les maisons ainsi que les reprsentations de lafamille tendent tre de plus en plus nuclaires ne doit passeulement tre interprt comme un processus dindividualisation oude repli sur soi. Il faut galement le comprendre comme un processusdautonomisation : il sagit de ne pas avoir attendre dautrespersonnes pour vivre. Ce point ressort des questionnaires mens Accra dbut 2011, quand les personnes sont interroges sur leur

    sentiment dappartenance la classe moyenne51 : [Do you belong to middle class in Ghana?] Yes: Imworking. I dont wait for someone to tell me eat

    Dune manire gnrale, sur les 30 rapides questionnairesmens auprs demploys ou de petits entrepreneurs Accra, untiers dfinit la classe moyenne en fonction de la nourriture,lexpression three square meals a day tant rcurrente.

    Lachat dune voiture ou dune maison participe de la mmedynamique dautonomisation: il sagit pour les personnes interrogesde pouvoir vivre et se dplacer by their own means.

    Il faut se garder cependant de conclure trop vite une individualisation des pratiques qui sopposerait une suppose solidarit communautaire : Anne E. Calvs et Richard Marcouxrappellent utilement que lindividualisme reste une anti-valeur enAfrique. En revanche, la tendance semble tre la fois au resserre-ment sur la petite famille et la mise en place de nouvellessolidarits, plus choisies , au sein dassociations de femmes ou devoisinage par exemple52.

    49 Entretien avec Kojo Aboagye-Debrah, Executive Assistant to the MD/Bus.Development Manager, Stanbic Bank, Accra, janvier 2003.50 Entretien avec les membres de Ghana Home Loans, Accra, janvier 2003. 51Entretien avec la propritaire dun bar, Accra, janvier2011.52 Anne E. Calvs et Richard Marcous, Prsentation : les processusdindividualisation lafricaine , Sociologie et socits, vol. 39, n 2, 2007,p.15-16,http://id.erudit.org/iderudit:019081ar, consult le 15 mars 2012.

    http://id.erudit.org/iderudit:019081arhttp://id.erudit.org/iderudit:019081arhttp://id.erudit.org/iderudit:019081arhttp://id.erudit.org/iderudit:019081ar
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    Lun des freins les plus srieux laccession la proprit auGhana est paradoxalement le fait que les loyers soient trs levs.Une loi, la Rent Act de 1963, protge pourtant les locataires maisltat peine la faire appliquer. Ainsi, par exemple, alors que la loistipule que les propritaires ne peuvent demander plus de six moisde loyer davance, la rgle gnrale tend plutt tre une avance dedeux voire trois ans de loyer53. Ces sommes, souvent suprieures une anne de revenu des mnages, sont considrables. Les mna-ges doivent sendetter ponctuellement pour pouvoir sacquitter decette somme et peinent en consquence faire des conomies pourlachat dun terrain ou dune maison, o il faut pour une maison avancer 25 % de la somme54

    En outre, linflation rend les prvisions long terme difficiles etcontribue rendre beaucoup plus chers les biens proposs. Parexemple dans le document 1, le modle Seashell est propos 61 500 $ et le Dolphin 142 500 $ fin 2010. En 2012, les mmes

    biens sont proposs 75 000 et 180 000 $.Les prts bancaires sont galement soumis cette inflation et

    refltent au moins en partie la prise de risque des banques, quiest trs faible, puisque les taux sont de lordre de 30 % dintrt en2011. Ces trs forts taux nencouragent pas les activits industrielles souvent trs capitalistiques et conduisent une surreprsentationdes activits de commerce, souvent peu viables. Ces taux restentcependant infrieurs ceux qui taient pratiqus auparavant (delordre de 40 50%). Comme dans le cas des infrastructures, ltat,en loccurrence la Bank of Ghana, devrait rguler le march maismanque la fois de volont et de moyens55. Le mme problme se

    retrouve au niveau local, quand il sagit de lever les taxes quipermettraient de formaliser les activits et de redistribuer lesrichesses cres56 :

    70 % des entreprises sont informelles. Mais quand tuvas dans les districts, tu vois [que les contrleurs] nontmme pas un vlo. Comment veux-tu quils visitent lesgens ?

    Cette volont de scuriser lenvironnement a des cons-quences sur la structuration du groupe classes moyennes et surles choix dactivits quelles oprent. Ainsi, Banerjee et Duflo57 expli-quent utilement quun emploi salari, quelle que soit sa rmunration,

    53 Official calls for amendment of Rent Act , Ghana Business News, 25 janvier2011, http://www.ghanabusinessnews.com/2012/01/25/official-calls-for-amendment-of-rent-act/54 Entretien avec les membres de Ghana Home Loans, Accra, janvier 2011. 55 Lukman Abdul-Rahim, Executive Director, National Board for Small ScaleIndustries (NBSSI), Accra, janvier 2011.56Ibidem57 Abhijit V. Banerjee & Esther Duflo, What is Middle Class about the MiddleClasses around the World ? , Journal of Economic Perspectives, vol. 22, n 2,printemps 2008, p. 18 et suiv.

    http://www.ghanabusinessnews.com/2012/01/25/official-calls-for-amendment-of-rent-act/http://www.ghanabusinessnews.com/2012/01/25/official-calls-for-amendment-of-rent-act/http://www.ghanabusinessnews.com/2012/01/25/official-calls-for-amendment-of-rent-act/http://www.ghanabusinessnews.com/2012/01/25/official-calls-for-amendment-of-rent-act/
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    est prfrable une activit plus lucrative Cela explique en partiepourquoi, contrairement ce qui est souvent mis en avant, les clas-ses moyennes ne sont pas forcment de bons entrepreneurs. Leurcapital est plus volontiers scuris (dans une maison, une voituremais aussi une tlvision ou, de manire plus abstraite, dans lduca-tion des enfants) quinvesti et soumis un risque. On peut trouver lgalement une explication au fait que la plupart des classes moyen-nes salaries ont une activit informelle annexe, qui leur permet degnrer des revenus sans mettre en danger la scurit et/ou le statutsocial procurs par le travail salari.

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    Conclusion

    Un continent encore loin dtre unifi

    lchelle continentale, la croissance est donc vidente. Dunemoyenne, nous lavons vu, de 5 % par an, elle est rapide et constanteet soppose aux croissances ralenties voire ngatives des pays occi-dentaux. Il faut saluer la visibilit accrue du continent sur la scne

    internationale et la plus grande crdibilit qui en dcoule. Cettevisibilit nest dailleurs pas quconomique : des manifestationssportives telles que la Coupe du Monde de football en Afrique du Suden 2010 ont permis beaucoup dOccidentaux et sans doute dOrien-taux de dcouvrir une Afrique diffrente des clichs.

    Lchelle rgionale est galement dimportance. Le continentest en effet divis en une multitude de pays dont la taille et lespopulations sont particulirement variables. Les frontires ont un effetparadoxal sur les changes commerciaux, en les stimulant maisgalement en les compliquant, en particulier dans les cas o les paysnont pas la mme monnaie. Il faut donc, dans les tudes de marchmais galement dans lanalyse des volutions socitales, prendre encompte lappartenance lune ou lautre des organisations rgionalesdu continent. Ainsi, dans le cadre de la SADC, une zone de libre-change a t mise en place par les pays de la zone pour abolir lesbannires douanires. Les changes de population sont galementextrmement importants. Par exemple, en Afrique de lOuest, lesBurkinab ont massivement travaill en Cte dIvoire. Ces rgions ontcependant des volutions trs variables. Ainsi, la zone australe estvidemment dynamise par lAfrique du Sud. LAfrique de lEst estgalement trs dynamique, avec limportant march que reprsentele Kenya. LAfrique de lOuest est plus en retrait.

    Dans chacune de ces zones, certains pays sont, souvent pour

    des raisons politiques, extrmement en retrait. Alors que le PIBivoirien par habitant tait estim 980 $ en PPA en 2008, celui deson voisin ghanen est estim 2 931 $ en 2011 : les pays, voisins,ont des potentialits relativement comparables mais la stabilitpolitique du Ghana a permis une volution conomique que lestroubles rcurrents en Cte dIvoire ont empche.

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    Par ailleurs, lchelle nationale, certains pays semblent bienplus handicaps que dautres. Ainsi, le Niger, dont la population estactuellement denviron 16 millions dhabitants, devrait, tant donnson fort taux de natalit, dpasser les 53 millions en 2050 (voirFigure 4). Le pays, qui connat des crises alimentaires rcurrentes,doit par ailleurs composer avec son enclavement ainsi quavec laproximit du nord Nigeria, actuellement trs troubl58 et les troublesentre Touaregs et sudistes au Mali. Dans ces conditions,lmergence dune classe moyenne semble au mieux marginale etplus gnralement gravement compromise.

    Figure 4 : Perspectives dvolution de la population du Niger,compare la population franaise, 1950-2050 (en millions dhabitants)

    Source : Nations Unies, Department of Economic and Social Affairs, PopulationDivision, World Population Prospects: The 2010 Revision, Estimates, 1950-2010 &Medium-fertility variant, 2010-2100

    Lanalyse sur les classes moyennes doit donc tre infrana-tionale. Les marchs de consommation concernent en ralit essen-tiellement les villes. Les zones rurales sont encore largement excluesde cette volution pour plusieurs raisons. Dune part, les distancessont grandes et les moyens de transport trs mauvais59. Ainsi, en2008, il fallait une moyenne de 15 heures de route pour rallier Zinder,

    58 Prs de 200 morts en janvier 2012 Kano dans les attentats de la secte BokoHaram, ce qui ralentit les changes avec le Niger et tend aggraver la crisealimentaire.59 LAfrique stendant de part et dautre de lquateur, elle est beaucoup moinsdforme que des rgions qui en sont plus loignes. Ainsi, lchelle mondiale, elleapparat bien plus petite quelle ne lest relement contrairement des pays favoriss par les projections, comme les tats-Unis par exemple. Pour rappel,avec une superficie de plus de 30 millions de km2, le continent africain peut contenir le territoire des tats-Unis, de la Chine, de toute lUnion europenne etdeux fois celui de lInde sans tre entirement rempli. Les distances sont donc unlment majeur de comprhension de lvolution du continent.

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    Niger

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    la deuxime ville du Niger, depuis Niamey, la capitale, alors que ladistance absolue est de moins de 1 000 km sans rupture de charge.Dautre part, lAfrique est bien des gards un continent peu peupl.Les campagnes, toujours majoritaires, sont donc bien souvent trspeu denses et ne prsentent pas dintrt en tant que march .

    Cest cet tat de fait qui fait dire au PDG de Wal -Mart que lemarch africain (et donc la prsence des classes moyennes) doit trepens non en termes de pays mais plutt en fonction des 67 villesmillionnaires quil abrite60. Les classes moyennes sont donc actu-ellement presque indissociables du march que reprsentent lesgrandes villes puisque cest sur ces territoires que se concentrent lesservices qui permettent de faire voluer le niveau de vie des popu-lations : accs la sant, accs lducation, moyens de commu-nication rapides et fiables.

    De nouveaux dfis

    Laccs massif de nouveaux produits et un niveau de vie amliorpose, en particulier dans les grandes villes, des problmes nouveauxet de grande ampleur.

    Dune part, les grandes villes connaissent des problmescroissants de transports. La multiplication des vhicules particuliersest beaucoup plus rapide que la fourniture dinfrastructures par ltat.Les travaux engags pour amliorer les conditions de circulation sontextrmement coteux et doivent tre effectus avec des partenaires

    internationaux

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    . Pour autant, ces travaux sont essentiels car lesgrandes villes africaines sont particulirement encombres62 :

    La GAMA [Greater Accra Metropolitan Assembly63] faitplus de 500 km2. Cest la moiti de la Martinique ! Lerseau routier samliore mais je mets une heure le matinpour faire 8 km. Mes collgues ghanens passent enmoyenne 4 heures par jour dans les transports

    Dautre part, laccession la classe moyenne semble crer unbesoin plus grand de scurit des biens. La sgrgation socio-spatiale des villes est donc renforce : le territoire est morcel enmultiples zones qui communiquent peu entre elles, voire qui sont cou-pes du reste de la ville, comme le sont les gated communities. Il est noter que ce phnomne de privatisation et de scurisation deslieux de la ville nest pas corrl au niveau dinscurit de la zone.

    60 Le gant amricain Walmart parie sur lessor de la consommation africaine , LeMonde, 1er fvrier 2011.61Ainsi lAFD finance un projet de contournement dAccra pour relier le nord louestde la ville par laxe Awoshie-Pokuase.62Entretien avec Bruno Deprince, responsable adjoint de lagence de lAFD Accra,Accra, janvier 2011.63Cest le territoire administratif du Grand Accra .

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    Certes, dans des pays o linscurit est grande, telle que lAfriquedu Sud ou le Nigeria, ce phnomne est ancien et rpandu. Il sedveloppe cependant dans des pays tels que le Ghana, o lenviron -nement est gnralement scuris. Il semble plutt que laccs uncertain niveau conomique abaisse les seuils de tolrance linscurit, relle (cest le cas en Afrique du Sud) ou suppose (auGhana).

    Il faut par ailleurs noter que les pays connus comme les plusdangereux (hors temps de guerre) du continent (Afrique du Sud,Nigeria) sont les plus favoriss conomiquement. Cette inscurit estparticulirement forte dans les grandes villes, telles que Lagos dontla rputation nest plus faire Nairobi, surnomme Nai-robberyouJohannesburg. De fait, cest dans de telles mtropoles que seconcentrent les plus fortes ingalits sociales et cohabitent toutes les Afriques , du cireur de chaussures lavocat en 4X4. Parailleurs, laccs aux armes est facile dans ces villes et rend les vols,

    braquages et car-jacking trs violents. Cette violence rappelle que,comme nous lavons vu au dbut de cet article, la classe moyenne, sielle se dveloppe, reste encore marginale. Les classes moyennessont par ailleurs des victimes privilgies puisquelles sont voisinesdes plus pauvres mais galement car elles nont pas les moyensdune protection trs efficace, contrairement aux lites.

    Les classes moyennes africaines sont donc certainement lemoteur cl de la croissance conomique du continent mais elles sontlargement contraries dans leurs aspirations lgitimes lducation, la scurit ou au logement.

    Il parat illusoire mais cest pourtant un credo souvententendu de croire que cette volution conomique va entraner unevolution politique : les classes moyennes, souvent prsentescomme des facteurs de dmocratisation parce quelles veulentdes gouvernements plus responsables 64 se dtournent largementde la politique, dont elles se mfient. Dune part, le systme partisannest pas toujours peru comme un systme africain, mme quand ilfonctionne, comme au Ghana65. La dfiance peut galement tre unequestion stratgique66 :

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    Charles Leyeka Lufumpa (dir.), The Middle of the Pyramid, op. cit., p. 165La dfiance des Ghanens pour la politique, alors que leur pays est lun des plusdmocratiques et les plus stables dAfrique peut sexpliquer culturellement :beaucoup de Ghanens sont attachs la dmocratie lAfricaine prne parlancien prsident Rawlings dans les annes 1990, qui met en avant la discussion etle compromis plutt que la lutte partisane. Cest dailleurs ce systme qui justifie quela vie politique locale doive (en thorie) rester non partisane. Voir Hlne Qunot, Laconstruction du champ politique local Accra (Ghana) et Ouagadougou (BurkinaFaso). Le cas de la politique de gestion des dchets, thse de doctorat, CEAN, IEPde Bordeaux, janvier 2010, p. 52-53 et 213 et suiv. 66 Entretien avec Moises Agyemang, conomiste principal, Private EntrepriseFoundation, Accra Legon, janvier 2011.

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    [Les entrepreneurs] ne sont pas trop dans les partisparce que cest difficile pour toi quand ton parti est danslopposition : quand un parti arrive au pouvoir, il a djtout le monde dont il a besoin et on perd des marchs.Les entrepreneurs sont donc plus aviss quavant.

    La main invisible du march ne permettra donc sans doutepas elle seule de renforcer des environnements politiques souventtrs difficiles. Encore une fois, cest lamlioration dun environne-ment, conomique et politique, et une attention plus grande porte aurle des tats dans la rgulation conomique qui permettra de passerdes classes moyennes dAfrique une Afrique de classesmoyennes .

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    Bibliographie sommaire

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    BIDOU-ZACHARIASEN, Catherine, Les classes moyennes :dfinitions, travaux et controverses , ducation et socit, 2/2004

    (n 14), p. 119-134,http://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2004-2-page-119.htm

    DARBON, Dominique et Comi TOULABOR (dir.), Quelle(s) classe(s)moyenne(s) en Afrique ? Une revue de littrature, Document detravail, n 118, AFD, Dpartement de la recherche, dcembre 2011,67 p.http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/PUBLICATIONS/RECHERCHE/Scientifiques/Documents-de-travail/118-document-travail.pdf

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