cimade2009 rapport retention administrative 2008

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Les conditions de rétention administrative en France, année 2008, rapport 2009 de la Cimade.● Edifiant palmarès au beau pays de la liberté, de l'égalité, et de la fraternité

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CENTRES ET LOCAUX DE RTENTION ADMINISTRATIVE

RAPPORT 2008

Sommaire3 6 DITORIAL RTENTION ADMINISTRATIVE : L'INTERNEMENT DES TRANGERS INDSIRABLES OUTRE-MER, OUTRE DROITS LMENTS STATISTIQUES ET CARTES CENTRES DE RTENTION ADMINISTRATIVEBobigny (93) Bordeaux (33) Cayenne-Rochambeau (97) Coquelles* (62) Hendaye* (64) Lille-Lesquin 1 & 2* (59) Lyon-Saint-Exupry* (69) Marseille-Le-Canet* (13) Mesnil-Amelot (93) Metz* (57) Nantes (44) Nice (06) Nmes-Courbessac* (30) Palaiseau (91) Paris-Dp t (75) Paris-Vincennes sites 1 & 2 (75) Perpignan* (66) Plaisir* (78) Rennes-Saint-Jacques-de-la-Lande* (35) Rouen-Oissel* (76) S te (34) Strasbourg-Geispolsheim (67) Toulouse-Cornebarrieu* (31)*ces centres sont autoriss accueillir des familles

336 LOCAUX DE RTENTION ADMINISTRATIVE214 214 214 214 214 214 214 214 214 214 214 214

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Ajaccio (2A) Amiens (80) Bastia (2B) Cergy-Pontoise (95) Choisy-le-Roi (94) Nanterre(92) Orlans (45) Poitiers (86) Reims (51) Saint-Louis (68) Soissons (02) Tours (37)

378 ANNEXESGlossaire Schma de la procdure en rtention Textes de rfrence : Extrait du Code de l entre et du sjour des trangers et du droit d asile - Ceseda (parties lgislative et rglementaire) Dcret N 2008-246 du 12 mars 2008 relatif au contr leur gnral des lieux de privation de libert (non incorpor dans le Ceseda) Arr t du 02 mai 2006 fixant le mod le de rglement intrieur Circulaire du 07 dcembre 1999 relative au dispositif sanitaire Extrait de l ordonnance du 26 avril 2000 relative aux conditions d entre et du sjour des trangers Mayotte Extrait du dcret du 17 juillet 2001 pris en application de l ordonnance du 26 avril 2000 relative aux conditions d entre et du sjour des trangers Mayotte Arr t du 19 janvier 2004 prcisant la liste des centres Mayotte et le mod le de r glement intrieur

ONT PARTICIP CE RAPPORTRDACTION : Les intervenants de La Cimade en centre de rtention administrative : Catherine CAGAN, Rafael FLICHMAN, Anne-Thr se HURAUX, Didier INOWLOCKI, Agn s NOURY, Habiba PRIGENT-EL IDRISSI, Stefano REGA, Clmence RICHARD (Bobigny/Mesnil-Amelot) ; Marie-Neiges LAFON (Bordeaux) ; Aurlie PIALOU (CayenneRochambeau) ; Andry RAMAHERIMANANA, Galle TAINMONT, Jackie VERHAEGEN, Pierre NICOLAS (Coquelles) ; Sarah DANFLOUS (Hendaye) ; Elodie BEHAREL, Emery BOIDIN, Pascal CLINKEMAILLIE, Marie NICOLAS (Lille) ; Julie BEUROIS, Clmentine BRET, Mehdi KARA, Capucine LAFFARGUE, Assane N DAW (Lyon) ; Birgit BRETTON, Jeannette CRUZ, Sophie DRU, Yassin AMEHDI (Marseille) ; Sadia BOULAMTAMER (Metz) ; Mickal GARREAU (Nantes) ; Jean Claude BEBA, Ingeborg VERHAGEN (Nice) ; Fabienne DARRITCHON, Jos LAGORCE, Catherine VASSAUX (Nmes) ; Charlotte CLAVREUL, Eve CHRETIEN (Palaiseau) ; Samir BOUKHALFI, Nabil IGGUI, Camille DESERT, Sophie FADIGA, Palko FASSIO, Chlo FRAISSEBONNAUD, Ccile JARROSSAY, Nadia JONCO, Konstantinos PAPANTONIOU, Aurlie VAUGRENARD (Paris) ; Kchri DOUMBIA (Plaisir) ; Mathilde MAGLIA, Maud STEUPERAERT (Rennes) ; Marie-Estelle CALMETTES, Johanna REYER (Rivesaltes) ; Charlotte de LAUBIER, Isabelle ROBIN (Rouen) ; Samuel SALAVERT (S te) ; Pablo MARTIN (Strasbourg) ; Marie BRIEN, Lionel CLAUS, Amlie DUGUE, David ROHI (Toulouse) ; et tous les bnvoles de La Cimade dans les locaux de rtention administrative (LRA) ; merci Flore Adrien, Olivier Brachet et Rmi Carayol (Mayotte). Les coordinateurs rgionaux : Birgit BRETTON (Sud-EST) ; Thierry FLESCH (Normandie-Nord Picardie) ; Mickael GARREAU (Bretagne-Pays-de-Loire) ; Muriel MERCIER (Grand Est) ; Benot MERCKX (CRA Ile-de-France) ; Alexia POUPARD (LRA Ile-de-France) La coordination du service Dfense des trangers reconduits (DER) : Sophie BAYLAC, Julie CHANSEL, Stphanie DEKENS, Caroline LARPIN, Damien NANTES, Luis RETAMAL, Jennifer RIFFAULT Statistiques : Benot MERCKX Cartographie : Guillaume BERNARD, Olivier CLOCHARD Iconographie : Olivier AUBERT, David DELAPORTE, Xavier MERCKX Conception graphique, maquette : Natalie BESSARD Coordination gnrale du rapport : Julie CHANSEL (merci Violaine Jaussaud pour la relecture)Photo de couverture : Incendie au centre de rtention de Vincennes, 22 juin 2008 - Annette Huraux Dos de couverture : Futur CRA du Mesnil-Amelot, septembre 2009 - Rafael Flichman

RAPPORT RTENTION 2008

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ditorialUNE RFORME QUI MARGINALISE LA PRSENCE ASSOCIATIVE EN RTENTION

L

a volont du ministre de lImmigration, dattribuer, en mai 2009, la mission de dfense des trangers dans les centres de rtention plusieurs oprateurs clats en lots gographiques distincts a relanc le long chapitre de la polmique lance par Brice Hortefeux durant lt 2008. Au-del du cas particulier et de limpact de cette dcision pour La Cimade sanction pour lassociation - il faut lire ces vnements comme un lment significatif de lvolution des politiques publiques lgard des trangers et de ceux qui les aident.

la casse dune exprience associative unique dans un lieu denfermementLe ministre de lImmigration ne manque pas dexpliquer quil est bien naturel quune mission confie une association le soit dsormais plusieurs. Brice Hortefeux na cess de justifier cette rforme par son souhait lgitime de mettre fin un monopole. Cette propagande assassine se garde bien de rtablir les faits : La Cimade cherche depuis plus de cinq ans partager son action en la renforant grce des complmentarits avec dautres ONG en premier lieu avec le Secours catholique - . La rforme Hortefeux, assume depuis le 15 janvier 2009 par Eric Besson, aura pris de bout en bout lexact contre-pied de ces propositions pour tre bien certaine de casser lexprience unique construite depuis 25 ans. Cette mission na pas t conue ni construite par ltat. Depuis 1984, cest La Cimade qui par petites touches a invent, dvelopp et russi convaincre les pouvoirs publics de tolrer cette action particulire. son dbut, il y a 25 ans, il sagissait dun accompagnement moral et social : La Cimade tait sollicite pour tre en rtention auprs des trangers afin que leur expulsion se passe le moins mal possible. De cette prsence humaine, La Cimade a obtenu dans les annes 90 que son rle soit tendu une aide juridique, une vritable dfense des droits. Il faudra un rapport de forces dj pour que les ministres acceptent en 1993 de reconnatre cette fonction juridique. Cela a t difficilement accept par les administrations centrales, et une premire tentative pour marginaliser La Cimade au profit dun office public a eu lieu durant lt 2000. Les protestations

politiques ont, lpoque, suffi, pour confirmer ce volet dfense des droits. La Cimade en profitera alors pour ajouter un troisime volet son action : celui du tmoignage public sur la ralit des centres de rtention. La publication en 2001 du premier rapport complet tat des lieux factuel et critique du dispositif dexpulsion des sans-papiers ne provoquera pas dopposition du gouvernement. Ce rapport annuel est devenu un rendez-vous pour la presse et les observateurs spcialiss, de mme quil est devenu normal que La Cimade tmoigne et communique rgulirement sur les drives les plus choquantes constates au quotidien. La cration pas pas de cette action unique en Europe une mission finance et confie par lEtat une ONG pour dfendre les droits et exercer une vigilance critique sur les conditions dexpulsion des sans-papiers na pas t un long fleuve tranquille. Elle sest dveloppe et a t accepte comme telle par les gouvernements de droite comme de gauche qui y voyaient aussi le moyen davoir une autre information que celle de la voie administrative, une sorte de garantie, grce lassociation et son audience, dtre immdiatement informs en cas de drapages graves des services de police dans ces geles de la rpublique (Louis Mermaz, Les geles de la Rpublique, Stock, 2001).

pourquoi ce dmantlement ?Quelques lments danalyse permettent de comprendre ce qui est luvre et rvlent lvolution de lattitude franaise lgard des politiques europennes. On se reportera dautres analyses pour ne pas rappeler ici la logique essentiellement scuritaire et rpressive de lUnion europenne (UE) en matire de contrle des migrations. Cette tendance a t conue par les polices europennes ds la fin des annes 80 dans le contexte de la chute du Mur de Berlin, de la monte des populismes en Europe et des effets conomiques et sociaux du nolibralisme triomphant. Elle peroit limmigration comme une menace quil convient de contenir. Cette option tant incapable de rpondre la question pose comment rduire les ingalits conomiques, dmographiques et dmocratiques entre le Nord et le Sud qui sont le moteur principal des migrations ? -, elle sest transforme en un puit sans fond qui renforce danne en

RAPPORT RTENTION 2008

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ditorial

anne son dispositif scuritaire par des lois et des pratiques liberticides et discriminatoires. Le contrle des frontires extrieures a pris lallure dune quasi-guerre aux migrants qui prennent des risques insenss pour tenter cote que cote datteindre le sol europen. Des donnes fiables voquent des milliers de morts en Mditerrane et dans lAtlantique en 20 ans. Dans la mme vise, lexpulsion des sans-papiers est devenue un objectif majeur de toute politique. Dun dispositif dexpulsion et de contrle encore artisanal dans les annes 90, la plupart des pays europens sont passs depuis leffet 11 septembre au cran suprieur avec la mise en uvre de moyens permettant des renvois massifs. Pour atteindre ces objectifs, lenfermement des migrants et des demandeurs dasile devient la rgle, pour des dures qui atteignent plusieurs mois dans des prisons pour immigrs conues pour recevoir des centaines de personnes. Ce retour aux camps dinternement depuis le dbut des annes 2000, avec comme corollaire la rsurgence de pratiques policires que lon croyait renvoyes aux oubliettes de lhistoire europenne, soulve bien videmment des rsistances de la plupart des ONG de dfense des droits de lHomme et dune part significative des socits civiles attaches aux valeurs dmocratiques. Dans cet environnement, la France a longtemps fait figure, sinon de modle, du moins de cadre encore relativement prserv pour la protection des droits fondamentaux des migrants : dure de rtention la plus courte de lUE (32 jours), dimension des centres de rtention relativement limite, garanties de procdures et voies de recours effectives (sauf en outre-mer), protection particulire (mise mal depuis deux ans) pour les personnes vulnrables (mineurs, malades, demandeurs dasile, etc.). Sans doute laction accepte et le rle de contrepoids dvolu aux associations en particulier La Cimade en rtention ou lAnaf en zone dattente nont pas t sans une certaine influence sur cette retenue dans laspect rpressif. Les autres ONG en Europe regardaient il y a peu avec des yeux tonns la nature et les rapports trs spcifiques nous en France entre politiques, administrations et associations en matire dexpulsion des sanspapiers.

le 18 juin 2008 de la directive retour par le Parlement europen et son adoption, en dcembre 2008, par le Conseil des ministres de lUE, prsid par la France, lavant-veille du 60e anniversaire de la Dclaration universelle des droits de lHomme. Une directive de la honte qui banalise la rtention des migrants et demandeurs dasile et la justifie jusqu 18 mois, qui autorise lincarcration des mineurs isols et leur expulsion mme vers des pays tiers, qui instaure une interdiction automatique de revenir en Europe pour 5 ans, etc. Un texte -que des membres de cabinets ministriels jugeaient en priv dlirant- lexact oppos des valeurs qui ont t lorigine de la Convention europenne de sauvegarde des liberts fondamentales et des droits de lHomme. Il est significatif que loffensive pour mettre un terme lexprience unique de La Cimade en rtention ait t arbitre et dcide durant lt 2008, quelques semaines aprs ladoption de cette directive, comme il est significatif que La Cimade paye la note de la campagne europenne dont elle avait pris linitiative lautomne 2007 contre cette directive de la honte.

des limites sont atteintesAprs que lEurope ait clairement choisi la manire forte, que sa reprsentation lue assume par son vote le choix de voir ressurgir les camps dinternement et les expulsions de masse, le gouvernement franais se soumet petit petit cette politique de fuite en avant : pour mettre en uvre lloignement effectif des trangers irrguliers, la machine tatique et administrative, antrieurement agace mais tolrant les contrepoids associatifs, militants ou bnvoles, ces obstacles qui freinent voire empchent parfois lexpulsion effective, estime dornavant que ces cailloux dans la chaussure deviennent insupportables puisquil faut changer dchelle et rendre le dispositif vritablement efficace. Une batterie de mesures senchane : laction des ONG en rtention est disloque par un appel doffres et une logique de concurrence impose aux associations, les structures dhbergement des trangers sont soumises des dispositifs de contrle contraignants et sont invites collaborer, les bnvoles et militants apportant une aide aux trangers sans papiers deviennent suspects et sont mis en garde quand ce nest pas en garde vue - contre toute action qui pourrait de prs ou de loin faciliter ou aider laction des filires, toute expression ou action publique de contestation est susceptible de poursuite pour outrage ou rbellion ou incitation la rbellion, etc. Les protestations de certains responsables politiques devant les comparaisons peu reluisantes exprimes par certains ne trompent personne. Le succs du film Welcome, lcho considrable que reoit le mouvement des dlinquants de la solidarit lanc par Emmas au printemps 2009 tmoignent quune part consquente de lopinion prend conscience que des limites sont atteintes, que lattachement inconditionnel de la socit franaise au respect de la personne humaine est mis mal par une machine administrative et policire qui va broyer des vies et des solidarits humaines.

la banalisation de la rtention administrativeLes orientations donnes depuis 2003 pour permettre une industrialisation de lexpulsion et surtout la mise en uvre acclre de cette ligne depuis la cration du ministre de lImmigration en 2008 sonnent sans doute le glas de cette exception franaise : laffichage revendiqu de quotas dexpulsion, le triplement du nombre de places de rtention, les tentatives de restreindre les recours ou le contrle des magistrats, la pression considrable exerce sur les responsables de foyers daccueil pour migrants ou demandeurs dasile crent un climat de tension croissant, de pression, dintimidation. Faut-il voir dans cette volution franaise le refus de rsister, une sorte de dmission face un dispositif europen qui sloigne jour aprs jour des valeurs de justice, dgalit et de libert ? On peut le penser. Lun des actes symboliques forts de ce renoncement est le vote, soutenu par la France,

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RTENTION ADMINISTRATIVE : L INTERNEMENT DES TRANGERS INDSIRABLES

Rtention administrative : linternement des trangers indsirables

Dans notre dernier rapport annuel, publi en avril 2008, nous insistions sur le processus de rduction des droits des trangers en rtention. La construction dun dispositif dexpulsions massives se heurte au respect des droits des personnes. Pour quune telle machine fonctionne, il faut ncessairement carter lobstacle quil constitue. La simplification du contentieux des trangers est ainsi rclame par Nicolas Sarkozy son nouveau ministre de lImmigration, Eric Besson , aprs avoir t une premire fois rejete en 2007 par la commission Mazeaud. Lattaque contre la mission associative daide juridique aux trangers dans les centres de rtention, commence avec la publication du dcret du 22 aot 2008, est un autre exemple de cette tentative de rduire peu peu ce qui perturbe la recherche du chiffre tout prix : le droit. En transformant une mission associative nationale daide lexercice des droits des trangers en simple mission dinformation elle vise limiter la possibilit dexercice de leurs droits par les trangers. En clatant cette mission entre diffrents prestataires de service placs en situation de concurrence, elle souhaite renforcer leur situation de dpendance vis--vis des pouvoirs publics et ainsi limiter leur action et leur parole. Avec de nombreux partenaires associatifs, La Cimade sest oppose cette rforme. Le tribunal administratif de Paris et le Conseil dtat ont sanctionn cette volont du gouvernement. Ces dcisions qui reconnaissent la ncessit dune vritable assistance aux trangers pour leur permettre daccder effectivement leurs droits sauvegardent, pour linstant, les droits des trangers et lexistence dune prsence et dun regard critique dans les centres de rtention. Ce Rapport Cimade 2008 sur les centres et locaux de rtention administrative est nouveau loccasion dexercer cette fonction essentielle de tmoignage. Depuis 2003, en matire dexpulsion des trangers en situation irrgulire, les pouvoirs publics se sont engags dans la politique du chiffre. Celle-ci se traduit par linstauration de quotas dexpulsion fixs chaque anne tous les prfets. Une pression sinstalle sur tous les agents de lAdministration, policiers, fonctionnaires des prfectures etc. Un seul objectif : faire du chiffre et assurer la communication ministrielle. LAdministration est conduite chercher les moyens de rduire les droits des trangers placs en rtention et privilgier sans cesse lefficacit

des reconduites au dtriment des principes lmentaires de respect de la dignit humaine ou de la simple humanit. Un processus de bureaucratisation se dveloppe. Les hommes, les femmes disparaissent derrire les chiffres et les dossiers. La violence de la ralit sefface derrire lapparente neutralit du vocabulaire. En France on nenferme pas les trangers, on les retient, on ne les expulse pas, on les oblige quitter le territoire, on les loigne, on les renvoit, on les radmet. Au point que le ministre de lImmigration, pour justifier lenfermement des enfants, invoque la prsence de quelques jeux, de chauffe-biberons, de tables langer dans les CRA... La ralit est plus sordide que les termes choisis par Eric Besson. Les drives et les absurdits se multiplient : interpellations domicile, en particulier de familles, devant des coles, contrles didentit motivs par un crachat sur la voie publique ou une traverse en dehors des clous qui rvlent la multiplication des contrles au facis, interpellations massives, encouragement la dlation, etc. Lexamen superficiel des dossiers, sous un angle rpressif, lapplication mcanique de la loi sans prise en compte des situations humaines conduisent lenfermement de femmes enceintes, denfants (y compris de nourrissons), de malades, de personnes dont toute la famille est en France ou qui y vivent et y travaillent depuis parfois plus de 20 ans, mais aussi larrestation de touristes ou dtrangers en train de rentrer chez eux et stopps la frontire pour tre expulss et ainsi gonfler les statistiques.

le constat dune violence institutionnaliseInterpellations, gardes vue, placements en rtention, expulsions sont les lments principaux dune vritable violence institutionnelle faite aux trangers en France. 20 000, 25 000, 30 000 expulsions, cest autant de vies brises, despoirs anantis, de familles spares, cest le prix que payent ceux qui sont les victimes de cette fuite en avant : les migrants. Exposs cette violence des institutions, les trangers placs en rtention ragissent, et la tension monte. Cest avant tout contre eux-mmes que les trangers retournent cette violence. Pour beaucoup dentre eux qui ne peuvent supporter la privation de libert, la perspective de lexpulsion, sen prendre son propre corps apparat comme le seul moyen de protestation. Automutilations, tentatives de sui-

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TRANGERS INDSIRABLES

rtention administrative : l'internement des trangers indsirable

cide, grves de la faim se multiplient. Mais la rvolte est aussi parfois collective, pacifique ou non. En 2008, trois centres de rtention, Vincennes, Bordeaux et Nantes ont ferm suite des incendies. Dautres ont eu lieu, Lyon, Toulouse, au Mesnil-Amelot plusieurs reprises, entre autres. Lindustrialisation de la rtention administrative se traduit donc avant tout par des atteintes aux droits des personnes et des drames humains. Cest galement une politique coteuse, et 2008 est la premire anne o de relles estimations de son aspect financier ont t ralises. Lnormit des sommes engages souligne la dmesure de cette logique du chiffre. Pourtant, ni les drames humains, ni les absurdits, ni le cot de cette politique ne semblent suffisants pour faire prendre conscience aux pouvoirs publics de la ncessit darrter la machine expulser. Si la tension est constante lintrieur des centres de rtention, en dpit de conditions matrielles globalement correctes ( lexception notable des CRA doutre-mer et en particulier celui de Mayotte ), cest avant tout en raison des situations individuelles des personnes places en rtention et menaces dexpulsion. Lexamen individuel des situations comme le respect de principes dhumanit lmentaires - respect de la vie prive et familiale, ncessaire protection des malades, des mineurs, etc. - sefface devant limpratif defficacit exig par le ministre.

des citoyens se mobilisent et demandent sa libration et sa rgularisation. Le 7 mai 2009, Mohamed Allouche a t expuls en Tunisie. Sa femme et son fils sont seuls en France. Comme la famille Allouche, des dizaines de familles ont t spares en 2008. Le plus souvent cest le pre qui est arrt et plac en rtention. Le plus souvent aussi, et que le reste de la famille soit en situation rgulire ou non, les tribunaux administratifs considrent que la prsence en France de leur femme et de leurs enfants ne suffit pas interdire leur expulsion. Depuis plusieurs annes, la lgislation applicable aux trangers sest durcie, les conditions du regroupement familial, lexigence de visa long sjour pour linstallation en France, y compris pour les conjoints de franais rduisent les possibilits dobtenir un titre de sjour. Ces expulsions se multiplient et entranent lclatement des familles. Dautres migrants qui ont en France des liens prives et familiaux trs forts subissent aussi les effets des quotas dexpulsion. De nombreuses personnes qui travaillent lgalement ou pas - en France, depuis de nombreuses annes, ont t galement prives de leur libert et expulses. Alors que le mouvement des travailleurs sans papiers, initi au printemps 2008, a t loccasion de faire connatre tous lampleur du phnomne, cela na pas empch un grand nombre dentre eux de faire lobjet de dcisions dexpulsion. Ne bnficiant plus daucune protection juridique (depuis la suppression de la possibilit de rgularisation aprs 10 ans de vie en France) il est trs difficile dobtenir lannulation de la mesure dexpulsion qui les frappe. La loi prvoit pourtant la dlivrance dun titre de sjour aux trangers qui ont avec la France des liens personnels et familiaux particulirement intenses en raison en particulier de lanciennet et de la stabilit de ces liens (Art. L-313-11 7 du Code de lentre et du sjour des trangers et du droit dasile, Ceseda). Cette disposition laisse une marge dapprciation trs grande au magistrat charg de statuer. Dans ces conditions, faire reconnatre limportance de la vie prive et familiale en France dune personne clibataire, mme lorsquelle rside en France depuis parfois plus de vingt ans, relve aujourdhui de lexploit et reste une exception. Quant aux multiples demandes gracieuses que nous avons aides adresser lAdministration, elles ne sont pas plus efficaces. Seule la mobilisation de syndicats, dlus, parfois des employeurs, de citoyens, a permis, dans de trop rares cas, que leur droit de rester et de vivre en France soit reconnu. CRA du Dpt (75) : Monsieur Sangar est arriv en France en 1990. Depuis 19 ans il travaille en France principalement dans des socits de nettoyage. Accompagn par La Cimade, Monsieur Sangar a tent plusieurs reprises de rgulariser sa situation en raison de lanciennet de son sjour en France et de son statut de travailleur, sans succs. Monsieur Sangar a t licenci de la socit pour laquelle

le mpris du droit une vie prive et familialeTout au long de lanne 2008, dans lensemble des centres de rtention, nous avons pu constater que lefficacit de la politique dexpulsion se traduit par loubli des liens privs et familiaux des migrants en France. La sparation des familles, comme lexpulsion de travailleurs migrants vivant en France depuis des annes en est particulirement rvlatrice. Un exemple, au centre de rtention de Palaiseau (91) : Mohamed Allouche est Tunisien. Il est arriv en France en 2005 pour rejoindre sa femme, franaise, et leur fils. Sa prsence auprs deux est dautant plus ncessaire que sa femme est sourde et muette. Elle travaille malgr son handicap mais la prsence en France du pre de Noufel (11 ans) est indispensable lquilibre de la famille. Monsieur Allouche a engag les dmarches ncessaires sa rgularisation mais le temps passe et cela naboutit pas. En aot 2007, la prfecture de Nanterre met en cause la ralit de la vie commune des poux Allouche. Deux courriers du couple leur ont t adresss au domicile des parents de Madame Allouche et non au domicile du couple Le 15 avril 2009, M. Allouche est arrt, plac en garde vue puis en rtention au centre de Palaiseau. Il fait lobjet dun arrt prfectoral de reconduite la frontire (APRF). Des parents dlves, des enseignants de lcole de son fils, des lus,

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il travaillait depuis plus de 10 ans. Quelques semaines plus tard la mme socit la rembauch, avec dautres papiers Monsieur Sangar reprend son travail. En fvrier 2009 il est pourtant arrt et plac en rtention au CRA du Dpt Paris sous le coup dun APRF. Ni les recours juridiques engags ni les interventions gracieuses ne font flchir la prfecture de police de Paris. Aprs 19 ans passs travailler en France, Monsieur Sangar va tre expuls, sans bagages, sans argent. Il faudra lintervention de deux dputs, Messieurs Goldberg et Brard, et le dplacement de ce dernier au CRA dans la nuit prcdant son expulsion vers le Mali, pour que le ministre de lImmigration suspende in extremis ce vol. Dautres nont pas eu cette chance, cest le cas de Monsieur Sissoko, au CRA de Palaiseau (91) : Depuis Bamako o il a t expuls il y a une semaine, Modibo Sissoko tmoigne de son expulsion, alors quil tait en grve de la faim. Ag de 41 ans, il a vcu 20 ans en France. Il a le souffle court, parle lentement. Gn. Depuis une semaine, Modibo Sissoko est de retour Bamako, capitale du Mali, aprs vingt ans dabsence : Jai rien ici. Je connais pas. Et sinquite : Comment je vais rcuprer mes affaires qui sont restes en France ? . Arriv en 1989 en France, il a travaill pendant vingt ans dans le btiment. Plusieurs fois licenci parce que sans papiers, il avait nanmoins obtenu de son dernier employeur une promesse dembauche, indispensable sa demande de rgularisation par le travail. Rendez-vous tait fix en prfecture le 12 mars. Mais fin janvier, Modibo Sissoko est arrt proximit de son foyer Viry-Chtillon (91). la suite dun refus dembarquer, il est sous le coup dune interdiction du territoire franais de trois ans prononce par le tribunal de grande instance de Lyon en 2007. Il a beau montrer sa convocation en prfecture, rien ny fait, Modibo est plac au centre de rtention administrative (CRA) de Palaiseau, en attendant sa probable expulsion. Le 14 fvrier, les retenus du centre votent la grve de la faim. Dans le centre, les sans-papiers sont traits comme des criminels, explique Modibo. On remplit les caisses de ltat en payant des impts et aprs on est trait comme des chiens. Vendredi 20 fvrier, Modibo est extrait , comme dit le vocabulaire officiel, du CRA pour tre loign du territoire . Mais le commandant de bord le dbarque. Selon la prfecture, son comportement ntait pas de nature ce que le vol se droule sereinement. Selon le Rseau ducation sans frontires (RESF), le commandant de bord aurait refus dembarquer sans assistance mdicale une personne affaiblie par une semaine de grve de la faim. Modibo est ramen au CRA. Son rpit est de courte dure. Deuxime tentative dexpulsion le lundi. Modibo Sissoko, escort par six policiers, dit alors avoir t violemment agress : Javais les pieds scotchs au sige, les mains menottes dans le dos. Jtais attach comme un animal. Pli en deux, je narrivais pas respirer. Au point que plusieurs passagers interviennent. LAssociation malienne des expulss (AME) qui a accueilli Modibo laroport a recueilli les pro-

pos de lun dentre eux, prt tmoigner devant la justice. Il a t touch violemment, confirme Alassane Dicko, secrtaire permanent de lassociation, employant un euphmisme par peur des poursuites. Lun des passagers nous a dit quil hurlait comme une bte. Les passagers organisent une collecte : 560 euros pour que Modibo ne rentre pas sans rien Bamako. Depuis son rapatriement comme il dit, Modibo a mal partout , particulirement au dos. Il doit aller voir un mdecin aujourdhui. LAME sinquite du changement de nature des expulsions : Depuis dcembre 2008, les expulss ont chang, remarque Alassane Dicko. Nous voyons arriver de plus en plus de gens qui taient depuis trs longtemps en France, 15 ans, mme 22 ans la semaine dernire. Lun vient de sortir du bureau, il a sa femme et ses enfants en France, il ne comprend pas ce qui lui arrive . Nous avons rencontr en 2008 de nombreux trangers prsents et travaillants en France depuis plusieurs annes. Leur expulsion est un dracinement, la ngation de leur travail, la rupture avec des annes de vie et tout ce quils ont pu construire. Certains sont interpells et ne russissent pas obtenir le paiement de plusieurs mois de travail. Dautres ont cotis durant des annes et perdent pourtant leurs droits la retraite ou une protection sociale. Le renvoi dans un pays quils ont quitt depuis des annes et o ils nont plus ni repres ni liens privs et familiaux est extrmement difficile vivre et supporter.

lexpulsion des maladesComme pour les travailleurs, il est de plus en plus difficile dobtenir de lAdministration le respect du droit au sjour en France des trangers gravement malades. Depuis 1997, la loi prvoit pourtant que les trangers vivant en France qui sont atteints dune pathologie grave et qui ne peuvent avoir accs aux soins ncessaires dans leur pays dorigine, ne peuvent pas faire lobjet dune expulsion. Mais la pression qui sexerce sur les services prfectoraux, auxquels il est demand de prononcer de plus en plus de mesures de reconduite la frontire, les amne de plus en plus souvent carter cette protection, mettre en doute les lments mdicaux sur la pathologie de la personne trangre comme sur la possibilit pour elle dobtenir des soins dans son pays dorigine. Cette logique comptable aboutit au placement en rtention et parfois lexpulsion de personnes gravement malades, mettant en jeu leur sant et parfois leur vie. Un exemple suffit pour mesurer la gravit de ces pratiques et leurs consquences : Le 19 mars, un ressortissant ivoirien atteint de la drpanocytose a t plac au centre de rtention du MesnilAmelot. Cet homme est atteint dune forme svre de cette maladie gntique. Il sest heurt comme beaucoup dtrangers malades au refus de la prfecture de le faire bnficier des dispositions de loi qui le protgent. Les mdecins hospitaliers qui le suivent se sont mobiliss et ont attir lattention des pouvoirs publics sur la gravit de sa maladie, la ncessit de lui accorder une carte de sjour pour quil puisse recevoir les soins qui simposent et de ne pas le

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soumettre un stress qui est un facteur aggravant dans cette maladie. Il a fallu 6 jours avant que cet homme soit enfin libr. Dans cet intervalle, il a dvelopp une complication frquente et grave de cette maladie au niveau de lil droit (rtinopathie). Il na pu bnficier des soins ncessaires puisquil tait au centre de rtention. Dsormais libre, il a perdu toute vision de lil droit. Les malades ne sont pas les seules personnes particulirement vulnrables subir pourtant cette privation de libert.

trative, vivaient le quotidien dune famille presque ordinaire, se retrouvent gardes vue par des policiers, interroges, folles dinquitude la perspective de la reconduite la frontire. Nous constatons de nombreux troubles chez les enfants placs en rtention : irritabilit, troubles du sommeil, mutisme, troubles de lalimentation etc .A lvidence traumatisant pour les enfants, le placement en rtention est galement contraire la Convention internationale de protection des droits de lenfant dont la France est signataire. Celle-ci prvoit en effet que dans toute dcision administrative concernant un enfant, son intrt suprieur doit primer sur toute autre considration. La rtention des mineurs peut aussi tre considre comme un traitement inhumain et dgradant au sens de larticle 3 de la Convention europenne des droits de lHomme. Plusieurs juridictions judiciaires ont ainsi pris une dcision de libration dun certain nombre de ces familles sur cette base. Rappelons quen France, les centres de rtention et les zones dattente sont les seuls endroits o des mineurs de moins de 13 ans sont privs de libert. Dans limmense majorit des cas, ces familles sont pourtant installes en France depuis plusieurs annes, intgres dans leur ville, dans leur rgion, les enfants ont entam leur scolarit en France, etc. Leur expulsion vers un pays que parfois ils ne connaissent pas est toujours un arrachement. Rien ne peut justifier quun tel traitement soit inflig des familles et des enfants au nom de la logique du chiffre. Quelle que soit lissue, expulsion ou libration, dans une situation toujours aussi prcaire voire aggrave par la perte dun logement, la rupture avec lcole etc. lenfermement est un traumatisme profond pour les enfants et pour leurs parents. Cent-dix-huit familles lont subi en 2008, chacune a son histoire, nous avons choisi den rapporter une, parmi tant dautres, au CRA de Toulouse-Cornebarrieu : Petite femme nergique et volontaire Madame B. arrive au CRA de Toulouse un soir davril 2008 escorte par la gendarmerie de Tarbes et accompagne de ses deux enfants, gs de 3 et 5 ans. Le papa, lui, narrivera que le lendemain escort par la police de Lourdes puisquil a t plac en garde vue sparment au commissariat de cette ville. Originaire de Gorgie, cette famille est arrive en France pour fuir une perscution tenace organise sciemment par les autorits de leur pays. Madame est avocate, inscrite au barreau de Tbilissi et a eu durant plusieurs annes la mauvaise ide de dfendre des organisations de dfense des droits de lHomme dans un pays indpendant depuis 1991 mais en proie une instabilit chronique. Intimidations. Menaces. Arrestation. Emprisonnement. Saisis de leurs biens immobiliers plus tard revendus aux enchres... Peu aura t pargn cette famille qui finalement se dcide, la mort dans lme, quitter son pays pour demander asile en France en 2004. La procdure suit son cours et pas plus lOffice franais de protection des refugis et apatrides (Ofpra) que la Cour nationale du droit dasile (CNDA) naccorderont le statut de rfugi politique cette famille. Les

lenfermement des enfants et de leurs famillesMaintes fois dnonc, le placement en rtention des enfants et des familles sest galement poursuivi en 2008. Prs de 230 enfants ont t placs en rtention en 2008. Le placement en rtention des familles tait jusquen 2004, lexception. Le dcret du 30 mai 2005 et larrt du 29 aot 2005 qui prvoient pour la premire fois que certains centres de rtention soient habilits recevoir des familles (11 centres de rtention en 2008) sont venus institutionnaliser cette pratique. Cette privation de libert sorganise nanmoins dans un trs grand flou juridique. En effet, le Ceseda ne permet lloignement du territoire de ressortissants trangers qu la condition quils soient majeurs. Les mineurs ne sont pas astreints la possession dun titre de sjour. Cest pourquoi les enfants placs en rtention ne font lobjet daucune mesure administrative, ni mesure dexpulsion ni mesure de placement en rtention, ils napparaissent mme pas dans le compte des personnes retenues. Ils subissent pourtant de plein fouet le traumatisme que constitue cet enfermement, puisque lAdministration ne veut pas sparer les familles . Les enfants placs en rtention sont soumis des formes multiples de violence : violence de linterpellation trs souvent ralise domicile, violence de lenfermement, violence prsente dans ces lieux o les tensions sont trs importantes, violence faite leurs parents interpells, menotts, privs de toute autonomie, violence de lexpulsion enfin. Dans un grand nombre de cas les familles sont interpelles leurs domiciles ou dans les htels o elles logent, voire dans un foyer dhbergement. Les arrestations ont lieu ds les premires heures de la journe. Souvent tout se passe trs vite pour que les voisins, alerts, ne puissent ragir. Quand les enfants sont dj partis pour lcole, les fonctionnaires de police les rcuprent directement la sortie des tablissements scolaires. Puis tout le monde est embarqu et plac en garde vue, pour de longues heures, afin dy tre interrog. Il nest pas rare que les ans servent dinterprtes leurs parents, quelque fois mme la demande des fonctionnaires de police. Les enfants sont les tmoins de tout ce processus fait de violence verbale (cris, menaces, pleurs), physique (menottage, bousculade) et de la prcipitation dun dpart impos (prendre quelques vtements en urgence, le biberon du bb, fouille du domicile par les policiers, etc.). Ces mmes personnes qui quelques heures auparavant, malgr la connaissance quelles avaient de leur situation adminis-

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recours devant les juridictions administratives ne donneront rien de positif non plus et au petit matin le 26 mars 2008, la famille est interpelle son domicile par les services de police et de gendarmerie agissant de concert. Les enfants semblent paradoxalement rassurs dans un premier temps par lambiance du centre de rtention et la possibilit qui leur est offerte de se dplacer leur guise dans un espace plus grand que celui dun bureau dune brigade de gendarmerie durant les heures de garde vue ; mais rapidement ils perdent leur entrain. Le pre est quasiment mutique, au point que nous pensons dans un premier temps quil ne comprend pas du tout le franais. La prfecture des Hautes-Pyrnes, malgr de nombreuses tentatives faites par La Cimade, ne veut rien entendre et sollicite aprs deux semaines une prolongation de la rtention alors que ds les premiers jours de rtention, le consulat a averti quil ne dlivrerait pas de laissez-passer pour cette famille hautement indsirable en Gorgie. Le juge des liberts et de la dtention (JLD) est saisi dune demande de mise en libert. Cette saisine est faite sur la base dun certificat mdical rdig par un praticien de lhpital des enfants de Toulouse. Celui-ci, aprs avoir examin lan (5 ans) qui lui est amen en urgence aprs 14 jours dj passs en rtention, produit un rapport sans quivoque : (...) cet enfant tait hospitalis depuis le () ; venant accompagn par sa mre , du centre de rtention administrative de Cornebarrieu. Il prsentait lentre un pistaxis mais galement une cphale de tension et

des douleurs abdominales voluant depuis au moins 15 jours selon son entourage. Lexamen du petit garon permet de mettre en vidence des signes de souffrance psychique majeurs avec des phnomnes de somatisation et galement une hyperactivit qui, selon la mre, aurait dbute peu aprs linterpellation de la famille (...) . Le magistrat considrera que la formulation choisie pour la rdaction de ce certificat et notamment lemploi du conditionnel ne permet pas dacqurir la certitude que la rtention administrative est bien la cause du malaise de cet enfant. Les jours sgrnent et le moral des parents au plus bas affecte plus encore les enfants. Le calvaire durera 32 jours. La famille sortira libre mais brise.

Kafka reconduit la frontireCette violence institutionnelle qui sexerce sur les trangers rsulte aussi de pratiques absurdes induites par la politique du chiffre et utilises pour satisfaire la loi des statistiques. La plus frappante est sans doute celle qui consiste placer en rtention puis expulser des trangers qui ont t arrts alors quils taient en train de rentrer chez eux ! Cette pratique est particulirement frquente dans les centres de rtention frontaliers : Ste, Perpignan, Hendaye, etc. La rcurrence comme la gravit de ces situations a amen La Cimade alerter lopinion publique sur ces faits.

communiqu de presse du 11 mars 2009Labsurdit des quotas dexpulsion : arrter des trangers qui rentrent chez euxDix ressortissants marocains ont t arrts par la police aux frontires quelques mtres de la frontire espagnole dans la nuit du 7 au 8 mars. Toutes ces personnes qui voyageaient en bus, munies de leur billet retour, charges de bagages, rentraient dfinitivement au Maroc. Outre ces interpellations arbitraires qui ne visent qu gonfler les chiffres des expulsions, au mpris des droits et de la dignit des personnes, les conditions de garde vue de ces dix Marocains ont t intolrables : les personnes arrtes ont racont avoir t dshabilles, prives dun accs libre aux toilettes, empches de dormir, sous-alimentes. Ces personnes ont galement reu des insultes et menaces verbales de la part des policiers de service. Aprs leur interpellation, elles nont pu rcuprer leurs bagages rests en soute, car le bus avait continu sa route vers le Maroc. Phnomnes rcurrents, ces arrestations la frontire franco-espagnole sont utilises par les prfectures pour atteindre les quotas qui leur sont fixs par le ministre de lImmigration : une fois le centre de Perpignan parvenu au maximum de sa capacit, un nouveau transfert dans dautres CRA de la rgion, Nmes par exemple, est impos aux personnes. Obissant uniquement une logique comptable, ce transfert augmente encore le stress et lhumiliation des personnes. La Cimade dnonce une fois de plus cette illustration de la politique du chiffre. Pour satisfaire des objectifs absurdes dicts par la volont de flatter les penchants xnophobes dune minorit de lopinion publique, des personnes qui rentraient tranquillement dans leur pays sont arrtes, humilies, enfermes et expulses. La Cimade demande au ministre de lImmigration de faire cesser immdiatement ces pratiques qui constituent la ngation du plus lmentaire respect des droits et de la dignit des personnes.

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Xavier Merckx / La Cimade

Nous avons observ cette situation tout au long de lanne 2008 et elle se poursuit en 2009. Humiliantes pour les personnes qui les subissent, manifestement absurdes, ces pratiques sont une consquence logique de la politique des quotas. Loin des frontires, des touristes font aussi les frais de cette obsession. Il sagit dtrangers vivant rgulirement dans un autre pays de lUE et qui viennent en France visiter un proche ou simplement le pays. Ils ont alors le droit de circuler en France pour une dure de trois mois. Ils doivent tre en mesure de prsenter leur passeport et leur titre de sjour dans leur pays de rsidence et prouver quils sont en France depuis moins de trois mois. Durant toute lanne 2008 nous avons rencontr ces personnes dans les centres de rtention. Convaincus de labolition des frontires dans lespace Schengen, vivant rgulirement dans lun des pays membres, certains ne voyagent effectivement quavec leur titre de sjour ou seulement leur passeport. Dautres, nombreux, ne peuvent pas prouver quils sont en France depuis moins de trois mois : difficile en effet de prouver son entre en France puisquil ny a plus de postes-frontires, plus de tampons sur les passeports, etc. Alors mme que leur sjour rgulier dans un pays europen ne fait aucun doute, ils subissent pourtant lhumiliation de larrestation, de la garde vue et la violence de lenfermement avant dtre renvoys vers le pays dEurope o ils habitent. Ils ne sont pas seuls faire les frais de ces radmissions. Cette procdure sapplique galement deux autres situations. Dune part, des trangers qui circulent irrgulirement en France mais qui vivent rgulirement ou pas, ou ont travers un autre pays europen. Dautre part, des demandeurs dasile qui ont dpos leur demande en France mais qui ont transit par un autre Etat membre. Dans ce cas, les rglements europens (Convention de Schengen et rglement Dublin II) prvoient que ltranger doit tre renvoy vers ltat europen par lequel il est pass. La radmission

est une procdure drogatoire, qui possde la particularit de noffrir aucun recours suspensif. Les possibilits de contestation tant pratiquement nulles, cette pratique est utilise depuis plusieurs annes pour augmenter le nombre de reconduites la frontire. En 2008, ces mesures ont concern 12,5% des trangers que nous avons rencontrs. Elles reprsentent prs du tiers des reconduites effectivement ralises (30%) depuis les CRA. Dans certains centres de rtention, en particulier ceux qui se situent dans des zones frontalires, ce taux est encore plus lev. Au CRA de Coquelles (62), 78% des trangers retenus, le sont sur la base dune mesure de radmission, ils reprsentent la quasi totalit des loignements effectifs. Lille (59) ces mesures concernent 32% des personnes places et 70% des reconduites la frontire effectivement ralises. Calais (62), de nombreux migrants tentent dentrer en Grande-Bretagne. Les causes de cette immigration sont multiples et anciennes, et sont issues autant de la rputation de tolrance dont bnficie la Grande-Bretagne que des liens issus du pass colonial du pays. Ces personnes ont pour la plupart travers plusieurs pays europens, o elles ont pu tre contrles et inscrites dans le fichier Schengen. Par ailleurs, le passage vers la Grande-Bretagne tant dsormais extrmement contrl, nombreux sont ceux qui se sont faits interpeller lors de la traverse. Ils sont alors placs en rtention, et retrouvs dans les fichiers de la police comme dpendant dun autre pays europen (souvent la Belgique ou lItalie). Dans ces conditions, le premier pays dentre tant contraint de radmettre ltranger interpell, ceux-ci sont renvoys vers la Belgique ou lItalie. Leur dsir ntant pas deffectuer des dmarches ailleurs quen GrandeBretagne, et la facult de les reconduire vers leur pays dorigine tant quasi nulle du fait de la situation politique, notamment pour les ressortissants afghans, rythrens et irakiens, les pays de radmission finissent par les librer avec une invitation quitter le territoire Ils reviennent alors en France pour tenter nouveau de passer vers la Grande-Bretagne et sils sont pris sur le passage, le cycle peut recommencer. Rejets par la Grande-Bretagne,

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pourchasss par la police, perdus dans les mandres juridiques dune Europe qui les ignore, ils sont condamns lerrance jusqu ce quils puissent enfin traverser la mer vers cet Eldorado rv mais de moins en moins accessible. Le calvaire de la famille M. illustre bien les consquences dramatiques du jeu de ping- pong entre tats europens, dont les migrants sont les balles. La famille M., russe dorigine tchtchne, est arrive en France dbut janvier 2008 avec ses 4 enfants. Suite tout ce quils ont vu et vcu, les enfants sont toujours traumatiss. Le plus jeune, g de 2 ans et 3 mois ne parle toujours pas. Toute la famille est perscute en Tchtchnie du fait de la participation de Monsieur M. la rsistance contre la Russie pendant la dernire guerre qui a divis le pays. M. M. aidait activement les opposants aux russes en fournissant des mdicaments que leur procurait le frre de Madame, docteur en mdecine. Fin 2006 il a t dnonc. Malmen et tabass par la police il est aujourdhui encore couvert de cicatrices. La famille M. a fui la Tchtchnie. La Pologne est un passage oblig vers lEurope de lOuest. En Pologne on leur a pris leurs empreintes bien quils naient pas demand lasile. Les autorits polonaises les ont mis dans un camps mais peine 5 jours aprs leur arrive, la mre de Madame M., reste en Tchtchnie, tait visite par des policiers russes qui lui demandaient o tait la famille M., tout en lui prcisant, devant son silence, quils savaient quils taient en Pologne. La famille M. a fui directement la Pologne en taxi, lequel les a emmens directement Metz. Ds leur arrive, Monsieur et Madame M. sont alls la prfecture afin de solliciter lasile. La prfecture les a mis sous convocation Dublin et leur a donn rendez-vous une nouvelle fois le 8 juillet 2008 la prfecture. Le 10/06/2008 au matin, la police est venue chercher lensemble de la famille lhtel o ils taient hbergs. La prochaine convocation tait pourtant prvue pour dans un mois environ. La police leur a annonc leur dpart pour la Pologne prvu pour le lendemain matin 9h. Une requte auprs de la CEDH a t envoye en urgence leur arrive au centre de rtention. Elle a t reue trop tardivement pour tre traite avant le dpart de la famille M. Le lendemain, soit le 11/06/2008, la famille M. tait dans un avion pour la Pologne. Si la violence ressentie en rtention est souvent une violence morale, psychologique, symbolique, lie la dcision dexpulsion elle-mme, la violence physique est galement prsente.

ment. Les retenus voquent le plus souvent des coups, des tranglements, etc. En rtention, la capacit des CRA est un facteur aggravant : plus ils sont grands et plus la tension y est forte et les violences frquentes. Nous avons voqu les tmoignages que nous avons recueillis Vincennes o en quelques mois, au dbut de lanne 2008, plus de vingt personnes se sont adresses La Cimade pour dposer plainte. Cette situation sest reproduite au centre de rtention du Dpt Paris en 2009 et, Rouen, plusieurs personnes ont fait tat de violences qui se seraient produites au cours de la nuit. Les plaintes restent la plupart du temps sans suite. Certaines personnes sont expulses avant davoir pu tmoigner, pour dautres, et malgr des interventions parfois de lInspection gnrale des services (IGS), la procdure senlise. Enfin, il faut signaler que suite des plaintes dposes par des personnes retenues nous avons observ que certains policiers introduisaient des plaintes lencontre des migrants pour outrage ou rbellion. Dans ce cas, le risque pour ltranger est beaucoup plus important que pour les policiers mis en cause. Histoire de M. Kennoudi, CRA du Mesnil-Amelot (77) : Dans la journe du 14 juillet 2009, Monsieur Kennoudi, ressortissant marocain, retenu au CRA depuis le 25 juin, est emmen Roissy. Il a protest contre son troisime embarquement et a t plus que malmen par les policiers, au point que les gendarmes de lescorte du CRA, sont intervenus et ont tmoign en sa faveur, selon M. Kennoudi. Menott dans le dos, scotch aux genoux et chevilles, il a t port lhorizontale par deux policiers et un gendarme jusque dans lavion. Il nous raconte quils lont forc sasseoir, quil a reu des gifles et un coup de pied dans le ventre. Refusant catgoriquement de rentrer au Maroc, il est prt tout : il sort une lame de rasoir de sa poche et commence se taillader le cou. Saignant abondamment, il est finalement dbarqu de lavion. Les policiers le font remonter dans le fourgon descorte. Il dit y avoir subi de nombreux coups et insultes racistes. Les violences ont cess grce lintervention dun gendarme. A son retour au CRA, Monsieur Kennoudi a pu porter plainte. Les autres retenus sont choqus. Ils se rassemblent et sortent tous les matelas, manifestent leur mcontentement et leur indignation face au traitement inflig M. Kennoudi. Les retenus se retranchent dans 2 des 6 btiments de la zone de rtention et entament une grve de la faim. Le 15 juillet au matin, ils remettent une ptition aux gendarmes du centre, destine au prfet de Seine-et-Marne et au juge des liberts et de la dtention de Meaux, signe par 89 des 113 retenus prsents dans le CRA. Ils protestent contre les violences policires et labsence dexamen individuel des situations par le prfet. Il est vrai que la politique du chiffre ne saccommode gure de cet examen individuel... Quelques heures plus tard, une faible alerte incendie se fait

un environnement propice aux violencesSi les violences restent relativement peu frquentes et dune ampleur relativement limite lintrieur des centres de rtention, elles sont beaucoup plus graves lors la procdure dexpulsion qui a lieu en dehors de tout regard extrieur. Les tmoignages les plus nombreux de violences policires voquent des faits qui se droulent en garde vue, pendant les escortes, ou lors de tentatives dembarquement. Elles sont souvent corrobores par des certificats mdicaux tablis lorsque les personnes retenues arrivent ou sont ramenes au centre de rtention aprs un embarque-

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entendre dans le btiment 4, la salle de dtente est en feu. Les retenus sont vacus du btiment. La tlvision et le meuble partent en fume. La rtention de M. Kennoudi devait se terminer le jeudi 16, 15h. Ceci nempche pas lAdministration de lui programmer un nouveau vol, 14h. A 10h, il est transfr lhpital car il dit avoir aval une lame. Il arrive temps Orly pour tre expuls. Pour la quatrime fois, lAdministration tente de faire embarquer M. Kennoudi. Il a finalement t dbarqu, probablement grce la mobilisation des passagers, prsents laroport. Mais lAdministration ne lchera pas si facilement M. Kennoudi, qui est prsent une cinquime fois - deux heures plus tard lembarquement. Ayant nouveau refus de monter dans lavion, il est plac en garde vue. Nous ne savons pas sil a t nouveau prsent pour un embarquement ou poursuivi devant le tribunal correctionnel pour refus dembarquement.

le dsespoir et la rvolteFace cette violence protiforme que reprsente la dcision dexpulsion elle-mme comme la privation de libert, les ractions des personnes qui en sont victimes sont trs souvent dsespres. Elle conduit trs souvent des gestes extrmes. Les actes dauto-agression, essentiellement les automutilations et tentatives de suicide sont extrmement nombreux. Ingestion de piles, de lames de rasoir, de shampooing, tentatives de pendaison, tailladage des bras, etc. Ces violences que les personnes retenues exercent leur encontre conduisent souvent une hospitalisation, parfois suivie dune libration, parfois aussi dun retour en rtention et dune nouvelle prvision dembarquement, parfois aussi dune nouvelle tentative Le calvaire de M. T, CRA du Mesnil-Amelot (77) : M. T., est g de 30 ans. Egyptien, il a t expuls jeudi 29 janvier 2009 vers son pays dorigine. Daprs les autorits du centre du Mesnil-Amelot o M. T. a vcu des jours particulirement difficiles avant son expulsion, lembarquement sest bien pass et M. T. na oppos aucune rsistance . Retour sur la vie en rtention de M. T. Le 5 janvier 2009 en arrivant au centre, M. T. fait part La Cimade de ses problmes de sant, prciss dans un certificat par son mdecin traitant, voquant notamment un syndrme dpressif et des tendances suicidaires. Le lendemain, les jours suivants, M. T. manifeste que la rtention lui est insupportable. Le juge des liberts et de la dtention (JLD) demande une expertise mdicale. Le mdecin du CRA indique que ltat de M. T. est compatible avec la rtention. Entre-temps, son recours auprs du tribunal administratif contre son loignement est rejet, car fax quelques heures hors dlai. Il naura ainsi jamais eu loccasion de sexprimer sur le fond de son histoire. Le 15 janvier, M. T. fait une tentative de suicide. Il est vacu vers un hpital avant de rintgrer le centre le soir mme. Le lendemain, dans un accs de violence, il brise du matriel dans un des btiments du centre. Plac en garde vue, il est ensuite prsent au tribunal correctionnel pour destruction de matriel appartenant lEtat. La sentence tombe : 3 mois de prison avec sursis. De retour au centre, aid par les intervenants de La Cimade, il tente nouveau de saisir le juge des liberts, sans succs. M. T. va de plus en plus mal. Mardi 27 au matin, il rencontre un psychiatre du CRA qui se borne changer son traitement. Que M. T. refuse de prendre. Nouvel accs de violence : aprs avoir afft une lame de rasoir, il menace une autre personne retenue. A 16h, les gendarmes du CRA le placent en chambre disolement. M. T. accroche un drap aux barreaux de la fentre pour se pendre. Dautres retenus, lextrieur, sen aperoivent et se mettent crier. Les gendarmes sortent M. T., lemmnent dans la zone rserve aux services administratifs, en dehors de la zone de rtention. A 18h, il est enferm dans un local rserv la fouille, il se frappe la tte contre les murs. Les gendarmes laffublent dun casque de protection et de menottes. Pour la nuit, M. T. est transfr dans une autre pice, officiellement affecte aux visiteurs, et agrmente pour loccasion, dun matelas mousse. Ces deux pices sont aussi dpourvues de

David Delaporte / La Cimade

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sanitaires et de fentres. Mais surtout, M. T. ne peut rencontrer comme il le souhaite La Cimade, le service mdical : il est dans limpossibilit dexercer ses droits. Mercredi 28, vers 19h, le service mdical informe La Cimade que M. T. souhaite voir lquipe. Il est de retour dans le local rserv la fouille, assis sur le banc, prostr, menott. Il fait part de son dsespoir, demande rejoindre la zone o se trouvent toutes les personnes retenues, parler au chef de centre. Selon ce dernier, cette mise lcart, est la seule solution, bien quillgale. La libration de M. T. nest pas envisageable. Lhospitalisation alors ? Non plus. Non, vraiment, il ny a pas dautre solution. De passage dans le centre ce jour-l, le directeur du cabinet du prfet de Seine-et-Marne, na rien trouv redire la situation de M. T. Mercredi soir, M. T. est toujours l, menott, allong sur son banc. Il dort. Sous calmant. Jeudi 29 janvier, M. T. est dans lautre local. Celui du matelas en mousse, sur lequel il passe ses nuits. Abattu. Rsign. Il ne demande mme plus tre libr. Il veut juste rejoindre lautre zone, la zone de rtention. Le chef de centre annonce quil ira le voir plus tard. Les dmarches juridiques se poursuivent. Alors que les intervenants de la Cimade sapprtent voir M. T. pour engager avec lui une nouvelle requte, ils apprennent par les gendarmes qui gardaient sa cellule que M. T. a t expuls. Comme signal au dbut, lembarquement se serait bien pass, M. T. naurait oppos aucune rsistance . Nous ne souhaitons pas nous engager dans une comptabilit morbide de ces actes. Un seul chiffre permet cependant de mesurer leur frquence en rtention. Ainsi, au mois de mai

2009, huit tentatives de suicide ou automutilations ont eu lieu dans le seul centre de rtention de Vincennes. Nous avons voqu les mouvements collectifs de rvolte qui se sont produits en 2008 dans la plupart des centres. La grve de la faim est lune des formes principale que revt cette protestation. Plus ou moins longue, plus ou moins suivie par les personnes retenues, mettant en avant des revendications collectives ou individuelles, portant sur les conditions matrielles de rtention, les interpellations, lexpulsion de malades ou denfants, ce mode de protestation est aujourdhui une constante de la rtention administrative. Le mouvement de rvolte qui a conduit lincendie du centre de rtention de Vincennes a fait suite des mois de tensions trs fortes lintrieur du CRA. Lmotion, la colre suite la mort dun retenu ont provoqu ce mouvement spontan et violent de contestation. La plupart des mobilisations collectives de personnes retenues prennent des formes plus pacifiques mme si la colre est la mme et les revendications semblables. La grve de la faim entame par les personnes retenues Vincennes le 30 juin 2009 est un exemple parmi dautres de ces mobilisations. Ce jour l, aprs plusieurs runions des trangers retenus, 48 dentre eux (cest--dire la quasitotalit des personnes ; de dcembre 2008 aot 2009, le centre de Vincennes comptait 60 places) ont dcid de refuser de salimenter pour faire valoir leurs revendications. Nous reproduisons ci-dessous le document quils ont crit et transmis aux responsables du centre de rtention ainsi qu la prfecture de police de Paris.

avis de grve de la faimNous, lensemble des retenus du centre de rtention de Vincennes, aprs concertation gnrale, avons convenu et dcid dentamer une grve de la faim partir du 30 juin 2009 jusqu satisfaction totale de nos revendications qui sont les suivantes : 1. Apporter une solution rapide et efficace aux retenus traumatiss par les tentatives de suicide rptition. 2. Amliorer les conditions de rtention dans le centre : soit la nourriture, lhygine et tous les services internes avec ladministration et la police. 3. Prendre en considration les retenus souffrant de maladie grave et leur offrir des soins lextrieur du centre. 4. Librer les retenus ayant une situation familiale et des enfants charge ns et issus dun mariage sur le sol franais. 5. Offrir un nombre suffisant davocats commis doffice durant les audiences pour les retenus. 6. Donner le choix aux retenus dsirant quitter la France par leurs propres moyens pour prserver leur dignit. 7. Remdier aux conditions de mouvement et de dplacement des retenus et la longue attente avant et aprs les audiences. 8. Donner plus de temps aux retenus librs aprs 32 jours de rtention afin quils puissent rgulariser leur situation ou rentrer dans leur pays dorigine. 9. Arrter les contrles massifs et abusifs dans les rues qui portent atteinte la libert et la dignit des personnes. 10. Respecter le rglement intrieur des retenus et les informer de chaque mouvement. 11. Fermer les centres de rtention et rgulariser les sans-papiers.

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Ce mouvement a pris fin le 8 juillet suite lexpulsion vers lAlgrie des deux principaux porte-parole du mouvement. Depuis 2004, lapplication dune politique du chiffre en matire dexpulsion gnre avant tout les drames humains que nous avons voqus. Comme toute politique, elle a galement un cot financier. Pourtant, alors que les quotas dexpulsion sont llment principal sur lequel le ministre de lImmigration communique, aucune information nest donne sur le cot des expulsions.

Toulouse, le Mesnil-Amelot et bien sr Vincennes et lagrandissement de plusieurs autres. Construits sur un modle de plus en plus carcral (limitation des contacts humains, gnralisation de la vido surveillance, meubles fixs au sol, communication par interphones, etc.), ces centres sont donc de plus en plus grands. La plupart prvoient plus de 100 places de rtention administrative, le futur centre du Mesnil-Amelot et celui de Vincennes dpassent quand eux les 200 places chacun. Ces espaces sont avant tout des lieux de dshumanisation, o lanonymat, langoisse sont le quotidien. Vincennes reste ce jour lexemple le plus tragique de cette situation. Lincendie qui la entirement dtruit le 22 juin 2008, aprs la mort, la veille, dun retenu tunisien dans le centre, a dmontr quelles consquences dramatiques cela pouvait mener. Tout annonait pourtant cette issue et La Cimade comme dautres, avait prvenu les responsables politiques et administratifs. En janvier 2007 dj, lun des btiments de ce centre avait brl. Aprs quelques semaines de fermeture et quelques mois de rouverture partielle, la capacit de ce centre de rtention a, nouveau, atteint 280 places en dcembre 2008. Vincennes, extrait du Rapport 2008 du CRA : Trente quarante personnes y arrivent chaque jour. La configuration des lieux est telle que la promiscuit y est trs forte. Les retenus nont que trs peu despace, lintrieur, comme lextrieur pour se dplacer. Pendant les six premiers mois de lanne, on a pu observer une dgradation notable des conditions matrielles de rtention sur les deux sites. Ltat de propret est dplorable. Les salles communes sont souvent inondes par la fontaine eau qui fuit rgulirement. Les tables ne sont pas nettoyes aprs tous les repas. Des flaques de caf ou autres boissons stagnent sur le sol. Ltat des chambres laisse galement dsirer, les sols tant extrmement sales et poussireux. Les draps et serviettes sont changs tous les dimanches mais il est frquent que des retenus ne soient pas au courant, quils soient absents au moment des changements, ou quils oublient. Le respect des rgles dhygines devient donc particulirement difficile. Nous avons aussi pu constater des problmes rcurrents de chauffage et deau chaude. Une tension constante rgne dans le centre. Cette tension rsulte des conditions matrielles mdiocres et du nombre de retenus. La gestion de 280 personnes sur un mme site engendre invitablement des problmes pour toutes les actions courantes : accs au coffre, accs linfirmerie, distribution des repas, transferts vers les tribunaux et les consulats, etc. Le nombre engendre galement un phnomne de massification et rend le dispositif particulirement dshumanisant. Concrtement, cela se matrialise par des temps dattentes trs longs pour accder linfirmerie ou au coffre ou encore la machine friandises (dont laccs est soumis des horaires trop peu souvent respects par les fonctionnaires de police).

combien cote une expulsion ? la fin de lanne 2008, le snateur Bernard-Reymond a tudi cette question et remis un rapport la commission des finances du Snat, tandis que la Cour des comptes a rendu un document consacr la gestion des centres et locaux de rtention administrative en juin 2009. Ces tudes ont le mrite, pour la premire fois, dvaluer le cot rel de la politique dexpulsion. Les cots de garde et descorte des centres de rtention sous la responsabilit de la police ne figurent nul part et sont intgrs dans le budget gnral du ministre de lIntrieur. Pour estimer les sommes qui y sont consacres, le snateur Bernard-Reymond les a values en prenant pour base les cots financiers de garde et descorte dans les centres de rtention grs par la gendarmerie nationale, qui apparaissent dans le budget du ministre de la Dfense. Il montre ainsi que lEtat consacre environ 394 millions deuros ce titre pour les centres de rtention (60 millions pour la gendarmerie et 334 pour la police nationale). Il faut ajouter cela, les sommes directement engages par le ministre de lImmigration. Elles reprsentent dune part, 80,8 millions deuros pour les dpenses de fonctionnement : 28,8 pour les frais de restauration, blanchisserie, etc., 42 millions pour les billets davion, de train ou de bateau et 15 millions pour la prise en charge sanitaire et sociale ainsi que laide lexercice des droits des trangers. Dautre part, les frais dinvestissements lis la construction et lagrandissement des centres de rtention. Ceux-ci apparaissent dans le rapport de la Cour des comptes, rendu en juin 2009. La Cour indique que dans le cadre dun plan triennal dextension de la capacit des centres de rtention 2006-2008, 174 millions deuros ont t dpenss. Pour les pouvoirs publics, la premire condition pour atteindre les quotas dexpulsion, fixs chaque anne, est en effet de placer les personnes en rtention. Pour cela il faut construire des centres de rtention, toujours plus de centres, toujours plus grands. Le 27 juillet 2005, le Comit interministriel de contrle de limmigration (CICI) a adopt un plan triennal dextension de la capacit des places de rtention, fixant un objectif de 2 700 places de rtention en juin 2008 (en 2005, il existait 1 000 places de rtention en France). Cela sest traduit par la construction et louverture des centres de rtention de Lille, Marseille, Nmes, Rennes, Perpignan, Metz, Hendaye,

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Lenvironnement est vcu par les retenus comme un univers industriel et carcral, sur lequel il est difficile davoir prise. La violence sest installe rapidement dans le centre. A la colre des personnes retenues, les fonctionnaires de police ont rpondu par un dploiement de force de plus en plus important et par des pratiques accentuant encore le sentiment dhumiliation des trangers en rtention. Ainsi, chaque soir, les fonctionnaires de police procdaient au comptage des retenus. Celui-ci avait lieu le soir, entre 23h et minuit. Les retenus devaient sortir des chambres et se runir dans le couloir ou dans la cour, ou encore dans le rfectoire. Cette pratique a t le point de dpart de nombreuses chauffoures entre les personnes retenues et les forces de police. plusieurs reprises, celles-ci ont fait appel des renforts de police, en particulier de la BAC par exemple dans les nuits du 11 au 12 fvrier et du 5 au 6 avril. Les mthodes employes : utilisation de gaz lacrymognes mais aussi de Taser, dmontrent la violence des affrontements. Durant les 6 premiers mois de lanne plus de 20 personnes se sont adresses nous pour que nous les aidions porter plainte pour des violences policires. Point dorgue de cette monte de la tension, le 22 juin 2008, aprs la mort la veille, dun retenu tunisien dans des circonstances qui ne sont pas encore claircies, les personnes retenues au centre de rtention se rvoltent. En quelques heures, les btiments sont touchs par le feu et totalement dtruits. Lissue tragique de ces longs mois de dgradation de la situation ne semble pourtant pas avoir modifi la logique des pouvoirs publics. Le centre de rtention de Vincennes est en cours de reconstruction, il atteindra nouveau lanne prochaine une capacit de 180 places. Selon le rapport de la Cour des comptes, entre 2005 et 2010, les travaux effectus dans ce centre auront cot 30 millions deuros. Dans le mme temps, un nouveau centre de rtention est en cours de construction sur la commune du Mesnil-Amelot, 50 millions deuros lui sont consacrs. Cette structure regroupera en un mme lieu, 240 places de rtention qui viendront sajouter aux 140 places de lactuel CRA du Mesnil-Amelot, situ au pied des pistes de laroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, dj le plus grand de France. La rglementation fixe pourtant la limite maximale de la taille

dun centre de rtention 140 places. Qui plus est, ce centre est prvu pour que des familles y soient places. Dans ce village de Seine-et-Marne, il y aura dans un an plus de personnes retenues que dlecteurs... En 2008 comme au dbut 2009, dans lactuel CRA du Mesnil-Amelot, des incendies ont eu lieu rgulirement entranant chaque fois la fermeture temporaire de certains btiments. Les grves de la faim comme les tentatives de suicide font partie du quotidien de ce centre. Dans son rapport la commission des finances du Snat, M. Bernard-Reymond souligne que certains frais nont pas pu tre valus. En effet, ses estimations ne prennent pas en compte notamment les frais de fonctionnement des services des prfectures, le cot des contentieux lis la rtention administrative et aux reconduites la frontire devant les tribunaux, pas plus que les cots correspondant au temps consacr par la police aux interpellations, gardes vues, etc. infliges aux trangers. Mme sans prendre en compte ces cots supplmentaires, la somme consacre chaque anne aux expulsions stablit 533 millions deuros ! Ainsi cest plus dun demi-milliard deuros qui est affect cette politique chaque anne. En les comparant au nombre de reconduites forces ralises chaque anne (20 000 en 2008), on constate que chaque expulsion cote prs de 27 000 euros. Les sommes considrables engages aujourdhui par les pouvoirs publics sont un indice des moyens dmesurs et disproportionns employs pour atteindre les quotas dexpulsion fixs chaque anne. Coteuse et bien des gards inefficace , lapplication de la politique du chiffre entrane ncessairement une rduction des droits des trangers et des atteintes graves aux droits fondamentaux de la personne humaine. Lallongement de la dure de rtention, laugmentation du nombre comme de la taille des centres de rtention, la systmatisation de lenfermement, limportance des moyens consacrs la politique du chiffre, rvlent la construction dune machine administrative expulser. En France comme ailleurs en Europe, cest une logique de mise lcart qui est luvre, une logique qui fait de lenfermement un mode de gestion des populations migrantes. Trs loin des valeurs fondatrices de lUnion europenne, lheure de la mondialisation, nous assistons au retour de linternement administratif de ceux que lon appelait, une autre poque, les indsirables.

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OUTRE-MER OUTRE DROITS

outre-mer, outre droits

LE CADRE JURIDIQUE DE LLOIGNEMENT EN OUTRE-MERLe terme outre-mer recouvre des ralits gographiques, conomiques, sociales et aussi juridiques trs diffrentes. Cette vaste mosaque administrative reprsente environ 120.000 km2 de terres et 2 220 000 habitants. La Constitution fait tat de ces singularits : La Rpublique reconnat, au sein du peuple franais, les populations doutre-mer, dans un idal commun de libert, dgalit et de fraternit. La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Runion, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, les les Wallis-et-Futuna et la Polynsie franaise sont rgis par larticle 73 pour les dpartements et les rgions doutre-mer et pour les collectivits territoriales cres en application du dernier alina de larticle 73, et par larticle 74 pour les autres collectivits. Le statut de la Nouvelle-Caldonie est rgi par le titre XIII. La loi dtermine le rgime lgislatif et lorganisation particulire des Terres australes et antarctiques franaises.1 Loutre-mer rassemble des territoires au statut administratif divers. La Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et la Runion sont la fois des dpartements doutre-mer et des rgions doutre-mer (DROM). La Runion, la diffrence des autres DROM, ne dispose pas de pouvoir rglementaire. Mayotte est une collectivit doutre-mer qui prendra le statut de dpartement doutre-mer en 2011. Le cadre juridique de loutre-mer est prcis au premier alina de larticle 73 de la Constitution : Dans les dpartements et les rgions doutre mer, les lois et rglements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire lobjet dadaptations tenant aux caractristiques et contraintes particulires de ces collectivits. Bien que la Rpublique soit indivisible, ses lois et rglements ne sappliquent pas partout de la mme manire. Concernant le Code de lentre et du sjour des trangers et du droit dasile (Ceseda), modifi en dernier lieu par la loi du 20 novembre 2007, dite loi Hortefeux, larticle L.111-2 prcise son champ spatial dapplication : Le prsent code rgit lentre et le sjour des trangers en France mtropolitaine, dans les dpartements doutre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon. Il rgit lexercice du droit dasile sur lensemble du territoire de la Rpublique. Ses dispositions sappliquent sous rserve des conventions internationales. Les conditions dentre et de sjour des trangers Mayotte, dans les les Wallis-et-Futuna, en Polynsie franaise, en NouvelleCaldonie et dans les Terres australes et antarctiques franaises demeurent rgies par les textes ci-aprs numrs : 1. Ordonnance n 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions dentre et de sjour des trangers Mayotte ; 2. Ordonnance n 2000-371 du 26 avril 2000 relative aux conditions dentre et de sjour des trangers dans les les Wallis et Futuna ; 3. Ordonnance n 2000-372 du 26 avril 2000 relative aux conditions dentre et de sjour des trangers en Polynsie franaise ;2. Article 72-3 de la Constitution franaise.

4. Ordonnance n 2002-388 du 20 mars 2002 relative aux conditions dentre et de sjour des trangers en NouvelleCaldonie ; 5. Loi n 71-569 du 15 juillet 1971 relative au territoire des Terres australes et antarctiques franaises. En rsum, les dispositions du Ceseda relatives lloignement ne sont applicables quen mtropole, dans les DROM et Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais pour loigner, il faut dabord contrler ! Les dispositions qui encadrent les contrles didentit en France sont prcises au Chapitre III du Ceseda. Elles permettent, entre autres, de contrler lidentit de toute personne dans un zone comprise entre la frontire terrestre de la France avec les tats parties la convention Schengen et une ligne trace 20 kilomtres en de. Ces contrles sont oprs en vue de vrifier le respect des obligations de dtention, de port et de prsentation des titres et documents prvue par la loi. Bien que loutre-mer ne fasse pas partie de lespace Schengen, le lgislateur sest inspir vraisemblablement de ces dispositions. Ainsi, dans le cas de la Guyane et depuis une loi de 1977 (n 97-396 du 24 avril 1997) Dans une zone comprise entre les frontires terrestres ou le littoral du dpartement de la Guyane et une ligne trace vingt kilomtres en de {et sur une ligne trace cinq kilomtres de part et dautre, ainsi que sur la route nationale 2 sur le territoire de la commune de Rgina ajout de la loi n2003-239 du 18 mars 2003 -}, lidentit de toute personne peut tre contrle, selon les modalits prvues au premier alina, en vue de vrifier le respect des obligations de dtention, de port et de prsentation des titres et documents prvus par la loi. Pour ce qui est de la Guadeloupe et de Mayotte, cest la loi n 2006-911 du 24 juillet 2006 qui autorise, pendant cinq ans, des contrles didentit dans le mme but et dans des zones bien dfinies. En Guadeloupe, cest dans une zone comprise entre le littoral et une ligne trace un kilomtre en de ainsi que dans une zone dun kilomtre de part et dautre de deux routes nationales. Dans le cas de Mayotte, ces contrles didentit peuvent tre oprs dans une zone comprise entre le littoral et une ligne trace un kilomtre en de. y regarder de plus prs, les zones concernes par ces contrles didentit concentrent 90% environ de la population de ces territoires. Quant aux mesures dloignement, le rgime de droit commun est applicable pour les arrts dexpulsion et pour les interdictions du territoire franais. Ce nest pas le cas pour les arrts de reconduite la frontire (APRF) et pour les obligations quitter le territoire franais (OQTF).

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Le rgime de droit commun prvoit la possibilit dun recours contre les APRF dans les quarante-huit heures suivant leur notification. Si un recours est form devant le tribunal administratif, la mesure ne peut pas tre mise excution tant que le juge na pas statu (recours suspensif). Dans le cas des OQTF, en mtropole, lintress dispose dun mois compter de la notification de la mesure pour former un recours en annulation. Ce recours est galement suspensif. La mesure ne peut pas tre mise excution dans ce premier mois. Le rgime des APRF et des OQTF est drogatoire dans les dpartements de la Guyane, de Saint-Martin, de la Guadeloupe et de Saint-Barthlmy. En principe, cette drogation nest applicable sur les deux derniers territoires que pour cinq ans, mais lon se souvient que la loi du 10 janvier 1990 qui a cre lAPRF excluait pour cinq ans les dpartements doutre-mer. Puis une loi du 24 aot 1993 avait prolong pour cinq annes supplmentaires cette drogation. En 1998, la loi du 11 mai avait renouvel cette drogation pour cinq ans encore, mais seulement pour la Guyane et Saint-Martin. La loi du 18 mars 2003 sur la scurit intrieure a prennis la drogation, qui a t tendue pour cinq ans la Guadeloupe et Saint-Barthlmy par les lois du 24 juillet 2006 et du 20 novembre 2007. Mayotte, ces drogations sont aggraves par une autre particularit. Il sagit du rgime de la rtention administrative. Alors que le droit commun prvoit que la priode

initiale de la rtention, dcide par le prfet, est de 48 heures et que, au-del de ce dlai, elle ne peut tre prolonge que sous le contrle de lautorit judiciaire, gardienne de la libert individuelle (art. 66 de la Constitution), Mayotte la dure initiale de la rtention est de cinq jours. Compte tenu de la clrit avec laquelle la prfecture de Mayotte procde lexcution de ses APRF - moins de deux jours en moyenne - le juge des liberts et de la dtention (JLD) na aucune possibilit dexercer son contrle sur dventuelles irrgularits lors de linterpellation, la garde vue, le placement en rtention et lloignement. En pratique, nous constatons que ces irrgularits sont nombreuses mais quil est de fait impossible, pour les personnes qui en sont victimes, de les faire sanctionner par une juridiction. En outre-mer, le cadre juridique de la rtention et de lexpulsion des trangers est trs diffrent de la mtropole. Les droits des trangers sont considrablement rduits par ce cadre moins protecteur. Les droits inscrits dans la loi sont moindres (absence de recours suspensif par exemple) et les garanties de procdure parfois rendues totalement inoprantes (intervention du JLD au bout de 5 jours Mayotte alors que les expulsions ont en gnral dj eu lieu). Dans ces conditions, les atteintes aux droits des personnes sont nombreuses et importantes et elles sont encore aggraves par les pratiques lies la politique du chiffre dont nous constatons les effets dltres chaque jour.

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MAYOTTE1. elments contextuels1.1. Le statut de Mayotte franaise Territoire franais doutre-mer depuis 1946, larchipel des Comores est constitu de quatre les (Anjouan, GrandeComore, Mayotte et Mohli) qui ont t colonises entre 1841 et 1886. Il na pas accd lindpendance en mme temps que la plupart des autres anciennes colonies franaises. En 1974, le parlement franais vote une loi qui prvoit la tenue dans larchipel dun rfrendum sur lindpendance. Il est alors question de consulter les populations comoriennes et non plus la population comorienne, comme lappelait auparavant le lgislateur. Si plus de 99% des Grand-Comoriens, des Anjouanais et des Mohliens votent pour lindpendance, Mayotte, o sest dvelopp un mouvement dpartementaliste, 65,47% des lecteurs (8.091 bulletins) votent contre lindpendance, 34,53% (4.299 bulletins) votent pour. En droit international, il est constant que les territoires qui accdent lindpendance conservent les frontires quils avaient sous le statut colonial. Mais la France sest appuye sur le vote spcifique de Mayotte, hostile lindpendance,

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pour rester souverain sur cette le dimportance gostratgique (contrle du canal du Mozambique). La lgitimit de la prsence franaise est sujette caution au regard du droit international et entre 1975 et 1995, la France a t condamne chaque anne par lAssemble gnrale de lONU pour sa prsence Mayotte. LUnion des Comores ne la pas non plus entrine et les relations bilatrales sont fragiles. 1.2. Les liens entre Mayotte et le reste de larchipel des Comores Mayotte a longtemps fait partie de lentit politique et culturelle comorienne. Dans les annes 80, Mayotte reste dailleurs bien des gards une rgion ignore par la France : le droit coutumier islamique sy applique, lconomie est essentiellement agricole, la monnaie na pas cours et le franais nest matris que par 10% de la population. La France naffirme sa prsence quau dbut des annes 90, en finanant le dveloppement de lle, en instaurant un visa pour tout ressortissant comorien (dcision du gouvernement Balladur du 18 janvier 1995) et en intgrant lle sur le plan institutionnel1. On assiste alors une arrive massive de Comoriens des autres les essentiellement des Anjouanais -, malgr les difficults et les dangers de la traverse entre les deux les distantes de 70 km. Elle seffectue sur de petits bateaux de pche longs de 6 8 mtres et parfois chargs de plus de 50 personnes, appels kwassakwassa parce quils tanguent comme une danse dAfrique centrale portant le mme nom. Ces migrations se sont multiplies ces dix dernires annes en raison de leffet conjugu du dveloppement acclr de Mayotte (notamment en matire de sant et dducation), consquence dun investissement financier plus important de Paris, et des difficults conomiques rencontres par les Comores indpendantes, qui se sont accompagnes de troubles politiques : crise sparatiste Anjouan en 1997, coup dtat Moroni en 1999, difficile rconciliation nationale durant les annes 2000, crise politique en 2008 1.3. La dpartementalisation en dbat Le 18 avril 2008, les 19 conseillers gnraux de Mayotte ont vot lunanimit une rsolution demandant au gouvernement franais lorganisation dune consultation des Mahorais sur le statut de dpartement avant la fin de lanne, conformment la loi organique n 2007-223 du 21 fvrier 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives loutre-mer (dite loi DSIOM). Le gouvernement stait alors donn un dlai de douze mois compter de cette date pour organiser cette consultation. Le gouvernement comorien a continu revendiquer lle de Mayotte, et a fait de lannulation de cette consultation des Mahorais sa priorit. Lors de lAssemble gnrale des Nations unies en septembre 2008, le Prsident Ahmed Abdallah Sambi, a annonc quil considrerait comme nulle et non avenue toute consultation qui serait organise dans le cadre de la dpartementalisation de lle comorienne de Mayotte. Le rfrendum sest droul le 29 mars 2009, les Mahorais1. Linscription de Mayotte dans la Constitution date de 2003.

ont rpondu oui au statut de Dpartement et rgion doutremer (DROM) plus de 95% des voix exprimes. Suite ce vote, une loi organique relative lvolution institutionnelle de la Nouvelle-Caldonie et de Mayotte du 23 juillet 2009 a t adopte et prvoit que Mayotte changera de statut administratif lhorizon 2011. 1.4. Les problmes dtat civil La question de ltat civil des Mahorais a rcemment fait lobjet dune forte mdiatisation. Lors de lexamen du budget de loutremer 2009 lAssemble nationale, Ren Dosires, dput socialiste, a dclar : La dpartementalisation est impensable, je rpte, impensable, si lon na pas pralablement tabli un tat civil fiable. Des milliers de Mahorais se trouvent sans papiers cause de la rvision de ltat civil qui tourne au ralenti. Le gouvernement lui-mme, par la voix de Michelle Alliot-Marie, reconnat que ltat civil nest valablement tabli que pour environ la moiti de la population. La faute une rvision de ltat civil qui a tourn au fiasco. Entam en 2000 lorsque fut cre la CREC (Commission de rvision de ltat civil), une structure spcifique Mayotte, ce processus devait permettre de reconstituer les actes dtat civil des Mahorais antrieurs 2000. De nombreuses archives avaient alors disparu ou avaient t manges par les mites, et beaucoup de Mahorais se trouvaient dans lincapacit de produire un acte de naissance. La CREC devait galement assurer la transition entre ltat civil de droit local et celui de droit commun : lpoque, 95% de la population relevait de ltat civil de droit local un chiffre ramen aujourdhui environ 70%. Mais les moyens mis la disposition de la CREC ont t insuffisants : une quarantaine de rapporteurs et un secrtariat de cinq agents. Rsultat : seulement 25 000 actes ont t produits depuis 2000. Alors que la mission de la CREC tait cense prendre fin en 2006, fin 2007, une seule magistrate tait charge de traiter 14.000 dossiers en attente. Les dossiers mettent 3, 4 voire 5 ans pour tre traits, un laps de temps durant lequel les personnes sont pnalises dans leurs dmarches administratives. En effet, le document de la CREC est exig partout : pour se marier, pour tre affili la scurit sociale, pour demander un certificat de nationalit Cela signifie que des milliers de personnes nes ou maries Mayotte ou ayant un enfant franais sont dans lincapacit de le prouver et de faire valoir leurs droits. 1.5. Droit commun et droit coutumier Au fil des ans et de la marche de Mayotte vers le droit commun enclenche en 2001, le droit coutumier a tendance perdre de sa lgitimit aux yeux de ladministration mais pas forcment des administrs. Les cadis, auparavant chargs de lapplication du droit local mais galement de certaines tches comme ltat civil et les mariages, font depuis quelques annes les frais de cette priode de transition. Ni dfinitivement confirms dans leurs fonctions, ni supprims, ils sont en sursis depuis lapprobation en juillet 2000 par les Mahorais de lAccord sur lavenir de Mayotte. Ce document, qui prparait le changement du statut de lle

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en collectivit dpartementale, prvoit que le rle des cadis sera recentr sur les fonctions de mdiation sociale. Depuis 2003, les personnes de statut civil local peuvent choisir entre le cadi et le juge de droit commun pour rgler les questions lies la famille, au mariage, la succession et au statut personnel. Ce qui nempche pas les cadis de voir grignotes peu peu leurs prrogatives : officiellement, ils ne jouent plus quun rle symbolique dans le mariage, pass aux mains de lofficier dtat-civil, et ils sont amputs dune partie de leurs fonctions de notaire. En septembre 2008, les membres de la commission des lois du Snat ont expliqu sans ambages que la justice musulmane devrait disparatre trs prochainement. Il ny a quune justice, cest celle de la Rpublique ! Dans ce domaine, il ny a pas de progressivit qui vaille. La progressivit a trop dur ! Il faut trancher !" a dclar la snatrice du Puy-de-Dme Michle Andr cette occasion.

2. une immigration rgionale dampleur Mayotte, lessentiel des migrants sont des Comoriens. Ils seraient environ 60 000 y rsider en situation irrgulire, ce qui reprsente 30% de la population de lle mahoraise. 2.1. Une traverse en mer qui prsente bien des dangers La traverse entre Anjouan et Mayotte, bien que courte, est dangereuse. La mer est souvent agite, et les embarcations ne sont pas adaptes de telles charges conues pour accueillir autour de 10 personnes, elles en transportent parfois 30, 40 voire 50. Dautres part, aucun matriel de s