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Christian PLANTIN Chargé de Cours à l'Université de Paris VII ARGUMENTER De la langue de l'argumentation au discours argumenté Centre National de Documentation Pédagogique, Paris 1989

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Christian PLANTINChargé de Cours à l'Université de Paris VII

ARGUMENTERDe la langue de l'argumentation au discours argumenté

Centre National de Documentation Pédagogique, Paris1989

Le cadre théorique général dans lequel se situent ces Fiches pour l'étude de l’argumentationest exposé dans

Ch. PLANTIN, Les Mots, les arguments, le texte.Thèse, Université de Bruxelles, 1987/1988.

Note 2002 : Ce texte peut être cité sous la forme :

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Plantin Ch., 1989, Argumenter. Paris : CNDP, Fiche N°…

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DE LA LANGUE DE L'ARGUMENTATION

AU DISCOURS ARGUMENTE

Les Fiches que nous proposons ici correspondent au niveau élémentaire de l’enseignement de l'argumentation. Elles sont utilisables dès que l’on souhaite aborder réflexivement l’apprentissage des activités argumentatives, par exemple dès la classe de quatrième.

D'une façon générale, quel que soit le niveau d’études considéré et l'âge des élèves, l'étude pratique de l'argumentation suppose une bonne maîtrise du vocabulaire que mobilisent la construction comme la critique des arguments: nous l’abordons dans la première partie, Fiche 3 à Fiche 9. Les mots sont ici instruments d'expression qu'il faut fixer pour en user, mais aussi bien notions devant faire l'objet d'un travail de réflexion.

La seconde partie, Fiche 10 à Fiche 17, a pour but d'introduire, au moyen de manipulations, à la réflexion sur la façon dont les intentions des locuteurs, leurs "visées argumentatives", se combinent dans un texte, en particulier au moyen des connecteurs.

Nous considérons l'argumentation comme une "façon de faire" avec les mots, un jeu de langage parmi d'autres, que les Fiches 18 à 23 aideront à définir et à décrire.

Les Fiches 24 à 27 permettront de passer de ces problèmes de compréhension du jeu argumentatif à la synthèse active des arguments. L'élève est incité à aller et venir d'un point de vue à un autre, d'une position argumentative à la position antagoniste, avant de se retirer du jeu pour faire le point. On peut ainsi s’entraîner à une bonne gestion du discours polémique, qu'il faut d'abord reconnaître comme tel.

Les Fiches 28 à 30 inversent enfin le processus en proposant une "argumentation stimulus" dont la vertu essentielle doit être de provoquer de vives réactions, parmi lesquelles, on l'espère, quelques arguments, qu'il faut ensuite critiquer collectivement. Ici convergent éducation au débat et apprentissage de la pensée, que nous sommes ainsi amenés à concevoir comme un dialogue intériorisé.

Ces cinq parties ne déterminent pas une progression mécanique, mais bien cinq pôles autour desquels il faut circuler. En particulier, on reviendra aux première et deuxième parties toutes les fois que se fera sentir le besoin d'un retour aux bases linguistiques et notionnelles de 1'argumentation.

* * *

Ces Fiches sont issues d'un enseignement pratique de l’argumentation. Nous avons essayé de tirer le plus grand parti des problèmes rencontrés et des réflexions émises par les élèves au cours des exercices.

Elles peuvent être utilisées directement par les élèves. Nous avons signalé entre crochets quelques suggestions qui devraient les aider à construire leurs réponses.

Les Fiches 18, 24, et 28 présentent plus en détail les exercices des troisième, quatrième et cinquième partie. Ces Fiches, ainsi que les Fiches 2, 3, 10, 11, fournissent à très grands traits les aperçus théoriques indispensables.

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Argumenter 0 - MATIERESFiche 1

MATIERES

0 - MATIERES

I- DEFINITIONQu’est-ce qu'argumenter? Fiche 2

II - VOCABULAIRE: LES MOTS POUR SAISIR LES ARGUMENTSLes mots pour saisir les arguments Fiche 3Argument, argumenter Fiche 4 - 5Persuader / convaincre Fiche 6Polémique / controverse - Objecter / réfuter / concéder Fiche 7Objectivité / parti pris FicheRaisonner mal: paralogismes -

Raisonnements captieux et fallacieux: sophismes Fiche 9

III - CONNECTEURS: LES MOTS POUR LIER LES ARGUMENTSLes connecteurs: exemples et définition Fiche 10Connecteurs / pronoms / conjonctions Fiche 11Mais Fiche 12Voire, a fortiori Fiche 13En tout cas, de toute manière Fiche 14Justement - Bref Fiche 15Ainsi - Pour autant - En fait / au fait - D'ailleurs / par ailleurs Fiche 16Enchaînements de connecteurs Fiche 17

IV - ANALYSE D'ARGUMENTSL'analyse d’arguments: l'exercice Fiche 18Argumentation ou autre chose? Fiche 19 - 20Alcool et calmants Fiche 21L'autre face de Sandoz Fiche 22Le corse et le français Fiche 23

V - SYNTHESE D'ARGUMENTSLa synthèse d'arguments: l'exerciceTaureaux, écrevisses, mouches et amibes I - Les textes Fiche 24Taureaux, écrevisses, mouches et amibes II - Les arguments Fiche 25L'église et l'inquisition Fiche 26Textes pour la synthèse: Fiche 27

I - A propos des "eurocrates" (2 textes)lI - Les sciences, les lettres et les femmes (4 textes)

VI - PRODUCTION D'ARGUMENTSLa production d'arguments: l'exercice

Exemple: Sortir avant seize ans Fiche 28Des prisonniers de toute façon voués à la mort ... Fiche 29Payer pour le pape! Fiche 30

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Argumenter I - DEFINITIONFiche 2

QU'EST-CE QU'ARGUMENTER?

1 - EXEMPLES ET DEFINITIONSL'argumentation est une activité à visée rationnelle, menée dans la langue de tous les jours, dont

elle suppose une bonne maîtrise. (L) argumente lorsqu'il adresse à son fils l'interdiction motivée suivante:

(L): - Arrête de manger des chewing-gums, tu t’abîmes les dents!

Nous appellerons locuteur la personne (L) qui parle; ses paroles (ses énoncés, son discours, ...) sont adressées à son interlocuteur

Le locuteur (L) présente comme argument que "le chewing-gum (contient du sucre'' et que "le sucre) carie les dents". Il se fonde sur cet argument pour justifier la conclusion: il ne faut pas manger de chewing-gums. De façon générale:

ARGUMENTER c'est adresser à un interlocuteur un argument, c'est-à-dire une bonne raison, pour lui faire admettre une conclusion, et, bien sûr, les comportements adéquats. Une ARGUMENTATION se compose donc des deux éléments essentiels:

un ARGUMENT ----> une CONCLUSION

2 - LE SAUT ARGUMENTATIFArgument et conclusion n'ont pas le même statut.L'argument a le statut d'une croyance partagée, d'une donnée factuelle incontestable, soustraite

à la contestation - du moins l'argumentateur le présente-t-il comme tel. En pratique, si l'interlocuteur refuse d'admettre cette donnée, il devra justifier son refus: la charge de la preuve lui incombera.

Cet argument doit amener l'interlocuteur à la conclusion. Le passage, qui peut être plus ou moins tortueux, fait appel à des principes, des conventions généralement admises; l'ancienne rhétorique parlait à ce propos de "lieux", de "topoi"?. Ces lois de passage peuvent être mises en question, souvent la critique argumentative portera sur les limites de leur validité. On pourra donc réfuter une argumentation en contestant la validité de la transition de l'argument à la conclusion; en d'autres termes, en montrant que l'argument est dénué de pertinence ou n'est que faiblement pertinent vis-à-vis de la conclusion qu'on prétend lui faire servir.

Une argumentation, c'est un passage du mieux assuré (du plus acceptable), l'argument, vers le moins assuré (le moins acceptable), la conclusion. Les règles de passage ont pour fonction de faire passer sur la conclusion l'agrément accordé à la donnée argumentative, mais le passage suppose toujours un saut: il y a toujours plus dans la conclusion que dans les prémisses.

Dans la conception traditionnelle des procédés d'inférence, si l'on dispose de règles permettant de transformer intégralement l'accord sur les prémisses (la vérité des prémisses) en accord sur la conclusion (la vérité de la conclusion), on a affaire à une démonstration; si les règles ne font que rendre plus acceptable (plus plausible) la conclusion au vu de l'argument, on a une argumentation.

3 - LA SITUATION ARGUMENTATIVENotre exemple montre que l'argumentation est une activité parfaitement banale, dont la vie

quotidienne fournit de nombreux exemples. Ces argumentations journalières se compliquent, prennent de l'ampleur, en se soumettant à des règles ou à des conventions de plus en plus précises, en se coulant dans des moules institutionnels. Ainsi, elles donnent naturellement naissance aussi bien au débat d'idées qu'à la discussion scientifique.

L'échange rhétorique proprement dit s'effectue en une occasion socialement "marquée", (ce qui ne veut pas dire "solennelle"). Il s’agit d'un débat dont l'importance est reconnue par tous, au cours

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duquel vont s'exprimer des opinions divergentes, et où l'on devra, par exemple, décider des mérites de quelqu'un, prononcer une sentence ou aboutir à une décision collective.

4 - LES ACTEURS DE L'ARGUMENTATIONLe locuteur qui argumente et son interlocuteur, visé par cet acte, reçoivent traditionnellement

plusieurs désignations:- lorsqu'on cherche à décrire les opérations argumentatives d'un point de vue plutôt linguistique, on parle d'énonciateur et de destinataire;- en rhétorique, on emploie plutôt le terme d’orateur: ce terme suggère ordinairement que le locuteur s'adresse, à un groupe de personnes relativement important, son auditoire ou son public;- dans le cadre du débat, on désigne parfois sous le nom de répondant l'adversaire de l'argumentateur.

5 - VALEUR ET EFFETS DE L'ARGUMENTATIONUn argument est un moyen de faire admettre une conclusion. Sa valeur et sa force doivent

évidemment s'apprécier en fonction de cette intention.En imposant une conclusion à son interlocuteur, l'argumentateur espère en outre lui faire adopter

des comportements en harmonie avec cette croyance, ici le voir cesser de consommer du chewing-gum. Mais bien des fumeurs sont convaincus de la nocivité du tabac...

6 - L'ARGUMENTATION, UNE ACTIVITE RATIONNELLECelui qui argumente ne cherche pas purement et simplement à contraindre son interlocuteur ou

à lui imposer telle croyance ou telle attitude par des procédés manipulatoires. Il cherche à lui montrer qu'il est logique, raisonnable, d'adopter cette croyance ou cette attitude au vu de tel argument. Bien entendu, l'argument pourra ou non être admis par l'interlocuteur, la "bonne raison" donnée pourra s'avérer plus ou moins bonne. L'argument qui nous a servi d'exemple est certainement un bon argument. Le suivant, pris tel quel, ne vaut pas grand-chose (pourquoi ?):

vous êtes un voleur, puisque vous fréquentez des voleurs!Il va donc falloir évaluer la qualité des arguments avancés (la qualité de l'argumentation). L'activité d'argumenter est intimement liée à la critique de l'argumentation, qui ouvre la voie aux techniques de réfutation.

Nos argumentations les plus courantes reposent sur des règles de conduite très générales, des principes admis dans une société ou dans un groupe (§ 2). Ainsi, on admet sous nos latitudes la maxime "Quand il fait beau, on va se promener"; sur elle, se fonde tout simplement, comme un décalque, l'argumentation:

il fait beau, allons nous promenerOn dit alors que le beau temps est un argument pour la promenade.

Bien entendu, il ne suffit pas qu'il fasse beau pour qu'automatiquement on parte en promenade: d'autres principes concurrents entrent en ligne de compte, par exemple: "Quand on a du travail, on ne va pas se promener", etc. Toute une discussion pourra s'ensuivre, au cours de laquelle les interlocuteurs devront évaluer les "poids" respectifs des principes en conflit afin de déterminer quelle maxime il convient d'appliquer en la circonstance. Parfois, ils parviendront a un accord, parfois ils ne pourront qu'approfondir leur dissentiment. Dans l'un et l'autre cas, ils devront se livrer à un véritable "calcul des arguments".

On voit que les contraintes argumentatives peuvent être de natures très différentes et reposer sur des contraintes naturelles (le sucre carie les dents), aussi bien que culturelles (quand il fait beau, on va se promener). Ces grands principes d'action sont considérés comme déterminant ce qu'il est raisonnable de croire et de faire, toujours pour un groupe donné.

7 - ARGUMENTATION, CROYANCES, CONDUITESL'argumentation n'est qu'une des multiples techniques verbales par lesquelles quelqu'un peut

amener quelqu'un d'autre à un comportement, via une croyance. D'autres moyens, verbaux ou non

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verbaux, plus ou moins manipulatoires, permettent d'atteindre le même résultat. On entend parfois dire:

"Rien ne saurait m'amener ni même me contraindre à... aimer les épinards; on peut certes m'obliger à les manger, pas à les aimer;... croire en l'existence de Dieu; de Krishna; à la lutte des classes;... trahir mon parti, à tromper ma femme;... admettre que deux et deux font quatre / cinq;... accepter une loi inique; ... "

Vraiment ? Cherchez dans la littérature des exemples prouvant que ces assertions sont téméraires. Opposez l’argumentation aux autres moyens d'imposition de croyances.

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Argumenter II - VOCABULAIREFiche 3

LES MOTS POUR SAISIR LES ARGUMENTS

1 - UN SOUS-DOMAINE DU VOCABULAIRE DES ACTIVITES DE PAROLEOn argumente en parlant, en construisant des développements oraux ou écrits plus ou moins

longs, selon les circonstances. La pratique argumentative est toujours "méta-argumentative"; en d'autres termes, elle est indissociable de l'analyse critique des arguments. Pour appuyer ou réfuter une argumentation, il faut être capable de la décrire, de l'exposer, de la démonter, afin de mettre au grand jour ses qualités et ses défauts. Tout un vocabulaire est indispensable pour cela, et nous allons en travailler quelques axes essentiels (Fiches 3 à 9).

Qu'il s'agisse de comprendre ou d'imaginer un exposé argumenté, on doit ainsi maîtriser non seulement des mots et les constructions dans lesquelles ils entrent, mais aussi des stéréotypes d'usage (des conditions d'emploi).

Ce vocabulaire semi-technique de l'argumentation, au vrai assez difficile, est souvent mal connu des étudiants. Il s'agit d'un sous-domaine du vocabulaire des activités de parole, dont l'enseignement du français devrait programmer l'acquisition systématique à partir du deuxième cycle de l'enseignement secondaire

2 - LE VERBE, CENTRE ORGANISATEUR DE LA PHRASELa syntaxe précise et détaillée dont nous avons besoin pour l'apprentissage de la langue ne peut

se satisfaire de règles générales ou de principes abstraits risquant l'échec sur les cas précis. D'emblée, elle doit être une syntaxe centrée sur le mot, et d'abord sur le verbe, en tant que centre organisateur de la phrase. En particulier, les transformations partiront toujours des phrases données dans la pratique courante. Apprendre un mot, par exemple un verbe, c'est bien entendu connaître son sens, mais aussi savoir construire correctement les différentes complémentations qu'il exige ou tolère, les manipuler selon les paraphrases et les transformations qu'elles admettent, et surtout être capable de différencier les sens selon les constructions.

3 - LES LIGNES DE FORCE QUI STRUCTURENT LE VOCABULAIREPour chaque terme ou famille de termes, on traitera les thèmes suivants. Chacune de ces

directions de travail n'est pas également fertile pour tous les mots, et, pour chaque cas, on choisira évidemment d'insister sur les points les plus rentables.Champs idéologiques (associations notionnelles)

A quel type de vocabulaire le mot appartient-il? Distinguer ses différents domaines d'usage. Quelles sont les notions qui lui sont associées?

Dans quelles circonstances-types l'utilise-t-on? Selon quels scénarios et stéréotypes? Quelles idées reçues lui associe-t-on?

Quels sont les mouvements argumentatifs qu'il peut soutenir (termes dits "péjoratifs / mélioratifs")?Champs lexicaux

Morphologie lexicale: construction des familles dérivationnelles (voir § 4).Recherche des synonymes, antonymes, homonymes, paronymes.(Eventuellement, et en prenant soin de ne pas créer de liaisons sémantiquement erronées, aperçu

de l’histoire du mot, de sa famille étymologique).Champs syntaxiques

Les mots dans la phrase (associations syntagmatiques).Les types de complémentation, les constructions qu'ils admettent.Les locutions dans lesquelles ils entrent.

Le vocabulaire suggéréTout au long de cette étude d'un vocabulaire relativement nouveau pour les élèves, il est très

important de ménager des moments d'association libre, où l'on examinera toutes les associations

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possibles et imaginables entre les mots, toutes les idées que, d'aventure, ils évoquent. Une fois éliminées les propositions farfelues (il n'y en a pas tellement), on verra que la rectification des erreurs est un moment essentiel et un levier important pour la recherche de la vérité!

4 - UNE MORPHOLOGIE DE SURFACE DU VOCABULAIRELa morphologie lexicale est un auxiliaire indispensable pour l’apprentissage du vocabulaire Par

dérivation préfixale et suffixale à partir d'un même mot de base, les mots dérivés se regroupent en familles dérivationnelles, dont la construction obéit à quelques règles simples.• Le lien dérivationnel est fondamentalement un lien de mot à mot, et on l'examine d'abord à l’oral:

porte -----> portaille substantif porte est le mot de base; portail le mot dérivé à l’aide du suffixe -ail. Le mot porte n'est pas un dérivé, (surtout pas de la base * port- à l’aide du suffixe * -e !). • Un mot dérivé dans une dérivation peut évidemment entrer comme base dans une autre dérivation:

(la) colonie -----> (il) colonise(il) colonise -----> colonisation;

en résumé:colonie -----> (il) colonise -----> colonisation

• La suffixation Adj -- ité - - - > N:vulgaire -----> vulgarité

s'accompagne d'une variation morphologique du mot de base; la voyelle tonique / E / du mot de base vulgaire devient / A / dans le dérivé vulgarité. Il est possible d'inventorier ces variations.• Les verbes entrent dans les dérivations à la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif:

(un) argument -----> (il) argumente(il) argumente -----> (une) argumentation

On évite ainsi d'avoir à considérer comme des suffixes les morphèmes d'infinitif. Les adjectifs entrent dans les dérivations au féminin:

fou, folle -----> folie

Des contraintes générales pèsent sur ces dérivations, n'importe quel affixe n'opère pas sur n'importe quelle base. Dans ce domaine, la recherche est d'abord empirique, il faut dresser des listes - ce qui n'est évidemment pas notre but ici.

Une contrainte sémantique décisive: les familles dérivationnelles sont sémantiquement homogènes; par exemple, intégrisme ne doit être rattaché à la dérivation intègre -----> intégrité que dans la mesure où les sens et les emplois de ce mot, intégrisme, se définissent à partir de ceux du mot intègre. Avant de dériver (il) inonde de onde ou (il) abîme de (un) abîme, on s'interrogera donc sur la justesse du lien sémantique que l'on va ainsi créer entre ces mots dans l'esprit des élèves.

L'étude des dérivations est un moyen d'investigation fondamental du vocabulaire, le premier réflexe à développer lorsqu'on aborde un terme nouveau. La construction des familles dérivationnelles fournit des repères sûrs, permet un balisage systématique du terrain et suggère immanquablement d'intéressantes remarques sémantiques.

5 - LES MOTS ET LES TEXTESL’enseignement du vocabulaire, comme celui de la syntaxe qui en est tributaire, ne constitue pas

une fin en soi. Il ne s'agit pas d'améliorer les performances de joueurs de Scrabble, mais de former les capacités de compréhension et de production de textes fonctionnels, en situation, répondant à certaines exigences intellectuelles. L'apprentissage des mots est au service de l'expression et de la communication, de "l'apprentissage du texte” donc. Cette position de principe a certaines conséquences non triviales: on doit par exemple admettre les limitations inhérentes du travail avec le dictionnaire, qui ne saurait constituer une fin en soi.

On jouera certes avec les mots, mais on n'oubliera pas que ceux-ci prennent sens dans un contexte donné, qu'il y a un problème de l'optimalisation de la compréhension du mot en fonction du texte où il figure, le mot devant être saisi au niveau où il permet au texte de fonctionner.

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La quête du "sens du mot" doit donc savoir s’arrêter. Ainsi si le texte parle de "la dialectique manifestation / répression", on ne jugera pas opportun de déployer Platon, Hegel et Marx. On ne recherchera pas "ce qu'est la dialectique" en soi, mais à comprendre l'usage qu'en fait le texte.

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Argumenter II- VOCABULAIREFiche 4 - 5

ARGUMENT, ARGUMENTER

1 - QUAND ARGUMENTE-T-ON?Si l'on veut faire admettre par son interlocuteur les énoncés suivants, argumente-t-on?Sinon, comment peut-on s'y prendre, que va-t-on faire? Distinguez manœuvres légitimes et

manipulatoires (pour des manœuvres non verbales liées au problème de la manipulation, voir Fiche 2, § 7)

Il fera beau demainLe lac Pavin est en AuvergneLa vie est belleLe mensonge, c'est la véritéL'Europe doit se préparer à une agressionPaul doit / changer de voiture / se sacrifier à son partiQuand le temps se réchauffe, la glace fondLe bleu est plus beau que le rougePaul est (tu es) / un moins que rien / très intelligentLa guerre de Troie n'a pas eu lieuLa somme des angles d'un triangle est égale à 180 degrésL'herbe est verte

2 - LA FAMILLE DERIVATIONNELLE DU MOT ARGUMENTVoici une liste de mots susceptibles d'entrer dans cette famille:

(il) argue (un) (contre -) argument argumentaire (Adj)(un) argumentaire (un) argumentateur argumentatif(une) argumentation (il) (contre -) argumente (une) argutie

Ecrivons leurs dérivations:(un) contre-argurment (il) contre-argumente

(une) argumentation(il) argumente

(un) argument (un) argumentateur

(un) argumentaire argumentaire ( Adj)argumentatif, (-ive) (Adj)

Argument est le mot de base de cette famille. De lui dérivent, directement ou indirectement, les mots suivants:• le verbe argumenter, qui entre dans la dérivation sous la forme (il) argumente. Ce verbe donne naissance à son tour aux deux substantifs (une) argumentation, (un) argumentateur:– (une) argumentation dérive de (il) argumente par le suffixe -tion. Ce suffixe produit des noms désignant une action (il fut interrompu au cours de son argumentation) ou le résultat de l’action (une argumentation fallacieuse);- (un) argumentateur dérive de (il) argumente par le suffixe - eur . Ce suffixe produit des noms désignant l'agent de l'action. Notons qu'on entend de plus en plus le dérivé argumenteur, qu'on a du mal à mettre au féminin.

• Le substantif (un) argumentaire, par le suffixe -aire qui dérive des substantifs à partir de substantifs (ex: (un) document -----> (un) documentaire).

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• L’adjectif argumentaire, par le suffixe -aire qui dérive des adjectifs à partir de substantifs (ex: (une) planète -----> planétaire)

• L’adjectif argumentatif, (-ive, fém), de même sens, par le suffixe -if, qui dérive des adjectifs à partir de substantifs (ex: (la) hâte -----> hâtif, hâtive).

3 - (UN) ARGUMENT, (IL) ARGUMENTE3. 1 - Homonymes

En mathématique, qu'est-ce que l’argument d'une fonction?Quel est l'argument de votre pièce de théâtre favorite?

3.2 - Dans quelles circonstances est-on amené à présenter un argumentaire? Exemple?

3.3 - Est-on à court d'arguments quand on présente des arguments un peu courts?

3.4 - Quelle différence faites-vous entre: évoquer un argument et invoquer un argument?

3.5- On dit qu'une conclusion est étayée par des arguments, et que les arguments…… la conclusion[ appuient, supportent, soutiennent...]

3.6 - Le DFC propose, sous argument, la phrase suivante:il tirait argument de sa mauvaise santé pour abandonner toute activité

Où est l'argument, où est la conclusion ? Schématisez cet énoncé en vous appuyant sur la définition donnée Fiche 2.

Ce dictionnaire propose en outre une paraphrase de l'expression tirer argument de: "Il tirait argument de sa mauvaise santé pour abandonner toute activité (= il prétextait)". Tirer argument signifie-t-il la même chose que prétexter?

3.7 - Qu'attend-on de vous lorsqu'on vous dit:Argumentez votre position !

Comment peut-on encore exprimer cette consigne? Si on veut vous demander de présenter les arguments contre votre position, peut-on dire:

Désargumentez votre position Cette phrase a-t-elle un sens?

3.8 - Complétez la phrase suivante de toutes les façons possibles, si vous le jugez utile:Pierre argumente…… l'attribution d'une subvention au ciné-club

Reportez-vous à notre schéma de l'argumentation. Comment avons-nous appelé le complément"I’attribution d'une subvention au ciné-club"?

Peut-on toujours opposer deux constructions X argumente pour ... / X argumente contre .... quelle que soit la forme grammaticale du complément?

Pierre argumente pour que l'on déclare la guerre / pour la déclaration de la guerrePierre argumente contre

[ pour, contre, en faveur de, ... * en défaveur de, ... ] - [ La conclusion de l'argumentation ] -[Non: contre la déclaration de la guerre seulement. ]

3.9 - Imaginez un scénario qui puisse être rapporté par la phrase:Sébastien a argumenté pour Véronique

le sens est il le même queSébastien a argumenté comme Véronique

[ Dans le premier cas, Véronique est concernée par la conclusion de l'argumentation; elle est donc plutôt objet de l’argumentation; dans le 2e cas, Véronique est argumentatrice, elle est donc agent de l'argumentation. ]

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3.10 - L'énoncé suivant est maladroit; remplacez le verbe argumenter par un autre verbetoutes ces qualités argumentent en sa faveur

[ toutes ces qualités plaident en sa faveur ]

3.11 - Certains synonymes de (on) argumente ont la forme:on - (Verbe support ) - un argument,

par exemple: on présente un argument. ou encore ............... [ apporter, fournir, ... ]

3.12 - Lorsqu'on contre-argumente, fait-on la même chose que lorsqu'on réfute?

4 - (IL) ARGUE, (UNE) ARGUTIE4.1 - Orthographe, conjugaison

On orthographiera et prononcera ce verbe sur le modèle de larguer se targuer, . . .

4.2 - Le sens du verbe arguerDans son sens non technique, arguer prend le sens de "argumenter de façon fallacieuse":

(...) [ M. Le Pen, au sujet de] la réalité des chambres à gaz, considérées comme le symbole l'horreur nazie, "se pose un certain nombre de question" et constate "qu'il y a des historiens qui débattent de ces questions". Donc il doute. Et c'est ce doute qui fait que le "détail" n'en est pas un. Car si M. Le Pen argue du contexte de la guerre pour s'incliner devant les pseudo-historiens du révisionnisme, il est légitime de replacer son propos dans le climat actuel. (...)

Le Monde, 16 sept. 87

Mais, fondamentalement, l'opposition entre arguer et argumenter est d'ordre interlocutif, citationnel. Moi, j’argumente, et c'est mon adversaire, celui dont je ne partage pas les conclusions, qui argue, que sa cause soit la pire ou la meilleure; j'argumente donc déjà en disant que j'argumente, et je réfute mon adversaire en disant qu'il argue:

(...) Reste Général Dynamics et son Atlas Centaur (...) que l'organisation Eutelsat devrait malgré tout choisir en raison du bas prix qu'elle offre - 20% de moins qu'Ariane - dit-on, pour mettre en orbite un de ses satellites. La nouvelle fait déjà grand bruit et certains n'hésitent pas à accuser le directeur général d'Eutelsat, M. André Caruso d'avoir ainsi fait entrer en Europe le cheval de Troie américain. Ce dont l'intéressé se défend, en arguant qu'il remplace un test prévu sur la navette américaine par un tir sur un lanceur conventionnel américain pour ne pas dépendre d'un seul fournisseur. Affaire à suivre donc ...

Le Monde, 17 sept 1987

4.3 - DérivationIl est donc normal de faire dériver (une) argutie de (il) argue:

(il) argue -----> (une) argutiemême si pour cela on doit postuler un suffixe - (t)ie (Verbe —> Nom) qui, sauf erreur, ne relie que cette paire de mots. Un solide lien sémantique les unit, les arguties sont les arguments de l'autre:

(Ces personnes) ne sont que les agents d'une subversion dont la fin leur échappe mais dont ils exécutent les consignes et rabâchent les arguties .

Bulletin MGEN, août-sept. 19874.4 - Un problème

Faut-il également dériver argument de (il) argue, par le suffixe -ment (Verbe -----> Nom) bien connu? On ferait ainsi du verbe arguer la base de toute la famille construite au § 3:

(il) argue -----> (un) argument ) -----> (il) argumente, etc.

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Nous nous y refuserons pour des raisons qui tiennent aux sémantismes divergents du verbe arguer et de argument. La rupture sémantique entre arguer et argumenter se manifeste par la disjonction de leurs familles dérivationnelles.

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Argumenter II - VOCABULAIREFiche 6

PERSUADER / CONVAINCRE

1- Les énoncés suivants sont-ils acceptables? Si non, rétablissez la construction correcte; si oui, donnez-en une paraphrase:

A - Les enquêteurs l'ont convaincu de mensongeB - "Londres a rompu ses relations diplomatiques avec la Bordurie, convaincue de terrorisme"

[ Les deux constructions sont parfaitement correctes - Paraphrase possible pour 1’expression convaincre qn de mensonge (bien distinguer convaincre qn de/que): "obliger qn à reconnaître qu’il a commis quelque chose de mal, alors qu'il l'avait nié auparavant”. ]

2 - Quels antonymes pour persuader et convaincre? Dissuader est-il antonyme de persuader dans tous ses emplois?

A - Je l'ai persuadé / dissuadé de rentrer chez ses parentsB - Il m'a persuadé / dissuadé des bonnes intentions de Pierre

Quand dit-on d'un prix qu'il est dissuasif? [A-persuadé - dissuadé; B - persuadé. ]

3 - Caractérisez l'opposition entre persuader et convaincre établie dans le texte suivant de C. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca (Traité de l'argumentation. Bruxelles: PUB, § 6):

(...) Pour qui se préoccupe du résultat, persuader est plus que convaincre, la conviction n'étant que le premier stade qui mène à l'action (Whately). Pour Rousseau, ce n'est rien de convaincre un enfant "si l'on ne sait le persuader".Par contre, pour qui est préoccupé du caractère rationnel de l'adhésion, convaincre est plus que persuader. Tantôt, d'ailleurs, ce caractère rationnel de la conviction tiendra aux moyens utilisés, tantôt aux facultés auxquelles on s'adresse. Pour Pascal, c'est l’automate qu'on persuade, et il entend par là, le corps, l'imagination, le sentiment, bref tout ce qui n'est point la raison. Très souvent la persuasion sera considérée comme une transposition injustifiée de la démonstration: selon Dumas [psychologue], dans la persuasion on "se paie de raisons affectives et personnelles", la persuasion étant souvent "sophistique". Mais il ne précise pas en quoi cette preuve affective différerait techniquement d'une preuve objective.

Nous allons voir dans les exercices suivants si l'usage appuie cette distinction.

4 - Complétez les phrases suivantes en utilisant le verbe convaincre ou le verbe persuader, ou bien les deux ou encore ni l'un ni l'autre.

A - On pourrait parfaitement le soigner à la maison, mais il reste……… de la nécessité d'une hospitalisationB - Les meilleurs arguments du monde ne parviendraient pas à le……… C - Le ton de sincérité de ses paroles m'a………D -Je suis……… de l'intérêt du projet, mais… E - La police est…… de tenir le coupable, mais elle n'a pas de preuves

[ A - persuadé (convaincu); B - convaincre (persuader); C - convaincu; D -, E - convaincu, persuadé (remarquer: Je suis convaincu de son innocence, mais les apparences sont contre lui, son alibi ne tient pas, etc.) Conclusion: convaincre et persuader ont des emplois idiosyncrasiques qui font que l’on trouve facilement convaincre pour des situations qui demanderaient persuader d’après la distinction théorique établie en (3). Bien entendu, cela ne prouve rien contre cette distinction: on a parfaitement le droit de redéfinir des termes pour en faire un usage technique. ]

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5 - Même question pour les PP-Adj convaincu et persuadé; les Adj convaincant et persuasif; noter soigneusement les différences de sens.

A - Un ton très / peu ....................B - Une argumentation peu………

[ A - (1) convaincu, sens passif (le locuteur croit en ce qu’il soutient); (2) convaincant, persuasif, sens actif ("quiconvainc") B - (1) convaincue (sens A-13; convaincante, (?persuasive) (sens A-2)]

6 - Même question pour les substantifs conviction et persuasion. Quelle conclusion pouvez-vous tirer en rapprochant des § 4 et § 5 les résultats livrés par cet exercice?

A - Rien ne vous force à agir contre vos………B - Dans son discours, il a fait preuve d'une grande force de………C - Dans son discours, il a fait preuve de beaucoup de………D - Il a su me faire partager ses………E - La police a mis sous scellés les pièces à………F - .Mieux vaut agir par la…… que par la forceG - Avoir des……… religieuses

Avoir des……… inébranlablesH - Le juge a motivé son arrêt par son intime………

[ A - convictions; B - conviction / persuasion (sens différents, voir § 5) ); C - conviction; 1) - convictions; E - conviction; F - persuasion; G - convictions; H - conviction.(G) et (H) montrent que le sens des dérivés ne respecte pas la distinction conceptuelle établie entre convaincre et persuader. Mais on se gardera, ici encore, de deux erreurs symétriques: d'une part, de faire violence à l'usage, sous prétexte de vouloir ”rétablir la logique”; d'autre part, de rejeter la distinction conceptuelle: l'exigence de clarification intellectuelle n’a pas non plus à se plier à toutes les variations auxquelles sont sujettes les langues naturelles. Voir aussi l'exercice suivant.]

7 - Constituons les familles dérivationnelles ayant pour bases convaincre et persuader(il) convainc —- > conviction

convaincuconvaincant

(il) persuade—- -> persuasionpersuasif

[ NB: pas de *persuadant Adj, (PPrst actif).Le suffixe -tion nominalise différemment les bases convaincre et persuader (voir ex. précédent):

(il) convainc -- - > conviction: nominalisation du résultat, du produit de l'action;(il) persuade ---> persuasion: nominalisation du procès.

D'où: L'art de convaincre —> # l'art de la convictionL'art de persuader—> l'art de la persuasion

Cette différence apparaît encore si l'on rapproche ces substantifs des énoncés passifs:- Si A convainc B de P, alors B est convaincu que P, et on peut parler de la conviction de B, sujet passif.- Si A persuade B que P, alors B est persuadé que P, cependant, on ne peut plus parler de *la persuasion de B, mais seulement de la (force de) persuasion dont fait preuve A, sujet actif. ]

8 - Considérons l'énoncé cet homme est un escroc qui, a priori, peut être vrai ou faux. Pourtant, quelle phrase utiliserez-vous si l'homme est un escroc? n'est pas un escroc?

A - Nous le convaincrons que cet homme est un escrocB - Nous le persuaderons que cet homme est un escroc

[ Convaincre: sa complétive est vraie, en tout cas considérée comme vraie par le locuteur, persuader: sa complétive est V ou F; donc: (A); (B).NB: le passif efface cette distinction: A est persuadé / convaincu que P: P est V ou F. ]

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Argumenter II- VOCABULAIREFiche 7

POLEMIQUE / CONTROVERSE - OBJECTER / REFUTERCONCEDER

1 - POLEMIQUE ET CONTROVERSE1.1 - Constituons la famille dérivationnelle à laquelle appartient le mot controverse:

? [(il) controverse] controversé(une) controverse (in)controversable Adj

? (un) controversistePar quels mots remplace-t-on très souvent controverser et (in)controversable?

[ polémiquer; - (in )discutable. ]

1.2 - Même question pour le mot polémique:polémique Adj <—> (une) polémique —> (il) polémique

(un) polémiste

1.3 - Qu'est-ce que la polémologie? On utilise souvent le vocabulaire de la lutte pour décrire les polémiques: lutte, joute verbale, riposte, remarques blessantes, ... ou encore .........

La polémique suppose forcément une certaine agressivité. Est-ce mal?

1.4 - "Celui qui le dit, c'est celui qui l'est": la polémique naît dans la cour de récréation. Pourriez-vous citer d'autres exemples, plus élaborés, de polémiques? de controverses? Précisez les données et le (ou les) enjeu(x) de ces polémiques et de ces controverses. Les polémiques reposent-elles toujours sur un dilemme ? Donnez quelques exemples de célèbres polémistes. Quelles sont les qualités qui font un brillant polémiste?

Quelle est la différence d'usage entre les mots polémique et controverse? (tenir compte du fait qu'une controverse et une polémique peuvent être vives et qu'une polémique peut être de bas étage).

[ Les polémiques concernent particulièrement les matières d'opinion: art, politique, ...; les controverses mettent en jeu des questions scientifiques ... ]

1. 5 - La polémique est un mode de communication sociale, un genre rhétorique pouvant faire l'objet d'une étude thématique, réunissant satire, libelle, diatribe, pamphlet, tract . . Qu'est-ce qu'une dispute ?

2 - OBJECTER ET REFUTER2.1 - Leurs familles dérivationnelles:

(il) objecte (une) objection(un) objecteur

(il) réfute (une) réfutationréfutateur

Mais qu'est-ce qu'un objecteur ?

2.2-Y a-t-il un rapport entre objecter et objectif? entre objecter et objectiver? Si oui, lequel?[ Aucun. ]

2.3 - Remplacer objecter par un synonyme dans l'énoncé suivant:

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Je n'ai rien à objecter à cette façon de faire[ Rien à redire. ]

2.4 - Les constructions du verbe objecterLes constructions suivantes ont-elles le même sens? Précisez à quelle fonction, à quel rôle dans

le schéma de l’argumentation correspondent les termes soulignés:(a) objecter quelque chose(b) objecter à quelque chose(c) objecter à quelqu’un

[ (a): l’objection; - (b): la thèse à laquelle on objecte; - (c): l'argumentateur soutenant la thèse à laquelle on objecte]

2.5 - A quoi peut-on objecter? Que peut-on réfuter?Quel est le scénario argumentatif associé à l'expression réfuter des allégations mensongères ?[ On objecte à une thèse, mais aussi un comportement - On réfute seulement un discours: une thèse, une information, une affirmation. ]

2.6 - a) Si une thèse, une affirmation, une proposition, a rencontré une objection, peut-on néanmoins continuer à la soutenir? b) et si elle a été réfutée? c) Donnez un synonyme de rencontré dans la phrase précédente.

[ a) Oui, si l'on est capable de répondre à l'objection, qui ne prétend pas contraindre l'adversaire à l'abandon de sa position - b) Non: la différence entre une objection et une réfutation est que la seconde est concluante (ou se présente comme concluante). Pour maintenir la thèse, il va falloir "réfuter la réfutation” - c) se heurter à . ]

2.7 - Quelle différence entre les dénégations, les vitupérations et la réfutation?

3- CONCEDER3.1 - Sa famille dérivationnelle :

(il) concède (une) concessionconcessif

3.2 - Donnez des synonymes de (il) concède, (une) concession[ accorder, transiger? ]

3.3 - Y a-t-il un rapport entre concéder et céder?

3.4 - Que signifie l'expression faire la part du feu ? Celui qui fait des concessions affaiblit-il sa position?[ Pas forcément. ]

4 - CONTREDIRE ET DEMENTIR 4.1 - Quelle différence?4.2 - Que signifie l'énoncé "il dément"? il est malade mental, il avoue avoir menti, il accuse

quelqu’un de mensonge, il rectifie une information fausse? 4.3 - Informer, c'est donner une information; qu'est-ce que désinformer? donner une

désinformation ?

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Argumenter II- VOCABULAIREFiche 8

OBJECTIVITE / PARTI PRIS

1- PARTIEL ET PARTIAL1.1 - Quelle différence faites-vous entre:

un compte rendu partielun compte rendu partial

Précisez dans chacun des cas en quoi consiste la critique adressée à l'exposé.

1.2 - De quels mots de base ces deux adjectifs dérivent-ils? Ecrivez leurs familles dérivationnelles.(le)parti —> partial —> partialité

impartial —> impartialité

(la) partie—> partiel

1.3 - Que signifie l'expression on ne saurait être juge et partie?

1.4 - Recherchez les antonymes de partial.

2- INTEGRITE2.1 - Remplacez le segment souligné par l'un des deux mots intégrité et intégralité:

J'ai dû lui reverser la totalité des bénéficesEmployez l'autre mot dans une phrase.

2. 2 - Quel est le sens de intègre dans la dérivation suivante: intègre ----- > intégrité

Peut-on faire figurer les termes intégrisme, intégriste dans cette même famille dérivationnelle?[ honnête, incorruptible - difficilement; les sens sont différents ]

2.3 - Dira-t-on d’une argumentation qu'elle est impartiale? objective? équitable? intègre? Etd'un argumentaire?

3 - PRENDRE PARTI3.1 - Les expressions suivantes sont-elles antonymiques?

faire un mauvais parti (faire) un bon parti

Donnez-en un ou des synonymes, employez-les dans une phrases.

[ pas toujours: maltraiter qn; être un mari ou une femme peu intéressant(e)

3.2 - Si l'on prend le parti de quelqu'un, est-on de parti pris? [ pas forcément ]

3.3 - Si l'on prend le parti de faire telle chose, cela signifie-t-il qu'on en a pris son parti ?Comment pronominalisez-vous les expressions soulignées:

J'avais un grand choix d’activités, j’ai finalement opté pour le club de judo - ----> j'ai pris ce parti / j'en ai pris mon parti

je n'avais pas le choix, il ne restait plus de places au club d'échecs, alors je me suisrabattu sur le club de judo, bien qu'il m'intéresse moins

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----> j'ai pris ce parti / j'en ai pris mon parti [ Non - a ) j’ai pris ce parti b) j'en ai pris mon parti ]

3.4 - Donnez des synonymes de chacune des quatre expressions:(a) prendre le parti de quelqu'un(b) prendre quelqu'un à partie(c) prendre parti contre qn(d) prendre le parti de faire quelque chose(e) en prendre son parti

[ (a) prendre position pour - b) s'en prendre à - (c) prendre position contre - (d) choisir de - (e) se résigner à ]

3.5 - Dans un essai, doit-on essayer ou éviter: -d’être partial? - de prendre parti?

Celui qui prend parti adopte-t-il automatiquement une position partisane?

4 - AVOIR DES PREVENTIONS4.1 - Donnez un synonyme de prévenir dans la construction ancienne:

prévenir qn (arch.)Quand dit-on d'une personne qu'elle est prévenante, qu'elle a des prévenances? [ devancer]

4.2 - Acceptez-vous ces deux énoncés? Si oui, donnez-en une paraphrase:Je l'ai prévenu contre Pierre: il ne se laissera pas duperJe l'ai prévenu en faveur de Pierre: il fera tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser sa

réussite

4.3 - Le verbe prévenir entre dans des constructions syntaxiquement très différentes; de tous ces Prévenir quels sont ceux dont on peut dériver le substantif prévention?

(a) prévenir quelqu'un de quelque chose(b) prévenir les désirs de quelqu'un(c) prévenir quelqu'un contre quelqu'un ou quelque chose(d) prévenir quelqu'un en faveur de quelqu'un ou de quelque chose(e) prévenir quelque chose (de redoutable: maladies, accidents)

[des constructions (c) (d) et (e)]

5 - OBJECTIVITE?L’objectivité, une notion complexe et un idéal difficile à concrétiser, que penser de ce dialogue:

X : L’objectivité, c'est par exemple veiller à ce que chaque parti dispose du même temps de parole.

Y : C'est ça! Cinq minutes pour les Juifs et cinq minutes pour Hitler!

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Argumenter II - VOCABULAIREFiche 9

RAISONNER MAL: PARALOGISMESRAISONNEMENTS CAPTIEUX ET FALLACIEUX: SOPHISMES

1 - SOPHISMES MODERNESEn quoi consiste précisément le sophisme de l'enquêteur ("le référent') qui tente d'obtenir des aveux d'Arthur London?

Et il poursuit:"- Vous avez connu Field?- Oui- Vous avez maintenant des liaisons avec lui?- Oui.- Field a bien été démasqué comme espion américain dans le procès Rajk?- Oui.- Comment s'appellent des liaisons entretenues avec un espion: ce sont des relations d'espionnage. N'est-ce pas? Celui qui entretient des liaisons d'espionnage avec un espion est un espion lui-même. Pourquoi avoir peur des mots? Celui qui fait le pain est bien un boulanger…"Et comme je me défends violemment contre une telle interprétation abusive des faits, étant donné que les informations que j'avais données à Field étaient de notoriété publique, qu'il aurait pu trouver lui-même les adresses dans le bottin téléphonique de Prague, le référent me fait cette docte réponse:"Si un soldat vous dit que le calibre de son fusil est 7,92, c'est de 1'espionnage, même si la veille la description détaillée de ce fusil a été donnée par la presse"

Arthur London, L'aveu. Paris: Gallimard, 1968, pp. 158-159.

D'après cet échange, qu'est-ce qu'un sophisme?Précisez l'argument contenu dans la deuxième partie du texte; est-il également sophistique?

2 - IL Y A SOPHISTE ET SOPHISTE2.1 - Les dialogues de Platon (Ve siècle av. J.-C.) présentent et s'attaquent à des sophistes soutenant des arguments "sophistiques" comme celui que propose Dionysodore:

- (...) Dis-moi en effet: tu as un chien?- Oui, et très méchant dit Ctèsippe.- A-t-il des petits?- Oui, et aussi méchants que lui.- Le chien n'est-il-pas leur père?- Je l'ai vu de mes yeux, répondit-il, couvrir la chienne.- Eh bien, le chien n'est-il pas à toi?- Certainement, dit-il.- Donc, il est père et à toi, en sorte que ce chien devient ton père, et toi frère des petits chiens.

Platon, Euthydème 298 d-e. Paris: Garnier.

2.2 - On appelle donc "sophistes" ces philosophes de la Grèce ancienne qui soutenaient des arguments d'allure paradoxale, posant parfois des problèmes profonds et difficiles, tels que le suivant:

[Antiphon le sophiste affirmait que] la loi, en obligeant l’homme à témoigner la vérité devant les tribunaux, nous oblige souvent à faire tort à qui ne nous en a fait aucun, c'est-à-dire à contredire le premier précepte de la justice.

E Bréhier. Histoire de la philosophie, Paris : PUF, 1981, p.74.

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3 - ARGUMENTER, UNE ACTIVITE SUSPECTE?3.1 - Les mots désignant celui qui se livre à une activité d'argumentation sont souvent pris en mauvaise part; c'est-à-dire que celui qui raisonne est, dans la langue courante, toujours suspect d'être un raisonneur, parent du sophiste. Précisez le sens des dérivés suivants:

(il) ratiocine -----> (un) ratiocineurratiocination

(il) ergote -—> (un) ergoteur(il) raisonne -—> (un) raisonneur

3.2 - Quelle différence établissez-vous entre un rhéteur et un rhétoricien?

3.3 - Une exigence rationnelle est-elle forcément raisonnable?Quelle différence de sens voyez-vous entre ces deux termes? Exemples?

4 - PARALOGISMES; RAISONNEMENTS CAPTIEUX ET FALLACIEUX4.0 - Qu'est-ce qu'une alternative, un dilemme, un paradoxe?

4.1- En gros, un paralogisme est un raisonnement non valide dont la forme rappelle celle d'un raisonnement valide; par exemple:

s'il pleut, la route est mouillée;il ne pleut pasdonc la route n'est pas mouillée

Comme le raisonnement captieux, le raisonnement fallacieux est un mauvais raisonnement; les paralogismes se distinguent des raisonnements captieux et fallacieux en ce que ces derniers tendent, comme les sophismes, à induire l'interlocuteur en erreur. Tous ces termes sont d'un usage assez recherché en français.

En pratique, le problème n'est pas tellement d'opposer les formes valides du raisonnement à ses formes captieuses, fallacieuses, aux paralogismes ou aux sophismes. L'étude de l'argumentation montre précisément qu'une telle dichotomie des raisonnements n'est pas tenable: il faut distinguer des degrés de validité.

4.2 - Voici cependant quelques mouvements argumentatifs dont la validité est a priori très contestable: pourquoi?

– Un slogan politique éternel:Moi ou le chaos!

– Quelques arguments politiques toujours disponibles:(1) Notre politique est excellente, la preuve: elle est également attaquée par la droite et

par la gauche(2) X, à son interlocuteur Y:

Puisque quelqu'un d'aussi malin que vous ne trouve pas de meilleures objections, alors il est certain que ma politique est la bonne.

– Une réflexion professorale:Pourquoi ne pas être dur avec les étudiants? Nos professeurs l'étaient bien avec nous!

– Une perfidie:X: - Untel a prononcé un discours remarquableY: - Ah oui, le fameux politicien dont le frère est en prison?

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Argumenter III- CONNECTEURSFiche 10

LES CONNECTEURSExemples et Définition

1 - EXEMPLESLes énoncés suivants contiennent, généralement au début, un mot que nous appellerons

connecteur, et présentent une particularité évidente. Pouvez-vous la déterminer, et trouver ainsi une propriété essentielle de cette famille de mots?

il ne s'est pas laissé démonter pour autant pourtant, le facteur n'est pas encore passé bref, voici l'ordinateur de l'an 2000!en fait, il s'agir purement et simplement d'une escroquerie en effet, le temps change!néanmoins, j'ai signéainsi, le commissaire Valentin coffra toute la bande or, Pierre aimait Marie en secretdécidément, l'affaire n'est pas claire d'ailleurs, le prix n'est pas très élevé

On voit immédiatement que ces énoncés ne sont pas "complets": tous demandent "qu'on mette quelque chose avant", ils enchaînent sur d'autres énoncés. En d'autres termes, ils supposent un texte à leur gauche. Ainsi, un connecteur est d'abord un mot de liaison. Mais sa fonction ne se limite pas à cela. Ecrivez un texte dans lequel vous emploierez un (ou plusieurs) des énoncés qui vous sont proposés.[Voir Fiche 11 et Fiche 15 pour des remarques sur les textes construits autour de pourtant et de bref.]

2 - DEFINITIONLes connecteurs sont des mots de liaison et d’ORlENTATION, qui articulent les informations et l’argumentation d'un texte.Ils mettent notamment les informations contenues dans un texte au service de l’INTENTION ARGUMENTATIVE GLOBALE de celui-ci.

Remarque: Intentions du texte et intentions de l'auteurNous ne nous intéressons aux intentions de l'auteur que dans la mesure où elles sont accessibles

par son texte; nous parlerons indifféremment des intentions d'un texte, d'un énoncé, ... ou des intentions de l'auteur (du texte), du locuteur (de l'énoncé), ....

3 - QUELQUES CONNECTEURSLes mots et expressions suivantes peuvent avoir une fonction connectrice:

• les conjonctions dites de coordination: car, donc, et, ni, mais, or, ou;• les conjonctions et locutions dites de subordination: parce que, puisque, quand, comme, lorsque, quoique, bien que, [ si (p), (q) ], ...• les adverbes conjonctifs et locutions adverbiales conjonctives: d'abord, ensuite, puis, enfin premièrement, ... (énumératifs); ainsi, autrement dit, au contraire, au demeurant, au fait, bref; cependant, c'est-à-dire, d'ailleurs, de fait, décidément, de toute façon, effectivement, en d'autres termes, en effet, en fait, en revanche, en somme, en tout cas, justement, néanmoins, par ailleurs, pourtant, quand même, tout de même, toutefois, ...• les préfixes matrices de phrases la réalité est que ..., toujours est-il que ...

4 - CONNECTEURS ET CONFIGURATION DES TEXTESOn ne trouvera pas ici de "procédures automatiques" permettant de découper sûrement les

segments de texte pertinents pour l'analyse d'un connecteur. Il serait parfaitement arbitraire d'exiger qu'à tel syntagme corresponde telle intention ou tel acte argumentatif, et rien d'autre. En pratique,

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cela signifie qu'en tant qu’interprétants, nous nous donnerons certaines latitudes dans la reconstruction des argumentations globales, dans l'expression des intentions et des contenus sémantiques articulés par les connecteurs. L'exactitude et la validité de ces reconstructions sont vues d'abord comme un problème de bonne ou mauvaise compréhension du texte.

De même, nous ne proposerons pas de classement des connecteurs. Un même connecteur peut remplir plusieurs fonctions pragmatiques ou sémantiques, et les mots employés pour désigner celles-ci sont eux-mêmes ambigus: la tâche classificatoire serait donc doublement malaisée, surtout dans la mesure où le travail d'enseignement ne nous permet pas le recours commode à un métalangage - qui, de toute façon, resterait à construire.

Nous ne chercherons donc pas à classer plus finement ces connecteurs, non plus qu'à caractériser formellement leurs propriétés syntaxico-textuelles. Cet état de choses n'hypothèque en rien notre entreprise. Il ne s’agit pas d'analyser linguistiquement certains connecteurs pour en proposer une théorie, mais de percevoir clairement les mouvements textuels dans lesquels ils entrent et les manœuvres linguistiques qu'ils servent. Notre but est d'apprendre à utiliser les connecteurs pour mieux construire nos textes et mieux comprendre ceux des autres. Notre description des connecteurs dans les textes pourra donc se faire en utilisant tout simplement le vocabulaire des activités de parole en général, et notamment le vocabulaire de l'argumentation sur lequel nous nous sommes déjà penchés. L'étude des connecteurs montrera encore à quel point la possession de ce vocabulaire est fondamentale: on peut affirmer que la maîtrise de la connexion sera acquise a proportion du bon usage qui en est fait.

Il faut donc faire fonctionner un domaine de vocabulaire assez facile à délimiter. Les connecteurs s'utilisent en effet au cours des manœuvres linguistiques suivantes: concéder, ironiser conclure, reformuler, additionner, résumer, énumérer, expliquer, ajouter, exemplifier, opposer, introduire l'indication d'une justification par la cause, par la conséquence, ... bref: les connecteurs servent à mettre les informations contenues dans un texte au service de l'intention argumentative globale de celui ci.

L'étude pratique des connecteurs se fera donc en termes de configuration des textes dans lesquels ils entrent. Souvent on ne voit dans les textes que l'accumulation monotone d'informations "isotopiques": "Il dit que ... puis il dit que ... et puis ... et puis ...". L'attention portée aux connecteurs permet de percevoir combien les choses sont plus compliquées. La linéarité du texte n'est qu'une illusion, dont les racines sont multiples, et son homogénéité n'est que le résultat de reconstructions aléatoires, aux conclusions toujours hypothétiques. De fait, les textes zigzaguent, hésitent, rebroussent, parfois s'égarent, s'infléchissent, engagent le lecteur sur de fausses pistes, divergent, se précipitent, ... Leur allure n'a rien d'une belle ordonnance autoroutière, mais tient bien plus du cours du fleuve - ou du ruisselet - avec ses tourbillons, ses contre-courants, ses rapides, ses méandres et ses bords marécageux.

5 - LA NOTION DE PORTEE DES CONNECTEURSLes connecteurs marquent des points d’inflexion des textes. Ils occupent des positions

stratégiques, que l'on peut schématiser comme suit:Contexte gauche # Connecteur # Contexte droit

Désignons par contexte gauche (resp. contexte droit) la portion de texte à gauche (resp. à droite) du connecteur, pertinente pour son fonctionnement; l'ensemble du contexte gauche et du contexte droit forme le contexte du connecteur. Nous définissons la portée d'un connecteur comme la dimension de ce contexte, c'est-à-dire la quantité, la longueur de texte qu'il faut prendre en considération pour capter tous les éléments que ce connecteur articule. On pourra parler de la portée à gauche et de la portée à droite du connecteur.

La nature de la relation entre le contexte gauche et le contexte droit dépend du connecteur et, généralement, du sens et des intentions qui sont exprimées dans ces contextes, d'où il faut donc les extraire. Nous avons vu qu’il n'y a pas pour cela de procédures générales. De même, aucun automatisme ne règle la portée du connecteur. Il suffira parfois de prendre en considération l'énoncé précédant le connecteur et l'énoncé dans lequel il figure. Mais le plus souvent, les choses sont beaucoup plus compliquées, et il faudra aller chercher à gauche l'information nécessaire bien

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au-delà de l'énoncé précédant le connecteur, sans que l'on puisse fixer de limite à cette remontée dans le texte, puisqu'elle peut nécessiter la prise en compte de tout le texte, aussi bien à sa droite qu'à sa gauche d'ailleurs.

La détermination de la portée du connecteur est donc uniquement une affaire d’intelligence pratique du texte, une tâche qui doit être menée à nouveaux frais pour chaque occurence de connecteur. Généralement, la mauvaise utilisation ou compréhension du connecteur provient de ce qu'on a trop restreint sa portée, qu'on n'a pas découpé une longueur de texte suffisante, particulièrement à sa gauche.

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Fiche 11 III - CONNECTEURSArgumenter

CONNECTEURS - PRONOMS - CONJONCTIONS

1 - CONNEXION, LIAISON PRONOMINALE ET LIAISON CONJONCTIVE 1.1 - Point de vue grammatical

D'un point de vue strictement grammatical, les connecteurs constituent un ensemble peu homogène, comme nous l'avons vu (Fiche l0, § 3). Il va sans dire que les connecteurs ne sont pas les seuls instruments par lesquels on puisse établir des liaisons entre les divers éléments d'un texte, et on doit distinguer par exemple la liaison par connecteurs de la liaison pronominale et de la liaison conjonctive avec lesquelles elle est parfois confondue par les étudiants.

1.2 - La suppléance pronominaleLe système de la suppléance pronominale se distingue aisément de celui de la connexion: il joue

sur des problèmes de (co-)référence et non pas d'organisation de l'argumentation et de l'information. Le mot pronominal est relié à un mot ou groupe de mots, son antécédent, tel que le terme suppléant, le pronom, peut être remplacé par le terme suppléé, à quelques modifications près. Considérons par exemple le texte suivant (Fiche 27):

M. Scotto indique que "le traitement mensuel net de base des directeurs généraux de la Commission (impôts et contributions sociales déduits) s’élève à 50000FF par mois". Ceci est inexact: (...)

Pourquoi ne faut-il pas considérer ceci comme un connecteur? C'est que sa fonction se borne à l'évocation de son antécédent, le segment le traitement mensuel net… 50 000FF par mois, qui peut lui être substitué, par exemple dans la phrase:

il est inexact d'affirmer que "le traitement mensuel net… 50 000FF par mois"

1.3 - Les liaisons relatives et conjonctivesDe même, on n'accordera pas à dont, dans le passage suivant, le statut de connecteur:

M. Scotto met en cause, par ailleurs, le "gonflement des effectifs au sommet de la hiérarchie administrative de la Commission", dont témoignerait le nombre excessif de directeurs généraux (...)

Ce relatif dont s'analyse en un pronom, renvoyant à un segment de texte introduit par de, et qui peut lui être substitué:

le nombre excessif de directeurs généraux en témoigneraitle nombre excessif de directeurs généraux témoignerait du gonflement des effectifs au sommet de la hiérarchie.

D’une façon générale, la subordination combine mécaniquement le sens de la proposition matrice et celui de la proposition enchâssée, selon des règles grammaticalement bien déterminées (mise en place du conjonctif dans l'énoncé enchâssé, mise en place de l'énoncé enchâssé dans l'énoncé matrice). Si les connecteurs n’échappent pas à certaines contraintes grammaticales (d'ailleurs mal connues), leur place dans les énoncés peut être beaucoup plus libre que celle des termes pronominaux, et les énoncés qui sont dans leur portée s'articulent de façon beaucoup plus souple. On pourrait ainsi opposer une construction componentielle de l’information par les conjonctifs dans un énoncé comme l’homme que tu soupçonnes est innocent à l’articulation des arguments qu'opèrent les connecteurs. Dont ne saurait donc être considéré comme un connecteur, ni de par sa valeur de pronom, ni de par sa fonction de liaison.

1.4 - Fonction connectriceLe connecteur a une fonction de renvoi au texte, dans la mesure où il présuppose des énoncés ou

des segments d'énoncés; mais on ne saurait dire qu'il réfère à ces énoncés: il n'est pas un pronom. Il ne les combine pas non plus en une totalité syntaxique réglée, comme le ferait un subordonnant.

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Enfin, il n'est pas possible de donner une stricte caractérisation syntaxique des intentions qu'il articule; il n'est pas un coordonnant reliant des groupes "de même catégorie syntaxique". C'est pour ces deux raisons que notre définition met au premier plan la richesse de la fonction pragmatique des connecteurs.

C'est l'existence de cette fonction qui fournit le critère décisif d'appartenance d'un terme à la catégorie des connecteurs. Dans la mesure où les conjonctions de coordination et de subordination remplissent une telle fonction, elles auront une fonction de connecteur. C'est ainsi qu'un coordonnant comme mais, dont la place dans la phrase est déterminée par des règles strictes, tout comme la place de la phrase qu'il introduit vis-à-vis de sa coordonnée, est certainement le connecteur ayant fait l'objet des discussions les plus détaillées.

2 - UN EXEMPLE: POURTANTConsidérons le texte suivant, construit autour de l'énoncé en pourtant:

"Pourtant le facteur n'est pas encore passé" (Fiche 10)Ce matin, j'ai trouvé un colis devant la porte; pourtant le facteur n'était pas encore passé.

Ce récit fournit bien à pourtant un contexte satisfaisant: dans notre univers quotidien, c'est le facteur qui apporte généralement les colis, et on ne les reçoit qu'à certains moments de la journée. Il y a donc une contradiction entre les attentes de la vie ordinaire et la réception d'un colis à une heure indue, et cette forme d'opposition caractérise l'usage de pourtant. On ne peut cependant se satisfaire des deux énoncés précédents. Le court récit qu'ils composent ouvre une énigme: comment le colis est-il arrivé? s'agit-il d'un colis piégé, déposé par des inconnus? ... L'auteur s'engage donc à nous fournir sinon la clé du mystère (En fait, c’était le voisin qui l'avait déposé avant de partir au travail) du moins, à réagir, et formuler quelque hypothèse ou direction de recherche susceptible d'aboutir à un dénouement (Je pris donc certaines précautions pour l’ouvrir…).

Il se peut que la nécessité de fournir à pourtant un contexte gauche soit d'ordre linguistique, alors que la construction du contexte droit soit appelée par des conditions non pas linguistiques mais discursives ou textuelles, plus générales. Il n'en reste pas moins que pourtant ne peut pas plus clore un texte que l’ouvrir.

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Argumenter III - CONNECTEURSFiche 12

MAIS

1 - L’UTILITE DES "MOTS VIDES"Un professeur demandait à ses élèves quelles étaient les techniques qu'ils mettaient en œuvre

pour la rédaction des résumés. L'un d'eux lui répondit que, pour bien comprendre un texte, il fallait commencer par supprimer tous les mots "qui ne servent à rien". C'est-à-dire? "Les ne pas, les mais les pourtant, les peut-être ...". Qu'en pensez-vous?

2 - MAISLes "petits mots" comme mais ou pourtant qui parsèment les textes ne servent effectivement pas

directement à décrire une situation. Ils ne sont pas sans utilité pour autant: nous avons vu qu'ils fonctionnent comme des panneaux indicateurs guidant la lecture et l'orientant vers certaines conclusions bien précises, indiquant où l'auteur veut en venir.

Par exemple, nous savons tous utiliser le mot mais dans nos conversations spontanées; mais saurions-nous dire exactement à quoi il sert ? Voyons la phrase:

(1) Le restaurant est bon, mais cher

Remarquons d'abord que l'énoncé en mais contient, comme l'énoncé en et, les deux informations:

le restaurant est bonle restaurant est cher

Il ne faudra donc pas chercher du côté du contenu, du type d'informations apportées, les particularités de mais, non plus que par exemple, sa différence avec et.

On dit parfois que mais permet "d'insister" sur la cherté du restaurant. Certainement; mais cette insistance est-elle vraiment plus nette que dans la phrase suivante, où et remplace mais :

le restaurant est bon et cher

Mais sert-il à "marquer une opposition" entre les deux informations qu'il réunit? Ce serait surprenant, car l'expérience confirme plutôt que, comme le dit la sagesse populaire, "tout ce qui est bon est cher". On s'attend donc, après avoir constaté que le restaurant était bon, à ce qu’il soit cher. Etre bon et être cher ne s'opposent pas, mais vont dans le même sens, en l'absence de toute information supplémentaire. D'autre part, cette "opposition" se retrouverait exactement semblable dans:

(2) ce restaurant est cher, mais bon"s'opposer à" est symétrique: si A s'oppose à B, B s'oppose à A. Nous faudrait-il donc conclure qu'il n'y a pas de différence entre (1) et (2) ?

En réalité, nous échouerons à trouver un sens à mais aussi longtemps que nous bornerons nos perspectives d'analyse aux énoncés (1) ou (2) pris isolément; demandons-nous comment nous enchaînerions dans l'un et l'autre cas:

(3) ce restaurant est bon, mais cher . je n'y retournerai certainement pas!(4) ce restaurant est cher, mais bon: j'y retournerai volontiers!

Il y a donc bien une opposition quelque part, mais elle n'est pas dans les énoncés, elle est dans les actes accomplis par le locuteur. Dans le cas de (3), il va tenter d'expliquer pourquoi il n'a pas l'intention de retourner dans ce restaurant, essayer de persuader son interlocuteur de ne pas fréquenter cet endroit; dans le cas de (4), au contraire, il va justifier son désir d'y retourner, encourager son interlocuteur à l'imiter.

Il faut donc chercher l'opposition dans les conclusions qu'on peut tirer de l'énoncé en mais, dans leurs conséquences, en d'autres termes, dans les enchaînements qu'ils autorisent, où s'expriment en clair les buts (les intentions) que le locuteur poursuit en donnant ces informations.

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Conclusion: comment donc peut-on atteindre le sens d'un énoncé? Certainement en énumérant, par paraphrase, les informations qu'il contient; mais aussi en examinant ses conséquences; en recherchant dans quelle(s) situation(s) on l'utiliserait; dans quel(s) contexte(s) on pourrait l'insérer, c’est-à-dire quelle(s) phrase(s) pourrai(en)t le précéder ou lui faire suite.

Comprendre une phrase exige que l'on dépasse cette phrase elle-même; on verra mieux cela en réfléchissant sur l'ambiguïté du mot sens en français, qui renvoie non seulement à "signification" mais aussi à ''direction"; saisir le sens d'un énoncé, tout comme saisir le sens d'une flèche, c'est diriger son regard - physique ou mental - vers ce qu'ils indiquent, dans la direction où l'un et l'autre pointent. Si ma compréhension d'un énoncé se borne au seul contenu de cet énoncé, il n'est pas faux de dire que je suis dans la situation du jeune chiot à qui on montre du doigt la balle qu'il doit aller chercher: il regarde et bondit vers le doigt sans voir l'objet qu'on lui indique.

3 - REMARQUES(5) Simon Bolivar est né à Caracas le 23 juillet 1783, mais il appartient autant aux Colombiens qu'aux Vénézuéliens

Le Monde, 31-7-83D'après cet énoncé, Caracas est-elle une ville du Venezuela ou de la Colombie? Expliquez

comment vous êtes parvenu à cette conclusion.

(6) Cette situation apparaît non seulement aux experts du Fonds Monétaire, mais aussi à beaucoup de gouvernements locaux comme doublement périlleuse.

Le Monde, 29/33-1-84Ici, la seconde proposition conclut comme la première. Dans les énoncés non seulement A mais B, le mais montre qu'on ne saurait s'arrêter à l’argument exprimé par A, qu'il existe un argument encore plus fort, exprimé par B, et qu'il convient de substituer le second au premier pour une conclusion établie le plus fermement possible.

Remarquez la construction:(7) En se libérant de la pensée du Grand Timonnier, le Parti Communiste Chinois s'est libéré d'un poids majestueux, mais d'un poids

La première proposition nous invite à conclure à partir de l’adjectif "majestueux'', la seconde à partir du substantif "poids".

Mais est-il connecteur dans la construction suivante? Remplacez-le par un mot ou une construction synonymes:

(8) En bloquant la circulation, les camionneurs, comme les douaniers avant eux, prennent en otage les usagers de la route qui n'en peuvent mais.

Le Monde, 24-2-84

4 - LA NOTION DE TERME CORRELATIFSouvent, un terme ou une construction du contexte gauche annoncent et préparent le connecteur

mais; ainsi certes, dans les enchaînements certes A, mais B:(9) Certes il est scrupuleux; mais qu'il est lent!

On appellera certes le terme corrélatif ou corrélat de mais. Cette marque est une aide à la compréhension, qu'elle oriente en invitant à une "lecture suspendue": le lecteur est averti que l'énoncé A contenant le corrélat invite à une conclusion, à une inférence toute provisoire, qui sera inversée par la suite. Ce lecteur ne doit donc pas asseoir son interprétation sur cet énoncé, mais bien attendre d'autres considérations qui vont lui être incessamment présentées. En ce sens, l'énoncé A a valeur de véritable concession. L'énoncé B, préfacé par mais, introduira ces données nouvelles, sur lesquelles le lecteur est invité à conclure définitivement.

Recherchez le corrélat de mais dans les énoncés suivants:(10) Il est exact que le dogmatisme socialiste ou socialisant, voire populiste, recule dans un nombre croissant de pays en développement, mais le mouvement s'est amorcé bien avant l'arrivée au pouvoir du président Reagan. Le Monde, 24-9-86

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(11) Par la religion et l'héritage culturel, les Maghrébins se sentent solidaires du reste du monde arabe, certes, mais Tripoli, Tunis, Alger et Rabat sont plus près de Rome, de Marseille de Paris et de Madrid que du Caire, de Damas et de La Mecque.

Le Monde, 29/30-1-84

(12) En vérité, les fonctionnaires ne contestent pas les objectifs poursuivis par le gouvernement, ni même - avec, il est vrai, des nuances importantes - les moyens employés, mais bien davantage la brutalité de la méthode. Le Monde, 6-2-84

Soulignez le passage qui forme une véritable "concession dans la concession".

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Argumenter III CONNECTEURSFiche 13

VOIRE / A FORTIORI

1- VOIRE1.1 - Complétez les pointillés à l'aide des expressions proposées:

(1) Ce remède est……, voire…… (d'après Le Petit Robert) a - inutile b - dangereux

(2) La critique est accusée d'être……… dans ses choix, ……… dansses jugements, peu……… , voire irrémédiablement………

Le Monde, 5-9-86a - objective b - arbitrairec - subjective d - expéditive

[ NB: parmi ces expressions, lesquelles vous semblent les plus courantes? un choix expéditif / un jugement expéditif un choix arbitraire / un jugement arbitraire

On retiendra donc pour (2): (b) - (d) - (a) - (c) ]

1.2 - Proposez des enchaînements sur les énoncés suivants:(1) l'eau est à 12°, voire à 15°: ………(2) l'eau est à 15 °, voire à 12 °: ………

Dans quel "sens" ces enchaînements vont-ils?

2- VOIRE, ET MEME Les énoncés suivants sont-ils acceptables? Dans quelles situations peut-on les utiliser? Quels

actes de langage peut-on accomplir avec eux? On pourra utiliser le code suivant: énoncé parfaitement correct: B (comme Bon) énoncé inacceptable: * énoncé douteux: ?

2.1 - Négligence et incurie(1 ) C'est de la négligence, et même de l'incurie(2) C'est de la négligence, voire de l’incurie

(3) Ce n'est pas de la négligence, c'est de l'incurie(4) Ce n'est pas de l’incurie, c'est de la négligence

(5) C'est de l'incurie, voire de la négligence(6) C'est de l’incurie, et même de la négligence

2.2 - Serviable et servile(7) C'est de la serviabilité, et même de la servilité(8) C'est de la serviabilité, voire de la servilité

(9) Ce n'est pas de la serviabilité, c'est de la servilité(10) Ce n'est pas de la servilité, c'est de la serviabilité

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(11) C'est de la servilité, voire de la serviabilité(12) C'est de la servilité, et même de la serviabilité

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Remarques : les jugements sur ces énoncés ne sont pas trop problématiques, sauf pour les énoncés (7) et (8) qui sont parfaitement acceptables sous certaines conditions, dans des emplois ironiques, qu’il faut préciser sur un exemple. Supposons qu'on reproche à Pierre de ne pas être gentil avec sa grand mère; il protestera en disant:

Mais si, je suis serviable, je suis même servile!se défendant ainsi du reproche de manque d'amabilité en s'accusant du défaut contraire.

Il est donc possible d'interpréter ironiquement ces énoncés, alors que les énoncés (11) et (12), pourtant parallèles n’admettent pas une telle lecture: on ne peut pas faire ironiquement l'éloge de quelqu’un. L’ironie est toujours plutôt méchante; la langue lui prêterait-t-elle main-forte?[Jugements:

(1) B - accuse (3) B - accuse (5) *(2) B - accuse (4) B - excuse (6) *

(7) */B (9) B - accuse (11) *(8) */B (10) B - excuse (12) * ]

Les différences entre (1) - (2) d'une part et (7) - (8) d'autre part viennent de l'ambiguïté des actes accomplis par l’énoncé c'est de la négligence!; il peut s'agir d'une accusation (et dans ce cas, on peut enchaîner avec voire / et même de l'incurie, (énoncé (1) - (2) ). B sera interprété comme une excuse, si cet énoncé vient en rectification d'une accusation. comme en (4).

Mais l’énoncé c’est de la serviabilité, lui, n'est pas ambigu, il sert uniquement à produire des actes d’éloges ce qui explique les problèmes d'interprétation rencontrés en (7) - (8), où cet énoncé est coordonné avec une critique.

Ces enchaînements permettent de montrer que les commentaires en termes de ''plus fort" / “moins fort”, spontanément avancés par les élèves, ne peuvent être acceptés tels quels, et doivent être réinterprétés en termes de conclusion, de sens visé, bref, d'argumentation rendue possible par l’usage de l’un ou de l’autre terme.

3 - VOIRE, A FORTIORILes énoncés suivants vous semblent-ils acceptables? Que se passe-t-il lorsqu'on substitue a

fortiori à voire?

(1) Est-il malade, voire mourant?(2) Est-il malade, a fortiori mourant?

(3) Serait-il malade, voire mourant?(4) Serait-il malade, a fortiori mourant?

(5) Il n'est pas malade, voire mourant(6) Il n'est pas malade, a fortiori mourant

(7) Il est malade, voire mourant(8) Il est malade, a fortiori mourant

(9) Je doute qu'il soit malade, voire mourant(10) Je doute qu'il soit malade, a fortiori mourant

Que se passe-t-il lorsqu’on inverse l'ordre des adjectifs dans ces propositions?[Jugements :

(1) * ? (3) B (5) * (7) B (9) *(2) * (4) * (6) B (8) * (10) B ]

4 - A FORTIORI, A PRIORI, A POSTERIORI, ...A priori et a posteriori sont-ils de connecteurs ?

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Construisez des récits qui se concluront par les énoncés suivants:(1) L’exemple de Pierre prouve qu’il faut travailler pour réussir(2) L’exemple de Pierre prouve a contrario qu'il faut travailler pour réussir

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Argumenter III- CONNECTEURSFiche 14

EN TOUT CAS, DE TOUTE MANIERE

1 - TEXTESi les alliés des Etats-Unis prennent à leur tour des sanctions économiques contre

l'URSS, alors "les Soviétiques se retireront d'Afghanistan". Le président Carter regrette le peu d’empressement des Européens à partir en guerre contre leur puissant voisin de l'Est. Les Américains renforcent leur embargo en interdisant les exportations des phosphates. Les Européens, eux, discrètement, continuent de conclure des affaires avec l'Union Soviétique, comme vient de faire récemment Montedison.

Cette différence de comportement n'est pas seulement politique. Elle tient surtout à quelques chiffres. Aujourd'hui, les pays de l'Est représentent 3 à 5 % des échanges totaux de l'Europe de l'Ouest. Plus que les Etats-Unis (de 2 à 3%). Cela peut paraître marginal. Mais ces pourcentages sont des moyennes qui cachent des secteurs où le poids de l'Est est déterminant, et, de toute manière, dans une période où les échanges mondiaux se contractent, aucun marché ne peut être négligé. Un récent article de la Pravda estimait à deux millions les emplois assurés en Europe de l'Ouest grâce aux commandes de l'Est. Même si le chiffre est quelque peu gonflé, l'apport est appréciable lorsque le chômage rôde.

L'Europe, en tout cas, vend six fois plus à l'Est que les Etats-Unis: 23,6 milliard de dollars en 1978 (7,7 milliard pour l'Allemagne Fédérale et 2,9 pour la France) contre 3,7. Côté importations, le contraste est tout aussi marqué. En 1978, les Etats-Unis ont acheté à l'Est pour 1,6 milliard de dollars. Près de cinq fois moins que la RFA, deux fois moins que l'Italie ou la France, et guère plus que de petits pays comme l’Autriche ou la Finlande.

L'Express, 26-04-80

2 - PORTEE DES CONNECTEURSDéterminer la portée des connecteurs de toute manière et en tout cas.

[ Proposition minimale:- de toute manière: "Aujourd'hui ... négligé"- en tout cas: "Un récent article de La Pravda ... lorsque le chômage rode".]

3 - STRUCTURE DIALOGIQUE DU PASSAGE3.1 - En tout cas

Cet article met en scène deux interlocuteurs, l'auteur de l'article évidemment, et son lecteur dont la voix se fait entendre implicitement à plusieurs reprises. Nous allons expliciter, lourdement peut-être, la nature des interventions prêtées à ce lecteur par l'auteur lui-même:

L’auteur : - Un récent article de la Pravda estimait à deux millions les emplois assurés en Europe de l'Ouest grâce aux commandes de l'Est.

L’Express est un journal de centre-droit. Son lecteur standard risque de ne pas accorder beaucoup de crédit à une affirmation de La Pravda, organe du Parti Communiste de l'Union Soviétique. On peut donc prévoir une réaction de rejet de cette affirmation. Prêtons à ce lecteur standard la réaction suivante:

Le lecteur standard: [ - Je refuse d’admettre les dires de La Pravda! ][ - Je n'ai pas la moindre confiance en ce journal! ]

Donc, l'auteur court le risque d'un refus de l'information factuelle, par une forme d'argumentation sur l'énonciateur, ici le journal La Pravda. Menace sur l'argumentation en cours. L'auteur va donc

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intégrer cette réaction supposée de son lecteur par une concession prenant ici la forme d'une restriction quantitative:

L'auteur: - Même si [ je reconnais que, peut-être... ] le chiffre est [ probablement ] quelque peu gonflé, (mais) l'apport est appréciable lorsque le chômage rode.

Première sortie du dialogue: on pourrait parfaitement clore ici l'échange, le lecteur accordant son assentiment:

Le lecteur standard: [ - D'accord ! ]

Deuxième sortie du dialogue: il semble pourtant que l'auteur ne soit pas pleinement assuré d'une telle issue, et qu'il préfère se rabattre sur un terrain plus sûr, où son argumentation n’empruntera plus ses bases factuelles à ses adversaires politiques.

L'auteur: - [ Moi, je pense qu'on peut faire, dans une certaine mesure confiance à ces chiffres; mais vous, vous les rejetez. Nous ne pouvons donc parvenir à aucune conclusion commune à partir de ces prémisses. Nous tomberons cependant d'accord, vous et moi, pour reconnaître qu'on ne peut pas contester l’affirmation suivante: ]L'Europe, en tout cas, vend six fois plus à l'Est que les Etats-Unis.

3.2 - De toute manièreMême méthode; schématiquement:

- Position de base de l'auteur: importance des échanges avec l'URSS. - Réaction prêtée au lecteur: [ mais c’est peu ! ] - Réplique de l'auteur:

1e appui argumentatif: - ...dans certains secteurs ... Il prévoit le rejet de cet argument d'où:2e appui argumentatif, dont il n’admet pas qu'il puisse être réfuté:

- de toute manière, ... aucun marché ...

4 - LES EUROPEENS, EUX, ...4.1- Quelle est la fonction de cette construction dans l'agencement général du texte? [ Elle signale une opposition.]

4.2 - Dans cette construction, eux est-il connecteur, comme le proposent souvent les étudiants?La réponse doit être clairement non (voir Fiche 11, § 1.2: Les liaisons pronominales).

Cependant, considérons l'énoncé simple:Les Européens, discrètement, continuent de faire des affaires ...

l'opposition entre l'attitude des Américains et celle des Européens subsiste: elle est marquée par des moyens lexicaux: interdisent les exportations / continuent de faire des affaires, opposition soulignée par l'adverbe discrètement.

Dans la formulation segmentée primitive, il y a donc redondance des marques d'opposition.

4.3 - Conclusion: en tant que pronom personnel, eux n'est pas connecteur. Cependant, la construction Les Européens, eux, ... a certainement une valeur connectrice.

4.4 - Choisissez parmi les connecteurs suivants ceux que l'on pourrait introduire dans ce contexte:d’ailleurs maisnéanmoins brefainsi pourtant

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Argumenter 1 III - CONNECTEURSFiche 15

JUSTEMENT - BREF

1 - JUSTEMENT

1.1 - TexteAlors pourquoi la cocaïne une fois de plus dans Sciences et Avenir. alors qu'il s'agit là

d'une molécule bien connue depuis longtemps et que, si l'on peut dire, sa fabrication est ancestrale? C'est justement parce que tout a été dit et le contraire de tout avec, combien de fois, un manque flagrant d'objectivité que nous avons pensé, forts des informations crédibles qui nous sont données par les scientifiques eux-mêmes, que nous pouvions faire le point et dire ce que chacun - victime, famille, ou citoyen - a envie de savoir, c'est-à-dire l’exacte vérité.

Sciences et Avenir 482 - avril 1987, p. 4.

1.2 - Donnez un synonyme de justement dans ce contexte. [ Précisément ]

1.3 - La première phrase du texte contient-elle un ou des arguments? Lesquels? pour quelle conclusion? Pris en charge par qui (voir Fiche 14)?

[ Arguments: Arg 1 - la molécule est bien connue, depuis longtemps; son étude ne concerne plus la science actuelle;Arg 2 - sa fabrication est ancestrale; elle ne pose aucun problème technique intéressant

Conclusion: Un article sur la cocaïne n'a pas sa place dans une revue comme Sciences et AvenirCette conclusion est prise en charge par le lecteur standard de Science et Avenir ]

1.4 - Cette conclusion est-elle acceptable par le journaliste? Celui-ci rejette-t-il les faits allégués dans les arguments A 1 et A2? Mais vers quelle conclusion les oriente-t-il? Quelle est donc la fonction de justement dans ce passage?

[ Evidemment, non. Le journaliste accepte pleinement les faits, mais il les oriente différemment, vers une conclusion opposée. Il argumente sur le passage de tout à trop, par une sorte de renversement de perspective: tout est bien connu, c'est bien; tout devient trop connu' on nage en pleine confusion; il n’y a qu'un pas des connaissances exhaustives (rendant inutile tout nouvel article) à des connaissances excessives (exigeant une mise au point); voir texte Fiche 22: Tout -et même un peu plus -a déjà été dit (...).Donc justement conserve les faits et inverse la conclusion qu'on en tirait précédemment .]

1.5 - Attention! Justement n'a pas toujours cette valeur; comparez: (1) Justement, il faut en parler(2) Il faut en parler justement (3) lI faut en parler, justement

Par quelle(s) expression(s) pouvez-vous remplacer justement dans (2)? Construisez d'autres paires sur ce modèle.

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2- BREF

2.1 - Les enchaînements suivants sont-ils acceptables (voir Fiche 10)? Justifiez votre réponse.(1) Vous avez devant vous l'ordinateur le plus perfectionné du siècle. Bref, voici

l'ordinateur de l'an 2000.(2) Cet ordinateur miniature est rapide, il possède une très grande capacité mémorielle

et il n'est pas cher. Bref, voici l'ordinateur de l'an 2000.(3) Voici un ordinateur intelligent, capable de dialoguer en langue naturelle, ayant une

capacité mémorielle infinie et marchant à l'énergie solaire: bref, voici l'ordinateur de l'an 2000.

Bref n'abrège pas au sens où il remplacerait un segment plus long par un segment moins long, plus "bref", comme le montre (1). Ce connecteur ne peut s'employer que si le texte à sa gauche cumule plusieurs indications allant toutes dans le même sens, tendant toutes vers la même conclusion. Bref retourne les cartes, et dévoile alors en clair cette conclusion qui avait ainsi été préparée par le texte le précédant. La mauvaise qualité de (2) provient de ce que les qualités citées incitent seulement à penser que l'ordinateur en question, par exemple, est bref, l'ordinateur familial idéal. Ces qualités n'argumentent pas pour la conclusion voici l'ordinateur de l'an 2000 introduite par bref. Le segment qui suit ce connecteur exige des antécédents argumentant pour un ordinateur qualitativement différent des autres appareils sur le marché, comme le montre le texte (3).

2.2 - Déterminez la portée du connecteur bref dans le texte suivant. Faites la liste des éléments précédant bref et tendant à la conclusion introduite par ce connecteur, que vous rappellerez.

Mais le procureur Jean-Marie Domenach ne s'en tient pas à cet anticommunisme banal. Le Parti Socialiste n'est pas davantage épargné. S'accrochant à des théories du dix-neuvième siècle, il se fait le défenseur du corporatisme et de la bureaucratie. Son sectarisme, sa prétention ridicule à détenir la vérité et à vouloir tout régenter, entretiennent la sclérose intellectuelle et politique du pays. Son obsession ouvriériste le rend aveugle aux évolutions sociales. Sa manie égalitariste et son culte de l'Etat protecteur alimentent l'inertie et bloquent les initiatives individuelles. Bref, il est temps de libérer le socialisme des socialistes, d'en finir avec une tradition débilitante et de donner à la France des idées et une pratique politique accordées aux défis de notre temps.

Le Monde, 29/30-1-84

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Argumenter IV - CONNECTEURSFiche 16

AINSI - POUR AUTANTEN FAIT / AU FAIT

D'AILLEURS / PAR AILLEURS

1 - AINSILes deux ainsi ont-ils la même fonction dans les deux textes suivants? Par quel(s) mot(s) ou

expression(s) pouvez-vous les paraphraser?Texte 1- Cet univers [du jazz) n'a sans doute rien de beaucoup plus initiatique que la société des amateurs d'opéra, et, pourquoi pas?, de musette, mais il sécrète à forte dose des traits de bizarrerie. Où l'on voit l’amour dégénérer en monomanie. Ainsi, dans de récentes rééditions d'enregistrements de la firme Blue Note, le fabricant prenait soin d'indiquer qu'il avait fidèlement reproduit non seulement musique et pochette, mais jusqu'à l'étiquette ronde collée au centre du disque, celle-là même des vieux Blue Note d'origine.

Le Monde, 22/23-1-84

Texte 2 - L'espèce est donc un concept flou. Pour race, c'est encore plus flou, et le mot recouvre essentiellement un concept de différence, lié à ce que, dans une certaine culture, on vit d'une certaine manière, on a une certaine identité, et que cette identité est surtout définie par la différence avec d'autres. En d'autres termes, pour qu'on puisse exister, il faut qu'il existe des autres, différents. Cela amène facilement à les rejeter, parce qu'ils sont autres. Si l'on doit coexister avec eux, cela commence par une xénophobie, qui est typiquement culturelle; puis très rapidement on cherche des critères physiques pour dire que ces gens différents sont inférieurs On crée ainsi une notion toute particulière, qui n’existe pas pour les espèces, qui est la notion d'infériorité.

Le Monde, 22/23-1-84

2- POUR AUTANTTexte - L'arsenal chimique des termites - Aveugles et primitifs, les termites n'en sont pas pour autant une proie facile pour les fourmis, leurs ennemies héréditaires. [*] Non seulement ils savent construire des forteresses pratiquement inexpugnables, non seulement ils sont dotés de redoutables mandibules mais ils sécrètent des armes chimiques efficaces: toxines, glus, anticoagulants, substances irritantes ... dont les chimistes commencent seulement à découvrir la complexité.

Sciences et Avenir 482 -avril 1987, p. 33Déterminez la structure argumentative du passage et l'attente du lecteur. Celle-ci est-elle confirmée par le texte? Fonction de pour autant ? Quel(s) connecteur(s) pourrait-on introduire à la place marquée par [*]?

[ Structure argumentative du passage1°-.Arg: les termites sont aveugles) —> (Attente / Concl: (F) =

les termites sont primitifs) (les termites sont une proie facile2°- Pour autant introduit une conclusion opposée à cette attente (F):

Concl: (non-F) = les termites ne sont pas une proie facile3°- Arguments pour la conclusion ainsi affirmée (pour non seulement voir Fiche 12 § 3):

Arg 1(non-F) les termites savent construire des forteressesArg2 (non-F) les termites sont dotés de redoutables mandibulesArg3 (non-F) les termites sécrètent des armes chimiques

Le texte doit donc se comprendre ainsi (en gras le texte tel que nous le lisons):1°- Arg —> (F)2° - cet argument pour F n'est pas assez fort pour que l'on puisse affirmer (F):

non F pour autant (En effet)3° - non seulement Arg 1---> non-F et Arg2 ---> non-F, mais Arg3 --->non-F ]

3 - EN FAIT, AU FAIT3.1 - En fait

Texte 1- Classée parmi les stupéfiants au même titre que les drogues opiacées - opium, morphine, héroïne - qui sont tous des dépresseurs du système nerveux, [la cocaïne] produit en fait un effet stimulateur exactement inverse.

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A quelle inférence se livre-t-on au vu de la proposition "[La cocaïne est] classée parmi les stupéfiants au même titre que les drogues opiacées - opium, morphine, héroïne -, qui sont tous des dépresseurs du système nerveux"? Sur quoi porte la rectification opérée par en fait?

[ On déduit de cette proposition que, puisque la cocaïne est classée avec les dépresseurs du système nerveux, elle est un dépresseur du système nerveux. La rectification opérée par en fait porte donc sur cette conclusion, dont on remarque qu'elle n’est nulle part exprimée explicitement dans le texte.]

Texte 2 - Les Noirs ont récemment subi un échec sensible avec la décision de la commission américaine des droits civils, qui s'est prononcée contre la formule dite des quotas raciaux. Il s'agit là d'an revirement politique très net. Les tribunaux et la Cour Suprême avaient accepté la formule pratiquée notamment par la police municipale de Detroit. Les promotions étaient faites alternativement à partir de deux listes séparées, l'une pour les policiers noirs, l'autre pour les policiers blancs l'objectif étant de proposer un nombre égal de Blancs et de Noirs pour l'avancement. Apparemment, les Blancs se sont plaints d’être défavorisés en considérant que les promotions devraient être faites exclusivement en fonction des mérites, indépendamment de considérations raciales. La commission a retenu leurs arguments en soulignant que l’existence de deux listes séparées était une "discrimination à rebours", aussi répréhensible que jadis l'existence de places séparées dans les transports en commun et les restaurants.

En fait, la décision de la commission des droits civils, organisme purement consultatif, est due à la réaction provoquée par les progrès des Noirs, progrès limités certes, mais assez substantiels pour préoccuper les Blancs, surtout ceux qui vivent dans une situation économique précaire. Le Président Reagan ayant changé la composition de la commission, naguère dominée par les démocrates, celle-ci a aujourd’hui une majorité républicaine, bien contrôlée par la Maison Blanche. D'après le rapport de l'Urban League, le seul espoir d’amélioration pour les Noirs est une inscription en masse sur les listes électorales afin de peser dans la consultation présidentielle de novembre. Aujourd'hui, regrette-t-il, on compte seulement dix millions d'électeurs noirs inscrits sur dix-sept millions de Noirs ayant atteint l'âge électoral.

Le Monde, 31-1-841 - Déterminez la porté de en fait. Proposez des mots ou des expressions paraphrasant ce connecteur.2- Analyse d'argument (voir Fiche 18): dégagez l'argumentation de la commission des droits civils et expliquez en quoi elle diffère de celle du journaliste, justifiant ainsi l'emploi de en fait.

3.2 - Au faitTexte 3 - Il me fallait voir cela de plus près. Me voici donc un samedi matin au coude à coude avec les apprentis "joggers". Dès le départ, mes bons vieux tennis sont sévèrement jugés. Hervé Vittel, un des moniteurs, ainsi nommé en raison de son tee-shirt publicitaire, me fait la leçon. "Très mauvais, les tennis. Songez que chaque chaussure frappe six cents fois le sol par kilomètre. Les chocs mal amortis se répercutent sur le pied, la cheville, le genou, la hanche et la colonne vertébrale. Vous imaginez le résultat. On a créé des chaussures spéciales pour le jogging. Profitez-en. Au fait, vous ne souffrez pas de lombalgies?"

Le Monde, 11-2-84

Peut-on substituer en fait à au fait dans ce passage? au fait à en fait dans les textes précédents? Sur quel ton doit être dite la dernière phrase? Quel rapport y a-t-il entre le contexte gauche et le contexte droit de au fait?

4 - D'AILLEURS, PAR AILLEURS4.1 - Construisez des textes où viendront s'insérer les énoncés suivants:

(1) D'ailleurs, je suis fatigué(2) Par ailleurs, je suis fatigué

4.2 - Quelle différence faites-vous entre(3) Ces oranges sont excellentes, d'ailleurs elles viennent d'Afrique du Sud(4) Ces oranges sont excellentes, par ailleurs, elles viennent d’Afrique du Sud

Comment enchaînez-vous sur ces énoncés?

4.3 - Importance de la ponctuation! Paraphrasez les énoncés suivants:(5) D'ailleurs, si leurs renforts arrivent, nous devrons fuir(6) Si leurs renforts arrivent d'ailleurs, nous devrons fuir(7) Si leurs renforts arrivent, d’ailleurs, nous devrons fuir(8) S'ils attaquent par ailleurs, nous ne pourrons pas les repousser(9) Par ailleurs, s'ils attaquent, nous ne pourrons pas les repousser

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Argumenter IV - CONNECTEURSFiche 17

ENCHAINEMENTS DE CONNECTEURS

1 - INTRODUCTION DE L’INFORMATIONTexte - le crabe lègue sa carapace à la médecineSi la chair des crabes est finement appréciée des gourmets, leur carapace pourrait bientôt intéresser les médecins. En effet, selon Paul Austin, ancien chimiste du Collège d'études marines du Delaware (USA), cette dernière contient de la chitine, un hydrate de carbone très semblable à la cellulose et pouvant trouver de nombreuses applications biologiques. Une nouvelle matière première qui semble déjà intéresser la firme japonaise d’industrie textile LTD Unitika: (...)

Sciences et Avenir 482 - avril 1987, p. 91

1.1 - La première phrase est de la forme Si A, B. Exprime-t-elle une hypothèse? Pouvez-vous introduire un alors avant la proposition B?

1.2 - Paraphrasez-la; les énoncés suivants sont-ils de bonnes paraphrases? (1) Le crabe attire beaucoup de gens, les uns pour sa chair, tels les gourmets, les autres

pour sa carapace, tels les chimistes(2) Le crabe dont la chair est très appréciée des gourmets peut aussi intéresser les

médecins(3) Le crabe intéresse non seulement les chimistes, mais aussi les gourmets(4) Depuis longtemps, le crabe intéressait les gourmets; on vient (en outre) de

s'apercevoir qu'il présente un grand intérêt pour les chimistes

1.3 - Repérez l'information ancienne et l'information nouvelle. Quelle remarque grammaticale faites-vous sur la forme des propositions qui rapportent ces informations?

[ Inf. ancienne: = "la chair des crabes est finement appréciée des gourmets"Inf. nouvelle: = "leur carapace pourrait bientôt intéresser les médecins"

(verbe au conditionnel)Ce passage peut donc se schématiser de la façon suivante, en ne conservant que les connecteurs et l'indication de la nature de l'information:

SI (info. ancienne), (info. nouvelle1). EN EFFET, (info nouvelle2) ]

1.4 - Quelle relation établissez-vous entre les deux informations nouvelles? Quelle est ici la fonction du connecteur en effet?

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2 - INTRODUCTION DE CONNECTEURSTEXTE - Supernova: mort en direct

Les astronomes du monde entier sont sur le pied de guerre. [*] Depuis le 24 février, ils braquent leurs instruments vers une petite étoile qui grossit de plus en plus: une supernova, c'est-à-dire une étoile qui explose. [*] Le fait en lui-même n’est pas rare. Une telle explosion arrive en moyenne une fois tous les trente ans dans chaque galaxie. Les astronomes ont donc déjà observé des centaines, voire des milliers de supernovae. Mais toujours dans des galaxies lointaines. Les supernovae de notre galaxie sont presque toujours invisibles . [*] leur éclat est absorbé par les poussières du plan galactique (Voie Lactée). [*] Il faut remonter à 1604 pour retrouver la trace de l'existence d'un tel phénomène qui avait été aperçu, à l'œil nu, par le célèbre Képler.

Cette fois l'explosion a lieu dans le grand nuage de Magellan, une petite galaxie qui, avec la nôtre et le petit nuage de Magellan, forment un trio de galaxies très proches. (...)

Sciences et Avenir 482 - avril 1987, p. 12

1 - Soulignez les connecteurs, déterminez leur portée et leur fonction.2 - Introduisez un connecteur aux passages marqués par [*] . On considère à chaque fois le texte dans son état originel, sans les connecteurs ajoutés précédemment .

3 - ENCHAINEMENTS DE CONNECTEURSTexte: Danger Cocaïne"Stardust" - la poudre des vedettes, "Gold Dust" -poussière d'or, "Rich man’s drug" - la drogue des riches: redécouverte à la fin des années 1960 par la bonne société américaine, la cocaïne, symbole de richesse et de réussite sociale, fut pourtant considérée, dans un premier temps, comme la drogue, idéale. Finement pulvérisée et aspirée par les narines à l'aide d'une paille ou, faute de mieux, d'un billet de banque étroitement roulé, elle procure l'espace d'une demi-heure une sensation inégalée d'allégresse, de clarté intellectuelle et d'invulnérabilité. L'euphorie est garantie sans danger, et l'on assure alors qu'elle n’entraîne aucun phénomène de dépendance. Scientifiques et médecins eux-mêmes ont souvent attesté de sa bénignité. Bref, la cocaïne était aux stupéfiants ce que le champagne est à l'alcool ... Seul inconvénient: son prix. Mais après l’enthousiasme, la désillusion fut brutale: dix ans plus tard, la drogue mondaine, hier réservée aux milieux de la finance, du sport et du spectacle s'est démocratisée. Et l'on découvre avec stupeur que la drogue chic peut tuer, et qu'elle fait des ravages physiques dans toutes les couches de la société, y compris parmi les plus jeunes et les plus défavorisés.

Sciences et Avenir 482 -avril 1987, p. 33-34

Soulignez les connecteurs. Déterminez l'opposition justifiant l'emploi de pourtant; dégagez la série d’arguments, étayant la conclusion sous bref.

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Argumenter IV ANALYSESFiche 18

L'ANALYSE D'ARGUMENTSL'exercice

1. COMPRENDRE UN TEXTEOn ne peut rien faire d'un texte, avec un texte, aussi longtemps qu'on ne l'a pas compris. On ne peut ni le mémoriser, ni le classer, ni le résumer, ni le commenter, ni le réfuter, ni l'approuver… Comprendre un texte, c'est saisir un ensemble extrêmement complexe de données et d'intentions les organisant, et on reste parfois désarmé devant un texte "qui résiste".On ne sait pas grand-chose sur les procédures mises en jeu dans la compréhension des textes. Ainsi, la clarté d'un texte est une notion toute relative: le lecteur courant ne verra que jargon dans tel texte limpide et précis pour le spécialiste.Certains textes doivent être compris dès leur première lecture ou audition (par exemple les informations à la radio), d'autres demandent un réel travail, ils doivent être relus et analysés crayon en main, leur compréhension suppose tout un travail de réflexion.

2. TEXTES ARGUMENTATIFSUn texte argumentatif élémentaire présente un ou plusieurs arguments en vue d'une conclusion qui l'oriente entièrement. On trouvera de nombreux exemples de tels textes dans les différents “courriers des lecteurs” des journaux. Généralement, les textes présentent des moments argumentatifs à côté d'autres jeux de langage auxquels s'articule l'argumentation générale: exposés descriptifs, comptes-rendus d'expériences, discussions méthodologiques, commentaires, (re)définitions…La richesse de ces jeux de langage est grande, mais les moments argumentatifs sont cruciaux dans la mesure où c'est en ces points que se laissent voir avec le plus de clarté les enjeux du texte pris dans son ensemble.

3. COMMENT ABORDER UNE ANALYSE ARGUMENTATIVE?3.1 - Le problèmeDégager le problème, c'est dire de quoi il est question dans le texte, déterminer l'objet du débat. Le formuler sous forme d'une question.Quels sont les points litigieux? Peut-on, par exemple, les exprimer sous forme d'une alternative? Pouvez-vous les rattacher à une polémique, à une controverse actuelles?Ce problème vous semble-t-il correctement posé? Sinon, vous, comment le poseriez-vous?

3.2 - Caractériser la situation de départLe contexte: dans quel domaine le problème surgit-il? À l'occasion d'un événement particulier? Les protagonistes: qui sont les protagonistes engagés dans la discussion?Le public: à quel genre de public s'adresse-t-on?

3.3 - Déterminer les faits sur lesquels s'appuie le raisonnement. Quelles sont les données, présentées comme objectives, sur lesquelles tout le monde est supposé s'accorder, et qui, d'après le locuteur, ne doivent pas faire l'objet de discussion? Etes-vous d'accord sur ces données de départ ainsi soustraites à la discussion, ou disposez-vous d'informations sûres vous permettant de les contester? Attention: l'argumentateur présente ces faits comme admis par tous. On peut cependant refuser de les admettre; mais, dans ce cas, la charge de la preuve incombe à celui qui refuse de raisonner sur les données factuelles qui lui sont proposées.

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Si vous pensez que les données ainsi posées préjugent de la conclusion, vous accusez votre interlocuteur de pétition de principe.Il n'est pas possible de faire porter sur ces faits une contestation gratuite, sans autres précisions. En particulier, il ne sert à rien de soupçonner a priori les données présentées par l'argumentateur, si on le fait on se rend coupable d'une faute d'argumentation, le procès d'intention.Autrement dit, il est toujours permis de contester le statut de fait de telle ou telle donnée, mais à condition d'avoir des raisons pour cela: on ne met pas en question tout et n'importe quoi, pour le simple plaisir de la contestation.

3.4 - Déterminer la conclusion que l'auteur défend.Où veut-il en venir? Quelle est son intention, son point de vue, sa thèse…? Par exemple: qui accuse-t-il? Qui défend-il? Quelle mesure préconise-t-il? Quelle est sa position dans le débat, tel qu'il a été précisé au § 1?

3.5 - Evaluation critique enfin:Qui, parmi les destinataires, sera d'accord avec la conclusion? Qui s'y opposera? Avec quels arguments? Cette conclusion vous semble-t-elle correctement étayée par les arguments avancés? En pratique, cette évaluation critique met en jeu deux démarches:Évaluation interneElle repose sur la recherche des présupposés de l'argumentation: l'argument est-il réellement pertinent pour la conclusion? Ou ne l'est-il que moyennant un certain nombre d'affirmations implicites contestables? Lesquelles? En quoi sont-elles contestables? Si l'évaluation interne conclut à la faiblesse de l'argumentation, la conclusion à laquelle elle aboutit devra au moins être nuancée, voire rejetée; si elle conclut à la solidité de l'argumentation, la conclusion mérite attention, même si on a à lui opposer tout le poids de son intime conviction.Evaluation externe: recherche de contre-argumentsTous les arguments ne sont pas de bons arguments, et même les bons arguments n'interdisent pas la recherche de contre-arguments, d'arguments visant une conclusion opposée.

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Argumenter IV- ANALYSESFiche 19 - 20

ARGUMENTATION OU AUTRE CHOSE?Les textes suivants, de longueur très variable, sont-ils argumentatifs? Si oui, décrivez leur

argumentation; sinon, précisez à quel type d'action linguistique nous avons affaire.

1 - La clochardisation avance (...) La clochardisation avance et, loin d'être une vie de bienheureux, c'est une vie de

galère où certains comportements sont à vif. Allez donc voir près des gares, à Saint-Michel, à Beaubourg ou ailleurs; allez voir et parlez avec eux, vous comprendrez et leur faiblesse et votre fragilité. Vous verrez leur violence, conséquence de la nôtre, vous verrez une solidarité qui, même si elle est ambiguë, n'existe plus toujours ailleurs.

Devant certains jeunes au regard absent où c'est l'inconscience qu'on recherche et non plus le rêve, vous ne comprendrez pas pourquoi on s'échoue sur les rivages de la drogue et pourtant, vous savez, même si votre drogue est banale comme une glace chantilly, une gauloise blonde, un bon livre ou une nuit d'amour, les bouffées d'angoisse qui nous prennent par fois, que nous voulons conjurer. (...)

Tout cela est un appel à l'invention et au partage. C'est un appel à nourrir, loger, soigner, rencontrer et donner du travail. C'est un appel qui court le monde, car le petit Sahélien a faim, car il faut reloger le Mexicain ou le Salvadorien, il faut guérir aussi l'Indien lépreux. C'est un appel à l'espérance ou au geste fraternel.

Thierry DESBONNETS, objecteur de conscience - Le Monde, 26-10 -1986

[ On retrouve bien dans ce passage les deux moments caractéristiques d'une argumentation:voyez!—> agissez !Cependant, il ne fournit pour l'action aucune raison à proprement parler, mais un simple "voyez!". Le mécanisme est celui de la mise en demeure. Dans la mesure où l'on exige que l'argumentation repose sur une procédure inférentielle, cherchant à imposer une conclusion sur des bases rationnelles, nous ne devons pas considérer qu'il y a là une argumentation. Mais ce texte manifeste la nécessité d'une définition plus large de l'argumentation, dépassant les pratiques inférentielles vers la prise en compte des manœuvres symboliques et rhétoriques. Ici, le pur spectacle de la misère est supposé déclencher, sans médiation ni perte, l’action secourable. Nous avons plutôt affaire à une rhétorique du témoignage et de la présence, de "l'appel", cherchant à gagner directement l'assentiment des lecteurs. ]

2 - Grotesque et bouffonL'article intitulé "Heil! Néron" de votre supplément daté 9-10 novembre [1986] est fort intéressant. C'est même un document à conserver. Mais pourquoi l'auteur, universitaire distingué écrit-il: "La tradition grotesque du “Dictateur” de Chaplin"?Ce film est bouffon parce que, selon Chaplin, la bouffonnerie est un moyen de dire la vérité. Mais l'adjectif "grotesque" ne peut s'appliquer qu'à un ouvrage provoquant une hilarité non voulue par l'auteur. C'est un terme essentiellement péjoratif.

Dr Paul FAVERET, Paris - Le Monde, 23-24 nov. 1986 [ Pas d'argumentation, mais une querelle de mots, qui ne peut être tranchée que par le recours au dictionnaire ou l'appel à l'usage. ]

3 - Esclaves et prostituéesL'esclavage a été aboli. Et la prostitution?

[Argumentation par analogie, cumulée avec l’argument des lumières (voir Fiche 25, § 1.1) ]

4 - Criminels et innocentsMieux vaut un criminel en liberté qu'un innocent en prison

[ Pas une argumentation mais un slogan, un principe sur lequel se fonde la nécessité de la preuve pour condamner quelqu'un. ]

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5 - Division et pluralismeLa majorité n'est pas divisée, elle est pluraliste

[ Pas une argumentation, mais une réponse à une critique. Questions de termes et de points de vue, voir Fiche 22. ]

6 - QHSA bas les quartiers de haute sécurité! des hommes y sont emmurés vivants.

[Une argumentation. Que suggère l'expression "emmuré vivant"? Cette suggestion vous semble -t-elle, en l'occurrence, légitime? ]

7 - Auto-stop (Légende d'une photo d'une personnalité politique)Prendriez-vous cet homme en stop?

[ Quelle est la réponse induite par cette question? Une argumentation, déplaçant le problème de la décision politique sur un terrain quotidien, où pourront jouer des principes de choix plus rudimentaires. ]

8 - MengeleJoseph Baumeister, instituteur à Guinzbourg, ville natale de Mengele, écrit de ce dernier:"I1 était déjà réputé à 1'école pour ses bonnes actions. Un être humain peut-il ainsi dégénérer en monstre?" Non, l'instituteur Baumeister, qui a étudié la jeunesse de Mengele est arrivé à cette conclusion: "Beppo Mengele est un personnage tragique".

[ Une argumentation, et une explication. Peut-on fonder une décision de justice sur la vraisemblance ou l'invraisemblance des actions d'une personne, étant donné sa personnalité? ]

9 - ConversationX: - Quand un scientifique se mêle de faire du commerce, ça mon vieux, je peux te dire, ça marche jamais!Y: - Ou alors, c'est un faux scientifique!

[ Pas une argumentation, mais une affirmation générale parfaitement vide, dans la mesure où il est impossible de la prendre en défaut. Si un bon scientifique fait fortune dans les affaires, devient-il de ce fait un mauvais scientifique? ]

10 - Joe CockerQuand Joe Cocker est revenu, ses disques ont eu du succès, on retrouvait sa façon d’interpréter les chansons des autres en les faisant siennes. La dernière fois qu'il est monté sur une scène française, il y a environ deux ans, on l'a vu pathétique, gonflé par l'alcool, coupé de son groupe, perdu sur les planches, le regard absent dès qu'il cessait de chanter, mais il avait gardé intacte sa voix généreuse et poignante qui dresse le poil. Le seul argument qu'il ait aujourd'hui à proposer.

Le Monde, 28-6-85[ S'agit-il d'une extension du sens de base de "argument"? Un argument est un énoncé pris en tant qu'il vise une certaine conclusion par rapport à laquelle il prend une signification. Mais, aussi bien que nos énoncés, nos actes sont guidés par nos intentions, et, en un certain sens, on peut parler ici d'un argument non verbal. ]

11- "Bon", 'mauvais"Qu'est-ce qui est bon? Tout ce qui accroît en l'homme son sentiment de puissance, sa volonté de puissance, sa puissance elle-même. Qu'est-ce qui est mauvais? Tout ce qui sort de la faiblesse.

NIETZSCHE, L'Antéchrist § 2. Paris: J.-J. Pauvert [ Pas d'argumentation, mais des redéfinitions affirmées a priori. ]

12 - SurpriseJ'utilisais le mot "surprise" dans le sens de "réaction de surprise", c'est-à-dire cet

ensemble de phénomènes qui, pour le neurophysiologiste, comporte, lorsqu'un stimulus inopiné brutal survient: 1) un blocage de l'activité alpha précédé par un élément transitoire qui s'exprime sur la région du vertex (une pointe-vertex); 2) une secousse musculaire plus ou moins importante (le sursaut), 3) des manifestations neurovégétatives

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telles que la tachycardie et la diminution de la résistance cutanée. Je me référais donc à la réaction de "surprise" classique que vous connaissez tous.

H. GASTAUD, "Discussion", in L'unité de l'homme. Paris: Le Seuil, 1974, p. 183[ Pas une argumentation, mais une redéfinition technique, parfaitement légitime, d'un terme d'usage courant. ]

13 - Ordinateurs et camps de concentrationCertes, on peut toujours vilipender la construction encore inachevée des démocraties occidentales;

mais ce faisant, on ouvre les portes à la violence et à l’inhumanité - et on les referme sur les victimes infortunées des camps de concentration.

Avant la publication de l'Archipel du Goulag de Soljénitsyne, bien peu de jeunes, dans nos démocraties, savaient ce que cela signifiait. Au moment des révoltes d'étudiants, un grillage avait été élevé dans mon université pour protéger un ordinateur menacé de destruction. Cela fit dire aux étudiants contestataires qu'il faisait penser à celui d'un camp de concentration. Ils n’oubliaient qu’une chose, c'est qu'ils étaient, eux, à l'extérieur du grillage et non pas à l’intérieur.

K.R. POPPER, La société ouverte et ses ennemis, I. Paris: Le Seuil, 1979, p. 8

[ Argumentation par analogie; contre-argumentation, par réinterprétation de l'analogie, manœuvre rhétorique redoutable. ]

14 - Le monde matériel et la pensée [ Marx a cru perfectionner la théorie de Hegel - et de Kant - en assimilant la réalité au monde

matériel, et l'apparence au monde de la pensée. D'où l’obligation d'expliquer chaque idée en la réduisant à cette réalité essentielle sous-jacente: les conditions économiques".]

Entre les idées et les conditions économiques, il n'y a pas de dépendance à sens unique, mais action réciproque. Imaginons que tout notre système économique, y compris l'équipement industriel et l'organisation sociale, soit détruit, mais que nos connaissances scientifiques et techniques demeurent; la reconstitution de ce système, à échelle réduite pour commencer, serait tour à fait concevable. Mais imaginons le cas inverse, où par exemple, une tribu totalement sauvage occuperait une région hautement industrialisée après la disparition de tous ses habitants: il est probable que les restes matériels de leur civilisation seraient vite anéantis.

K.R. POPPER, La société ouverte et ses ennemis, I. Paris: Le Seuil, 1979, p. 8 [ Une argumentation, consistant en une expérience par la pensée, qu’on peut estimer concluante. ]

15 - Vrais athées et vrais croyantsOn demandait un jour à quelqu'un s'il y avait de vrais athées. Croyez-vous, répondit-il qu'il y ait de vrais croyants?

DIDEROT, Pensées philosophiques, 1746. Paris: Garnier-Flammarion, p.38.

[ La question primitive est orientée vers la conclusion "il n'y a pas de vrais athées", donc essentiellement l'athéisme n'existe pas. Réponse en miroir la charge de la preuve n'incombe pas plus à l'athée qu'au croyant .

16 - MontaigneLe philosophe Antisthenes, comme on l’initioit aux mystères d'Orpheus, le prestre luy disant que ceux

qui se voüoyent à cette religion avoyent à recevoir après leur mort des biens éternels et parfaicts: Pourquoy (15) ne meurs tu donc toy mesmes? luy fit-il.

Diogenes, plus brusquement selon sa mode, et hors de notre propos, au prestre qui le preschoit de mesme de se faire de son ordre pour parvenir aux biens de l'autre monde . Veux tu pas que je croye qu’Agesilaüs et Epamimondas, si grands hommes, seront misérables (16), et que toy, qui n'es qu'un veau (17), seras bien heureux par ce que tu es prestre?

15. l’édition de 1595 ajoute "si tu le crois" - 16. "Malheureux" - 17. l'édition de 1595 ajoute: "et qui ne fais rien qui vaille."

MONTAIGNE, Essais, L.II, chap. XII. Traduisez ce texte en français moderne.[ Une argumentation. L'incompatibilité des croyances affirmées et des actes positifs est utilisée comme argument contre la croyance. ]

17 - MachiavelJe ne voudrais pas non plus qu'on m'imputât à présomption qu'étant de petite et basse condition j'ose pourtant discourir du gouvernement des princes et en donner les règles; car comme ceux qui dessinent les paysages se tiennent en bas dans la plaine pour contempler l'aspect des montagnes et lieux élevés, et se

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juchent sur celles-ci pour mieux considérer les lieux bas, de même pour bien connaître la nature des peuples, il convient d’être prince, et pour celle des princes, d'être du peuple. N. MACHIAVEL, Le Prince (1512-1513) - Paris: Gallimard (coll. "Folio'), 1980; p. 33.

[ Une analogie, argumentative. ]

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Argumenter IV - ANALYSESFiche 21

ALCOOL ET CALMANTS

TEXTE - IL FAUT DÉPOUSSIÉRER LA PSYCHIATRIELe psychiatre se bat pour faire reconnaître à l'alcoolique un statut de malade. La loi considère l’alcoolisme comme une circonstance aggravante, en cas de délit ou de crime, alors que la reconnaissance d'un statut de malade devrait jouer comme circonstance atténuante. L'alcoolique accusé se sent de plus en plus exclu de cette société.Vous prenez des drogues tranquillisantes, vous êtes dangereux au volant d'une voiture autant qu'un alcoolique; or, si vous avez un accident, le fait d'être soumis à un traitement jouera plutôt en votre faveur. Si vous êtes alcoolique, on dira au contraire qu'en prenant le volant, vous êtes assimilable à un criminel tirant son revolver de sa table de nuit pour le mettre dans la poche de son veston. Quelle campagne publicitaire a été faite pour interdire le volant à ceux qui prennent des calmants? (...) Dr Jean-Claude CADILHAC, Montpellier

Le Monde, 13 mai 1987 (courrier des lecteurs) (coupure dans le texte publié)

Préliminaire:Actuellement, le statut de malade est refusé aux alcooliques:

- par la loi? - par la médecine? - par les deux?

1- Dégagez en une ou deux lignes la conclusion que défend le Dr Cadilhac.

2 - D'où vient l'erreur commise dans la réponse suivante (0)? Quel rapport y a-t-il entre la conclusion d'une argumentation et la fin d'un exposé? d'une lettre? La conclusion se confond-elle obligatoirement avec la dernière phrase? Où se trouve-t-elle formulée dans notre texte?

(0) La conclusion du Dr Cadilhac est la suivante: "Pourquoi y a-t-il des campagnes publicitaires contre le fait de prendre le volant après avoir bu et non après avoir pris des calmants?"

3 - Que pensez-vous des réponses suivantes à la même question:(1) On peut donc conclure comme le Dr Cadilhac que l'alcoolisme est considéré comme un vice et non

comme une maladie .(2) L'alcoolisme est une maladie. Pourtant elle est considérée comme un vice. Les alcooliques sont

alors rejetés de la société.(3) Ceux qui prennent des calmants ne subissent pas l'interdiction de conduire.

4 - L'énoncé (4) va-t-il jusqu'au bout des positions défendues par le texte? Est-il compatible avec (5) et (6)?

(4) Le Dr Cadilhac défend le fait qu'un alcoolique est aussi dangereux au volant qu'un individu ayant pris des drogues tranquillisantes. Il est donc contre la différence qui existe lors d'un jugement en cas d'accident dans l'un ou l'autre cas.

(5) Conclusion défendue par le Dr Cadilhac: Les personnes qui prennent des calmants sont aussi dangereuses que les alcooliques au volant. Des mesures doivent être prises contre celles-ci.

(6) La conclusion du Dr Cadilhac est que la loi est mal faite et qu'on devrait aussi interdire le volant à ceux qui prennent des calmants.

Dans ce cas, le texte doit être lu comme un appel à la répression contre les gens qui prennent des calmants. Cela vous semble-t-il compatible avec la première phrase? Si tel était le cas, par quelle phrase la première devrait-elle être remplacée?

(7) Le psychiatre se bat pour imposer aux gens qui prennent des calmants un statut de criminel !!!

5 - Défend-on les mêmes conclusions en disant "X est aussi grand que Y" ou ''Y est aussi grand que X"? Voyons les exercices suivants.

A- Indiquez ceux des enchaînements suivants qui vous semblent le plus naturel.(8) Pierre est plutôt grand; en effet il est aussi grand que Paul(9) Paul est plutôt grand; en effet, Pierre est aussi grand que lui

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(10) Pierre est plutôt petit; en effet, il est aussi grand que Paul(11) Paul est plutôt petit; en effet, Pierre est aussi grand que lui

Dans toute cette série, le second énoncé est le système comparatif Pierre est aussi grand que Paul. Le connecteur en effet l’introduit comme une justification apportée à un premier énoncé de contenu variable. On voit que cette comparaison peut soutenir les conclusions selon lesquelles:

"Pierre est grand" comme l'exprime (8)"Paul est petit" comme l'exprime (11)

mais non pas les conclusions comme quoi:"Pierre est petit" comme l'exprime * (10)"Paul est grand" comme l'exprime * (9)

B- Donnez les conclusions naturelles sur les énoncés (12) et (13).Enoncé:

(12) Les alcooliques sont aussi dangereux que les gens qui prennent des calmants.Conclusion:

(12') Prenons contre les alcooliques des sanctions aussi importantes que celles que nous prenons contre les gens qui prennent des calmants.

Enchaînement évidemment absurde, puisqu'on prend déjà des sanctions contre les alcooliques, alors qu'on est bien loin d'en prendre contre ceux qui prennent des calmants.

Enoncé (voir la première phrase du second paragraphe):(13) Les gens qui prennent des calmants sont aussi dangereux que les alcooliques

Conclusion:(13') Prenons contre les gens qui prennent des calmants des sanctions aussi importantes que celles que nous prenons contre les alcooliques.

La formulation linguistique choisie induit donc une conclusion opposée à la thèse générale défendue dans l'article, qui plaide pour une plus grande indulgence vis-à-vis des alcooliques en matière pénale. D'où un risque certain d'incompréhension.

6 - L'argumentation du texte est donc la suivante: - Données légales:

La loi considère l’alcoolisme comme une circonstance aggravanteLa loi considère la prise de calmants comme une circonstance atténuante

- Données médicales:explicite: Les psychiatres considèrent les alcooliques comme des maladesimplicite: Les psychiatres considèrent les gens qui prennent des calmants comme des malades

D'où l'on déduit que la loi traite différemment, et même de manière totalement opposée, des gens qui appartiennent à une seule et même catégorie, celle des malades.

D'où deux conclusions possibles:(C1) - ou considérer les gens qui prennent des calmants comme des criminels(C2) - ou considérer les alcooliques comme des malades La première phrase affirme expressément (C2). Donc, la conclusion (C1) est à exclure. D'où il

découle que le texte a été mal titré par le journal: donnez-lui un meilleur titre. [ "criminels ou malades?" NB: "malades ou criminels?" ferait-il aussi bien l'affaire? ]

7 - Essai: Proposez un argument allant dans le même sens ou réfutant la thèse soutenue dans le texte.

8 - Quelle expression faut-il supprimer et quel connecteur faut-il ajouter à ce début de copie pour le rendre plus compréhensible? Expliquez.

(17) Le Dr Cadilhac défend les alcooliques. Ce sont des personnes ayant un statut de malade. Lors d'un accident de voiture, ils sont assimilables à des criminels alors que les usagers des drogues tranquillisantes s'en tirent (...)

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Si les alcooliques "ont un statut de malade", alors il est incompréhensible que lors d'un accident de voiture ils soient "assimilables à des criminels". La contradiction est absolue. Quelle différence y a-t-il entre "être un malade" et "avoir un statut de malade", dans l'optique du texte?

La suppression de l'expression "ayant un statut de malade" permet de respecter la contradiction entre "être malade" et "être considéré comme un criminel", que l'on articule au mieux par un pourtant. Ce qui donne:

Le Dr Cadilhac défend les alcooliques, ce sont des malades. Pourtant, lors d’un accident, ils sont assimilés à des criminels, alors que les usagers des drogues tranquillisantes s'en tirent (...).

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Argumenter IV - ANALYSESFiche 22

L’AUTRE FACE DE SANDOZ

TEXTETout - et même un peu plus - a déjà été dit sur la pollution du Rhin par les usines Sandoz. (...)J'ai vu à la télévision les images crève-cœur d'innombrables poissons intoxiqués, mais j'ai aussi vu les hideux visages haineux des justiciers auto-improvisés et je me suis posé la question: combien parmi ces manifestants ont été soulagés sinon guéris par les médicaments mis au point et fabriqués par ces vieux messieurs qu'ils auraient voulu lyncher? (...)

Docteur E. ADRIAN, DouaiLe Monde, 3 déc. 1986 (courrier des lecteurs) (coupure dans le texte publié)

Analysez l'argumentation de ce lecteurEssai: proposez une réfutation de son point de vue, ou des arguments allant dans le même sens.

1 - UNE QUESTION PREALABLEL'auteur de cette lettre est médecin. Il est parfaitement possible que, de par sa profession, il

entretienne des liens étroits avec les usines Sandoz Ce fait invalide-t-il son argumentation? Pourquoi?[Non: objection sur la personne abusive ]

2 - ARGUMENTATION ET POINT DE VUENB - En parlant d’“images crève-cœur", l'auteur suggère-il que les gens qui ont été émus ont fait

preuve de "sensiblerie"?Cette lettre fournit un exemple typique de langage dit "chargé", "biaisé", certainement partial en

ce que l’argument présenté est enchâssé dans des termes descriptifs manifestant nettement le parti pris de son auteur. Faut-il dire qu'en usant d'un tel langage l'auteur se rend coupable d'une manœuvre captieuse, tendant à la pétition de principe, dans la mesure où ce qui est à démontrer (l'action des manifestants face aux représentants des usines Sandoz est-elle ou non justifiée rationnellement dans ses buts et ses moyens?) est présupposé acquis, puisque l'on parle notamment de "haine" et de ''lynch"?

Remarque: On ne cherchera cependant pas à extraire l'or argumentatif de la gangue expressive qui le supporte. Le but n'est pas de donner de la scène une description neutre attribuée à un spectateur impartial, non engagé, faisant abstraction de tous ses intérêts, tant matériels qu’intellectuels. Tout ce que l'on peut demander aux élèves est de savoir changer de point de vue, en d'autres termes d'être capable de décrire une scène telle que la verrait quelqu'un qui ne partage ni leurs analyses ni leurs intérêts. On ne renonce pas à l'idéal d'objectivité, seulement on n'en fait pas le préalable mais le but de la discussion. La réflexion y gagne en rigueur, en réalisme, et en intérêt linguistique.

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3 - DETERMINATION DES POINTS DE VUE3.1- Le point de vue du lecteur

La scène: décrite comme une scène de lynchageLes protagonistes: d'une part, "des justiciers auto-improvisés" au "visage haineux"; en face, des

"vieux messieurs". Il s'ensuit que ces derniers, pris dans un tel scénario, face à de tels adversaires, prennent le statut de victimes désarmées.

3.2 - Exercice: construisez le point de vue opposé.La scène: décrite comme une exigence de justice populaire, au sens de "vraie" justice, nécessaire

dès lors que la justice établie n'est pas en mesure de faire face aux situations inédites que pose le développement industriel en rapport avec l'environnement.

Les protagonistes: des "écologistes", représentant une élite consciente, affrontent quelques représentants d'un capitalisme industriel avide et irresponsable.

Le texte n'amorce aucun dialogue direct avec un interlocuteur partageant ce point de vue. Il se présente comme une réflexion personnelle sur un événement, n'engageant que la responsabilité de son auteur. Par ce moyen, ce dernier met sa réflexion relativement à l'abri de toute réplique.

4 - ANALYSE DU MOUVEMENT ARGUMENTATIF4.1 - Première proposition

(a) S a soigné M avec un certain succès,(b) puisqu'il peut se prévaloir de certains succès, on doit reconnaître à S un droit à l'erreur. La

mise au point des médicaments à l'échelle industrielle comporte des risques;(c) puisqu'on ne saurait faire d'omelette sans casser des œufs,(d) même si S a des torts, il convient de contrebalancer les torts de S par ses réussites.

4.2 - Seconde propositionLa formulation précédente a le défaut de faire abstraction de la mise en cause personnelle, "ad

hominem", des manifestants. Le lecteur place plutôt sa plaidoirie sur un terrain moral, et (a) doit plutôt être suivie de (b'):

(b') M a contracté un certain devoir de reconnaissance vis-à-vis de S,(c') les règles qu'impose ce devoir interdisent à M de se comporter comme il le fait vis-à-vis deS.

5 - UN CONTRE-ARGUMENT(b") Seuls les mécènes ont droit à la reconnaissance. Or M a payé les médicaments fabriqués par

S. En se faisant payer, S a abdiqué de tous ses droits à la reconnaissance de M. Retour à la case départ

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Argumenter IV- ANALYSEFiche 23

LE CORSE ET LE FRANÇAIS

1- TEXTE

La lettre de M. E. Heiter, de Saint-Vivien de Médoc ("L'utilité des langues locales") dans Le Monde Dimanche du 11-9-1983 appelle les réflexions suivantes.

Comment ne pas être d'accord avec M. Heiter, d'ailleurs M. Vergnes, responsable du SNI (*) de Haute-Corse, avait déjà abondé dans le sens de ce monsieur en déclarant qu’"enseigner le corse aux enfants, c'est les enfermer dans un ghetto culturel"!

C'est vrai, Monsieur Heiter, l’enseignement de ces langues locales, comme vous les appelez, ne sert qu'à "s’empêtrer dans des illusions folkloriques… que la majorité des gens ignorent". Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin, dans cette analyse objective et rationnelle, débarrassée des passions réactionnaires et passéistes? Quand on commence une analyse, il faut la mener jusqu'au bout. Poussez donc plus loin ...

Le français n'était (recensement ONU 1975) que la seizième langue du monde, à égalité avec le malais ... Il y a de cela huit ans; depuis, elle doit être la vingtième.

Si je suis votre raisonnement, le français n'est parlé que par 1% de l'humanité, donc "ignoré par la majorité des gens": 99%. Donc enseigner le français aux jeunes Français, c'est, en définitive, "empêtrer nos jeunes dans l'illusion folklorique (...) pratiquer une langue ignorée par la majorité et les porter à considérer ces derniers comme des ennemis".

En bons Français, monsieur Heiter, soyons logiques... cartésiens. Abandonnons l'enseignement du français dans les écoles françaises au profit d'une "ouverture sur la langue indispensable pour les relations avec l’étranger".

Devenons anglophones, alors je considérerai comme sincères les gens qui développent votre argumentation.

M. Dumenicu CARLOTTI, AjaccioLe Monde, 25 sept. 1983 (courrier des lecteurs)

(*) SNI: Syndicat National des Instituteurs

- Analysez l'argumentation du texte, dégagez sa conclusion. - Proposez des contre-arguments ou des arguments allant dans le même sens; éventuellement, donnez-en une évaluation.

2 - LES ANALYSES D'ARGUMENT2.1 - Expliquez pourquoi les remarques suivantes sont erronées et ne doivent pas être retenues. Soulignez en particulier les termes mal employés et les constructions qui rendent la compréhension impossible.

(1) Le français doit être la 20e langue du monde. Il n'est parlé que par 1% de la population.D'où est tirée cette information? Est-ce encore un argument d'autorité?

(2) E. H. et D. C. ont la même opinion: enseigner le corse aux enfants, c'est les enfermer dans un ghetto culturel.

(3) 3e argument: abandonner 1'enseignement du français, dans les écoles françaises, au profit d'une "ouverture sur la langue indispensable pour les relations avec l'étranger" Ce troisième argument est un argument ad hominem.

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(4) D.C. reconnaît qu'enseigner les langues locales, c'est enfermer les enfants dans un ghetto culturel. Il utilise l’argument d'autorité, "comment ne pas être d'accord", il se base sur le prestige du responsable du SNI.

(5) Enseigner le corse aux enfants, c'est les enfermer dans un ghetto culturel, ... c'est s'empêtrer dans des illusions folkloriques. Argument d’autorité, sans explication, sans fondement. Devient la thèse de D. C., ou exactement l'argument essentiel qu'il veut désargumenter

(6) On pourrait objecter que c'est un raisonnement similaire à un syllogisme, avec ce type de déduction on peut arriver à n'importe quelle conclusion. Pour ma part, cet argument est faible, parce qu'ici l’auteur arrive à une argumentation plausible.

2.2 - Raisonnement absurde et raisonnement par l’absurde(7) L’argument de D.C. est faible, car il repose sur une base fragile. C'est un

raisonnement absurde, poussé à l'extrême, non raisonnable.

(8) L'auteur nous démontre par l'absurde que l'opinion de M.H. est mauvaise.

2.3 - L’ironie- Etes-vous d'accord avec les affirmations soulignées?

(9) On pourrait croire que l’argument est: "Il faut abandonner l'enseignement du français, et autres petites langues", puisqu'il n'est parlé que par 1% de 1'humanité, donc ignoré et inutile". Or c’est juste le contraire que l'auteur veut nous dire. (...) C’est un argument qui prouve par l’exemple, mais de manière ironique, (...) Il démontre son "argument ironique" par des faits qui semblent logiques, vérifiables (ONU); mais, pris dans leur ensemble, ils sont absurdes. Il ne faut pas oublier non plus que l'auteur est corse, et va donc défendre les petites langues; il ne peut donc pas penser ce qu'il écrit. C'est un bon moyen d'argumentation, puisqu’il remet en question le fait du précédent auteur, mais sans le dire clairement ce qui permettra à l'autre de s'en rendre compte tout seul.

(10) D.C. est très ironique! Il se moque de l’argumentation de E.H. Il démontre par l'exemple que cette argumentation n’est pas sensée.

(11) D.C. flatte ironiquement E.H., ce qui annonce le ton moqueur de la suite. On doit comprendre: ça n’est pas moi qui ai dit cela, je ne fais que suivre la logique de EH.

- Précisez bien le sens de "qui ai dit cela" dans ce dernier exemple: ce n'est pas moi qui ai dit quoi? Pouvez-vous remplacer le verbe dire par un verbe plus approprié?- En vous appuyant sur cette dernière remarque, définissez le procédé fondamental de l'ironie?

2.4 - Montrez que le passage suivant contient une contradiction qui doit être éliminée.(12) D.C. arrive à la conclusion que le français est une langue locale, qui ne doit donc

plus être enseignée. Son raisonnement est valable, puisqu'il considère le français comme une langue locale. Mais reste la réalité. Apparemment le français est relégué à la 20e place, mais il est clair qu'actuellement de plus en plus de gens parlent le français. A l'étranger, il est considéré comme la langue la plus importante avec l'anglais et l'espagnol. On l'enseigne de plus en plus à l'école comme langue maternelle, deuxième ou troisième langue.

Les deux affirmations suivantes sont-elles équivalentes? Laquelle retenez-vous?

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3 - QUELQUES REFUTATIONS3.1 - Que pensez-vous des réfutations suivantes?

(13) "Quand on commence une analyse, il faut la mener jusqu'au bout" . Pourquoi continuer, alors que l'on détient ce qui nous intéresse? Continuer l'analyse serait perdre son temps.

En quel sens peut-on effectivement arrêter une analyse dès qu'on a obtenu le résultat recherché? Ici, a-t-on affaire à une analyse ou à un raisonnement? Peut-on stopper arbitrairement un raisonnement, refuser d'envisager ses ultimes conséquences? Que diriez-vous de quelqu'un qui refuserait de prendre en compte les suites de ses actes au-delà de certaines conséquences, précisément celles qui l'arrangent?

(14) EH.: - Vous critiquez ma position "réactionnaire, subjective et irrationnelle", mais votre position n'est pas moins subjective et irrationnelle.Ici, l’accusation est retournée contre l’accusateur, l'attaque se situe au niveau affectif.

Cette remarque peut-elle gêner D.C.? Pourquoi? (voir § 1.3)

(15) E.H.: - M. D.C. a parfaitement raison! Mais il n'en a pas terminé avec mon raisonnement: pourquoi s’arrêter à l'anglais? Ce n'est pas la langue la plus parlée dans le monde. Objectivement et rationnellement, nous devons tous nous mettre au chinois. Après tout, nous ne sommes que trois milliards à ne pas encore le connaître! Bon argument, qui permet de mettre en évidence le côté grotesque de D.C

Ce côté "grotesque" est-il réellement susceptible de gêner D.C.? Pourquoi?

(16) E.H.: - Le français est parlé par plus de 80 millions de personnes, alors que les langues régionales ne sont parlées que par 2 à 3 millions de personnes. Un tel argument est bon, il montre l’importance du français.

Le texte raisonne sur l'importance relative des langues; dans quelle mesure le retour à des chiffres absolus peut-il être justifié?

3.2 - Langue, science, culture, civilisation, politique: bon ou mauvais argument? Dégagez le ou les arguments contenu dans les remarques (17) - (20). Etes-vous d'accord avec le jugement abrupt porté par (17)?

(17) E. H.: - La langue française, ainsi que la culture française est un des fondements de la civilisation moderne. L’éliminer priverait le monde d'une richesse considérable. Mauvais argument.

(18) Contre-argument:E. H.: - Vous considérez une langue internationale, parlée à la CEE et à l'ONU comme une langue locale.

Le contre-argument ne porte plus sur le nombre de personnes qui parlent telle langue, mais sur son importance pratique et économique, dont n'a pas tenu compte l'argument précédent.

(19) EH.: - Les Français ont un vaste héritage culturel (...). Changer de langue maternelle serait nier l'histoire de la France (...).Les Corses ont vécu plus de 180 ans avec le français présent sur leur îlot ... Ce n'est pas si dramatique pour eux, puisque leur patrimoine est moins grand.

(20) Enseigner le corse aux enfants, c'est les enfermer dans un ghetto culturel: Enseigner le corse n’empêche pas de continuer l'enseignement du français. L’enseignement du corse serait un complément, donc un apport culturel supplémentaire.

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4 - CONCLUSION: QU'EST-CE QU'UNE LANGUE? QU’EST-CE QU'UN DIALECTE?

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Argumenter V - SYNTHESEFiche 24

LA SYNTHESE D'ARGUMENTS: L'EXERCICETAUREAUX, ECREVISSES, MOUCHES ET AMIBES

I - LES TEXTES

0 - L'EXERCICE DE SYNTHESEIl porte sur une discussion surgissant entre deux ou plusieurs interlocuteurs, à propos d'un sujet

sur lequel ceux-ci se trouvent en désaccord. Les positions défendues sont ouvertement exprimées, et les répliques s'articulent donc de façon explicite. Les courriers des lecteurs des différents journaux ou revues fournissent à volonté des exemples de telles polémiques. Une extension naturelle de l'exercice amène à prendre en considération des textes argumentés traitant d'un thème

identique, mais ne comportant pas de référence explicite les uns aux autres: on s’achemine ainsi vers les exercices de synthèse de données.

On procédera donc en plusieurs étapes; d'abord une analyse d'arguments, ensuite une explicitation des points de divergence et des modes de réfutation, enfin un bilan argumentatif de la discussion.

Cet exercice met donc l'élève en position de juge; il doit déterminer l'objet du litige, être attentif à l'une et l’autre parties, évaluer la force relative de leurs arguments. On pourra renforcer cette dernière étape, en la faisant suivre d'un verdict engageant la responsabilité personnelle du juge, qui doit se prononcer.

1- LES TEXTEST 1 - Jeux sanglants

Comme chaque année à pareille époque, Le Monde nous a fait bénéficier d'un long article double page sur la tauromachie. Une fois de plus, nous avons eu droit à la phraséologie pompeuse et traditionnelle sur cet "art", qui ne peut être apprécié, paraît-il, qu’après une véritable initiation.

Vous êtes bien placés pour savoir que toute approche de la corrida suscite immédiatement des réactions passionnées des "pro" et des "anti". Il n'y a pas à être pour ou contre les corridas, la question est de savoir si notre société moderne, civilisée, qui se veut pacifique, etc., acceptera encore longtemps que l'on torture des animaux uniquement par jeu. Tout le reste n'est que mauvaise littérature ou hypocrisie.

On ne brûle plus les chats sur les parvis des cathédrales, les combats d'animaux ont été interdits en 1833, on ne cloue plus les chouettes et les rats ne sont plus crucifiés comme cibles au jeu de fléchettes. Quoi qu'en disent les milieux taurins, la corrida avec mise à mort est condamnée. Si le législateur français, par prudence électorale, n'a jamais voulu trancher cette question, il n'en reste pas moins que la conscience de l'Europe nous imposera un jour, de l'extérieur, par l’intermédiaire des règles communautaires, de faire cesser ces jeux sanglants.

Les courses camarguaises et landaises devraient suffire à satisfaire cette passion des taureaux, et si l'on veut conserver le décorum de la corrida espagnole, il est tour à fait possible d'imaginer un nouveau type de spectacle dans lequel il n'y aura plus de martyr.

Qu'elle s'exerce sur l'homme ou sur l'animal, la torture est la même, de même que son origine, le tout est de savoir quel type de société nous souhaitons.

Michel DUMONT, Ligue française des droits de l'animalLe Monde, 21-22 sept. 1986 (courrier des lecteurs)

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T 2 - Taureaux et écrevissesDans votre supplément "Télévision" daté 21-22 septembre, la lettre de M. Dumont

relance le débat sur la corrida, en des termes moins passionnels que d'habitude, mais force est de lui répondre. Son argument - qui a le mérite d’être unique - est péremptoire, mais arbitraire: "Notre société moderne (n')acceptera (plus) longtemps que l'on torture des animaux uniquement par jeu. Tout le reste n'est qu’(…) hypocrisie. "

Les taureaux ne sont pas les seuls animaux torturés uniquement par plaisir - et le jeu n'a pour justification que le plaisir qu'il procure aux spectateurs. Quelles sont les actions entreprises par la Ligue des droits de l'animal de M. Dumont pour mettre fin aux affreux supplices des écrevisses (ébouillantées vives) ou des oies (atrocement gavées par les producteurs de foie gras), supplices qui n'ont pour but que la satisfaction du plaisir des gastronomes - car il s'agit de plats dont on peut très bien se passer pour vivre, sans devenir pour autant végétarien?

La seule différence entre le supplice des taureaux et celui des écrevisses ou des oies est que, pour les deux derniers, le consommateur n'y assiste pas et peut feindre d'en ignorer l'existence; mais cela porte précisément un nom, celui que M. Dumont applique aux amateurs de corridas: l'hypocrisie...

Elie ARIE (Paris)

PS. - Derrière toutes ces campagnes, il y a malgré tout un élément irrationnel: un animal souffrirait "plus" s'il est plus proche de l'homme. Je suis certain que la Ligue des droits de l'animal ne s'intéresse guère aux écrevisses, encore moins aux mouches, pas du tout aux amibes ...

Le Monde, 5-6 sept 86 (courrier des lecteurs)

T 3 - Taureaux, mouches et amibes

Fidèle lectrice du Monde, auquel je suis abonnée depuis longtemps, je lis parfois certaines rubriques avec retard. C'est ainsi que je viens de lire avec beaucoup d’étonnement la lettre de M. Elie Arie dans votre supplément daté [5-6] septembre. M. Arie s'étonne qu'une société de protection des animaux combatte la corrida, cette 'fête" où l'on torture des taureaux par jeu ... et il demande pourquoi ces protecteurs des animaux ne s'indignent pas aussi du supplice infligé aux écrevisses jetées vivantes dans l'eau bouillante ... ou de celui que subissent les oies gavées. Et il découvre là, croit-il, un élément "irrationnel": il est "certain" que ces protecteurs sont surtout émus par les souffrances des animaux proches de l’homme et ne s'intéressent ni aux écrevisses, ni aux mouches, ni aux amibes… Cette lettre… me consterne.

Les protecteurs des animaux "s'intéressent" également aux oies gavées, aux lapins qui, dans les recettes d'anciens livres de cuisine "demandent" à être dépouillés vivants… et à toutes les souffrances subies par des êtres sensibles.

J'ai lu, dans des publications scientifiques, que tout porte à croire que la sensibilité et donc la capacité à la souffrance des amibes, des mouches… et des animaux supérieurs sont différentes. Extrêmement différentes!

Le raisonnement "tout-ou-rien-iste" selon lequel il serait irrationnel (et même hypocrite!) de vouloir protéger certains animaux au lieu de les protéger tous (y compris mouches et amibes), ce raisonnement je le connais. Il donne bonne conscience à ceux qui, puisqu'on ne peut pas tout faire, ne font rien.

Mutatis mutandis, c'est la même variété de censeurs qui, informés de l'immense problème de la faim dans le monde, trouveraient inutile et dérisoire de secourir, dans notre pays, les démunis de toutes sortes. Leur bonne conscience ne me semble pas de bon aloi.

Anne-Marie HASSONPrésidente de la Confédération Nationale des Sociétés de Protection des Animaux

Le Monde, 2-3 nov. 1986 (courrier des lecteurs)

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Argumenter V- SYNTHESEFiche 25

TAUREAUX, ECREVISSES, MOUCHES ET AMIBESII - LES ARGUMENTS

A - PRÉLIMINAIRESA.1 - Faites la liste des mots, expressions et passages entre guillemets. Expliquez à quoi servent

précisément ces guillemets.A.2 - T3 rapporte-t-il correctement les faits, termes et arguments avancés par T2? En particulier,

est-il justifié d’écrire que M. Arie s'étonne qu'une société de protection des animaux combatte la corrida, cette "fête" où l'on torture des animaux par jeu…?

A.3 - Relevez les qualificatifs que s'appliquent les protagonistes de la discussion.

B - EVALUEZ LES FRAGMENTS D’ANALYSES SUIVANTS(1) Le problème posé est celui de la torture des animaux. Les trois textes sont contre,

mais à des niveaux différents.[voir § 1 à3]

(2) Ne devrait-on pas s'intéresser de plus près aux manipulations des cellules; certains scientifiques sont persuadés que les cellules sont des êtres vivants et ont donc une capacité de souffrance non négligeable. Je crois qu'il ne faut pas tenir compte de l’argument du troisième texte affirmant que la sensibilité d'un animal varie en fonction de sa taille et de sa famille.[ voir § 3.3 ]

(3) T2 répond à T1 en approuvant la défense du taureau, tout en dénonçant la Ligue Française des droits de l'animal qui "ne fait rien" pour les écrevisses, les oies et même les mouches ou les amibes.[voir § 2.1]

(4) T2 accepte les arguments de T1, mais va encore plus loin car T1 ne s'intéresse qu'aux taureaux.( ...) T2 va plus loin que T1, il le renforce même. Les faits qu'il signale sont plus graves encore car ils sont en général ignorés.[ voir § 2 ]

(5) T3 rappelle que si on veut protéger certains animaux supérieurs sensibles à la souffrance, il faut aussi protéger les petits animaux, tels que les mouches et les amibes, ce qui est rationnel mais semble impossible.[voir § 3.3 ]

(6) D'après T1 il faut supprimer les corridas, parce qu'on fait souffrir les taureaux et que notre société modernisée, civilisée et pacifiste n'est plus digne de tels jeux.[ voir § 1.1 et la construction "A n'est pas digne de B" ]

(7) T2 est grotesque dans sa façon d'exagérer la souffrance des écrevisses, des mouches et des amibes.[ voir § 2.1 ]

(8) Un fait certain est que la sensibilité et les capacités à la souffrance des amibes, des mouches, ... et des animaux supérieurs sont différentes, mais ce raisonnement est contradictoire puisqu'il suppose que l'on devrait défendre tous les animaux ou aucun.

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[voir § 3.1 à 3.3]

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C- ANALYSEZ LES ARGUMENTATIONS en soulignant leurs articulations. Evaluez la qualité des attaques et des répliques.C.1 - Argumentation de T1

T1 avance deux arguments, envisage deux objections et fait une concession. PrécisezC.2 - Argumentation de T2

La question posée au second paragraphe est-elle une "vraie" question? Quelle est la position de T2 vis-à-vis des corridas? vis-à-vis de la Ligue des droits de l'animal? Quel est donc le but de l'argumentation de T2?

C.3 - Argumentation de T3Dans son attaque contre T2, T3 utilise des tactiques argumentatives différentes; comment répond-il: - sur les oies? - sur les écrevisses? - sur les amibes?

1- ARGUMENTATION DE T1 1.1- Les arguments présentés par T1

Premier argument Données:

- on ne brûle plus les chats ...- les combats d'animaux ont été interdits en 1833 - on ne cloue plus les chouettes ...- les rats ne sont plus crucifiés ...

Conclusion: les corridas sont condamnées à disparaître, on doit les interdire le plus rapidement possible.

Présupposé de cet argument: si ces données ont un "sens", c'est qu'elles sont prises dans un mouvement historique au cours duquel les sociétés se perfectionnent. On remarque que cet élément essentiel de l'argumentation est explicité ici tout à fait à part de l'argumentation, dans la dernière phrase: le tout est de savoir quel type de société nous souhaitons.

On pourrait appeler cette forme d'argumentation "l'argument des Lumières" (ou argument hégélien, par le sens de l'histoire).

Second argument (quoi qu'en dise T2!)La réfutation de l'objection apparaît comme couplée avec un second argument, un argument par

la force: la conscience de l'Europe nous imposera un jour de l'extérieur, par l'intermédiaire des règles communautaires, de faire cesser ces jeux sanglants.

Pour les besoins de l'argumentation, T1 assume ici le point de vue des partisans de la corrida, et leur suggère implicitement une règle de comportement qui devrait leur permettre de sauver la face:

"Ce qu'on ne peut pas empêcher, il faut le devancer - sinon le vouloir!""Quand une chose mauvaise (i.e., abolition des corridas) est inévitable, autant qu'elle se produise le plus vite possible''.

1.2 - Objections envisagées implicitement par T1Première objectionAnalyse dialogique de la proposition en si: le législateur français, par prudence électorale, n'a

jamais voulu trancher cette question- l'objection prêtée au lecteur (voir Fiche 14): "Si l'abolition est inscrite dans la fatalité

historique, comment se fait-il qu'elle tarde autant?"- la réponse à cette objection consiste à fournir une explication - au moins un début explication

par "la prudence électorale", dont on remarque qu'elle est en parfaite harmonie avec l'implicite argumentatif déjà noté: dans leur marche en avant, les sociétés doivent surmonter certains obstacles, ici des préjugés conservateurs.

La réponse à l'objection apparaît dans un syntagme circonstanciel inclu dans une "proposition concessive". Cette forme grammaticale montre bien que l'argumentateur lui-même ne considère pas sa réfutation comme pleinement satisfaisante.

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Seconde objectionOn peut voir également dans l'énoncé Qu'elle s'exerce sur l’homme ou sur l'animal, la torture est

la même une réponse, sous forme de simple négation, à l’objection implicite: "on ne peut parler de torture que pour les humains, non pour les animaux".

1.3 - Concessions accordées par T1T1 accorde aux amateurs de corridas deux lots de consolation: Les courses camarguaises et

landaises; de nouveaux types de spectacles (?)

2- ARGUMENTATION DE T22.1 - Argument présenté par T2

T2 pose à T1 une question rhétorique, dont la réponse, pour T2, va de soi: la Ligue des droits de l'animal n'organise rien ou pas grand-chose pour les oies, les écrevisses, etc. D'après T2, l'argumentation de T1 est mal construite car les défenseurs des animaux sélectionnent les données arbitrairement Son raisonnement a donc la forme suivante:

- tous les animaux souffrent; les écrevisses, les oies, ... autant que les taureaux; - or les défenseurs des animaux ne considèrent que ces derniers;- ce choix est injustifiable;- les défenseurs des animaux ne sont pas des gens sérieux.

T2 argumente dans le système de croyances et de valeurs de T1 (souffrance des animaux, nécessité de les protéger), mais cela n'implique aucunement qu'il partage ces croyances et ces valeurs. Il s'agit d'une forme absolument légitime d'argument sur la personne.

Son argumentation cherche à mettre en évidence une contradiction dans les croyances, une incohérence entre ces croyances et le comportement des défenseurs des animaux. Par quoi, il cherche à disqualifier les actions que ces derniers entreprennent.

2.2 - Réfutation par T2 de deux objections possiblesRemarquons que la contradiction serait levée si T1 pouvait montrer que les taureaux et les

écrevisses ne sont pas à prendre en considération de la même façon pour le problème en discussion; en termes perelmaniens, qu'ils ne sont pas des êtres "appartenant à une même catégorie essentielle". T1 pourrait-il justifier son choix de s'en prendre aux corridas et non au bouillon d'écrevisses?

a) Il le pourrait en arguant des contraintes vitales de notre nature omnivore. Réfutation aisée par T2: dans le cas du foie gras et des écrevisses: il s'agit de plats dont on peut très bien se passer pour vivre sans pour autant devenir végétarien.

b) T1 pourrait encore répliquer que les taureaux souffrent plus que les écrevisses. Faux, répond T2, qui a vu le problème, et réfute par avance cette justification par la nature de la douleur: il y a un élément irrationnel: un animal souffrirait "plus" s'il était plus proche de l’homme.

Ayant ainsi rejeté par avance toute justification rationnelle du choix de T1, T2 va montrer qu'en fait, ce choix obéit à des mobiles inconscients qui ne font pas honneur aux défenseurs des animaux. L'intérêt pour les taureaux est motivé par le caractère spectaculaire des corridas. D'après T2, T1 ("[hypocrite]") joue donc sur le phénomène de la présence dans l'argumentation, ou en est la dupe inconsciente. Il vaut la peine de rappeler le commentaire que donne Perelman de ce phénomène:

Le fait de sélectionner certains éléments et de les présenter à l'auditoire, implique déjà leur importance et leur pertinence dans le débat. En effet, pareil choix accorde à ces éléments une présence, qui est un facteur essentiel de l'argumentation, beaucoup trop négligée d'ailleurs dans les conceptions rationalistes du raisonnement.Un joli récit chinois illustrera notre pensée:Un roi voit passer un bœuf qui doit être sacrifié. Il en a pitié et ordonne qu'on y substitue un mouton. Il avoue que cela est arrivé parce qu'il voyait le bœuf et qu'il ne voyait pas le mouton.

C. Perelman & L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, 1971, p. 155 - 156)

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3 - ARGUMENTATION DE T3T3 va développer une contre-attaque systématique, tendant à détruire cas par cas toutes les

positions tenues par T2:- les oies: rectification des faits allégués par T1;

donc pas de contradiction, l'argument sur la personne est invalidé;- les écrevisses: la différence de traitement d'avec les oies est légitime;- les amibes: l'argumentation est une exagération absurdifiante.

3.1 - Les oies: Réfutation de l'argumentation sur la personne avancée par T2Celle-ci reposait sur la notion de "pitié sélective''. La réfutation la plus simple consiste en une

simple rectification factuelle, ce que fait T3 en montrant que T2 est mal informé: les protecteurs des animaux; s'intéressent également aux oies…aux lapins, … et à routes les souffrances subies par des êtres sensibles. Donc T3 réfute T2, et de façon radicale.

Mais devons-nous accepter comme des faits cette affirmation de T3? S'agit-il d'un argument d’autorité? Cette lettre est écrite par la Présidente de la Confédération Nationale des Sociétés de Protection des Animaux. Elle doit donc être particulièrement bien informée des actions menées par ces associations. En la croyant, nous ne cédons pas au fallacieux prestige d'un argument d'autorité, mais nous observons tout simplement une convention linguistique générale qui veut qu'en l'absence d'indice nous laissant penser le contraire, nous accordions du crédit aux paroles de nos interlocuteurs. Sinon, aucune conversation ne pourrait se tenir.

Si nous pensons que l'interlocuteur cherche à nous en imposer, la charge de la preuve nous incombe. On ne peut réfuter quelqu’un en répétant à tout propos: menteur ! menteur! ...

3.2 - Les écrevisses: justification de la différence de traitementObservons que si T3 a bien répondu pour les oies, en y ajoutant les lapins, il semble avoir oublié

les écrevisses, reconnaissant implicitement que son organisation ne s'intéresse pas à ces crustacés. Pour ces dernières, la contre-attaque de T3 se développe sur des lignes différentes.

Comme nous l'avons vu, l'attaque de T2 reposait sur le postulat d'un continuum de la sensibilité à la douleur, des taureaux aux écrevisses jusqu'aux amibes. T3 réfute ce postulat:

J'ai lu dans des publications scientifiques, que tout porte à croire que la sensibilité et donc la capacité à la souffrance des amibes, des mouches et des animaux supérieurs sont différentes. Extrêmement différentes!

Admettons donc la donnée factuelle, c'est-à-dire que les écrevisses n'aient pas la même "capacité de souffrance" que les animaux supérieurs, taureaux, oies et autres lapins. Dès lors, il est justifié de les considérer comme "des êtres appartenant à des catégories différentes'', donc de ne pas inscrire au programme de la SPA la défense des écrevisses ou des langoustes.

Remarques évaluatives - Sans nul doute, on a ici affaire à un argument d'autorité: "les scientifiques disent que ..." qui est parfaitement valable sous certaines conditions. La forme développée complète d'un argument d'autorité recevable peut en effet s’exprimer comme suit:

"Les scientifiques disent que P. Ces résultats sont publiés sous telle forme, et l'accès à la bibliothèque est libre."

Que penser de la réfutation de T3? Remarquons d'abord qu'il manque ici l'indication des sources, que nous considérons comme indispensable à la validité de l'argument d'autorité. Admettons cependant l'existence de différences essentielles entre les sensibilités des animaux. Cela ne clôt pas la discussion, qui pourrait rebondir vers un autre classique de l'argumentation: où passe la ligne? où faut-il opérer la démarcation? selon quels critères? qu'est-ce qui nous assure que les écrevisses sont légitimement placées du mauvais côté?

3.3 - Les amibes: une exagération absurdifianteAlors que T3 n'avait fait jusqu'ici que se défendre, il va maintenant contre-attaquer T3, en lui

reprochant de développer un raisonnement "tout-ou-rien-iste", une exagération absurdifiante, forme non valide de raisonnement naturel. Exemple: ce n'est pas parce que les enseignants estiment

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que quarante élèves dans une classe c'est trop, que trente-cinq ce serait mieux, et trente encore mieux qu'on peut en déduire que, pour eux, la classe idéale ne comprend qu'un élève.

T2 se rend-il effectivement coupable de ce sophisme? Oui, si l'on se reporte au post-scriptum, où l'évocation des amibes sort manifestement du domaine discuté. Donc nous devons ici accorder le point à T3.

3.4 - Contre-attaque: Maxime contre maxime.Globalement, l'argumentation de T2 repose sur une maxime pratique de la forme:

"On ne saurait faire le bien à moitié"T3 attaque le raisonnement de T2 à un niveau profond, en lui opposant la maxime contraire:

"On doit faire le bien qu'on est en position de faire'' en montrant que la première conduit à des conséquences inacceptables:

"Puisqu'on ne saurait soulager toutes les misères, n'en soulageons aucune" Question: en disant cela, T3 se rend-il coupable à son tour d'une exagération absurdifiante?

Remarque évaluative - Quelle est la "bonne" maxime? Il s'agit ici d'une discussion sur les principes, sur les valeurs, dont l’affirmation n'est pas toujours ramenable à une fondation rationnelle. L'argumentation a précisément pour but de permettre une discussion à partir de valeurs différentes: c'est tout le sens du dialogue que nous venons d'analyser.

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Argumenter V- SYNTHESEFiche 25

L 'EGLISE ET L'INQUISITION

TEXTE I(Accusé de meurtre et d'hérésie, Salvatore est interrogé par l'inquisiteur Bernard Gui. Le narrateur et son maître, Guillaume de Baskerville, assistent au procès. La scène se passe en 1327.)

La vue du malheureux, qui avait certainement passé la nuit en un interrogatoire non public e: plus sévère. m’émut de pitié. Le visage de Salvatore, je l'ai dit, était d'habitude horrible. Mais ce matin-là, il avait l'air encore plus semblable à celui d'un animal. Il ne portait pas de marques de violence, mais la façon dont le corps enchaîné avançait, avec ses membres déboîtés, presque incapable de bouger, traîné par les archers comme un singe à sa corde, proclamait bien haut la manière dont avait dû se dérouler son atroce répons.

" Bernard l'a torturé ... murmurai-je à Guillaume.- Pas du tout, répondit Guillaume. Un inquisiteur ne torture jamais. La gestion d'un

corps de prévenu est toujours confiée au bras séculier.- Mais c'est la même chose! dis-je .- Que non. Ni pour l'inquisiteur, qui a les mains pures, ni pour celui qui est questionné,

lequel, quand vient l'inquisiteur, trouve en lui un soutien inattendu, un soulagement à ses peines, et lui ouvre son cœur. "

Je regardai mon maître: "Vous plaisantez, dis-je effaré.- Cela te semble sujet à plaisanterie? répondit Guillaume.

Umberto ECO, Le nom de la rose.Trad. de l'italien par J.- N. Schifano. Paris: Grasset, 1982, pp. 380 - 381 [1ère édition 1980]

TEXTE IIMais la torture devint si rapidement en faveur, surtout en Italie, que Innocent IV, en 1252, autorisa son usage pour découvrir l'hérésie, bien qu'il défendît expressément aux inquisiteurs ou aux membres du clergé de l'administrer eux-mêmes, l'usage de la torture devant être laissé aux autorités civiles. Les canons de l'Eglise étaient très explicites sur ce point, et défendaient aux membres du clergé de se servir de la torture et même d'être présents lorsqu'on l’administrait à un accusé; faute de quoi, ils seraient exclus de toute fonction religieuse jusqu'à ce qu'ils fussent "dispensés" ou purifiés. Il est donc clair que la torture, la plus grande abomination de l'Inquisition, ne fut ni ordonnée, ni même autorisée par l’Église. C'était une méthode civile, instituée par la loi; quand elle fut employée par les inquisiteurs de l'Eglise, ce fut malgré les ordres du pape et de l'Eglise.

A. H. VERRILL, L’inquisition, réimpression 1980 [1e éd. 1932].Paris: Payot, (coll. "Bibliothèque historique"), p. 40.

1- De quels types de textes s'agit-il?T1: un extrait de romanT2: un extrait d'ouvrage historique.

2 - Pourquoi ces deux textes?On obtient parfois pour réponse que ces deux textes sont "en opposition". Réponse parfaitement

correcte, mais il reste à déterminer précisément la nature de l'opposition. Or, de nombreux élèves cherchent à construire une opposition entre les faits exposés dans l'un et l'autre texte.

3 - Déterminez les faits historiques allégués par T1 et T2. T1 et T2 divergent-ils surces faits?Deux faits essentiels, sur lesquels T1 et T2 sont en accord:

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- l'église défend aux inquisiteurs de torturer,- l'église défend aux inquisiteurs d'assister aux séances de torture.

4 - Deux contradictions? A - Une contradiction dans T2? Ce texte affirme en effet:

(a)- qu’Innocent IV en 1252, autorisa (l'}usage (de la torture](b) - qu'il est donc clair que la torture (...) ne fut ni ordonnée ni autorisée par l'Eglise

Evaluez le poids de cette contradiction.[ Insignifiante. On n'hésitera pas à faire ici appel au principe de charité" qui nous autorise à lire pour (b) "ni ordonnée ni autorisée aux gens d'Église par l'Eglise" ]

B - Une contradiction entre T1 et T2?T2 admet que la torture ait été employée par certains inquisiteurs de l'Église alors que T1

affirme qu'un inquisiteur ne torture jamais. Y a-t-il là une contradiction?[ Non. Cette divergence doit être appréciée en fonction des intentions argumentatives des deux textes (voir § 5). Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'une concession par rapport à la thèse principale, qui reste valable "même si l'on admet que les inquisiteurs de l'Eglise ont parfois / n'ont jamais torturé". ]

5 - Quelle est la nature de l'opposition entre les deux textes?Les faits étant reconnus pour strictement identiques, on voit qu'il s'agit évidemment d'une

opposition argumentative. Le premier est un texte de procureur, un réquisitoire mettant en accusation l’Eglise qui se voit attribuer la pleine responsabilité des tortures infligées par l’lnquisition. Le second texte est un texte d'avocat, un plaidoyer tendant à disculper l'Eglise, et à rejeter la faute sur le pouvoir civil.

Certains élèves court-circuitent le stade de l'analyse, et entament immédiatement une réfutation des conclusions du second texte, à partir d'arguments du type: "le pape a quand même autorisé la torture". Un historien aurait certainement des objections à présenter à cette séparation de l'Eglise et de l'Etat avant la lettre sur laquelle repose toute l'argumentation de Verrill. Ce goût très sain pour la réfutation ne doit cependant pas faire sacrifier la claire détermination des intentions argumentatives, des arguments et de leur instrumentation linguistique.

6 - Analysez les moyens de convaincre mis en œuvre dans l’un et l’autre texte.A - Argumentation de T2Seul T2 argumente, à partir de l'indépendance supposée du pouvoir civil. La volonté de

convaincre se manifeste notamment:- par la mise en position passive du pape: sa décision lui a été arrachée, la torture devint si rapidement en faveur… : il n'a en somme fait que céder à un appel unanime à la torture;- par la répétition: bien qu'il défendît ...; défendaient...- par l'emploi des intensifs: si rapidement que...; expressément..., très explicite..., il est clair que ... - quitte d'ailleurs à en subir les effets pervers: dire "il est donc clair que P" sera toujours plus suspect que le simple ''P".

B - Argumentation de T1Les moyens argumentatifs utilisés dans le premier texte relèvent d'une technique très différente.

La description d'un moment du procès inquisitorial permet au romancier d'avoir recours à tous les effets attachés à la présentation de l'événement (description du torturé); l'existence d'un narrateur crée un point de vue, et le lecteur s'identifie au narrateur, dont il épouse le point de vue. Par ce biais, il est amené en douceur à partager les conclusions de ce dernier.

Notons encore que la mise en scène offerte à l'imagination du lecteur lui paraîtra d'autant plus plausible qu'elle lui rappellera ses scènes favorites de films policiers où le "bon" et le "méchant" interrogent alternativement le suspect et se répartissent les rôles afin de le conduire plus subtilement aux aveux. Nous avons donc affaire à une véritable argumentation par un stéréotype.

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7 - Quel texte vous parait le plus convaincant? A quel texte donnez-vous votre adhésion?Une proportion non négligeable d'élèves considère T1 comme le plus convaincant, tout en déclarant adhérer aux

conclusions de T2. Ils invoquent pour motivation la nature historique du second ouvrage, et déclarent se méfier d'une opinion fabriquée par le procédés romanesques. Triomphe du vice lorsque la vertu n'est pas regardante sur les moyens?

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Argumenter V - SYNTHESEFiche 27

TEXTES POUR LA SYNTHESE

1 - A PROPOS DES ''EUROCRATES"Texte I - Les ''eurocrates", des privilégiés mécontents.

Ils sont dix mille à Bruxelles, superbement payés et, avec en prime, la sécurité de l'emploi. Les fonctionnaires des Communautés européennes ne sont pourtant pas des gens satisfaits de leur sort. Toujours un peu mal à l'aise lorsqu'ils évoquent leur situation, ils présentent leur "défense" avec une dose de maladresse. Les "eurocrates" contestent, en règle générale, que leurs traitements soient supérieurs à ce qu'ils auraient s'ils étaient restés dans leur pays d'origine. C'est peut-être vrai pour un nombre limité d'entre eux, mais probablement pas pour la majorité.

Toujours est-il qu'ils justifient, à quelques rares exceptions près, leur haut niveau de rémunérations avec une fougue pouvant aller jusqu'à la véhémence (1), comme s’il fallait cacher une certaine forme de mauvaise conscience, alors qu'après tout il n'y a rien d’anormal dans cet avantage lorsqu'il coïncide - ce qui est relativement courant dans les secteurs opérationnels - avec la compétence et l'efficacité.

Soumis depuis quelque temps à la critique souvent très dure de la presse, ils sont excédés et surtout sur la défensive. Longtemps à l'abri de la crise économique, leur pouvoir d'achat a augmenté de 16% de 1971 à 1979. Mais les fonctionnaires européens sont placés sous surveillance depuis 1981 par les gouvernements nationaux. Depuis cette année-là, le relèvement de leurs salaires dépend en partie de l’accroissement moyen des traitements dans les services publics nationaux. La nouvelle méthode de calcul a eu pour effet d’entamer quelque peu leur pouvoir d'achat, d'autant qu'ils acquittent également depuis deux ans un "prélèvement de crise" qui, compte tenu des difficultés budgétaires des Dix, est parfaitement raisonnable.

(...)Plus fondamentalement, c'est l'avenir tout court de la fonction publique européenne qui est en

jeu. Desservie par les blocages de la CEE et l'affaiblissement du rôle de la Commission, elle n'a pas encore trouvé la bonne réponse à sa crise de fonctionnement. Conçue pour traiter tous les aspects de l’activité économique et sociale, elle se retrouve aujourd'hui avec des services entiers qui tournent à vide. Agée à peine de vingt-cinq ans, elle est déjà une vieille administration, avec les défauts (elle est, par exemple, très peu informatisée) des services publics traditionnels, sans en avoir toujours les qualités. A tel point qu'elle a déjà ses "anciens combattants", qui regrettent la Commission Hallstein (du nom du premier président de nationalité allemande) et qui expliquent tous leurs malheurs par la faiblesse des successeurs.

La réalité est que - enfermés dans leur microcosme - un grand nombre de fonctionnaires européens jouent au jeu stérile de la promotion. Surtout en cette période de fin de mandat de la Commission (décembre 1984), les "stratèges de couloir" font preuve d'une activité fébrile. La partie est difficile dans une administration qui compte quarante-six directeurs généraux pour vingt-deux directions générales et cent trente-cinq directeurs pour à peine une centaine de directions. Le gonflement des effectifs au somment de la hiérarchie laisse peu d'espoir aux jeunes fonctionnaires. D'autant que le respect des équilibres entre nationalités - et là les gouvernements ne sont pas exempts de tout reproche - constitue aussi un frein sérieux à l’avancement.

Marcel SCOTTO

(1) Les traitements mensuels nets de base (impôts et cotisations sociales déduits) varient de 6600 FF (huissier) à 50 000FF (directeur général), auxquels il faut ajouter 16% de "prime de dépaysement" sauf pour les fonctionnaires de nationalité belge.

Le Monde, 8-10-1986

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Texte IIJ'ai pris connaissance de l’article de votre correspondant Marcel Scotto sur "Les eurocrates, des privilégiés mécontents" publié dans Le Monde 8 octobre 1983.M. Scotto indique que "le traitement mensuel net de base des directeurs généraux de la Commission (impôts et contributions sociales déduits) s’élève à 50000F par mois". Ceci est inexact . un directeur général de la Commission enfin de carrière, c'est d'ailleurs ma situation personnelle, touche un salaire net de 29 370F.Ces données sont aisément vérifiables, car les salaires des fonctionnaires de la Commission sont publiés régulièrement au Journal officiel des communautés européennes.M. Scotto met en cause, par ailleurs, le "gonflement des effectifs au sommet de la hiérarchie administrative de la Commission", dont témoignerait le nombre excessif de directeurs généraux et de directeurs par rapport aux unités administratives qu'ils sont supposés diriger.Or les statistiques présentées par votre correspondant assimilent de manière erronée les données relatives aux effectifs des hauts fonctionnaires de la Commission responsables d'unités opérationnelles (directeurs généraux et directeurs) et leurs adjoints (directeurs généraux adjoints et conseillers principaux) qui ont un rôle d'assistance et de conseil.En fait, la Commission emploie à l'heure actuelle sur des crédits de fonctionnement vingt-six directeurs généraux et chefs de service, et dix-neuf directeurs généraux adjoints; quatre-vingt-six directeurs et quarante et un conseillers principaux.La dernière mise au point concerne l'informatisation de la Commission. Avec un taux de croissance annuel de 30%, l'équipement informatique de notre administration se situe à un niveau d’efficacité et de performance très honorable si on le compare à la situation de la plupart des administrations nationales ou internationales.

Jean-Claude MORELDirecteur Général - Direction Générale du personnel et de l’administration

Le Monde, 21 octobre 1986

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2 - LES SCIENCES, LES LETTRES ET LES FEMMESTexte I - Les filles victimes de la mixité à l’ENS(En France, après le baccalauréat, les étudiants ont la ,possibilité de préparer en deux ans des concours d'entrées aux Ecoles normales supérieures scientifiques ou littéraires. Traditionnellement les garçons et les filles présentaient des concours séparés, que ce soit en sciences ou en lettres (ENS sciences garçons, ENS sciences filles, ENS lettres garçons, ENS lettres filles). La mixité vient d'être décidée pour ces concours, avec les résultats suivants.)

La mixité des Ecoles normales supérieures sera-t-elle fatale aux filles? Les résultats du premier concours commun ont consacré leur quasi-élimination dans les matières scientifiques: trois filles pour quarante-cinq garçons dans le groupe A (maths, physique), quatre pour vingt-deux dans le groupe B (physique, chimie), cinq pour quinze dans le groupe C (biologie, médecine).Dans !es matières littéraires, les filles se classent nettement mieux sans toutefois l’emporter. Trente-trois contre quarante-six en L (lettres) et six courre treize en 5 (sciences sociales). Une déception: la première fille n'arrive qu'en septième position dans le groupe L. (...)Pour !es maths et fa physique, personne ne semble surpris. (...) Les filles auraient-elles moins que les garçons la bosse des maths? Cette hécatombe semble en fait le résultat d'une tradition culturelle qui destine les filles aux lettres et les garçons aux sciences. Dès la première (1) on les oriente naturellement vers les classes littéraires. Résultat, elles ne représentent qu'un tiers des élèves en terminale C (2) et... un sixième en maths sup. et maths Spé. A ce phénomène s'ajoute une raison matérielle: les internats des établissements ayant des classes préparatoires sont rarement mixtes et accueillent plus volontiers des garçons que des filles. C'est tout au moins le constat que faisait Mme Josiane Serre, dans un rapport présenté à M. Jean-Pierre Chevènement (3) en 1985 . (...)

Le Monde, 12 août 1986

(1) l'avant-dernière année des études secondaires(2) dernière année des études secondaires, option scientifique.(3) Ministre de l'Education Nationale

Texte II - cerveau fémininL'article "les filles victimes de la mixité à l'ENS" (Le Monde du 12 août) m'a fort intéressée. Certes, le directeur de la rue d'Ulm nuance sagement la portée de résultats statistiques portant sur un seul concours. Cependant, je voudrais faire quelques observations concernant la quasi- élimination des jeunes filles dans les matières scientifiques. Je crois qu’il faut regarder les choses en face. Si les filles ont une supériorité verbale reconnue, la supériorité des garçons dans l’aptitude spatiale est avérée par de nombreux travaux expérimentaux. "Pour les aptitudes cognitives autres que linguistiques, l'avantage des filles est inversé, et en particulier pour les tâches impliquant la perception spatiales des stimuli, les hommes sont supérieurs aux femmes: ainsi en est-il pour la lecture des cartes, la reconnaissance de la droite et de la gauche, la capacité mentale à faire tourner des objets dans l'espace et la perception d'objets à trois dimensions par des représentations à deux dimensions (1). " Le reconnaître n'est pas plus "machiste" qu'il n'est féministe de constater que les dyslexiques du sexe masculin sont quatre à cinq fois plus nombreux que les dyslexiques du sexe féminin. L'idéologie n'a rien à faire ici.(1) Le fait féminin, Fayard, 288 pages, travaux de Sandra Witelson

Josette DESUCHEProfesseur de Philosophie, La Roche sur Yon

Le Monde, jeudi 25 septembre 1986

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Texte III - Biologie ou ideologie?(Mme Yvonne Knibielher répond à Mme Josette Desuché)

Vous faites état de "travaux expérimentaux" qui établissent la supériorité des filles dans le domaine verbal et la supériorité des garçons dans "I’aptitude spatiale", avec référence à un ouvrage déjà ancien, Le Fait féminin. A ces affirmations, on doit apporter, je crois, les nuances que voici.

1.- La supériorité verbale des filles n'empêche pas les hommes politiques de nous saouler de discours à longueur de semaine. S'ils ont si bien compensé leur handicap dans ce domaine, pourquoi les filles ne surmonteraient-elles pas le leur dans le domaine de l’aptitude spatiale? Il suffirait de les y encourager, au lieu de leur distiller une subtile dissuasion non pas dans le discours, mais par des pratiques discriminatoires. Les humains ne sont pas des animaux, fixés définitivement dans une "nature" immuable. Ils corrigent sans cesse la nature par la culture, et il faut penser l'éducation dans cette lumière.

2.- Les femmes qu'on teste au cours de ces "travaux expérimentaux" ne sont pas des exemplaires de la femme éternelle et universelle. Elles sont le produit de cinq ou six mille ans de civilisation patriarcale, fondée sur le partage sexuel des tâches: les hommes à l’extérieur, les femmes à l'intérieur. Les hommes se sont habitués à affronter l'espace, donc à le penser, pour le maîtriser, les femmes, au contraire ont dû perdre peu à peu les moyens de le penser.

3. - Vous parlez des "travaux expérimentaux" comme d'un acquis inébranlable. Mais avons-nous atteint un état définitif du savoir? Ne peut-il y avoir demain d’autres “travaux expérimentaux" qui infirmeront ou nuanceront les résultats que vous exposez? La Science n'est la science que si elle se remet tout le temps en question. Autrement, elle est dogme, idéologie. Ce dernier risque menace surtout les sciences humaines, encore si balbutiantes; et la biologie est, dans certains cas, une science humaine.

Yvonne KNIBIEHLER, Professeur "émérite" à l'Université de Provence Secrétaire générale du Centre d'études féminines.

Le Monde, 23 octobre 1986Texte IV - Amère victoire

Dans l’article sur la fusion des concours des écoles normales supérieures de Sèvres et d'Ulm, vous discutez de la première conséquence de cette fusion, à savoir la quasi-élimination des femmes des voies scientifiques. Comme vous le signalez, ces résultats étaient parfaitement prévisibles, et étaient d'ailleurs prévus, d'après les extrapolations des concours précédents et également d'après l'exemple désastreux de la fusion des écoles normales de Fontenay et Saint-Cloud.Vous vous demandez à cette occasion si les femmes sont moins douées que les hommes pour les mathématiques. La réponse est que les femmes sont effectivement moins aptes que les hommes à passer des concours scientifiques basés en grande partie sur des mathématiques abstraites. Dans l'état actuel de l'éducation des filles, des conventions sociales, etc., ceci est un fait, et l'espoir d'une évolution rapide de cette inégalité des chances est illusoire. Ces concours sont faits par des hommes pour des hommes.Est-ce à dire il faille laisser les plus "aptes", c'est à dire les hommes, accaparer la quasi totalité des places. Certes non. L’élimination d'une catégorie sociale entière, représentant la moitié de la population, est une absurdité, qui va à l'encontre de l'intérêt général et des tendances actuelles. L'Ecole normale, pour ce qui est des voies scientifiques, prépare surtout aux carrières de recherche. Or la réussite à un concours se joue sur des différences minimes, et de plus la corrélation entre la place exacte à un concours et le succès d'une carrière ultérieure de chercheur n’est que très partielle. De nombreuses qualités sont nécessaires à la réussite d'un chercheur, qui ne sont pas testées par des concours qui restent purement scolaires: motivation, persévérance, etc.Une étude montrerait que la réussite des femmes qui ont choisi ces carrières n'est pas en moyenne inférieure à celle de leurs collègues masculins. Cette pénalisation est donc totalement injustifiée. La disparition des femmes va de plus priver l'enseignement (secondaire ou supérieur) d'un certain nombre de professeurs de haut niveau, dont la présence est cependant bien nécessaire.

Le Monde, 23 octobre 1986.

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Argumenter VI - PRODUCTIONFiche 30

PRODUCTION D’ARGUMENTSL'exercice - Exemple

1 - L'EXERCICEL'apprentissage de l'argumentation suppose qu'on s'exerce non seulement à critiquer les

arguments, mais aussi à en produire soi-même. La recherche des "idées" que l'on composera ensuite dans un essai, est d'abord une recherche critique d'arguments.

Cette recherche peut être menée en solitaire; l'expérience prouve qu'alors elle est peu productive. Le travail se limite à l'énoncé catégorique d'une opinion affirmée souvent avec une vertueuse indignation, supposée foudroyer les gens qui auraient l'audace de penser autrement. Dans les meilleurs des cas, elle est accompagnée d'un argument plus ou moins bon, mais jamais critiqué, et il est très rare de relever une concession ou une réfutation

La procédure suivante peut aider à dépasser cet aspect égocentrique des opinions premières avancées par les étudiants. On peut y voir un essai de mise en pratique de méthodes dialogiques et dialectiques anciennes, bien connues des philosophes.

1- Partir d'une argumentation-stimulus.On la choisira relativement brève, exprimant une position tranchée, bien frappée dans son

expression, susceptible donc de provoquer des réactions spontanées assez vives.

2 - Rechercher collectivement des arguments.On peut parfaitement accepter une recherche orientée vers le "pour" pour certains élèves et vers

le "contre" pour les autres, en fonction des intérêts spontanés qu'éveille la question, mais il n'est pas certain que cette constitution en groupe facilite l'émergence et l'expression des opinions originales.

A ce stade, on ne cherche pas à faire tendre les arguments et les argumentateurs vers l’équilibre objectif. Les positions doivent pouvoir s’exprimer sans aucun frein, même si le calme et la sérénité du cours doivent en souffrir.

3 - Expression écrite des arguments, sous leur forme première.

4 - Ces arguments sont recueillis en vrac et reproduits tels quels, en une liste que chaque élève se voit remettre, éventuellement lors d'une autre séquence d'enseignement.

5 - Chaque argument est soumis à un critique collective, moment crucial, où les arguments doivent être triés, rectifiés, reformulés, complétés, globalement évalués pour être conservés ou éliminés s'ils sont irrémédiablement hors sujet, ambigus, mal formulés…

6 - On retient donc tous les arguments ayant supporté cette critique, quelle que soit leur orientation, pour ou contre la conclusion défendue par l'argumentation stimulus;

7 - Les élèves sont enfin invités à composer un essai les intégrant tous, tenant compte de tous, que ce soit à titre d'arguments à réfuter, de concession ou d'appuis positifs à la position finalement retenue.

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2 - EXEMPLE : ARGUMENT - STIMULUS: TA SŒUR A BIEN ATTENDU ...A - Tu ne sortiras pas ce soir! Ta sœur a bien attendu d'avoir seize ans!

2.1- Cette interdiction motivée peut susciter, entre autres, les premières réactions suivantes:

(1) - Elle, c'est une fille!(2) - Je ne suis pas ma sœur!(3) - Oui, et maintenant on voit le résultat!(4) - C'est une occasion unique!(5) - Je sortirai quand même! Je ferai le mur, tant pis si je me casse une jambe!(6) - Bon. Cette semaine, j'avais bien travaillé, la semaine prochaine, je ne ferai rien.(7) - La maturité n'a rien à voir avec l'age.

– Précisez le ou les sous-entendus qui donnent force à cette interdiction.– Analysez et critiquez ces réactions, en attribuant à chaque argument une note (p. ex.: N(ul),

M(oyen), B(on)). Précisez bien le critère retenu pour ces évaluations. – Conservez celles qui vous semblent efficaces ou estimables pour les composer en un bref

plaidoyer.

2.2 - Orientations critiquesLe sous-entendu essentiel peut être mis sous la forme de la maxime:

(E) "Les enfants d'une même famille doivent être traités de la même façon"

(1) rejette cette maxime, et lui substitue un principe inégalitaire de la forme:(I) "Les garçons doivent être traités différemment des filles"

(2) rejette l'argument par analogie en refusant l'identification à sa sœur. Il rend impossible l'application du principe de justice, qui est aussi un principe argumentatif fondamental voulant que "les êtres d'une même catégorie soient traités de la même façon'. Selon quels critères décider alors que deux êtres appartiennent la même catégorie?

(3) et (7) rejettent les fondements implicites qui garantissent la maxime (E), en montrant qu'elle repose sur un principe égalitaire abstrait n'ayant aucune base éducative.

(4) Plaider l'exception, c'est risquer de se voir opposer les arguments de la mauvaise pente

(5) et (6) Deux formes d'arguments par la force. Parfois efficaces; encore faut-il être le plus fort (5) et ne pas se tromper de cible (6).

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Argumenter VI - PRODUCTIONFiche 30

DES PRISONNIERS DE TOUTE FAÇON VOUÉS À LA MORT

0 – ARGUMENTATION STIMULUSL'ancien médecin d'Auschwitz spécialiste de l'hygiène, le docteur Munch, a lui aussi témoigné en faveur de Mengele, dix ans plus lard, en affirmant que Mengele n’avait utilisé pour ses expériences que des prisonniers qui étaient de toute façon voués à la mort.

Libération, 24 juin 1985

Les arguments suivants ont été avancés par des élèves à qui l'on demandait de tenir le rôle du procureur et de réfuter l'argumentation du docteur Munch. Certains de ces arguments sont excellents, d'autres extrêmement maladroits: ils pourraient en effet conduire à déclarer l'accusé Mengele non coupable, alors que l'intention de leur auteur est clairement l'inverse.

1 - Critiquez ces arguments, c'est-à-dire:- éliminez ceux qui vous paraissent mauvais.- complétez ou reformulez les arguments incomplets, mal formulés, hors du sujet, ambigus...- précisez bien à chaque fois pourquoi vous ne retenez pas l'argument, ou en quoi il vous semble

déficient.

2 - Construisez une réfutation suivie intégrant tous les arguments que vous avez retenus.(1) Si Mengele était vraiment médecin, il avait dû prêter le serment d’Hippocrate, donc

jurer d'utiliser tous les moyens pour sauver la vie des hommes, sans s'occuper de leur race ou de leur philosophie. Il a donc enfreint son serment, ainsi que la Charte des Droits de l’Homme, en traitant les gens comme des animaux.

(2) Quant au témoignage du docteur Munch "spécialiste de l'hygiène" au camp d'Auschwitz, il ne doit en aucun cas être pris en considération, car il a dû lui aussi être complice de Mengele et participer à ces expériences.

(3) Puisque la vivisection est déjà difficilement tolérable sur les animaux, elle ne peut être acceptée sur les humains.

(4) Argument en faveur de Mengele: "les prisonniers étaient de toute façon voués à la mort “Contre-argument: Mengele a aussi pratiqué de telles expériences sur des jumeaux, des nains, ... en bonne santé.

(5) L'accusation pourrait rétorquer que ces expériences étaient pratiquées sur des être faibles et voués à la mort, alors que des tests sur des jeunes seraient plus efficaces. Donc ces expériences sont inutiles.

(6) Le deuxième argument est également mauvais, car le fait que les prisonniers étaient voués à la mort ne permettait pas automatiquement de les utiliser comme cobayes.

(7) Ces prisonniers voués à la mort étaient des Juifs, une race qui devait être exterminée selon. les Allemands. Mais alors, ces expérimentations, ou plutôt ces tortures, n'ont plus pour motivation la science et ses progrès, mais bien la politique.

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(8) "Expérimentation" est un mot positif, évoquant plutôt des motifs humanitaires Mais, chez Mengele, fa plupart de ces expérimentations étaient purement gratuites. (...) on possède des preuves qu'il y avait de l'abus.

(9) En suivant son raisonnement, nous pourrions comparer les gens atteints de cancer, de Sida, à des chiens errants ramassés dans la rue que l'on mènerait dans un centre expérimental: ils sont de toute façon voués à la mort! Et en poussant encore plus loin, nous pourrions dire que, puisque nous sommes tous mortels, nous sommes aussi dans le même cas.

(10) Ces hommes qui commettent de telles atrocités ne sont-ils pas tourmentés par leur conscience?

(11) Ces expérimentations n'étaient sûrement pas menées dans des buts purement scientifiques, mais une part importante de curiosité et de sadisme devait également être présente.

(12) Le mot "aussi" n'est sûrement pas innocent. D'autres médecins auraient témoigné pour lui, cela renforcerait le fait qu'ils se protègent mutuellement, ce qui est normal étant donné qu'ils sont tous coupables des atrocités qu'ils ont faites de leurs mains ou fait exécuter par d'autres, qui pourraient très bien être des subalternes incompétents faisant souffrir les victimes.

(13) Je ne veux pas dire par là que je suis contre les recherches et les expériences. Je les conçois et les approuve lorsqu'elles sont indispensables et qu'elles peuvent guérir - Je pense en particulier aux malades qui doivent subir une greffe du cœur. C'est une expérience, puisque cette opération ne réussit pas toujours; mais, là, le malade était naturellement voué à la mort, et cette expérience est menée afin qu'il continue à vivre. S'il meurt, on aura quand même tout fait pour le sauver et sa mort ne sera pas due à des expérimentations nocives.

(14) On a une première réaction d’indignation.

N.B. - L'argument utilisé par Munch repose sur le présupposé que Mengele a pratiqué des expériences scientifiques. Le contexte est celui d'un procès.

1 - QUELQUES PRINCIPES DE JUSTICE(1) Cette réfutation est d'un grand intérêt, et suppose une information préalable très précise.

– Qu'est-ce que le serment d'Hippocrate? Ce qui en est dit ici est-il exact?– Qu'est-ce que la Déclaration des Droits de l'Homme? Quand a-t-elle été promulguée?– Peut-on condamner Mengele en fonction d'un article de l'une ou de l'autre?– Quand y a-t-il "crime contre l'humanité"? Qu'est-ce qu'un crime "imprescriptible"?

(2) Peut-on solliciter le témoignage de quelqu'un qui a été condamné, ou d'un complice présumé ou avéré d'un crime?

(12) Quel est le but d'un procès? Qu'est-ce que la présomption d'innocence?Si on admet que Mengele est coupable des atrocités qu'il a “fait exécuter par d’autres”, que pourra répliquer le défenseur de Mengele?

(9) Réfute l'argument de la défense en montrant que sa généralisation a des conséquences inacceptables. Ce passage à la limite est-il légitime?[ il est bien sûr excellent ]

2 - L'EXPERIMENTATION EN MEDECINE (3) Fait-il avancer la discussion?

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(6) (8) Quels sont les mots qui rendent ces ''réfutations" grotesques?

2.1 - Les sujets des expériences(4) Ce contre-argument est-il acceptable?

Supposons que Mengele ait conduit ses expériences et sur des jumeaux, des nains, ... en bonne santé et sur des gens "voués à la mort'; dans ce cas, doit-il être jugé pour les premières? pour les secondes? pour les deux? Supposons que Mengele n'ait conduit ses expériences que sur des gens en mauvaise santé; alors, n'aurait-on rien à lui reprocher?

(5) D'après (5), si Mengele avait mené ses expériences sur des jeunes, elles auraient été plus efficaces, donc utiles. Dans ce cas, faudrait-il innocenter Mengele?

(7) Supposons que Mengele, dans un souci d'objectivité tout scientifique, ait pris impartialement pour sujets de ses expériences des juifs et des non-juifs. Alors, toujours d'après (7), on ne saurait reprocher à ses expériences d'avoir pour motivation la politique. Dans ce cas, encore une fois, faudrait-il innocenter Mengele?

2.2 - Intentions et résultats des expériences(11) Peut-on reprocher à un scientifique sa curiosité?

Supposons établi que les expériences de Mengele l'ont conduit à des résultats scientifiquement intéressants. Faut-il alors déclarer Mengele non coupable?

(12) Suffit-il d'invoquer des ''motifs humanitaires" pour que l'expérimentation médicale devienne légitime?

Conclusion: avant d'avancer un argument, pensons à l'utilisation que l'adversaire pourra faire des présupposés de celui-ci. Toutes ces réfutations manquées illustrent le danger qu'il peut y avoir à tenter de raisonner en se mettant sur le terrain de l'adversaire. Il y a des positions dans lesquelles il ne faut pas se placer, sous peine de céder sur l'essentiel.

(13) Dans quelles conditions les expérimentations médicales sont-elles admissibles? (13) introduit une considération essentielle pour tout ce qui concerne l'expérimentation en médecine. Laquelle?Que pensez-vous de l'usage fait par (13) de l'expression "voué à la mort"? [ La notion d’intérêt du malade ][ C'est un usage non pervers, parfaitement légitime.]

3 - DES REACTIONS HUMAINES(10) et (14) contiennent-ils un argument? Faut-il donc ne pas en tenir compte? Pouvez-vous les

utiliser dans votre essai?

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Argumenter VI - PRODUCTIONFiche 30

PAYER POUR LE PAPE !

ARGUMENT:Lettre d'un lecteur à l'occasion d'un voyage du pape en France:

Je m'indigne que l'on puisse lancer l'idée que seuls les catholiques paient des frais de voyage du pape. A-t-on jamais vu les gens sans enfants refuser de payer pour l'éducation nationale, ou les gens sans voiture refuser de payer pour l'entretien des autoroutes?”

Le Monde, 28-29 août 1983

Analyse, critiquez et composez les réactions suivantes :

(1) Si on avait demandé aux non-catholiques de payer, peut-être auraient-ils accepté?

(2) Tout le monde doit payer; en effet, la religion catholique, dans la mesure où elle fait partie de notre culture, nous concerne tous.

(3) Il ne faut pas payer: toutes ces dépenses sont inutiles!

(4) L'église ferait mieux d'employer tout cet argent à améliorer la condition de vie des pauvres et des gens du Tiers-Monde.

(5) On ne doit pas payer, car la visite du pape provoque des désordres.

(6) L'argumentation de ce lecteur est mauvaise; on ne doit pas comparer l'éducation! qui est quelque chose de fondamental, à la religion, qui ne sert à rien.

(7) On peut payer, car de toutes façons, le pape ne vient pas souvent.

(8) L'église peut bien payer, elle est riche.!

(9) Si le pape vient en visite officielle, dans le cadre des relations d'état à état, il faut payer; dans le cas contraire, non.

(10) Tout dépend de la place de la religion dans l'état; il faut payer ou non selon que celui-ci est laïc ou religieux.

(11) L'argument est mauvais: en fait, tout le monde peut être amené à emprunter l'autoroute, un jour ou l'autre.

(12) Tout le monde a reçu une éducation; enfin, les enfants, tout le monde les aime.

(13) Que les catholiques paient: s'ils trouvent que c’est trop cher, qu'ils cherchent une religion moins coûteuse!

(14) Les frais de voyage occasionnés par la venue de chefs spirituels d'autres religions (israélite, musulmane, bouddhiste, mooniste, ) devront être pris en charge par l’état et la population catholique. Ce lecteur sera-t-il d'accord pour payer aussi dans ce cas-là?

(15) La comparaison des athées à des gens "sans" (sans enfants, sans voiture) montre bien le parti pris de ce lecteur.

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1 - NATURE DE L’ARGUMENTATIONIl s’agit clairement d'un argument par analogie pour la conclusion P: "tout le monde doit payer":

les gens sans voiture / payent pour les autoroutes les gens sans enfants / payent pour le système éducatif

donc les gens sans religion / doivent payer pour la visite du pape

2 - REFUS D'ARGUMENTEROn ne peut voir dans (1) qu'une dérobade. L'indignation du lecteur montre clairement qu'il v a au

moins quelques non-catholiques qui refusent de payer. L’échange argumentatif s’effectue toujours dans un contexte plus ou moins conflictuel, qu’il faut "assumer"!

3 - LE PROBLEME EST-IL BIEN POSE?Le recours à l'argumentation est-il nécessaire? (9) et (10) demandent un complément

d’information: il se peut que la simple application de conventions diplomatiques en vigueur suffise à trancher le cas. On n'argumente pas lorsque la loi a déjà tranché, c'est ce qui ressort de (9). Bien entendu, si le pape vient en visite privée, on retombe sur la question initiale. (10) nous fait encore avancer, en remarquant que la question ne doit être posée que si le pape est en visite non officielle, dans un état laïc.

4 - ARGUMENTS APPUYANT LA CONCLUSION P , “IL FAUT PAYER”(2) ne discute pas l’argumentation du lecteur. Il lui substitue un argument positif, intéressant,

allant dans le même sens. Mais est-ce que tout le monde est prêt à admettre cette "communauté de culture"?

(7) propose une argumentation par l'exception, qui ne faut en rien avancer la question de principe qui est celle posée par le lecteur. On peut -y voir une manifestation du même refus d'argumenter que pour (1).

5 - REFUTATIONS DE P(14) réfute cette conclusion (implicitement) à partir de ses conséquences, si l'on admet qu'il s'agit

d'une question rhétorique.On peut considérer que la jubilation iconoclaste de (13) va au-delà de la simple provocation, et

se rapproche d'un argument sur la personne valide, étant donné les constants appels à la pauvreté et au don contenus dans la doctrine catholique.

(6), (11) et (12) réfutent P en contestant l'analogie qui la soutient.

6 - POLEMIQUE OU ARGUMENTATION? Polémique?

Où est la perception objective des faits? (5) suppose une présentation des faits clairement inadmissible par son interlocuteur, puisque l'un verra des manifestations d'enthousiasme là où l'autre ne verra que confusion. (5) ne répond donc pas à une condition fondamentale du dialogisme argumentatif.

De même (3) et (4) ne tiennent aucun compte des croyances de l'interlocuteur: pour ce dernier, les dépenses engagées pour la venue du pape ne sont pas inutiles, et il répondra à (4) que l'église a toujours eu ses pauvres.

On en conclura qu'on se trouve sur le registre de la polémique, non de l'argumentation, qui est d'ailleurs celui où se situe le lecteur, comme le fait justement remarquer (15).

Argumentation?Mais qui est le vrai destinataire de ces énoncés? S'ils visent un catholique, alors ils ratent leur

but en tant qu'arguments. Mais s'ils visent les indécis qu'il s'agit de faire basculer pour emporter la majorité, alors ils sont excellents, et on ne saurait reprocher à leurs auteurs de ne pas raisonner dans le système de croyance de leur adversaire. Dès lors, il est de bonne guerre de faire remarquer à un public dont le système de croyance est précisément caractérisé par son flou, que la venue du pape

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va provoquer certains désagréments, qu'on pourrait faire autre chose avec le même argent, bref, comme le dit (8) "L’église peut payer, elle est riche!".

On devra donc préciser soigneusement le principe d'évaluation dans lequel on se place. S'il s'agit

d'une argumentation visant à l'établissement d'une conclusion rationnelle, dans la mesure où elle sait emporter le consensus des deux parties primitivement en désaccord, alors ces enchaînements sont mauvais. Mais, s'il s'agit d'une argumentation cherchant à emporter une décision en conquérant l’assentiment d'une majorité démocratique, alors ils doivent être pris en considération.