(christian guyonvarc’h) minorité · leur extension à toutes les catégories de la population. a...

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7 Pour nous qui vivons en France, le modèle le plus familier est celui de l’Etat qui tolère la diversité culturelle jusqu’à un certain point. Pas de répression explicite, mais l’accès aux ressources de la société est contrôlé par la culture dominante. En témoignent les exemples de l’enseignement et de la langue (Christian Guyonvarc’h). Et même si c’est dans un contexte de reconnaissance internationale, de nouvelles démocraties sont prêtes à reconnaître et à entendre des réalités culturelles qui s’affirment, telle la Hongrie (Paul Gradvohl). Il n’en est pas moins urgent de se préoccuper du sort des Tsiganes comme minorité, dans ce vaste ensemble européen en train de se remodeler. Le droit international offre déjà des garanties (Jacqueline Charlemagne). Pourquoi ne pas s’inspirer, en ce domaine, de l’exemple d’autres pays exposés à la fragmentation ethnique, comme les Etats-Unis (Pascal Noblet) ? ETUDES TSIGANES minorité JUSTINE QUELIN/EXPO ONAT

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7

Pour nous qui vivons en France, le

modèle le plus familier est celui de

l’Etat qui tolère la diversité culturelle

jusqu’à un certain point.

Pas de répression explicite, mais l’accès

aux ressources de la société est contrôlé

par la culture dominante.

En témoignent les exemples de

l’enseignement et de la langue

(Christian Guyonvarc’h).

Et même si c’est dans un contexte de

reconnaissance internationale,

de nouvelles démocraties sont

prêtes à reconnaître et à entendre des

réalités culturelles qui s’affirment, telle

la Hongrie (Paul Gradvohl).

Il n’en est pas moins urgent de

se préoccuper du sort des Tsiganes

comme minorité, dans ce vaste

ensemble européen en train de se

remodeler. Le droit international offre

déjà des garanties (Jacqueline

Charlemagne). Pourquoi ne pas

s’inspirer, en ce domaine, de l’exemple

d’autres pays exposés à la

fragmentation ethnique, comme les

Etats-Unis (Pascal Noblet) ?

E T U D E S T S I G A N E S

minorité

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problème de cohésion des sociétés.Pour dépasser l’idée de souveraineté natio-

nale, il est nécessaire de prendre en comptedes revendications qui dépassent les fron-tières. Le droit des minorités qui se bâtit unpeu plus chaque jour, même s’il restecontroversé, est une des voies ouvertes.L’accès à l’espace public doit être garanti àtous. C’est le problème de l’articulation dupolitique et du social par le biais de lois, denormes, de nouveaux mécanismes. Et l’onsent bien que d’autres formes de négocia-tion sont mises en place, des initiatives seprennent, destinées à faciliter le traitementrationnel des revendications.

Cette fin de XXe siècle aura ainsi vu seconstituer la communauté tsigane commeune force d’expression et de lutte contre les

A l’heure où I’Europe cherche à se for-mer une culture, un droit, ce qui frappe aupremier abord est l’impression de morcel-lement, l’imprécision des limites. La mul-tiplicité des langues, l’éclatement des cul-tures, la renaissance des particularismesélargissent le champ des relations sociales.Un certain nombre de valeurs universelles,égalité, liberté, droits de l’homme, démo-cratie, rassemblaient hier tous ceux qui semobilisaient contre les préjugés, la haineou le refus de négocier. Mais l’Europeoccidentale n’est plus dans une positiondominante, de nouveaux conflits appa-raissent, l’Etat-Nation a perdu sa légitimi-té. La multiplication des relations cultu-relles, la différenciation des acteurs sociauxobligent à trouver d’autres solutions au

où en est le droit des minorités ?l’exemple tsigane

R. CLAQUIN

8 E T U D E S T S I G A N E S

Jacqueline Charlemagne *

* Laboratoire de Sociologie juridique Paris II, CNRS

La communautétsigane affirmesa présence

discriminations, voulant“affirmer sa pré-sence et son unité, à ses propres yeux com-me au regard des Etats et du droit interna-tional...”(1).

Le processus de démocratisation a sansdoute été une victoire des siècles précé-dents en Europe. Tous les pays d’Europeoccidentale ont mis en place des institu-tions démocratiques : les principales com-posantes de la démocratie, égalité et parti-cipation, ont fait des progrès notables dansleur extension à toutes les catégories de lapopulation. A leur tour, les pays de l’Ests’engagent dans la construction de nou-veaux régimes démocratiques. Mais, para-doxalement, des limites interviennent àl’action des Etats chargés de la garantie desdroits des citoyens, de nouvelles aspira-tions sociales et culturelles se font jour, desgroupes retrouvent la possibilité de s’orga-niser en débordant les frontières établies.

1 / La crise de l’Etat national

Le cadre institutionnel de l’Etat-Nationest remis en cause et chaque citoyen sentbien combien le pouvoir politique a dumal à garantir la mise en œuvre de sesdécisions. Contesté dans son efficacité,l’espace public national est vidé d’une par-tie de sa souveraineté par un droit euro-péen qui s’étend.

La France est profondément attachée àun certain nombre de principes inscritsdans sa Constitution : la République estune et indivisible, tous les citoyens sontlibres et égaux devant la loi. Seul l’Etatreprésente le peuple et produit le droit.L’Etat est dit “Etat de droit” non seule-

9 E T U D E S T S I G A N E S

ment parce qu’il est régi par le droit, maisparce qu’il est la source du droit. Dansl’ordre interne, l’Etat résume le peuple,dans l’ordre externe, il est son seul repré-sentant qualifié (2). Face à cette toute puis-sance de l’Etat, les droits individuels sontprotégés par un système de garanties issude la théorie des droits de l’homme. Onconçoit donc que la pratique française dela citoyenneté ignore les revendicationsculturelles ou minoritaires.

Dans le cas de la décision du Conseilconstitutionnel du 9 mai 1991 relative à laloi portant statut de la collectivité territo-riale de la Corse, le Conseil estime qu’il y abien une spécificité corse, qu’il confirmeen validant un statut très particulier de laCorse, mais cette spécificité ne peuts’exprimer par la notion de peuple corse.La République est indivisible. Il ne peut yavoir qu’un seul peuple français.

En France la tradition d’unification cul-turelle et de centralisme politique fait croi-re que le respect d’identités particulièrespourrait porter atteinte à l’unité nationale.En juin 1992, la France a solennellementaffirmé son monolinguisme en ajoutant àla Constitution la disposition selon laquel-le “la langue de la République est le fran-çais”. Une proposition d’amendementvisant à “reconnaitre les langues régio-nales” a été refusée.

Depuis la loi du 3 janvier 1969, toute laréglementation concernant les Tsiganes estédictée en raison d’un mode de vie et nonen vertu d’une quelconque particularitéculturelle ou linguistique. Le Conseild’Etat, garant traditionnel des libertésindividuelles et suprême instance adminis-trative, a été amené à trancher plusieursfois du droit au stationnement des gens duvoyage. Comme à chaque décision, l’arrêtrendu le 2 décembre 1983 “ville de Lil-le/Akermann” ne parle que de “nomades”

I. Le renouveau desl revendicationsL

émanant des minoritésL

en considération par l’ordre juridique(toutes les situations familiales, par exem-ple, ne sont pas régulées par le droit). Ladiversité a donc envahi le milieu juridiqueet d’autres sources de droit viennent rivali-ser avec le foyer proprement étatique.Tous ces phénomènes constituent sociolo-giquement un état de pluralisme juridique.

D’autre part le principe de l’égalité detraitement fondé sur l’article 2 de laConstitution évolue. Il est permis d’établircertaines discriminations positives defaçon à ce que l’égalité de droit soit uneégalité réelle. Le législateur a tendance àdiversifier les règles applicables pour tenir

compte non plus de sujets de droits abs-traits et identiques, mais de membres degroupes concrets et différents les uns desautres (loi sur le RMI, loi Besson).D’autres dispositions réglementaires per-mettent de traiter différemment desgroupes parce qu’on sait qu’ils ne viventpas dans des conditions semblables.

La préférence de l’intégration sur l’assi-milation a été affirmée ces dernièresannées. Le Haut Conseil à l’Intégrationinstallé le 9 mars 1990 (5) affirme quel’intégration ne doit pas se traduire par ladissolution des minorités dans la majorité,mais résulter de la mise en commun deséléments compatibles des patrimoines cul-turels des immigrés.

En ce qui concerne la minorité tsigane,des signes montrent la souplesse d’adapta-tion des principes hérités de la Révolu-tion : “Cette politique doit tout à la foisorganiser les structures d’accueil pour per-mettre le mode de vie librement choisi,

et prend soin de ne procéder à aucune ana-lyse particulière de la communauté tsiganesur le plan interne.

Pourtant des ouvertures existent : ladécentralisation s’est mise en œuvre sur leterritoire français, d’autres Etats prennenten compte la diversité culturelle, de nou-velles démocraties à l’Est élaborent unepolitique de promotion des identités cul-turelles minoritaires. L’analyse des sys-tèmes et des pensées permet de comparerdifférentes cultures juridiques.

L’anthropologie juridique est venuerappeler que dans d’autres sociétés, le droitsaisit les personnes dans leurs différences

concrètes et leurs rôles sociaux particuliers (3)

et que les individus sont définis moins enréférence à une vérité éternelle de l’Hom-me que par les réseaux auxquels chacunappartient et qui se nouent en lui.

Des sociologues ont repéré commentdivers ordonnancements se combinaientpour former un système juridique unique.Nous savons tous que le droit urbain, ledroit familial, le droit syndical ont leurscaractéristiques. D’autres modes de régu-lation rivalisent avec l’ordre étatique, soiten-deçà de l’Etat (groupements particu-liers, associations, églises), soit au niveausupra-étatique (droit international, com-munautés européennes).

Ainsi que l’a montré J. Carbonnier (4) ledroit ne recouvre pas toute la réalité socia-le; il peut même voir des faits lui résister aupoint qu’il doive renoncer à maintenirl’ordre qu’il veut imposer (travail clandes-tin, demandeurs d’asile déboutés). Cer-taines situations de fait ne sont pas prises

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La préférence de l’intégration sur l’assimilationa été affirmée ces dernières années.

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éviter les affrontements, hostilités ou fric-tions avec la population environnante,organiser l’itinérance comme la sédentari-sation… et adapter, ne fut-ce dans certainscas temporairement, les différents régimesjuridiques… à l’effet de permettre l’inser-tion sociale des gens du voyage tout engarantissant le respect de leur différence”(6).

2 / La nouvelle attention portéeaux identités culturelles

Il n’est donc plus possible d’ignorer qu’ausein d’un droit étatique, des groupes lut-tent pour préserver leur identité, pourgarantir leurs droits par delà les frontières.Les notions de peuple et de culture pren-nent alors toute leur signification. L’hom-me abstrait, citoyen de l’Etat-Nation, cèdela place à un homme concret inscrit dansun environnement social culturel. Le faceà face des cultures met à mal le caractèred’universalité des principes qui sous-ten-dent notre ordre juridique (contrat socialqui s’applique à tous, loi votée au nom detous, théorie des droits de l’homme atta-chée à la garantie des droits individuels,école unique pour tous).

Et on assiste, en France même, à une pri-se en compte du pluralisme culturel quis’exprime à plusieurs niveaux.

La décentralisation a été une réponse àces revendications au développement desrégions dites “culturellement minoritaires”.L’intégration au sein de la Communautéeuropéenne a également été un espoir demettre en valeur des spécificités régionales.

Partout on assiste à un mouvement deredéfinition identitaire d’espaces régio-naux, où les cultures minoritaires jouent lerôle de nouveaux pôles d’intégration (7). AuConseil de l’Europe, a été définie, aumilieu des années 80, la notion de région

comme communauté et unité historiqueou culturelle, géographique ou écono-mique. En prolongement, vient la disso-ciation du couple “territoire-nation”. Rési-der dans un pays, s’installer sur unterritoire, y vivre, y participer pleinementsupposent-ils nécessairement d’acquérir lanationalité de ce pays ?

De nouveaux espaces s’ouvrent à cer-tains, qui ne s’occupent pas des frontières.Les transports, les activités profession-nelles, les regroupements culturels, autantde raisons qui poussent des habitants àinvestir une région et à y mettre en jeu desintérêts et des solidarités. Tout le mondeconnaît les échanges qui s’opèrent entre lesdeux départements de l’Alsace et l’Alle-magne occidentale, échanges industriels,économiques, humains. Les bouleverse-ments politiques intervenus à l’Est et laliberté de circulation enfin retrouvée vont,de la même façon favoriser des formesnouvelles de circulation entre pays CEE ethors CEE dont la proximité géographiqueest très grande. Prague et Berlin, Vienne etMunich sont distants de moins de troiscents kilomètres !

Dans la plupart des pays occidentaux, lespolitiques de décentralisation, les déléga-tions de pouvoir d’un Etat central à des col-lectivités territoriales ont symbolisé l’impor-tance accordée à de nouveaux territoires, oùles habitants sont liés par des raisons devivre et de travailler et où ils trouvent desraisons de participer à leur fonctionnementet des nouveaux modes d’insertion.

Ainsi aux définitions jusque là bien pré-cises de national d’un Etat, d’étranger, demigrant, s’adjoignent de nouvellesmanières de concevoir un “résident”consommateur, voire participatif, mais pasnécessairement national à part entière. AuConseil de l’Europe, les principes de la

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par d’autres minorités (intellectuels russes,Polonais d’origine allemande...). Ce sontpar les réseaux de parenté ou plus récem-ment par des réseaux religieux (importan-ce du mouvement pentecôtiste) ou encorepar le biais de l’appartenance à des organi-sations transnationales (Romani Union)que le premier accueil est assuré souventprovisoirement (9).

Il existe parfois des relations étroites avecle pays étranger qui assure voyage et ventesur place (cf. le commerce de vêtements, àpartir de la Roumanie où nombre deRoms sont employés dans ces commerceset forment là-bas une partie de la classemoyenne). Dans d’autres cas, les tra-vailleurs pratiquant des activités, soitrurales, soit de type plus particulièrementurbain sont originaires des mêmes régions(vendange - brocante...). Les échangespays d’arrivée et pays d’origine paraissentintenses et multiformes et la première ins-tallation se prépare dans le pays de départ.

Des flux transnationaux contournent lesEtats, tels les flux culturels, les flux migra-toires, les flux démographiques, les flux decommunication. Il est vain alors d’oppo-ser tradition et modernité, alors quel’acculturation, la diffusion des informa-tions, les flux migratoires imposent de lesconsidérer en termes d’adaptation (2).

A coup sûr des revendications d’un typenouveau s’expriment sur le plan culturel,qu’il s’agisse de cultures régionales dési-reuses de retrouver leur vitalité ou deforces militantes nées au sein de commu-nautés installées sur le territoire français.Les minorités en effervescence à traversl’Europe de l’Est appellent égalementattention et soutien.

3 / La renaissance du concept de minorité

coopération trans-frontalière ont été défi-nis, avec l’affirmation très claire de lavolonté qui les sous-tend : “estomper leseffets de division des frontières nationalesqui découpent le visage de l’Europe”.

Aux minorités d’héritage historique, lin-guistique, religieux, s’ajoutent des minori-tés qui résultent du développement desmigrations. Les recherches anglo-saxonnesont attiré l’attention sur des groupes oudes “communautés” locales, installées dansun quartier et qui se distinguent dans lacohabitation urbaine, ces groupes se récla-mant en général d’une appellation eth-nique. Dans l’ensemble des pays occiden-taux, l’urbanisation et la cohabitation fontnaître l’hostilité, le racisme vis-à-vis degroupes immigrés qui s’enferment alorsdans une clôture communautaire et dansl’exacerbation des pratiques culturelles.

Les politiques d’intégration, qu’il s’agissede médiation, de conciliation, de ban-lieues, de travail social, de justice desmineurs, s’appuient de plus en plus sur denouvelles analyses fondées sur d’autresnotions que l’ordre imposé et l’uniformité.L’insertion consiste à faire appel aux capa-cités d’intégration en suscitant l’initiativedes agents en vue de l’autonomie des usa-gers. D’où le succès de termes comme“projet”, “partenariat”, “action globale” (8).

Les nouvelles immigrations montrentl’existence de réseaux à la disposition desnouveaux arrivants, réseaux qui leurs per-mettent de s’adapter à la société d’accueil.Ces réseaux sont souvent basés sur uneorganisation parentale. Mais les relationsd’amitié, de voisinage du pays d’originesont également très importantes.

Il semble qu’un des traits spécifiques dela migration tsigane de l’Est vers l’Ouestsoit fondé sur la rareté, voire l’inexistencedes filières strictement professionnelles,contrairement aux systèmes mis en œuvre

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d’éviter les crispations identitaires. Aussi lanotion de communauté “aux identités cul-turelles diversifiées” cristallise l’enjeu dudébat autour du problème des minorités.

Pourtant, depuis la seconde guerre mon-diale, la question de la protection desminorités n’était plus d’actualité. LaDéclaration Universelle des Droits del’Homme adoptée par l’Assemblée généra-le des Nations Unies en 1948 n’avait pastraité de cette question et la place accordéeau respect des droits fondamentaux del’homme semblait sous-entendre qu’il n’yavait plus lieu de protéger les interêts desgroupes minoritaires.

Mais l’insertion dans le Pacte internatio-nal relatif aux droits civils et politiquesd’un article sur le droit des personnesappartenant à des minorités a montrél’intérêt nouveau porté à ces groupes.Même si l’article 27 ne reconnait pas desdroits aux groupes minoritaires en tantque tels, on admet que certains droits nepeuvent être exercés que par des individusen tant que membres de minorités : droitd’avoir une vie culturelle propre, deconfesser une religion propre, d’employerune langue propre.

En réalité le concept de minorité estcomplexe et il a un contenu multiple.

Nombre d’auteurs en ont proposé desdéfinitions. Dans son “Encyclopédiemondiale des minorités”, R. Caratini don-ne celle-ci : “une minorité est un sous-ensemble historique inclus dans unensemble plus vaste qui forme un Etat etentretenant avec celui-ci des relationsdynamiques” (13).

Cette définition qui fait entrer en lignede compte les notions d’histoire et de tra-dition commune ainsi que le critère denégociation active avec l’Etat correspondbien à la situation des Tsiganes, qui, bienque dispersés dans de nombreux pays,

La déclaration des Droits de l’Homme du26 août 1789 a donné le cadre objectif quipermet de transcender les intérêts des indi-vidus qui composent le peuple : il s’agit dela nation, au sein de laquelle le peuple peutréaliser ses droits (10). La nation est donc làoù le peuple déploie son existence, “dansles quarante mille paroisses qui embrassenttout le territoire, tous les habitants...” (11).

Afin que l’Etat tout puissant ne puisseopprimer les individus, des droits leurssont reconnus, mais il faudra attendre ladéclaration Universelle des Droits del’Homme de l’ONU en 1948 pourqu’une protection internationale soit insti-tuée. A côté des droits à caractère universelauxquels il est impossible de déroger (droità la vie, droit de ne pas être soumis à la tor-ture...) s’est affirmée récemment la prise encompte d’une nouvelle catégorie de droits,les droits culturels, notamment depuis laDéclaration sur le droit au développementadoptée par l’ONU en 1986.

L’affirmation de ces droits culturels com-prend des droits individuels (droit à l’iden-tification culturelle, choix de sa culture, desa langue) mais aussi des droits collectifsattribués à des groupes, à des peuples:droità l’autodétermination, droit au développe-ment, droits culturels des peuples en situa-tion défavorisée (droit des peuples minori-taires, autochtones, déplacés...) (12).

Les droits de l’homme ne peuvent plusêtre définis en dehors de ce contexte depluralité culturelle qui diffère de leur pre-mière orientation historique. L’UNESCOse préoccupe avec une insistance nouvellede la gestion des idées et des droits cultu-rels. En 1992, elle proclame que les fac-teurs culturels sont déterminants dansl’élaboration des stratégies de développe-ment économique. L’accent est mis surl’inter-culturalité. Il s’agit de permettre àdes communautés de vivre ensemble et

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sont des nationaux de chaque Etat.Contrairement aux minorités nationales

qui revendiquent un processus d’autodé-termination, les Tsiganes, minorité cultu-relle, partagent une identité de langue etde culture, et ne demandent que des solu-tions garantissant la survie et la promotionde leur spécificité culturelle.

Mais du fait de leur situation, les minori-tés sont en général sujettes à l’arbitraire dupouvoir d’Etat ou des pouvoirs locaux. Enraison de leur différence elles peuvent ser-vir de bouc émissaire avec transferts deviolence (7). Même si un régime de protec-tion peut leur offrir quelques garanties, leurstatut reste souvent précaire et s’accom-

Déclaration Universelle des Droits del’Homme. Proclamée par les Nations Unies,le 10 décembre 1948.

Convention relative aux Droits de l’Enfant.Texte du projet de convention adopté en deuxiè-me lecture par le Groupe de travail, Commis-sion des droits de l’homme, 45e session, 30décembre 1988, E/CN 411 g89/29.

Convention internationale des Droits del’Enfant. Adoptée par les Nations Unies le20 novembre 1989.

CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL, COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME

1.1 Etude des droits des personnes appartenantaux minorités ethniques, religieuses et linguis-tiques, 1979, F. Capotorti, F.78, XIV, 1.

1.2 Promotion, protection et rétablissementdes droits de l’homme aux niveaux national,régional et international, Protection desminorités, 4 juillet 1989, E/CN A/sub.2/1989/43. Document de travail établi parClaire Palley.

1.3 Discrimination à l’encontre des popula-tions autochtones, Rapport du groupe de tra-vail sur les populations autochtones, 7e session,25 août 1989, E/CN A/sub.2/1989/56.Président-rapporteur:Erica-Irène A. Daes.

1.4 Propositions de la Fédération internatio-

nale des droits de l’homme au Groupe de tra-vail à composition non limitée, chargé d’étu-dier l’élaboration d’une déclaration sur lesdroits des personnes appartenant à des mino-rités nationales, ethniques, religieuses et lin-guistiques, 46e session, février 1990.

1.5 Droits des personnes appartenant à desminorités nationales,ethniques, religieuses etlinguistiques, Communication écrite présentéepar l’Union interparlementaire, 6 février1990, E/CN 4/1990/41.

1.6 La situation des Roms 1991-1992,48e session, 3 janvier 1992.

1.7 Résolution 1992/65 : Protection desRoms (Tsiganes), 54e séance, 4 mars 1992,E/CN 4/1992/L11.

SOUS-COMMISSION POUR LA PRÉVENTION

DE LA DISCRIMINATION ET LA PROTECTION

DES MINORITÉS

2.1 Etude des droits des personnes apparte-nant aux minorités ethniques, religieuses etlinguistiques, adoptée à la 796e séance, 31août 1977, E/CN 4 1261.

2.2 Rapport sur les violations des droits del’homme effectuées contre les Roms, 42e ses-sion, août 1990.

2.3 43e session sur la protection des minorités,19 août 1991, E/CN 4 Sub.2/1991/L.9.

O R G A N I S A T I O N D E S N A T I O N S U N I E S

nouveaux Etats.Les “Quatorze Points du président Wil-

son” assuraient aux minorités une autono-mie culturelle, parfois administrative. LaSociété des Nations se porte garante desrègles positives constituant le régime deprotection des minorités. Un certainnombre de traités bilatéraux consacrés à laprotection des minorités veillaient à la nondiscrimination, à l’autonomie culturelle etéducative et au droit de pratiquer salangue dans la vie publique et privée.

La seconde après-guerre fut dominée parune attitude négative à l’égard des minori-tés. On l’a vu, seule la protection desmembres des groupes constituant lesminorités est prise en compte dans lecontexte des droits de l’homme.

Depuis quelques années, les minorités,les groupes ethniques, ont réapparu sur ledevant de la scène et nécessitent une réac-tualisation de leur protection par desnormes spécifiques. Les Etats, devant lestensions ethniques croissantes, y voient,eux, l’intérêt de se doter de règles pacifica-trices permettant d’éviter les dérives natio-nalistes.

pagne de fortes discriminations au regardde l’emploi, la santé, l’enseignement.

La dimension internationale de la pro-tection des droits des minorités est parti-culièrement importante. Pour ne remon-ter qu’à une histoire relativement proche,on assiste, après 1870, à l’essor des mouve-ments protestataires des minorités natio-nales au sein des empires austro-hongrois,ottoman, russe ou allemand (14).

La fin de la première guerre mondialeouvre la voie au succès des revendicationsdes nationalités, l’effondrement del’Autriche-Hongrie et de la puissance otto-mane, la création de nouveaux Etats enEurope Centrale et de l’Est provoquentl’apparition d’un certain nombre deminorités nationales en Europe Centraleet de l’Est. Les traités de paix de 1919-1920 accordent un statut de protection àces minorités nationales au sein de ces

1.1 Recommandation sur l’éducation pour lacompréhension, la coopération et la paixinternationale et l’éducation relative auxDroits de l’homme et aux Libertés fondamen-tales adoptée par la Conférence Générale à sa18e session, Paris, 19 novembre 1974.

1.2 Plan de développement de l’Educationpour la compréhension, la coopération et lapaix internationale, ED/SP0/86/1.

1.3 Colloque sur les Droits de l’homme et le

Développement urbain, Paris, 8-11décembre 1980.

1.4 Conférence intergouvernementale surl’éducation pour la compréhension, la coopé-ration et la paix internationale et l’éduca-tion relative aux Droits de l’homme et auxLibertés fondamentales, en vue de développerun état d’esprit favorable au renforcement dela sécurité et au désarmement, rapport final,24-28 novembre 1986, ED-86/CPNF.504/1 -

O R G A N I S A T I O N D E S N A T I O N S - U N I E S P O U RL ’ E D U C A T I O N , L A S C I E N C E E T L A C U L T U R E

( U N E S C O )

II. La protection juridique l

des minorités L

16 E T U D E S T S I G A N E S

Convention européenne des Droits de l’Hom-me. Signée le 4 novembre 1950, entrée envigueur le 3 septembre 1993

Déclaration de Vienne1er Sommet du Conseil de l’Europe, Vienne(Autriche), 8 et 9 octobre 1993

COMITÉ DES MINISTRES

1.1 Résolution (75) 13 portant recomman-dations sur la situation sociale des popula-tions nomades en Europe, adoptée le 22 mai1975 lors de la 245e réunion des Déléguesdes Ministres.

1.2 Recommandation N° R(83)1 relativeaux nomades apatrides ou de nationalitéindéterminée, adoptée le 22 février 1983 lorsde la 356e réunion des Délégués desMinistres.

1.3 Convention adoptant la charte européen-ne des langues régionales ou minoritaires, 22juin 1992, ouverte à la signature le 5novembre 1992.

1.4 Recommandation N° R(92)10 sur lamise en œuvre des droits des personnes appar-tenant à des minorités nationales, adoptée le21 mai 1992 lors de la 476e réunion desDélégués des Ministres.

ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE

2.1 Recommandation 563 (1969) relativeà la situation des Tsiganes et autres nomadesen Europe 30 septembre 1969 (9e séance).

2.2 Recommandation 1134 (1990) relati-ve aux droits des minorités adoptée le 1eroctobre 1990.

2.3 Proposition de résolution sur la situationdes Tsiganes en Europe déposée par MmeVerspaget, membre de l’Assemblée parlemen-taire, Doc. 6525 du 31 octobre 1991.2.4 Recommandation 1177 (1992) rela-

tive aux droits des minorités, 5 février 1992.

2.5 Recommandation 1201 relative à un pro-tocole additionnel à la Convention européennedes droits de l’homme sur le droit des minoritésnationales, 22e séance, 1er février 1993.

2.6 Recommandation 1203 (1993) relati-ve aux Tsiganes en Europe, 2 février 1993.

CONSEIL DE LA COOPÉRATION CULTUREL-LE (DIVISION DE L’ENSEIGNEMENT

SCOLAIRE)3.1 La lutte contre l’intolérance et la xéno-phobie dans les activités du Conseil de laCoopération Culturelle (C.D.C.C.) de1969 à 1989 (DECS/EGT (89) 34),par Antonio de Peretti, Directeur du Centred’lnformation et d’Etudes sur les MigrationsInternationales, Paris. F.

3.2“De nouveaux minoritaires dans la citéeuropéenne”, Conférence pluridisciplinairesur les aspects éducatifs et culturels des rela-tions intercommunautaires, Strasbourg, 5-7décembre 1989, rapport général par JacquesBerque, Professeur honoraire au Collège deFrance.

CONFÉRENCE PERMANENTE DES POUVOIRS

LOCAUX ET RÉGIONAUX DE L’EUROPE

4.1 Résolution 125 (1981) sur le rôle et laresponsabilité des collectivités locales et régio-nales face aux problèmes culturels et sociauxdes populations d’origine nomade, Stras-bourg, 29 octobre 1981, rapporteur:M.Lieuwen, CPL (16) 5.

4.2 Proposition de Recommandation relativeà la situation juridique des nomades dans lesEtats membres du Conseil de l’Europe, présen-tée par M. Scholten et plusieurs de ses collèguess30 mars 1986 CPL (16) 5, Doc.4696.

4.3 Déclaration de Francfort, pour une nou-velleS U I T E P A G E 2 0

C O N S E I L D E L ’ E U R O P E

17 E T U D E S T S I G A N E S

politique communale d’intégration multicul-turelle en Europe. Conférence internationaleEurope 1990-2000, Francfort sur leMain, 29-31 mai 1991.

4.4 Strasbourg 12-13 juillet 1991:“LesTsiganes et l’Europe, transmission de la tra-dition dans une Europe en mutation”.

4.5 Déclaration de Charleroi, Belgique, 5-7 février 1992, exclure la pauvreté par lacitoyenneté COLL/CHAR (92) 4.

4.6 Résolution 232 (1992) (1) sur autono-mies, minorités, nationalismes, union euro-péenne, 27e session, Strasbourg, 17-19 mars1992, FRES.232.

4.7 Les Tsiganes dans la commune, Liptovs-ky Mikulàs, Tchécoslovaquie, 15-17 octobre1992 COLL/Tsi (92).

4.8 Résolution 249 (1993) (1) sur les Tsi-ganes en Europe, rôle et responsabilités desautorités locales et régionales, 28e session,Strasbourg, 16-18 mars 1993, CPL(28)10 partie II.

SÉMINAIRES D’ENSEIGNANTS DU CONSEIL

DE L’EUROPE

5.1 La formation des enseignants desenfants tsiganes, Donaueschingen (Alle-magne), 2-7 mai 1983. Doc.DECS/EGT (83) 63.

5.2 La scolarisation des enfantstsiganes:l’évaluation d’actions novatrices,Donaueschingen (Allemagne), 18-23 mai1987, Doc.DECS/EGT (87) 36.

5.3 Les enfants tsiganes à l’école:la forma-tion des enseignants et autres personnels,Montauban (France), 4-8 juillet 1988,Doc.DECS/EGT (88) 42.

5.4 Vers une pédagogie interculturelle:la for-mation des enseignants ayant des élèves tsi-ganes, Benidorm (Espagne), 9-13 juin1989, DECS/EGT (89) 31.

5.5 La Scolarisation des enfants tsiganes etvoyageurs:enseignement à distance et suivipédagogique, Aix en Provence (France), 10-13 décembre 1990, DECS/EGT (90) 47.

5.6 La question des nationalités. Versailles,aujourd’hui, Esneux, Belgique, 18-19avril 1991, DECS/SE/BS/Sem. (91) 2.

RÉUNIONS D’EXPERTS

6.1 Recommandation N° R (83) 1, relativeaux nomades apatrides ou de nationalitéindéterminée, 1983, Comité ad hoc d’expertspour les documents d’identité et la circulationdes personnes (CAHID).

6.2 Rapport sur l’examen des questions juri-diques liées à la circulation des nomades, 20eréunion, 2-5 décembre 1986.

C O N S E I L D E L ’ E U R O P E ( S U I T E )

1 / Les Nations Unies

Quelques années après le Pacte relatifaux droits civiques et politiques et sonarticle 27 qui garantit le droit à la langue, àla culture et à la religion propre à la mino-rité, la Sous-commission pour la luttecontre les mesures discriminatoires et laprotection des minorités désigne Frances-

co Capotorti comme rapporteur d’uneétude sur cette question. Son rapportpublié en 1979, montre que la protectiondes minorités reste inefficace en raison decette contradiction fondamentale qui exis-te entre la logique intégrative et assimila-tionniste des Etats et la logique pluralisteouverte aux revendications des minorités.La protection de ces minorités, indique la

18 E T U D E S T S I G A N E S

Sous-commission, contient deux aspectss’appuyant sur :- le fait que ces groupes doivent bénéficierd’un traitement égal à celui du reste de lapopulation.- le fait que ces groupes peuvent revendi-quer des mesures spéciales de protectionen plus des droits octroyés à l’ensemble dela population.

Dès 1977 les Nations Unies exhortent lespays qui ont des Tsiganes à l’intérieur deleurs frontières à leur attribuer la totalité desdroits dont jouit le reste de la population.

En 1978 la Commission des droits del’homme de l’ONU met sur pied un grou-pe de travail pour étudier la question desminorités. La France adopte alors uneposition très restrictive et cette position atoujours été reaffirmée depuis, parexemple à l’occasion des débats parlemen-taires sur la ratification de la Conventionrelative aux droits de l’enfant en 1990, ouau cours des travaux des Nations Uniesqui conduiront en 1993 à l’adoption parl’ONU d’une Déclaration Universelle desdroits des peuples autochtones.

En 1992 l’ONU approuve une Déclara-tion des personnes appartenant à desminorités nationales ethniques, reli-gieuses, et linguistiques. La Déclarationreconnaît que certains droits ne peuventêtre exercés que collectivement par lesminorités, donc les attribuent aux minori-tés en tant que groupe (droit au respect etau développement de l’identité ethnique,culturelle, religieuse et linguistique, droit àla protection contre toutes personnes “quipeuvent menacer leur existence ou leuridentité”, droit de participer aux affaires del’Etat et aux décisions concernant lesrégions dans lesquelles elles vivent). Et siles actions des minorités ne doivent pasporter atteinte à la sécurité des Etats, à leurtour ceux-ci doivent s’acquitter des enga-

gements pris par les traités internationaux.La Résolution 1992/65 intitulée “pro-

tection des Roms (Tsiganes)” invite laCommission des droits de l’homme et lesEtats à apporter une attention particulièreaux conditions dans lesquelles vivent lesTsiganes.

En ce qui concerne la Sous-commission,elle s’est engagée depuis 1989 plus active-ment dans la question des minorités.D’abord avec un document de travail pré-paré par C. Palley (Royaume-Uni), ensui-te avec la nomination d’un rapporteurspécial A. Eide (Norvège) chargé d’uneétude sur le règlement pacifique des diffé-rends impliquant des minorités (mais cesdernières sont exclues du processus de tra-vail). Dans un rapport préliminaire, A.Eide plaide en faveur d’une définition lar-ge des minorités pour prendre en compteles groupes récents de migrants.

De nombreuses agences spécialisées desNation-Unies, comme l’OIT (Organisa-tion Internationale du Travail), l’UNES-CO, le HCRNU (Haut Commissariataux Réfugiés), le Fonds pour les popula-tions des Nations-Unies, ont égalementtraité les questions relatives aux minorités,aux peuples indigènes et à la lutte contreles discriminations.

2 / Les institutions européennesLe Conseil de l’Europe, la Communautéeuropéenne et la CSCE ont largementcontribué à l’élaboration de la dimensioninternationale du droit des minorités.

L E C O N S E I L D E L ’ E U R O P E

En tant qu’organisation consacrée à lapromotion du respect des droits de l’hom-me et de la justice sociale, le Conseil del’Europe connaît depuis longtemps le pro-blème des minorités dans ses Etatsmembres. Dès 1961, la Recommandation

19 E T U D E S T S I G A N E S

Tsiganes dans les lois ou les pratiques admi-nistratives. Il insiste sur la notion de mino-rité ethnique, se basant sur les travauxmenés par les Nations-Unies. Peut êtreconsidéré comme minorité ethnique toutgroupe dont les membres sont unis par descaractéristiques historiques et culturelles etdésireux de conserver ces caractéristiquespar rapport au reste de la population.

En 1992 le Conseil de l’Europe décide derédiger une Convention Européenne desdroits des minorités. La même année, iladopte une Charte européenne deslangues régionales ou minoritaires. Celle-cia été ratifiée par la quasi-totalité desmembres sauf la Turquie, la Grèce,Chypre, le Royaume Uni et la France.

Une des principales revendications desminorités culturelles s’inscrit dans la deman-de de structures ou de moyens propres àmaintenir l’identité culturelle:droit à l’ensei-gnement de la langue minoritaire, droit àl’utilisation de cette langue dans certainesdémarches administratives, création declasses ou de programmes appropriés...

Dans cette volonté de développementculturel, les questions linguistiques sontessentielles, constituant le fond même dupatrimoine de chacun (24). Les Roms ontressenti le besoin de standardisation d’unelangue “centrale” dès 1970, non dans lebut de supplanter les dialectes locaux maispour faciliter les rencontres internationalesou les contacts avec les médias. L’émergen-ce de ce romanès normalisé a été de pairavec le renforcement du sentiment d’unitépar delà les frontières ou la conscience de laparenté avec le monde indien. (15).

Lors de sa 44e session l’Assemblée parle-mentaire du Conseil de l’Europe a adoptéune Recommandation relative à un proto-cole additionnel à la Convention euro-péenne des droits de l’homme sur ce point.Ce protocole additionnel permettrait aux

285 parle de “groupes non dominantsconscients d’appartenir à une minoriténationale”. Mais les nouveaux dirigeantsdes pays de l’Est, craignant les risquespotentiels créés par ces foyers de tension,ont contribué à relancer le débat sur larédaction d’instruments juridiques euro-péens sur la protection des minorités. “Ilfaudra dépasser l’approche individuelle siles problèmes prennent les proportions quenous craignons” déclarait C. Lalumière,Secrétaire générale du Conseil de l’Europe,lors de la réunion des ministres des Affairesétrangères à Lisbonne en mars 1990.

“De toute évidence, le Conseil de l’Euro-pe se doit d’avoir à cœur les intérêts desminorités ; l’une des principales tâchesassignées à l’Organisation est en effet desauvegarder et de développer les droits del’homme et les libertés fondamentales. Lesminorités constituent l’un des grandssujets qui appellent une coopération etune consultation avec les pays de d’EuropeCentrale et de l’Est” souligne la Recom-mandation de l’Assemblée parlementaireadoptée le 1-10-1990. Un des textes inter-nationaux les plus importants concernantla situation des Tsiganes et autres nomadesreste sans conteste la Résolution 75-13adoptée le 22 mai 1975, qui invite les gou-vernements à prendre toutes les mesuresnécessaires dans le cadre des législationsnationales pour mettre fin aux discrimina-tions et sauvegarder le patrimoine et l’iden-tité culturelle des populations nomades.Lui faisant suite, la Commission culturelledu Conseil de l’Europe organise à Stras-bourg en novembre 1979 une audition lar-gement ouverte sur le rôle et la responsabi-lité des collectivités locales et régionalesface aux problèmes culturels et sociaux despopulations d’origine nomade. Un rapportparu à la fin de l’année 1981 souligne denouveau la discrimination dont souffre les

20 E T U D E S T S I G A N E S

personnes appartenant à des minorités debénéficier des voies de recours de laConvention. Le sommet des chefs d’Etat etde gouvernement tenu à Vienne les 8 et 9octobre 1993 a adopté un instrument juri-dique sur le droit des minorités.

Le développement de l’éducation auxdroits de l’homme et de l’éducation inter-culturelle, le développement d’une coopé-ration européenne en cette matière etl’émergence récente de l’idée de sociétéeuropéenne multiculturelle qui devraitdéboucher sur une charte du Conseil del’Europe contribuent à la prise en considé-ration du problème des minorités.

En février 1993 l’Assemblée parlemen-taire a rappelé dans sa Résolution 1203 lasituation précaire des Tsiganes en Europe,surtout en Europe centrale et orientale,dans le domaine des droits fondamentauxde la personne humaine, de l’éducation etde l’emploi.

L A C O M M U N A U T É E U R O P É E N N E

Là encore, on observe une diversité d’ini-tiatives de la part du Parlement européen,comme de la Commission.

Mais c’est principalement à partir duthème de l’éducation et de la scolarisationque les problèmes des Tsiganes sont prisen compte. Tout un travail d’informationet de recherche autour de programmesspécifiques aboutit à la très importanteRésolution du 22 mai 1989 sur la scolari-sation des enfants tsiganes et voyageurs.Véritable reconnaissance officielle de laculture et de la langue tsigane, “faisant par-tie depuis plus d’un demi-millénaire dupatrimoine culturel et linguistique de lacommunauté”, elle est le point de départd’actions nombreuses dans le domaine dela scolarisation et de la sensibilisation desadministrations concernées.

Les derniers travaux du Parlement euro-

péen et de la Commission montrent lavolonté de traiter de façon globale le pro-blème des Tsiganes en Europe de l’Ouest(audition d’experts et de représentants tsi-ganes à Bruxelles en mai 1991) comme enEurope de l’Est.

L A C S C E

Il est important de retracer l’histoire de laCSCE, moins connue que celle d’autresgrandes organisations internationales.

Au début des années 70, l’Europe et lesEtats-Unis entament à Helsinki un dia-logue connu sous le nom de “Conférencesur la Sécurité et la Coopération en Euro-pe” (CSCE).

Aujourd’hui tous les Etats européens(sauf la Macédoine), les Etats de l’ancien-ne Union Soviétique, le Canada et lesEtats-Unis y participent. De très nom-breuses déclarations ont été adoptées quitraitent de la sécurité en Europe, de lacoopération dans les domaines de l’écono-mie, de la science et de la technologie, del’environnement et enfin de la promotiondes droits de l’homme.

En 1992 un Secrétaire général a éténommé, ainsi qu’un Haut Commissairepour les minorités nationales. L’Assembléeparlementaire de la CSCE a également étécréée et s’est réunie pour la première fois àBudapest en juillet 1992.

L’Acte Final de Helsinki signé en 1975présentait les principes et mesures réglemen-tant les relations internationales en Europeet fixait les méthodes de travail des ren-contres entre Etats. Dans de nombreux paysont été créés des Comités Helsinki, le pre-mier fondé à Moscou par Sakharov et Alma-rik. Il existe actuellement vingt deux de cescomités regroupés en une fédération, et ilsont pour rôle de sensibiliser la population auprocessus de Helsinki et de surveiller et par-ticiper aux conférences de la CSCE.

R. CLAQUIN

21 E T U D E S T S I G A N E S

LE CONSEIL ET LES MINISTRES

DE L’ÉDUCATION

1.1 Résolution du Conseil et des Ministresde l’éducation réunis au sein du Conseil du22 mai 1989 concernant la scolarisationdes enfants de Tsiganes et de voyageurs,89/C 153/02 (JO CE N° C 153/3 21-6-89).2.1 Proposition de résolution présentée parMM. Van Minnen, Gerhard Schmid, Vonder Wring, Walter et Mme Wieczorekzeul,conformément à l’article 47 du Règlementsur la discrimination dont sont victimes lesRomanichels, Document 1-229/81, 14 mai1981, CPL (16) 5.

2.2 Rapport fait au nom de la commissionjuridique sur la situation des Tsiganes dansla Communauté.Rapporteur :M. C. Vayssade. Document 1-1544/83, 19 mars 1984, PE 79.328/def.

2.3 Résolution sur la situation des Tsiganesdans la Communauté, 24 mai 1984, JOCE 2-7-84.2.4 Rapport élaboré au nom de la commis-sion d’enquête sur le racisme et la xénophobie.Rapporteur:Glynn Ford AX-59-90-815-

FR-C, Publications Officielles des Commu-nautés Européennes, Luxembourg 1991 (4mentions des Tsiganes).

2.5 Unité des droits de l’homme, Note, lepeuple tsigane dans les pays d’Europe de l’Est,Enzo Mariotti, Luxembourg, 12 mai 1992.

2.6 Proposition de résolution urgente surl’accord passé entre l’Allemagne et la Rou-manie au sujet du rapatriement des Roms,présentée par Juan de Dios Ramirez Here-dia, 29-9-92.

2.7 Résolution A3-0127193 sur la résur-gence du racisme et de la xénophobie en Euro-pe et le danger de la violence extrémiste dedroite (mention des Tsiganes).

COMMISSION EUROPÉENNE

3.1 La scolarisation des enfants tsiganes etvoyageurs, Rapport de synthèse, série“Docu-ments”, 1986.

3.2 Audition d’experts et de représentantstsiganes sur la situation des Tsiganes etvoyageurs au sein de la Commission Euro-péenne, Bruxelles, 29 mai 1991, compte-rendu CEE, 1er juillet 1991.

La CSCE représente un processus poli-tique unique. Contrairement à des institu-tions telles que les Nations-Unies, leConseil de l’Europe et les CommunautésEuropéennes, la CSCE ne s’appuie pas surune charte ou un traité ratifié par tous lesEtats. Les documents adoptés sont desdocuments politiques non régis par le droitinternational, qui ne sont pas légalementcontraignants pour les Etats. Mais cela nesignifie pas qu’ils sont sans pouvoir.D’abord ils font référence à des conventionsinternes et les incorporent plus ou moins

partiellement. En outre les Accords sontsouvent considérés, malgré tout, commeune force contraignante légale et invoquéspar les Etats et les ONG. Ensuite, les prin-cipes contenus dans les Accords peuventêtre repris dans les législations nationales.

En principe les décisions sont prises à laCSCE par consensus, reflétant le principed’égalité de tous les Etats. Certaines excep-tions ont cependant été prévues notam-ment dans le cas de violation des droits del’homme.

L’Acte Final de Helsinki prêtait peu

C O M M U N A U T É S E U R O P É E N N E S

22 E T U D E S T S I G A N E S

d’attention à la protection des minorités.Les réunions de Madrid (1983) et deVienne (1989) ont appelé les Etats à assu-rer la protection des droits de l’homme despersonnes appartenant aux minoritésnationales et aux communautés reli-gieuses. La réunion de Copenhague(1990) a permis d’adopter des dispositionsimportantes, notamment en ce quiconcerne le peuple Rom. La réunion desexperts de Genève (1991) a approuvé ledocument de clôture de Copenhague.

Bien que tous ces textes parlent de“minorité nationale”, il est essentiel d’yvoir mentionner la communauté tsigane,minorité transnationale associée ici dans ladéfense et la protection de leur identitéethnique, culturelle et linguistique. Enparticulier est rappelé le droit d’établir etde maintenir des contacts au-delà desfrontières avec des citoyens d’autres Etatsqui ont en commun les mêmes références.Les personnes appartenant à des minoritéspeuvent exercer leurs droits, soit indivi-duellement, soit en commun avec d’autresmembres de leurs groupes.

Réunis à Paris en novembre 1990, leschefs d’Etat et de gouvernement de laCSCE ont adopté la Charte de Paris pourune nouvelle Europe. En s’appuyant sur ledocument de Copenhague, ils se déclarent“résolus à encourager la contribution pré-cieuse des minorités nationales à la vie denos sociétés” et à “améliorer leur situa-tion”. La conférence de Genève de 1991 aexplicitement confirmé que la questiondes minorités a une légitimité internatio-nale et ne peut donc concerner exclusive-ment la souveraineté interne des Etats.

Avec l’apparition des conflits inter-eth-niques dans l’ex-Yougoslavie ou l’ex-URSS, la nécessité de désigner un Haut-Commissaire pour les minorités s’impose.Au delà d’un rôle d’investigation ou de

médiation, le Haut-Commissaire doitentretenir le dialogue entre communautés,prévenir les conflits, trouver des solutionsen cas d’affrontements. A la fin de juin1993, le Haut-Commissaire, M. Van derStoel, s’était déjà impliqué dans plusieurszones de conflits (Etats baltes, Slovaquie,Roumanie, Macédoine). En outre il lui aété demandé une étude sur les problèmesdes Tsiganes dans tous les Etats participantà la CSCE. Ce rapport est rendu public enseptembre 1993 (16).

La réunion de Prague (1992) a rappeléque la promotion des progrès dans “ladimension humaine” restait une fonctionessentielle de la CSCE et que celle-cidevait collaborer activement avec toutesles institutions actives dans le domaine dudéveloppement d’institutions démocra-tiques et des droits de l’homme, en parti-culier le Conseil de l’Europe. La réuniond’Helsinki (1993) permet d’affirmer “lacontribution que les minorités nationalesou culturelles régionales peuvent appor-ter”. A nouveau, les Tsiganes sont cités etles Etats participants s’engagent envers “cesgroupes connus sous le nom de Gitans” àcréer les conditions leur permettant debénéficier d’une égalité des chances et departiciper à la vie de la société.

A considérer cet ensemble de structureset institutions, le bilan n’est pas aisé. Onconstate l’enchevêtrement des problèmes,l’incapacité des organisations à élaborer unvéritable droit des minorités.

Les Etats ne protègent leurs minoritésque s’ils y trouvent un interêt ou s’ils y sontcontraints. C’est le plus souvent la stabilitéde l’ordre public qui est recherchée par laprévention de situations conflictuellesinternes. Ce peut être également par soucide se faire accepter dans un ordre interna-tional qui se contente trop souvent d’affir-mations sur les principes.

23 E T U D E S T S I G A N E S

La référence suprême reste la DéclarationUniverselle des Droits de l’Homme justi-fiant que les obligations portent sur lesdroits des membres des minorités et nonsur les minorités elles-mêmes. Ainsi lesdroits individuels des personnes apparte-nant aux minorités sont passés en revueaussi bien dans les plus anciens textes del’ONU que dans ceux de la CSCE. Maisles déclarations de la CSCE, en particuliercelle de Copenhague, affirment leprincipe : “les minorités nationales ont ledroit d’être reconnues comme telles par lesEtats où elles vivent et d’exister en tant quecommunautés”.

En fait la CSCE ne paraît pas réellementen mesure d’offrir aux minorités desgaranties quant à l’expression de leur iden-tité. Le Conseil de l’Europe, gardien desdroits de l’homme et qui a vocation àaccueillir tous les pays de l’Est européenpourrait-il voir ses compétences étenduesà la protection des minorites ? Ces solu-tions seraient-elles acceptables pour desEtats qui restent centralisateurs?

Nombre d’Etats signataires des pactes oudéclarations des droits des minorités nesont pour leur application que seulementà l’extérieur de leurs frontières. Beaucoupd’autres n’adhèrent à ces conventionsqu’en ajoutant des réserves ou des proto-coles additionnels qui restreignent la por-tée de l’engagement.

Pourtant la conviction juridique relativeà la nécessité de garantir le droit des mino-rités grandit, ne serait-ce qu’à travers lespropositions de création d’une instancecompétente pour le règlement de ces pro-blèmes, instance qui pourrait trouver saplace soit au Conseil de l’Europe, soit auCentre de prévention des conflits de laCSCE, soit dans le projet de Cour propo-sé par M. Badinter (17).

Dans les années 1980, les groupes tsiganesont commencé à acquérir un poids réeldans la réflexion politique européenne.S’ils partagent un certain nombre derevendications communes, leurs métho-des, leurs structures, leurs forces respec-tives, diffèrent cependant d’un pays àl’autre. Ainsi pourrait-on opposer au pre-mier abord, les Etats occidentaux aux nou-velles démocraties de l’Est : dans chaquepays se fait sentir le poids de l’histoire etdes traditions politiques nationales, celuides groupements de lutte pour les droitsde l’homme, sans oublier l’importance desproblèmes démographiques. Mais partoutles rapports entre majorité et minoritésont générateurs de conflits et de rejets. Enoutre si l’idée même de minorité sembleen expansion, la popularité de cette notionne contribue, ni à en définir les limites, ni àen expliciter les modes de fonctionnement.

1 / L’oppression des Etats

Le sentiment national ouest-européen s’estidentifié à la modernité, se voulant porteurde rationalisation, d’instrumentalisme etde sécularisation. Cette conceptionconduit à opposer réalité des apparte-nances et abstraction de la citoyenneté,spécificité culturelle et universalisme de laRaison (18). Les communautés tsiganes,comme d’autres groupes minoritaires, ontdénoncé, derrière l’application de principesgénéraux, la destruction de leurs identitéset le rôle normalisateur joué par des institu-tions telles que l’école, l’administration, lesservices sociaux (19).

Mais l’affaiblissement des capacités d’inté-gration des structures nationales, liées à

III. Les contradictions internes l

à l’idée de minorité l

24 E T U D E S T S I G A N E S

l’irruption de nouveaux groupes sociaux,ont favorisé d’autres expressions culturelles.Et dans le même temps ces groupes minori-taires doivent chercher à acquérir une placedans l’espace national, ne serait-ce que pourse faire entendre. Ce paradoxe, pluralité etdiversité de groupes culturels, recherche departicipation à la société dominante,conduit à des tensions, à des luttes etconteste les politiques d’intégration .

Le voyage, spécificité culturelle revendi-quée par les familles tsiganes, en est unexemple.

En France, l’itinérance est un droitreconnu, la “liberté d’aller et venir”, mêmesi ce droit n’est exercé que par une minori-té. En tant que mode de vie minoritaire, ildoit obtenir sa reconnaissance dans l’espa-ce public. Mais les représentations domi-nantes identifient la sédentarisation à lanorme, à la modernité. Les nomades sontconsidérés comme étant à l’écart, à la mar-ge, échappant aux images ordonnées surlesquelles reposent les réglementations.

Le voyage peut donc être le lieu du retrait,forme du refus de la participation et del’intégration. C’est, par exemple, le cas pources regroupements de centaines de cara-vanes dans la région parisienne, la policerenonçant alors à les expulser. Cela permetde construire une unité, une communautéqui ne peut être trouvée ailleurs, et de vivrel’échec de l’insertion en donnant une signifi-cation positive à la dépendance. Ces pra-tiques fonctionnent comme un essaid’imposer des normes dans un espace, com-me une sorte de pouvoir alternatif, cher-chant à contrôler et à marquer un territoire.

A ces pratiques de retrait s’opposent despratiques qui font du voyage le moyen dedéfendre une “personnalité” menacée parla modernisation ou désintégrée par desannées de sédentarisation forcée. Ici levoyage a moins une fonction identitaire

que de contestation des formes domi-nantes de l’intégration. Il est revendiquécomme un art de vivre, une forme d’au-thenticité, à partir d’un “esprit”, et souventopposé aux formes agressives de certainsitinérants qui, par leurs comportements,jettent la suspicion sur tous ceux qui voya-gent (ordures, bruits, querelles, mendicité,petite délinquance).“Moi, je suis un voya-geur... le voyage je l’ai pratiqué, j’habitedans un appartement... mais je repartiraiun jour, quand je le voudrai...”. Au sensstrict, le voyage est ici facteur de librechoix de vie, et donc d’intégration sociale.

On perçoit un décalage entre la concep-tion de l’intégration prônée par le rapportDelamon (20) et les images négatives tou-jours présentes d’un monde tsigane mar-qué par le rejet et l’exclusion. Par contrequand il s’agit d’accueillir des populationssédentaires ou semi-sédentarisées, l’évoca-tion du nomadisme par les pouvoirs locauxsert à refuser toute installation durable etjustifie leur expulsion au nom des viola-tions de l’ordre public et des règlementsd’urbanisme. Le stationnement ne consti-tue en définitive que le point d’ancraged’un conflit global concernant des popula-tions jugées marginales et où se trouve enjeu la gestion du pouvoir en place.

Encore plus dramatiquement, ondécouvre dans l’Europe de l’Est et ses Etatsmultinationaux, l’hostilité raciste ou xéno-phobe qui se porte sur des minorités ser-vant de boucs émissaires. Ce qui permetde faire diversion dans la gestion de la criseéconomique ou la recherche d’une cohé-sion nationale.

Les rapports des différents groupementsou ONG qui travaillent dans le domainede la protection des droits de l’homme(International Helsinki Federation forHuman Rights, Fédération Internationaledes Droits de l’Homme, ONG accréditée

LISELOTTE NISSEN

25 E T U D E S T S I G A N E S

CREDIT PHOTO

PRINCIPALES RÉUNIONS

Helsinki, 1973-1975 : Conférence sur lasécurité et la coopération; adoption et signatu-re de l’Acte Final; (1er août 1975)Belgrade, 1977-1978 :Conférence d’exa-men de Belgrade ; adoption d’un Documentde clôture ;Madrid, 1980-1983:Conférence d’examende Madrid ; adoption d’un Document de clô-ture;Ottawa, 1985 : Réunion d’experts sur lesdroits de l’homme et les libertés fondamentales;Vienne, 1986-1989:Conférence d’examen deVienne; adoption d’un Document de clôture;Paris, 1989:Première Réunion de la Confé-rence sur la dimension humaine de laCSCE;Copenhague, 1990 :Deuxième Réunion dela Conférence sur la dimension humaine dela CSCE; adoption d’un Document de clô-ture; (art.40 sur problèmes des Roms);Paris, 1990 :Réunion des Chefs d’Etat oude gouvernement ; adoption et signature de laCharte pour une nouvelle Europe;Genève, 1991 : Réunion des experts sur lesminorités nationales; rapport de réunion;Moscou, 1991 : Troisième Réunion de la

Conférence sur la dimension humaine de laCSCE; adoption d’un Document de clôture;Helsinki, 1992 : Conférence d’examen deHelsinki et Réunion des Chefs d’Etat ou degouvernement; adoption du document “Lesdéfis du changement” ; proposition par délé-gation tchèque, slovaque et Pays-Bas,“pourl’accès à l’égalité des droits pour les personnesappartenant à la communauté des Roms etdes gens du voyage”;Varsovie, 1992 :Séminaire sur “la dimen-sion humaine de la tolérance”;Prague, 1992 : Deuxième Réunion duConseil des Ministres ; adoption du Docu-ment de Prague sur le développement ulté-rieur des institutions et structures de laCSCE;Stockholm, 1992:Troisième Réunion duConseil des Ministres; adoption du Document“La nouvelle Europe, le rôle de la CSCE”.Helsinki, 1992-1993 : sur l’avenir del’Europe.Rome, 1993 : Réunion du Conseil desMinistres, demande rapport sur les minoritésnationales.Genève, 1993 : Réunion d’experts sur lesminorités nationales.

C O N F É R E N C E S U R L A S É C U R I T É E T L A C O O P É R A T I O N E N E U R O P E ( C S C E )

auprès de l’ONU, Commission françaiseconsultative des Droits de l’Hommeauprès du Premier Ministre, AmericanFriends Service Committee des USA) ont,toutes, dans des rapports récents, stigmati-sé ces situations discriminatoires vécues parles Tsiganes. En Hongrie “les Juifs et lesTsiganes semblent constituer actuellementles “ennemis idéaux” (internes) de la patrie”(21). En Roumanie, de la même façon, lastratégie de la construction de l’identitépasse par une véritable “production del’autre”, télévision à l’appui, pour arriver à

faire du Tsigane un bouc émissaire à partentière. “On l’a montré spéculateur (touten lui assurant la protection de la police),anarchiste incendiaire lors des manifesta-tions pacifiques, clochard crapuleux don-nant une image peu complaisante de laRoumanie à l’étranger... et tout cela dansun crescendo subtil, s’appuyant sur desparties évidentes de vérité, de sorte quebeaucoup de Roumains ont fini par croireque les Tsiganes étaient vraiment respon-sables de leur détresse”. C’était du mêmecoup une bonne excuse pour le pouvoir

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roumain qui s’est retrouvé partie prenantedans les conflits ethniques, comme lesheurts sanglants à Tirgu-Mures, ou la chas-se aux Tsiganes pratiquée par les mineursappelés à Bucarest par le président Iliescu.

Qu’il s’agisse de l’exaspération des parti-cularismes à l’intérieur de l’ex-Tchécoslo-vaquie, de l’écart entre la notion de“patrie” et de celle de “nation” en Hongrie,susceptible de provoquer des tensionsdangereuses, ou de la manière dont les dif-férents pouvoirs, hier et aujourd’hui, enRoumanie, ont exalté une mythique iden-tité nationale pour détourner des tensionssociales et politiques, il s’agit toujours deconstruire la “mise en scène” du racisme.

2 / Les difficultés de l’organisation interne

C’est à partir des années 1960-1970 que lesTsiganes commencent à s’organiser enEurope occidentale. Le premier congrèsmondial a lieu à Londres en 1971, les délé-gués de 14 pays y participent. C’est làqu’officiellement est adopté le terme deRom. C’est là que naît ce qu’on a pu appe-ler le “nationalisme tsigane” (22), cetteconviction de former un peuple quis’appuie sur certains éléments fondamen-taux tels que l’attachement à l’Inde commele pays dont ils sont originaires, la volontéd’œuvrer à la standardisation de la langue,le romani, la mémoire du génocide nazi.Parallèlement se manifeste le refus d’un Etattsigane, d’un territoire spécifique ainsi quela réaffirmation que les Tsiganes sont tousnationaux des pays dans lesquels ils vivent.

Mais c’est aussi l’occasion de s’élevercontre la situation qui leur est faite danstous les pays, à l’Est comme à l’Ouest,méconnaissance de leurs droits, relégationdans la catégorie des exclus, sédentarisa-tion forcée, alors que dans le même temps

les mutations économiques, l’industriali-sation, l’urbanisation rendaient plus diffi-cile la pratique du nomadisme.

D’autres congrès tenus en 1978, en1981, en 1990 à Varsovie, ont consacré ledynamisme et la représentativité d’uneorganisation confédérale, la RomaniUnion Internationale, qui a obtenu unstatut consultatif auprès des NationsUnies en 1979. Il n’est pas question dereprendre dans le cadre de cet articlel’action de la Romani Union et de certainsde ses membres. Cette action est largementrelatée au fil des parutions de la revueEtudes Tsiganes, de même que celled’organisations nationales qui sont néesdans les pays de l’Est en même temps queles révolutions démocratiques.

La France a reconnu officiellement etsymboliquement le travail réalisé par unede ces organisations en remettant le Prixdes Droits de l’Homme, en février 1992, àla Fédération ethnique des Roms de Rou-manie, représentée par N.Gheorghe, pourun projet de coopération entre la France etla Roumanie.

Dans tous ces nouveaux régimes de l’Est,les Tsiganes ont ressenti le besoin de sedoter de représentation et ont formé despartis politiques ou ont créé des organisa-tions à vocation sociale ou culturelle. DesTsiganes, issus d’une “intelligentsia” activeet poussée sur le devant de la scène par lanouvelle attention apportée aux minori-tés, ont été élus députés, des publicationstsiganes tentent d’être les catalyseurs desnouvelles formes d’expression dans larecherche de l’identité tsigane.

L’intérêt de toutes ces structures, au delàde leur apparente diversité, provient prin-cipalement du fait qu’elles permettent uneparticipation directe des familles tsiganes àla résolution de leurs problèmes. Les prisesde paroles politiques, les initiatives locales,

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1.1 Convention 107 concernant la protec-tion et l’intégration des populations abori-gènes et autres populations tribales et semi-tribales dans les pays indépendants, Genè-ve, 1957.

1.2 Convention 169 concernant les peuplesindigènes et tribaux dans les pays indépen-

dants, adoptée par la conférence à sa 76e ses-sion, Genève, 27 juin 1989.

1.3 Convention 111 concernant la discrimi-nation (emploi et profession). Rapport de laCommission d’enquête pour examiner laplainte relative à l’observation de la Rouma-nie, Genève, mai-juin 1991.

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les stratégies de gestion des situations etdes réalités quotidiennes correspondent àl’exercice concret d’une citoyenneté qu’ilsrevendiquent désormais à voix haute.

Mais il faut ajouter un certain nombre deréserves et de questions au sujet descontraintes qui pèsent sur les possibilitésd’action.

Comment une activité associative pour-rait-elle lutter contre la dramatique situa-tion de précarité dans laquelle vitl’ensemble de la minorité tsigane ? Anal-phabétisme, pauvreté, marginalité, chô-mage, taux élevé de mortalité infantile,sureprésentation dans les statistiques de ladélinquance créent des conditionsd’exclusion sociale et renforcent la domi-nation. La référence au Tsigane parasite ouhors la loi, sert, on le sait, aux gouverne-ments chargés de mener des politiques denormalisation, mais elle imprègne aussiune fraction prépondérante de la commu-nauté tsigane elle-même.

En effet la politique de sédentarisation etd’assimilation pratiquée par les régimessocialistes a été à l’origine d’un processusde déculturation pour beaucoup de Tsi-ganes. Le travail forcé, le regroupementaux abords des villes a contribué à trans-former les pratiques et traditions, même si,dans les régions rurales, l’organisationsociale est restée plus structurée ou si une

élite intellectuelle a pu se dégager, grâce àun large accès à l’université.

Ainsi se sont constitués pour les groupestsiganes des paliers culturels qui préludentà divers degrés d’intégration à la sociétéenvironnante. Du village rural à la citéouvrière, de la tente dressée dans la mon-tagne à la cabane couverte de suie édifiée àcoté de tel grand combinat chimique, lamobilité sociale se joue en maîtrisant plusou moins l’utilisation de l’espace, la per-manence de l’unité familiale, le prestigesocial de la lignée.

Que cette transformation ait été subie àregret, en particulier par les familles lesplus traditionnelles, contraintes de s’adap-ter pour ne pas disparaître, ou qu’elle aitété assumée en terme de stratégie profes-sionnelle, de reconversion, elle a entraînéune rupture dans la cohésion de la com-munauté, non seulement d’ordre écono-mique mais également culturel.

L’ouverture des groupes à des activités desalariat s’est accompagnée d’une hiérarchi-sation par rapport aux modèles tradition-nels d’artisanat ou de petit commerce.Certaines familles, par exemple, dénient laqualité de Tsiganes à des individus qui tra-vaillent en usine.

On voit se dessiner une segmentationdes communautés en une classe moyenneet une large couche sédentarisée “en état

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d’insécurité économique, émotionnelle,affective” selon la formule utilisée par leTsigane roumain Alexandru Danciu (23).

D’où la difficulté à faire se rencontrer desgroupes qui n’ont pas les mêmes revendi-cations et qui sont toujours tentés des’exclure mutuellement.

La question de la représentativité des por-te-parole est encore un autre problème. Onpeut remarquer que les élus ne sont pasnécessairement représentatifs, ou que lesresponsables désignés peuvent fort bienuser de leur influence en sens contraire desintérêts de leur communauté. D’autresdivisions existent entre les “chefs” tradition-nels de villages ou de clans, comme les“bulibasha” en Roumanie qui marchan-dent aujourd’hui leur soutien aux partispolitiques, après s’être ralliés autrefois aupouvoir communiste et des membres de“l’intelligentsia” élitiste et moderne, qui nedisposent pas sur le terrain de tout l’appuiqui leur serait nécessaire.

Mais les autorités locales ou les pouvoirs

publics doivent savoir précisément ce quereprésentent les groupes avec lesquels ellestraitent, et il est clair que la question sereposera continuellement.

Outre ces problèmes particuliers on peutse demander plus globalement si les poli-tiques en direction des groupes minori-taires auront des effets plus larges que lesavancées ponctuelles qui leurs sont offertesdans quelques pays. Les discriminationssubies par une minorité, ses difficultés à sefaire entendre, ne sont bien souvent que lereflet de politiques insatisfaisantes sur unplan général. Le stigmate porté sur uneminorité et sur son mode de vie reflète lestensions internes à une société. Il ne suffirapas de trouver des recettes propres à amé-liorer tel fonctionnement local si on neremet pas aussi en cause les modalités degestion nationale face à l’ensemble desrevendications culturelles.

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(1) - Raymond Goy, L’émergence des Roms en droit international public, Mélanges Robert Pelloux /Ed. l’Hermès, Lyon 1981, p. 219

à 244.

(2) - Norbert Rouland, La tradition juridique française et la diversité culturelle, rapport adressé à la commission française pour l’UNES-

CO, 27 avril 1993.

(3) - Raymond Verdier, De l’histoire du droit à l’histoire des hommes/Courrier du CNRS, n° 75, avril 1990, p. 8 à 10.

(4) - Jean Carbonnier, Flexible droit/LGDJ, Paris, rééd. 1983.

(5) - Les conditions juridiques et culturelles de l’intégration, rapport du Haut Conseil à l’Intégration, Paris /La Documentation françai-

se, 1992.

(6) - La situation des gens du voyage et les mesures proposées pour l’améliorer/rapport Delamon, juillet 1990, p. 41.

(7) - Dossier, Derrière les Etats, les minorités, Sciences humaines, n° 3, février 1991, p.16 à 31.

(8) - J. Donzelot et Ph. Estebe, L’Etat animateur/Projet n° 233, printemps 1993.

(9) - J. Charlemagne, Migration Est-Ouest :Le cas des Tsiganes/Rapport de recherche, CERI, Paris, décembre 1992.

(10) - Article 3:“Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’auto-

rité qui n’en émane expressément”.

(11) - Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-Etat, Paris/PUF, rééd. 1982

(12) - Norbert Rouland, Les fondements anthropologiques des droits de l’homme, Institut international des Droits de l’Homme, Stras-

bourg, juillet 1993.

(13)- Roger Caratini, La force des faibles, Encyclopédie mondiale des minorités /Larousse, 1986.

(14) - P. Renouvin - J.B. Duroselle, Introduction à l’étude des relations internationales, Paris /Armand Colin, rééd. 1991.

(15) - Marcel Courthiade, Les voies de l’émergence du romani commun/Etudes Tsiganes, n°3/1990, p. 26 à 51.

(16) - Roma Gypsies in CSCE Region, Report of the High Commissionner on National Minorities /CSCE, 21-23 septembre 1993.

(17) - F.Rousso-Lenoir, Que faire des minorités ? /Le Monde 2-11-1991.

(18) - Les politiques locales d’intégration des minorités immigrée en Europe et aux Etats-Unis, sous la dir. de D. Lapeyronnie/ADRI,

Paris.

(19) - J. Charlemagne, Les Tsiganes en France face aux normes sédentaires in“Tsiganes, Identité, Evolution”sous la dir. de P.

Williams/Syros, 1989, p. 187 à 195.

(20) - “L’accès à l’égalité des droits sans atteinte à un mode de vie librement choisi”/rapport Delamon, op.cit. p. 40.

(21) - En Europe, les Nations/Terrain, n° 17, octobre 1991.

(22) - Voir les comptes-rendus de ce congrès par T. A. Acton et Matéo Maximoff/Etudes Tsiganes, n° 2-3/1971 et 4/1971.

(23) - Alexandre Danciu, Introduction au problème tsigane à l’Est/Problèmes politiques et sociaux, n° 503, 11 janvier 1985.

(24) - Les minorités en Europe, sous la dir. de Henri Giordan/ éd. Kime, Paris, 1992.

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