choses de finesse

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LOrientation lacanienne 2008-2009

Jacques-Alain Miller

Choses de finesse en psychanalyseCours du 12 novembre 2008

Eh bien, je commencerai par vous donner mon titre. Cest une expression qui me sert dappui et de guide, et qui est toute en douceur, alors que mon discours ne lest peut-tre pas, le voici ce titre : Choses de finesse finesse au singulier, choses au pluriel en psychanalyse. Javais rv lan dernier de rester au port cette anne. Et pourtant me voici embarqu, avec vous, pour une nouvelle de nos aventures sur la mer, toujours recommences, et moi vou ahaner la rame. Mais il y a ici un choix forc. Sil me faut souquer ferme cest que le mouvement du monde, si je puis dire, lexige en tant que ce mouvement entrane la psychanalyse dans son sillage. La question se pose de savoir sil faut y consentir, et la rponse est Oui, si la psychanalyse est un phnomne de civilisation et nest que cela, Non sil y a un droit-fil de la pratique analytique et qui mrite de subsister comme tel. Si je me nie consentir que la psychanalyse soit entrane dans le sillage du mouvement du monde, cest au nom de ce droit-fil, qui nest que suppos, qui est un objet de pari, mais qui est une affaire de dsir. Au moins Lacan crant son Ecole croyait quun tel droit-fil existait. Je devrai donc souquer dautant plus ferme que je fais aller mon bateau contre-courant, et cest au point que, pour la premire fois, il mapparat ncessaire de procder par un retour Lacan. Jamais jusqu prsent je nai employ cette expression et si je le fais aujourdhui cest bien dans la persuasion quon sen est loign. Par exemple, on sen loigne, quand on se toque, quand on senivre de leffet curatif de la psychanalyse. Alors que leffet curatif en psychanalyse nest jamais que subordonn, driv, obtenu de biais. Au moins en psychanalyse on ne se focalise pas sur leffet curatif et cest pourquoi on a abandonn le terme de cure pour celui dexprience analytique. Les choses pourtant en sont venues au point o rappeler la vieille maxime selon laquelle la gurison vient de surcrot, fait figure de nouveaut. Sans doute le monde jauge-t-il la psychanalyse en fonction de ses rsultats thrapeutiques. Ca nest pas une raison pour que la psychanalyse fasse sien ce critre. Nous voil bien forcs de formuler, si je puis dire, une doctrine de la double vrit, forcs de distinguer ce qui est vrit pour le monde et ce qui est vrit pour la psychanalyse : ce qui est vrit pour le monde, savoir que la psychanalyse vaut comme thrapeutique, nest pas vrit pour la psychanalyse, savoir quelle vaut comme dsir, comme moyen dmergence dun dsir indit et dont la structure est encore largement mconnue. Alors, on argue, et jy suis pour quelque chose, on argue dune nouvelle clinique psychanalytique, qui se dprendrait du tout dernier enseignement de Lacan, et qui surclasserait lancienne. Ce serait, dit-on parfois, la clinique borromenne dans son opposition la clinique structurale, celle qui met en avant la distinction nvrose et psychose, et, pour tre complet, nvrose, psychose et perversion. Je ne peux pas mconnatre que jy suis en effet pour quelque chose, et que a sest cuisin ici. Alors, a me donne la fois le devoir et peut-tre lautorit de dire, premirement, que, en cette matire, lopposition de lancien et du nouveau demande quelque dialectique, car la clinique dite ancienne est conserve dans la nouvelle. Et puis, que dit-elle, cette nouvelle, ou cette seconde, clinique ? Bien davantage encore que la premire, elle invalide, elle ridiculise lide de gurison, elle relativise leffet thrapeutique. Et je le dmontre. Premirement, cette seconde clinique ruine la base la rfrence la normalit, la sant mentale, en prenant pour principe cette formule, venue une fois sous la plume de Lacan et dans un texte accessoire, mais formule laquelle jai fait un sort lanne dernire, Tout le monde est fou, cest--dire dlirant. Il faudrait tre aveugle et sourd pour ne pas sapercevoir que cest ruiner toute chance de faire merger une notion de la normalit - cest fait pour quon ny revienne pas. De mme quon dfinissait jadis la vrit par ladaequatio rei et intellectus - ladquation de la chose et de lesprit, ou de lentendement -, ici, cette formule dont je fais un principe, que tout le monde est fou, et jen fais un principe aprs avoir travaill lan dernier le paradoxe quil comporte, ce principe pose comme radicale linadquation du rel et du mental, et il comporte que du rel on ne puisse que dire faux, on ne puisse que mentir. Deuximement, la seconde clinique largit le concept du symptme, hrit de Freud, ce symptme susceptible de se lever, selon lexpression consacre, elle largit le concept freudien du symptme jusqu y inclure, de faon

essentielle, ces restes symptomatiques, dont Freud fait tat la fin de lanalyse et qui le conduisent prcisment penser que lanalyse na pas de fin, en raison de ce qui subsiste du symptme. Eh bien, la seconde clinique psychanalytique est prcisment celle qui reconfigure le concept du symptme sur le modle de ces restes. Et cest ainsi que ce que Lacan a appel le sinthome, dans lorthographe ancienne quil a restitue s. i. n. t. h. o. m. e. -, le sinthome est, proprement, le nom de lincurable. Quand on parle de symptme on entend par l, en psychanalyse, un lment qui peut se dissoudre, ou, censment, disparatre, se lever, alors que sinthome dsigne cet lment en tant quil ne peut pas disparatre, quil est constant. Autrement dit, la dite nouvelle clinique psychanalytique cest une thorie de lincurable. Alors, quelle ironie ! que de faire supporter cette thorie de lincurable une pratique toute oriente vers la thrapie et de faire de cette thrapie un slogan. Alors que, dans le mme temps, Lacan pouvait poser cette borne : Impossible de thrapier le psychisme, et que, sil y a qualifier laction de lanalyste dans cette dimension de psychisme, ou de mental, sil y a qualifier son action, cest avec dautres coordonnes que celles de la thrapeutique. La notion de cette impossibilit dcoule logiquement de ce quil est impensable de rmunrer le dfaut foncier du psychisme, den rduire linadquation radicale - pour autant quon ladmette sans doute, mais je ne fais valoir ici quune liaison logique. Pourtant, une routine usagre, comme sexprimait Lacan, est aujourdhui en passe de senraciner dans la psychanalyse, faisant de leffet thrapeutique lalpha et lomga de la discipline, et mme sa justification. Cest a qui ma empch de rester au port, cest a qui moblige relancer notre bateau, parce que donner cette centralit laction thrapeutique ce nest rien dautre que de cder ce que le monde rclame dsormais de la psychanalyse, ses fins propres, ses fins dutilit, ses fins de gouvernance. Cest cder, cest ouvrir les portes de la citadelle psychanalytique, et laisser ce prjug se rpandre parmi elle. Le prjug thrapeutique cest le cheval de Troie, par lequel pntre, dans ce que jappelais la citadelle analytique, lEcole analytique, le Champ freudien, le discours qui prvaut dans le monde. On croit sortir de lentre-soi, comme on dit, quand en vrit on fait entrer le dehors - on ne sort pas, on fait entrer. Et le cheval de Troie cest la figure mythique du cadeau empoisonn. Le renversement que Lacan a apport dans la psychanalyse a consist au contraire constituer la psychanalyse pure, celle que lon appelait jadis la psychanalyse didactique, celle qui de lanalysant fait un analyste, mme en puissance, constituer la psychanalyse pure comme la forme parfaite de la psychanalyse, sa forme acheve. En revanche, forme restreinte, forme rduite, que la psychanalyse tout court, celle o interfre le souci thrapeutique, avec ce que Lacan appelle, page 231 des Ecrits, les courts-circuits et les tempraments que le souci thrapeutique motive. Le souci thrapeutique conduit retenir la puissance que dgage le procd analytique lui-mme, conduit sinterroger sur, si je puis dire, la dose de vrit quun sujet peut supporter un moment donn, la dose de vrit quil peut assimiler - a, a vaut toujours - mais aussi la dose de vrit qui reste pour lui supportable sans un inconfort excessif ou sans que ce qui lui tient lieu de monde ne seffondre, ne menace de seffondrer. Donc, quand le souci thrapeutique domine, on ajourne ce qua de radical lopration analytique et a conduit faire des impasses, ne pas donner linterprtation qui ce moment-l serait trop dure entendre ou conduirait le sujet fuir ce qui lui serait ainsi rvl, ou encore amadouer le tranchant des choses pour quil reste cadr dans le procd. Donc, pas trop vite, pas trop fort, une affaire, je le disais, de dosage. Et ce sont ces freins, ces limites, qui sont supposs tre levs quand on sengage dans la dimension quon appelait jadis didactique, o le souci thrapeutique est cart et o la dynamique propre de lanalyse peut alors donner plein. Donc, le renversement de Lacan a consist faire de la psychanalyse pure non pas un rajout, un supplment de la psychanalyse tout court dans son souci thrapeutique, mais au contraire considrer que lessence de la psychanalyse, sa vrit, ctait la psychanalyse pure, et que sa forme applique tait une rduction. Dans son Acte de fondation de lEcole freudienne de Paris en 1964, si Lacan fait sa place la psychanalyse applique, cest au titre de la mdecine : dans la Section quil intitule de psychanalyse applique il admet des non analyss sils sont mdecins, et sils peuvent nanmoins contribuer lavancement de la rflexion psychanalytique. Alors, renverser le renversement lacanien, donner la primaut la psychanalyse applique la thrapeutique, cest tout simplement rgresser en-de de Lacan, et rien que cela justifierait lexpression que jai employe, pour la premire fois, dun retour Lacan. Je parlais tout lheure de cadeau empoisonn. Eh bien, je voudrais, cette anne, avec ce Cours, vous faire cadeau dun contre-poison (rires). Cest un cadeau. Selon Freud un vrai cadeau cest un objet dont on ne se spare quavec peine, parce quon voudrait le garder pour soi. Le vrai cadeau cest ce qui va vous manquer quand vous laurez donn. Et a se reconnat, cest

vrai, quand on vous fait un cadeau dont le donateur ne voudrait pas pour lui-mme (rires) et quand vraiment on vous fait un cadeau dont on sent quil se le garderait bien, dailleurs loccasion on vous dit : Jai pris le mme pour moi (rires). Mais enfin le contre-poison dont je parlais on peut le partager. Oui. Il nempche que jai senti a aussi, quaprs tout, tous tant atteints, a pourrait quand mme me faire plaisir de garder le contre-poison pour moi tout seul (rires). Lacan voque a au dbut de son Propos sur la causalit psychique dans les Ecrits page 151. Il confesse ceci : Je me suis abandonn aprs Fontenelle bon, laissons Fontenelle qui a vcu plus dun sicle, qui a t le prsident de lAcadmie des sciences au XVIIIme sicle, lauteur de LEntretien sur la pluralit des mondes , Je me suis abandonn aprs Fontenelle, dit Lacan, ce fantasme davoir la main pleine de vrits pour mieux la refermer sur elles. Je peux aussi confesser que ce fantasme, je lai entretenu. Je lai entretenu, mais parce que ma question tait : seraisje entendu ? puis-je ltre encore ? quand mes yeux dcills ont vu toute une Ecole et ses alentours, plusieurs Ecoles, peut-tre toutes les Ecoles du Champ freudien, possdes, depuis maintenant trois ans, me semble-t-il aprscoup, possdes dune frnsie de psychanalyse applique, et renversant qui mieux-mieux les prcepts de Lacan, que javais pourtant serins toute une gnration, et toute cette gnration les avait serines aussi son tour. Extraordinaire phnomne de psychologie des foules ! des foules psychanalytiques. Dans toute ltendue du Champ freudien, pluri-continental, plus une ville qui ne veuille avoir aussi son tablissement de psychanalyse applique (rires), cest une question de standing. Et donc, avant de me lancer, je me suis dit : quoi bon ? a nest pas rversible une fois quon est entran dans le sillage du mouvement du monde, je narriverai pas faire quon en revienne. Et quoi bon enseigner ? Sil y a quelque chose qui est bien fait pour dmontrer combien vaine est la pdagogie, cest cette histoire-l. Je nai pas pu ne pas me souvenir de la prophtie de Lacan, formule par lui dans un moment de pessimisme amer, au moment o son Ecole rechignait adopter ce quil lui proposait, la procdure dite de la passe pour vrifier la fin de lanalyse. Dans ce moment-l, Lacan, comment dire ? un peu dprim, avait prophtis que la psychanalyse rendra les armes devant la civilisation et ses impasses. Moi je ne voyais pas a. Je ne voyais pas a comme a. En tout cas, l o jai eu faire quelque chose, je lai fait dans lide que, les armes, on se les garderait, quon ne les rendrait pas. Mme avec les baisers du vainqueur, comme dans La Reddition de Breda de Vlasquez. Jamais ! Eh bien, par une voie que je nimaginais pas, jai vu a en train de se faire. Au prsent. Jai vu cette reddition en train de se faire, par ce renversement que je disais tout lheure, par le prjug thrapeutique, par la rduction de la psychanalyse lexercice professionnel de psychanalystes confondus avec les psys et les travailleurs sociaux, prsents comme orients, tous, par lenseignement de Lacan et, en mme temps, tous, anims du souci du bien-tre de leurs contemporains, de la sant mentale de leurs concitoyens. Car tout cela, bien sr, nest-ce pas ? se passe au nom de la Cit. La Cit, quil ny a plus - la Cit, a nexiste plus depuis bien longtemps, la vie sociale ne sorganise plus en Cits comme au temps des Grecs, comme au Moyen-ge ou comme la Renaissance. On peut dire la socit. Cest au nom de la socit, de sa puissance, des devoirs quon a envers elle, que, merveilleusement, lorientation de lenseignement de Lacan se trouverait concider, converger, et nous servirait, nous, de tremplin pour recevoir reconnaissance et, comme on dit, sub-ven-tions. Applaudis, nous sommes. Reus bras ouverts, aprs quelques moments de mfiance, par les autorits qui prsident ce que Lacan appelle, dans son rude langage, le discours du matre. Il faut avoir vu a. Alors, dpchez-vous (rires), parce que cest tout autour de vous, et vous tes dedans. Je nai pas lide quil suffit que je dise pour que a disparaisse. Pas du tout. Mais enfin jai lide quau moins, si je ne peux pas empcher a, je peux quand mme empcher que a se recommande de Lacan (JAM en colre). Lacan ne disait pas : partenaire du discours du matre (dun ton cassant), il disait : cest lenvers de la psychanalyse. Mais a narrte personne (dun ton dpit). Il faut que je constate que a narrte personne, avant que je ne gueule, sauf le respect que je me porte. Lacan le dit trs bien page 721 des Ecrits : Nulle pudeur ne prvaut contre un effet du niveau de la profession. Cest une phrase qui pourrait paratre opaque, si a ne se jouait pas au prsent. Aucune pudeur, tout le monde est a, sans aucune dissimulation, personne na honte de tirer les sonnettes, de suivre les programmes gouvernementaux de sant mentale et de mettre au travail les gens qui se forment lanalyse en fonction des rquisits formuls par le ministre de la sant. Nulle pudeur, cest un phnomne au niveau de la profession. Cet effet, dit Lacan, cest celui de - il dit a en 1971 je crois, enfin il y a bien longtemps -, cest celui de lenrlement du praticien dans les services o la psychologisation cest ce quil pouvait dire lpoque pour le phnomne , o la psychologisation est une voie fort propice cette sorte dexigence bien spcifie dans le social : comment ce dont on est le support, refuser de parler son langage ? Alors, a se dit joliment ces temps-ci dans une formule - je crois - quon memprunte : parler la langue de lAutre. Il faut parler la langue de lAutre. Eh bien ! a fait plutt voir pourquoi Lacan avait forg, pour les psychanalystes, une langue spciale, une langue chiffre, pas la langue de lAutre mais la langue de lUn, et qui isolait les psychanalystes. Oui ! parfaitement (JAM lve la voix), les psychanalystes ont besoin dtre isols, ont besoin dtre isols du discours du matre qui prvaut

lextrieur de leur Ecole. Ils ont besoin dtre forms dans une langue spciale. Et part. Ils ont besoin dune enclave. Ce que Lacan a appel une Ecole, cest une enclave (dun ton guerrier), a a ses lois propres, distinctes du reste de la socit - videmment, pour subsister, on saccommode dune loi des associations (dun ton plus calme), qui au demeurant est suffisamment librale pour nous permettre de continuer nos petites affaires lintrieur. Lacan dailleurs rfre le nom dEcole aux coles antiques, ces communauts philosophiques de lAntiquit rassembles autour dun savoir et en gnral dun fondateur, o les premiers membres staient frotts ce fondateur, forms autour de lui. Cest ce quon dit dEpicure. Il avait dabord enthousiasm sa propre famille avant dagglomrer quelques uns autour de lui. On a distingu finalement quatre grands hommes comme fondateurs de la secte picurienne. On disait de faon consacre : Epicure et les autres. Ca dsignait les quatre. Une secte ! Parfaitement. Une secte. Et ces coles antiques taient conues, Lacan le rappelait, comme des refuges et des bases dopration contre le malaise dans la civilisation, cest--dire comme des enclaves. Une enclave, a nest pas extraterritorial pour autant. Parce que cest une enclave faite pour faire des sorties lextrieur. Mais la condition pour pouvoir faire des sorties lextrieur, cest quon ne laisse pas entrer le cheval de Troie. Evidemment entre sortir et faire entrer, la diffrence est radicale, mais en mme temps elle est infime. Et si on laisse entrer, eh bien on a une dissolution interne du langage et des idaux de lEcole, cest ce quon observe tous les jours au prsent : une dissolution progressive du langage lacanien au bnfice de la suppose langue de lAutre. Avec cette cl lisez maintenant les publications qui sont produites et vous verrez a staler plaisir. Je parlais du plus saillant, qui tait le prjug thrapeutique, je pourrais aussi parler du culte de la croissance, un toujours-plus, qui parat comme aller de soi, quil faut grandir, et que le petit, le limit, cest l parfaitement dsuet. Alors, la consquence je dirais la plus manifeste et pour moi la plus regrettable de linfiltration du discours du matre dans la citadelle du discours analytique, cest lappel, lappel implicite, laspiration, lau moins un. Cest--dire quen dfinitive le fait que le discours du matre sinfiltre dans le discours analytique a pour rsultat, non pas immdiat, un peu diffr, de faire surgir Un qui dit non (JAM martle du poing), le fameux : il existe x tel que non phi de x, celui qui ne marche pas dans la combine. Et voil que je me suis trouv, moi, aspir, faire ce guignol-l, alors que je peux dire et prouver que cest un rle que prcisment jai tout fait pour abandonner. Jai plutt jou le moins-un, lau moins moins-un, me vouer des travaux dcriture et surtout abandonner toute charge administrative et de direction. Je dois constater que jai t conduit, il y a peu, de r-endosser cette vieille dfroquel. Je peux encore me demander pourquoi : pourquoi ne pas laisser a aller o a va ? pourquoi interfrer ? Cest Pascal qui dit a : Quand tous vont vers le dbordement, nul ne semble y aller. Celui qui sarrte fait remarquer lemportement des autres, comme un point fixe. Il y a eu quelque chose de cet effet-l, parce que ce que je dis l je lai dit plus gentiment un congrs rcent, et a a un tout petit peu dplac les choses. Un tout petit peu. Ca na rien arrt du tout, a continue de dborder de tous les cts et partout. Mais enfin jai senti quand mme comme une petite hsitation. Et au fond je me suis dit : Allons-y, essayons, dans ce petit espace qui mest laiss ce Cours, au moins que a serve a, essayons de creuser un peu ce sillon. Mais ce ntait pas mon ide. Parce que a ntait pas lide de Lacan. Lide de Lacan, elle est manifeste dans le fait que lanalysant de la psychanalyse parfaite, lanalysant consacr par lpreuve de la passe comme ayant authentiquement achev son parcours analytique ou au moins layant pouss suffisamment loin pour le poursuivre tout seul cest--dire par lauto-analyse, cet analysant, il la appel Analyste de lEcole, et il entendait, au fond, en lappelant par ce nom, que lAnalyste de lEcole, produit de la pratique analytique en vigueur dans cette Ecole, serait responsable de lEcole, co-responsable de lEcole. Ca na pas trs bien march lEcole freudienne de Paris qui tait lEcole de Lacan, a a t entrav de mille faons, et les quelques uns qui avaient t nomms Analystes de lEcole se sont, la plupart, peut-tre tous, dconsidrs au moment de la dissolution de lEcole freudienne en 1980-81. Mais lexprience a t reprise dans lEcole de la Cause freudienne : le phnomne prsent, mon sens, oblige dresser un constat de faillite. Pas un ne sest lev contre le renversement du renversement. Enfin pas un, il y a eu quelques inquitudes, quelques alertes, donnes par trs peu. Donc je corrige volontiers mon diagnostic. Et je le corrige dautant plus que les Analystes de lEcole, en fait, lEcole de la Cause freudienne, il faut dire, trs largement, sen passe. Cest--dire, elle les utilise, dans leur fracheur, pour parler de leur propre analyse et de leur propre passe, dans llan de leur passe, et on considre quau bout de trois ans ils sont dfrachis (rires). Le titre est temporaire. Je ne le reproche personne puisque il est trs possible et il est mme fort probable et il est mme presque certain et cest comme a dailleurs (rires) que jai d en avoir lide. Jai d en avoir lide jadis en constatant la faillite des prcdents. Tant qu faire jai donc propos que, les nouveaux, on ne les prenne que dans leur fleur. Mais, au vu du phnomne prsent, il me semble que le fait quon appelle le plus grand nombre ex-AE, en dfinitive les ddouane de leur responsabilit, alors quon en aurait besoin, pas simplement pour narrer leur passe, mais bien pour contrer les impasses de la civilisation, o la civilisation, le mouvement du monde, entrane la psychanalyse. Et donc peut-tre faudrait-il rtablir, dans les Ecoles du Champ freudien, une communaut des AE, o les ex-AE retrouveraient leur titre dAE, il y aurait les AE en vigueur, et il y aurait, comme prvu par Lacan, les analystes dAE aussi. Le rtablissement dune telle

communaut, ou forger une telle communaut, serait peut-tre la dernire chance donner lide de Lacan. On peut rver quune telle communaut pourrait jouer le rle de boussole, sans quon ait besoin de recourir au thtre de lau moins un. Je trouverais a soulageant et aussi a laisserait un avenir. Ca servira peut-tre de rien, mais enfin a laisserait une chance, si leur mission est bien de veiller ce que la psychanalyse applique la thrapeutique cde le pas la psychanalyse pure. Bon, je me laisse emporter - pas trop, mais un petit peu -, a maide faire ce Cours. Pure et applique, cest tout de mme une distinction qui est problmatique, et jentends, cette anne, la mettre en question. Je commencerai par minspirer dun texte que jai trouv et qui ma appris des choses sur la distinction pures et appliques dans les mathmatiques. Cest une problmatique, semble-t-il, qui na merg que tardivement, lopposition des mathmatiques pures et des mathmatiques appliques. Elle a merg, semble-t-il, dans la seconde partie du XIXme sicle, au moment o le centre mondial, le foyer de la pense mathmatique sest dplac de Paris Berlin, et, dans la foule, Gttingen avec lcole dHilbert. Tandis que, en effet - a met en ordre des choses que je savais par ailleurs -, au XVIme sicle, au XVIIme ou au XVIIIme, les mathmaticiens ne faisaient pas cette distinction et donc soccupaient, sans faire de hirarchie, aussi bien de questions quon considrerait aujourdhui comme fondamentales que de questions dartillerie, de fortification, darpentage, dastronomie, de cartographie, de navigation, au XIXme de probabilits, des reprsentations. Et au fond a nest quavec Hilbert, culminant dans son fameux programme de 1902, qua pris le pas la conception axiomatique et structurale des mathmatiques. Alors, a ne peut pas nous tre indiffrent puisque cette cole dHilbert, qui a dgag le concept axiomatique et structural des mathmatiques, a inspir et a t radicalise par lcole bourbakiste, par Bourbaki, aprs la seconde guerre mondiale, ici, Paris, en France, et il y a videmment une consonance entre le structuralisme mathmatique de Bourbaki et linspiration lvistraussienne que Lacan a reue et quil a transpose en psychanalyse. Un historien amricain parle, propos de Bourbaki, dune vague de puret qui a recouvert lexercice professionnel des mathmaticiens. Et Jean Dieudonn, un des grands bourbakistes, qualifiait ce quil appelait le choix bourbachique c. h. i. q. u. e. -, cest comme a quil sexprime, en disant : Plus une thorie est abstraite, plus elle limine le concret et le contingent, et plus elle peut alimenter lintuition. Au fond, plus elle est abstraite, et plus, en dfinitive, on pourra lutiliser dans le concret, on pourra la remplir de contenus empiriques. Alors, je vais vous citer un passage dun article qui est rest clbre du point de vue bourbakiste, un article qui sappelle LArchitecture des mathmatiques et qui figure dans un volume paru juste aprs la guerre. Cest un article que jai lu cest une donne biographique -, cest un article que jai lu dans le volume que possdait Lacan. Il la lu, cet article. Voil ce quon y trouve, vraiment on voit bien que Lvi-Strauss est l tout proche : Dans la conception axiomatique, dit cet article, la mathmatique apparat en somme comme un rservoir de formes abstraites les structures mathmatiques ; et il se trouve sans quon sache bien pourquoi que certains aspects de la ralit exprimentale viennent se mouler en certaines de ces formes, comme par une sorte de pradaptation. Au fond, voil ce qui est le noyau de linspiration structuraliste, et cest l-dessus que les bourbakistes se sont appuys pour dgager la notion de mathmatique pure, cest--dire structurale. Or, on observe, dans le mouvement propre des mathmatiques, une bascule, qui a amen et qui amne de nos jours, les applications de la mathmatique prendre plus dimportance que ses formes pures en tout cas plus dimportance quavant. Je vous cite le texte dune pistmologue, que je ne connais que par ce texte-l, Dahan Dalmedico : En France - elle prend comme rfrence 1987 -, en France, le colloque tenu en 1987 sur les Mathmatiques venir est significatif de ce tournant : les mathmaticiens de tous horizons, runis, dfendent la fois une ambition historique de leur discipline comprendre le monde et ses innombrables possibilits dapplications que les moyens nouveaux de calcul ont dmultiplies. Ils prsentent une semi-autocritique sur le caractre trop formaliste et abstrait, coup des autres sciences et de la pratique, qua pu avoir son enseignement, en particulier aprs la rforme des mathmatiques modernes . Et la conclusion est celle-ci, qui, pour nous aux prises avec ce que jappelais le phnomne prsent, est bien faite pour rsonner, et nous montre que la psychanalyse est emporte aujourdhui dans un mouvement auquel les mathmatiques nchappent pas, cest--dire que a nest pas une anecdote : cest un mouvement de fond. Jai trouv a saisissant. Les reprsentations idologiques de la discipline par ses acteurs font place dit-elle - dautres reprsentations qui elles-mmes privilgient dautres valeurs : les liens avec le pouvoir pour les mathmatiques nest-ce pas ? , les liens avec le pouvoir, la capacit obtenir des contrats (rires) ou susciter des interactions, le dynamisme entrepreneurial, le caractre pragmatique et oprationnel des rsultats. Il nest pas encore sr que tous ces gens considreront longtemps quils font le mme mtier. Voil donc le phnomne qui habite le mouvement des mathmatiques, le mouvement interne des mathmatiques, qui est de sloigner de la prvalence des mathmatiques pures pour valoriser les applications des

mathmatiques et, avec ces applications, les rapports avec le pouvoir, les contrats, les entreprises, le caractre pragmatique et oprationnel des rsultats. On croirait dcrit ce qui se produit aujourdhui dans le Champ freudien. Et donc, une fois passs les cris dindignation auxquels jai sacrifi - a va avec le rle de lau moins un -, nous pouvons constater que nous sommes aux prises avec le mouvement du monde et que la psychanalyse aussi en subit lincidence. Et au fond comment en serait-il autrement ? Alors, les psychanalystes, comme les mathmaticiens, nentendent pas sacrifier le primum vivere : dabord survivre, et le dabord survivre implique une adaptation au contexte. Mais cest lautre branche qui constitue lalternative , disons, pour rester en latin, lavertissement de Juvenal : et propter vitam vivendi perdere causas et pour sauver la vie perdre les raisons de vivre. Et donc nous sommes entre conserver le primum vivere, qui est la condition de tout, et en mme temps, pour cette survie, ne pas sacrifier la raison dtre de la psychanalyse.

Or, il ne me parat pas excessif de dire que la psychanalyse peut mourir de sa complaisance lendroit du discours du matre. Le discours du matre suppose une identification du sujet par un signifiant-matre : Ce signifiant-matre peut prendre la valeur dtre le chiffre, condition de lvaluation, cest aussi bien lexplicitation, et cest aussi bien la catgorisation. On ne connatra de sujet quen tant quil sera affect une catgorie, lenfant, ladulte, le vieux, par exemple, catgories qui rpartissent la population, et donc a nest pas le sujet quon connatra, on connatra un exemplaire de la catgorie. Ainsi, le discours du matre produit un certain nombre de catgories et de catgories cliniques. Quand on formule Lobsit est le mal du sicle aprs avoir formul La dpression est le mal du sicle cest mis laffiche successivement -, nous avons une clinique du matre sur laquelle videmment nous sommes pousss nous aligner. Nous sommes pousss valider ces catgories au renfort de ce que nous, nous avons accumul de rserves ou de savoir par ailleurs. Il faut bien dire, ce fonctionnement est en train de donner plein. Le discours du matre, spcialement en Europe mais enfin aussi aux Etats Unis, est actuellement prodigue dune nouvelle clinique, dune clinique de signifiants-matres, que nos collgues italiens appellent gentiment monosymptomatique. Pour dire quil sagit dune clinique organise par des signifiants-matres. Sur la base de ces signifiants-matres on met au travail le savoir, S2 : En particulier on met au travail le savoir de la psychanalyse, qui est l en position desclave, inscrit dans la structure du discours du matre. Pour le coup, ce ne sont pas des abstractions, ce sont vraiment des structures signifiantes, en effet, o nous navons pas de mal de retrouver le contenu empirique qui nous est prsent tous les jours et qui

stale. Le problme, cest quil y a un lment en tout cas qui l reste inassimilable, cest le facteur qui a virtuellement la possibilit de drgler lensemble, mais il se trouve ici au fond rejet de ce discours :

Alors que cest prcisment cet lment-l : a, inassimilable, qui tient le haut du pav dans le discours de lanalyste, qui fonctionne lui avec un savoir inexplicitable : S2, cest--dire un savoir qui ne peut pas trouver sa place dans le fonctionnement du discours du matre qui exige au contraire lexplicitation et la transparence. Et le sujet en fonction dans le discours de lanalyste : $, cest un sujet qui ny est pas captur en tant quil porterait des traits, en tant quil

porterait des signifiants-matres. Ces signifiants-matres : S1, au contraire, sont rejets, et, du seul fait de sengager dans lexprience analytique, on peut dire que le sujet en est virtuellement dpouill : Donc, a nest pas en tant quexemplaire dune catgorie de la population quon fait une analyse. Et quand on se rend dans des tablissements qui sont firement baptiss avec ces signifiants-matres : Je viens en tant que SDF, je viens en tant que prcaire, je viens en tant quenfant, je viens en tant quobse, je viens en tant que etc., dj admettre a, on est sur le ct du discours analytique. Alors, certes on peut introduire une dialectique, et dire : il faut dabord que le sujet admette ses signifiants-matres pour pouvoir sen dbarrasser - le langage permet ici tous les tours de passe-passe. Il nen demeure pas moins que ces structures sont linverse lune de lautre :

Et que ce que Lacan a appel lenvers de la psychanalyse cest le discours du matre. On ne peut pas servir deux matres la fois. On ne peut pas servir le discours analytique et le discours du matre en mme temps. On peut servir le discours analytique et, dans une approche de double vrit, faire valoir, dans le discours du matre, quon nen serait pas la complte subversion. Le problme cest que le masque quon porte sur le visage, il finit par sincruster, et quand il sincruste, la diffrence sestompe. Alors, il est certain que le danger des effets thrapeutiques rapides cest quon fait fonctionner - comment faire autrement ? -, on fait fonctionner un signifiant comme signifiant-matre pour le sujet (JAM souligne S1 dans le discours du matre), pour lui permettre de se reprer, donc on lidentifie ce quon fait aussi dans le discours analytique mais avec le temps que a se dfasse -, on obtient un effet thrapeutique rapide par le choix rapide dun signifiant-matre susceptible de fixer le sujet. Et on obtient une certaine mise en ordre de ces chanes signifiantes partir de ce signifiant-matre. Et on fait bien attention de ne pas traiter le facteur supplmentaire, le facteur petit a (JAM pointe le (a) du discours du matre). Donc, on ne peut pas obtenir deffet thrapeutique rapide sans faire rfrence au discours du matre, ne serait-ce que par le fait que l on se focalise sur le symptme ce qui est exactement linverse de ce quon a latitude de faire dans une psychanalyse proprement dite. Jy reviendrai. Je donne ici ce qui sera la problmatique que je voudrais suivre cette anne. Je dirai un mot maintenant du titre que jai choisi et que jai annonc en commenant, qui nest pas du tout tonitruant comme ce que je professe jusqu prsent, puisque jai dit il y avait un certain nombre de retardataires qui sans doute pensaient tre lheure de mon retard (rires) -, jai annonc des Choses de finesse en psychanalyse. Voil, je nentends pas du tout faire a la grosse. Finesse, cest le mot quemploie Freud dans un texte que je voulais commenter un peu, je nen aurai pas le temps aujourdhui, Die Feinheit , La Finesse dun acte manqu , cest un tout petit texte o il dfait, dconstruit un acte manqu consistant en un lapsus calami, et il dit la finesse. Mais je nai pas dit die Feinheit, jai dit des choses de finesse, en pensant Pascal et son opposition de lesprit de gomtrie et lesprit de finesse. Je le cite, cest la premire pense de Pascal dans ldition Brunschvicg et la 512me dans ldition Lafuma : Ce qui fait que des gomtres ne sont pas fins je le dis tout de suite : je cite ce passage parce que a met en valeur ce quil faut bien appeler la dfaillance du mathme, cest Pascal mathmaticien qui comme on sait a mis le doigt dessus, cest ce qui nest pas satisfait par la structure , Ce qui fait que des gomtres donc nous prenons l gomtres comme mathmaticiens Ce qui fait que des gomtres ne sont pas fins, cest quils ne voient pas ce qui est devant eux, et qutant accoutums aux principes nets et grossiers de gomtrie, et ne raisonner quaprs avoir bien vu et mani leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse, o les principes ne se laissent pas ainsi manier. On les voit peine les choses de finesse On les voit peine, on les sent plutt quon ne les voit, on a des peines infinies les faire sentir ceux qui ne les sentent pas deux-mmes. Ce sont choses tellement dlicates, et si nombreuses, quil faut un sens bien dlicat et bien net pour les sentir et juger droit et juste, selon ce sentiment, sans pouvoir le plus souvent le dmontrer par ordre comme en gomtrie, parce quon nen possde pas ainsi les principes, et que ce serait une chose infinie de lentreprendre. Il faut tout dun coup voir la chose, dun seul regard, et non pas par progrs de raisonnement, au moins jusqu un certain degr. Et ainsi il est rare que les gomtres

soient fins, et que les fins soient gomtres, cause que les gomtres veulent traiter gomtriquement ces choses fines et se rendent ridicules, voulant commencer par les dfinitions et ensuite par les principes, ce qui nest pas la manire dagir en cette sorte de raisonnement. Eh bien, cest une faon pour nous dvoquer l o dfaille le mathme. Lacan, au fond, a t un bourbakiste, comme tous les structuralistes, et son enseignement a commenc, vous le savez, par la primaut du symbolique. Cest--dire, premirement, par un rejet du rel, au sens o la question du rel ne sera pas pose. Tandis que, deuximement, limaginaire apparaissait comme relev par le symbolique, au sens de lAufhebung hegelienne, relev, dpass par le symbolique, et cest ce que Lacan a appel, dun terme que jai

soulign, signifiantisation. Ce qui suppose que la reprsentation disons imaginaire, le terme imaginaire, soit barr, annul, voire mortifi, pour tre lev au rang de signifiant. Et jai montr que tous les dbuts de lenseignement de Lacan consistent signifiantiser les termes encore imaginaires dans lesquels on organisait lexprience analytique.

Prcisment, si le rel est venu au premier plan du dernier enseignement de Lacan, cest en tant quil est ce qui ne peut pas tre relev par le symbolique, ce qui ne peut pas connatre cette Aufhebung, cette signifiantisation, et qui reste inassimilable. Do une rupture entre symbolique et rel, qui a conduit Lacan rintroduire limaginaire en troisime comme le terme qui les noue :

Cest, disons, ce qui la conduit, sinon rencontrer, du moins utiliser, de faon prvalente, le nud borromen. En tout cas cest ce que je soutiens cette anne, que le point de dpart du nud borromen, cest la rupture, la fracture, entre symbolique et rel, et que cest limaginaire qui a pour fonction de les nouer. Do lappel au nud borromen o bien entendu alors les trois lments sont objectivement dans la mme position les uns lgard des autres. Que le rel soit inassimilable fait quil est toujours introduit par un non n. o. n. -, cest une positivit qui ne peut tre aborde que par le ngatif, en tout cas en tant quil dpend du symbolique, cest--dire sur sa face dimpossible. Il faut quil y ait une articulation symbolique pour quon puisse dire : Quelque chose est impossible. Dans un monde o larticulation signifiante fait dfaut, tout est possible. On peut le faire valoir en comparant limage du monde magique de la Renaissance la transformation que cette image subit lorsque le discours de la science vient imposer sa grille. Avec la science commence limpossible, et avant on a un monde au contraire o tout est possible, spcialement la Renaissance o le cosmos moyengeux sest dj fendill. Donc nous avons, sur un versant, le rel dpend du symbolique. Mais, sur un autre - et cest ce que Lacan laisse apercevoir -, cest lautonomie du rel. Et son tout dernier enseignement est dchir entre deux positions : celle dune autonomie du rel quil essaye danimer et, de lautre ct, le coinage du rel entre symbolique et imaginaire. Cette question abstraite sincarne dans le problme que pose ds lors le statut du psychanalyste : lanalyste a-t-il un statut au niveau du rel ? Quil lait dans limaginaire, cest trop clair, quil lait dans le symbolique, sa fonction de rcepteur et de ponctuateur suffit le situer, mais y a-t-il un statut de lanalyste dans le rel ? Lacan, dans son dernier enseignement, nhsitait pas procder un ravalement sociologique de lanalyste et dessiner en mme temps son salut en posant la question, je le cite - je cite un crit de Lacan, le dernier des Autres crits, la formulation brutale nen a que plus de prix de savoir quelle est calibre exactement la plume la main : Y a-t-il des cas o une autre raison vous pousse tre analyste que de sinstaller, cest--dire de recevoir ce quon appelle couramment du fric ? (rires). Cest regarder en face que la psychanalyse, en effet, cest une profession. Il y a un niveau, dans la psychanalyse, qui est le niveau de la profession. Et cest ce titre que Lacan a voulu mettre la profession lpreuve de la vrit. Cest ce quil a appel la passe. Ca consiste mettre la profession lpreuve de

la vrit en sachant que la vrit est un mirage, cest--dire quon ne peut que mentir sur le rel, quil ny a pas dadquation du mot et du rel. Alors, est-ce quil y en a des cas o il y a une autre raison qui vous pousse tre analyste que de recevoir du fric ? Ben, y en a. Moi par exemple, je reois du fric cest vrai, mais enfin jen ai t le premier surpris, parce quau fond ce qui ma pouss tre analyste cest strictement ce que je fais maintenant, ce qui ma pouss tre analyste cest de tenir tte. Je suis devenu analyste strictement dtermin par ladversit, ceux qui ont connu avec moi lpoque de la dissolution de lEcole freudienne savent ce que je veux dire. Je nai pas pens embrasser cette carrire et madonner cette profession avant de rencontrer ceux qui ne voulaient absolument pas, hein ! que jy entre (rires). Et donc cest par un dire que non que jy suis entr. Et donc ce nest pas surprenant que finalement quelque part je dois jubiler dtre encore aujourdhui celui qui dit non. Alors, bon, cest un exemple. En tout cas il y a eu une autre raison que de recevoir du fric et qui ma pouss tre analyste. Et je ne suis pas le seul, il y en a dautres qui ont eu leur faon de se glisser l. Et donc il sagit de savoir ce que a doit au symbolique, limaginaire et au rel. Donc, ce que je voudrais cette anne, sous le titre des Choses de finesse en psychanalyse, cest examiner, pour le dire de faon kantienne, la psychanalyse du point de vue pragmatique, cest--dire ce que la psychanalyse fait dellemme, ou peut et doit faire delle-mme - je paraphrase ici Kant dans cette formule. Et jentends examiner cela en prenant faveur du trou quil y a entre structure et contingence. Il y a un trou entre les concepts fondamentaux de la psychanalyse organiss en structure, et dont ces mathmes au tableau donnent une ide - jai constat avec regret quon continuait parmi nous parler de setting alors que Lacan dit discours, le setting cest un concept baroque qui mle la fois des donnes de structure et puis des donnes secondaires comme lemplacement, le nombre de rendez-vous, etc., il ne sagit pas du setting il sagit du discours analytique -, donc voil la notion dune structure, et il y a un trou avec ce qui est contingent. Ce qui est contingent est disjoint du concept - a fait partie du concept de la contingence. Un cas particulier, a nest pas le cas dune rgle, a nest pas lexemplaire dun universel, a nest pas lexemplification du gnral. Et la pragmatique est prcisment la discipline qui tente de trouver la rgle partir dun cas particulier, cest--dire qui prend au fond le cas particulier toujours comme une exception la rgle. Ds lors, le cas particulier cest une chose de finesse, quon doit aborder avec ce que Pascal appelait lesprit de finesse et que Kant appelait, dans son langage moins lgant, le jugement rflchissant. Cest l, cest dans ce hiatus que se glisse cette pratique mal loge quon appelle le contrle. Le contrle cest ce qui est cens colmater la bance entre structure et contingence. Et jaimerais quon puisse dire sur le contrle - mot dont on fait parfois un usage abusif -, jaimerais quon puisse dire sur le contrle des choses mieux structures si je puis dire. Et puis, dans le mme fil, se pose la question de lducation du psychanalyste. Je prfre encore dire ducation plutt que formation. Ca fait mieux voir lexorbitant du terme, parce que sil y a bien un domaine o la pdagogie ne peut pas grand-chose, ne peut rien comme je le disais tout lheure, cest bien celui-ci. Et donc il y a ici savoir ce que lanalyste doit son analyse, ce que lanalyste doit son exprience des patients et sous quelle forme, et ce quil pourrait devoir dautres disciplines. Il y a aussi que ce qui invalide la pdagogie en psychanalyse, cest que le savoir se paye, cest--dire sacquiert aux dpens du sujet. La transmission selon limage des vases communicants ne rend pas compte de ce paiement. Mais a se paye. Et le savoir quon peut acqurir dans lanalyse elle-mme se paye. Jai jou sans doute moi-mme avec trop de lgret - mais pensais-je, a devait tre dans une toute petite surface, titre exprimental -, jai jou avec une donne pourtant constante et radicale de lexprience analytique, savoir la gratuit, jai jou soustraire la donne de largent. Et ce que jai dcrit comme le phnomne prsent est sans doute d pour une trs large part la soustraction de cet lment. Or largent, ce nest pas seulement le fric, comme disait Lacan, destin subvenir aux besoins de lintress et de sa famille, cest encore un lment qui a la proprit de tuer toutes les significations et qui opre par lui-mme une action de limite. Le toujours-plus, que jai not tout lheure, est videmment articul , cette fois-ci, non pas lacquisition de largent, mais labme que sa disparition entrane, cet appel sans limite dune demande laquelle on ne sait pas se soustraire. Enfin, pragmatique. Je dis aussi pragmatique parce que le savoir-faire tend, dans la psychanalyse, supplanter le savoir, le pragmatique tend supplanter lpistmique. Il faut la fois reconnatre ce mouvement dans ce qui le fonde et en mme temps lajuster. Cest ce que je voudrais essayer cette anne dans ce qui est au fond un exercice danticipation : O va la psychanalyse ? Si nous suivons les indications du temps prsent, o va-t-elle ? et, selon nous, o doit-elle aller ? supposer quelle le puisse. A la semaine prochaine (Applaudissements).

LOrientation lacanienne 2008-2009

Jacques-Alain Miller

Choses de finesse en psychanalyse IICours du 19 novembre 2008 Jai dit la finesse, cest le mot dont Pascal fait lantonyme de gomtrie. Pascal tait gomtre, et mme un gnie de la gomtrie, un gnie prcoce, mais il savait, en mme temps, que pas-tout est gomtrie, que pas-tout ne se laisse traiter par mathme. Ceci nous claire ce que Lacan a tent dans son dernier enseignement, son tout dernier enseignement, ceci claire ce que veut dire ce quon appelle la thorie des noeuds, que cest une tentative pour assouplir le mathme, une tentative de le rendre capable, le mathme, de capturer les choses de finesse, mais une tentative dsespre car les choses de finesse en dfinitive ne se laissent pas mathmatiser. Si jai parl de finesse ce nest pas seulement cause de Pascal, cest en raison du texte de Freud, de 1933, qui sintitule Die Feinheit () , La Finesse dun acte manqu . Freud ne se croyait pas diminu de prsenter, si tard dans son laboration, un acte manqu de son inconscient, de le prsenter la communaut des psychanalystes. Cest quil voulait leur rappeler - si tard - quun analyste continue dapprendre de son inconscient. Etre analyste ne vous exonre pas de ce tmoignage. Etre analyste, ce nest pas analyser les autres, cest dabord continuer de sanalyser, cest continuer dtre analysant - cest une leon dhumilit. Lautre voie, ce serait linfatuation de lanalyste - sil se pensait en rgle avec son inconscient. On ne lest jamais. Cest ce quen acte, en acte dcriture, cest ce quen acte dcriture Freud communiquait ses lves. La question est de savoir si nous saurons lentendre. La finesse de cet acte manqu, comme Freud le qualifie, cest un lapsus calami, une divagation de la plume, non pas dans un message adress aux analystes, mais dans un mot envoy un joaillier, o aurait d figurer deux fois la prposition pour, et, la place de la seconde occurrence, Freud crivit le mot bis, quil dut rayer. Cest cette rature qui la motiv crire son texte. Au lieu dcrire deux fois la prposition pour, il a crit, aprs la premire occurrence du mot, le mot bis, et son lapsus se laisse interprter, pour la premire fois, ainsi : Jai crit bis, en latin, plutt que dcrire deux fois le mot pour, qui aurait t une maladresse dexpression, jai crit le mot latin qui veut dire deux fois plutt que dcrire deux fois la prposition pour. Ca, cest la premire interprtation de cette formation de linconscient dont il fait tmoignage - un rien, qui vaut pourtant dtre communiqu. Ce lapsus se prte une seconde interprtation, dont il souligne quelle lui vient de sa fille. Il accepte a, que de sa famille lui vienne une interprtation. Elle lui dit : Tu cris bis parce que le cadeau que tu veux faire, le cadeau dun joyau, que tu veux faire une femme, ce cadeau, tu las dj fait avant, et cest pour cette raison que tu cris bis. Freud accepte cette interprtation familiale. Mais alors vient la troisime interprtation, quil y ajoute : Si jai crit bis, ce nest pas seulement parce que ma formule impliquait deux prpositions pour, ce nest pas seulement parce que ce cadeau rptait un cadeau antrieur, cest parce que, ce cadeau, je ne voulais pas le faire, parce que, ce cadeau, je voulais le garder pour moi, et que je ne men sparais que dans la souffrance de ce quil allait me manquer. Cest la vrit du cadeau. On ne donne, vraiment, que le manque, dont on sait quon va ptir, on ne donne, de faon authentique, que ce qui creusera, en vous, le manque dont on sest spar. Il le dit avec une exquise discrtion : Que serait un cadeau que lon offrirait sans que cela vous fasse un peu de peine ! Je donne ce-que-je-ne-veux-pasdonner, je donne sur le fond de ce que je ne veux pas donner, et cest ce refoulement dun Je ne veux pas qui en fait le prix. Cest l quest la finesse, die Feinheit. La finesse tient ce que le refoulement sinsinue dans ce que le moi entreprend, la finesse tient ce refoulement mme. Cest ce quil ne faut pas oublier (JAM murmure) : prcisment, le Je ne veux pas, qui est oubli, et qui est, en dernire instance, le motif, la raison dtre de ce qui parat sur la scne du monde. La gnrosit trouve son fondement dans la rtention, dans lgosme, dans un Cest pour moi. Et cest, au sens propre, ce qui se laisse interprter. Voil la finesse, qui passe par des choses infimes, et, dans cet infime, lanalyse sest trouve le ressort dun dsir qui dment ce qui se propose ouvertement. Je vous recommande la lecture de ce petit texte, il fait trois pages dans ldition franaise qui en a t donne dans le tome II du volume intitul Rsultats et problmes aux Presses universitaires de France. Je le prends pour guide, pour paradigme de ce que je veux cette anne dvelopper devant vous.

Ce support si mince vaut plus que ce qui triomphe sur la scne du monde. Ce qui triomphe cest la thrapeutique. Cest a quon entend rduire la psychanalyse, une thrapeutique du psychique, et on incite les psychanalystes y trouver la justification de leur exercice. A cela soppose dabord un clich, un clich philosophique, que lhomme est comme tel un animal malade, que la maladie nest pas pour lui un accident, mais quelle est intrinsque, quelle fait partie de son tre, de ce quon peut dfinir comme son essence. Il appartient lessence de lhomme dtre malade, il y a une faille essentielle qui empche lhomme dtre bien portant, il ne lest jamais. Nous ne le disons pas seulement parce que nous avons lexprience de ceux qui viennent nous. De cette exprience que nous avons nous infrons quil ny ait personne qui puisse tre en harmonie avec sa nature, mais quen chacun se creuse cette faille, de quelque faon quon la dsigne, la faille de ce quil soit pensant, et que, par l, rien de ce quil fasse ne soit naturel, parce que rflchi, rflexif. Cest une faon de le dire, de dire quil est distance de lui-mme, que a lui fait problme de concider avec lui-mme, que son essence est de ne pas concider avec son tre, que son pour-soi sloigne de son en-soi. La psychanalyse dit quelque chose de cet en-soi, que cet en-soi cest son jouir, cest son plus-de-jouir, et que le rejoindre ne peut tre que le rsultat dune ascse svre. Cest ainsi que Lacan considrait lexprience analytique, comme lapproche, par le sujet, de cet en-soi, et il avait lespoir que lexprience analytique permettrait lhomme de rejoindre son en-soi, dlucider le plus-de-jouir o rside sa substance. Mais aussi que la faille qui fait lhomme malade tait, pour toujours, labsence de rapport sexuel, que cette maladie-l tait irrmdiable, que rien ne pourrait combler ni gurir la distance dun sexe lautre, que chacun comme sexu se trouve isol de ce que de toujours on a voulu considrer comme son complment. Labsence de rapport sexuel invalide toute notion de sant mentale et toute notion de thrapeutique comme retour la sant mentale. Contrairement ce que loptimisme gouvernemental professe, il ny a pas de sant mentale. Ce qui soppose la sant mentale et la thrapeutique cense y ramener, cest, disons, lrotique. Elle fait objection, cette rotique, la sant mentale. Lrotique, cest--dire, lappareil du dsir qui est singulier pour chacun. Le dsir est loppos de toute norme, il est comme tel extra-normatif. Si la psychanalyse est lexprience qui permettrait au sujet dexpliciter son dsir, dans sa singularit, cette exprience ne peut se dvelopper quen repoussant toute vise de thrapie. La thrapie, la thrapie du psychique, cest la tentative, foncirement vaine, de standardiser le dsir pour quil mette le sujet au pas des idaux communs, dun comme tout le monde. Or le dsir comporte essentiellement, chez ltre qui parle et qui est parl, chez le parltre, un pas comme tout le monde, un part, une dviance, fondamentale, et non pas adventice. Le discours du matre veut toujours la mme chose, le discours du matre veut le comme tout le monde. Et si le psychanalyste reprsente quelque chose, cest le droit, cest la revendication, cest la rbellion du pas comme tout le monde, cest le droit dune dviance qui ne se mesure aucune norme, dune dviance prouve comme telle, mais dune dviance qui affirme sa singularit, incompatible avec tout totalitarisme, avec tout pour tout x. Cest le droit dun seul, que la psychanalyse promeut, par rapport au discours du matre qui fait valoir le droit de tous. Cest dire comme la psychanalyse est fragile, comme elle est mince, comme elle est toujours menace. Elle ne tient, elle ne se soutient que du dsir de lanalyste de faire sa place au singulier, au singulier de lUn. Le dsir de lanalyste se met du ct de lUn, par rapport au tous. Le tous a ses droits, sans doute, et les agents du discours du matre se rengorgent de parler au nom du droit de tous. Le psychanalyste a une voix tremblante, une voix bien menue de faire valoir le droit de la singularit. Lacan a pu opposer jadis la psychanalyse vraie, et la fausse. Quel critre, pour lui, prsidait cette distinction ? quel tait le critre, pour lui, du vrai et du faux, en matire de psychanalyse ? Le critre, unique, ctait, pour lui, le dsir. La vraie psychanalyse, au sens de Lacan, cest celle qui se met dans le sillage du dsir et qui vise isoler, pour chacun, sa diffrence absolue, la cause de son dsir dans sa singularit, ventuellement la plus contingente. Jai dit ventuellement ! La cause du dsir pour chacun est toujours contingente, cest une proprit fondamentale du parltre, la cause de son dsir tient toujours une rencontre, sa jouissance nest pas gnrique, elle ne tient pas lespce, la modalit propre de sa jouissance tient, dans chaque cas, une contingence, une rencontre. La jouissance nest pas programme dans lespce humaine. Il y a l une absence, un vide. Et cest une exprience, vcue, cest une rencontre, qui donne, pour chacun, la jouissance, une figure singulire. L est le scandale. On voudrait que la jouissance soit gnrique, quelle soit norme pour lespce. Eh bien ! elle ne lest pas. Et cest l que se fracassent tous les discours universalistes. La fausse psychanalyse est celle qui se met dans le sillage de la norme, celle qui se donne pour objet, pour finalit, de rduire la singularit au bnfice dun dveloppement qui convergerait sur une maturit constituant lidal de lespce. La fausse psychanalyse cest la psychanalyse qui se pense comme thrapeutique.

Alors, il est vrai que la psychanalyse a des effets thrapeutiques. Elle a des effets thrapeutiques de tamponnement, damnagement, de soulagement, dans la mesure exacte o elle reconnat la singularit du dsir. Elle thrapise, non pas quand elle ramne la norme, mais quand elle autorise le dsir dans sa dviance constitutionnelle. Des sujets viennent lanalyse avec leur plainte, avec leur honte quant leur jouissance, les effets thrapeutiques de lanalyse ne consistent pas ramener cette dviance la norme, mais au contraire lautoriser, quand elle est fonde dans lauthentique. Il fut un temps o les analystes imaginaient de gurir lhomosexualit. Ils en sont revenus. Aujourdhui, il leur arrive des sujets homosexuels, qui souffrent de cette dviance par rapport lidologie commune, et laction analytique est thrapeutique dans la mesure o elle les rconcilie avec leur jouissance, o elle leur dit que cest permis. Dautant que les idaux communs se sont trouvs eux-mmes remanis par la psychanalyse, et quil est aujourdhui, si je puis dire, socialement plus facile dtre homosexuel que par le pass. Plus aucun analyste ne songe gurir lhomosexualit comme si elle tait une maladie honteuse du dsir de lespce, mais au contraire rconcilier le sujet avec sa jouissance. Et cette rconciliation se fait la nique de ce qui se propose comme norme. Le discours analytique ne reconnat pas dautre norme que la norme singulire qui se dprend dun sujet isol comme tel de la socit. Il faut choisir : le sujet ou la socit. Et lanalyse est du ct du sujet. Lanalyse a eu cette puissance de faire en sorte que la socit sest faite plus poreuse lordre du sujet. Les agents du discours du matre ne sont pas tout fait lheure de cet aggiornamento, et si la psychanalyse a une mission leur endroit, cest de les cultiver en la matire, que les normes sociales ne lemporteront plus lendroit de la norme singulire quun sujet ayant rejoint lauthentique de son dsir, peut inscrire en faux par rapport cet ordre, suppos le surplomber. Si Lacan pouvait distinguer la psychanalyse vraie et la fausse, cest quil avait lide que lexprience analytique manifeste une vrit comme telle. A vrai dire, lanalyse manifeste des vrits multiples au fur et mesure que slabore la singularit du sujet, la vrit sans doute savre variable au gr des coordonnes quelle prend, des contingences de son histoire, mais, travers ces vrits multiples, une vrit une, nanmoins, se manifeste. Ce qui se manifeste, disons, cest le lieu de cette vrit, cest que, dans tous les cas, la cause est logique plutt que psychique, que la logique, entendre comme les effets de la parole et du discours, du logos, la logique vient la place du psychique. Et cest cela que Lacan reconnaissait la vraie psychanalyse : la vraie psychanalyse est celle qui reconnat les effets de langage dans la maladie intrinsque ltre humain comme tre parlant et comme tre parl cest--dire comme parltre. De l, deux voies souvrent, qui sont contradictoires. La premire, cest celle dune pdagogie corrective pour sexprimer comme Lacan. Cest de remettre le sujet, par la persuasion, dans les rails qui le conduisent ce dont la socit attend de lui : le travail, linsertion dans le lien social, voire la famille, et, terme, la reproduction. Dans ce cas, ce quon appelle psychanalyse consiste oprer une suggestion sociale des fins dassujettissement. Et on na pas stonner que, si on propose cela aux autorits qui prsident au discours du matre, ces autorits y applaudissent. Si le psychanalyste se propose comme un entrepreneur de suggestion sociale aux fins de faire que les sans domicile fixe trouvent un logement, que les obses deviennent maigres (rires), que les prcaires deviennent riches, on ne va pas se surprendre que les autorits du discours du matre y applaudissent des deux mains. Et dautant plus quon voquera la rare efficacit de lopration analytique manier les signifiants-matres pour les y conduire. Dsormais les femmes battues seront des femmes chries (rires) ! Bon, il faut y mettre sans doute quelque autorit en jeu. Cest ce que Lacan appelait la psychothrapie autoritaire. Il faut bien dire que la psychanalyse applique la thrapeutique, conue dans cette optique, nest rien de plus quune psychothrapie autoritaire. Au temps de lEcole freudienne de Paris de Lacan il y avait dans cette Ecole une enclave qui se dsignait elle-mme comme psychothrapie institutionnelle. Cette enclave runissait des collgues qui se vouaient prcisment donner des consquences la psychanalyse dans le cadre des institutions de soins et ils avaient la dcence de sappeler psychothrapie. Il y a quelquun qui a eu lide, il y a quelques cinq ans, de revaloriser lopration en la qualifiant de psychanalyse applique, ce quelquun ctait moi (rires), et le rsultat est l, cest que quand on pratique a on croit tre psychanalyste, eh bien revenons lorigine : cest de la psychothrapie ! cest de la psychothrapie dinstitution, cest une rduction de la psychanalyse des finalits qui sont celles du matre. Alors, videmment quand on appelle a psychanalyse applique, dans labstrait a nest pas absurde, cest en effet un effort pour articuler les incidences thrapeutiques de la psychanalyse, quil y a, mais si on appelle a psychanalyse applique il ne faut pas se surprendre ensuite que les oprateurs se considrent comme des analystes. Alors que, de toujours, ils ont t dsigns comme des psychothrapeutes, comme des thrapeutes oprant sur les troubles du psychisme. Ah, cest moins glamour (rires), si je puis dire, a ne susciterait pas le mme enthousiasme. Evidemment, il y a cinq ans, jai voulu susciter un enthousiasme, et jai parfaitement russi (rires) - cest par l que jai err. Je disais quil y a une voie qui est celle de la suggestion sociale et de la psychothrapie autoritaire. Lautre voie est celle de lexplicitation du dsir. Dans les faits cest ce qui se pratique. Jai eu loccasion samedi dernier de prsider une journe dtudes o taient prsents des cas traits dans un tablissement de psychanalyse applique, et je dois dire que je nai rien eu y critiquer, que chacun de ces cas tait, sa faon, admirable, admirable parce quen dpit du contexte, il ny avait pas du tout de psychothrapie autoritaire loeuvre, il y avait bien une explicitation du dsir. Et en dpit du fait que

chacun de ces cas rpondait certains critres de rdaction standardiss, on pouvait lire que les oprateurs taient bien inspirs par la psychanalyse, que quand ils taient en face des sujets ils ne songeaient pas du tout les ramener une norme, mais quils trouvaient la norme dans le dsir mme qui leur tait communiqu entre les lignes. Je dois dire que a ma consol. Ca ma consol davoir mis au monde ce concept de psychanalyse applique, je men suis senti justifi, grce ce travail, je le dis, que jai admir. Et jai reconnu, en effet, dans ce qui tait alors prsent, une esquisse de lacte analytique, proprement parler, tel que Lacan la dfini. Non pas lacte analytique dvelopp, celui qui est susceptible de conduire la fin de lanalyse, comme on lappelle, mais un acte analytique en quelque sorte esquiss, dessin. Lacte analytique, comme on sait, est distinct de toute action, lacte analytique ne consiste pas faire, lacte analytique consiste autoriser le faire qui est celui du sujet. Lacte analytique, cest comme tel une coupure, cest pratiquer une coupure dans le discours, cest lamputer de toute censure, au moins virtuellement. Lacte analytique, cest librer lassociation, cest--dire la parole, la librer de ce qui la contraint, pour quelle se droule en roue libre. Et alors on constate que la parole en roue libre fait revenir des souvenirs, quelle remet au prsent le pass, et quelle dessine, partir de l, un avenir. Cet acte, lacte analytique, dpend du dsir de lanalyste, cet acte est le fait du dsir de lanalyste. Le dsir de lanalyste nest pas de lordre du faire. Le dsir de lanalyste cest essentiellement la suspension de toute demande de la part de lanalyste, la suspension de toute demande dtre : on ne vous demande pas dtre intelligent, on ne vous demande mme pas dtre vridique, on ne vous demande pas dtre bon, on ne vous demande pas dtre dcent, on ne vous demande que de parler de ce qui vous passe par la tte, on vous demande de livrer le plus superficiel de ce qui vient votre connaissance. Et le dsir de lanalyste nest pas de vous rendre conforme, nest pas de vous faire du bien, nest pas de vous gurir. Le dsir de lanalyste, cest dobtenir le plus singulier de ce qui fait votre tre, cest que vous soyez capable, vous-mme, de cerner, disoler, ce qui vous diffrencie comme tel, et de lassumer, de dire : Je suis a, qui nest pas bien, qui nest pas comme les autres, que je napprouve pas, mais cest a. Et a ne sobtient, en effet, que par une ascse, par une rduction. Ce dsir de lanalyste, le dsir dobtenir la diffrence absolue, na rien faire avec aucune puret, parce que cette diffrence nest jamais pure, elle est au contraire accroche quelque chose pour quoi Lacan nhsitait pas dire le mot de saloperie : cette diffrence est toujours accroche une saloperie que vous avez chope du discours de lautre, et que vous repoussez, dont vous ne voulez rien savoir. Il y a un mathme pour a, le mathme cest : objet petit a. Mais, dans la pratique, a ne peut jamais se dduire, a se prsente. Il y a un mathme, cest--dire, cest affaire de gomtrie, mais, dans la pratique, cest, toujours, une chose de finesse. Ca ne se saisit que dun coup doeil, lorsque, au terme dun temps pour comprendre, une certitude se prcipite, qui se condense sur un Cest a. Et sans doute, ventuellement, pas quune fois. Mais enfin, tant que vous navez pas obtenu un Cest a, pas la peine de jouer faire la passe. Ce que Lacan appelait la passe demandait la saisie dun Cest a, dans sa singularit. Tant que vous pensez tre dune catgorie renoncez tenter la passe. Le dsir du psychanalyste na videmment rien faire avec le dsir dtre psychanalyste. Ah, tre psychanalyste ! (rires) Sensationnel : lhomme, la femme, qui prsente les semblants de - lesquels ? - laffabilit ? la comprhension bienveillante (rires) ? une certain distinction ? une exprience suppose en ces matires ? et qui vous prendra par la main pour que vous deveniez comme lui. Le dsir dtre psychanalyste au fond est toujours de mauvais aloi, cest quand mme un dsir de fausse monnaie. Lide de Lacan ctait quon devient psychanalyste parce quon ne peut pas faire autrement, que a vaut quand cest un choix forc, cest--dire quand on a fait le tour des autres discours et quon en est revenu, quon est revenu ce point o tous les autres discours apparaissent comme dfaillants, et quon se rejette dans le discours de lanalyste parce quon ne peut pas faire autrement. Cest bien autre chose quun cursus honorum, cest bien autre chose que franchir des tapes dun gradus. Cest : faute de mieux. Cest : faute de se prendre aux illusions des autres discours. Les analystes, une fois quils sont tablis dans la profession, ne songent plus ce qui les a fonds comme analystes. Il y a, dans la rgle, un oubli de lacte dont ils sont issus. Ils payent leur statut, dit Lacan, de loubli de ce qui les fonde. Et cest pourquoi il se prtent loccasion recruter les analystes nouveaux sur des critres qui ne se rfrent pas lacte analytique. Ils tiennent, une fois quils sont tablis, et, au mieux, une fois quils ont rejoint leur singularit, ils tiennent linconscient comme un fait de semblant, a ne leur parat pas un critre suffisant pour tre analyste que llaboration de linconscient. Eh bien, ce que Lacan jadis avait tent pour rpondre la question de Comment on devient analyste ?, ce quil avait tent sous le nom de la passe, ctait ceci : recruter lanalyste sur la base de ce qui sest modifi de son inconscient par lexprience analytique, sur la base de lhypothse quun inconscient analys se distingue si je puis dire dun inconscient sauvage, quun inconscient analys a des proprits singulires, quun inconscient plus son lucidation, a fait quon rve autrement, a fait quon nest pas soumis aux actes manqus et aux lapsus de tout le monde, a nannule certes pas linconscient mais a fait que ses mergences se distinguent.

Freud imaginait que les analystes, priodiquement, tous les cinq ans disait-il, referaient une tranche. Ctait dire quil sintressait linconscient de lanalyste, et cest une insistance quon ne peut pas mconnatre. Cest le ressort de lanalyse du contre-transfert. Dans lAssociation internationale de Psychanalyse en effet a reste un ressort essentiel. Les analystes praticiens, quand ils oprent, sont aussi attentifs leurs formations de linconscient qu celles de leur patient, voire davantage, cest--dire quils continuent de sanalyser en mme temps quils analysent le patient, et comme leur cas ils le connaissent mieux que celui du patient et quils sy intressent davantage (rires), videmment a finit par recouvrir le cas : ils ne parlent plus que du leur ! (rires) Il est traditionnel chez les lacaniens de sen moquer. Nanmoins cela tmoigne de ce qui nest pas oublier : le rapport de lanalyste son inconscient. Sans doute, le lieu o ce rapport est laborer, a nest pas la pratique analytique elle-mme. Lanalyste en tant quil fonctionne na pas dinconscient, en tout cas cest ce que sa formation doit lui avoir permis dobtenir. Mais, cet inconscient, il la. Et - cest ce que je propose -, il a llaborer, il a llucider et il a en tmoigner, tmoigner, si je puis dire, de linconscient post-analytique, aprs son investiture comme analyste. Cest l une dimension qui na pas encore t dgage. Il me semble nanmoins que si une Ecole de psychanalystes a un sens, cest quelle devrait permettre lanalyste de tmoigner de linconscient post-analytique, cest--dire de linconscient en tant quil ne fait pas semblant. Aussi bien, cela permettrait de vrifier que le dsir de lanalyste nest pas une volont de semblant, que le dsir de lanalyste est, pour celui qui peut sen prvaloir, fond dans son tre, quil nest pas, selon lexpression de Lacan, un vouloir la manque. L, sexpose une conomie de la jouissance qui, par lanalyse, doit avoir t remanie. Faut-il poser la question de la jouissance de lanalyste ? Dans quelle mesure est-ce quil jouit de son acte ? Dans quelle mesure au contraire doit-il se tenir distance de la jouissance de lacte ? Est-il, dans cet acte, pris dans une compulsion de toujours-plus ? Il est vrai que la dstandardisation de la pratique, suite Lacan, est faite pour favoriser le toujours-plus, toujours-plus de patients : la question se pose de la jouissance qui est l implique. En tout tat de cause la question est pose de linconscient comme critre. Cest la question que pose la passe, qui fait de la modification du rapport du sujet son inconscient le critre du recrutement. Cela doit stendre, au-del du recrutement, lanalyste recrut. Quel rapport continue-t-il davoir avec linconscient ? Quel rapport a, avec son inconscient, un sujet qui, tout le long du jour, traite linconscient des autres ? Est-il excessif de demander que, dans le cadre de son Ecole, cet analyste soit capable de tmoigner - comme on tmoigne dans la passe -, soit capable de tmoigner de la relation quil entretient avec son Je ne veux pas ? Freud, en 1933, na pas cru en dessous de lui, alors quil se livrait aux spculations les plus audacieuses sur la thorie analytique, les plus novatrices, il na pas cru en dessous de soi de donner le tmoignage de lattention extrme quil portait ses formations de linconscient. Jai toujours essay de suivre cette leon (JAM parle comme pour lui-mme, les yeux ferms et trs doucement). Les cours que je peux vous faire, que je le dise ou que je ne le dise pas, sont toujours lis, si je puis dire, un de mes rves, je pars toujours dun Einfall, dune ide qui me passe par la tte. Jai un canevas, bien sr, de mathmes, mais je ne viens jamais, devant vous, le mme, je viens devant vous toujours comme un sujet de linconscient, en tout cas jaime le croire. Et cest dans cette discipline que je trouve le ressort de poursuivre encore, aprs tant dannes, lucider, sans doute, ce qui nous occupe tous, collectivement, la pratique analytique, mais lucider, plus secrtement, plus discrtement, ce qui, comme sujet, me motive dsirer, aimer et parler. la semaine prochaine (applaudissements).

LOrientation lacanienne 2008-2009

Jacques-Alain Miller

Choses de finesse en psychanalyse IIICours du 26 novembre 2008

Jai reu, hier soir, un mail, en provenance de Buenos Aires o on est parfaitement instruit de ce qui magite ici toujours par le biais lectronique , et ce mail me proposait une rfrence pour ce Cours que jai intitul Choses de finesse en psychanalyse. Je reois ainsi, par ce canal, des contributions dont jusqu prsent je nai pas fait tat, mais celle-ci ma retenu. Elle est de Graciela Brodsky, mon amie Graciela, qui a t mon successeur comme prsidente de lAssociation mondiale de Psychanalyse, elle mcrit en espagnol, je traduis. Concernant Freud et le dchiffrement de son propre inconscient, il y a la lettre quil adressa Istvan Hollos en 1928 et que toi-mme as publi dans Ornicar ? numro 32 en 1985. Cest une pieza preciosa cest une pice rare, prcieuse, cest un morceau de prix, de choix. Son amour pour linconscient et son mpris de la thrapeutique sont mouvants. Et donc mest redevenue prsente cette lettre, qui tait alors indite en franais, et que mavaient procure les traductrices dun volume qui tait alors paratre, qui est donc paru il y a maintenant bien longtemps et qui sintitule Souvenirs de la Maison-Jaune. La Maison-Jaune ctait un asile de Budapest o Istvan Hollos a t mdecin-chef. Il tait lami de lautre psychanalyste hongrois, qui est plus connu, Ferenczi, il avait t lanalysant de Paul Federn, ctait lun des tout premiers psychanalystes hongrois et Budapest un didacticien comme on disait lpoque rput o allaient se former les jeunes aspirant la qualit de psychanalyste. A ce titre il connaissait Freud et donc il a pens lui adresser les Souvenirs, quil a rdigs sous une forme romanesque, de sa direction de cet asile. Il y traite en fait des questions que comme psychanalyste et comme homme cette pratique pouvait lui poser car il tait aussi psychiatre. Les traductrices mavaient confi comme bonne feuille cette lettre, et javais choisi quelques pages du livre de Hollos. Freud accuse rception de louvrage par cette petite lettre, au fond la lettre quil na pas crite Lacan quand quatre ans plus tard Lacan lui a adress sa thse de psychiatrie : Freud sest alors content dune carte postale, que javais place jadis sur la couverture de ma revue Ornicar ?. Lacan avait laiss ce document en cadeau un de ses patients, marquant par l une certaine indiffrence lgard du carton de Freud, et sans doute un petit ressentiment lendroit de Freud de ne pas avoir honor cet envoi dun commentaire comme cest le cas pour Hollos. Freud, dans cette lettre que je vous lirai puisquelle est assez brve, fait tat de ce que cet ouvrage la conduit une lecture subjective. Il faut entendre par l quil en a t touch, que a na pas seulement mis en branle pour lui la rflexion, que cette lecture ne sest pas faite pour lui au niveau du concept, mais que louvrage a rsonn pour lui et sur un certain fond de mystre parce quil ne sexplique pas tout fait sa propre raction. Sa raction, telle quil la laisse entrevoir, telle quil la nomme, est de sourde opposition la pratique asilaire de Hollos. Et, en effet, on sent, travers cette lettre, que, chez Freud, cest le refoulement qui est vis, quelque chose de son Je-nenveux-rien-savoir. Alors, jen viens cette lettre qui fait trois paragraphes et qui est date de Vienne, octobre 1928. Cher Docteur, Ayant t avis que jai omis de vous remercier pour votre dernier livre, jespre quil nest pas trop tard pour rparer cette omission. Il y a eu un intermdiaire, l, qui a d signaler le fait Freud. Celle-ci mais enfin, il na pas crit la lettre quil aurait d crire, cest a le point de dpart, et dj son opposition se manifeste l : ce livre la drang cette omission ne provient pas dun manque dintrt pour le contenu, ou pour lauteur dont jai appris par ailleurs estimer la philanthropie. Dans cette expression destime pour la philanthropie dIstvan Hollos on sent dj comme une distance de Freud. Cette omission tait plutt conscutive des rflexions inacheves, qui mont proccup longtemps encore aprs avoir termin la lecture du livre, lecture de caractre essentiellement subjectif. Freud allgue que lomission de cet accus de rception est pris dans ses processus psychiques, et des processus sur lesquels il nest pas lui-mme compltement au clair puisquil qualifie ses rflexions dinacheves. Tout en apprciant infiniment votre ton chaleureux, votre comprhension et votre mode dabord dans le romansouvenirs en question , je me trouvai pourtant dans une sorte dopposition qui ntait pas facile comprendre. Voil Freud dpass par un affect, ne comprenant pas le ressort dun affect. Je dus finalement mavouer cest une expression qui est au fond typique dans les efforts dauto-analyse. Je me demande parfois je tirerai a au clair cette anne si on pratique lauto-analyse. Lhtro-analyse, a cest certain, nous en avons tous les tmoignages, jen ai

moi-mme. Mais, lorsque je relis a de Freud, moi a me parle, parce que je suis continuellement en train dessayer de mavouer des choses. Et je sens bien quand je rsiste mavouer des choses je le sens bien une fois que je me les suis avoues, avant non. Je veux dire que, vraiment, depuis le dbut de ce Cours, il y a bien longtemps, je nai jamais progress que dans la voie de la confession, si je puis dire, de laveu moi-mme, et de la retransmission, videmment tamise, sophistique, sublime, lauditoire constitu par les prsents. Je manalyse une fois par semaine (rires), sous une forme plus ou moins, en gnral trs, masque. En tout cas japporte les rsultats du combat que jai pu mener avec mon Je-nen-veux-rien-savoir. Donc, a me parle ce Je dus finalement mavouer. Je dus finalement mavouer que la raison en tait que je naimais pas ces malades Graciela dit lgamment : son mpris de la thrapeutique, mais au fond dans le texte de Freud a va au-del, il naime pas les malades asilaires, cest un aveu soi-mme, qui a pu lui coter, et dont il sest dlivr dans une lettre prive qui est reste longtemps inconnue du public ; en effet ils me mettent en colre, je mirrite de les sentir si loin de moi et de tout ce qui est humain. Une intolrance surprenante et donc ce que Freud prsente au destinataire de cette lettre cest vraiment comme un morceau de son inconscient, si je puis dire, lui-mme en ressent une surprise Une intolrance surprenante, qui fait de moi plutt un mauvais psychiatre. Et, en effet, ce qui figure l, cest un aveu qui implique quil y ait, entre la psychiatrie et la psychanalyse, une profonde disjonction, chez Freud en tout cas au niveau inconscient disjonction dautant plus probante. Dernier paragraphe. Avec le temps, je cesse de me trouver un sujet intressant analyser a, cest le cas de beaucoup danalystes, qui ont dj beaucoup donn, croient-ils, dans cet exercice , tout en me rendant compte que ce nest pas un argument analytiquement valable. Donc il met en question l sa rticence, sa difficult sanalyser ou au moins se trouver intressant comme analysant. Cest pourtant bien pour cela que je nai pas pu aller plus loin dans lexplication de ce mouvement darrt. Donc il implique quil ne sanalyse pas assez pour que, laffect quil a ressenti, il puisse llucider de faon satisfaisante. Me comprenez-vous mieux ? Ne suis-je pas en train de me conduire comme les mdecins dautrefois lgard des hystriques ? Comment se conduisaient les mdecins dautrefois lgard des hystriques ? Ils avaient une attitude en effet de distance et de mpris, Freud est all l contre, il les a coutes passionnment, l il navait pas de mouvement darrt, et il implique que la passion quil a eue pour la parole de lhystrique, il la paye davoir de la rpulsion pour le psychotique. Mon attitude serait-elle la consquence dune prise de position de plus en plus nette dans le sens de la primaut de lintellect, lexpression de mon hostilit lgard du a ? A lpoque, en effet, 1928, la charpente, la structure de la rflexion de Freud est au temps de la seconde topique et donc passe par les catgories du moi, du surmoi et du a : a a tout son prix que Freud l se mette en question propos de ce qui serait son hostilit inconsciente lendroit du a et dun a qui dans la psychose, selon sa thorie, prend une place qui outrepasse le cadre que le moi devrait donner la vie psychique. Mon attitude serait-elle lexpression de mon hostilit lgard du a ? Ou alors quoi ? Et l-dessus, formule de politesse de Freud. Ou alors quoi ? Freud arrte ce petit morceau de confessions sur lindtermin de ce qui lanimerait, et donc sur laveu, qui est peut-tre encore le plus prcieux de tous, quil reste un mystre pour lui-mme, quil nest pas au clair, quen effet, quelques signes, cet affect sourd, lcho qua trouv ce livre en lui, il est dchiffrer encore son tre. Et tout a part de laveu : Je naime pas ces malades, et mme : Ils me mettent en colre, o il implique une attitude subjective, une position subjective, quil constate sans lapprouver. Graciela dit que cette lettre tmoigne de son amour pour linconscient. Eh bien, elle tmoigne, peut-tre, dabord, de sa rpulsion lendroit de la psychose, et, certainement, du rapport quil entretient avec son Je-nen-veux-rien-savoir : le rapport avec son Je-nen-veuxrien-savoir suscite chez lui une interrogation qui va jusqu mobiliser les catgories thoriques dans lesquelles il est alors engag puisquil les invente comme celle du a et donc le moi et le surmoi. Alors, quand on enseigne, quand on pense, quand on essaye de penser, en psychanalyste, cest tout de mme trs avantageux de rester en rapport avec son Je-nen-veux-rien-savoir : tout simplement parce que a nest jamais puis. Il y a cette expression, que Freud emploie dans la Traumdeutung, de lombilic du rve, le point o en dfinitive les interprtations la fois convergent et semmlent et ouvrent sur un horizon indfini. Et donc lhomme qui a fait le premier recueil qui aujourdhui encore reste le seul de ses interprtations de ses rves, qui les a multiplies, est celui qui dit, in fine, que toutes ces interprtations sont inacheves, et quelles ne sont pas inacheves par fatigue ou lassitude, mais de structure, que tout rve comporte un ombilic, un point lhorizon pour le dire mathmatiquement , et quaucune interprtation nest, proprement parler, termine. Ce principe de linfini, ce principe freudien de linfini, est celui qui anime aussi bien son texte Analyse finie et infinie qui prescrit aux psychanalystes le retour dans la position danalysant, priodiquement, tous les cinq ans. Ce principe de linfini vaut pour linterprtation, on peut dire aussi : Interprtation finie et infinie, certains gards, en effet, on sarrte, a se boucle, et, sous un autre angle, cest encore poursuivre. Et cest le mme principe de linfini qui inspire Freud plus tard, dans Inhibition, Symptme et Angoisse, voquer, en-de de tout refoulement susceptible dtre lev, le refoulement fondamental, comme il lappelle, qui, lui, est indpassable, qui pour le sujet est ternel, et dont il dit

mme quil attire lui tous les refoulements. Il est, comme dans la thorie de la gravitation, une masse attirant elle les refoulements partiels, quon surmonte indfiniment sans parvenir la compltude. Cest, l, lincompltude de lentreprise analytique, pour tout sujet, dont Freud est anim, et que Lacan, sans doute, un moment, sans nier le refoulement primordial, ou fondamental, a essay dinvalider avec sa construction dite de la passe, pour des raisons videmment fondes, mais qui, nanmoins, se sont trouves mises en question et dfaites dans la suite de son enseignement, de telle sorte que ce principe freudien de linfini est remettre lordre du jour. Freud est dans sa vie quotidienne en rapport avec son Je-nen-veux-rien-savoir comme Lacan disait quil ltait et que son enseignement tait issu de ce rapport. Par des voies videmment diffrentes, cest, comme jen ai tmoign, en tout cas le sentiment qui manime, qui fait parfois, je lavoue, mes retards (rires) arriver ici, dans le dsir de forcer un peu plus loin ce que je peux sentir comme une barrire. Alors, cest formidable ! le refoulement primordial, cest formidable parce que cest une ressource, cest lassurance que tout nest pas dit par vous en tout cas , et cest aussi ce qui permet incessamment de transformer ce qui vous sert dinstrument penser, construire, ou vaquer dinstrument vaquer vos occupations routinires aussi bien , cest ce qui permet de transformer ce qui est instrument de la rflexion en obstacle : ce qui vous a servi au temps 1, se rvle au temps 2, en fait, avoir masqu ce que vous pourrez trouver au temps 3. On appelle a se remettre en cause. Cest : remettre en obstacle ce qui vous sert dinstrument. Ah, il ne faut pas mlanger les temps. Si, peine vous vous saisissez de linstrument, vous voyez, tout de suite, que cest un obstacle, vous tes coinc. Il faut laisser le temps. Sil y a un embouteillage temporel, vous tes K.O. Prserver ce rapport avec le Je-nen-veux-rien-savoir, cest une discipline, on pourrait mme dire que cest une ascse, mais, quand on aime linconscient, cest une ascse jubilatoire mme si ce quon trouve nest pas forcment rjouissant, mme si la vrit est horrible comme pouvait le dire Lacan , maintenir le rapport avec son Je-nen-veux-rien-savoir, pour le forcer, cest ce qui explique que Lacan ait laiss passer cette indication de ce que lenthousiasme lui tait, en dfinitive, insupportable. Cest ce quon peut dduire de la prface dont il a orn son Rapport de Rome, son grand texte fondateur de son enseignement, assise de son enseignement, produit en 1953 mais rdit en 1966 dans ses Ecrits et quune prface prcde dont la premire phrase est : Un rien denthousiasme est dans lcrit la trace laisser la plus sre pour quil date, au sens regrettable. En effet, cet crit fait date, au sens positif, et Lacan, de le relire, souligne : Trop denthousiasme (JAM a le doigt lev vers lassistance), rien ne vieillit comme lenthousiasme. Lenthousiasme sexplique par les circonstances. Une scission venait davoir lieu dans ce qui tait jusqualors la seule association psychanalytique franaise, la Socit psychanalytique de Paris, une nouvelle association se formait, la Socit franaise de Psychanalyse, emmene par lquipe des humanistes. Lacan, et puis, il faut dire, Lagache, oubli aujourdhui, auquel nous devons pourtant (JAM soupire) linvention de la psychologie clinique il y aurait beaucoup dire , Mme Favez Boutonnier, encore plus oublie, dont je pourrais parler non pas dabondance parce que jai assist lpoque en Sorbonne un seul de ses cours, je ny suis jamais revenu , et puis Franoise Dolto, dont on clbrait il y a peu un anniversaire. Vu de 1966 o ce groupe avait clat Franoise Dolto restant avec Lacan , ou vu de 2008, lenthousiasme de 1953 est un tmoignage historique, mais apparat, en effet, dsuet. Mais cest lenthousiasme lui-mme qui ne convient pas au psychanalyste. Parce que lenthousiasme, cest loubli de linconscient, cest loubli de la permanence de linconscient. Lenthousiasme, cest un Nous y sommes, Ca y est ! Cest nommer, en effet, du seul nom o on puisse vraiment y tre compltement, cest--dire du nom de dieu. Enthousiasme porte la racine grecque pour une fois elle est simple en theos : en dieu. Un mouvement de transport en dieu, ou une descente de dieu sous la forme de linspiration en grec : enthousia. Enthousia cest le mot dont on qualifiait les dlires sacrs de la pythie ou de la sibylle transmettant les paroles dApollon. Pour nous, dans notre langue, a qualifie un tat dexaltation ou une motion intense, individuelle ou aussi bien collective. Le Robert dit : Un tat privilgi o lhomme, soulev par une force qui le dpasse, se sent capable de crer. Cest : soulev par une force qui le dpasse.

Cest rapprocher de laveu de Freud de son loignement de tout ce qui peut rappeler lillusion ocanique, le sentiment, dont on peut tre envahi, de participer la nature, lordre des choses, et den ressentir une certaine exaltation, qui a t loccasion cultive par les potes, beaucoup au XIXme, je pense Wordsworth, ou Goethe lui-mme. Freud tmoignait dun Trs peu pour moi lendroit de ce sentiment.

Je ferai un sort la citation que le Robert donne de Jean-Jacques Rousseau propos de lenthousiasme et qui dit bien les choses pour nous. Ca vient de La Nouvelle Hlose : Lenthousiasme est le dernier degr de la passion. Quand elle est son comble, elle voit son objet parfait : elle en fait alors son idal ; elle le place dans le ciel. Et Rousseau dit alors que le langage de la dvotion sacre est le mme que le langage de lamour. Ca dsigne prcisment lenthousiasme par la mtamorphose de lobjet damour, par la divinisation de petit a. Ce petit a cause du dsir, que Lacan a pu qualifier de saloperie, prend valeur de souverain bien. Et cest spcialement l que lenthousiasme se collectivise, cest--dire que, selon le schma freudien, il est mis en dnominateur commun par un certain nombre de sujets, qui se fondent l dans leur nous, nous autres, et qui fabriquent conjointement la force qui les dpasse, qui nest autre que la puissance mme de la foule organise, du groupe quils constituent. Si lon veut, cest une motion de sublimation. Dune faon modre sans doute par la distance, nous avons eu rcemment chez nous un cho de lenthousiasme amricain pour une figure, rare, certainement mritante, qui a en effet t porte aux nues, qui est toujours objet despoir, dexpectative, vou tre progressivement recadr (rires), tamponn, et produisant des dceptions diverses ce qui ne retire rien lhabilet du personnage, que jtudie de prs. Mais le sentiment que javais quon avait l un grand rus, qui lui ntait pas du tout pris dans cet enthousiasme, se vrifie. Lhomme du changement reprend tous les anciens et un certain nombre de ses partisans narrivent pas faire cadrer tout fait cette image de recommencement absolu avec ce recyclage des dchets des administrations prcdentes (rires). On a chapp au pire hier puisquil sapprtait nommer comme directeur de la CIA un partisan de la torture la Bush, si je puis dire, et puis, in extremis, la dception dun certain nombre tant quand mme trs vocale, il a recul. Mais enfin, moi qui nai pas partag lenthous