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Chimie organique : Substitutions nucléophiles et éliminations Nicolas Dubouis : [email protected] Coordonnées réactionnelles Ep X H Et Nu X Nu H Et Nu Et H X E R Et E P S N 2 Figure 1– Profil énergétique d’une réaction de substitution nucléophile bi-moléculaire (SN 2) 1

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Chimie organique : Substitutions nucléophiles et éliminations

Nicolas Dubouis : [email protected]

Coordonnées réactionnelles

Ep

X

H EtNu

XNu

H Et

Nu

EtH X

ER

Et‡

EP

SN2

Figure 1 – Profil énergétique d’une réaction de substitution nucléophile bi-moléculaire (SN 2)

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Sommaire

1 Généralités 31.1 L’atome de carbone, central en chimie organique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31.2 Substitutions nucléophiles, éliminations : quels composés ? . . . . . . . . . . . . . . . 31.3 Propriétés physico-chimiques des composés halogénés . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31.4 Nucléophilie, électrophilie, nucléofugacité, basicité : définitions et propriétés sous-

jacentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41.5 Classes de substrats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61.6 Mécanismes réactionnels, mésomérie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61.7 Diagramme d’énergie et postulat de Hammond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

2 Substitutions nucléophiles sur les dérivés halogénés 82.1 Généralités, bilan de la réaction, mécanismes limite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82.2 Substitution nucléophile bi-moléculaire (SN2) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92.3 Substitution nucléohpile mono-moléculaire(SN1) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92.4 SN2 vs. SN1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122.5 Complément : transpositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

3 β-Éliminations sur les dérivés halogénés 143.1 Généralités, bilan de la réaction, mécanismes limite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143.2 Élimination bi-moléculaire (β-E2) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143.3 Élimination mono-moléculaire (β-E1), réaction parasite de la β-E2 . . . . . . . . . . 163.4 Facteurs favorisant la réaction parasite β-E1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163.5 Complément : Déshydratation des alcools en alcènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

4 Substitution nucléophile vs. éliminations 17

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1 Généralités

1.1 L’atome de carbone, central en chimie organique

Une molécule organique est une molécule possédant au moins un atome de carbone et un atomed’hydrogène. Elle peut comporter d’autres atomes, appelés hétéroatomes. On rencontrera fréquem-ment des molécules comportant des atomes d’oxygène (O), d’azote (N), des halogènes (notés X,avec X = F, Cl, Br, I, etc.), du soufre (S) ou encore du phosphore (P).

BL’atome de carbone (Z = 6, M = 12) possède 4 électrons de valence et ne serajamais engagé dans plus de 4 liaisons (simples).

1.2 Substitutions nucléophiles, éliminations : quels composés ?

Dans ce cours, nous traiterons principalement de la réactivité des composés halogénés (souventnotés R−X ; avec R radical organique et X = F, Cl, Br, I) qui en présence de composés nucléophiles(aptes à "donner" des électrons) peuvent réagir par substitution nucléophile, ou en présence decomposés basiques (au sens de Brønsted) peuvent donner lieu à des réactions d’éliminations. Nousétudierons aussi - plus sommairement - la réactivité d’autres composés tels que les alcools (R−OH)en présence de ces composés nucléophiles ou basiques.

1.3 Propriétés physico-chimiques des composés halogénés

Propriétés physiques Les propriétés physiques (température d’ébullition, moment dipolaire,polarisabilité, etc.) des composés halogénés dépend particulièrement de deux facteurs. Tout d’abordl’atome d’halogène impliqué. Plus il est haut dans la colonne des halogènes, plus son électronégativitésera élevée. Nous avons ainsi χ(F) > χ(Cl) > χ(Br) > χ(I) (le fluor étant l’élément le plusélectronégatif de la table périodique).

Aussi l’ordre de la longueur de la liaison C−X ainsi que la force de cette dernière (enthalpie dedissociation de la liaison) sont liés à cette grandeur. Plus l’halogène est petit, plus la liaison seracourte (135 pm pour le fluor) et forte (d(C−F)−−485kJ ·mol–1) et plus il sera gros, plus la liaisonsera longue (214 pm pour l’iode) et facile à rompre (d(C−F)−−215kJ ·mol–1). Le carbone ayant uneélectronégativité plus faible que tous les halogènes, la liaison C−X est polarisée. Notons bien quele moment dipolaire de la liaison CH3−X est fonction de la différence d’électronégativité entre Xet C mais aussi de la longueur de liaison (le moment dipolaire d’une liaison correspond au produitde la charge portée sur les atomes, qui est donc relative à la différence d’électronégativité et de lalongueur de liaison) . Ainsi, l’évolution du moment dipolaire n’est pas monotone en fonction de lapériode.

BIl ne faut pas confondre la polarité d’une liaison et celle d’une molécule. Ainsi, bien que com-portant quatre liaisons C−Cl polarisées, la molécule symétrique CCl4 ne possède pas de moment

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dipolaire. En effet, le moment dipolaire est un grandeur vectorielle. Le moment dipolaire d’unemolécule sera donc la somme des moments dipolaires de liaisons, comme illustré Figure 2.

OHH

µ1µ2

µtot

C

Cl

Cl

ClCl µ1

µ2

µ4 µ3

µtot = 0

Figure 2 – Illustration de la notion de moment dipolaire sur la molécule d’eau et de tétra-chlorométhane

Plus généralement, ces composés halogénés sont généralement plus denses que l’eau, et possèdentun bon pouvoir solvant.

Propriétés chimiques Du fait de la différence d’électronégativité, la liaison carbone-halogèneest polarisée comme le montre la Figure 3. La charge partielle positive (notée δ+) portée par lecarbone traduit un "manque" d’électrons au niveau de cet atome, ce qui lui confère des propriétésélectrophiles. Il réagira donc de manière préférentielle avec des espèces électrophiles. Nous revien-drons plus en détail sur ces notions dans le sous-partie suivante. Un des points important est la

C Br

H

H

Hδ+

δ−

Figure 3 – Molécule de fluorométhane

différence entre polarité d’une liaison (i.e. la différence d’électronégativité entre les atomes impliquésdans la liaison) et la polarisabilité d’une liaison. La polarisabilité désigne la capacité d’un nuageélectronique à se déformer sous l’action d’un champ électromagnétique extérieur. La polarisabilitéatomique augmente avec le volume des atomes. Le moins l’atome d’halogène engagés dansune liaison C-X est électronégatif, le moins il retiendra les électrons de la liaison, et le plus cettedernière aura de facilité à se déformer.BLa polarisabilité des liaisons C-X augmente de manière inverse à sa polarité. Ainsi, une liaisonC−I sera plus facilement déformable qu’une liaison C−F et donc plus réactive.

1.4 Nucléophilie, électrophilie, nucléofugacité, basicité : définitions et propriétéssous-jacentes

Nucléophilie : Une espèce est dite nucléophile si elle porte un doublet d’électrons nonliant (ou faiblement lié). Une espèce nucléophile peut être porteur d’une charge formelle négative,ou bien être neutre. Voici quelques exemples d’espèces nucléophiles : les halogénures, les amines,les alcools et alcoolates, les thiols (R−SH) et les thiolates, les phosphines (équivalent phosphoré

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des amines), l’atome de carbone de l’ion cyanure (CN– ). Il existe d’autres espèces nucléophiles(organométalliques, etc.) qui seront étudiées ultérieurement.

Électrophilie : Un atome d’une molécule est dit électrophile si il "aime les électrons"i.e. qu’il est déficient en électron. On identifie un atome électrophile en regardant si : il porte unelacune électronique, est engagé dans une liaison multiple délocalisable (on peut faire apparaître unelacune électronique en écrivant les formes mésomères de la molécule), il est lié à un atome bien plusélectronégatif (comme dans le cas de la Figure 3). Dans ce cours, nous étudierons particulièrement lesespèces électrophiles suivantes : carbocations (atome de carbone portant une lacune électronique) etles atomes de carbones liés à un groupe plus électronégatif. Plus généralement, les carbones portantun groupe carbonyle (C−−O) ou les atomes de bore et d’aluminium dans les espèces BF3etAlCl3 sontdes électrophiles fréquemment rencontrés en chimie organique.

Réactivité entre électrophile et nucléophile Comme vu sommairement dans la sous-partieprécédente, les espèces nucléophiles auront tendance à réagir avec des espèces compor-tant un atome électrophile. Dans ce chapitre, nous étudierons la réactivité des halogénoalcanes(dont le carbone lié à l’atome d’halogène est électrophile) avec différentes espèces nucléophiles. Cetteréactivité sera étudiée dans le cadre de deux mécanismes limites : les subsitutions nucléophiles bi-moléculaires (SN2) ou mono-moléculaires (SN1).

Nucléofugacité : La nucléofugacité d’un atome (ou d’un groupe d’atomes) mesure son aptitude à"quitter" un noyau (un centre positif). Nous étudierons tout particulièrement les groupes nucléofugessuivants : les halogénures (et tout particulièrement les iodures et bromures) et plus sommairementles tosylates et le groupe OH2.

BIl a été montré empiriquement que la nucléofugacité d’un groupe se corrèle avecsa basicité. Ainsi, des groupes fortement basiques tels que les alcoolates (R−O– ) ou legroupe OH– sont de mauvais groupes partants.

Basicité : La basicité, au sens de Brønsted mesure la capacité d’une espèce à capter un proton.Elle se mesure avec le pKa. Ce dernier étant définit comme − log(Ka) avec Ka le quotient réactionnelde la réaction BH + H2O=B– + H3O+. Plus le pKa est élevé, plus l’espèce B- est basique.BIl existe des espèces basiques non chargées (par exemple le pKa de NH +

4 /NH3 est de 9,2 ce quifait de NH3 une espèce basique).

Nucléophilie vs. basicité : Comme vu précédemment, des espèces nucléophiles et basiquespossèdent des points communs. Elles sont toutes riches en électrons. Ainsi, une espèce basiqueaura un comportement nucléophile. Il existe cependant des espèces fortement basiques mais trèspeu nucléophiles. Ces espèces auront pour propriété d’êtres fortement encombrées. En effet, lanucléophilie mesure l’aptitude d’une espèce à réagir sur un centre électrophile. Une espèce fortement

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encombrée aura peu tendance à réagir sur un centre électrophile. Des exemples de ces espèces sontmontrées Figure 4.

NLi+

diisopropylamidure de lithium (LDA)

OK+

tert-Butylate de potassium (t-BuOK)

Figure 4 – Exemples de bases fortes non nucléophiles

1.5 Classes de substrats

Un point de nomenclature s’impose. On désignera par substrat un groupe intervenant dans uneréaction chimique. On distinguera cinq types de substrats :

1. Les substrats primaires, pour lesquels l’atome de carbone est lié au plus à un atome de car-bone (CH3CH2Br)

2. Les substrats secondaires, l’atome de carbone est lié à deux atomes de carbone ((CH3)2CH−Br)

3. Les substrats tertiaires, l’atome de carbone est lié à trois atomes de carbone ((CH3)3C−Br)

4. Les substrats allyliques, l’atome de carbone est lié à un carbone portant une fonction alcène(CH2−−CH−CH2−Br)

5. Les substrats benzyliques, l’atome de carbone est lié à un groupement benzyl (ou phényl)(Ph−CH2−Br)

1.6 Mécanismes réactionnels, mésomérie

Dans les partie suivantes, nous étudierons des mécanismes réactionnels. Ces mécanismes réac-tionnels nous permettent de rationaliser des observations expérimentales sur la manière dont lesmécanismes se passent. Ainsi, nous indiquerons par une flèches courbée et dans un sens un mouve-ment d’électrons.

Commentons l’exemple donné Figure 5 : le mécanisme présenté ici correspond au transfert d’unproton d’une molécule d’eau H2O sur un hydroxide deutéré DO– . Les flèches courbes sur lagauche représentent le mouvement d’un doublet d’électrons porté par l’atome d’oxygènevers le proton et la rupture de la liaison O−H de la molécule d’eau. Les flèches au centre montrent

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D

OH

OH D

OH

O H+ +

A/B

Figure 5 – Illustration d’un mécanisme réactionnel pour le transfert d’un proton

que cet acte élémentaire est réversible (la réaction inverse peut avoir lieu, par sécurité il est plusjudicieux d’indiquer que tous les actes élémentaires son réversibles, on peut en effet montrer qu’ilexiste un principe de micro-réversibilité i.e. que tous les actes élémentaires sont reversibles). On diraqu’il s’agit d’une étape élémentaire. Une étape élémentaire d’une réaction ne se fera quetrès rarement en la présence de plus de deux molécules (la probabilité d’un choc à troiscorps étant quasi-nulle sans préassemblage préalable).

BOn prendra soin de noter au dessus de la double flèche le type de réaction impli-qué. Ici, il s’agit d’une réaction acido-basique, notée A/B.Il est aussi important de noter que les doublets d’électrons, et les charges associées, représentéssur les molécules ne sont que des représentations formelles. En réalité, les électrons ne sont paslocalisés sur un atome, ou dans une liaison, mais peuvent être délocalisés. Un outil nous permet dereprésenter cette délocalisation électronique, il s’agit de la mésomérie. Un exemple du formalise del’écriture de formes mésomères est donné en Figure 6.

O

H

O

H

Figure 6 – Illustration de l’écriture de formes mésomères traduisant la délocalisation électronique au sein d’unemême molécule

Les flèches représentant les mouvement des électrons sont les mêmes que celles utilisées lors d’unmécanisme. Cependant la flèche utilisée entre les deux formes est une flèche double (et non unedouble flèche !). Pour éviter toute confusion entre écriture d’une étape élémentaire d’un mécanismeréactionnel et délocalisation électronique traduite par l’écriture de formes mésomères nous placeronsles formes mésomères entre crochets (comme en Figure 6 et utiliserons une couleur spécifique (rougeici) pour l’écriture des formes mésomères.

1.7 Diagramme d’énergie et postulat de Hammond

Les mécanismes réactionnels permettent de rationaliser des observations expérimentales sur lamanière dont se déroulent des réactions. Néanmoins, il serait faux d’affirmer que lors d’une réactionchimique, l’on puisse passer directement d’une espèce chimique à une autre. En effet, chaque acteélémentaire se déroule de manière "continue" : le système traverse différents états d’énergie, entre

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deux minimums locaux d’énergie. Nous pouvons représenter ce chemin réactionnel en traçant desdiagrammes d’énergie, comme celui présenté en couverture de ce cours. Le principe est de tracer,en ordonnée, l’énergie potentielle du système en fonction d’une grandeur nommée "Coordonnéesréactionnelles" (portée en abscisse). La notion de coordonnée de réaction est assez abstraite. Ellepeut être comprise comme étant une grandeur, souvent géométrique (angle, distance, etc.), modifiéelors de la transformation du système chimique. Il peut s’agir par exemple de la distance entre deuxatomes bien définis.

Les notions clefs à retenir pour interpréter ce type de tracé sont les suivantes :

1. Si la réaction comporte un unique acte élémentaire, on représentera les réactifs, les pro-duits. Le système passera par un maximum local en énergie. Ce dernier sera nommé état detransition, et noté E‡T

2. Si il y a plusieurs actes élémentaires, comme dans le cas de la SN1 que nous étudierons plustard dans ce chapitre, il y aura autant d’états de transition que d’actes élémentaires.

3. Dans le cas précédent, entre deux états de transition, le système passera par un minimumlocal en énergie, nommé intermédiaire réactionnel (et noté IR)

4. L’état de transition n’est pas une espèce chimique, au contraire de l’intermédiaire réactionnel,il est impossible de l’isoler

5. L’énergie nécessaire à apporter au système pour que la réaction ait lieu correspond entrela différence d’énergie entre l’état de transition et celle du système initial. Elle est appeléeénergie d’activation, et notée E‡a

Postulat de Hammond Lorsque deux états, par exemple un état de transition et un intermédiaireinstable, se succèdent dans un processus réactionnel et ont presque la même énergie, alors leurinterconversion ne nécessite qu’une faible réorganisation des structures moléculaires.

Autrement dit, l’état de transition d’un système sera proche en structure des étatsqui lui sont proches en énergie (et réciproquement !). Ce postulat nous permet d’avoirune représentation de l’état de transition, et d’étudier les facteurs influençant sa sta-bilité (et donc son niveau en énergie).

2 Substitutions nucléophiles sur les dérivés halogénés

2.1 Généralités, bilan de la réaction, mécanismes limite

Les réactions de substitution nucléophiles consistent en le remplacement d’un atome (ou grou-pement d’atomes) par un atome (ou groupement d’atomes) nucléophiles. Le groupe remplacé doitposséder une certaine aptitude nucléophuge et est porté par un carbone. L’équation bilan de laréaction sera :

R−X + Nu− = R−Nu + X− (1)

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avec X le groupement nucléfuge et Nu le nucléophile. Les réactions que nous étudierons ici sedéroulent sous contrôle cinétique, c’est-à-dire que le produit majoritairement obtenu est le produitle plus vite formé (au contraire, une réaction est dite sous contrôle thermodynamique si le produitobtenu correspond au produit le plus stable).BLe nucléophile n’est pas obligatoirement chargé négativement !

Observations expérimentales Pour certains composés (majoritairement primaires aliphatiques),si le nucléophile et le substrat sont introduits dans des proportions similaires, on observe que lavitesse de réaction (définie soit comme la vitesse de disparition d’un réactif ou d’apparition d’unproduit) prend la forme : r = k.cRX .cY . On dit que l’ordre de la réaction est de deux. Pour d’autrescomposés (majoritairement tertiaire aliphatiques, allyliques et benzyliques), dans des conditionssimilaires, la vitesse de réaction prend la forme r = k.cRX . L’ordre de la réaction est donc de 1.

BLorsqu’on se place dans des conditions opératoires dites de solvolyse, i.e. qu’un des réactifs (engénéral le nucléophile), ces observations ne s’appliquent plus. On est dans ces conditions appelées"dégénérescence de l’ordre" et l’ordre apparent des réactions est de 1 dans les deux cas.

Ces observations expérimentales nous conduisent à distinguer deux mécanismes limites. Pour lepremier cas, on peut rationaliser ces observations en proposant un mécanisme en une étape élémen-taire bi-moléculaire. On parlera dans ce cas SN2 (substitution nucléophile bi-moléculaire). Pour lesecond cas, un mécanisme en deux étapes élémentaires, dont la première est mono-moléculaire etdite cinétiquement déterminante (c’est elle qui détermine la cinétique de la réaction). On parleradans ce cas de SN1 (substitution nucléophile mono-moléculaire).

2.2 Substitution nucléophile bi-moléculaire (SN2)

Comme son nom l’indique, cette réaction est bi-moléculaire (d’où le 2 !) et peut être d’ordredeux cinétiquement parlant. La SN2 a lieu en un acte élémentaire. Le mécanisme schématique estreprésenté sur le diagramme énergétique donné en Figure 7.

Le mécanisme passe par état de transition plan (le nucléophile commence à se lier au carboneélectrophile et le nucléofuge - ici un halogène - commence à partir). Aussi, il est important denoter qu’il y a une inversion de Walden (ce qui correspond formelement à une inversion dela configuration du carbone portant le nucléofuge lors de la réaction) . La réaction est alors diteénantiospécifique : l’énantiomère du substrat est transformé en l’énantiomère du produit. Laréaction est donc stéréosélective (forme majoritairement un stéréoisomère) et stéréospécifique (lastéréochimie du produit formé ne dépend que de celle du réactif).

2.3 Substitution nucléohpile mono-moléculaire(SN1)

Le mécanisme de SN1, substitution nucléophile mono-moléculaire (d’où le 1 !) est un mécanismeen deux actes élémentaire. La première étape consiste au départ du nucléofuge pour former un

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Coordonnées réactionnelles

Ep

X

H EtNu

XNu

H Et

Nu

EtH X

ER

Et‡

EP

SN2

Figure 7 – Diagramme énergétique et mécanisme d’une SN 2

carbocation. Le mécanisme limite est représenté Figure 8. Et la seconde correspond à l’addition dunucléophile sur le carbocation.

X

H Et

H

Et

SN1

- X

H

Et

+ Nu

H

Et Nu

Figure 8 – Mécanisme limite d’une SN 1

Il est essentiel de retenir que l’étape cinétiquement déterminante d’une telle réac-tion est la formation du carbocation. C’est elle qui dictera la cinétique de la réaction. Une autrenotion importante est la géométrie du carbocation : la géométrie de l’atome de carbone portant lalacune électronique (et la charge positive associée) est déterminante pour la stéréosélectivité de laréaction. En effet, si le nucléophile ne présente pas de chiralité, l’attaque de ce dernier sur le carbo-cation se fera de manière équiprobable sur les faces de ce dernier. Nous obtiendrons donc un mélangede deux stéréoisomères (cela est symbolisé par la vaguelette dans la structure du produit final pourla liaison C−Nu). La réaction n’est donc pas stéréospécifique (elle peut néanmoins êtrestéréosélective si une source de chiralité supplémentaire est introduite).BObtenir un mélange de stéréoisomères ne signifie pas obtenir un mélange équimolaire des deuxstéréoisomères possibles. En effet, bien que localement plan, le carbocation peut présenter dessources de disymétries (particulièrement liés à des effets de solvants). On obtiendra un mélangeen proportions comparable si le nucléophile utilisé est assez peu nucléophile... (il ne peut attaquer

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que l’ion libre, et s’affranchit alors des causes de disymétrie causées par les effets de solvatation).

Stabilité du carbocation : Le carbocation est une espèce relativement peu stable. Cependant,c’est un état réel par lequel passe le système. On le qualifiera d’intermédiaire réactionnel (qu’il estimportant de différencier des états de transition : un intermédiaire réactionnel est un minimumlocal d’énergie sur un diagramme énergétique, alors qu’un état de transition est un maximum locald’énergie, comme montré Figure 9.

Coordonnées réactionnelles

Ep

X

H Et

Nu

ER

EP

H

Et

H

Et Nu

X

Nu

ET1‡ ET2‡

EIR

X

Figure 9 – Diagramme énergétique d’une SN 1

Il est capital de noter qu’un carbocation issu d’un substrat primaire ne se formera jamais. Lemécanisme de SN1 n’aura donc jamais lieu sur des substrats primaires. Au contraire, plus il y a degroupements alkyls sur le carbone portant le nucléofuge, plus le carbocation sera stabilisé. Ainsi, uncarbocation secondaire sera moins stable qu’un carbocation tertiaire (donc plus haut en énergie !).Certains carbocations peuvent être stabilisés par la présence d’autres groupes donneurs. d’électrons(par délocalisation électronique), comme le montre l’écriture des différentes formes mésomères enFigure 10.BOn n’observera jamais de carbocation issu d’un substrat primaire, sauf si celui-ci présente uneconjugaison particulière (substrat allylique ou benzylique par exemple).

Figure 10 – Écritures de formes mésomères montrant la stabilisation d’un carbocation par délocalisation électronique

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2.4 SN2 vs. SN1

Bien que dans la majorité des cas, les deux réactions ont lieu simultanément, il nous est possiblede prévoir laquelle sera prépondérante. Pour ce faire, nous allons nous intéresser à l’influence desdifférentes conditions expérimentales sur ces deux mécanismes limites. Gardons biens à l’esprit,que comme vu précédemment, la SN2 est une réaction mono-moléculaire, qui s’effectue en un acteélémentaire, tandis que la SN1 est une réaction en deux actes élémentaires, dont la formation ducarbocation est l’étape cinétiquement déterminante.

Ainsi, pour comparer ces deux réactions, il conviendra de comparer l’énergie d’activation (dif-férence entre l’énergie de l’état de transition et celle des réactifs) de la SN2 et celle de la premièreétape de la SN1 ce qui revient à comparer la stabilité des états de transition (les réactifs étant lesmêmes).

Comme vu dans la première partie, le postulat de Hammond nous affirme que la structure del’état de transition d’un acte élémentaire sera proche des espèces les plus proches en énergie. Dansle cas de la SN2, nous avons vu que l’état de transition était (Figure 7) quasi-intermédiaire entrele substrat et le produit de la réaction. Dans le cas de la SN1, l’espèce la plus proche de l’état detransition est le carbocation. Ainsi, sa structure sera proche de celle de ce dernier. Nous retiendronsque tout facteur stabilisant (ou déstabilisant) le carbocation diminuera (resp. augmentera) l’énergiede l’état de transition de l’étape cinétiquement déterminante.

2.4.1 Influence des substituants

La classe du substrat est le principal facteur déterminant si le mécanisme aura tendance à serapprocher de celui mono-moléculaire, ou bi-moléculaire. En effet, plus le substrat sera substitué,plus le nucléophile sera gêné dans son attaque (qui se fait de manière colinéaire à la liaison C−X) dusubstrat. On parlera de gêne stérique. Au contraire, plus la classe du substrat est élevée (plus il portede groupements alkyls), plus le carbocation formé lors de l’étape cinétiquement détermiannte de laSN1 sera stabilisé, ce qui via le corolaire du postulat de Hammond se traduira par une stabilisationde l’état intermédiaire de cette étape, et donc une augmentation de la cinétique de la réaction.

On retiendra que moins le substrat est de classe élevée, plus la probabilité d’avoirun mécanisme de type SN2 sera importante. Inversement, en présence d’un substrattertiaire, le mécanisme de type SN1 sera le plus probable.

2.4.2 Influence du nucléophile

Dans les conditions usuelles, le nucléophile n’a aucune influence sur la SN1. En effet, il n’inter-vient pas dans l’étape cinétiquement déterminante de cette dernière (formation du carbocation).

2.4.3 Influence du solvant

L’influence du solvant est complexe et dépend du mécanisme. Deux propriétés du solvant serontpertinentes à étudier : sa polarité (mesurée par la constante diélectrique relative ε et sa capacité à

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donner des liaisons hydrogènes (solvant protique si oui, aprotique si non). Plus un solvant est polaire,plus il interagira avec les espèces polaires (en particulier les espèces chargées !) et les stabilisera.Ainsi, l’augmentation de la polarité du solvant stabilise les carbocations et accélère lesréactions suivant un mécanisme de type SN1.

Dans le cas des mécanismes de type SN2 l’influence est plus complexe : il faut raisonner surla nature de l’état de transition. En présence d’un état de transition issu de l’addition d’un nu-cléophile chargé, l’état de transition est une espèce volumineuse est chargée et donc peu solvatéepar un solvant polaire que les réactifs initiaux. Ainsi, même si les deux états sont stabilisés parl’augmentation de la polarité du solvant, l’énergie d’activation augmente et la réaction est ralentie.Si le nucléophile est neutre, c’est le contraire : l’état de transition est plus polaire que les réactifs(la liaison (δ+)Nu−−−C−−−X(δ –) est fortement polarisée !) et donc stabilisé par l’augmentationde la polarité du solvant. La réaction sera donc plus rapide.

Les mêmes observations peuvent être reprises dans le cadre d’un solvant protique (donneur deliaison H) qui aura tendance à stabiliser les espèces au comportement de bases de Lewis.

2.4.4 Influence du groupe partant

Le groupe partant intervient aussi bien dans la SN1 que dans la SN2... Ce ne sera donc pasun critère discriminant. Nous nous conterons de retenir que la nucléofugacité d’un groupe décroîtquand sa basicité augmente (les alcoolates et groupes −OH sont de très mauvais groupes partants ; ilsdoivent être activés, par exemple par protonation, avant une éventuelle réaction). Pour les halogènes,il est important de retenir que les dérivés halogénés réagissent selon l’ordre suivant :

R-I > R-Br > R-Cl

2.5 Complément : transpositions

Nous avons vu que dans le cadre du mécanisme limite SN1 il y a formation d’un anion dont lacharge est portée par le carbone (carbocation). Aussi, ces espèces étant relativement peu stables (saufdans certains cas très particuliers), il est possible qu’elle se réarrange de manière intra-moléculairepour se stabiliser. Nous avons vu que plus le nombre de groupes alkyls est élevé au niveau du carbo-cation, plus celui-ci est stabilisé (les groupes alkyls sont des donneurs d’électrons). Dans certains cas,il peut donc y avoir une migration intra-moléculaire d’un groupe alkyl pour stabiliser le carbocationprécédemment formé. On parlera alors de transposition. Un exemple est donné Figure 11.

Ainsi, le produit formé n’est pas celui que l’on aurait pu prédire si on passait par un mécanismeclassique de type SN2 ou SN1. Notons aussi que la migration d’autres groupes que des groupesalkyls est envisageable, en particulier, celle d’un atome d’hydrogène.

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Br

Nu

Nu

- Br

Nu Nu

Figure 11 – Exemple d’une transposition

3 β-Éliminations sur les dérivés halogénés

3.1 Généralités, bilan de la réaction, mécanismes limite

Après avoir passé en revue les réactions de substitutions nucléophiles, nous allons nous intéresseraux réactions d’éliminations. Un point de nomenclature s’impose : on nommera carbone α le carbonefonctionnel et le/les atomes adjacents seront qualifiés de carbones β. On observe qu’un substratportant un groupe nucléofuge, comme un atome d’halogène, sur le carbone α et possédant un atomed’hydrogène sur le carbone β, placé en présence d’une base forte, peut perdre le groupe partant ainsique le proton en β et former un alcène. Ces réactions sont appelées réactions de β-éliminations.

L’équation de réaction est la suivante :

RaRbCβH−RcRdCα−X + B− = RaRbCβ−−CαRcRd + BH + X− (2)

où X représente le groupe partant et B– la base. Tout comme pour les substitutions nucléophiles, lesexpériences laissent à penser que deux mécanismes, bi-moléculaires et mono-moléculaires coexistent.Néanmoins, le mécanisme mono-moléculaire n’est que peu fréquent, et intervient souvent commeune réaction parasite du mécanisme bi-moléculaire.

3.2 Élimination bi-moléculaire (β-E2)

Le mécanisme limite le plus fréquent est celui bimoléculaire. Tout comme dans le cas de la SN2, ils’agit d’un acte élémentaire unique. Le mécanisme schématique est proposé Figure 12. Il est capitalde noter la position relative de l’atome d’hydrogène en β et du nucléophuge en α : ces derniersdoivent se trouver dans le même plan et êtres opposés l’un à l’autre. On parle d’un éliminationanti-périplanaire.

D’un point de vue cinétique (quand les réactifs sont introduits dans des proportions comparables,ce qui est rarement le cas...) cette réaction est du deuxième ordre : r = k.cRX .cB− .

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H

XRbRa

Rc

B

Rb

Ra Rc

Rd

βE2Rd + BH X+

Figure 12 – Mécanisme limite de type β − E2

Stéréosélectivité de la réaction La réaction n’est pas diastéréospécifique, mais diastéréosélec-tive. On observe expérimentalement que l’alcène majoritairement formé est l’alcène E.

H

XRb

CH3Rc

Ra

B‡

H

XRbRa

Rc Rd

Rb

Ra Rc

Rd

+ BH X+

Ereac

E‡

Eprod

coordonnéesréactionelles

énergie potentielle

Figure 13 – Diagramme énergétique et mécanisme d’une β − E2

3.2.1 Règle de Zaïtsev

Comme le montre la Figure 14, dans certain cas d’éliminations bi-moléculaire, la question de larégiosélectivité de la réaction se pose. Cette question se pose lorsque qu’il existe deux carbones enβ portant un atome d’hydrogène.

Cl

H

HH en β

+

majoritaire

élimination

Figure 14 – Régio-sélectivité des réactions d’éliminations

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On notera aussi, que si l’on peut former un système conjugué, ce dernier sera favorisé devantl’autre produit comme le montre la Figure 15. De manière générale, il est important de retenir quela conjugaison (délocalisation électronique) a tendance à stabiliser les systèmes chimiques.

Cl

élimination

majoritaire

+

Figure 15 – Régio-sélectivité des réactions d’éliminations en présence de systèmes conjugés

Il existe certains cas, en particulier quand la réaction se fait en milieu basique et que le groupepartant est un ammonium quaternaire, que la régiosélectivité observée soit inverse de celle attendue(on obtient l’alcène le moins substitué). Cette régiosélectivité sera nommée de type Hofmann etne sera pas étudiée davantage dans ce cours.

3.3 Élimination mono-moléculaire (β-E1), réaction parasite de la β-E2

Un second mécanisme peut être proposé. Il s’agit d’un mécanisme limite mono-moléculaire.Cependant, contrairement aux cas des substitutions nucléophiles, ce mécanisme ne joue pas un rôleà part entière, et doit être considéré comme un mécanisme parasite du mécanisme bi-moléculaire.

H

XRbRa

Rc

B

Rb

Ra Rc

Rd

βE1Rd

+ BH

X+H

RbRa

+

H

RbRa

βE1

Figure 16 – Mécanisme limite de type β − E1

Tout comme la SN1, la première étape est l’étape difficile (cinétiquement déterminante), etcorrespond au départ du nucléophuge pour former un carbocation. S’en suit de l’attaque de la basequi vient capter le proton en β ce qui conduit à la formation de l’alcène. Le mécanisme schématiqueest représenté Figure 16.

3.4 Facteurs favorisant la réaction parasite β-E1

L’élimination mono-moléculaire aura tendance à avoir lieu quand nous sommes en présence d’unebase relativement faible (et peu nucléophile !), et d’un bon groupe partant. Néanmoins, il est bon

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de garder à l’esprit qu’elle ne peut être utilisée en synthèse et doit être vue comme une réactionparasite de la β − E2.

3.5 Complément : Déshydratation des alcools en alcènes

Un des applications de ce mécanisme d’élimination mono-moléculaire est la déshydratation desalcools tertiaires pour former des alcènes. Pour ce faire, on place l’alcool en présence d’un acide fortconcentré (acide sulfurique, APTS, etc.) en chauffant. On observe la formation d’un alcène commele montre le mécanisme schématique en Figure 17.

O-H

H

A/B

O

H

H - H2O

H - H

Figure 17 – Mécanisme schématique de la déshydratation d’un alcool tertiaire en alcène

4 Substitution nucléophile vs. éliminations

Comme vu en introduction, il est fréquent que les nucléophiles aient des propriétés basiques, et lesbases des propriétés nucléophiles. Ainsi, les réactions de substitutions nucléophiles et d’éliminationssont fréquemment en concurrence. Cependant, certains facteurs permettent d’orienter le systèmevers un des types de réaction.

Ainsi, si on souhaite effectuer une réaction de substitution nucléophile, plutôt qu’une élimination,nous choisirons d’utiliser un bon nucléophile faiblement basique (les halogènures par exemple). Aucontraire, si on souhaite procéder à une élimination, nous utiliserons une base très forte et peunucléophile (une base forte encombrée comme le LDA ou le TbuOK seront alors employés).

Si on utilise une base nucléophile (ou un nucléophile basique...) les deux réactions seront effec-tivement en compétition. On retiendra que :

1. les substrats primaires réagissent, même lorsqu’ils sont opposés à une base forte, préféren-tiellement suivant un mécanisme de SN2

2. les substrats tertiaires réagissent essentiellement suivant un mécanisme de type E2

3. il est aussi observé expérimentalement qu’une augmentation de la température favorise lesréactions d’éliminations

4. l’augmentation de la polarité du solvant accélère plus le mécanisme de type SN2 que E2

Cours rédigé à partir des cours de J. Lalande et du livre de B. Fosset, J-B. Baudin et F. Lahitète,Chimie tout-en-un PCSI, Dunod, ISBN : 978-2-10-060074-8

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