chervet, bernard - source pulsionnelle et corps erogène

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SOURCE PULSIONNELLE ET CORPS ÉROGÈNE, DES INSCRIPTIONS DE L'APRÈS-COUP Bernard Chervet P.U.F. | Revue française de psychanalyse 2010/5 - Vol. 74 pages 1487 à 1494 ISSN 0035-2942 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2010-5-page-1487.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Chervet Bernard, « Source pulsionnelle et corps érogène, des inscriptions de l'après-coup », Revue française de psychanalyse, 2010/5 Vol. 74, p. 1487-1494. DOI : 10.3917/rfp.745.1487 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - ubc - - 142.103.160.110 - 11/05/2012 00h49. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - ubc - - 142.103.160.110 - 11/05/2012 00h49. © P.U.F.

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SOURCE PULSIONNELLE ET CORPS ÉROGÈNE, DES INSCRIPTIONSDE L'APRÈS-COUP Bernard Chervet P.U.F. | Revue française de psychanalyse 2010/5 - Vol. 74pages 1487 à 1494

ISSN 0035-2942

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Chervet Bernard, « Source pulsionnelle et corps érogène, des inscriptions de l'après-coup »,

Revue française de psychanalyse, 2010/5 Vol. 74, p. 1487-1494. DOI : 10.3917/rfp.745.1487

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Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F..

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Source pulsionnelle et corps érogène, des inscriptions de l’après‑coup

Bernard Chervet

Les rapporteurs du 70e Cplf ont attiré notre attention sur un objet précis de la métapsychologie classiquement identifiée à ce qui est situé entre psyché et soma, la source pulsionnelle. Celle‑ci se présente à nous par les variations quantitatives de nos ressentis de vitalité et par celles, qualitatives, de nos éprou‑vés sensuels, donc par son inscription en une étendue, la matière somatique.

Cette inscription pulsionnelle fonde le corps et la sensualité corporelle. La notion de corps trouve ainsi une intériorité et une origine psychique.

Du point de vue psychanalytique, le corps est un produit de la psyché, différent du soma et du germen. Il renvoie au terme commun et religieux de chair ; entre psyché et soma, le corps ; entre psyché et soma, la chair ; entre psyché et soma, la source pulsionnelle et le corps érogène.

Les travaux psychosomatiques de l’ipso nous ont appris l’importance vitale de cette doublure psychique du soma qu’est le corps érogène. Quand elle man‑que, le soma se trouve comme « à découvert » et est l’objet de divers domma‑ges et lésions dont les raisons d’être sont loin d’être élucidées. Nous pouvons ainsi affirmer que là où il y a du soma doit advenir du corps, de la chair.

Notre réflexion se trouve orientée vers les deux procès élémentaires, que sont libidogenèse et l’inscription de la libido dans le soma sous la forme du corps. Ces deux procès fondent le corps libidinal, le corps érogène de la sen‑sualité et du sexuel, le corps de la vie érotique.

L’expression de Freud, telle que l’utilise Françoise Coblence, « la vie d’âme », désigne donc plus particulièrement la part de la vie psychique qui s’exprime par le corps qu’elle fonde, ce corps charnel des éprouvés, tendu entre le sexuel et la sensualité, ce moi‑corps des frayages sensuels étayés sur les tra‑cés de la sensorialité.

Il convient donc de différencier, à côté des classiques modalités d’inscrip‑tions, que sont les représentations et les affects, une autre modalité d’inscrip‑tion, celle des frayages sensuels, des éprouvés charnels constitutifs du corps érogène. Ce corps sensuel est à distinguer encore de l’image du corps (Wallon, Lacan, Dolto), impliquée dans le moi‑idéal de l’assomption jubilatoire. Il est un produit psychique spécifique, le moi corporel (1923) des impressions et

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éprouvés constituant les autoérotismes primaires. Il se présente à la conscience par le biais d’une catégorie d’éprouvés qu’il convient de dénommer la sensualité, afin de la différencier de la sensorialité liée aux stimuli externes et somatiques.

Ces deux registres, sensualité et sensorialité, entretiennent des liens étroits au sein de toute sensation, en particulier la douleur. L’émergence de la sen‑sualité nécessite une transposition1 des sensations issues des opérations et procès psychiques, sur la sensorialité. D’autre part, la sensorialité est un recours possible d’appel antitraumatique dès lors que la sensualité est fragilisée par la régressivité traumatique. La clinique des appels masochiques corporels, des autoflagellations et mutilations nous en livrent une confirmation tangible.

La première inscription corporelle se réalise au sein de l’ensemble mère‑bébé, ou pour être plus précis, de l’ensemble efficience psychique maternelle‑potentialité psychique du bébé, selon la modalité du corps des sen‑sations où se confondent sensorialité et sensualité. La transposition des opéra‑tions psychiques inconscientes se fait sur la sensorialité issue de la gestuelle désexualisée et encodée des soins maternels par lesquels se transmettent la tendresse et la fermeté parentales ; d’où l’amalgame sensorialité‑sensualité. Dans un second temps, une transformation des sensations se réalise par le biais d’une régression sensuelle vers le sexuel d’organe, régression fondant l’érogé‑néité. Ce cheminement en‑deux‑temps mute le sexuel d’organe en érogénéité d’organe. S’ouvre alors un champ de culture particulier, celui de l’érotisme.

Ce trajet à rebours d’un psychique inconscient transposé sur le soma, pro‑duit de nombreuses théories corporelles infantiles, des corpologies et corpogo‑nies, théories des rapports du corps somatique et de la psyché qui émaillent les mythes, les philosophies, les religions, les médecines parallèles et officielles, la psychanalyse elle‑même.

Freud a énoncé à diverses reprises de telles théories concernant l’articu‑lation soma‑pyché, en particulier celle d’une pulsion trouvant sa source soit dans le soma, soit dans une zone sensorielle stimulée de l’extérieur, théories faisant contrepoint à la célèbre formule de Jean : « Le Verbe s’est fait chair. »2 À l’opposé de cette assertion biblique, mais de façon tout aussi moniste, cer‑tains ont pu soutenir, en se référant à Freud, que le psychique est une émanation du soma – le soma se fait psyché – et que la pulsion promeut des langages – la pulsion se fait verbe.

En fait, Freud n’a pas argumenté de façon explicite de telles conceptions. Elles apparaissent à certains moments de son œuvre ou plutôt se laissent déduire, puis sont abandonnées et remplacées par d’autres.

1. B. Chervet (2010), « La chair comme objet de transposition », Bulletin de la spp, no 95.2. L’évangile selon Jean 1, 14.

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QUELQUES THÉORIES CORPORELLES InFAnTILES DE FREUD

La plus connue, sinon la première de ces théories, est la neurotica qui donne une large place étiologique à l’objet séducteur‑auteur‑fauteur du sexuel traumatique. Mais Freud abandonne assez rapidement cette causalité simplifi‑catrice au profit d’une définition métapsychologique de la séduction. Celle‑ci rend compte d’une attraction régressive éveillée au contact d’un autre avec lequel elle entre en connexion, mais émanant successivement du noyau patho‑gène, des désirs inconscients, de la régressivité extinctive propre à la nature des pulsions. Cette rectification au profit du procès de séduction permet de saisir que la désignation d’un objet en tant que source de la séduction relève du double retournement de la tendance extinctive, et permet, par une fausse liaison, son inscription progrédiente. L’idée d’un objet‑source externe n’est donc pas poursuivie par Freud.

De façon concomitante, il propose une autre conception, énergétique, inté‑grant les notions d’énergie sexuelle somatique et d’énergie sexuelle psychique. À partir d’un certain seuil, la première excite la seconde, spécifiquement psy‑chique, la libido, ou déclenche une mutation de l’une en l’autre. Freud propose donc un saut du somatique dans le psychique1. Une excitation sexuelle somati‑que se mute en libido sexuelle psychique. Il fonde ses principales innovations nosographiques sur le destin de ces énergies. La névrose d’angoisse, figure de proue des névroses actuelles, est liée à un mésusage et une stase de l’excitation sexuelle somatique. Les psychonévroses sont dues à des avatars de la libido psychique liée au « mécanisme psychique ».

La référence aux théories de l’énergie des physiciens du xixe siècle est clai‑rement énoncée par Freud. Toutefois, il souligne tout aussi nettement que la notion d’énergie est une métaphore qu’il convient de ne pas hypostasier ; ne pas confondre l’objet et l’agent de celle‑ci. En 1894, il précise qu’il considère la notion d’énergie et celles complémentaires de fluide, de courant, de charge élec‑trique, comme une « hypothèse adjuvante », une « représentation adjuvante »2.

Cette précaution prise, la conception énergétique de Freud devient une théo‑rie d’un chiasme de deux sauts énergétiques ayant pour but de rendre compte de la conversion corporelle hystérique, cette transposition3 d’un matériel

1. « L’excitation sexuelle somatique, une fois qu’elle a atteint la valeur‑seuil, se transpose de façon continue en excitation psychique. »

2. « La représentation selon laquelle, dans les fonctions psychiques, quelque chose est à différen‑cier (montant d’affect, somme d’excitation) qui a toutes les propriétés d’une quantité. »

3. En 1894, dans Les Névropsychoses de défense, Freud propose le terme de conversion pour décrire le fait qu’une « somme d’excitation est transposée [Umgestzt] dans le corporel ».

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symbolique dans le corporel produisant un langage du corps, et de la tumes‑cence somatique liée à la sexualisation du corps sensuel. Le saut de la libido‑genèse se complète donc de celui, inverse, de la conversion du psychique dans le somatique. Ce chiasme traverse tous les écrits de Freud de 1894 à 1898.

Après avoir étudié ce double saut, Freud tourne son attention vers la complaisance‑prévenance somatique en tant que noyau attracteur orientant le choix d’organe de la conversion (1905, Dora). Cette attractivité doit être prise en considération ainsi que son histoire. La notation clinique de Freud la plus précise à propos de cette sensibilité d’organe se trouve en 1938, dans les dernières lignes de Le clivage du moi dans le processus de défense1. En 1914, il relie la prévenance somatique à une qualité narcissique propre à tous les organes somatiques, leur érogénéité2. Cette théorie octroie aux organes une érogénéité primitive, d’où la conception d’une stase de libido narcissique s’exprimant par l’hypochondrie. Toutefois, la réintroduction de la névrose d’angoisse, sous la forme des névroses traumatiques, permet à Freud de retrou‑ver l’attraction régressive qu’il avait découverte dès les Études sur l’hystérie, et de l’intérioriser, non plus en tant que traumatisme lié à un objet séducteur transgressif ou à une identification inconsciente aliénante, mais en tant que qualité inhérente aux pulsions. Le narcissisme trouve alors sa fonction. Il est censé contre‑investir la régressivité. Cette retenue s’oppose à l’extinction par l’inscription d’un corps et des éprouvés sensuels. Elle relève du narcissisme primaire. L’hypochondrie est un trouble de ce dernier, un défaut de retenue narcissique, une ouverture sur le corps traumatique.

Ainsi l’introduction d’une dualité pulsionnelle de nature biologique, qua‑lifiée d’une tendance régressive à l’inorganique, produit‑elle un changement théorique important. Toutes les théories précédentes deviennent des théories corporelles infantiles. Leur part de vérité concerne leur fonction. Désormais la dualité pulsionnelle ne relève plus, à proprement parler, du soma, mais est présente dans toutes les modalités de matière organique. La qualité régressive de cette dualité, sa régressivité extinctive, peut avoir des effets traumatiques sur l’ensemble de la matière organique, tant psychique que somatique. Freud parle de lésions de la fonction sexuelle, de dommages somatiques (1932).

1. « Mais, pour en revenir à notre cas, ajoutons qu’il a produit encore un autre symptôme, certes de peu d’importance, et l’a maintenu jusqu’au jour d’aujourd’hui : une sensibilité anxieuse de ses deux petits orteils à tout contact exercé sur eux, comme si dans cet habituel va‑et‑vient entre le déni et la reconnaissance une expression plus nette était pourtant encore échue à la castration… », ocf.p, xx, Paris, puf, p. 224.

2. S. Freud (1914 c), Pour introduire le narcissisme, Paris, puf : « nous pouvons nous décider à tenir l’érogénéité pour une propriété générale de tous les organes, ce qui nous autorise à parler de l’accroissement ou de l’abaissement de celle‑ci dans une partie déterminée du corps », p. 228.

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Il propose une nouvelle définition de la source pulsionnelle libérée de toute substance objectivable et de tout support matériel la produisant : « La source est un état d’oscillation dans le corporel. »1 Ceci prolonge sa reconnaissance de la transposition en tant que mécanisme indispensable au devenir conscient (chapitre II de Le moi et le ça). Cette transposition fonde le moi‑corps, en se réalisant sur le soma. Elle relie ce dernier à la conscience par les éprouvés corporels. Quand elle se fait sur les matériaux externes, elle participe à trans‑former les « autres » du monde en objets.

Freud remplace donc progressivement ses conceptions objectivantes par divers dualismes intrapsychiques pour enfin les subsumer tous, par une dualité pulsionnelle, voire instinctuelle, concernant la vie elle‑même, la matière orga‑nique quelles que soient ses modalités, somatique, germinative, psychique. Mais en reconnaissant à Éros et à la pulsion de mort une même tendance au retour à un état antérieur jusqu’à l’inorganique, une qualité régressive extinc‑tive, Freud dessine les prémisses d’une autre dualité, entre deux pôles, celui de la régressivité pulsionnelle et celui d’une contrainte à faire exister, d’un impératif d’inscription.

L’ÉMERGEnCE En DEUx TEMPS DU CORPS ÉROGènE

La première inscription est donc celle qui crée le corps du sexuel d’organe. Ce dernier est primitivement contre‑investi par le système narcissi‑que mère‑bébé, et ne devient disponible qu’après une longue désexualisation par l’éducation, et la construction de la voie sensuelle régrédiente par une mise en latence progressive de cette désexualisation. La régression sensuelle devient possible à partir de ces deux temps. Étayée d’abord sur la sensorialité, elle participe ensuite à la vie du corps érotique, à l’érotisme. Le rôle de tout parent, cet autre de la processualité, se précise ici : contre‑investir ce sexuel d’organe, l’éduquer progressivement, soutenir sa transformation en sensualité, et permettre la future régression de celle‑ci en érogénéité. Par le procès de l’après‑coup, le sexuel d’organe devient l’érogénéité d’organe de l’érotisme.

Cette logique de l’après‑coup rencontre un autre des versets de l’Évan‑gile selon Jean : « Lui qui vient derrière moi, il a pris place devant moi car avant moi il était » (Jean 1, 15). S’y exprime la présence de cet impératif

1. S. Freud (1933 a [1932]), « Angoisse et vie pulsionnelle, xxxIIe Leçon, nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse », ocf.p, xIx, Paris, puf, 1995.

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d’inscription assurant l’efficience du symbolique, du principe d’encodement au mieux représenté par le langage verbal, mais aussi par tous les langages, dont celui du corps.

Après 1920, il n’est donc plus possible de considérer la source pulsionnelle comme donnée et constante. Elle est à construire. Elle est soumise à des varia‑tions et avatars, et doit trouver des objets d’investissement. Sa toute première inscription crée le corps de la retenue. Elle s’étaye sur la sensorialité somati‑que et sur l’objet pourvoyeur des soins désexualisés et encodés. Elle fonde le corps sensuel à partir duquel, par voie régressive, pourra être actualisé, dans un second temps, le sexuel d’organe, devenu ainsi érogénéité d’organe.

Sur le plan clinique, les théories corporelles infantiles de l’analyste sont impliquées dans son écoute des plaintes somatiques hypochondriaques. L’hypochondrie est le tableau clinique prototypique des perturbations de l’éro‑généité d’organe. Elle se situe entre tumescence et tuméfaction. De plus en plus souvent se présentent des demandes centrées sur les transformations cor‑porelles qui sont des dysmorphophobies non organisées. Les psychanalystes d’enfant ont aussi à accueillir des propos de parents envisageant des interven‑tions chirurgicales sur le corps de leur enfant en lieu et place d’un travail de mentalisation.

De façon encore plus générale, tous les analystes ont fait l’expérience de la transformation de la répartition géographique de l’érogénéité corporelle, de la carte de la sensualité, au cours d’une cure. Cette transformation se fait par le moyen de la régression d’incidence langagière de séance. Ceci justifie l’insis‑tance de Marilia Aisenstein sur la représentation. Cette régression d’incidence rend possible la régression sensuelle proprement dite, favorable à l’actualisa‑tion du sexuel d’organe sous couvert de l’érogénéité d’organe. C’est donc bien par la voie régrédiente langagière qu’est mise en place la capacité à actualiser le sexuel d’organe grâce à une mise en latence secondaire du langage.

En séance, la régression sensuelle est maintenue en latence par la règle fondamentale. Par la retenue qu’elle soutient, ladite règle favorise la liaison du sexuel d’organe régressif à la conscience. La régression sensuelle a alors pour horizon une autre scène hors séance, la scène érotique. Celle‑ci est présente en séance par le biais de représentations langagières et de sensations cherchant à faire sortir de la cure.

À l’inverse, la scène érotique commence par un discours amoureux ver‑bal qui laisse place progressivement à l’actualisation par les préliminaires de l’érogénéité d’organe, le langage se retrouvant mis en latence. Cette régres‑sion sensuelle vise une jouissance venant se clore en l’orgasme, expression de l’existence d’un verrou régressif, d’une retenue faisant butée, le maso‑chisme premier de fonctionnement. Métaphoriquement, le corps est adossé à

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la chambre de la dualité pulsionnelle, lieu où se déroule la genèse des motions pulsionnelles. Cette chambre est nantie d’un verrou, le masochisme premier. Il faut le long déroulement de l’après‑coup pour que ce verrou devienne les loquets des zones érogènes1.

BIPHASISME DE LA SExUALITÉ ET THÉORIE BIPOLAIRE DE L’AnGOISSE

Cette réactualisation du sexuel d’organe selon l’érogénéité d’organe se fait en deux temps. L’érogénéité est un après‑coup du sexuel d’organe primi‑tivement refoulé dans un premier temps. Avec l’installation en deux temps de l’érogénéité, nous retrouvons le biphasisme de la sexualité humaine et le fait que la vie érotique est organisée par le procès de l’après‑coup.

Ce biphasisme a pour corollaire une théorie bipolaire de l’angoisse liée aux menaces pesant sur chacune des étapes de l’érogénéisation corporelle, la mise en place du corps de retenue, puis l’installation des qualités sensuelles.

nous retrouvons là le corps traumatique, le corps qui éprouve qu’il peut perdre sa sensibilité érogène et les variations qualitatives et oscillatoires de sa sensualité, soit par désinvestissement libidinal, soit par désorganisation de la source libidinale. Quand tout s’en va, le sujet s’accroche à son corps. Ceci rappelle un rêve rapporté par Ferenczi et ajouté à la Traumdeutung en 19192. Il s’agit d’un homme qui rêve qu’il essaie de mettre la lumière, il n’y arrive pas ; sa femme vient à son aide, en vain ; il se met alors à rire, à rire… Freud com‑mente : « Considéré analytiquement, le rêve paraît moins drôle. » Cet homme âgé souffre d’artériosclérose et a des raisons de penser à la mort. Son rêve ren‑verse l’affect d’effroi en fou rire. Le fonctionnement opératoire a pour but de neutraliser la désorganisation de la source grâce à une opération de calmance.

Rank oppose à la dimension traumatique endogène que Freud vient de reconnaître lors de son troisième « pas » de sa théorie des pulsions, la théorie du traumatisme de la naissance et une conséquence pratique, la cure psychana‑lytique est une régression qui a pour visée la réactualisation de la naissance.

En fait, c’est la question de la naissance de la libido qui est la part de vérité du débat Freud‑Rank. Freud aborde cette libidogenèse et ses perturbations par le biais de la discussion de la conception de Rank. Il décrit quelques réactions

1. B. Chervet (2010), « Les fantasmes originaires et l’avènement de la sensualité. Les zones érogè‑nes, les loquets du corps », rfp, t. LxxIV, no 3.

2. S. Freud (1900 a) L’Interprétation du rêve, ocf.p, IV, Paris, puf, p. 522.

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8 décembre 2010 - Entre psyché et soma - Revue de psychanalyse - 175 x 240 - page 1494 / 1792

1494 Bernard Chervet

8 décembre 2010 - Entre psyché et soma - Revue de psychanalyse - 175 x 240 - page 1494 / 1792 8 décembre 2010 - Entre psyché et soma - Revue de psychanalyse - 175 x 240 - page 1495 / 1792

à l’effroi traumatique lié à la contrainte extinctive active à la source. Les effets de masse (1921) puis l’effet Méduse (1922), avec ses multiplications et exa‑cerbations, sont reconnus dans leur valeur antitraumatique. En 1925, naissance et traumatique amène Freud à modifier sa théorie de l’angoisse, à reconnaître l’existence d’une nouvelle forme d’angoisse, l’angoisse automatique, portant très strictement sur la naissance de l’investissement libidinal et sur son ins‑cription corporelle ; donc, une angoisse liée à la fonction de retenue du narcis‑sisme primaire. Il revient en 19321 sur cette nouvelle angoisse, celle où se joue le conflit d’existence de l’investissement libidinal avec la mise en danger de la fonction de retenue. Il la nomme alors angoisse à neuf et la différencie de l’angoisse signal étayée sur la mémorisation de celle dite « à neuf ».

Il nous propose donc une conception de l’angoisse en deux temps avec une nouvelle modalité de mémoire, la mémoire des éprouvés. Elle réunit ceux émanant des opérations processuelles à la source libidinale et ceux relevant de ses inscriptions sous la modalité de la sensualité corporelle. Ces opérations économiques trouvent, après‑coup, des contenus langagiers pour dire leurs réalisations et avatars. Ainsi, du traumatisme de la naissance, de la honte de la nudité, de la douleur de perte de personnes chères, de l’échec d’exa‑men, de la culpabilité du meurtre du père, du péché, du paradis et de l’enfer, de l’incarnation et de la réincarnation, de l’assèchement du Zuiderzee et de la corne d’abondance, etc. Toutes ces expressions traduisent les variations d’efficience de l’impératif d’inscription, telles qu’elles se révèlent par les éprouvés corporels.

L’angoisse à neuf vient souligner de plus le fait qu’il n’y a pas de réver‑sibilité totale des transformations psychiques, et que si l’impératif exige l’oscillation régrédience‑progrédience, il veille à assurer un destin final pro‑grédient orienté vers la conscience et par elle vers le choix d’organe et le choix d’objet. Cette non‑réversibilité correspond à l’asymétrie entre les voies régré‑diente et progrédiente. La première est limitée par le verrou du masochisme primaire, la seconde est ouverte sur l’illimité et l’infini. Dans les deux cas, survient l’angoisse.

Bernard Chervet 39, rue Professeur‑Florence

69003 Lyon

16, rue Jacques‑Callot 75006 Paris

1. S. Freud (1933 a [1932]), Angoisse et vie pulsionnelle, op. cit., p. 177 (passages 100 et 101).

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