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Dialogue et mission

n° 4

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Chemins de Dialogue

Revue bisannuelle publiée par l’Institut de Sciences et Théologie des Religions deMarseille (département de l’Institut universitaire catholiqueSaint-Jean),avec le concours de l’Association « Chemins de Dialogue ».

Directeur de l’édition Christian Salenson.

Comité de rédaction Jean-Marc Aveline, Paul Bony, Dominique Cerbelaud, Dennis Gira, Maurice Pivot.

Composition Olivier Passelac.

Administration - diffusionPatrick Estienne.

CouverturePeinture d’André Gence.

Abonnement pour deux numéros Pour quatre numérosnormal : 100 FF + frais de port. 200 FF + frais de port.de soutien : à partir de 300 FF.

Secrétariat 38 Rue Paul Coxe - 13015 Marseille✆ 91 03 03 73 - Fax 91 03 03 75

Prix de ce numéro : 60 FF.Numéro 4 - Septembre 1994 - I.S.S.N. : 1244-8869.

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SOMMAIRE

LiminaireJean-Marc Aveline - Christian Salenson 11

I. Dialogue et mission : XXX° anniversaire d’Ecclesiam suam 19Paul VI et la mission de l’EgliseJean Chelini 25Dialogue au cœur de la mission, perspectives ecclésiologiquesMaurice Vidal 49Le dialogue chemin de la missionJozef Card. Tomko 65

II. Religions et violences 107A travers l’histoire : intolérance ou dialogue ?Jean Comby 113« Les paroles de l’un et les paroles de l’autre… »Jean-Marc Chouraqui 129Les relations entre les religions : tolérance ou violence ?Mgr Michel Sabbah 141De la violence et de la tolérance dans l’islamDalil Boubakeur 151

III. La foi chrétienne à la rencontre des religions 163Enseignement de la Bible et connaissance des religionsPierre Gibert 169Penser la foi au cœur de la rencontreJean-Marc Aveline 183Réflexions sur la rencontre de l’autreJean Landousies 209

RecensionsDennis Gira, Gérard Grange 223

EphémérideJean Joncheray, Jean-Luc Brunin 235

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Jean-Marc Aveline - Christian Salenson

LIMINAIRE

Frapper à la porte, engager le dialogue : voilà, selon letémoignage des chrétiens, le geste incessant de Dieu enversl’humanité, tout au long de son histoire.

C’est pourquoi le mot « dialogue », si souvent utiliséaujourd’hui, ne représente pas pour un chrétien un slogan à lamode ni une méthode de prosélytisme, mais une attitudespirituelle profondément liée à sa foi, à son accueil du geste deDieu. Pour l’Eglise, s’engager dans le dialogue avec touthomme, croyant ou non, est l’expression d’une fidélité à cegeste par lequel Dieu a choisi de se révéler, au risque de n’êtrepas reçu.

C’est dans cet esprit que Chemins de Dialogue poursuit samission au service du dialogue interreligieux, en proposant àses lecteurs des éléments de réflexion, des propositions pour larecherche, des compte-rendus d’expériences… Plus que jamais,l’interaction entre expérience et théologie s’avère nécessaire.C’est pourquoi ce quatrième numéro s’enrichit d’une« éphéméride », permettant d’évoquer les initiatives diversesprises au fil des mois, en vue d’instaurer ou d’évaluer un

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dialogue interreligieux. Nous espérons ainsi donner davantagede place au « dialogue de la vie », avec ses difficultés concrètes,ses inquiétudes et ses espoirs.

Lorsque les circonstances historiques ne favorisent pas ledialogue fraternel, comme en bien des pays aujourd’hui, il estbon de se souvenir, ainsi que nous y invite depuis Alger JeanLandousies, que c’est en définitive le mystère de la Croix et dela Résurrection qui éclaire, pour un chrétien, la route dudialogue, avec son lot de difficultés et de violences, de refus etd’exclusions, de mépris et d’incompréhensions. L’ensemble dece numéro portera la marque de ces interrogations radicales.Comme l’écrit avec lucidité Mgr Sabbah :

« Aujourd’hui beaucoup de dialogues se tiennent un peu partout.Cela est positif. Mais ce qui est plutôt négatif, ce sont les déclarationsverbales d’amitié, les belles paroles qui se réfèrent aux principes de latolérance, de l’amour, et qui ne sont en réalité que le signe d’unepeur qui n’ose pas regarder en face la réalité des faits et des attitudesqui contredisent et les belles paroles et les principes » (p. 147).

Cette invitation au réalisme nous convie avec vigueur àdiscerner les enjeux d’une vraie rencontre, qui ne se paie pas demots mais cherche en vérité le chemin de la justice et de la paix.

Trois dossiers composent ce numéro :

❑ En célébrant, par un colloque, le trentième anniversaired’Ecclesiam suam (6 août 1964), première lettre encyclique dePaul VI, l’I.S.T.R. de Marseille avait choisi d’approfondir la

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question délicate du rapport entre dialogue et mission.L’Eglise aurait-elle cessé d’être « m i s s i o n n a i re » en étantdevenue « dialogale » ? L’attitude de dialogue laisse-t-elleencore place à l’annonce de l’Evangile ? Les missions « adgentes » ont-elles encore un sens ? Ces questions radicalesméritaient d’être posées sérieusement pour qu’apparaissemieux ce que l’invitation au dialogue exprime du mystère dusalut. Après une présentation historique confiée à Jean Chelini,les réflexions théologiques de Maurice Vidal (scru t a n tl’ecclésiologie de Paul VI), et du cardinal Tomko (préfet de laCongrégation pour l’évangélisation des peuples) nous aident àcomprendre l’expérience du dialogue comme chemin de lamission.

❑ Le deuxième dossier, composé à partir du Forum organiséen avril 1994 par l’I.S.T.R. de Marseille et le journal La Croix,donne la parole à des représentants des trois monothéismes(judaïsme, christianisme, islam), sur le problème épineux de laplace des religions dans l’engrenage de la violence et del ’i n t o l é r a n c e. Là encore, il faut faire preuve de réalisme.Malgré leurs discours de paix, les religions se retrouventsouvent, tout au long de l’histoire et même aujourd’hui, liées àla guerre. Pourquoi ?… Comment lutter contre les extrémismesreligieux qui attisent la violence ? Est-il possible de retrouver,aux sources mêmes de chaque religion, des fondements solidespour bâtir la paix ? Autour de M. Jean-Marc Chouraqui, MgrMichel Sabbah et M. Dalil Boubakeur, la rencontre dont cedossier se fait l’écho attestait seulement, selon l’esprit d’Assise,que « dans la grande bataille pour la paix, l’humanité, avec sadiversité même, doit puiser aux sources les plus profondes et les plus

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vivifiantes où la conscience se forme et sur lesquelles se fonde l’agirmoral des hommes » (Jean-Paul II, Assise, 27 octobre 1986).

❑ Fondé sur la foi, l’engagement chrétien dans le dialoguei n t e r religieux provoque en retour l’intelligence que la foichrétienne prend d’elle-même : sa « théologie ». Nous avionsannoncé dans Chemins de Dialogue numéro 3, notre intention dedemander à des spécialistes des diverses disciplinesthéologiques de présenter les questions nouvelles quisurgissent à leurs yeux, dans leurs domaines, à partir del’expérience du dialogue interreligieux. Le troisième dossier endonne quelques échos, dans les registres de l’exégèse bibliqueavec Pierre Gibert et de la théologie avec Jean-Marc Aveline.

La méditation de Jean Landousies (Secrétaire général de lac o n f é rence épiscopale du Maghreb) qui suit ces deuxcontributions prend le relais du texte de Mgr Pierre Claverie(évêque d’Oran) que nous avions publié dans notre précédentn u m é ro. En donnant ainsi la parole à l’autre rive de laMéditerranée, Chemins de Dialogue souhaite contribuer à l’effortde ceux qui luttent pour que les peuples du b a s s i nméditerranéen puissent partager, dans la paix et la fraternité,les richesses inépuisables de leur pluralité culturelle etreligieuse.

Qu’il nous soit permis, en guise d’invitation à la lecture,d’évoquer la figure de ce grand pape que fut Paul VI.Présentant aux cardinaux, le 22 juin 1973, le thème du IIIèmeSynode des évêques sur l’évangélisation, il indiquait

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clairement le fil conducteur de son action : « instaurer et portertoujours plus avant le dialogue qui conduit à l’annonce de l’Evangiledu Christ ».

L’histoire dira sans doute la richesse et l’importance de cepontificat, tout entier consacré à « l’écoute des voies profondes dece monde moderne travaillé lui aussi par l’Esprit et par la grâce ».Tout au long de sa vie, Paul VI à cherché à vivre la mission del’annonce du salut dans un esprit d’humilité et de service. C’estainsi qu’il fut, comme le disait Jean-Paul II, un don que leSeigneur a fait non seulement à son Eglise mais à l’humanité.

« L’Eglise ! Elle lui doit une très profonde gratitude. On peut diretout spécialement de lui qu’il a été le pape de l’Eglise ; elle a été lethème fondamental de son magistère. Il a piloté la barque de Pierredurant des années où les lames la secouaient de toute part. Il atravaillé sans relâche à rendre l’Eglise sans tache et à lui permettre defaire face au monde moderne, en se faisant elle-même “message”,“parole”, “colloque”, selon les expressions de sa première encyclique,en dialogue respectueux et loyal avec les personnes et les institutionsde tout bord, sans cesser d’être missionnaire et évangélisatrice. Pourcela, il a conduit le concile à son terme et il l’a traduit en actes avecune constance et une clairvoyance surprenantes. Il voulait d’abordque l’Eglise approfondisse la conscience exacte de sa mission tout ense transformant par la sanctification personnelle de chacun de sesmembres, et cela en mettant toujours au centre de l’Eglise la personnedu Christ.

Je suis convaincu aussi que Paul VI est un don que le Seigneur afait à l’humanité (…). Il a aimé, respecté, exalté et défendu l’homme,car il y voyait le reflet de l’image de Dieu. Il a défendu ses droitsfondamentaux, plaidé pour l’homme blessé, angoissé et souffrant desous-développement ; il a proposé un humanisme plénier dans desdomaines aussi variés que le travail, l’amour des époux, l’ententesociale, la paix. Et pour cela, il a entrepris des voyages apostoliqueset il a multiplié les rapports avec les hommes de bonne volonté ou

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leurs instances dès lors qu’elles poursuivaient des buts pareillementhumanitaires. Il percevait de façon aiguë le grave enjeu de cethumanisme difficile, possible seulement en Dieu.

Personne n’a oublié les mots de son testament : “Je ferme les yeuxsur cette terre douloureuse, dramatique et magnifique, appelant encore unefois sur elle la bonté divine ”. Oui, la bonté ; ou comme il avait dit :“Encore, et par-dessus tout, amour, amour pour les hommes d’aujourd’huitels qu’ils sont, où ils sont, pour tous”. Sur un fond de tensionsexprimant la grandeur et la misère de l’homme, toujours surgissait enlui l’espérance, qui tenait à sa foi »1.

Puisse Paul VI lui-même guider nos pas à la rencontre duDieu qui vient sur les chemins de l’humanité.

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1. Jean-Paul II. Allocution adressée le 4 juin 1984 aux participants au Colloqueorganisé par l’Ecole française de Rome sur « Paul VI et la modernité dansl’Eglise » (Collection de l’Ecole française de Rome, n° 72, 1984, pp. 7-9).

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Dialogue et mission

XXX° anniversaire d’Ecclesiam suam

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PRÉSENTATION

❑ « Dialogue et mission »… Ce dossier, qui donne son titre àl’ensemble de cette nouvelle livraison de Chemins de dialogue,a b o rde une question capitale, située au cœur de laproblématique générale de notre revue. En effet, si notreobjectif est bien de servir l’engagement des chrétiens dans ledialogue interreligieux, ce « dialogue » mérite d’être considérédans toute sa densité théologique et spirituelle.

Déjà, dans nos précédents numéros, nous avons cherché àpenser théologiquement les questions posées aux chrétiens parla rencontre de croyants d’autres traditions religieuses. Jesignalerai simplement les articles du Cardinal Coffy et deMaurice Pivot1 ; de Mgr Fitzgerald et de Claude Geffré2,invitant à réfléchir aux fondements et aux enjeux du dialogueinterreligieux. C’est dans le prolongement de ces travauxmenés à l’I.S.T.R. de Marseille que s’inscrit la re c h e rc h eprésentée ici sur la place du dialogue interreligieux dans lamission évangélisatrice de l’Eglise. Les textes que l’on va lireont été prononcés lors d’un colloque organisé par le même

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1. Dans Chemins de dialogue n° 1, 1993, pp. 27-45 & pp. 67-82.2. Dans Chemins de dialogue n° 2, 1993, pp. 55-70 & pp. 73-103.

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institut pour célébrer le trentième anniversaire de lapublication d’Ecclesiam suam.

❑ Le dossier s’ouvre par une mise en situation historiqueréalisée par le Professeur Jean Chelini. Tout en ayant soin demettre en valeur le ton résolument positif de l’encyclique et lasimplicité voulue de son langage, l’historien s’attache àmontrer, en nous faisant arpenter le texte, les fils qui nouerontle programme d’un pontificat et la mise en œuvre d’unconcile sur la base d’une certaine idée de la mission de l’Eglise.

❑ Alerte et précise, la contribution de Maurice Vi d a ls’emploie à scruter les intuitions profondes de Paul VI, sa« théologie du dialogue », en mettant en évidence sa cohérenceet ses tensions. Paul VI fonde la dynamique missionnaire dudialogue sur le caractère dialogal de la Révélation elle-même. Ilen appelle ainsi à une « ecclésiologie du dialogue », oùl’Eglise, née de Pâques, par nature missionnaire, se doit à la foisd’être consciente de la nouveauté de l’Evangile qui l’a faitn a î t re et qu’il lui faut annoncer, et en même temps, des’engager dans l’aventure de la rencontre, en se faisant « parole,message, conversation » (Ecclesiam suam n° 67).

❑ Le long texte que nous a offert le Cardinal Tomko mérited’être lu en deux temps, selon son double objectif. La premièrepartie (« le dialogue, chemin de la mission ») retrace l’histoirerécente de l’engagement de l’Eglise catholique dans le dialoguei n t e r religieux, en faisant apparaître deux élémentsfondamentaux : d’une part, l’invitation au dialogue e s ttoujours conjuguée avec le rappel de l’urgence de l’annonce del’Evangile ; d’autre part, le dialogue, compris théologiquement,

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est toujours « dialogue de salut ». La deuxième partie(« questions et lignes de solution ») aborde résolument lesgraves difficultés que la re n c o n t re des religions poseinévitablement à l’intelligence chrétienne de la foi. Prenantnettement ses distances par rapport à certains courantspluralistes contemporains, le Cardinal Tomko cherche la voied’une appréciation positive de la pluralité des religions qui necède pas aux dérives relativisantes d’un p l u r a l i s m einterreligieux. Pour penser le rôle des religions dans le salutsans nier l’unicité de la médiation christique, il suggère une« vision symphonique » du dialogue et de la mission, basée surle mystère trinitaire et développée aux niveaux théologique,ecclésiologique et anthropologique.

J.M.A.

Présentation

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Jean CheliniHistorien, directeur de l’Institut de droit et d’histoire canoniques à Aix-en-Provence.

PAUL VI ET LA MISSION DE L’EGLISE

Introduction

Datée du 6 août 1964, publiée le 11 août, Ecclesiam suam estla première encyclique du pontificat de Paul VI. Il en avaitétabli lui-même le texte italien d’où provient la traductionfrançaise utilisée : Paul VI, encyclique Ecclesiam suam,Introduction et notes par l’Action Populaire, Spes, Paris 1964.

L’usage veut que le pape nouvellement élu publie uneencyclique qui marque ainsi sa prise de possession du siègeromain, sa prise en charge du pontificat. On appelle parfois cestextes des « encycliques programmes », parce que le papeesquisse les principaux projets de son pontificat (dont il ignorela durée).

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Mais ces textes d’introduction sont fortement marqués parles circonstances. Ceux des papes « contemporains » (depuis larévolution) sont caractérisés par une tonalité sévère contre leserreurs du temps et prennent la défense de l’Eglise contre lesattaques du moment :

Pie VI, 1775, Inscrutabili divinae sapientiae, déplore les progrès de l’athéisme, lesexcessives revendications de la liberté ;

Pie VII, 1800, Diu satis, rappelle le droit de l’Eglise à se gouverner selon sespropres lois, pour l’éducation de la jeunesse, et justifie une répression nécessaire dela liberté de parole et de l’écrit ;

Léon XII, 1824, Ubi primum, condamne les erreurs modernes, l’indifférentisme, latolérance et le libéralisme ;

Pie VIII, 1829, Traditi humilitati, condamne le libéralisme, l’indifférentisme, lessociétés bibliques et les sociétés secrètes ;

Grégoire XVI, 1831, Sollicitudo ecclesiorum, prône l’indépendance politique del’Eglise ;

Pie IX, 1846, Qui pluribus, condamne les erreurs d’Hermès (mort en 1831, il avaitessayé de composer le christianisme avec le kantisme) et reprend les condamnationsantérieures.

Et même Léon XIII, dont l’œuvre allait montrer une grande largeur de vue,publie une encyclique programme en 1878, Inscrutabili, sur les maux de la sociétémoderne et leurs causes : la liberté de presse, les compétences du pouvoir civil surles affaires de l’Eglise, le mariage civil…

On le voit, dans l’ensemble, la tonalité est plutôt sévère etinspirée par les déviations philosophiques et morales de lasociété contemporaine, implicitement comparée à l’état dechrétienté. Mais on ne trouve nulle part d’analyse poussée descauses de ces déviations.

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Parfois, ce discours d’entrée en charge est dominé par unévénement majeur :

Benoît XV, 1er novembre 1914, Ad beatissimi apostolorum principis, est consacrée àla paix et à la charité chrétienne face aux horreurs et aux misères de la guerre qui faitrage depuis le 28 juillet 1914 ;

Pie XII, 20 octobre 1939, Summi pontificatus, évoque les débuts de la deuxièmeguerre mondiale et expose une théorie chrétienne de la paix.

D’autres enfin, les plus rares, mettent en avant la formule, ladevise qui guidera leur action :

Pie X, 4 octobre 1903, Supremi apostolocatus cathedra (Omnia instaurare in Christo) ;

Pie XI, 28 décembre 1922, Ubi arcano, prêche la paix du Christ contre lenationalisme immodéré (ce sera le grand souci de Pie XI) ; ce texte annonce etprépare l’encyclique Quas primas de 1924 sur la royauté du Christ, instituant la fêtedu Christ-Roi.

1. Les caractères originaux d’Ecclesiam suam

Par rapport aux textes cités précédemment, Ecclesiam suamapparaît avec une forte originalité. Certes, elle est influencéedirectement par les événements de l’époque, mais elle possèdeune grande unité de ton et de thème.

Le ton est assez résolument optimiste :

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« Avec une candide assurance, l’Eglise se dresse sur les routes del’histoire et elle dit aux hommes : “j’ai ce que vous cherchez, ce quivous manque” » (n° 99).

« La certitude lumineuse et la joyeuse conviction de nous savoir…continuateurs directs des apôtres… héritage inaltéré, toujours vivant,de la tradition apostolique des origines » (n° 48).

Nous sommes dans la foulée du pontificat précédent, dansune période de détente relative entre l’Est et l’Ouest. Staline estmort en 1953, Khroutchev est au pouvoir et promeut unecoexistence pacifique. En octobre 1962, cédant à la mise endemeure de Kennedy, il a retiré de Cuba les fusées stratégiquesque les russes venaient d’installer. En août 1963 il a conclu avecla Grande-Bretagne et les Etats-Unis un accord interdisant lesexpériences d’armes nucléaires.

Mais cette période du trio Khroutchev, Kennedy, Jean XXIII,s’achève : Jean XXIII est mort le 3 juin 1963, Kennedy a étéassassiné le 22 novembre 1963 et Khroutchev a été relevé de sesfonctions le 14 octobre 1964, remplacé par Léonid Brejnev etAlexei Kossyguine.

En France, la guerre d’Algérie est finie. Le référendum surl’élection présidentielle a été triomphalement gagné par deGaulle. Mais la deuxième guerre d’Indochine vient de rebondirau moment où l’encyclique paraît : les américains bombardentle Viet-nam du Nord en représailles d’une attaque de leurs« destroyers » par la flotte nordvietnamienne dans le golfe duTonkin. Par ailleurs, l’oppression communiste demeure avec lapersécution dans tous les pays derrière le rideau de fer.

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L’optimisme de Paul VI ne vient donc pas des circonstancesextérieures :

« L’Eglise sait que l’accueil fait à l’Evangile ne dépend, en fin decompte, d’aucun effort apostolique ni d’aucune circ o n s t a n c efavorable d’ordre temporel : la foi est un don de Dieu ; et Dieu seulmarque dans le monde les lignes et les heures de son salut » (n° 99).

Mais dans cette économie du salut, 1964 marque une dateimportante. L’encyclique du 6 août se situe entre deux sessionsdu concile, quelques mois à peine avant la troisième sessionqui s’ouvrira le 21 novembre 1964 ; et huit mois après le voyagede Paul VI en Terre Sainte. L’Eglise est en pleine effervescenceconciliaire et a stimulé l’ardeur de sa foi :

« Le concile réveille chez les fidèles comme chez les pasteurs ledésir de préserver et d’accentuer dans l’existence chrétienne lecaractère d’authenticité surnaturelle ; … il donne à l’amour un génieinventif ; il suscite des élans nouveaux de vertu et d’héroïsmechrétien » (n° 45).

La deuxième session a adopté seulement deux textes : ledécret Inter mirifica sur les moyens de communication sociale(voté trop tôt, ce décret manque de force et n’a pas été au fondde l’analyse des techniques) ; et le décret, plus important sur laliturgie, Sacrosanctum concilium.

Pour la troisième session, on attend des textes importants :la grande constitution dogmatique sur l’Eglise (L u m e ngentium), le décret sur les Eglises orientales et le décret surl’œcuménisme (Unitatis redintegratio). Ecclesiam suam se situedans cette attente. Elle accorde une importance très grande aumystère de l’Eglise et au devenir de l’œcuménisme. Ecclesiam

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suam est donc inséparable du concile en cours. Elle réalise unesorte d’étape et de rappel à la fois entre les deux sessions. Elleest étroitement imbriquée dans le concile et reliée à lui enamont et en aval.

D’ailleurs, Paul VI prend soin de signaler les thèmes dont ilne parlera pas dans l’encyclique, alors que dans sonprogramme il aurait pu en faire état. C’est ainsi qu’il ne traiterani de la paix entre les peuples et les classes sociales (Mense maio,1965), ni de la misère et de la guerre qui affligent encore despopulations entières, ni de la montée des jeunes nations quiaccèdent à l’indépendance (Populorum progressio, 1967), ni descourants de la pensée moderne et de la culture ; ni desproblèmes moraux concernant la natalité (Humanæ vitæ).

L’encyclique est donc étroitement liée au concile, bienqu’elle ne prétende pas se substituer à lui. Plus d’une dizainede fois, Paul VI prend soin de déclarer sur le mode solennelqu’il ne veut pas présager du jugement des Pères et encoremoins peser sur lui :

« Nous ne voulons pas entrer dans l’examen concret des thèmesque cette étude se propose, afin de laisser aux Pères du concile le soind’en traiter librement » (n° 68).

« Nous nous abstenons délibérément de prononcer dans cetteencyclique quelque jugement personnel que ce soit, sur les pointsdoctrinaux concernant l’Eglise qui sont actuellement soumis àl’examen du concile lui-même que nous sommes appelé à présider »(n° 35).

Et il précise encore plus en détail :

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« C’est au concile qu’appartiendra le soin de suggérer les réformesà introduire dans la législation de l’Eglise, et les commissions post-conciliaires, spécialement celle que nous avons déjà formée pour larévision du code de droit canonique, traduiront en termes concretsles décisions de l’assemblée œcuménique » (n° 46).

Le pape entend se cantonner dans un travail de préparation,de « sensibilisation » de ses frères dans l’épiscopat et plusgénéralement du peuple chrétien :

« Nous voulons seulement vous inviter, vénérables frères, à faireprécéder cette étude de quelques considérations afin que soient plusclairs les motifs qui poussent l’Eglise au dialogue, plus claires lesméthodes à suivre, plus clairs les buts à atteindre. Nous voulonspréparer les esprits, non pas traiter les sujets » (n° 68).

Tout en définissant sa propre démarche, le pape a donné lemaître-mot de son message : le dialogue. Le pape s’effacedevant le concile mais veut lui préparer la voie, lui tracer leschemins du dialogue. C’est donc un texte qui se veut modeste :

« Nous n’avons pas l’ambition de dire du neuf ou du concret ; leconcile œcuménique est là pour çà » (n° 6).

L’encyclique est définie presque avec humour, comme une« simple conversation épistolaire » (n° 6). « Elle veut simplement êtreun message fraternel et familier » (n° 7). Et il est vrai que le texteest écrit dans une langue simple, très accessible, sur un tonapaisé, sans anathème (à la diff é rence des anciennesencycliques programmes du 19° siècle). Sa tonalité est trèspositive :

« Il ne s’agit plus d’extirper de l’Eglise telle ou telle hérésiedéterminée ou certains désordres généralisés, grâce à Dieu, il n’en

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règne point au sein de l’Eglise ; il s’agira d’infuser au corps mystiquedu Christ, visible en tant que société, des forces spirituelles neuves,en éliminant les défauts de nombre de ses membres et en provoquantde nouveaux efforts de vertu » (n° 46).

Toutefois, même s’il ne s’agit pas de répertorier les erreursdu temps ni de les condamner, deux graves déviations sontmentionnées : le modernisme et l’athéisme.

❑ Montini, bien que né en 1897, avait été, commecollaborateur de Pie XII, hanté par la crainte de voir resurgir lemodernisme. Cette crainte apparaît ici :

« Le phénomène moderniste, qui affleure encore dans diversestentatives d’expression hétérogènes à l’authentique réalité de lareligion catholique… » (n° 28).

Néanmoins, Paul VI a voulu re n d re hommage auxthéologiens (on pense à de Lubac, Congar, Chenu) :

« Nous tenons à adresser un éloge senti aux hommes d’étude qui,spécialement en ces dernières années, en toute docilité au magistèrecatholique, avec une géniale faculté de recherche et d’expression etau prix de laborieux efforts, ont consacré à l’ecclésiologied’abondants et fructueux travaux qui, aussi bien dans les écolesthéologiques que dans la discussion scientifique et littéraire et dansl’apologie et la vulgarisation doctrinale, ou bien dans l’assistancespirituelle aux âmes des fidèles et dans la conversation avec les frèresséparés, ont présenté de multiples illustrations de la doctrine surl’Eglise, dont quelques-unes de haute valeur et de grande utilité »(n° 33).

❑ Plus sévèrement, Paul VI a rappelé les condamnations dessystèmes de pensée et des régimes politiques fondés sur

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l’athéisme, sur la négation de Dieu et la persécution de lareligion :

« Ce sont ces raisons qui nous contraignent, comme elles y ontobligé nos prédécesseurs, et avec eux quiconque prend à cœur lesvaleurs religieuses, de condamner les systèmes de pensée négateursde Dieu et persécuteurs de l’Eglise, systèmes souvent identifiés à desrégimes économiques, sociaux et politiques, et, parmi eux, toutspécialement le communisme athée. En un sens, ce n’est pas tantnous qui les condamnons qu’eux-mêmes, les systèmes et les régimesqui les personnifient, qui s’opposent à nous radicalement par leursidées et nous oppriment par leurs actes. Notre plainte est, en réalité,plutôt gémissement de victime que sentence de juges » (n° 105).

Le pape a jugé cette mise au point d’autant plus nécessairequ’il va aborder les difficiles problèmes du dialogue avec lesathées, et que, fidèle à l’orientation de Jean XXIII, il ne veut pasque le concile prononce une nouvelle condamnation solennelledu communisme athée, comme l’a réclamée à plusieursreprises une fraction des Pères. Il s’agit donc pour lui de tenirl’engagement pris tout en laissant ouverte l’étroite marge de ladiscussion concrète.

La route ainsi dégagée, balisée, l’objet de l’encycliquedevient clair. C’est un appel à l’Eglise, pour mieux prendreconscience d’elle-même en conformant son état aux exigencesévangéliques ; pour la réformer afin qu’elle puisse se présenterau monde comme un interlocuteur digne et crédible.

« Nous pensons que c’est aujourd’hui un devoir pour l’Eglised’approfondir la conscience qu’elle doit avoir d’elle-même, du trésorde vérité dont elle est l’héritière et la gardienne, et de la missionqu’elle doit exercer dans le monde. Même avant de se proposerl’étude de quelques questions particulières, et même avant de

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considérer l’attitude à prendre en face du monde qui l’entoure,l’Eglise doit en ce moment réfléchir sur elle-même pour se confirmerdans la science des desseins divins sur elle-même, pour retrouverplus de lumière, une nouvelle énergie et une plus grande joie dansl’accomplissement de sa propre mission et pour déterminer lesmeilleurs moyens de rendre plus étroits, efficaces et bienfaisants sescontacts avec l’humanité à qui elle-même appartient, bien qu’elle s’endistingue par des caractères propres, sans confusion possible »(n° 19).

2. Le mystère de l’Eglise

On a souvent défini Ecclesiam suam comme une méditationsur l’Eglise. D’une certaine manière, c’est exact dans la mesureoù Paul VI, avant de préciser les conditions du dialogue del’Eglise avec le monde, tient à cerner et à définir la nature del’Eglise et à la distinguer de l’humanité dont elle est solidaire.En fait, les conditions du dialogue, ce que globalement lescontemporains et surtout les générations suivantes ont retenucomme enseignement de ce texte, n’en occupent in fine qu’unepetite partie. Le reste est consacré aux relations avec le concileet à une réflexion spirituelle à haute voix sur l’Eglise : « simpleconversation spirituelle »…

L’incipit de l’encyclique donne le ton et rappelle l’originedivine de l’Eglise :

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« L’Eglise du Christ Jésus a été voulue par son Fondateur commemère aimante de tous les hommes et dispensatrice du salut » (n° 1).

Paul VI a le souci d’insérer sa réflexion dans le droit fil de sesprédécesseurs (Léon XIII et surtout Pie XII avec l’encycliqueMystici corporis, de 1943) depuis le concile de Trente et celui deVatican I auquel il rattache directement Vatican II :

« Le second concile œcuménique du Vatican n’est qu’unecontinuation et un complément du premier, précisément à cause del’obligation dans laquelle il se trouve de reprendre l’examen et ladéfinition de la doctrine sur l’Eglise » (n° 32).

Paul VI, en citant l’encyclique de Pie XII (n° 3 2 & 3 7 ) ,propose la doctrine du corps mystique pour exprimer lem y s t è re de l’Eglise. Dans la mesure où cette reprise deconscience du mystère de l’Eglise est vécue, elle conduit à unevolonté de renouveau.

« De cette conscience éclairée et agissante, dérive un désirspontané de confronter à l’image idéale de l’Eglise, telle que le Christla vit, la voulut et l’aima comme son épouse sainte et immaculée(Ephés. 5, 27), le visage réel que l’Eglise présente aujourd’hui » (n° 1).« [Du décalage] naît un désir généreux et comme impatient derenouvellement, c’est-à-dire de correction des défauts que cetteconscience, en s’examinant à la lumière du modèle que le Christ nousen a laissé, dénonce et rejette » (n° 12).

Aussitôt, le pape précise les erreurs à éviter dans cettevolonté d’amendement et rappelle les principes de la réformeà promouvoir.

« Celle-ci ne saurait concerner ni l’idée à se faire de l’essence del’Eglise catholique ni ses structures fondamentales… Nous ferions dumot réforme un emploi abusif si nous lui donnions un tel sens »

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(n° 48). « S’il est permis de parler de réforme, celle-ci ne doit pass ’ e n t e n d re comme un changement, mais plutôt commel’affermissement de la fidélité qui garde à l’Eglise la physionomiedonnée par le Christ lui-même et qui, mieux encore, veut ramenerconstamment l’Eglise à sa forme parfaite (n° 49).

Mais attention : il ne s’agit pas, sous prétexte de remonter àla source, d’ignorer les progrès nécessaires qui ont fait grandirla semence. Paul VI écarte la tentation du retour à l’Egliseprimitive et d’une sorte de misérabilisme apostolique quidétruit l’institution :

« Ne donnons pas dans l’idée illusoire de réduire l’édifice del’Eglise, maintenant devenu, à la gloire de Dieu, ample et majestueuxcomme un temple magnifique, aux dimensions minuscules de sesdébuts, comme si les mesures d’alors étaient les seules justes etbonnes » (n° 49).

De même, il écarte la tentation charismatique,

« comme s’il pouvait naître une Eglise véritable et neuve deconceptions particulières, généreuses sans doute et parfoissubjectivement persuadées qu’elles procèdent d’une inspirationdivine, mais qui aboutiraient à introduire dans le plan de l’Eglise desrêves sans fondement d’un renouveau fantaisiste » (n° 49).

Pour Paul VI c’est l’Eglise du présent, telle qu’elle est, qu’ilfaut servir et aimer, « avec un sens averti de l’histoire et dans unehumble recherche de la volonté de Dieu » (n° 49). La dimensionhistorique de l’accomplissement de la révélation est trèsfortement perçue par Paul VI (cf. n° 20). Insérée dans la viehumaine, la révélation divine se communique intérieurementaux âmes. Le mystère de l’Eglise n’est donc pas simplement unobjet de connaissance théologique, « il doit être un fait vécu, dans

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lequel, avant même d’en avoir une notion claire, l’âme fidèle peutavoir comme une expérience connaturelle » (n° 39).

Après cette méditation sur le mystère de l’Eglise, le papeaborde le problème central de l’encyclique : quel messagel’Eglise adresse-t-elle au monde ?

« Là se présente ce qu’on appelle le problème du dialogue entrel’Eglise et le monde moderne. C’est le problème qu’il revient auconcile de décrire dans toute son ampleur et sa complexité, et derésoudre, dans la mesure du possible, dans les termes les meilleurs.Mais sa présence, son urgence sont telles qu’elles constituent unpoids pour notre esprit, un stimulant, presque une vocation, quenous voudrions en quelque manière éclairer pour nous-même et pourvous, frères, qui n’avez certainement pas moins que nousexpérimenté le tourment apostolique qu’il constitue. Nous seronsainsi mieux à même de suivre les discussions et les déterminationsque dans le concile nous jugerons tous ensemble convenablesd’établir en cette matière si grave et si complexe » (n° 15).

3. Le dialogue et les dialogues

A ce point de la réflexion, Paul VI expose la nécessité, lanature et les conditions du dialogue ainsi que la diversité desdialogues à mener par l’Eglise. Le dialogue est alors présentécomme la forme immédiatement contemporaine del’évangélisation et de l’apostolat, qui ne supprime pas les

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formes classiques. Le pape insiste sur le rôle fondamental de laprédication (n° 94), de la catéchèse et de la liturgie (n° 95). Maisle dialogue, qui les intègre et les ordonne, devient la formesupérieure indispensable de l’apostolat.

« L’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel ellevit. L’Eglise se fait parole ; l’Eglise se fait message ; l’Eglise se faitconversation » (n° 67).

Le dialogue est nécessaire à l’Eglise pour remplir sonmandat missionnaire, son obligation d’évangéliser, son devoird’apostolat.

« Avant même de convertir le monde, bien mieux, pour leconvertir, il faut l’approcher et lui parler » (n° 70).

Après en avoir indiqué la nécessité, Paul VI cherche àpréciser la nature du dialogue. Il s’agit d’abord d’une attitudeque l’Eglise se doit d’adopter et qui d’une certaine manièrecorrespond à la nature même de la religion.

« Voilà l’origine transcendante du dialogue. Elle se trouve dansl’intention même de Dieu. La religion est de sa nature un rapportentre Dieu et l’homme ; la prière exprime en dialogue ce rapport. LaRévélation, qui est la relation surnaturelle que Dieu lui-même a prisl’initiative d’instaurer avec l’humanité, peut être représentée commeun dialogue dans lequel le Verbe de Dieu s’exprime par l’Incarnationet ensuite par l’Evangile. Le colloque paternel et saint, interrompue n t re Dieu et l’homme à cause du péché originel, estmerveilleusement repris dans le cours de l’histoire. L’histoire du salutraconte précisément ce dialogue long et divers qui part de Dieu etnoue avec l’homme une conversation variée et étonnante. C’est danscette conversation du Christ avec les hommes (cf. Baruch 3, 38) queDieu laisse comprendre quelque chose de lui-même, le mystère de savie strictement une dans son essence, trine dans les Personnes ; c’est

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là qu’il dit finalement comment il veut être connu : il est Amour, etcomment il veut être honoré de nous et servi. Notre commandementsuprême est amour. Le dialogue se fait plein et confiant ; l’enfant y estinvité, le mystique s’y épuise » (n° 72).

Paul VI rattache cette attitude à la pratique de sesprédécesseurs (Léon XIII, Pie XI, Pie XII), qui ont déployéamour et sagesse « pour unir la pensée divine à la pensée humaine,et non pas en des concepts abstraits, mais dans le langage concret del’homme moderne. Et qu’est-ce que cette tentative apostolique sinonu n dialogue ? » « J e a n X X I I I … n ’ a - t - i l p a s a c c e n t u é e n c o redavantage, dans son enseignement, le souci de rencontrer le plusp o s s i b l e l ’ e x p é r i e n c e e t l a c o m p r é h e n s i o n d u m o n d econtemporain ? ». Le concile a lui-même « un objectif pastoral quirevient à insérer le message chrétien dans la circulation de pensée,d’expression, de culture, de tendances de l’humanité telle qu’elle vitet s’agite aujourd’hui sur la face de la terre ».

Toutefois, Paul VI signale quelques risques à éviter : « L’artde l’apôtre est plein de risques. L’apostolat ne peut transiger et setransformer en compromis ambigu » (n° 91). « Seul celui qui estpleinement fidèle à la doctrine du Christ peut être efficacementapôtre » (n° 92). Quatre critères viennent étayer cette définitiondu dialogue : la clarté (notre langage est-il compréhensible ?) ;la douceur (le dialogue n’est pas orgueilleux ni piquant) ; laconfiance (avec une certaine réciprocité dans la confiancemutuelle) ; la prudence pédagogique (impliquant leconnaissance de l’autre et de sa culture).

Quant à l’interlocuteur, c’est globalement le « monde »,c ’ e s t - à - d i re, en langage théologique, l’humanité, l’univers,distinct de l’Eglise et parfois opposé. Paul VI commence par

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rappeler la « distinction » de l’Eglise et du « monde », entenducomme l’humanité opposée à la lumière de la foi et au don dela grâce (n° 61-64).

« Mais cette distinction d’avec le monde n’est pas séparation. Bienplus, elle n’est pas indifférence, ni crainte, ni mépris. Quand l’Eglisese distingue de l’humanité, elle ne s’oppose pas à elle ; au contraireelle s’y unit… Elle ne tire pas de son propre bonheur une raison de sedésintéresser de qui ne l’a pas atteint, mais elle trouve dans sonpropre salut un motif d’intérêt et d’amour envers tous ceux qui luisont proches et pour tous ceux que, dans son effort de communionuniverselle, il lui est possible d’approcher » (n° 65).

L’Eglise est dans le monde avec la tâche d’en comprendre lessignes des temps, selon les propos de Jean XXIII ; mais Paul VImet en garde contre les dangers de confusion : l’Eglise ne doitpas céder à l’illusion de la bonté naturelle de l’homme qui sesuffirait à lui-même. « La pédagogie chrétienne [apprend à] vivredans le monde sans être du monde » (n° 64).

« La vie chrétienne ne doit pas simplement s’accommoder desmanières de penser et d’agir présentées ou imposées par le milieutemporel, tant qu’elles sont compatibles avec les impératifs essentielsde son programme religieux et moral ; elle doit de plus tâcher de lesrejoindre, de les ennoblir, de les animer et de les sanctifier : voilàencore une tâche en vue de laquelle l’Eglise est tenue de contrôlercontinuellement sa pro p re attitude et de garder sa conscienceé v e i l l é e : requête particulièrement pressante et grave de notretemps » (n° 44).

Paul VI invite donc à une attitude efficace mais prudente :

« On ne sauve pas le monde du dehors ; il faut, comme le Verbede Dieu qui s’est fait homme, assimiler, en une certaine mesure, lesformes de vie de ceux à qui l’on veut porter le message du Christ ;

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sans revendiquer de privilèges qui éloignent, sans maintenir labarrière d’un langage incompréhensible… Il faut, avant même deparler, écouter la voix et plus encore le cœur de l’homme ; lecomprendre et, autant que possible, le respecter, et là où il le mérite,aller dans son sens. Il faut se faire les frères des hommes du fait mêmequ’on veut être leurs pasteurs, leurs pères et leurs maîtres. Le climatdu dialogue, c’est l’amitié. Bien mieux, le service » (n° 90).

Les divers interlocuteurs

La proposition générale s’inscrit pour l’Eglise en fidélité auChrist.

« Elle ne promet pas le bonheur sur terre, mais elle offre quelquechose - sa lumière, sa grâce - pour pouvoir l’atteindre le mieuxpossible et puis, elle parle aux hommes de leur destinéetranscendante. Ainsi, elle leur parle de vérité, de justice, de liberté, deprogrès, de concorde, de paix, de civilisation » (n° 99). Là encore, pour définir les interlocuteurs, Paul VI s’efface

derrière le concile, « il nous faudrait enfin dire quelque chose de ceux à qui s’adresse

notre dialogue. Mais nous ne voulons pas prévenir, même sous cetaspect, la voix du concile. Sous peu, s’il plaît à Dieu, elle se feraentendre » (n° 96).

Mais le dialogue avec le monde n’est pas toujours le même ;il faut en effet s’adapter au caractère de l’interlocuteur et auxcirconstances de fait. Le dialogue est plutôt un état d’espritpour mettre continuellement le message de l’Evangile enc i rculation dans les échanges des homme entre eux. Lesdernières pages de l’encyclique, les plus connues, décrivent lesquatre cercles du dialogue, du plus large au plus restreint, du

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plus lointain au plus proche. Ces pages sont aussi celles quidatent le plus, tant il est vrai qu’en trente ans le contexte a bienchangé.

« L’Eglise doit être prête à soutenir le dialogue avec tous leshommes de bonne volonté, qu’ils soient au-dedans ou au-dehors deson enceinte… Nous croyons pouvoir les distribuer comme en autantde cercles concentriques autour du centre où la main de Dieu nous aplacés » (n° 98-100).

« Il y a un premier, un immense cercle ; nous n’arrivons pas à envoir les bords qui se confondent avec l’horizon : son aire couvrel’humanité comme telle, le monde. Nous mesurons la distance qui letient loin de nous, mais nous ne le sentons pas étranger. Tout ce quiest humain nous regarde… Partout où l’homme se met en devoir dese comprendre lui-même et de comprendre le monde, nous pouvonscommuniquer avec lui ; partout où les assemblées des peuples seréunissent pour établir les droits et les devoirs de l’homme, noussommes honorés quand ils nous permettent de nous asseoir aumilieu d’eux. S’il existe dans l’homme « une âme naturellementchrétienne », nous voulons lui rendre l’hommage de notre estime etde notre conversation… Nous ne sommes pas la civilisation, maisnous en sommes promoteurs » (n° 101-102).

A l’intérieur de ce premier cercle figurent les athées. Leproblème de l’athéisme préoccupe tellement Paul VI que, dansl’étude des interlocuteurs, c’est, de loin, le plus longdéveloppement.

« Ce sont ces raisons (négation de Dieu qui dégrade la viehumaine) qui nous contraignent, comme elles y ont obligé nosprédécesseurs, et avec eux quiconque prend à cœur les valeursreligieuses, de condamner les systèmes de pensée négateurs de Dieuet persécuteurs de l’Eglise, systèmes souvent identifiés à des régimeséconomiques, sociaux et politiques, et, parmi eux, tout spécialementle communisme athée. En un sens, ce n’est pas tant nous qui les

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condamnons qu’eux-mêmes, les systèmes et les régimes qui lespersonnifient, qui s’opposent à nous radicalement par leurs idées etnous oppriment par leurs actes. Notre plainte est, en réalité, plutôtgémissement de victimes que sentence de juges. Dans ces conditions,l’hypothèse d’un dialogue devient difficile à réaliser, pour ne pas direimpossible, bien qu’il n’y ait aujourd’hui encore dans notre espritaucune exclusion a priori à l’égard des personnes qui professent cessystèmes et adhèrent à ces régimes » (n° 105-106).

« C’est pour cette raison que le dialogue fait place au silence.l’Eglise du silence, par exemple, se tait, ne parlant plus que par sasouffrance » (n° 107).

Mais Paul VI veut aussi « saisir chez l’athée moderne, au plusintime de sa pensée, les motifs de son trouble et de sa négation » ; ilse livre alors à une analyse des raisons de cet athéisme :déficiences chrétiennes concernant la présentation du mondedivin, utopies généreuses des athées, rêves de justice et deprogrès qui sont autant de « succédanés de l’absolu », recoursà la rationalité qui ne va pas jusqu’au bout d’elle-même,dégoût de la médiocrité et de l’égoïsme de tant de milieuxsociaux contemporains… Ne pourrait-on espérer être capableun jour de « reconduire à leurs vraies sources, qui sont chrétiennes,ces expressions de valeurs morales » (108). C’est dans cetteespérance qu’il reprend alors un thème de Pacem in terris : àsavoir que les doctrines de ces mouvements, une fois élaboréeset définies, demeurent toujours les mêmes, mais que lesmouvements eux-mêmes ne peuvent pas ne pas évoluer etsubir des changements, même profonds (109).

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Le dialogue avec les religions non-chrétiennes

Paul VI l’avait évoqué lors de son voyage en Terre Sainte. Ily consacre ici les 50 lignes des paragraphes 111 et 112.

« Puis, autour de nous, nous voyons se dessiner un autre cercle,immense lui aussi, mais moins éloigné de nous : c’est avant tout celuides hommes qui adorent le Dieu unique et souverain, celui que nousadorons nous aussi ; nous faisons allusion aux fils, dignes de Notreaffectueux respect, du peuple hébreu, fidèles à la religion que Nousnommons de l’Ancien Testament ; puis aux adorateurs de Dieu selonla conception de la religion monothéiste, musulmane en particulier,qui méritent admiration pour ce qu’il y a de vrai et de bon dans leurculte de Dieu ; et puis encore aux fidèles des grandes religions afro-asiatiques. Nous ne pouvons évidemment partager ces différentesexpressions religieuses, ni ne pouvons demeurer indifférents, commesi elles s’équivalaient toutes, chacune à sa manière, et comme si ellesdispensaient leurs fidèles de chercher si Dieu lui-même n’a pas révéléla forme exempte d’erreur, parfaite et définitive, sous laquelle il veutêtre connu, aimé et servi ; au contraire, par devoir de loyauté, nousdevons manifester notre conviction que la vraie religion est unique etque c’est la religion chrétienne, et nourrir l’espoir de la voir reconnuecomme telle par tous ceux qui cherchent et adorent Dieu » (n° 111).

« Mais nous ne voulons pas refuser de reconnaître avec respect lesvaleurs spirituelles et morales des différentes confessions religieusesnon-chrétiennes ; nous voulons avec elles promouvoir et défendre lesidéaux que nous pouvons avoir en commun dans le domaine de laliberté religieuse, de la fraternité humaine, de la saine culture, de labienfaisance sociale et de l’ordre civil. Au sujet de ces idéauxcommuns, un dialogue de notre part est possible et nous nemanquerons pas de l’offrir là où, dans un respect réciproque et loyal,il sera accepté avec bienveillance » (n° 112).

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L’Eglise et l’œcuménisme chrétien

« Et voici le cercle du monde le plus voisin de nous, celui quis’appelle chrétien. Dans ce domaine, le dialogue, qui a pris le nomd’œcuménique, est déjà ouvert ; dans certains secteurs, il est déjàentré dans un développement positif. Volontiers, nous faisons nôtrele principe : mettons en évidence, avant tout, ce que nous avons decommun, avant de noter ce qui nous divise. C’est là un thème bon etfécond pour notre dialogue… Mais nous devons dire aussi qu’il n’estpas en notre pouvoir de transiger sur l’intégrité de la foi et sur lesexigences de la charité. Nous entrevoyons des défiances et desrésistances à cet égard. Mais maintenant que l’Eglise catholique a prisl’initiative de recomposer l’unique bercail du Christ, elle ne cesserad’avancer en toute patience et avec tous les égards possibles ; elle necessera de montrer comment les prérogatives qui tiennent encoreéloignés les frères séparés ne sont pas le fruit d’ambitions historiquesou d’une spéculation théologique imaginaire, mais qu’elles dériventde la volonté du Christ et que, comprises dans leur véritablesignification, elles tournent au bien de tous, servent à l’unitécommune, à la liberté commune et à la commune plénitudechrétienne ; l’Eglise catholique ne cessera de se rendre capable etdigne, dans la prière et la pénitence, de la réconciliation désirée »(n° 113).

La papauté n’est pas obstacle à l’unité, mais facteur positifd’unité (n° 114-115). Ayant défendu la position catholique surce point, Paul VI se plaît à rappeler « l’entrevue pleine de charitéet non moins de nouvelle espérance que nous avons eue, à Jérusalem,a v e c l e p a t r i a rc h e Athénagoras » ; il salue avec respect etreconnaissance « l’intervention de tant de représentants des Eglisesséparées au second concile œcuménique du Vatican »… « dansl’attente de pouvoir encore mieux, dans le dialogue de la sincérité etde l’amour, promouvoir avec eux la cause du Christ et de l’unitévoulue par lui pour son Eglise ».

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Le dialogue dans l’Eglise

« Et finalement, notre dialogue s’offre aux fils de la Maison deDieu, l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, dont l’Eglise deRome est “la mère et la tête”. Comme nous voudrions le goûter enplénitude de foi, de charité, d’œuvres, ce dialogue de famille ! »(n° 117).

Paul VI prend soin alors d’accorder dialogue et obéissancedans l’Eglise et il s’explique sur ce qu’il entend par « obéissancesous forme de dialogue » (119-120).

Conclusion

Ecclesiam suam est un beau texte, très clair et relativementsimple, écrit avec le souci d’être compris. C’est un texte marquépar la sensibilité de Paul VI. Ecclesiam suam participe àl’espérance conciliaire dans le renouveau de l’Eglisequ’expriment sa tonalité joyeuse et son tour positif.

Dans cette perspective, le dialogue apparaît comme uneattitude d’évangélisation appropriée à notre temps et adaptéeaux interlocuteurs. Une place considérable est réservée dans letexte à l’espérance d’un dialogue avec l’athéisme. C’estprobablement ce qui date le plus à nos yeux, mais il y avait là

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une vision prophétique d’une évolution possible que nousavons connue. De plus, l’athéisme continue à être de rigueurdans certains pays et dans certains milieux.

Paul VI ira très loin dans l’œcuménisme, aussi loin quepossible. Sur un chantier encore peu avancé mais chargéd’espérance, il a accompli un travail énorme.

Enfin, comment ne pas relever l’espérance immense de PaulVI dans le concile, sa confiance dans le travail des Pères. Onmesure d’autant mieux ainsi sa souffrance lorsqu’il le verramal compris ou mal appliqué. Résolument positive, Ecclesiamsuam reste une encyclique de la jeunesse du concile.

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Maurice Vidal

DIALOGUE AU CŒUR DE LA MISSIONPERSPECTIVES ECCLÉSIOLOGIQUES D’Ecclesiam suam

Maurice Vidal, professeur au Séminaire Saint-Sulpice de Paris, est directeur de laFormation C dans le cadre de l’U.E.R. (Unité d’enseignement et de recherche) de laSection de théologie biblique et systématique (S.T.B.S.) de l’Institut catholique deParis.Il est bien connu pour ses contributions à l’ecclésiologie contemporaine, enparticulier pour son ouvrage : L’Eglise, peuple de Dieu dans l’histoire des hommes, Paris,Centurion, 1975.

La première encyclique du pape Paul VI, publiée le 6 août1964, un an après son élection au siège apostolique de Rome,quatorze ans, jour pour jour, avant sa mort, n’est certes paspassée inaperçue. Mais, parue au cœur de l’été et entre ladeuxième et troisième session du concile, elle fut commeéclipsée et absorbée par le concile lui-même1.

Cette destinée correspondit à l’intention du pape. Ayantdifféré d’un an la publication de cette encyclique inaugurale de

1. Elle n’est citée que 12 fois dans les textes conciliaires ; jamais dans LumenGentium, dont l’ultime rédaction était quasiment achevée en vue de la troisièmesession où cette constitution devait être promulguée, mais 3 fois dans Gaudiumet spes.

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son pontificat, Paul VI en livra déjà les grandes lignes dans sondiscours d’ouverture de la deuxième session du concile, le 29septembre 1963 :

« Que la parole vivante prenne donc la place de l’encycliquequ’après ces jours chargés nous comptons vous adresser, s’il plaît àDieu »2.

Il l’écrivit ensuite, comme il le dit lui-même à l’Angélus du6 août 1964, « en toute humilité et avec la solide espérance qui brûledans notre cœur ». Soucieux de respecter le travail du concile,sans diminuer le moins du monde sa responsabilité propre, lepape se retint de formuler des jugements sur les questions encours de discussion.

Il fit plutôt de son encyclique une sorte de confidencefraternelle sur l’esprit qui inspirait et orientait son propreministère et qui, il le pensait, inspirait et orientait de même leconcile, de telle sorte que cet entretien épistolaire avec lesévêques, premiers destinataires, fût de nature à renforcer lacommunion de foi et de charité entre le pape et ses frères dansl’épiscopat, au service de l’Eglise et de l’humanité (cf. Ecclesiamsuam n° 35 et n° 6, 7, 8)3.

En 1980, l’Instituto Paolo VI de Brescia avait organisé à Romeun colloque international sur Ecclesiam suam, dont les travauxont été publiés par cet institut4 ; en orientant ici notre propre

2. Jean XXIII, Paul VI, Discours au concile, Centurion, Paris 1966, p. 101. 3. Nous utilisons le texte français diffusé par les services du Vatican et la

numérotation faite par différentes éditions sur le texte officiel latin, chaquenuméro correspondant à un alinéa de ce texte.

4. Instituto Paolo VI, Ecclesiam suam. Colloque International Rome 24-26 octobre1980, Brescia 1982.

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lecture de cette encyclique sur le « dialogue dans la mission »nous en visons le cœur et l’intention principale qui appelle etorganise l’ensemble.

1. L’encyclique du dialogue

L’intention de Paul VI a été bien comprise, car l’idée-forcequ’on a le plus souvent retenue de cette encyclique est celle dudialogue. On a compté que le mot s’y trouvait exprimé 57 fois.C’est beaucoup, et peu sur environ 15000 mots ! Mais laproportion est quand même plus forte que dans les textes duconcile où le mot dialogue (en latin « c o l l o q u i u m » ou« dialogus ») n’est employé que 61 fois sur 104882 mots5. Noussavons par ailleurs que, des dossiers constitués par Paul VIpour la rédaction très personnelle de son encyclique, le plusimportant se rapportait au dialogue (45 pages).

Il ne semble pas que Jean XXIII ait beaucoup utilisé cetteexpression. Il parlait plutôt du rayonnement de l’Eglise, ou dela lumière du Christ, dans et par l’Eglise, sur le monde entier6.

5. Jamais dans Lumen gentium ni Sacrosanctum concilium, 2 fois dans Dei verbum, 2fois (seulement !) dans Nostra ætate, mais plus souvent dans Gaudium et spes, Adgentes et Unitatis redintegratio.

6. Jean XXIII, Paul VI, Discours au concile, pp. 67-68. On y voit déjà les trois cerclesdu rayonnement.

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L’idée du dialogue est peut-être impliquée dans le soucipastoral de présenter la doctrine catholique de telle manièrequ’elle recueille « l’adhésion de tous »7. Explicitement, en toutcas, le cardinal Suenens, parlant au cours de la séance duconcile du 4 décembre 1962, proposa de donner comme axe auxtravaux conciliaires, qui n’en avaient aucun, l’Eglise« ad intra », en elle-même, et l’Eglise « ad extra », dans sesrelations avec les autres.

Il résumait ce programme en un « triple dialogue » : « del’Eglise avec ses fidèles » (!), « de l’Eglise avec les frères qui nelui sont pas encore visiblement unis » (on ne parle pas encoredes autres Eglises !), « de l’Eglise avec le monde moderne »8. Lelendemain, le 5 décembre 1962, le cardinal Montini, alorsarchevêque de Milan, qui intervenait pour la première etdernière fois dans cette session du concile, invite les Pères àprendre très sérieusement en considération le programmeproposé par le cardinal Suenens, auquel il assurait son pleinassentiment. Lui-même avait parlé de dialogue en commentantdans son diocèse la décision de Jean XXIII de convoquer unconcile. Dans une conférence du 16 août 1960, il annonçait lanécessité d’un double regard de l’Eglise catholique vers lesautres : vers les chrétiens séparés, dont il voit la réunioncomme une chose « difficilissima, complicatissima » (!), et versla « vie moderne ». Là encore, il a une conscience aiguë de ladifficulté : « Il y aura sûrement une puissante tentative de dialogue.Et si ce n’est pas un dialogue, un cri, un appel, une prophétie »9.

7. Ibid, p. 64.8. Acta synodalia sacrosancti concilii œcumenici Vatican II, Volumen II, Paro IV, Roma

1971, p. 224. 9. G.B. Montini Discorsi e Scritti del concilio, Brescia, 1983, pp. 58-59.

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Deux ans plus tard, dans sa Lettre pastorale du 22 février1962 pour le carême, il parlait de nouveau du dialogue, mais,cette fois-ci, du dialogue avec Rome à l’intérieur de l’Eglisecatholique :

« Avec joie et vénération, la catholicité écoutait Rome parler, enrecevait normes et instructions et obéissait volontiers, mais avaitsouvent l’impression que lui manquaient la facilité d’un dialogue etl’invitation à collaborer »10.

Pourtant, c’est à peine si le nouveau pape Paul VI emploie lemot dialogue dans son discours d’ouverture de la deuxièmesession le 29 septembre 196311. Il y définit les quatre butsprincipaux du concile. Trois d’entre eux sont ceux qu’avaitdéfinis Jean XXIII : le deuxième est le renouveau de l’Eglisecatholique, le troisième, le rétablissement de l’unité de tous leschrétiens, dont Paul VI parle avec un réalisme étonnant,comme il parlera, à son tour, de la catholicité ; le quatrième estla contribution de l’Eglise à la solution des problèmes gravesde l’humanité contemporaine. Le premier, qui est d’ordreproprement doctrinal, n’était pas clair dans les intentions deJean XXIII. Pour Paul VI, au contraire, il s’agit très nettement dere p re n d re « l’étude doctrinale interrompue et le travaillégislatif suspendu » de Vatican I (ce qui n’avait jamais été ditpar Jean XXIII), pour approfondir et préciser ce qu’est l’Eglise,ce qu’elle pense et dit d’elle-même. Cet objectif va devenir lapremière partie d’Ecclesiam suam : « La conscience de soi del’Eglise ». Le troisième objectif de Jean XXIII est devenu ainsi lequatrième, et il est présenté comme un « d i a l o g u e »

10. Ibid. p. 79.11. Jean XXIII, Paul VI, Discours au concile, pp. 98-125.

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(« collocutio ») de l’Eglise avec le monde contemporain, ou« l’humanité de notre temps ».

Ce dialogue est exigé par le paradoxe d’une Eglise qui, à lafois, se différencie de la société des hommes par sa consciencede soi, sa réforme et son renouveau, et redécouvre, par làmême, avec plus d’intensité, sa vocation missionnaire« d’annoncer hardiment l’évangile à tous les hommes », et d’être« un levain vivifiant et un instrument de ce salut pour ce mêmemonde… dont elle se différencie et se détache ». Le pape rappelle iciaux Pères le message du concile au monde, au début de lap re m i è re session, et l’interprète comme « g e s t e i n s o l i t e e tadmirable », inspiré par « l’amour qui pense aux autres avant depenser à soi », et qui a poussé les membres du concile, leur dit-il, « à vous occuper non pas d’abord de vos affaires mais de celles dela famille humaine et à engager le dialogue non pas entre vous maisavec les hommes ».

Dans cette dernière partie de son discours, le pape envisaged’abord les pays où l’Eglise est persécutée, puis l’athéisme,ensuite différentes catégories de personnes, pour finir parre g a rder « au-delà des fro n t i è res de la famille chrétienne » ,« au-delà de l’espace chrétien », les religions qu’il n’appelle pas« non encore chrétiennes », comme Jean XXIII dans son discoursd’ouverture de la première session, mais simplement « lesautres religions ».

Dans Ecclesiam suam, Paul VI modifie cette présentation. Lesquatre objectifs du concile deviennent comme naturellement« trois pensées » qui « agitent » l’esprit du nouveau pape,parfaitement conscient de sa charge et de sa responsabilité

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(n° 9), mais qui sont aussi, trois « désirs » de sa part pourl’Eglise (n° 43), « trois attitudes » qu’elle doit prendre « en cemoment de l’histoire du monde » (n° 60). Ce sont :

❑ La conscience de soi de l’Eglise, la réflexion et laméditation sur son mystère.

❑ Son renouvellement et sa réforme pour être fidèle à ce quele Christ veut qu’elle soit.

❑ Le dialogue entre l’Eglise et le monde moderne, qui, dansl’encyclique, caractérise toutes les relations de l’Eglisecatholique et de ses membres avec les autres, de quelque pointde vue qu’on considère leur différence ou distance à l’égard del’Eglise. Il apparaît à une lecture attentive que les deuxpremières parties sont pensées en fonction de la troisième surle dialogue, qui est le but et le fruit de la conscience de soi del’Eglise et de son renouvellement (cf. n° 13 et 60).

2. Théologie du dialogue

Cette construction de l’encyclique nous conduit à étudier lathéologie du dialogue, c’est-à-dire, d’une façon plus précise etrigoureuse, comment, selon Paul VI, c’est la théologie del’Eglise qui est elle-même une théologie du dialogue, parce

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qu’il est dans la nature congénitale de l’Eglise, née de Pâques,d ’ ê t re missionnaire, donc de « se faire parole, message,dialogue » (n° 67). L’Eglise n’a rien à dire si elle n’est pasdifférente, si elle n’est pas consciente de la nouveauté del’évangile qui l’a fait naître et qui la renouvelle et la réforme.Inversement, cette différence n’aurait plus de signification sielle n’était pas vécue dans l’aventure de la rencontre et dudialogue avec les autres (cf. n° 61, 65, 66, 67).

❑ Notons bien que c’est « l’impulsion intérieure decharité » qui donne à l’annonce la forme du dialogue. Touteannonce, même publicitaire, exige et comporte uneconnaissance des besoins et de la mentalité du destinataire,comme tout enseignement suppose qu’on ne connaisse passeulement le latin ou l’anglais, mais celui à qui on veutl’enseigner. Mais « l’impulsion intérieure de charité » (n° 66) vientde plus haut et pousse plus loin. La conscience de soi del’Eglise est chez Paul VI résolument christocentrique. Dansson intervention au concile du 5 décembre 1962, il avaitprécisément reproché au premier schéma de constitution surl’Eglise de ne l’être pas assez. Dans son discours d’ouverturede la deuxième session, il avait exhorté l’Eglise à désirer être« tout entière du Christ, dans le Christ, pour le Christ, tout entièredes hommes, parmi les hommes, pour les hommes ». Dansl’encyclique, ce christocentrisme s’exprime dans la théologiedu Corps mystique, inspirée de « Mystici Corporis » de Pie XII(cf. n° 37), mais aussi des théologiens dont il fait l’éloge aun° 33. Ou, comme l’a finement observé le Père Georges Tavard,cette conscience de soi christologique de l’Eglise est déjàdialogue car « elle inclut la connaissance de l’autre, en faceduquel et pour lequel on est Eglise, et la connaissance de

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l’autre et des autres qui ne sont pas, ne sont pas encore, ousimplement ne savent pas qu’ils sont l’Eglise »12. C’est cetteconscience de l’autre qu’est le Christ qui a sans doute inspiré àPaul VI l’audace du langage de la « réforme » et pas seulementdu « renouvellement » ou de « l’aggiornamento », tout en lecontenant dans des limites précises (cf. n° 12, 43, 46, 68, 49). Ellelui inspire aussi la contemplation du dialogue en sa source,dans la révélation de Dieu.

Dieu, en effet, s’est révélé et se révèle en se communiquantà nous, non par une manifestation sans voix, ni par des parolesénigmatiques et sans appel, mais par une parole suscitant entrelui et nous un authentique dialogue, non seulement commed’un maître avec son serviteur, mais comme d’un ami avec unami (cf. n° 72 et 90). Du dialogue qu’est la révélation, Paul VIdéduit le dialogue qu’est sa transmission par l’Eglise. Ledocument Dialogue et annonce fait de même, en se référant àEcclesiam suam :

« Dieu, dans un dialogue qui dure au long des âges, a offert etcontinue d’offrir le salut à l’humanité. En fidélité à l’initiative divine,l’Eglise se doit donc d’entrer dans un dialogue de salut avec tous. Lepape Paul VI l’a clairement enseigné dans sa première encycliqueEcclesiam suam »13.

❑ Ce raccourci appelle de la part du théologien quelquesréflexions qui peuvent aider à comprendre d’autres aspects dela réalité en question. Nous devons d’abord remarquer que ledialogue entre Dieu et nous ne se réduit pas à ce que le mot

12. Instituto Paolo VI, Ecclesiam Suam, p. 171. 13. Congrégation pour l’évangélisation des Peuples et Conseil Pontifical pour le

dialogue interreligieux Dialogue et Annonce, n° 38 et 39.

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s u g g è re d’une conversation entre deux personnes, maiscomprend toutes les formes de parole, telles que l’appel, lecommandement, la proclamation, l’enseignement et le silence.Il comprend aussi, puisque Dieu ne nous parle qu’en nouspermettant de lui parler et de parler en son nom, la confessionde foi, la prière, l’aveu des péchés. D’autre part, en instaurantce dialogue avec nous, Dieu ne veut avoir besoin que de laréponse de notre foi, de notre espérance, de notre amour et nes’enrichit que de notre propre croissance « à son image, selonsa ressemblance ».

Si l’on déduit immédiatement le dialogue de l’Eglise, on nes’étonnera pas qu’après avoir exposé la source, les raisons, lesqualités du dialogue, Paul VI interrompt, pour ainsi dire, cettedescription pour rappeler « l’importance suprême de la prédicationchrétienne » (n° 94, 95). On ne s’étonnera pas non plus, commeon l’a beaucoup fait, que le dialogue dont il parle ressemblesouvent davantage à une annonce et à un enseignement faitsavec amour et pédagogie, voire à une thérapeutique, dontl’exemple est le Bon Samaritain, qu’à une véritable recherchecommune où l’Eglise recevrait en même temps qu’elledonnerait (cf. n° 63, 65, 69, 70)14.

Pourtant, tout n’est pas dit par là de la complexité et de lasubtilité de la pensée de Paul VI sur le dialogue. Quand il serattache à la méthode d’enseignement de ses prédécesseurs,depuis Léon XIII, sur les problèmes de la société, il rappelle

14. L’image de la relation entre le médecin et le malade se trouve dans Ecclesiamsuam n°65. Dans le discours de clôture du concile, le 7 décembre 1965, ilconfirmera que c’est « la vieille histoire du Samaritain qui a été le modèle de laspiritualité du concile » (Jean XXIII, Paul XI, Discours au concile) p. 248.

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leur « s o u c i d e re n c o n t re r l e p l u s p o s s i b l e l ’ e x p é r i e n c e e t l acompréhension de soi du monde contemporain » (n° 70). Quand,dans le même passage, il définit « l’objectif pastoral du concile quiest d’insérer le message chrétien dans la circulation de pensées, deparoles, de cultures, de coutumes, de tendances de l’humanité tellequ’elle vit et s’agite aujourd’hui sur la face de la terre », ce n’est passeulement le souci de faire à tout prix passer le message del’Eglise qui l’inspire. C’est aussi la reconnaissance de la culturecontemporaine qui lui fait dire que c’est ainsi, dans le dialogueet les échanges, que l’Eglise aujourd’hui doit comprendre etpratiquer ses rapports avec le monde (cf. n° 80, 81, 82). Lamanière elle-même que le pape recommande, et qu’il essaie dep r a t i q u e r, consiste à approfondir la théologie de l’Eglisecomme une « connaissance réflexe » et reconnue par lui comme« une expression raffinée de la culture moderne » (n° 30).

3. Cohérence et tensions

Les différences et divergences peuvent trouver sans douteleur cohérence de principe dans le chritocentrisme del’ecclésiologie de Paul VI, sans que pour autant la tension quien résulte soit résolue.

Si l’on voit d’abord la continuité entre Dieu, le Christ etl’Eglise, plus précisément l’Eglise catholique, on comprend que

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Paul VI, humblement mais inébranlablement, se reconnaisselui-même certes « tout petit et comme anéanti à terre aux pieds duChrist », comme le pape Honorius III dans la mosaïque de St-Paul-hors-les-murs mais néanmoins au centre du monde dansl’histoire actuelle du salut : un centre autour duquel l’humanités’ordonne en « cercles concentriques » (n° 100) : l’humanité, quic o m p rend malheureusement beaucoup d’hommes qui sedéclarent athées et qui retiennent l’attention du pape ; « les filsdu peuple hébreu, fidèles à la religion que nous disons de “l’AncienTestament”, les adorateurs d’un Dieu unique, les “fidèles des grandesreligions afro-asiatiques”, les “frères chrétiens encore séparés denous”, enfin “les fils de la maison de Dieu” » (n° 101-120).

Mais comment se fait-il que le pape, de ce « centre où lamain de Dieu l’a placé »15 envisage premièrement non le cerclele plus proche des fidèles catholiques mais « l’immense cerclede l’humanité comme telle », appréhendé d’abord de ce pointde vue selon lequel « tout ce qui est humain nous regarde » etselon lequel « nous acceptons de partager cette pre m i è reuniversalité » (n° 101) ? Dans cette perspective, s’il est de lamission de l’Eglise et donc du pape de « mettre en évidence et deconsolider dans les consciences humaines des vérités morales etvitales », ce sera plutôt « en communiquant avec l’homme partoutoù il cherche à se comprendre lui-même et à comprendre le monde »(ibid)16. En effet, précise ici Paul VI, « nous ne sommes pas lacivilisation mais nous la favorisons » (n° 102).

15. Dans son message au monde du 11 septembre 1962, Jean XXIII avait parlé deRome comme « centre de l’histoire nouvelle de l’univers placée sous l’inspiration et lenom du Christ »(Jean XXIII, Paul VI, Discours au concile p. 48).

16. Paul VI ajoute, anticipant sa visite à l’O.N.U. du 4 octobre 1965, « partout où lesassemblées des peuples se réunissent pour établir les droits et les devoirs de l’homme,nous sommes honorés, quand ils consentent, de nous asseoir au milieu d’eux ».

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Il est vrai qu’aussitôt après, le pape consacre une longueréflexion à l’athéisme. Mais, là encore, comment se fait-ilqu’après avoir annoncé sa volonté de « résister de toutes sesforces à cette négation envahissante » (n° 104), il cherche avecautant de soin, d’attention, de respect et d’intelligence àcomprendre les motifs divers de l’athée moderne, dont certainspeuvent être nobles et même religieux (cf. n° 108) ? N’est-ce pasparce que « l’impulsion intérieure de charité » qui vient de plushaut que l’Eglise, ses stratégies et tactiques apostoliques, lepousse aussi plus loin ? Elle pousse à aimer pour eux-mêmes,et donc à respecter et chercher à comprendre celles et ceux dontnous sommes les compagnons de route, et pas seulement lecentre vers lequel tous doivent converger (cf. n° 90 et 86).

Ecclesiam suam, qui n’a pas encore assimilé la théologie del’Eglise peuple de Dieu itinérant, ne prend guère en considéra-tion dans son orientation christocentrique le caractère eschato-logique de la fondation conjointe de l’Eglise, communauté defoi, d’espérance et decharité, et de son activitémissionnaire, ni, plus radi-calement encore, le carac-t è re eschatologique de laR é s u r rection du Christ etSeigneur mais afin qu’ilrègne jusqu’à ce que « Dieusoit tout en tous » (cf. I Co 15, 28), afin qu’il croisse, grâce àl’Esprit Saint, en son Corps qui est l’Eglise, jusqu’à sa « pléni-tude » (Eph. 4, 13) qui, selon Origène, sera la « vérité » de sapleine réalité.

Eschatologie« Vient du mot grec eschatos qui signifie

“dernier”. Parler d’eschatologie oud’eschatologique, c’est parler de la destinéefinale de l’homme et du monde, del’orientation dernière de l’histoire, du sensultime de toute l’économie du salut » (Lesévêques de France, Catéchisme pour adultes,1991, p. 366).

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Or cette croissance du Christ crucifié et ressuscité vers sonavenir, vers un Christ toujours plus grand, suppose, appelle,permet et les inculturations nouvelles de l’Evangile et les

dialogues avec les autres,sur la base de ce que nousconnaissons, pressentons,de Dieu et de son« Mystère », et dans larecherche de ce que nousne connaissons pasencore :

« Mouvement qui seraitfaussé si l’Eglise se mettaitau centre des choses etvoulait convertir leshommes à la particularitéqu’elle est : seul le ChristUniversel peut être aussi aucentre, ce Christ qu’elle neconnaît que dans la missionde sa particularité et qu’elles’en va quêtant sur toutvisage d’homme »17.

17. P. J. Labarrière, Dieu aujourd’hui, Paris 1977, p. 226. Le cardinal Montini avaitévoqué dans sa lettre pastorale du 22 février 1962, ce « devenir du Christ » maisd’un point de vue étonnamment nouveau (G.B. Montini, Discorsi e Scritti delConcilio, Brescia, 1983, pp. 77-78).

Acculturation ou inculturation« Le mot acculturation nous est venu

d’Amérique. Formé de ad, “vers” et de cultura,“culture”, ce mot désigne le phénomène parlequel un groupe d’individus d’une culturedéfinie entre en contact avec une culture diffé-rente. Utilisé au sens de la rencontre de deuxreligions, le mot acculturation désigne desprocessus d’acceptation, d’interprétation, d’as-similation, éventuellement de syncrétisme…Le mot inculturation p rend place dans lelangage officiel de l’Eglise en 1979. Il est utilisépar le pape Jean-Paul II, dans son exhortationapostolique Catechesi tradendæ… Dans cettepremière utilisation du mot inculturation dansun document officiel de l’Eglise, il est questionde synonymie avec le mot acculturation.Cependant, la suite du texte de l’exhortationm o n t re clairement que l’inculturationcomporte des notes spécifiquement chré-tiennes… En 1987, les deux vocables ne sontplus considérés comme synonymes.Inculturation désigne les contacts de la foi chré-tienne avec une culture ou des cultures : ils’agit d’un concept utilisé par l’Eglise dansl’application de Nostra ætate, alors que accultu -ration garde sa signification, qui lui vient del’anthropologie sociale et culturelle. L’Eglisetient à préciser sa mission spécifique : fairepénétrer l’Evangile au cœur des cultures »(Julien Ries, Les chrétiens parmi les religions,Manuel de théologie n° 5, Desclée, 1987,pp. 440-442).

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Dialogue au cœur de la mission

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Conclusion

Le concile de Vatican II a, nous l’avons dit, peu cité Ecclesiamsuam, même s’il en a été marqué.

Après 1965, l’encyclique n’est presque plus mentionnée,encore moins commentée. Mais le pape Jean-Paul II a tenu à s’yréférer expressément dans l’encyclique Redemptor Hominis du 4mars 1979, qui est l’équivalent de ce qu’avait été pour Paul VIEcclesiam suam. Et il l’a fait précisément en associant la missionde salut et le dialogue du salut. « En me référant aujourd’hui à cedocument qui fixait le programme du pontificat de Paul VI, je necesse de remercier Dieu dans ce grand prédécesseur, qui est en mêmetemps un vrai Père pour moi, qui a su, malgré les diverses faiblessesinternes qui ont affecté l’Eglise dans la période postconciliaire,manifester “ad extra”, au dehors, le visage authentique de cettedernière »18.

18. Jean-Paul II, Le Rédempteur de l’homme, Editions du Cerf, 1979, p. 50.

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Jozef Card. Tomko

LE DIALOGUE CHEMIN DE LA MISSION

Le cardinal Jozef Tomko, slovaque, est docteur en théologie, en histoire canonique eten sciences sociales.Après avoir été responsable du Bureau doctrinal de la Congrégation pour ladoctrine de la foi (1966) et secrétaire général du Synode des évêques (1979), il a éténommé préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples (1985).

Le dialogue faisait implicitement toujours partie de lamission comme un fait et une méthode conformes à l’annonce,au témoignage, aux activités d’assistance, caritatives ouéducatives. Mais parler explicitement du dialogue en tant quevoie de la mission aurait été impensable il y a seulementquelques années. Aujourd’hui on le fait communément ; maisbeaucoup de problèmes restent cependant à clarifier.

La question est actuelle et cruciale tant en elle-même que parses implications. Il suffit de penser que la mission est ce pourquoi l’Eglise existe, ou mieux, ce qui l’identifie, la définit : « Dep a r s a n a t u re , l ’ E g l i s e , d u r a n t s o n p è l e r i n a g e s u r t e r re , e s tmissionnaire » (Ad gentes 2). Le dialogue, à son tour, avant d’êtreune activité spécifique, est d’abord un esprit, un style et, plusencore, une vision en partie nouvelle des rapports profonds

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entre l’Eglise et le monde, sur le chemin parcouru par Dieumême pour communiquer et se communiquer aux hommesdans l’histoire :

« Il faut, dit Paul VI, que nous ayons toujours présent cet ineffableet réel rapport de dialogue offert et établi avec nous par Dieu le Père,par la médiation du Christ dans l’Esprit Saint, pour comprendre quelrapport nous, c’est-à-dire l’Eglise, nous devons chercher à instaureret à promouvoir avec l’humanité » (Ecclesiam suam).

Il y a ensuite la relation entre ces deux réalités, mission etdialogue : elle est bien complexe. On peut parler du dialogue« voie » de la mission, et c’est surtout sous cet aspect que j’entraiterai ; mais ce n’est pas l’unique aspect, et lui-même se prêteà différentes interprétations.

Evidemment, je ne toucherai que certains points de laquestion : ceux qui me semblent les plus essentiels et les plusbrûlants pour une réflexion sur le dialogue par rapport à lamission, et spécialement le dialogue interreligieux en relationavec la mission « Ad gentes », et en particulier avec l’annonce,laquelle « a, en permanence, la priorité dans la mission »(Redemptoris missio 44). Mais pour focaliser cet objectif il estnécessaire de faire un discours plus ample, au moins sous uneforme concise, et qui rende compte du chemin parcouru parl’Eglise en ce domaine, depuis le concile jusqu’à nos jours.

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1. Documents et événements

A) Ecclesiam suam : base historique et idéale

Le point de départ ne peut être que Ecclesiam suam. Nonseulement parce que cette rencontre veut être une célébrationdu 30ème anniversaire de sa publication mais parce que c’estavec ce texte que, dans le vocabulaire et dans la mission del’Eglise, entre explicitement le terme « dialogue » (en latin,colloquium).

Cette première encyclique de Paul VI a été publiée le 6 août1964, entre la seconde et la troisième session du concile VaticanII, alors que les textes concernant le dialogue interreligieuxétaient encore en élaboration et que les documents conciliairesferont usage des termes « dialogus/colloquium » seulement unan après. Le pape préparait personnellement cette encycliquedepuis longtemps et peu de temps avant sa publication il avaitcréé le Secrétariat pour les non-chrétiens (17 mai 1964). Tout celarévèle une intention longuement mûrie qui, dans l’encyclique,est clairement exprimée, répétée, vivante : montrer lacoïncidence entre mission et dialogue, en un sens un peudifférent de ce qu’en pensent certains aujourd’hui.

En bref, l’encyclique Ecclesiam suam s’articule en t r o i sparties qui sont pensées en une succession logique rigoureuse.

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Partant d’une prise de conscience d’elle-même, l’Eglise estappelée à opérer son renouveau, et ces deux engagementsurgents du moment convergent dans le « dialogue ». Lesspécialistes confirment cette séquence : prise de conscience,renouveau, dialogue. Le dialogue assume, de fait, dans larédaction finale du document la proportion et la quasiconsistance d’un traité. Il prend sa source dans le dialoguemême de la Trinité avec l’humanité tout entière, c’estl’autocommunication divine, c’est le dialogue du salut. Tel estle dialogue que l’Eglise, pour être fidèle à son Seigneur, doitouvrir avec le monde, selon les modalités et les formes que lepape précise soigneusement, afin qu’elle prolonge en cettemission l’œuvre et la manière de faire divines.

De mon point de vue, il me tient à cœur d’insister sur le faitque, selon Paul VI, l’essentiel pour l’Eglise est le dialogue dusalut. Pour lui, le dialogue est un autre nom de la mission. Ildit : « Le devoir lié par la nature au patrimoine reçu du Christ, c’estde répandre ce trésor, c’est de l’offrir, c’est de l’annoncer. Nous lesavons bien : “Allez donc, enseignez toutes les nations” (Mt. 28, 19)est l’ultime commandement du Christ à ses Apôtres. Ceux-cidéfinissent leur propre mission par le nom même d’apôtres. A proposde cette impulsion intérieure de charité qui tend à se traduire en unnom extérieur, nous emploierons le nom, devenu aujourd’hui usuel,de dialogue » (op. cit. p. 66).

Cette perspective concerne l’ensemble des quatre cercles quel’encyclique décrit autour de l’Eglise comme interlocuteur dudialogue et, en particulier, le second qui comprend les croyantsnon-chrétiens, membres d’autres religions. A leur égard ,

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l’encyclique Ecclesiam suam énonce clairement une volonté dedialogue.

Elle affirme d’un côté : « Nous ne pouvons évidemment partager cesdifférentes expressions religieuses, ni ne pouvons demeurer indifférents,comme si elles s’équivalaient toutes, chacune à sa manière, et comme si ellesdispensaient leurs fidèles de chercher si Dieu lui-même n’a pas révélé laforme exempte d’erreur, parfaite et définitive, sous laquelle il veut êtreconnu, aimé et servi ». Mais, on ne peut, d’un autre côté, refuser « dereconnaître avec respect les valeurs spirituelles et morales qu’elles possèdentet il faut collaborer avec elles dans les idéaux que nous pouvons avoir encommun dans le domaine de la liberté religieuse, de la fraternité humaine, dela bonne culture, de la bienfaisance sociale et de l’ordre civil »(op. cit. nn. 111-112).

C’est pourquoi il résulte clairement que l’encycliqueEcclesiam suam est et doit demeurer la base d’une réflexion surle dialogue dans le cadre de la mission, base non seulementhistorique mais idéale. Si elle se révèle prudente et encoreimprécise sur certains aspects, que seule une pratiqueauthentique du dialogue permettra de saisir ou d’approfondir,elle constitue toutefois une pierre angulaire sur laquelle doit sefonder le dialogue. Ce qui essentiellement signifie que l’Eglisel’entende et l’explique en se référant au plan salvifique de Dieuet au cœur du mandat missionnaire de Jésus Christ.

B) Documents conciliaires :le visage du dialogue interreligieux

L’influence de l’encyclique Ecclesiam suam se réperc u t eimmédiatement sur le concile, dans plusieurs documents qui

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c o n c o u rent à donnervie et visage à ce quisera appelé le dialogueinterreligieux. En plusde la « Déclaration surles relations de l’Egliseavec les religions nonc h r é t i e n n e s » (N o s t r aætate, 28 octobre 1965),nouveauté surpre-nante, on doit serappeler d’impor-tantes aff i r m a t i o n sd’autres textes : Lumeng e n t i u m, Gaudium ets p e s, Ad gentes, D e iv e r b u m, D i g n i t a t i sh u m a n æ. Dans maperspective, jerappelle quelquespoints qui doivent être considérés comme ayant un lien entreeux.

❑ Avant tout, le concile, s’il en était besoin (et ce le sera peut-être), a donné une réponse directe et catégorique à la réellepossibilité de salut pour chaque individu (Lumen gentium 16),en précisant même « que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon queDieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal »(Gaudium et spes 22). Tout cela dans le cadre du dessein divinpar lequel « ceux qui n’ont pas encore reçu l’Evangile, sous desformes diverses, eux aussi sont ordonnés au peuple de Dieu » (Lumen

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Liste des documents promulgués par le concileVatican II, classés chronologiquement :

4 décembre 1963 : Constitution sur la sainteliturgie (Sacrosanctum concilium) ; Décret sur lesmoyens de communication sociale (Inter mirifica) ;

21 novembre 1964 : Constitution dogmatiquesur l’Eglise (Lumen gentium) ; Décret sur les Eglisesorientales catholiques (Orientalium Ecclesiarum) ;Décret sur l’œcuménisme (Unitatis redintegratio) ;

28 octobre 1965 : Décret sur la charge pastoraledes évêques dans l’Eglise (Christus Dominus) ;Décret sur la rénovation et l’adaptation de la viereligieuse (Perfectæ caritatis) ; Décret sur laformation des prêtres (Optatam totius Ecclesiære n o v a t i o n e m) ; Déclaration sur l’éducationchrétienne (Gravissimim educationis momentum) ;Déclaration sur les relations de l’Eglise avec lesreligions non-chrétiennes (Nostra ætate) ;

18 novembre 1965 : Constitution dogmatiquesur la Révélation divine (Dei Verbum) ; Décret surl’apostolat des laïcs (Apostolicam actuositatem) ;

7 décembre 1965 : Déclaration sur la libertéreligieuse (Dignitatis humanæ) ; Décret sur l’activitémissionnaire de l’Eglise (Ad Gentes) ; Décret sur lem i n i s t è re et la vie des prêtres (P re s b y t e ro r u mordinis) ; Constitution pastorale sur l’Eglise dans lemonde de ce temps (Gaudium et spes).

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gentium 16). Ce sont des affirmations importantes car ellesdisent que le salut offert à tous revêt des modalités qui, d’unepart, sont seulement connues de Dieu et, d’autre part,répondent à ce que nous connaissons déjà de la foi : il faudraits’en souvenir si on voulait discerner ultérieurement cesmodalités.

❑ Vatican II offre ensuite un tableau positif des religions outraditions religieuses non-chrétiennes lorsqu’il parle de « toutce qui se trouvait déjà de vérité et de grâce chez les nations » (Adgentes 9) ; « des semences du Verbe qui s’y trouvent cachées » (Adgentes 11) ; de « ce qui est vrai et saint dans ces religions », ycompris préceptes et règles de vie qui « apportent souvent unrayon de la vérité qui illumine tous les hommes » (Nostraætate 2), etc. On en trouve une liste plus détaillée dans le textedu Secrétariat pour les non-chrétiens sur Dialogue et mission(Dialogue et mission 26) et dans Redemptoris missio (Redemptorismissio 55-57, même 28-29). Cependant, il ne faut pas minimiserou passer sous silence les affirmations conciliaires qui signalentle fait ou l’éventualité de la présence, dans ces mêmes religions,d’aspects négatifs, d’erreurs, d’incertitudes, de faiblesses, dedivergences à l’égard de la foi chrétienne, et à cause de celaelles sont marquées d’ombre et d’ambiguïté, que Redemptorism i s s i o exprimera d’une façon concise avec la phraserelativisante prononcée par Paul VI « bien qu’elles comportent deslacunes, des insuffisances et des erreurs » (Redemptoris missio 55).

❑ Enfin le concile ne se prononce pas sur un statutthéologique de ces religions, c’est-à-dire sur leur rôle commetelles, dans l’ordre du salut. Le même texte de Nostra ætaten’examine pas cette question. Ce texte, qui, en cela, se distingue

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de Ecclesiam suam, présente le dialogue dans un sens plusrestreint en le référant au rapport entre l’Eglise et les diversesreligions, et par conséquent comme une forme particulièred’activité ecclésiale, distincte de l’annonce mais qui ne lac o n t redit pas ni ne la juge pas dépassée. Ce dialogueinterreligieux a son fondement dans l’unité du genre humain(entendu non seulement dans un sens biologique mais aussithéologique). Son but est de promouvoir l’union et la charitée n t re les hommes et les peuples et plus précisément dere c o n n a î t re, préserver et faire pro g resser « les valeursspirituelles, morales et socioculturelles » qui se trouvent en ceuxqui suivent d’autres religions (Nostra ætate 2). Certainement ladéclaration Nostra ætate et les autres documents conciliairessont des textes ouverts, qui off rent un espace pour desexplications, des accentuations, des réponses à de nouvellesproblématiques. Cependant, il faut rester attentif à ne pas lesforcer et éviter tout anachronisme d’interprétation.

❑ En outre, sur le point spécifique de la relation entredialogue et mission, on re m a rque plutôt le silence deVa t i c a n I I. D’une part, la mission re d é c o u v re toute sadimension trinitaire et se trouve présentée comme épiphanie etréalisation concrète du plan de Dieu dans l’histoire et dans lemonde. Elle acquiert ainsi une dimension globale,« holistique » et c’est dans cette perspective que se fait lediscours sur l’activité missionnaire Ad gentes mais où ledialogue est vu plutôt comme un préambule ou une conditionà l’œuvre de la mission. D’autre part, si le dialogueinterreligieux émerge avec clarté, on n’en précise pas le sens etle rôle par rapport à la mission. Seulement on soulignefortement que les deux activités sont nécessaires, elles ne se

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contredisent pas et ne s’excluent pas. Il en résulte donc, à la fin,qu’elles sont davantage juxtaposées que mises en relation. Laréflexion ultérieure, stimulée par l’expérience et la pratique,viendra combler cette lacune.

C) Evangelii nuntiandi : un temps d’arrêt ?

Dix ans après Ecclesiam suam a lieu le Synode des Evêquessur « L’Evangélisation dans le monde moderne ». L’annéesuivante c’est l’Exhortation Apostolique de Paul VI Evangeliinuntiandi (8 décembre 1975). Une autre étape non négligeabledans l’histoire du dialogue et de sa relation avec la mission :mais de quelle nature ?

❑ Il existe un accord unanime au sujet de la v a l e u rfondamentale de ce document pour l’évangélisation dans lemonde contemporain. La description de la genèse del’évangélisation, de Jésus Christ jusqu’à l’Eglise ; du sens et ducontenu, pour lesquels est affirmée une très vaste conceptionde l’évangélisation, dont le centre demeure toujours l’annoncedu salut en Jésus Christ offert à tous les hommes ; desconsidérations sur les nouvelles et cruciales problématiques del’inculturation et de la libération qui sont toutes des réalitésaffrontées avec clarté, vigueur et profondeur. L’Exhortationauthentifie un sens global de l’évangélisation, qui comprendtoute la mission ; cependant la gamme des situations parrapport au devoir de la mission ne se rétrécit pas plus qu’ellene se masque ; au contraire, elle s’élargit et se diversifie

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davantage. Dans cette optique qu’advient-il des religions non-chrétiennes et du dialogue interreligieux ?

Certains et même plusieurs y voient un « punctum dolens »,(un manque douloureux) à ignorer ou à déplorer. Le terme« dialogue » n’apparaît pas dans Evangelii nuntiandi et lesreligions non-chrétiennes entrent dans la section consacrée auxdestinataires de l’Evangélisation. En réalité, dans le passagequi leur est réservé, Paul VI commence en se faisant le porte-parole d’une Eglise qui les « respecte et les estime car elles sontl’expression vivante de l’âme de vastes groupes humains. Ellesportent en elles l’écho de millénaires de recherche de Dieu, possèdentun patrimoine impressionnant de textes profondément religieux » etainsi « sont toutes parsemées d’innombrables “semences du Verbe” etpeuvent constituer une authentique préparation évangélique »(Evangelii nuntiandi 53).

❑ Mais en poursuivant plus avant, le discours met l’accentsur les insuffisances de ces religions. Elles se meuvent dansune recherche à tâtons mais ne réussissent pas à établir, commela religion chrétienne, « un rapport authentique et vivant » avecDieu. En conséquence, pour répondre à ces désirs ardentsinsatisfaits, l’Eglise est appelée à leur faire connaître toute larichesse du mystère du Christ avec un élan missionnairerenouvelé.

C’est le sens du texte, qu’on chercherait en vain à minimiser.On en donne aussi quelques motivations. Le pape fait allusionaux « questions complexes et délicates, qu’il convient d’étudier à lalumière de la tradition chrétienne et du magistère de l’Eglise pouroffrir aux missionnaires d’aujourd’hui et de demain de nouveaux

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horizons dans leurs contacts avec les religions non-chrétiennes ». Etpuis à « ceux qui pensent et même disent que l’ardeur et l’élanapostoliques se sont épuisés » il rappelle avec le Synode que« l’annonce missionnaire ne tarit pas et que l’Eglise sera toujourstendue vers son accomplissement » (Evangelii nuntiandi 53).

Au regard de cette position, on voudrait voir de la part dequelques-uns une phase de stagnation dans le chemin dudialogue, un pas en arrière, justement au moment où certainsPères du Synode de 74 avaient demandé de promouvoir ledialogue interreligieux et de le déclarer résolument commefaisant partie de la mission de l’Eglise. Toutefois, Paul VI estperplexe. Il craint qu’une interprétation facile et superficielledes « semences du Verbe » disséminées dans le monde et dansl’histoire, et de la liberté religieuse, finisse par déformer lavérité et créer un alibi pour ne pas évangéliser (cf. Evangeliin u n t i a n d i 80). Motivations fondées ou préoccupationse x a g é r é e s ? Certes, Evangelii nuntiandi n’est pas unerétractation de Ecclesiam suam ni du concile ; on ne peutsoutenir que le pape défende une opposition totale entre lareligion chrétienne et les autres. A mon avis, Paul VIdemandait une réflexion plus profonde et plus critique, entenant compte de tous les problèmes impliqués dansl ’ a rgument et la nécessité de les aff ronter dans uncheminement de communion ecclésiale : une exigence qui rested’actualité.

❑ Du reste, on ne peut oublier que Paul VI a inauguré etpoursuivi aussi le dialogue dans les événements. Il suffit derappeler le voyage en Terre Sainte, en janvier 64, qui enregistreun contact direct avec les juifs et les musulmans ; en décembre

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de la même année, la rencontre de Bombay avec une assembléetrès dense de représentants de diverses religions, « comme despèlerins, disait le pape, qui se mettent en marche à la recherche deDieu, non dans les édifices de pierre mais dans les cœurs humains » ;et les premières réceptions au Vatican, toujours en 64, avec despersonnalités diverses : un flux qui croîtra en intensité et enreprésentativité avec le temps.

D) L’impulsion de Jean-Paul II

C’est spécialement avec l’actuel Pontife qu’enseignement etinitiative de dialogue se lient étroitement. Je vais mentionnercertains des aspects et des moments les plus significatifs.

❑ Dès la première encyclique Redemptor hominis (4 mars1979) Jean-Paul II considère le dialogue comme ayant un rôleprimordial à l’intérieur de la mission de l’Eglise dont le devoirfondamental est « d’orienter la conscience et l’expérience de toutel’humanité vers le mystère du Christ » (Redemptor hominis 10). Et ilvoit ici la « carte » des diverses religions, lesquelles témoignentdans des formes variées, de la « recherche de Dieu » et « dusens plénier de la vie humaine » (Redemptor hominis 11),imposant au missionnaire « le respect pour tout ce que l’Esprit aopéré en tout homme » (Redemptor hominis 12). Le dialogueinterreligieux se place donc dans le domaine de la mission,dans le contexte du dialogue du salut, comme le disait déjàPaul VI. Est nouveau le relief donné à l’action de l’Esprit, à quile pape attribue le fait que parfois même, « la fermeté de la

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croyance des membres des religions non-chrétiennes, effet elle aussi del’Esprit de vérité opérant au-delà des frontières visibles du Corpsmystique, devrait faire honte aux chrétiens, si souvent portés à douterdes vérités révélées par Dieu » (Redemptor hominis 6).

L’action de l’Esprit opérant aussi hors de l’Eglise visible etdans les re l i g i o n s - c u l t u res non-chrétiennes, est souventsoulignée par Jean-Paul II surtout par rapport à la prière.

Ainsi dans le message adressé de Manille (21 février 1981) àtous les peuples de l’Asie, en parlant de l’Absolu à quis’adressent les grandes spiritualités orientales, le pape disait :

« Même quand (l’Absolu), pour quelqu’un, est le Grand Inconnu,lui cependant demeure toujours en réalité le même Dieu vivant. J’aidonc confiance que l’esprit humain qui s’ouvre à la prière à ce DieuInconnu aura perçu un écho de ce même Esprit qui, connaissant leslimites et la faiblesse de la personne humaine, priera Lui-même ennous et en notre nom… L’intercession de l’Esprit qui prie en nous estfruit pour nous du mystère de la rédemption opérée par le Christ etdans laquelle l’amour universel du Père a été manifesté au monde ».

Paroles assez expressives, dans lesquelles on remarqueratoutefois que le sujet est davantage l’homme priant que lesreligions, et que l’Esprit est profondément inséré dans unevision trinitaire et christologique.

❑ L’action universelle de l’Esprit trouve sa plus évidentedescription dans l’encyclique Dominum et vivificantem(Pentecôte 1986). A partir de l’événement de la Pentecôte, Jean-Paul II élargit le regard pour

« embrasser toute l’action de l’Esprit Saint avant le Christ depuis lecommencement, dans le monde entier et spécialement dans l’économie de

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l’Ancienne Alliance. Cette action, en effet, en tout lieu et en tout temps,même en tout homme, s’est accomplie selon l’éternel dessein du salut, danslequel elle est étroitement unie au mystère de l’Incarnation et de laRédemption ». Et, poursuivant, le pape renoue avec Vatican II (Gaudium et

spes 22 ; Lumen gentium 16) pour rappeler que l’Esprit agit« aussi à “l’extérieur” du corps visible de l’Eglise » (Dei verbum 53),pensée reprise en un résumé bien articulé dans Redemptorismissio (28-29).

En bref, les nouveautés ou les accentuations de Jean-Paul IIse mettent dans le sillage conciliaire et, bien que marquant despas en avant, ne décrochent pas de la vision générale de PaulVI. A l’assemblée plénière du Secrétariat pour les non-chrétiensdu 3 mars 1984 qui scellait le travail du document Dialogue etmission, il affirmait : « Le dialogue s’insère dans la missionsalvifique de l’Eglise ; c’est pourquoi il est un dialogue de salut…Aussi, en cette activité ecclésiale, il faut éviter les exclusivismes et lesdichotomies. Il faut que l’authentique dialogue devienne témoignage,et que la véritable évangélisation se réalise dans le respect et l’écoutede l’autre ».

❑ Je pense que c’est plutôt surun plan concret que l’one n re g i s t re la majorité desnouveautés de Jean-Paul II dans ledialogue interreligieux. Celui-ciest clairement situé parmi lespriorités de son ministèreuniversel. Dès le pre m i e rpèlerinage à Jasna Gora et à lacélèbre rencontre avec les jeunes

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Pour un aperçu sur lesengagements concrets etsignificatifs de l’Eglise catholiquedans le dialogue interre l i g i e u xdepuis le concile Vatican II, onpourra se reporter à l’article deMgr Michaël Fitzgerald (secrétairedu Conseil pontifical pour ledialogue interreligieux), L’ E g l i s ecatholique dans le dialoguei n t e r re l i g i e u x, dans Chemins de

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musulmans à Casablanca (19 août 1985), au voyage en Inde(février 1986), à la visite à la synagogue de Rome (13 avril 1986)et spécialement à la Journée d’Assise (27 octobre 1986),véritable pierre milliaire sur le chemin du dialogue, faisantnaître « l’esprit d’Assise » et indiquant l’idéal et la mentalité dudialogue. Il est vrai que cet événement ne fut pas toujours biencompris et le pape intervint même pour en clarifier le sens et laportée, comme il le fit dans le discours adressé à la Curieromaine, le 22 décembre 1986. Cela vaut la peine d’en offrirquelques passages.

« Le fait d’être réunis à Assise pour prier, jeûner et cheminer ensilence a été comme un signe clair de l’unité profonde de ceux quic h e rchent dans la religion des valeurs spirituelles ettranscendantes »1. « Il n’y a qu’un seul dessein divin pour tout êtrehumain qui vient en ce monde ». « Le dessein divin, unique etdéfinitif, a son centre en Jésus Christ, Dieu et homme… Comme il n’ya pas d’hommes ou de femmes qui ne portent en eux le signe de leurorigine divine, de même il n’y a personne qui ne puisse demeurer endehors et en marge de l’œuvre de Jésus Christ ». « Les hommespeuvent souvent ne pas être conscients de leur unité radicaled’origine, de destin et d’insertion dans le plan même de Dieu et,lorsqu’ils professent des religions différentes et incompatibles entreelles, ils peuvent même ressentir leurs divisions commeinsurmontables. Mais, malgré cela, ils sont inclus dans le grand etunique dessein de Dieu, en Jésus Christ ». « L’Eglise est appelée àtravailler de toutes ses forces (l’évangélisation, la prière, le dialogue)pour que disparaissent entre les hommes les fractures et lesdivisions ». « L’événement d’Assise peut ainsi être considéré commeune illustration visible, une leçon de choses, une catéchèse intelligibleà tous de ce que présuppose et signifie l’engagement œcuménique etl’engagement pour le dialogue interreligieux recommandé et promupar le concile Vatican II » (Documentation catholique n. 1933 du 1erfévrier 1987, pp. l33 & 134).

1. Il faut noter la finalité d’« être ensemble pour prier » et non « prier ensemble ».

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E) Les plus récents développements

Je me réfère aux dix dernières années qui ont enregistré une ffort de clarification, de promotion du dialogue et unapprofondissement de son rôle dans la mission évangélisatricede l’Eglise.

❑ La première étape, conclusion d’une phase et, en mêmetemps, début d’une autre, trouve son impulsion dans ledocument déjà cité du Secrétariat pour les non-chrétiens,publié à la Pentecôte 1984 intitulé : « L’attitude de l’Eglisecatholique devant les croyants des autres religions : réflexions etorientations concernant le dialogue et la mission » (Dialogue etmission). Ce document conçoit la mission évangélisatrice del’Eglise dans un sens global et dynamique : le dialogueinterreligieux en constitue un aspect et une activité avec desconfigurations et des caractéristiques pro p res. Il n’y a niséparation ni opposition entre dialogue et mission, mais unedistinction qui se situe à l’intérieur de la mission même pourqu’elle s’accomplisse en des voies et des formes multiples. Cene sont pas deux réalités indépendantes, alternatives ousimplement juxtaposées, mais profondément enlacées. Dureste, elles ont un fondement commun dans le mystèretrinitaire et dans leur finalité générale qui est l’édification duRoyaume (Dialogue et mission 11).

Néanmoins, en tant qu’activité spécifique, le dialogue a unedignité, des exigences et des normes propres. Il est motivé nonseulement par le bien commun des hommes et des peuplesmais par la volonté de réaliser en plénitude le dessein

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salvifique, « en mettant en valeur toutes les richesses de laSagesse infinie et multiforme de Dieu » (Dialogue et mission 41).C’est un cheminement commun de chrétiens et de membresd’autres religions vers la vérité, l’union et la fraternité. Il seréalise dans le respect de la conscience et de la foi de chacun et,en même temps, dans le partage des valeurs et des expériences,il tend à la croissance spirituelle mutuelle. Pour cela il exigeune attitude ouverte et positive, que le document Dialogue etmission révèle déjà dans le langage en parlant des membresd’autres religions, des croyants de foi différente, plutôt que denon-chrétiens ou de religions non-chrétiennes. Il le manifestesurtout dans les nouveaux contenus quand il souligne parexemple que le dialogue authentique comporte toujours uneconversion intérieure (Dialogue et mission 37 ; cependant ledocument Dialogue et annonce y a ajouté une ultérieureprécision sur la conversion dans la foi ou religion).

Malgré tout cela, des points restent encore à clarifier :l’identité et les rapports entre les divers éléments de lamission ; quelques gros problèmes, comme la théologie dusalut et des religions, devenu actuellement un objet de vivesdiscussions dans le domaine catholique et chez lesé v a n g é l i s t e s2. De là découle la nécessité d’une réflexion2. En octobre 1988 l’Université Pontificale Urbanienne a organisé un Congrès

missiologique à Rome sur le thème « Le salut aujourd’hui » avec la participationentre autres du Card. Danneels, W. Kasper, G. Cottier, W. Matthieu. Sur la basede véritables problèmes que j’ai rencontrés durant mes voyages, j’ai proposé uneprovocante réflexion : « Défis missionnaires à la théologie du salut » que j’aiterminée par une série de questions ponctuelles fondamentales à l’actuellemissiologie. La provocation a été recueillie dans le domaine des évangélistes etcelui des catholiques et bien 17 réponses (parmi lesquels : G. D’Costa, C. Geffré,P. Knitter, R. Panikkar, H. Waldenfeld, G. Anderson) ont été publiées en mêmetemps que ma réplique par P. Moizes et L. Swidler, sous le titre Christian Missionand interreligious Dialogue (E. Mellan Press, USA, Canada, UK, 1990).

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ultérieure qui aboutit à deux autres documents, différents sousde nombreux aspects et pourtant liés, qui permettent unevision plus actuelle et plus exacte de la mission et du dialogue,de leurs relations et de leurs implications.

❑ Le premier document est celui qui porte le nom deDialogue et annonce et il contient « des réflexions et des orientationssur le dialogue interreligieux et l’annonce de l’Evangile de JésusChrist ». Demeuré plusieurs années en chantier, ce document,publié le 19 mai 91, jour de la Pentecôte, est l’œuvre communedu Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux et de laCongrégation pour l’Evangélisation des Peuples. Le thèmespécifique, la préoccupation majeure est la « focalisation » ducontenu des deux termes et de leurs rapports à l’intérieur de ceque le texte appelle expressément « la mission évangélisatrice »de l’Eglise ou la mission dans son ensemble.

De cette mission, le dialogue est dit « élément intégrant »(Dialogue et annonce 38), qui a une motivation non seulementanthropologique mais surtout théologique, demandée par lafidélité de l’Eglise à l’initiative divine du salut. L’histoire dusalut en dit assez pour fournir les bases d’une approchepositive aux diverses traditions religieuses et le magistèreconciliaire et postconciliaire l’a bien mis en lumière, tout enavertissant que dans ce domaine il faut procéder avecdiscernement. Sans que ce document veuille offrir unethéologie des religions, il met l’accent sur leur apport dansl’ordre du salut. Il dit par exemple : « C’est dans la pratiquesincère de ce qui est bon dans leurs traditions religieuses et en suivantles directives de leur conscience, que les membres des autres religionsrépondent positivement à l’appel de Dieu et reçoivent le salut en Jésus

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Christ, même s’ils ne le reconnaissent pas comme leur Sauveur »(Dialogue et annonce 29).

L’annonce est proclamée nécessaire, irremplaçable, urgente(Dialogue et annonce 66) ; « un devoir important et sacré que l’Eglisene peut négliger » parce que « sans cet élément central, les autres,tout en étant par eux-mêmes des formes authentiques de la mission,perdraient leur cohésion et leur vitalité » (Dialogue et annonce 76).Cela implique sa priorité par rapport aux autres éléments de lamission, sur un plan objectif et de principe, et même, sinontoujours, au plan subjectif et dans les situations concrètes.Ainsi on affirme : « Le dialogue interreligieux et l’annonce, sansêtre sur le même plan, sont tous les deux des éléments authentiquesde la mission évangélisatrice de l’Eglise. Tous les deux sont légitimeset nécessaires. Ils sont intimement liés mais non interchangeables. Levrai dialogue interreligieux suppose de la part des chrétiens le désirde faire connaître et aimer toujours mieux Jésus Christ et l’annoncede Jésus Christ doit se faire dans l’esprit évangélique du dialogue »(Dialogue et annonce 77).

En conclusion, par rapport au texte de 1984, Dialogue etannonce présente davantage d’orientations pratiques et précisemieux la relation entre dialogue et annonce, avec commeconséquence de donner une impulsion plus claire et plus forteaux formes variées du dialogue et de l’annonce. Lesconsidérations théologiques n’ajoutent pas grand-chose à toutce qui était déjà dit.

❑ L’encyclique Redemptoris missio (7 décembre 1990)apporte, quant à elle, de sérieuses avancées théologiques. Il estvrai qu’elle traite de l’activité missionnaire Ad gentes, au 25ème

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anniversaire du décret conciliaire Ad gentes. Mais en plus deconsidérer explicitement parmi les voies de la mission « ledialogue avec les frères d’autres religions » (Redemptoris missio 55-57), elle développe dans les trois premiers chapitres undiscours théologique qui concerne tout le plan salvifique,tenant compte de ces questions actuelles et cruciales qui,touchant la mission, se reflètent nécessairement sur lesproblèmes de fond du dialogue interreligieux. L’empreintet r i n i t a i re de l’encyclique, sur un ton historique du salut,constitue un tableau doctrinal clair et profond avec lequeldoivent se confronter toute sérieuse théologie du salut et toutdialogue du salut.

2. Questions et lignes de solution

Nous avons jusqu’ici parcouru le chemin du dialogue dansle cadre de la mission, sur la base de certains textes et desévénements qui l’ont vu naître et croître, non sans peine nidifficultés. Aujourd’hui, le dialogue interreligieux, reconnucomme voie de la mission, est à l’ordre du jour dans l’Eglise :

« Le dialogue interreligieux, comme le dit Redemptoris missio, faitpartie de la mission évangélisatrice de l’Eglise. Entendu comme méthode etcomme moyen en vue d’une connaissance et d’un enrichissementréciproques, il ne s’oppose pas à la mission Ad gentes ; au contraire il lui estspécialement lié et il en est une expression » (Redemptoris missio 55).

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Cela pourtant ne veut pas dire que tout soit sans problème,tant au niveau théorique que pratique. De graves questionssubsistent qui peuvent obscurcir le sens et la portée dudialogue quand elles ne viennent pas le miner à la base. Cesquestions ne sont pas confinées dans les cercles des experts caraujourd’hui tout ce qui fait sensation se diffuse aussitôt. Deplus s’y ajoutent les difficultés concrètes que comportel’exercice du dialogue en quête d’une réponse, ou tout aumoins d’éléments que la recherche d’une réponse correcte nedoit pas ignorer.

A) Dialogue et salut

Le dialogue ne comporte pas de risques majeurs commetoute activité ecclésiale. Par conséquent, il ne s’agit pas de créerune impression de défiance ou de peur à son égard ; on feraittout l’opposé de ce qu’en disent les textes que j’ai cités. Lerisque n’est que l’autre face de l’opportunité et de la chance. Cequi n’enlève pas que les risques existent et que les mêmesdocuments ecclésiaux invitent souvent au discernement sur ceterrain. Maintenant, le plus grand risque à mon avis, celui quiest à la base de plusieurs autres, c’est que le dialogue ne soit vuet pratiqué que pour lui-même, qu’on le perçoive et ledéveloppe à bas profil, pour la raison, peut-être au-delà desintentions, qu’il ne serait pas vraiment un « dialogue de salut »,mais une activité purement académique et/ou pure m e n ttechnique, de coopération ou de dialogue non vraimentreligieux ni interreligieux.

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Ecclesiam suam c o n s i d è re le dialogue comme unprolongement, dans la mission de l’Eglise, du dialogue dusalut noué par Dieu avec l’humanité par l’intermédiaire duVerbe et de l’Esprit, et qui est parvenu à son sommet dans laplénitude des temps avec l’envoi du Fils et de l’Esprit Saint.

« Il faut, affirme Paul VI, que nous ayons toujours présent cet ineffableet réel rapport de dialogue, offert et établi avec nous par Dieu le Père, par lamédiation du Christ dans l’Esprit Saint, pour comprendre quel rapportnous, c’est à dire l’Eglise, devons chercher à instaurer et à promouvoir avecl’humanité » (Ecclesiam suam p. 73).

Il est vrai que par la suite le dialogue, ce dialogueinterreligieux, a atteint une signification plus précise, avec unephysionomie et une finalité propres. C’est pourquoi il est entrain de se distinguer, toujours davantage justement, des autreséléments qui font partie de la mission. Toutefois, le dialogueauquel l’Eglise est appelée ne peut que rester dans l’horizondu salut du Christ (non de n’importe quel type de saluthumain, philosophique, économique ou technique) et orientévers lui. Même quand les objectifs immédiats, ou les finsdirectes pointent sur de bonnes réalités simplement humaines,sur des valeurs communément reconnues, sur des expériencesou des biens spirituels que tous partagent, on ne doit pasinterrompre la recherche du transcendant, la poursuite du salutintégral, révélé et apporté par le Christ. Dialogue et annonce leréaffirme dans la ligne de l’enseignement de Paul VI et de Jean-Paul II : « Le dialogue s’insère dans la mission salvifique de l’Eglise ;c’est pourquoi il est un dialogue de salut » (Dialogue et annonce 39).« L’annonce et le dialogue, chacun à sa place, sont considérés tous lesdeux comme des composantes et des formes authentiques de l’unique

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m i s s i o n é v a n g é l i s a t r i c e d e l ’ E g l i s e . To u s d e u x t e n d e n t à l acommunication de la vérité salvatrice » (Dialogue et annonce 2).

Le danger est que cela reste seulement une affirmation ; cequi peut arriver de tant de façons ! Pour certains, le dialoguedevient un absolu comme s’il était l’unique tâche ou le tout dela mission ; pour d’autres, il est vu comme une fin en lui-même,une « espèce de dialogue pour le dialogue », (« l’art pourl’art »). Il existe, ici et là, une tendance à restreindre lesexpressions de la mission et à les concentrer sur le dialogue. Ilest vrai qu’en beaucoup de milieux et en de vastes régions ledialogue est la seule voie, ou quasiment la seule, qui resteouverte à la mission chrétienne aujourd’hui et souvent ellen’est pas comprise ni payée de retour de la part de non-chrétiens, ou bien est limitée à des aspects humanitaires ousocioculturels. C’est un fait dont il faut tenir compte. Maiscertains parlent comme si la situation était telle partout etcomme si telle conception du dialogue stérilisé de touteintention salvifique était l’unique vérité. Ou mieux, sans égardaux conditions réelles, ceux-là en font une règle générale, enaffirmant que le dialogue est aujourd’hui la seule missionlégitime et nécessaire. Ce qui compte de nos jours serait dedialoguer et collaborer pour créer un monde plus libre, plusjuste et plus fraternel, pour que chaque croyant devienne unmeilleur membre de sa propre religion : ce serait la vraiemission et la tâche missionnaire de l’Eglise.

De cette façon le dialogue finit par prendre la place de lamission, mais d’une mission appauvrie, vidée de son plusprofond contenu, et se meut dans une direction qui n’est pascelle du salut chrétien. Beaucoup de discours de libération,

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d’humanisation, de promotion humaine et aussid’inculturation font appel à ce type de dialogue devenu lenouveau nom de la mission mais dans un sens contraire à celuide Ecclesiam suam. Ainsi dans les discours de certainsthéologiens et missiologiens on parle peu ou pas du tout del’annonce de Jésus Christ et de son Evangile. Parfois on ne luireconnaît pas une priorité objective dans la mission ni unepropre identité parce qu’on en fait simplement une dimensiond’autres activités de la mission. Voilà alors la présence et letémoignage ; voilà le dialogue avec les pauvres, avec lesc u l t u res et les religions, qui devient exclusivement« évangélisation », tout court ; mais n’est pas proclamé « celuiqui sauve », le Christ mort et ressuscité pour le salut de tous.On ne saurait pas plus insister sur la gratuité du dialogue ;l’annonce et les autres formes de l’évangélisation sont faitesaussi pour le seul bien des autres avec le sens de pleinegratuité.

Certainement, l’annonce, comme le dialogue du reste, a sesmoments et ses façons, rencontre ses difficultés et ses obstacles,et le document Dialogue et annonce les met justement en reliefafin qu’ils soient tenus présents. Mais ce serait une erreur d’endéduire une mentalité, une attitude qui reflètent la prudencede la « chair » plutôt que celle de l’« Esprit ». Il ne semble pasque Jésus, Pierre ou Paul agissaient avec tant de réticence en cedomaine. Ce sont au contraire l’urgence et la franchise(parresia) qui donnent le ton à leur annonce du Royaume oudu Ressuscité. Et c’est ce que rappellent les documents sur ledialogue et sur la mission (cf. Dialogue et annonce 6 6 ;Redemptoris missio 45). Renoncer à l’annonce quand elle estpossible ne serait-ce pas signe d’une foi « peu solide » ?

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En tout cas, il n’existe pas de dialogue chrétien qui ne doiveêtre dialogue du salut, avec tout ce que cela implique. Faisantabstraction explicitement et implicitement de cette tension,fera-t-il encore partie de la mission évangélisatrice ?

B) Le rôle des religions dans le salut

Quand on traite du dialogue interreligieux, on touchenécessairement les religions et leur rôle salvifique. Questioncomplexe qui, depuis longtemps, engage les théologiens àétudier des schémas ou modèles qui servent à trouver uneréponse satisfaisante. Je ne peux ni ne veux entrer dans ce« pétrin » qui compte une abondante littérature. Mon but estplus limité et se place dans l’optique de tout mon discours.Avant tout, quelques observations.

❑ La première est de rappeler, comme je l’ai déjà indiqué,que les textes du Magistère conciliaire ou post-conciliairen’affrontent pas ce problème, au moins de façon directe etapprofondie. On y chercherait en vain un traité de théologiedes religions et du rôle qu’elles ont dans le salut. Leurpréoccupation, et disons aussi leur tâche dans le but pastoralqu’ils ont, est de reccueillir éléments et perspectives quiéclairent sur le dialogue et sur les relations entre l’Eglise et lesreligions en vue de ce dialogue.

❑ La seconde observation : les mêmes documents s’arrêtentde préférence sur le rapport entre le salut et les personnes,

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disciples de religions. Le salut est avant tout une questionp e r s o n n e l l e. Le dialogue même n’est pas tant unecomparaison de systèmes, de croyances, de traditions, mais ilest davantage une rencontre de croyants de diverses religions.Et cela, non seulement parce que les « systèmes » religieux sontdes réalités abstraites qui prennent vie chez les croyants, maisaussi parce que, entre les uns et les autres et entre les croyantsd’une même religion, il existe toujours une diverg e n c econsidérable. En est la preuve : la variété de types et de niveauxde dialogue qui s’instaurent selon les participants. Lesvéritables protagonistes du dialogue sont les personnes, lesgroupes, les communautés qui, réciproquement, s’ouvrent etentrent en communication, tandis que les systèmes religieuxpeuvent tout au plus être étudiés et comparés entre eux. Cettepriorité de la personne dans le dialogue est importante et setrouve accentuée dans les textes ecclésiaux sur le dialogue.

❑ Evidemment la dimension religieuse personnelle n’exclutpas la dimension sociale. La formation et la pratique religieused’une personne s’accomplissent dans un contexte de traditionset un milieu de vie qui influent nécessairement sur l’individuqui, d’habitude, vit sa religion dans une communauté, dans unpeuple. On ne peut détacher le croyant de la société religieuseà laquelle il se réfère. D’autre part, l’action divine n’atteint passeulement les cœurs quasi secrètement mais elle se manifesteaussi « dans les actions même religieuses, dans les efforts de l’activitéhumaine qui tendent vers la vérité, vers le bien, vers Dieu »(Redemptoris missio 28).

❑ En conséquence, les religions ne sont pas étrangères auplan du salut, aussi bien dans un sens actif que passif. C’est-à-

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dire : d’un côté, elles ont besoin d’être éclairées, purifiées,perfectionnées, et comme telles deviennent destinataires del’évangélisation comme le sont leurs adeptes : ne sont-ils pasaussi l’Eglise et ses fidèles ? D’un autre côté, les religionspossèdent des biens et des valeurs spirituels, des éléments devérité et de grâce auxquels une intervention particulière deDieu peut être liée, et à tout ce patrimoine leurs disciplespeuvent puiser lumière et impulsion de salut : les chrétienseux-mêmes n’y puisent-ils pas quelquefois ?

Sur une telle base, le dialogue qui aide à promouvoir desvaleurs humaines et spirituelles, à découvrir et reconnaître lessignes de la présence du Christ et de l’action de l’Esprit dansles religions, à donner des occasions aux chrétiens detémoigner de l’intégrité de la Révélation confiée à l’Eglise, cedialogue-là est salué comme une « voie » de la mission(Redemptoris missio 55). En conséquence, on peut bien dire queles adeptes des diverses religions sont sauvés, non malgré ellesmais en elles et avec contribution « de ce qui est bon dans leurstraditions religieuses et en suivant les directives de leurconscience » (Dialogue et annonce 29 ; cf. Ad gentes 3, 9, 11). Maisde là à attribuer à ces religions comme telles le qualificatif de« voies du salut » tout court, cela paraît pour le moinséquivoque. En effet, Dieu n’emploiera pas comme moyen desalut ce qui en elles est défectueux, erroné, inconvenant ouindigne. Voilà pourquoi on ne peut objectivement faire lepassage de certains « éléments » à la religion comme système.L’exagération devient grave quand on arrive à considérer lesdiverses religions comme « voies ordinaires du salut » et mêmejusqu’à considérer la religion chrétienne comme « v o i eextraordinaire ». Toutes ces opinions semblent contraires au

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constant enseignement sur la nécessité de la médiation duChrist et de l’Eglise pour le salut, confirmée par le concileVatican II (Lumen gentium 14). Ces précisions faites, on peutd i re que les bons éléments des religions peuvent êtreconsidérés d’une certaine façon comme des canaux à traverslesquels passe le salut, en tenant ferme que c’est Dieu qui sauvepar la médiation du Christ dans l’Esprit et que la grâce du saluta aussi toujours « une mystérieuse relation avec l’Eglise »(Redemptoris missio 10). Cette vision des choses semble pouvoirrépondre aux affirmations de l’encyclique missionnaire quiconfirme la « médiation unique et universelle du Christ » sansexclure « le concours de médiations de types et d’ordres divers » qui« cependant tirent leur sens et leur valeur uniquement de celle duChrist, et elles ne peuvent être considérées comme parallèles oucomplémentaires » (Redemptoris missio 5).

C) Pluralisme religieux ?

Mais contre la solution indiquée, on soulève des objectionsque l’on veut fondées sur la raison d’être et sur la nature dudialogue. Celui-ci, disent les objecteurs, est né justement pourrépondre au pluralisme religieux d’aujourd’hui, et il exige,pour être authentique et honnête, que les diverses religionssoient placées sur un pied d’égalité. Sans cette égalité audépart, il ne saurait y avoir un dialogue vraiment sincère etrespectueux.

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Sans aucun doute, la pluralité des religions est un fait.Même si elle a toujours existé, il est vrai qu’aujourd’hui, cetteréalité, un temps répartie assez nettement en des zones etc u l t u res déterminées, va maintenant se diffusant toujoursdavantage dans les mêmes limites territoriales. La mobilitécroissante de personnes et de groupes de foi différente ainsique les grands moyens de communications sociales quitendent à s’organiser et à s’unifier le plus possible en sont desfacteurs déterminants. Sans compter la naissance decombinaisons religieuses à la carte et l’expansion des« nouveaux mouvements religieux » qui, par la variété, lenombre, la rapidité d’adaptation posent des problèmes dedialogue particuliers.

Mais le pluralisme en tant que réponse à la question dusalut est autre chose. Il constitue un nouveau paradigme pourinterpréter la variété des religions (et des idéologies qui leursont de quelque façon assimilées) dans l’ordre du salut, d’aprèslequel toutes les religions sont, à leur manière, voies de salut.La raison c’est que la Réalité Suprême, l’Absolu, quel que soitle nom que l’on veuille donner à Dieu, reste au centre et à labase de tout. Les diverses perceptions qu’on en a et lesexpériences qui en dérivent dans les religions sont considéréesvraies, chacune à sa manière, mais en même temps seraientlimitées, puisque aucune ne peut prétendre épuiser tout lemystère divin et pour cela elles seront complémentaires entreelles. On est en face d’un « Dieu » aux multiples noms.

Christianisée aussi par certains théologiens catholiques,cette théologie est appelée « théocentrique » (en opposition àcelle « e c c l é s i o c e n t r i q u e » ou « e x c l u s i v i s t e », et

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« christocentrique » ou « inclusiviste »), parce qu’elle met auc e n t re Dieu, non l’Eglise, ni le Christ. Et pourtant, lesdéfenseurs chrétiens du « pluralisme » veulent conserver auChrist son caractère unique mais relativisé : le Christ est décisifet normatif (déterminant et principe) pour les chrétiens, maison ne peut dire cela des non-chrétiens. Du reste, cela est valablepour chaque religion et aussi chaque grande figure religieuse.C’est justement cette relativité qui assure, d’après eux, l’égalitédans le dialogue, tandis que la complémentarité en garantit larichesse.

Sur cette toile de fond, les divers auteurs introduisent leursvariantes ou combinaisons selon les tendances et lespréoccupations. Ainsi ceux qui établissent des différences deg e n re varié entre Jésus, le Christ, le Verbe, ou bien desséparations entre le Verbe et l’Esprit, sont poussés à le faire,d’une part pour sauver, en quelque façon, la foi chrétienne et,d ’ a u t re part, pour ne pas imposer aux autres traditionsreligieuses des réalités inacceptables pour elles. Ce sont desopérations qui révèlent de bonnes intentions dans la recherchede sentiers nouveaux pour des besoins nouveaux mais ellescontredisent en certains points la vraie foi chrétienne ; qui voiten Christ l’unique et universel Sauveur ne peut admettre deséparations entre le Verbe et Jésus Christ, entre son action etcelle de l’Esprit (Redemptoris missio 6, 29).

Un motif est (peut-être) que le concept de Dieu n’est pas nonplus parfaitement égal et identique dans les diverses religions :mais si on abandonne le Christ parce qu’il « diviserait » plusque d’unir, il faut dire que Dieu aussi, dans le fond, divise,

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n’unit pas parfaitement et oblige donc à l’abandonner en tantque base égale du dialogue.

Il faut ajouter que la théorie du pluralisme religieux chezbeaucoup de défenseurs a laissé aussi en arrière lethéocentrisme pour aboutir au sotériocentrisme (théorie quiconsiste à placer au centre une certaine idée du « salut »). Lesotériocentrisme semble être la grande et dernière finalité de lare n c o n t re des religions dans une vision de pluralismerelativiste : parvenir à un dialogue et à une collaboration pourune praxis de libération et de promotion humaine des peupleset de l’humanité (« salut » ?). Paul Knitter écrit : « Là où lesreligions ne partagent pas le souci du bien de l’humanité, le dialogueest impossible et peut-être ne vaut-il pas la peine d’être entrepris ».Ce qui peut être acceptable. Mais sur cette ligne, quand onarrive au rôle du Christ, Knitter observe que « ce n’est pas siimportant en dernière analyse, du moment que, avec tous les peupleset toutes les religions, nous cherchons d’abord le Royaume de Dieu etsa justice » (P. Knitter, La théologie catholique des religions, à lacroisée des chemins. Concilium, 203 p. , 1986, pp. 130 s.).

Mais quel Royaume de Dieu et quelle justice ? Ou quel salut(soteria) et quelle mission ? Cela ne peut se faire à moins depenser à la mise en garde de Redemptoris missio où on lit :

« Il existe, en effet, des conceptions du salut et de la mission quel’on peut appeler “anthropocentriques”, au sens réducteur du terme,dans la mesure où elles sont centrées sur les besoins terrestres del’homme. Suivant cette manière de voir, le Royaume tend à devenirune réalité exclusivement humaine et sécularisée… » (Redemptorismissio 17).

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Le rappel est pertinent pour l’étroit rapport qui existe entrela conception du dialogue et celle de la mission. On ne donnepas du dialogue une conception aseptique ou neutre, puisqu’ildoit rester dans l’horizon du salut. Et s’il n’accepte pas le salutde la foi chrétienne, il échoue inévitablement dans un autretype de salut, qui n’est pas celui voulu de Dieu pour l’homme.

Le pluralisme religieux tend à devenir une solution humaineà des problèmes que l’homme ne peut résoudre seul. Et je nefais pas uniquement référence aux questions dernières de ladestinée de l’homme, mais aussi à celles qui précèdent, del’édification d’un monde plus juste et fraternel, de la diffusiondes « “valeurs évangéliques”, qui sont l’expression duRoyaume et aident les hommes à accueillir le plan de Dieu »(Redemptoris missio 20 ; Dialogue et annonce 35). Le risque est queces questions deviennent en fait les dernières et les seules, pourlesquelles le dialogue mérite d’être instauré. Le pluralismereligieux (comme théorie) est une porte grande ouverte aurelativisme, tandis que la pluralité religieuse est un fait àaccueillir, qui dans le dialogue peut devenir fructueux etavantageux.

D) L’égalité dans le dialogue

Et maintenant je viens à l’autre aspect par lequel on veutjustifier le pluralisme : la parité dans le dialogue. A ce point, ilfaut s’entendre sur ce que l’on veut dire avec cette expressionou des perspectives similaires.

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Les textes conciliaires sur le dialogue rappellent les fidèlesau dépassement des préjugés à l’égard des autres religions, aurespect des convictions et de la liberté religieuse de chaquehomme et de chaque croyant, à une attitude équilibrée sincèreet constructive, tendue vers la promotion du bien et de lavérité. Sur ces mêmes lignes entrent les documents desD i c a s t è res du Saint-Siège, sur le dialogue interre l i g i e u x(cf. Dialogue et mission 30-35 ; Dialogue et annonce 47-50), enajoutant des connotations importantes sur les dispositions àadopter pour le pratiquer comme il convient. Ceux qui veulentbien dialoguer sont invités à la prudence et au discernementmais aussi à la fidélité à leurs convictions religieuses qui nedoivent pas être dissimulées ou mises entre parenthèses, maistenues vives et intègres. En même temps, ils doivent êtreouverts à la compréhension des autres et à l’accueil des valeurspositives de leurs religions. Dans ce sens il est clair que tous lesp rotagonistes du dialogue interreligieux, comme tels, setrouvent dans la même situation.

Mais cela ne signifie pas que toutes les religions soient sur lemême plan. Ceci concerne également les fondateurs. Je peuxme placer au même niveau ou encore au-dessous du partenaireavec qui je dialogue mais il m’est impossible de considérerJésus Christ égal ou au-dessous des autres fondateurs. Ma foien Jésus Christ, Homme-Dieu, fait partie de l’identité de mareligion et de ma religiosité personnelle que je dois professer enentrant en dialogue pour être vraiment sincère. Et personne,appartenant à une autre religion, ne peut prétendre (et neprétend pas), par motif d’égalité, présenter son fondateurcomme Homme-Dieu. Du reste, les religions ne sont pas égalesmais au contraires diverses et enfin contradictoires en certaines

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croyances, normes et pratiques ; ce qui est évident. Elles nepeuvent, comme le fait le pluralisme, se considére réquivalentes et complémentaires, comme si toutes étaient desvoies valables et limitées vers la Réalité Suprême (comme lesfleuves affluent vers la mer, conception hindouiste desreligions). C’est là un présupposé que pas même certainsdéfenseurs du pluralisme ne prennent au sérieux. En effet, lesreligions ne sont ni égales, ni équivalentes entre elles : « Leshommes, lit-on dans Nostra ætate, attendent des diverses religions laréponse aux énigmes cachées de la condition humaine, qui hier,comme aujourd’hui, troublent profondément le cœur humain ». Cetteattente est partagée, mais diverse la réponse qui en est donnée.La foi du chrétien est bien différente de celle du musulman, del’hindou, ou du bouddhiste, même si on peut trouver entreelles des points de similitude ou de convergence. Jean-Paul IIfait référence à l’enseignement commun dans l’Eglise depuis leconcile, tandis qu’il rappelle que Dieu se rend présent « aussiaux peuples par leurs richesses spirituelles dont les religions sont uneexpression principale et essentielle », et affirme que de la part deschrétiens « le dialogue doit être conduit et mis en œuvre dans laconviction que l’Eglise est la voie ordinaire du salut et qu’elle seulepossède la plénitude des moyens du salut ! » (Redemptoris missio 55).

J’ai cité cette phrase justement parce qu’elle semble aiguiserle problème de l’égalité dans le dialogue. En réalité, ce qu’elleaffirme se comprend parfaitement avec ce que dit l’encycliquesur l’attitude du chrétien dans le dialogue et, plus au-dessus,sur le sens du salut à la lumière de la foi et sur sa proposition àla liberté de l’homme. De ces convictions, ne dérive pour lechrétien nul sentiment de supériorité ou d’autosuffisancepersonnelle à l’égard de ses interlocuteurs d’autres religions,

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sachant bien que sa foi est un don gratuit de Dieu et que dudialogue il peut tirer une purification et une meilleurecompréhension de cette même foi (cf. Redemptoris missio 56 ;Dialogue et annonce 5 0 ) ; mais en revanche, une granderesponsabilité :

« Tous les fils de l’Eglise doivent d’ailleurs se souvenir que la grandeurde leur condition doit être rapportée non à leurs mérites, mais à une grâcespéciale du Christ ; s’ils n’y correspondent pas par la pensée, la parole etl’action, ce n’est pas le salut qu’elle leur vaudra, mais un plus sévèrejugement » (Lumen gentium 14).

De là les paroles stimulantes de la même encyclique :

« Sachant que pour beaucoup de missionnaires et de communautéschrétiennes la voie difficile et souvent incomprise du dialogue constituel’unique manière de rendre un témoignage sincère au Christ et un servicegénéreux à l’homme, je désire les encourager à persévérer avec foi et amour,là même où leurs efforts ne rencontrent ni attention ni réponse. Le dialogueest un chemin vers le Royaume et il donnera sûrement ses fruits, même si lestemps et les moments sont réservés au Père » (Redemptoris missio 57). Parconséquent, aucune réticence au Christ, ni éclipse du Christ commepré-conditions du dialogue !

Dialoguer dans la loyauté de sa foi est une garantied’authenticité et un engagement pour tout participant. Auc o n t r a i re, une mentalité corrompue par le pluralismerelativiste ne peut que tendre à s’installer sur un bas commundénominateur d’où l’attention ne se porte plus à la recherche età l’écoute de tout ce qui est de plus sacré pour ceux quidialoguent, et des chemins spirituels nécessaires à l’humanité,mais où l’on s’occupe seulement des problèmes terrestres dansune perspective fermée au transcendant.

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E) Vision symphonique

Trois ans après Redemptoris missio, j’ai écrit un article, dans« l ’ O s s e r v a t o re ro m a n o », pour illustrer la symphoniem i s s i o n n a i re de cette encyclique, fondée sur l’effort de« distinguer pour unir » (8 décembre 1993). C’est unecaractéristique de la tradition catholique de privilégierl’« et-et » sur « aut-aut ». Je me suis avisé que, aussi sur le thèmeque nous considérons, Jean-Paul II unit le dialogue à l’annonceavec une particulière vigueur quand il dit :

« A la lumière de l’économie du salut, l’Eglise estime qu’il n’y a pascontradiction entre l’annonce du Christ et le dialogue interreligieux, maiselle sent la nécessité de les coordonner dans le cadre de sa mission Ad gentes.En effet, il faut que ces deux éléments demeurent intimement liés et en mêmetemps distincts, et c’est pourquoi on ne doit ni les confondre, ni les exploiter,ni les tenir pour équivalents comme s’ils étaient interc h a n g e a b l e s »(Redemptoris missio 55).

En ces considérations conclusives, je voudrais indiquerquelques aspects fondamentaux et aussi complémentaires dudialogue et de l’annonce, du dialogue et de la mission :

❑ Avant tout, le but et les finalités des deux, comme cela adéjà été relevé, c’est l’intention salvifique de porter aux autresla « bonne nouvelle », c’est à dire que Jésus Christ s’est faithomme ; de vivre la joie de cette foi vis-à-vis des autres et de lamettre à leur disposition. Ce don ou cette proposition estexplicite dans l’annonce et peut être plus implicite dans ledialogue qui, aussi pour cela, est appelé dialogue du salut.

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❑ Le don ou la proposition que le chrétien off re, àcommencer par sa présence et son style de vie qui est aussitôttémoignage de sa foi, continuant ensuite avec l’explication àqui lui demande « les raisons de son espérance » jusqu’àl’annonce explicite, c’est toujours une pro p o s i t i o nrespectueuse de la liberté de l’autre ou des autres. Redemptorismissio affirme avec force : « La mission ne restreint pas la liberté,mais elle la favorise. L’Eglise propose, elle n’impose rien »(Redemptoris missio 39 ; cf. Conc. Vat. II, Dignitatis humanæ, 3-4 ;Evangelii nuntiandi 79-80). Pour l’Eglise, c’est un dogme quel’acte de foi doit être libre. Il est défendu de baptiser celui quile demande sous contrainte. Pour cette raison l’Eglisecondamne l’usage des moyens contraignants de type physiqueou moral et des moyens moralement illicites qui constituent levéritable « prosélytisme ».

❑ Mais on ne peut appeler, ni condamner comme« prosélytisme » l’intention de mener quelqu’un par desmoyens licites à changer librement ses convictions religieuseset de religion. Comme par ailleurs il n’y a rien de mal ou dedéshonorant à se convaincre de la vérité et de l’excellence desopinions d’autrui ou à les accepter, ainsi il n’y a rien de maldans la sincère et libre conversion à une autre religion. Commes’exclame Evangelii nuntiandi : « Est-ce donc un crime contre laliberté d’autrui que de proclamer dans la joie une Bonne Nouvelle quel’on vient d’apprendre par la miséricorde du Seigneur ? » (Evangeliinuntiandi 80). Le motif de la protection de « l’ordre public »invoqué parfois pour justifier la défense de se convertir (pires’il est appliqué à sens unique seulement à la conversion pourune certaine religion) est extrêmement dangereux pour la

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liberté humaine. Il est une violation du droit fondamental detoute personne à choisir librement sa religion.

L’argument de l’« ordre public » est utilisé et avec excès encertains pays et législations de l’Asie qui interdisent et parfoispunissent la conversion et le baptême ; mais je l’ai trouvé déjàécrit dans un rapport des Nations Unies et récemment employédans la discussion que j’ai eue avec un haut fonctionnaireasiatique de l’O.N.U. Sur ces bases, on prétend empêcher touteaction missionnaire et justifier aussi les mesure sdiscriminatoires contre les convertis.

Une telle situation de fait ne doit pas cependant porter leschrétiens à la justifier et à qualifier de fanatisme oud’agressivité les conversions ou la mission qu’on y tend. Mêmes’ils sont contraints de vivre en une telle situation, les chrétienschercheront à professer leur foi et à utiliser les voies possiblesde mission ou d’évangélisation, à commencer par letémoignage et le dialogue, sans renier toutefois Jésus Christ etsa croix.

Après quasiment vingt ans, le passage suivant d’Evangeliinuntiandi demeure très actuel :

« Cette façon respectueuse de proposer le Christ et son Royaume,plus qu’un droit, est un devoir de l’évangélisateur. Et c’est aussi undroit des hommes, ses frères, de recevoir de lui l’annonce de la BonneNouvelle du salut. Ce salut, Dieu peut l’accomplir en qui il veut pardes voies extraordinaires que Lui seul connaît. Et cependant, si sonFils est venu, ce fut précisément pour nous révéler, par sa parole etpar sa vie, les chemins ordinaires du salut. Et il nous a ordonné detransmettre aux autres cette révélation avec la même autorité quelui… Les hommes pourront se sauver aussi par d’autres chemins,

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grâce à la miséricorde de Dieu, même si nous ne leur annonçons pasl’Evangile ; mais nous, pouvons-nous nous sauver si par négligence,par peur, par honte, ce que Saint Paul appelait “rougir de l’Evangile”(cf. Rm. 1,16), ou par suite d’idées fausses, nous omettons del’annoncer ? » (Evangelii nuntiandi 80).

❑ Descendant maintenant sur le terrain théologique, il mesemble que la vision symphonique peut s’appliquer aussi audialogue et à la mission.

Avant tout, parce que le mystère trinitaire qui est principe,fin et modèle de la mission (« Comme le Père m’a envoyé, moiaussi je vous envoie »), est d’une manière analogue aussifondement du dialogue. L’engagement de l’Eglise dans ledialogue doit être vu à la lumière du mystère trinitaire danslequel « la révélation nous fait entrevoir une vie de communionet d’échanges » (Dialogue et mission 22) une vie qui déborde au-dehors, vers la famille humaine.

C’est dans cette foi que se fonde une théologie correcte de lamission, du dialogue et des religions. Une théologie trinitaireet donc ensemble théocentrique, christocentrique, (ou mieuxchristologique) et pneumatologique. Un théocentrisme détachédu Christ et de l’Esprit est en dehors de l’horizon de la missionet du dialogue du salut selon le plan de Dieu ; ce qui vaut aussipour une vision focalisée uniquement sur le Christ et surl’Esprit. En fin de compte, les opérations divines ad extra, mêmeattribuées à chaque Personne, ne sont-elles pas communes àtoutes les trois Personnes ?

Et à l’intérieur de cette théologie se trouve l’ecclésiologie dela mission et du dialogue. L’Eglise, première bénéficiaire du

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salut, en est établie sacrement universel, instrument au servicedu Royaume dont elle est déjà germe, commencement, fruit ettémoin privilégié de l’Esprit (cf. Redemptoris missio 9, 18, 20, 29).En cette identité et cette mission de l’Eglise, s’enracinent savocation et son aptitude au dialogue. L’Eglise est en mesured’indiquer la voie et d’offrir les moyens qui conduisent à Dieu,mais en même temps elle est en pèlerinage, elle doit croître verssa maturité jusqu’à l’accomplissement du Royaume, appelée àfaire avancer l’humanité vers le Royaume en cheminant avecelle (Dialogue et mission 25 ; Dialogue et annonce 33-37). C’est làune position particulière voulue par Dieu pour le bien del’humanité, qu’on ne peut ignorer ou réduire sanscompromettre le sens et la contribution spécifique de sonengagement pour le dialogue.

C’est, enfin, l’exigence des raisons anthropologiques etsociales de la mission et du dialogue. La mission répond à undroit de l’homme et des multitudes de connaître la richesse dumystère du Christ, dans lequel « toute l’humanité peut trouver,avec une plénitude insoupçonnable, tout ce qu’elle cherche à tâtons aus u j e t d e D i e u , d e l ’ h o m m e e t d e s o n destin… » (E v a n g e l i inuntiandi 53, cit. en Redemptoris missio 8) et pour faire celadûment, la mission doit parcourir la voie de l’inculturation etde la promotion de l’homme et des peuples. A son tour, ledialogue est fondé sur la même « structure relationnelle » del’homme, lequel de par sa constitution est un être ouvert àl’autre dont il a besoin pour être lui-même et pour croître àtravers la communication de la parole et de l’amour. C’est unbesoin de communion que les changements socioculturelsd’aujourd’hui ne font qu’aiguiser et que les grands problèmesactuels demandent d’orienter vers le bien de tous, individus et

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peuples, pour un développement de qualité de vie et desolidarité (cf. Dialogue et mission 21 ; Dialogue et annonce 44-45).

Conclusion

En synthèse, le dialogue nécessite une vision d’ensemble auniveau théologique, ecclésiologique et anthropologique, pourêtre compris et réalisé en vérité et plénitude. Il a, oui, uneidentité et un dynamisme pro p res, mais qui vont êtreharmonisés à l’intérieur de la mission intégrale. Dialogue etannonce le dit bien :

« Tous les chrétiens sont appelés à être personnellement impliquésdans ces deux façons d’accomplir l’unique mission de l’Eglise, àsavoir l’annonce et le dialogue. La forme en laquelle ils le fontdépend des circonstances et aussi du degré de leur préparation. Ilsd o i v e n t n é a n m o i n s t o u j o u r s s e r a p p e l e r q u e l e d i a l o g u e … n ec o n s t i t u e p a s t o u t e l a m i s s i o n d e l ’ E g l i s e , q u ’ i l n e p e u t p a ssimplement remplacer l’annonce, mais reste orienté vers l’annonce ;c’est en celle-ci en effet que le processus dynamique de la missionévangélisatrice de l’Eglise atteint son sommet et sa plénitude »(Dialogue et annonce 82).

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II

Religions et violences

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PRÉSENTATION

L’actualité de ce dossier n’a malheureusement nul besoind’être démontrée. Notre époque est en effet profondémentagitée par de nombreux conflits armés, qui surg i s s e n tviolemment ou perd u rent inlassablement en de multiplespoints de la planète. Et lorsqu’on dresse la carte de cestensions, de l’Irlande du Nord à l’Afghanistan, de l’ex-Yougoslavie au Moyen-Orient, du Soudan au Maghreb (…) onne peut s’empêcher de constater l’importance, dans tous cesconflits, du facteur religieux.

La question alors, surgit, incontournable : les re l i g i o n sfavorisent-elles la paix, ainsi que semblent le prôner leurstextes fondateurs, ou bien engendrent-elles inévitablement laguerre, ainsi que paraît le montrer l’histoire de l’humanitéjusqu’à aujourd’hui ? En fait, le problème n’est évidemmentpas si simple, car il est bien d’autres facteurs dont il faut tenircompte. Toutefois, même si l’on aurait tort de réduire lesconflits actuels (par exemple en ex-Yougoslavie ou au Moyen-Orient) à des « guerres de religion », il semble que lesmotivations religieuses s’allient facilement à des problèmeséconomiques, politiques ou ethniques, qui sont les véritables

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« nerfs de la guerre ». Plus encore : il arrive que les religionssoient invoquées par les belligérants comme la justificationultime de leurs engagements dans les conflits, au nom d’unecertaine idée de Dieu. Alors, les religions sont-elles « fauteurs detrouble ou facteurs de paix », pour reprendre le titre de la tableronde organisée par la section française de la Conférencemondiale des religions pour la paix, en janvier 19941 ? Violenceet intolérance ont-elles leurs sources dans les textes fondateursdes grandes religions ? Le fondamentalisme et l’intégrismeguerriers sont-ils des phénomènes inévitables dès lors que desreligions se présentent comme « universelles » ? Une réflexionsur le dialogue interreligieux ne saurait éviter ces questionsradicales.

Les quatre textes qui suivent ont été prononcés lors d’unforum organisé par l’I.S.T.R. de Marseille et le journal La Croix,le 14 avril 1994. Aprés une présentation historique confiée àJean Comby, s’attachant à décrire quelques mécanismes qui,dans les religions, peuvent conduire à l’intolérance et à laviolence, trois interventions, faites par un juif (M. Jean-MarcChouraqui, directeur de l’Institut interuniversitaire d’études etde culture juives [I.E.C.J.] à Aix-en-Provence), un chrétien(Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem) et unm u s u l m a n (M. Dalil Boubakeur, recteur de l’Institutmusulman de la Mosquée de Paris), ont ouvert le débat.

La distance entre l’optimisme d’une telle rencontre (suiviepar plus de 700 personnes) et la dureté farouche et meurtrière

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1. Les textes des différentes interventions ont été publiés dans la Lettre de la sectionfrançaise de la Conférence mondiale des religions pour la paix de juillet 1994 (numérospécial 5).

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des conflits en cours n’échappera pas au lecteur. Mais loin detisser un voile pudique de bonnes intentions jeté sur la sévèreréalité de la guerre, les représentants des trois monothéismes sesont appliqués à dire, du sein même de leur foi, les fondementsreligieux d’une recherche de la paix et de la justice entre lespeuples. Et leur présence ce soir-là, à la même table, constituaità elle seule, dans une société qui en a bien besoin, un symboleapprécié d’espérance.

J.M.A.

Présentation

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Jean CombyHistorien, professeur à la Faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon.

A TRAVERS L’HISTOIRE : INTOLÉRANCE OU DIALOGUE ?

1. Les religions dans les conflits contemporains

Les religions sont données comme responsables d’unebonne partie des innombrables conflits et violences de notreplanète. En Irlande du Nord s’opposent catholiques etp rotestants. Dans certains pays musulmans, les islamistesveulent imposer la fidélité à l’islam par la terreur ; la guerrecivile entre factions musulmanes se prolonge indéfiniment enAfghanistan ; par le récent massacre d’Hébron, des colons juifsqui fondent la légitimité de leur installation sur la Bible,veulent empêcher toute coexistence avec les Palestiniensmusulmans ; en Inde, des hindous détruisent des mosquées ;en Bosnie, musulmans, croates catholiques et serbesorthodoxes se font la guerre depuis deux ans. Le conflit qui

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oppose le Soudan du nord et celui du sud apparaît comme uneguerre de l’islam contre des minorités chrétiennes et animistes ;la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan met également auxprises des chrétiens et des musulmans… Salman Rushdie,coupable de délit d’opinion religieuse, est condamné à mortpar des musulmans. On pourrait poursuivre l’énumération.

Conflits religieux ou guerres nationalistes

Bien sûr, surgit immédiatement l’objection. Les religionssont-elles vraiment la première cause de ces intolérances et deces violences ? La religion ne serait-elle pas que la colorationsuperficielle d’une violence qui a bien d’autres causes. Ce« retour du religieux » et cette « revanche de Dieu » ne sont-ilspas d’abord l’affirmation exacerbée d’identités nationales quela religion pousse au fanatisme ?

D’autres questions surgissent. Comment les religions, qui,en principe, veulent répondre aux grandes questions del’homme et les aider à vivre, conduisent-elles à l’intolérance età la violence ? Est-ce constitutif de toute religion ? N’est-ce quemauvaise lecture des textes fondateurs ? L’éclairage historiqueproposé ici risque d’être simplificateur, d’autant plus que jeparle forcément à partir d’un lieu, la France, et à partir d’unereligion, le christianisme catholique. Ceux qui parleront aprèsmoi auront tout loisir de corriger mes approximations ou meserreurs.

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2. Enquête sur les textes fondateurs

Le recours aux textes fondateurs n’est pas l’opération simpleque l’on supposerait quand on affirme : « la Bible dit ceci », « leCoran dit cela », « voilà le message de Bouddha ».... Car il nesuffit pas de lire les textes ; il faut les comprendre et lesinterpréter.

Ancien Testament

La Bible étant la référence commune - du moins l’AncienTestament - du judaïsme et du christianisme, et même souscertains aspects de l’islam, il est intéressant de s’y arrêterquelque peu. Une citation de Jacques Trublet (Dictionnaire despiritualité) résume bien la question :

« On pourrait dire sans exagérer que le thème de la violenceconstitue l’un des axes majeurs de la Bible. En effet, après Genèse 3où nous assistons à une violence faite à Dieu, apparaît une sérielongue et continue de meurtres et d’oppressions. L’Ancien Testamentne contient pas moins de 600 passages où l’on voit se détruire ous’exterminer des peuples, des rois et des individus. Pis encore, leDieu des Hébreux ordonne lui-même près de cent fois les massacres,encourage à la guerre, et près de mille fois sa colère engendre la ruineet la violence » (D.S., article « violence »).

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Tout cela demanderait beaucoup d’explications et denuances... YHWH a donné la terre promise à Israël qui peut etdoit s’en emparer par la violence (livre de Josué) . L’affirmationdu monothéisme, YHWH, à la fois le Dieu d’Israël et le Dieuunique de l’humanité, a comme conséquence l’exterminationdes idolâtres. Quand elle est subie par le peuple élu, la violenceest une punition du péché d’infidélité au Dieu unique. Dans unautre sens, le Serviteur du livre d’Isaïe, l’innocent et le non-violent, prend sur lui la violence pour en libérer son peuple. Lemême livre d’Isaïe laisse espérer des temps messianiques depaix et de réconciliation de tous les peuples autour deJérusalem.

Nouveau Testament

La violence n’est pas absente du Nouveau Testament, maisil s’agit surtout de la violence subie. Certes, Jésus peut semontrer violent dans ses paroles contre les pharisiens oulorsqu’il chasse les vendeurs du temple. On doit toutefoisreconnaître que le message de Jésus vise d’abord à déraciner laviolence : refus de la loi du talion, refus des injures, refus d’êtredéfendu par les armes lors de son arrestation, acceptation de sapassion... Par sa résurrection, Jésus triomphe de la violence etde la mort, fruit de la violence.

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Coran

Une lecture rapide et certainement superficielle du Coranfera découvrir d’une part que dans la sourate de la Vache (2,257) , il est dit : « Pas de contrainte en religion » mais qued’autre part le djihad, « effort sur le chemin de Dieu » est uneinvitation à combattre lesennemis de la foi :

S. 9, 5

Lorsque les mois sacrésseront expirés, tuez les infi-dèles partout où vous lest ro u v e rez. Faites-les prison-niers ! Assiégez-les ! Placez-leur des embuscades ! S’ilsfont amende honorable, célè-brent l’office de la prière etpaient la dîme, laissez-lesp o u r s u i v re leur chemin !Dieu est clément et miséricor-dieux.

S. 9, 29

Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu, au jour dernier, qui neconsidèrent pas comme illicite ce que Dieu et son Prophète ontdéclaré illicite, ainsi que ceux qui, parmi les gens des Ecritures, nepratiquent pas la religion de la vérité, jusqu’à ce qu’ils paient,humiliés, et de leurs propres mains, le tribut.

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Djihad« A la collectivité musulmane incombe le

devoir de lutter pour la défense ou pourl’établissement de l’islam. Pour désignercette activité, le Coran emploie le termedjihad dont la racine arabe signifie “efforttendu vers un but”. L’effort ou la lutte que leCoran demandait aux croyants de Médine,c’était de façon immédiate la lutte arméec o n t re les polythéistes. L’islam s’étantrapidement implanté et répandu, laTradition musulmane aura tendance àc o m p re n d re le d j i h a d comme un combatmoral contre les vices et les passions. Uncourant moderne verra dans l’activitémissionnaire un accomplissement du devoirde djihad. En tout état de cause, il seraitinexact de traduire djihad par “guerre” ou“guerre sainte”, car, en arabe c’est harb quicorrespond à “guerre”… » (Jean-René Milot,L’islam et les musulmans, Fides, 1993, p. 79).

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Quelques exemples dans les autres religions

La violence est présente dans bien d’autres religions. Dansl’hindouisme, les hymnes védiques appellent les dieux àdétruire l’ennemi et valorisent la fonction du guerrier. Krishnatransmet son message dans l’épopée de la Bhagavad-Gîta. Lebouddhisme des origines, en revanche, se montre résolument

non-violent : l’Eveil duBouddha est essentielle-ment la découverte desquatre vérités sur la souf-france et les moyens d’yé c h a p p e r. Chez lesAztèques, la guerre estl’acte religieux par excel-

lence : elle permet de faire des prisonniers qui, offerts en sacri-fice, fourniront aux dieux le sang humain nécessaire au fonc-tionnement du cosmos. Par contre, le manichéisme, non-violent et végétarien, hostile à la guerre et à la chasse, apportela paix aux Ouighours de l’Asie centrale : « Le pays aux mœursbarbares où fumait le sang se change en une contrée où l’on se nourritde légumes ; l’état où l’on tuait se transforme en un royaume où l’onexhorte au bien. »

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Bhagavad-Gîta« Baghavad-Gîta, “Le chant du

B i e n h e u reux”, peut avoir été composé auxe n v i rons de l’ère chrétienne. Il se présentecomme un dialogue entre le Bienheure u xKrishna et un héros, Arjuna, qui va devoiraffronter ses cousins à la guerre et qui se posedes questions sur les conséquences de sesactes » (Michel Delahoutre, dans : Paul Poupard,Dictionnaire des Religions, p. 198).

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Lecture littérale ou lecture spirituelle

Quoi qu’il en soit, l’interprétation des textes fondateurs estbeaucoup plus importante que leur contenu littéral. Ces textes,en particulier la Bible et le Coran, sont considérés commeparole de Dieu, d’où leur caractère sacré. Mais il faut endégager le message en le restituant dans son contextehistorique. On sait aujourd’hui qu’une bonne partie des textesviolents de l’Ancien Testament ne correspondent pas à unehistoire réelle, mais à une certaine relecture du passé. Lesauteurs chrétiens, Origène et bien d’autres, n’en voulaientretenir qu’un sens spirituel. Toutes ces violences étaient àcomprendre dans le sens du combat spirituel, de la lutte contrele péché. Dans l’islam, on a pu distinguer le djihad mineur, celuidu temps du prophète, du Djihad majeur, celui des âmes,purification intérieure et lutte contre les passions... De même,l’hindouisme a spiritualisé les hymnes et les épopéesguerrières.

Les dangers d’une lecture fondamentaliste

Cependant, ce qui est écrit est écrit et qui plus est, c’est laParole de Dieu. On explique ainsi les méfaits des lecturesfondamentalistes des textes inspirés. L’épopée des Hébreuxdans la conquête de la Te r re promise, l’élimination desidolâtres et des pécheurs sont constamment présentes chez lesc roisés chrétiens du Moyen Age et chez les inquisiteurs,

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comme elles le sont chez certains colons juifs d’aujourd’hui. Ala suite de saint Augustin, les inquisiteurs médiévaux ontmême réussi à justifier la répression par la parabole des Invitésau festin : « Compelle intrare » « Force-les à entrer » (Luc 14, 23) .On a utilisé dans le même sens l’allégorie des sarments jetés aufeu (Jean 15, 6) . On pourrait faire des réflexions semblables àpartir de la lecture du Coran. A vrai dire, de tout temps, on acherché dans les textes sacrés la justification d’une conduite defait. Il est évident que les Evangiles et d’autres textes religieuxpeuvent tout autant et sans doute bien davantage fonder lanon-violence.

3. Les multiples visages de l’intolérance et de la violence religieuses

Je distinguerai trois cas de figure :

❑ Les guerres des universalismes

Lorsque les croyants d’une religion sont convaincus que leurDieu est le seul vrai, ils le proclament au monde entier. Ce peutêtre par l’annonce pacifique des missionnaires. Des peuplesdont les croyances sont peu structurées se laissent séduire parune religion universelle qu’ils estiment meilleure. Le

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christianisme des premiers siècles, le judaïsme, l’islam, maisaussi le bouddhisme en ont bénéficié dans le passé. Ce peutê t re encore le cas aujourd’hui en Afrique lorsque despopulations de religion traditionnelle passent au christianismeou à l’islam. Mais lorsque christianisme et islam se rencontrentou même re n c o n t rent hindouisme et bouddhisme, il y adifficilement place pour deux universalismes en un même lieu.D’où la violence.

De plus, les grandes religions sont portées par desensembles politiques auxquels elles fournissent une idéologie,l ’ e m p i re romain et ses héritiers européens pour lechristianisme, le monde arabe pour l’islam.... Conquête etconversion sont étroitement associées. Les conflits religieuxcoïncident ainsi avec des conflits d’impérialismes. Les Arabesconquièrent et islamisent la Méditerranée romaine : Moyen-Orient, Afrique du Nord, Espagne. En Asie, ils se taillent desroyaumes dans les mondes hindou et bouddhiste.Charlemagne et plus tard les Chevaliers teutoniques secomportent de la même manière dans leur marche vers l’Est.

La violence religieuse peut aller jusqu’à l’exécution de ceuxqui ne veulent pas se convertir : « le baptême ou la mort » pourles Saxons, dit Charlemagne. Dans le contexte de l’islam lesattitudes varient, de la violence dans la conquête elle-même,p a r t i c u l i è rement à l’égard des idolâtres, à la tolérancehabituelle pour les peuples du livre (juifs et chrétiens) quideviennent des citoyens de seconde zone avec le statut dedhimmi. Ces autres guerres saintes que sont les croisades n’ontpas d’abord la volonté de convertir les musulmans mais ellesveulent récupérer, souvent avec une violence extrême, les récits

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de la prise de Jérusalem en 1099 en témoignent, les lieux où leChrist a vécu et que les musulmans possèdent indûment, selonles chrétiens.

Les chrétiens d’Europe qui se lancent à la découverte et à laconquête du monde à partir de 1492 font entrer la conversiondes païens dans leurs motivations. L’Amérique devient uncontinent chrétien par la grâce des armées des conquistadors,au terme de combats et d’épidémies qui détruisent les 9/10 dela population.

❑ Malheur aux religions minoritaires

Européens d’aujourd’hui, nous projetons sur le passé notreconcept de religion, c’est-à-dire une réalité parmi d’autres, auxcontours bien délimités dans nos sociétés sécularisées. Mais,jadis en Europe et aujourd’hui dans plusieurs pays, plutôt quede religion, il faut parler de « règle de vie » d’une société toute n t i è re. Les fidèles d’une autre religion que la re l i g i o nm a j o r i t a i re ont une autre règle de vie et doivent vivref o rcément à part. Plus une société affirme sa cohére n c ereligieuse, et c’est le cas de la chrétienté médiévale, plus ellerend la vie dure aux minorités car la différence est quasiment

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DhimmiDans les régions conquises « les musulmans ne cherchaient pas à imposer

l’islam à leurs sujets, qu’ils soient chrétiens, juifs ou mazdéens. Ceux-ci avaient lestatut de dhimmi (« protégés ») : ils gardaient, moyennant paiement d’une taxespéciale, le libre exercice de leur culte, leur statut personnel, ainsi qu’une largeautonomie » (Jean-René Milot, op. cit., p. 87).

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intolérable. On explique ainsi le sort des juifs dans la chrétientéet souvent dans l’islam : une longue histoire de mise à l’écart,habits et quartiers distinctifs, de violence et d’élimination quiatteindront le sommet de l’horreur dans la deuxième guerremondiale.

Dans l’Espagne médiévale, l’importance de chacune destrois communautés (chrétiens, musulmans et juifs) les obligependant longtemps à cohabiter dans une relative tolérance.Mais lorsque la victoire chrétienne est acquise définitivement(1492) , juifs et musulmans n’ont plus le choix qu’entre laconversion, l’expulsion ou l’esclavage. Dans le mondemusulman, la situation inférieure des chrétiens et des juifs enpousse un grand nombre à la conversion à l’islam, pourdevenir des citoyens à part entière. On trouverait descomportements semblables dans bien d’autres parties dumonde. Le manichéisme, religion pourtant bien pacifique, a étéla plus persécutée de toute l’histoire, de la Chine à l’Europeoccidentale, car elle est jugée particulièrement asociale.

❑ L’exclusion et l’élimination des déviants à l’intérieur des religions

Les monothéismes ont donné naissance au conceptd’orthodoxie qui n’existait pas dans les religions anciennes. Lec royant doit confesser une doctrine juste et avoir uncomportement rituel et moral droit. On pourrait égalementparler d’orthopraxie. Là encore, plus une société affirme sa

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cohérence religieuse, plus elle se durcit à l’égard de ses propresdéviants. Dans le monde chrétien jusqu’au XIe siècle, l’Eglisese limitait à des peines médicinales qui permettaient àl’hérétique d’implorer le pardon et d’être réintégré. Av e cl’Inquisition, au XIIIe siècle, le déviant peut être éliminéphysiquement car l’apostat et l’hérétique impénitents mettenten cause la société tout entière ; ils ne méritent pas plus devivre que les faux-monnayeurs, les voleurs ou les meurtriers,d’autant plus qu’ils mettent en cause l’autorité de la hiérarchieecclésiastique.

Il en est de même en islam où l’apostat est puni de mort,mais aussi l’hérétique. Le mystique Al Hallaj fut crucifié àBagdad en 922 parce qu’« il mettait en danger la foi musulmane etla sûreté de l’Etat » (G.C. Anawati, Encyclopædia Universalis).Dans les communautés juives, des controverses aboutirent àdes exclusions et des livres litigieux furent brûlés. Au XVIIe

siècle, l’excommunication de Spinoza de la communauté juived’Amsterdam est restée célèbre.

4. Conclusion : du bon usage de l’histoire

Je me suis limité essentiellement à la description dequelques mécanismes qui dans les religions peuvent conduireà l’intolérance et à la violence. Il est bien entendu que cela ne

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résume pas tout le contenu des religions. Il faudrait présenterun autre tableau où les religions ont proposé des correctifs à laviolence et se sont montrées artisans de paix. Il n’est pasdifficile d’évoquer - je l’ai fait incidemment - des textes de laBible, des passages du Sermon sur la Montagne, et des textesde toutes les religions qui invitent l’homme à entrer en lui-même et à purifier son cœur de la haine et de la violence.

On pourrait évoquer les efforts de l’Eglise aux Xe et au XIesiècle pour la paix de Dieu et la Trêve de Dieu ; l’actionpacificatrice et réconciliatrice de François d’Assise quisouhaitait à ceux qu’il rencontrait : « Paix et bonheur ». Lebouddhisme des origines invite fondamentalement à la non-violence. Les intervenants qui me succèdent donneront sansdoute des exemples semblables dans le judaïsme et l’islam…

L’intolérance et la violence ont de multiples sources quidépassent les religions. Il est important de saisir ce que cache lerevêtement religieux des violences : exploitationséconomiques, misère, chômage, humiliations historiques,identité bafouée, non pour disculper les religions mais pourretrouver leur véritable message. Tous les croyants, quand ilsse réfèrent à leurs écritures, ont un effort à faire pour lesresituer dans leur contexte historique et pour ne pas leur fairedire n’importe quoi aujourd’hui.

Les Ecritures sacrées veulent répondre aux grandesquestions des hommes et des femmes, elles proposent le salutet même le bonheur. Dans le passé, et parfois encoreaujourd’hui, des croyants pensent que l’absolu de leur Dieuautorise le mépris ou l’élimination de certains hommes. Il

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arrive aussi que des responsables religieux mettent en gardecontre une religion qui se limiterait au respect des droits del’homme et à l’entraide, religion naturelle et horizontale,disent-ils. Pourtant, si la religion c’était d’abord cela pourchaque croyant, bien des choses seraient changées sur la facede la terre. Le dialogue ne peut s’établir qu’à partir d’unecertaine idée de l’homme partagée par tous et d’une distinctiondu pouvoir politique et de la foi religieuse. Il est plus facile derespecter les droits de Dieu qu’on ne voit pas que les droits del’homme concret que l’on côtoie chaque jour. Dieu est assezgrand pour défendre sa cause tout seul ! Le retour à nos sourcesreligieuses ne devrait-il pas nous convaincre que l’absolu deDieu, un Dieu qui devrait être si possible le même pour tous,n’a aucun sens s’il ne passe pas par l’absolu de l’homme, detous les hommes, créés, selon la Bible, à l’image et à laressemblance de Dieu ?

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Jean-Marc ChouraquiDirecteur de l’Institut interuniversitaire d’études et de culture juives (I.E.C.J.),Maître de conférences en histoire du judaïsme à l’Université d’Aix-Marseille II.

« LES PAROLES DE L’UN ET LES PAROLES DE L’AUTRESONT PAROLES DU DIEU VIVANT » TALMUD

Je tiens d’abord à remercier l’I.S.T.R. qui m’honore, mefaisant côtoyer des personnalités telles que MonseigneurSabbah et le recteur Boubakeur. Pour la clarté du débat, je tiensd’abord à préciser qu’à la différence de ces deux éminentespersonnalités, je ne suis pas un ecclésiastique, je ne suis pasrabbin, et de ce fait je ne suis pas une personnalité religieuse. Jesuis un universitaire qui travaille sur l’histoire du judaïsme etsur ses relations, notamment avec le christianisme.

Je souhaite, dans un premier temps introductif, relever leséléments, les notions qui dans le monothéisme et en particulierle monothéisme fondateur hébraïque peuvent être source deviolence et d’intolérance, puis examiner dans un second tempscomment la tradition juive neutralise la virtuelle nocivité deces notions et enfin, dans un troisième temps, j’aimeraism o n t rer brièvement comment l’étude historique, à partirnotamment de l’exemple du rapport judaïsme-christianisme,peut conduire à détruire un certain nombre de préjugés, en

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révélant la communauté de formulation de projets présentéspendant des siècles comme étant antinomiques.

1. Monothéisme et intolérance

La notion de monothéisme implique l’idée d’un Dieuunique et universel, un Dieu de vérité se révélant à un peuple,dit peuple élu ou peuple de Dieu. On voit que cette notion demonothéisme et tous ses concepts afférents peuvent comporteren germes le développement de l’intolérance et de la violence.L’idée d’une révélation monothéiste n’induit-elle pasnaturellement le principe d’un « hors monothéisme, point desalut » comme on disait « hors de l’Eglise, point de salut » ?Quels sont donc les outils garde-fous que le judaïsme a puconcevoir, lui qui est inspirateur de cette idée monothéiste,pour en neutraliser la violence et l’intolérance virtuelles ?

❑ Le monothéisme hébreu ne consiste pas en une simpleréduction mathématique du nombre de Dieux à un Seul. Lemonothéisme hébreu s’inscrit d’abord dans un projet éthiqueet implique l’idée d’un Dieu Unique qui a créé l’homme etnotamment qui est à l’origine du premier homme. En Adam,né de la terre, se trouve fondée la fraternité de l’humainecondition. Il y a une origine unique à l’humanité et le Talmuddit « C’est pour t’apprendre que tu ne peux dire “mon ancêtre est

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supérieur au tien” ou “mon sang est plus rouge que le tien” ». Lafemme et l’homme ont été créés à l’image de Dieu, cela estaffirmé dès le départ, et le Talmud précise que « Adam a été crééà partir de la poussière des quatrecoins de la terre », c’est-à-direque Dieu était à la fois un peun o i r, un peu blanc, un peujaune, un peu rouge… LeTalmud déclare enfinq u ’ e ffectivement celui qui tue un « Ben Adam » (filsd’Homme), un humain, agit comme s’il détruisait l’humain,c’est-à-dire l’humanité.

❑ Ce principe une fois posé se prolonge d’un second, lacréation étant engagée sous le signe de la dualité. La deuxièmelettre de l’alphabet hébraïque « le bet » correspond au chiffre 2 ;il y a une correspondance entre les lettres de l’alphabet et leschiffres. Or c’est la deuxième lettre de l’alphabet, le chiffre 2 quiouvre le texte de la Bible : « Bereshît » (« au commencement »)Dieu créa. Cela appelle ce commentaire de la tradition : lacondition de l’humain c’est de dialoguer, d’entrer en échange.C’est le dialogue qui contribue à fonder l’unité de l’homme. Enhébreu le mot « un » (« éhad ») et le mot « amour » (« ahavah »)ont la même équivalence numérique, 13. L’Amour estconstitutif de l’unité de l’être. Respecter l’autre c’est donc serespecter soi-même en respectant l’image de Dieu en lui. D’oùles commandements hébraïques « Tu aimeras ton prochain commetoi-même » et « Tu aimeras l’étranger comme toi-même ».

❑ La référence commune au Dieu créateur comme garantedu respect de l’autre suppose que l’on ne considère pas que par

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TalmudLe mot, en hébreu, signifie science,

étude, enseignement ; le Talmud est lamise par écrit de la Torah orale(mishna) puis de son commentaire. Ilexiste deux Talmuds : le Talmud deJérusalem et le Talmud de Babylone.

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sa seule foi, on connaisse Dieu ou on connaisse son nom et c’estun important enseignement que propose la tradition juive ;Dieu n’est pas dans son « essence » connaissable. Et son nomdonné dans le tétragramme est indicible pour un juif. Nommerc’est prétendre Le connaître et prétendre Le connaître peutconduire certains à croire que d’autres ne le connaissent pas, neconnaissent pas le vrai Dieu. A ce moment-là commencel’engrenage du fanatisme et des guerres de religions. Prétendreconnaître Dieu, c’est croire que l’esprit fini de l’homme peutconnaître l’Infini et c’est prendre le risque de définir Dieu. C’estla raison pour laquelle la tradition juive interdit de prononcerle nom de Dieu. Lorsque Moïse s’adresse à Dieu pour luidemander son nom, Dieu répond quasiment par une boutade« Je serai celui que je serai » et non pas « Je suis celui qui suis »la traduction est un futur « Je serai celui que je serai », réponseénigmatique fuyante à l’infini. En ne nommant pas Dieu, jerespecte son infini et les modalités infinies de l’homme de s’yréférer et de le prier. Il y aurait d’après la tradition juive 70noms de Dieu qui correspondent aux 70 nations issues d’Adamet qui toutes appellent Dieu d’une manière différente. Dieu,par la bouche du prophète Malachie, ne proclame-t-il pas « Dulevant du soleil à son couchant, Mon Nom est grand parmi lespeuples » ? Ainsi toute idée de guerre sainte, de guerre dereligion, de croisade, est un blasphème, car tuer un être humainparce qu’il ne croit pas comme vous c’est éliminer un fidèle deDieu qui le vénère à sa façon et donc faire affront à Dieu lui-même. Voilà pourquoi le judaïsme n’a pas une vocationprosélyte de conversion à la loi de Moïse, le salut de l’hommene tenant pas à ses conceptions métaphysiques mais à ses acteséthiques. L’observance de la loi éthique fondée sur le respectdu prochain l’emporte sur le culte de Dieu même. Ainsi le

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Talmud de Jérusalem fait dire à Dieu de façon étonnante « Peuimporte qu’ils (les Hébreux) M’aient rejeté, pourvu qu’ils persévèrentdans le respect de la Loi ».

Dieu accepte de s’effacer devant le respect de l’homme pourl’homme. L’idolâtrie n’est violemment combattue dans la Bibleque pour autant qu’elle implique l’oppression du prochain. Onen a plusieurs exemples. On comprend dans un tel contexte ceprincipe talmudique fondamental : « tous les Justes parmi lesnations ont part au monde futur ». Hors de la synagogue, il y a dusalut. Le comportement éthique plus que la cro y a n c emétaphysique contribue au salut de l’homme, comportementéthique régi par une catégorie talmudique, les sept lois moralesdes fils de Noé qui correspondent, si l’on veut, à la religionn a t u relle. Ainsi la tradition hébraïque implique-t-elle unegrande humilité dans le domaine métaphysique, dans ledomaine théologique. Tout discours sur Dieu ne peut qu’êtreimparfait, relatif. Dieu avertit Moïse qu’on ne peut Le voir sansmourir. La vision de Dieu, la connaissance de Dieu dans sonêtre n’est pas de ce monde.

❑ Humilité donc pour tous les théologiens. Moïse etl’homme ne peuvent voir que les traces de Dieu, c’est-à-dire Sacréation au cœur de laquelle se trouvent Ses créatures : leshommes. Connaître et aimer Dieu c’est connaître et aimer Sescréatures. Le rapport vertical Homme-Dieu se rabat sur celuihorizontal Homme-Homme. Dieu étant par définitioninconnaissable dans son identité, on ne saurait donc justifierune violence, une intolérance au nom d’un credo. La violencedans la Bible, d’ailleurs, sanctionne principalement des fautesd’ordre éthique. Et pour bien prévenir la prétention, illusion

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humaine d’une « connaissance-fusion » avec Dieu, Dieu inviteles Hébreux à rester à distance de Lui et à ne pas approcher dela montagne du Sinaï lors de la proclamation des Dix paroles.C’est cette révérence vis-à-vis de la transcendance qui est entreautres signifiée par la tête couverte de la kipa. Il y aura,toujours, la kipa entre l’homme et Dieu, l’infime frontière entrela finitude de l’homme et l’infini de Dieu. Et c’est aussi pourprévenir l’intolérance possible contre une idolâtrie de la lettredu texte, que la tradition juive pharisienne, contrairement àl’énorme contresens polémique colporté pendant des siècles, aaccompagné le texte écrit de la Thora d’une tradition orale etde ses commentaires consignés dans le Talmud. C’est là que set rouvent les garde-fous contre l’intolérance que pourraitengendrer la notion de monothéisme.

2. Neutralisation de la violence religieuse par la tradition juive

❑ La tradition orale libère le texte écrit du risque d’unepétrification idolâtre, source de fanatisme et d’intolérance. Ceprécieux principe de lecture de la Bible est donné par lepremier traité du Talmud : « la Thora parle le langage deshommes ». Si la parole est celle de Dieu, le langage est celui deshommes et l’idolâtrie substitue à la parole divine le langage

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humain : d’où la nécessité de l’exégèse avec ses différentsniveaux de lecture. Toute la tradition herméneutique consisteraà relativiser, à prendre une distance par rapport à la lettre dutexte rédigé en un temps donné avec une mentalité donnée. Ils’agit de mettre en garde contre les anthropomorphismes,contre les formulations littérales violentes de la justice divine.La Bible donne dans le langage d’une époque les principestranscendants dans leur devoir-être. Appliquer la lettre de laThora écrite sans le mode d’emploi de la Thora orale peutconduire à des catastrophes. D’où notamment la mauvaiseinterprétation.

On peut prendre pour exemple la loi du Talion. Celui qui litau pied de la lettre la loi du Talion n’a rien compris. Lar é f é rence, le mode d’emploi se trouve dans la traditiontalmudique. Pour celui qui prend donc au pied de la lettre toutce qui est dit dans la Bible, le Zohar (livre majeur de la Kabbale)précise « Pitié pour lui car il n’aura pas droit au monde futur ».Pitié pour le fondamentaliste, littéraliste. L’intolérance apparaîtlorsqu’on croit détenir la vérité dans la connaissance que l’oncroit avoir de Dieu. Or le Talmud affirme « La vérité absolue n’estpas de ce monde, elle se donne dans ce monde dans la multiplicité despoints de vue », vérité de type kaléidoscopique. Et le Talmudprécise que dans la discussion entre Maîtres, « les paroles de l’unet les paroles de l’autre sont paroles du Dieu vivant ». La Révélationn’est vivante que par le dialogue qu’elle suscite et quil’enrichit. Dieu seul connaît le secret qui unit les versantsdistincts de la vérité.

On le voit bien, le statut du nom de Dieu, imprononçable,inconnaissable, le statut du texte révélé dont la lettre ne saurait

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enfermer l’infini de Dieu et de sa vérité et qui exige l’infini deson interprétation pour vivre, ces deux gard e - f o u saxiomatiques rendent sacrilège et dérisoire toute prétention àla supériorité d’une croyance ou au prosélytisme conquérant.Le fanatique intolérant dans le judaïsme, comme dans lesautres religions, va ignorer ces garde-fous et prendre prétextede formulations dures et violentes dans le texte révélé, qu’ils’agisse de la Thora, du Nouveau Testament ou du Coran prisau pied de la lettre et cela pour assouvir une volonté depuissance.

❑ Souvent l’intégriste intègre l’absolu en lui pour comblerun manque, une béance dans son intégrité psychique. Par unsoi-disant zèle, en vue de servir Dieu, il se sert de Dieu en sesubstituant à Lui, et nous avons un exemple frappant dans lecas des deux fils d’Aaron, le grand prêtre, « Nadav etAvihou » : lors de l’inauguration du sanctuaire, ils apportentun feu étranger, non demandé par Dieu. Ils sontimmédiatement embrasés et meurent aussitôt. Leur zèle quis’accompagnait, disent les commentaires, d’un mépris àl’égard de leurs frères hébreux, les a tués. Le culte (avoda)qu’ils voulaient rendre à Dieu était étranger (zara). En hébreu« avoda zara », c’est l’expression qui veut dire idolâtre. Le feuqui anime le mystique peut le consumer ou embraser, hélas, lemonde autour de lui. L’orgueil et l’exaltation ont tué les filsd’Aaron, orgueil de leur élection comme prêtres d’Israël. Etprécisément la notion d’élection de peuple de Dieu, communeaux trois monothéismes, est une des plus dangereuses qui soitsi on la détourne du sens biblique, hébraïque originel. Latradition juive n’a jamais compris cette notion commeimpliquant une supériorité quelconque ou un privilège

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quelconque. Elle exige d’Israël d’être une « m a m l e k h e t ekohanim », une royauté de prêtres au service de Dieu et deshommes. « En toi, seront bénies toutes les nations de la terre »annonce Dieu à Abraham puis à Jacob ; et c’est la raison pourlaquelle au temple de Jérusalem se faisaient des offrandes à lafête de Soukkot (des cabanes) pour les nations. Election doncnon pour asservir (c’est le dévoiement nazi), mais pour serviravec, non pas un surcroît de privilèges mais d’obligations : lenon-juif pour être « s a u v é » ne doit observer que 7commandements, le juif 613 ! Le texte biblique ditexplicitement que ce n’est pas en fonction de « votre mérite quevous avez été élus ». C’est précisément parce que cela impliquedes obligations supplémentaires que dans la Bible les Hébreuxveulent déserter l’élection et devenir un peuple comme lesautres.

3. De l’importance de l’étude historique

Je conclurai par une référence à la discipline historique,parce que je pense qu’elle peut considérablement aider à luttercontre les possibles prétentions orgueilleuses de la notion depeuple de Dieu et ainsi favoriser le dialogue entrecommunautés. Je prendrai l’exemple de la relation judaïsme-christianisme puisque c’est celui que je connais le mieux.

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Pendant des siècles, et dans certains esprits aujourd’hui encore,on a tranquillement affirmé que le judaïsme renvoyait à l’idéede loi, de ritualisme, de Dieu jaloux, de rigueur, lechristianisme ayant opéré une révolution avec ses notions defoi, de grâce, de Dieu d’amour, de loi d’amour même pour lesennemis comme si d’un Testament à l’autre Dieu était devenuun peu moins caractériel… Grâce au ciel, depuis Vatican II etles orientations pontificales ou épiscopales (la France estpionnière sur ce plan), l’Eglise catholique a dénoncé le « mythedu déicide » et a redécouvert l’épître aux Romains de Paul avecle principe que « les dons de Dieu sont sans repentance », quel’élection d’Israël n’était pas caduque. L’Eglise a demandéaussi que l’on comprenne le judaïsme tel qu’il se comprend lui-même.

Or, quand on lit la tradition orale juive, consignée dans leTalmud et antérieure à Jésus, on s’aperçoit que celui-ci se faitl’écho parfois au mot près de cette tradition, notamment échoà l’école « souple » de Hillel l’Ancien, ou plus stricte deChammaï concernant par exemple le problème du divorce.Entre Talmud et Evangile, il y a des passages où se trouvent enparallèle, presque mot pour mot, les mêmes phrases. Ainsidans le Talmud : « oui est un serment, non est un serment » et dansMatthieu : « que votre oui soit oui, que votre non soit non ». Dansle Talmud : « Le shabbat vous est donné mais vous n’êtes pas donnésau shabbat » ; « Le shabbat est fait pour l’homme et non l’homme pourle shabbat » dans l’Evangile, etc. D’autre part, une lecture desEvangiles, du Nouveau Testament avec la connaissance de latradition orale, de la loi juive de l’époque, des coutumes juivesde l’époque, permet de comprendre que ce qui apparaissait àcertains pharisiens comme des transgressions de la loi par

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Jésus, n’en était pas, notamment le fait de guérir le shabbat.Quant au concept de « pharisiens hypocrites », il se trouve dansle Talmud…

On peut, à partir de l’étude historique comparative dessources de la tradition juive contemporaine, du NouveauTestament et des Evangiles, voir que sur le plan des questionséthiques et spirituelles une grande convergence existe. Sansdoute une telle re c h e rche peut-elle déranger le confortidéologique et religieux de certains juifs comme de certainschrétiens qui ont besoin pour s’affirmer eux-mêmes à traversleur foi de croire en l’originalité absolue de leur croyance. Il ya bien évidemment des diff é rences entre christianisme etjudaïsme comme avec l’islam et rien ne serait plus dangereuxqu’un syncrétisme Mais encore faut-il savoir précisément où sesituent les différences. Peu ou pas en tout cas dans le domaineéthique de la relation au prochain. C’est là l’essentiel.

Je conclurai en disant que Dieu étant inconnaissable dansson essence, c’est dans le visage du prochain créé à son imageque je peux l’appro c h e r. Peu importe les cadres formelsdoctrinaux d’accès à la transcendance, cadres qui sont lep roduit d’une mentalité, d’une culture, du génie d’unecivilisation, pourvu qu’ils m’ouvrent l’accès à l’autre, image duTout Autre, Dieu, condition de la venue des tempsmessianiques auxquels, pour Maimonide, l’islam et lechristianisme contribuent. Je terminera par une histoire juive,car si la Thora a permis au peuple juif de traverser l’histoire,l’humour juif aussi : « Connaissez-vous la différence entre leMessie et le plombier ? » Réponse : « on est sûr qu’un jour leMessie viendra, le plombier… ».

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Mgr Michel SabbahPatriarche latin de Jérusalem.

LES RELATIONS ENTRE LES RELIGIONS :TOLÉRANCE OU VIOLENCE ?

1. Position du problème

A ) Il faut d’abord distinguer entre la religion et lescroyants ; et entre la religion et la culture dont la religiondevient l’âme et donc l’élément qu’il faut protéger et pourlequel il faut combattre.

A la question posée, certains croyants disent : oui, lesreligions sont portées à la tolérance mutuelle, et ils le prouventpar leur vie religieuse personnelle et par leur comportementavec les autres. D’autres croyants disent que non. Les religionssont plutôt portées vers la violence. Ceux-ci aussi le prouvent

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par leur propre action ou par leurs accusations dirigées contrel’autre.

B) Au cours de l’histoire humaine, nous trouvons la mêmerépétition de ces deux attitudes contradictoires. Certains faitshistoriques disent que les religions ne sont pas portées à latolérance, mais plutôt à la guerre ou à la violence. D’autres faitsnous disent qu’elles sont capables de tolérance et decollaboration.

B-1. A la naissance du christianisme, les premiers croyantsétaient expulsés de la synagogue et de la société juivee n v i ronnante et étaient persécutés. Ils furent égalementpersécutés par la société païenne. Lorsque le christianismedevint la religion de l’Empire romain, l’inverse eut lieu : leschrétiens persécutèrent les juifs.

B-2. A la naissance de l’islam, ce dernier eut des momentsde heurt avec les juifs de Médine pour des raisons aussipolitiques que religieuses. Avec le christianisme, il eut d’uncôté une rencontre pacifique avec les moines de la Syrie ; d’unautre côté, il eut une rencontre non-pacifique avec les arméesbyzantines. Et dans les provinces conquises, il y eut d’un côtére n c o n t re et accueil de la part des populations localeschrétiennes de souche araméenne et arabe de Syrie, et d’unautre côté,- rejet et combat avec les populations non-locales, desouche grecque ou romaine ou autres et avec les armées despays chrétiens.

B-3. Durant l’histoire de l’Eglise, il y eut les guerres dereligion intérieures, opposant des chrétiens à d’autre s

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chrétiens. L’autre, le non-chrétien, restait à l’extérieur : le juiffut toléré ou persécuté et le musulman fut combattu.

Dans l’empire musulman, il y eut aussi des guerre sreligieuses intestines. L’autre, le non-musulman, chrétien oujuif, fut admis à l’intérieur du monde musulman avec unnouveau statut personnel, celui de « protégé » : d’un côté ilétait exempt de devoirs militaires et d’impôts obligatoires pourle croyant musulman, mais d’un autre côté cette exemptionétait compensée par d’autres impôts.

Au sein du monde musulman, la nouvelle culturemusulmane fut dans une grande mesure le fruit d’unecollaboration des croyants des trois religions, musulmans,chrétiens et juifs.

B-4. En somme, dans l’histoire il y a eu de tout. Il y a eu dessaints qui ont surmonté les barrières et ont témoigné de laperfection et de la sainteté de Dieu, en vivant leur foi aumaximum.

Mais, à côté des saints, il y a eu aussi des hommes d’Etatpour qui la religion ne pouvait pas rester à l’écart des batailleset des guerres. Il y a eu aussi des chefs politiques qui ont utiliséla religion (et cela se répète malheure u s e m e n tjusqu’aujourd’hui) et des simples croyants qui se sont laissésmener et entraîner aux pires violences au nom de la religion.

Ceci est tout simplement une déformation humaine de lareligion et qui se répète en tout temps et en toute religion.

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C) Mais la question se pose pour le présent et pour l’avenir :les religions vont-elles dans le sens de la tolérance, de l’accueil,de la collaboration mutuelle, ou dans celui de la violence, desg u e r res de nationalismes exacerbés et d’extrémismesreligieux ?

C-1. Le commandement fondamental dans le christianismeest celui de l’amour du prochain.

Toute personne humaine est invitée à découvrir l’existencede cet amour pour l’accueillir et pour y répondre. Nous lisonsdans l’Ecriture : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Filsunique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vieéternelle » (Jn 3, 16).

Cet amour chrétien dépasse celui du frère et du croyant quipartage la même foi. Jésus dit. « Si vous aimez ceux qui vousaiment, quel mérite avez-vous ?… Et si vous réservez vos saluts à vosfrères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’enfont-ils pas autant ? Vous donc soyez parfaits comme votre Pèrecéleste est parfait » (Mt. 5, 46-48).

Avec ce commandement, pour le chrétien, tout être humain,quelle que soit sa religion ou sa race, est aussi proche de luiqu’il l’est de Dieu lui-même, qui est le Père commun de tous.

C-2. Tel est le principe fondamental pour le christianisme. Ilse retrouve aussi dans la Bible : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieude tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir » (Dt. 6, 5),et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lev. 19, 18). Enislam aussi il y a le principe de la tolérance, la non-contrainte

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vis-à-vis de l’autre : « Pas de contrainte en religion » (Coran 2,256).

C-3. De plus, toute religion appelle l’homme à croire enDieu, à le connaître et à l’imiter. Et qui croit en Dieu, qui vénèreDieu, doit nécessairement, pour ne pas être en contradictionavec sa propre religion, vénérer tous les enfants de Dieu quesont tous les êtres humains, qu’ils soient de sa propre religionou d’une autre.

2. Racines de l’extrémisme religieux

D) La complication vient de ce que la religion ne restejamais dans la pureté de ses principes. Ce sont les croyantsqui agissent avec toute leur inculturation, avec toutes lesinterprétations qu’ils font de leur foi et avec toutes leursréactions pour défendre leur identité humaine, sociale,culturelle ou nationale. Là, naissentt la confrontation et laviolence. La religion étant l’élément le plus dense, le plusprofond d’une identité personnelle ou sociale, elle devientainsi engagée dans la confrontation et la violence et y devientun agent de première force.

E ) A u j o u rd’hui, dans le monde, nous constatons quel’extrémisme religieux et violent gagne du terrain. Dans l’ex-

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Yougoslavie, ce sont les nationalismes qui se nourrissent à uneappartenance religieuse qui fait surface après une très longuepériode de silence.

D’un autre côté, la communauté internationale proclamequ’elle est en train d’instaurer un nouvel ordre mondial.L’extrémisme religieux est une des réponses à cetteproclamation. Car, à y regarder de près, l’extrémisme religieux,prétend répondre à des injustices sociales et politiques, sur unplan local ou mondial.

F) L’extrémisme religieux et la violence qui l’accompagne nesont pas nouveaux dans notre histoire. De même que laviolence tout court, les conflits et les guerres ont toujours existédans notre histoire.

A cela s’ajoutent l’ignorance mutuelle, les préjugés colportésavec les générations, et les fruits de ces préjugés que sontdivers types de comportements quotidiens.

Les heurts se manifestent surtout dans les diversesexpressions sociales de la religion : manifestations religieusesextérieures, jeûne, repos du dimanche, du vendredi ou dusabbat, éducation religieuse, etc. Telle expression propre etdésirable à l’un peut être difficile à accepter par l’autre. Unpoint qui concerne l’islam et son rapport avec les autresc royants est l’application sur la vie sociale de la LoiMusulmane ou Shari’ah, fait désirable pour le musulman maisrefusé par le non-musulman, car cela signifie pour lui unepression qui lui est imposée à lui aussi, au nom de convictionsreligieuses qui ne sont pas les siennes.

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3. Des raisons d’espérer

G) Aujourd’hui, beaucoup de dialogues se tiennent un peupartout. Cela est positif. Mais ce qui est plutôt négatif, ce sontles déclarations verbales d’amitié, les belles paroles qui seréfèrent aux principes de la tolérance, de l’amour, et qui ne sonten réalité que le signe d’une peur qui n’ose pas regarder enface la réalité des faits et des attitudes qui contredisent et lesbelles paroles et les principes.

H) De soi, la religion devrait aider à écarter la violence de lavie humaine. Elle devrait inviter les personnes et les peuples àplus de dialogue et de compréhension mutuelle. Ellesdevraient favoriser un accueil réciproque. Plus qu’une simpletolérance, un croyant devrait avoir à l’égard de tout prochain lamême révérence qu’il a à l’égard de Dieu.

Tout cela suppose une rééducation des croyants, qui, sansperdre leur identité et sans rien perdre de la fidélité à leur foi,s’ouvrent à l’autre pour le connaître, le comprendre et l’aimer,tel qu’il est, dans sa différence religieuse et ethnique.

Cette éducation doit être générale et dans toutes lesreligions : car dans toutes les sociétés aujourd’hui toutes lesreligions coexistent.

Tous les responsables religieux, dans leurs directives ousermons, devraient pouvoir dire : « Croyant, aime ton frère qui

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n’est pas de ta religion ». Quelque chose commencerait alors àchanger dans les profondeurs des consciences, qui finirait parse manifester dans les sociétés.

I) A l’égard de l’extrémisme religieux violent, la rééducationest aussi importante, dans ce sens de l’accueil de l’autre ; cartous, à quelque religion ou peuple que nous appartenions,nous sommes les créatures et les enfants du même Dieu.

De plus, aussi important est également le devoir d’écarterles injustices qui exacerbent les simples citoyens et les masseset les transforment facilement en victimes ou en bourreaux. Ace sujet, le nouvel ordre mondial devrait être amplementrévisé. Car les intérêts propres ne peuvent pas être la baseexclusive de la nouvelle société. Ici, les croyants, lesresponsables religieux, doivent avoir le courage de dire lavérité aux grands de ce monde. Ils doivent avoir le courage devoir la vérité et la justice dans le camp opposé. L’absence de lareligion, ou son silence, (religion, cela veut dire les croyants) estune raison qui laisse cro î t re l’extrémisme. Car les foulesopprimées, ou qui ont faim, recourent en fin de compte à Dieu,et si les chefs religieux les appellent à l’extrémisme, elles lessuivront sur cette voie.

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Conclusion

J) Pour conclure, oui les religions sont capables de dialogueet de réconciliation. Mais pour cela nous avons besoin d’unenouvelle vision des rapports entre les croyants des différentesreligions, entre les personnes et les sociétés. La religion atoujours joué un rôle dans la construction des sociétés et l’on nepeut pas dire qu’il a toujours été négatif à cause des guerres dereligion, ou des persécutions portées au nom d’une religion oude l’autre.

Jusqu’à maintenant, ce rapport entre les religions a souventété de confrontation et de lutte. Le concile Vatican II a appeléà l’ouverture du dialogue. Les religions dans le passé ontconstruit les sociétés par la confrontation. Aujourd’hui ellessont appelées à les construire par la collaboration. L’autre,chrétien, musulman ou juif, n’est pas l’ennemi, mais lepartenaire nécessaire avec lequel je dois et je puis construire lanouvelle société et le nouvel ordre mondial.

Je termine par la citation du document conciliaire Nostraætate, à propos des rapports entre les religions :

« Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, sinous refusons de nous conduire fraternellement envers certains deshommes créés à l’image de Dieu. La relation de l’homme à Dieu lePère et la relation de l’homme à ses frères humains sont tellementliées que l’Ecriture dit “Qui n’aime pas ne connaît pas Dieu” (I Jn. 4, 8) »[Nostra ætate, 5].

Les relations entre les religions : tolérance ou violence ?

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Dalil BoubakeurRecteur de l’Institut musulman de la Mosquée de Paris.

DE LA VIOLENCE ET DE LA TOLÉRANCE DANS L’ISLAM

La violence est-elle innée dans l’homme, et certainscomportements violents ramènent-ils celui-ci à l’animalité ?L’agressivité est-elle un instinct primaire ?

L’humanité s’est interrogée depuis l’origine des temps sur lepourquoi de la violence. La haine, l’intolérance, l’esprit derivalité suscitent trop souvent des comportementsdestructeurs... Les fondateurs de la psychanalyse ont mêmeavancé qu’elle pouvait être une source de plaisir et dejouissance morbides (destrudo).

On s’est entre-tué « au nom de Dieu », au nom de l’idéequ’on se faisait de la liberté, de la nation, de la religion, pourun symbole, un drapeau, une terre, en vertu des grandsprincipes, parfois d’un signe en forme de croix, de lune, desoleil, de croissant, d’étoile... tant la haine, l’intolérance, laxénophobie peuvent revêtir toutes les formes et bien desmanifestations perverses.

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La civilisation, la religion, la culture ont agi ensemble ouséparément pour canaliser, détourner ou réprimer lescomportements agressifs ; on ne peut, de bonne foi, accuser lareligion de prôner l’agression ni la violence.

Le discours simplificateur et réducteur sur les religions esttrop souvent semé d’erreurs et d’idées fausses. Des mythesd’exclusion et des fantasmes fonctionnent ; des peursirraisonnées empêchent de réfléchir et de compre n d repourquoi il en est ainsi, et pourquoi ces angoisses nées del’obscurité des temps génèrent des blocages et des phobiesdevenant elles-mêmes des sources secondaires inépuisablesd’agressivité et de violence.

L’ h i s t o i re des religions est une science précieuse etnécessaire pour la compréhension du message religieux, dudéveloppement de la pensée religieuse, parfois du simple sensd’un verset.

La pédagogie en matière religieuse doit apprendre à faireabstraction des préjugés, des clichés et d’imaginaire sdiabolisant une race, une communauté, une religion. A proposde l’islam, on peut constater par exemple l’émergence quasiobsessionnelle de la séquence : « islam-intégrisme-violence ».

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1. L’islam et la violence

❑ La position de l’islam sur la violence ressortit à sondogme, à ses lois. : « Les criminels (violents) se reconnaîtront àleurs traits » (Coran : Arrahmane [le Miséricordieux] 55-41).« Par l’époque ! l’Homme est dans la perdition, sauf ceux qui croiente t p r a t i q u e n t l a vertu... » (sourate CIII, l’Epoque). L’ i s l a m ,religion d’adoration de Dieu, d’amour du prochain et detolérance, d’une manière générale interdit le meurtre ainsi qu’ilest dit dans le Coran « Eloignez-vous des péchés abominables,apparents ou cachés, ne tuez personne injustement, Dieu vous l’ainterdit » (les animaux VI, 151). « Dieu veut vous faciliter leschoses, car Il sait que l’homme a été créé faible. O Croyants, ne vousdépossédez pas les uns les autres et ne vous tuez pas vous-mêmes.Dieu est plein de compassion pour vous » (Coran : IV, 28-29).

De nombreux versets V, 30-32 ; XVII, 33 ; XXXV, 68 ;XXVII, 49 ; XXVIII, 15 condamnent la violence.

C’est dans la sourate V 30 (la Table) qu’est rappelé lefratricide d’Abel par Caïn : « Son âme l’incita à tuer son frère. Il letua ! et il devint du nombre des perdants ».

Le verset 32 de la même sourate rappelle un des fondementsde l’humanisme de l’islam. Il est dit : « … Quiconque tue unepersonne non coupable de meurtre ou de dépravation sur terre, faitcomme s’il avait tué tout le genre humain. Quiconque sauve unepersonne, c’est comme s’il faisait don de la vie à toute l’humanité ».

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Dans la sourate XVII, 33 (Al Isra) il est prescrit :« ... Ne détruisez point la vie que Dieu a rendue sacrée... ».

L’homicide volontaire d’un croyant promet au meurtrier unchâtiment éternel : Coran (Annissâ, les Femmes IV, 93) :« ... Celui qui tue volontairement un croyant aura pour rétributionl’Enfer éternel. Dieu le frappe de son courroux, le maudit, et luiprépare un terrible châtiment ».

La jurisprudence (Fiqh) a longuement analysé ce verset et yvoit l’assimilation du meurtre d’un croyant à un péchéirrémissible majeur, condamnant éternellement son auteur aumême titre que les péchés que Dieu ne pardonne pas : lepolythéisme, le faux témoignage, les crimes.

L’injustice et la violence sont également dénoncées dansl’islam : V, 2 (Al-Maida, la Table Servie) « Entraidez-vous dans lesbonnes œuvres et la piété, et ne vous entraidez pas dans le péché etl’agressivité ! ».

❑ La religion musulmane ne peut servir de fondement à laviolence ou à l’action punitive si elle n’est justifiée par lalégitime défense proportionnée, (Coran XVI, 90 An Nahl, lesAbeilles) : « En vérité, Dieu ordonne l’équité et le bien, la générositéenvers les proches, il interdit la turpitude, la mauvaise action et larébellion... Peut-être réfléchirez-vous ».

La notion de « rébellion » prend son sens théologique du faitqu’elle apparaît comme une violence liée à l’utilisationdisproportionnée et excessive du droit à la légitime défense. Ils’agit là donc d’un crime par outrance et transgression de la

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Loi. Cette notion est définie dans les aspects juridiquesd’application de cette Loi (Sharîà) dans les cas caractérisés :- de rébellion par rapport à un ordre établi et consensuel (Ijma),- de refus de soumission à l’autorité de l’Etat légitime,- enfin de violence perpétrée contre les biens, les personnes, lesinstitutions sans avoir recouru aux voies du droit et de lajustification.

Un tel crime est condamné, il peut être gravementsanctionné y compris par la peine capitale. En temps de guerre,le Cadi-Al-Harb (Juge de Guerre) est chargé de dire la Loi, lasentence et son application (Hukm Wa Tatbiq Wa Tanfiz).

La condamnation de l’agression violente injustifiée dansl’islam est appuyée cependant sur une constante incitation àl’entente parmi les croyants à la paix, à la tolérance, et aupardon : Coran (XLIX, 9) (Al Houjourât, les Appartements) :« Si deux groupes de croyants se combattent, rétablissez la paix entreeux ! ».

« La sanction qu’appelle un mal est un mal identique… »(XVI, 125, Annahl, les Abeilles). Si une agression se paie parune agression identique, le consensus admet cependant lapossibilité de rachat du crime dans une codification admise.

Le rachat du sang est la Diyya. Cette diyya, prix du sang,peut être payée en substitution du Thar (Vengeance) pourarrêter le processus de vendetta en offrant à la famille de lavictime :- soit une demande publique de pardon,- soit une réparation par un dédommagement matériel ou

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financier,- soit toute convention proposée. Rien n’oblige les ayants droità les accepter : mais le Coran recommande : « …S’ils inclinent àla paix, incline vers celle-ci (la paix) et place ta confiance en Dieu ».II, 61 (Al-Baqara). Et « Si vous les excusez (vos ennemis), si vouspassez sur leurs fautes et leur pardonnez, sachez que Dieu est trèspardonneur », (sourate l’Eprouvée LXIV, 14).

Cette recommandation s’étend aux représentants des autresreligions : (XVI, 125 Annahl, les Abeilles) : « Par la sagesse et labonne exhortation appelle les gens sur la voie de ton Seigneur et nediscute avec eux que de la manière la plus courtoise ». Dans tous lescas, Dieu recommande aux croyants de renoncer auxreprésailles et de pardonner : « Celui qui pardonne et s’amendetrouvera sa récompense auprès de son Seigneur » (XVI, 126 Annahl,les Abeilles).

Le Prophète de l’islam (Saws) a lui-même fait exemple dansl’histoire, lorsqu’en 630, entrant victorieux à la Mecque, ilprononça sa célèbre déclaration d’amnistie pour ses anciensennemis : « Qui entre dans la Kaaba sera sauf, qui entre dans laMosquée sacrée sera sauf, et qui entre dans la demeure d’Abou Sofyan(son plus farouche ennemi) sera également sauf… ».

❑ Très généralement l’islam condamne la perturbation de lapaix sociale, la sédition (ou Al Fitna), le désordre. Le Coran etla Sunna sont fertiles en recommandations aux musulmansd’éviter les dangers de la Fitna. L’histoire a retenu la gravité dela Grande Fitna, ou scission entre Ali et Moâwiya (bataille deCiffine en 657) puis entre Ali et les Khâridjites (en 658), enfin

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naissance du Shi’isme après la mort de son fils Hussein, tombéen martyr à la bataille de Kerbala en 680.

En effet, c’est seulement en cas d’attaque que l’autorisationde riposter figure dans l’histoire et la théologie de l’islam sousle nom de Djihad (mineur) : II-90 (Al-Baqara, la Va c h e )« Combattez dans la voie de Dieu ceux qui vous combattent maisn’agressez personne, Dieu n’aime pas les injustes ».

C’est durant l’Hégire ou émigration du Prophète à Médine,de 622 à 632, que des versets coraniques (souvent cités) ontautorisé les premiers croyants persécutés par les gens de laMecque à se défendre contre eux ou à les combattre. Coran(XXII-394 O) (Al Hajj, le Pèlerinage).

« Permission de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaquésparce qu’ils ont été persécutés. Dieu est omnipotent pour les secourirainsi que ceux qui ont été injustement chassés de leurs maisons et ontcru en leur Seigneur ! ».

2. Perspectives contemporaines

Faisant sienne cette position doctrinale de l’islam en matièrede violences, le cinquième sommet de la Conférence islamiquemondiale a exprimé son inquiétude et son angoisse devant lesmontées de la violence dans le monde, en décrétant que « les

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actes violents ou meurtriers non légitimés par l’agression constituentune violation des préceptes de l’islam, religion de paix qui n’a jamaisexercé ou prôné la violence ». Du reste, dans toute guerre estdésigné un cadi-al-Harb pour faire respecter les principes del’islam dans tous les cas. C’est une institution de l’islam pouréviter qu’une guerre puisse dégénérer.

Je cite un auteur tunisien contemporain, MissaouiMohamed, qui, dans un écrit de 1991, indique que « certainsmouvements islamistes dans le monde qui n’avaient pas de doctrineclaire relativement à l’usage de la violence comme moyen politiqueont pris position en la récusant comme moyen de lutte politique » etil rappelle que des musulmans eux-mêmes sont victimes deviolence et d’intolérance dans le monde.

En conclusion, la polémologie moderne ne peut retenir audébit de l’islam l’image que le Professeur Bruno Etiennedénonce dans son analyse de « l’islamisme radical » (1987) où ildit : « terrorisme, fanatisme sont des mots magiques qui vont de pairdans l’anxiogéneité occidentale lorsqu’il s’agit de l’Orient surtoutm u s u l m a n , o b s c u r a n t i s t e , e x t r é m i s t e e t intégriste ». En toutejustice, M. Bruno Etienne cite plus loin un texte référé àl’Evangile, tiré d’un sermon de Muntzer (p. 328) :

« Le Christ ne dit-il pas : “Je ne suis pas venu pour apporter lapaix, mais l’épée” ? Mais qu’allez-vous (princes saxons) en faire ?L’employer à supprimer et à anéantir les méchants qui font obstacleà l’Evangile, si vous voulez être de bons serviteurs de Dieu. Le Christa très solennellement ordonné, (Saint Luc 19,27) : “saisissez-vous demes ennemis et étranglez-les devant mes yeux...” Ne vous objectezpas ces fades niaiseries que la puissance de Dieu le fera sans lesecours de votre épée ; autrement dit, elle pourrait se rouiller dans lefourreau. Car ceux qui sont opposés à la révélation de Dieu, il faut les

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exterminer sans merci, de même qu’Ezéchias, Cyrus, Josias, Daniel etElie ont exterminé les prêtres de Baal. Il n’est pas possible autrementde faire revenir l’Eglise chrétienne à son origine. Il faut arracher lesmauvaises herbes des vignes de Dieu à l’époque de la récolte. Dieu adit (Moise, 5, 7) : “Vous ne devez pas avoir pitié des idolâtres.Détruisez leurs autels, brisez leurs images et brûlez-les, afin que moncourroux ne s’abatte pas sur vous !” » (cité par Bruno Etienne,L’islamisme radical, 1987, Paris).

« Aucune religion n’est plus tolérante que l’islam », s’exclameVirgil Gheorgiu, dans sa « vie du Prophète ».

La violence est parmi les choses que Dieu réprouve le plus,comme péchés irrémissibles. Elle ne se justifie qu’en casd’agression. « Point de contrainte en religion » (II-256 : Al Baqara,la Vache). Il ne peut être question de convertir qui que ce soitpar la force.

Ceci fonde la tolérance de l’islam dès ses débuts vis-à-visdes autres cultes. On retrouve cette même vérité au concile deVatican II (1964), qui reconnaît l’existence d’autres religionsmonothéistes, nommément l’islam, et recommande ledialogue.

En tout état de cause, le progrès pacifique et tolérant del’humanité passe par le perfectionnement moral et intellectuelde chaque individu : Coran (XIII-11 Ar-Ra’d, le Tonnerre) :« Dieu ne modifiera l’état d’un peuple que lorsque les individus quile composent auront changé en eux-mêmes ». Ceci est valable pourtoute l’humanité.

Un autre verset coranique précise que la diversité despeuples ne doit les inciter qu’à se reconnaître mutuellement.

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Coran (XLIX, 13 : Al Hujurât, les Appartements) : « Humains !Nous vous avons crées d’un homme et d’une femme et avons fait devous des peuples et des tribus afin seulement que vous vousreconnaissiez ».

Cette reconnaissance mutuelle fonde dans l’islam l’égalitéde tous les êtres humains, en les incitant à la tolérance, audialogue et à la paix sociale et universelle.

Wa Assalam.

Je voudrais pour conclure citer ces lignes de Voltaire tiréesde son « Traité sur la tolérance ». Elles sont bien connuescomme « Prière à Dieu » :

« Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr et des mainspour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement àsupporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petitesdifférences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entretous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entretoutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entretoutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égalesdevant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomesappelés hommes ne soient pas des signaux de haine et depersécution...

... Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ; qu’ilsaient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont enexécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et del’industrie paisibles ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, nenous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans lesein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénirégalement en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à laCalifornie, ta bonté qui nous a donné cet instant » (Voltaire, Traité dela Tolérance, Ch. XXIII).

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III

La foi chrétienne à la rencontre des religions

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PRÉSENTATION

Quelles sont les questions que soulève, pour la foichrétienne, la situation actuelle de rencontre des religions dansune même société ? Pour répondre à cette question très large,Chemins de Dialogue a décidé (cf. l’article de Christian Salenson,La théologie des religions et la formation initiale des prêtres, dans lenuméro 3, pp. 231-240) de donner la parole à des spécialistes dechacune des disciplines théologiques. Dans ce numéro, troisapproches sont proposées.

❑ Sur le terrain de l’exégèse biblique, Pierre Gibert, dans unarticle clair et suggestif, aborde deux problèmes essentiels :celui de la différence des statuts conférés aux Ecritures par lejudaïsme, le christianisme et l’islam ; celui, plus délicat encore,de la pertinence de l’Ancien Testament dans son rôle préparatoirepar rapport au Nouveau, dans le cas de civilisations marquéespar d’autres « écritures » pouvant elles aussi recevoir, pour desconvertis au christianisme, un statut de « préparation ».

❑ Le deuxième texte de ce dossier adopte une perspectiveplus générale, à la frontière du théologique et du pastoral. Pourun chrétien désireux de tenter l’aventure du dialogue, quelles

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sont les prises de consciences à opére r, les questionsthéologiques à aborder, les dispositions spirituelles à adopter ?Telles sont les interrogations principales auxquelles le texte queje signe essaie de répondre.

❑ Ecrites en Algérie au printemps 1994, les réflexions quenous suggère Jean Landousies sur « la rencontre de l’autre »abordent avec courage et lucidité les difficultés du dialoguedans une situation historique confuse et dangereuse. Eninvitant à assumer dans la démarche dialogale elle-mêmel’inévitable dimension conflictuelle, l’auteur en appelle nonseulement à une exigence renouvelée de vérité (« parler vrai,vivre vrai »), mais aussi à une méditation théologique de laCroix du Christ, complément nécessaire d’une trop irénique« théologie des semences du Verbe », au sens où l’événementde la Croix est figure de la rencontre entre Dieu et les hommes,avec tout ce que celle-ci comporte de difficultés, de violence etde refus.

J.M.A.

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Pierre Gibert

ENSEIGNEMENT DE LA BIBLEET CONNAISSANCE DES RELIGIONS

Pierre Gibert, s.j., est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie de Lyon,dont il est aussi le Doyen. Auteur d’un ouvrage sur Tocqueville, Egalité sociale etliberté politique (Aubier-Montaigne, 1977), il met sa compétence d’historien auservice de l’interprétation de la Bible comme l’attestent ses principales publications :Une théorie de légende : Hermann Gunkel et les légendes de la Bible (Flammarion, 1979) ;Vérité historique et esprit historien : l’historien biblique de Gédéon face à Hérodote, essai surle principe historiographique (Cerf, 1992) ; La Bible et la naissance de l’histoire (Fayard,1979) ; Bible, mythes et récits de commencement (Seuil, 1986) ; Petite histoire de l’exégèsebiblique (coll. Lire la Bible 94, Cerf, 1992).L’exégèse biblique ne peut que bénéficier de tout ce qui la désenclave. C’est bien cequi se passe aujourd’hui avec la prise en compte du dialogue interreligieux :l’exégète de la Bible, qui est aussi théologien, ne peut éviter un nouveauquestionnement sur l’origine, l’inspiration et le statut des textes qu’il interprète.

La question de l’enseignement de la Bible, ou de l’exégèsebiblique, en relation avec la connaissance des religions, peutd’abord mettre le bibliste dans un certain embarras. De soi, eneffet, et c’est même une des dynamiques de sa composition, laBible exclut toute autre religion comme la vérité exclut l’erreur.On connaît les invectives des prophètes, des sages et despsalmistes contre les adorateurs d’idoles1, sans parler des1. Is. 2, 8 ; 40, 19 s. ; 42, 17, etc. ; Sg. 14, 8 s. ; Si. 30, 19 ; Ps. 106, 36-38 ; 115, 4 ; 135,

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premiers commandements du Décalogue et de l’ensemble descodes législatifs2. D’une certaine façon, il n’y a rien de moinsœcuménique que la Bible. Dans ces conditions, la question durapport entre l’enseignement de la Bible et la connaissance oul’intégration de données d’autres religions ne devrait pas seposer !

Mais il y a là précisément position biblique, enjeu d’unedoctrine, polémiques prophétiques et sapientielles, internes àun corpus, à une histoire particulière, à un peuple qui eut àimposer sa foi dans un univers qui ne pouvait que l’ignorer oula rejeter tant elle était originale. Croire au Dieu unique, seconcevoir comme élu de ce Dieu au milieu de nations idolâtresou païennes, et surtout être un des plus petits et des plusfaibles peuples impliquaient vitalement un esprit d’exclusion.

La question du rapport aux autres religions surgit lorsque laBible et ceux qui s’en réclament se trouvent non seulementdans un autre contexte, mais dans une situation où ils sontconduits, en raison même de leur approche de la vérité, àentendre les tenants d’autres religions, surtout lorsque ceux-cis’affirment de la même mouvance. Avec la Bible, le chrétien, lejuif et le musulman partagent un héritage commun ; et quellesque soient les divergences quant à l’interprétation etl’intégration des Ecritures ou des Livres, aucun ne peut, à lamanière d’un Isaïe ou d’un Néhémie, rejeter l’autre commepurement païen ou idolâtre... Quant à la confrontation avecd’autres religions ou sagesses, asiatiques notamment, même sicelles-ci ne marquent pas encore très fortement l’aire culturelleoccidentale, leur nature pose au bibliste la redoutable question

2. « Tu ne te feras pas d’idole ! » Ex. 20, 4 ; Lv. 26, 1 ; 26, 30 ; Dt. 4, 16 s., etc.

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de la légitimité d’une antériorité, celle de l’Ancien Testamentpar rapport à l’universalité de la Bonne Nouvelle du Christ.

Ainsi déterminons-nous les deux parties de notre propos :examiner d’abord les implications des diff é rences deconception des Ecritures entre juifs, chrétiens et musulmans,puis les enjeux d’une confrontation avec des milieux oùd’antiques religions et sagesses peuvent contester le principede l’antériorité normative d’Ecritures et donc d’une histoire.

1. Juifs et chrétiens…

De l’intérieur même des confessions qui reconnaissent à laBible une valeur particulière ou fondamentale, au premier chefjudaïsme et christianisme, toute conception de la Bible set rouve immédiatement confrontée à une, voire deuxconceptions différentes : le juif ne lui reconnaît ni le mêmestatut ni le même canon que le chrétien, et le chrétien, outre sadifférenciation d’avec le juif, se voit comme catholique ouprotestant devant une autre conception et même un autrecanon que l’autre chrétien.

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Pour le juif, non seulement le Nouveau Testament est nul etnon avenu, mais le corpus catholique de l’Ancien qui intègrecertains livres transmis ou directement écrits en grec3 se voitrejeté à cause de cette intégration. Ainsi, pour le protestant,seul le canon hébraïque a valeur.

Du point de vue de ce double constat, initier à la Biblesuppose en même temps qu’on présente l’ensemble qu’elleconstitue dans telle édition et donc telle communauté, et qu’ondonne, un moment ou l’autre, les raisons d’une différencefondamentale qui fait une Bible juive et une Bible chrétienne, età l’intérieur du christianisme, une Bible protestante et uneBible catholique.

De ce fait, la simple présentation de la Bible dans son étatfondamental de bibliothèque induit immédiatement desdifférenciations qui, appelant explication, contraignent, pourainsi dire, à un minimum de connaissances d’autre sconfessions. Si je parle d’Ancien et de Nouveau Testament,même en évitant la signification de caducité du premier parrapport au second, je soulève réellement quoiqueimplicitement la question de la différence d’avec le judaïsmecontemporain. Et l’honnêteté comme la vérité doctrinale mecontraindront à expliquer cette partition de la Bible, l’histoiredont elle est l’aboutissement et la séparation des chrétiens surson corpus.

C’est donc dans sa constitution même, dans son histoire etdans ce qui fait son canon que la Bible sollicite un minimum

3. Judith, Tobie, 1 et 2 Maccabées, le Livre de la Sagesse, Siracide, Baruch.

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d’informations en matière religieuse, et donc une confrontationavec des confessions ou religions voisines.

2. … Islam et Ecritures

Dans cette perspective, la confrontation avec l’islam apporteun élément nouveau.

Pour une part non négligeable, on le sait, le Coran intègre uncertain nombre de personnages et d’événements bibliques,d’Abraham à Jésus, du sacrifice d’Isaac à l’annonce de lanaissance virginale du Christ. Sans ignorer ces filiations etréférences, il n’est pas davantage possible de méconnaître ladifférence radicale de perspective dans laquelle se situe l’islamdans sa conception des Ecritures comme sacrées.

Se présentant comme un livre, c’est-à-dire le Livre parexcellence, le Coran offre au croyant la voie sans erreur, ainsique le proclame la deuxième sourate4. De ce fait, il se distingueconstitutivement de la Bible. Celle-ci s’ouvre sur la Création etplus précisément sur deux récits différents parfois jusqu’à la

4. « Voilà le Livre qui ne doit pas être mis en doute, le Livre qui doit servir de guide à ceuxqui le craignent, à ceux qui croient au surnaturel, qui prient avec rectitude et quiremettent en circulation les biens que nous leur avons donnés… » (trad. Noureddineben Mahmoud).

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contradiction sur les origines de l’univers et de l’humanité5. Etl’histoire ainsi ouverte ne cesse, malgré quelques conclusions,de se réouvrir6. Bibliothèque dans sa constitution même, ellel’est, pour ainsi dire, dans son essence dans la mesure où ellen’exclut à peu près aucun genre littéraire et où elle conçoit larévélation de Dieu dans le cours d’une histoire dont le termesera une parousie.

A l’inverse, et tout en tenant compte d’apports bibliques, leCoran se présente comme une révélation terminale7 et surtoutcomme « le Livre » par excellence, divin, originel et ultime à lafois. La Bible, Ancien et Nouveau Testament, confessel’antériorité de la Parole de YHWH soit dans la création, soit auSinaï, soit même dans le cours d’une histoire, et ultimement enJésus Christ. De ce fait, les Ecritures deviennent secondes,quitte à ce qu’en l’ultime étape de la rédaction, lors de laréécriture de la Loi par Moïse8 ou lors de la clôture du canon,elles se voient attribuer un statut et un rôle qui les ramènent àune sorte d’antériorité d’Ecritures, sans pourtant jamais êtreramenées à un originel absolu9.

5. Gn. 1, 1-2, 4a et Gn. 2, 4b-3, 24, qui, malgré leur forte cohérence ultime duenotamment à leur monothéisme fondamental, restent composites, chaque récitétant le résultat de processus de sédimentations, voire de renversement total designification.

6. Il est caractéristique des principaux livres historiques que d’offrir à plusieursreprises des conclusions (cf. 2 R. 17, 7 s. ; 23, 26 s.) ou de s’enclore dansl’ensemble que chacun peut constituer (Juges, Maccabées) et de rester ouverts àun autre départ ou de se voir pris en relais par d’autres livres, et ce, jusqu’auseuil de l’ère chrétienne.

7. Ce qui n’exclut pas, bien au contraire, des multiplicités d’interprétations.8. Cf. Ex. 34, 1-5. 28.9. Il y a de ce fait un jeu subtil à l’intérieur même du corpus biblique qui fait de la

Bible à la fois la résultante de la « bibliothèque » qui la constitue et autre chosequi ne se réduit pas à la somme de ses livres. De ce jeu subtil rend assez bien

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En ce sens, le Coran est une véritable anti-Bible et sesa ffirmations répétées qui rapprochent juifs, chrétiens etmusulmans dans le concept de « gens du Livre », fondent uneconfusion ; ni les juifs ni les chrétiens ne sont au sens strict« gens du Livre », à la différence des musulmans, même si la« reliure » canonique en fait ultimement un livre : le contenu dela Bible reste cependant ce qu’il est, dans ses apparences et saréalité profonde, une bibliothèque, produit d’une nécessaire etcomplexe histoire dont elle est aussi le témoin constitutif.

Une telle mise en situation des choses est importante, nonseulement sur un plan pédagogique pour faire comprendre cequ’est véritablement la Bible et corrélativement le Coran, maispour permettre aussi une distinction fondamentale entre deuxsystèmes religieux qui, du point de vue des Ecritures, révèlentdeux conceptions qu’il faut honnêtement re c o n n a î t reirréductibles l’une à l’autre.

Cependant, aussi opposées que soient ces conceptions,auxquelles il faut adjoindre celle du judaïsme, nous restons làdans une communauté de références sinon véritablementd’héritages qui, en obligeant à un minimum d’information,permet du même coup une certaine compréhension.

compte la traditionnelle diff é rence de conception entre catholiques etp rotestants, et donc la diff é rence d’accent entre Ecriture (de type « S o l aScriptura » luthérienne) et Tradition.

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3. Quel « ancien » Testament ?

Plus délicate est la question du rapport de l’enseignementde la Bible avec des religions et sagesses antiques, toujoursvivantes en Asie en particulier. Ici, la réalité des données etl’inévitable confrontation obligent le bibliste à poser et à seposer des questions autrement plus radicales qu’avec lesconceptions « de cousinage » qu’entretiennent malgré toutconfessions chrétiennes, judaïsme et islam.

Le point de départ est le plus souvent le fait même de l’écritréférentiel. Si le Coran se situe là de façon doctrinalementopposée à la Bible, les écritures sacrées ou sapientielles del’Asie, qu’il s’agisse des Veda hindouistes, des Trois Corbeillesbouddhistes ou des cinq livres canoniques du Confucianisme,disent une composante essentielle à côté du systèmeproprement dit de croyances et de rites. Ces écritures peuventêtre mythiques, sapientielles ou les deux à la fois et induire dece fait un certain nombre de pratiques.

Comme telles, elles peuvent apparaître à côté des Ecrituresjuives, chrétiennes ou musulmanes avec leurs analogies denature et de statut comme avec leurs différences. De ce fait,qu’elles soient proches ou lointaines, elles font nombre avecelles comme font nombre des systèmes religieux différents nésindépendamment les uns des autres. A ce titre, et à lad i ff é rence des rapports que peuvent entretenir judaïsme,christianisme et islam, ces écritures ne posent pas

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immédiatement de question au bibliste. Elles sont et sontd’abord ce qu’elles sont, sans plus.

La question surgit lorsqu’il y a confrontation directe avec lechristianisme, soit de la part d’un non-chrétien envisageant laconversion, soit de la part de chrétiens relevant d’une culturem a rquée depuis des millénaires par ces écritures nonchrétiennes. Le bouddhisme et plus encore peut-êtrel’hindouisme posent alors au christianisme des questionsessentielles.

Brutalement ou sèchement exprimées, elles se ramènent àcelle-ci : de quel droit l’Ancien Testament est-il universelcomme valeur de référence fondamentale au Christ ? Etcorrélativement, les grandes religions et sagesses neprésentent-elles pas dans leurs écrits propres une autre formed’Ancien Testament ni plus ni moins valable certes quel’Ancien Testament, mais qui aurait pour mérite d’êtreadéquate à ces chrétiens qui en sont les héritiers ?

On retrouve certes là un vieux problème qui agita lesmilieux des générations chrétiennes de la seconde moitié du II°siècle et de la première moitié du III° et que le Marcionismepoussa à son paroxysme en prônant le rejet pur et simple del’Ancien Testament10. Dans un monde païen, gréco-romain, lesE c r i t u res dont se réclamaient le Christ et les Apôtre sintroduisaient des récits étranges et étrangers à sa propreculture et à sa sensibilité. 10. Du nom de ce chrétien de la Mer Noire, Marcion, né vers 85, et qui, en vertu d’un

paulinisme intransigeant, rejetait l’Ancien Testament, non seulement au nom durejet de la Loi juive, mais aussi à cause d’une conception du divin qu’il voyaitradicalement antagoniste avec la conception chrétienne.

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On sait l’effort des Pères de l’Eglise, de l’épître de Barnabé àOrigène en passant par Tertullien, pour tenter de justifierl’universelle validité des Ecritures et pour les acclimater à cemonde d’origine païenne, grâce notamment à la pratiqueallégorique11.

Faut-il s’étonner de ce que le problème réapparaisseaujourd’hui, en Inde notamment ? Les prochaines décenniesrisquent fort d’être marquées par des débats assez vifs àmesure que la théologie se développera sui generis en Asie. Il nes’agira plus seulement de confronter des formes et des statutsd ’ E c r i t u res comme ce peut être le cas entre judaïsme,christianisme et islam, mais plus radicalement de justifier unenormativité, une exemplarité et une universalité desymbolisme.

S’il sera exigé du bibliste de se souvenir qu’il doit aussi êtreun théologien, il lui sera demandé d’être au clair nonseulement quant au rapport entre Ancien et NouveauTestament, mais aussi quant au statut spécifique de l’Ancien telque l’Eglise depuis (et contre) Marcion l’a affirmé.

11. Cf. P. Gibert, Petite histoire de l ‘exégèse biblique, coll. « Lire la Bible » n. 94, Le Cerf,pp. 121-147.

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4. Enjeux d’une impossible conclusion

On pourra penser qu’il n’y a en tout cela guère denouveauté, à ceci près cependant que des questions posées end’autres lieux et temps induisent des formulations et destraitements nouveaux.

A mon sens, de telles questions contraindront l’Eglise, dansses théologiens comme dans son Magistère, et pas seulementles exégètes et biblistes comme tels, à reformuler ou formuleren particulier le concept doctrinal d’Inspiration, de telle sortequ’il n’y ait pas de confusion, comme c’est trop souvent le casde la part de chrétiens qui pensent alors, sans s’en douter, defaçon coranique et non point de façon biblique et chrétienne.

Beaucoup de vérités dogmatiques ont été définies àl’intérieur du contexte chrétien ou d’un système théologiqueprécis, de par le jeu interne des hérésies, des errances ou desexigences de cohérence. Dans le cas de la Bible, la confrontationnouvelle avec l’islam puis avec les grandes religions et sagessesde l’Asie obligera à de nouvelles et sans doute plus grandesprécisions.

De ce point de vue, le professeur d’Ecriture Sainte n’aurasans doute pas à attendre de ces autres religions des éclairagesdécisifs quant à l’intelligence de tel ou tel passage de la Bible,sinon sous le mode comparatiste. Par contre, dans uneintelligence fondamentale et globale de l’Ancien et du

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Nouveau Testament, il ne pourra ignorer longtemps lequestionnement, voire la provocation d’« écritures » devenuesproches en raison du brassage des cultures.

S’il a pu jusqu’ici évoluer dans un pré carré biblique, à peineconcerné par les querelles ou différences entre catholiques etprotestants, voire avec les juifs et les musulmans, s’il pouvaitlaisser aux dogmaticiens le soin de préciser la nature et le statutdes Ecritures, l’exégète ne pourra longtemps, à notre sens,négliger les questions surgies d’autres mondes frappant déjà àsa porte.

Certes, la question se posera toujours sur le registre de latotalité, celui du statut et du canon, non de l’exégèse de détail.Mais, spécialiste lui-même de l’histoire de la composition,détecteur de strates, documents et traditions, il aura àintervenir dans un débat qui met en jeu la réalité essentielle deschoses : outre que ses méthodes peuvent être transposables end’autres champs, les principes même de sa recherche, nés dansun contexte de quête passionnée de la vérité, au XVII° siècle,l’obligeront à se démasquer et à démasquer la légitimité deprésupposés féconds certes, mais pas seulement sur le terrainde la philologie ou de l’histoire des textes.

Nous avons rappelé que le bibliste devrait plus que jamaisse constituer théologien. Car moins qu’hier il ne pourras’enfermer dans sa seule discipline, pas plus qu’il ne pourra secontenter d’être un élémentaire historien des religions. Dans laconfrontation avec ces autres religions, la Bible elle-même, quelque soit son fondamental exclusivisme en la matière, devrait secharger désormais de le lui rappeler.

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Jean-Marc AvelineDirecteur de l’Institut de sciences et théologie des religions (I.S.T.R.) de Marseille.

PENSER LA FOI AU CŒUR DE LA RENCONTRE

Si la tâche de la théologie, en christianisme, consiste àaccompagner de l’intérieur l’expérience croyante decommunautés, en accueillant les questions nouvelles qui seposent à elles et en travaillant avec elles à penser aujourd’hui lafoi reçue de nos pères, alors la situation de pluralité religieuseque nous vivons actuellement ouvre pour la recherche enthéologie de nouveaux chantiers et pour l’expérience croyantedes chemins passionnants.

Depuis deux ans maintenant, l’Institut de sciences et théologiedes religions (I.S.T.R.) de Marseille a reçu pour mission deproposer à des chrétiens une formation théologique en vue dudialogue interreligieux, en favorisant, autant que faire se peut,une interaction entre l’expérience pratique et la réflexionthéologique. Les réflexions présentées ici cherchent à faire lepoint, à partir de cette expérience récente, sur les tâches quiincombent aujourd’hui à une recherche en théologie chrétiennesur le dialogue interreligieux.

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Je procéderai en deux temps. J’inviterai d’abord (1), àquelques prises de conscience qu’il me semble indiquéd’opérer pour mieux situer le contexte de notre réflexion.Ensuite (2), je signalerai quelques pistes d’approfondissementthéologique.

1. Quelques prises de conscience à opérer

Pour situer la façon dont la foi chrétienne se tro u v eaujourd’hui invitée à entrer en dialogue avec les grandesreligions, il importe, me semble-t-il, de prendre conscience detrois réalités.

A) La pluralité culturelle et religieuse est d’abord unphénomène de société

Nous sommes entrés, depuis quelques années, et il sepourrait bien que ce phénomène aille en s’amplifiant, dans uneforme de société marquée par une pluralité culturelle etreligieuse. Une telle affirmation est devenue banaleaujourd’hui, mais il faut résolument en prendre conscience : lesconditions dans lesquelles les chrétiens ont à rendre compte de

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leur foi s’en trouvent sensiblement transformées. Les questionssoulevées par l’existence d’autres religions ne sont pluslointaines, mais toutes proches ; elles ne sont plus théoriques,mais très pratiques. Nous pouvons nous en réjouir avec plusou moins d’enthousiasme ou au contraire le regretter avec plusou moins de peur, mais le fait est là : nous vivons dans unesociété plurielle.

Autrement dit, cette pluralité ne pose pas que des problèmesthéologiques ! Elle a aussi des connotations économiques etpolitiques, sociales et culturelles. Le dossier du dialogueinterreligieux se trouve ainsi déposé sur les charbons ardentsdes problèmes actuels de l’immigration et des rapports Nord-Sud, notamment avec la montée des intégrismes, qui constitueun grand facteur d’inquiétude pour les religions elles-mêmes.

Les chrétiens, bien sûr, comme tous les citoyens, sontconfrontés à ces problèmes ; mais les chrétiens, parmi lescitoyens, ont un témoignage à donner, une contribution àapporter : cela fait partie de leur responsabilité historiqueaujourd’hui. Le dialogue interreligieux peut en effet être unvecteur déterminant pour une coexistence pacifique desdifférentes communautés appelées à partager le même sol.L’absence de dialogue peut ajouter à la violence des conflits,tant il est vrai que la religion peut devenir facilement facteur detrouble et même de guerre1.

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1. Sur ce thème, on pourra se reporter aux réflexions suggestives de Hans Kung (Lechristianisme et les religions du monde, Seuil, 1986, pp. 603-607), ainsi qu’à larécente lettre de la section française de la Conférence mondiale des religionspour la paix (juillet 1994, numéro spécial 5). Enfin ici même, on pourra consulterle dossier « Religions et violences », avec les communications de Jean Comby,Jean-Marc Chouraqui, Dalil Boubakeur et Mgr Michel Sabbah dans ce numéro,pp. 107-160.

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Cette pre m i è re prise de conscience nous rendra doncattentifs à deux aspects : d’une part, il ne saurait être questiond’élaborer une théologie du dialogue interreligieux en « étatd’apesanteur » par rapport aux problèmes concrets d e ssociétés dans lesquelles ce dialogue se joue2 ; d’autre part, laréflexion théologique sur la rencontre des religions devras’initier épistémologiquement à conjuguer son approche dureligieux avec celle des sciences humaines pour mieuxcomprendre l’interaction entre religion et société.

B) L’engagement dans le dialogue interreligieux est unengagement d’Eglise

Œuvrer dans le cadre du dialogue interreligieux n’est passeulement, pour le catholique, un choix personnel, quirelèverait d’une option facultative, plus ou moins humaniste :c’est l’Eglise tout entière, qui, lors du concile Vatican II, s’estengagée sur ce chemin, pour des raisons pastorales etthéologiques3.

La déclaration conciliaire Nostra ætate, sur les relations del’Eglise catholique avec les religions non-chrétiennes4, a signifié

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2. Dans les pays où montent les tensions dues aux extrémismes religieux, le terraindu dialogue peut difficilement être celui de la religion. Mais pour autant, toutdialogue n’est pas impossible.

3. Pour une présentation des engagements divers de l’Eglise catholique dans ledialogue interreligieux depuis Vatican II, voir l’article de Mgr MichaëlFitzgerald, secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, dansChemins de dialogue n° 2, 1993, pp. 55-70.

4. D’autres documents conciliaires abordent le thème du dialogue interreligieux.

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cet engagement de manière officielle. D’autres textesmagistériels importants ont explicité cette volonté de dialogue.Le premier (avant même la déclaration du concile) futl’encyclique de Paul VI, Ecclesiam suam (6 août 1964), véritablecharte du dialogue de l’Eglise avec le monde moderne5. Mais ily eut aussi, en 1984, un texte important (Dialogue et mission)émanant du Secrétariat pour les religions non-chrétiennes, etplus près de nous, en 1991, le document Dialogue et Annonce,publié conjointement par le Conseil pontifical pour le dialogueinterreligieux et par la Congrégation pour l’évangélisation despeuples6.

Cette attitude de dialogue, que l’Eglise entend adopter avecle monde moderne et en particulier avec les croyants des autresgrandes traditions religieuses de l’humanité, se vit d’abord auquotidien : c’est le dialogue de la vie, de l’action, de lasolidarité. Un dialogue fondé sur une présence, qui peutlongtemps rester silencieuse. Ce dialogue se vit aussi dans laprière, comme la Journée d’Assise (le 27 octobre 1986) nous ena montré le chemin7. Ce dialogue passe enfin par la réflexion

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On pourra consulter, entre autres, la Constitution pastorale sur l’Eglise dans lemonde de ce temps (Gaudium et spes, n° 28, 29, 92) ; le Décret sur l’activitémissionnaire (Ad gentes, n° 9-12, 16, 26, 34) ; le Décret sur la liberté religieuse(Dignitatis humanae) et la Constitution dogmatique sur l’Eglise (Lumen gentiumn° 16, 17). Pour une présentation chronologique des documents conciliaires, voirici même, p. 70.

5. Voir le dossier « Dialogue et mission », dans ce numéro, pp. 19-105.6 Une excellente présentation de ce document a été faite dans la revue Mission de

l’Eglise, n° 96-97 (juin-septembre 1992).7. Le 27 octobre 1986, environ 130 responsables religieux appartenant à toutes les

communautés chrétiennes et à toutes les grandes religions du monde ont été leshôtes du pape à Assise pour prier et jeûner pour la paix. Voici un extrait del’allocution que leur a adressée Jean-Paul II :

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théologique sur les nombreuses interrogations que pose à lafoi chrétienne une telle expérience de rencontre : le problèmede la vérité, de la liberté religieuse, de la nécessité de lamission…

Dès le concile, prenant acte du caractère inédit de certainesquestions théologiques soulevées par la re n c o n t re desreligions, certaines craintes ont été exprimées et certainesinterrogations ont été posées. Les uns craignent en effet quel’esprit du dialogue n’entame l’ardeur missionnaire de l’Eglise.Le dialogue ne finira-t-il pas par nous rendre timides ? A forcede vouloir écouter, ne risquera-t-on pas de ne plus oser prendrela parole, ni à temps, ni encore moins à contretemps ? D’autrescraignent aussi que le dialogue interreligieux ne nous fassesombrer dans un relativisme dangereux : l’Evangile de JésusChrist ne serait plus alors, puisque toutes les religions peuventêtre bonnes pour ceux qui les pratiquent, qu’une propositionparmi d’autres ! Et si ce n’est pas le relativisme, c’est lesyncrétisme qui risque de nous gagner, d’autant plus que desnouveaux mouvements religieux, comme le N e w - A g e e np a r t i c u l i e r, ont mis à la mode une certaine façon de seconstituer une religiosité personnelle, « à la carte », en

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« Le fait que nous soyons venus ici n’implique aucune intention de chercherun consensus religieux entre nous ou de mener une négociation sur nosconvictions de foi. Il ne signifie pas non plus que les religions peuvent êtreréconciliées sur le plan d’un engagement commun dans un projet terrestre qui lesdépasserait toutes. Ce n’est pas non plus une concession au relativisme en matièrede croyances religieuses, car tout être humain doit suivre honnêtement saconscience droite avec l’intention de chercher la vérité et de lui obéir. Notrerencontre atteste seulement -et c’est là sa grande signification pour les hommes denotre temps- que, dans la grande bataille pour la paix, l’humanité, avec sa diversitémême, doit puiser aux sources les plus profondes et les plus vivifiantes où laconscience se forme et sur lesquelles se fonde l’agir moral des hommes ».

On peut retrouver l’essentiel de ce qui s’est dit et vécu à Assise, ainsi que la listedes participants dans la Documentation catholique du 7 décembre 1986.

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conjuguant ce qui est jugé bondans chaque tradition religieuse.

Et pourtant, malgré cesc r a i n t e s qui signalentindéniablement des risquesréels, l’engagement officiel del’Eglise catholique sur la voie dudialogue interreligieux n’ajamais été remis en cause et s’estmême accentué. Cette deuxièmeprise de conscience nousinvitera donc à ne pas négligerles vraies questions qui seposent à la foi chrétienne dèslors qu’elle s’expose au risquede la rencontre, mais à avanceravec confiance dans uneaventure où le croyant ne chemine pas seul mais en Eglise.

J’ajoute que cette conscience de la dimension universelle del’engagement ecclésial dans le dialogue interreligieux invite às’informer sur la manière dont ce dialogue est vécu ailleurs, surd’autres continents, en particulier en Asie ou en Afrique, et àmieux comprendre l’originalité de notre propre situation8.

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Voir aussi le document de la Commission pontificale « Iustitia et Pax », Assise,journée mondiale de prière pour la paix, 1987.

Le nouvel Age❑ Pour une réflexion sur Nouvel

Age et foi chrétienne, voir l’article deMichel Rondet, dans Chemins deDialogue n° 3, pp. 175-196.

❑ D’autre part, nous informonsnos lecteurs de la réédition prochaine,revue et complétée, d’un numérospécial de la revue Christus : Le NouvelAge, sortir de la confusion. Ce dossier,composé par d’éminents spécialiste(T. Anatrella, E. Cothenet, A. Couture,D. Gira…), fournit des clefs decompréhension et des repères précispour aborder des questions difficiles :réincarnation et résurre c t i o n ,c roissance psychique et viespirituelle, religion cosmique et foichrétienne… De quoi s’agit-il ?Comment se situer ? Quel jugementp o r t e r ? (Christus, hors-série 164,n o v e m b re 1994, 75FF. étr. 85FF. -Assas Editions, 11, rue d’Assas, 75006

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C) Le chemin du dialogue interreligieux est, dans lecheminement du croyant, une « route qui le change »9

Je voudrais souligner ici quatre éléments importants.

a- Ce n’est pas en dépit, mais à cause de sa foi en Jésusconfessé comme le Christ que le chrétien est appelé à entrer endialogue avec ses frères humains. Ce qui le pousse à adopterune attitude de dialogue, c’est cette « impulsion intérieure decharité »10 qui s’enracine dans l’amour de Dieu pour tous leshommes. C’est parce que Dieu, pour se révéler aux hommescomme leur Sauveur, a « mis sa Parole en dialogue », que leschrétiens sont invités et fondés à susciter un « dialogue desalut » avec tous leurs frères en humanité.

Il ne faudra donc pas chercher pour le dialogue un illusoireterrain neutre. Pour que la rencontre ait des chances d’êtrevraie, il conviendra au contraire que chaque interlocuteur soitc l a i rement situé. Celui qui met sa foi entre pare n t h è s e sn’entame pas un vrai dialogue11. L’ouverture à l’altérité n’estpas négation de l’identité.

b - O r, pour un chrétien, qu’est-ce que la foi ? C ’ e s tessentiellement la confession que Jésus est le Christ, le Fils deDieu Sauveur. L’Eglise témoigne qu’en Jésus de Nazareth,homme concret, historiquement situé, le Verbe s’est fait chair,

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8 C’est tout l’intérêt du Bulletin du Conseil pontifical pour le dialogue intereligieux(C.P.D.I.) et, concernant l’islam, de la revue Islamochristiana.

9. Selon l’heureuse expression de Georges Kowalski, La route qui nous change,Cana/Offredo, Paris, 1982.

10. Cf : Paul VI, Ecclesiam suam, n° 67.

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Dieu est venu chez nous. La plénitude de la divinité s’estrévélée à travers l’existence particulière, humble, de cethomme de Galilée, de ce juif palestinien : tel est le paradoxe dela foi des chrétiens. En Jésus, Dieu est venu, d’une manièretoute spéciale, à la rencontre des hommes. Et sa vie fut tissée derencontres. Ce que le Verbe de Dieu avait à nous dire, il l’alaissé entendre au fil des rencontres ordinaires de la vie ; cellesqu’il a lui-même cherchées ou provoquées ; celles qu’il asimplement accueillies, comme une visite à l’improviste del’Esprit. Des bergers aux larrons, de la Samaritaine aucenturion romain, des pêcheurs du lac aux collecteursd’impôts, c’est aux gens simples, souvent aux exclus, que Jésuss’est adressé, vivant avec eux la rencontre, ouvrant pour eux ledialogue.

Paul VI expliquait que « l’origine transcendante du dialogue setrouve dans l’intention même de Dieu ».

« La Révélation, qui est la relation surnaturelle que Dieu lui-mêmea pris l’initiative d’instaurer avec l’humanité, peut-être présentéecomme un dialogue dans lequel le Verbe de Dieu s’exprime parl’Incarnation et ensuite par l’Evangile » (Ecclesiam suam n° 71-72).

C’est la raison pour laquelle l’Eglise, par fidélité à l’actemême de Dieu, doit, aux yeux de Paul VI, entrer en dialogueavec le monde dans lequel elle vit.

« L’Eglise se fait parole ; l’Eglise se fait message ; l’Eglise se faitconversation » (Ecclesiam suam n° 67).

c- En christianisme, on ne peut parler de foi sans parler ausside révélation. La foi chrétienne n’est pas recherche d’une

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sagesse ; elle est réponse à un appel, à une invitationpersonnelle faite par un Dieu personnel. C’est bien l’un desaspects qui caractérise le christianisme par rapport auxsagesses orientales.

En christianisme, l’événement par lequel Dieu se donne estcorrélatif de l’accueil de cet événement par ceux qui lereçoivent. Jésus n’est pas le Christ sans ceux qui lereconnaissent comme tel. L’Eglise n’est pas une association defidèles : elle est le corps du Christ, constitué par l’Esprit Saint,pour témoigner dans l’humanité de l’amour et de l’appel duP è re. Là encore, cet aspect caractérise le m o n o t h é i s m etrinitaire du christianisme par rapport aux autres religionsmonothéistes12.

d- Un vrai dialogue suppose que soit respectée, jusque dansce qu’elle a de dérangeant, la situation d’altérité d e sinterlocuteurs. Ce qui est visé est même une certaineréciprocité. Et il y a là une tension difficile à vivre entre ladéontologie de tout dialogue qui implique une vraier é c i p rocité et l’inéluctable conviction intime de chaqueinterlocuteur d’être sur le bon chemin.

Mais en christianisme, le « bon chemin » n’est-il pas celui dela rencontre, celui où, tout en parlant en Chemin, on peuts’émerveiller des multiples, imprévisibles et insondablessources d’où jaillit la Vie et chercher ensemble la Vérité, en se

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11. Sur ce point, voir en particulier les remarques du Card. Coffy, dans Chemins dedialogue n° 1, pp. 27-45.

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reconnaissant pauvres devant cette vérité elle-même, toujoursplus grande que ce que nous en comprenons ?

« Dans le dialogue, on découvre combien sont divers les cheminsqui conduisent à la lumière de la foi et comment il est possible de lesfaire converger à cette fin » (Ecclesiam suam n° 86).

« On ne sauve pas le monde du dehors ; il faut, comme le Verbede Dieu qui s’est fait homme, assimiler, en une certaine mesure, lesformes de vie de ceux à qui l’on veut porter le message du Christ. Leclimat du dialogue, c’est l’amitié. Bien mieux, c’est le service »(Ecclesiam suam n° 90).

Cette troisième prise de conscience nous invite à considérerla dimension spirituelle de tout engagement sérieux dans ledialogue interreligieux. Celui-ci ne saurait progresser en véritéqu’en scrutant les profondeurs même de la foi chrétienne. C’esten approfondissant, en contemplant ce qui constitue le cœur dela foi, à savoir le mystère pascal du Verbe fait chair, que se trouvefondé l’engagement des chrétiens dans le dialogue avecd’autres croyants.

Dans une deuxième partie, je voudrais essayer de présenter,depuis mon point d’observation, l’allure actuelle du chantierthéologique du dialogue interreligieux en dégageant quelquespistes de réflexion.

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2. Quelques pistes de réflexion

On peut, en simplifiant beaucoup, distinguer sur le chantierthéologique du dialogue interreligieux deux lieux importantsde réflexion et de débat.

❑ Le premier concerne la façon de situer le christianisme surla scène plus large du phénomène religieux : ici le théologiendevra appre n d re à se situer parmi d’autres « corps demétiers », à travailler ainsi avec l’historien, le philosophe, lesociologue, le phénoménologue et à entretenir avec eux uneconversation épistémologique. Il devra surtout apprendre àexprimer, de l’intérieur de sa propre foi, les modalités selonlesquelles le christianisme peut être compris comme unereligion, ainsi que la critique permanente que l’Evangileadresse à l’égard de l’ambiguïté du religieux.

❑ Le second concerne l’intelligence que la foi chrétienneelle-même, et les questions nouvelles que suscite en elle larencontre effective avec des croyants d’autres religions : ici lethéologien devra apprendre à cheminer dans la foi avec lemusulman, le juif, l’hindou, le bouddhiste, l’africain oul’amérindien et à entreprendre avec eux une conversationthéologique et spirituelle qui amènera le chrétien à unenouvelle herméneutique des concepts fondamentaux aveclesquels sa Tradition a rendu compte de la foi.

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Les deux problématiques, bien évidemment, se croisent etinterfèrent : il n’y a pas de phénomène religieux qui ne soitvécu concrètement par des croyants ; et il n’y a pas de foi quine se traduise culturellement comme un phénomène religieuxanalysable par des sciences de la religion.

Que ce soit sur le versant historico-social du christianismeou sur le versant doctrinal de la foi chrétienne, il ne sauraitêtre question d’exposer en détail toutes les subtilités de cesquestionnements. Je voudrais seulement évoquer ici quelquespoints de débat.

A) Le christianisme parmi les religions

❑ Les questions rencontrées sur ce premier versantconcernent l’essence de la religion, du « phénomène religieux »ou de « l’expérience religieuse ». La question posée à lathéologie est celle de la spécificité du christianisme dans cetensemble. Mais ici, la théologie doit situer son discours parmid’autres approches du phénomène religieux, relevant d’autreslogiques : celle des sciences humaines (histoire des religions,anthropologie religieuse, sociologie des religions,…) et celle dela philosophie (en particulier le courant appelé « philosophiede la religion » et sous lequel peuvent se ranger plusieurs typesde discours13).

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12. Sur la place de l’Eglise dans l’histoire du salut, on pourra se reporter aux bellesméditations de Hans Urs von Balthasar dans La dramatique divine, Lethielleux,1988, en particulier le volume II-2, pp. 288-355.

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Pour parler de la religion, la théologie se doit de préciser lestatut de son propre travail et l’espace de validité des conceptsqu’elle utilise. Mais un tel exercice épistémologique luidonnera une certaine hauteur de vue pour mieux appréhender,à partir d’un concept de religion relié à ceux de culture et defoi, le problème du dialogue interreligieux. On s’apercevratoutefois très rapidement de la fragilité de notre outillageconceptuel, dès lors que l’on entre en dialogue avec desensembles culturels où le concept très occidental de « religion »n’a pas de sens. La recherche d’une communication doit alorsemprunter la voie longue d’un apprentissage mutuel et d’unpartage d’expérience…

❑ De plus, « penser la dimension religieuse de la vie » n’estpas chose aisée pour la théologie chrétienne de la fin du XXèmesiècle, héritière des grandes critiques élevées dès les années 20(en particulier par Karl Barth14 et par certains écrits de DietrichBonhoeffer15) contre un concept de « religion », accusé de jeterle trouble dans les eaux claires de la « foi »... Et il n’est pasfacile au christianisme de se reconnaître lui-même comme unereligion. L’est-il d’ailleurs vraiment ? Il me parait utiled’apporter brièvement quelques précisions.

Pour Barth, toute religion est une tentative de l’homme pours’annexer la divinité. En ce sens, toute religion est idolâtre : elleconduit à l’incrédulité. A la religion comme effort de l’hommes’oppose la révélation comme acte de Dieu, qui s’adresse

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13. Voir l’excellente présentation typologique de Jean Greisch sur la philosophie dela religion devant le fait chrétien, dans l’Introduction à l’étude de la théologie,Desclée, coll. Manuel de théologie, vol. 1, pp. 243-514.

14. Voir L’épître aux Romains (1922), Genève Labor et Fides, 1972, notamment

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gratuitement à l’homme et suscite en lui la foi. Aux yeux deBarth, ce jugement négatif porté sur la religion commeincrédulité affecte le christianisme lui-même. Lui aussi doit sedépouiller de ce qui en lui relève de la religion pour s’ouvrir àla gratuité de la révélation. L’attitude de l’homme quicorrespond à la révélation n’est pas la religion, mais la foi.Dans cette perspective, les problèmes posés aux chrétiens parla re n c o n t re des religions peuvent être intéressants pourl’historien, mais pas pour le théologien.

Dans notre passé théologique récent, cette distinction entrereligion et foi a connu ses heures de gloire et il est clair qu’ellea l’avantage de mettre en lumière la critique radicale quel’Evangile adresse à toute forme de religion comme effort del’homme pour se réaliser lui-même. Contre toute « religion desœuvres », Barth, selon les grands principes de la Réforme, nousa rappelé la gratuité du salut et la précédence de la promesse.

❑ Mais cette opposition entre foi et religion s’est aujourd’huiestompée, grâce en partie à une reprise de la t h é o l o g i esacramentaire, utilisant les ressources de la pensée symbolique,pour rendre compte du tour « incarné » de la foi chrétienne,s’exprimant symboliquement par la médiation de paramètresculturels. Plus radicalement, ce sont les exigences pastoralesqui éprouvent les limites d’une dichotomie trop rigide entre foiet religion16.

La religion en effet fait partie de la vie de l’homme17. Elleexprime une dimension de l’esprit humain, qui doit être

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p. 223s ; ainsi que le § 17 de La Dogmatique (1938), Genève, Labor et Fides, 1954,fasc.4, p. 71s.

15. Résistance et soumission, Genève, Labor et Fides, 1973, p. 287s.

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regardée de manière positive. On peut même considérer lareligion non pas comme une région particulière de l’esprithumain mais comme une dimension de profondeur présentedans toutes les « provinces de l’esprit18 ». Certes, l’Evangile (etavant lui le prophétisme) vient critiquer le caractèreautosuffisant que peut prendre le religieux. Mais selon les bonsprincipes scolastiques il l’assume sans le détruire.

❑ Au lieu d’une théologie de type exclusiviste, qui résultede la position barthienne, Vatican II a opté pour une théologiede l’accomplissement. Toutes les religions sont porteuses de« rayons de la vérité », de « semences du Verbe », de « pierresd’attente » ; elles peuvent être considérées, malgré leursimperfections et leur caducité, comme des « préparations àl’Evangile », parce qu’elles permettent à des hommes et desfemmes de vivre d’authentiques expériences religieuses qui lesouvrent au mystère de Dieu. Cette approche du dialogueinterreligieux s’est progressivement enrichie des travaux dethéologiens comme J. Danielou, H. de Lubac, H.U. vonBalthasar, J. Dournes, K. Rahner, avec les nuances parfoisimportantes que chacun a apportées19.

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16. Une étude détaillée de l’expression des Synodes diocésains sur les problèmesposés par la pastorale sacramentelle s’avèrerait sur ce point très suggestive.

17. La théologie scolastique parlait de la religion comme d’une vertu, c’est-à-direune attitude fondamentale que l’homme se doit d’adopter dans sa relation àDieu.

18. Pour approfondir cette position, on pourra se reporter aux travaux de PaulTillich, en particulier « La religion, dimension de la vie spirituelle », dansThéologie de la culture, Denoël Gonthier, pp. 11-18.

19. Voir les articles de Joseph Gelot (Vers une théologie chrétienne des religions non-chrétiennes, Islamochristiana n° 2, 1976, pp. 1-57) et de Claude Geffré (La théologie

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Dans cette perspective, on peut théologiquement désigner lechristianisme comme une religion, en précisant que pour unchrétien la quête humaine de Dieu, qui s’exprime dans lesreligions (y compris le christianisme) et hors d’elles (dans laculture, l’art,…) s’est trouvée « interrompue »20, « réorientée »par l’incarnation du Fils de Dieu et le message de l’Evangile.Cet événement révélationnel sera toujours comme une instancecritique par rapport à ce que toute religion (y compris lechristianisme), comporte de tentation d’autosuffisance et defacteurs d’ambiguïté.

De ce point de vue, les courants qui, à l’intérieur desdifférentes religions, dénoncent les dérives de la religion (parexemple les prophétismes ou les mystiques) peuvent seretrouver « à portée de voix » pour un dialogue.

B) La foi chrétienne réinterrogée

La deuxième tâche assignée à une théologie chrétienne dudialogue interreligieux consiste en un approfondissement del’intelligence chrétienne du mystère de Dieu. Le problème estd’autant plus vaste qu’il ne s’agit pas d’ajouter à un ensemblede traités déjà systématiquement organisé un chapitresupplémentaire et indépendant traitant de la rencontre desreligions. Que l’on prenne d’abord la question du salut ou cellede la révélation, que l’on se préoccupe d’abord du statut des

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des religions non-chrétiennes, 20 ans après Vatican II, Islamochristiana n° 11, 1985,pp. 115/133), ainsi que la présentation d’André Gounelle (Théologies chrétiennes

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Ecritures ou de celui de la communauté des croyants, que l’oncherche les conséquences quant à la mission, à l’évangélisationou à l’inculturation, tous les domaines de la théologie finissentpar être concernés. Et il y a interaction entre les rechercheseffectuées dans ces différents domaines21.

Ce qui s’impose, c’est donc un retour sur l’ensemble destraités dogmatiques traditionnels pour leur faire subir unerelecture interprétatrice orientée vers le dialogueinterreligieux. Une telle démarche suppose évidemment que ledialogue soit établi avec les autres traditions et cela non pas demanière globale mais chaque fois spécifique.

Ainsi, par exemple, la question de la Révélation mériterad ’ ê t re retravaillée en fonction d’une orientation vers ledialogue islamo-chrétien ; celles de salut, de rédemption, lesquestions touchant à la souffrance, au mal, ainsi que les questionseschatologiques, mériteront quant à elles d’être revisitées par undialogue avec les religions orientales ; la question de l’élection,celle de l’universalisme du salut et celle du monothéisme trinitaireauront intérêt à se voir réorientées par un dialogue judéo-chrétien… Ces orientations particulières gagneront à ne pass’élaborer dans des compartiments étanches. Elles ont auc o n t r a i re à communiquer. Mais la spécificité sembleenrichissante : c’est en tous cas l’option que nous avonsadoptée à l’I.S.T.R. de Marseille22.

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des religions du monde, Chemins de dialogue n° 1, 1993, pp. 47-65).20 Selon l’expression d’Eberhard Jüngel (disciple de Barth), dans Dieu mystère du

monde, Cerf, Cogitatio fidei n° 116-117, 1983.21. Le rapport du Comité «Islam en Europe» publié dans la Documentation Catholique

n° 2059 sur «la présence des musulmans en Europe et la formation théologiquedes collaborateurs pastoraux» fournit des indications intéressantes sur ce sujet.

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Un tel travail prendra du temps et portera sans doutebeaucoup de fruits pour l’intelligence chrétienne du mystèrede Dieu. J’aimerais en terminant signaler deux domainesparticulièrement susceptibles d’une reprise féconde par uneorientation vers le dialogue interreligieux : la christologie, etnotamment la question de la médiation salvifique du Christ ;l’ecclésiologie, et notamment la question de la mission de l’Eglisecomme sacrement universel du dalut. Dans les deux cas, c’est à unapprofondissement de ses fondements trinitaires que la réflexionthéologique me semble conviée.

a- La médiation salvifique du Christ

Les chrétiens se présentent comme porteurs d’un message,d’une Bonne Nouvelle de salut. C’est là le coeur de leur foi :pour nous les hommes et pour notre salut, Dieu s’est faithomme en son Fils Jésus le Christ, qui est mort et ressuscité.Même s’il n’y a jamais eu d’élaboration dogmatique précise dece qu’est le salut, toute la foi chrétienne repose sur l’affirmationque Jésus Christ est le « salut en personne ».

La prise en compte des autres traditions religieuses pose à lasotériologie traditionnelle de nouvelles questions. Commenten effet concilier les deux affirmations pauliniennes (I Tim.) :« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » et « Il n’y a qu’unseul médiateur du salut, Jésus Christ » ? Comment articulerl’universalité du salut offert en Jésus Christ et la particularité

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Voir aussi la contribution de Christian Salenson (« La théologie des religions et laformation initiale des prêtres »), dans Chemins de dialogue n° 3, pp. 231-240.

22. Le cursus universitaire préparant au diplôme s’organise en effet en trois sections

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historique du christianisme comme religion de salut ?Comment préciser, d’un point de vue chrétien, le rôle quejouent les autres religions dans le dessein salvifique de Dieu ?Quelle valeur théologique attribuer à l’histoire des religionspar rapport à l’histoire du salut ?

Si l’on écarte les positions extrêmes du relativisme et del’exclusivisme, il semble que l’on puisse avancer, avec JacquesDupuis, que :

« Les traditions religieuses de l’humanité, en tant quephénomènes sociaux et institutions historiques, ont une valeursalvifique en vertu de la présence opérative en elles du mystère deJésus Christ » (Jésus Christ à la rencontre des religions, Desclée, 1989,p. 166).

Mais lorsqu’elle cherche à préciser cette « présenceo p é r a t i v e » du mystère du Christ dans les religions, lathéologie manque de vocabulaire. C’est « d’une façon que Dieuconnaît », comme le suggérait le concile, que « l’Esprit Saintdonne à tout homme la possibilité d’être associé au mystère pascal » !23

Même s’il ne lui est pas facile de l’exprimer, la foi deschrétiens est tenue de re n d re compte de son espéranceconcernant l’universalité de l’événement du salut, offert à tousmême s’il n’est pas reçu par tous. C’est ici qu’une christologiede type trinitaire s’avère nécessaire, pour sortir des impassesd’un christocentrisme trop étroit et penser ensemble la missiondu Fils et la mission de l’Esprit, la médiation christique etl’action intérieure de l’Esprit. Il se pourrait quel’approfondissement de la façon dont ces deux missions sont

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( p a rcours de théologie chrétienne ; introduction aux grandes traditions

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t r i n i t a i rement ordonnées l’une à l’autre nous permetted’entrevoir le statut de ces « médiations de types et d’ordres divers» présentes dans les autres religions (Redemptoris missio 5), etque le chrétien réfère, comme à leur source et fondement, à lamédiation christique24. La révélation du salut en Jésus Christ nepeut en effet être séparée de sa préparation (pour laquellel’histoire d’Israël a valeur paradigmatique) et de sa réceptiondans l’Eglise, qui sont toutes deux placées sous le signe del’Esprit. La rencontre des religions invite à penser le salutcomme une œuvre de la Trinité toute entière.

b- La mission de l’Eglise comme sacrement du salut

Que devient la missionde l’Eglise à l’heure du dialoguei n t e r re l i g i e u x ? Le mot « mission » désigne-t-il encorel’opération particulière des missions ad gentes, destinées à ceuxauxquels l’Evangile n’a encore jamais été annoncé, ou biens’est-il définitivement étendu à l’activité de l’Eglise dans sonensemble, au sens où son existence même estfondamentalement missionnaire ?

Il semble que les deux acceptions aient à croître ensemble.La première restera vraie tant qu’il y aura des hommes à quil’Evangile n’aura pas été transmis. Et l’évolutiondémographique de la planète donne encore un bel avenir auxmissions « ad gentes » ! Mais la deuxième n’est pas moins vraiepour autant. Si la vocation de l’Eglise est bien, comme le

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religieuses de l’humanité ; études pluridisciplinaires du phénomène religieux).Les programmes de chacune de ces sections sont établis pour favoriser lesconjugaisons sur des thèmes précis.

23. Gaudium et spes, n° 22 § 6.24. On lira avec intérét les rélexions de Rahner à la 10° section de la 6° étape du Traité

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suggérait Paul VI, d’évangéliser25, alors la mission désignel’activité de l’Eglise dans son ensemble, en tant que sacrementdu salut (Lumen gentium, 48).

Dans les deux cas cependant, l’aventure interre l i g i e u s einvite à greffer sur le concept de mission celui de dialogue. Ilne s’agit pas d’un dialogue banal, qui serait une simpleméthode d’évangélisation, mais d’un dialogue de salut, oùl’interlocuteur chrétien se sait chargé d’une annonce et d’untémoignage tout en s’émerveillant des merveilles accompliespar l’Esprit de Dieu chez son compagnon de route.

Le défi consiste à tisser ensemble l’urgence de la mission etla patience du dialogue ; à recevoir de l’autre un nouveaure g a rd sur Dieu, tout en étant dévoré par la passiond’annoncer l’Evangile de Jésus Christ ; à vivre dans le mêmemouvement la gratuité de la rencontre et la gravité du salut…

Considérée de façon trinitaire, la mission de l’Eglise en tantque sacrement du salut peut être envisagée comme coopérationà l’action de l’Esprit, préparant la rencontre des hommes avecle Fils. En effet, lorsqu’un chrétien rencontre un frère croyantd’une autre religion, ce qui est en jeu n’est pas seulement larencontre entre deux hommes26. Il s’agit de la rencontre, àtravers eux, d’un membre de l’Eglise, elle-même fondée etconstituée par l’Esprit Saint, et d’un autre homme, dans lequelle chrétien confesse que l’Esprit Saint, qui souffle où il veut, est

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fondamental de la foi, Centurion, 1983, pp. 348-359. Pour une présentationoriginale des missions trinitaires, on consultera avec profit l’œuvre magistrale deH.U. von Balthasar, La dramatique divine (op. cit.), en particulier sa notion« d’inversion trinitaire » (II-2, pp. 146-153 & 399-423).

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à l’oeuvre, non seulement à l’intérieur de sa conscience, maisaussi dans sa culture et même dans sa religion.

Conclusion

Penser la foi au cœur de la rencontre : tel est le beau défi denotre époque où les chrétiens se trouvent appelés à témoignerdu nom du Christ au milieu d’un brassage bariolé de cultureset de religions. A la croisée des chemins, des rencontres sevivent, humbles et patientes. C’est là le lieu premier de lathéologie.

Invité à dire l’originalité de sa foi, le chrétien s’apercevraque c’est en l’approfondissant jusque dans son cœur trinitairequ’il se trouve fondé à « entrer en dialogue », et que dans cetterencontre, quelque chose du salut qu’il confesse est à l’œuvre,au confluent des missions du Fils et de l’Esprit.

Alors se dessine pour lui un itinéraire de conversion, uneinvitation à la pauvreté et parfois un chemin de Cro i x .J’emprunte à Michel de Certeau27 quelques phrases lumineusespour évoquer ce chemin et conclure mon exposé.

Penser la foi au cœur de la rencontre

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25. « Evangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l’Eglise, son identité la plus

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❑ « Pour que la Parole atteigne ses destinataires, il [lemissionnaire] doit chercher à tâtons, en elle et en eux, commentfavoriser la rencontre. Tout apôtre connaît cette épreuve, qui exige delui une “conversion”. La rencontre des autres, frères insaisissables,est pour lui l’expérience du Mystère : Dieu se montre plus grand.Leur conversion et la sienne, pour être différentes, vont de pair. Ellesjalonnent les itinéraires qui conduisent des hommes à se reconnaîtrefils d’un même Père. Le dialogue, occasion de l’épreuve, appel à laconversion, est le lieu de la révélation : on découvre Dieu dans larencontre qu’il suscite.

❑ Mais le missionnaire se découvre aussi lui-même dans cetéchange. Il devient le “fils” de cet homme. Et la voix des autres luiexplique intérieurement quelques-unes des paroles saintes qu’ilrépétait sans intelligence. Fleurs closes depuis longtemps dans sonjardin chrétien, certains mots de l’Evangile, ceux qui disent lafécondité de la vie divine ou la mystérieuse connivence du Très-Hautavec les pauvres, s’ouvrent en ce matin d’une fraternité nouvelle etlui montrent un secret jusqu’ici inaperçu. Par leur propre découverte,ils lui font voir avec d’autres yeux la vérité qu’il leur transmettait etdont il n’avait pas prévu qu’elle puisse être à ce point créatrice ».

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Jean LandousiesDirecteur du Centre des Glycines à Alger,Secrétaire général de la conférence épiscopale du Maghreb.

RÉFLEXIONS SUR LA RENCONTRE DE L’AUTRE

Dans une intervention récente, Mgr Pierre Claverie, évêqued’Oran, déclarait :

« Je ne crois pas que nous soyons mûrs pour un dialogueinterreligieux, nous n’en avons pas les mots. Notre vocabulaire estcommun, mais le sens est différent. Il faut tout reprendre à la base,vivre ensemble. Pas seulement dans les mots et les livres, mais dansdes mots vécus ensemble, des mots justes, une expérience partagée etpas seulement des concepts... Apprendre le poids des mots etbalbutier ceux de la foi... »1.

Les mutations que nous voyons se développer sous nosyeux dans la communauté musulmane nous incitent à unecertaine « réévaluation » de ce que nous appelons le « dialoguei s l a m o - c h r é t i e n » ou plus largement le « d i a l o g u einterreligieux ». La grande diversité de cette communautémusulmane rend encore plus complexe toute appréciation surce que pourrait être une relation nouvelle à instaurer entrenous. D’autre part, il est aussi vrai, comme le souligne

1. La Croix, 25 mai 1994, au Forum des Communautés chrétiennes, Angers,Pentecôte.

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M g r Claverie, que nous n’avons pas encore suff i s a m m e n télaboré les mots qui pourraient permettre le dialogue. Ce mot« d i a l o g u e » n’est-il pas lui-même motif d’ambiguïtésmultiples ? Peut-être vaudrait-il mieux, pour le moment, parlerde « re n c o n t re » entre croyants de traditions re l i g i e u s e sdifférentes, rencontre que peu à peu, les uns et les autres, nousavons à fortifier, à pénétrer de densité humaine et spirituelle.Cette rencontre, nous la vivons le plus souvent sur le mode« interpersonnel », mais pourtant avec la conscience quechacun, malgré tout, engage toujours plus que lui-même. Lecroyant demeure en liens multiformes avec sa communautéd’appartenance, même si les influences réciproques demeurentdifficiles à cerner.

1. Réévaluer le dialogue

« Réévaluer le dialogue » ne signifie pas le remettre enquestion dans son principe. Depuis le concile Vatican II, PaulVI, l’enseignement et les gestes prophétiques de Jean-Paul II, ilest clair que le « dialogue interreligieux » est pour l’Eglisecatholique une option irréversible. Quels que soient lesdifficultés, les incompréhensions, voire les échecs, l’Eglise nepeut revenir en arrière sur cette volonté de rencontrer tous leshommes, et plus particulièrement, pour ce qui nous concerne

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ici, les autres croyants. Elle en trouve l’assurance dans la façond’être de son Seigneur et plus profondément encore dans l’actecréateur où Dieu pose l’homme dans une relation de dialogueavec Lui, attitude qui sera déployée dans toute l’histoire dusalut.

« Malgré les difficultés, l’engagement de l’Eglise dans le dialoguedemeure ferme et irréversible » (Dialogue et annonce 54).

Les événements graves qui se déroulent dans un certainnombre de pays musulmans, avec leurs retombées sur lescommunautés chrétiennes, pourraient inciter audésenchantement et donner raison à ceux qui pensent que toutdialogue entre chrétiens et musulmans est illusoire, ou tout aumoins, suggérer de laisser les situations se décanter avantd’envisager un chemin de dialogue.

L’expérience montre que c’est souvent dans lescirconstances les plus délicates que l’Eglise éprouve avecplus d’intensité sa vocation propre par rapport aux exigencesdu Royaume. Dans Redemptoris missio Jean-Paul II en souligneles points forts :

« La nature du Royaume est la communion de tous les êtreshumains entre eux et avec Dieu » (15). « Le Royaume doittransformer les rapports entre les hommes. Il se réaliseprogressivement au fur et à mesure qu’ils apprennent à s’aimer, à separdonner, à se mettre au service les uns des autres » (15). « Ledialogue est un chemin vers le Royaume, et il donnera sûrement sonfruit, même si les temps et les moments sont réservés au Père » (57).

Au moment de la tourmente ou d’interrogations plusradicales, par son engagement librement et gratuitement

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assumé au service de ce Royaume, l’Eglise apprend aussi quela Croix est le lieu de sa venue.

2. Parler vrai, vivre vrai

Dès lors, « aller à la rencontre de l’autre » dans les situationsdifficiles, c’est pour l’Eglise accepter d’entrer au plus profonddu débat des hommes, un débat ardu, violent parfois, dontpersonne ne peut assurer par avance pouvoir sortir indemne.

Certes, nous savons bien que ce qui unit les hommes est plusessentiel, plus fort que leurs divisions, leurs divergences. Telleest l’espérance qui motive la rencontre. En raison de cette unitéfondamentale nous pouvons, nous devons assumer larencontre de l’autre comme témoins de Celui qui a dit : « Je suisle chemin, la vérité, la vie ». (Jn. 14, 6). Et la première exigence decet engagement est de se situer avec sincérité les uns parrapport aux autres : mieux se connaître avec nos convergenceset nos divergences, pour pouvoir parler vrai, vivre vrai. C’estbien là le but de tous ces efforts de connaissance de la langue,de la culture, de la religion, de partage de la vie du peuple donton se veut solidaires. Il s’agit de se rencontrer en vérité, ouplutôt dans la vérité. Car celui qui se situe dans la véritérencontre déjà Celui qui est la Vérité. Ce chemin est long,toujours à approfondir, à reprendre.

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En effet, aller à la rencontre de l’autre, c’est accepter depouvoir le trouver dans toute la complexité de sa personnalité.Celle-ci comporte évidemment bien d’autres éléments que sareligion. D’ailleurs, nous savons bien que l’islam est plusqu’une religion au sens où nous, occidentaux, nous l’entendonshabituellement. Ce que nous appelons dialogue « islamo-chrétien » ne saurait se réduire à une rencontre religieuse ausens strict du terme.

Il nous faut accepter, les uns et les autres, de nous mettre auclair sur tout ce qui nous conditionne, nous « constitue »aujourd’hui, individuellement et communautairement : notrehistoire, ancienne et récente, les questions majeures de nossociétés, celles de notre identité et de notre relation à l’autre.Quelle est la place que nous donnons à l’autre pour laréalisation de notre être dans les sociétés que nous voulonsédifier ?

Cette prise de conscience de la réalité qui nous constitueimpliquera sans doute parfois une confrontation avec l’autre.Celle-ci est une des formes de la rencontre. Parler de dialogueen mettant en lumière ce qui nous est commun, ce qui nouspermet de mieux vivre ensemble, de collaborer pour une vieplus humaine est, certes, essentiel. Mais ce n’est qu’une part dela réalité. S’il est important de chercher ce qui nous rapprochedans notre humanité commune, nos dogmes ou nos usagesreligieux, comme ce qui nous distingue, vouloir progresserensemble dans la vérité ne permet pas d’en rester là. Ledialogue n’est pas simple échange de bons procédés, simplecourtoisie ou re c h e rche de bonnes relations. Il est aussiaffrontement à ces dures réalités qui font la vie quotidienne et

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où se mêlent le meilleur et le pire, la générosité et l’égoïsme dechacun. Toute rencontre est échange dans l’épreuve, voire dansle conflit parfois vigoureux. Et c’est cette d i m e n s i o nconflictuelle qu’il nous faut apprendre à assumer dans ladémarche dialogale.

Un tel passage douloureux peut encore être un moyen pourfaire avancer la relation. Le dialogue interreligieux est souventfondé sur une théologie des « semences du Verbe » présentesau cœur de l’homme. Il est nécessaire d’y joindre une théologiede la Croix. Dans le mystère de la Croix se trouve déjà lemystère de la Vie. Les difficultés de la rencontre, sa violence,son refus, font partie de ce mystère pascal qui rejoint l’hommedans toute l’épaisseur de son existence. N’y cherchons pas desmotivations pour clore tout débat, refuser la rencontre, alorsque nous avons à y découvrir le terrain sur lequel se joue, danstoute sa densité, le combat pour la réalisation du Royaume deDieu. La Croix du Christ n’est-elle pas, paradoxalement, lesommet de la re n c o n t re, du dialogue entre Dieu et leshommes ?

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3. Fonder théologiquement et spirituellement le dialogue

Mais, l’un des obstacles important au dialogue, à unevéritable rencontre est la difficulté de communication quiexiste entre groupes religieux. Cette difficulté n’est pas dueuniquement à des questions de langue ou de vocabulaire. Plusp rofondément, il s’agit de compre n d re que « nous nefonctionnons pas tous de la même façon ». Au-delà des mots, ily a notre conception de Dieu, de l’homme, du monde, et sesrépercussions sur la vie de tous les jours, sur les relationshumaines. Pouvons-nous vraiment en faire abstraction lorsquenous nous rencontrons ? Et pour en arriver à quoi ?

« L ‘homme qui s’éprouve esclave de Dieu, en butte à sa violence,ne peut pas faire pour lui-même une véritable expérience de liberténi d’amour, ni donc traiter les autres en sujets autonomes à qui sontdus le respect absolu de leur liberté, un amour total, un servicedésintéressé. Il ne peut pas agir avec ses semblables mieux qu’il ne sesent traité par Dieu. Il a du mal à les tenir pour frères, puisque celuiqui leur dispense à tous la vie ne se révèle pas à eux sous les traitsd’un vrai père ; et même à les tenir pour ses semblables, car ladiversité des cultes rendus par chaque peuple à ses dieux entraîneplutôt à considérer en étrangers sinon en ennemis les membres desautres peuples ».2

Toute communication vraie entre croyants de Traditionsdifférentes est-elle dès lors exclue ? Nous sommes là devantune question essentielle que nous ne pouvons pas esquiver. Et2. J. Moingt, L’homme qui venait de Dieu, Cerf, coll. Cogitatio Fidei n° 176, 1994,

p. 536.

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il nous faudra bien la regarder en face. Mais, en même temps,nous pouvons reconnaître que l’expérience de la rencontre del’autre amène aussi à de nouvelles prises de conscience. Lecroyant n’est pas enfermé dans les expressions dogmatiques desa foi ou dans des réflexes pré-conditionnés. Il vit sous lamouvance de l’Esprit, quel qu’en soit le mode ou le degré. Et larencontre de l’autre, qui est aussi en quelque façon rencontrede l’Autre, permet à l’Esprit de faire s’épanouir les « semencesdu Verbe » dont tout homme est porteur. Le rapport à Dieu etaux autres est, certes, largement tributaire des apportsdogmatiques véhiculés en chacun, mais il ne saurait s’yréduire.

La présence et l’œuvre de Dieu au cœur de l’homme, quechaque Tradition perçoit et exprime à sa façon, nécessitent unsérieux d i s c e r n e m e n t. Et c’est sans doute dans noscommunautés respectives l’une des tâches les plus importanteset les plus difficiles à mettre en chantier. Nous avons à nous yengager sereinement, dans la fidélité à nos Traditions propres,tout en en mesurant les conséquences pratiques. Ta n td’arguments de discorde et de violence sont en germe dans nosconceptions de la relation à Dieu ! Les nombreux efforts deconnaissance réciproque sont, certes, à souligner et àintensifier. Mais cela ne peut être suffisant. Il est urgent detravailler à fonder théologiquement et spirituellement lesraisons de l’acceptation de l’existence de l’autre différent et desa communauté, même si sa signification profonde, pourbeaucoup, doit demeurer cachée. Comment aujourd’hui peut-on admettre d’en rester à une acceptation de l’autre basée surune vague notion de tolérance qui, le plus souvent, est vidée detoute substance positive ? Est-ce vraiment prendre au sérieux

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et respecter l’œuvre de Dieu ? Si nous voulons bâtir ensembleun monde vivable pour demain, il est indispensable d’aller au-delà et de se reconnaître de façon positive. Ceci engage quechaque Tradition religieuse soit au clair sur sa propre identitéet sa propre vocation dans le monde. Nous touchons sansdoute là un point crucial pour les conflits internes et externesde nombre d’entre elles. Ainsi, pour ce qui concerne l’Eglise, ledialogue interreligieux doit lui permettre de re d é c o u v r i rquelque chose de plus de son être même.

Le concile Vatican II dans la constitution Lumen gentium adéclaré que « l’Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte lesacrement, c’est à dire à la fois le signe et l’instrument de l’unionintime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumengentium 1). Que devient une telle affirmation lorsqu’elle se voitconfrontée à la réalité des croyants des autres religions ? Qu’estcette Eglise de Jésus Christ, qui est aussi de la même humanitéque ces croyants avec qui elle partage quelque chosed’essentiel, qui n’est pas étranger à Jésus Christ, et qui va plusloin que des œuvres faites ensemble avec ces croyants pour lebien commun des hommes ? Quelle est la spécificité de cetteEglise dans l’histoire commune de l’humanité ? Le chrétienn’est pas lié au musulman d’abord pour des raisons deproximité doctrinale plus ou moins grande, ou par référence àAbraham considéré comme « Père commun ». Le lien qui lesunit se trouve dans la personne même de Jésus Christ. Toutesles autres proximités n’en sont que des signes.

Si aucun homme n’est sans relation avec le salut de JésusChrist, et que l’Esprit Saint offre à tous « d’une façon que Dieuc o n n a î t » la possibilité d’être associés au mystère pascal

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(cf. Gaudium et spes 22) ; si d’autre part l’Eglise est « sacrementuniversel du salut », il faut en tirer les conséquences pour samission. Celle-ci doit être fondée par-delà l’envoi du Christaprès la Résurrection, sur l’ensemble des mystère sfondamentaux du christianisme : Trinité, Incarnation,Rédemption. C’est alors qu’il sera possible de situer le dialogueinterreligieux comme partie intégrante de cette unique missiondu Christ confiée à l’Eglise.

De même faudra-t-il retrouver une conception de la missionfondée sur une expérience d’un « Dieu qui vient »3 , ou encored’un « Dieu nomade » comme aux premiers temps de la Bible.Le Dieu de Jésus Christ est un Dieu qui vient à la rencontre del’homme, là où il se trouve, sans se laisser enfermer dans ses« églises » ou tous autres « lieux » où on voudrait le maintenir.

Poussant encore la réflexion, c’est une véritable théologie dela communion des saints qu’il nous faudra réinventer. L’Egliseest « germe, signe et instrument du Royaume ». Mais la réalitécommencée du Royaume peut se trouver également au-delà deses limites, dans l’humanité entière (cf. Redemptoris missio 20).C’est le même Royaume qui vient. L’Eglise et « les autres » nesont pas deux groupes sans communication, deux groupesdont on passerait de l’un à l’autre sans plus. Comme le Christqui communique sa vie au monde, l’Eglise sacrement universeldu salut n’est pas un simple modèle d’accueil ou d’annonce duRoyaume. Elle communique au monde quelque chose de sonêtre, et donc de l’être du Christ. Le dialogue interreligieux estl’un des canaux de cette communication. Et parce qu’elle est

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3. cf. L. Legrand, Le Dieu qui vient. La mission dans la Bible, Desclée, 1988.

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aussi de cette unique humanité où germe le Royaume, elleaccueille en elle, et dans le Christ, ce qui lui vient de larencontre avec les autres croyants, œuvre de l’Esprit de Dieu enelle.

4. Perspectives

Pour vivre en vérité la rencontre avec « l’autre », il estnécessaire d’approfondir et de favoriser la liberté intérieuredes personnes. Peut-être touchons-nous là une attitudeessentielle à développer aujourd’hui dans un monde où l’onconstate un peu partout une quête spirituelle, une quête desens. La liberté intérieure doit permettre de discerner lessituations, les appels et d’y répondre en toute sérénité et vérité.C’est l’œuvre de Dieu au cœur de l’homme qui pourra alorsprendre toute sa dimension en accord avec la responsabilité dela personne. Il devient essentiel que nos Eglises développentdes espaces de liberté où chacun, reconnu dans ce qu’il est,pourra assumer un vrai discernement spirituel. Le dialoguei n t e r religieux fait partie de ces espaces où des cro y a n t speuvent partager dans le respect mutuel leursquestionnements humains et spirituels.

Et nous sommes alors conduits à faire un pas de plus dansnotre compréhension de ce que peut recouvrir le dialogue

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interreligieux. Il se développe, nous le savons, tout d’aborddans les réalités les plus humbles de la vie partagée, descollaborations, voire même de la re c h e rche théologique…Mais, le cœur de la rencontre n’est pas là. Aujourd’hui, l’avenirdu dialogue semble se jouer autour de cette quête du sens,dans ce qu’on pourrait appeler le dialogue spirituel, non en cesens qu’il se confinerait dans la prière ou la mystique, maisparce qu’il rejoint l’homme au cœur de son être et de sondevenir, en assumant toutes les dimensions de son existence.Dialogue et annonce exprime bien cela en disant qu’au-delà desrelations amicales ou de compréhension mutuelle, le dialogue

« parvient à un niveau beaucoup plus profond, celui-là même del’Esprit, où l’échange et le partage consistent en un témoignagemutuel de ce que chacun croit et une exploration commune desconvictions religieuses respectives. Par le dialogue, les chrétiens et lesautres sont invités à approfondir les dimensions religieuses de leurengagement et à répondre, avec une sincérité croissante, à l’appelpersonnel de Dieu et au don gratuit qu’il fait de lui-même, don quipasse toujours, comme notre foi nous le dit, par la médiation de JésusChrist et l’œuvre de son Esprit » (40).

C’est une perspective d’avenir ambitieuse il est vrai, maisqui conduit au cœur de ce que nous recherchons dans ledialogue interreligieux. Il nous faut maintenant en inventer lesvoies concrètes. Une telle ambition ne rend que plus urgente lamise en œuvre des propositions de Mgr Claverie, citées audébut de cet article :

« Il faut tout reprendre à la base, vivre ensemble… Apprendre lepoids des mots, et balbutier ceux de la foi ».

Ces quelques réflexions ne font que poser des questionsthéologiques et spirituelles qui ne peuvent trouver réponse

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sans l’expérience effective de la rencontre avec les croyants desautres traditions religieuses. Ces questions sont d’ailleurs elles-mêmes issues de l’expérience parfois exaltante, parfoisdouloureuse, mais toujours passionnante de la rencontre avecdes croyants de l’islam.

Exposées ici, sans prétention, elles veulent aussi dire lanécessité de regarder au-delà de la situation immédiate dechacun. La rencontre entre les croyants est vécue de multiplesfaçons dans le monde, avec ses hauts et ses bas, ses avancées etses reculs. Les difficultés du moment ne doivent pas la remettreen cause, mais plutôt permettre un approfondissement de sonauthenticité et de sa vérité. Pour en rester à notre airec u l t u relle, celle de la Méditerranée occidentale, nous enmesurons chaque jour la diversité et aussi les défis qui sontposés à l’avenir de nos communautés religieuses et de nossociétés. Pourquoi alors ne pas envisager une sorte de« partenariat » pour faire avancer la réflexion théologique etspirituelle, à partir de nos expériences de la re n c o n t reinterreligieuse sur les deux rives de la Méditerranée ?

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Dennis GiraProfesseur à l’Institut de sciences et théologie des religions (I.S.T.R.) de Paris,Intervenant à l’I.S.T.R. de Marseille.

QUELQUES LIVRES DE BASES SUR LE BOUDDHISME

André Bareau, En suivant Bouddha, Paris, PhilippeLebaud, 1985, 308 p.

Très bonne présentation des grands moments de la vie du Bouddha et de sesenseignements de base à travers une série de textes choisis et commentés par AndréBareau. La facilité d’accès de ce livre le rend utile pour des débutants qui veulentcomprendre l’intuition spirituelle du Bouddha. En même temps, les commentairestrès nuancés peuvent aider ceux qui connaissent déjà le bouddhisme à aller plus loindans leur étude de l’enseignement de ce grand maître spirituel.

André Bareau, « Le bouddhisme indien », dans L e sreligions de l’Inde, Paris, Payot, 1985, pp. 7-246.

L’analyse que fait Bareau de l’enseignement du Bouddha dans ce livre estbeaucoup plus détaillée que celles qu’on trouve dans En suivant Bouddha. Tous lestermes techniques par exemple sont donnés en pâli et sanscrit. Cela est donc difficiled’accès pour des débutants. Pour ceux qui veulent approfondir une connaissancedéjà acquise de la tradition bouddhique, surtout telle qu’elle s’est développéependant les premiers siècles de son développement, « Le bouddhisme indien » est àlire et à relire.

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Textes rassemblés et commentés par Samuel Bercholz etSherab Chodzin Kohn, Pour comprendre le bouddhisme : uneinitiation à travers les textes essentiels, Robert Laffont, 1993,(titre original : Little Buddha).

Ce livre, sorti avec le film Little Buddha, veut, selon les mots de BernardoBertolucci, dire « les mots qu’(il) n’(a) pas pu dire dans (son) film ». Il s’agiteffectivement d’un aperçu de toute la tradition bouddhique à travers des textesreprésentatifs des divers stades du développement du bouddhisme. Globalement,c’est une assez bonne introduction, bien que les commentaires et traductions destextes (souvent traduits de l’anglais plutôt que de la langue d’origine) ne soient pasde la même qualité que ceux qu’on trouve dans les autres ouvrages mentionnés danscette bibliographie. Il faut noter aussi que les commentaires sont écrits par différentsauteurs. Le tout peut donner l’impression d’être un peu « hâché ».

Sous la direction de René de Berval, Présence dubouddhisme, Paris, Gallimard, 1987, 816 p., réédition d’unnuméro spécial de la revue France-Asie paru à Saïgon en1959.

Dans ce livre, les meilleurs spécialistes de l’époque présentent une série d’étudessur le développement de la tradition bouddhique dans les divers pays d’Asie. Lesauteurs ont admirablement réussi dans l’effort qu’ils ont fait pour rendre lesrésultats de la recherche la plus fondamentale accessibles au grand public.

La bibliographie, mise à jour dans la nouvelle édition, ouvre aux lecteurs lapossibilité d’aller plus loin dans leur étude de la présence bouddhiste dans chacundes pays traités. Un glossaire très complet ajoute à la valeur du livre.

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Dennis Gira, Comprendre le bouddhisme, 1989, 209 p.

Le contenu de ce livre, écrit pour ceux qui abordent le bouddhisme pour lapremière fois, correspond aux cours que l’auteur assure aux Instituts de sciences etthéologie des religions (I.S.T.R.) à Paris et à Marseille.

Peter Harvey, Le bouddhisme : enseignements, histoire,pratiques, Seuil, 1993, (titre original anglais : An introductionto buddhism, 1990), 436 p.

Cette très bonne et complète introduction au bouddhisme, d’accès relativementfacile, intègre à une présentation de la pensée bouddhique un traitement del’ensemble des pratiques qui font de cette tradition une des grandes religionsvivantes. On y trouvera surtout le fruit des études bouddhiques menées cesdernières décennies dans les pays anglophones.

Etienne Lamotte, H i s t o i re du bouddhisme indien. Desorigines à l’ère Saka, Louvain-la-Neuve, 1976, 862 p.

Cette œuvre d’Etienne Lamotte, érudit mondialement connu, est une desmeilleurs introductions à l’enseignement du Bouddha. La clarté de la présentationrend cette étude, pourtant très poussée, accessible à ceux qui veulent aller au fonddes choses. La lecture d’une introduction plus élémentaire permettra aux lecteurs deprofiter davantage du travail de Lamotte.

Quelques livres de bases sur le bouddhisme

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Joseph Masson, Le bouddhisme, Desclée de Brouwer, 1975(réimprimé en 1992), 294 p.

L’auteur, qui a enseigné à Louvain, à Namur et à l’Université grégorienne,intègre une réflexion chrétienne à son analyse de divers aspects de la penséebouddhique. Ce livre est donc d’un intérêt particulier pour ceux qui sont intéresséspar le dialogue interreligieux. Il est d’un accès relativement facile pour un publicayant une bonne culture religieuse (chrétienne ou bouddhiste). Le lexique de motspâlis et sanscrits sera utile pour ceux qui veulent se lancer dans la lecture d’autreslivres sur le bouddhisme.

Walpola Rahula, L’enseignement du Bouddha d’après lestextes les plus anciens, Editions du Seuil (Sagesse 13), 1961,188 p.

Un des meilleurs livres d’introduction au bouddhisme. Les notions les plusfondamentales de cette tradition sont présentées de manière très claire. L’exposé estsuivi de plusieurs textes anciens choisis par l’auteur, lui-même moine de l’anciennetradition, laquelle est vivante aujourd’hui surtout dans les pays du Sud-Estasiatique. Ce livre, comme le titre l’indique, ne parle pas des développements plustardifs qui ont donné naissance à la tradition du Grand Véhicule, présente dans lespays du nord (la Chine, la Corée, le Japon, le Tibet). Si l’on veut s’informer sur cetteautre forme de bouddhisme il faut se référer aux autres titres mentionnés dans cettebibliographie.

Textes traduits et présentés sous la direction de LilianSilburs, Le bouddhisme, Fayard, 1977, 524 p.

Cette sélection de textes bouddhiques indiens, chinois, japonais et tibétains (tousavec des commentaires très éclairants) off re aux lecteurs une intro d u c t i o nextrêmement riche à la tradition bouddhique et surtout à la manière dont elle aévolué au cours de son expansion. Pour en profiter au maximum il est préférable delire d’abord un ou deux livres d’introduction au bouddhisme.

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Mohan Wijayaratna, Sermons du Bouddha, Cerf, 1988,292 p. et Le Bouddha et ses disciples, Cerf, 1990, 262 p.

Ces deux livres de Wijayaratna offrent aux français la possibilité de lire den o m b reux sutta (du canon des écritures bouddhiques les plus anciens) quicontiennent les enseignements fondamentaux du Bouddha. Chaque sutta estaccompagné d’une introduction destinée à rendre la lecture plus fructueuse.L’ensemble de ces textes constituera un complément nécessaire à celle des autresouvrages qui présentent le bouddhisme de manière plus synthétique. Ces livres netraitent pas de la tradition du Grand Véhicule.

Quelques livres de bases sur le bouddhisme

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Gérard GrangeProfesseur à l’Institut de sciences et théologie des religions (I.S.T.R.) de Marseille.

QUELQUES LIVRESPOUR UNE MEILLEURE APPROCHE DU JUDAÏSME

Il est toujours difficile de « cibler » un groupe de lecteursdans une revue nouvelle comme la nôtre : n’indiquerons-nousque des livres techniques pour n’intéresser que dess p é c i a l i s t e s ? Faut-il se contenter de signaler quelquesparutions récentes susceptibles de répondre aux besoins de noslecteurs non encore férus de science hébraïque ? Laissons-nousguider par le plaisir, et choisissons dans l’immense productionen français quelques exemples de livres qui enrichiront ledialogue interreligieux… Je propose donc trois livres :

1. Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Cerf, 1993

On trouve aujourd’hui ce mode d’approche dans tous les domaines. Cedictionnaire se veut une adaptation française du livre-référence en ce domaine :Encyclopædia Judaïca de langue anglaise, lui-même adapté de l’énorme ouvragep a ru avant guerre, en allemand. Chaque question est traitée sobrement etclairement, de nombreux renvois permettent d’approfondir le sujet. Pour certainsthèmes, les auteurs ont utilisé le procédé du « pavé », qui résume l’essentiel àconnaître sur une question.

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Le choix des rubriques est double : soit on cite le mot en hébreu, transcrit enlettres occidentales, soit on le donne en traduction française, ce qui permet àquiconque d’entrer sans connaître l’équivalent hébraïque. Par exemple animout,chivah, chelochim, yarzeit, seront traités, chacun à sa place, dans l’ord realphabétique, mais la rubrique « deuil » permet au non initié de se renseigner surcette notion.

Il faut féliciter les auteurs d’avoir enrichi les exposés par de nombreuses cartes,de la plus simple, dessinant topographiquement une région, à la plus riche, quidécrit toute une histoire en un lieu géographique donné.

Voir page 1272 la carte des « communautés juives de France au XIII siècle ». Ony indique dans des encadrés, les faits importants qui s’y sont passés : par exemple« départ des rabbins » de Marseille, (et une flèche pour indiquer la destination deleur exil). On peut dire que ce travail fait du dictionnaire un véritable Atlasthématique, si apprécié aujourd’hui dans toutes sortes de disciplines.

Les titres de tous les livres du Tannakh (Bible hébraïque) donnent accès à autantd’introductions de chacun de ces livres. Le lecteur non-juif découvrira ce que lejudaïsme dit lui-même de ses textes fondateurs. On appréciera que le rédacteurexpose, quand c’est nécessaire, les points de vue divergents (pour la Tôrah, onn’élude pas, par exemple, les problèmes posés par la critique textuelle moderne,laissant au lecteur le choix de ses options personnelles).

On pourrait parler d’un deuxième livre, avec l’annexe de 276 pages: Esquisse del’histoire du Peuple Juif. Il est difficile de trouver tant de renseignements présentésd’une manière si lisible, qui nous brosse le périple complexe et si riche de ce Peupleunique en son genre, pour qui l’Histoire est « écriture de la volonté divinemanifestée et incarnée dans la chair de l’homme ».

Certains trouveront superflue la Troisième partie du dictionnaire, surtout s’ilsn’ont pas saisi l’importance vitale du temps pour le judaïsme. Pour éclairer leurréflexion, puis-je rappeler le merveilleux tout petit livre, devenu un classique, deAbraham Heschel Les bâtisseurs du Temps. Les Editions de Minuit coll. Aleph.

Les auteurs nous donnent les calendriers complets, avec les noms civils ethébraïques des années 1942-5702 (la Shoah) à 2022-5782… Certains pourront yinscrire eux-mêmes les dates importantes des périodes déjà historiques, les situantainsi dans leur contexte juif. Ce n’est pas une curiosité, c’est une trouvaille !

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A noter un index thématique, succinct mais très clair, qui aidera le lecteur àchoisir rapidement les rubriques qui concernent ses recherches…

Et pour conclure l’ouvrage, l’index général alphabétique simplifiera le choix desentrées à utiliser.

2. Aryeh Kaplan, La méditation et la Bible, Spiritualitésvivantes, Albin Michel, 1993.

Les chrétiens sont souvent déconcertés par la «pratique» juive ; ils ont du mal àpercevoir le souffle d’ordre spirituel qui anime le moindre geste. Leur lecture de laBible aussi nous déconcerte : n’en tirent-ils que des préceptes juridiques ? Unebonne réponse: le livre du Rav Aryeh Kaplan vient d’être traduit de l’anglais,préfacé par le Rav Marc-Alain Ouaknin, bien connu chez nous par ses travaux sisuggestifs sur les textes hassidiques.

La méditation est une réalité vécue depuis les origines du Peuple de la Bible, quia su tirer des textes, de tradition écrite ou oral bien plus que ce que l’on croit : il ena fait une authentique prière personnelle. Cet ouvrage est fondamental pour unemeilleure connaissance, de l’intérieur, du judaïsme. Il est probable que notre prièrechrétienne y puisera bien des richesses, à l’école de cette mystique trop méconnue.

3. Gérard Nahon, Métropoles et périphéries sepharadesd’occident, Coll. Passages, Cerf, 1993.

Pour ceux qui aiment connaître l’histoire de nos pays du pourtourméditerranéen, ce très bel ouvrage, technique et fortement documenté à partird’archives communautaires juives, donne des renseignements, souvent totalementinconnus, sur les populations diverses des riverains de ce qu’on a pu appeler la« Mer sepharade ». Quelques clichés faciles sont malmenés. Cette étude apporterabien des nuances aux affirmations rapides que l’on entend si souvent.

Quelques livres pour une meilleure approche du judaïsme

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I.S.T.R. de ParisDialogue interreligieux et

inculturation du christianisme

D’une façon assez régulière, l’Institut de science et de théologie des religions(I.S.T.R.) de l’Institut catholique de Paris propose à un large public des cycles deconférences permettant de faire le point de questions sur lesquelles travaillent auquotidien les enseignants et les étudiants de cet institut.

Le thème choisi pour les conférences de 1994 était à double entrée : le dialogueinterreligieux et l’inculturation du christianisme. Trois conférenciers, dont les textesseront publiés dans la revue de l’I.C.P., ont accepté de venir nous en entretenir, lePère Michaël Amaladoss, Jésuite, Indien, membre de la Curie Généralice de laCompagnie de Jésus à Rome, le Père Eugen Uzukwu, Spiritain, Nigérian, Professeurau Spintan International School of Theology et enseignant à l’I.S.T.R. de Paris,M g r Michaël Fitzgerald, des Missionnaires d’Afrique, originaire des IlesBritanniques, Secrétaire du Conseil Pontifical pour le Dialogue interreligieux àRome.

Que ces questions soient au centre de beaucoup de préoccupations aujourd’hui,il suffit pour s’en rendre compte de noter la nombreuse assistance venue écouter cesconférences, et aussi de relever les titres de quelques récents colloques ou numérosspéciaux de revues :

Revue Spiritus, n° 126, février 1992 : Colloque L’annonce de Jésus Christ et larencontre avec les religions.

Revue Catéchèse, n° 128, 3/1992 : Christianisme et autres religions.Revue Masses Ouvrières, n° 446, novembre décembre 1992, Le dialogue dans la

mission de l’Eglise.Revue Prêtres diocésains, mars avril l 993, Un seul sauveur pour tous les hommes.Session de l’ISPC de février 1993, La catéchèse au carrefour des religions, à paraître.Dans la Revue de l’Institut Catholique de Paris ces questions sont régulièrement

l’objet de dossiers : La religion, les religions (n° 19), Religions en dialogue (n° 38),Actualité d’une théologie des religions (n° 46).

Notons enfin la création en janvier 1993 de la revue Chemins de Dialogue, publiéepar l’I.S.T.R. de Marseille, nouvellement créé.

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La rencontre interreligieuse d’Assise le 27 octobre 1986, la publication de deuxdocuments romains à quelques mois de distance, en 1991 : La mission du Rédempteuret Dialogue et annonce, ont sûrement contribué a faire prendre conscience auxcatholiques de l’importance des enjeux de ces rencontres et de ces dialogues.

L’originalité de la demande qui était faite à ces trois théologiensinternationalement connus, et venant respectivement d’Afrique, d’Asie et d’Europepour ce cycle de conférences, était peut-être de les amener à distinguer, de leur pointde vue, des réalités qui apparaissent souvent insuffisamment précisées dans laconversation courante. Je pense en particulier à ces trois binômes : religion/culture,aire géographique/aire culturelle, dialogue/annonce.

Le rapport religion/culture est-il le même quand on parle de l’Afrique et de lareligion traditionnelle africaine ? de l’islam ? de l’Inde et de l’hindouisme ?

Si la religion traditionnelle africaine renvoie clairement à une aire géographique,il n’en va pas de même pour l’islam, et la question mérite d’être posée pourl’hindouisme.

On peut parler d’inculturation du christianisme en Afrique, et c’est sans douteen pensant d’abord à l’Afrique que cette expression a été forgée. Elle est reprise icipar Michaël Amaladoss pour l’Inde. Il s’interroge pourtant sur son adéquation. Ellen’est pas reprise par Michaël Fitzgerald parlant du dialogue entre chrétiens etmusulmans.

La façon dont on se présente pour dialoguer suppose donc qu’on dise clairementce qu’on souhaite annoncer, et quel sens peuvent prendre les mots, en particulier lemot « mission ».

Les trois conférenciers n’ont évidemment pas pu se rencontrer pour préparerensemble ce cycle de conférences. Il est d’autant plus significatif de repérer quelquesconvergences, et peut-être aussi des tonalités différentes. Les phrases que je relèveici se comprennent bien dans le contexte ecclésial, culturel et social dans lequel ellesont été prononcées. Mais n’est-il pas intéressant de les faire résonner en écho dansd’autres contextes, le nôtre en particulier ?

« Le défi que l’Evangile lance à la culture n’est pas limité à la tâche de construireune communauté chrétienne comme réponse à l‘Evangile. L’Evangile est aussi undéfi à la culture plus large pour qu’elle change » (Michaël Amaladoss).

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« Certains, à des degrés différents d’intégration, s’efforcent de vivre commehéritiers de deux traditions religieuses » (Michaël Amaladoss).

« Il faut insister : le dialogue ne vise pas la conversion, au sens d’un changementde religion. Il est vrai que dans le dialogue chacun sera amené à témoigner de safoi » (Michaël Fitzgerald)

« La quête pour l’harmonie révèle aux chrétiens et aux ministres combien lesacré et le profane sont liés, combien le quotidien est le lieu de l’expérience del’éternel, combien le matériel recèle le spirituel, combien Dieu aime le monde »(Eugen Uzukwu).

Jean Joncheray

Relais Maghreb-MéditerranéeJournées nationales - Viviers 1994

Les 14 et 15 mai derniers, les Relais Maghreb-Méditerranée se retrouvaient pourleurs journées nationales. Dans le prolongement de la recherche de Dôle sur « Descités à vivre », les membres des Relais s’interrogeaient : « dans les cités, des raisons devivre ». Nous mesurons l’enjeu de cette recherche lorsque nous savons quel’essentiel des rencontres avec des personnes venues du Maghreb et des rives de laMéditerranée, se jouent sur ce terrain des banlieues et des zones urbainespopulaires. A la marge de nos villes, dans les rencontres de l’action au quotidien,des chrétiens tissent des liens de solidarité, d’entraide et de dialogue avec despersonnes d’origine immigrée et de confession musulmane.

De la question du « sens » aux « raisons de vivre »

Au cœur de situations dures et éprouvantes, le non-sens de la vie est souventune réalité pour des adultes ou des jeunes. Pourtant, nous ne pouvons conclure trop

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vite qu’il existe, au cœur de ces cités, une recherche de sens. Cela supposerait uneprise de distance par rapport à l’expérience immédiate, une réflexion sur la directionà emprunter et sur une signification globale de l’existence. Peu d’entre nous sonttémoins d’une telle recherche élaborée de façon abstraite et quelque peu idéale.

Et pourtant, au cœur de situations parfois déshumanisantes, nous entendons desappels et des cris de protestation qui manifestent l’attente d’un autrement, d’unmieux-vivre. C’est la demande de ce jeune qui, pour la cinquième fois, retombe enprison à cause de la drogue, et qui interpelle le prêtre venu le visiter : « Trouve-moiune raison de vivre dans le quartier où j’habite » ! Trouver, se donner, se forger desraisons de vivre, là où tout invite à se laisser sombrer et à désespérer. Voilà le défilancé à l’Eglise, dans les marges de notre société, et qui est devenu l’objet de larecherche des Relais Maghreb durant ces journées nationales.

Nécessaires outils d’analyse

Une telle recherche ne pouvait faire l’économie d’une analyse des situations aveclesquelles les participants sont aux prises, chaque jour. Ce détour théorique est ardupour beaucoup, mais nécessaire si on veut dépasser le simple éprouvé ou le seulniveau romantique de la rencontre entre français et maghrébins, chrétiens etmusulmans (les trois interventions théoriques, les témoignages d’expériences et lesdiverses interventions sont publiés dans un numéro spécial des Cahiers de la pastoraledes migrants).

Marine Zecca, anthropologue, fournit, dans son domaine, des outils intéressantspour analyser le vécu quotidien dans les cités. La recherche des raisons de vivre estinséparable des rapports sociaux et de l’imaginaire qui habite un groupe. Marinefournit les éléments pour comprendre ce qui bouge aujourd’hui, dans la productiondu lien social (rupture de la matrice de communication), dans la manière d’habiterl’espace (une géométrie subjective), de gérer la vie sociale (de l’institution auservice), etc. Nul doute que les Relais tireront le plus grande profit de la reprise et del’appropriation de ces outils que Marine a présentés à partir de son expérienced’analyse sur des terrains divers.

Fred Poche, philosophe, s’intéressa aux espaces de parole comme lieux desructuration des identités. Trouver des raisons de vivre ne se réalise que dans l’actede prendre la parole. Encore faut-il ne pas niveler les lieux de parole. Fred fournitdes repères pour les différencier : négociation, conversation, partage, dialogue. Dansces diverses espaces de parole, la rencontre ne se vit pas au même niveau et nesollicite pas les individus de la même manière. Ici encore, la reprise des réflexionsde Fred Poche sera utile dans les Relais pour identifier ce qui se joue dans les

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diverses formes de rencontre entre français et maghrébins. Une réflexion sur ledialogue interreligieux, vécu dans le quotidien de l’existence, ne peut faireabstraction de cette différenciation.

Evangile et raisons de vivre

L’intervention théologique avait pour but de situer la place de l’Evangile dans larecherche des raisons de vivre. Si nous acceptons de sortir d’une vision globale del’existence, telle que la problématique du sens nous laissait paraître, nous nousdonnons une chance de redécouvrir l’Evangile comme Parole qui sollicite lesindividus dans leur devenir d’homme. En effet, l’Evangile n’est peut-être pas unréservoir de sens disponible et tout fait. N’est-il pas plutôt une parole que Dieuadresse aux hommes et qui les interroge sur leurs raisons de vivre tout en leurproposant un chemin d’humanité ? Consentir à accueillir cette interpellation et cetteproposition conduit à découvrir une façon nouvelle et surprenante de devenirhomme.

Si les chrétiens ne sont pas les seuls à élaborer des raisons de vivre, il ne faut pasnier que leurs initiatives et leurs insistances sont colorées par l’accueil de l’Evangile.Il ne s’agit pas pour eux de devenir des donneurs de leçons, mais d’oser témoigner,au cœur de la rencontre et des divers espaces de parole, de ce à quoi l’Evangile lesappelle. C’est là où des hommes différents acceptent de vivre ensemble et de separler, par la nécessaire médiation du témoignage des communautés de croyants,que la parole de Dieu peut redevenir question pour les hommes et que l’Evangileretrouve un nouvel avenir dans les cités où tant d’adultes et de jeunes s’épuisent àélaborer des raisons de vivre.

S’il existe un signe des temps auquel l’Eglise se doit d’être attentive, c’est bien cequi se joue dans les cités. Des millions d’hommes et de femmes y vivent dessituations souvent déshumanisantes. Beaucoup luttent pour conserver le droit d’êtreou de rester des hommes. Sans romantisme, l’Eglise est appelée à y être présente,solidaire des combats et de ces espoirs, audacieuse et inventive pour sa mission. Larecherche de ces journées nationales des Relais Maghreb-Méditerranée s’inscrit dansles efforts de l’Eglise tout entière pour être fidèle aux hommes et à l’Evangile duChrist. Avançant sur les chemins d’une fidélité inventive et coûteuse à l’Esprit duChrist, ouvrant dans les cités de nouveaux chemins de dialogue, les membres desRelais découvrent que l’enjeu de cette recherche déborde le cadre de leur groupepour concerner toute l’Eglise. C’est une chance à saisir… c’est une grâce !

Jean-Luc Brunin

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TABLE DES MATIÈRES

Sommaire 9

Liminaire[Jean-Marc Aveline - Christian Salenson] 11

I. Dialogue et mission : XXX° anniversaire d’Ecclesiam suam 19

Présentation 21

Paul VI et la mission de l’Eglise[Jean Chelini] 25Introduction 251. Les caractères originaux d’Ecclesiam suam 272. Le mystère de l’Eglise 343. Le dialogue et les dialogues 37Conclusion 46

Dialogue au cœur de la mission. Perspectives ecclésiologiques[Maurice Vidal] 491. L’encyclique du dialogue 512. Théologie du dialogue 553. Cohérence et tensions 59Conclusion 63

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Le dialogue chemin de la mission[Jozef Card. Tomko] 651. Documents et événements 67

A) Ecclesiam suam : base historique et idéale 67B) Documents conciliaires : le visage du dialogue interreligieux 69C) Evangelii nuntiandi : un temps d’arrêt ? 73D) L’impulsion de Jean-Paul II 76E) Les plus récents développements 80

2. Questions et lignes de solution 84A) Dialogue et salut 85B) Le rôle des religions dans le salut 89C) Pluralisme religieux ? 92D) L’égalité dans le dialogue 96E) Vision symphonique 100

Conclusion 105

II. Religions et violences 107

Présentation 109

A travers l’histoire : intolérance ou dialogue ? [Jean Comby] 1131. Les religions dans les conflits contemporains 1132. Enquête sur les textes fondateurs 1153. Les multiples visages de l’intolérance et de la violence religieuses 1204. Conclusion : du bon usage de l’histoire 124

« Les paroles de l’un et les paroles de l’autre… »[Jean-Marc Chouraqui] 1291. Monothéisme et intolérance 1302. Neutralisation de la violence religieuse par la tradition juive 1343. De l’importance de l’étude historique 137

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Les relations entre les religions : tolérance ou violence ? [Mgr Michel Sabbah] 1411. Position du problème 1412. Racines de l’extrémisme religieux 1453. Des raisons d’espérer 147Conclusion 149

De la violence et de la tolérance dans l’islam[Dalil Boubakeur] 1511. L’islam et la violence 1532. Perspectives contemporaines 157

III. La foi chrétienne à la rencontre des religions 163

Présentation 165

Enseignement de la Bible et connaissance des religions[Pierre Gibert] 1691. Juifs et chrétiens… 1712. … Islam et Ecritures 1733. Quel « ancien » Testament ? 1764. Enjeux d’une impossible conclusion 179

Penser la foi au cœur de la rencontre[Jean-Marc Aveline] 1831. Quelques prises de conscience à opérer 1842. Quelques pistes de réflexion 194

A) Le christianisme parmi les religions 195B) La foi chrétienne réinterrogée 199

Conclusion 205

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Réflexions sur la rencontre de l’autre[Jean Landousies] 2091. Réévaluer le dialogue 2102. Parler vrai, vivre vrai 2123. Fonder théologiquement et spirituellement le dialogue 2154. Perspectives 219

Recensions 223

Quelques livres de bases sur le bouddhisme[Dennis Gira] 225

Quelques livres pour une meilleure approche du judaïsme[Gérard Grange] 231

Ephéméride 235

Dialogue interreligieux et inculturation du christianisme[Jean Joncheray, I.S.T.R. de Paris] 237

Journées nationales - Viviers 1994[Jean-Luc Brunin, Relais Maghreb-Méditérranée] 239

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Achevé d’imprimer en septembre 1994sur les presses de l’imprimerie A. Robert

116, Bd de la Pomme - 13012 MarseilleDépôt légal septembre 1994

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Chemins de Dialogue

Ouvrir des chemins de dialogue : tel est l’objectif de l’Institut desciences et théologie des religions, créé en octobre 1992 à l’initiativede l’Eglise catholique de Marseille.

Lieu d’enseignement et de recherche, l’I.S.T.R. se veut aussi unlieu d’échange et de partage.

Avec Chemins de Dialogue, l’I.S.T.R. souhaite servir et stimuler,bien au-delà de Marseille, la re n c o n t re entre les croyants desdiverses religions, pour que celles-ci soient facteurs de paix etd’unité entre les hommes, dans le respect de leurs différences.

Ce quatrième numéro comporte trois dossiers :

I. Dialogue et mission : XXX° anniversaire d’Ecclesiam suamJean Chelini - Maurice Vidal - Jozef Card. Tomko

II. Religions et violencesJean Comby - Jean-Marc Chouraqui

Mgr Michel Sabbah - Dalil Boubakeur

III. La foi chrétienne à la rencontre des religionsPierre Gibert - Jean-Marc Aveline - Jean Landousies

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