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3 LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automne 2020 C onservateur Le nouveau Numéro 1 AUTOMNE 2020 « La vérité de toute chose est dans son commencement. » Platon « Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. » Albert Camus « La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière. » François-René de Chateaubriand « Tout ce qui élève unit. » Charles Péguy

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LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automne 2020

ConservateurLe nouveau

Numéro 1

AUTOMNE 2020

« La vérité de toute chose est dans son commencement. »Platon

« Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait

pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus

grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. »

Albert Camus

« La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière. » François-René de Chateaubriand

« Tout ce qui élève unit. » Charles Péguy

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LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automnes 2020

oici plus de trois siècles, les fondements classiques de la civilisation et de la politique françaises, qui avaient été admirablement constants au cours des siècles précédents, se voyaient remis en cause par une cosmogonie nouvelle,

substituant peu à peu, aux anciennes guides de la tradition, la promesse d’un progrès indéfini, et d’une modernité qui, en quelques générations, disqualifia l’un après l’autre les fondements de ce qui dès lors passa pour l’« ancien monde ».

Paul Hazard a décrit ce bouleversement, qu’il situe dans les années 1680-1720, dans un livre fameux, La Crise de la conscience européenne : « La majorité des Français pensait comme Bossuet ; tout à coup, ils pensent comme Voltaire. »

Le phénomène fut brutal : l’« ancien monde » qu’avaient forgé les cultures an-tiques puis chrétiennes, ainsi que les efforts de la monarchie française pour établir un Bien Commun capable de garantir, aussi imparfait fût-il, un ordre juste, n’eut dès lors pour seuls défenseurs que ces « Classiques » que les « Modernes », conqué-rant l’un après l’autre les domaines de la pensée, puis les instruments de l’action, se mirent à nommer « Anciens », puis « Réactionnaires ». Il y en eut certes de brillants : sous la Restauration quand fut créée, en 1818, la revue « Le Conservateur » autour de Libéraux comme François-René de Chateaubriand ou Benjamin Constant et d’ultra royalistes comme Louis de Bonald, Joseph de Villèle ou le père de Lamennais que l’on peut tenir pour l’un des fondateurs de la démocratie chrétienne. Il y en eut aussi dans la suite des grandes guerres : après Sedan, quand monarchistes et catholiques refleurirent en pensées fécondes ; après la Grande Guerre de 14-18, notamment autour de la puissante Ecole d’Action française ; après le désastre de 1940, notam-ment dans le foisonnement intellectuel de la Résistance qui ouvrit la magnifique restauration gaulliste. Réactions chaque fois salvatrices mais chaque fois éphémères, la fantasmagorie du Progrès (paradigme commun à toute la gauche, comme il l’est aux fausses droites que son hégémonie intellectuelle a colonisées) reprenant toujours le dessus avec sa petite soeur Modernité, aux séductions toujours trompeuses mais sans cesse renouvelées.

Or, après trois siècles de domination sur les esprits, renforcée par celle des puissances anglo-saxonnes, ce progressisme qui se donnait pour éternel, magique et quasi-divin, dissipe sous nos yeux ses sortilèges : peu à peu, depuis le tournant du troisième millénaire, la Modernité s’assimile de moins en moins aux éternelles promesses de l’« avenir » et de plus en plus à une succession de menaces de tous ordres, social, financier, moral, militaire que le progrès scientifique et technique rend souvent effrayantes menaces multiformes sur la Nature aussi, notamment la nature humaine et jusqu’à l’humanité même de l’Homme. L’arraisonnement progressif de toutes les activités humaines par la technique, le commerce et la marchandise, épuise l’homme d’aujourd’hui, écrasé par un matérialisme de plus en plus réducteur, an-goissant, totalitaire.

VLe Nouveau Conservateur

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LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automne 2020

Sous mille formes, l’effondrement du modernisme redonne aujourd’hui la parole aux Classiques : un monde meurt, tandis que, à bas bruit, les racines du monde reverdissent, selon les invariants mêmes de la condition humaine, nourries par une nostalgie nouvelle, mais puissante et féconde, pour les traditions, les valeurs, les saveurs et les savoirs qu’on aurait pu croire disqualifiés pour toujours - voir par exemple les réflexes de l’écologie, aussi contradictoires et désordonnés soient ils. L’Histoire serait-elle plus cyclique que linéaire ? C’est cet étonnant basculement que la revue trimestrielle Le Nouveau Conservateur entend décrire ici, et par-dessus tout instruire, pour que de nouvelles générations l’inscrivent dans le fil de notre longue histoire tant il est vrai que l’Histoire n’est pas une ligne droite progressant mécaniquement vers l’on ne sait quel nirvana, et qu’elle est aussi faite de cycles, de décadences, de restaurations et de renaissances.

Les fondateurs du Nouveau Conservateur, sûrs que d’immenses périls menacent aujourd’hui la France, l’Europe, et peut-être le monde dans son entier, entendent œuvrer à la création d’une force politique nouvelle, cœur et noyau dur d’une droite française aux héritages prestigieux mais qui, hélas, a peu à peu abandonné le terrain intellectuel, faute de savoir remettre en cause les paradigmes de ses adversaires ; ils appellent à la résurgence de la pensée française classique, que l’on peut dire conser-vatrice (sans référence aux conservatismes étrangers qui n’entrent pas toujours dans ses traditions propres), et qui, certes, ne sont pas sans lien avec des mouvements dont elles partagent bien des prémices : le souverainisme, qui pourrait être l’autre nom de la tradition politique capétienne ; le libéralisme aussi, bien qu’il soit traversé de sens fort contradictoires, ou encore ce vaillant « populisme » qui, s’il retrouve certes les réflexes de notre peuple, ne saurait suffire à créer une culture et, partant, une force de Gouvernement propre à redresser seul un pays qui s’abandonne car telle est bien notre ambition.

L’esprit conservateur (car il s’agit là davantage d’une manière de voir et d’être que d’une idéologie) se veut donc l’instituteur d’une double réconciliation : de la droite avec elle-même, d’abord ; mais aussi des Français avec l’essentiel d’eux-mêmes. Tel est le projet d’une revue qui sollicitera des intellectuels, des politiques et des prati-ciens venus de divers horizons, et qui s’inscrit dans la grande réforme intellectuelle et morale sans laquelle il ne sera bientôt plus possible de redresser et perpétuer l’État, ni la nation, ni même ce que nous persistons à appeler, en ce que ses diverses sources sont plus que deux fois millénaires, la continuité de la civilisation française.

Paul-Marie Coûteaux

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LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automnes 2020

Editorial, par Jean-Frédéric Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8, 9

Dossier : Covid et totalitarismePrésentation par Paul-Marie Coûteaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 à 20Le virus qui mine le progressisme : Grand entretien croisé Marion Maréchal et Vincenzo Sofo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 à 30La Covid, un « mai 68 à l’envers » : Entretien avec Philippe de Villiers . . . . . . 31 à 34Nous ne faisons qu’apercevoir les premières conséquences économiques par Victor Fouquet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35, 36Covid : quand le Nasdaq prend le pouvoir par Éric Favir . . . . . . . . . . . . . . . . 37 à 40Quelques revenus versés par l’industrie pharmaceutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41Covid, une gestion désastreuse : Entretien avec Valérie Boyer . . . . . . . . . . . . . 42 à 47Le télétravail : instrument de contrôle ou de libération ? par Sébastien Pilard . 48, 49L’inquiétante claustration par Jacques de Guillebon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50, 51Covid : le management par la peur : Entretien avec Xavier Lemoine . . . . . . . . 52, 55La Covid : face à nos défaillances, les propositions du PCD par Christophe Bentz & autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 à 58

Politique étrangère d’abordPrésentation par pmc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59, 60« Evitons de donner des leçons » : Entretien avec Philippe Marini . . . . . . . . . 61 à 64Boris Johnson, conservateur de la nation britannique par Hadrien Desuin . . . 65 à 67Victoire des Conservateurs en Pologne par Thierry Boutet . . . . . . . . . . . . . . . . 68, 69Afrique du Sud : la guerre raciale par Bernard Lugan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70, 71L’islam à la conquête de l’Occident par Francis Jubert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

Politique française & SouverainetéPrésentation par pmc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73Retrouver la synthèse gaullienne, une alliance de la bourgeoisie nationale et du peuple : Entretien avec Eric Zemmour . . . 74, 75Nous passons du statut de « phare du monde » à celui d’exemple à ne pas suivre : Entretien avec Thierry Mariani . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 à 80Qu’est ce que le souverainisme ? par Paul-Marie Coûteaux . . . . . . . . . . . . . . . 81 à 83Une image vaut mille mots : Philippe Martel, Fabrice Fanet, Arthur Ferrière, Jean Messiha . . . . . . . . 84, 85Macron : « On m’aime tant ! » par Pierre Lours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86, 87Immigration ou Invasion ? par François de Voyer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 à 92France : la grande régression des libertés par Frédéric Pichon . . . . . . . . . . . . . . 93-96

Sommaire

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Écologie, économie & territoirePrésentation par pmc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97, 98L’écologisme contre l’écologie : Entretien avec Bruno Durieux . . . . . . . . . . . . 99 à 101L’écologie dans le christianisme par l’abbé Guillaume de Tanoüarn . . . . . . . . 102 à 105 Conservatisme : un regard modeste sur la nature par Diane de Bourguesdon . 106, 107Reflexions sur l’héritage et la justice fiscale par Victor Fouquet . . . . . . . . . . . . 108, 109Conservateurs et libéraux : ennemis ou alliés ? par Jean-Philippe Delsol . . . . . 110 à 112

Culture, civilisations & patrimoinePrésentation par pmc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113, 114L’éducation est par essence conservatrice par Anne Coffinier . . . . . . . . . . . . . . 115-117Jean Raspail, l’aventurier par Gilles Brochard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118De Gaulle à l’ombre de Chateaubriand par Philippe de Saint Robert . . . . . . . 119, 121De Gaulle chez Franco par François Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122, 125 Une image vaut mille mots : Christine Boutin, Ludovine de La Rochère, Emmanuelle Ménard, David-Xavier Weiss, Nicolas Tardy-Joubert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126, 127Le Conservateur de la Langue : La Carpette anglaise à l’honneur . . . . . . . . . . . 128 Lectures : R . Camus, A . Finkielkraut, R . Labévière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 à 131Grands écrans, Petit écran, arts plastiques par C . Rouvier et J .-L . Marsat . . . . 132 à 134

Conservateurs & SouverainistesPrésentation par pmc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135Municipales 2020 : les enseignements politiques par Emmanuelle Ménard . . . 136, 137 Aujourd’hui, l’opposition est entre enracinés et déracinés : Entretien avec Ivan Rioufol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138, 139Le conservatisme, pour Scruton, est le parti de la durée et des permanences par Mathieu Bock-Côté. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140, 141Conserver « l’Amitié politique » selon Aristote par Thierry Boutet . . . . . . . . . 142, 143Un colloque de l’IPC sur le conservatisme par Francis Jubert . . . . . . . . . . . . . 144Gustave Le Bon, un regard conservateur sur la manipulation des foules par Catherine Rouvier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

Bulletin d’abonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146

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LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automnes 2020

Editorial

Transmettre ce qui doit durer, et adapter le reste

par Jean-Frédéric Poisson,directeur de la publication

uelle drôle d’idée ! Dans un monde où plus personne ne lit, où l’on n’a plus le temps de rien, où les écrans nous apprennent à ne lire qu’avec les yeux quand un livre nous apprend à lire avec les mains, nous publions une revue en bon vieux papier. Pourquoi être aussi anti-moderne ?

Et il y a pire : cette revue ambitionne d’être celle des conservateurs, catégorie longtemps bannie du vocabulaire politique en France. Nous serions toujours sous la tutelle de cette idée qu’il y a, en politique plus encore qu’ailleurs, une seule direction possible : faire table rase du passé. A quoi bon y revenir ?

Et nous avons même franchi un pas supplémentaire dans l’horreur - ou dans l’aveuglement, ou dans la provocation, ou les trois à la fois : cette revue n’est pas seulement celle des conser-vateurs, mais celle des « nouveaux » conservateurs. Comme s’il pouvait y avoir quoi que ce soit de neuf dans le conservatisme, qui repose en apparence sur cette idée que les seules vérités qui comptent ... comptent précisément parce qu’elles n’ont rien de nouveau !

Se conjugueraient donc dans cette publication à la fois l’inanité du papier, l’inutilité du but politique, et un mensonge sur le titre. On a connu des démarrages plus favorables.

Pourtant, le conservatisme politique ne s’est jamais aussi bien porté. C’est vrai, ce mot était banni du débat public il y a quelques années encore. Il évoquait pêle mêle tout ce que l’opinion publique rejette paraît-il en bloc : l’attachement à la morale, au patrimoine, aux traditions culturelles, à la préservation des modes de vie anciens – en un mot tout ce qui apparaissait s’opposer à la religion moderne du « progrès ». Il était plombé par quelques exemples interna-tionaux qui ne donnaient pas forcément envie.

Mais les temps ont changé. Partout dans le monde, la contestation gronde contre la glo-balisation. On entend cette volonté simple exprimée par les peuples : ne pas disparaître. Les oppositions à la mondialisation prennent des formes diverses : depuis l’expression démocra-tique des peuples européens ou américains, jusqu’à, dans certains de ses aspects, la volonté de domination engagée de l’Islam sur le monde. Cette volonté s’exprime d’ailleurs d’une ma-nière parfois paradoxale : comment comprendre l’engouement nouveau pour l’écologie, sinon comme une très conservatrice, en un sens, volonté de renouer avec l’enracinement, et la vie harmonieuse avec la nature ? Bref, le conservatisme est en train de triompher de toute part. À défaut de gagner toutes les élections, il devient la référence sans laquelle il n’est pas possible de penser l’avenir politique de nos pays.

Ce sont les dogmes de la religion progressiste qui font naufrageY a-t-il quoi que ce soit de nouveau là-dedans ? Pas le corps de doctrine, même si le conserva-

tisme bien compris est l’attitude intellectuelle qui consiste à vouloir transmettre ce qui doit durer, et adapter le reste. Ce qui est nouveau, c’est que les circonstances le rendent impératif. Ce premier

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LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automne 2020

numéro est publié alors que nous sommes encore sous le coup de l’épidémie de la Covid 19. On ne compte plus les incantations au titre desquelles un monde radicalement nouveau accouchera de cette crise sanitaire. Les dirigeants occidentaux, et particulièrement les nôtres, ne cessent de ras-surer le peuple sur leur capacité à tirer les enseignements de la pandémie, et à orienter les sociétés occidentales dans un nouveau et bon sens. Il n’en est rien. Les épisodes les plus récents de notre vie politique, en particulier le changement de gouvernement, les récents accords européens, et l’ab-sence revendiquée de changement de cap, renseignent suffisamment sur le fait que, si personne ne s’attache à élaborer un projet de redressement pour notre pays, les mêmes causes, modernes et néolibérales, produi-ront les mêmes effets dévastateurs.

Ce qui est nouveau, c’est que cette crise ne nous a rien appris. Elle n’a fait que confirmer le bien fondé des convic-tions que de nombreux acteurs politiques, universitaires, associatifs, économiques et beaucoup de nos compatriotes portent depuis longtemps : ce ne sont pas les remugles et la vieillesse du monde ancien, mais bien au contraire les dogmes de la religion progressiste, qui sont un naufrage. De sorte qu’il n’y a plus aujourd’hui que deux attitudes politiques possibles : la première consiste à persister dans l’aveuglement, en continuant à penser que seul l’aban-don définitif des principes du monde ancien assurera le bonheur de l’humanité ; c’est cette posture qui achève de tomber en ruine sous nos yeux. La seconde consiste à chercher dans les permanences du monde ancien ce qui doit nous aider à affronter et régler les crises nombreuses et douloureuses que nous traversons. Une mauvaise manière consisterait à vouloir répliquer, purement et simplement, une sorte « d’âge d’or ». Ou bien encore de considérer que tout ce qui allait de soi avant-hier continue d’aller de soi aujourd’hui, de sorte qu’aucun travail préalable de lecture du monde d’aujourd’hui ne serait nécessaire. Au fond, ce qui est nouveau, ce n’est pas le conservatisme en lui-même, mais l’attitude que doivent adopter les conservateurs, s’ils veulent réussir à proposer aux peuples un véritable projet politique.

C’est clairement dans cette perspective que se situe Le Nouveau Conservateur. En France, les idées ne manquent pas, et n’ont du reste jamais manqué. Le peuple exprime des attentes auxquelles les conservateurs doivent répondre. Ces derniers ont par conséquent le double de-voir d’élaborer cette réponse et de lui donner un caractère collectif. La France n’a plus le temps d’être bernée par des candidats qui font semblant d’être conservateurs, alors qu’ils ne l’ont jamais été, qu’ils ne le seront jamais, et qu’ils oublient même l’avoir été le temps d’une cam-pagne dès que celle-ci s’achève. La sincérité, et plus encore la véracité, tout autant que la cohé-rence entre les paroles et les actes, et la constance dans la défense des idées sont des attitudes conformes à la pensée conservatrice. Notre mission consiste à le rappeler aux électeurs.

Par ailleurs, le temps n’est plus - s’il l’a jamais été - à entretenir les fractures, souvent arti-ficielles, qu’une certaine gauche « morale » a introduites dans la vie politique française dans le seul but d’en tirer profit. Notre ambition consiste à faire parler, dialoguer, travailler, préparer ensemble toutes les personnes qui se reconnaissent dans la pensée et le message conservateurs. À la première urgence qui consiste à montrer la capacité de la pensée conservatrice à élaborer un projet durable de redressement pour notre pays, correspond la seconde urgence, pour les conservateurs eux-mêmes, de montrer leur capacité de travail en commun, puis de rassemble-ment. Le Nouveau Conservateur poursuivra cette double ambition.

À la première urgence qui consiste à montrer la capacité de la pensée conservatrice à élaborer un projet durable de redressement pour notre pays, correspond la seconde urgence, pour les conservateurs eux-mêmes : montrer leur capacité de travail en commun, puis de rassemblement.

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Dossier de la saison : Covid et totalitarisme

Lu dans La Revue Politique et Parlementaire n° 1094-1095, janvier-juin 2020

Covid : quelques données chiffrées

Depuis 1945, on recense treize autres moments qui ont vu la mortalité s’ac-croître soudainement pour cause d’in-fections pulmonaires, principalement des grippes. 1949 et ses 60 000 morts de plus par rapport à 1948 semblent oubliés. L’analyse qu’en fit la revue de l’Ined, Population, en 1950, n’est pas sans évoquer certains traits de la crise actuelle : « A priori, un tel excédent d’hi-ver pourrait provenir de conditions cli-matiques plus mauvaises, mais comme 1948 et 1949 ont joui d’hivers doux, il faut plutôt accuser l’épidémie de grippe de janvier. L’augmentation du nombre de décès par maladies de l’appareil respi-ratoire d’origine non tuberculeuse, qui a accompagné l’épidémie de grippe, doit être considérée en grande partie, comme une conséquence de celle-ci ». Cette «  grippe », particulièrement tueuse, dé-rivant en pneumonie fatale et s’attaquant aux plus âgés, paraitrait presque prophé-tique lorsqu’on songe à la Covid d’au-jourd’hui, même si le virus est différent et la prise en charge médicale a changé. La grippe asiatique (1957) ou celle de Hong Kong (1968-1970), entraînèrent un sur-croît de 30 000 à 45 000 décès.

Les grippes tueuses des Trente Glo-rieuses ont été également marquées par des pics de mortalité liés à la grippe sai-sonnière. Celles de 1953 et 1968-1969 ont causé le plus grand nombre de vic-times - entre 40 000 et 50 000 morts de plus pour les mêmes périodes. Comme le souligne une étude de l’Ined, « jusqu’à la fin des années 1960, chaque épidé-mie de grippe faisait directement entre 20  000 et 40 000 victimes ».

Le développement de la prévention, la vaccination, mais aussi « une meilleure prise en charge thérapeutique des com-plications  » permettent de réduire dura-blement le nombre des décès à compter des années 1970. Pendant plus de qua-rante ans, la surmortalité liée à la grippe recule nettement. Certes, les épidémies engendrent toujours des surmortalités, notamment en 1973 et 1993. Au regard de la situation actuelle, on parlera bien-tôt d’un véritable âge d’or. Mais par im-prévisibilité et mesures d’économie, cette situation va se retourner. Les années 2000 sont d’abord marquées par un premier épisode de surmortalité en août 2003. Celui-ci, d’abord silencieux, tandis que les pouvoirs publics restent aveugles puis persistent dans le déni, a défrayé la chro-nique et engendré 15 000 à 20 000 décès supplémentaires par rapport à août 2002.

Plus récemment, les bilans démo-graphiques de 2015 et 2017 traduisent une importante surmortalité grippale : au total, + 25 000 décès environ dans l’hi-ver 2015 par rapport aux années précé-dentes. Il s’agit de l’épidémie de grippe la plus aiguë depuis celle de Hong Kong de 1969, avec un impact sévère chez les plus de 65 ans. En 2017, le mois de janvier est de nouveau marqué par des morts plus nombreuses, du fait de la nouvelle grippe saisonnière : au total 20 à 25 000 décès dûs à la grippe.

En 2018, nouveau pic de mortalité, lié à la « grippe hivernale » selon l’Insee, qui ajoute : « cette épidémie exceptionnelle-ment longue a contribué au niveau éle-vé de mortalité des personnes âgées ». Celle de 2020 s’inscrit dans cette série.

Donnons-nous une échelle de mesure en faisant le point sur d’autres épisodes de surmortalité parfois oubliés. Les données mensuelles sur la mortalité, publiées

par l’Insee et l’Ined repèrent treize épisodes de surmortalité depuis 1946.

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Dossier de la saison : Covid et totalitarisme

e virus à l›origine de la Covid n’a pas fini de faire parler de lui – et, surtout, de faire réfléchir, comme nous nous efforçons de le faire

dans le présent dossier. Apparu en octobre 2019 (les premiers cas ont été relevés lors des Jeux Militaires Mondiaux accueillis du 18 au 27 octobre à Wuhan – mais le virus a pu naître ailleurs), il s’est propagé à partir de novembre dans la province du Hubei puis, notable-ment contagieux, toucha tous les continents (surtout l’Europe de l’Ouest et l’Amérique) jusqu’à bouleverser la politique des Etats, mais aussi, plus profondément encore, les esprits et les mentalités, au point que les comparaisons historiques se multiplient à foison : le monde n’aurait pas connu plus meurtrière épidémie depuis la grippe de 1919, les bouleversements sociaux seraient aussi profonds que ceux qu’en-traina la deuxième Guerre Mondiale, la crise économique qu’elle engendre aurait l’ampleur de celle de 1929, etc. Cette épidémie aura tant marqué l’année 2020, elle entraîne d’ores et déjà tant de mutations politiques, et, surtout, révèle si crûment les fragilités de ce monde qui meurt et qui tente encore de s’appeler « le monde moderne » qu’il était immanquable que Le Nouveau Conservateur lui consacrât son premier dossier, c’est-à-dire un ensemble aussi hétéroclite qu’empirique d’articles et entretiens. Pour ce faire, nous avons remis de quelques mois le lancement de notre revue et changé son thème initial (« Que signifie être conservateur aujourd’hui ? »), thème du numé-ro 2 à paraître en décembre afin de traiter, pour ainsi dire « à chaud », l’étrange phénomène, en effet historique, qu’il constitue. A vrai dire, l’esprit reste interloqué devant une telle dispro-portion entre la cause et les effets : d’une épi-

démie comme il y en eut tant dans l’histoire, bien plus mortelles, située assez bas dans la liste des causes de mortalité dans le monde (les pi-qûres de moustiques tuent davantage chaque année, et de même les infections dues au ta-bac, pourtant en vente libre – 74 000 morts par an en France), on fit une telle affaire, qui emporte tant de conséquences et dit tant de notre univers et de ce que pourrait être la vie des hommes dans un avenir proche, que le présent dossier répond d’ores et déjà à la ques-tion, non du conservatisme (mot à éviter, nous le verrons), mais de « l’esprit conservateur » - et surtout de l’urgente nécessité de retrouver son sens et son inspiration face au totalitarisme qu’elle porte comme un nuage la tempête.

Affaire riche en mystères que, face à l’éton-nant affolement médiatique qui la monte en épingle audelà de toute mesure, nous devons regarder calmement. Commençons par les chiffres : comme le montre le tableau ci-contre, non seulement le nombre de décès de la Co-vid (800 000 morts dans le monde, 30 667 en France au 6 septembre 2020) est très inférieur à ceux de la fameuse pandémie de 1919 qui au-rait provoqué entre 40 et 50 millions de morts, mais le tableau épidémiologique dressé depuis 1945 montre que, ce que nous nommons « pan-démie » depuis que, en 2009, l’OMS a élargi la définition du mot en écartant le critère quan-titatif pour ne retenir que celui de la diffusion géographique (incluant ainsi ce qui eut encore été nommé naguère épidémie), nous sommes cette année en deçà d’épidémies de grippe plus meurtrières, à 13 reprises depuis 75 ans - en 1969 par exemple, la grippe de Hong Kong aurait provoqué entre 40 et 60 000 morts. De sorte que le professeur Didier Raoult, directeur de l’IHU de Marseille, présenté jusqu’à cette

Réflexions toutes personnelles sur les grandes avancées du techno-progressisme

Lpar Paul-Marie Coûteaux

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LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automne 2020

Dossier de la saison : Covid et totalitarisme

affaire comme le meilleur infectiologue d’Eu-rope avant d’être traduit devant l’Ordre des médecins pour diffusions d’informations « non appropriées », a pu dire, chiffres à l’appui, que la Covid n’a pas fait beaucoup plus de morts que la grippe de 2017, laquelle passa à peu près inaperçue. Plus frappants encore, les chiffres de la surmortalité annuelle : selon l’Insee, le nombre total de décès, toutes causes confon-dues, enregistrés en France en 2020 pendant la période longue de l’épidémie (1e janvier-30 mai, soit 5 mois) fut de 238 271, bilan infé-rieur à ce qu’il fut en 2017. Or, bien qu’elles fussent plus meurtrières, les 13 épidémies qui ont jalonné les 75 dernières années n’ont sus-cité ni psychose ni mesure particulière, sinon l’ancestral conseil de ne pas cracher au visage de ses contemporains et de se laver les mains régu-lièrement -ce qui relève moins de la politique sanitaire que de la convenance et du simple bon sens, deux vertus, il est vrai, devenues entre temps réactionnaires…

Énigmes en cascadeComment expliquer la disproportion entre

la cause et la conséquence ? Telle est la première des énigmes qu’aura multipliées cette affaire, qui interpellent la raison et à laquelle la raison, pour complotiste qu’elle soit aux yeux des écer-velés qui prennent l’habitude de flétrir par ce mot le simple exercice de l’intelligence, doit ré-pondre un jour : car il faudra bien trouver des réponses à tant de défis lancés à l’entendement.

Or, des énigmes, il y en a des cascades. Comment expliquer, d’abord, les cafouillages de la politique sanitaire, pourtant omnipré-sente, bardée de grands comités, de hauts conseils et autres cénacles (dont on ne peut se déprendre de l’idée qu’ils ont pour princi-pale fonction de donner une apparence de « scientificité » à quelques stipendiés de « la-boratoires »), encombrés de services centraux, publics, semi-publics ou relevant d’une no-menclature juridique inconnue, sans compter les administrations régionales, ou locales, ou hospitalières, vaste machinerie qui donna des semaines durant l’impression de n’avoir rien prévu, de se contredire sans cesse (voir l’affaire des masques, aujourd’hui obligatoires partout

mais dont on détruisait encore des tonnes en mars dernier, attendu qu’ils étaient réputés obsolètes, et qu’on interdisait formellement aux pharmacies d’en vendre), pour finir dans l’incapacité à faire face à un afflux de malades aperçu quelques jours seulement avant qu’il ne déferle ? Comment expliquer que, dans le temps où certains étaient encombrés, la plu-part des hôpitaux de France étaient déserts (déprogrammant même, quelquefois à grands risques, les consultations et interventions sans lien avec Le Virus) tandis que l’administration d’établissements où l’on se faufilait entre les brancards n’imaginait pas faire appel aux cli-niques privées voisines dont les équipements sont restés sous-utilisés ? Comment expliquer que l’on ait osé, pour expliquer ces dysfonc-tionnements, se réfugier une nouvelle fois dans la ritournelle des « moyens insuffisants » alors qu’on ne pourrait citer une époque où les hommes ont consacré plus de moyens à leur santé, ni un pays dont l’Etat accorde plus de crédits à son administration sanitaire ? Il est vrai que, à considérer le fonctionnement de certains services publics, on pourrait juger que l’abondance des crédits est inversement pro-portionnelle à leur efficacité.

Il y a là un paradoxe qui, minant l’Etat tout entier, et par ricochet toute la vitalité économique de la France, devrait préoccuper les conservateurs, de sorte que nous y revien-drons dans nos prochaines livraisons : le do-maine de la santé est l’un des services publics qui, sombrant dans une technicité extrême, ont accru leurs coûts audelà du raisonnable à mesure qu’était disqualifiée la prévention classique - par exemple la médecine scolaire et universitaire, à peu près disparue, ou le recours aux médecines douces ou à des médecines mal nommées « parallèles » comme l’étiologie - sans parler de la médecine de proximité, que l’affaire Covid a complètement court-circui-tée ; il en va ainsi de nombreux services pu-blics, et des plus dispendieux comme l’Educa-tion nationale : c’est à se demander en somme si, selon une saine logique libérale qui ne nous effraie nullement, nous autres, l’Etat moderne gagné par la « haute technologie » - en français, la Technique - n’a plus, à force d’augmenter à toutva les prélèvements obligatoires et les dé-

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penses de fonctionnement ou les redistribu-tions sociales, pour principal résultat d’énerver - au sens étymologique du mot : priver de nerfs - tout le corps social, les ponctionnés comme les assistés, finalement d’entraver à petits feux fiscaux administratifs et sociaux toute l’activité nationale –mais c’est une autre question, celle de l’obésité de l’Etat technicien et peut-être l’obésité contemporaine de toutes choses, à la-quelle nous aurons tout loisir de revenir.

Comment expliquer une autre énigme par laquelle l’affaire Covid défie la raison : l’application de nos plus hautes autorités à faire tout ce qu’il fallait pour laisser s’instal-ler l’épidémie, avant, tout à coup, de prendre des mesures plus coercitives qu’on ne vit ja-mais, l’enfermement de toute la population – étrange confinement qui, des semaines durant, n’autorisa les Français à sortir de chez eux que sous contrôle policier, mesure que le ministre de la santé, Olivier Véran avait pourtant, le 7 mars, neuf jours avant qu’elle ne soit décrétée, jugée « contre-productive », exhortant même les dociles populations à grand ouvrir portes et fenêtres et « à ne pas se confiner » (sic !). Il est vrai que ce jeune médecin et député ultra-moderne s’était jusqu’alors beaucoup moins signalé par ses compétences médicales que par son militantisme en faveur de la Procréation Médicale Assistée, de l’introduction du cannabis dit « thérapeutique », de l’extension ad libitum de l’Interruption Médicale de Gros-sesse, autrement dit l’eugénisme - ce à quoi il parvint d’ailleurs au beau milieu de l’affaire Covid en faisant porter le 31 juillet, à 3h15 du matin, par une Assemblée Nationale évanes-cente, l’infanticide technologique, au motif de « détresse psychologique de la mère», point sur lequel reviennent dans ces pages plusieurs de nos auteurs. Comment expliquer, aussi, que celle qui présida avant lui à cette bérézina, Agnès Buzin, haut placée depuis des décennies dans la nomenklatura de la Santé publique (et grande militante, elle aussi, des avancées progressistes de la médecine - c’est elle qui, lors de l’examen en première lecture de la loi dite « bio-éthique » avait expliqué aux députés qu’une « grandmère pouvait aussi bien faire of-fice de référent paternel » pour un enfant né sans père) ait connu assez tôt l’imminence de

l’épidémie sans pour autant rien faire pour la prévenir (ni commande de tests, ni de masques dont elle était bien placée pour savoir que la France était dépourvue puisqu’elle y avait elle-même porté la main), sinon alerter en janvier le Président de la République puis, quelques jours plus tard le Premier Ministre, lesquels n’en bougèrent pas davantage le petit doigt – cela selon les dires du ministre elle-même dans un entretien publié dans le Monde du 17 mars. Comment expliquer que cette éton-nante ministre de la Santé fut, le 15 février, envoyée tout à trac à la conquête de l’Hôtel de Ville de Paris – ou, autre incongruité, que la « conseillère santé » à l’Elysée, ancienne direc-trice de l’Agence régionale de santé d’Alsace, se vit accorder, le 30 jan-vier, un congé de deux mois pour aller seconder la campagne électorale de son mari alors en marche vers la mairie de Strasbourg, et qu’elle ne fut remplacée que 6 semaines plus tard –comme si, en cette période où tous les signaux clignotaient, le chef de l’Etat n’avait nul besoin d’un « conseiller santé » ?

Comment expliquer le contraste entre la politique extraordinairement coercitive d’au-jourd’hui, tandis que le virus mute, s’affai-blit et se disperse, ne provoquant plus qu’un faible nombre de décès de personnes âgées (et/ou à ‘fort facteur de co-morbidité) et, en regard, l’étrange et générale insouciance qui suivit la déclaration d’épidémie en décembre par la Chine, et en janvier par l’OMS –in-souciance si grande que, pour en choisir une illustration parmi d’autres, le 2 février, lors d’une réunion des pays membres de l’espace Schengen, tous les gouvernements décidèrent de fermer leurs frontières aux voyageurs en provenance de Chine, à la seule exception du gouvernement français. Insouciance si grande que le Président de la République conseillait encore aux Français, le 6 mars, de sortir le soir (pour aller au théâtre, ce dont il montra l’exemple), et le 10 de préserver l’art de vivre à la française en fréquentant les bars. Deux jours plus tard, saisi par un Conseil Scienti-fique dont personne n’avait entendu parler,

Comment expliquer la disproportion entre la cause et les conséquences ?

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il déclenchait une série de mesures coercitive, visant les écoles, les bars, les restaurants, puis finalement toute la population, pourtant en-couragée dans le même temps à participer au scrutin municipal. Inutile d’allonger la liste de cette gestion désastreuse, comme dit la dépu-tée Valérie Boyer dans l’entretien qu’elle nous a accordé en juillet : elle a déjà nourri plusieurs livres, et en nourrira d’autres. Le titre de ce-lui de l’épidémiologiste Christian Perronne, ancien président de la commission ‘Maladies transmissibles’ du Haut Conseil de la santé pu-blique, résume tout d’une formule : « Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise ? » (Albin Michel). Oui, mais cette perfection dans l’incohérence, l’incompétence, l’arrogance, et l’erreur, comment l’expliquer ?

L’énigme est plus grande encore si l’on considère le scandale le plus évident d’une sé-quence qui en est pourtant jalonnée, celui de la chloroquine. Ne revenons pas sur une affaire qui fit couler beaucoup d’encre, disqualifiant plusieurs journaux scientifiques que l’on dé-couvrit aux mains de grands laboratoires, et le mot même de « scientifique » aux yeux de beau-coup de nos concitoyens (ce qui aura dans les temps à venir d’assez lourdes conséquences) : elle est réglée après des dizaines d’études me-nées à travers le monde. Contre la Covid, l’effi-cacité de la chloroquine, administrée au début de l‘infection et associée à un antibiotique, est avérée dans tous les pays qui y ont recouru. Mais comment expliquer, une fois encore, que ce médicament banal et bon marché, ait été inexplicablement retiré dès janvier de la vente libre pour cause de nocivité (cela bien qu’il fut utilisé dans le monde entier depuis 71 ans par des milliards de personnes) avant que sa prescription soit bonnement interdite en mars comme s’il s’agissait tout à coup d’une drogue dure. Interdiction, notonsle au passage, qui est une insulte à tous les médecins, d’abord en ce qu’ils sont tenus par serment de soigner leurs malades, ensuite en ce que le principe de li-berté de prescription est l’un des plus ancien-nement établis de leur art. A propos de cette interdiction, le Professeur Didier Raoult parle d’un des plus grands scandales de tous les temps, sur lequel les historiens se pencheront longtemps : il est vrai qu’elle donne un éclai-

rage effrayant sur le monde dans lequel nous vivons, le degré de puissance des intérêts privés sur des gouvernements qu’elles tiennent pour ainsi dire « en laisse » (selon la belle expression de Steeve Jobs, le fondateur d’Apple), la capa-cité de manipulation des grands médias, etc. Scandale dont on aura de toutes façons loisir de reparler : quand le professeur Perronne as-sure, le 24 juillet, sur « Sud Radio » que « la corruption a plongé des dizaines de milliers de Français dans la mort », il ne fait rien d’autre que d’imputer à nos autorités un crime à grande échelle, ce qui dit assez que l’affaire ne saurait être close.

L’univers totalitaire s’est avancé sur les pattes d’une colombe

Pour filer le chapelet des questions qui interpellent la simple raison, posons à pré-sent les plus cruelles : comment comprendre que, face à de telles énigmes, de telles mani-festations d’incurie, et, s’agissant au moins de l’interdiction de la chloroquine, face à des scandales aussi meurtriers, la majorité des Français se taisent, marmonnent dans leur coin, et finalement obtempèrent – se fliquant à l’occasion les uns les autres, autre trait de la logique totalitaire ? Comment expliquer, aussi, que tout débat soit suspendu, ou cantonné à quelques médias critiques - quand ils ne sont pas tenus pour complotistes et passibles de sanctions pour « fausses nouvelles » ? Com-ment expliquer qu’il soit interdit de débattre des différentes hypothèses sur l’origine de cet étrange virus, au point que, quand un Prix Nobel français, le Pr. Luc Montagnier, décou-vreur du VIH, émet celle, dont on aurait pu penser qu’il était bien placé pour l’envisager, d’un virus fabriqué dans un des laboratoires de Wuhan (désormais classé « secret défense » par les autorités chinoises) dans le cadre de re-cherches contre le sida puis échappé, soit in-tentionnellement soit par erreur (il ne retient que l’hypothèse de l’erreur), il soit incontinent insulté, privé de parole et poursuivi par l’OMS – « organisation internationale » échappée du système de l’ONU, dont les deux principaux créanciers, l’Etat Chinois et la Fondation Bill Gates, révèlent assez que l’objectivité est in-certaine, et qui poursuit de tout autre projet

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que la santé publique ? Pourquoi cette omerta mondiale sur la Covid, comme si une diffuse « bienséance » suspendait la liberté d’expres-sion, y compris celle des scientifiques – leur disqualification concourant, autre stigmate totalitaire, à celle de la science en elle même, celle qui ose des hypothèses, et se veut indé-pendante des pouvoirs politiques ?

Faisons d’abord le constat, ahurissant pour un peuple que l’on dit si volontiers insoumis, du mutisme total de tous les partis, y com-pris les plus réputés virulents - passons sur les autres, qui communient dans la molle conni-vence d’une démocratie sans véritable majorité ni, surtout, sans véritable opposition, où, de-puis la confiscation du résultat du référendum de 2005 (il n’y en eut d’ailleurs plus aucun depuis lors), puis l’opération juridico-média-tique qui confisqua l’élection présidentielle de 2017, la démocratie représentative n’est plus qu’un souvenir tandis que l’Etat de droit de-vient un simple Etat de fait. Pourquoi, mal-gré tant d’erreurs gouvernementales, le silence s’est-il imposé sur tous les bancs, de sorte il n’y a plus d’opposition que dans des manifesta-tions de rue, presque toujours interdites pour cause de Covid et pourtant de plus en plus nombreuses, incontrôlées et violentes - dans ce désordre dont Hannah Arendt notait déjà qu’il allait de pair avec la mise en place du to-talitarisme ? Pourquoi nul parti ne s’alarme de l’atteinte manifeste à la Constitution quand son article 38, qui a permis à l’Exécutif d’édic-ter pour un temps, à la place du pouvoir Légis-latif mis de côté, des règlementations neuves qui ont suspendu bien des libertés publiques, article qui fixe cependant à cette délégation extraordinaire une limite dans le temps et sus-pend la légalité des mesures prises à une loi de ratification que le Gouvernement devait dé-poser à l’issue de la période impartie, ce qu’il ne fit pas, violant ouvertement la Constitu-tion ? Pourquoi personne ne s’alarme quand le Conseil Constitutionnel, devant une forfaiture aussi caractérisée, juge qu’elle est acceptable en raison des circonstances ? Des circonstances ? Faut-il croire qu’un virus a le pouvoir de sus-pendre la Constitution française – pauvre « loi fondamentale » qui, déjà bafouée ces dernières années en plusieurs de ses articles, n’a plus de

Constitution que le nom? Faut-il croire que cette énormité ne choque personne (mis à part le PCD, dont on lira cidessous un ensemble de propositions, et qui dépose devant le Conseil d’Etat un nouveau référé-liberté, d’autant plus fondé que les contraventions pour nonport du masque s’accompagnent désormais, après une troisième récidive, d’une peine de prison, peine édictée donc par l’Exécutif, chose ex-traordinaire !) ? Faut-il croire que la France a glissée sans s’en apercevoir dans une sorte de totalitarisme qui, s’avançant depuis quelques années en silence, « sur des pattes de colombe » comme disait Nietzsche, referme son emprise sans que nul ne s’en aperçoive ?

Certes, il y a la police, omniprésente, et dont le gouvernement se félicite du nombre des amendes qu’elle inflige à tout va pour manquement aux règles du port du masque dans les rues, les plages, les bars – certaines ar-restations, diffusées en boucle sur l’un des ul-times samizdat qu’est le réseau tweeter, montre d’effrayantes images de personnes arrêtées sans ménagement, quelque-fois pour un masque porté de travers, plaquées au sol, comme ce couple de quinquagénaires arrêté à Nice – l’homme est blessé au visage, tandis que la robe de sa femme est entièrement déchirée par des policiers eux-mêmes masqués et devenus hystériques ? Ce n’est là, certes, que la suite des incroyables violences déjà observées contre les Gilets Jaunes, celle d’une police qui perd ses nerfs, sur-utilisée depuis des années par la multiplication des actes terroristes, de l’impossibilité d’assurer l’ordre public dans des parties de plus en plus larges du territoire, de la recrudescence spectaculaire des provocations raciales propres aux sociétés de plus en plus fragmentées, et de l’ensauvagement général de la vie civile – nous avons demandé à plusieurs personnalités de commenter la poignante image d’un policier s’effondrant en pleurs sur l’épaule d’un de ses collègue, signe d’un déré-

Une journaliste :combien de temps pensez-vous que nous devrons porter un masque ?

Professeur Raoult :Je ne sais pas, je ne connais pas grand chose à la politique.

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glement dont nul ne semble mesurer la gravité. Mais, si le glissement vers une société policière est plus marquée qu’on le croit, serait-ce seule-ment parce que les grands médias sont muets sur le sujet, il n’est pas sûr que ce soit le fond du problème - qui est l’oubli progressif, par une soif irrationnelle de Sécurité sanitaire, de l’esprit même des libertés publiques au bé-néfice d’une vaste servitude volontaire d’une nouveau genre. Quand un jeune chef « Répu-blicain », Guillaume Peltier, assure préférer être moins libre mais en bonne santé que totale-ment libre mais en danger sanitaire, il définit l’étendue de la catastrophe morale en cours… Est-il impossible d’être malade et heureux, la maladie serait-elle obscène en ce monde, au point de devenir le pire des maux sociaux, et de tout justifier ?

Que l’absence d’opposition politique, l’interdiction de manifester, une nouvelle ré-

glementation, dite « sa-nitaire », des réunions publiques, l’ensauvage-ment général de la vie sociale, les violences policières, la déliques-cence des tribunaux lé-gaux au bénéfice d’une morale de la délation (du type « name and shame »), bref, que le tableau d’une socié-té totalitaire se mette en place par petites touches sans soulever la population, voilà bien le problème : com-ment expliquer que, en France du moins

(bien des peuples, eux, bronchent de Dublin à Berlin, en passant par Madrid ou Londres), à l’issue d’un mois d’août au cours duquel on ne compta qu’une quinzaine de morts par jour (dont la moyenne d’âge croît pour atteindre 84 ans, soit au dessus de l’espérance de vie…), l’obligation du port du masque dans les rues de la plupart des grandes villes soit passée comme lettre à la poste, voilà qui interpelle la raison. La mesure stupéfie nombre de médecins, beaucoup s’en scandalisant même en assurant

que, au grand air, le masque ne protège que des amendes de police. Mais voiton en France des manifestations de rue, des actes de résistance ? Rien. Chacun entre en silence dans le nouveau monde. Quels hommes sommes-nous deve-nus, quelle religion nouvelle est venue courber les Hommes avec une telle docilité ?

Quand l’univers techno-progressiste se mue en religion civile

De tous côtés, l’affaire Covid défie la rai-son : comment expliquer que le petit virus, qui eut été si banal jadis, ait suspendu puis ra-lenti pendant des mois toute vie économique au point de faire chuter le PNB dans une proportion effarante (-14 % de croissance en France au deuxième trimestre 2020, une chute annuelle du PNB supérieure à 10 %, ce dont Victor Fouquet écrit ici que nous ne faisons en-core qu’apercevoir les premières conséquences), qu’il ait fait disparaître plusieurs fleurons in-dustriels et d’innombrables petits commerces, provoquant un afflux encore incalculable de chômage et de misère, disqualifiant d’ances-trales pratiques (s’embrasser, se serrer la main, se côtoyer au spectacle ou en réunions, fût-ce des réunions de famille dont le Président de la République sous-entend qu’elles deviennent dangereuses – et de fait, octogénaires et nona-génaires, effrayés à l’idée de mourir comme si la mort n’était décidément plus au programme, demandent eux-mêmes à leurs enfants de rester chez eux, l’écran télé accaparant leur dernière vie sociale) ? Comment un virus a-t-il pu im-poser tant de règles nouvelles, de contrôles, de masques, visières en plastique et instruments de distanciation, grand mot du jour, au point que la plupart des réunions sportives, cultu-relles et politiques sont suspendues, tout cela au bénéfice d’un recours massif aux écrans, les grands vainqueurs de la séquence ? Nous croyions vivre dans une « civilisation du vi-sage » (ce pourquoi la République a banni dans les lieux publics le voile musulman, soudain réhabilité), nous croyions communier au vieux principe « Tout ce qui est humain est nôtre. » et désormais tout ce qui est humain est sus-pect. « Regardez la messe à la télé. », me dit, se tenant à dix mètres, l’un des cinq derniers

Betty Furness and Stanley Morton posent masqués

pour la couverture de “Look Magazine” pendant

l’épidémie de grippe de 1937

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prêtres de mon département tandis que le fi-dèle découvre que l’eau bénite est remplacée par des bouteilles de gel prophylactique et que les dalles ancestrales sont bardées de flèches au-tocollantes pour que, surtout, chacun se tienne à distance - les catholiques eux-mêmes oubliant la fondatrice parole du Christ « N’ayez pas peur ! », et le geste des saints nettoyant les lépreux pour le nouvel impératif moderne, « méfie toi de tout le monde, ne touche personne ». Oui, comment expliquer ?

Xavier Lemoine esquisse une réponse toute politique, avançant ici qu’il « croit davantage à un bordel magnifiquement organisé, afin que les effets de la Covid sur les populations aient un impact traumatique durable justifiant des mesures tout à fait disproportionnées, tant dans les aspects matériels (confinement trop dur et trop long, règles de distanciation physique), juridiques (du jamais vu en terme de privation de liberté et de coercition) et psychologiques (obéissance aveugle, psychose collective, déla-tion…) », ajoutant : « Il ne faut pas que nous puissions maîtriser cette «pandémie» qui n’en est une que dans les têtes d’une population hébétée, culpabilisée et finalement asservie. » Bref, il n’y aurait pas eu des maladresses dans la gestion de la crise ou des erreurs de commu-nication, mais bien plus grave : une volonté te-nace d’envenimer l’épidémie puis d’en tirer un maximum de conséquences politiques.

C’est une première piste, qui nous met sur le chemin d’une réponse. Ce glissement opé-ré en douceur conduit au nœud du mystère : l’affaire n’est pas sanitaire, mais politique et, surtout, anthropologique. Au fond, le nouvel homme moderne, le festivus festivus du grand Muray, ne veut plus de sa liberté d’homme, il n’est plus en quête que d’un Progrès hypos-tasié, « en marche » vers l’Homme nouveau délivré de tout ce que voulut le commu-nisme, l’homme indéfiniment augmenté, le sur-homme que voulut la grande modernité nazie ; il ne croit plus aux dieux anciens et à

leur morale, mais au Dieu du progrès absolu, qui achève sa course entamée voici trois siècles en assurant à tous la sécurité sous toutes ses formes, en particulier la sécurité sanitaire, au point que festivus lui donne son corps pour qu’il le rende pur, vacciné, et, si l’on peut dire, aussi éternel que possible – et que ce corps, qui est ce qu’il lui reste quand tout du monde ancien a disparu, racines, héritages et tradi-tions, culture, civilisation et foi, vie intérieure, enchantement et transcendance, jouisse enfin sans entrave – ce vieux « jouir sans entrave » de 68 auquel Philippe de Villers fait si justement référence.

C’est que la pro-messe à laquelle on feint de croire est énorme : rien moins que la jouissance infi-nie, id est paradisiaque, et, mieux encore, l’al-longement infini de la vie, jusqu’à l’éternité, objectif clairement affi-ché par cette pointe ultime du discours pro-gressiste qu’est le trans-humanisme américain, idéologie qui a bien davantage conquis l’esprit européen qu’on ne croit. Né aux Etats-Unis vers la fin des années 1940 (et très marquée du puritanisme, cette radicalité du protestantisme qui valut aux églises presbytériennes d’être chassées par Elisabeth d’Angleterre(1) pour s’en aller peupler l’Amérique du Nord, puritanisme qui est au commencement de l’Amérique et par conséquent sa vérité - à défaut d’être tou-jours sa réalité), le trans-humanisme trans-forme le Progrès, au moment où il s’essouffle (on y reviendra), en un pur messianisme. Ju-geant, par mépris du corps, que le biologique (cellules, tissus, organisme…) est si faible, si infesté de miasmes et de virus, si fragile qu’il porte la maladie et la mort, il fait le pari de le transformer du tout au tout, de l’augmenter et de le techniciser grâce aux biotechnologies (nanotechnologies, cellules souches, etc.) ainsi

–––––––––––––(1) Signe de cette très profonde opposition à l’intérieur du protestantisme anglo-saxon, Boris Johnson, personnage tout droit

sorti du théâtre élisabéthain, sorte de Falstaff sorti tout droit de l’archaïque anglais, annonça haut et fort dès le début de l’épidémie, comme pour en déjouer les délires, qu’il serrait des mains – il contracta la maladie sous une forme violente, et réchappa…

…cette pointe ultime du discours progressiste qu’est le trans-humanisme américain, idéologie qui a davantage conquis l’esprit européen qu’on ne croit.

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qu’au développement infini de l’informatique, dont une des vertus est d’éviter les contacts hu-mains, et même d’escamoter le corps –jusqu’à la voix : qu’on essaye, par exemple, d’avoir une opératrice de la SNCF ou d’une compagnie de taxi, ou d’obtenir d’un adolescent qu’il vous parle plutôt que d’envoyer des sms… Depuis quelques années, le « système technicien », si bien aperçu par Heidegger, et analysé par Jacques Ellul (dont l’auteur de ces lignes se flatte d’avoir été l’élève pendant plusieurs an-nées) progresse à grands pas, servi par des ren-forts de poids, le géant américain de l’internet Google - et quelques autres, la Fondation Bill Gates, la Fondation Soros, ou encore Apple, dont la capitalisation boursière dépasse depuis cet été l’ensemble des capitalisations du Cac 40 – il va sans dire que ces investissements, et le formatage en retour de « l’ancien monde » se révèlent hautement lucratifs, comme le montre ici un financier international analysant l’explosion des valeurs du Nasdaq depuis six mois et la reconcentration des entreprises high tech entre les mains de leurs dirigeants.

Il est à ce sujet recommandé de découvrir la vie, et la morale très neuve, des quinze plus grands (c’est à dire plus fortunés) dirigeants de la Silicon Valley, véritable centre non point économique mais politique de ce monde. Par exemple ceux de Google, qui entendent contrôler la planète entière pour la purifier, la délivrer de tous les maux du monde ancien (le sexisme, le racisme, le nationalisme, etc.) : soif purificatrice qui n’est pas sans accointance avec l’écologie, et à laquelle elle consacre d’énormes moyens : Google se flatte de disposer de plus de 32 milliards de documents référencés sur la plupart des Occidentaux, affirmant fiè-rement : « Google en sait plus que vous sur vous-même, puisque vous oubliez des détails de votre propre vie que Google n’oublie pas » ; dans sa quête infinie d’une humanité purifiée, elle entend aussi vaincre prochainement la mort - en 2015, son directeur de l’ingénierie, le Dr. Raymond Kurzweil, fixa cette victoire à 2029... Une telle déraison, dont Jacques de Guillebon aperçoit ici les ressorts profonds, n’est-elle pas après tout celle de tous les messia-nismes, assurant que le paradis est possible ici-bas - messianisme bien analysé par Jean-Fran-

çois Colosimo dans son passionnant « Dieu est Américain », plongée dans la religion ci-vile américaine (Fayard, 2007) ? Le magazine Times s’extasiait en septembre 2013 : « Est-ce que Google peut résoudre la mort ? Le géant de la recherche sur internet lance une opéra-tion d’extension infinie de la longévité »… Qu’on veuille bien se reporter aussi aux divers sites transhumanistes, notamment celui de l’Association française transhumaniste, qui pu-blia le 8 juin dernier un article fort instructif : « contrairement aux apparences, et à quelques déclarations emballées d’écologistes mystiques ou de bio-conservateurs thanatophiles (nous - ndlr), le coronavirus n’aura pas écorné le techno-progressisme et la perspective transhu-maniste. Au contraire, il pourrait bien avoir démontré sa pertinence et sa force (…). L’In-telligence Artificielle, assistant la logistique, la gestion des flux et des ressources, ou des tech-nologies comme le sans contact, pourraient être des aides précieuses » etc…

Les écransIl faut dire que le vieux fantasme américain

du no limit appliqué à la vie peut s’appuyer sur une réalité, indiscutable : l’énorme rapi-dité de l’allongement de la vie depuis 80 ans. En France, elle est impressionnante. Celui qui meurt aujourd’hui de la Covid, dont l’âge moyen est de 84 ans, et qui, par conséquent, est né en 1936, aurait sans doute été fort heureux d’apprendre qu’il mourrait en 2020 d’une grippe – attendu que, en 1936, l’espé-rance de vie pour un homme était de 53 ans. Aujourd’hui, il est scandalisé, et ses proches le sont aussi : mourir à 84 ans est anormal, et pour que la chose ne s’étende pas à longue échelle, mieux vaut tout arrêter, y compris la vie économique normale. On comprend en passant pourquoi les épidémies de grippe sont passées jusqu’à présent inaperçues : en 1969, tandis que l’espérance de vie masculine était de 59 ans, la mort de 50 000 personnes âgées n’avait rien de frappant. Que s’est-il donc pas-sé ? Il s’est passé, au cours des 50 dernières an-nées, une spectaculaire révolution des esprits, un tout autre discours dominant sur la mala-die et la mort qui assure à présent, puisqu’on n’arrête pas le progrès, que l’espérance de vie

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devrait atteindre d’ici deux ou trois générations 125 ans. Il s’est passé, en somme l’avènement en Occident d’une religion toute autre que la chrétienne, une religion civile, celle du salut ici bas - avènement déjà en germe au siècle des Lumières après la victoire des Modernes sur les Anciens, mais survolté au XXème siècle par les technologies - ou, pour mieux dire, la Technique. Mais il n’y pas qu’aux yeux des grands maîtres de la Silicon Valley que Rome ne pèse plus grand chose. Comme le rappelle Guillaume Cuchet dans un essai puissant « Comment notre monde a cessé d’être chrétien – anatomie d’un effondrement » (Seuil, 2018), en 1966, 94 % des Français étaient baptisés, 26 % allaient à la messe tous les dimanches ; aujourd’hui, les baptisés ne sont plus que 29 % et la pratique dominicale est inférieure à 2 %.

Du catholique au cathodique, le jeu de mots a souvent été fait – que la Covid illustre de très grinçante façon. Frappante, l’assertion de quelques ecclésiastiques assurant pendant le confinement que l’on pouvait fort bien suivre les offices sur écrans : mais c’est le parfait sym-bole du passage d’une civilisation à une autre – le PCD, une fois, de plus, ne s’y est pas trompé, qui intenta, contre l’interdiction des offices, un « référé-liberté » heureusement vic-torieux. Ce qui purifie l’homme d’aujourd’hui n’est plus le confessionnal (disparu, d’ailleurs), ni l’élévation, ni la communion, encore moins la poignée de mains fraternelle, mais les écrans, centre de tous les foyers, obsession de toutes les heures, et bientôt prothèses obligatoires insérés dans les corps – ce que certaines entreprises états-uniennes demandent déjà à leurs salariés. Par eux, la modernité passe la vitesse supé-rieure, aborde l’étape ultime de son constant projet, changer l’homme, le débarrasser de toutes les contraintes et désagréments de la vie, disqualifiant à mesure tout l’habitus de l’ancien monde : finies les réunions de poli-tique ou de famille, les Conseils des ministres se tiennent en video-conférence, les militants communiquent par des écrans, les salariés tra-vaillent n’importe où mais devant des écrans (équivoque progrès dont traite ici Sébastien Pilard, qui veut en voir aussi les bons côtés) les médecins soignent par télé consultation (s’af-franchissant de ce toucher que le puritanisme

américain survolté en gauchisme féministe a toujours eu en horreur), tandis que les soldats modernes, assis en rang dans une immense pièce tapissée d’écrans, peuvent envoyer un missile détruire à des milliers de kilomètres un bâtiment, un village, une ville n’importe où sur la terre – la Toute Puissance à l’état pur, telle que seuls les dieux furent réputés en avoir.

Ce fut cela le confinement : finies les salles de classes ou les amphithéâtres, on suit son cours (bientôt sur des CD préfabriqués, mais il reste à savoir où…), finis les professeurs, finies les discrètes ren-contres amoureuses, qui débutent désor-mais sur un écran et peuvent s’y accomplir (comme l’a montré au début de l’affaire Co-vid, providence d’une ironie certaine, l’éton-nante affaire Griveaux, on peut très bien entrer dans le vif du sujet par écran interposé), finis les commerces et les commerçants des vil-lages, des bourgs et des villes : c’est aussi par écrans que l’on fait ses courses, y compris de bouche – voir, passée inaperçue mais haute-ment significative, l’au-torisation longtemps refusée, mais donnée en urgence à Google par la Food and Drug administration de livrer jusqu’aux fruits et légumes. Bref, l’humanité, du moins l’occidentale, a glissé plus vite qu’elle ne l’a vu dans ce monde d’écrans généralisés que, en 1949 Georges Orwell situait en 1984 - pas si mal vu : c’est l’année où fut lancé le plus progressiste de tous les joyaux du pro-gressisme, le premier Mac Intosh, et de ces trésors de technicité d’autant plus « portables » qu’ils seront bientôt greffés sous la peau, entre autres équipements recommandés par les pro-grammes (toujours trans-humanistes) de l’In-telligence Artificielle – ces écrans dont Orwell

« Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. Après avoir quitténl’est, ils trouvèrent une plaine dans le pays de Shinear et s’y installèrent. Ils se dirent l’un à l’autre: « Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu! » La brique leur servit de pierre, et le bitume de ciment. Ils dirent encore: « Allons ! Construisons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel ! » Génèse 11

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se demandait déjà, avant que l’affaire Snowden ne le confirme en 2012, si on les regarde ou s’ils vous regardent - si on les utilise, ou s’il vous fliquent.

Permanences Le 11 novembre 2009, lendemain d’une

émission à laquelle m’avait invité Dominique Taddeï, je notais dans mon journal : « Au der-nier moment, le programme fut chamboulé. Il fallait d’urgence donner la parole à Jacques At-tali, porteur d’un message pressant à délivrer aux populations. Elles devaient se préparer à l’attaque d’un virus grippal dévastateur, dit H1-N1, et se tenir prêtes à la vaccination de masse ; il y allait de centaines de milliers de vies, etc. Déclaration sans débat avait prévenu Taddeï ; cependant, n’y tenant pas, j’ai demandé au dramaturge pour-quoi il s’appliquait tant à affoler les Français. Oublié sa réponse mais pas le regard de hibou sauvage qu’il posa alors sur moi, extraordinaire-ment perçant, où la haine se mêlait à une sorte de mépris menaçant qui glaçait les os. »

L’OMS fit donner la grosse caisse, la mi-nistre Bachelot acheta des millions de tests onéreux et inutiles, et rien n’arriva : le virus fit peu de dégâts, puis, comme tous les virus, s’évanouit. Je me suis longtemps interrogé sur les causes de cet étrange affolement. L’explica-tion par la corruption au bénéfice des « grands laboratoires » ne m’a jamais convaincu. Je crois la cause de M. Attali beaucoup plus haute, plus ambitieuse et plus terrible : elle est celle d’une poignée d’hommes déterminés à créer, grâce aux énormes moyens que leur donnent à la fois la technique et leur puissance finan-cière, un Homme Nouveau, un mutant, un sur-homme si parfait qu’il serait délivré du Mal et son corps délivré des maladies -par le vaccin généralisé, l’eugénisme, la vie pure, la perfection puritaine… Rêve éternel de l’éter-nel Eden. Qui connaît, cependant, le mystère du temps, de la longue du durée et des per-manences, que la Chrétienté et ses précieuses sources antiques, ou simplement l’intuition des transcendances, apprennent à connaître, ceux qui vivent, non dans la politique, mais dans l’Histoire, et la connaissent assez pour sa-voir qu’elle est faite bien davantage de cycles, de décadences et de renaissances que d’une

longue ligne magique, ce que les incurables optimistes nomment Progrès, ne se laisseront pas prendre par de telles déraisons : ils les ont inscrites depuis longtemps, comme naguère l’utopie communiste, dans la longue suite des messianismes inlassables qui jalonnent les mil-lénaires, vieux comme un rêve.

Folie du techno-progressisme qui se dé-chaîne sous nos yeux, survolté par les cham-boulements qu’a partout provoqués l’étrange épidémie. Folie, mais aussi chant du cygne. Car il méconnait tant l’Homme et sa perma-nence qu’il est avant tout une erreur, si mani-feste qu’elle se révélera, et d’autant plus vite que le petit virus, comme le disent ici Marion Maréchal, Vincenzo Sofo et bien d’autres es-prits sages, est en train, le poussant à l’extré-mité de sa déraison, de subvertir le monde moderne -et, « puisque tout recommence toujours », comme l’écrivait Charles de Gaulle en concluant ses Mémoires, de réhabiliter en secret le monde ancien.

A l’homme qui veut se faire l’égal des Dieux et abolir les injustices qui accablent cette terre pour en faire un paradis, les premières pages de la Genèse ont d’avance répondu par une pré-monition magnifique, Babel: l’ambition des hommes de construire une tour assez haute pour qu’ils accèdent au Ciel et à l’immortalité parut au Créateur si dangereuse qu’il les divisa en nations, et en langues, de sorte que, faute de se comprendre ils ne parvinrent jamais à achever leur construction, laquelle s’effondra, dispersant l’humanité en une myriade de na-tions. Si les Chrétiens, comme on l’observa tout au long de l’ «opération covid», se sont révélés moins apeurés que les athées, ou les disciples de la religion du Progrès, c’est qu’ils connaissent la faiblesse des hommes et la fragi-lité de la vie. Regard par essence conservateur qui se méfie des utopies, des révolutions, du sans limites et du sublime ; qui aime le rela-tif, la diversité des nations, et cette souverai-neté qui procède avant tout, contrairement à l’image qu’on en donne, d’une modestie –mais la liste est longue du vocabulaire conservateur et, après tout, ce n’est ici que l’introduction de notre premier numéro : pour le retrouver, nous avons le temps.

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Le virus qui mine le progressisme

Grand entretien croisé avec Marion Maréchal et Vincenzo Sofo

out montre que l’atmosphère sociale se tend de tous côtés : les inquiétudes nées de la Covid, ce qu’elle révèle de nos incroyables faiblesses comme des progrès d’un certain “totalitarisme sanitaire” se poursuivent avec les violences raciales aux Etats-Unis

puis en France, tandis que s’accumulent de lourdes inquiétudes pour nos finances publiques, l‘em-ploi, la paix civile et finalement pour l’avenir même de notre civilisation. C’est sur tous ces aspects que portera le long entretien que nous a accordé Marion Maréchal, nous offrant même un joli cadeau de baptême : pour nous répondre, elle a eu la riche idée d’être accompagnée de son ami Vincenzo Sofo, qui a le double avantage d’être aussi un homme politique puisqu’il est député au Parlement européen (Ligue du Nord) et de venir d’un pays très cher au coeur des Français, l’Italie. Remercions-les d’inaugurer cet exercice à deux voix, assez inédit ...

Pour commencer : Sentez-vous croître, l’un et l’autre, une certaine anxiété sociale – en somme, ne vous semble-t-il pas que, en cette année 2020 marquée par la Covid, l’Histoire s’accélère brutalement sous nos yeux ?

Marion Maréchal : Les crises se succèdent de plus en plus rapide-ment : les attentats du 11 septembre 2001, la crise financière de 2008, la crise des dettes souveraines avec la Grèce, celle des migrants, la succession d’attentats terroristes islamistes, les scandales agro-alimen-taires, les affrontements économiques, civilisationnels et géopolitiques au sein de l’Union Européenne. Autant d’exemples où les paradigmes du modèle politique actuel furent remis en cause, sans pour autant provoquer encore de rupture politique majeure. La crise de la Covid n’est qu’un symptôme supplémentaire, certes plus spectaculaire, d’une crise qui mine peu à peu une certaine vision du monde.

N’attendons pas des hommes d’hier qu’ils préparent le monde de demain. Nos gouvernants sont d’éternels enfants qui n’apprennent rien de leurs erreurs. Il est à craindre que ce nouvel endettement ne se fasse pas au bénéfice d’investissements d’avenir (recherche, éducation, in-dustries stratégiques), mais plutôt dans la distribution générale de chèques sans changement des paradigmes. Nous verrons si le discours de Jean Castex, qui dégage quelques bonnes pistes, est suivi d’effets. Au contraire, il est à craindre que cette crise ne soit pas l’occasion, qu’elle aurait pu être, d’une grande remise en question mais le prétexte à une accélération de la fédéralisation européenne. Rappelons que tous les dogmes européens (espace Schengen, interdiction des aides d’État, traités de libre-échange) n’ont été suspendus que temporairement et que l’UE a poursuivi la marche à l’élargissement avec l’Albanie et la Macédoine en pleine pandémie ! Accélération confirmée par le dernier plan de relance dont la France est la grande perdante, les pays du Nord diminuant leur participation au budget européen au prix de la réduction des dépenses pour certaines politiques, telles la santé, Erasmus ou la PAC. Dans le même

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temps, des pays comme les Pays-Bas ou le Luxembourg conservent tranquillement leur sta-tut de paradis fiscal qui leur permet de piller les recettes des autres pays membres. Et la France continuera de donner plus d’argent qu’elle n’en recevra, ne bénéficiant d’aucun rabais alors qu’elle est un des plus fragilisés.

Sans que leur avis n’ait été demandé aux peuples européens, on annonce un saut fédéral symboliquement décisif bien qu’assez dérisoire sur le plan financier : la mutualisation des emprunts avec un « droit de regard » des pays membres sur nos dépenses et l’annonce de la création d’impôts européens. La grande entourloupe d’Emmanuel Macron consistant à expliquer aux Français qu’ils ne paieront pas un euro de cette dette qui serait remboursée par les « entreprises » taxées sur le carbone, le numérique, les transactions financières, etc. Ambition de papier alors que l’UE n’a toujours pas mis en place la taxe sur les GAFAM portée depuis deux ans par la France. Tout cela pour une raison simple : l’Allemagne, puis-sance exportatrice, n’a aucun intérêt à soutenir ces mesures qui pourraient froisser ses clients internationaux, notamment les États-Unis.

Vincenzo Sofo : L’inquiétude sociale augmente beaucoup en Italie. L’accélération combinée de la globalisation, du libéralisme et de la technologie ont bouleversé nos vies dans un contexte d’incertitude per-pétuelle et de compétition constante. Jusqu’à la génération précédente, les Italiens savaient qu’avec un peu d’effort, ils avaient l’assurance d’un travail fixe, de quelques sous à la banque, d’être propriétaires et de pouvoir compter sur une famille stable et des enfants qui les soutien-draient dans la vieillesse. Depuis, nous vivons dans un monde où le travail peut-être perdu du jour au lendemain sans aucun soutien, où

mettre de l’argent de côté est devenu problématique, où la maison devient difficile à acheter, où les divorces sont fréquents, où les enfants vivent loin de leurs parents, etc. Il n’est pas sur-prenant que dépressions et maladies psychologiques soient en augmentation constante. La pandémie n’a fait que dévoiler de manière encore plus crue la fragilité du système que nous avons construit, augmentant sans cesse les inquiétudes du peuple.

Les Occidentaux ont découvert que le modèle de sécurité et de qualité sanitaire qui leur permet de vivre jusqu’à 80 ans pouvait s’effondrer du fait de l’importation d’un virus chinois apparu à des milliers de kilomètres. On profitait de la facilité de déléguer aux pays émergents la production fastidieuse des produits de première nécessité et l’on comprend soudain ce que signifie le mot dépendance. Le plus amusant est que cette prise de conscience a surtout frappé les adeptes du village global. L’Histoire les a soudainement mis face aux conséquences de leurs choix ...

Venons-en à la Covid. L’impéritie et les cafouillages de nos pouvoirs publics vous ont ils étonnés ?

Marion Maréchal : Le gouvernement français n’a pas organisé la réponse à la crise, il s’est contenté de gérer maladroitement la pénurie. Le manque de masques, de tests, de respira-teurs était le résultat de choix politiques parfaitement identifiables : l’adhésion au modèle de division internationale du travail consistant à « spécialiser » chaque pays dans des secteurs économiques, pour une forme de complémentarité censée garantir la prospérité de tous. Dans ce grand partage, les pays occidentaux étaient censés devenir des économies « à haute valeur ajoutée » dans les services tandis que la Chine devenait « l’usine du monde » et les pays émergents récupéraient nos industries, produisaient nos vêtements et nos médicaments. Ces modèles affaiblissent la résilience de nos nations qui, en période de crise, n’ont plus les

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outils et les savoir-faire pour assurer la production des besoins essentiels et stratégiques (ali-mentaires, sanitaires, industriels, etc.). Ajoutons l’adhésion sans borne à la vision de l’UE qui interdit les aides d’État à l’économie, interdit la préférence nationale dans les commandes publiques, limite la protection des marchés de la concurrence étrangère. Ces handicaps dou-blés d’une fiscalité et d’une réglementation françaises particulièrement lourdes ont dilapidé notre tissu industriel et notre agriculture, réduisant chaque année la diversité de notre éco-nomie. Admettre publiquement cette pénurie eût été dénoncer un modèle européen dont ce Gouvernement est l’héritier et le continuateur – d’où ses contradictions et revirements permanents pendant la crise.

Vincenzo Sofo : Le gouvernement italien a traité la crise de la Covid comme un événement inédit mais la réalité est que les épidémies ont toujours existé dans l’histoire et existeront toujours. Exagérer la dimension exceptionnelle de l’événement fut un moyen pour le Gou-vernement de justifier l’impréparation et d’évacuer le problème de fond, à savoir : l’absence de « stratégie à 360° » sur le long terme.

Aujourd’hui, le gouvernement italien continue d’alimenter la psychose et prolonge l’Etat d’ur-gence sanitaire pour se maintenir au pouvoir. Le jour où la crise sanitaire prendra fin, il est probable qu’il ne survive pas politiquement. L’Italie est entrée en crise parce que le système sanitaire n’a pu faire face, détérioré qu’il était par des pri-vatisations et des réductions de dépenses dictées par des impératifs budgétaires. La question des masques fut em-blématique : ils auraient pu éviter tout de suite la diffusion du virus sans bloquer le pays pendant deux mois mais nous avons dû faire face à une pénurie en raison de la délocali-sation des productions – ce que nous avons en commun avec la France …

De quelle oreille entendez-vous les accusations por-tées contre le gouvernement de Pékin par Donald Trump ? En d’autres termes, comment évaluez-vous la responsabilité de Pékin dans la propagation du virus ?

Marion Maréchal : Je pense que la France n’a aucun in-térêt à entrer dans l’affrontement des États-Unis avec la Chine sauf à devenir le terrain de jeu de l’opposition sino américaine après avoir été prise en étau, avec toute l’Europe, dans l’opposition russo-américaine. La France a déjà perdu beau-coup d’influence en s’alignant ces dernières années sur la diplomatie américaine (rejet de la Russie, interventions militaires hasardeuses …), elle ne doit pas faire la même erreur avec la Chine mais au contraire faire preuve de subtilité pour rester indépendante.

Évidemment, la Chine est un concurrent économique majeur qui, contrairement aux idées reçues, développe une économie de plus en plus qualitative et forme aujourd’hui des ingé-nieurs et des scientifiques de plus en plus aptes à faire concurrence aux nôtres. Ajoutons à cela une forte prédation (OPA, rachats, espionnage) sur nos brevets, nos innovations, nos terrains agricoles, ainsi qu’une profonde déloyauté dans la concurrence puisque l’État chinois protège activement son économie, contrairement à l’Europe – mais pas tellement plus que les États-Unis, pays allié qui n’hésite pas à recourir à des pratiques extrêmement agressives, comme l’extra-territorialité du droit américain pour tirer son épingle du jeu dans la compétition mondiale.

Il est à craindre que ce nouvel endettement ne se fasse pas au bénéfice d’investissements d’avenir (recherche, éducation, industries stratégiques) mais plutôt dans la distribution générale de chèques sans changement de paradigme.

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Au-delà du débat sur les mensonges chinois quant aux nombres de morts ou à la « fuite » accidentelle du virus du laboratoire, il est indéniable que l’OMS a retardé la réponse des gou-vernements en distillant des informations erronées, voire partiales. Les liens ambigus du pré-sident de l’OMS avec la Chine (qui s’explique probablement par la forte présence chinoise dans son pays, l’Éthiopie) ont contribué à la dissimulation et la manipulation de certaines informations. Le plus inquiétant est l’absence de recul de la classe dirigeante sur ce type d’institutions supranationales ; elle absorbe tout ce qui en sort comme une vérité scientifique objective alors qu’elles sont évidemment la proie de jeux de pouvoir. On peut comprendre le coup de communication de Trump réduisant la contribution de Washington à l’OMS...Vincenzo Sofo : Je ne trouve pas particulièrement intéressant le débat sur la responsabilité de Pékin dans la propagation du virus. Malgré leur interdépendance économique, cela me donne l’impression d’un « jeu » politique entre la Chine et les États-Unis poussant l’Europe

à choisir un camp. Il est bien plus important de pointer sur l’attitude de la Chine une fois que le virus s’est propa-gé sur notre continent. En Italie surtout, nous avons vu un fort activisme de la Chine pour nous soutenir quand l’UE, elle, n’était pas au rendez-vous. Évidemment, il s’agissait là d’une opération de soft power. Avec la Co-vid, Pékin a révélé ses objectifs sur l’Europe – et surtout sur l’Italie qu’elle considère comme une porte d’entrée sur le « Vieux Continent ». C’est à l’Europe de décider si et comment elle veut traiter avec les Chinois. En ce qui concerne l’Italie, il est certain que la Chine est une opportunité par sa capacité d’investissement notamment

dans les infrastructures, sujet hautement problématique pour nous. Ouvrir les portes à ces capitaux signifie une réduction supplémentaire de souveraineté et d’autonomie géopolitique. Tant que l’UE n’offrira pas de véritables protections, les gouvernements auront toujours la tentation de se tourner vers des puissances extra-européennes pour trouver des financements.

Venons-en à cette forme étrange d’antiracisme que Taguieff appelle l’« anti-racisme anti-Blancs » : elle vous a inspiré en juin dernier, après les affaires Floyd aux Etats-Unis et Traoré en France, une vidéo que l’on dit « virale » où vous déclariez refu-ser de vous mettre à genoux. Voyez-vous dans cette séquence une nouvelle marque d’« américanisation des esprits », comme si nous prenions n’importe quel prétexte pour mimer les Etats Unis -en somme un épisode du vaste phénomène de colonisa-tion culturelle ?

Marion Maréchal : Nous sommes face à un double phénomène. D’une part, la récupéra-tion politique de militants organisés qui surfent sur une actualité américaine pour obtenir du pouvoir politique de nouveaux avantages : quotas, discrimination positive, passe-droits, désarmement de la police, laxisme judiciaire, etc. D’autre part, l’adhésion d’une partie de jeunes Français d’origine africaine et maghrébine qui trouvent une cause, un blanc seing pour attaquer les forces de l’ordre et continuer tranquillement leurs trafics. Ils s’approprient les codes, la mentalité et les conflits d’outre-Atlantique, importés par le biais du « soft power » américain - Hollywood, Netflix, réseaux sociaux, etc. La « culture banlieue » reprend la vio-lence de groupes militants noirs américains. Il s’agit moins là d’un « choc des cultures » que d’un choc des incultures. Au sein de cette génération, l’absence quasi-totale de connaissances sur l’histoire de la colonisation, de l’es-clavage, et de la France en général, permet au rouleau compresseur de la propagande d’agir

Aujourd’hui, le gouvernement italien

continue d’alimenter la psychose et prolonge l’état

d’urgence sanitaire pour se maintenir au pouvoir.

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à plein régime. L’Éducation « nationale » les encourage dans ce ressentiment en abordant ces périodes historiques de façon très manichéenne. Qui aujourd’hui sait encore que la traite arabo-musulmane, qui a duré quatorze siècles, ou la traite afro africaine, plus ancestrale en-core, fut bien plus longue et meurtrière que la traite occidentale ? Viendrait-il aujourd’hui à l’esprit de réclamer réparation à l’Algérie pour la mise en esclavage de Chrétiens par les bar-baresques ? Qui osera dire que la colonisation française en Afrique a aussi permis de mettre fin aux guerres tribales extrêmement violentes apportant parfois une certaine sécurité que ces populations ne connaissaient pas (exemple : en Guinée), que la présence française mit aussi fin à des pratiques barbares comme le cannibalisme, les sacrifices humains, les rituels meurtriers (exemple : les immolations de centaines de personnes dans ce qui est aujourd’hui le Ghana), que la France a interdit en 1844 l’esclavage dans toutes ses colonies alors que cette pratique était répandue depuis toujours en Afrique et aurait perduré bien plus long-temps sans la loi française ? Faut il rappeler que la Mauritanie pratique encore aujourd’hui l’esclavage sans que personne ne s’en émeuve ? On préfère s’attarder sur des faits datant d’il y a deux ou trois siècles. Je ne fais aucunement l’apologie de la colonisation mais il faut être capable de regarder avec lucidité et justice les parts d’ombre et les parts de lumière de notre Histoire. Juger les hommes d’hier à l’aune de nos valeurs actuelles est une absurdité historique. Sauf à entrer dans une compétition victimaire malsaine et sans fin, car malheu-reusement toutes les civilisations, à toutes les époques, ont colonisé ou été colonisées, ont été esclavagistes ou mises en esclavage … Vincenzo Sofo : La racialisation de la vie sociale est un phénomène qui, grâce à Dieu, est assez marginal en Italie, car l’immigration est plus récente et plus limitée qu’en France. Ce que nous avons découvert avec l’affaire George Floyd, c’est la colonisation culturelle de l’Europe occidentale par les États-Unis. Bien que nous soyons à des milliers de kilomètres du continent américain et ne connaissions absolument pas des situations semblables à celle des États-Unis, une vague iconoclaste a vandalisé plusieurs monuments et statues italiennes dans la foulée des destructions de statues outre-Atlantique. Ces dégradations sont l’œuvre d’activistes de gauche qui profitent de la polémique pour diaboliser des points de référence culturels, entraînant avec eux des groupes de jeunes qui se cherchent des nobles causes pour remplir le vide d’une existence réduite à la consommation. Pour mesurer à quel point nous avons renoncé à notre culture millénaire au profit d’une culture étrangère, il suffit de constater que la France et l’Italie, capitales de la mode ou de la musique, subissent de plein fouet la mode dominante « made in USA » et l’imitation de chansons importées du style des rappeurs afro-américains. On devrait demander aux groupies de l’UE pourquoi cette institution qui dépense des milliards d’euros dans des pro-grammes inutiles ne s’est pas emparée de la seule chose qui pourrait consolider le socle com-mun des membres : réanimer l’esprit de la civilisation européenne à travers la redécouverte et la valorisation du patrimoine historique, culturel et identitaire de l’Europe.

Il y a une autre hypothèse, encore plus terrible : en novembre 1963, en rentrant des obsèques du Président Kennedy à Washington, le général de Gaulle dit à Alain Peyrefitte qu’il attribue l’assassinat de Dallas à la guerre raciale, ajoutant : « C’est l’histoire de deux races qui ne peuvent pas s’entendre. ». N’est-ce pas la question de l’immigration massive ? Et même, la viabilité de toute société multiraciale, où l’esprit de revanche n’est jamais exclu ?

Marion Maréchal : L’histoire américaine n’est pas l’histoire française, la France n’a jamais pratiqué la ségrégation qui n’a pris fin que récemment, en 1964, aux États-Unis. De même le fonctionnement de la police américaine n’a rien à voir avec celui de la police française.

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Il est vrai que l’Histoire est tragique et malheureusement les sociétés multiculturelles sont des sociétés le plus souvent conflictuelles. Mais réduire ce sujet à la couleur de peau est une erreur majeure. Il est étonnant que cette gauche évacue si facilement la dimension culturelle et économique pourtant censée être sa principale grille de lecture politique. Un exemple : aujourd’hui en France, un Français noir en mocassin et Barbour qui se balade dans le XIème à Paris a-t-il plus de chance de se faire contrôler par un policier qu’un blanc en casquette jogging qui traîne dans la rue à Clichy ? Évidemment non, car les contrôles sont avant tout liés au niveau de délinquance et de criminalité d’un territoire. Autre exemple : un Martini-quais qui demain viendrait chercher du travail en métropole a-t-il moins de chance qu’un Roumain blanc, maîtrisant mal le français, fraichement arrivé sur le territoire ? Évidemment non. Enfin : Mme Sibeth Ndiaye, fille de l’élite sénégalaise, a-t-elle moins de chance de réussir en France que le fils d’ouvrier français de souche, né en Creuse ? Le sujet des « discri-minations » est bien plus complexe que la justification par un soi-disant racisme d’État ou « privilège blanc ». Vincenzo Sofo : L’Italie ne connaît pas (encore) la société multiculturelle mais la violence que nous constatons chaque jour en France, dont on voit bien qu’elle est souvent liée à l’immigration, confirme que le sujet est central. Lorsqu’ils deviennent une immigration de peuplement, ces mouvements de population bouleversent l’harmonie, l’unité et la paix d’une nation. La donnée la plus pertinente pour comprendre le défi que nous affrontons est la donnée démographique. Au début des années 1800, le monde comptait un peu moins d’un mil-liard d’habitants, l’Asie 600 millions, l’Europe environ 200 millions, l’Afrique un peu plus de 100 millions et l’ensemble du continent américain à peine une trentaine de millions. Un siècle plus tard, au début des années 1900, l’Europe atteignait son plus haut niveau de peuplement, relativement à la population mondiale, en concentrant près de 25 % des habi-tants du monde. Au même moment, l’Asie atteignait 947 millions d’habitants et l’Afrique 133 millions. Mais le nouveau millénaire présente une répartition démographique très diffé-rente et beaucoup moins favorable à notre continent. En 2015, on constate que la croissance démographique européenne s’est presque arrêtée à 734 millions et l’Amérique du Nord à 370 millions d’habitants. À l’inverse, l’Asie a explosé, atteignant plus de 4,3 milliards d’ha-bitants, et l’Afrique plus de 1 milliard. Cette tendance s’aggravera encore d’ici 2050 : le continent européen va continuer de voir sa population se réduire pour descendre à environ 700 millions de personnes, l’Amérique du Nord à 400 millions tandis que l’Asie devrait at-teindre les 5 milliards et l’Afrique entre 2 et 2,5 milliards d’habitants. Si l’on devait raisonner à l’échelle nationale, les chiffres sont tout aussi inquiétants. Selon les projections, toujours à l’horizon 2050, la Chine et l’Inde compteront environ 1,5 milliard d’habitants, les États-Unis près de 400 millions et le monde aura une quinzaine de pays de plus de 100 millions d’habitants sans qu’aucun parmi eux ne soit un État européen. Conclusion : la crise migra-toire ne fait que commencer.

En juin, avant même le rassemblement organisé par la famille Traoré, il y eut une autre manifestation celle de « sans-papiers » – c’est-à-dire des hors-la-loi. Ces deux manifestations étaient interdites. Or, elles ne furent pas réprimées mais accom-pagnées par la police ; bandes et intérêts catégoriels agissent à leur guise : cette démission de l’État n’est-elle pas le fond du problème ?

Marion Maréchal : Il y a moins démission que complicité. Quand il s’agit de réprimer les gilets jaunes ou de faire respecter le confinement, l’État est bien là avec ses blindés, ses LBD, ses hélicoptères, ses comparutions immédiates et ses amendes.

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La bêtise de nombreux commentaires médiatiques parlant de « droitisation » du gouverne-ment oublie qu’Emmanuel Macron était, à l’origine, un adhérent du PS et un ministre socia-liste, que la majorité des membres de ses trois gouvernements étaient issus de la gauche, que sa majorité parlementaire est en grande partie composée d’anciens socialistes. Sur tous les sujets de société (immigration, islamisme, sécurité, PMA et GPA pour les couples homosexuels), Emmanuel Macron est un homme de gauche fervent. Le choix de son actuel ministre de la Justice est à ce titre édifiant : Me Dupont-Moretti vient de la gauche radicale et annonce dès son intronisation que son ministère sera celui de l’« antiracisme », comprenez celui de l’immi-gration incontrôlée, des naturalisations de masse et des revendications communautaires. La présence d’ex-LR est une façon de désarmer l’opposition LR et de capter l’électorat « centre-droit ». L’adhésion de la classe dirigeante à la cause « antiraciste » est en partie due aux grandes écoles qui sont souvent les incubateurs de ces idéologies. L’indigénisme actuel, nouvelle forme de racisme anti-Français et anti-Blancs, est l’enfant monstrueux de SOS Racisme. La gauche universaliste qui vantait la France « black blanc beur » voit aujourd’hui ses idoles (Ferry, Jaurès, etc.) traitées de racistes et de colonisateurs par les militants indigénistes qu’ils ont fabriqués. À force d’ethno-masochisme, de dé-nigrement de l’héritage, d’apologie du multiculturalisme et de l’immigration, la gauche du terrorisme intellectuel a fait le lit d’une idéologie antirépublicaine et racialiste. Le plus inquiétant n’est d’ailleurs pas l’existence de ces groupes, mais la résonance qu’ils ont au plus haut som-met de l’État. Vincenzo Sofo : Le niveau de gravité est différent mais le principe de la soumission de l’État italien aux revendica-tions minoritaires est similaire à la France. Par exemple, les ONG de passeurs reçoivent beaucoup d’aides de la part de l’État. Actuellement, le ministère de l’Agriculture défend la régularisation de 200 000 clandestins. Autre exemple : le maire de Riace, petit village calabrais, est devenu une idole de la gauche pour avoir organisé l’ar-rivée d’immigrés légaux et illégaux dans sa ville afin de repeupler son territoire. Une enquête est en cours sur l’organisation de mariages blancs à son initiative pour favoriser les régularisations. Fort heureusement, il a été battu aux dernières élections par un maire de la Lega ! Ce qui nous sauve, c’est qu’il n’y a pas de droit du sol en Italie malgré la pression régulière de la gauche pour l’adopter. Tout cela pour dire que la classe dirigeante, médiatique, italienne adhère, elle aussi, au modèle multiculturel. Nous mesurons que votre présent est notre ave-nir si nous ne réagissons pas. C’est pourquoi je suis régulièrement l’actualité française et constate, effaré, les incendies et dégradations répétés de vos églises, phénomène qui n’existe pas en Italie.

N’êtes-vous pas frappés, l’un et l’autre, par le fait que l’Europe de l’Ouest ne réa-gisse pas du tout comme l’Europe de l’Est, où l’on ne songe nullement à faire acte de contrition au nom de la race blanche ? Comment expliquez-vous que, sur cette

On devrait demander aux groupies de l’UE pourquoi cette institution qui dépense des milliards d’euros dans des programmes inutiles ne s’est pas encore emparée de la seule chose qui pourrait consolider le socle commun des membres : réanimer l’esprit de la civilisation européenne à travers la redécouverte et la valorisation du patrimoine historique, culturel et identitaire de l’Europe.

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question, l’Europe soit coupée en deux ? Ne pourrait-on dire que les pays de l’Est, vaccinés contre le communisme, ne cèdent pas au nouveau communisme qu’est l’an-tiracisme – pour reprendre la formule de Finkielkraut ?

Marion Maréchal : Il est certain que le souvenir des dictatures communistes (ou de la colonisation turque pour la Hongrie, notamment) façonnent à l’Est une lecture du monde bien différente de la nôtre. Ajoutons à cela une culpabilité française liée à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre d’Algérie qui survit jusqu’ici. N’oublions pas que l’Éducation na-tionale est tenue, depuis 1945, par les communistes d’abord, puis par la gauche en général, façonnant une lecture partiale et partielle de notre histoire qui alimente la culpabilité sur laquelle le discours indigéniste racialiste prospère.J’ajouterai que la France est aussi prisonnière du modèle républicain universaliste qui se retourne contre elle. C’est au nom des droits de l’Homme que l’on accueille sans dis-

cernement, c’est au nom des droits de l’Homme que les Frères musulmans font avancer les revendications politico-religieuses en vertu des « droits des minorités ». La liberté individuelle est l’argument invoqué pour faire accepter le port du voile en tout lieu, les horaires séparés dans les piscines, les repas hallal à la cantine, etc. De même, la francophonie, qui était un vecteur extraordinaire de l’influence française, est aujourd’hui abandonnée alors qu’elle pourrait être un vecteur de

puissance (et d’influence, pour commencer sur les pays de provenance) et n’est plus qu’un accélérateur de l’immigration francophone. Les ONG et les groupes islamistes ont retour-né notre dialectique contre nous. Vincenzo Sofo : L’Europe de l’Est a eu la chance de ne pas avoir été touchée par le tsunami culturel de la Révolution française et par la colonisation de l’« American Way of Life ». Mais il a eu la malchance d’avoir eu directement affaire avec les questions soviétique et musulmane qui ont façonné différemment leur identité. La vérité est que l’Europe est coupée en deux pratiquement sur tout, parfois divisée entre nord et sud, parfois entre est et ouest, sur des sujets culturels, religieux, économiques, diplomatiques. C’est la raison pour laquelle l’UE des 27, qui fonctionne avec le mécanisme de l’unanimité, est un projet voué à l’échec depuis le départ. Par ailleurs, bien que le groupe de Visegrad semble régulièrement tenir tête à la Commission européenne, notamment sur les sujets civilisationnels, il ne faut pas oublier qu’ils sont les bénéficiaires nets de ce système. Recevant plus d’argent qu’ils n’en donnent, il ne faut pas attendre d’eux qu’ils remettent fondamentalement en cause le dispositif. Le salut ne peut venir que du réveil des pays incontournables comme l’Italie ou la France.

La politique est aussi une question d’amour : tout viendrait d’une situation inédite, celle de peuples qui se déprennent d’eux-mêmes, ne s’aiment plus, ne se protègent plus, et se mettent à genoux moins par contrition que par fatigue d’êre soi. Com-ment expliquez-vous la haine de soi qui envahit l’homme occidental ? N’est-ce pas le signe qu’il n’aime plus son modèle, que les paradigmes qui ont fondé la modernité il y a trois siècles sont morts ?

Marion Maréchal : Il m’apparaît évident que cette haine de soi va aussi de pair avec une certaine vision de l’Homme aujourd’hui véhiculée par l’idéologie écologiste. Je parle bien d’idéologie, car chacun d’entre nous souhaite manger des tomates qui ont du goût, respirer un air pur, ne pas marcher au milieu des sacs plastiques, ne pas porter des vê-

Une démarche écologique efficace et cohérente ne

peut être, selon moi, que conservatrice.

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tements pollués. Mais les Verts sont très loin de s’arrêter à ces sujets. Ils sont avant tout des progressistes radicaux qui s’occupent davantage de sujets dits sociétaux (théorie du genre, revendications LGBT, délires féministes, voile islamique...) que de la Nature. Ils sont dans la négation de l’Homme et de ses besoins essentiels pour défendre une forme d’auto détermination sans limite culturelle ou spirituelle : une première dans l’histoire des civilisations. Derrière la « déconstruction », il y a une profonde haine de ce qu’est l’Homme, le plus souvent comparé à un agent toxique et nuisible qui n’aurait pas plus de valeur qu’une huître ou un loup. Cette lecture poli-tique est aussi le résultat de l’effondrement de la vision chrétienne de la société qui plaçait l’homme comme au dessus du règle animal, « à l’image de Dieu ». Cette domination ne valait pas blanc-seing pour détruire et exploiter sans limites mais était une injonction à être responsable de cette création divine du fait de notre supériorité de conscience. La vertu de tempérance est l’une des quatre vertus cardinales de la Chrétienté. Elle est une condition nécessaire à toute démarche écologique. C’est aussi parce que nous avons oublié cet héritage que le citoyen est aujourd’hui happé par une course à la consommation et à la jouissance in-compatible avec la protection d’une planète aux res-sources limitées. Une démarche écologique efficace et cohérente ne peut être, pour moi, que conservatrice. Elle passera donc nécessairement par la redécouverte de cette sagesse millénaire.

Vincenzo Sofo : À partir du moment où l’identité s’est affaiblie, le ciment qui maintenait nos communautés ensemble s’est dissout. Nous n’avons plus de sentiment religieux, nous n’avons plus de sens de la famille, nous ne croyons plus en l’amour, nous n’avons plus de biens propres parce que nous faisons tout en location ou en « sharing ». Pourquoi devrions-nous nous battre ? Que devrions-nous défendre, le Dieu que nous ne prions pas ? Le partenaire duquel nous nous séparons à la première querelle ? La patrie que nous n’honorons plus ? La maison qui ne nous appartient pas ? Les enfants que nous ne faisons pas ? Je n’ai jamais vu personne risquer sa vie pour son smart-phone, et pourtant, nous, Occidentaux, consacrons notre vie à cela.

L’Italie n’est pas au stade de la « haine de soi » mais plutôt dans l’oubli progressif des raisons de s’aimer, une des conséquences de la révolution culturelle conduite par la gauche en 1968 dans la foulée de la France. Rappelons-nous qu il y a une une vingtaine d’années, exhiber le drapeau italien et chanter l’hymne national étaient attaqués par les médias et les partis de gauche comme une manifestation fasciste, au point que même les joueurs des équipes natio-nales n’osaient plus chanter cet hymne lors de manifestations sportives. J’ajouterai l’oeuvre de destruction de l’enseignement de notre histoire orchestrée par la gauche qui, suivant les leçons de Gramsci, a monopolisé l’instruction publique. Une pression similaire s’est exercée sur les langues locales, renvoyées à une expression d’ignorance et de vulgarité plutôt qu’à une richesse culturelle.

Il reste à nous emparer de la culture en construisant de multiples îlots de résistance, éducatifs, moraux, intellectuels à partir de nos communautés politiques, familiales et amicales. Je crois à la force de notre vision : je suis certaine que face au délitement social, face à la multiplication des affrontements raciaux, face au grand déracinement, beaucoup de Français se tourneront naturellement vers ces îlots.

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Pensez-vous encore possible d’instruire, sur les décombres de la modernité, la morale et la politique qui furent toujours celles des Anciens : une morale et une politique conservatrices ?

Marion Maréchal : C’est tout le paradoxe des démocraties libérales parce qu’elles sont des régimes de liberté et en particulier de libertés individuelles, elles n’ont pas le pouvoir d’impo-ser, par la loi, des mœurs, une morale, des principes. Tout au plus peuvent-elles encourager certains modes de vie plutôt que d’autres et encore – de moins en moins, dans le monde ouvert et connecté qui est le nôtre. Seules les religions, parce qu’elles ressortent au domaine de la conscience, ou les régimes totalitaires parce que contrôlant par la contrainte toutes les dimensions publiques et privées d’un individu, ou encore la politique culturelle à grande échelle, peuvent réussir à façonner des « paradigmes ». Je ne suis pas l’Église et suis attachée à la liberté : il reste donc, à nous emparer de la culture en construisant de multiples îlots de ré-sistance, éducatifs, moraux et intellectuels à partir de nos communautés politiques, familiales et amicales. Je crois à la force de notre vision, aussi je suis certaine que face au délitement social, face à la multiplication des affrontements raciaux, face au grand déracinement, beau-coup de Français se tourneront naturellement vers ces îlots venant y chercher un héritage, une compréhension du monde, la chaleur humaine d’une patrie dont on les a tant privés. Vincenzo Sofo : Je ne crois pas que les paradigmes chrétiens soient totalement effacés en Italie. Contrairement à la France, la laïcité militante de la gauche, qui cherche à effacer toute référence spirituelle dans l’espace public, est beaucoup moins efficace. Les Italiens sont de moins en moins pratiquants, bien qu’ils le soient plus que les Français, mais le catholicisme est omniprésent chez nous, dans nos maisons, nos commerces, nos hôpitaux, etc. Nous n’avons pas de complexe de ce point de vue. Les précautions sémantiques du type « Bonnes fêtes de fin d’année » plutôt que « Joyeux Noël » ne se sont pas encore imposées malgré le lobbying de la gauche. De même, les couples italiens divorcent beaucoup moins que les français. Le vécu identitaire est avant tout familial et régional, presque clanique dans le sud. L’État est pour nous une construction récente, le plus souvent perçu comme inefficace. Notre identité ne vient pas d’en haut mais d’en bas. Cela donne aussi plus d’anticorps intel-lectuels et moraux aux Italiens pour résister à la propagande d’État. Dans ces conditions, il n’est pas tant besoin de reconstruire que de protéger ce qui existe.

Propos recueillis par pmc

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La Covid, un « mai 68 à l’envers »

Entretien avec Philippe de Villiers

n un éclair, Philippe de Villiers a saisi, avec son habituel prophétisme, l’immense portée de la mutation multiforme, et d’abord intellectuelle et politique, que provoque sous nos yeux le « petit virus ». En 2020, avec la même rapidité, il a écrit et publié un livre

détonnant, Les Gaulois Réfractaires demandent des comptes au Nouveau Monde (Fayard, 156 pages), où il analyse les différents aspects de cette mutation, observant combien elle vérifie les prédictions des tenants du « monde ancien » – en fait, des « Conservateurs » qui, alors, ne portaient pas encore ce nom. Occasion de revenir sur ses premières intuitions des années 90, partagées en particulier avec Jimmy Goldsmith (Le Piège, Fixot, 1994). Par exemple, il rappelle opportunément qu’il fut le seul député de droite à voter contre le traité de Marrakech créant, en 1993, l’OMC.

Savourant discrètement le triomphe de nos idées communes, l’auteur donne libre cours à son sens des formules « la mondialisation est microbienne par nature », ou encore « les élites réinjectent sans cesse des amphétamines monétaires », etc. Mieux, il aperçoit le monde que dessine le nouveau pouvoir scientifique, tant disqualifié pourtant par la pandémie : « Le biopouvoir est une sorte de despotisme doux : il surveille, vidéo-protège, il punit, il impose une société disciplinaire au nom de la sécurité sanitaire ».

Dès sa parution, en juin, ce petit livre étincelant est parvenu en tête des ventes – les succès de librairie de Philippe de Villiers marquant en eux-mêmes un signe des temps. Il a accepté de répondre aux nombreuses questions du Nouveau Conservateur ce dont nous le remercions.

Vous écrivez que Les Gaulois réfractaires demandent des comptes au Nouveau Monde est un « trousseau de clefs » pour comprendre la « crise » de la Covid. Est-ce une crise ou plus profondément une mutation historique ?

Il s’agit effectivement d’une mutation historique. C’est la fin du Nouveau Monde et le retour de l’Ancien Monde, c’est-à-dire le retour des frontières perçues comme des filtres pacifi-cateurs, le retour des nations protectrices, le retour des États régaliens. Bref, le retour des souverainetés.

Vous insistez sur le paradigme moderne par excellence, les « flux », mot clef en même temps qu’il est une « pierre d’achoppement » de la modernité : le temps des puis-sances maritimes dominant les puissances terriennes, du commerce tous azimuts, du voyage facile, du déracinement général, etc. Ce temps est-il vraiment révolu ?

La pandémie a fait redécouvrir aux disciples de la « religion des flux » le carré magique de la survie : le premier coin du carré, c’est la frontière ; le deuxième, c’est la souveraineté ; le troi-sième, c’est le local, les « territoires » ; le quatrième, c’est la famille qui est apparue à nouveau pour ce qu’elle est : la première sécurité sociale. C’est le grand retour au réel.

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Dans le même ordre d’idée, pensez-vous que ce petit virus aura des répercussions sur le plan international ? À propos de la Chine, pouvons-nous d’ores et déjà établir quelques responsabilités dans l’apparition et la diffusion du virus ?

Je crois surtout que c’est la fin de l’« Organisation Mondiale du Commerce », c’est-à-dire de l’organisation commerciale du monde. Chaque nation retrouvera le droit de protéger ses intérêts vitaux. Le monde de demain sera un monde de nations. La mondialisation des échanges est vieille comme les Phéniciens – mais l’idée d’un monde débarrassé des souve-rainetés et des protections est derrière nous. La pandémie a fait ressortir le droit moral au protectionnisme qui retrouve ses lettres de noblesse après avoir été vilipendé comme une régression.

La pandémie jette une lumière crue sur les faiblesses de la mondialisation. Êtes-vous de ceux qu’apercevez comme l’avait fait notre ami commun Hervé Coutau-Bégarie dans un de ses deniers livres 2030, la fin de la mondialisation ?

La « mondialisation heureuse » était établie sur deux promesses : la promesse d’un « Village global unifié » et le primat de l’économique sur le politique. Le politique, c’est la protection régalienne, l’économique, c’est la logique des intérêts. Ainsi sont nées, depuis le traité de Marrakech, les chaînes de valeur globale. Ainsi s’est répandu le slogan : « Délocaliser ou mourir ». Cette « mondialisation heureuse » nous a rendus malades. Or, c’est elle qui est morte du coronavirus. On parle maintenant de « relocaliser » les productions. On entre dans le temps des grands rapatriements.

Vous estimez que la pandémie scelle cinquante ans de domination idéologique de « l’esprit 68 » (vous parlez d’« un anti-mai 68 »). Sur quels axes se fait ce renversement – par exemple, le souverainisme ?

Tout mai 68 est contenu dans la peinture dégoulinante de la Sorbonne avec cette objurga-tion : « Cours, camarade, l’Ancien Monde est derrière toi ». Eh bien, aujourd’hui on peut dire : « Cours, camarade, le Nouveau Monde est derrière toi ». Beaucoup de gens perçoivent la nécessité de retrouver la souveraineté sous les deux espèces, externe et interne. Oui, cher Paul-Marie, c’est nous qui avons porté pour la première fois le mot « souverai-nisme ». Et c’est notre fierté commune, aujourd’hui, de constater la fortune sémantique d’une expression qui nous a valut si longtemps d’être traités de « lépreux du populisme »…

Vous collaborez également à la revue de Michel Onfray Front Populaire qui se veut souverainiste. Mais le souverainisme n’est pas seulement l’opposition à la supranationalité européenne, à l’OTAN ou au mondialisme financier ; c’est aussi la souveraineté de l’État vis-à-vis des féodalités intérieures, syndicales et médiatiques aussi bien que patronales ou financières : « le souverain en son royaume ». Et c’est aussi, en troisième lieu, la souveraineté culturelle, c’est-à-dire la revendication identitaire qui ne saurait aller sans la défense de son élément essentiel, la chrétienté. De ce point de vue, existe-t-il selon vous un souverainisme de gauche ? Pour ma part je l’ai longtemps cru mais je ne le crois plus, les valeurs du progressisme moderne n’incluant ni la défense de l’État, ni celle de son identité historique.

Quand on parle de la souveraineté manquante, c’est qu’on est en guerre. On ne mesure le prix de la liberté que lorsqu’on en est privé. Alors, quand on se cache dans le même maquis, face à l’occupant, il est recommandé d’accorder tous les fusils comme les violons, sans aller scruter les pensées intimes des uns et des autres. Je pense comme vous que la souveraineté ne va pas sans l’identité mais qu’elle en est le chemin obligé, le premier pas. Les « souverainistes

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de gauche » sont nos compagnons de maquis. Mais existe-t il encore beaucoup de souverai-nistes de gauche ? Michel Onfray est un esprit libre. Je le connais bien. Quand il est venu au Puy du Fou, il a vibré à tous les spectacles. C’est un homme des patries charnelles.

« L’idée de souveraineté européenne n’est qu’un fantasme »Revenons-en à la Covid : sur la gestion de la pandémie, vous semblez avoir perdu la tendresse que vous eûtes jadis pour Emmanuel Macron – et sur laquelle votre ouvrage revient opportunément. Croyez-vous sincère sa contrition du 13 avril –seule allocution depuis longtemps où un drapeau européen ne figure pas derrière le président de la République ? Quelque chose peut-il encore changer dans notre politique d’ici 2022 ?

Je ne le crois pas. Emmanuel Macron est un enfant du Nouveau Monde. Il n’est pas donné à tout le nouveau monde d’effectuer son chemin de Damas. Je le crois sincèrement attaché à l’européisme, au mondialisme et au multiculturalisme. Il lui arrive d’accéder aux mystères des grandeurs françaises mais ce ne sont que des spasmes. Son idée de la souveraineté euro-péenne est un fantasme.

Il faudra expliquer un jour l’accumulation de mensonges de nos dirigeants – dont vous citez certains en en oubliant généreusement bon nombre, comme l’incroyable sortie du ministre Véran le 5 mars stigmatisant le confinement en ce qu’il ne pouvait qu’accélérer la propagation du virus … Comment expliquez-vous cette pagaille dans les têtes – et dans l’action gouvernementales ?

Nous sommes devant une gigantesque pantalonnade. Le Gouvernement a fait payer à la po-pulation son incurie, son incompétence et son inculture. On est allé de saltos avant en saltos arrière : ce sont les mêmes qui ont interdit les masques quand cela était nécessaire et qui les ont rendus obligatoires quand ce n’était plus nécessaire.

Finalement, le confinement a-t-il été pour vous une bonne ou une mauvaise décision, notamment au regard de ses conséquences économiques ?

Le confinement généralisé fut une erreur. Si on compare ce qui vient de se passer avec la peste et la lèpre du Moyen-Âge, nous sommes dans une inversion. Au Moyen-Âge, on confi-nait les mal portants. Aujourd’hui, on confine les bien portants. J’explique dans mon livre pourquoi et comment on pouvait faire tout autrement.

Il y a plusieurs sous-affaires (ou sur-affaires) incluses dans cette pandémie –notamment celle du professeur Raoult. Comment expliquez-vous la chasse qui lui a été faite par le Gouvernement ? En second lieu, ne pensez-vous pas que le pouvoir scientifique, et peut-être l’esprit scientifique qui a tant dominé les temps modernes, ont perdu beaucoup de leurs prestiges ?

Le professeur Raoult est un symbole. Il est le Druide des Gaulois réfractaires. Ses résultats parlent pour lui à Marseille. Il n’est lié à aucun laboratoire, ni à aucune multinationale. Quant au pouvoir scientifique, il a failli puisque c’est l’Imperial College de Londres qui avait prévu 500 000 morts en France. Le scientisme prétendait organiser scientifiquement l’hu-manité. Nous y sommes, et c’est un désastre.

N’avez-vous pas observé un curieux phénomène, face à la pandémie ? L’« homme de droite » ne s’est pas comporté exactement comme l’« homme de gauche » : le

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premier s’est moins facilement affolé (beaucoup continuant à parler de « grippe », terme générique), il a moins facilement accepté le confinement, il a bien davantage soutenu le professeur Raoult …

Il y a ceux qui acceptent d’avoir l’âme masquée et ceux qui veulent avancer à visage dé-couvert. Comme disait Drieu la Rochelle : « On est plus fidèle à son tempérament qu’à ses idées ». Il y a désormais deux sortes de voiles dans la société française : le voile islamique et le voile prophylactique.

« Conserver, c’est sauver, monter vers ce qui demeure »… et l’homme de droite se méfie des deux ! Autre affaire dans l’affaire, celle du comportement des « banlieues » et l’espèce de dissidence que tout le monde a pu voir, face à une police évanescente, ou apeurée. Par-delà les faits, comment expliquez-vous que la loi, mais aussi la police, soient ainsi défiées par des parts croissantes de la population ?

Les évènements récents ont attesté qu’il y a désormais, sur le territoire français, des enclaves étrangères qui entendent décoloniser la France. Face à ce phénomène qui s’étend, les élites font la génuflexion et récitent leur acte de contrition. Jusqu’à quand ?

Vous avez dit à Béziers en décembre 2016 : « C’est la première fois dans l’histoire où celui qui est envahi va chercher l’envahisseur pour qu’il ne se noie pas ». Pourtant, on a l’impression que vous avez quelques réticences à utiliser l’expression de Renaud Camus, le « Grand remplacement »…

Non ! Je trouve que l’expression est très juste. Je n’ai aucune hésitation dans l’utilisation de cette qualification. Renaud Camus a dit la vérité avant tout le monde, comme Jean Raspail dans Le Camp des Saints. Un jour, l’Histoire le reconnaîtra.

Vous avez dit un jour à M. Macron : « Désormais le président sera jugé non sur ce qu’il aura changé mais sur ce qu’il aura sauvé ». Ne définissez-vous pas ici l’esprit conservateur ? Que pensez-vous du renouveau du mot « conservateur » ?

L’étymologie du mot lui donne sa portée symbolique : conserver, c’est sauver. Sauver ne veut pas dire regretter. Sauver, ce n’est pas descendre en soi pour aller rechercher ce qui n’est plus, dans le for nostalgique, c’est plutôt monter vers ce qui demeure.

Propos recueillis par pmc

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Nous ne faisons qu’apercevoir les premières conséquences économiques

par Victor Fouquet, Chargé de mission au Sénat . Dernier ouvrage paru : La Révolte fiscale . L’impôt : histoire,

théories et avatars (Calmann-Lévy, 2019)

nticipations, extrapolations et admonestations vont bon train sur les conséquences financières, économiques et sociales de la crise – ou plus précisément du très long confinement dont on se demande s’il ne fut pas un remède pire que le mal – une fois

de plus. Victor Fouquet, jeune fiscaliste auteur de plusieurs ouvrages, dont une anthologie remarquée de La Pensée libérale de l’impôt, et dont on retrouve souvent la plume informée dans la presse éco-nomique, formule ici quelques observations d’ores et déjà certaines, et alarmantes.

La dégradation de l’économie française et des comptes publics liée aux huit semaines de claus-tration est d’une ampleur vertigineuse. Commençons par rappeler que le troisième budget recti-ficatif adopté par le Parlement à la fin du mois de juillet fut construit à partir d’une prévision de récession évaluée par le Gouvernement à 11 % sur l’ensemble de l’année 2020 (contre 8 % dans le deuxième projet de loi de finances rectificative, présenté mi-avril, et seulement 1 % dans la pre-mière mouture, déposée le 18 mars sur le bureau de l’Assemblée nationale, au lendemain de l’adop-tion du décret de confinement général), soit la pire performance depuis 1944 (- 15,5 % du PIB).

La pandémie de Covid 19 devrait nous affecter davantage par ses conséquences écono-miques, dont on ne fait encore qu’entrevoir les signes précurseurs, que par ses conséquences létales : 30 000 morts à l’heure où sont rédigées ces lignes, surmortalité certes importante, ce-pendant comparable à celle de la grippe italienne de 1948-1949 (36 000 personnes en France), de la grippe de 1953 (28 000 personnes en France) ou à celle de la grippe de Hong Kong en 1968-1970 (31 000 personnes en France). Car si le taux de reproduction de la Covid 19 a été revu à la hausse (3,3 % contre 2,4 % au mois de janvier), le taux moyen de mortalité des per-sonnes infectées a, lui, été revu significativement à la baisse : 0,5 % désormais au lieu de 3,4 %.

L’effort budgétaire réel déployé au moyen des trois lois de finances rectificatives (succes-sion de « collectifs budgétaires » inédite dans notre histoire budgétaire !) devrait approcher les 60 milliards d’euros, auxquels vient s’ajouter un reflux massif des recettes fiscales, de l’ordre de 70 milliards d’euros, tantôt subi, tantôt intelligemment consenti par l’Exécutif à travers le déca-lage ou l’abandon d’impôts, taxes et cotisations sociales. Reste que la combinaison de ces deux effets a, en quelques mois, porté le niveau de déficit public à 11,5 % du PIB (soit environ 225 milliards d’euros, près de 2,5 fois supérieur au déficit initialement prévu dans la loi de finances pour 2020) et celui de la dette publique à 121 % du PIB. La détérioration de l’ensemble de ces prévisions pourrait se poursuivre à l’occasion du quatrième projet de loi de finances rectificative, celui du « plan de relance », dont la présentation est programmée à l’orée du mois de septembre, quelques semaines seulement avant celle du projet de loi de finances pour 2021.

700 000 jeunes débarquent sur un marché du travail exsangueLe ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a estimé qu’il faudrait à la France

au moins deux ans pour retrouver le niveau de richesse nationale qui était le sien à la fin de l’an-née 2019. Très concrètement, ce ne sont pas moins de 800 000 suppressions d’emplois qui sont

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attendues d’ici à la fin de l’année, et quelque 700 000 jeunes qui vont se retrouver tout d’un coup débarqués sur un marché du travail exsangue. Ces différentes projections sont du reste très fra-giles, et nécessairement fluctuantes, compte tenu des nombreuses inconnues qui entourent, non seulement notre capacité à dépister massivement le virus pour tabler sur un retour immédiat à la normale, mais également un éventuel redémarrage de l’épidémie. Or, le maintien prolongé par les autorités publiques d’une réglementation sanitaire foisonnante – autrement dit d’un déconfi-nement partiel … – ne peut qu’engourdir l’appareil productif, et la diminution du rendement du capital ne peut, parallèlement, que dissuader les entreprises d’investir afin de le fortifier.

Disons-le tout net : la situation est d’autant plus périlleuse en France, et nos marges de manœuvre d’autant plus exiguës, que nous avons dû affronter la pandémie de Covid 19 alors que nous étions déjà en situation financière de grande faiblesse par rapport à la plupart des autres pays. La France est ainsi, avec l’Italie, le seul pays de la zone euro dont la part de la dette dans la richesse nationale a augmenté entre 2014 et 2019. La comparaison avec l’Allemagne est peut-être plus significative encore : ainsi avons-nous abordé la présente crise avec un endettement public frôlant les 100 % du PIB, soit un écart de 40 points avec l’Allemagne, alors même que, avant la précédente déflagration de 2008, nous étions au même niveau d’endettement que notre voisin allemand. L’état délabré de nos comptes publics trahit, au même titre que la gestion défaillante des stocks de masse et l’incapacité à produire des tests de dépistage, la cruelle impréparation du pouvoir politique face au risque pandémique. Le choc économique post-Covid 19 est d’abord le choc d’un confinement qui, faute d’anticipation, n’a pu être ciblé.

La fuite en avant financière, anti-libérale et anti-conservatrice Au-delà de l’impuissance d’un État omniprésent, les failles les plus spectaculaires révélées

par la crise sanitaire se sont concentrées en France sur les aspects géoéconomiques, largement délaissés malgré la stridence des alertes depuis quarante ans : changements de propriété ou de direction, fermetures, délocalisations, etc. À cet égard, il ne suffira pas de décréter par le haut le rapatriement des entreprises stratégiques pour que s’enclenche dans les secteurs vitaux le pro-cessus de revitalisation industrielle, et pour ainsi dire le recouvrement de notre indépendance. Encore faudra-t-il avoir la lucidité et le courage de regarder en face les causes profondes des délocalisations, inséparables de l’emprise grandissante de l’État sur la vie économique et sociale depuis 1945, malgré ce que laissent accroire les contempteurs de l’« ultralibéralisme ». La trans-formation graduelle de l’assurance sociale en un système d’assistance généralisée a généré un système fiscal de plus en plus lourd et de plus en plus progressif, en un mot de moins en moins libéral, essentiellement supporté par le secteur productif. De moins en moins conservateur aussi, la préférence ayant été donnée à la jouissance immédiate de la consommation plutôt qu’au sacri-fice de l’épargne et à la constitution de réserves qui, pour se prémunir contre les risques extrêmes en général et affronter la Covid 19 en particulier, eurent été des signes de sagesse fort bénéfiques.

Aujourd’hui encore, le large écho rencontré par la rhétorique interventionniste laisse craindre que nous accélérions la collectivisation, toujours parée des atours de la « solidarité », au lieu d’engager la nécessaire restructuration de l’État. Encouragée par la folle politique de création monétaire de la Banque centrale européenne, l’explosion de nos déficits et de la dette publics est insoutenable sur le long terme. Et ne pourra tôt ou tard que déboucher sur une crise financière des États au sein de la zone euro, sauf à ce que cette politique de quantitative easing perdure et continue de dissimuler nos turpitudes budgétaires. Dans ce dernier cas, la résolu-tion du problème de la dette se fera au prix fort de l’inflation, pénalisant les consommateurs et ruinant les épargnants à large échelle.

Le pire n’étant jamais sûr, gageons que nos prochains gouvernants, ayant le courage de gou-verner, sauront dégager les ressources financières nécessaires sans appliquer des prélèvements dissuasifs pour l’activité économique et la prospérité de notre pays.

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Covid : quand le Nasdaq prend le pouvoir

par Eric Favir, Ancien professionnel des marchés financiers internationaux

epuis des années, les grandes firmes américaines du Nasdaq, et quelques entreprises chinoises qui accèdent peu à peu au marché mondial (Alibaba, Huawei…), prennent l’ascendant sur les industries classiques, les petites comme les grandes, mais aussi sur les

Etats. Eric Favir, analyse ici la très rapide hausse des valorisations qu’elles affichent depuis l’émer-gence de la Covid au début de cette année, et formule d’inquiétantes constatations.

La crise de la Covid a provoqué un scenario inédit sur les marchés financiers, scenario qui a de quoi interpeller. Tandis que, juste avant la crise sanitaire, les marchés financiers poursuivaient une reprise modérée amorcée dès 2010, nombre d’analystes financiers mettaient en doute sa pérennité en évoquant l’imminence d’une bulle spéculative. La baisse des taux, qui nourrit à dessein depuis des années la hausse des actions, semblait arriver à son terme, d’autant que la si-tuation internationale se détériorait, en particulier à cause de doutes sur la pérennité de l’accord de commerce US-Chine. On s’attendait donc à une sévère correction des actifs financiers.

La Covid est arrivée à point nommé, d’abord en provoquant un effondrement soudain des bourses, ensuite en enclenchant l’occasion inespérée d’un plan massif, et jamais vu, d’injections de liquidités dans le système financier, ce qui a permis une hausse fulgurante des actions, et surtout de celles des entreprises technologiques du Nasdaq, cela en un temps record. On com-mence à voir à qui profite la Covid, et qui sont les grands perdants.

Les grands gagnants : les actionnaires d’une poignée de grandes sociétés technologiques américaines et chinoises

La Covid et les contraintes sociales, géographiques, spatiales qu’elle a imposées, a détourné la consommation soit vers des plateformes de vente comme Amazon, soit vers une consom-mation plus grande de «content» (Netflix, par exemple) ou de communication (Google, Face-book, ...) ou de plateformes de travail ou d’éducation à distance (CHEDD), tout cela profitant à l’ensemble de l’écosystème techno : cybersécurité, cloud, stockage et traitement de données, hardware, software de santé –et, bien entendu, les autres valeurs technologiques montantes que sont les grands laboratoires mondiaux de santé. Ces grandes groupes essentiellement améri-cains ont accentué considérablement leur puissance commerciale et financière et leur mainmise sur la société :- des chiffres d’affaires en hausse- un changement structurel des modes de consommation qui en 3 mois leur a fait gagner

10 ans, ce qui représente des sommes considérables- des capitalisations boursières qui ont explosé : Apple vaut aujourd’hui plus de 2100 Md $

contre 1550 avant la crise

D

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- des conditions de financement à taux zéro pour des centaines de milliards de dollars ; les taux bas renchérissent aussi la valeur des entreprises via le taux d’actualisation des profits à venir et des rachats massifs d’actions

- un contrôle accru de la population et des données puisqu’encore plus de consommateurs ont sensiblement augmenté les demandes de services et en deviennent de plus en plus dépen-dants, donnant aux techno accès à des données de plus en plus « wholistic »

- phénomène significatif, les valeurs technologiques se sont comportées comme des valeurs refuges en temps de crise au même titre que l’or ou les bons d’Etat, et ceci particulièrement auprès des classes de jeunes investisseurs fortunés qui préfèrent désormais la sûreté de Apple, Alphabet ou Amazon à celle des métaux précieux ou des titres de l’ancien temps, tels Air Liquide, Boeing, etc… Ce phénomène explique largement la hausse des principaux titres techno en bourse devenus, par esprit grégaire, des « must » à détenir en fond de portefeuille.

Etats et entreprises classiques, les grands perdantsLes grands perdants sont les Etats déjà surendettés et les « non possédants » qui devront

assumer le coût des gabegies de création monétaire quasi-exclusivement destinée aux marchés financiers et de l’attrition économique qui en résulte.

Certaines industries traditionnelles, telles le tourisme, l’aéronautique, mais aussi les transports et l’énergie et d’autres, ont beaucoup souffert mais devraient à terme se redresser, au prix de restructurations, même s’il est pro-bable que des années seront nécessaires pour retrouver les niveaux de février 2020.

Il est frappant de rapprocher les taux calamiteux d’en-dettement des Etats (et leurs déficits abyssaux) des bilans bourrés de cash des grands groupes techno américains (Apple détient, au premier trimestre 2020, 200 Md de dollars de cash, Microsoft et Alphabet-Google entre 100 et 200 ...).

Aux centaines de milliards de dollars dépensés aux USA par les programmes de soutien gouvernementaux à l’économie s’ajoutent les injections massives de la Banque Centrale Amé-ricaine (presque 2000 Md USD fin août sur le marché monétaire) pour le refinancement de la dette d’Etat et les programmes de rachat d’obligations d’entreprise. Rien ne résume davantage ce phénomène que la progression du total des actifs de la Fed : il est passé de 4 à 7 trillions de USD en 3 mois. Il était passé de 1 à 2 trillions pendant la crise de 2008 pour référence et de 2 à 4 au cours des années suivantes. Chaque fois que la bourse tangue, la Fed se précipite pour alourdir son bilan. C’est le niveau de la bourse qui détermine la politique monétaire. De la santé de la bourse dépend la santé de la nation américaine. Par exemple, les taxes sur les plus values financières aux US sont devenues aussi importantes, sinon plus, que l’impôt sur le revenu. Sans compter les détails réalistes, comme les énormes sommes d’argent privées des fondations qui sont en partie l’ersatz d’une politique sociale minimaliste et de la privatisation de l’Etat régalien.

La BCE affiche des performances presque aussi éloquentes : son bilan est passé de 4.7 tril-lions à 6.2 trillions d’euros en 3 mois.

La crise de la Covid a donc été un formidable accélérateur des injections massives de liqui-dités au service des entreprises technologiques qui tiennent les Etats à leur service - soi-disant pour soutenir la croissance.

Il est frappant de comparer les taux

calamiteux d’endettement des Etats et les bilans

bourrés de cash des grands groupes technologiques

américains.

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Où passent donc ces sommes inouïes ? Pour une partie, la Banque Centrale rachète les obligations émises par l’Etat pour financer son soutien a l’économie. Mais cela ne se traduit nullement par des investissements massifs d’infrastructure, de nouvelles usines et de nou-veaux projets. Et rien n’est prévu. Ces sommes consistent essentiellement à donner de l’argent quasi-gratuit (proche de 0 %) à de grandes institutions financières et de grandes entreprises, directement, ou via les programmes de refinancement et de rachat d’actifs de la Fed, pour l’heure totalement déplafonnés, ce qui libère du capital, soi disant pour préserver des faillites et financer de nouveaux investissements. En réalité, cette inondation de liquidités ne sait où se placer, et provoque une chasse aux actifs existants -puisque peu ou pas d’actifs économiques physiques sont créés. Les prix des actifs existants montent donc en l’absence de toute autre création de richesse et les rendements s’amenuisent au fur et à mesure que, le cash s’accumu-lant, les investisseurs acceptent des rémunérations de plus en plus chiches pour des risques de plus en plus grands. Par effet mimétique et par nécessité, les grands gestionnaires des fonds de retraite et grandes fortunes, qui ne peuvent justifier le paiement de com-missions de gestion s’ils placent l’argent à taux zéro, n’ont pas d’autres choix que d’acheter des actions, puisque c’est l’un des tres rares actifs financiers qui procurent encore un rendement sous forme de dividendes et surtout des perspectives de gains à la revente : les obligations d’Etat ont des taux en dessous de 1 pour cent ou négatifs (il faut payer pour détenir des bons d’Etat francais ou allemands !), le crédit aux entreprises ne paye presque plus rien et en temps de crise, il est fort risqué. Restent les grandes entre-prises techno, les moins risquées, les plus performantes et les plus prometteuses, qui concentrent des masses toujours plus grandes d’investisseurs venus du monde entier. Pourtant, les grandes entreprises techno sont peu pourvoyeuses d’emplois, elles sont « disruptives », cassant les circuits de production et distribution classiques pour les recomposer sous leur contrôle.

Elles veillent également à maintenir leur monopole : Apple, Alphabet, Facebook, etc. ont tellement de cash et encore plus dans l’après-Covid, qu’elles peuvent se permettre de racheter toutes les start-ups techno prometteuses, US et surtout européennes ou asiatiques, dès qu’elles croissent, ou toutes celles qui pourraient leur faire de l’ombre.

La ruse des rachats d’actionsAinsi, le marché s’attend à une reprise en force des rachats d’actions. Les grandes entreprises

préfèrent racheter leurs propres actions plutôt que d’investir dans leur business propre avec l’idée malthusienne que ses dirigeants gagnent plus à se partager entre eux et à peu un bon pro-fit, qu’à essayer d’augmenter les revenus et profits par l’investissement en étant plus nombreux à se les partager. Des études montrent que les rachats d’actions expliquent à eux seuls le quart de la hausse des bourses américaines. Par exemple, Apple serait en train d’obtenir l’autorisation de racheter pour 100 Md de ses actions rien qu’en 2020, sachant que la capitalisation de Apple est de 2127 Md de dollars (PNB de la France : 2700 Md $).

D’après Goldman Sachs, les programmes de rachat d’actions aux USA devraient atteindre 1 trillion de $ en 2020, indirectement financés par les injections de la Fed (taux zéro et li-quidités). Non seulement cet argent mis à la disposition des rachats n’aide en rien la reprise économique, mais il engendre un processus malthusien de destruction de richesse, détruisant des capacités d’investissement auparavant disponibles sous forme de capital. Cela d’autant plus

La crise de la Covid a donc été un formidable accélérateur des injections massives de liquidités au service des entreprises technologiques qui tiennent les Etats à leur service.

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que le nombre de nouvelles actions émises par les marchés ne vient pas compenser les rachats. Donc, sous couvert de plan de relance, on transfère purement et simplement des sommes inouïes des banques centrales (donc des Etats/Peuples) vers les grands détenteurs de capitaux, surtout techno. Cette attrition organisée des marchés financiers va s’accélérer avec la Covid, provoquant un affaiblissement global des investissements dans l’économie réelle et une infla-tion des actifs financiers de quelques entreprises, qui viendra compenser le manque à gagner des actionnaires dû à l’absence, voire la diminution de la croissance économique.

Dernier point : on peut s’étonner de l’extrême rapidité de la reprise du marché, en parti-culier du Nasdaq, en quelques semaines après l’effondrement. Du jamais vu. L’effondrement lui-même, et il est important de le noter, n’a en fait duré que quelques heures, maximum un jour. Il est clair que l’élite financière américaine a été vite au fait des programmes d’interven-tion aussi massifs que surprenants et des calendriers d’annonce. Les mêmes qui profitent des rachats d’actions ont ramassé les actions sur le marché au plus bas et ont réalisé des plus-values astronomiques en un minimum de temps. Un phénomène identique de manipulation était déjà observable, mais sur les sorties très bien orchestrées des tweets de M. Trump (négatif

lorsque le marché est suracheté, positif lorsqu’il est surven-du), pendant les négociations de l’accord commercial avec la Chine, permettant d’engranger des plus-values énormes et dont on peut se demander s’ils ne relèvent pas du délit d’initié, sujet que personne n’ose soulever.

Un formidable accélérateur de la financiarisation de l’économie

La Covid est donc un formidable accélérateur de la fi-nanciarisation de l’économie à un tel point qu’aujourd’hui les marchés financiers se passent de la réalité du terrain

économique, vit en autarcie avec ses petites et grosses combines, contrôle la politique de la Banque Centrale et de l’Etat, tant est devenu ingérable son risque systémique : elle prospère comme jamais au milieu des décombres de l’économie réelle. Pour mémoire, la capitalisation boursière aux Etats-Unis représente (d’après l’indice Wilshire) 176 % de la richesse natio-nale - pour une moyenne de 80 % entre 1970 et 2019. Seule une faible partie des immenses liquidités disponibles va à l’économie réelle. Presque rien n’est voué à de grands programmes d’investissement générateurs d’actifs réels : infrastructures, usines, services aux personnes …

In fine ce sont les peuples qui paieront la facture, par une énorme perte de valeur des mon-naies, et l’inflation. Déjà l’inflation dévaste les actifs financiers qui sont les précurseurs. Ce qui est en train d’être attaqué, c’est la confiance dans la monnaie et le Système tout entier. Déjà se discute l’idée qu’une dette d’Etat ou d’entreprise peut ne jamais être payée, d’où l’idée de sur-émissions de dettes perpétuelles. Ce qui se passe aujourd’hui est donc la plus grande opé-ration d’enrichissement frauduleuse au service de happy few et d’une certaine élite financière américaine. La corruption des marchés financiers atteint un sommet inégalé ; elle ne s’arrêtera pas d’elle-même, et ira à son terme, l’implosion, comme tous les excès passés du capitalisme l’ont montré.

La plus grande opération d’enrichissement

frauduleuse au service de happy few et d’une

certaine élite financière américaine.

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Lu dans FranceSoir, 18 juin 2020

Quelques revenus versés par l’industrie pharmaceutiqueN°1. La Palme d’Or revient au Pr François Raffi de Nantes. 541.729 €, dont 52.812 € de Gilead. Est-ce un hasard si on nous apprend que le coup de té-léphone anonyme pour menacer Didier Raoult, s’il persistait avec l’hydroxychloroquine, est parti du té-léphone portable du service d’infectiologie du CHU de Nantes, dont François Raffi est chef de service ? Sûrement une pure coïncidence. N°2. Le Pr Jacques Reynes de Montpellier. 291.741  €, dont 48.006 € de Gilead et 64.493  € d’Abbvie. Or Jacques Reynes a été sollicité par Olivier Véran pour piloter l’essai clinique du proto-cole Raoult à Montpellier alors qu’il est en même temps le coordinateur national de deux études sur le remdesivir pour le compte de Gilead. Il n’avait sû-rement pas eu le temps d’envoyer au Ministre sa Déclaration publique d’intérêts (DPI).N°3. La Pr Karine Lacombe de Paris – Saint An-toine. 212.209 €, dont 28.412 € de Gilead. Elle est sur la dernière marche du podium, mais l’essentiel est d’y être. Il n’y a pas que le podium avec les Mi-nistres à Matignon. N°4. Le Pr Jean-Michel Molina de Paris – Saint Louis. 184.034 €, dont 26.950 € de Gilead et 22.864  € d’Abbvie. Or Jean-Michel Molina est co-auteur d’un article publié dans Médecine et Maladies Infectieuses sur quelques cas, pour dire que l’hydroxychloroquine ne marche pas. Médecine et Maladies Infectieuses est le journal officiel de la SPILF (Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française). N°5. Le Pr Gilbert Deray de Paris. 160.649 €. Une belle somme pour un néphrologue qui très présent sur les plateaux télés. Attention le remdesivir peut être très toxique pour les reins.N°6. Le Pr Jean-Paul Stahl de Grenoble. 100.358 €, dont 4.552 € d’Abbvie. À noter que cette somme n’a pas été déclarée sur sa DPI. Or Jean-Paul Stahl est rédacteur en chef du journal Médecine et Mala-dies Infectieuses. C’est lui qui a comparé le Plaqué-nil au papier toilette.N°7. Le Pr Christian Chidiac de Lyon. 90.741 €, dont 16.563 € de Gilead. Or Christian Chidiac est président de la Commission Maladies transmis-sibles du Haut Conseil de la Santé Publique qui a

rendu le fameux Avis interdisant l’hydroxychloro-quine, sauf aux mourants et demandant d’inclure les malades dans les essais officiels (donc Discove-ry). Son adjointe, la Pr Florence Ader, citée ci-des-sous, est l’investigatrice principale de Discovery. Pure coïncidence.N°8. Le Pr Bruno Hoen de l’Institut Pasteur. 82.610 €, dont 52.012 € de Gilead. À noter que sur sa DPI, il a noté n’avoir reçu que 1000 € de Gilead ! Or Bruno Hoen a attaqué l’équipe de Marseille dans un courriel du 18 mars 2020, partagé avec tous les infectiologues. N°9. Le Pr Pierre Tattevin de Rennes. 79.956 €, dont 15.028 € de Gilead. À noter que sur sa DPI, comme son prédécesseur, il a noté n’avoir reçu que 1000 € de Gilead ! Ca doit être le surmenage. Or Pierre Tattevin est président de la SPILF. Cette So-ciété savante a attaqué l’hydroxychloroquine pour encourager les inclusions dans Discovery, ainsi que dans les autres études par tirage au sort avec des groupes de patients non traités (études randomi-sées).N°10. Le Pr Vincent Le Moing de Montpellier. 68.435 €, dont 4.776 € de Gilead et 9.642 € d’Abb-vie. Or Vincent Le Moing pilote, avec son patron Jacques Reynes cité ci-dessus, l’essai clinique de Montpellier.N°11. Le Dr Alain Makinson de Montpellier. 63.873 €, dont 15.054 € de Gilead. Or Alain Makin-son participe à l’étude de Montpellier avec Jacques Reynes et Vincent Le Moing. Un beau trio. Montpel-lier est très bien représentée.N°12. François-Xavier Lescure de Paris – Bi-chat. 28.929 €, dont 8.621 € de Gilead. Or Fran-çois-Xavier Lescure est l’adjoint de notre célèbre Yazdan Yazdanpanah qui est dans le Conseil scien-tifique Covid-19. Il a publiquement critiqué l’équipe de Marseille pour discréditer l’hydroxychloroquine. Il est co-auteur de l’étude très contestable sur le remdésivir de Gilead, publiée dans le New England Journal of Medicine. Or cette étude n’a aucune mé-thodologie.N°13. La Pr Florence Ader de Lyon. 11.842 €, dont 3.750 € de Gilead. Or Florence Ader est l’investiga-trice principale de Discovery.

Petit rappel :Lors de son audition à l’Assemblée nationale, le professezur Didier Raoult soulignait : « J’ai été surpris de voir que le directeur de Gilead, devant le président de la République et le ministre, tutoyait celui qui était en charge des essais thérapeutiques en France pour la Covid19. »

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es Français connaissent le nom comme le visage de Valérie Boyer, élue en 2007 jeune député de Marseille, ancienne porte-parole LR puis, pendant la campagne présiden-tielle, de François Fillon – dont, fait remarquable, elle est restée jusqu’au bout un

indéfectible soutien. Son parcours professionnel et politique lui donne une rare diversité de com-pétences : diplômée de sciences politiques, licenciée de langue anglaise et de langue espagnole, elle fut aussi élève à l’Ecole du Louvre et devint, après de nouvelles études au Centre National d’Etudes Supérieures de Sécurité sociale (CNESSS), cadre supérieure de la Sécurité sociale. Elle fut aussi auditrice à l’IHEDN, ce qui explique peut-être ses initiatives internationales et le choix qu’elle fit, à l’Assemblée nationale, de siéger à la commission des Affaires étrangères. Cet entretien, que nous la remercions d’avoir bien voulu nous accorder, aborde donc plusieurs sujets.

Vous êtes diplômée du Centre d’Etudes supérieures de sécurité sociale. Comment comprenez-vous que l’actuelle pandémie ait été si mal gérée ?

Pour reprendre les mots de notre ancien Premier mwinistre, cette crise a révélé ce que « l’hu-manité a de plus beau et de plus sombre ». Ce qui est sombre, bien sûr, ce sont les morts et les familles en deuil ; et c’est d’avoir laissé des gens mourir seuls dans leur chambre d’hôpital ou d’EHPAD sans que leur famille ne puisse les revoir ou même leur rendre un dernier hommage. Nous devons nous interroger sur les signaux extrêmement négatifs qu’envoie une société qui ne se préoccupe pas du sort de ses aînés. Il en va de la responsabilité morale et éthique de la sixième puissance économique mondiale !

Mais cette crise nous a rendus aussi un peu meilleurs. Je pense à la générosité de nos compa-triotes, à la combativité de tous ces Français oubliés qui, aujourd’hui, sont en première ligne. Aides-soignantes, caissières, chauffeurs routiers, éboueurs, postiers, manutentionnaires, ou-vriers, agriculteurs : ce sont eux qui tiennent à bout de bras la corde de l’activité et qui l’ont maintenue durant de longues semaines. Pensons aussi aux médecins, qui ont répété que la pandémie démontrait l’impréparation de notre pays face à une catastrophe d’une telle ampleur. Des solutions parfois loufoques ont dû être trouvées dans l’urgence – je pense aux initiatives de Décathlon fournissant aux soignants ses masques de plongée (!) aux entreprises de cosmétiques détournant l’alcool de leurs parfums pour fabriquer du gel, aux couturières cousant des masques dans de vieux draps...

Cela n’enlève rien à l’impréparation, voire à l’amateurisme du Gouvernement tout au long de cette crise. Une impréparation doublée de tergiversations et de revirements : utilité des masques, durée du confinement, annulations des festivals, dépistage … Certains médias nous ont appris que Santé publique France avait alerté le Gouvernement sur l’état des stocks dans une note adressée en 2018 au directeur général de la Santé, Jérôme Salomon. En 2019, un collège d’experts recommandait de stocker un milliard de masques en prévision d’une

L

Entretien avec Valérie Boyer, député (LR) des Bouches-du-Rhône

Covid, une gestion désastreuse

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pandémie. Les besoins en matière de masques sont immenses en cas d’épidémie ! Pourtant, notre production a été délaissée, comme en témoigne la fermeture de la principale usine de masques en France située à Plaintel en 2018.

Bien que la crise épidémique ait conduit le Gouvernement à relancer les usines de masques, la France a dû en commander des millions, en grande part à la Chine qui demeure le princi-pal fournisseur ; ce volontarisme ponctuel ne suffit à compenser des années de délaissement de l’industrie française.

Pensez-vous que l’épisode de la Covid marque une date, et peut-être un tournant dans nos mentalités, au point d’ébranler durablement les schémas intellectuels do-minants ?

En tout cas, les États ont redécouvert les frontières. Face à la menace venant de toutes parts du globe, les 27 se sont décidés (mais bien trop tardivement) à fermer les frontières de l’Union européenne. Il y a encore quelques semaines, rien que la proposition de pratiquer des contrôles sanitaires à la frontière italienne avait offusqué la majorité présidentielle. Dès que nous prononcions le mot « frontière », le Gouvernement s’insurgeait. Alors que les Italiens bloquaient leur frontière intérieure et empêchaient les Français de passer en Italie, nous laissions les Italiens franchir la nôtre et contaminer la France. Voilà la réalité.

Comme beaucoup de parlementaires, vous avez contracté ledit virus, puis avez bénéficié de la théra-pie du professeur Raoult. Que pensez-vous du barrage officiel contre la chloroquine ? Que dit cette affaire de l’organisation du pouvoir médical en France et pensez vous possible de le réformer ?

J’ai eu la chance de pouvoir être testé rapidement et prise en charge à Marseille à l’IHU Méditerranée dont le pro-fesseur Didier Raoult est le directeur. J’ai été hospitalisée durant une semaine et suivie par les équipes de l’IHU à ma sortie. J’ai été traitée à la chloroquine, cumulée avec l’antibiotique azythromycine (antibio-tique à visée pulmonaire) comme le préconise le Professeur Raoult. Deux semaines plus tard, ma charge virale avait effectivement disparu ainsi que mes symptômes. Comme vous avez dû le constater, j’ai tenu à faire preuve d’une grande transparence sur mon expérience. Loin de moi l’idée de faire la promotion d’un médicament, mais j’ai jugé nécessaire de rendre compte de mon expérience de patiente atteinte du coronavirus.

Je regrette les nombreuses attaques contre la personne du professeur Didier Raoult et son traitement. C’est dans cette optique que j’ai interrogé le ministre de la Santé sur l’examen si partiel du protocole du Pr. Raoult par l’essai clinique européen Discovery. Non seulement Discovery n’a toujours pas donné les résultats promis en mai, mais en plus, le protocole à base d’hydroxychloroquine n’a pas été respecté : en proposant une étude incomplète du protocole du professeur Raoult, l’essai clinique ne pourra donc pas corroborer ou infirmer son utilité et son efficacité.

On chercherait donc à éviter de véritables essais ? Il y a là un mystère…

Cet examen partiel va de pair avec la défiance face à ce traitement et les nombreuses critiques envers le Pr. Raoult, en dépit de résultats et témoignages rassurants fournis par l’IHU. Au traitement différencié qu’ont reçu le professeur et son traitement, se sont rajoutées des tergi-

Ce barrage officiel contre la chloroquine, couplé aux réactions violentes contre le professeur Raoult, soulève de nombreuses interrogations quant à l’organisation du pouvoir médical en France.

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versations nébuleuses. Le 26 mars 2020, un décret autorise la prescription de l’hydroxychlo-roquine en traitement de la Covid 19. Moins de vingt-quatre heures après la parution de ce décret, un nouveau décret circonscrivait la délivrance de ce médicament aux formes graves du virus seulement, alors que l’IHU de Marseille prône exactement l’inverse !

Idem deux mois plus tard : une étude publiée par quatre scientifiques dans la prestigieuse revue britannique The Lancet a finalement mis un coup d’arrêt aux essais sur la chloroquine à travers le monde. L’OMS a immédiatement suspendu les essais cliniques et la France l’a également interdit dès le 27 mai. Cependant, quelques jours après sa parution, les nom-breuses critiques sur l’objectivité de l’article et de ses sources obligeaient finalement la revue à le retirer !

Ce barrage officiel contre la chloroquine, couplé aux réactions parfois violentes contre le professeur Raoult, soulève de nombreuses interrogations quant à l’organisation du pouvoir médical en France, qui est à la fois rigide et « potentiellement influencé ».

La gauche plurielle semble se reconstituer – mais pas la droite plurielle ! Croyez-vous possible de tracer dans l’avenir quelques lignes communes susceptibles d’esquisser sinon un programme de la droite nationale, du moins un début de plateforme ca-pable de réunir un jour ce que François Mitterrand a si durablement divisé ?

Nicolas Sarkozy, François Fillon ou d’autres avant eux avaient compris qu’il pouvait exister des divergences au sein de la droite mais qu’un programme pouvait rassembler la Droite et le Centre.

Et le Centre ? Les talents ne manquent pas à Droite, et les idées ne manquent pas non plus. Mais au bout du compte, nous devons tous nous rassembler autour d’un programme, d’un « corpus » idéo-logique. Par ailleurs ce « corpus » doit être incarné par une personnalité. J’ai toute confiance en l’avenir de la Droite !

Quelles seraient à vos yeux les deux urgences capables de transcender la logique des partis : politique étrangère indépendante, restauration de l’Ecole, contrôle de l’im-migration, ré-industrialisation ?

Immigration, économie, sécurité, environnement …, il est difficile de prioriser un sujet. Je suis inquiète de l’état de mon pays, pour l’avenir de nos enfants et petits-enfants. Nous avons une crise économique, une crise sociale et même une crise d’identité. Pour reprendre Saint Augustin : « À force de tout voir on finit par tout supporter... À force de tout supporter on finit par tout tolérer ... À force de tout tolérer on finit par tout accepter... À force de tout accepter on finit par tout approuver ! »

N’ayons pas honte de ce que nous sommes. Nul besoin d’être croyant pour reconnaître et réaffirmer que notre civilisation et notre démocratie sont le fruit d’un héritage doublement millénaire et même au-delà. Être français, c’est appartenir à un pays, la France, c’est ap-partenir à une civilisation. C’est aussi faire partie d’une communauté nationale, embrasser son histoire et sa destinée. Je déplore que notre pays soit aux mains de communicants qui dégradent la politique en spectacle, de flagorneurs qui privilégient les paroles qui plaisent aux paroles qui soignent. Au lieu de cela, nous sommes dans des réformes permanentes et cosmétiques, alors même que notre pays est en train de décrocher : record d’Europe du déficit, record du monde des impôts ; des tensions sociales importantes, de plus en plus de Français dans la précarité. Le chef de l’État fait beaucoup de promesses, dépense beaucoup

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d’argent, il ne fait pas d’économies et ne restructure pas. La crise de la Covid 19 ne va rien arranger ...

Vous avez beaucoup d’influence sur Twitter, votre compte approchant les 100 000 abonnés. Est-ce pour vous un bon outil d’information et de combat ? Connaissez-vous assez vos abonnés pour dire que votre compte réalise à lui seul une sorte d’union des droites ?

Les réseaux sociaux comme Twitter ont leurs avantages et leurs limites. Cette application me permet de diffuser quelques actualités, essentiellement des messages politiques mais la vie po-litique ne doit pas se résumer aux réseaux sociaux. D’ailleurs j’évite de lire les commentaires qui sont souvent injurieux, violents et diffamatoires. Je préfère échanger avec les Marseillais de ma circonscription, et plus largement avec les Fran-çais. Car un député n’est pas déconnecté de la société. Je prends les transports, je fais mes courses… comme tous les Français. C’est le meilleur moyen de pouvoir discuter.

Je ne parlerai pas d’« union des droites », mais de sujets qui dépassent les clivages, qui opposent les partis poli-tiques : quand je parle de lutte contre les violences conju-gales, de protection des enfants et de dignité humaine, cela touche tout le monde, au-delà de nos courants politiques. Si je fais de la politique, c’est avant tout pour défendre des convictions et non un parti politique – même si je crois que les Français restent attachés aux partis politiques…

En 2017, vous avez soutenu avec constance la candidature de François Fillon, que beaucoup considèrent avoir été torpillée par une machination ; avec le recul du temps, et les révélations récentes sur le rôle du Parquet national financier, comment analysez-vous ce nouvel « accident démocratique » ? Estimez-vous qu’il a vicié l’élection ?

Comme beaucoup de Français, j’ai été très surprise par la tournure des élections présiden-tielles de 2017 et les conséquences qu’eut la précipitation de la justice sur la vie politique fran-çaise. Nous avons assisté à une grande manipulation où le seul et unique but était d’abattre le candidat de la droite républicaine. Il a été incriminé sur des faits sans que d’autres, députés et ministres, n’en soient pour autant inquiétés (emplois fictifs, etc.). La sévérité de la décision rendue par le tribunal correctionnel (deux ans de prison ferme !) il y a quelques semaines confirme l’acharnement judiciaire et médiatique.

Cette condamnation est intervenue quelques jours après les déclarations d’Éliane Houlette, magistrate à la tête du Parquet national financier entre 2014 et 2019 qui, témoignant devant la représentation nationale lors d’une commission d’enquête parlementaire, a avoué avoir reçu des « pressions » par le Parquet général (PNF) sur les investigations concernant François Fillon. Mais l’issue du procès était malheureusement bouclée depuis 2017 et le tribunal mé-diatique et politique a coûté les élections présidentielles aux Français. Ces déclarations sont venues confirmer les doutes que nous avions sur l’indépendance de la Justice et sa politisa-tion. L’affaire François Fillon a jeté l’opprobre sur le fonctionnement de la Justice française. En effet, le format de l’enquête a été inédit. Le candidat François Fillon a été attaqué person-nellement, à défaut de pouvoir l’être sur son programme.

L’affaire François Fillon a jeté l’opprobre sur le fonctionnement de la Justice française.

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Ensuite, la rapidité avec laquelle cette affaire a été traitée est assez effarante. Quel ne fut pas mon étonnement face à la célérité du PNF à « s’autosaisir » au moment de l’affaire ou encore au moment de la mise en examen. Cette rapidité démontre bien l’urgence qu’il y avait à poursuivre François Fillon et à l’entacher au sujet de faits anciens, qui étaient d’ailleurs à la limite de la prescription. Je regrette encore les très nombreux manquements au respect du secret de l’instruction et de la présomption d’innocence. Les révélations ont été orchestrées et feuilletonnées, changeant le cours des élections. Ce n’était plus une élection présidentielle mais bel et bien un procès de François Fillon. Trois ans après, j’ai toujours l’impression d’avoir assisté à un hold-up de la démocratie française et que ce tribunal médiatique et poli-tique a volé les élections aux Français.

Vous êtes membre de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée et avez à ce titre pris plusieurs positions « en flèche » sur les questions du Proche-Orient. La question de la Turquie, qui étend son influence sur l’ensemble est-méditerranéen ne vous inquiète-t-elle pas, par exemple ?

Israël, Maroc, Russie, Syrie, Arménie…Durant ces dernières années j’ai multiplié des dépla-cements parlementaires afin d’y rencontrer leurs dirigeants, pour renforcer l’amitié entre nos pays ou encore pour évoquer le terrorisme. À travers ces déplacements j’ai compris que notre

pays continuait de rayonner. Même si je suis spécialisée sur les questions de santé et le fonctionnement de la Sécurité sociale, j’ai toujours été intéressée par la politique interna-tionale. Opération Chammal en Irak, Barkhane dans la bande sahélo-saharienne, Sangaris en Centrafrique, opé-ration Sentinelle sur notre territoire … Comme de nom-breux Français, j’ai un profond respect pour nos soldats engagés pour la défense de nos valeurs et de nos intérêts. C’est pourquoi, dans un contexte de guerre contre le ter-rorisme, j’ai choisi la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée dès ma réélection en juin 2017.

Il est vrai que je dénonce depuis de nombreuses années le mutisme de la France et de la communauté interna-tionale sur la Turquie. Voilà des années qu’avec plusieurs parlementaires nous alertons les différents Gouverne-

ments sur les agissements du régime du Président Erdogan dans une certaine indifférence générale – indifférence générale car la Turquie a passé avec la France, avec l’Union euro-péenne, un accord de sous-traitance des djihadistes et des réfugiés, ce qui ouvre aujourd’hui la voie à tous les chantages.

Quelle indifférence générale face à une Turquie qui occupe depuis 1974 Chypre, un pays de l’Union européenne ! La France est le deuxième partenaire militaire de Chypre derrière la Grèce. Chypre compte sur l’appui français pour maintenir une présence militaire dans la région et pour intervenir politiquement, le cas échéant, auprès de la Turquie. Nous de-vrions même aller plus loin et dire clairement à la Turquie qu’elle ne rentrera jamais dans l’Union européenne – ce pays qui, dirigé par Recep Tayyip Erdoğan n’est pas en phase avec son histoire ; qui, dès que l’on parle du génocide des Arméniens de 1915, souffre d’amnésie sélective ; qui n’a aucun scrupule à soutenir ouvertement le régime de Bakou dans le conflit armé avec le Haut-Karabagh ; qui opère un nettoyage ethnique en massacrant les Kurdes ; et qui reste flou sur sa position contre l’État Islamique ! Quand réagirons-nous enfin ? Quand la France et l’Union européenne sortiront-elles de leur mutisme sur cette question ?

La délivrance de titres de séjour progresserait de

6,8 % en 2019 par rapport à 2018. Plus de 500 000

étrangers seraient en situation irrégulière.95 % des clandestins

restent sur le territoire français.

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Vous avez aussi été auditrice de l’IHEDN. Que pensez-vous de notre politique étran-gère, dans son ensemble ?

Je vous répondrai par un un exemple qui en dit long : l’annulation de la dette des pays afri-cains, proposée par le chef de l’État. Le G20 s’est mis d’accord, le 15 avril, pour suspendre pendant un an la dette de 76 pays pauvres dont 40 pays africains. Pourtant, que ce soit dans un contexte d’urgence ou non, nous ne demandons jamais de contrepartie à ces pays. Le 22 avril 2020, j’ai adressé, avec plusieurs de mes collègues Les Républicains, un courrier au Premier ministre pour faire un point sur cette situation. Amnesty International a publié, le 8 avril 2020, son rapport annuel sur les droits humains en Afrique. En 2019, « des conflits armés insolubles se poursuivaient et de nouvelles formes de violence commises par des acteurs non étatiques ont engendré des tueries, des actes de torture, des enlèvements, des violences sexuelles et des déplacements massifs, y compris des crimes de droit international, dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne », écrit l’ONG. Dans de nombreux pays africains, les femmes continuent de faire l’objet de discriminations, de violences, notamment des mutilations génitales et de mariages forcés. Selon l’OMS, en Afrique, 91,5 millions de femmes et de filles de plus de 9 ans vivent actuellement avec les conséquences de mutilations sexuelles féminines. Dans ce seul continent, l’Unicef évalue à 4 millions le nombre de mariages forcés en 2017.De plus, la France fait toujours face à une crise migratoire. La délivrance de titres de séjour progresserait de 6,8 % en 2019 par rapport à 2018. Plus de 500 000 étrangers seraient en situation irrégulière. 95 % des clandestins restent sur le territoire français.. Enfin, il est important de rappeler les chiffres des laissez-passer consulaires (LPC). De trop nombreux pays africains ne coopèrent pas assez. La fraude à l’état civil dans certains pays africains a ainsi pris une ampleur toute particulière dans ce contexte d’émigration. La fraude au mariage touche essentiellement le Maghreb et la Turquie. Le taux d’actes faux ou fraudu-leux dépasse 90 % des actes présentés aux autorités consulaires françaises dans certains pays comme les Comores ou la République Démocratique du Congo. Je ne suis pas opposée à l’aide que l’UE peut apporter aux pays d’Afrique mais il faut de la réciprocité !

Propos recueillis par pmc

Des passagers à l’aéroport de Bruxelles, le 29 juillet 2020

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Le télétravail : instrument de contrôle

ou de libération ?

par Sébastien Pilard,Co-fondateur de « Sens Commun », Conseiller régional (LR) des Pays de la Loire,

Chef d’entreprise

n ne connaît pas encore l’effet qu’aura la pratique du télétravail, que nos autorités se sont évertuées à répandre à la faveur du confinement. Pratique qui accentue le recours plus ou moins obligatoire, accru de façon vertigineuse ces dernières années, à l’instru-

ment informatique qui est la voie la plus pernicieuse du contrôle social ; elle introduit aussi le contrôle de l’employeur jusque dans la vie privée et familiale des employés. Cependant, elle offre aussi d’intéressantes ou-vertures, notamment en faveur de ce que nous persistons à nommer l’« aménagement du territoire ». Chef d’entreprise, Sébastien Pilard explore ici les différents regards que l’on peut porter sur l’un des aspects les plus discutés de l’univers nouveau qu’a ouvert la crise de la Covid. Jeune élu LR pro-mis à un grand avenir, Sébastien fut l’un des fondateurs du mouvement Sens Commun créé en 2013 à la suite des « Manifs Pour Tous » et associé à l’UMP puis à LR.

Redécouverte de la vie familiale, nouvelle relation avec la nature, recentrage sur des joies simples sont des chances que de nombreux Français ont su saisir pendant cette pé-riode de confinement contraint. Malgré les drames hu-mains et les désagréments engendrés par la crise sanitaire, cette période si particulière fut pour beaucoup d’entre eux l’occasion de faire de nouvelles expériences familiales, spi-rituelles, mais aussi professionnelles.

Au cours de cette période, de nombreux Français ont expérimenté le télétravail et ont pris conscience des bien-faits du travail à domicile, notamment dans l’équilibre de

leur vie personnelle et familiale. Dans le même temps, les entreprises ont aussi pu mesurer que leurs salariés, dans leur grande majorité, étaient des personnes responsables et auto-nomes, parfaitement capables de travailler sérieusement sans une surveillance.

« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité,un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté. »

Winston Churchill

OMalgré les drames

humains et les désagréments

engendrés par la crise sanitaire, cette

période si particulière fut pour beaucoup de

Français l’occasion de faire de nouvelles

expériences familiales, spirituelles, mais aussi

professionnelles.

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Ainsi le télétravail ne serait-il pas la grande opportunité de cette crise, qui pourrait contri-buer à résoudre bien des maux de notre société et de notre pays ? À l’heure où il y a urgence de réconcilier vie familiale et vie professionnelle, où les enfants n’ont jamais eu autant besoin de leurs parents à leur côté pour apprendre à apprivoiser notre société ; à l’heure où la frac-ture territoriale atteint un niveau sans précédent avec des métropoles surpeuplées et des vil-lages désertés alors que de nombreux Français aspirent à une autre vie hors des métropoles de plus en plus déshumanisées ; à l’heure où certaines communes rurales se battent pour ne pas disparaître et tentent pour ce faire d’attirer de nouvelles familles, condition nécessaire pour le maintien des commerces, des médecins ou des écoles en leur sein, le télétravail n’est-il pas un atout à explorer ?

Et, de même, l’occasion n’est-elle pas propice à com-battre le gigantisme contemporain, la concentration dans les grandes métropoles – et même la pauvreté ? À l’heure où nos concitoyens qui vivent dans la « France périphérique » se sentent légitimement délaissés et aban-donnés en raison d’une politique d’aménagement du territoire déséquilibrée parce qu’elle a tout concentré sur les métropoles, abandonnant de ce fait la France rurale et périurbaine qui est pourtant l’âme de notre pays, le télétravail peut être un magnifique instrument d’aména-gement du territoire.

Revoir nos modèles de vieÀ l’heure où nous devons tous revoir nos modèles de

vie pour préserver la planète en limitant notamment des transports quotidiens qui pourraient être évités ; à l’heure où le pouvoir d’achat des Français s’est fortement dégradé en raison principalement de la flambée du prix de l’immobilier dans les grandes villes et du coût du carburant ; à l’heure où les entreprises ont compris que l’équi-libre de vie des salariés était primordial pour le développement et la santé de l’entreprise, bien des potentialités du télétravail arrivent à point nommé …

Vie familiale, qualité de vie, fracture territoriale, écologie, pouvoir d’achat sont les grands enjeux sur lesquels les politiques devront apporter des réponses concrètes dans les prochains mois et années. Le télétravail ne pourrait-il pas y contribuer en prenant toute sa place dans les entreprises françaises ?

Évidemment, tout le monde ne peut pas travailler chez soi. Mais faut-il pour autant abandonner cette voie, au prétexte qu’elle n’est pas applicable à tous ? Ne serait-ce pas tom-ber dans cet égalitarisme et ce nivellement par le bas qui gangrènent notre société depuis trop longtemps ? Sans nul doute, le télétravail pourrait transformer notre pays et la vie de nos concitoyens à bien des égards. À nous, élus, chefs d’entreprises et partenaires sociaux, de saisir cette nouvelle chance !

À l’heure où certaines communes rurales se battent pour ne pas disparaître et tentent pour ce faire d’attirer de nouvelles familles, condition nécessaire pour le maintien des commerces, des médecins ou des écoles en leur sein, le télétravail n’est-il pas un atout à explorer ?

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L’inquiétante claustration

par Jacques de Guillebon

ien qu’il soit encore jeune, Jacques de Guillebon est déjà un bretteur aguerri de la guerre intellectuelle, qu’il anime depuis plus de vingt ans par de nombreux essais, articles (notamment dans le mensuel La Nef). Ceux qui ont de la mémoire se sou-

viennent qu’il co-dirigea un temps la revue trimestrielle Immédiatement, et c’est en professionnel qu’il dirige actuellement le mensuel L’Incorrect, lequel s’est vite imposé dans le paysage culturel. Il formule ici des sentiments que beaucoup ont ressentis, sans parvenir à les formuler, tout au long des étranges semaines de confinement, quand tout à coup la mort reparut dans un univers moderne qui tente, par bien des biais et des illusions, de la nier. Une sorte de petite « révolution conservatrice » …

Nous avons été faibles, et nous le sommes encore. Devant la maladie qui a fait le tour de la planète en un temps record, nous nous sommes claustrés, apeurés, sans défenses, et sans doute avons-nous eu raison de le faire d’un point de vue spatial. Sans doute la dernière arme physique contre le virus tueur était-elle le confinement général, et peu glorieux apparaissent aujourd’hui les pays qui l’ont refusé, au nom de la liberté ou du jeu de l’économie.

Cependant, la véritable claustration, l’inquiétante claustration n’est pas celle-ci, que nous ne pouvions refuser. Celle qui nous révèle comme faibles, non pas physiologiquement – l’art médical nous a protégés, guéris, soignés, aidés comme jamais sans doute dans l’histoire de l’humanité, et qu’il en soit remercié – mais moralement, spirituellement, politiquement, idéologiquement, c’est la claustration de nos volontés, de nos intelligences et de nos âmes.

Une race d’esclaves seulement soucieux de sécurité matérielleSi peu de choses ont été pensées, dites, révélées – sinon par quelques esprits supérieurs comme

Olivier Rey ou Jean-Pierre Dupuy – à partir de cet événement qu’on pourrait croire que nous ne sommes plus que d’une race d’esclaves si soucieuse de sa sécurité matérielle qu’elle en vient à repousser toute tentative intérieure, ou transcendante. Bien mal en point en sortent et le progres-sisme et le populisme : le second parce qu’il a fait la démonstration de son simplisme – parler le langage du peuple rétif, alors que l’art consiste à l’entendre, ce langage, mais ne point le parler si on veut le gouverner sainement – le premier, surtout, parce que le monde rêvé qu’il promettait a buté sur le réel, et de façon évidemment inattendue : ce n’est point la crise économique ; ce n’est point la guerre, ni étrangère, ni civile ; ce n’est point le retour de vieilles lunes fascistes qui ont arrêté le cours éternel du progrès divin, mais un être minuscule s’abattant sans discrimination sur tous les régimes, sur toutes les classes sociales, sur toutes les races – avec une nette préférence bien sûr pour les faibles, malades ou vieux.

Aussi, notre réponse eût dû immédiatement être celle du conservatisme, et ce n’est pas pour tirer la couverture à soi que l’on affirme une telle évidence. Aussi l’a-t-elle été un peu, et on en a vu les effets bénéfiques immédiatement : quiconque possédait une « maison de famille » y a couru illico, et y a vécu sinon d’heureuses journées, au moins une respiration bienvenue, protégé des duretés du monde extérieur, dans un espace libre et cohérent, harmonieux, bienheureuse subsidiarité où quand tout est perdu demeure la cellule familiale. Voilà qui est éminemment conservateur.

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Pour l’homme déraciné, au contraire, quelle solution, à moins que de posséder les moyens fi-nanciers suffisants pour se cacher à l’abri d’un grand hôtel ou dans un étranger lointain ? Aucune. Pour le Français à la famille éclatée, divorcé, enfant perdu, en rupture de ban, en semi-couple, vieillard abandonné, la période fut comme un enfer, où sa nudité de roi soi-disant libre éclatait en plein jour. Son immense fragilité frappait comme l’éclair.

Banalité que tout ça ? Sans doute. Mais après tout, comme disait l’autre, l’univers est né d’un lieu commun. On peut poursuivre avec ce constat que l’habitus de nos contemporains en temps de claustration n’est plus jamais de se tourner vers la prière ou la contemplation, vers le travail de l’esprit, mais simplement vers la consommation providentiellement accordée par dieu internet, celle de la série, du réseau social, de tout ce qui est un extérieur utilisé depuis l’intérieur. Magie de l’époque, de l’écran dispensateur de tout, dieu féroce et insatiable, plus fort que nos intelligences et nos volontés, qui attire tout à lui pour, dans les ténèbres, le lier. La messe et la prière elles-mêmes, en désespoir de cause s’y sont aussi retrouvées. C’est mieux que rien, dit-on. Sans doute. Mais c’était presque rien. Combien de prières ont-elles fait monter leur encens jusqu’à la face de Dieu ? On ne le saura jamais, mais l’état général de nous autres, contemporains, à la sortie du confinement ne plaide guère dans ce sens.

Le petit virus et le conservatismeOh non, nous ne sommes pas devenus plus profonds,

seulement plus troublés, plus agressifs, plus haineux envers notre frère et plus couverts d’appétits matériels que jamais. Tout incapables que nous sommes, non seulement de nous plier à des aventures supérieures, mais même incapables de les imaginer. Nos curés eux-mêmes, les pauvres, sont dépassés et n’en peuvent mais. Nous tournons en rond dans la nuit, consumés par le feu …

Et pourtant. La réponse n’était-elle pas sous notre nez ? Car qu’est-ce finalement que le conservatisme, sinon la préservation des structures qui protègent, non par esprit de naphtaline, mais pour en posséder la jouissance quand la bise est venue ? Car qu’est-ce que le conservatisme accompli, sinon la famille équilibrée, sinon la nation organisée, sinon l’État fort pour être juste, sinon la frontière, sinon la palissade avec un portail qui s’ouvre mais aussi se ferme, enclosant le jardin familial, provincial, national, culturel, civilisationnel ? Qu’est-ce que le conservatisme sinon la mesure de notre liberté ?

Mais que réclame ce conservatisme politique pour exister, sinon l’existence de cet autre jar-din enclos de nos âmes, cette spiritualité non pas anarchique mais organisée, sinon comme ces hommes de bonne volonté de Jules Romains partis à la « recherche d’une Église » ? Ceci n’est pas le conservatisme, mais sa possibilité d’existence. Sans quête d’une plus haute voie, pas de civili-sation, pas d’Occident, pas de France, pas de nous. Seulement la forêt obscure où la voie droite a été perdue.

Car qu’est-ce finalement que le conservatisme, sinon la préservation des structures qui protègent, non par esprit de naphtaline, mais pour en posséder la jouissance quand la bise est venue ?

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Covid : le management par la peur

Entretien avec Xavier Lemoine

avier Lemoine, qui fut longtemps vice-président du PCD est un de nos plus proches com-pagnons ; il vient d’être réélu maire de Monfermeil, ville de près de 30.000 habitants de Seine-Saint-Denis, avec une magnifique majorité (près de 60 %) dès le 1er tour. Outre

se qualités personnelles, reconnues de tous, cette performance s’explique par une certaine conception de l’action politique, à la fois volontariste et intransigeante sur les principes. Elle s’explique aussi par d’innombrables initiatives municipales visant à pacifier une ville dont les habitants parlent une quarantaine de langues différentes – y compris dans les cours de récréation. Nous avons aussi interrogé Xavier Lemoine, dont beaucoup apprécient le rare franc-parler, sur sa manière de voir et comprendre la crise de la Covid, dont il estime qu’elle est surjouée, allant jusqu’à dire sur LCI : « c’est lourd, le climat qui entoure cette affaire est particulièrement lourd, et devient suspect ... ! Voilà, et je le dis franchement : il devient suspect à force d’être disproportionné. ».

Commençons par Montfermeil : comment réussissez-vous ce petit miracle du « vivre ensemble », qui partout ailleurs s’effiloche ?

Davantage que le « vivre ensemble », expression vide de contenu et mise à toutes les sauces, je préfère indiquer que j’ai coutume d’achever nos conseils municipaux par cette phrase : « Et que Montfermeil reste en Paix ». La Paix étant à considérer comme l’Ordre dans la Justice. Je ne sais non plus s’il y a miracle car ce sera l’épreuve du temps et des tensions qui permettront de le dire. Aussi, pour ne pas avoir à rentrer dans une énumération fastidieuse de mesures prises, d’actions menées, de travaux entrepris, je résumerai en trois mots ce qu’est ma mission de Maire au travers de la quarantaine de compétences exercées. Nous avons pour ambition de faire connaître, respecter et aimer la France.Il est difficilement soutenable d’en vouloir à des populations, qu’elles soient exogènes ou allo-gènes d’ailleurs, de ne pas respecter et aimer la France si nous-mêmes n’avons pas pris la peine de la faire connaître au travers de son histoire, de sa vocation, de ce qu’elle a produit de plus haut, de plus beau dans tous les domaines. Aussi, je tiens l’éducation mais plus encore la culture et, pour commencer, la parfaite maîtrise de la langue française pour la clé de voûte de toutes les politiques sectorielles que nous pouvons mener. La culture doit être ici comprise comme tout ce qui est l’expression profane d’un culte : si l’on croit en la vocation de la France, il y a là un socle solide. J’aime aussi cette cinglante réplique de Churchill lorsque ses ministres, en pleine guerre, lui demandaient des crédits supplémentaires à prendre sur la culture : « Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? ».Oui, notre société française, avant que cette entreprise systématique de « déconstruction » ac-tuellement à l’œuvre ne sape tout l’édifice, est fondée sur des principes non négociables et dont la contestation, pour moi, relève du trouble à l’ordre public. Ces trois piliers à respecter sont :- L’égale dignité de l’homme et de la femme dans une différence et une complémentarité onto-logiques. Notons au passage que les errements de la théorie du genre et sa diffusion dans l’école de la République ont entraîné une très grave rupture de confiance des familles de culture ou de confession musulmane avec cette dernière. Quelques autres lois sociétales n’ont pas rendu plus estimable, ni plus aimable la société française non plus.

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- La laïcité qui, sauf à être confondue avec un athéisme déguisé qui prend alors le nom de laïcisme, est la distinction, et non la séparation, de l’ordre spirituel et temporel. Le laïcisme est pour bon nombre de musulmans un scandale absolu dont il convient alors de se protéger et, quand bien même la laïcité/distinction heurte leur propre conception de la vie en société qui confond totalement le temporel et le spirituel, ils savent néanmoins que la transcendance a tout de même droit de cité.

- La liberté de conscience non vue comme l’alibi du relativisme et d’une recherche facultative de la vérité, mais comme la proclamation qu’il ne peut y avoir véritablement d’amour s’il n’y a pas de liberté. L’amour sans liberté ressemble à de l’embrigadement et la notion de liberté de conscience attachée à chaque personne est aussi un levier pour passer de la notion d’individu appartenant à un « nous » collectif, à la notion de personne qui peut enfin dire « je ».

Peut-être ce propos vous paraîtra stratosphérique mais ce sont pourtant bien ces convictions et cette vision qui servent de guide, d’inspiration à toutes les actions menées et je m’exprime très ouvertement en ces termes à mes différents interlocuteurs. S’il n’y a pas toujours totale convergence ou adhésion, les fruits, localement constatés et récoltés, apaisent le débat. L’amour de la France est contagieux.

Dans un entretien à France-Soir, vous relatiez que l’imam de votre ville vous avait lancé, avant l’élection précédente : « Monsieur le Maire, en 2014, vous serez peut-être encore réélu ; mais en 2020, ce sera nous. C’est mathématique, car nous serons majo-ritaires ». Que pensez-vous de cette « mathématique » ?

Les éléments de fond développés dans la question précédente anticipe la réponse à celle-ci. Il y a de manière croissante une évidente montée en puissance de l’Islam politique, non que ce dernier ne le soit pas par nature, mais il trouve de plus en plus de militants adoptant diverses stratégies. La moins bien payée de retour à ce jour, mais les rapides évolutions démographiques la feront évoluer vers plus d’efficacité en un certain nombre d’endroits, est l’affichage clair de ce que l’on nomme les listes communautaristes.

Celle utilisée avec de plus en plus de succès, mais également facilement détectable, est l’utili-sation d’une marque politique d’un parti établi qui offre une façade de respectabilité, et évite aux membres de la liste de devoir davantage préciser ce qu’ils sont, ce qu’est véritablement leur programme politique, quitte même dans de très nombreux cas à être associés à des mouve-ments politiques diamétralement opposés à leurs convictions profondes, notamment sur les sujets sociétaux. Il est vrai que ces mêmes partis très en pointe sur la tolérance, la repentance, la mauvaise conscience sont de très bons « rabatteurs » et n’auront plus rien à opposer lorsqu’il s’apercevront, mais trop tard, qu’ils n’ont servi que de véhicule à des militants politico-religieux qui prendront alors le pouvoir. Ces partis politiques ont eu en leur temps leurs idiots utiles, ils ne leur restent aujourd’hui qu’à l’être à leur tour. C’est ce que l’on appelle l’islamo-gauchisme.

Mais le plus subtil reste encore à ce jour la stratégie d’influence plus que la stratégie de puis-sance, et nul politique n’est à l’abri de cette douce mais obstinée et systématique entreprise de fond. Sauf à être très solidement arrimé sur des principes de fond, cette méthode gagne pas à pas du terrain.

Montfermeil est une grande ville de Seine-Saint-Denis, département qui fut, dit-on, le plus touché par la pandémie récente. Comment cela s’explique-t-il à vos yeux ?

Il est vrai que notre département a été particulièrement touché, non tant en raison d’un confi-nement qui n’aurait pas été convenablement respecté, mais en raison d’habitats surpeuplés, de très nombreuses personnes qui ont porté l’activité économique à bout de bras pour des métiers

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inaccessibles au télétravail, et enfin en raison d’une forte prévalence des causes de comorbidité que sont l’obésité, l’hypertension et le diabète, le tout aggravé par un recours aux soins bien plus tardif que la moyenne nationale aggravant ainsi le tableau clinique.

Vous êtes réputé pour votre franc-parler : dites-nous comment le maire que vous êtes a jugé l’attitude de nos gouvernants tout au long de cette crise ? Pour ce qui est des origines de la pandémie, bien des hypothèses furent avancées ; sans doute en circule-t-il parmi vos administrés qui ne sont pas toujours très orthodoxes. Et vous-même : qu’avez-vous pensé de ce bouleversement brutalement introduit dans nos vies ?

Il faudrait bien plus de place pour développer et étayer les éléments d’appréciation que je vais brièvement exposer.

- La Covid est un virus sophistiqué qui peut rentrer de plusieurs manières dans les cellules de divers organes et présenter un tableau clinique très étendu, tout au moins l’aspect pulmonaire, le plus connu de tous, n’en représente pas l’exhaustivité loin de là.

- Quelques hypothèses, quant à son artificialité, ont été émises par des scientifiques de renom sachant par ailleurs que cette famille des coronavirus fait l’objet d’intenses études depuis des décennies. Autant le feuilleton de la chloroquine a été puissamment porté par les médias et les réseaux sociaux, autant les travaux sur l’hypothèse émise ont très vite disparu. Mais là ne me

semble pas être le cœur du sujet, car il y a davantage d’indices dans la manière dont la crise a été « gérée » que dans la vérifi-cation formelle de cette hypothèse.

- Les capacités hospitalières de réanimation des régions tou-chées ont été objectivement débordées mais non au niveau national. Dans le même temps, des indications de traitements qui se sont révélés contre-productifs ont été diffusées par les pouvoirs publics. Mais bien plus grave et étrange, tous les médecins hospitaliers et généralistes qui par tâtonnement, empirisme, observation, bon sens, sont parvenus à éviter à la quasi-totalité de leurs patients les formes graves de la Covid, ont eu l’interdiction par leurs autorités de tutelle de prétendre avoir soigné ainsi la Covid, n’ayant le droit que d’indiquer avoir eu affaire à une pneumonie atypique. À aucun mo-ment ces observations et constatations n’ont été portées à la connaissance du public et indiquées comme moyens efficaces en attente de toutes les validations scientifiques et méthodo-logiques. L’hystérisation du débat sur la chloroquine, monu-

ment du genre a permis d’occulter, sinon de jeter le discrédit sur les moyens simples, bon marché et sans effet secondaire notable, capables d’éviter avec un très fort taux de succès la forme grave de la Covid.

- Quant à la « pantalonnade », je crois davantage à un « bordel magnifiquement organisé » afin que les effets de la Covid sur les populations aient un impact traumatique durable justifiant des mesures tout à fait disproportionnées tant dans les aspects matériels (confinement trop dur et trop long, règles de distanciation physique, etc.), juridiques (du jamais vu en fait de privation de liberté et de coercition) et psychologiques (obéissance aveugle, psychose collective, délation, auto-contrôle social, etc.).

- La dramatisation systématique durant les mois de juillet et août, en dépit de tous les indica-teurs, les mesures reprises sans nécessité objective montrent à l’évidence l’entretien d’un climat

Tout fut magnifiquement organisé pour que les effets de la Covid sur les populations aient

un impact traumatique durable justifiant des

mesures tout à fait disproportionnées tant

dans les aspects matériels (confinement trop dur et

trop long), juridiques.

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de peur, cette nouvelle forme de management qui réussit l’exploit de faire craindre aux Français davantage la Covid que l’insécurité et le terrorisme. Chapeau l’artiste !...A ce jour, plusieurs centaines de médecins libéraux et hospitaliers, disposant d’une expérience de plus de 8 mois dans la prise en charge du Covid 19, confirment qu’avec des médicaments, déjà bien connus, nous disposons de traitements surs, simples et efficaces pour éviter la forme grave du Covid 19. Ils n’ont cessé, auprès de toutes les autorités compétentes, de faire valoir ces travaux. Ils sont traités par le mépris le plus total. Il ne faut pas que cela se sache, il ne faut pas que nous puissions maîtriser cette «pandémie» qui n’en est une que dans les têtes d’une population hébétée, culpabilisée et finalement asservie. - L’idée selon laquelle seul un vaccin serait capable de nous délivrer de ce fléau me rend d’autant plus méfiant quant à la nature exacte de ce vaccin, sa réelle capacité à agir sur un virus et à la liberté qu’il y aura ou non d’y avoir recours. A croire que ce vaccin est en fin de compte le véritable point de mire, ce qui n’est pas une « pantalonnade » mais bien pire. Notons la concomitance avec les ruptures anthropologiques majeures des lois de bioéthiques adoptées au forceps cet été1. Vous en appelez depuis plusieurs années à l’« union des droites ». Mais pensez vous que l’on puisse remporter une bataille politique sans rempoter d’abord une bataille intellectuelle , et morale – ce qui d’ailleurs notre présupposé : « Au fond des victoires d’Alexandre, on trouve toujours Aristote » ? Je ne retire rien à ce que j’ai pu dire. Mais, pour ne pas abuser vos lecteurs sur des solutions politiques qui par essence ne me semblent pas à la hauteur des circonstances actuelles, je plagie-rai volontiers la citation du Général : « Au fond de la Victoire prochaine de la France, on trouve toujours Marie » Là est mon Espérance -en dépit de l’indignité du plagieur…Nous n’étions pas plus tôt sortis du confinement qu’ont éclaté de nouvelles émeutes : y a-t-il un lien de cause à effet ? Le management par la peur. Celle des émeutes a occulté toute réflexion sur la séquence confi-nement. Une peur chasse l’autre. Cela délégitime toutes les contestations – surtout d’ailleurs les plus légitimes.Il y a quelques années, vous estimiez : « la République court à la catastrophe ». Face à cela, vous avez le courage d’en appeler à une « union des droites » comme le fait notre revue à l’enseigne d’une phrase du Général : « Au fond des victoires d’Alexandre, on trouve toujours Aristote ». Croyez-vous aussi qu’on ne peut remporter de bataille politique sans remporter d’abord la bataille intellectuelle – et morale ? Je ne retire rien à ce que j’ai pu dire et les faits hélas renforcent ces propos. Mais, pour ne pas abuser vos lecteurs sur des solutions politiques qui par essence ne me semblent pas à la hauteur des circonstances actuelles, je plagierai volontiers la citation du général de Gaulle : « Au fond de la victoire prochaine de la France, on trouve toujours Marie ». Là est mon Espérance – en dépit de l’indignité du plagieur …

Propos recueillis par pmc

–––––––––––––1 voir notamment la PMA et l’extension scandaleuse des délais de l’interruption médicale de grossesse, votées par l’Assemblée

tandis que nous mettons sous presse – graves sujets sur lesquels nous reviendrons dès notre prochain numéro (NDLR).

L’entretien d’un climat de peur est une nouvelle forme de management qui réussit l’exploit de faire craindre davantage la Covid que l’insécurité et le terrorisme.

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La Covid : face à nos défaillances, les propositions du PCD

par un collectif de responsables du PCD : Raphaël Dargent, Thomas Sarton du Jonchay, Julien Schmitt,

Patrick Mignon, Nicolas Tardy-Joubert, Christophe Bentz

a crise de la Covid-19 est un drame pour les Français, autant sur le plan sanitaire qu’économique, social et psychologique. Elle révèle les faiblesses françaises, les carences de notre État et les manquements de nos dirigeants. La gestion calamiteuse de l’actuel

gouvernement ne doit pas faire oublier que nous payons aujourd’hui le prix d’une politique menée à contre-courant des intérêts français depuis des décennies. Il est temps d’en tirer toutes les leçons si l’on ne veut éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Un collectif de responsables du Parti Chrétien-Démocrate (PCD – parti dont le changement de nom est imminent) propose ici une analyse des défaillances de l’État et surtout des solutions pour l’avenir afin que notre pays évite un déclassement durable.

Outre une consternante absence de vision, le comportement et les décisions de nos diri-geants révèlent un amateurisme inquiétant : mauvaises décisions, hésitations, improvisations, messages contradictoires, et par-dessus tout manipulations et mensonges. L’impréparation et le manque d’anticipation sur le matériel médical (masques, tests, moyens hospitaliers) ont obligé la France à un confinement strict, préjudiciable dans tous les domaines, pour ne pas engorger nos hôpitaux dans lesquels le corps médical n’a cessé, depuis des années, d’alerter sur la dégradation de leurs capacités. Si d’autres États (Allemagne, Danemark, Islande …) s’en sortent mieux, c’est qu’ils ont fait de meilleurs choix à long terme.

Le refus du gouvernement français de fermer, dès le début, nos frontières nationales ou le choix de maintenir, contre tout bon sens, le premier tour des élections municipales, résultent de l’idéologie ou d’arrangements politiciens scandaleux. Le Gouvernement est soumis à une double vision étatiste et mondialiste : l’étatisme les a empêchés d’admettre les défaillances de l’État et la lourdeur administrative, amplifiant le manque de confiance dans les corps sociaux intermédiaires, en particulier les collectivités locales. Le mondialisme les a empêchés de remettre en cause les préjugés du sans-frontiérisme. De plus, la manière dont le Gouver-nement justifie ses décisions par les recommandations d’un Conseil scientifique dont on sait que certains membres sont liés aux lobbies pharmaceutiques, traduit non seulement un renoncement du politique, mais rend notre démocratie tributaire d’intérêts économiques et de multiples.

Une longue succession d’erreurs, de mensonges et d’incohérences La faiblesse de nos capacités industrielles est désormais criante : est-il normal qu’un pays comme le nôtre dépende à ce point de puissances étrangères telles que la Chine pour le matériel médical et les traitements, au point de se révéler incapable d’en produire lui-même quand une situation d’urgence l’exige ? Nous payons le prix d’une politique de désindustrialisation depuis

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des décennies qui nous a rendus totalement dépendants des capacités industrielles étrangères, avec les conséquences sociales et le chômage que nous connaissons.

Le pouvoir n’a pas fait respecter le confinement et l’ordre public partout sur le territoire national car il ne l’a pas voulu. De nombreux quartiers où perdurent des pratiques provocatrices (guet-apens tendus aux policiers, pompiers et ambulanciers, guérillas urbaines) et où prospèrent les trafics illégaux se sont embrasés pendant cette période, révélant une fois de plus la fracture ter-ritoriale et culturelle sur notre sol. L’État a renoncé depuis longtemps, dans certaines zones islamisées, à faire respecter la loi et l’ordre public. Le confinement, imposé théorique-ment à tous, ne l’a pas été pour les rassemblements du Ra-madan. L’indivisibilité de l’ordre public (article 1 de notre Constitution) semble avoir échappé aux membres du Gou-vernement qui, par l’intermédiaire des préfets, ont donné des « consignes de modération » discriminantes.

Les conséquences économiques et sociales de cette crise sont d’ores et déjà désastreuses. Elles vont se traduire par une récession plus forte que celle de 1929, une nouvelle augmentation de la dette, la disparition de nombreuses PME et de nombreux licenciements. Dans un contexte où des efforts importants vont être demandés aux Français en termes d’imposition ou de renonciation à certains droits, il est scandaleux que l’Union européenne verse une aide de 450 millions d’euros au Maroc, de 250 millions à la Tuni-sie, ou que la France verse 1,2 milliard d’euros à l’Afrique sans contrepartie pour une maîtrise efficace des flux migra-toires. Le manque de solidarité entre Européens (chacun défendant ses propres intérêts, jusqu’à voler les masques du voisin), l’absence de réponses sérieuses de l’Union euro-péenne à la crise, incapable de prendre des mesures fortes, prouvent encore que cette « Union » n’est au mieux qu’un marché commun, et, pire, sans protection extérieure. Il est d’ailleurs symptomatique que ce soit la France qui parle le plus d’unité européenne et de solidari-té alors qu’elle se révèle incapable de maintenir l’une et l’autre sur son propre territoire …

Le Gouvernement a profité de la crise pour imposer des mesures qui représentent de graves dérives : alors que toute la France était confinée, la dignité humaine s’est vue attaquée par de nombreuses mesures, quelquefois glissées en catimini : allongement du délai d’avortement mé-dicamenteux, dérives euthanasiques nombreuses (sur lesquelles nous reviendrons –ndlr) et un isolement inhumain des pensionnaires des EHPAD. Dans le même temps, nos libertés sont attaquées : refus de restaurer la liberté de culte au point de devoir y être contraint par une déci-sion du Conseil d’État (grâce au dépôt du référé-liberté du PCD et d’autres associations), traçage numérique, « StopCovid », fichages, etc.

Et pourtant, bien des solutions existent… Il est urgent que la France investisse massivement dans la remise à niveau de son système de

santé, en fixant comme priorités la réouverture de lits d’hôpitaux de manière pérenne, la pro-duction sur le territoire national des matériels et traitements médicaux indispensables, la lutte contre les déserts médicaux, la restriction de la Couverture Maladie Universelle (C.M.U) et la suppression de l’Aide Médicale d’État pour les clandestins. L’État doit également davantage faire confiance à l’hôpital privé et s’enrichir de son expérience, sa recherche, ses moyens d’action et ses innovations. Pour éviter collusions et conflits d’intérêts au plus haut niveau de l’État, il est ur-

Le Gouvernement a profité de la crise pour imposer des mesures qui représentent de graves dérives : alors que toute la France était confinée, la dignité humaine s’est vue attaquée par de nombreuses mesures, quelquefois glissées en catimini : allongement du délai d’avortement médicamenteux, dérives euthanasiques nombreuses et un isolement inhumain des pensionnaires des EHPAD. Dans le même temps, nos libertés sont attaquées : liberté religieuse, StopCovid, etc...

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gent qu’il réaffirme sa confiance dans l’ensemble du corps médical, et permette aux médecins de prescrire librement les traitements qu’ils jugent appropriés. Sur le plan social, il faut concentrer la politique d’aide sur les plus fragiles et aux familles, qui sont les premiers touchés dans une crise, développer la solidarité intergénérationnelle et la lutte contre l’isolement des personnes âgées.

Il est urgent que la France retrouve un État et des services publics opérants, en priorité dans les domaines régaliens. Il est temps de rétablir le principe de subsidiarité et faire confiance aux corps intermédiaires.

De même, il est urgent que la confiance entre les citoyens et leurs représentants soit rétablie, ce qui suppose une réforme du fonctionnement des pouvoirs publics et des institutions, ainsi qu’un recours plus large au référendum pour les plus importantes décisions ayant trait à la sou-veraineté, à l’intégrité du territoire, à la monnaie ou à l’élargissement de l’UE. Enfin, la Justice devra établir sans complaisance les responsabilités de ceux qui ne peuvent se nommer sans raison « responsables », qu’ils soient politiques ou administratifs.

Enfin, il est urgent que la France recouvre les attributs de sa souveraineté politique et écono-mique, ce qui suppose de renégocier certains traités européens privant la France des moyens de toute vraie politique et, à terme, une réforme en profondeur des institutions de l’UE. Ainsi que la mise en œuvre d’une politique de relocalisation industrielle, simplifiant les normes, allégeant les charges des entreprises. Parallèlement, mettons en place un développement plus équilibré du ter-ritoire, dont une partie est laissée littéralement en friche ; conservons ce qui fit longtemps notre indépendance énergétique par le renouvellement de notre parc nucléaire et une approche réaliste des énergies renouvelables, dont les coûts et les conséquences écologiques sont déplorables.

Par-dessus tout, reconquérons notre indépendance alimentaire, notamment par une approche écologique vertueuse avec la mise en place des circuits courts, le développement local et le retour de services de proximité, enfin la revalorisation des politiques agricoles et maritimes.

Telles sont les conditions de l’équilibre économique et social, mais aussi de l’indépendance de la France.

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Politique étrangère d’abord

« Le nationalisme est une attitude de défense,rendue nécessaire par la faiblesse de l’Etat. »

Jacques Bainville

est à dessein que nous plaçons en tête de nos rubriques la politique étrangère – pour la même raison, nous l’intitulons « Politique étrangère d’abord ». Il est déplorable que, étrangères, les affaires qui secouent le monde le soient

autant aux informateurs patentés comme aux préoccupations des citoyens, tant elles sur-plombent et déterminent les termes et les choix de l’ensemble de la politique intérieure.

Quelques exemples : si la France protège si mal ses frontières, en matière d’immi-gration comme en matière commerciale, c’est qu’elle s’est elle-même ficelée dans un épais entrelacs de traités, accords et tribunaux européens qui l’en empêchent, et que nos gouvernants comme les partis qui leur servent d’opposition sont, malgré les discours d’usage, trop faibles pour comprendre et dénouer. De même, si la France a renoncé à développer son internet propre, ce que l’essai réussi du Minitel aurait permis dans les années 80, si elle a peu à peu abandonné ses programmes de recherche spatiale dans les-quels elle excellait jadis, c’est que, dans les deux cas, ses élites, ou plutôt ses oligarchies, se sont convaincues qu’il n’était pas possible de poursuivre des projets industriels de grande ampleur sans la coopération de l’Allemagne, cela au nom du sacro-saint mais illusoire couple franco-allemand qui, des décennies durant, mit pour ainsi dire notre politique en pilotage automatique – dans les deux cas, l’Allemagne ne dit jamais non mais fit traîner si longtemps les études et les négociations que lesdits programmes tombèrent à l’eau les uns après les autres.

Autres exemples : si les Européens se fournissent si peu les uns auprès des autres en matière d’armement, c’est qu’ils sont presque tous, la Grande-Bretagne comme l’Al-lemagne, l’Italie comme les pays de l’Est, sous la tutelle diplomatique et militaire des Etats-Unis ; et, si nous sommes incapables de répondre aux provocations protection-nistes d’un gouvernement chinois apte à dénoncer toute mesure de protection euro-péenne alors qu’il n’hésite jamais à protéger ses propres marchés, ce n’est pas seulement parce que nous avons érigé le libre-échange en dogme indiscutable et pour ainsi dire religieux : c’est aussi parce que nous avons tant fait confiance à ce pays dit « en voie de développement » que, sans même nous en apercevoir, nous en sommes devenus dépen-dants en maints domaines, et que finalement nous en sommes réduits à tout accepter de lui, à refuser de voir qu’il entretient une douzaine de camps de concentration où la vie est digne de celle des camps nazis et que sa politique impériale pèse déjà sur nos choix intérieurs. On pourrait multiplier à l’envi les exemples montrant combien les choix de politique étrangère commandent la plupart des autres …

Ainsi, Le Nouveau Conservateur privilégiera-t-il toujours les questions interna-tionales, en cherchant les voies et les moyens de recouvrer, face aux deux principaux (il

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Politique étrangère d’abord

y en a d’autres) empires du jour, l’Etats-Unien et le Chinois, si complices pour mettre le monde en coupe réglée, cet invariant cardinal qu’est l’indépendance de sa politique étrangère : la France ne s’est-elle pas faite au long de son histoire millénaire autour d’une volonté constante de souveraineté et d’indépendance face aux menaces des hégémonies et des empires ? Indépendance qui passe aussi par la conscience de deux énormes défis, qui ont pour eux la force de revanches historiques et l’apparence de défis culturels et politiques, mais qui pourraient devenir militaires : il nous faut d’une part déjouer l’en-treprise de subversion mondiale de l’Islam, endossée par plusieurs Etats islamistes dont Francis Jubert, chroniquant l’avant-dernier ouvrage de Jean-Frédéric Poisson « L’islam à la conquête de l’Occident », rappelle qu’ils sont liés par une « charte islamiste », signée en 2000, visant à substituer à la civilisation occidentale déclinante, une autre civilisa-tion fondée sur les préceptes du Coran ; d’autre part, il nous faut faire face à l’esprit de revanche qui, drapé dans l’anti-colonialisme, menace à plus ou moins long terme toute coopération pacifique avec l’Afrique, comme Bernard Lugan le montre avec sa franchise habituelle en analysant la très inquiétante situation en Afrique du Sud.

Quelles sont, en face de ces menaces, les forces de l’Europe ? Notre conviction est que, à rebours de la générale dilution des nations dans le salmigondis bruxellois, elles sont dans l’affirmation des forces nationales, dites « nationalistes » par esprit polémique, qui s’affirment en maints pays sous la forme d’un conservatisme social partout renaissant – Hadrien Desuin analyse celui que, dans la ligne d’un Disraeli, Boris Johnson remet à l’honneur en Grande-Bretagne, et Thierry Boutet celui qui vient de remporter les der-nières élections en Pologne. Commençons avec Philippe Marini, qui renonça au Sénat après avoir hélas manqué d’en prendre la Présidence, et qui, maire (LR) de Compiègne récemment réélu, nous livre un aperçu d’ensemble de l’actuelle « diplomatie française », notamment au Proche-Orient.

pmc

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Politique étrangère d’abord

Entretien avec Philippe Marini,maire de Compiègne (LR),

ancien président de la Commission des Finances du Sénat

aire (LR) de Compiègne depuis 1987 et constamment réélu depuis lors (il vient de l’être dès le premier tour pour un sixième mandat !), Philippe Marini fut sénateur de 1992 à 2015 : Rapporteur Général puis Président de la Commission

des Finances du Sénat (1998-2014), dont il brigua la présidence face à Gérard Larcher. Depuis 2015 il est conseiller financier, l’un des plus écoutés de Paris. Membre du RPR, de l’UMP (il fut un des dirigeants de la « droite populaire ») puis de LR, il participa à plusieurs « Manifs pour tous », et garda toujours un bien trop rare franc-parler. C’est ainsi qu’il déclara que « l’arrivée de nombreux immigrés à Lampedusa et bientôt chez nous fait regretter la disparition du régime Kadhafi en Libye ». Remercions cet homme courageux et fin lettré, l’un des meilleurs spécialistes de nos finances publiques, d’avoir bien voulu répondre au Nouveau Conservateur.Votre vie politique a trois volets : vie municipale, finances publiques, politique étran-gère. Commençons par le premier : que retient le maire que vous êtes de « l’affaire Covid » ? Il se trouve que ma ville et le territoire voisin ont été touchés au tout début de la crise, le pre-mier cas ayant été identifié au Centre Hospitalier de Compiègne dès le 25 février, et que le maire doit inventer beaucoup de choses pour organiser ce qui dépend de lui, pour informer et lutter contre les risques de psychose collective. Au début du phénomène, l’Etat ne disait rien ou se contredisait. L’autorité locale devait se substituer à lui. J’ai d’ailleurs eu le plaisir de le faire en gardant un lien étroit avec mon préfet, haut fonctionnaire particulièrement énergique. Tout ce travail a été fait dans une ambiance irréelle, avec une toute petite équipe disponible, car la maladie avait éclairci les rangs de mes collaborateurs. Je retiens aussi une re-lation particulière avec mes administrés, par exemple lors de mes promenades quotidiennes ou à la réouverture des marchés. Et, à quelques dérives près, un grand sérieux de tous. Quant aux finances publiques, les Français ont l’impression étourdissante que l’on peut déclencher une pluie de milliards d’euros aussi drue qu’une giboulée. Cela vous paraît-il sain ? « Quoi qu’il en coûte », a dit le président de la République… Faisons une distinction entre la théorie économique d’une part, la psychologie de nos concitoyens d’autre part. Dès lors que nous vivons dans un contexte durable de très bas taux d’intérêt, et que les conséquences de la pandémie ne semblent pas de nature à y mettre fin, l’explosion du déficit public est indolore, au moins dans l’immédiat et à courte vue. D’autant plus que les règles de gouver-nance budgétaire de l’Union européenne se trouvent suspendues. Tout était organisé autour de l’objectif des 3 % et voilà cette norme mise entre parenthèses. Un consensus de fait suffit à suspendre 30 ans de recherche de convergence budgétaire européenne. Pour nous qui met-tions en cause la rigidité de cette norme, quelle « divine surprise » ! Pour autant, toute nouvelle demande d’assistance, formulée par telle ou telle catégorie, doit-elle faire l’objet d’une démarche compassionnelle immédiate ? Où est la limite entre l’encouragement

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« Évitons de donner des leçons »

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à la reprise et la pure et simple démagogie ? La situation présente est profondément malsaine. Plus exactement, elle révèle la nécessité de concevoir de nouvelles règles qui soient vraiment le choix de la France et non plus l’assujettissement administratif à un système de contraintes issu des traités. Pensons aux entretiens du Général de Gaulle avec Peyrefitte pour rappeler que la résorption des déficits publics est éléments essentiel de tout politique d’indépendance. Que retenir des « mannes européennes » que le Président de la République se targue en de multiples circonstances d’avoir obtenues de nos partenaires européens ?Le plan de relance financé par l’UE n’est pas une mutualisation des dettes des Etats de l’Union, ni même de la zone euro. C’est un emprunt levé par la Commission, assis sur la puissance économique de nos 27 Etats, affecté à des programmes arbitrés et mis en œuvre par la Commission mais qui sera remboursé par les Etats-membres, garants de son budget : une sorte de plan Marshall autofinancé par l’Europe mais qu’il faudra rembourser. Même si une part des sommes allouées par la Commission aura la forme de subventions, c’est la totalité du programme qui sera financée par l’emprunt réalisé par l’Union. Ce qu’il faut retenir, c’est le fait que l’Allemagne a fait primer son souci de ne pas voir son économie productive pénalisée par la récession des territoires voisins, sur la doctrine constante de sa banque centrale. A mon avis, l’étape suivante devrait être la négociation

d’un nouveau règlement budgétaire qui se substituerait au dispositif de Maastricht, avec bien sûr la contrainte de l’unanimité. Qui ose penser à cette perspective ? Vous avez toujours suivi de près les affaires du Proche-Orient. Que pensez-vous de la tournure que prend la triste affaire libyenne – en particulier de l’activisme turc, en Libye comme en Méditerranée en général ? Et que penser, face à cette délicate situa-tion de la politique de la France ?Le comportement du Président turc est une fuite en avant permanente. Sainte Sophie, transformée en musée par Atatürk, redevient une mosquée, comme en 1453. L’héritage ottoman est sans cesse invoqué, par exemple pour justifier l’annexion de fait de territoires frontaliers

en Syrie et l’intervention active en faveur de groupes djihadistes opposés au régime de Da-mas. Un accord surréaliste est signé avec Tripoli pour se partager des zones d’exploration pétrolière en Méditerranée, alors qu’il n’existe aucun voisinage réel entre les deux parties, sauf le souvenir que la Libye fut une province ottomane jusqu’en 1911. On comprend bien que cette agitation tous azimuts est une façon de mener une campagne électorale de tous les instants. M. Erdogan a fait voter une Constitution qui lui permet de concentrer tous les pouvoirs, mais a perdu le contrôle des deux municipalités les plus impor-tantes du pays, Istanbul et Ankara. Malgré tout cela, la fiction de la Turquie, « bon élève de l’OTAN », continue à être respectée par les membres de cette organisation. Même lorsque M. Erdogan s’entend ponctuellement avec la Russie, pour des importations d’armement ou pour des accords limités sur le terrain syrien. Où sont passés les « européens » qui plaidaient, il n’y a pas si longtemps, pour l’adhé-sion de la Turquie à l’Union européenne ? Qu’en dit l’Allemagne, qui a longtemps raisonné en fonction de son propre électorat d’origine turque ? La France du président Sarkozy, alors opposée à l’adhésion turque, était critiquée pour faire obstacle à une grande puissance mu-sulmane dont on disait que la gouvernance était un modèle de pluralisme… Il faut quand même avoir un peu de mémoire !

Je n’aimais pas la perversité du Colonel

Kadhafi, mais je persiste à penser que l’intervention

hâtive et médiatique de 2011 a été une très grave

erreur, dont les conséquences continuent chaque jour.

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Politique étrangère d’abord

Quant à la malheureuse Libye, nous la voyons durablement divisée entre deux principaux pouvoirs, chacun étant soutenu par ses propres alliés, qui se confrontent ainsi par groupes interposés, dans le cadre d’un « conflit à basse intensité » qui peut durer encore longtemps… Je n’aimais pas la perversité du Colonel Kadhafi, mais je persiste à penser que l’intervention hâtive et médiatique de 2011 a été une très grave erreur, dont les conséquences continuent à se produire chaque jour. Notre président d’alors a préféré céder aux bien-pensants… De quel œil suivez-vous l’évolution des rapports de force en Syrie et au Liban, dont les voisins semblent plus actifs que jamais ? Comment démêler cet écheveau et qui peut le faire ? Je déteste l’attitude présente de notre diplomatie qui condamne et donne des leçons, en méconnaissance de la situation réelle de ces deux pays. Après M. le Drian, M. Macron fait la leçon aux responsables libanais, ce qui est une attitude facile mais stérile. Nul n’a intérêt à exacerber davantage les tensions entre la population libanaise et son système politique. Il est vrai que la classe politique de Beyrouth est assez désespérante, et que, parmi ses membres, bien peu raisonnent en termes d’intérêt national. Il faut aussi constater que le Hezbollah bénéficie d’une réelle représentativité au sein d’une communauté chiite qui réunit plus du tiers de la population totale. Qui aurait intérêt à ce que l’Etat s’effondre dans ce pays ? Les opposants « démocrates » ou « modérés » ont fait la preuve depuis 2011 de leur inefficacité et de leurs divisions, malgré les encouragements et les financements qui leur ont été géné-reusement alloués par l’Europe. Seuls les islamistes radicaux, les Turcs au nord du pays, les Israéliens au sud, se partageraient les dépouilles de la « République arabe syrienne» des Assad : des morts et des désordres supplémentaires et de nouveaux risques pour les Etats européens. Mon point de vue sur la Syrie n’a pas bougé d’un iota : tandis que le pouvoir syrien a étendu sa zone d’influence à l’essentiel du pays, faut-il continuer à poursuivre la chimère d’une dé-mocratie pluraliste à Damas ? La leçon de l’Irak depuis 2004 n’a-t-elle pas suffi ? Venons-en aux Etats-Unis : êtes-vous étonné des actuels développements de la ques-tion raciale ? Quel paradoxe : le président afro-américain Barack Obama était aussi distingué, issu de l’élite universitaire américaine que son successeur républicain est vulgaire, emporté, inconsé-quent et improvisé. J’ai toujours été plus proche des Républicains que des Démocrates, mais je ne peux que souligner ce contraste. Les Etats-Unis constituent une société multiraciale, mais la disproportion des richesses et les inégalités territoriales y sont telles que l’on pourrait être surpris que les incidents violents n’y soient pas plus nombreux. Le melting pot continue à bien fonctionner dans l’ensemble et le mythe de la réussite ouverte à tous demeure présent. Encore faut-il ne pas provoquer gratuitement, ce que font certains groupes. Là encore, évi-tons de donner des leçons et respectons les contradictions des autres si nous voulons qu’ils respectent notre personnalité et notre indépendance !L’atmosphère se tend, chez notre « grand allié » : ne vous paraît-il pas menacé par ses problèmes intérieurs ? Que peut-on apercevoir de l’évolution à venir de cet Empire ?La politique américaine est en effet clairement régie par les groupes d’influence fort actifs lors des élections. Ainsi, l’influence israélienne sur les choix des Etats-Unis est bâtie sur des décennies de convergences avec tous les gouvernements successifs. On aurait pu croire que le M.Trump se serait orienté vers une ligne plus «isolationniste» mais le soutien d’Israël n’est pas, aux USA, un sujet de politique extérieure. Annexion de Jérusalem et remise en cause du concept d’un Etat palestinien, tels sont les résultats obtenus par l’actuel Premier ministre israélien. Comment les Israéliens pourraient-ils revenir en arrière, même si M. Trump devait être défait ? Même si le style serait différent, le fond serait le même.

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Autre exemple : la déclaration présidentielle mettant fin à la présence des soldats américains sur le sol syrien ; et pourtant, ils y sont encore, patrouillant tantôt avec les kurdes (ennemis des turcs) ou avec les turcs (membres exemplaires de l’OTAN), ou avec les Russes (alliés du président Assad), de l’autre côté de l’Euphrate… Tout cela, sans doute, pour ne pas heurter de front l’opinion militaire américaine et ses vecteurs d’influence électorale ! Quel que soit le ré-sultat de novembre, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Au cœur de ce sujet figurent le rôle de l’OTAN, machine s’est vidée de son sens, tant les ambiguïtés sont manifestes. Les propos de M. Macron sont lucides, mais nous attendons de connaître sa stratégie…Certains ont parlé du « péril américain » : ne pensez-vous pas, à travers la politique de sanctions économiques ou la protection systématique des GAFAM, que la domi-nation impériale, pour menacée qu’elle soit, et justement parce qu’elle l’est, est en train de se survolter ? Je n’ai cessé de dénoncer, pendant toute ma vie publique, les excès et la bonne conscience des méthodes américaines. Dès 2008-2010, je faisais partie des rares parlementaires qui, en Eu-rope, dénonçaient le comportement des multinationales américaines de l’internet, imposant leur toute-puissance, absorbant les contenus les plus divers, mettant à profit leurs positions

dominantes, bénéficiant de l’optimisation fiscale la plus éhontée… Plus de dix ans après, et malgré tant de cam-pagnes de lobbying permises par des moyens illimités, une certaine prise de conscience a lieu au sein de l’UE avec l’amorce encore timide d’une fiscalité sur le chiffre d’affaires permis par ces abus de marchés généralisés. Par ailleurs, chacun sait que, en politique étrangère, les sanctions unilatérales américaines sont plus efficaces que les sanctions internationales : la menace d’être mis en cause pénalement aux Etats-Unis pour toute opération en dollars suffit à bloquer des transactions qui porte-raient, par exemple, sur la fourniture à l’Iran de médica-

ments ou de tout bien ne figurant pas sur la liste des sanctions. Les Etats-Unis imposent ainsi leurs options internationales par l’intermédiaire d’opérateurs privés qui ne peuvent prendre un tel risque, même s’ils n’ont pas d’activités sur le territoire américain. Enfin, chacun sait aussi que les Etats-Unis exportent leur droit et que la conception extra-territoriale que dé-veloppent leurs juridictions est un fait dont tous les agents économiques, où qu’ils soient, doivent tenir compte. N’est-ce pas là, à proprement parler, une « domination impériale » ? Chateaubriand écrivit : « Tout arrive par les idées, et les faits ne servent que d’enve-loppe ». Jugez-vous aussi que le combat des idées précède le combat politique – ce qui est un peu l’objet de notre revue ?Certes, cher « Conservateur », il est indispensable de réhabiliter les idées, seul fondement lé-gitime du combat politique. A l’heure du confusionnisme et des combinaisons politiciennes, à l’heure de ce « ni droite–ni gauche » si pratique pour les opportunistes et pour une opinion qui ne verrait dans la politique qu’une forme de consommation, Le Nouveau Conservateur fait vivre le débat d’idées, et je me réjouis de votre initiative !

propos recueillis par pmc

Dès 2008, j’ai fait partie des rares parlementaires qui

dénonçaient les multinationales américaines de l’internet,

imposant leur toute-puissance, mettant à profit leurs positions

dominantes, bénéficiant d’une optimisation fiscale éhontée.

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Boris Johnson, conservateur de la nation britannique

par Hadrien Desuin,Chargé des questions internationales à la Fondation du Pont-Neuf

a victoire électorale du 12 décembre 2019 acte la métamorphose des conservateurs britanniques. Celle-ci est le fruit d’un long ré-enracinement idéologique, que l’on doit à plusieurs intellectuels trop méconnus (en particulier Roger Scruton, mort

quelques jours avant le retour à la pleine souveraineté britannique, qu’il avait tant voulue et inspirée), et qui a trouvé en Boris Johnson une magnifique incarnation. Il est à peine besoin de dire que ce double mouvement de restauration d’une pensée et d’une politique a de puissantes résonnances sur le mouvement conservateur européen en général, et français en particulier.

Le 24 mai 2019, Theresa May jette l’éponge après trois longues années de calvaire au Par-lement de Westminster. La voie est libre pour l’ancien maire de Londres et ancien ministre des affaires étrangères, Boris Johnson. Ce dernier avait remporté le référendum du 23 juin 2016 à la tête des Brexiters mais, à la suite d’un tel séisme, la prudente et travailleuse Theresa May avait été perçue par ses pairs comme la plus capable de réconcilier les courants libéraux et conserva-teurs. Les libéraux avaient majoritairement choisi le maintien dans l’Union Européenne tandis que les plus conservateurs souhaitaient en sortir pour des raisons tenant à la fois à la souverai-neté et, lié à elle, à l’afflux migratoire.

Sortir d’abord, négocier ensuiteLe pari raté des élections anticipées de juin 2017, où Mme May n’obtint pas de majorité

absolue pour réaliser le Brexit, a condamné cette tentative de grand écart idéologique. L’an-cienne ministre de l’Intérieur de David Cameron avait déjà mis près d’un an pour déclencher la procédure de sortie (article 50) et, si elle affichait un discours social et eurosceptique, elle ne semblait pas pressée de croiser le fer avec la technocratie bruxelloise et les Remainers de la City. Empêtrée dans ses contradictions, otage des loyalistes d’Ulster, Theresa May se résout, deux ans plus tard, à laisser son fauteuil à celui qui avait démissionné de son gouvernement dès 2018. Contre toute attente, Boris Johnson trouve un accord avec la Commission Juncker finissante et remporte les élections anticipées du 12 décembre 2019 sur une ligne claire, celle de la rupture avec Bruxelles. Celui qui avait entamé sa carrière de journaliste comme correspondant du Tele-graph auprès des institutions européennes, sait à qui il a à faire. M. Johnson pressent qu’aucune négociation sérieuse n’est possible tant que le Royaume-Uni n’est pas officiellement sorti. C’est pour ainsi dire la méthode inverse de Theresa May : d’abord on sort et ensuite on négocie.

Tout a été dit sur « BoJo », ses récitations d’Homère en grec ancien, ses cheveux en bataille et ses déboires familiaux. Son arrivée au 10, Downing street est pourtant le fruit d’un long et discret travail de reconstruction intellectuelle du parti conservateur, lequel semble avoir tourné la page de la dérive néolibérale du Thatcherisme. John Major, successeur de Margaret Thatcher, version européiste, a d’ailleurs été l’un des plus vifs opposants à la nouvelle ligne Tory exacte-ment comme son pendant néo-travailliste, Tony Blair.

Johnson incarne le retour du parti conservateur à ses racines idéologiques, celles de Ben-jamin Disraeli auquel le nouveau Premier ministre se réfère à travers le concept de « one-na-

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Politique étrangère d’abord

tion conservatism ». Dès avril 2010, tandis que son rival David Cameron fait campagne pour devenir Premier ministre, Boris Johnson confie à Benedict Brogan du Telegraph : « Je suis un one-nation tory. Les plus riches ont des devoirs vis-à-vis des plus pauvres et des nécessiteux, mais vous ne pouvez les satisfaire si vous les punissez avec une fiscalité si perverse qu’ils sont obligés de quitter leur ville et leur pays. »

Élevé dans la religion anglicane par un père d’origine juive italien, Benjamin Disraeli, qui fut Premier ministre de l’impératrice Victoria de 1874 à 1880, avait lui aussi revu la doctrine et la stratégie d’un parti conservateur en déclin. Partisan du « Roi-patriote », concept inspiré de Bolling-broke, il se fait le héraut d’une monarchie populaire et nationale, défenseur de l’Église catholique anglicane contre les presbytériens et les puritains. A la tête des New Tory et de son mouvement Young England, il constitue la nouvelle garde conservatrice. Elle célèbre la vieille Angleterre des Stuart ; une monarchie préservée du rationalisme prosaïque des philosophes libéraux et de la bour-geoisie. Ils préconisent un retour « à nos précieuses coutumes, nos bonnes vieilles manières an-glaises ». Dans son roman publié en 1845, Sybil ou les Deux Nations, Disraeli déplore la coupure du royaume en « deux nations entre lesquelles il n’y a ni relation ni sympathie... les riches et les pauvres ». En s’opposant à l’abrogation des corn laws, Disraeli réconcilie les députés conservateurs

avec la paysannerie, via un programme économique pro-tectionniste. En élargissant le corps électoral au delà même du projet de son rival Gladstone (Reform act, 1867), il veut par ailleurs attirer le nouvel électorat ouvrier au parti conser-vateur et plus seulement s’appuyer sur les campagnes des Landlords. Un siècle plus tard, l’héritage de Disraeli est resté dans les mémoires du parti conservateur.

Un mouvement intellectuelEn 1980, un an après l’arrivée au pouvoir de Margaret

Thatcher, Roger Scruton, dans The Meaning of Conserva-tism, mettait en garde son parti. Il craignait que les valeurs conservatrices soient perverties par les tenants du libre-échange. Le philosophe qui a remis au goût du jour la pen-sée d’Edmund Burke à une époque où les existentialistes français pontifiaient dans les universités aimait rappeler cet axiome : « on réforme pour conserver. » Dans un entre-tien croisé avec Bruno Retailleau publié dans le Figaro le

24 mai 2019, Scruton était revenu sur cette période charnière des années 80 : « J’étais favorable à Thatcher, même si je n’apprécie pas beaucoup le dogme du libre marché, j’ai un côté socia-liste… Je crois qu’il faut tout de même diriger un minimum l’économie. Il faut distribuer un minimum les biens de la société pour obtenir la loyauté des gens ordinaires, ce qu’elle n’avait pas vraiment compris. Elle n’avait pas compris que la politique moderne dépendait d’une unité sociale. Laquelle se crée en dehors du champ politique : par les amis, la religion, les commu-nautés locales… C’est un héritage délicat, une sorte d’organisme qu’il faut respecter et ne pas diriger. Cela, elle l’avait compris. Elle a créé les conditions dans laquelle la Grande-Bretagne a pu se remettre de l’expérience du socialisme d’après-guerre. »

Ce principe entre en résonance avec les travaux d’un certain Philip Blond, auteur en 2009 de Red Tory, livre qui aurait inspiré David Cameron et son programme de Big Society (ou « conservatisme compassionnel »). Mais en 2010, la crise de 2008 ayant coûté cher, David Ca-meron amorce son mandat par des mesures d’austérité budgétaire. En 2015, il est réélu grâce à sa promesse de référendum sur le Brexit mais prend finalement parti pour le maintien dans l’Union Européenne. Battu en 2016, il démissionne.

Selon la doctrine paternaliste de la vieille

aristocratie britannique, noblesse

oblige : on protège le peuple contre les invasions et la

misère. La mission des élites est de servir et

d’écouter la nation, et non de se servir et de l’asservir.

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Après les dérégulations du marché du travail des années 90 et 2000, années qui correspondent à la consolidation du marché unique européen et à la mainmise de l’OMC dans les échanges mon-diaux, David Goodhart a théorisé et décrit en 2017 l’écart grandissant entre ceux de « quelque part » et ceux de « nulle part » dans The Road to Somewhere : The Populist Revolt and the Future of Politics. La nation britannique n’est plus une mais à nouveau double voire triple. Si les élites cessent de défendre les intérêts du Royaume-Uni par un minimum de protectionnisme écono-mique et culturel, au profit d’une libéralisation sans limite des intérêts de la haute bourgeoisie financière, alors un déséquilibre se crée. Mais cette fois, le déséquilibre n’est plus seulement éco-nomique mais aussi identitaire, donc démocratique. Rétrospectivement, Philip Blond et David Goodhart semblent avoir eu plus d’écho auprès du maire de Londres, Boris Johnson.

Noblesse obligeAinsi Boris Johnson est-il particulièrement fier d’avoir fait instaurer en tant que maire

un revenu minimum horaire de £7.60 à Londres afin de tenir compte du coût extrêmement élevé de la vie dans la capitale britannique. Au cours de sa campagne de 2019, il a promis un investissement de 34 milliards de livres dans le National Health Service. Lorsqu’au matin du 13 décembre 2019, la liste des fiefs travaillistes tombés dans l’escarcelle Tory se dévoile, Boris Johnson déclare aux militants réunis : « Nous devons prendre la mesure du tremblement de terre que nous avons suscité, de la façon dont nous avons changé la carte électorale du pays. Nous devons composer avec cela maintenant. Nous devons changer notre propre parti » . Par-mi ses premières mesures figurent la hausse du salaire minimum mais aussi la fin des directives sur « les mineurs réfugiés » et sur « le regroupement familial ». Ce que l’on gagne d’un côté peut être redistribué de l’autre. Selon la doctrine paternaliste de la vieille aristocratie britannique, noblesse oblige : on protège le peuple contre les invasions et la misère. La mission des élites est de servir et d’écouter la nation, et non de se servir et de l’asservir. Pour Robert Civile, directeur du Center for Policies Studies, «les conservateurs ont gagné en écoutant les électeurs». Boris Johnson a brisé le mur rouge des Midlands et du Nord exactement comme Donald Trump avait réussi en 2016 à percer les bastions démocrates de la Rust Belt aux États-Unis.

Evidemment, Johnson n’aurait pas réussi s’il ne s’était judicieusement entouré. Dominic Cummings, son conseiller spécial, est probablement l’homme qui l’a fait basculer in extremis dans le camp du Brexit. Sylvie Perez, correspondante à Londres du magazine conservateur L’in-correct, résume dans le numéro de février 2020 : « la campagne victorieuse contre l’adoption de l’Euro par le RU (1999-2002), c’est lui. La réforme du système éducatif anglais et l’ouverture d’écoles libres subventionnées sous le ministère de Michael Gove (2010-2014), c’est encore lui. La campagne pour la sortie de l’UE en 2016 et le slogan « Take Back Control », c’est toujours lui ». La victoire finale de décembre 2019 a aussi bénéficié du retrait très fair play du Brexit par-ty de Nigel Farage dans les circonscriptions où se présentaient des conservateurs ouvertement souverainistes. Rappelons que ce sont les victoires de Farage aux européennes de 2014 et 2019 qui ont entraîné le référendum comme la démission de Theresa May.

Pour autant, Boris Johnson ne s’est pas contenté de séduire un électorat en difficulté sociale, il a su entendre les inquiétudes d’un peuple dépossédé par Bruxelles et son immigration. Il a redonné espoir et fierté à la vieille Angleterre. « Le grand atout de Boris Johnson est d’avoir tôt identifié, comme Donald Trump, le centre de gravité du mouvement qui balaie nos dé-mocraties : le besoin identitaire de nation » remarque avec justesse le politologue Ran Halevi. En renouant avec les intuitions de Benjamin Disraeli, Boris Johnson et ses équipes ont aussi retenu les leçons de Sir Roger Scruton : « Si nous voulons survivre comme civilisation, il faut absolument que nous retenions le cadre de l’État-nation. La loyauté basée sur un territoire, le cadre séculaire dans lequel les gens s’identifient à une tradition commune. » Paradoxalement, c’est en redonnant aux citoyens anglais, écossais, gallois et nord-irlandais leur souveraineté que Boris Johnson est convaincu de conserver l’unité du Royaume.

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Victoire des Conservateurs en Pologne

par Thierry Boutet,président d’ « Amitié politique »

ndrzej Duda, a été réélu dimanche 12 juillet avec 51 % des voix pour un second mandat à la tête de l’Etat polonais. Cette élection est à la fois une victoire person-nelle et un plébiscite en faveur de la politique sociale et conservatrice conduite en

Pologne depuis 2015 par le parti Droit et Justice (PiS). Pour comprendre la portée et les causes de ce succès, quelques éléments de contexte sont nécessaires.

Lors de sa première élection, en 2015, Andrzej Duda est relativement peu connu. Ce député européen de 43 ans qui parle l’anglais, le russe et l’allemand et qui est diplômé de l’équivalent polonais de l’ENA, n’a été jusqu’ici que sous-secrétaire d’Etat du Ministre de la Justice, Jaroslaw Kaczynski, puis sous-secrétaire d’Etat à la chancellerie présidentielle, sous la Présidence de Lech Kaczynski. Député de Cracovie en 2011, il est nommé porte-parole du parti Droit et Justice (PiS) en novembre 2013. En 2014 et contre toute attente, il est adoubé par Jaroslaw Kaczynski qui renonce à se présenter à la magistrature suprême. Celui-ci est le survivant du célèbre couple de jumeaux qui a fortement marqué la vie politique polonaise à partir des années 90.

En 2015, ses adversaires et même ses « amis » le présentent comme la marionnette de Jaroslaw Kaczynski, l’homme fort du PiS qui conduit une politique sociale et conservatrice. Alors que tous les sondages le donnent distancé par le président sortant, Bronisław Komorowski, il arrive en tête du premier tour avec 34,8 % des voix, devant le chef de l’État sortant (33,8 %). Deux semaines plus tard, le 24 mai, avec 51,55 % de voix, il est élu sur une ligne conservatrice et sociale : parmi ses promesses de campagne figurent le gel de l’adoption de l’euro ainsi que le retour à l’âge de la retraite à 65 ans, précédemment repoussé par les libéraux à 67 ans. Son mandat est une réussite. Sa cote de popularité atteint plus de 70 %. Pour autant, sa réélection ne va pas être une formalité.

Face à lui, le challenger principal est Rafal Trzaskowski, le maire de Varsovie. Candidat de la Plateforme Civique (PO), le principal parti d’opposition, il est libéral, pro-européen, et ancien secrétaire d’État chargé des Relations avec Bruxelles. Un peu à la manière d’Emmanuel Macron, ses électeurs se concentrent dans les grandes villes.

La campagne électorale sera perturbée par la crise sanitaire. Le premier tour, initialement pré-vu le 10 mai, ne se tiendra que le 28 juin. Une lutte à mort s’engage par médias interposés(1). Dans cette bataille d’images, attaqué sur sa droite et sur sa gauche par une douzaine de prétendants et en dépit de ses qualités personnelles, Andrzej Duda perd du terrain dans les sondages face à son charismatique challenger. Il vire cependant en tête au premier tour (43,5 % des voix), devant le maire libéral de Varsovie Rafal Trazskowsky qui ne fait que 30,5 %. Au second tour il bénéficie finalement d’un bon report de voix et gagne avec un peu plus de 51 % des voix. Entre deux can-didats que tout oppose sur les questions de société, la politique familiale et plus généralement la vocation de la Pologne, le second tour a donc tourné au plébiscite pour ou contre la révolution conservatrice.

Ce succès du parti social-conservateur n’est pas sans conséquence. La Pologne pèse de plus en plus lourd en Europe. Elle a réussi sa sortie du communisme et a su tirer profit de son intégration à l’Europe, tout en refusant les contraintes de la monnaie unique. Désormais, elle se situe au 25ème rang des puissances économiques mondiales. Surtout, elle affiche un dynamisme économique et social exceptionnel par les temps qui courent.

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Pourquoi veut-on cacher le miracle polonais ?La conjoncture économique de la Pologne est incontestablement bien orientée : la croissance

du PIB est l’une des plus soutenues de l’Union européenne et tend à se poursuivre un peu en dessous de 4,5 %. Son revenu par habitant est en train de rattraper le revenu moyen européen. La croissance des revenus des ménages (+ de 5 %) soutient une demande intérieure forte. Du côté des investissements, les voyants sont aussi au vert (hausse d’environ 10 %, en particulier dans l’immobilier : + 30 %). Dans ces conditions, le taux de chômage a baissé à 3,3 % à la fin de l’an dernier et l’inflation, en légère augmentation, ne dépasse pas pour le moment 2,5 %. Quant au secteur bancaire, il se porte bien. Cette conjoncture florissante lui permet à la fois d’atteindre le quasi équilibre des finances publiques (0,2 % de déficit), de conduire une politique familiale et sociale ambitieuse et de réduire les inégalités.

Ce bilan très positif ne peut cacher pour autant des problèmes structurels non encore réglés. Sa démographie, pourtant fortement encouragée par une politique familiale très ambitieuse, reste préoccupante. En dépit de ces efforts, l’âge moyen des polonais augmente et la Pologne devrait perdre environ 3 millions d’habitants d’ici 2050. Il en résulte à court terme une tension forte sur le marché de l’emploi qui pousse mécaniquement les salaires à la hausse plus rapidement que les gains de productivité, et à moyen terme un risque pour les systèmes de retraite. Par ailleurs, même si son système bancaire se porte bien, l’épargne reste faible (5 %) et les investissements proviennent pour une large part de l’étranger. Comme le remarque une note de la Direction du Trésor français : « Son modèle de développement reste centré sur des industries à faible productivité, liées à la position de la Pologne comme sous-traitant des grands groupes d’Europe de l’Ouest. Des efforts plus intenses en matière de recherche et d’innovation seront indispensables pour éviter le piège des pays à revenu intermédiaire («middle income trap») et pour poursuivre le processus de conver-gence avec le reste de l’Union, à l’heure où l’automatisation et l’intelligence artificielle pourraient per-mettre un rapatriement des unités industrielles dans les pays de l’Ouest donneurs d’ordre ».

Globalement, l’économie polonaise qui bénéficie encore d’un secteur agricole important (10 % de la population et 2,1 % du PIB) et dont le secteur tertiaire se développe rapidement (56,8 % du PIB et 59 % de la population active) risque plus la surchauffe que la récession. Pour faire face à ces contraintes, le gouvernement a adopté un « Plan pour un développement responsable » de 350 milliards d’euros jusqu’en 2030. Parmi les objectifs de ce plan : développer l’innovation des entreprises et augmenter les dépenses de R&D à 2 % du PIB en 2020, favoriser l’expansion à l’étranger via l’émergence de 400 à 500 PME/PMI exportatrices sur le modèle du « Mittelstand » allemand.

La Pologne toujours fidèle La grande majorité des polonais soutient les orientations économiques et sociales du gouver-

nement mais pas seulement. Malgré les pressions médiatiques et extérieures de l’Europe et des organisations onusiennes, ils sont aussi nombreux à l’approuver sur les questions sociétales. Au début des années 90, le Cardinal Macharski, successeur de Karol Wojtyla au siège de Cracovie, craignait qu’avec l’ouverture à l’Ouest, le matérialisme mercantile et l’individualisme n’étouffent comme un vent de sable le catholicisme polonais. Cette crainte ne s’est que partiellement réalisée. La Pologne demeure après Malte le pays le plus pratiquant d’Europe et affiche un dynamisme impressionnant au rebours de ce qui existe en France. ———————(1) En Pologne, les grands médias privés sont aux mains des allemands et des américains. La

presse de gauche ou droite est à 80 % libérale.

La croissance du PIB (plus de 4 %) est l’une des plus soutenues de l’UE. Le taux de chômage a baissé à 3,3 %.

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par Bernard Lugan,Historien, universitaire, enseignant au Collège Interarmées de Défense, membre du Tribunal International pour le Rwanda, directeur du bulletin « L’Afrique Réelle »,

prix Louis Marin de l’Académie française, Bernard Lugan est l’auteur d’une cinquantaine de livres sur l’Afrique. Il jette ici un regard sombre sur l’Afrique du Sud et son avenir,

notamment à travers le sort réservé aux fameux « fermiers blancs ».

près un quart de siècle au pouvoir, l’ANC, parti de Nelson Mandela, a transformé la prospère Afrique du Sud en un Etat du « tiers monde » dérivant dans un océan de pénuries, de corruption, de misère sociale et de violences, réalité en partie masquée

par les derniers secteurs ultraperformants encore tenus par des Blancs. Un naufrage économique qui tient en trois points : la production minière nécessite une énorme modernisation et donc de gros investissements ; les cadres blancs continuent à quitter le pays, chassés par la discrimination inversée, l’insécurité et le sur-fiscalisme ; le secteur agricole, le seul excédentaire a été littéralement assassiné par la décision de spoliation des fermiers blancs.

Dans ce pays où un abîme s’est creusé entre une infime minorité de profiteurs noirs et des millions de chômeurs, d’assistés et de travailleurs sous-payés qui paralysent le pays avec de conti-nuels mouvements de revendication, l’abyssal échec économique et social de l’ANC a également débouché sur des violences xénophobes, les étrangers étant accusés de prendre le travail des plus pauvres. Au pied du mur, acculé par le bilan de ses détournements et de son incompétence, l’Etat-parti ANC a décidé d’accuser le bouc-émissaire blanc en tentant de faire croire que la situation est un héritage de l’apartheid et en décidant la nationalisation des mines et de la terre.

Mardi 27 février 2018, par 241 voix contre 83, le parlement sud-africain a ainsi voté une mo-tion soumise par l’EFF (Economic Freedom Fighters) de Julius Malema. Cette dernière avait pour objet de préparer un projet de loi visant à l’expropriation sans compensation des 35.000 fermiers blancs. La mise en œuvre de ce projet de loi exigeait au préalable une révision de l’article 25 de la Constitution portant sur le droit de propriété.

Vers la ruine du secteur agricoleEn Afrique du Sud - comme hier au Zimbabwe, et comme annoncé demain en Namibie -, ce

n’est pas pour des raisons économiques que ces fermiers vont être spoliés. Les 241 députés noirs qui ont voté cette motion n’ignoraient en effet pas qu’ils allaient poignarder en plein cœur le dernier secteur producteur de richesses de leur pays. Ils savaient très bien que ces fermiers blancs nourrissent l’Afrique australe et que, sans eux, tout le cône sud de l’Afrique (Angola, Namibie, Zambie, Mozambique, Botswana, Zimbabwe) connaîtra la famine. Qu’importe ! La symbolique de la revanche raciale est la plus forte… Ceux qui, en Europe, avaient vibré au mythe de la « na-tion arc-en-ciel » réconciliée sont donc une fois de plus cocus. Le plus grave est qu’ils n’en tireront pas les leçons…

Ce vote révèle au grand jour le retour à la ligne racialiste qui constitue le fonds de commerce des partis politiques noirs sud-africains. La motion radicale de l’EFF a rallié la totalité des parle-mentaires ANC et des autres partis noirs, y compris les députés les plus « modérés » comme ceux

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Afrique du Sud : la guerre raciale

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de l’Inkhata Freedom Party. Cyril Ramaphosa, le nouveau président, a donc été, dès le début de son mandat, pris au piège par les éléments les plus racistes et les plus radicaux, tant de l’EFF que de son propre parti, l’ANC. Le successeur de Jacob Zuma avait en effet envisagé d’exproprier les fermiers « en douceur », par phases, en les indemnisant a minima. Or, Julius Malema lui a en quelque sorte « coupé l’herbe sous le pied » en faisant voter une motion maximaliste. La marge de manœuvre du nouveau président se trouve donc très diminuée. Dans ces conditions, com-ment va-t-il pouvoir lancer sa politique économique libérale destinée à sortir l’Afrique du Sud du gouffre creusé par trois décennies d’incompétence à la tête de l’Etat, alors que pour l’EFF et une partie de l’ANC, il s’agit là d’une ligne rouge et même d’une véritable déclaration de guerre ?

La nationalisation-saisie des fermes possédées par les Blancs va provoquer un cataclysme éco-nomique. Elle commencera par entraîner la décomposition du secteur bancaire car, s’endettant très lourdement d’une saison sur l’autre, les fermiers ne pourront plus rembourser leurs dettes. Elle sera également très grave pour trois raisons principales : leurs fermes ne valant plus rien, leurs propriétaires ruinés ces-seront de consommer ; les fermiers n’investiront plus dans des exploitations qui vont leur être volées ; tout le maillage écono-mique rural irrigué par les fermiers sera sinistré : magasins d’ou-tillage, garages, coopératives, sociétés de vente ou de location de matériel agricole, exportation, et plus généralement, tout ce qui, de près ou de loin, dépend directement ou indirectement de l’agriculture, sera touché. C’est toute une filière adossée à une chaîne de PME qui sera ainsi précipitée dans la faillite, avec les centaines de milliers de chômeurs noirs supplémentaires que cette mesure de spoliation provoquera.

Le blanc, bouc émissaire universelCe vote idéologique est enfin une absurdité pour trois grandes raisons. Les fermes des régions cli-matiquement défavorisées sont condamnées au gigantisme car, impropres à l’agriculture, même avec irrigation, elles ne peuvent être consacrées qu’à l’élevage très extensif des moutons. Leur par-tage et leur redistribution à de petits éleveurs noirs aboutira automatiquement à une catastrophe car les futures exploitations seront sous-dimensionnées, donc non viables, et elles retourneront à la brousse. Ailleurs, sur les bonnes terres, 20 % des 35 000 fermiers blancs réalisent 80% de la production sud-africaine de céréales. Si ces exploitations modernes et quasiment industrielles étaient démantelées, partagées et distribuées à de petits fermiers noirs, la production s’effondre-rait, comme ce fut le cas partout ailleurs en Afrique, notamment dans le Zimbabwe voisin. Le pays ne serait alors plus en mesure d’assurer son autosuffisance alimentaire. Les racialistes noirs parlent de restitution, mais à qui ? Aux employés qui travaillent sur ces fermes ? Toutes les res-titutions conduites depuis 15 ans se sont soldées par des échecs. Les fermes sont ainsi devenues improductives et sont retournées à une agriculture de subsistance après pillage de tous les actifs. Certains activistes proposent sans rire d’en faire des kolkhozes… confiés à des fonctionnaires !

Face à cette spoliation annoncée, les puissants syndicats de fermiers n’ont aucun recours poli-tique et c’est pourquoi ils ont lancé des actions juridiques : comme l’article 25 de la Constitution englobe toute propriété (la terre n’étant pas mentionnée de manière spécifique), la confiscation des fermes serait donc une atteinte au droit de propriété lui-même. Le processus étant juridique-ment freiné, la revendication des racialistes noirs en est d’autant exacerbée : d’ores et déjà, ils en appellent à la souveraineté populaire exprimée par le vote de la motion Malema. La base militante ANC-EFF a donc décidé d’entamer un cycle de violences avec invasion des fermes, intimidation des fermiers et meurtres… Plusieurs milliers de fermiers blancs ont été assassinés ou gravement blessés depuis l’accession au pouvoir de l’ANC en 1994. La « poule aux œufs d’or » pourrait être définitivement tuée, comme au Zimbabwe, et le pays sombrera encore davantage dans la misère.

Plusieurs milliers de fermiers blancs ont été assassinés ou gravement blessés depuis l’accession au pouvoir de l’ANC en 1994.

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Politique étrangère d’abord

L’islam à la conquête de l’Occident : la stratégie devoilée

par Francis Jubert

ean-Frédéric Poisson publie en octobre « La Voix du Peuple », ouvrage dans lequel il analyse les dérives constitutionnelles qui ont conduit à l’actuel blocage (pour ne pas dire plus…) de notre

démocratie et de la Vème République toute entière et propose de vigoureuses ré-formes de notre Constitution - ainsi que le rétablissement de son inspiration initiale, par le rétablissement du septennat et du référendum, entre autres re-fondations urgentes. Avant la parution de cet ouvrage, Francis Jubert, docteur en philosophie, évoque ici le précédent livre de Jean-Frédéric Poisson, « L’islam à la conquête de l’Occident » - un livre qui n’a certes pas perdu de son actualité…

Avec la pertinence et la sagacité qu’on lui connaît, Jean-Frédéric Poisson analyse de manière experte dans « L’islam à la conquête de l’Occident » un document intitulé Stratégie de l’action culturelle islamique à l’extérieur du monde islamique, adopté par 57 Etats musulmans à l’au-tomne 2000, et qui vise à « installer à la place de la société occidentale déclinante une civilisation de substitution, l’islam». C’est le premier responsable politique français à exposer dans le détail le véritable plan de renversement de la civilisation européenne auquel ont souscrit 57 gouver-nements.

S’il prend la peine de commenter ce document stratégique, étonnamment méconnu, c’est en raison de son importance intrinsèque : son contenu, son orientation délibérément et fonciè-rement pratique et concrète, le fait qu’il constitue un véritable plan d’action destiné à tous les responsables associatifs musulmans implantés en Occident requièrent de porter à la connais-sance du grand public ce texte fondateur, et d’en expliciter les déclarations, les intentions et les non-dits. Il considère qu’il est urgent d’alerter l’opinion publique et les responsables politiques occidentaux sur ce qui se trame au sein des instances représentatives du monde musulman, que ce soit l’Organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture (ISESCO) ou encore l’Organisation de la coopération islamique (OCI), avant qu’il ne soit trop tard -comme ce sera bientôt le cas pour l’immigration de masse à laquelle les Français semblent s’être résignés, en dépit de ses nombreux effets délétères.

Pour faire face à ces différentes formes d’invasion, démographique dans un cas, culturelle dans l’autre, et prévenir les risques d’affrontement a priori inéluctables dans la situation de décomposition et de fragilité dans laquelle se trouve notre pays affaibli par la démission de ses élites alors que ses adversaires islamo-gauchistes sont plus déterminés que jamais, Jean-Frédéric Poisson propose différentes pistes. Il convient, entre autres choses, d’appliquer réellement la loi de 1905, de réduire l’influence étrangère, de renoncer à vouloir « organiser l’islam », et de lutter contre une islamisation galopante qui vise une domination sans partage.

Il faudrait surtout, selon lui, que nous cessions d’être naïfs, que nous revoyions de fond en comble nos politiques d’alliance avec les pays signataires de cette déclaration qui est pour l’au-teur une « authentique déclaration de guerre » - et que nous ayons le courage de la lucidité, ce à quoi Jean-Frédéric Poisson s’est employé en dévoilant un plan d’islamisation de l’Occident qui, pour beaucoup de lecteurs, sera une véritable révélation.

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Politique française & Souveraineté« Jamais peut-être n’aura-t-on vu un peuple fournir autant de résistance que le nôtre

aux principes de dissolution que ses institutions lui apportaient. »Jacques Bainville

e qu’on a coutume de nommer « politique intérieure » répond à la même pré-occupation que la politique étrangère, le souci cardinal de souveraineté ; certes, il ne s’agit pas, cette fois, de s’opposer aux hégémonies extérieures, mais bien, à

l’intérieur de la nation, à l’infinie myriade de féodalités qui pèsent sur l’Etat et sur les esprits comme si leurs intérêts propres coïncidaient avec ceux de la nation et, finalement, pour confisquer le Bien Commun. Occasion de rappeler dans ces colonnes l’aspect multiforme de la souveraineté, et d’un souverainisme dont les nouveaux adeptes ont l’air d’oublier qu’il est une politique complète de la France, y compris dans ses versants intérieurs, la souveraineté de l’Etat, et la souveraineté culturelle, ou identitaire. Sur les restes d’un Etat en miettes, ce que les Classiques nommaient féodalités et qu’on nomme désormais lobbys règnent aujourd’hui en maîtres, à la fois omniprésents et souterrains. Si, tout au long de la crise de la Covid, nos fragiles gouvernements ont multiplié déclarations et décisions contradictoires, c’est qu’il se laissa emprisonner par d’innombrables lobbys, du plus apparent (le fameux Conseil scienti-fique Covid-19) aux plus cachés, le lobby pharmaceutique ou le lobby hospitalier. Les mé-dias, répétons le, et les intérêts privés qui les manipulent, sont les plus redoutables, dictant sans cesse leurs obsessions idéologiques aux politiques, lesquels se croient obligés de les suivre pour exister ; ils conditionnent notre peuple à coups d’« informations » souvent controuvées sans jamais se soucier de l’intérêt supérieur de l’Etat, notion dont on dirait qu’elle leur est odieuse et qui peu à peu s’efface en effet dans les esprits. Encore faut-il compter aussi avec les féodalités partisanes, syndicales, financières, les potentats économiques, ou régionaux, les solidarités occultes et tant d’autres qui confisquant à la fois l’autorité de l’Etat et le rôle, non moins essentiel, des corps intermédiaires naturels.

Quoi d’étonnant à ce que la France offre, en cet automne 2020, un désespérant tableau, celui d’un pays où ce qu’il n’est plus de mise de nommer immigration se mue en une lente invasion, comme le montre François de Voyer d’Argenson en rappelant, ou plutôt en donnant ici, après un remarquable effort de recherche, la terrible dimension ; un pays où, pour prendre les mots de l’inquiétante analyse que livre Me Frédéric Pichon, l’institution judiciaire montre elle-même l’exemple d’atteintes à ces libertés publiques qu’elle est censée protéger. Un pays aux mains d’une oligarchie frivole, souvent vulgaire, inconsciente des périls qui menacent le pays, dont l’archétype le déroutant personnage qu’un malheureux concours a porté à la tête de l’Etat, narcissique jusqu’à la caricature, donc aveugle, sourd et impuissant, dont Pierre Lours dresse un saisissant portrait. A l’évidence, il est désormais urgent de donner la parole au peuple, pour que l’emporte un jour, avant qu’il soit trop tard pour l’apercevoir encore, le Bien Commun de la Nation. Comment faire, sinon en conquérant le pouvoir politique ? C’est ce que cherchent ici nos amis Eric Zemmour, qui se demande « quelle chance nous avons d’unir les droites », ainsi que Thierry Mariani qui examine les voies de la recomposition politique de ce que nous ne craignons pas, nous autres, de nommer la droite nationale.

pmc

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Retrouver la synthèse louis-philipparde ou gaullienne : une alliance de la bourgeoisie

nationale et du peuple

ui ne connaît Eric Zemmour ? Par son érudition et sa constance, ainsi qu’une cer-taine intransigeance dans l’expression d’idées qui ont pris à rebrousse-poil tous les points cardinaux de la pensée dominante (rare courage, même chez les hommes et les

femmes qui pensent comme lui…), il est peu à peu devenu l’une des personnalités les plus aimées, les plus craintes et dans tous les cas l’une des plus respectées parmi les Français. J’eus le privilège de le rencontrer il y a longtemps - en 1993, tandis qu’il n’était encore qu’un jeune journaliste du « Quotidien de Paris ». Depuis lors, notre amitié, et l’admiration que je lui voue, ne connut pas une ombre. C’est un privilège que cet écrivain, qui est aussi un lumineux historien (il faut lire, par-dessus tout, son « Destin Français » – Albin Michel, 2018) et un bretteur de plus en plus sollicité, accorde au « Nouveau Conservateur » en acceptant, fait rare, l’entretien qu’on va lire.

Vous avez déjà développé les enseignements des dernières municipales, mais allons plus loin sur un point, l’abstention : signerait elle une dissidence silencieuse de notre peuple, qui pourrait annoncer d’autres abstentions massives dans l’avenir et achèverait de tuer notre démocratie ?

Bien sûr, la raison première est l’épidémie et les injonctions contradictoires autour du confi-nement. Mais le second tour accélère des tendances antérieures. Jusqu’à présent, seules les élections municipales et présidentielles échappaient à l’abstention de masse. Sans doute parce que ce sont les deux échelons les plus identifiés et les mieux ancrés dans notre inconscient national : le Maire et le Roi. Mais les maires n’ont pas échappé à l’érosion générale des pou-voirs : dissolution des compétences avec le mille-feuille administratif, judiciarisation de la vie publique, déresponsabilisation administrative et fiscale. Les mairies vivent de subventions (Etat et Europe) et reversent des subventions (associations). Le clientélisme est roi…Par ailleurs, la moitié des citoyens ne paye plus d’impôts (mis à part la TVA et la CSG… mais ce sont des impôts qui ne sont guère identifiables). Ce sont ces gens-là qui ne votent plus. On a réinventé le suffrage censitaire. Pour un pouvoir macronien qui a réinventé la synthèse politique et sociologique de l’alliance des bourgeoisies, il y a une logique…

Vous analysez la progression des écologistes comme un rééquilibrage des forces au sein de la gauche, c’est-à-dire une résurgence possible de la « gauche plurielle ». A l’inverse, pensez-vous que l’on puisse élaborer, en face, une « droite plurielle » tant soit peu organisée, du moins lors des échéances électorales ?…

QEntretien avec Eric Zemmour

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Pour l’instant, je ne vois pas. Le Rassemblement national ne veut plus et LR ne veut toujours pas. Marine Le Pen est fascinée par les populistes de gauche, et LR est fasciné par le pouvoir macronien. Pourtant, chacun des deux membres de la droite se perdra par ce qui la fascine : LFI est aspirée par l’islamo-gauchisme que vomissent les électeurs du RN. Et les élus de LR montrent chaque jour davantage qu’ils ne rêvent que de devenir ministres d’Emmanuel Macron, tandis que celui-ci leur accole des cabinets composés de socialistes pour les diriger…Pourtant, je continue de penser que la seule chance de vaincre la synthèse louis-philipparde d’Emmanuel Macron est de lui opposer la synthèse bonapartiste ou gaullienne, c’est-à-dire l’alliance d’une partie de la bourgeoisie patriote avec les classes populaires françaises. Curieu-sement, ce sont des Anglo-saxons, Trump et Johnson, qui ont réussi cette synthèse. Peut-être en souvenir de Disraeli, ou de Churchill… Certes, on observe le même phénomène en Po-logne, et, peut-être bientôt, ailleurs en Europe…

Vers un sursaut des « enracinés » ?« Tout ce qui élève unit » écrivait Péguy : quels sont à vos yeux les paradigmes ou « points de communion » sur lesquels pourraient se retrouver l’ensemble des forces de droite - à la faveur d’une grave crise sociale, de la mise en péril de la paix civile, d’un électrochoc politique ?

La « patrie en danger » parle à une partie de moins en moins importante de la bourgeoisie française. Ce serait pourtant le seul motif de rassemblement. Alors, l’ordre ? De puissants intérêts menacés par les « Barbares » ?...La seule chose qui rassure est que cette « trahison » est une constante de l’Histoire de France !...Face à l’immigration incontrôlée ou l’islam conquérant, les Français réagissent peu  : comment voyez-vous les choses dans les prochaines années ? Un scénario à la Houellebecq, la soumission lente ; un déclic et une mobilisation in extremis des indigènes ; une résistance raisonnée des enracinés, comme à l’Est ?

Je n’ai pas de boule de cristal. Si rien ne change, nous allons selon moi vers une « libanisa-tion » du pays avec des enclaves étrangères qui feraient reconnaître par le « pouvoir central » (qui n’a plus de pouvoir et qui n’est plus central) la légitimité d’une occupation qui est déjà à l’œuvre aujourd’hui par la force, c’est-à-dire par l’alliance des caïds et des imams, ce que j’ai appelé l’alliance de la Kalachnikov et du Coran. S’il y a une réaction patriotique pour combattre « l’Etat dans l’Etat » selon la formule de Richelieu, il y aura sans doute un affrontement et donc une guerre civile. La meilleure solution serait bien entendu un sursaut des enracinés comme en Hongrie ou en Pologne qui tout à coup n’en peuvent plus et renversent la table. Mais notre peuple en est-il encore capable ?

Propos recueillis par pmc

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hierry Mariani est un vieil ami, rencontré à la fin des années 90 à la table de Charles Pasqua : alors jeune maire de Valréas (dans le Vaucluse, sa terre natale) et député RPR de bonne souche gaulliste (né en 1958, il adhère à 18 ans à ce parti lors de sa création) il était

déjà, de par tous ses réflexes, un véritable souverainiste. Je l’ai retrouvé un jour, par hasard, à Moscou, où il entretient des liens avec les plus hautes autorités politiques, donnant de la France une image fidèle de la vieille amitié franco-russe. De la politique traditionnelle de la France, il donna de même une belle image en Irak, en rencontrant en 2002 le Président Saddam Hussein, puis en Syrie, où, non sans courage, il rencontra à plusieurs reprises le président Assad et le fit savoir. En 2012, après avoir été quatre fois élu député du Vaucluse, il devint député des Français de l’étranger dans une immense circonscription (Russie, Asie, Pacifique) où sa passion des voyages se donna libre cours. Toujours infati-gable, toujours indépendant d’esprit, Thierry Mariani émit plusieurs propositions de loi pour limiter les flux migratoires, puis lança en 2010 une association parlementaire, La Droite Populaire par laquelle il entendait que la droite et le gaullisme redevinssent l’une et l’autre, ce qui ne l’empêcha pas d’entrer au gouvernement Fillon III comme ministre des Transports puis d’être en 2013 vice-président de l’UMP – qu’il finit par quitter en prônant, plutôt que des alliances avec le centre, des alliances ponctuelles avec le Front national. Un temps proche de Nicolas Dupont-Aignan dont il s’éloigna, il fut élu en 2019 député au Parlement européen sur la liste de Jordan Bardela.Vous êtes actif sur les réseaux sociaux, notamment sur touitteur, où votre compte, avec quelque 60 000 abonnés, réalise à lui seul une sorte d’« union des droites à la base ». L’affaire Covid vous a inspiré quelques touittes bien sentis ... La Covid a frappé le monde entier à une vitesse inconnue dans la propagation des virus. De la Chine au Brésil, cette épidémie a eu des effets universels. Elle a cependant connu des réponses variables en fonction des continents, des organisations politiques et, finalement, des visions du monde. En Corée du Sud par exemple, le gouvernement a immédiatement développé une appli-cation mobile qui apportait un service aux malades (téléconsultations, conseils, services d’écoute) quand la France et l’Union européenne n’ont pas réussi à développer de réponse numérique efficace, notamment parce qu’elles n’avaient pas correctement anticipé le risque pandémique.Ce n’est pas simplement la résistance de nos services de santé qui a été éprouvée. C’est un rapport presque métaphysique au monde qui a été chamboulé. L’Occident, si tant est qu’il existe encore, a montré une sorte de résignation. Le virus apparaît en Chine ? On ne ferme pas les frontières. Il faut rapatrier les citoyens français de Wuhan ? Les règles de sécurité ne sont pas remplies et un foyer épidémique se développe autour de l’aéroport de retour, Roissy. La catastrophe guette ? La ministre de la Santé est dépêchée … en campagne pour la mairie de Paris. Les Français sont sans protection ? Des demi-experts débattent des heures sur l’efficacité des masques et des blouses, et

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Entretien avec Thierry Mariani, Député français (RN) au Parlement européen, ancien ministre

Nous passons du statut de « phare du monde » à celui

d’exemple à ne pas suivre

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se contredisent sans cesse. Avec des attitudes variables, des problèmes de ce type sont apparus en Italie comme aux États-Unis ... Comment jugez-vous l’action du gouvernement français au long de cette période ?S’il y a eu une inefficacité du gouvernement français, c’est une inefficacité fort partagée en Oc-cident. Je crois que cette incurie vient d’une dépression collective de nos sociétés. Nous savons que l’Occident se déclasse, que son message, ses organisations, ses valeurs sont concurrencés par d’autres systèmes, d’autres visions. Au lieu de comprendre l’émergence d’un monde multipolaire, nos élites brocardent les chercheurs indiens, les médecins chinois ou les ministres brésiliens. Nos « élites » se radicalisent, elles ne cherchent plus à appendre quoi que ce soit des autres sys-tèmes ou tout simplement des autres, elles se complaisent dans leur hypothétique excellence … d’ailleurs peu vérifiée par leur réaction face à la crise.Que s’est-il passé au Parlement européen pendant la pandémie ?Justement, cette radicalisation des « élites », je l’ai vue au Parlement européen : au plus fort de l’épidémie, des sociaux-démocrates, souvent responsables de l’effondrement de nos systèmes de santé, faisaient la leçon à la Hongrie sur son état d’urgence sanitaire ou à la Pologne parce qu’elle ajournait les élections présidentielles. Des patients mouraient et leurs représentants politiques stigmatisaient la « dérive populiste » de la fermeture des frontières ou encore l’absence de concordance des réponses nationales à la crise. Les fédéralistes conti-nuaient à soutenir l’effacement des nations, rendues responsables de l’aggravation de l’épidémie. Pour ces idéologues, l’absence des résiliences locales prouve qu’une centralisation encore plus renforcée des décisions est nécessaire en Europe. Je crois surtout qu’ils voulaient profiter de cette crise pour accélérer leur projet politique fédéraliste. Pour eux, les idées passent avant la vie des hommes, ce qui est toujours le prodrome des grandes catastrophes.Jugez-vous que la crise de la Covid eut un effet sur l’Union européenne ? A-t-elle resserré les rangs de l’UE ou au contraire accéléré sa décomposition ?L’Union européenne n’a pas du tout « resserré les rangs » – et c’est heureux, parce que nos nations ne sont pas en rang, et ne veulent pas des commissaires de Bruxelles pour dicter leur conduite. Quand les nations font face à une crise, elles appliquent des solutions nationales. Et des solutions nationales souvent contraintes par les lourdeurs que l’UE leur avait imposées par le passé. Ainsi Olivier Véran, ancien député devenu ministre de la Santé, était-il rapporteur, quelques mois plus tôt, d’un des budgets les plus désastreux pour l’hôpital public –en raison des « contraintes extérieures ».Un système de santé doit être adapté aux réalités d’une société. La nation est le cadre idoine pour incarner cette société. C’est une leçon qui traverse l’histoire politique européenne - insupportable à Mme von der Leyen et ses amis. Ils voudraient des patients européens, mais ne rencontrent que des malades slovaques ou chypriotes. Ils voudraient des hôpitaux qui fassent primer les normes budgétaires de la Commission européenne sur la vie des patients, mais ils ont en face d’eux des États bien obligés de répondre aux nécessités du terrain. Alors oui, je crois que cette crise a signé une forme de décomposition de l’UE ; et il s’agit bien d’une décomposition intellectuelle et morale. Quant aux obligations réglementaires, j’ai peur que le « plan de relance » ne vienne augmenter encore le poids des obligations que les autorités bruxelloises se croient autorisées à imposer à nos Nations.Comment expliquez-vous que les pays de l’Est européen semblent restés à l’écart des mouvements de « repentance blanche » ? Comment expliquez-vous cette césure entre une Europe qui devient multiculturelle et une autre qui ne le veut manifestement pas ?

Il faut une « écologie des civilisations », c’est-à-dire un respect de leur fragilité face aux va-et-vient et aux altérations brusques.

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L’Europe est multiculturelle. Un Bavarois n’a ni les mêmes traditions, ni les mêmes rêves qu’un Crètois. Je crois qu’ils font en revanche partie d’une civilisation, européenne, qui constitue une matrice commune. L’Europe n’est pas, en revanche, multicivilisationnelle. Elle n’a pas vocation à agglomérer les génies africain, arabe ou papou. J’ai beaucoup voyagé à l’étranger, par la nécessité de mes fonctions et de découvrir d’autres cultures. Je crois beaucoup à la diversité des civilisations et à la nécessité de ne pas les uniformiser. Il faut une « écologie des civilisations », c’est-à-dire un respect de leur fragilité face aux va-et-vient et aux altérations brusques.En Europe, je rencontre des jeunes gens plein de bonne volonté qui se demandent pourquoi la vie politique d’un Biélorusse ou d’un Sibérien ne peut pas être automatiquement la même que la leur. Je suis obligé de leur répondre qu’ils sont naïfs, qu’ils ne savent pas qu’en Russie le servage a été interdit en 1861 quand l’esclavage le fut en France par le reine Bathilde au VIIème siècle, inter-diction rappelée par Louis X en 1315. Sans parler des horreurs du communisme que ces pays ont longtemps connues. Chacun voit bien que le rapport à la vie publique, à la dignité sociale et aux libertés ne peut pas être le même dans tous nos pays.La déliquescence occidentale a beaucoup à voir avec cette certitude d’un progrès constant dans l’histoire. Une histoire qui devrait être synchrone et univoque. La richesse du monde, c’est la multiplicité des rythmes, des coutumes et même des régimes politiques !

À l’Est de l’Europe, le marxisme culturel peine à s’installer. On le comprend à la lumière de l’histoire récente. Mais les groupes d’influence y sont extrême-ment actifs, arguant d’une définition faussée de l’État de droit pour s’attaquer à tous les piliers des sociétés. Je crois cependant que les peuples de l’Est com-prennent qu’à l’Ouest, les dissensions sociales et le règne de l’anomie ne sont pas des ferments de concorde. C’est terrible mais c’est ainsi : nous passons du statut de « phare du monde » à celui d’exemple à ne pas suivre.Il est devenu insupportable à la gauche française, prisonnière des thèses haineuses que BHL développe dans L’Idéologie française, de penser autre-

ment que sur la culpabilité, qu’elle impose aux Français dès le biberon. Des décennies de haine de soi fabriquent les épigones du marxisme culturel : honte de son histoire, cheveux bleus, anneau en fer dans les narines et drogue – qui décèlent un rapport de domination dans les usages les plus élémentaires de la politesse. Tenir une porte ? Sexisme. Manger un cous-cous ? Appropriation culturelle. Respecter ses pairs ? Traditionalisme. Ce cocktail n’est pas la potion qui ramènera de l’harmonie dans nos sociétés, c’est la ciguë imposée aux rejetons de nations dépressives.La société américaine est violente, depuis longtemps. Quand un homme meurt dans une in-tervention de police alors qu’il ne menace la vie de personne, un scandale se produit. Personne n’a attendu les mouvements indigénistes pour ressentir ce scandale. L’Europe y pense depuis Iphigénie et Agamemnon, ou Créon et Antigone. La nouveauté de la mobilisation après la mort de George Floyd, c’est la machinerie idéologique déployée pour déstabiliser nos socié-tés, par les équipes de Biden pour gagner le vote noir, par les artistes internationaux pour se donner bonne conscience, par la gauche française à la recherche du vote communautaire. Ces idéologues sont sans vergogne et sont prêts à accepter toutes les compromissions éthiques pour arriver à leurs fins. Je veux avoir une conclusion très simple : si par les « blancs », les associations indigénistes en-tendent les descendants des nations européennes, alors ces « blancs » n’ont aucune excuse à pré-senter. Nos nations ont conquis une bonne partie du monde pour une seule raison : elles étaient plus avancées techniquement et économiquement. Elles sont aujourd’hui affaiblies et d’autres nations concurrencent, bien légitimement, la place que nous avions gagnée par des siècles de sacrifices. Je fais partie de ceux qui ne se résolvent pas à la disparition.

La déliquescence occidentale a

beaucoup à voir avec la certitude d’un

progrès constant dans l’histoire.

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D’une manière générale, pensez-vous toujours nécessaire d’associer la Russie à la construction d’une grande Europe «  de l’Atlantique à l’Oural  » ? Cette unification a-t-elle tendance à progresser ou à régresser ?Il y a deux attitudes à adopter face à la Russie. Il y a celle du général de Gaulle, couronnant l’ins-piration de siècles d’histoire de France, qui sut regarder nos intérêts communs. Cette première attitude admet que la Russie est le plus vaste pays du monde et le fruit d’une grande civilisation. L’autre attitude revient à bannir la Russie du cercle des grandes nations. Si de Gaulle pouvait dîner avec Staline, travailler à une relation privilégiée avec la nation russe en pleine guerre froide, c’est qu’il savait faire primer les intérêts de la France. Le quai d’Orsay ferait bien de s’en inspi-rer. Aujourd’hui, notre diplomatie est prisonnière de ses pudeurs vis-à-vis de Vladimir Poutine. Pourquoi ? Parce que l’État croyait, hier, que la France devait être une grande puissance, alors qu’aujourd’hui l’État utilise la France pour soigner les névroses de mai 68 : honte de notre propre histoire, complexe d’infériorité face au monde anglo-saxon. Résultat : notre influence est contes-tée partout, au Proche-Orient à la suite des décisions idéologiques, en Afrique où les acteurs se multiplient à notre détriment, jusqu’au conseil de sécurité de l’ONU, où l’Allemagne tente une OPA sur notre siège…Qu’avons-nous à gagner à entretenir cette hostilité envers la Russie ? Qu’avons-nous à gagner au sein du commandement intégré de l’OTAN qui préfère la Turquie à la France quand la flotte ot-tomane nous attaque en Méditerranée ? Je vois notre influence dissoute par l’extension de l’UE aux frontières de la Russie, avec des pays qui ont besoin du soutien militaire et diplomatique américain. Élargie, l’UE empêche ses nations fondatrices d’adopter un dialogue avec Moscou.Au-delà de ma connaissance personnelle du pays, je vois dans la Russie notre interface pour réorienter nos relations vers l’Asie, pour mieux résister à la pression turque, pour sortir de notre dépendance à Washington. J’y vois un allié avec qui nous devrions rapidement améliorer nos relations avant que d’autres ne le fassent. J’y vois, en un mot, l’intérêt de la France. Vous avez rencontré plusieurs fois le Président Assad ; peut-on dire qu’il a gagné la par-tie ? Dans le même ordre d’idées, comment évaluez-vous la situation du Liban ?[ndlr : cet entretien a eu lieu avant les explosions du port de Beyrouth le 4 août]

La Syrie mérite la paix. Les Syriens veulent la paix, ils ne veulent pas que des puissances extérieures entretiennent chez eux des groupes islamistes, par exemple ceux de la poche d’Idlib. Bachar al-As-sad a bien entendu gagné la guerre sur le terrain au prix d’immenses efforts militaires et de sa-crifices de la part de la population syrienne. Il faut que nous cessions toute implication dans les blocus, sanctions, détournements des institutions internationales qui n’ont qu’une raison : refuser d’admettre que les Syriens ont choisi Bachar al-Assad contre les terroristes.La communauté internationale ferait bien de s’inquiéter de la profonde déstabilisation du Liban. Certes, Beyrouth a des torts dans le maintien d’une corruption endémique. Mais la pression internationale, notamment via les sanctions Cesar, qui avivent les souffrances économiques dans le pays, ne fait qu’assombrir l’avenir du Liban. Je comprends parfaitement les manifestations de la société civile libanaise. Je regarde toute cette jeunesse qui veut bénéficier de l’électricité sans coupure et d’une administration au service des Libanais. Mais j’ai peur que bien des puissances étrangères n’en profitent pour déstabiliser le pays. Et je ne peux évidemment pas oublier que, dans cette situation, les chrétiens d’Orient sont en grand danger. Au Liban, l’enseignement du français est en péril et avec lui les écoles religieuses qui formaient une grande partie de l’élite du pays. Un Liban délabré est une faille de plus au Proche-Orient, ce qui inquiète tous ceux qui aiment cette région et veulent, comme il le faut absolument, entretenir des liens avec elle. Finissons par la politique intérieure. Vous avez été élu l’an dernier sur la liste RN. Que pen-sez-vous de la dispersion des droites ? Ne jugez-vous pas assez parlante une mise en re-

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gard des déboires de la droite à Marseille et des succès de Robert Ménard à Béziers comme de Louis Alliot à Perpignan ? N’est-ce pas prometteur pour « l’union des droites » ?Je suis favorable à l’union des droites parce que je suis favorable à un chemin politique bien connu, celui du rassemblement du peuple français. Et d’ailleurs, c’est ainsi que le général de Gaulle avait attiré à lui les gaullistes de gauche qui se reconnurent dans son projet de justice so-ciale au service de l’intérêt national. Voilà pourquoi il faut aller au-delà de l’union des droites : il faut l’union de la Nation avec ceux qui partagent nos valeurs et nos exaspérations devant un pays malmené par sa classe dirigeante. Je reste convaincu que l’actualité politique opère un éclaircis-sement sur la nature de la droite. L’orléanisme politique, c’est-à-dire la vieille idée d’un Adolphe Thiers, par exemple, qui fait primer la stabilité des intérêts d’argent sur l’harmonie sociale, n’a été qu’une pièce rattachée à la droite française. Au XIXème siècle, c’est plutôt la droite légitimiste et la droite bonapartiste qui ont été les moteurs de l’élaboration des idées politiques à droite. Bo-napartistes et Légitimistes s’opposaient sur la question de l’origine du pouvoir, c’est-à-dire celle d’une souveraineté fondée sur l’héritage ou d’une souveraineté fondée sur la volonté populaire. En somme, comment associer le besoin de continuité de la grandeur de la France tout en propo-sant aux Français une politique qu’ils peuvent plébisciter au quotidien ?Les droites, si elles veulent emporter l’adhésion de la majorité du peuple, doivent trouver une réponse contemporaine à cette tension. D’une certaine manière, c’est ce que Nicolas Sarkozy était parvenu à faire en 2007 ; mais ce fut surtout, et sans comparaison, l’assise politique du général de Gaulle. Le problème de ce qui fut longtemps mon parti, le RPR, puis ses diverses évolutions, est qu’il a été pris dans deux pièges. La diabolisation du Rassemblement National et la prime aux centristes, c’est-à-dire, en résumé, aux Orléanistes. Nous ne trouverons de solution politique qu’en équi-librant notre rapport aux racines des droites légitimiste et bonapartiste. Cette solution passera par un renversement du rapport de force à droite, en allant vers le service du peuple plutôt que vers le service des intérêts d’argent. Qu’est-ce à dire ? Que la droite doit reparler des libertés concrètes plutôt que de la liberté abstraite. Que la droite doit admettre que les ravages de la mondialisation ne se guériront pas par l’établissement d’une société de la consommation.D’ailleurs, la sympathie qu’on témoigne à la « Droite populaire » au sein de l’UMP montre que les militants ont déjà compris cette transformation. Et je crois que l’émigration chez Macron de beaucoup de ceux qu’ils ont soutenus pendant des années finira de les convaincre de franchir le pas d’une union par la base et sur la réflexion programmatique.Oui à l’union des droites. Mais à une seule condition : qu’elle se fasse afin de mieux servir le peuple français tout entier. Au sein de ce peuple, il y a toutes sortes d’énergies, de talents, de sentiments patriotiques qui sont prêts à s’assembler au profit du redressement national. Il faut les accueillir, les comprendre et faire primer la Nation sur les divisions et les idéologies. Au pouvoir, nous ne connaîtrons pas des Français de gauche et des Français de droite, nous ne connaîtrons que des compatriotes.

Propos recueillis par pmc

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a souveraineté redevient enfin, à la faveur de « l’affaire Covid » une question centrale, au point que le mot est même utilisé par ceux qui la foulent constamment aux pieds et que le souverainisme est invoqué par quelques esprits de gauche. Paul-Marie Coû-

teaux, qui importa le mot dans les années 90 et le théorisa après Maastricht, contre la marche à la supra nationalité européenne, rappelle à ceux qui utilisent le mot à tort et à travers que le souverainisme est un logiciel complet, fondé sur la logique profonde de la politique française, y compris identitaire.

Si le mot souverainisme est récent (importé du vocabulaire québécois au début des années 1990, il ne s’est que lentement imposé en France, jusqu’à devenir courant à la suite du refe-rendum de 2005 sur la Constitution européenne), celui de souveraineté, dont il dérive, est en revanche beaucoup plus ancien, au point qu’il peut être tenu pour le concept fondateur et pour ainsi dire le résumé de la politique de la France dans sa genèse la plus lointaine. Apparu dès le XIIème siècle, c’est même l’un des premiers termes de notre vocabulaire politique – dont la plupart des mots-clefs seront formés plus tard, entre les XVIème et XVIIIème siècles. En ce qu’il complète le mot Souverain, lui-même d’usage fréquent dès le XIème siècle, le souverai-nisme plonge donc aux sources les plus lointaines de cet invariant que l’on peut nommer la politique française, le mot français apparaissant lui-même à la même époque. Dès l’origine, la Souveraineté est ainsi posée au milieu du champ, première pierre, ou pour mieux dire “pierre d’angle” de ce que l’on commence à nommer la France. On pourrait même dire que toute la politique française se forme autour du mot souveraineté, laquelle est son socle et sa matrice.

A l’évidence, l’idée de Souveraineté est liée à celle du Souverain, celui que l’on nomma d’abord superanus, autorité suprême, pouvoir au-dessus duquel n’existe nulle instance dotée d’une force juridique supérieure : aucune puissance ne saurait avoir le pas sur le Souverain, le Gouvernement d’un autre Etat pas davantage que l’un de ces “Etats dans l’Etat” qu’on nommera bientôt féodalités.

« S’opposer à autrui sans défaillance »D’emblée, le mot Souveraineté se déploie en plusieurs dimensions : vis-à-vis de l’ex-

térieur, elle fonde l’indépendance du “Souverain”, qui l’invoque pour affirmer qu’il n’est soumis à nulle puissance étrangère – c’est pourquoi le roi de France refusait de rencontrer l’empereur germanique : comme il était d’usage que toute rencontre diplomatique commen-çât par une messe, et qu’il était donné à l’Empereur des pouvoirs sacerdotaux que le « petit roi de France » n’avait pas, celui-ci prenait grand soin de ne pas assister, en somme en simple fidèle, à un office présidé par un autre Chef d’Etat - forme de souveraineté qui se nommera plus tard nationale. Cependant, le mot vaut aussi à l’intérieur du corps politique, la souve-raineté caractérisant l’autorité politique légitime s’imposant à tous les pouvoirs privés selon la célèbre formule des légistes « Le roi de France est empereur en son royaume » : souveraineté

Lpar Paul-Marie Coûteaux

Qu’est-ce que le Souverainisme ?

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de l’Etat légitime qui deviendra plus tard la souveraineté populaire. Mais la Souveraineté a une troisième dimension, qui ne ressort ni de la politique étrangère et militaire protégeant la Na-tion ni de l’organisation interne protégeant l’Etat, mais de la culture populaire en ce qu’elle recueille, nourrit et protège une Civilisation propre, héritière de traditions multiples, lointai-nement germaniques, scandinaves ou celtes, et, plus proches, grecques et romaines, finale-ment de la Chrétienté qui les a peu à peu synthétisées en les fondant sur une transcendance : ce que l’on peut nommer civilisation française, impalpable mais omniprésente, construite au fil du temps sur un ensemble de permanences qu’a bien décrites Fernand Braudel dans son introduction à l’Identité de la France : « Une nation ne peut être qu’au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique, de s’opposer à autrui sans défaillance, de s’identifier au meilleur, à l’essentiel de soi, conséquemment de se reconnaître au vu d’images de marque, de mots de passe connus des initiés – que ceux-ci soient une élite ou la masse entière du pays, ce qui n’est pas toujours le cas ». Ces « mots de passe » ont peu à peu construit l’idéal d’un homme civilisé tendu par un effort de maîtrise intérieure, de connais-sance et de souci d’esthétique et de bienséance : idéal du « gentil chevalier », du « galant », puis de l’Honnête Homme à l’honnête parler (entendre : la belle langue, laquelle deviendra au XVIIème siècle une sorte de sacré laïc capable de rendre ses gardiens « Immortels »), enfin celui du citoyen patriote. Ce troisième type de souveraineté, culturelle, ou pour mieux dire identitaire, un peu négligée par les souverainistes du nouveau genre, n’en est pas pour autant le moindre, serait ce seulement qu’il fonde les deux autres.

Un triptyque archaïqueSouveraineté de l’Etat, de la Nation, de la Civilisation. Tout se tient : la souveraineté

est un bloc, et le souverainisme une politique complète. Car, en s’appuyant sur la simple logique, que l’histoire illustre et vérifie souvent, on montrerait sans peine que les trois faces du mot Souveraineté entretiennent une relation de réciprocité, chacune étant la condition, et l’on pourrait dire l’aliment des deux autres : le souverainisme est une dialectique tissée au petit point, qui exige des citoyens, au moins des élites nationales (le « petit nombre » dont parlait Braudel), une solide connaissance de l’Histoire de France et de ses ressorts archaïques – c’est-à-dire fondateurs, et durables.

Prenons l’affaire de Guyenne : au roi d’Angleterre qui, au début du XIVème siècle, exige de pouvoir tenir l’Aquitaine “librement”, c’est-à-dire sans rendre hommage au roi de France, les juristes de la Sorbonne rétorquent qu’il est impossible de faire une exception, motif pris des relations “de roi à roi” avec la Couronne britannique, qui tient la Guyenne par héritage depuis les aventures d’Aliénor. Car c’est alors tout le royaume qui serait remis en cause : le roi, dit clairement un texte de 1378, “Le Songe du vergier”, “peut aliéner la souveraineté et le dernier ressort de Guyenne, il peut aussi aliéner la souveraineté et le dernier ressort de Bretagne et de Normandie, de Bourgogne et de Picardie et de toutes les autres parties de son royaume et ainsi il ôtera les fleurs de toutes les pierres de si noble couronne comme est celle du Royaume de France”. Françoise Autrand (l’une de nos historiennes les plus aigües), qui cite ce texte dans son magistral Charles V, observe ainsi que souveraineté extérieure et intérieure se tiennent l’une l’autre dès les origines : “C’est que le sort de la Guyenne n’engage pas seulement les relations du roi de France avec le roi d’Angleterre mais avec tous les princes du royaume (...) La Souveraineté fait tenir tout le système”.

En termes actuels, la souveraineté ne se partage pas. La chose est évidente à travers les débats sur la supranationalité européenne –par exemple entre mille, dans le programme bruxellois dénommé “Europe des régions” imposant une Charte des langues régionales qui alla très loin en fait de remise en cause du français comme langue de la République : un recul

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sur le front extérieur peut mettre en péril son front intérieur, et jusqu’à son unité culturelle, en somme tout l’édifice. Point décisif que feignent d’ignorer les têtes légères répétant qu’il “faut faire l’Europe sans défaire la France” comme si la souveraineté n’était qu’un appendice dont on peut souffrir l’ablation sans que s’effondre tout l’édifice. On ne peut la vouloir à moitié : c’est la souveraineté ou la disparition – ou, comme on voit aujourd’hui, l’anarchie.

Quelle est la souveraineté première ? Les trois versants de la souveraineté sont solidaires, mais l’on ne sait jamais, comme

dans la fable de l’oeuf et de la poule, ce qui est premier de ce qui suit. Le gouvernement prit en 1914 la forme de l’union nationale pour assurer l’indiscutable souveraineté de l’Etat comme Jeanne d’Arc entreprit de faire couronner Charles VII à Reims avant de “bouter hors les Anglais” : une forte souveraineté intérieure est la condition d’une bonne défense de la souveraineté extérieure. Réciproquement, la souveraineté intérieure de l’Etat prend appui sur sa capacité à défendre la souveraineté vis-à-vis de l’exté-rieur : général rebelle exilé à Londres, de Gaulle n’aura pas d’autre autorité que son refus d’abandonner à l’en-vahisseur une once de souveraineté. A Vichy, de Gaulle oppose l’argument qu’employait déja à Senlis, en 987, l’archevêque de Reims Adalbéron pour écarter le denier carolingien, Charles, au bénéfice du Comte de Paris, le petit Hugues Capet, et que rapporte Richer : “Nous n’ignorons pas que Charles a ses partisans, lesquels soutiennent qu’il a droit au trône que lui ont transmis ses parents. Mais (...) quelle dignité pouvons-nous conférer à Charles, que ne guide point l’honneur, et qui a perdu la tête au point de n’avoir plus honte de servir un roi étranger ? ”.

Les premiers siècles capétiens mettent constamment en scène des rois tout occupés à dé-fendre leur souveraineté extérieure en s’appuyant sur leur légitimité intérieure (par exemple, en 1124, Louis VI dit “le Gros” appelant ses lointains et souvent incertains vassaux à “l’ost royal” pour se porter au devant de l’empereur germanique Othon) et, en retour, à asseoir leur autorité à l’intérieur du Royaume parce qu’ils défendaient l’intégrité du territoire vis-à-vis des puissances extérieures. Vient l’utitme question : quelle souveraineté est première ?

Un élément pourrait l’emporter : ceux qui croient que, comme l’assurait de Gaulle, et comme le dirent et le répétèrent nos autorités en 1996 lors du quinzième centenaire du baptême de Clovis, c’est le grand événement de Reims qui fonda le royaume, royaume dont le roi se fit toujours le protecteur de la Chrétienté, et qui sera dit au XVème siècle « fils aîné de l’Eglise », posent l’aspect identitaire comme premier, et même ontologique. Et d’ailleurs, quoi d’étonnant à ce que la plupart (pas tous…) de nos grands héros, de Sainte Geneviève à Arnaud Beltrame en passant par Jeanne d’Arc et de Gaulle, fussent de grands Chrétiens – et quoi d’étonnant à ce que, en d’autres lieux, ce fut l’extraordinaire appel de Staline aux popes, à l’Eglise orthodoxe et à la foi de son peuple qui, l’Armée Rouge étant enfoncée en juin et juillet 1941, ranima les énergies russes et assura une victoire qui, sans cet ultime ressort, eut été impossible. Cependant il est aussi concevable de tenir pour première l’une des deux autres formes : pour ceux qui insistent sur l’élection de Capet (et la fixation du principe de primogéniture mâle qui fit la longévité de la dynastie) c’est l’Etat qui fit la France. Pour ceux qui insistent sur Bouvines ou Valmy, c’est l’idée de Nation, et de défense nationale. Laquelle des trois ? On ne saurait trancher sans appel ; mais une chose est sûre : elles sont à ce point liées qu’elles ne peuvent que s’affirmer ensemble, ou disparaître ensemble.

La souveraineté n’est pas un appendice dont on peut souffrir l’ablation sans que s’effondre tout l’édifice politique et culturel.

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Une image vaut mille mots

Publicité Benetton ? Campagne de promo-tion de l’homosexualité au sein des forces de l’ordre ? Non, simplement une image qui vou-drait nous faire pleurnicher sur le sort de nos policiers et gendarmes. Eh bien, je refuse de céder à cette injonction lacrymale digne des marches blanches, des bougies, des peluches et autres niaiseries de nos sociétés gonzessifiées. Je suis, bien entendu, sensible à ce que subissent quotidiennement ceux qui sont là pour nous

protéger. Méprisés, sous-payés, agressés verba-lement et physiquement avec une violence qui semble franchir un nouveau cap chaque année, les représentants de l’ordre doivent nous savoir à leur côté. Solidaires mais pas compassionnels, reconnaissants mais debout. N’en déplaise à un récent ministre de l’intérieur, l’émotion ne doit pas primer le droit. Un homme, ça s’oblige. Un État, plus encore.

Philippe Martel

Nous avons montré à quelques personnalités une même photographie en leur demandant de la commenter en quelques lignes :

exercice de regards croisés qui peut être assez pédagogique…

Reconnaissants mais debout

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Cette photo de deux policiers de voie publique de la Préfecture de Police de Paris date, semble-t-il, des attentats de 2015. Le sang, les larmes, les cris ... et l’impuissance, la rage, la tristesse des drames exceptionnels ou même banals vé-cus par un policier, par un gendarme, s’accu-mulent parfois jusqu’à l’épuisement. En 2019, 59 policiers se sont suicidés - soit 60 % de plus que l’année précédente … Mais c’est un mé-

tier au coeur de la vie, fait de reconnaissances, d’incompréhensions et aussi de violences en-gendrées par les circonstances, les manipula-tions politiques et l’imperfection de la nature humaine. Une chance de servir les Français et d’être un gardien vigilant de la Paix et de la Justice.

Fabrice Fanet, colonel de Gendarmerie (er)

Les larmes de la FranceCe cliché saisissant illustre à merveille l’agonie d’une France qui se meurt à mesure que son identité s’efface. Le sécessionnisme identitaire et son corollaire, l’ensauvagement sans précédent de notre pays, décrivent une guerre permanente que livrent certaines immigrations à la France. Car l’ensauvagement est un sécessionisme im-périaliste qui vise, par tous moyens et par tout prétexte, à conquérir insidieusement une France qui part en lambeaux, avec la collaboration des élites « progressistes » qui président à nos des-tinées depuis 40 ans. Dans les enclaves désor-mais étrangères qui se multiplient dans notre pays, la France est exclue. Elle est soit partie d’elle-même, comme le montre la fermeture progressive des services publics, des commerces traditionnels et le départ des derniers Français

de souche devenus, dans ces zones, des étrangers dans leur propre pays. Zones où la France tente de revenir par éclipses et en uniforme : ce sont nos forces de l’ordre. Les attaques qu’ils subissent sont interprétées par nos élites à l’aune des évé-nements de mai 68. Les racailles deviennent des Cohn-Bendit révoltés, des rebelles emplis d’idéaux de jeunesse auxquels la société ne ré-pond pas, et les CRS toujours vus comme des sortes de nouveaux SS. Les coupables deviennent des victimes, les sauveurs deviennent des cou-pables : injustice qui provoque le désespoir, dé-sespoir qui provoque des larmes - larmes qui, trop souvent, sont celles des familles de suicidés.

Jean Messiha, Haut fonctionnaire, membre du bureau

politique du Rassemblement National

La détresse d’agents qui incarnent une fonction salie, piétinée, traînée dans la boue par une so-ciété qui ne saurait plus voir autrement qu’au prisme d’une démagogie sans borne. Un jour héros, le lendemain escrocs, fachos et collabos. La nuance n’est plus qu’une chimère évaporée dans le feu brûlant d’un politiquement correct écœurant, au relent d’un totalitarisme idéologique qui ne dit pas son nom. L’essentialisme est au service d’un délire idéo-logique nourri par des réseaux sociaux qu’on ne cesse de sacraliser. Les blancs sont racistes, les noirs victimes, les femmes battues, les poli-

ticiens véreux et les supporters de foot homo-phobes. Tout le monde est à sa place, et que personne ne bouge ou sinon, vous aurez affaire à la police. Pas celle qui détient le monopole de la violence légitime, non. Moi, je vous parle de la police du camp du bien, de la bonne morale. Celle qui a réduit au rang de faire-va-loir les bonnes vieilles Audrey Pulvar et autres Caroline De Haas, du doux nom de Schiappa et Maracineanu. Cette police-là est non seu-lement éminemment politique mais surtout complètement illégitime.

Arthur Ferrière, journaliste

La police du camp du bien

Une chance de servir les Français

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Macron : « on m’aime tant ! »

par Pierre Lours

ierre Lours (@pierrelours) a publié, voici quelques années, un palpitant « roman policier », intitulé « La Révolte des Silencieux », imaginant que les polices françaises sont sur les dents depuis qu’on découvre chaque jour le meurtre d’un Important -

grand journaliste, ministre, magistrat… (éditions Fol’fer). Ce haut fonctionnaire, très actif sur « les réseaux sociaux » (sous un nom d’emprunt, bien sûr) y publie régulièrement quelques perles, dont cet acide portrait de l’actuel Président de la République qu’il a bien voulu développer pour « Le Nouveau Conservateur ».

Rien de tel que de s’appeler Macron : makron voulant dire grand, en grec, il lui est im-possible de ne pas faire les choses grandement ! A commencer par conquérir sa « prof » de français, jolie femme de 24 ans… son aînée. A 15 ans, il faut avoir une sacrée soif de pouvoir pour devenir le maître du cœur de celle qui représente l’Autorité, inversant ou effaçant le rapport de force entre le maître et l’élève. Sans parler de l’audace nécessaire pour passer outre les interdits mythologiques érigés par le complexe d’Œdipe, bousculer les règles sociales d’une ville de province des années 90, et supporter la culpabilité d’arracher une femme à son mari et à ses enfants.

Etonnantes aussi, ces paroles prononcées le jour de son départ du ministère des Finances où le futur Président déclare qu’il faut savoir « prendre la mer » quand on est trop à l’étroit : il fallait entendre, prendre la Mère, cette fois-ci le Pouvoir, en trahissant le « Père » qui l’a fait ministre… Il ne fallait pas non plus avoir froid aux yeux pour intituler son parti « En Marche », arborant ainsi fièrement les deux initiales « E et M » d’Emmanuel Macron ! Et pour faire définitivement table rase avec Œdipe, quoi de plus cocasse que d’être en marche quand on incarne avec autant de bravade celui « qui a le pied enflé » ? Mais ce n’est pas fini !

MythologiesHéraut de la Finance, des intérêts économiques mondialisés, des libertaires boboïdes béats

en quête de jouissances faciles, voici que le candidat venu du diable Vauvert intitule avec un sourire désarmant son livre-programme « Révolution » : livre de séducteur tout azimut où chacun pourra trouver ce qu’il cherche grâce aux savants balancements d’homme de cabinet habitué à conjuguer les contraires pour justifier toutes les décisions et « accroître sa surface ». Pivot de cette tactique, la célèbre « en même temps » … suggérant, en subliminal : « on m’aime tant » alors pourquoi pas vous ?

Et puis, au soir de son élection, notre homme s’érige devant une moderne pyramide de verre, incarnant solennellement un Pharaon bien vivant, trônant devant un tombeau trans-parent d’où la mort et les sarcophages ont été chassés. Et le voici qui proclame sans vergogne vouloir être un Président de la République « Jupitérien » ! La mythologie, fondement impor-tant de notre civilisation, est décidément très présente chez cet esprit qui a si bien compris les ressorts du pouvoir et des rapports de forces. N’a-t-il pas fait un mémoire sur Machiavel ?

P

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Enfin, important signe envoyé de l’Elysée (encore la mythologie…), la photo officielle de celui qui préside aux destinées de la France : au centre de la représentation, bravant la lourdeur et l’ennui de la solennelle symétrie par un regard perçant et deux bras prêts à l’action, voici le nouveau Président entouré de symboles, notamment le roman de Stendhal, Le rouge et le noir, Emmanuel Macron alias Julien Sorel, archétype de la soif d’amour, d’action et de pouvoir, qui comme notre Emmanuel a séduit la femme mariée et éduqué ses enfants, autrement dit qui a conquis la France et veut rééduquer, transformer, « révolutionner » les Français. Visibles également sur le nouveau « Loubet » (du nom du premier Président qui décida d’afficher le portrait du chef d’État dans tous les lieux officiels), l’horloge du « maître du temps » et les mé-moires de Charles De Gaulle, accentuant s’il le fallait l’image du Grand Chef maître de tout.

Dans la lignée de mai 68Le parcours transgressif petit-bourgeois d’Emmanuel Macron allie la volonté de ne pas

respecter les règles de la société tout en profitant de ses largesses. Il se fait approuver, élire et reconnaître par ceux qu’il a combattus plus ou moins ouvertement pendant toute sa vie. Il parvient en quelque sorte à se faire aimer par ceux qu’il a rejetés et méprisés comme tenants des vieilles valeurs. Dernière illustration de l’extravagante psychologie du Président, la nomi-nation d’Eric Dupont-Moretti comme Ministre de la Justice, lui qui déclarait en avril 2018 sur LCI à propos de cette éventualité, que « personne n’aurait jamais l’idée sotte, saugrenue, incongrue, de me proposer ça ». Pourtant Emmanuel Macron l’a osé. Art de brouiller les cartes pour faire sauter la banque ? De transgresser pour exister?

Dans ces conditions, pourquoi changerait-il une méthode qui a gagné ? Sauf à avoir peur - la peur, cette tragique excuse pour ne pas vivre, la peur mortifère chevillée au corps de l’être humain qui ne veut pas lâcher la proie pour l’ombre, surtout quand cette ombre n’annonce que des jours sombres… Pourquoi ne continuerait-il pas à vouloir « transformer » la France pour la remodeler selon ses désirs et se prouver qu’il eut raison de la violer… pour son bien ? Les doctrines totalitaires, communiste ou fasciste, ont toujours prétendu faire le bonheur des peuples en les contraignant - en leur faisant violence. Le titre du livre-programme du candidat Emmanuel Macron, « Révolution », affichait clairement sa volonté d’enterrer une société qu’il a toujours, intimement, voulu renverser...

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Immigration ou Invasion ?

par François de Voyer, président du Cercle Audace

a France est en un tel état qu’on se demande souvent par quelle urgence il faut com-mencer. Or, la plus urgente des urgences ne devrait pas faire débat : c’est bel et bien le contrôle des frontières, l’expulsion des clandestins, l’abolition des incitations à émigrer.

D’ailleurs, il n’est même plus certain que « l’immigration », telle que François de Voyer, maître ès Histoire, diplômé de « Sciences Po », chef d’entreprise, et président du Cercle Audace, la décrit ici dans un texte aussi clair qu’informé en analysant ses arcanes, et sa croissance rapide ces deux der-nières années, ne mérite pas un autre mot : quand le mouvement est aussi massif, et que, surtout, il s’impose au peuple qui la reçoit, il s’agit d’autre chose : d’invasion. Qui a dit que « mal nommer les choses, c’est accroître la misère du monde » ? .

Le 12 juin, le Ministère de l’Intérieur a communiqué les statistiques définitives de l’immi-gration légale pour 2008 ainsi qu’un aperçu des chiffres provisoires pour 2019. Ces chiffres présentent l’intérêt d’être incontestables et de pouvoir être cités dans le débat public devant les professionnels de la minimisation d’une immigration dont le caractère massif serait un fantasme des « extrêmes ». Examinons-les.

En 2019, l’Etat a délivré 275 000 titres de séjour à des étrangers adultes -hors U.E., Espace économique européen et Suisse. C’est un record : l’équivalent d’une ville comme Bordeaux. L’année 2018 s’était établie à 259 000, déjà une progression, les entrées se stabilisant autour de 190 000 entre 2009 et 2012, avant un nouveau départ à la hausse à partir de 2013. Entre 2000 et 2019, la France a accordé en moyenne environ 200 000 nouveaux titres de séjours par an, ce qui correspond à plus de 4 millions d’étrangers adultes hors UE. Pour avoir un tableau complet des entrées, il faudrait ajouter les étrangers mineurs, qui ne sont pas soumis à l’obligation de détenir une carte de séjour, et surtout l’immigration clandestine, qu’un rapport du Sénat se risque prudemment à estimer à 30 000 à 40 000 par an, quand d’autres évoquent le double1, le « stock » de clandestins pouvant être estimé a minima à 313 000 -nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat.

Ces chiffres sont de toutes façons sous-estimés, dès lors qu’ils ne comptabilisent pas toutes les entrées, comme celles des demandeurs d’asile (138 000 en 2019, autre record), qui ne sont pas considérés comme clandestins puisque leur demande d’asile « légalise » ipso facto leur intrusion sur le territoire.

Il faudrait aussi ajouter les visas de long ou court séjour, valant titre de séjour (260 000 en 2019), dont tous les détenteurs ne rentreront pas dans leur pays d’origine. Il n’est donc pas exagéré d’estimer que se sont installés en France, depuis 2000, autour de 4,8 millions d’étrangers hors U.E. et hors visas, soit l’équivalent de l’Irlande.

L

––––––––––––––1 https://www.senat.fr/rap/r05-300-1/r05-300-111.html.

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Ces chiffres sont cohérents avec l’évolution de la population française, passée de 58,8 millions en 2000 à 67,3 millions en 2019 (soit + 8,5 millions) le solde naturel (différence entre naissances et décès) étant inférieur à 5 millions. Soit 3 à 4 millions d’habitants supplé-mentaires.

Ile-de-France : 40 % des moins de 18 ans sont d’origine étrangèreCeci ne correspond pas aux chiffres de l’INSEE, qui retient un solde migratoire de 1,3

million, corrigé par de mystérieux « ajustements »2. C’est que l’INSEE comptabilise les seuls étrangers nés hors de France et les Français par acquisition nés hors de France, ce qui donne un total de 6,2 millions en 2015, soit 9,3 % de la population ; mais ces chiffres ne prennent pas en compte les Français par acquisition nés en France de parents étrangers -voire, pour la « 3ème génération », les Français nés en France de parents nés en France de parents étran-gers, qui sont Français de droit par application du double droit du sol. On retrouve alors les chiffres de la démographe Michèle Tribalat qui estime à 20 % la part de la population immigrée sur deux gé-nérations - à 28 % si l’on ajoute la génération suivante. Selon elle, en 2001, les jeunes d’Ile-de-France d’origine étrangère (ayant au moins un parent né à l’étranger), re-présentaient 40% des moins de 18 ans. Dans nombre de communes, cette proportion dépasse 70 %, et atteint même 80 % à Clichy-sous-Bois3. Huit ans après, ces pro-portions n’ont sûrement pas diminué…

Le caractère massif de l’immigration n’est donc pas une vue de l’esprit, mais une réalité frappante, masquée sur le papier par des artifices méthodologiques et par le flux des naturalisations qui font disparaître les « étrangers » des statistiques. Entre 2000 et 2018, la nationalité française a été accordée à près de 2,4 millions d’étrangers4 -la nationalité peut être demandée dès 5 années de résidence régulière en France, la gauche ayant étendu en 2016 la possibilité de son acquisition aux frères, sœurs et ascendants de Français… A quand les cousins et les amis sur Facebook ? Tendance vouée à s’accélérer par la pression démogra-phique des pays d’origine.

A supposer qu’une volonté politique s’empare d’un tel objectif, il faudrait surmonter de nombreux obstacles juridiques. Identifions donc les dispositifs légaux sur lesquels l’immigra-tion prend appui.

Sur quelles catégories pourrait-on agir ? L’immigration « économique » a concerné 39 000 personnes en 2019, soit 14 % des titres

accordés : c’est peu, s’agissant d’une immigration réputée la plus intégratrice. Compte tenu de son faible volume et de son intérêt, sa réduction n’est peut-être pas la priorité –bien qu’il s’agisse d’un motif de séjour pour lequel la France dispose encore, pour les étrangers hors UE, d’une souveraineté entière.

Il n’est donc pas exagéré d’estimer que se sont installés en France, depuis 2000, autour de 4,8 millions d’étrangers hors U.E. et hors visas, soit l’équivalent de l’Irlande.

––––––––––––––2 https://www.insee.fr/fr/statistiques/1892117?sommaire=1912926 3 http://www.apr-strasbourg.org/detail-document-671-tribalat-segregation-immigres-apr-aubry.html4 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381644#graphique-Donnes et https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info- ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Essentiel-de-l-immigration/Chiffres-cles

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Aucun texte n’interdirait non plus de réduire le nombre d’étudiants étrangers hors UE, à qui 90 000 titres de séjours ont été délivrés en 2019. A la rentrée 2017, 240 000 étudiants des universités sur les 1,6 millions inscrits étaient étrangers5 (près de 15 %), les trois nationalités les plus représentées étant les Algériens (27 100), les Marocains (26 700) et les Chinois (16 100). Ici encore, on s’interroge sur la sélectivité des inscrip-tions, d’autant plus attractives que leur coût est aussi faible que les chances de recon-duite en cas d’installation définitive.

L’immigration « familiale » (90 000 titres en 2019, premier poste) recouvre diverses catégories, toutes protégées par des dispositifs juridiques puissants. 46 000 titres sont accordés aux conjoints étrangers de Français ; 29 000 titres aux « membres de famille » ; enfin 15 000 pour « liens personnels et familiaux », étrangers qui, entrés clandestine-ment en France, s’y maintiennent irrégulièrement en se prévalant du fait accompli. Ce dernier dispositif, très incitatif pour l’immigration clandestine, résulte de l’intégration dans notre Droit de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui proclame le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, que

des décennies d’activisme juridictionnel ont érigé en principe sacré, faisant échec à de nombreuses re-conduites, y compris d’étrangers multi-délinquants6. Même protection via la Charte européenne des Droits fondamentaux et la Convention internationale des Droits de l’Enfant. Le statut de réfugié permet aus-si de bénéficier de la « réunification familiale ». Le droit au mariage, principe à valeur constitutionnelle, est également protégé par la CEDH, et ne fait donc l’objet d’aucune restriction à l’union avec un sans-pa-piers. L’immigration familiale est donc totalement sanctuarisée.

Restent les 20 000 titres accordés pour des motifs « divers » (retraité, ancien combattant, visiteur, étran-ger mineur…), et les 36 000 titres « humanitaires », principalement l’asile (30 800 titres) et les étrangers malades (4 900). Ce dernier titre, créé par Lionel Jos-

pin en 1997, permet à un étranger souffrant d’une maladie grave impossible à traiter dans son pays d’origine d’obtenir un titre, qui lui permet en outre de faire bénéficier sa famille du regroupement familial. Il permet en pratique à des étrangers atteints de maladies chroniques (hépatite, diabète, sida), de s’installer en France avec leur famille pour y bénéficier gratuitement de son système de soins.

Principe ancien, le droit d’asile est protégé par des dispositifs conçus dans le contexte des déplacements de populations européennes de la 2nde guerre mondiale, non pour répondre aux défis des flux migratoires Sud-Nord, encore moins aux innombrables conflits permettant à n’importe qui de se prévaloir de la qualité de réfugié dès lors qu’il fuit une zone instable ou qu’il se prétend persécuté. La demande d’asile est très prisée, les demandeurs bénéficiant d’aides durant l’examen de leur dossier, et comptant sur une procédure longue pour disparaître et imposer leur régularisation après quelques années de présence.

A l’énoncé des obstacles à la maîtrise d’une immigration dont le volume est insensible aux lois votées, on pourrait

se laisser aller au confort de la fatalité et baisser les bras au motif qu’on

ne peut pas maîtriser l’immigration. Rien n’est

plus faux.

––––––––––––––5 http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2018/44/3/NI_2018-07_Effectifs_universitaires_ 1011443.pdf 6 Voir les affaires Emre c. Suisse, CEDH n° 42034/04, ou Bousarra c. France, CEDH n° 25672/07.

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Avons-nous perdu le sens commun ? Le contrôle de l’immigration est soumis à bien d’autres contraintes. Notre politique de

filtrage des entrées, tout d’abord, peut interroger : au faible coût (une centaine d’euros) des visas français (refusés dans moins de 15% des cas), il faut ajouter l’espace Schengen, qui interdit, sauf cas exceptionnels, le contrôle aux « frontières intérieures ». La gestion par les sorties a un impact insignifiant sur l’immigration. Le coût élevé de chaque éloignement (13 200 euros selon la Cour des comptes) peut expliquer le très faible taux de reconduite : en 2018, seuls 7 000 retours forcés de ressortissants vers des pays tiers ont été exécutés, le reste des éloignements (23 000) comprenant les départs aidés (on donne entre 300 et 650 euros à l’étranger pour qu’il parte, somme qui peut être majorée)7, les départs volontaires, et les renvois vers d’autres pays de l’UE. De plus, certains consulats étrangers ne exercent un chan-tage financier (et politique) à la reconnaissance de leurs nationaux, bloquant ainsi nombre d’« éloignements ».

Ajoutons notre généreux système d’aides sociales, au logement, à l’éducation et à la santé (l’aide médicale d’Etat coûte plus d’un milliard d’euros), qui rendent notre territoire attrac-tif, y compris dans les DOM, en particulier en Guyane et à Mayotte, dont la population est désormais majoritairement d’origine étrangère.

Reste enfin à évoquer, outre l’activisme infatigable des militants no-borders, le rôle ambigu de l’agence eu-ropéenne « garde-frontières » Frontex dont la fonction de « contrôle » est souvent retournée en fonction « secours », les étrangers interceptés en mer étant le plus souvent dé-barqués dans un pays de l’UE. Cet effet pervers a été bien saisi par les passeurs, qui n’hésitent pas à abandonner leurs « clients » dès qu’un navire est dans les parages. La lutte contre le financement des trafics de migrants est aussi un point aveugle de notre politique, qui conduirait à enquêter sur les soutiens et fonds dont les passeurs et leurs filières bénéficient de puissances étrangères hostiles.

En matière d’immigration, notre société pratique un étrange « double standard » des valeurs : nous appelons combattants de la liberté des jeunes hommes en pleine force de l’âge fuyant courageusement leur pays, où de jeunes militaires Français du même âge sont envoyés pour risquer leur vie à leur place. Nous trouvons normal que des « réfugiés » aient un droit indiscutable à être accueillis chez nous, alors que la plupart ont traversé plusieurs pays sans y demander asile (pourquoi l’Egypte n’accueillerait-elle pas les Soudanais, le Maroc les Séné-galais, etc. ?). Nous trouvons qu’une mesure de reconduite porte une atteinte insupportable à la vie familiale d’un étranger pourtant entré illégalement en France, sans que rien ne l’y ait forcé, alors que de nombreux métiers exigent dans notre pays des sacrifices familiaux douloureux se traduisant par des divorces et des suicides – paysans, gendarmes, policiers, militaires… En 2012, nous avons dépénalisé le délit de séjour clandestin, puis quasiment dépénalisé en 2018 le délit d’aide au séjour clandestin (au nom du principe de « fraternité »), alors que la violation de domicile est passible d’un an d’emprisonnement. Pourtant, qu’est-ce que l’entrée illégale sinon une violation ? Nos administrations traquent sans relâche les fraudeurs des impôts et des cotisations, mais « régularisent » des sans papiers, qui sont des hors-la-loi pendant des années. La gauche dite écologiste exige l’ouverture massive des fron-tières mais ferme les yeux sur les conséquences de l’immigration -par exemple, le ralentisse-ment de la transition démographique dans les pays d’origine. En fait, le débat sur l’immigra-tion nous fait perdre le sens commun.

« Nous pouvons faire beaucoup de choses pour renverser le mouvement migratoire. »

––––––––––––––7 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F33974

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Nous avons bien des armes à notre dispositionA l’énoncé des obstacles à la maîtrise d’une immigration dont le volume est insensible

aux lois votées, on pourrait se laisser aller au confort de la fatalité et baisser les bras au motif qu’on ne peut pas maîtriser l’immigration. Rien n’est plus faux : nous avons seulement be-soin d’un choc de souveraineté.

C’est la volonté politique qui fait l’histoire : nous pouvons quitter la Cour européenne des Droits de l’Homme8, qui a donné à la plupart des articles de la Convention européenne une interprétation systématiquement libertaire et individualiste au détriment des préroga-tives des Etats et de leurs peuples. Nous pouvons réformer la Constitution. Nous pouvons cesser d’interpréter les textes internationaux dans un sens toujours plus favorable aux immi-grés. Nous pouvons, sans quitter la Convention de Genève, repenser notre conception du droit d’asile en fonction de la réalité géopolitique, raccourcir drastiquement nos procédures, imposer la rétention durant l’examen des demandes, ou exiger que les demandes soient formulées depuis l’extérieur des frontières. Pour les gens qui fuient la guerre, des camps de réfugiés doivent être installés dans les pays limitrophes, auxquels nous pouvons apporter une aide logistique (la France et l’Europe ont été jusqu’à organiser des missions pour aller chercher les demandeurs d’asile dans des « hot spots » prévus à cet effet !). Nous pouvons diminuer le nombre de visas accordés ou prévoir une lourde « caution retour » pour s’as-surer que son objet ne sera pas détourné. Nous pouvons rétablir des frontières physiques, durcir les conditions d’obtention de la nationalité, mieux sélectionner les étudiants et tra-vailleurs étrangers, ou limiter ces derniers aux seuls profils très qualifiés, quand 6,6 millions de personnes sont inscrites à Pôle emploi. Nous pouvons soumettre la « vie familiale » aux nécessités de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de la protection des droits et libertés d’autrui (c’est le texte même de l’article 8 de la CEDH, vidé de son contenu par les juges). Nous pouvons re pénaliser le séjour clandestin, supprimer les dispositifs légaux de régula-risation des clandestins qui ne sont qu’une prime à l’illégalité. Nous pouvons conditionner l’aide au développement à la réadmission des clandestins et à la lutte contre les départs clan-destins, diminuer l’attractivité des aides sociales, mettre en place des reconduites groupées respectueuses. La récente crise de la Covid 19 a d’ailleurs prouvé qu’il était possible de filtrer efficacement nos frontières.

Pour répondre à la question initiale : oui, nous pouvons évidemment maîtriser l’immi-gration. Qui en aura le courage ?

––––––––––––––8 http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/06/21/31001-20160621ARTFIG00149-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-pourquoi-en-sortir-est-un-imperatif-democratique.php

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France : la grande régression des libertés

par Me Frédéric Pichon

es esprits simples, et optimistes, auraient pu croire que la « grande marche aux li-bertés » lancée au XVIIIème siècle serait irréversible et que les citoyens d’une nation libre seraient de plus en plus libres eux-mêmes. Liberté de pensée, liberté d’expression,

liberté de manifester, liberté d’aller et venir : la liberté volait de victoire en victoire, chacune étant présentée comme irréversible. Hélas, depuis quelques décennies, concomitamment à la dissolution de la souveraineté nationale et populaire, les libertés s’effritent les unes après les autres sous nos yeux incrédules : c’est cette régression, plus rapide qu’on n’ose le voir, qu’analyse ici Maître Frédé-ric Pichon, un de ces jeunes avocats courageux qui de tous côtés tirent la sonnette d’alarme face à un pouvoir politique et une institution judiciaire non seulement conquis par des idéologies, mais des idéologies liberticides. Frédéric Pichon, spécialiste des libertés publiques, se porta spontanément au secours de militants de «La Manif Pour Tous » poursuivis en dépit de toute forme de droit, puis des « Gilets Jaunes » réprimés par les moyens les plus odieux, qu’on aurait cru ne jamais revoir. Occasion de remercier cet avocat infatigable, membre du SIEL, puis de DLF et actuellement du PCD, qui illustre à lui seul cet « esprit de liberté » qui fut toujours l’une des plus sûres inspirations de notre Histoire.

Un vent mauvais souffle sur la France, ce pays des libertés que le monde, paraît-il, nous envie. Depuis quelques années, ces libertés n’ont cessé de reculer. Les praticiens du droit, à la pointe de ces combats spécialisés (droit de la presse, libertés publiques) n’ont eu de cesse d’alerter l’opinion sur ces reculs drastiques des libertés fondamentales. Puis ce fut au tour du grand public, tant à l’occasion de manifestations sur la voie publique (Manif pour tous, Gilets jaunes) qu’en diverses autres occasions (censure sur internet et sur les réseaux sociaux) de découvrir parfois brutalement des atteintes aux libertés que l’on croyait acquises. Un point de droit s’impose pour analyser cette grave régression qui place notre pays à la pointe de la censure mondiale, par exemple sur le net.

La loi sur la presse et le bâillonnement du netLa loi du 29 juillet 1881, dite loi sur la presse, est une loi de liberté, créée précisément en

opposition à la censure préalable de l’édition. Le principe est celui de la liberté, la restriction l’exception. Seules l’injure et la diffamation, encadrées cependant par des règles de procédure et des délais de prescription raccourcis, étaient poursuivies et quelques infractions ne don-naient lieu qu’à peu de poursuites.

La loi Pléven de 1972 marqua le début d’un recul de la liberté d’opinion et le début du procès d’intention. Sous couvert de lutter contre le racisme, on institua un véritable délit d’opinion, laissant aux juges le soin de sonder les reins et les cœurs des prévenus. Le Professeur Jean-Pierre Delmas Saint-Hilaire, l’avait ainsi mise en cause : « Provocation à la discrimina-

D

Un point de droit s’impose pour analyser cette grave régression qui place notre pays à la pointe de la censure mondiale, par exemple sur le net.

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tion raciale : un délit dont la répression peut facilement donner lieu à des abus, du fait de l’imprécision de sa définition ».

La jurisprudence rendue en la matière ne comporte guère d’unité, en effet. Pour des faits identiques, ici relaxe, là condamnation. Et plus fréquemment qu’ailleurs, semble-t-il, des dé-saccords surgissent entre juges du premier et du second degré, conflits révélateurs des diffi-cultés d’interprétation de la loi. « Provocation, discrimination, haine, violence... » autant de termes vagues, imprécis, insusceptibles de définitions objectives et qui conduisent le juge, quasi-inévitablement, à décider soit en fonction de ses propres sensibilités politiques, morales, religieuses, soit en fonction de celles prêtées à « l’homme de la rue » et dont la connaissance relève d’un art divinatoire. Toutes démarches difficiles à tolérer en matière pénale, reproduc-tions de celles de l’arbitraire judiciaire de notre ancien droit et que le principe de la légalité des délits et des peines a voulu bannir à jamais. L’une des conséquences majeures étant d’exiger de la loi d’incrimination une qualité fondamentale : la précision.

Ainsi, à titre d’exemple le slogan « La France aux Français » fut considéré par des juges d’Aix-en-Provence comme provocant à la haine et à la discrimination. Selon ces mêmes juges, proclamer que la France doit rester aux Français reviendrait de facto à discriminer les autres nationalités…

La loi Pleven, loi à géométrie variableL’AGRIF, association courageuse qui lutte contre le racisme anti-chrétien et anti-fran-

çais, rencontre les pires difficultés à mettre en mouvement l’action publique alors qu’il suffit qu’une des ligues de vertu (Mrap, Licra, SOS Racisme, Ligue des Droits de l’homme…) lève le petit doigt, pour que le Parquet, au garde à vous, mobilise les services policiers et judiciaires pour interroger les auteurs de délit d’opinion.

Ainsi, Christine Tasin présidente de Résistance Républicaine, sera condamnée en pre-mière instance par la 17ème à des jours amende (autrement dit, à effectuer des jours de prison si elle ne paye pas une amende) pour avoir imprimé un autocollant « Islam assassin » ou les Identitaires à une privation des droits civiques pour une banderole sur laquelle est apposée la mention « Charles Martel, reviens ! », quand, dans le même temps, le rappeur Nick Conrad, auteur d’un clip vidéo vu par des centaines de milliers de personnes ne sera condamné qu’à une peine d’amende pour avoir appelé à « tuer les bébés blancs ».

Dans une affaire plus ancienne, Jean-Paul Agon, patron de l’Oréal avait déclaré au Monde, le 13 juillet 2007, que, dans sa société, lorsqu’on rencontre « un candidat qui a un prénom d’origine étrangère, il a plus de chance d’être recruté que celui qui porte un prénom français de souche ». L’AGRIF avait engagé une action sur le fondement de la provocation à la discri-mination. Cette affaire aurait dû logiquement aboutir à la condamnation de l’employeur. Or, non seulement la 17ème chambre correctionnelle a débouté l’AGRIF de ses demandes en es-timant que Jean-Paul Agon avait fait plutôt preuve d’« une volonté de rétablir un équilibre qui se trouve compromis, en favorisant ceux qui sont ordinairement victimes de discriminations prohibées » mais elle a condamné la partie civile à des dommages-intérêts pour procédure abusive ! Ainsi, il y a une bonne et une mauvaise provocation à la haine, à la violence et/ou à la discrimination.

Censure des réseaux par les opérateurs privés et loi AviaLa loi Avia reprenait le dispositif, en l’aggravant, de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004

sur la confiance numérique. Ce dispositif prévoyait la possibilité pour une autorité admi-

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Politique française & Souveraineté

nistrative de demander à un opérateur d’une plate-forme en ligne (Facebook, Twitter etc…) de retirer des contenus jugés par elle provocateurs ou apologistes. Il était ainsi prévu que les grands opérateurs, le plus souvent étrangers, intervenant sur internet seraient seuls juges du contenu licite ou illicite d’un propos qui leur aura été signalé.

C’est en particulier ce point qui posait problème. En effet de nombreux juristes consi-dèrent qu’il n’est pas légitime de laisser à des entités privées la responsabilité de définir le licite ou l’illicite, ou ce qui peut être écrit ou non sur un réseau social ou une page internet, cela sans le moindre recours à un juge.

Si cette loi a fort heureusement été censurée par le Conseil constitutionnel, elle illustre bien les velléités totalitaires de notre Gouvernement. De plus, la censure sur les réseaux existe déjà, indépendamment de cette loi Avia avortée ; car les opérateurs se livrent depuis quelque temps à une censure de fait d’articles, de publications ou de comptes.

Le recul des libertés publiquesLes règles relatives à la liberté de réunion et de manifestation sont régies par des disposi-

tions qui relèvent du droit public. C’est donc devant le Juge d’administratif que sont évoqués les recours contre les atteintes à ces libertés jugées fonda-mentales par la Constitution.

Or ces libertés publiques subissent depuis quelques années des restrictions de plus en plus fortes. Un arrêt fort ancien, l’arrêt Benjamin (1933), avait posé le prin-cipe selon lequel « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception ».

Cependant, au cours des dernières années, de nom-breux préfets et maires signent des arrêtés d’interdiction de réunion, ou de manifestation. Ces arrêtés ont été mas-sivement utilisés pour interdire des manifestations identi-taires, invoquant un prétendu risque de trouble à l’ordre public parfaitement injustifié. Ils ont également été uti-lisés pour faire interdire des spectacles de Dieudonné au motif, fort vague, que ses spectacles porteraient atteinte à la « dignité humaine ». Dans un premier temps, le tribunal administratif de Nantes, considérant que le spectacle « ne peut être regardé comme ayant pour objet essen-tiel de porter atteinte à la dignité humaine » et que « le risque de trouble public causé par cette manifestation [ne peut] fonder une mesure aussi radicale que l’interdiction », avait annulé l’arrêté d’interdiction. Manuel Valls, alors Premier Ministre, avait saisi le Conseil d’État, et trois heures après le spectacle était interdit ! C’est la première fois qu’un spectacle était interdit de manière préventive. Quoi que l’on puisse penser de Dieudonné, cette décision marque une incroyable régression de la liberté de réunion.

La répression des Gilets jaunesLe mouvement des Gilets jaunes fut aussi l’occasion de réprimer le droit de manifester.

L’article L 222-14-2 du code pénal fut détourné pour permettre d’arrêter préventivement les manifestants. Cet article dispose que « le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ».

La censure sur les réseaux existe déjà, indépendamment de cette loi Avia avortée ; car les opérateurs se livrent depuis quelque temps à une censure de fait d’articles, de publications ou de comptes.

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Politique française & Souveraineté

Il suffit qu’une personne soit arrêtée avec un gilet jaune et des lunettes de piscine et ait échangé avec deux ou trois copains pour qu’elle entre dans le champ d’application dudit article ! Il importe peu que l’infraction ait été réalisée puisqu’il est seulement demandé de supposer de manière quasi-divinatoire que le prévenu a envisagé de commettre une infrac-tion. Cette incrimination est un moyen utilisé de manière massive par le parquet pour arrêter préventivement les manifestants.

Des moyens de maintien de l’ordre contestablesL’usage disproportionné de moyens de maintien de l’ordre lors de la répression des Gilets

Jaunes marque aussi un recul inquiétant de la liberté comme de la sécurité des citoyens. Tout le monde aura remarqué que le gros des casseurs (Black blocks, Antifas) ont été peu pour-suivis alors qu’ils étaient parfaitement connus des services de police. A rebours, des citoyens sans antécédent judiciaire et sans passé activiste ont essuyé des tirs de flashballs ou LBD 40, souvent au visage ; il y eut des dizaines d’yeux crevés, en violation des règles d’engagement ; et des dizaines de mains et pieds arrachés par le souffle de grenades (GLI F4). Précisons que la grenade GLI F4 contient de la tolite, un explosif également présent dans la grenade OF F1 plus connu sous le nom de TNT. Autrement dit, la grenade GLI F4 n’est pas une simple grenade lacrymogène mais bien une arme de guerre à l’effet dévastateur. La France est le seul pays de l’UE à faire usage de ces armes dans le cadre du maintien de l’ordre.

Ces réflexions, non exhaustives, n’ont pas pris en compte les nombreuses restrictions des libertés à l’occasion de la Covid, mais il faut déplorer le fait que le Gouvernement a pris pré-texte de cette crise sanitaire pour conditionner les citoyens à des restrictions de plus en plus massives de nos droits les plus fondamentaux. La défense de nos libertés devra donc constituer l’un des axes de reconquête à explorer pour tout homme soucieux de défendre la liberté, la souveraineté et l’identité de notre peuple face à l’oligarchie mondialisée.

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Écologie, économie & territoire

« Il ne sert à rien de courir après les papillons, cultive ton jardin pour qu’y poussent beaucoup de fleurs, et les papillons viendront d’eux mêmes à toi … »

n s’étonnera peut être que, dans le triptyque qui donne à cette rubrique son titre, le thème si controversé de l’écologie précède l’économie, laquelle a pris l’habitude de bénéficier d’une sorte de préséance universelle - et même d’absorber la plupart

des débats, analyses et préoccupations de nos contemporains. Or, la tradition conservatrice a de longue date placé avant l’économie la politique, la politique étrangère d’abord, et finale-ment la politique tout court. On connait la phrase du baron Louis : « Faites moi de la bonne politique, je vous ferai de la bonne finance ! » ; que le terrain soit bon, le jardin fleurira et les papillons afflueront ! Mais il y a plus profond : depuis trois siècles, l’économie a changé de sens ; non seulement elle fut absorbée par la logique financière supposée être sa fille, mais, surtout, les Modernes du XVIIème siècle ont renversé les perspectives : longtemps, l’économie fut la bonne administration matérielle de la maison, et par extension, des richesses de la nation, administration dont l’objectif premier était de « faire des économies ». Pendant des siècles, on adapta la dépense aux ressources, selon la vieille sagesse des limites qui voulait que l’on ne dépensât pas plus que ce l’on gagnait - et même moins, aux fins de pourvoir aux inves-tissements, comme aux malheurs de l’avenir : c’est l’économie au sens le plus conservateur du terme. Et, certes, nous ne négligerons pas dans ces pages les analyses économiques : telle celle que nous livre ici Victor Fouquet sur la fiscalité de l’héritage, ou de Jean-Philippe Delsol qui s’attaque à une grande question, les rapports entre conservatisme et libéralisme - que nous n’avons certes fini d’évoquer.

Cependant, depuis trois siècles environ, les Modernes ont progressivement donné à l’éco-nomie un sens si dérivé qu’il en devint tout différent : de sagesse tâtonnante, elle se fit science tonitruante, s’acharnant à tenir par tous les moyens (vraiment tous …) la grande promesse du progrès universel. Moins prudente que la conservatrice, plus conquérante et plus op-timiste quant aux ressources de la nature (et celles des hommes), la conception moderne de l’économie étendit indéfiniment son domaine, au point d’arraisonner toute politique, tandis que la science économique se compliquait à mesure, d’autant que les économistes, s’enfermant peu à peu dans des « écoles » (fatale erreur !), finirent par se contredire les uns les autres à qui mieux-mieux. Au prudent langage des limites (celles des ressources naturelles, des moyens techniques ou financiers, des possibilités et des besoins des hommes) s’est substitué le formidable pari d’une extension infinie de toutes les données de la Nature, et de « nouvelles frontières » toujours à conquérir au service d’un progrès dont on est tenu de penser qu’on ne peut l’arrêter. Dans cette économie renversée, plus rien ne fut « économisé », ni les ressources naturelles (inépuisables), ni les crédits (sans cesse renouvelés, et recrées jusqu’à l’absurde), ni les innovations de la science et leurs applications industrielles (qu’un égalitarisme relevant de la pensée magique affirme pouvoir mettre à la portée de tout le monde), ni les appétits des hommes (quitte à les accroître, voire en créer sans cesse de tout neufs), ni leurs facultés d’adaptation (quitte à jeter par dessus bord l’idée si frustrante d’une nature humaine). C’est

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ainsi que la grande promesse du Progrès projeta dans l’univers (par le formatage des esprits, et quelquefois le totalitarisme) un « homme nouveau », promis par toutes les chansons et les terreurs révolutionnaires à le délivrer des vieilles racines qui l’avaient si longtemps retenu en lisière.

C’est pourquoi l’écologie, souci des équilibres premiers de la nature aux fins de protéger les relations naturelles des êtres vivants entre eux mais aussi avec leur environnement, nous paraît hériter de la conception conservatrice de l’économie, et s’imposer à la conception mo-derne de l’omnipuissante économie : c’est le sens de ce que nous nommons écologie conser-vatrice, laquelle est d’ailleurs la seule vraie lumière qui se puisse projeter sur la nébuleuse qu’est devenue aujourd’hui ce salmigondis obscur nommé « écologie ». Des « écologies », d’ailleurs, il y en a partout, et des plus contradictoires, de sorte qu’il faudrait d’urgence re-dresser le mot – ou s’en débarrasser. Nos contemporains retiennent le mouvement qui a pris corps dans les années 70 sur les illusions de la décroissance, et sur les peurs, bien réelles celles-là, de l’extinction des ressources naturelles - l’eau, l’air et cette biodiversité des espèces, végétales et animales, qui aujourd’hui sont si menacées que la vie humaine finit par l’être elle-même. C’est d’ailleurs ce qui menace, certes avec bien d’autres phénomènes pressants (les déséquilibres financiers, démographiques, …) ce sacro-saint Progrès qui, longtemps tenu comme une promesse indéfinie, est de plus en plus regardé comme une menace. En lui-même réactionnaire, du moins au sens propre du mot, le souci écologique appartient donc par excellence au regard conservateur - Diane de Bourguesdon le définit ici comme un « re-gard modeste sur la nature », ce qui est déjà dire beaucoup.

Les générations futures s’étonneront du stupéfiant passe-passe idéologique par lequel le souci écologique fut mis au service de son contraire, l’écologisme progressiste, celui qui déplore sans fin les maux dont son invétéré progressisme chérit les causes, ce que nous rappelle ici, dans un entretien clair et net, l’ancien ministre des gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy, Bruno Durieux. S’accommodant de toutes les sauces, divisés comme aucune famille politique ne l’est, les écologistes progressistes, de Cohn-Bendit à Nicolas Hulot, offrent souvent une distraction déconcertante. L’ancien ministre, Yves Cochet, s’enferme dans un bunker « survi-valiste », nous enjoignant de ne plus faire d’enfants ; un autre chef de file de passage, Yannick Jadot, qui ne doit ses succès électoraux qu’au naturel besoin d’air des citadins après un long confinement, annonce vouloir interdire la chasse sans même réfléchir à ce que deviendraient alors nos campagnes, où même les routes seraient impraticables – aussi bien, les chasseurs sont ils autant, et souvent plus, écologistes que nos précieuses ridicules des métropoles …

En fait, l’écologie est tout autre, elle est d’abord admiration et préservation de la Création divine, comme le rappelle ici Guillaume de Tanoüarn dans une très complète étude sur ses rapports avec le catholicisme. Elle est surtout un combat contre les forces immenses qui, à travers l’univers, saccagent les sites, les paysages, les ressources de l’eau, de l’air, du sol et du sous-sol - les conservateurs devraient inlassablement illustrer l’extraordinaire courage des dé-fenseurs de leur terre et, à travers elle, de leur traditions ancestrales, ce qu’ils font au prix de leur vie quelquefois, se heurtant avec une violence qu’on ne soupçonne pas, à des entreprises multinationales qui ne sont qu’une affreuse contrefaçon hideuse du libéralisme. Dans notre prochain numéro, nous retrouverons sur ces « Héros de l’Environnement » Elisabeth Schnei-ter qui leur a consacré un livre (éd. du Seuil) si poignant que, à le lire (chose conseillée), on tombe à la renverse.

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L’écologisme contre l’écologie

our Bruno Durieux, l’écologie est une science, aujourd’hui essentielle, qui a bien des liens avec l’esprit conservateur -et même, nous allons le voir, avec la souveraineté. Mais

son instrumentalisation politique par l’écologisme, idéologie née dans les milieux progressistes des Etats-Unis, l’a complètement déportée à gauche, au point qu’elle occupe tout l’espace de l’anticapitalisme et prend la place du communisme évanoui. C’est ce que montre et dénonce l’ancien ministre de la Santé (1990-1992) dans les gouvernements Rocard et Cresson -il fut aussi ministre du Commerce extérieur (1992-1993) dans le gouvernement Bérégovoy. Homme aux nombreuses facettes, ancien élève de l’École polytechnique, administrateur de l’INSEE, Ins-pecteur général des finances, Maire de Grignan (Drôme) et sculpteur de renom, Bruno Durieux a fondé dans sa ville le Festival de la Correspondance : c’était en 1996, année du tricentenaire de la mort de Mme de Sévigné, et il perdure depuis lors. Remercions ce très sympathique centriste à la personnalité originale et trépidante de prolonger pour le Nouveau Conservateur son livre brû-lot (*) qui dresse le procès, non pas certes du souci écologique (il rappelle au passage que c’est un gouvernement de droite qui créa, en 1971, le premier ministère de l’Environnement) mais de sa perversion monstrueuse, l’écologisme, « idéologie au poids médiatique écrasant ».

Vous considérez l’écologisme comme une idéologie virale qui instrumentalise l’écolo-gie au service du pouvoir et de différents mouvements politiques. Quand et comment cette doctrine a-t-elle émergé en France et comment agit-elle ?

L’écologisme, comme idéologie, a pris son essor il y a cinquante ans, aux États Unis, sur fond de critique de la société de consommation, de guerre du Vietnam, de contestation de l’autorité et, de surcroît, en profitant du délitement des illusions communistes. Elle s’est répandue rapidement en Europe occidentale et notamment en France, où elle a été vivement combattue durant des décennies par le parti communiste, mais aussi par le parti socialiste. Ces derniers défendaient alors l’emploi, la croissance et le pouvoir d’achat, préoccupation principale des milieux modestes qu’ils prétendaient représenter. Cependant, les écologistes ont gagné la bataille culturelle et occupent aujourd’hui la première place à gauche.Mais son instrumentalisation politique par les écologistes l’a complètement déportée à gauche. Ce renversement paradoxal se comprend : la dégradation de la planète est, selon l’idéologie écologiste, la conséquence du consumérisme entretenu par le capitalisme mar-chand ; c’est donc en luttant contre ce dernier qu’on sauvera la planète. Ainsi, l’écologie, science par excellence de la conservation de la nature, est aujourd’hui dévoyée en un simple gauchisme.Autre paradoxe, l’écologisme combat l’abondance et prône la frugalité « heureuse » ; il dé-fend le « pouvoir de vivre » plutôt que le pouvoir d’achat ; il donne la priorité à la « transition écologique » plutôt qu’à la croissance, y compris en temps de crise, à rebours des positions traditionnelles de la gauche.

PEntretien avec Bruno Durieux,

ancien ministre

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Plutôt que l’espérance d’un mieux être matériel, l’écologisme réclame vertus et sacrifices pour sauver la planète des méfaits de son humain prédateur. Il tient son électorat par la peur millénariste, le catastrophisme prophétique, la culpabilisation cathartique. L’écologie comme science s’est depuis longtemps effacée au profit des croyances, des passions, des peurs. C’est l’ère du « précautionnisme rédempteur ».

Quelle différence faites-vous sur ce point entre les pays capitalistes et les pays com-munistes ? Qui défend le plus (ou le mieux…) l’environnement ?

Il y a deux manières d’aborder les enjeux environnementaux. Celle, malthusienne, qui consiste à déclarer que la question écologique ne serait rien d’autre que la question démo-graphique (Lévi-Strauss). C’est cette hantise de la surpopulation qui conduisait les écolo-

gistes des années 1980-1990 à prophétiser des centaines de millions d’humains décimés par des famines drama-tiques. Il n’en fut rien. Grâce à la révolution verte, c’est-à-dire au progrès des techniques agricoles (sélection des variétés, produits phytosanitaires, engrais, mécanisation) les 7,5 milliards d’humains d’aujourd’hui sont plus nour-ris que les 3,5 milliards des années 1970 !

L’autre manière de traiter les sujets environnementaux est justement celle qui vise le progrès, la recherche scienti-fique et technique, la croissance. Les pays occidentaux qui, grâce au capitalisme de marché et au régime de libre entreprise, bénéficient des dividendes de la croissance et des moyens nécessaires à la protection de l’environne-ment, le défendent mieux que les pays pauvres. Indira Gandhi disait dès 1973 : « il n’est pas de défense de l’envi-ronnement quand règne la pauvreté ».

Les régimes communistes, quant à eux, n’étaient pas mal-thusiens, et ce sont eux qui ont provoqué les plus effrayants désastres écologiques : mer d’Aral, pollutions industrielles majeures, dégradation des sols, Tchernobyl, etc... L’ineffica-cité de leur système de planification et d’appropriation collective des moyens de production entravait la productivité et la croissance, et sacrifiait l’environnement. Les leçons de l’expé-rience sont formelles : les conditions nécessaires à la protection de l’environnement sont la croissance raisonnée et le progrès technologique.

La COP21, cette « misérable comédie » comme l’ont qualifiée certains, est-elle un début ou une fin en soi ?

De sujet de recherche scientifique, la COP21 a élevé la question climatique au statut de science officielle, comme naguère le lyssenkisme fut la science agronomique officielle (et catastrophique) de Staline. Près de deux cents États ont fait allégeance, plus ou moins in-téressée, à la cause humaine du réchauffement climatique. Pourtant celle-ci n’est pas une certitude mais une conjecture, certes scientifique, sérieuse, mais impossible à vérifier expéri-mentalement. Pourtant, la questionner est exclu. « De omnibus dubitandum est », ce mot de Kierkegaard, inspiré de Descartes et préféré de Marx, leur vaudrait aujourd’hui la proscrip-tion, s’agissant du climat.

L’écologisme, comme idéologie, a pris son essor il y a cinquante ans, aux

États-Unis, sur fond de critique de la société de

consommation, de guerre du Vietnam, de contestation de l’autorité et, de surcroît, en profitant du délitement des

illusions communistes.

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Le respect des accords de Paris imposerait par ailleurs une contraction de l’économie mon-diale insupportable. Les écologistes, lorsqu’ils sont cohérents avec eux-mêmes, soutiennent d’ailleurs que la seule réponse à la crise climatique est la sortie du capitalisme ; d’où leur méfiance pour ces accords. Quoi qu’il en soit, la COP21 a reçu trop de bénédictions, suscité trop d’intérêts économiques et financiers, engagé trop de réputations pour ne jamais être mise en question. Même démentie par les faits, comme le fameux rapport du Club de Rome des années 1970, elle prospérera longtemps, en dépit de tout.

En quoi la notion de souveraineté s’accorde-t-elle avec les nouveaux enjeux environ-nementaux ?

Les enjeux environnementaux majeurs sont orthogonaux au principe de souveraineté des États. Le climat en est le meilleur exemple. Au-dessus des frontières et des continents, ce « bien commun », supposé déréglé par l’homme, fait la fortune de l’ONU et de son organe spécialisé, le Giec. Ils trouvent là une occasion inespérée d’exercer un pouvoir face aux États. D’où l’acharnement de ces institutions et de leurs ONG à « anthropiser » ces questions, effrayer les opinions, imposer des politiques, soumettre et réduire à leur profit l’exercice de la souve-raineté des États. Ceci n’est possible que si la cause humaine du réchauffe-ment étend son consensus. Aussi est-on assuré qu’années après années, les rapports officiels sur le climat ou la biodiversité annonceront toujours le pire pour les émissions anthropiques de gaz à effet de serre ; méthode éprouvée pour entre-tenir la peur et la culpabilité. La panique s’est emparée des écologistes quand la Covid faillit chasser de nos écrans la tragédie climatique. Mais ça n’a pas duré longtemps : en deux ou trois tribunes dans la presse complaisante, ce virus d’origine naturelle, bio en quelque sorte, a été déclaré sous-produit affreux de nos écocides. Les États sont un rempart contre l’hégémonie culturelle et morale de l’écologisme. Celui ci a fait de l’ONU la Jérusalem du climat, et des ONG internationales son bras armé pour contourner leur souveraineté. Or, refuser l’ordre écologiste ne dépend que d’eux.

propos recueillis par Maud Koffler

––––––––––––––*Contre l’écologisme, pour une croissance au service de l’environnement, de Bruno Durieux, Éditions de Fallois, 260 pages, 18,50 €.

La souveraineté des États est un rempart contre l’hégémonie culturelle et morale de l’écologisme.

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L’écologie dans le christianisme

par l’abbé Guillaume de Tanoüarn

sprit superbement indépendant, philosophe et théologien (spécialiste de Pascal), l’abbé Guillaume de Tanoüarn occupe une place bien à lui dans la vie ecclésiastique fran-çaise. Après avoir quitté, en 2005, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X pour rejoindre

la pleine communion avec Rome, il co-fonde l’Institut du Bon Pasteur, avec le soutien du pape Benoît XVI. Docteur et professeur en théologie, auteur de nombreux essais philosophiques, maur-rassien assumé, cet homme infatigable devenu une grande figure de la tradition catholique (on pourrait dire du « courant conservateur ») est aussi responsable du Centre Saint-Paul qui propose chaque soir, dans le centre de Paris, une messe tridentine, ainsi que directeur du mensuel « Monde & Vie » et producteur du « Libre journal de la Chrétienté » sur Radio Courtoisie. Nul mieux que lui ne pouvait répondre à ce qui est à nos yeux l’une des plus graves questions du jour : si l’on tient la Nature pour l’autre nom de la Création divine, un catholique ne peut que regarder avec faveur ce souci « écologique » qui relève de sa tradition millénaire -et pourrait même la régénérer dans les décennies à venir : mais il ne s’agit pas tout à fait d’écologisme –ou de quelle façon ? Après Jean-Paul et Benoît, le Pape François ne fait que commencer à répondre …

Depuis que le pape François s’est saisi avec autorité de la question écologique en écrivant, en 2015, l’énorme encyclique qui a pour nom Laudato si’, on ne peut plus dire que le monde de l’écologie et celui de la foi chrétienne s’ignorent réciproquement. Il reste pourtant un malaise autour de cette union ; nous essaierons de le caractériser pour débarrasser de toute ambiguïté une relation qui est appelée à durer.

Alors que les élections municipales, malgré une faible participation, ont vu, du moins dans les métropoles, une sorte de raz-de-marée écologiste, l’Eglise revient à l’encyclique ma-gistrale de François Laudato si’, dont elle célèbre le cinquième anniversaire avec un document intitulé « En chemin pour la sauvegarde de la maison commune » qui reprend le sous-titre de l’encyclique. François veut être « le Pape de la Planète » et de ce qu’il n’hésite pas à nommer « l’écologie intégrale » au quatrième chapitre de son encyclique. Intégrale, l’écologie selon François propose non pas seulement une défense de l’environnement comme on disait dans les années 70, mais une nouvelle vision du monde, qui inclut la défense de l’homme, en particulier des plus fragiles. « Il faut valoriser le lien intrinsèque qui existe entre la défense de la Planète et la défense des pauvres, là où les pauvres sont aussi les embryons, les petits, les malades, les personnes seules et les personnes âgées », ainsi que s’exprime le tout dernier document du Saint Siège paru en 2020.

Commencer par la contemplationAttention, néanmoins : il ne faudrait pas voir dans cette expression, l’« écologie inté-

grale », une simple formule qui serait pratique parce qu’englobante, unissant la défense de la vie à peine conçue et la défense de la Planète. Jean Paul II avait déjà envisagé un tel regrou-pement en parlant, lui, « d’écologie humaine ». A ma connaissance, cette dernière expression

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n’a pas été reprise par François. Pour lui, l’écologie intégrale est un système plus vaste, qui doit embrasser l’ensemble des problèmes politiques, économiques, sociétaux, scientifiques, jusqu’à la vie chrétienne elle-même, y compris les sacrements (auxquels François consacre un paragraphe de Laudato si’) et la contemplation ou la vie spirituelle, allant jusqu’à citer en note un soufi qui s’émeut de la beauté des fleurs, des insectes ou du grincement d’une porte.

Il entend tout lier dans le souci écologique, qui met en jeu à la fois des gestes très simples du quotidien (le tri des ordures ménagères par exemple) et les théories les plus scientifiques sur l’avenir du monde, ou encore toute préoccupation esthétique, éthique ou religieuse. « Sono un po’ furbo » avait-il dit dans l’entretien qu’il a donné aux revues jésuites dès le dé-but de son pontificat. A malin, malin et demi, dirait-on en français. Belle devise de jésuite ! On ne peut pas s’empêcher de trouver « malin » l’emballage qu’il propose : « La meilleure manière de mettre l’être humain à sa place et de mettre fin à ses prétentions de domination absolue sur la terre ; et de proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du monde, faute de quoi l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts » (n. 75). On a l’impression d’entendre le Père Matteo Ricci parler de Dieu aux Chinois qu’il est parti évangéliser, alors que le mot Dieu n’existe pas dans leur langue (et qu’il emploie pour le désigner l’expression Seigneur du Ciel). Le mot Dieu tend à disparaître dans nos langages post-modernes. Le pape François utilise l’écologie pour reparler de lui de façon compréhensible, en évoquant le Créateur.

Le constat d’échec de l’âge des LumièresCe faisant, ce disant, ce furbo tout de blanc vêtu

réhabilite une culture traditionnelle, un ordre conser-vateur que la modernité avait tenté de dissoudre dans l’acide. Voici le constat d’échec de l’âge des Lumières, prudemment exprimé : « La crois-sance de ces deux derniers siècles n’a pas suscité sous tous ses aspects un vrai progrès intégral ni une amélioration de la qualité de la vie » (n. 46). Et voici la leçon de morale, bien envoyée : il met en cause « un nouveau type d’émotions artificielles qui ont plus à voir avec des dispositifs et des écrans qu’avec les personnes et la nature » (n. 47). Le pape condamne la pornographie sans employer le mot ? C’est au nom de « la nature » et de l’écologie intégrale.

On peut dire que François, ce faisant, n’est pas absolument original. Il marche sur les brisées de Jacques Ellul et son ami Bernard Charbonneau, passionnés d’écologie depuis les années 30, tous deux soupçonnés d’« extrémisme de droite » parce qu’ils mettent en cause la Technique comme dispositif sans âme - la « technologie » dit François dans le même sens. Ellul publia un manifeste écologique dès 1972 dans l’hebdomadaire France catholique, dirigé à l’époque par leur vieil ami Jean de Fabrègues. Pour lui, l’écologie représentait ce que François appellera plus tard (après Jean-Paul II) « une conversion ». Il n’y allait pas par quatre chemins : « La seule façon d’être vraiment révolutionnaire, c’est de substituer à l’agitation du monde technicien la contemplation ». Hasard ? Le pape partage la condamnation de ce qu’il nomme « la rapidacion » -en espagnol dans son texte. Il milite pour un retour à la contemplation franciscaine du « Loué soit notre frère le soleil ! »…

Beaucoup de nos contemporains seront moins sensibles au conservatisme écologique qu’au mondialisme du pape. Il est vrai que François prépare pour la rentrée un sommet sur l’éducation globale avec Bill Gates… Reste à voir !... En tout cas, le pape sait bien que

« La seule façon d’être vraiment révolutionnaire, c’est de substituer, à l’agitation du monde technicien, l’exercice de contemplation. »

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les résolutions en matière d’écologie ne viendront pas de superstructures technocratiques comme l’UE ou de la tenue d’un sommet international. Il pointe même l’inefficacité de ces sommets : ce nationaliste argentin, vieux péroniste, écrit : « Que chaque gouverne-ment accomplisse son propre et intransférable devoir de préserver l’environnement, sans se vendre à des intérêts illégitimes, locaux ou internationaux » (n. 41). Quand il faut par-ler d’une autorité internationale, il cite… le pape Benoît qui en appelait à la constitution d’un groupe de personnes capables de prendre des décisions au plan international (n. 175). François parle simplement, lui, de « stratégies internationales ».

Gare à la dérive millénariste cependant !La grande difficulté entre l’Eglise catholique et l’écologie historique, c’est le Rap-

port Meadows, publié au nom d’un curieux Club de Rome qui, en 1972, au sortir du baby-boom, évoque la nécessaire dépopulation du monde en général et de l’Europe en particulier. Les premiers politiques écologistes (je pense à René Dumont, premier can-didat écologiste à l’élection présidentielle, en 1974) se sont emparés de ces travaux. Ils en font un grand ressort « scientifique » de la peur qu’ils veulent inspirer, au cours de la campagne électorale. Voici comment Dumont s’adressait aux électeurs : « Il ne faut pas parler gentiment, il faut hurler car nous allons droit à la mort », à cause, entre autres,

disait-il, de la surpopulation. « Nous allons vers un effondrement total de la Planète et de la vie sur la terre vers le milieu du siècle prochain ». De telles prophé-ties étaient déjà fréquentes comme celle de l’extinc-tion de cette énergie fossile qu’est le pétrole pour l’an 2000. Je passe sur des jugements péremptoires et sur une vision collectiviste maoïste de la société qui a bien vieilli : « Halte à la civilisation absurde de la voiture individuelle ». Ces écologistes ont été en partie désa-voués par les faits, mais ils tiennent le même discours apocalyptique aujourd’hui …

Au fond cette écologie-là renvoie à un millénarisme intégriste : on annonce la fin du monde et l’on ne se rend pas compte qu’il y a dans ce survivalisme une sorte de confusion des genres, une fusion du politique et du religieux, que l’on retrouvera dans l’intégrisme

musulman –c’est l’éternelle attitude de ceux qui attendent le Mahdi purificateur). Et c’est le même chantage à la mort, qui justifie des extrémistes comme ceux de No Child par exemple ou ceux du Mouvement pour l’extinction de l’espèce humaine. Chez beaucoup de militants demeure la tentation de prononcer le fatidique : l’écologie ou la mort. Et cela alors que ce genre de chantage « intégriste » a reçu plusieurs démentis depuis cinquante ans. On passe insensiblement, avec Greta Thunberg par exemple, d’un pro-gramme politique à une religion séculière, à un intégrisme séculier, à un millénarisme du petit reste. Il faut revenir à la politique !

Dans Laudato si’, François semble dédramatiser cet intégrisme et laisser quelques embryons de raison à ces prophéties climatiques discutables parce que les modèles ma-thématiques humains ne savent pas compter avec les ressources inépuisables de la Na-ture : « Les prévisions catastrophistes [noter le terme dépréciatif ] ne peuvent plus être considérées avec mépris ou avec ironie, dit au contraire le pape François. Nous pour-rions laisser trop de décombres, de saleté et de déserts aux futures générations » (n. 162).

L’écologisme renvoie à un millénarisme intégriste :

on annonce la fin du monde et l’on ne se rend pas compte

qu’il y a une sorte de confusion des genres,

une fusion du politique et du religieux,

que l’on retrouvera dans l’intégrisme musulman.

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Le christianisme ne donne pas un « permis de détruire »Il est un autre sujet qui fâchera sans doute plus durablement le christianisme avec la

matrice écologique, c’est la question de la place de l’homme dans l’univers. On sait que divers penseurs, qui ne sont pas tous des extrémistes, ont adhéré à la Deep ecology. Ils voient l’homme comme un élément parmi d’autres de la biosphère, qui devient prédateur jusqu’à mettre en danger le grand écosystème qui permet à tous de vivre. Et de mettre en cause frontalement le christianisme, responsable selon la formule heideggérienne d’un arraisonnement du monde. Au nom du commandement de Dieu « Dominez la terre, soumettez-la », au nom de la fameuse alliance noachique où Dieu donne à l’homme tous les animaux et tous les fruits de la terre (Gen. 9, 1-3), le christianisme aurait conféré aux humains un « permis de détruire », jusqu’à légitimer a priori sa capacité de prédation.

A cela, on le sait, le christianisme et, lui emboîtant le pas, toute la pensée classique répondent en manifestant la transcendance de l’homme face au monde, transcendance qu’un saint Jean de la Croix dans ses Avis et Maximes formulait ainsi : « Une seule pensée de l’homme vaut plus que tout l’univers ». Ce modèle anthropologique a fait la grandeur de l’Occident. On voit mal que puisse être durablement mis en cause cet invariant et les textes qui le portent… Mais si c’était le cas, l’Eglise, gardienne de ces textes, ne saurait se dire « écologiste ». L’écologie intégrale accepte l’inconditionnelle dignité humaine, elle ne se confie pas en un utopique « Contrat de Nature » selon la formule de Michel Serres, car c’est l’homme seul qui fait alliance avec Dieu, c’est l’homme et non la nature qui est visée par Dieu en première intention dans le pacte qu’il fait avec ses créatures. Le texte de l’alliance noachique est émouvant dans sa naïveté. Il nous dit une vérité que le chantage à la mort de l’intégrisme écologiste met en cause frontalement : « Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme (…) Plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. Tant que durera la terre, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus » (Gen. 8, 21). Un tel optimisme manque cruellement aujourd’hui.

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Conservatisme : un regard modeste sur la nature

par Diane de Bourguesdon, consultante dans le secteur de la protection sociale

et membre du bureau national du PCD

iane de Bourguesdon est connue de nos lecteurs pour ses nombreuses contributions à divers sites, dont « Le Salon Beige » et « Causeur ». Mère de famille, manageure consul-tante d’une grande entreprise française, membre du bureau politique du PCD ainsi

que de notre comité de rédaction, elle est passionnée par ce que nous pourrions appeler « L’écologie conservatrice » : elle nous livre ici ce qu’est pour elle l’essence commune au souci écologiste et à l’esprit conservateur, un regard modeste sur la Nature.

Réjouissons-nous de ce que la préservation de la nature soit récemment devenue une préoc-cupation majeure de nos contemporains ! Que l’on soit climatosceptique ou non est somme toute secondaire : nul ne peut ignorer que notre planète porte presque partout la marque de la main humaine, marque qui s’apparente hélas trop souvent à une blessure. Savoir le silence en voie de disparition sur la Terre1 suffit pour se figurer l’ampleur de l’envahissement par l’ac-tivité humaine. Et bien que l’emprise de l’homme sur le monde n’ait fait que croître depuis les origines de l’humanité, l’acte de transformation de la nature étant consubstantiel à la nature humaine, il est évident que cette emprise connaît depuis le XIXe siècle une accélération nette, muée ces dernières décennies en une accélération prodigieuse. Le moment est donc plus que venu de prendre la mesure de l’enjeu écologique et de consacrer à la recherche les financements adaptés. Ce rapide exposé ne soulèvera sans doute pas d’objections majeures mais il laisse de côté un aspect crucial dès lors qu’il s’agit de traiter de cette question, aspect si essentiel qu’en lui résident vraisemblablement non seulement le cours des décisions politiques mais également tout bonnement le sort de notre planète : celui de l’état d’esprit de nos contemporains.

Le constant souci de préserver la nature, avec tact et mesureIl est difficile de ne pas remarquer que plus le débat écologique prend de l’ampleur, plus il

est abordé sous un angle moral manichéen qui tend à distinguer les coupables des innocents : d’un côté les âmes corrompues qui se livreraient sciemment à la destruction de la nature ou en seraient les complices passifs, de l’autre les âmes pures qui n’auraient d’autre inquiétude existentielle que le constant souci de préserver la nature. Cette approche caricaturale d’une part ne signe pas une grande sagesse, d’autre part risque de provoquer non pas une conversion de masse à la cause écologique mais une crispation réciproque des deux parties. Pire, cette posture arrogante est aux exacts antipodes de celle qu’on serait en mesure d’espérer en matière d’éco-logie, c’est-à-dire une attitude guidée par la modestie. En effet, de même que l’on a pu dire du conservatisme qu’il était un acte de modestie devant l’Histoire2, osons avancer que l’écologie devrait être avant tout un acte de modestie devant la nature. Que signifient ces termes ? Il s’agit d’une invitation collective à prendre acte, constamment et tacitement, du caractère faillible de notre action. A chacun de nos gestes ayant une répercussion directe ou indirecte sur l’environ-

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nement, nous nous efforcerions de garder à l’esprit que cette répercussion n’est pas bonne par essence mais possiblement néfaste. Cet abord modeste de l’action de transformation exercée par l’homme devra en outre être assorti d’un regard humble sur la place qu’il doit occuper dans le monde vivant et la façon dont il exploite les ressources offertes par la nature.

On objectera que cet appel à l’avènement de la modestie, n’étant pas une praxis, ne résout rien. Nous postulons que l’état d’esprit que suppose la modestie est justement celui qui préside à toute action raisonnée, qu’une attitude empreinte de modestie est le terreau propice à la ger-mination du bon grain, celui de l’action prudente et mesurée sur la nature.

Il reste que l’avènement de la modestie peut sembler hors d’atteinte quand tout contribue à la décourager, à commencer par la soif qu’a l’homme d’assouvir tous ses désirs. Comment l’homme pourrait-il agir avec retenue sur la nature alors qu’il jouit indéniablement d’une si-tuation de supériorité et qu’il est même exhorté dans la Genèse à exercer sa domination sur elle3 ? Comment peut-il user de sa puissance sans sombrer dans l’ivresse de la toute-puissance ?

Le bien-fondé du souci écologiqueFace à ce questionnement ancestral, renouer avec la

position aristotélicienne peut être salutaire. Elle nous rap-pellera que l’homme a bien une place singulière dans la nature, celle de l’artiste venant parachever l’épanouisse-ment du monde. De par sa capacité à agir sur le monde, qui le distingue du reste du vivant, l’homme a pour vo-cation selon Aristote d’œuvrer à la finalité qui s’accomplit dans la nature : il relève de sa nature même d’être humain d’accompagner tous les êtres naturels dans leur mouvement d’accomplissement, le cheval vers le galop, la rose vers son éclosion. C’est donc l’homme artiste qu’il faudrait aujourd’hui réhabiliter, celui qui parfait et révèle la beauté de la nature, aux dépens de l’homme technicien qui veut traduire la nature en chiffres. Alain Finkielkraut ne dit pas autre chose dans son plaidoyer pour une écologie poétique : « la nature a besoin de poètes pour que nous y soyons sensibles »4. Délaissons un peu les statistiques au profit de l’art lyrique !

Car assurément modestie devant la nature et amour de la nature vont de pair, la première pouvant naître à la faveur d’un sentiment d’admiration pour ce qui n’est pas soi. De l’émer-veillement devant la nature découle spontanément la modestie devant elle. Pour l’encourager, éveillons sans tarder les enfants à la beauté du monde, en particulier à celle qui est vierge de la main de l’homme : faisons-leur écouter le murmure du ruisseau et le chant du rossignol, faisons-leur humer le parfum de la violette et du sous-bois automnal, faisons-leur admirer la symétrie du coquillage, celle des ailes du papillon, ou encore, dans de plus lointaines contrées, la rosace parfaite tracée par le poisson-ballon dans le sable. Bien mieux qu’à la phobie hygié-nique des déchets, c’est à l’enivrement des sens par la nature qu’il faut convier précocement les enfants. Gageons que le désir ardent de chanter sa louange ne saura s’accommoder que du souci modeste de la préserver.–––––––––––––1 Nicolas Celnik, « L’homme qui cherchait le silence », Le Monde, 18 août 20162 Eugénie Bastié, « Le conservatisme est un acte de modestie devant l’Histoire, entretien avec Jean-Philippe Vincent », Le

Figaro, 30 septembre 20163 Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel,

et sur tout animal qui se meut sur la terre (Gn 1, 28)4 Le plaidoyer d’Alain Finkielkraut pour une écologie poétique, Le Figaro, 28 août 2019

C’est donc l’homme artiste qu’il faudrait aujourd’hui réhabiliter, celui qui parfait et révèle la beauté de la nature, aux dépens de l’homme technicien qui veut traduire la nature en chiffres.

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Réflexions sur l’héritage et la justice fiscale

par Victor Fouquet

u’est-ce donc que conserver, et pourquoi le faire, si tout est aboli et supprimé dès que l’on disparaît ? Pourquoi s’acharner à construire, à maintenir, à préserver ce qui sera très bientôt perdu, ou confisqué par l’État, sans que ses descendants, ses amis, ses

disciples puissent obtenir la moindre parcelle de ce qui a été patiemment amassé ? Pourquoi, en ce cas, se projeter dans la durée et s’empêcher de tout dépenser au plus vite, en égoïste, sans limite ni discernement ?1 » Ces trois questions liminaires de Frédéric Rouvillois, extraites de l’entrée « Hé-ritage » qu’il signe dans le vertigineux Dictionnaire du conservatisme que par ailleurs il codirige, interrogent non seulement la légitimité morale des droits de succession, mais plus subtilement aussi leurs conséquences économiques. La réponse qu’appelle chacune d’elles confirme une règle, mise en exergue par l’école française d’économie politique tout au long du XIXe siècle : « ce qui est moralement indésirable est économiquement inefficace ».

Une atteinte au droit de propriété du défunt

Les partisans d’une imposition rehaussée ou d’une confiscation pure et dure de l’héritage commettent, au nom d’un égalitarisme constructiviste destructeur, une double erreur.

Premièrement, en se plaçant du côté de l’héritier plutôt que de celui du léguant, les égalitaristes violent sciemment le droit de transmettre, que l’économiste Paul Leroy Beaulieu définissait dans son Traité de la science des finances (1877) comme « la conséquence du droit de propriété dans le monde civilisé ». Car il y a, à l’évidence, une relation étroite entre le respect de l’héritage, fût-il monétaire et financier, et la conception de la civilisation

que l’on se fait. L’impôt sur les successions a cela d’inique qu’il punit post mortem le défunt, injustement pénalisé après avoir sacrifié la jouissance immédiate de la consommation pour transmettre et, ainsi, ne pas disparaître. Si deux personnes ont les mêmes revenus, mais que l’une d’elles consomme tout, tout de suite, tandis que l’autre en épargne une partie, en vue de léguer aux générations futures un capital patiemment accumulé (et au passage maintes fois taxé), la fourmi paiera davantage d’impôts que la cigale, compte tenu de la taxation de l’héritage. Le préjudice économique et social généré en France2 par la fiscalité des successions est particulièrement lourd en fait de transmission des entreprises familiales. Un exemple parmi cent : lorsque le président-directeur général de la Biscuiterie Saint Michel trouva bru-talement la mort dans un accident de voiture en 1994, la société entra aussitôt dans le giron de l’allemand Bahlsen du simple fait de frais de succession stratosphériques…

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L’impôt sur les successions a cela d’inique qu’il punit

post mortem le défunt, injustement pénalisé

après avoir sacrifié la jouissance immédiate de

la consommation pour transmettre et, ainsi, ne pas

disparaître.

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Des inégalités d’abord extra-économiquesDeuxièmement, la justification habituellement donnée aux droits de succession selon

laquelle la transmission héréditaire du patrimoine serait une cause majeure des inégalités de richesse n’est pas aussi avérée qu’on le croit. L’analyse économique des inégalités de revenus a depuis longtemps montré que la position occupée dans la hiérarchie des patrimoines dé-pendait d’une multitude de facteurs (niveau d’éducation, milieu social, état de santé, apti-tudes intellectuelles et physiques, lieu de résidence, âge, etc.) où l’héritage n’a qu’une place dérisoire3. L’apparition fulgurante de « nouveaux riches » aux côtés des « vieilles fortunes » pulvérise ainsi le déterminisme social des égalitaristes, alors incapables d’expliquer pourquoi certaines personnes « bien nées », qui possèdent de bons revenus et de solides patrimoines, échouent – et, à l’inverse, pourquoi certaines personnes parmi les plus démunies, sans dota-tion initiale, réussissent. Au vrai, les égalitaristes feignent d’ignorer que les talents ne peuvent être également répartis ou sans importance dans la réalisation de profits abondants.

Le traitement fiscal de l’héritage fournit une illustration parfaite des convergences pos-sibles en matière économique entre conservateurs et libéraux. Le conservateur, dès lors qu’il ne se cantonne pas à la nostalgie d’un ordre disparu, rejoint le libéral classique en mettant comme lui l’accent sur les prétentions, illusoires ou funestes, des égalitaristes et constructi-vistes de toute obédience…

––––––––––––––1 Frédéric Rouvillois, Olivier Dard et Christophe Boutin, Le Dictionnaire du conservatisme, Les Éditions du Cerf, 2017,

p. 423.2 Rappelons que le poids des droits de mutation à titre gratuit (successions et donations) dans la richesse nationale a triplé

depuis 1965, pour atteindre en France désormais 0,6 % du PIB, contre 0,14 % en moyenne dans les pays de l’OCDE.3 Alain Wolfelsperger, Économie des inégalités de revenus, PUF, 1980, chapitre IV, Le rôle des caractéristiques indivi-

duelles, p. 205-253.

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Conservateurs et libéraux : ennemis ou alliés ?

par Jean-Philippe Delsol,Avocat, président de l’Institut de Recherches Économiques et Fiscales (IREF).

Dernier ouvrage publié : Éloge de l’inégalité, Manitoba – Les Belles Lettres, 2019, 220 p.

es Conservateurs et les Libéraux composent un paysage aux nombreuses nuances. Au-de-là de ces cercles incompatibles, que nous délaisserons, conservateurs et libéraux ont sans doute plus en commun qu’ils ne le croient.

« Nous nous perfectionnons, soutient-on dans beaucoup de pamphlets. J’ai quelques doutes. »1, ironise Chateaubriand dans la lettre programme du Conservateur en 1818. Le conservatisme s’inquiète du changement que le libéralisme honore, mais il y a toujours des passerelles de l’un à l’autre. Le même Lamennais, qui était au côté de Chateaubriand pour créer Le Conservateur, s’est retrouvé auprès de Lacordaire et Montalembert dix ans plus tard pour lancer la revue libérale L’Avenir, avec l’appui de Chateaubriand, puis faire le voyage à Rome afin d’empêcher, sans succès, la plume du pape Grégoire XVI de signer Mirari vos contre la liberté de conscience. Les libéraux sont spontanément plus favorables aux idées qui ont motivé la Révolution des Girondins dans leur obsession légitime de faire prévaloir l’État de droit sur l’arbitraire et la délibération sur le despotisme, fût-il éclairé. Ils réprouvent la tyrannie de 1793, mais les conservateurs leur opposent, non sans raison, que d’une certaine manière 1789 était déjà grosse de Robespierre, comme le whig, libéral, Burke l’avait perçu dès les premiers mois de fièvre révolutionnaire.

Tout comme les conservateurs, les libéraux se méfient de la massification. Ils sont favorables à la subsidiarité et souhaitent qu’existent le plus possible, comme l’écrivait Hayek, de « ces sociétés particulières à l’intérieur de l’État, ou organisations volontaires situées entre l’indivi-du et le gouvernement, que le faux individualisme de Rousseau et de la Révolution française voulaient supprimer »2, pour autant qu’il ne leur soit conféré aucun pouvoir de contrainte. Lorsqu’il faut choisir entre l’ordre et la liberté, les conservateurs sont plus souvent du coté de l’autorité et les libéraux avec les individus, tant il est vrai que pour ceux-ci, « c’est toujours dans l’individu que l’Humanité se retrouve, toujours dans la société que la barbarie se retrouve »3. Mais les frontières sont évanescentes. Chateaubriand et Benjamin Constant ont tous deux sou-tenu la Charte promulguée par Louis XVIII, celui-ci pour préserver la liberté et l’État de droit de 1789, celui-là pour que la monarchie soit modernisée et constitutionnalisée par la Charte et pérennisée avec l’aide de la vielle aristocratie.

Conservateurs et libéraux ont des attitudes semblables à l’égard de l’égalitarisme, dont ils dénoncent la négation de la diversité et de la complémentarité humaines. Tous deux sont atta-chés à la propriété, qui est le gardien de tous les autres droits, apporte tout à la fois sécurité et

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–––––––––––––1 Cité par Frédéric ROUVILLOIS et alii, Le dictionnaire du conservatisme, Éditions du Cerf, p.18.2 Friedrich HAYEK, Droit, législation et liberté, PUF, 2007, p.609.3 Cité par Jérôme PERRIER, Alain ou la démocratie de l’individu, Les Belles Lettres, p. 35, tiré des Propos

d’un Normand, 17 avril 1911.

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liberté ; et ils la défendent parce qu’elle est juste. C’est du moins le cas chez les libéraux clas-siques, de Turgot à Tocqueville ou Lord Acton, des ordolibéraux, de Röpke à Lipmann, et des libéraux autrichiens, de Menger à Mises et Hayek, que nous appellerons ensemble les Libéraux, par rapport aux Utilitaristes pour lesquels, avec Hume et Bentham, et parfois jusqu’à Mill et Spencer, le critère des actes moraux devient une utilité : « L’intérêt est la première obligation à l’accomplissement des promesses »4, c’est-à-dire des contrats, dit Hume. Les Libéraux, au contraire de ces derniers, sont attachés au droit qui est un principe quand l’utilité n’est qu’un résultat. Ils croient, avec les conservateurs, qu’il existe des droits naturels inviolables et sacrés. Ils savent ensemble l’imperfection humaine et le danger majeur qui guette toute société qui s’abandonne à la seule puissance humaine et à ceux qui ne perçoivent pas la personne sous l’individu. Benjamin Constant récuse la comptabilité des peines et des plaisirs de Bentham : « Je voudrais, écrit-il, qu’on n’oubliât pas que l’homme n’est pas uniquement un signe arithmé-tique, et qu’il y a du sang dans ses veines et un besoin d’attachement dans son cœur »5.

Le conservatisme est peut-être d’abord un mode de vie, une esthétique, une culture fa-miliale liée aux statuts, au sacré, aux communautés et aux hiérarchies. Le libéralisme est plus une attitude, une curiosité, un esprit d’aventure et d’ouverture. Ils partagent néanmoins cet attachement à l’homme singulier qui les opposent tous deux aux collectivismes sous toutes leurs formes. « La position libérale, écrit Hayek, partage avec le conservatisme une méfiance envers la raison découlant de ce que le libéral est conscient de ce que nous n’avons pas de ré-ponse à tout, et n’est pas certain que les réponses qu’il a soient les bonnes, ni même qu’il y ait des réponses à toutes les questions »6. Le libéral apparaît ainsi foncièrement sceptique. Pour autant, il a une morale et souvent des convictions chrétiennes (cf. l’anglican Edmund Burke, le protestant Benjamin Constant ou le catholique Lord Acton), où s’ancrent en cohérence sa notion du salut individuel et son individualisme. Mais il se garde bien de vouloir les imposer à d’autres. Les Libéraux croient que la civilisation n’est pas le fruit d’un plan de l’histoire, mais plutôt d’un processus continu d’essais et d’erreurs, d’une transmission de bonnes habitudes et de conventions, d’une suite d’expériences dont les plus favorables tissent des traditions en perpétuelle évolution. Ainsi, note Hayek, « aussi paradoxal que cela puisse paraître, il est sans doute vrai qu’une société libre qui réussit est sans doute toujours dans une large mesure une so-ciété attachée à des traditions »7. Dans cet esprit, les Libéraux préfèrent la common law factuelle et personnalisée au droit civil rigide et général.

Partage des valeurs mais solutions différentesLa ligne de partage entre Conservateurs et Libéraux est sans doute dans le rapport entre

l’homme et la cité. Ils s’accordent les uns et les autres à considérer que la société est faite pour l’homme, et non l’inverse. Mais les conservateurs croient avec Aristote et Saint Thomas que « Le bien du tout l’emporte sur celui de la partie »8. Ils ont souvent une vision organique de la société et comparent la grande société à la famille pour justifier l’autorité de l’État. Or, comme le dit Jean-Baptiste Say, « Dans la famille, c’est le père qui nourrit les enfants. C’est de lui que viennent toutes les idées qui peuvent faire prospérer la famille. […] Dans l’État, c’est tout le contraire. L’instruction est dans la classe des gouvernés ; c’est là qu’on connaît les lois de la nature, les procédés des arts, la constitution physique et morale de l’homme. »9 Les Libéraux

–––––––––––––4 David HUME, Traité de la nature humaine, Aubier–Montaigne, 1963, tome II, p.6425 Benjamin CONSTANT, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Les Belles Lettres, 2004, p. 135.6 Friedrich HAYEK, La Constitution de La Liberté, Litec, 1994, p.402.7 Ibid., p. 60.8 Somme contre les Gentils, III, 71.9 Jean-Baptiste SAY, Cours d’économie politique et autres essais, GF-Flammarion, 1996, cf. p. 146 et p. 148.

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font aussi référence au Stagirite, mais c’est pour en retenir que « c’est nécessairement en vue de l’homme que la nature a fait tous les êtres vivants »10. En écho, Mises écrit : « Il n’y a pas d’autre substrat de la société que les actions de ses membres »11. Les Libéraux pensent donc que les individus sont globalement plus à même que l’État de savoir ce qui est bon pour eux.

Curieusement, les conservateurs refusent souvent leur confiance à l’idée même d’ordre spon-tané pourtant analogue à celui qui fabrique la tradition. Les conservateurs sont généralement favorables à la liberté d’entreprendre et de commercer, mais ils sont prompts à mettre en place des mesures protectionnistes pour protéger les entrepreneurs et leurs salariés ou voler au secours des entreprises en difficulté avec des capitaux publics. Ils préfèrent faire confiance à l’État pour réguler le marché, les échanges, les comportements des employeurs et des salariés. Ils n’hésitent guère à être constructivistes, comme les socialistes, pour façonner la société, alors que les Libé-raux estiment que la société se construit dans l’action humaine imprévisible et le libre échange des produits, des services et des idées. Les Libéraux sont convaincus que tout pouvoir a ten-

dance à abuser du pouvoir, et que la tyrannie guette toujours, fût-elle celle du bien. Ils jugent doublement déraisonnable de vouloir confier à l’État le soin de faire régner une concurrence parfaite, car il n’existe jamais de concurrence qu’en équilibre perpétuellement instable, donc imparfaite, et l’État ne saurait se charger de l’établir sans la figer dans un état imparfait.

Walter Lippmann, un ordolibéral, disait que « Dans une société libre, l’État n’administre pas les affaires des hommes. Il administre la justice entre les hommes qui mènent eux-mêmes leurs propres af-

faires »12. Il n’y a pas de plan libéral, « il y a, dit-il, au contraire une conviction que l’avenir aura la forme que lui donneront les énergies humaines débarrassées de l’arbitraire dans toute la mesure du possible » et c’est, ajoutait-il, le seul idéal de gouvernement pratiquement réalisable dans la Cité libre. Il n’y a donc pas de solution miracle, mais une recherche permanente en vue « d’une découverte progressive que les hommes font en s’efforçant de se civiliser »13. Lorsque l’autorité fait régner la paix et la sécurité entre les hommes libres, ils sont capables de trouver entre eux un accord pacifique dans ce que Hayek nomme catallaxie pour signifier « l’espèce particulière d’ordre spontané produit par le marché à travers les actes des gens qui se confor-ment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats »14.

Les libéraux pensent, sans vergogne, pouvoir garder les racines du conservatisme et lui don-ner des ailes. En suivant l’analyse de Benjamin Constant, ils aimeraient faire évoluer le conser-vatisme, d’une conception de la liberté proche de celle des Anciens, celle de la cité athénienne, qui se suffisait de la participation active et constante du citoyen au pouvoir collectif et acceptait l’assujettissement de l’individu à l’ensemble, vers celle des Modernes fondée sur l’autonomie et l’émancipation de l’individu ancrées dans des droits politiques, civiques, et désormais sociaux. Ils voudraient ainsi partager complètement avec les conservateurs une même éthique dans le respect de la liberté humaine. Il suffirait peut-être que les conservateurs se débarrassent de leur confiance mal placée dans l’État. Est-ce trop leur demander ?

–––––––––––––10 ARISTOTE, La Politique, VIII, 1, Vrin, 1977, p. 55.11 Ludwig von MISES, Abrégé de l’action humaine, Les Belles Lettres, 2004, p.177.12 Walter LIPPMANN, La Cité libre, Les Belles Lettres, 2011, p.321.13 Ibid., p. 403.14 Friedrich HAYEK, Droit, législation et liberté, PUF, 2007, p. 532.

Conservateurs et libéraux partagent cet attachement

à l’homme singulier qui les opposent tous deux

aux collectivismes sous toutes leurs formes.

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Culture, civilisations & patrimoine

« Quand on parle de l’amour du passé, il faut faire attention : c’est de l’amour de la vie qu’il s’agit. La vie est beaucoup plus du passé que du présent. Le présent est un moment toujours court, même lorsque sa plénitude le fait paraître éternel. Qui aime la vie aime le passé en ce qu’il est une suite de présents qui ont survécu dans la mémoire humaine. »

Marguerite Yourcenar

e n’est pas un hasard si cette rubrique est la plus fournie de toute. Sur les ques-tions de civilisation, de culture et de patrimoine - en somme sur la grande affaire de la transmission qui les résume toutes, les conservateurs insisteront

toujours. A noter que Culture et civilisations ne s’équivalent pas : la Culture est universelle en ce qu’elle réunit le plus singulier et le plus exquis des oeuvres de l’humanité à travers les âges - chacune des civilisations qui les fait éclore ayant le devoir de préserver sa singularité propre, son identité, son génie propre, non seulement pour que chaque peuple soit fidèle à l’essentiel de lui même, mais aussi parce que son identité est ce qu’il a de meilleur à donner au monde. C’est dans cet esprit que nous avons choisi ici une série de livres, de films, ou d’œuvres d’art dont nos chroniqueurs Catherine Rouvier et Huguette Lévy-Livernault pour les écrans, Jean-Gérard Lapacherie analysant deux ouvrages de Renaud Camus et Alain Finkielkraut, Jean-Luc Marsat pour les arts plastiques, rendent compte ici. Critiques accompagnées d’un hommage à la langue française qui reviendra régulièrement dans nos pages - cette fois sous forme de coup de chapeau au jury de la Carpette anglaise qui chaque année stigmatise les déplorables personnalités qui se croient modernes en recourant, tels des esclaves, à ce qui n’est que la langue du maître impérial.

Il va sans dire que c’est dans cette rubrique que l’on trouvera aussi des hommages aux grandes figures de notre vie culturelle : cette fois à Jean Raspail, récemment disparu, dont Gilles Brochard mesure l’immense portée de l’œuvre ; et que nous reviendrons sur des pages d’Histoire, notre indispensable nourrice. En l’honneur de Charles de Gaulle disparu voici cinquante ans, nous rappelons que son dernier acte public fut, dans l’été 1970, peu avant de disparaître, une visite au Général Franco – voyage qui, comme l’expose ici François Martin, fut aussi riche de sens que de symboles. S’inscrivant dans le même cinquantenaire, Philippe de Saint Robert, qui fut un de ses plus jeunes confidents, expose ce que le fondateur de la Cinquième République devait à l’écrivain qui marque de toute sa hauteur l’histoire du conservatisme, François-René de Chateaubriand. C’est aussi dans cette rubrique que nous reviendrons régulièrement sur les très lourdes questions relatives à l’Education, dont Anne Coffinier rappelle cette vérité simple, qu’elle est « par nature conservatrice ».

On trouvera également dans ces pages un exercice (auquel nous nous sommes déjà livrés dans la rubrique Politique) consistant à montrer une même image à diverses per-sonnalités politiques en leur demandant d’y réagir « à chaud », en une dizaine de lignes.

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Culture, civilisations & patrimoine

Nous avons montré plus haut (cf page 84-85) l’image frappante d’un policier s’effondrant en larmes sur l’épaule d’un de ses collègues – image commentée par le Colonel de Gen-darmerie Fabrice Fanet, ainsi que par Jean Messiha, Arthur Farrère et Philippe Martel : illustration d’un effondrement essentiellement psychologique et moral qui touche à peu près tous nos services publics. Mais il y a pire encore : l’effondrement moral touche au-jourd’hui les fondements mêmes de notre civilisation, sous les florissantes espèces des di-verses manipulations génétiques, de l’eugénisme, de l’extension de l’interruption médicale de grossesse (IMG) allant jusqu’à l’infanticide, et, en attendant la « gestion pour autrui » (GPA), de la procréation médicale assistée (PMA) dont une photographie publicitaire d’Amazon montre la logique extrême : un nouveau-né reçu par la poste sous forme d’un paquet qu’ouvre un jeune couple hilare. Remercions Christine Boutin, Ludovine de la Ro-chère, Nicolas Tardy-Joubert et David Weiss de s’être prêtés à l’exercice et de commenter ce cliché, si symbolique de l’homme réduit à la marchandise, qui est rupture dans notre civilisation et pourrait être sa fin.

Question morale, avons-nous dit : elle fait à l’évidence le fin fond des questions de ci-vilisation, quand bien même ne l’aurions-nous pas nommée en titre. Mais on se demande si la morale ne constitue pas aussi, à la fin des fins, le coeur de toute question politique. A ce sujet, on ne peut qu’inciter nos lecteurs à lire un ouvrage d’allure toute conjonctu-relle, dont la lecture est, grâce au talent de l’auteur, aussi agréable en apparence qu’elle est pesante moralement : celui de Tugdual Denis « La Vérité sur le mystère Fillon » (éd. Plon, 2020). Ce livre, qui en apparence ne fait que revenir sur l’affaire Fillon telle qu’elle bouleversa la dernière élection présidentielle, donnant quelques éclairages du genre people sur la vie de François Fillon après son échec, recèle une portée immense. Si l’auteur montre bien, à d’évidentes fins de réhabilitation, ce qu’a de courage, de sincérité mais aussi de sim-plicité le personnage de François Fillon, il n’en montre pas moins, à travers le récit d’une fin de semaine que le jeune journaliste de Valeurs Actuelles passa avec sa femme et son fils dans la propriété sarthoise de l’homme d’Etat proscrit, l’extraordinaire assèchement moral qui frappe l’ensemble de notre classe politique, jusqu’au meilleur de ses représentants : livre traumatisant à bien des égards, surtout pour ceux qui, nombreux parmi nous, ont accordé leur suffrage au candidat d’une droite que l’on croyait, à travers lui, en voie de redressement. Qu’apparaît-il en effet au fil de la succession d’anecdotes d’apparence banale qui jalonne ce week end à la campagne ? Il y fut question de toutes sortes de choses char-mantes, l’art de réussir un barbecue, les conditions d’un bon repas entre amis, le choix des vins, moyennant une surenchère de manières plus accablantes les unes que les autres, les détails de telle ou telle voiture automobile (passion presque maniaque de l’ancien candidat et ancien Premier ministre), bref il fut question de tout sauf de la France, comme si le sujet était secondaire, superflu, peut-être obscène, et de toute façon ennuyeux.

Lecture éclairante sur laquelle nous reviendrons dans notre prochain numéro à la faveur d’un entretien avec Tugdual Denis. Car l’aimable mise en vacances de la morale, partout visible dans un monde politique devenu frivole, jouisseur et cupide, est trop accablante pour ne pas y revenir. A quoi s’intéressent-ils ? Que servent-ils ? Si la France s’effondre, n’est ce pas avant tout que notre morale politique s’effondre - pas seulement celle de notre peuple mais d’abord celle de nos oligarchies, y compris celle des plus beaux fleurons de notre représentation politique ?

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LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automne 2020

Culture, civilisations & patrimoine

L’éducation est par essence conservatrice

par Anne Coffinier, Ancienne élève de l’ENS (Ulm) et de l’ENA, présidente de « Créer son Ecole »

our quiconque entend conserver l’essentiel d’une civilisation, et donc assurer la transmission des savoirs et principes qui la fondent, la question de l’Education, ou de l’Education Nationale comme on disait naguère (ou de l’Instruction Publique,

comme on disait jadis non sans pertinence) est évidemment centrale. Aussi Le Nouveau Conserva-teur insistera-t-il sur la transmission culturelle et ses différents canaux, tous plus ou moins grippés aujourd’hui – et dangereusement. Remercions Anne Coffinier, dont l’inlassable combat en faveur de la liberté de l’enseignement n’est plus à rappeler, de nous faire l’honneur d’inaugurer cette chronique, où elle illustre si bien l’esprit qui doit inspirer toute œuvre d’Education, d’Instruction ou de Transmis-sion : il ne s’agit pas, en fait de tradition, de transmettre les cendres, mais le feu…

Pour ce premier numéro du Nouveau Conservateur, c’est à la lumière d’Hannah Arendt, et en particulier de la Crise de de la Culture, que nous conduirons notre réflexion sur l’éducation. La philosophe nous permet en effet de distinguer la juste place du politique dans l’éducation. « Depuis la Révolution française, l’école est présentée comme une « institution politique ». Voilà vingt ans qu’on attend même d’elle qu’elle assure « l’égalité des chances » aux dépens de sa mission traditionnelle qui est d’apprendre aux futurs adultes à penser en hommes libres, en héritant de la culture de leurs pères. A rebours de cette tendance contemporaine, la philosophe nous rappelle qu’« à l’école se concurrencent « le droit des parents d’élever leurs enfants comme ils l’entendent », le droit de l’Etat de « prescrire le minimum de ce qui est exigé d’un futur citoyen » et « le droit social à la liberté d’association», l’école étant une institution non politique mais sociale. »

Le monde comme milieu stableLe rôle de l’école, au moment spécifique de l’enfance, est simplement d’assurer l’« introduc-

tion au monde » des futurs adultes. Pour la philosophe, l’enseignement a ainsi pour mission de donner une représentation du monde aux enfants. Il doit leur permettre de comprendre ce monde et de les y introduire. Dans la Condition de l’homme moderne, Arendt explique cette idée en opposant « le monde » à « la vie ». Le monde est un cadre, un milieu stable pour l’existence humaine, qui rend justement possible le déploiement de la vie qui est, quant à elle, un « pro-cessus dévorant » en constante régénérescence. Le monde est donc « ce qui nous accueille à notre naissance », « ce que nous avons en commun non seulement avec nos contemporains, mais aussi avec ceux qui sont passés et avec ceux qui viendront après nous ». Il est ce lien intergénérationnel qui constitue la permanence d’une civilisation et doit être transmis pour que nous ayons un monde commun. Si l’Ecole n’est pas une institution politique, elle n’en demeure pas moins tributaire de la réalité politique dans laquelle elle s’insère. Pour Hannah Arendt, l’actuelle crise de l’éducation est fondamentalement une crise de notre société (et plus spécifiquement de la société moderne née avec la Renaissance) qui se répercute sur le champ scolaire : « derrière la crise de l’éducation, il y a une crise politique ». Et en retour, cette crise de l’éducation, sans précédent, joue comme un précieux révélateur des aspects du monde moderne en crise. Il y bien sûr des causes et remèdes pédagogiques à apporter à la crise de l’éducation, mais le traitement déterminant se situe dans l’espace politique.

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Sans être une « institution politique », l’éducation est, selon Arendt « par essence conserva-trice ». Il est assez aisé de se méprendre sur ce qu’elle entend par là. Pour la philosophe, l’école ne doit surtout pas se croire investie de la mission politique de faire advenir un homme nouveau pour que naisse une société nouvelle, sous peine de tomber dans un projet totalitaire. Elle ne saurait pas être essentiellement progressiste. « Confondre éducation et politique, c’est vouloir façon-ner l’avenir sur le modèle du présent, c’est confondre éduquer et « endoctriner », c’est nier l’imprévisi-bilité de l’avenir, c’est-à-dire nier la politique. »

Mais l’essence conservatrice de l’école ne signifie en rien qu’elle doive servir un projet po-litique réactionnaire, car revenir au statu quo ante, c’est revenir au moment qui a précédé la crise et se condamner à la répétition donc à l’impuissance. L’originalité de la position d’Hannah Arendt est de proclamer la nécessité du conservatisme de l’école, par souci de favoriser le po-tentiel révolutionnaire des nouvelles générations : « Notre espoir réside toujours dans l’élément de nouveauté que chaque génération apporte avec elle ; mais c’est précisément parce que nous ne pouvons placer notre espoir qu’en lui que nous détruisons tout si nous essayons de canaliser cet élément nouveau pour que nous, les anciens, puissions décider de ce qu’il sera. C’est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice ».

Permettre aux enfants d’accoucher du neufLa mission de l’éducateur n’est donc pas d’empêcher que le monde change. Si la profession

d’éducateur « exige de lui un immense respect du passé », ce n’est pas pour momifier ce précé-dent et transformer les enfants en conservateurs de musée. C’est, au contraire, pour permettre aux enfants d’accoucher du neuf.

La philosophe, dans son concept de « natalité », est mue par une vive conscience du fait que le monde est en perpétuelle voie d’extinction. Ce n’est que par l’arrivée de générations nouvelles et innovantes qu’il est à même de poursuivre sa course : il s’agit, pour Arendt, de « le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans l’arrivée de nouveaux venus ». Ainsi, le monde n’a pas seulement besoin d’être perpétué par les nouvelles générations, il a besoin aussi d’être réétabli et renouvelé par elles, ce qui requiert de la jeunesse qu’elle comprenne le monde dont elles sont les légataires.

Chez Hannah Arendt, l’homme est homme en tant qu’il porte la responsabilité du monde et « dans le cas de l’éducation, la responsabilité du monde prend la forme de l’autorité ». L’autorité ! Voilà un concept en crise absolue dans notre modernité. En particulier depuis 1945, le doute sur notre culture est si profond que l’instinct même de transmission du monde aux jeunes géné-rations s’en trouve affecté. En éducation, les détenteurs traditionnels de l’autorité ne se sentent plus prêts à l’incarner. A l’origine de ce phénomène, selon Hannah Arendt, un « mécontente-ment à l’égard du monde » : « l’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité ». Si, dans l’esprit romain puis chrétien, la réponse est évidemment positive, rien n’est moins sûr à notre époque, marquée par un sentiment d’indignité. Voilà qui sape radicalement l’autorité et les conditions de possibilité même de la transmission : « le pro-blème de l’éducation tient au fait que par sa nature même, l’éducation ne peut faire fi de l’autorité, ni de la tradition, et qu’elle doit cependant s’exercer dans un monde qui n’est pas structuré par l’autorité ni retenu par la tradition ».

Pour sortir l’éducation de cette impasse liée à notre modernité, Hannah Arendt nous exhorte à avoir cette discipline de ne pas appliquer dans le champ éducatif la même attitude que nous avons à l’égard de l’autorité dans les autres domaines.

« Il faut dès lors que l’éducation soit protégée de l’esprit du temps et strictement séparée des autres domaines de la vie publique, à commencer par la politique. En somme, l’éducation doit avancer à

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contre-courant, elle est une nécessaire résistance. » C’est en ce sens qu’on peut parler d’une sanctua-risation de l’école, lieu où l’autorité serait volontairement préservée par des adultes. Aujourd’hui, certaines écoles vraiment libres osent cette dissidence philosophique. Les adultes s’y interdisent de ne pas assumer leur autorité, pour permettre aux jeunes générations de renouveler le monde.

Ce n’est pas en donnant une nouveauté à notre mesure aux jeunes qu’on leur permet d’en-gendrer du nouveau, mais en les faisant hériter des chefs-d’œuvre passés. La formation de l’esprit critique ne passe pas par la pratique précoce des débats d’actualité, mais par la fréquentation amou-reuse des grands textes classiques, qui sont dits tels parce qu’ils abordent des problématiques non seulement universelles, mais aussi atemporelles. C’est pourquoi la pratique à bon escient des cours magistraux représente une forme nécessaire. Il est bon que les maîtres assument le monde auquel ils introduisent leurs élèves (même si la forme pédago-gique par tâtonnement du dialogue est utile dans certains cas, bien sûr).

Si l’éducateur est le « responsable du monde » qu’il présente à l’enfant, il doit susciter chez l’enfant l’envie d’y vivre et de le féconder. A nous de réinventer une éducation qui transmette le passé, la tradition, en donnant aux enfants le goût d’habiter et de transformer notre présent. Trop d’écoles cherchent, de ma-nière utilitariste, à adapter les enfants au présent et à les asservir à ses contraintes. D’autres au contraire, notamment des établissements hors contrat, s’échinent à transmettre la culture classique, en négligeant trop d’éveiller chez les enfants un élan pour la vie, une envie d’habiter le monde actuel et de le transformer.

Le professeur, dépositaire du mondeRelever la condition enseignante passera, à cet égard, par la conversion de notre regard sur

le passé dans le champ de l’éducation. Notre monde tend à mépriser le professeur, vu comme « l’homme d’avant », puisque l’attitude romaine tendant à respecter naturellement le passé a disparu au profit d’un progressisme valorisant tout ce qui est nouveau sans aucune autre forme de discernement. Le professeur est le dépositaire du monde, celui qui doit trouver les voies et les moyens de le transmettre aux générations nouvelles comme une chose palpitante et vivante, non comme un corps mort qui nous écrase de tout son poids. « L’éducation progressiste, en abolissant l’autorité des adultes, nie leur responsabilité à l’égard du monde dans lequel ils ont fait naître leurs enfants, et refuse le devoir de les guider dans ce monde. Sommes-nous maintenant arrivés au point où l’on demande aux enfants de changer le monde ou de l’améliorer ? Cherchons-nous à conduire nos batailles politiques dans les cours de récréation ? » (H. Arendt).

Insistons sur l’attitude d’Arendt à l’égard de l’autorité. Les nostalgiques d’une société dans laquelle l’autorité politique serait intacte ne la trouveront pas de leur côté. Cette autorité-là est définitivement perdue, en régime démocratique qui peut se définir par le fait que « la respon-sabilité de la marche du monde est demandée à chacun ». Sa défense de l’autorité concerne exclusivement le champ non politique de l’éducation, qu’elle isole du reste. Dans ce champ spécifique, prétendre libérer l’enfant de l’autorité, c’est-à-dire l’émanciper précisément en tant qu’enfant, ou - dit autrement- autonomiser le monde de l’enfance, est pour elle une « trahison de l’enfant ». L’autorité a été abolie par les adultes et cela ne peut signifier qu’une seule chose : que les adultes refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé les enfants ». Sans conservatisme éducatif, il n’est aucun progrès possible.

La formation de l’esprit critique ne passe pas par la pratique des débats d’actualité, mais par la fréquentation des grands textes classiques, qui sont dits tels parce qu’ils abordent des thèmes à la fois universels et atemporels.

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Jean Raspail, l’aventurierpar Gilles Brochard,

Journaliste, chroniqueur à Radio Notre-Dame, directeur pédagogique dans une école de journalisme, Gilles Brochard est l’auteur de plusieurs livres dont un Guide secret

des tables politiques (Verlhac éditions) et le plus récent, Un thé chez les tigres, journal d’un buveur de thé à Darjeeling et au Népal (Pierre-Guillaume de Roux éditions)

aspail avait côtoyé les Indiens en Terre de feu, s’était auto-proclamé Consul général de Patagonie, organisa une prise d’armes au bord du lac Titicaca en hommage aux soldats vaincus de Diên Biên Phu, et publia un livre visionnaire sur l’immigration,

Le Camp des saints.Un seigneur vient de disparaître à la veille de ses 95 ans. Lui qui toute sa vie cultiva l’art aris-

tocratique de déplaire, tenait à porter pour son dernier voyage l’uniforme d’officier de marine qu’il avait arboré avec fierté. Autre symbole : le drapeau bleu blanc vert étoilé de la Patagonie recouvrant son cercueil le jour de ses obsèques en l’église Saint-Roch. Autant de signes qui comptaient pour Jean Raspail le marin, l’explorateur, né à la littérature grâce à son goût inné des voyages en terres inconnues, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il portait avec noblesse son héritage familial et sur son visage de patriarche altier, on lisait l’âme généreuse et la courtoisie féconde qui l’habitaient depuis sa jeunesse.

Jean Raspail portait en lui une littérature de conviction, lyrique, fidèle à une lignée d’écri-vains épiques, habité par la geste des chevaliers et reconnaissant au passé de l’avoir construit. En lui rendant hommage, son cadet, Sylvain Tesson, en qui il se reconnaissait, a cité le vers d’Aragon qui lui va si bien : « Mais le bel autrefois habite le présent. » Pour ce croisé, l’ancien monde nourris-sait son esprit de conquête, aimant mettre en scène des personnages certes désespérés mais tou-jours prompts à découvrir un « ailleurs ». Dans le dernier numéro que Monde & Vie consacre à Raspail, le dessinateur de bandes dessinées Jacques Terpant, qui fut son complice, le compare à Corto Maltese. Car le héros d’Hugo Pratt « est dans l’action, mais il la regarde. Il est toujours un peu en dehors de ce qu’il se passe. C’est une attitude très raspalienne. Les personnages de Jean Raspail sont dans l’Histoire et ils regardent l’Histoire. »

Jean Raspail avait su créer une forme de romantisme incarné dans la monarchie, « une idée noble et belle, confiait-il, qui satisfait en nous ce qu’il y a de meilleur, l’héroïsme, le sens du sacré et l’idéal. » Fervent catholique, portant au plus haut « l’espérance qui nous fait désirer le ciel », comme il fut dit le jour de ses funérailles, il a dessiné sa propre carte du tendre à travers des romans dont on retient chaque titre : Le Camp des saints, Le Jeu du roi, Septentrion, Moi, Antoine de Tounens, Qui se souvient des hommes, Le Roi est mort, vive le Roi !, La Miséricorde. Sa vérité ? Avoir su mêler son ima-ginaire et sa foi à une certaine idée de la France, catholique et royale.

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À lire dans Monde & Vie Raspail le Conquistador.

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De Gaulle à l’ombre de Chateaubriand

par Philippe de Saint Robert, Ecrivain, Commissaire général de la langue française de 1984 à 1987,

Président-fondateur de l’Association pour la Sauvegarde et l’Expansion de la Langue Française (ASSELAF), a publié de nombreux ouvrages, dont « De Gaulle et ses témoins.

Rencontres historiques et littéraires » - Bartillat.

eaucoup de nos lecteurs connaissent Philippe de Saint Robert, qui fut l’un des plus jeunes confidents du Général de Gaulle - il était alors journaliste à « Combat ». Il le fut aussi de Georges Pompidou, qui le chargea de diverses missions dans le monde arabe, puis de

Jacques Chirac, mais aussi de François Mitterrand, qui le nomma en 1984 « Commissaire général à la langue française » - de ces entretiens, il tira une passionnante chronique de la Vème République, « Les Septennats interrompus » (1977) puis « Le Secret des Jours » (1995). Figure des « gaullistes de gauche », longtemps chroniqueur au Monde, Philippe de Saint Robert est aussi un écrivain dont la plume, qui s’inscrit dans la plus pure tradition des Classiques, a souvent été comparée à celle de Chateaubriand : nul ne pourrait mieux restituer tout ce que le général de Gaulle était conscient de devoir à « l’Enchanteur ».

Charles de Gaulle, dès son jeune âge, fut habité par l’écriture presqu’autant que par les armes. La vocation militaire a-t-elle étouffé la vocation littéraire ? Trop obsédé par l’action pour avoir balancé entre les deux, cependant, tout au long de sa vie, il ne sépara jamais l’action de l’écriture. Emile Henriot intitule sa première chronique littéraire, dans le premier numéro du journal Le Monde, daté du 12 décembre 1944 : « De Gaulle et ses témoins », et s’en explique ainsi : « Est-ce réduire un grand chef de guerre que de dire que le général de Gaulle, homme d’action, est aussi un remarquable écrivain ? (…) Un général qui lit Montaigne, Descartes, Nietzsche, et qui peut citer, en épigraphe, Epictète, Hegel ou La Rochefoucauld, n’est pas un soldat ordinaire. Philosophe, non pour discuter des systèmes, mais pour dominer les questions et agir. Et bon écrivain, de surcroît, non pour le plaisir élégant de bien dire, mais par le goût inné de dire bien, net et clair, ce que son esprit a pesé, et qui exige d’être entendu. »

C’est sa fréquentation des grands écrivains qui, dès sa jeunesse saint-cyrienne, et sans doute bien avant, a alimenté chez Charles de Gaulle le goût de l’écriture. Aux témoins de la formation de sa pensée, s’ajoutera la fréquentation des écrivains de son temps : ses contemporains ou presque contemporains d’abord, qui le soutiendront dans son action (cela va de Maritain à Claudel en passant par Pierre-Jean Jouve, Romain Gary, Mauriac et Malraux, faisant suite à Barrès, Péguy et Bergson), puis tant d’autres par la suite à qui il manifestera par une riche correspondance son attention et ses encouragements, et dont il réfère toujours le talent à ce qu’ils apportent par lui à la France (on songe à la lettre prémonitoire qu’il adresse, en 1963, à J.-M.-G. Le Clézio, alors inconnu, lors de la sortie de son premier roman).

« De Gaulle penche du côté du vicomte »Emile Henriot ne cite pas Chateaubriand. Alain Larcan, qui a établi un remarquable réper-

toire des « itinéraires intellectuels et spirituels » du Général1, note que « ce n’est que lorsque parurent les Mémoires du Général que l’on reconnut une certaine parenté avec les Mémoires d’outre-tombe », et ajoute : « Si tout écrivain penche, selon A. Thibaudet, du côté du vicomte ou du côté du lieutenant, c’est une évidence que de Gaulle penche du côté du vicomte. »

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Le livre d’or du château de Combourg recèle un précieux témoignage. C’est une lettre adres-sée par le Général à la comtesse de Durfort, née Sybille de Chateaubriand, en remerciement de son accueil : « 6 août 1949. Chère Madame, Nous sommes, ma femme et moi, très reconnaissants de votre aimable accueil à Combourg. Laissez-moi aussi vous remercier de m’avoir donné l’occasion de voir les lieux où put éclore le génie de votre arrière-grand-oncle et d’entendre de vous-même de si intéressantes et émouvantes précisions. Me voilà, grâce à vous, plus profondément marqué par Chateaubriand dont l’œuvre et la mémoire me hantaient déjà, depuis quarante-huit ans ! »

Cette visite, qui répondait à une invitation de la comtesse de Durfort, transmise par Léon Noël (nous verrons dans quelle circonstance), eut lieu en juillet 1949, à l’occasion d’un voyage du Général en pays malouin. Il y était accompagné de Mme de Gaulle, du commandant de Bonne-val et de Gaston Palewski. L’indication fournie par cette lettre est édifiante, car si Chateaubriand hantait le Général depuis quarante-huit ans, comme nous sommes en 1949, cela nous ramène à 1901, date à laquelle il avait … onze ans. Découvrir Chateaubriand à onze ans, ce n’est pas ordinaire. On peut imaginer qu’il y fut incité par la lecture d’une Vie de Chateaubriand dont sa grand’mère paternelle, Joséphine Maillot, la polygraphe de la famille, était l’auteur ; il est vrai qu’elle écrivait surtout des ouvrages édifiants pour les enfants2.

Quelle approche eut alors, de Chateaubriand, son petit-fils précoce ? A travers quelle litté-rature ? Nous ne le saurons pas. Ce que nous savons en revanche, par le témoignage de Claude Guy3, son aide de camp, c’est qu’au moment où se situe la visite à Combourg, le Général vient de relire les Mémoires d’outre-tombe. La scène rapportée par Claude Guy se situe à Colombey le 24 octobre 1947, à l’occasion d’une visite d’André Malraux et du général de Bénouville. Claude Guy rapporte qu’à l’heure du thé, moment rituel à la Boisserie, le Général parle de Chateaubriand : « L’an dernier, j’ai relu lentement les Mémoires d’outre-tombe que quelqu’un m’avait donné pour mon anniversaire. C’est une œuvre prodigieuse … Il pose sur l’avenir un regard profond… En fait, il a presque tout vu… y compris les bolchéviks… Et puis, je sens comme lui : essentiellement, voyez-vous, Chateaubriand est un désespéré … mais son désespoir est plein de … (il se reprend) jusque dans le dé-sespoir, il fait face, il se redresse de toute sa taille. » Là-dessus, Malraux, qui a toujours un peu jalousé Chateaubriand4, avance une objection : « Seulement, mon Général, c’est un si grand comédien… » - observation qui ne manque pas de toupet -, à quoi le Général, visiblement surpris, répond : « Non, je ne vois pas… Non, ça, franchement, cela ne me choque pas. »

Le Général admirait aussi le penseur et l’homme d’EtatNous avons également le témoignage de Léon Noël5 qui rapporte une première conversation

avec le Général au sujet de l’Enchanteur, qui se situe vers la même époque, soit le 26 mai 1948. Même ton dans les propos que ceux rapportés par Claude Guy. Le Général dit : « C’est un désespé-ré », s’empressant d’ajouter : « On le comprend, il avait prévu l’avenir ». Il est permis de penser que le Général, qui commençait sa « traversée du désert », exprimait sa propre angoisse et parlait pour lui-même. Les propos les plus apparemment pessimistes ont toujours coexisté, chez lui, avec un refus obstiné de renoncer, comme s’il ne cherchait qu’à s’éprouver lui-même. C’est ce même jour que Léon Noël transmit au Général l’invitation à Combourg : « Il accepta, raconte Léon Noël, et il me parut que cette évocation de l’Enchanteur le passionnait. Il me cita aussitôt ce passage du discours prononcé par lui à la Chambre des Pairs, le 3 avril 1816 : ‘‘Quant à moi, Messieurs, je dois sans doute au sang français qui coule dans mes veines cette impatience que j’éprouve quand, pour déterminer mon suffrage, on me parle des opinions placées hors ma patrie ; et si l’Europe civilisée voulait m’imposer la Charte, j’irai vivre à Constantinople’’. Sans doute, ajoute Léon Noël, ce texte est-il de ceux qui figurent dans le simple cahier – que j’ai vu à Colombey – où de Gaulle, qui jouissait d’une mémoire le dis-pensant de prendre des notes, contait quelques rares extraits de ses lectures ». Léon Noël relate qu’en une occasion plus tardive – neuf ans après, le 18 juin 1957 -, alors qu’il lui remettait un ouvrage de Marie-Jeanne Dury consacré à la Vieillesse de Chateaubriand, le Général lui exprima tout à trac

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son admiration pour la note consacrée en 1828 à la question d’Orient6 et, précisant sa pensée, lui dit : « Chateaubriand aurait pu être un grand ministre. Je le crois aussi et je l’explique non point seulement par son intelligence aiguë, mais son sens et sa connaissance de l’Histoire, et par son souci de la grandeur nationale. J’observe également combien il est rare qu’un grand artiste possède des dons poli-tiques à ce degré. » Il ressort de ces conversations que l’admiration du Général pour Chateaubriand n’allait pas seulement à l’écrivain mais au penseur et à l’homme d’Etat, alors qu’il est de bon ton de dire, dans certains milieux intellectuels, que le seul tort de Chateaubriand aurait été de ne s’être pas tenu à l’écart des grandes affaires, c’est-à-dire de la politique de son temps et des événements qui le marquèrent – lesquels, il est vrai, le firent souffrir, mais d’une souffrance qui donne toute sa force au tableau qu’il dresse de son époque et aux prophéties qu’ils lui inspirent.

Le 2 février 1969, à Quimper, le général de Gaulle, prononçant sa dernière grande allo-cution officielle, et citant en breton son grand-oncle Charles de Gaulle, y célèbre la grandeur d’une Bretagne du temps où « Chateaubriand portait jusqu’à la cime la gloire émouvante de nos lettres ». Mais surtout, il semble qu’on ne sache lequel des deux s’exprime lorsque Chateaubriand écrit : « Je respecte l’opinion de l’Europe, mais elle ne sera jamais une autorité pour moi, en ce qui touche les intérêts particuliers de mon pays ; je suis trop français pour ou-blier un moment ce que je dois à l’indépendance de la France. » Cette jalousie supérieure, qui exclut toute compromission, ne donne-t-elle pas aujourd’hui une grande leçon ?

Le 10 mai 1969, le général et Mme de Gaulle s’envolent pour l’Irlande. « Ici, notera le Général le 16 mai, c’est le repos, le calme absolu. » S’il a quitté le pouvoir, c’est volon-tairement. L’écriture le hante à nouveau ; il veut écrire l’histoire de son retour aux affaires, et de ce qu’il y a fait ; il pense avoir donné un sens à des institutions qui n’ont de réalité qu’au service d’une grande politique. Il m’avait dit un jour : « Comme nous ne sommes plus une grande puissance, si nous n’avons pas une grande politique, nous ne serons plus rien. » C’est encore Chateaubriand qui va l’aider, comme en témoigne Philippe de Gaulle dans ses entretiens avec Michel Tauriac : « Ce n’est pas l’œuvre de Las Cases, l’ancien secrétaire de Napoléon, pour lequel il avait d’ailleurs la plus grande estime, que mon père avait emportée avec lui en Irlande, mais les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Il avait, comme cela a été dit maintes fois, de l’admiration pour ce monument de la littérature française et tenait à s’en imprégner au moment où il était en train d’écrire ses propres Mémoires.7 »

Le dernier volume des Lettres, notes et carnets8 comporte un nombre dominant de références à Chateaubriand, dont le nom y devient à ce point familier qu’il est abrégé Ch.. Vingt-deux fois citée, la référence appartient toujours au domaine de la méditation sur soi-même. Ainsi : « La politique fait des solitaires comme la religion fait des anachorètes », ou encore : « Qui se plaît aux souvenirs conserve ses espérances »… –––––––––––––1 Alain Larcan, Charles de Gaulle, itinéraires intellectuels et spirituels, Conseil international de la langue française et Presses

universitaires de Nancy, 1993 et De Gaulle inventaire. La culture, l’esprit, la foi. Ed. Bartillat, 2003.2 Il serait intéressant de retrouver trace de cet ouvrage. Philippe de Gaulle, interrogé, ne le possède pas.3 Claude Guy, En écoutant de Gaulle, journal 1946-1949, préface de Jean Mauriac, Ed. Grasset, 1996.4 André Malraux me posa un jour cette question un peu agacée : « A quoi pensait Chateaubriand lorsqu’il était ministre ? » s’in-

quiétant visiblement pour lui-même. Je lui répondis à sa grande satisfaction : « Mais aux Mémoires d’outre-tombe ». Quelques mois après paraissaient, en 1967, les Antimémoires.

5 Léon Noël, Comprendre de Gaulle, Ed. Plon, 1972.6 Lettres, notes et carnets, mai 1969-novembre 1970 ; Compléments 1908-1968, Ed. Plon, 1988.7 Philippe de Gaulle, De Gaulle, mon père, entretiens avec Michel Tauriac, t. II, Ed. Plon, 2004.

« Me voilà, grâce à vous, plus profondément marqué par Chateaubriand dont l’œuvre et la mémoire me hantaient déjà, depuis quarante-huit ans ! »

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De Gaulle chez Franco

par François Martin, Chroniqueur, conseiller municipal (PCD) de Mareil-sur-Mauldre,

membre fondateur d’ Amitié Politique

n sait que de Gaulle, après avoir quitté le pouvoir, ne voulait pas se trouver en France en juin pour ne pas avoir à « commémorer le 18 juin », dont il estimait qu’il parlait de lui-même. En 1969, il alla en Irlande sur la trace de certains de ses ancêtres. En juin 1970,

son premier projet était d’aller en Chine rencontrer Mao ; mais il change brusquement d’avis, et décide d’aller passer trois semaines en Espagne et de rencontrer le « Caudillo ». Pourquoi Franco ? C’est à cette intrigante question que répond ici François Martin.

En ce matin de juin 1970, le Général de Gaulle, qui a quitté le pouvoir depuis plus d’un an, prend sa voiture et part en Espagne. Il va rencontrer Franco. « Mais qu’est-ce qui lui a pris ? Quelle mouche l’a piqué ? », commente Claude Sérillon, présentant son livre « Un déjeuner à Madrid ». Il faut être journaliste, ou progressiste, pour employer des termes d’une telle dé-sinvolture pour rendre compte des motivations du Général, et du rendez-vous entre ces deux géants de l’Histoire. Car si Charles de Gaulle en est un, Franco l’est aussi indéniablement, quoi qu’on en dise. En gagnant la guerre d’Espagne, puis en roulant Hitler à Hendaye, le 23 octobre 1940, il s’assure de la neutralité de l’Espagne pendant la guerre après l’avoir sauvée du stalinisme, puis du nazisme.

Notre dette envers FrancoCeux qui ne veulent voir dans Franco qu’un petit dictateur fasciste de basse caste qui n’a

rien fait d’autre que « diriger d’une main de fer l’Espagne pendant 40 ans » (une « ordure », dit même un interviewer de Sérillon) se plaisent à confondre la pratique politique d’un homme et sa trace dans l’Histoire. Or nous savons que si certains hommes sont grands face à l’Histoire, ce n’est jamais grâce à leur pratique politique, qui est souvent peu morale (les exemples sont innombrables), mais bien par rapport à l’héritage historique qu’ils ont laissé, ce qui constitue leur legs véritable. Si l’on doit juger les hommes politiques, ce n’est pas par leurs « belles » actions inefficaces, mais par leur empreinte, et les actions qui ont servi, parfois bien plus tard, la cause de la paix ou, au contraire, de la discorde, de l’injustice et du malheur.

Abandonnons donc le commode et mensonger « romantisme » de la guerre d’Espagne, véhiculé par Hemingway, Malraux ou Frédéric Rossif. Si l’on veut, là aussi, « faire parler l’Histoire », et non pas « raconter une histoire » émotionnelle et enfantine, il faut bien lire cet épisode comme une tentative d’installer en Espagne un régime stalinien. C’est ce que montre la politique d’éradication de la religion commencée par les Républicains dès 1931, et surtout pendant la « Terreur rouge » à partir de 1936 (13 évêques, 42 000 prêtres, 2 600 religieux et religieuses massacrés pendant l’été 1936 ! Etaient-ils tous armés et combattants ?), l’assassinat du chef de l’opposition Jose Maria Calvo Sotelo le 13 juillet 1936, les exécutions de plus de 2 500 hommes, femmes et enfants madrilènes, supposément hostiles aux thèses républicaines (les enfants aussi ?), à Paracuellos del Jarama, près de Madrid, entre le 7 novembre et le 4 dé-cembre 1936, le « Katyn » espagnol. Le fait que l’avion du Dr Georges Henry, représentant de la Croix-Rouge, venu enquêter sur ces massacres, ait été abattu au retour, le 8 décembre 1936,

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par deux avions soviétiques, le fait que l’ordre de destruction en ait été donné par Alexandre Orlov, agent de Staline et conseiller en chef de la sécurité intérieure et du contre-renseigne-ment auprès du gouvernement républicain de Madrid : tout concourt à montrer que cette série d’événements n’était nullement due au hasard, mais dessinait clairement, avec cette lo-gique monstrueuse et cette brutalité extrême si caractéristique de Staline, une stratégie de prise de pouvoir sur l’Espagne, qui aurait bien pu réussir.

C’est bien ce « sauvetage » de l’Espagne des griffes de l’ogre soviétique, cette prise de pos-session indéniable de l’Histoire par Franco (« mission » dont il était lui-même totalement im-prégné, selon Michel de Castillo, auteur du passionnant « Le temps de Franco », Fayard, 2008), que les dirigeants occidentaux de l’époque savent lui devoir. Comment penser que les alliés auraient pu débarquer, soit en Afrique, soit en France, pris en tenailles, dans tous les cas, entre deux totalitarismes ? Jamais, il est facile de le comprendre, Roosevelt n’aurait pris un tel risque. Il ne l’aurait pas fait, et l’Angleterre aurait fini par tomber. Nous aurions été rouges ou bruns…

L’Espagne était donc, dès 1936, la clef de tout l’équi-libre européen, raison pour laquelle Staline, qui voulait pouvoir prendre les nazis à revers si nécessaire, a tout fait pour s’en emparer, sans y parvenir. L’action de Franco a été déterminante. Il n’est pas la « petite ordure fasciste » comme le dit la gauche. Il est, rien de moins, le person-nage le plus important de toute la guerre. A l’évidence, au regard de l’Histoire, et non pas de sa pratique politique, il est l’un de ceux, ces dirigeants le savent bien, qui ont sauvé l’Europe. L’autre est évidemment Staline lui-même, qui a bloqué le mouvement stratégique des nazis vers le pétrole de Bakou, puis a cassé les reins de la Wehrmacht à Stalingrad, puis à Koursk. Et si Franco a « serré la main d’Hitler » (mais ne lui a rien cédé) à Hendaye, ces grands dirigeants n’oublient pas qu’ils ont eux-mêmes longuement serré à Yalta la main de Staline, « l’homme de fer » aux 20 millions de morts, qui sera leur allié de circonstance, puis leur adversaire par la suite. C’est le résultat final qui comptait pour eux, et pas les belles postures moralisantes des carriéristes médiatiques.

A l’époque, une époque où la nation a encore un sens, où elle n’est pas encore noyée dans un « droit-de-l’hommisme » larmoyant alibi des pires totalitarismes, il n’y a pas de doute, pour ces grands hommes d’Etat occidentaux, sur la dette qu’ils ont vis-à-vis de Franco. La preuve en est que les USA de Dwight Eisenhower, dès son arrivée au pouvoir en 1953, signeront avec l’Espagne le solide Traité (économique et militaire) de Madrid, persuadés qu’ils sont tant de leur dette vis-à-vis du dirigeant espagnol que de l’importance du pays, qui ne doit pas s’effon-drer au moment où se reconstruit le reste de l’Europe. Eisenhower viendra le confirmer par une visite à Madrid, le 21 décembre 1959.

De Gaulle veut « boucler la boucle »Lorsque de Gaulle monte dans sa voiture ce matin-là, pour traverser toute la France et

l’Espagne, seul avec sa femme et son aide de camp, et sans aucune escorte, aucune « mouche ne le pique ». Il sait tout cela parfaitement. Il n’est pas « vexé par les français qui l’ont chassé » (puisqu’il avait lui-même mis en scène son départ), il ne « s’ennuie » pas (puisqu’il est tout absorbé par ses Mémoires), il ne « se fiche pas des opinions publiques » (sinon, il y serait allé plus tôt), comme le laisse entendre Sérillon avec autant de persiflage que d’incompétence. Il sait, il

En gagnant la guerre d’Espagne, puis en roulant Hitler à Hendaye, le général Franco s’assure de la neutralité de l’Espagne pendant la guerre après l’avoir sauvée du stalinisme, puis du nazisme.

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sent qu’il lui reste peu de temps à vivre (il mourra cinq mois plus tard, le 9 novembre 1970). Il a fini son œuvre politique, mais pas son œuvre symbolique, par rapport à l’Histoire, ce à quoi il pense, lui le mystique de l’Histoire, sans arrêt. Il veut « boucler la boucle ». Pour cette raison, il tient à rédiger ses Mémoires (il n’aura pas le temps de les finir). Il veut aussi visiter les derniers géants encore vivants, les acteurs de la grande œuvre de recréation du monde moderne qu’il a contribué à accomplir : Franco et Mao.

Ces hommes, il est probable qu’il aurait voulu les voir depuis longtemps. Pour l’un comme pour l’autre, l’ostracisme occidental (on se souvient que la Chine ne « s’ouvrira » qu’avec la visite de Nixon à Pékin en février 1972), ou un certain sens, malgré tout, des convenances politiques ou, pour ce qui est de Franco, la volonté de ménager la gauche intellectuelle l’em-pêchait de le faire tant qu’il était « aux affaires ». Maintenant qu’il est politiquement libre (« silencieux », dira-t-il), rien ne s’oppose plus à son dernier dessein.

Il pense aussi pouvoir servir, encore un peu, la cause de la paix, persuadé qu’il est que ni la Chine ni l’Espagne n’ont vocation à vivre durablement « au banc des nations » et qu’il faut commencer à les réconcilier avec les autres. Il pense pouvoir, par ce voyage, à la fois très sym-bolique et très peu médiatique, y contribuer. Et pour cela, le choix du 8 juin 70 pour cette rencontre, bien près de la date anniversaire du 18 juin, comme pour dire à Franco « vous n’avez pas été au début de cette guerre, ni à la célébration de la victoire, mais je reconnais par cette visite que vous en avez été l’un des grands acteurs », est évidemment tout sauf un hasard.

On sait que de Gaulle avait d’abord voulu aller à Pékin. Les préparatifs de ce voyage étaient bien avancés. Pourtant, en décembre 1969, le Général change brusquement d’avis, et décide d’aller d’abord à Madrid. Pourquoi ? A l’évidence, le symbole historique est primor-dial. En effet, pour le Général, il l’a dit, c’est la guerre qui a été le cœur de toute son action, et son action politique en temps de paix (fondation de la Vème République) n’en a été que le prolongement. Par rapport à cela, Mao n’a pas été un acteur mais un « profiteur », si l’on peut dire, du conflit mondial. Sur ce plan, si Franco est central, Mao ne l’est pas, malgré la taille de son Etat. De plus, on peut penser qu’il a hésité, même alors qu’il n’était plus « aux affaires », à « briser le tabou » de l’ostracisme qui condamnait Franco. Malraux, par exemple, a dit que si de Gaulle était allé à Madrid pendant son mandat, il aurait démissionné. Le Gé-néral a mis du temps, sans doute, à se convaincre lui-même. Enfin, un aspect a certainement joué en faveur de sa décision. En effet, Franco désigne Juan Carlos officiellement comme son successeur le 22 juillet 69. Ce dernier fera même un passage à la TV française à l’automne 69, puis un voyage à Bruxelles, pour rencontrer Jean Rey, le Président de la CEE, le 6 décembre 69. L’Espagne franquiste annonce ainsi son crépuscule, alors que renaît « l’Espagne éternelle ». On peut penser que ces éléments ont levé les dernières préventions du Général, qui cher-chait comment réconcilier l’Espagne avec l’Europe depuis le début des années 60 (cf « C’était de Gaulle », Alain Peyrefitte), mais pour qui le régime était un obstacle incontournable, en tout cas pour les autres pays européens. On peut bien penser que ce n’était pas le cas pour lui-même, un homme empreint jusqu’à la moelle de réalisme politique, qui reconnaîtra la Chine communiste, malgré l’horreur absolue de son régime, dès janvier 64. Il est vrai que pour la gauche de l’époque, l’horreur chinoise ne posait pas de problèmes…

Ce qu’ils se sont ditCe que ces deux hommes se sont dit, dans le secret de leur rencontre, au regard du sym-

bole, a assez peu d’importance. On n’en sait pas grand’chose, à vrai dire, et c’est peut-être mieux ainsi. Ces deux vieillards recrus d’épreuves, rescapés de l’enfer de deux guerres mon-diales, et acteurs majeurs de la deuxième, avaient tant à partager, sans avoir même à parler.

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On sait seulement, comme Jean Mauriac, qui suivait le voyage pour l’AFP, l’a rappelé un jour sur Radio Courtoisie, que le Général a dit à Franco : « Vous avez fait en Espagne ce que je n’ai pas réussi à faire en France : rétablir la monarchie ». Il lui a aussi dit, ce qui a fait rugir les gaullistes : « En somme, vous avez été positif pour l’Espagne ». Rien à redire à cela, pourtant, puisque dès 1963, des conversations rapportées par Peyrefitte le confirment. Point confirmé d’ailleurs par le Général lui-même, puisqu’il lui enverra, quelques jours plus tard, une ma-gnifique lettre lui disant entre autres choses, « J’ai été heureux de faire votre connaissance, celle de l’homme qui assume, au plan le plus illustre, l’unité, le progrès et la grandeur de l’Espagne ». Historiquement, tout est dit.

Pour le reste, sans doute de Gaulle a-t-il été intéressé de voir à quoi ressemblait cet autre militaire, dont il avait su la bravoure exceptionnelle au combat, dans sa jeunesse marocaine. Sans doute voulait-il, lui le risque-tout flamboyant de la politique, comprendre d’où venait l’extraordinaire prudence, patience, solidité et résistance de l’espagnol, son exact contraire, « l’homme de marbre », mis au ban de l’Europe, qui, en 40 ans de règne, pratiquement sans bouger, a totalement transformé l’Espagne, à tel point qu’à sa mort, la monarchie constitu-tionnelle, qu’il avait préparée de si longue main, en pilotant Juan Carlos de bout en bout, ou l’intégration de l’Espagne dans l’Europe, se sont mises en place presque sans anicroche.

Peu importe, en fait, ce qui s’est vraiment dit. Mais ce jour-là, le Général de Gaulle a eu sans doute le sentiment, presque trente ans jour pour jour après l’Appel de Londres et le début de son étincelante vie politique, de refermer la porte de sa propre histoire. Et le fait qu’il ait tenu à le faire, silencieusement, mais solennellement, aux côtés de ce petit Espagnol, montre l’immense gratitude et respect qu’il avait pour lui.

De Gaulle, Franco : deux géants de l’Histoire

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Une image vaut mille mots

Tristesse de voir un enfant échangé comme une simple marchandise. Tristesse de voir la figure maternelle absente, alors qu’elle est si essentielle pour le développement de l’enfant. Tristesse de voir certains politiques trahir l’anthropologie et accepter la PMA sans père. Cette dernière sera un accélérateur pour la reconnaissance de la GPA, compte tenu de la rupture d’égalité qui sera souli-gnée entre couples homosexuels. Réconfort de voir des hommes et des femmes courageux dénoncer cette infamie au niveau international et organiser

un réseau de résistance pour éviter le trafic d’un être humain. Espérance de savoir qu’un jour vien-dra où seront dénoncées ces pratiques honteuses, comme les pratiques pédophiles soutenues par les libertaires dans les années 70 sont aujourd’hui dé-noncées. Désir, enfin, que le progrès médical soit toujours hippocratique et éthique et ne permette jamais de transgresser la loi naturelle.

Nicolas Tardy-Joubert, Conseiller régional (PCD)

Ile-de-France, fondateur de LMPT 78

Une dérive inquiétante de notre sociétéJe pense qu’il faut distinguer les deux sujets de cette photo : l’enfant et la sexualité de ses parents présumés. Concernant l’enfant, la marchandi-sation de l’humain ou d’une partie du corps hu-main est une dérive inquiétante de notre société. Le désir d’enfant est compréhensible, voire utile pour pérenniser ne serait-ce que notre système de retraite, et ce, que l’enfant soit élevé par deux pa-rents hétérosexuels ou homosexuels. Mais l’achat de gamètes et la location d’un ventre par des pa-rents, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels, m’interpellent. Pour dépassionner ce débat, disso-

cions l’aspect scientifique de l’aspect politico-so-ciétal sous-jacent. En effet, demain, peut-être, le clonage sera possible. Est-ce pour autant souhai-table ? Pour quel coût, et pour qui ce « service » se-rait-il réservé ? C’est là aussi une question éthique, décorrélée du débat LGBT ; car la vraie question n’est pas de savoir s’il y a des droits particuliers pour les gays mais quelles limites voulons-nous collectivement fixer aux scientifiques ?

David-Xavier Weiss, Premier adjoint à la mairie de Levallois-Perret,

Secrétaire général délégué du CNIP

Ne jamais transgresser la loi naturelle

Nous avons montré à quelques personnalités une même photographie en leur demandant de la commenter en quelques lignes :

exercice de regards croisés qui peut être assez pédagogique…

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Payé, livré ou tué selon les désirs adultesA partir de cette jolie photo, voici la belle his-toire que l’on nous raconte depuis des années et qui trouve son point d’orgue sous l’ère Macron. Ces deux jeunes hommes sont dans la joie : ô sur-prise ! un paquet envoyé au bout de neuf mois, pour raison de Covid sans doute ! Un enfant est né, un enfant leur est donné. Bien sûr, il a coûté cher mais … il est sans défaut et bien emballé. Ils sont heureux, leur désir de posséder l’enfant que la nature leur refuse est réalisé. Ils sont mariés que diable ! Ils ont donc droit à un enfant comme tout le monde. La technique le permet ? Alors, qu’ils la pratiquent sans état d’âme. Le principal est qu’ils soient heureux, égaux avec tous, et sans souffrance.Sans développer les questions déjà bien connues sur ce sujet : enfant sans père (PMA) ou sans mère (GPA), esclavage des femmes-porteuses, fin du lien humain pour la procréation (l’utérus artificiel est proche), il faut savoir où l’on en est. L’amende-ment 524 à l’art. 20 des dernières lois bioéthiques, voté à la sauvette fin juillet 2020 à l’Assemblée Na-

tionale ne peut que provoquer effroi, sidération, colère, et incrédulité de celui qui le découvre. En effet, cette loi aligne de fait sur l’IMG (Interrup-tion Médicale de Grossesse) le délai d’avortement d’un bébé jusqu’à la veille de sa naissance, et quel que soit son état de santé pour « détresse psy-cho-sociale » de la mère, notion reconnue par tous comme totalement floue.Voilà où nous en sommes : l’enfant peut être commandé, payé, livré, ou tué selon le désir des adultes. Le gouffre est sous nos pieds. Avec Macron qui s’en réjouit, la France se transforme en monstre barbare et nous entraîne dans la pire des violences. Cela suffit ! Le changement doit être radical. Nous, « Conservateurs », nous nous met-tons en route, avec toutes les personnes de bonne volonté et nous combattrons la barbarie par tous moyens pour la Paix jusqu’à la victoire finale : la dignité de tout homme.

Christine Boutin, ancien ministre, fondatrice du PCD

Un projet ni bio ni éthiqueCette photo représente parfaitement une étape de la longue marche vers le projet de loi prétendument « bio-éthique » qu’Emmanuel Macron veut faire avancer à tout prix, par pur cynisme politicien. Ce texte, qui légaliserait la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes seules et les couples de femmes, c’est-à-dire sans père et sans motif mé-dical, prétend aussi créer une nouvelle filiation, fondée sur la seule volonté. Comme deux femmes pourraient soi-disant être les « mères » d’un enfant, on voit ici deux hommes qui ne manqueront pas, comme certains déjà, de se prétendre les « pères » de l’enfant. On comprend ici qu’ils l’ont commandé à une agence de GPA, comme n’importe quel objet

ou service que l’on peut payer pour obtenir. Et en effet, ce projet de loi, qui n’est ni bio, ni éthique, met en place toutes les conditions pour légaliser ensuite la gestation pour autrui (GPA). Ce texte va en outre encore plus loin que les précédentes lois « bioéthiques » dans le mépris de la vie et dans l’op-tique de l’enfant zéro défaut, c’est-à-dire dans l’eu-génisme. Les promoteurs de ce projet de loi n’ont cure des plus faibles, seuls comptent les désirs des adultes : le statut même de sujet de droits qu’est tout être humain, quels que soient son âge et son état de santé, est piétiné par ce texte de la honte.

Ludovine de La Rochère, Président de « La Manif pour Tous »

Oublié, le principe de précautionVoilà le « monde d’après » que nous prépare Em-manuel Macron. Un monde où des enfants pour-ront légalement naître « sans père », par le biais de la PMA pour toutes, quand d’autres naîtront « sans mère » dès que, au nom de l’égalité, les couples d’hommes pourront, au même titre que les couples de femmes, réclamer la satisfaction de leur désir d’enfant. Cette majorité qui invoque à tout bout de champ le principe de précaution l’oublie quand il s’agit des enfants, de nos enfants. Emmanuel Macron aura failli sur toutes ses pro-messes. Que pourra-t-il revendiquer dans 600 jours lorsque l’heure du bilan aura sonné ? Une écono-

mie en berne avec un PIB qui devrait chuter de 10,6 % en 2020. Des crises sociales à répétition : gilets jaunes, réforme des retraites finalement pi-toyablement repoussée après avoir mis notre pays à genoux, un personnel de santé exsangue, des forces de l’ordre au bord de l’explosion, etc. Finalement, avec cette loi bioéthique, le Président de la Répu-blique tient enfin l’occasion de satisfaire son camp. À quel prix ? Celui de l’avenir de nos enfants … Cette loi sera son seul bilan. Et elle sera sa honte !

Emmanuelle Ménard, Député de l’Herault

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Le Conservateur de la Langue

L’Académie de la Carpette anglaise décerne chaque année, depuis 1999, un prix d’« indi-gnité civique » à une personnalité connue du grand public, membre des “élites” françaises qui s’est distinguée par son acharnement à pro-mouvoir la domination de l’anglais en France et dans les institutions européennes ou inter-nationales au détriment de la langue française.

Outre son président Philippe de Saint Ro-bert, figurent parmi ses membres : Eugénie Bastié, Natacha Polony, Anne Cublier, Benoît Duteurtre, Marc Favre d’Échallens, Yves Fré-mion, Marc Le Fur, Geoffroy Lejeune, Albert Salon, Ilyes Zouari, Paul Marie Coûteaux ...

Le prix de la Carpette anglaise a été créé par quatre associations de défense et de pro-motion de la langue française : l’Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française -ASSELAF, Avenir de la langue fran-çaise - ALF, Défense de la langue française - DLF, Droit de comprendre - DdC. En 2001, a été institué un « Prix spécial du jury » qui distingue les personnalités qui torpillent la di-mension internationale de notre langue.

Parmi les principales personnalités épin-glées, liste très éclectique, figurent - pour la France - Louis Schweitzer, PDG de Renault, Jean-Marie Messier, PDG de Vivendi Uni-versal, Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, France Télécom, le Conseil constitu-tionnel, Christine Lagarde, Martine Aubry, Guillaume Pepy, président de la SNCF, Pierre Moscovici, membre de la Commission euro-péenne, Anne Hidalgo, Olivier Schrameck, président du CSA (Conseil supérieur de l’au-diovisuel) ... - à titre étranger - Romano Prodi, président de la Commission européenne, Pas-cal Lamy, Jean-Claude Trichet, président de

la Banque centrale européenne, l’Agence fran-çaise pour les investissements internationaux (AFII) et l’Institut national de la propriété in-dustrielle (INPI), Tom Enders, président exé-cutif d’EADS, ENS (École normale supérieure) d’Ulm qui développe des filières uniquement en anglais.

Depuis 2018, l’Académie remet aussi un prix positif, dit « Tapis Rouge », honorant une personnalité, association ou société qui s’est illustrée dans le respect de notre langue : un prix fut décerné au regretté Michel Serres « pour avoir, le 18 octobre 2017 à Lille, exigé des organisateurs d’un colloque que les ora-teurs puissent utiliser la langue française » ; un autre au groupe hôtelier Jean-Claude Lavorel qui, après avoir racheté la flottille lyonnaise de bateaux d’excursion Lyon city boats, l’a rebap-tisée « Les bateaux lyonnais » ; et un dernier, à titre international, au Québécoiis Mathieu Bock Côté « pour la constance avec laquelle il fait vivre la coopération franco québécoise ». Ce qui prouve que cette Académie n’est pas composée de ronchons, et, surtout que notre langue compte encore sur tous les continents, et même en France, de vaillants défenseurs – en somme qu’il n’y a, en matière linguistique comme ailleurs, ni soumission obligatoire ni fatalité.

On ne saurait trop conseiller à nos lecteurs soucieux de la santé de notre langue de se re-porter aux nombreux échos que la Carpette an-glaise rencontre sur la toile - et de faire un petit effort propre à palier le récent (et inexpliqué) refus de l’AFP de diffuser l’annonce annuelle des prix : qu’ils la diffusent par leurs propres réseaux, ce sera pour tous un acte de dignité civique !

Prix de la Carpette anglaise 2019 - Communiqué : Réuni chez Lipp, le 4 décembre 2019, sous la présidence de Philippe de Saint Robert, le jury de la Carpette anglaise a décerné son prix au premier tour de scrutin, par 8 voix sur 10, à la Banque postale pour son offre de banque mobile dénommée «Ma French Bank», accompa-gnée d’une campagne publicitaire de sabotage linguistique. Deux voix ont été attribuées au député Joël Giraud (LREM) pour avoir prétendu à l’Assemblée nationale quew l’expression qu’il avait employée «name and shame» n’avait pas d’équivalent français – or l’équivalent «mise au pilori» existe. Le jury a par ailleurs décerné le prix spécial de la Carpette anglaise à titre étranger à Ursula von der Leyen pour tenter d’imposer la seule langue anglaise dans les textes officiels émanant de la Commission européenne.Contact : Marc Favre d’Échallens ([email protected]) Académie de la Carpette anglaise : 222 avenue de Versailles 75016 Paris

La Carpette anglaise à l’honneur

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Lecturespar Jean-Gérard Lapacherie,

agrégé de lettres, professeur émérite de langue et littérature française

Renaud Camus, Le petit remplacement (Pierre-Guillaume de Roux, 2019)

L’objet de cet ouvrage, ce sont des phéno-mènes inédits dans l’histoire de la France et de l’Europe. Pour les analyser et comprendre ce qui survient, Renaud Camus est contraint de former des mots nouveaux, décivilisation, déculturation, inhéritiers, ou d’user d’expres-sions neuves : petit et grand remplacement. Le préfixe dé- exprime la destruction ; in- a un sens négatif. Les processus que désignent ces néologismes sont contraires à la patiente élaboration d’une civilisation et d’une culture, qui se défont en quelques décennies. Le mot inhéritiers réfère à la doxa sociologique de Bourdieu et Passeron, lesquels croyaient en 1964 que les étudiants n’avaient pas à acquérir la culture, parce qu’elle était consubstantielle à leur condition de bourgeois. Un demi-siècle plus tard, ces héritiers ignorent tout ce dont ils sont censés avoir hérité. L’usage généralisé des prénoms, autre phénomène de décivilisation, est la forme que prend la même rupture : le patronyme s’efface, la lignée dans laquelle les individus s’inscrivent s’abolit : plus de passé, sans doute plus de futur. Parfois, ce sont les mots usuels, comme musique, dont Camus est contraint de rappeler le sens (« l’art des muses »), pour montrer qu’ils désignent des réalités qui naguère étaient étrangères à cet art. La dictature de la petite bourgeoisie est à la France moderne ce que la dictature du prolétariat était à l’ancienne URSS, à savoir la classe unique, qui se pense sans extérieur (hors d’elle, point de salut) et impose à tous ses normes, ses valeurs, ses patois et ses argots, ses coutumes et ses façons débraillées de se vêtir, son naturel. Ces phénomènes, apparem-ment divers, relèvent du même petit rempla-

cement : le culturel remplace la culture, les énoncés la langue, les variétés la musique, le formatage idéologique l’instruction publique, l’agit-prop l’art, la propagande l’information, la sauvagerie la civilisation. Ce petit rempla-cement précède le grand et le rend possible. C’est parce qu’il est déculturé et qu’il n’a plus de mémoire que le peuple de France se laisse remplacer peu à peu, sans trop regimber, dans le territoire qui est le sien depuis des millé-naires par un ou d’autres peuples qui n’ont rien en commun avec lui. Sur ce qui survient, le constat est juste et il est écrit dans une belle et grande langue française, qui est tout à l’op-posé du sabir petit-bourgeois des journalistes et des sociologues de cour.

J.G.L.

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Alain Finkielkraut, A la première personne

(Gallimard, 2019)

Dans cet essai, Finkielkraut reconstitue les étapes de sa pensée, telle qu’elle s’est consti-tuée en un demi-siècle. À partir de mai 1968, pendant près d’une décennie, il a milité « à la gauche du gauchisme », erreur qu’il explique par un effet de génération : il a fait comme tout le monde. La génération est une invention de la sociologie : sans autre horizon que le présent, elle déconstruit la verticalité et rend vaine la transmission. Or, cette explication est en contradiction avec ce qu’écrit Finkielkraut depuis qu’il a renoncé aux délires gauchistes. Pour se défaire de son nihilisme militant, il a opté pour les exercices d’admiration. À notre époque, où la dé-construction entrave toute herméneutique, l’admiration est salutaire. Finkielkraut la pratique avec talent, quand il réhabilite des auteurs incompris (Péguy, Bernanos, Kun-dera ou même Heidegger) ou qu’il donne du sens à des réalités méprisées (amour, nation, identité, haut langage, instruction). Pourtant, il étend cette admiration à Bar-thes et Foucault, qui ont nourri ses délires gauchistes. Dans les années 1960, Aron a pris acte de la mort de l’ENS. Cela aurait pu amener Finkielkraut, s’il avait choisi pour maître Aron, à se détacher de l’enseignement tout idéologique qu’il a reçu à l’ENS et à l’Université pour y préférer les lumières de la connaissance. Il s’attarde sur le cas d’Heideg-ger qui, en sa qualité de citoyen, a adhéré au socialisme national hitlérien. Au cours des siècles passés, des milliers de penseurs ont eu des engagements délirants, de Voltaire à Sartre et à Badiou. Leur œuvre n’en est pas pour autant marquée au sceau de l’infamie. Seule la pensée d’Heidegger l’est, non parce qu’elle a formé les déconstructeurs, dont Derrida, mais dans ce qu’elle a de meilleur : le concept d’arraisonnement, à savoir le fait que la raison technique transforme la nature et le vivant en ressources inépuisables pour l’industrie et le commerce. Enfin, Finkielk-raut voue une admiration justifiée à Hannah

Arendt et à ce qu’elle nomme amor mundi : il faut prendre soin du monde de peur qu’il ne se défasse. Chez Arendt, il est un autre thème, la tradition oubliée, que des juifs émancipés ont jetée aux orties quand ils se sont convertis à la modernité. Finkielkraut aurait pu développer ce thème pour rendre compte de ce qui se passe en France depuis quarante ans : l’effacement de toute tradi-tion et même du pays que quinze siècles de civilisation ont façonné.

J.G.L.

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LE NOUVEAU CONSERVATEUR - N°1 - Automne 2020

Culture, civilisations & patrimoine

« La maîtrise des mers et des océans revient toujours aux grandes marines nationales », écrivait Hervé Cou-tau-Bégarie dans La Puissance na-vale (1985). Dans cet esprit, Richard Labévière entreprend de redéfinir les nouveaux défis lancés à notre poli-tique maritime. La mer serait-elle un atout pour toute politique d’indé-pendance nationale ? Cette première lecture ouvre un dossier sur lequel Le Nouveau Conservateur souhaite revenir régulièrement, la mer et ses multiples enjeux, stratégiques, culturels et économiques. Nous le ferons notamment avec Richard Labévière, auteur de nombreux ouvrages de relations internationales, ancien rédacteur en chef de RFI, de la revue Défense (IHEDN), et rédacteur en chef de l’Observatoire de la Défense et de la Sécurité, qui signe là un ouvrage majeur préfacé par Jean-Pierre Chevènement, et sur lequel nous reviendrons.Un des atouts majeurs de la France est d’être le seul pays au monde à se déployer sur quatre continents à travers les océans et les mers de la planète. Une position unique. Et Richard La-bévière a raison de commencer son essai magis-tral, Reconquérir par la mer, en rappelant qu’au lendemain de l’effondrement de mai 1940 et de l’appel du 18 juin, la France Libre entreprit son œuvre de reconquête par la voie maritime. Il en donne plusieurs exemples saillants, rappelant que Saint-Pierre-et-Miquelon fut ainsi l’une des pre-mières terres françaises ralliées à la France Libre. L’optimisme de Richard Labévière pour « recon-quérir la mer » s’appuie notamment sur les trois cercles décrits par le général Poirier : la « stratégie navale », qui fixe la feuille de route de la Marine nationale, la « stratégie maritime », qui associe les secteurs civils et militaires pour défendre et va-loriser nos espaces maritimes et sous-marins, et « la politique maritime » qui, basée sur les deux premières, est portée par le pouvoir exécutif.« L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l’exploitation de la mer. Et na-turellement, les ambitions des États chercheront à la dominer pour en contrôler les ressources », clamait le

général de Gaulle à Brest en 1969. Richard Labévière se fonde sur un constat : le domaine maritime français est le deuxième au monde et le premier espace sous-marin au monde. C’est pourquoi « face aux abandons successifs de souverai-neté induits par la mondialisation, contraints par l’Union européenne et l’OTAN, écrit-il, la mer représente une fantastique opportunité de re-conquérir l’indépendance nationale et de liberté. » L’auteur rappelle les effectifs de la Marine nationale : 39 000 militaires, 3 000 civils, 10

sous-marins, 74 navires de combat et de sou-tien, près de 200 avions de chasse, de patrouille, de surveillance et des hélicoptères. Sur tous les océans et quotidiennement, la Marine nationale engage 35 bâtiments et mobilise 4 500 marins en permanence pour une sécurité optimale afin de préserver les intérêts du pays.Trois défis engagent cette marine exceptionnelle à l’horizon 2035 : « plus de moyens (sous l’eau, en surface, dans les airs et le cyber) ; plus de marins amarinés et aguerris ; enfin, des capacités entrete-nues et renouvelées pour faire face à tout l’éventail de menaces « hybrides » - des hypothèses de confron-tations les plus conventionnelles aux plus inatten-dues. » D’où la question : un second porte-avions serait-il utile, voire indispensable pour renforcer cette stratégie ? Richard Labévière en est certain, expliquant notamment qu’il permettrait de ga-rantir la mise en condition opérationnelle du Groupe aérien (une quarantaine d’aéronefs) en toutes circonstances, et « de procéder à des relèves pendant des missions de longues durées et d’entraî-ner les pilotes de relève ou en formation pour assurer l’aptitude à durer à pleine capacité du groupe aérien pour les missions longues et de combler, à terme, une lacune capacitaire européenne. »Et comme le note Jean-Pierre Chevènement dans sa longue préface : « C’est tout l’intérêt du livre de Richard Labévière : la France doit repenser sa géopolitique à l’aune du monde qui vient. ». Un livre indispensable pour éveiller les consciences à cette très vitale... reconquête.

La souveraineté par la mer par Gilles Brochard

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Culture, civilisations & patrimoine

par Catherine Rouvier,Docteur d’Etat en Droit public et en Sciences politiques, elle tient ici la chronique cinéma

comme elle le faisait lorsqu’elle était étudiante à la Faculté de Droit d’Assas.

« J’accuse » et « Les Misérables », deux films autour de deux écrits

our ma part, j’aime le Victor Hugo de « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la cam-

pagne … » et le Zola du «Ventre de Paris». Un des réalisateurs, Roman Polansky (auteur de « J’accuse »), profite de sa notoriété pour sé-duire les lolitas, l’autre, Ladj Ly (auteur de « Les Misérables »), propose d’infliger les pires sévices à Zineb (El Rhazoui) et Zemmour -une aver-sion pour les Z, sans doute. Je propose qu’on revienne au temps où, faute d’informations, on ignorait tout -ou presque- des créateurs, et l’on pouvait juger l’œuvre sur le mode « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ». Voir ces deux films en une seule soirée, l’un après l’autre, est fort instructif.

Dans « J’accuse », l’atmosphère froide et digne qui règne au sein de «la grande muette» comme dans le Service de Renseignement qui s’y trouve rattaché, les uniformes impeccables, la sobriété des échanges, une certaine distinc-tion jusque dans la trahison ou la méchanceté, la sobriété de locaux pourtant prestigieux, tout nous restitue la France de la fin du XIXème siècle, telle qu’on peut le supposer... Celle où les uni-formes caractérisaient - et honoraient - toutes les professions, de l’infirmière au garde-chasse en passant par les prêtres, les bougnats ou les ins-tituteurs. Celle d’un temps où «le beau sexe» se reconnaissait à mille pas, tant la tournure, même des plus humbles, était féminine, colorée, souple et ample, en contraste avec la tenue sombre et boutonnée jusqu’au col des messieurs. Celle d’encore avant, avec le son caractéristique du fer des roues et des sabots des chevaux sur les pavés de pierre. Alors, bien sûr, quelqu’admirable que soit le décor, l’homme reste l’homme. Bassesse, jalousie, amour de l’argent, préjugés, tout y est.

Heureusement il y a Picard, l’officier qui refuse d’accuser Dreyfus sans examen du dos-sier. Pour être honnête, j’étais curieuse du per-

sonnage dont j’ignorais tout. Je ne sais si Jean Dujardin lui est tout à fait conforme, mais il est en tout cas parfaitement crédible, sûrement un exploit pour un acteur aussi blagueur (pendant deux heures et demi, il parle peu et ne rit ja-mais !). Il est dans le film ce que devrait être tout juge, administrateur ou dirigeant, non exempt d’affects et de préjugés, mais ne laissant ni les uns ni les autres dicter sa conduite.

Avec « Les Misérables », on passe à la France d’aujourd’hui, ou les « quartiers » de demain, surtout si la bonne vieille autorité de l’Etat ne se restaure décidément pas «pour tous» et conti-nue à préférer éborgner ou mutiler l’étudiant, le mécano ou l’infirmier venu pleurer misère dans les beaux quartiers le samedi. Le film narre la terrible vengeance que vont exercer les jeunes de la «cité» vis-à-vis des trois policiers de la BAC en civil et voiture banalisée qui ont l’illusion de «tenir» le quartier, où l’un d’entre eux, pour-tant né sur place et musulman, a tiré, excédé. Poursuivant une trentaine de gamins originaires d’Afrique noire ou méditerranéenne, encagou-lés, ils seront piégés dans un immeuble : issues bouchées, bouteilles de verre lancées dans l’œil de l’un, torches brûlantes dirigées sur les trois policiers ne pouvant s’échapper. C’est le dernier arrivé des policiers, plutôt humaniste, qui a soi-gné le gamin blessé et a cru avoir désamorcé la colère et la vengeance, qui se retrouve, à la der-nière image, face au gamin qu’il a soigné. Ce dernier tient la torche qu’il va lancer sur lui pour le tuer. Il sort son pistolet et vise... On ne saura ni la suite, ni la fin.

Ce qu’on saura en revanche c’est que le réali-sateur pense, comme Victor Hugo : « Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mau-vais hommes. Il n’y a que de mauvais cultiva-teurs ». C’est alors que surgit l’image des imams, anciens trafiquants ayant acquis la sérénité, vou-lant sauver ces petits prédélinquants. La recon-version par la mosquée ! Finalement les injures du réalisateur vis à vis de Zineb et de Zemmour ne sont peut-être pas dues a une phobie du Z.

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onvergence des luttes et confusion des idées : Greta, intersectionnels, indigé-nistes, vomissent l’Occident. Si l’on

suit la pensée dominante qui inonde le discours radio-télévisé (décolonialisme, féminisme radical, antiracisme, suspicion généralisée sur quiconque a quelques moyens), on peut esquisser le portrait-ro-bot du coupable : c’est un homme, blanc, raciste, et hétérosexuel.

La rapidité avec laquelle certaines idées cir-culent puis s’intègrent dans le discours radio-télé-visé est stupéfiante. Ainsi, en sus de son combat pour l’écologie, dans un mouvement « intersec-tionnel » perpétuel, Greta Thunberg est-elle par-venue à désigner les fautifs : les anciens pays co-lonisateurs (uniquement les pays occidentaux), les racistes (uniquement les Blancs) et les systèmes pa-triarcaux (hormis ceux de la tradition coranique). Ainsi a-t-elle déclaré : « La crise climatique ne concerne pas seulement l’environnement. C’est une crise des droits de l’homme, de la justice et de la volonté politique. Des systèmes d’oppres-sion coloniaux, racistes et patriarcaux l’ont créée et alimentée. Nous devons les démanteler. » De la même manière, dans un entretien au New York Times, Adèle Haenel a pu expliquer que la « vraie censure dans le cinéma français, c’est l’invisibilisa-tion » ; et de questionner : « Où sont les gens racisés dans le cinéma ? », et conclure : « Pour l’instant, on a majoritairement des récits classiques, fondés sur une vision androcentrée, blanche, hétérosexuelle ».

L’homme, blanc, raciste, hétérosexuel cumule ces tares sur une seule aire géographique : l’Occi-dent. Selon ce mythe, lui seul a colonisé des terres, a conquis des territoires, a fait de la traite des noirs africains un commerce monstrueux et lucratif, a condamné les femmes aux pires tourments et à « l’in-visibilisation ». Et lui seul a des comptes à rendre.

Ce mouvement qui fonctionne jusqu’à la bê-tise et aimerait bien passer pour révolutionnaire, n’est en réalité qu’une façon de prendre le pouvoir en différents points stratégiques, l’université en tête, de faire briller la coquille vide du « moi », ce « moi » qui ne regarde que lui et a trouvé dans le discours victimaire et « intersectionnel » le moyen de faire croire qu’il regardait aussi, de temps en temps, ailleurs, c’est-à-dire hors de lui, voire loin de lui. Ce qui n’est pas le cas.

Cette double ambition, pouvoir pragmatique et valorisation du « moi », n’est pas antinomique, et la « pensée » intersectionnelle est une arme efficace

qui sert aussi bien l’une que l’autre. À l’intersec-tion des potentielles et supposées discriminations auxquelles m’exposent ma couleur de peau, mon orientation sexuelle, mon obésité, mon handicap, mon accent, mon âge, mon « genre », je peux exhi-ber mon « moi » unique et égoïste, étaler une fausse compassion, cacher un véritable ressentiment, et bousculer ce que j’appelle l’ordre établi et domi-nant, lequel est idéalement représenté par l’homme blanc hétérosexuel occidental de plus de cinquante ans que j’entends chasser… pour prendre sa place.

Ainsi voyons-nous aujourd’hui, en France, de plus en plus souvent, des ateliers non-mixtes ou des « camps décoloniaux » refuser leur accès aux hommes blancs hétérosexuels, sous prétexte de « se défaire du joug du dominateur ». Ainsi avons-nous entendu le Président de la République évoquer à deux reprises les « mâles blancs » quadras ou quin-quagénaires (lors de son discours au Collège de France sur l’Intelligence Artificielle et lors de la pré-sentation du plan « banlieues »). Sous l’influence de « concepts » anhistoriques, anachroniques et « in-tersectionnellement » victimaires, Greta Thunberg, Adèle Haenel, Delphine Ernotte (PDG de France Television) et quelques autres participent au même mouvement de dénonciation du même coupable et jubilent de voir leur moi-versalisme bavard rem-placer le vieux, l’encombrant, l’historique et philo-sophique universalisme. La quête de vérité, la saine curiosité, l’envie de lire autre chose que des tracts, les notions de Bien et de Mal, se voient évincées par des valeurs progressistes portées en étendard et variant au gré des modes ou des ambitions per-sonnelles. Le « moi » décomplexé et ignorant a des combats dont il est fier et qui finissent en parades. Cela suffit à le satisfaire.

Mais ces luttes « intersectionnelles » et factices ne tromperont leur monde que le temps de l’éta-lage complet de leur bêtise. Déjà, Etienne Balibar a réagi très vivement lors d’un débat entre étudiants et universitaires plus ou moins « racisés » mais to-talement « décoloniaux » lorsqu’un intervenant a réclamé « le meurtre du philosophe blanc hétéro-sexuel » : « Il n’y a pas un seul raisonnement, pas une seule construction de pensée, pas une seule critique dont vous pourrez dire “Ah oui, là, ça vient du fond de l’Afrique !” Pas du tout ! Tout ça provient de Hegel, à travers Fanon ». À force de pousser pépère dans les orties, même le plus conci-liant des pépères se rebiffe …

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Jeff, pourquoi des tulipes ? par Jean-Luc Marsat,

analyste (ingéniérie énergétique et financement durable)

Au cours d’une promenade qui se voulait bucolique dans le bas des Champs-Elysées, près du Jardin des abords du Petit Palais et du Carré Ledoyen ... Et soudain : une vision extra-naturelle, inquiétante et incongrue. Comme mû par une force chtonienne, un bras énorme semble avoir percé la croute du sol, et s’être figé, dressé vers le ciel, serrant dans son poing quelque chose comme ..., comme un faisceau de ... ?, de quoi ???

Renseignements pris, il s’agit d’une œuvre d’art (contemporain), un cadeau des USA à la France, conçue par un artiste (américain, of course), très représentatif « d’un certain art acclamé par le marché » : l’illustre Jeff Koons. L’idée initiale était de l’Ambassadrice des USA à Paris : apporter à la France un témoignage de soutien à la suite des attentats de 2015. Le projet s’est ensuite concrétisé sous la houlette inspirée de l’auteur, qui a choisi ce sujet : ‘Bouquet of tulips’. Critiques et prise de positions pour ou contre n’ont pas manqué, en voici une nouvelle.

Cher Jeff, Merci pour ton idée originale qui s’intègre

si bien dans notre décor parisien ...Ainsi donc, c’était des tulipes !Mais pourquoi brandir un bouquet

(comme d’autres brandissent une kalashnikov) si c’est pour l’offrir ? On a vu geste d’offrande plus aimable et plus délicat. On tend un bou-quet pour l’offrir, pas pour l’imposer.

Par contre, grain de peau, pores, micro-plis, ces détails de surface, sont bien rendus.

À l’inverse, l’anatomie est à revoir. Cette ligne brisée du pouce plié : irréaliste !

Et puis, ces tulipes ... Quand même ! Nous, en Europe, on les veut avec une tige bien ferme, bien droite. Les tiennes sont molles et avachies. Un peu raplapla, le symbole de l’amitié entre nos 2 peuples !

« Le bouquet de tulipes » de Jeff Koons

Non seulement ramollies, mais bien dodues et enrobées. A moins qu’elles ne soient enrubannées, ou emballées à la manière de Christo. Quoique ... non, elles sont enturbannées ! Je n’avais pas compris d’emblée l’allusion étymologique : la tu-lipe a été importée de Turquie et le mot ‘tulipe’ vient du turc ‘tülbend’ (ou ‘tolipend’), qui signi-fie turban.

Pour finir, une question me taraude depuis le début : pourquoi des tulipes ? Serait-ce un clin d’oeil nostalgique à ton passé d’ancien courtier à Wall Street ? Car la première crise spéculative dans l’histoire économique a été celle dite des tulipes, au XVIIème siècle ... Ou une allusion à ta réputation de businessman avisé, dans un marché de l’art très financiarisé ? Les tulipes et l’argent ont en effet un point commun, ou plutôt une absence commune. Un bouquet de tulipes a beau être bouquet, il n’en a pas. L’argent n’a pas d’odeur, la tulipe n’a point de parfum (au grand regret de Théophile Gautier).

« No flower is perfect », n’est-ce pas, Jeff ?

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Conservateurs & Souverainistes« Il y a trois seules choses qui assureront le repos de la France

et que l’on ne doit jamais séparer : la religion, le trône et les libertés publiques. »François-René de Chateaubriand

ans doute aurions-nous dû intituler cette ultime rubrique, consacrée à la vie du mouvement conservateur, « Souverainistes, Populistes et Libéraux » puisque c’est à l’intérieur de ce triangle que s’inscrit l’esprit conservateur, empruntant à ces

trois familles sans toutefois aller jusqu’aux aspérités de leurs angles respectifs : le libéralisme, pour salvateur qu’il soit aujourd’hui, n’en a pas moins empli d’un fatras de contradictions qui en égarent le sens, et d’aspérités qui, le libre-échange notamment, comportent d’innom-brables dangers ; il n’en reste pas moins que le libéralisme est l’une des inspirations principales des conservateurs contemporains, d’abord quant au refus du jacobinisme, notamment dans sa version fiscale devenue démente, à l’effacement dangereux des corps intermédiaires, et celui des libertés publiques, dont « l’affaire Covid » montre qu’elles sont menacées par un to-talitarisme techno-progressiste doté de moyens de coercition et de propagande effrayants. Au reste, contrairement aux aimables auteurs de la récente et bienvenue revue Front Populaire dé-nonçant l’« ultra-libéralisme », nous ne croyons guère que pareil vocable s’applique au monde contemporain, lequel est tout sauf libéral – en fait, il est totalitaire, soit tout le contraire.

Quant au populisme, c’est peu dire que tout nous pousse aujourd’hui à en comprendre les ressorts tels que les exprime depuis 50 ans, hélas sans effet tant il est isolé, le Front national et, plus profondément, des mouvements populaires tels que les Bonnets rouges et les Gilets jaunes : car la haine de soi qui saisit nos élites techno-progressistes n’est rien moins qu’une gifle administrée à un peuple que la propagande médiatique, le dévoiement des institutions (qu’on songe à la confiscation du référendum de 2005 ou celle de l’élection présidentielle de 2017) et finalement la négation de la démo-cratie, renvoient sans cesse aux ténèbres de l’obscurantisme retardataire. Nous autres conservateurs ne craignons pas le populisme, mot dont usent les oligarchies pour disqualifier le peuple quand le peuple leur échappe, le sou-ci du peuple s’inscrivant dans la tradition d’un Lamennais ou des figures du catholicisme social, et rappelant sans cesse l’Etat à son devoir de protection. Quant au troisième angle, la souveraineté nationale, populaire et culturelle nous en avons rappelé ici les nécessités, le souverainisme étant pour le XXIème siècle ce que fut le gaullisme au XXème et le conservatisme au XIXème, c’est-à-dire la perpétuation de la politique capétienne la plus classique.

Ce ne sont là que les prémices d’une réflexion que nous mènerons dans notre prochain dossier (« Que signifie être conservateur ? ») et que l’on retrouvera dans le récent ouvrage de Jean-Frédéric Poisson « La Voix du peuple ». D’ores et déjà, observons le renouveau de la pen-sée conservatrice avec notre vieil ami québécois Mathieu Bock-Côté qui revient ici sur l’œuvre de Roger Scruton, mais aussi le foisonnement intellectuel dont témoignent des cercles tels que l’IPC, dont Francis Jubert reprend les actes d’un récent colloque, ou le Cercle « Amitié poli-tique » que présente Thierry Boutet. Mais, si nous avons vu ici les victoires du conservatisme social en Grande-Bretagne et en Pologne, il reste à le rendre victorieux en France : dans un roboratif entretien, Ivan Rioufol montre qu’il se heurte de plein fouet à la nouvelle « trahison des clercs » tandis qu’Emmanuelle Ménard montre sans mâcher ses mots que, sur le terrain électoral, et sur la nécessaire union des droites, tout reste à faire …

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Municipales 2020 : les enseignements politiques

Béziers et Perpignan, deux laboratoires

par Emmanuelle Ménard,Député de l’Hérault

mmanuelle Ménard occupe une place singulière, et panoramique, dans la droite française. Elue député avec le soutien du FN, de DLF, du SIEL et du MPF dans la circonscription de Bé-ziers (deuxième ville de l’Hérault, dont son mari est maire depuis 2014), celle qui détient

la propriété du terme «union des droites» s’est révélée particulièrement active à l’Assemblée Nationale, ce qui lui vaut l’estime et souvent l’amitié de nombreux élus LR –le mensuel « Capital » l’inscrit parmi les 50 (sur 577) députés les plus actifs, chose remarquable pour un premier mandat. Nous lui avons demandé quelles leçons nous pouvions tirer des élections municipales de mars et juin dernier : occasion de faire avec elle un tour d’horizon de l’état de la droite française à partir des deux cas qu’elle juge emblématiques, de Béziers et Perpignan –on pourrait y joindre Orange, où Jacques Bompard fut réélu pour un cinquième mandat avec 56,5% des voix alors qu’il affrontait un candidat du FN. Le moins que l’on puisse dire est que notre député « non inscrit » ne mâche pas ses mots, ce dont nous la remercions vivement.

Les victoires de Louis Aliot à Perpignan et de Robert Ménard à Béziers sont … un nouvel échec pour le Rassemblement National. Ils sont la preuve qu’on ne peut gagner des villes d’im-portance en adoptant la stratégie prônée par le parti de Marine Le Pen. Celui-ci compte, à l’issue de ce scrutin, moitié moins de conseillers municipaux qu’en 2014. Les chiffres sont plus forts que la propagande…

Aujourd’hui, ni les Biterrois, ni les Perpignanais ne sont prêts à voter massivement pour un candidat s’affichant avec la flamme tricolore du RN. Pourtant membre de ses instances diri-geantes – et même numéro deux ou trois, on ne sait plus très bien – Louis Aliot l’a bien compris qui n’a jamais apposé sur ses affiches le nom, le sigle ni même les initiales de son parti. C’était le prix à payer de cette belle victoire qui nous a tous réjouis. Il s’est « notabilisé », se souciant avant tout d’apporter des réponses concrètes aux habitants de sa ville. Et il a eu raison.

Échec du RN, et des partis en généralÀ Béziers, le résultat du vote, dès le premier tour – 68,74 % des suffrages – est sans appel.

Robert Ménard est le maire le mieux élu de toutes les villes de plus de 75 000 habitants ! Il le doit, d’abord, à sa gestion, à cette ville transformée dont les Biterrois sont si fiers. Mais aussi à une stratégie qui a ringardisé tous les partis politiques. Pour mémoire, Les Républicains n’ont même pas réussi à franchir la barre des … 5 % ! Et pourtant, personne ne peut dire que le maire de Béziers a mis son mouchoir dans sa poche. Il a dû faire face, tout au long de son mandat, à une guerre ouverte de la plupart des médias - nationaux mais surtout locaux – et d’une coalition regroupant les notables de la politique, de la droite molle à l’extrême-gauche. Des polémiques à répétition qui, loin de le desservir, ont contribué à resserrer les liens entre tous ceux qui sont

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aujourd’hui exaspérés par une politique de mépris à l’égard des petites villes, du « petit peuple », des « petites gens ».

Échec pour le RN, disions-nous, et donc succès pour cette union des droites que je prône, avec Robert, depuis des années ? Eh bien non, il faut l’avouer. Quand, il y a plus de quatre ans, nous avions réuni, à Béziers, le ban et l’arrière-ban de ce que nos ennemis dénoncent comme « l’extrême droite » et une poignée – une bien petite poignée, il faut le dire – de la droite « de gouvernement », nous avions en tête de mettre autour de la même table les responsables des différents partis, du Front National de l’époque aux Républicains, en passant par ceux de plus petites formations, comme le Parti chrétien-démocrate, Debout La France ou le CNIP. Ce fut un échec. Depuis, jamais nous n’avons réussi à briser le mur qui sépare les états-majors. Pas plus au niveau national que lors des dernières municipales.

Est-ce à dire que nous devons nous résigner à perdre les batailles à venir ? Bien sûr que non. Nous pouvons gagner – Perpignan et Béziers l’attestent – mais à condition de nous détourner des partis et de leurs logiques boutiquières, qui nous condamnent à des défaites annoncées. L’union des droites se fera contre leurs dirigeants, contre leurs egos, contre leurs jeux de billard à vingt-trois bandes. Si une com-mune n’est pas un pays, la logique de la victoire est la même : elle est d’abord affaire de personnalité, de langage, d’une façon d’être avec les autres. Mais aussi de travail, d’engage-ments tenus, de parole donnée et respectée. Et de réalisme.

Il serait temps pour beaucoup de ceux qui aspirent aux premiers rôles de se frotter au réel. Pas celui des sorties de meeting et de leurs lots de selfies. Pas celui des batailles d’appareil. Pas celui des plateaux télé et des éditos. Nos concitoyens n’attendant pas de nous de pérorer sur Antonio Gramsci, Jean-Claude Michéa ou Hannah Arendt – je choi-sis à dessein des auteurs qui nous aident vraiment à penser le monde – mais de proposer une véritable alternative à une classe politique qui nous conduit dans le mur. Beaucoup l’ont imaginé sous les traits d’Emmanuel Macron. On sait ce qu’il en est advenu. Aujourd’hui, d’autres la rêvent chez les Verts. Ils ont en commun d’être du côté du manche, de ceux qui s’en sortiront toujours, de ceux qui regardent nos villes du Sud et ce qu’elles incarnent avec condescendance et mépris.

À la droite qui s’assume, il faut un nouveau visageVous l’avez compris, Perpignan et Béziers sont, à mes yeux, des laboratoires. Pas de « l’ex-

trême-droite », comme l’écrit une partie de la presse. Mais de cette droite que l’on dit populiste parce qu’elle aime et sert le peuple, qui respecte l’autorité de l’Etat (et demande même son réta-blissement), finalement décomplexée quant à l’affirmation de ses valeurs : une droite qui prône un pouvoir qui soit à la fois fort parce qu’il est légitime, proche et protecteur.

Après ces municipales qui ont définitivement montré les limites de la stratégie du RN, il nous faut d’urgence présenter le visage qui incarnera, non pas notre camp, mais la France des oubliés, de tous ceux qui se sentent menacés dans ce qu’ils sont. Sûrement pas chez les Répu-blicains : ils peuvent toujours mettre en avant leurs positions maintenues dans de nombreuses villes, ils n’en font pas moins partie des vestiges d’un monde qui s’écroule …

Et si ce nouveau visage nous venait justement de ces élus qui ont fait leurs preuves au plus près de leurs concitoyens, dans ces villes qui incarnent ceux qui sont, eux, de quelque part ?

Après ces municipales qui ont définitivement montré les limites de la stratégie du RN, il nous faut d’urgence présenter le visage qui incarnera, non pas notre camp, mais la France des oubliés, de tous ceux qui se sentent menacés dans ce qu’ils sont.

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Ivan Rioufol : « Aujourd’hui, l’opposition est entre

enracinés et déracinés »

igne successeur de l’auteur du fameux « Boc-notes » lancé en son temps par François Mauriac, puis repris par Max Clos, Ivan Rioufol décrypte chaque ven-dredi dans les colonnes du Figaro cette France fracturée et « bousillée » qui a

donné naissance au phénomène des « gilets jaunes », soulignant en parallèle ce qu’il dénonce comme étant « l’idéologie de propagande d’État ». En pamphlétaire mais se considérant surtout comme un « journaliste de terrain », Ivan Rioufol sonne, dans Les Traîtres, qui vient de paraitre aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, la charge contre « l’humanisme macro-nien, insensible à l’âme des peuples », lui reprochant cette obstination à ne rien comprendre au malaise des Français révoltés, venus de tous les horizons, au bord de la guerre civile. Comment ne pas y voir en filigrane une véritable crise identitaire ? « Quand le chef de file des députés en marche LREM, Gilles Legendre, écrit-il, déclare en décembre 2018 : « Notre erreur est d’avoir probablement été trop intelligents, trop subtils », sa vanité est celle de Fran-çois Guizot qui, en 1830, assurait : « C’est nous qui avons l’intelligence des temps nouveaux. » Adepte comme Renaud Camus du « Grand remplacement », Ivan Rioufol met en garde nos politiques universalistes et antiracistes contre cette « mue civilisationnelle » qui a atteint les quartiers, les communes et les départements touchés par « un changement ethnique et culturel d’une société dans laquelle l’assimilation est devenue un mot oublié. »

Entretien avec Ivan RioufolÊtre conservateur, est-ce pour vous être forcément un réactionnaire ?Non, mais il y a un cousinage, un air de famille. Le réactionnaire est un impatient. Il réagit dans l’instant aux sottises de la modernité. Il « prête son concours à une réaction politique », pour reprendre l’unique définition qu’en donne mon Larousse deux-volumes de 1923. Le conservateur est plus posé, plus réfléchi, plus prudent peut-être. Mais tous deux veulent défendre le meilleur d’un même héritage. C’est une question de rythme, de tempérament. Pour ma part, je me sens les deux à la fois.

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Aujourd’hui, n’avez-vous pas l’impression que les barrières gauche-droite ont craqué et que de nouvelles lignes de fracture se sont dessinées dans le paysage politique ? Selon-vous quelles sont-elles ?Les excès du mondialisme ont bouleversé les équilibres politiques. Aujourd’hui, l’opposition n’est plus entre la droite et la gauche. Elle est entre les enracinés et les déracinés ; entre les perdants de la mondialisation et les bénéficiaires de la mondialisation. Les enracinés habitent surtout dans la France modeste et silencieuse. Ils sont aussi bien à droite qu’à gauche. Chez les déracinés, se retrouvent ceux de la métropole cosmopolite et ceux de la banlieue d’immi-gration. Le macronisme s’adresse à ces déracinés, c’est-à-dire à la fois aux bourgeois et aux minorités. Mais, ce faisant, son discours n’est pas construit. Il lui manque la charpente.

Faites-vous une différence entre communautarisme et séparatisme ? Comment aborder ce sujet brûlant en le dépassionnant ?Ces deux mots sont des éléments de langage avancés par Emmanuel Macron. Mais ils servent à obscurcir la lutte contre l’islam politique, qui utilise le communautarisme pour accéder au séparatisme. Il serait plus simple de dire que l’islamisme est l’ennemi, plutôt que s’en prendre à ses effets. C’est la source qu’il faut tarir. Macron n’ose pas appeler un chat un chat. Il avance en crabe. Autant dire qu’il recule.

Vous écrivez que « c’est dans les plis du multiculturalisme, où les hommes sont interchangeables et les cultures équivalentes, que se développe une contre-société islamique alimentée par le flux de nouveaux venus maghrébins, subsahariens ou proche-orientaux. » Est-ce la fin du modèle français ?Oui. La France s’est construite sur l’assimilation et l’unité. Or depuis près d’un demi-siècle, au nom de l’idéologie diversitaire et de la préférence étrangère, c’est le modèle anglo saxon multiculturel qui s’est développé dans l’indifférence des dirigeants successifs et sans que les Français aient eu leur mot à dire. C’est cette pente qui fracture aujourd’hui la France et la conduit vers la guerre civile. Il est urgent de stopper ce massacre. Il est urgent d’être réac-tionnaire.

Quels sont pour vous les derniers tabous contre lesquels la classe politique comme les élites en général refusent de s’attaquer ?Ce sont ceux qui ont permis le désastre : l’immigration de peuplement, la tyrannie des nouvelles minorités, l’indifférenciation en tout. Ces poisons ont été sacralisés au nom d’une religion des droits de l’homme qui ne fait plus la différence entre le citoyen et l’étranger. Il faut sortir urgemment de ce piège mortel. Il est encore temps, mais il est minuit moins cinq.

Propos recueillis par Gilles Brochard

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Le conservatisme, pour Scruton, est le parti de la durée

et des permanencespar Mathieu Bock-Côté,

Le Québécois Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, universitaire, essayiste et chroniqueur dans plusieurs organes de presse, tant au Québec qu’en France. Souverainiste et conservateur, ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations

de la démocratie contemporaine et la question nationale. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois » (2012,

Boréal), « Le multiculturalisme comme religion politique » (1916, Le Cerf) et « L’Empire du politiquement correct » (1919, Le Cerf). Nous reproduisons ici un article publié dans

le Figaro du 14 janvier dernier, avec l’accord de l’auteur et du Figaro.

ous devons beaucoup à l’illustre professeur de philosophie anglais qui a osé être presque seul dans un milieu où il était périlleux de critiquer le progressisme et le multicultura-lisme, explique l’intellectuel québécois.

Roger Scruton vient de nous quitter à 75 ans, emporté par un cancer qui lui avait été révélé il y a six mois à peine. Ceux qui l’ont connu ou simplement rencontré pouvaient en témoigner : l’homme était d’une courtoisie et d’une affabilité remarquables. Intellectuel d’une culture aussi encyclopédique que vivante, son nom est associé à la philosophie conservatrice. À travers elle, il cherchait moins une idéologie qui serait le double inversé du progressisme qu’une manière d’abor-der le monde plus conforme aux aspirations complexes du cœur humain. Il croyait à l’homme incarné. Pour lui, la société ne se réduisait pas à une série d’abstractions asséchées. Au contraire, il reconnaissait l’importance vitale des mœurs et de la culture historique dans sa définition. Il a d’abord eu l’intuition du conservatisme avant de le théoriser, sans jamais en faire un prêt-à-penser.

C’est au contact de Mai 1968, à Paris, que Scruton a vraiment découvert ses propres affects politiques. Il confessera son aversion pour l’esprit révolutionnaire, qu’il disait hanté par la haine du monde. Il voyait là l’origine de la pulsion nihiliste qui pousse à la déconstruction de notre patrimoine de civilisation. Ce progressisme désincarné s’accompagne du mépris du commun des mortels et des traditions auxquelles il se montre attaché. Dans Thinkers of the New Left (1985), un ouvrage qui lui vaudra de vrais soucis, Scruton a décrypté l’imaginaire du progressisme. Il se montre particulièrement critique envers Michel Foucault, qui a pris le relais de Marx comme grand philosophe de la gauche. On ne lui pardonnera pas cette audace et il en payera le prix pro-fessionnellement à l’université : la gauche idéologique croit avoir un monopole sur la pensée et ne tolère pas qu’on la démystifie. Scruton dénonçait la tartufferie de cette étrange tribu que sont les intellectuels de gauche et n’hésitait pas à les assimiler à un clergé. Il devint leur bête noire. Il aura fait preuve d’un courage civique exemplaire en osant nommer leur délire.

Scruton a joué un grand rôle dans la dissidence intellectuelle en Europe centrale. Il s’agissait de recréer dans des sociétés soumises à une véritable police de la pensée des espaces où mener une libre discussion sous le signe de la vérité, dont la quête est indissociable de celle de la liberté. La vie intellectuelle authentique ne saurait se mener sous la surveillance des gardiens bornés d’un dogme. Scruton croyait au rôle de la société civile et aux institutions, qui rendent justement

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possible cette quête. Pour lui, l’étatisation exagérée de la vie sociale correspondait inévitablement à une dégradation de la vie civique. C’est à la lumière de cette expérience qu’il en appelait récem-ment à une dissidence dans le cadre même des sociétés occidentales, soumises à une forme de conformisme idéologique qui ne dit pas son nom et qui se justifie au nom d’une pseudo-science en vogue chez ceux qu’on appellera les savants officiels du régime. Il redoutait la renaissance d’une tentation totalitaire dans nos sociétés persuadées d’être imperméabilisées contre elle.

Scruton a beaucoup écrit sur le conservatisme. The Meaning of Conservatism (1980) est proba-blement son ouvrage le plus connu. On compte aussi, parmi d’autres, Arguments for Conservatism : a Political Philosophy (2006) et How to Be a Conservative (2014). Sur ce sujet, d’un livre à l’autre, Scruton a essentiellement travaillé à extraire la philosophie politique des catégories obligatoires de ce qu’on pourrait appeler le fondamentalisme de la modernité. En fait, il entendait renouer avec les questions fondamentales à partir desquelles se constitue l’imaginaire collectif. Qu’est-ce que la liberté ? Qu’est-ce que l’autorité ? Comment définir la communauté politique, la famille, la pro-priété ou encore la nation ? Il ne s’interdisait évidemment pas d’y répondre en s’engageant concrètement dans la vie de la cité. Scruton misait aujourd’hui sur ceux qu’on appelle les gens ordinaires pour défendre ce que nous avons pris l’ha-bitude d’appeler nos identités et ne dédaignait pas les vertus de ce qu’on nomme bêtement le « populisme ». Il avait forgé le terme « oikophobie » pour critiquer le travers idéologique qui consiste à maudire sa propre demeure, sa propre patrie. L’État-nation n’était pas pour lui une construction arbitraire congédiable mais le cadre politique à partir duquel la civi-lisation occidentale a institutionnalisé la liberté politique.

Scruton ne se contentait pas de célébrer théorique-ment le génie de notre civilisation. Il a voulu l’exemplifier de mille manières. Son conservatisme était indissociable d’une intelligence poétique du monde. C’est ainsi qu’il s’est passionné pour l’architecture, par laquelle s’incarne concrè-tement l’idée du beau. Scruton, comme bien d’autres, se méfiait de l’architecture contemporaine, qui voulait s’ar-racher à l’histoire. Il n’acceptait toutefois pas que la beauté appartienne au passé ni de concéder à la laideur moderne l’avenir. Comment construire du neuf qui soit durable et réponde à d’autres critères esthétiques que l’obsession maniaque de la nouveauté ? Le conservatisme, pour Scruton, n’était pas le parti du passé, mais de la durée, sous le signe des permanences humaines. Il n’aurait aucun sens s’il ne défendait pas un mode de vie et des habitudes. Pour cela, Scruton a aussi chanté les mérites de la chasse, de la musique et du vin. On ne peut que relire avec bonheur I Drink Therefore I am (2009) ! Scruton associait le vin dernier à la douceur de la conversation et au charme des repas au fil desquels se nouent les amitiés qui durent toute la vie.

Dans un de ses derniers textes, se sachant arrivé à ses derniers jours et méditant avec une émouvante sérénité sur le sens de la vie, Scruton est revenu sur l’importance de la gratitude. Il rappelait ainsi son attitude fondamentale devant l’existence. Scruton refusait le constructivisme et l’esprit de table rase qui en est indissociable. Il aura voulu convaincre ses compatriotes et ses contemporains que le monde vaut la peine d’être aimé, sauvé et poursuivi en élaborant une philosophie qui permet à l’homme de renouer avec sa condition, qu’on ne saurait réduire à sa condition biologique de simple mortel. Car à travers sa quête de la beauté, il s’ouvre au sacré et peut-être même à ce que nous n’osons plus vraiment nommer la transcendance. Roger Scruton fut un grand philosophe. On le lira encore longtemps.

Le conservatisme, pour Scruton, n’était pas le parti du passé, mais de la durée, sous le signe des permanences humaines. Il n’aurait aucun sens s’il ne défendait pas un mode de vie et des habitudes. Pour cela, Scruton a aussi chanté les mérites de la chasse, de la musique et du vin.

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Conserver « l’Amitié politique »selon Aristote

par Thierry Boutet,président d’ « Amitié politique »

hef d’entreprise, enseignant d’histoire des idées politiques, ancien éditorialiste à «Fa-mille chrétienne», auteur d’un essai remarqué sur « Le Développement durable à la lumière de la doctrine sociale de l’Eglise » Thierry Boutet présida pendant plusieurs années le Conseil éditorial de la revue «Liberté politique», que nombre de nos lec-

teurs connaissent sans doute de longue date. Depuis quelques semaines, il a pris la succession de Guillaume Bernard à la tête du cercle de réflexion, né de cette revue, « Amitié Politique », qui entend reprendre son activité, et avec lequel Le Nouveau Conservateur entend mener des actions communes. Notre auteur revient ici sur un concept aristotélicien, celui d’ amitié politique, qui est au cœur de l’esprit conservateur. Il analyse par ail-leurs, dans l’article qui suit, les causes de la victoire remar-quable, lors de l’élection présidentielle de juillet dernier en Pologne, face à plusieurs candidats « du système », du candidat du parti-social conservateur PiS, -et d’une union des droites implicite ...

Depuis quelques années, le conservatisme a en France le vent en poupe. On dénombre plus de cinquante sites, blogs ou organismes « conservateurs » français. Quant aux intellectuels, leur nombre augmente chaque année. Ils fleurissent dans la nouvelle génération et la liste des convertis de longue ou de fraîche date ne cesse d’aug-menter. Des libéraux conservateurs aux conservateurs sociaux, de ceux qui affichent la couleur sans complexe à ceux qui s’en réclament sans s’afficher, le panel du conser-vatisme français s’élargit chaque année. De nombreuses

raisons l’expliquent : les amoureux de la France et de sa civilisation, qu’ils soient de droite ou de gauche, savent que la patrie est en danger de mort.

Nous ne nous battons plus seulement pour nos « valeurs », mais pour conserver la France. Or, au rebours de tous les penseurs contractualistes des Lumières, de tous les constructi-vistes, de toutes les philosophies politiques procédurales, nous pensons avec Aristote que la société repose sur l’amitié entre ses membres, sur une certaine « affectio societatis ».

L’amitié politique, condition du Bien Commun L’amitié politique est une condition intime du Bien commun. Sans un minimum d’« af-

fection » entre ses membres, aucune société ne subsiste. Sans un minimum d’amitié poli-tique, il n’existe plus de projet commun, d’identité nationale, de lien social.

C« Dans les tyrannies

l’amitié et la justice ne jouent qu’un faible rôle, dans les démocraties au

contraire leur importance est extrême :

car il faut beaucoup de choses communes quand les

citoyens sont égaux »Aristote, Ethique

à Nicomaque (Livre VIII ; 13 ; 1161b,5)

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La France aujourd’hui se délite en communautés qui se dressent les unes contre les autres. Des ignorants et des idéologues de tout bord veulent, consciemment ou non, sa disparition. Ils récrivent son histoire et lui font honte d’avoir été pendant des siècles une lumière pour les nations. Leur projet pour l’avenir s’élabore à partir d’une tabula rasa. Déconstruire est leur maître mot, au lieu de corriger et d’embellir ce qui doit ou peut encore l’être. Ils rêvent d’un monde meilleur. Mais les grandes idéologies et leurs millions de morts et de miséreux ne leur ont rien appris -ou si peu ... Ils restent profondément tributaires de leur méthode : ériger en principe universel une partie de la réalité politique, économique et sociale. Ce sont par essence des sectaires et leur sectarisme les conduit au totalitarisme, quelle qu’en soit la forme, douce ou violente. L’essentiel leur échappe : à quoi bon chercher à réduire les inégali-tés ou vouloir se libérer de la tutelle administrative de la technocratie bruxelloise si la France n’existe plus ?

La souveraineté de la France, seule question qui vaille Que l’on récuse ou non les Traités européens, que l’on vote à gauche, au centre ou à

droite, que l’on soit « écolo » ou climato-sceptique, la seule question qui vaille désormais est celle de la souveraineté, c’est-à-dire de l’avenir de la France. Dans les débats et les combats de la campagne pour les élections présidentielles de 2022, ce sera l’enjeu principal.

Comme tout cercle de réflexion qui se respecte, nous sommes un lieu de débats, et nous nous saisirons de toutes les propositions et programmes des candidats en lice avec un regard attentif et critique. Nous n’avons pas de modèle de société à défendre, pas davantage d’uto-pie à promouvoir. En revanche, nous sommes attachés à la primauté du Bien commun et c’est à partir de ce critère que nous évaluerons les programmes. Notre pre-mier Bien commun, c’est en effet notre capacité, quels que soient les conflits et les menaces, intérieures ou ex-térieures, à vivre ensemble dans une certaine forme de confiance mutuelle et d’empathie. Tout ce qui permet à la France de demeurer un projet civilisateur commun à transmettre à nos descendants est nôtre ; tout ce qui permet à notre pays de jouer sa partition dans le concert mondial des nations est nôtre. Face aux forces de destruction de l’Etat-na-tion, l’amitié politique ne tolère pas le compromis. Ce qui la détruit menace notre avenir, ce qui favorise cette amitié contribue à l’assurer.

C’est pourquoi dans les deux ans qui viennent, en dehors de tout esprit de parti nous accompagnerons tous ceux qui se donnent comme objectif le respect et l’amour de la France, le souci de son unité, de la sécurité de ses frontières, de la paix civile et internationale, du rayonnement de sa civilisation.

Notre premier Bien commun, c’est notre capacité à vivre ensemble dans une certaine forme de confiance mutuelle et d’empathie.

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Un colloque de l’IPC sur le conservatismepar Francis Jubert,

docteur en philosophie, spécialiste des questions de santé numérique et de pédagogie médicale, créateur du Centre d’études et de recherches en médecine psycho-somatique

(CERPS) et du Département d’économie sociale de l’IPC, il a présidé la Fondation de Service politique et dirigé la Revue trimestrielle Liberté politique

ancien étudiant de la première promotion des Facultés libres de Philosophie et de Psy-chologie (IPC), Francis Jubert a été invité à un colloque qui s’inscrit dans la série des manifestations marquant son 50e anniversaire.

C’est en effet à Paris, en 1969, que l’Institut de Philosophie Comparée, plus connu sous le nom d’IPC, a vu le jour avec l’objectif clairement affiché de « fonder une institution à vocation universitaire qui organise les études selon ce qu’indiquait la sagesse aristotélicienne pour notre temps et au milieu des questions posées par celui-ci ». C’est pour témoigner de la fécondité d’une formation classique et du « réalisme » d’une pensée philosophique d’inspiration toute tho-masienne que le Doyen Michel Boyancé et les responsables du pôle de recherche « Philosophie pratique et société moderne » ont organisé avec le concours de Pierre Manent, ancien Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, une journée d’étude sur le conserva-tisme à l’aune du Bien commun.

« Réalistes » ou « conservateurs » ?Ce colloque s’est tenu le 30 octobre dernier dans les locaux de l’IPC, à deux pas de l’Ob-

servatoire de Paris, en présence d’un auditoire nombreux composé d’étudiants en philosophie, d’universitaires d’autres disciplines mais aussi de personnalités politiques, de représentants du monde de l’entreprise et de la défense, intéressés comme eux par ce courant de pensée multiple auquel la publication du Dictionnaire du conservatisme en 2017 a donné un regain d’actualité. Lors des quatre tables-rondes qui ont rythmé la journée, les participants ont pu entendre les interventions magistrales de professeurs de droit, d’histoire, de sociologie et de philosophie qui se sont attachés, dans le respect des spécificités de leurs disciplines respectives et du rôle architec-tonique de coordination des savoirs revendiqué par la philosophie réaliste, à cerner 1 : la nature du conservatisme, 2 : ses racines historiques, 3 : ses adversaires, 4 : ses ambiguïtés.

Les juristes, les historiens des idées se sont employés à décrypter par le menu cette notion de « conservateur », à en suivre les évolutions jusqu’à la traduction la plus récente qu’en donne l’école conservatrice française, laissant aux philosophes le soin de mettre les choses en perspective et d’interroger à nouveaux frais le conservatisme à la lumière cette fois du Bien Commun qui seul permet de dépasser la dialectique de l’être (ce qui doit être conservé) et du devenir (ce qui doit changer) pour nourrir une théorie et une pratique politique moderne.

Aiguillonnés par les exposés de leurs aînés, les jeunes philosophes présents ont questionné à leur tour les orateurs leur demandant par exemple s’il ne serait pas préférable d’utiliser le terme de « réalistes » plutôt que celui de « conservateurs » comme Marion Maréchal en avait déjà fait la suggestion lors de la 1ère Convention de la droite ou bien encore, si le Bien Commun ne devrait pas être pensé comme une notion débordant la polarité progressisme/conservatisme pour pouvoir discerner ce qu’il y a lieu ou pas de conserver ? Leurs observations comme leurs questions ont suscité des débats passionnés qui ont permis d’apporter d’utiles précisions et d’ouvrir sur de nou-veaux horizons. Dans le courant de l’année 2020 seront publiés aux presses universitaires de l’IPC les Actes de ce colloque, soit la teneur intégrale des contributions des uns et des autres. Voilà un beau cadeau offert par l’IPC à ceux qui croient à la primauté du Bien Commun.

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par Catherine Rouvier,professeur de psychologie politique à l’IPC,

maître de conférences honoraire de l’Université Paris Sud Orsay, auteur de nombreux articles qui font référence, responsable d’émission sur Radio Courtoisie

L’affaire Covid” révèle la capacité des grands moyens de propagande à obtenir l’obéissance des foules en jouant sur divers ressorts psychologiques, les mensonges répétés, les émotions, les peurs ... Cet aspect du monde moderne qu’analysèrent Jacques Ellul, Hannah Arendt ou Noam Chomsky (auquel nous consacrerons un article dans notre n°2) l’a d‘abord été par un penseur français, Gustave Le Bon (1841-1931). Son ouvrage majeur « Psychologie des foules » (1895), qui inspira aussi bien Freud que de Gaulle, a gardé toute son acuité – et son actualité. Le Bon, esprit conservateur et libéral, annonça le fascisme et les grands totalitarismes puis tomba dans l’oubli jusqu’à ce qu’il soit redécouvert par Cathe-rine Rouvier, dont l’ouvrage qu’elle lui consacra en 1986 vient être réédité sous le titre « Le Bon, clefs et enjeux de la psychologie des foules » (Terra Mare).

En France l’Etat, tombé aux mains d’une jeune génération de dirigeants biberonnés aux nou-velles technologies, résiste de moins en moins à la tentation totalitaire. La collusion avec les géants des réseaux sociaux est totale, et le téléphone satellitaire le meilleur moyen d’à la fois «surveiller et punir». Un homme l’avait prévu, médecin passionné par les nouvelles technologies de son temps : Gustave Le Bon. Auteur de «Psychologie des foules» paru en 1895, il prédit en 1924, dans un ar-ticle prophétique, «l’évolution de l’Europe vers diverses formes de dictature». Mais dès 1914, dans «La psychologie politique», il en avait exposé les causes : la disparition des élites, la loi du nombre, la puissance des foules. Pour lui, les trois sont liés car «si le nombre peut détruire l’intelligence, il est incapable de la remplacer (…), les foules comprenant rarement quelque chose aux évènements qu’elles accomplissent». Un grand pouvoir est ainsi donné à qui sait manipuler.

Foules obéissantes Le Bon est un savant mais il ne surestime pas le progrès : «Dans l’effrayant chaos des

choses ignorées qui l’étreignent (…) l’homme apprend chaque jour à dominer la nature, et l’on appelle çà le progrès». Pour cela, il doit connaître la psychologie politique, « science de gouverner si nécessaire que les hommes d’Etat ne sauraient s’en passer », faute de quoi ils « se trouvent absolument désorientés devant les problèmes nouveaux dont la routine ne dit pas la solution. Les impulsons mobiles des partis devenant leurs guides, les erreurs ainsi com-mises sont innombrables». Or les conséquences de ces erreurs conduisent à l’anarchie. Et face à l’anarchie les penseurs d’élite, écartés de la politique active, en viennent à rêver de dictature. Le Bon lui consacre le chapitre 3 de « La Psychologie politique » et affirme : « Ce fantôme colossal fut connu des grands hommes d’Etat. Savoir les utiliser fait partie de leur génie ». Les politiciens médiocres en revanche «se mettent presqu’à genoux» pour supplier ceux «dont le but avoué est la destruction violente de la société» écrit encore Le Bon - il parlait alors de la CGT ; on a trouvé pire depuis lors … Quand au peuple, il devient foule, dont Le Bon rappelle les principales caractéristiques : elles sont crédules (« Leur crédulité est sans limite, comme celle de l’enfant ») ; versatiles et intolérantes - l’indignation et la colère sont aussi politiquement efficaces. Enfin, les foules sont sensibles au prestige : « Le prestige paralyse toutes nos facultés critiques (…) Les sentiments alors provoqués sont inexplicables, comme tous les sentiments, mais probablement du même ordre que la suggestion subie par un sujet magnétisé ». Il est dès lors facile de comprendre pourquoi elles obéissent aux ordres les plus absurdes …

Gustave Le Bon, un regard conservateur sur la manipulation des foules

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Dans notre prochain numéro - No 2 / Hiver 2021, à paraître le 3 décembre 2020 :À partir de notre prochain numéro, nous ouvrirons ici nos pages à nos lecteurs. D’ores et déjà, ceux-ci peuvent nous adresser des remarques, suggestions ou textes courts, dont nous ne garantissons cependant pas la publication. Nous avons déjà beaucoup d’articles, dont nous remercions les auteurs, en leur demandant de comprendre qu’il nous est impossible de tout publier. Bien entendu, nous donnerons la priorité aux envois de nos abonnés.Notez que la plupart de ces courriers figureront sur notre site www.lenouveauconservateur.org.

Au prochain sommaire, notamment :Dossier : « Que signifie être conservateur aujourd’hui ? ». Il comprendra notamment un « Manifeste Conservateur », et des contributions de Guillaume Bernard, François Martin, Raphaël Dargent, Pierre-An-dré Taguieff, Jean-Frédéric Poisson autour de son ouvrage à paraître en octobre : La Voix du Peuple (Édi-tons du Rocher).Après les élections aux États-Unis : vers la dislocation ? - Mali : la France doit-elle rester ? - Liban : quelle restauration est-elle encore possible ? – Afrique : Les promesses économiques de l’Afrique francophone - La France et la carte maritime, entretien avec Richard Labévière - Peut-on encore sauver la Ve République ? - Où vont les Républicains ? - La Vérité sur le Mystère Fillon : entretien avec Tugdual Denis – Heide-gger, Le Bon, Arendt, Orwell, Chomsky et la manipulation des foules - Eugénisme, euthanasie et progressisme - Les héros de l’Environnement : entretien avec Elisabeth Schneiter. - La Pensée libérale de l’impôt : entretien avec Victor Fouquet – Restaurer le Patrimoine, le premier défi conservateur : autour du livre de Pierre et Olivier de Lagarde, Dictionnaire du Patrimoine (Plon). Quel avenir pour les revues ? : rencontres avec Pierre Nora, Marcel Gauchet, Michel Onfray, à l’occasion de la disparition du Débat.

En attendant on trouvera de multiples informations et analyses chez nos partenaires :Valeurs Actuelles (www.valeursactuelles.com), l’Incorrect (www.lincorrect.org), Monde & Vie (www.monde-vie.com), La Nef (www.lanef.com), Éléments (www.revue-elements.com), Radio Courtoisie (www.radiocourtoisie.fr), TV libertés (www.tvlibertes.com).