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102 CHAPITRE II MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE Ce chapitre traite des questions méthodologiques. Il est divisé en deux parties. La première campe les fondements épistémologiques de cette recherche et explore le rôle du chercheur compte tenu de l’approche et de la méthodologie de recherche retenues. Dans la deuxième partie de ce chapitre, la description de la méthodologie est détaillée. 2.1 L’APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE Dans cette partie, l’étudiant-chercheur présente d’abord les principales approches méthodologiques de recherche dans les sciences sociales. Il explique ensuite les raisons ayant motivé l’adoption d’une approche herméneutique et d’une méthodologie de recherche qualitative pour cette étude et indique les conséquences de son choix. Il enchaîne avec une discussion sur le rôle du chercheur afin de mettre en lumière ses biais ainsi que les valeurs et présupposés sur lesquels reposent cette recherche. Ceci permet de situer l’apport particulier de l’étudiant-chercheur en lien avec l’objet de cette recherche (le développement économique communautaire) et avec l’angle de l’analyse (l’empowerment) ainsi que les limites de sa démarche. 2.1.1 LES APPROCHES EN RECHERCHE SOCIALE : PLAN ÉPISTÉMOLOGIQUE De façon générale, bien que d’autres approches puissent exister (Pires: 1982, 1987), deux grandes orientations méthodologiques en recherche sociale prédominent actuellement, l’une objectiviste, découlant de l’approche

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CHAPITRE II

MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

Ce chapitre traite des questions méthodologiques. Il est divisé en deux parties.

La première campe les fondements épistémologiques de cette recherche et

explore le rôle du chercheur compte tenu de l’approche et de la méthodologie

de recherche retenues. Dans la deuxième partie de ce chapitre, la description

de la méthodologie est détaillée.

2.1 L’APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE

Dans cette partie, l’étudiant-chercheur présente d’abord les principales

approches méthodologiques de recherche dans les sciences sociales. Il

explique ensuite les raisons ayant motivé l’adoption d’une approche

herméneutique et d’une méthodologie de recherche qualitative pour cette

étude et indique les conséquences de son choix. Il enchaîne avec une

discussion sur le rôle du chercheur afin de mettre en lumière ses biais ainsi que

les valeurs et présupposés sur lesquels reposent cette recherche. Ceci permet

de situer l’apport particulier de l’étudiant-chercheur en lien avec l’objet de

cette recherche (le développement économique communautaire) et avec

l’angle de l’analyse (l’empowerment) ainsi que les limites de sa démarche.

2.1.1 LES APPROCHES EN RECHERCHE SOCIALE : PLAN ÉPISTÉMOLOGIQUE

De façon générale, bien que d’autres approches puissent exister (Pires: 1982,

1987), deux grandes orientations méthodologiques en recherche sociale

prédominent actuellement, l’une objectiviste, découlant de l’approche

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positiviste, et l’autre, subjectiviste, associée à l’approche herméneutique. La

première, très bien connue dans la sphère des sciences sociales, s’inspire du

positivisme des sciences naturelles (Grawitz, 1993: 284) en préconisant un

point de vue objectif pour connaître la réalité (Epstein, 1985: 265; Gingras,

1992b: 35; Grawitz, 1993: 284). Les phénomènes, conçus en termes de

comportements (Lessard-Hébert et al, 1990: 36), deviennent alors des relations

de cause à effet (causalité), où chaque action est déterminée par une

précédente ou en détermine une subséquente (déterminisme) à l’intérieur

d’une immense chaîne d’événements successifs, chacun étant le produit de

l’autre qui l’a précédé. Ce courant croit qu’on ne peut connaître la réalité qu’à

partir de la logique et de méthodologies uniformisées (Eisner, 1981: 9), la

science s’avérant donc une logique reconstruite (Witkin, 1989: 85) et la

compréhension des phénomènes passant nécessairement par l’étude de leur

étiologie (Groulx, 1984: 34). Pour connaître la réalité et la décrire avec

précision, il faut la découper en ses plus petites composantes, y attribuer des

mesures quantitatives (le nombre ou la fréquence), les dénombrer et analyser

les résultats en utilisant des formules mathématiques (Trudel et Antonius, 1991:

13-21). Par le jeu de corrélations établies entre variables dépendantes et

variables indépendantes (Poupart, 1981: 42), le processus déductif

(Deslauriers, 1991: 85) confirme ou infirme les hypothèses de départ et il en

découle que l’absence d’explications déterministes est due à l’ignorance ou à

l’absence de mécanismes adéquats d’évaluation (Zimmerman, 1989: 54). La

généralisation, la vérification et la prédiction sont les raisons d’être de la

recherche s’appuyant sur la logique hypothético-déductive (Eisner, 1981: 8) et

deviennent synonymes de l’explication (thèse de la symétrie) (Heineman, 1981:

374). L’explication reposerait ainsi sur la recherche des causes qui produisent

les phénomènes, y compris les phénomènes sociaux et leurs fonctions en

« laissant de côté les états de la conscience individuelle des acteurs ou agents »

(Gingras, 1992b: 35). Le chercheur doit se concentrer sur le comportement

manifeste (observable, quantifiable, traitable) du phénomène (Eisner, 1981: 6)

et doit continuellement confronter la réalité au modèle théorique et vice-versa

(Heineman, 1981: 372-373). La validité doit être sa préoccupation constante

(Eisner, 1981: 5), car elle garantira la fidélité, soit la capacité de reproduire la

recherche en obtenant les mêmes résultats (Deslauriers, 1991: 99).

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De son côté, s’inspirant de la phénoménologie, de l’existentialisme et des

approches non directives de la psychologie humaniste (Deschamps, s.d.: 2),

l’orientation herméneutique croit que la réalité dépasse largement ce qui peut

être observé et que les orientations théoriques de même que les

méthodologies ne s’avèrent jamais neutres (Eisner, 1981: 4-9). Sans nier que

chaque phénomène a une cause, on introduit l’idée voulant que l’origine

précise d’un effet soit souvent impossible à déterminer, car plusieurs voies

peuvent mener au même résultat et parce que l’être humain est fréquemment

irrationnel dans ses choix (Zimmerman, 1989: 56-58). Ainsi, puisque les

comportements sociaux seraient constitués et régis différemment de la nature

physique, « ils ne devraient donc pas être étudiés de la même façon que les

phénomènes naturels » (Mellos, 1992: 547). Il faut plutôt chercher « le sens de

la réalité sociale dans l’action même où elle se produit, au-delà des causes et

des effets observables, mais sans toutefois oublier ceux-ci. […] L’intérêt du

chercheur doit donc se porter sur la personne ou la collectivité comme sujet de

l’action […] » (Gingras, 1992b: 35-36). L’idée n’est pas de renier la

méthodologie utilisée dans les sciences naturelles, mais de combler les limites

lorsqu’il est question de découvrir et de connaître sous un angle différent

(Gingras, 1992a: 127-136). On s’appuie également sur certaines découvertes

des sciences naturelles pour expliquer que les tentatives d’observation

risquent de changer la nature fondamentale de certains objets d’étude

(Heineman, 1981: 382-383). Il s’ensuit que la prétention de pouvoir tout décrire

peut s’avérer futile sinon néfaste. Cependant, bien que les variables

composant les objets d’étude soient hautement imprévisibles, cela ne doit pas

empêcher d’aller voir ce qui se passe ou d’offrir certaines explications (Eisner,

1981: 6-7). Certes, la science est considérée ici en tant que logique utilitaire

[logic-in-use] (Witkin, 1989: 85), c’est-à-dire que la compréhension des

phénomènes, considérés comme action (Lessard-Hébert et al, 1990: 39), passe

par la saisie du vécu (Groulx, 1984: 35). De fait, le but ultime de l’approche

herméneutique est de comprendre les interactions des êtres humains entre eux

et avec leur environnement (Eisner, 1981: 9). La méthodologie qui s’en inspire

doit donner lieu à un processus inductif (Deslauriers, 1991: 85) et même

subjectif (Epstein, 1985: 265) qui reposerait sur la conviction que les

connaissances ne s’acquièrent pas uniquement par la validation d’une

hypothèse, mais également par l’inférence et l’intuition (Eisner, 1981: 6-7;

Lessard-Hébert et al., 1990: 40). Les méthodes varient ainsi d’une situation à

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l’autre, et elles peuvent s’appuyer sur divers principes, telles la synchronicité

et la saturation des catégories (Deslauriers, 1991: 83-90), plutôt que sur une

logique purement mathématique, car « on vise à introduire un pluralisme et un

relativisme dans la définition des objets et des choses » (Groulx, 1997: 58).

Les deux grandes tendances apparaissent irréconciliables, voire antagoniques,

et elles ont souvent été, en fait, mises en opposition (Laperrière, 1997: 365-366;

Pires, 1987: 85-87). Cependant, certains auteurs tentent de nuancer les points

de discorde ou de ramener le débat à un autre niveau. Epstein (1984: 272), par

exemple, dénonce ce qu’il appelle le mythe de l’incompatibilité et croit qu’un

agencement harmonieux des méthodes43 peut contribuer à une meilleure

connaissance de certaines réalités. En fait, le phénomène de croisement des

méthodes, dit de triangulation (Pires, 1987: 95), semble de plus en plus

reconnu (Mayer et Ouellet, 1991: 73). D’autres auteurs, tels Miles et Huberman,

défendent « la thèse d’un continuum méthodologique entre qualitatif et

43 Il semble exister très peu de méthodes de recherche communes aux deux orientations, sauf

l’entrevue et les méthodes de la nouvelle école de Chicago (Laperrière, 1982: 35-39). De

plus, il faut reconnaître que la subjectivité peut jouer un rôle significatif à l’intérieur d’une

recherche qualitative et que plusieurs méthodes qualitatives ont été développées pour

tenir compte de cette spécificité. À l’inverse, les méthodes quantitatives cherchent toujours

à tendre vers une neutralité absolue. Il faut toutefois noter que la réalité des faits sociaux

est beaucoup moins tranchée que le laissent sous-entendre les polémiques entre les écoles

épistémologiques. Les lignes pures et dures perdent leur rigidité sur le terrain, faisant en

sorte qu’à l’intérieur d’une même recherche, on aura tendance à percevoir différents faits

sociaux tantôt comme objets tantôt comme sujets et à se promener entre ces deux visions

en fonction des observations et des analyses. Cette ambivalence apparente serait peut-

être due en partie aux différentes facettes des faits sociaux, dont certaines seraient

observables et mesurables et d’autres, pas. Ces traversées méthodologiques peuvent

même conduire à l’utilisation d’une mixité de méthodes à l’intérieur d’une même

recherche, phénomène à la base d’approches récentes dont, par exemple, la triangulation

et l’intégration par combinaison (Péladeau et Mercier, 1993: 116-121). Certes, la fonction

de la méthode utilisée aura un impact sur le caractère dominant de la recherche. À titre

d’exemple, si l’analyse qualitative ne sert qu’à illustrer des données quantitatives, la

recherche sera dans la lignée positiviste, comme c’est le cas lorsque le matériel recueilli

par le biais de méthodes qualitatives est traité selon les procédures de la recherche

empirique (Lefrançois, 1987: 148).

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quantitatif en rappelant que les méthodologues néo-positivistes, […] favorisant

au départ des approches purement quantitatives, ont par la suite proposer des

recherches qui tiennent compte des contextes de l’objet et de la dimension

interprétative » (cités dans Lessard-Hébert, et al, 1990: 34-35). Or la

présentation des deux grandes approches dans ce chapitre n’a pas pour

objectif de prendre partie dans ce débat, mais plutôt de mettre en lumière les

caractéristiques de l’approche adoptée dans cette thèse (herméneutique) et,

d’une certaine façon, de signaler les limites de ce choix, car l’absence des

avantages de l’approche positiviste constitue la lacune première de l’approche

herméneutique. Il s’ensuit donc que l’adoption de l’approche herméneutique

ne permet pas à l’étudiant-chercheur de statuer sur les liens entre les

comportements manifestes des individus et des organisations étudiés et les

causes de ces comportements, ni de généraliser de façon formelle à partir des

conclusions de son analyse.

Malgré ces limites, l’approche herméneutique a été retenue. Deux raisons

expliquent cette décision. Premièrement, puisque cette étude porte sur un

phénomène relativement peu étudié, elle possède un caractère forcément

exploratoire (Groulx, 1998: 33-34). Cette situation oblige à adopter une

approche davantage inductive que déductive (Grawitz, 1993: 536) et incite à

privilégier une méthodologie subjectiviste (Gingras, 1992a: 127-136; 1992b: 35-

36) car, au point où en sont les connaissances sur le développement

économique communautaire (et donc, sur l’organisation communautaire qui

emprunte cette voie), il faut tenter de comprendre la réalité, de formuler des

hypothèses fortes plutôt que de confirmer des hypothèses relevant d’une

tradition de recherche. C’est la principale raison pour laquelle cette étude a

adopté une méthodologie de recherche de type qualitatif à l’intérieur d’une

approche herméneutique pour analyser et interpréter les données. Ce faisant,

elle s’inscrit dans un courant de recherche sociale relativement jeune au

Québec mais riche en diversité et en rigueur (Mayer et Ouellet, 1997).

Deuxièmement, l’approche herméneutique semble également la plus

pertinente pour cette étude à cause des traits ontologiques du service social et

de sa méthode d’organisation communautaire. Le service social ne s’intéresse

pas principalement à la relation de la personne humaine avec elle-même (qui

s’avère le domaine de la psychologie) ni en priorité à la façon dont la société

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s’organise (qui s’avère le domaine de la sociologie et des sciences politiques),

mais plutôt à la relation dynamique entre un sujet et son environnement social,

à la socialité, qui repose sur l’idée voulant que « la personne n’est pas

séparable de son environnement social, tout comme l’environnement social

n’existe pas séparément des interactions avec ses membres » (Laforest, 1984:

25-26). Le service social renvoie donc aux personnes, aux relations entre elles

et d’autres personnes ainsi qu’à leurs relations avec les multiples dispositifs et

institutions qui constituent leur environnement social. Le service social renvoie

aussi aux communautés, c’est-à-dire à tout système social ayant une existence

qui lui est propre, où s’activent des individus et des institutions ayant des liens

communs — des valeurs, des services, des institutions, des intérêts ou une

proximité géographique. Or les personnes et les communautés évoluent de

façon constante et différente, selon les circonstances et chacune à sa manière,

leur relation avec l’environnement social, lui aussi en perpétuel mouvement.

Cette relation au cœur du service social est intrinsèquement aléatoire, ce qui

rend caduque l’identification de causes universelles, car ces dernières, tenant

compte de l’évolution changeante de la personne et de celle de son

environnement social, ne pourront pas complètement prédire l’avenir. Dans de

telles circonstances, comprendre comment la relation se développe, se

déroule et se termine semble davantage pertinent lorsqu’on cherche à savoir

comment outiller la personne ou la communauté afin de lui permettre de mieux

faire face à une situation analogue, mais pas nécessairement identique, dans le

futur.

2.1.2 LE RÔLE DU CHERCHEUR ET SON OBJECTIVITÉ

Selon Heineman (1981: 378-381), les postulats sur lesquels s’appuie la logique

interprétative de recherche sont qu’il n’existerait pas de perceptions pures, car

toute observation est modulée par la théorie, que les distinctions entre la

théorie et l’observation ainsi qu’entre l’observateur et l’observé ne seraient pas

toujours évidentes et que la science n’aurait aucune garantie épistémologique.

Dans cette optique, le chercheur est perçu comme l’instrument privilégié de la

recherche, car une source primordiale des données est l’expérience même du

chercheur durant son étude (Eisner, 1981: 8). La validité sera produite par la

force persuasive d’une vision personnelle (ibid.: 5) et elle reposera sur la

crédibilité accordée par le milieu (Deslauriers, 1991: 100).

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Cette idée de favoriser un certain lien subjectif entre le chercheur et son objet,

inhérente à l’approche herméneutique, se heurte au courant dominant, qui

exige une relation neutre et objective. Mais l’objectivité à laquelle prétend

l’approche positiviste semble toutefois irréalisable, voire illusoire, sur

plusieurs plans. L’objectivité, faut-il noter, est une « attitude intellectuelle

consistant à dépeindre les faits de l’observation tels qu’ils se présentent, sans

que le chercheur tente de les altérer selon son appréciation personnelle »

(Lefrançois, 1991: 125). Mais « du point de vue de l’observation scientifique, le

fait est un construit » (ibid.: 87) ou, en d’autres mots, « quelque chose qui

semble correspondre à la réalité » (Colin et al, 1995: 2) et qui repose sur des

hypothèses. Or la construction des hypothèses s’avérerait elle-même le

produit de certaines valeurs, car elle découle d’une problématique théorique

dans laquelle on a décidé d’intégrer ou de rejeter certaines questions, certains

problèmes, certains objets (Mellos, 1992: 545). L’élaboration d’hypothèses ne

peut pas se réaliser en demandant au chercheur de faire totalement abstraction

de ce qu’il connaît (Chevrier, 1992: 71). Même la quantification repose sur un

facteur non quantitatif, c’est-à-dire sur « la traduction d’une information

qualitative, d’un concept, d’une idée, en donnée quantitative » (Trudel et

Antonius, 1991: 11). Certes, le discours scientifique serait lui-même basé sur

des valeurs, car il repose sur la foi des individus dans la capacité de la science

de produire des propositions objectives, non falsifiées (Mellos, 1992: 541-542).

De plus, puisqu’il est impossible de démontrer qu’une hypothèse est vraie, les

« preuves » sont évaluées en fonction de critères statistiques d’acceptabilité

définis par la communauté scientifique (ibid.: 543; Gingras, 1992b: 28). Ces

critères identifient ce qui devrait être et leur détermination reflète clairement le

fait que la logique repose sur certaines valeurs d’efficacité de prédiction.

Puisqu’il semble y avoir consensus sur l’idée voulant que la science ne peut

révéler que les approximations probabilistes de la nature (Haworth, 1984: 347),

on devrait alors parler d’indices de véracité plutôt que de preuves, les indices

n’étant que « des approximations des concepts étudiés » (Trudel et Antonius,

1991: 11 [italiques des auteurs cités]). Bref, « toute solution à un problème

présuppose un choix de valeurs » (Mellos, 1992: 546). Comme le résume bien

Gingras (1992b: 30) :

S’il importe de se méfier du sens commun, il faut tout autant réalisercombien les valeurs conditionnent la recherche scientifique. Les valeurs

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dont il est question ici sont autant les valeurs personnelles du chercheur queles valeurs collectives de la société. De telles valeurs, collectives oupersonnelles, ne constituent pas nécessairement des entraves à larecherche, mais elles conditionnent le choix des thèmes abordés, desproblématiques, des orientations, des instruments, des données et donc desconclusions, c’est-à-dire des nouvelles connaissances qu’on en tirera.

La définition de la science — « un savoir qui repose sur des conventions »

(Gingras, 1992b: 27) — renvoie néanmoins à une logique de recherche

commune et à des règles de syntaxe scientifique universelles, et donc à une

unité de méthode pour assurer une fidélité qui reposerait sur au moins trois

conditions : l’observabilité (possibilité de vérification empirique); la

reproductibilité (possibilité de répéter la même observation);

l’intersubjectivité (corroboration des résultats à partir de plusieurs

observations) (Denzin, 1978, dans Deslauriers, 1991: 100; Mellos, 1992: 536-

541). Cette dernière condition est rendue nécessaire parce qu’il est impossible

à la science de démontrer la vérité absolue d’un résultat, l’hypothèse n’étant,

en réalité, qu’une tentative d’explication en attendant qu’une nouvelle

expérimentation ne la déclare fausse. Il faut, en conséquence, une convention

pour traiter les hypothèses. Puisque la conception traditionnelle de neutralité

de la méthode scientifique propose l’expérimentation contrôlée et les règles

de syntaxe comme moyens pour garantir l’objectivité par l’élimination des

valeurs, ceux-ci sont peu adaptables à la recherche sociale, qui ne peut pas

compter sur un environnement contrôlé dans l’étude des faits sociaux.

L’intersubjectivité devient ainsi la meilleure option pour remplacer l’objectivité

impossible à atteindre dans ce domaine (Mayer et Ouellet, 1991: 49; Rubin et

Babbie, 1989: 42). De fait, dans les sciences sociales, l’objet à observer est de

nature humaine, et il est étudié dans ses relations avec d’autres humains ou

avec les structures qui l’encadrent (Grawitz, 1993.: 340). Les faits sociaux « se

traduisent le plus souvent en actes sociaux ou pratiques sociales, sentiments et

reproductions collectives » (ibid.), et ils ont la particularité d’être uniques et

historiques (Gingras, 1992b: 36). C’est ainsi que les recherches qualitatives

dans l’univers des sciences sociales se sont davantage préoccupées de la

validité que de la fidélité essentielle aux sciences de la nature, non pas parce

que la possibilité de reproduire les recherches en obtenant les mêmes résultats

a été rejetée mais plutôt parce que « la recherche qualitative mesure tout

simplement autre chose » (Deslauriers, 1991: 100). D’ailleurs, la fidélité s’avère

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toujours une dimension capitale d’une recherche qualitative bien qu’elle puisse

posséder certains traits distinctifs sur ce plan dont la transférabilité et la

fiabilité (Lincoln et Guba dans ibid.: 101).

Dans sa vie quotidienne, l’étudiant-chercheur de cette étude est loin d’être un

observateur passif de son objet de recherche. En fait, non seulement est-il un

militant engagé depuis près d’une trentaine d’années dans les mouvements de

développement communautaire et de développement économique

communautaire, mais il est aussi ouvertement solidaire des objectifs de

démocratisation et de justice sociale mis de l’avant par la majorité des

protagonistes du DÉC. Cet esprit de corps se manifeste concrètement de

plusieurs façons : par l’enseignement dans un programme de maîtrise en DÉC,

par la participation au développement d’un programme d’études universitaires

de deuxième cycle en DÉC, par l’occupation depuis peu d’un poste de cadre

au sein d’un réseau pancanadien d’initiatives de DÉC, par la présidence

pendant trois ans d’un organisme de formation en DÉC, par des consultations

privées, par des écrits et des communications… Certes, ces activités ont

également doté l’étudiant-chercheur d’une connaissance profonde du DÉC tel

qu’il se réalise au Québec et ailleurs ainsi que d’un réseau de contacts

privilégiés. En fait, l’étudiant-chercheur ne dissimule pas son intention de

contribuer au changement des pratiques sociales afin de permettre aux

personnes appauvries et exclues de maîtriser les ressources économiques

qu’elles requièrent pour assurer leur épanouissement et leur bien-être. Mais

de plus, selon Placide Gaboury (1998: 1) qui a consacré un livre à la vie de

l’étudiant-chercheur (Gaboury, 1997), il tente de parvenir à cet objectif non

« pas à la façon verticale et condescendante que la religion m’avait enseignée

mais à la façon d’une personne impliquée horizontalement qui ne soumet

personne et qui ne se soumet à personne » (Gaboury, 1998: 1). Bref, il croit à

une démarche inspirée non pas de la bienfaisance mais de l’empowerment.

Sur d’autres plans, le passé du chercheur ainsi que son état actuel offrent

d’autres avantages potentiels à cette étude. D’une part, il est fils d’immigrant,

issu d’une famille pauvre et d’un milieu social ouvrier, et il a vécu longtemps

une situation de monoparentalité, comme enfant et comme parent. Il est

également une personne handicapée avec déficiences multiples faisant face

tous les jours aux obstacles et aux préjugés qui empêchent une intégration à

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part égale et entière. C’est ainsi qu’il demeure « collé » sur les réalités

quotidiennes des personnes souvent disempowered à cause de leur situation

physique ou financière, ou encore, à cause de leur situation sociale.

Tenant compte du rôle du chercheur à l’intérieur d’une méthodologie de

recherche de type qualitatif, tous ces facteurs subjectifs peuvent s’avérer des

atouts significatifs pour cette étude, et les méthodes choisies doivent permettre

de les mettre à contribution. Certes, certains auteurs prônent une vision

élargie de l’objectivité pour résoudre les contradictions soulevées dans ce

débat. En particulier, Gauthier (1992a: 4 [italiques de l’auteur]) définit

l’objectivité comme :

Une attitude d’appréhension du réel basée sur une acceptation intégrale desfaits (ou l’absence de filtrage des observations autre que celui de lapertinence), sur le refus de l’absolu préalable (ou l’obligation du doute quantà toute conception préexistante) et sur la conscience de ses propres limites.

Cette définition découle de l’option philosophique du doute tolérant (ibid.: 1) et

l’incite à penser que « ce que l’on nomme traditionnellement objectivité devrait

peut-être plutôt être étiqueté “impartialité” » (ibid.). Gauthier n’est pas seul à

se méfier des rigidités sémantiques, L’Écuyer préférant, par exemple, parler

de démarche objectivée (1987: 54; 1990, 10). Dans un cas comme dans l’autre,

on essaie de centrer le débat sur le fait que le chercheur doit tenter de se

rendre indépendant de son objet d’étude, ce qui renvoie à la distanciation

(Mayer et Ouellet, 1991: 14), considérée comme premier pas d’une démarche

scientifique (Bachman et Simonin, 1982: 20).

Dans la pratique toutefois, l’objectivité demeure nettement une qualité jugée

essentielle par un grand nombre d’experts. Certes, si la subjectivité renvoie

au « caractère de ce qui repose sur la perception première, l’intuition, les

valeurs voire les préjugés, sans qu’il n’y ait eu vérification systématique dans

les faits » (Lefrançois, 1991: 159), elle doit être limitée par une objectivité de la

méthode, c’est-à-dire « la suppression de toute influence fallacieuse qui puisse

altérer la validité de notre perception des caractéristiques réelles de l’objet

d’analyse au cours de l’enquête » (Mellos, 1992: 540). En d’autres mots, la

recherche sociale peut avoir recours à des méthodes subjectives pour tirer

profit de l’intuition et des valeurs du chercheur, mais celles-ci devront s’insérer

à l’intérieur d’une démarche systématique (L’Écuyer, 1990: 10) afin d’assurer la

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plus grande intégrité possible des faits sociaux et de permettre de dépasser les

constats superficiels pour arriver à une « connaissance critique de la réalité »

(Mayer et Ouellet, 1991: 13).

Comme le souligne Grawitz (1993: 285), « la description des faits doit toujours

être objective » : la recherche sociale tente donc de réduire les distorsions et

d’éliminer les facteurs arbitraires en empruntant des techniques

scientifiquement éprouvées, car un minimum d’objectivité reposant sur la

séparation entre jugement de valeur et faits est généralement souhaité dans les

milieux de la recherche sociale. Or la solidarité d’un chercheur avec les

acteurs sociaux engagés dans son champ d’étude comporte le risque d’une

objectivité réduite. Un moyen efficace pour éliminer ce risque serait d’écarter

complètement ou partiellement le chercheur militant de l’étude. Cependant,

l’efficience d’une telle action pourrait s’avérer douteuse puisque le chercheur

est fréquemment une source d’expertise clé dans son domaine, comme c’est le

cas ici. Il y a donc un risque de contamination ou d’influence dans cette étude

qu’il faut chercher à réduire.

Parmi les procédures proposées pour combattre les effets néfastes d’une

subjectivité outrancière, on peut retrouver :

• le recours à l’utilisation rigoureuse de méthodes reconnues afin de

« relativiser les présupposés du chercheur » (Grawitz, 1993: 287);

• le travail en équipe, où la confrontation permet au chercheur de corriger ses

propres observations (ibid.: 287);

• le recours à l’intersubjectivité, où l’accord commun sur l’existence et la

nature d’un fait social permet de le traiter comme réalité objective (Rubin et

Babbie, 1989: 42);

• le recours à l’évaluation comparative, où la signification des positions

extrêmes est réduite relativement aux points de convergence (ibid.: 42);

• la remise en question des postulats de départ, surtout lorsque ceux-ci

prennent la forme d’évidences ou de vérités absolues, et donc un retour à la

rupture « épistémologique » (Gauthier, 1992c: 570; Bergmark et Oscarsson,

1992: 124-125), c’est-à-dire l’absence de présuppositions.

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113

Dans ce contexte, les mises en garde de Gingras (1992b: 37) apparaissent

particulièrement pertinentes pour cette recherche. Selon l’auteur, un premier

piège de la recherche sociale « se caractérise par l’excès de confiance qu’a le

chercheur en lui-même et en son appareillage théorique ou technique ». Dans

le cas de l’étude d’un phénomène nouveau, ceci pourrait se traduire par une

position de certitude de la part du chercheur, car il est souvent devenu

l’« expert » dans son domaine. Il faut donc des mécanismes appropriés de

vérification tout au long de l’étude afin de maintenir une attitude de doute.

Dans le cas de la présente recherche, la confrontation systématique des idées

de l’étudiant-chercheur avec celles que véhiculent d’autres ouvrages

scientifiques quant aux attributs nouveaux des phénomènes scrutés a produit,

tout au long de son déroulement, une relation dialectique entre l’analyse et la

théorie, celle-ci aidant à maintenir une dimension de doute dans

l’interprétation. De plus, la diffusion publique des connaissances par

l’étudiant-chercheur depuis le début de ses études doctorales,

particulièrement sous forme d’articles dans des revues scientifiques, de

participation à des ouvrages collectifs et de communications lors d’événements

réunissant d’autres experts, l’a obligé — et l’oblige toujours — à faire évaluer

ses idées par des collègues des milieux universitaires ainsi que par des

praticiennes et des praticiens de l’organisation communautaire en général, et

du DÉC en particulier. Ceci a donné lieu à un certain degré d’intersubjectivité,

surtout dans les cas de productions arbitrées.

Un second piège est « celui de rester en deçà de la totalité du phénomène ou

de l’action qui l’intéresse » (ibid.). Sur ce plan, la demande d’avis auprès

d’individus intéressés par l’objet de cette étude et provenant, dans la mesure

du possible, d’une variété de champs ou de milieux s’avère un outil capital, car

ce sont les constats et les questions des gens intéressés aux travaux de

l’étudiant-chercheur qui l’ont le plus incité à aller, dans le passé, au-delà de ses

barrières conceptuelles. Depuis quelques années, en fait, un bon nombre

d’experts québécois, canadiens, américains et français l’alimentent

intellectuellement et répondent à ses appels pour commenter ses productions.

D’une certaine façon, ces gens jouent le rôle des coéquipiers pouvant réduire

le risque de la subjectivité bien qu’ils n’aient pas été mis à contribution de

façon formelle dans la présente recherche. Dans un même ordre d’idées, les

questions et les commentaires provenant des participantes et des participants

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114

aux nombreuses conférences publiques et sessions de formation animées par

l’étudiant-chercheur sur des thèmes traités dans cette thèse (développement

économique communautaire, empowerment) ainsi que d’autres sujets en lien

avec ceux-ci (développement local, concertation et partenariat, économie

sociale) ouvrent également les horizons conceptuels de l’étudiant-chercheur,

l’obligeant souvent à s’interroger sur-le-champ et publiquement sur les limites

et les faiblesses de ses cadres théoriques.

À l’inverse, un dernier piège est « celui d’aller au-delà de ce que les données

permettent d’affirmer » en « [succombant] à la généralisation excessive, à

l’apport de faits non vérifiés, aux conclusions prématurées, etc. » (ibid.). Cette

mise en garde dans le contexte de l’étude d’un phénomène nouveau inspire

une attitude de grande prudence sur le plan de la méthodologie. C’est une des

principales raisons ayant motivé l’étudiant-chercheur à ne pas s’engager sur le

chemin de la recherche militante (Groulx, 1984: 36-37; Mayer et Ouellet, 1991:

31) même si une orientation partisane aurait pu être plus près de ses affinités et

de ses aspirations. En effet, ce type de recherche « préfère parler de

conscience critique plutôt que de démarche scientifique » (ibid.: 31). Dans le

cadre d’une recherche de doctorat, la priorité est clairement la démarche

scientifique. Cette renonciation à la recherche militante n’enlève toutefois pas

le caractère engagé de la présente étude, qui se veut un apport à un

mouvement en devenir dont l’étudiant-chercheur partage les valeurs et les

objectifs. Dans un même ordre d’idées, des méthodes d’exploration éprouvées

ont été utilisées dans cette étude, ceci afin de réduire les doutes sur le plan

scientifique car, plus l’objet d’étude constitue un phénomène social nouveau,

moins les fondements théoriques sont bâtis sur des résultats de recherches

antérieures.

Il n’y a pas hélas! d’antidote à la subjectivité abusive efficace à 100 %. Ainsi,

selon Gingras (1992b: 30), l’aveu public des motivations du chercheur et « de

son subjectivisme, de son idéologie, de ses intérêts » peut aussi aider à

contrecarrer certaines critiques. Ainsi, même s’il y a désaccord avec les idées

du chercheur et même si on s’interroge sur son objectivité, on pourra

néanmoins déceler certaines informations valables dans son étude (Rubin et

Babbie, 1989: 363) — en tenant compte des limites (déjà notées dans la section

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115

précédente de ce chapitre) de l’approche subjectiviste en tant que telle, bien

sûr! L’étudiant-chercheur souhaite vivement que ce soit le cas pour cette thèse.

2.2 STRATÉGIE GÉNÉRALE

2.2.1 LE MATÉRIEL RETENU : ENTREVUES AVEC DES LEADERS D’INITIATIVES DE DÉC

La partie centrale de cette recherche est l’analyse qualitative du contenu de 17

entrevues réalisées avec des leaders d’initiatives québécoises de DÉC en 1992

et en 1993. Le cadre analytique utilisé est celui de l’empowerment. L’objectif

de départ, au moment de l’acceptation formelle du projet de thèse, était

d’identifier les types d’empowerment se trouvant, s’il y avait lieu, dans ces

initiatives. Ce matériel a été choisi parce qu’il semblait contenir les

informations requises par l’étude, et la méthode d’analyse de contenu a été

retenue parce qu’elle semblait logique et pertinente compte tenu des

considérations épistémologiques liées au service social (telles qu’elles sont

présentées au début de ce chapitre), ainsi que celles en lien avec les initiatives

de DÉC et avec l’empowerment.

2.2.1.1 LES ENTREVUES RETENUES

Avant même de commencer cette thèse, l’étudiant-chercheur avait déjà accès à

un corpus d’entrevues provenant d’une recherche d’envergure codirigée par

l’étudiant-chercheur et par Louis Favreau en 1992-1993. Il s’agissait d’une

collaboration conjointe de la Corporation de développement communautaire

des Bois-Francs et du Groupe d’étude et de recherche en intervention sociale

de l’Université du Québec à Hull (UQAH), financée par le Programme des

subventions nationales au bien-être social de Santé et Bien-être social Canada

(aujourd’hui Développement des ressources humaines Canada). Les tâches ont

été accomplies en collaboration avec Louis Favreau, professeur à l’UQAH, et

ont compris une revue de la littérature, des observations participantes,

l’élaboration de fiches techniques, la collecte d’informations, la réalisation

d’entrevues, la compilation et l’analyse des données, des correspondances

avec SBESC ainsi qu’avec divers intervenants et intervenantes au Québec et

ailleurs au Canada, la rédaction de rapports et d’articles, l’élaboration d’une

stratégie de diffusion et la diffusion des résultats. Cette recherche a donné lieu

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116

à plusieurs publications (Favreau et Ninacs, 1992, 1993a, 1993b, 1993c, 1993d,

1994; Ninacs, 1994a, 1994b; Ninacs et Favreau, 1993).

La recherche avait pour but l’identification des facteurs favorables à la mise sur

pied de projets de DÉC en partant de l’examen des conditions et des moyens

ayant permis l’émergence et la consolidation de ce type de développement au

Québec. Les chercheurs voulaient aller plus loin que les recherches

antérieures44 en comparant les pratiques de DÉC dans différents milieux

(urbains et ruraux, près des centres métropolitains, loin de ceux-ci) et en

analysant les conditions, moyens et outils utilisés. Quatre régions ont été

retenues, soit celle des Bois-Francs, qui a donné naissance au « modèle » CDC,

celle de Montréal, qui a donné naissance au « modèle » CDÉC, et les régions de

l’Outaouais et du Bas-Richelieu, qui ont une dynamique qui leur est propre.

La stratégie de collecte des données a été à la fois quantitative et qualitative.

Elle a cherché d’abord à reconstituer un portrait d’ensemble des CDC et des

CDÉC, ce qui représentait un noyau de plus de 20 organismes. Elle a ensuite

visé à cerner de l’intérieur la dynamique des organisations intermédiaires et

des autres initiatives de DÉC par des entrevues auprès d’informateurs et

d’informatrices clés, leaders de leurs organisations (toutes des initiatives de

DÉC). La sélection de l’échantillon a tenu compte, en plus de la région, des

deux catégories d’organisations de DÉC au Québec (organisations

intermédiaires de DÉC, initiatives de DÉC). Les entrevues devaient permettre :

[pour les organisations intermédiaires,] de mieux saisir les motivations deceux et celles qui animent et dirigent ces corporations, de mieux saisir lesstratégies propres à ce secteur (versus le secteur public ou le secteurprivé), à évaluer le mode d’organisation de ces corporations, à évaluer leurcontribution à une communauté locale (ou régionale), à mieux cerner ce quicontribue à leur réussite (durée, influence locale, reconnaissanceinstitutionnelle…) [et, pour les autres initiatives de DÉC,] de mieux saisir lesmotivations de ceux et celles qui démarrent, dirigent et/ou administrent uneentreprise communautaire ou coopérative, d’évaluer le mode d’organisationde ces entreprises en tant qu’associations et en tant qu’entreprises,

44 Notamment celles de Bhérer et Joyal (1987), de Favreau (1989), de Fontan (1991b) et des

études québécoises dont il est question dans Lévesque et al. (1989).

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117

d’évaluer leur contribution à une communauté locale (ou régionale) et demieux cerner ce qui contribue à leur réussite. (Favreau et Ninacs, 1993c: 39)

En tout, 23 entrevues ont été réalisées : une par Louis Favreau, cinq par une

assistante de recherche et les autres par l’étudiant-chercheur (tableau 7).

TABLEAU 7. ENTREVUES RÉALISÉES PAR WILLIAM A. NINACS DANS LE CADRE DE LARECHERCHE SUR LE DÉC CODIRIGÉE AVEC LOUIS FAVREAU (1992-1993)

type champ genre statut

entreprise communautaire culture femme coordonnatrice

organisation intermédiaire financement homme coordonnateur

entreprise communautaire employabilité homme bénévole

entreprise communautaire informatique femme coordonnatrice

coopérative deconsommation

alimentation naturelle femme directrice générale

entreprise communautaire vêtements et meubles usagés femme présidente

organisation intermédiaire CDÉC (sociocommunautaire) femme cadre

entreprise communautaire gestion édifice femme bénévole

organisation intermédiaire formation homme bénévole

entreprise d’insertion manufacture homme cadre

entreprise communautaire employabilité homme bénévole

organisation intermédiaire CDC (conseil d’administration) homme bénévole

entreprise fauteuils roulants homme propriétaire

organisation intermédiaire CDC (direction générale) homme coordonnateur

entreprise d’insertion restauration 1 femme,1 homme

employée etemployé

organisation intermédiaire CDÉC (conseil d’administration) homme bénévole

regroupement groupes d’entraide femme cadre

Les entrevues étaient, pour la plupart, d’une durée d’environ deux heures. Les

transcriptions comptent entre 15 et 42 pages (simple interligne). L’étudiant-

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118

chercheur a en main la transcription verbatim et les cassettes originales des

enregistrements des 17 entrevues qu’il a conduites. Puisque la transcription

verbatim et les cassettes originales des entrevues menées par d’autres

personnes ne sont pas disponibles, seules celles réalisées par l’étudiant-

chercheur ont été retenues comme matériel pour cette thèse.

2.2.1.2 ACTIVITÉ D’EXPLORATION DE L’EMPOWERMENT

L’identification des types d’empowerment présuppose qu’il soit possible de

reconnaître l’empowerment en tant que tel. Pour ce faire, Rappaport (1987:

130) croit qu’il faut : a) tenter de connaître les rapports d’autorité détenus par

les personnes, les organisations et les communautés de même que les relations

entre chacune de celles-ci ainsi que celles qu’elles entretiennent avec leur

environnement; b) saisir ce que représentent ces relations pour les personnes,

organisations et communautés concernées; et c) déterminer les cadres à

l’intérieur desquels ces relations se produisent. Selon cet auteur reconnu pour

ses travaux sur l’empowerment, on peut arriver à saisir les différentes

dimensions de l’empowerment — des éléments de définition, des conditions et

des périodes de temps (ibid.: 135-139) — par l’observation et la description là

où on s’attend que l’empowerment puisse se produire et même ailleurs, c’est-à-

dire là où les contraintes présentes dans l’environnement suggéreraient le

contraire45.

Une entrevue récemment réalisée par Wetlaufer (1999) semble valider le point

de vue de Rappaport. L’auteure a fait une entrevue avec les deux dirigeants

fondateurs de l’entreprise transnationale AES Corporation afin de dépister

comment l’empowerment peut se manifester dans une organisation « modèle »

sur le plan de l’empowerment. Des questions ont été clairement formulées pour

approfondir la façon dont l’empowerment se réalise dans les activités

quotidiennes de l’entreprise. Les réponses fournies décrivent l’histoire et le

45 Dans ce dernier cas s’ajouterait au rôle du chercheur celui d’agent de changement afin de

créer, en collaboration avec ceux et celles qui habitent le lieu, les conditions pour favoriser

l’empowerment (Rappaport, 1987: 130). Être intéressé par l’empowerment, à ses yeux, c’est

avoir un parti pris pour la justice sociale.

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119

fonctionnement (opérations courantes, structure organisationnelle, relations

avec l’environnement économique, social et politique) de l’entreprise mais font

peu référence à l’empowerment en tant que tel. Malgré des questions directes

sur l’empowerment, Wetlaufer récolte peu de réponses qui font référence de

façon explicite au phénomène. Cependant, ceci ne nuit pas à la

compréhension du lecteur quant à la manière dont les interlocuteurs

conçoivent l’empowerment, ce qui suggère que des énoncés ne faisant pas

explicitement référence à l’empowerment peuvent s’avérer instructifs si le

contenu des questions permet d’établir des liens avec l’empowerment. En fait,

l’entrevue démontre que l’empowerment se réalise dans la pratique et dans les

relations entre les membres d’une organisation ou d’une communauté ainsi

qu’entre eux et la société plus large, confirmant ainsi l'opinion de Rappaport.

L’entrevue suggère que la description soit du fonctionnement d’une

organisation ou d’une communauté, soit des liens entretenus par les membres

entre eux ou avec d’autres organisations, d’autres communautés et la société

plus large peut révéler des informations pertinentes sur l’empowerment.

Faisant référence à Argyris (1998), elle avalise également une autre idée de

Rappaport voulant que l’empowerment puisse se produire là où on ne s’y attend

pas. Finalement, l’entrevue lie l’empowerment à la mise en œuvre de principes

philosophiques à l’intérieur d’un environnement structurant conçu en tant

qu’écosystème, ce qui renvoie à la nécessité d’une perspective écologique

pour produire l’empowerment (Rappaport, 1987: 134-135). En somme, il

s’ensuit que la description du fonctionnement et des activités d’une

organisation ainsi que des relations qu’elle entretient avec sa communauté et

son environnement social par quelqu’un qui la connaît intimement pourrait

révéler comment l’empowerment se produit, en tout ou en partie, à l’intérieur

de cette même organisation.

Bien que l’étudiant-chercheur ait effectué de nombreuses observations

participantes dans des réunions ou autres activités des initiatives de DÉC

depuis 1992, cette thèse n’utilise que les descriptions contenues dans les

entrevues avec des leaders d’initiatives de DÉC et ce, afin de réduire les

risques d’extrapoler indûment (Gingras, 1992b: 37), car des rapports formels

n’ont pas toujours été rédigés pour les diverses observations participantes.

Lesdites entrevues n’avaient toutefois pas la découverte de l’empowerment

comme objectif : peuvent-elles alors être réellement utiles pour cette thèse?

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120

Certes, la validité dans les sciences sociales renvoie au « rapport plus ou moins

étroit qu’entretient l’instrument avec l’objet de la recherche » (Grawitz, 1994:

393). En d’autres mots, pour être valables, les déclarations faites dans les

entrevues doivent être susceptibles de fournir des informations utiles à

l’enquête (Mayer et Ouellet, 1991: 307) et donc, dans le cas présent, d’offrir des

données qui permettront d’identifier les types d’empowerment que l’on trouve

dans les pratiques de DÉC. Ainsi, comme en témoigne l’exemple de Wetlaufer,

les entrevues peuvent s’avérer pertinentes dans la mesure où elles contiennent

les informations proposées par Rappaport : les liens d’autorité entre les

personnes, les organisations et les communautés, les relations entre chacune

d’elles, les rapports qu’elles entretiennent avec leur environnement, ce que

ces relations représentent pour elles et les cadres à l’intérieur desquels ces

relations se produisent.

Les entrevues réalisées dans la recherche de 1992-1993 avaient pour but la

description des initiatives de DÉC. Elles étaient ouvertes et de type semi-

dirigé. Il n’y avait pas de questionnaire formel mais plutôt des grilles

d’entrevues, dont une première spécifique aux organisations intermédiaires et

une deuxième pour les autres initiatives de DÉC. Cependant, toutes deux

ciblaient :

1) les conditions d’émergence et les difficultés qu’a éprouvées l’initiative à

ses débuts (les objectifs de départ, le soutien au démarrage et au

développement, les transformations en cours de route…);

2) l’initiative de DÉC comme « entreprise » (le personnel, les membres, les

activités de l’entreprise, le plan financier, l’infrastructure, la formation

professionnelle, les avantages à travailler dans une « entreprise »

communautaire…);

3) l’initiative comme « association » (le fonctionnement interne, son caractère

démocratique sur les plans associatif et entrepreneurial, l’implication des

militants et des militantes dans leur milieu…);

4) l’importance de l’initiative dans la région (la population visée et desservie,

le lien avec d’autres groupes de la région, les formes d’action collective

entreprises avec d’autres…);

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121

5) le rapport de l’initiative à l’État et à ses institutions (CLSC, ministères…), à

l’État sur la question financière, à la politique locale et à d’autres

institutions;

6) un jugement critique sur l’ensemble (un bref diagnostic sur l’état de santé

de l’initiative, des pistes d’avenir et les perspectives anticipées).

Les personnes choisies ont donc été appelées à décrire l’histoire et la conduite

de leurs projets de façon très détaillée. Or ce serait précisément ce type de

description qui contiendrait l’information requise par Rappaport, permettant de

connaître les différents visages de l’empowerment. En vérité, il existe plusieurs

méthodes de recherche qualitative permettant de recueillir l’information

suggérée par Rappaport (Mayer et Ouellet, 1991). Toutefois l’entrevue semble

privilégiée lorsque les considérations ontologiques visent les personnes

comme faisant partie du phénomène étudié et lorsque les considérations

épistémologiques indiquent que des connaissances sur le phénomène peuvent

être produites en écoutant et en analysant ce que les personnes ont à dire

(Mason, 1996: 39-40). Ceci est le cas pour cette thèse. L’entrevue de

recherche a pour but d’obtenir « des données utiles à une enquête sociale en

suscitant des déclarations de personnes susceptibles de fournir ces données »

(Mayer et Ouellet, 1991: 307). Il est possible de distinguer différents types

d’entrevues à partir du « degré de liberté laissé aux interlocuteurs et [du]

niveau de profondeur de l’échange » (ibid.: 308), mais l’entrevue à questions

ouvertes serait à privilégier pour une recherche cherchant à découvrir des

facteurs de comportement (ibid.: 309-310). Ceci est aussi le cas pour cette

thèse. Il en découle que les entrevues provenant de la recherche codirigée par

l’étudiant-chercheur et par Louis Favreau — à questions ouvertes, contenant

des descriptions des relations entre les différentes personnes œuvrant dans

une initiative de DÉC ainsi que de celles entre l’initiative de DÉC et son

milieu… — répondent, à première vue, aux exigences à la fois de l’entrevue de

recherche et du type de source d’information requis pour bien saisir

l’empowerment.

2.2.1.3 LE MATÉRIEL DE CETTE RECHERCHE ET L’ANALYSE SECONDAIRE

La description du fonctionnement et des activités des initiatives de DÉC par les

personnes responsables de celles-ci s’avère une source privilégiée

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122

d’information pour apprendre à les connaître. Compte tenu de ce qui précède,

cette description offre également la possibilité de les étudier à travers les

lunettes de l’empowerment.

Puisque ces entrevues ont été réalisées à des fins autres que celles de la

présente étude, elles constituent un matériel secondaire, et leur traitement,

l’analyse secondaire (Gauthier et Turgeon, 1992: 452-3). Si, généralement, il

est très rare qu’on puisse extraire de façon exhaustive toute la valeur

scientifique des données en mains (ibid.: 454), il s’ensuit que les mêmes

données peuvent livrer beaucoup d’informations supplémentaires. Ce point de

vue apparaît encore plus plausible lorsque l’approche utilisée dans la nouvelle

recherche est herméneutique à cause de la grande place qu’elle laisse à

l’induction (Deslauriers, 1991: 85) et à la subjectivité (Epstein, 1985: 265). Dans

la pratique, l’utilisation de données secondaires décharge l’analyste de la

responsabilité de la collecte de données, et le temps épargné peut donc

s’avérer considérable. Ainsi, l’analyse secondaire a l’avantage de permettre à

l’analyste de « se concentrer sur la conceptualisation et l’analyse » (Gauthier et

Turgeon, 1992: 454). Ainsi, que cela soit par souci écologiste ou administratif,

la « récupération » des données ayant déjà servi à d’autres fins et leur

utilisation comme matériel pour de nouvelles recherches semble tout à fait

pertinente. Bref, l’analyse secondaire requiert moins de temps, car elle

élimine l’étape de la collecte des données, et elle coûte moins cher à réaliser.

Dans la mesure où l’information contenue dans les données correspond aux

besoins d’une recherche spécifique, on peut s’interroger sur le peu d’utilisation

de cette méthode dans les recherches scientifiques.

L’analyse secondaire a toutefois le désavantage d’avoir à traiter des données

qui n’ont pas été collectées en fonction de l’objectif précis de l’étude, et elle

soulève ainsi la question de la validité (ibid.; Rubin et Babbie, 1989: 334). Cette

question de « l’écart entre les objectifs de la collecte primaire et les objectifs

de l’analyse secondaire » (Gauthier et Turgeon, 1992: 458) a été traitée dans la

section précédente et, de fait, l’analyse secondaire comporte forcément des

limites sur ce plan. En fait, des grilles d’entrevues construites aux fins de la

présente recherche auraient, selon toute probabilité, visé à obtenir avec plus

de précision les renseignements suggérés par Rappaport. Ceci ne signifie pas

que les données secondaires utilisées ici ne contiennent pas cette information,

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123

mais plutôt que certains indicateurs importants risquent d’être plus difficiles à

identifier ou même absents. Or vu le caractère exploratoire de cette thèse,

dont le but est de « faire ressortir ou [d’]explorer les divers enjeux que font

apparaître les situations nouvelles » (Groulx, 1998: 33), cette difficulté renvoie

davantage à une faiblesse qu’à un empêchement, car aucune étude

exploratoire ne peut avoir la prétention de cerner ces enjeux de façon

exhaustive.

Le traitement des données secondaires peut également présenter d’autres

difficultés. Par exemple, l’analyste n’a habituellement qu’une information

imparfaite sur l’existence des données secondaires, et leur accès est souvent

limité (Ibert et al., 1999). Une autre contrainte des données secondaires est le

fait qu’elles peuvent être « partielles, ambiguës ou contradictoires, [car on] ne

peut que rarement remonter à la source pour les compléter ou les clarifier »

(Baumard, 1999). Dans le cas de cette thèse, ces obstacles s’avèrent réduits en

raison du rôle premier joué par l’étudiant-chercheur dans la production des

données. Selon les circonstances et les particularités d’une recherche, la ligne

entre des données primaires et données secondaires peut sembler, d’une

certaine façon, assez fine.

Sur un autre plan, toutefois, tenant compte du fait que toutes les entrevues ont

eu lieu avant l’été 1993, on doit se demander si les données sont toujours

pertinentes. La réponse semble affirmative pour au moins deux raisons. En

premier lieu, ni les ouvrages sur le DÉC publiés depuis 1993 ni les

connaissances personnelles de l’étudiant-chercheur ne font croire qu’il y a eu

des variations significatives dans les types d’actions de DÉC déployées depuis

six ans, ni dans le fonctionnement interne des initiatives de DÉC. Il y a toutefois

eu d’importants changements sur d’autres plans. Par exemple, l’arrivée, en

1997, de la Politique de soutien au développement local et régional a permis la

mise sur pied d’un centre local de développement (CLD)46 dans chaque

municipalité régionale de comté. Certes, depuis leur entrée en scène, les

46 Selon l’Association des centres locaux de développement (ACLDQ), site visité le 27 février

2000, <http://www.acldq.qc.ca/fra/quest_ce_qu_un/quest_ce_fst_mission.htm>. Il y aurait

120 CLD, dont 9 CDÉC « mandataires » sur l’Île de Montréal.

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124

champs prioritaires d’intervention des CLD sont l’économie et l’emploi

(Secrétariat au développement des régions, 1997). Il en résulte qu’un grand

nombre de CLD situent leur mandat « largement dans le sillon des anciennes

corporations de développement économique, c’est-à-dire axé essentiellement

sur le soutien à l’entrepreneuriat, aux entreprises et à la création d’emploi »

(MCE Conseils, 1999: 47). Ceci semble assez loin du développement

économique communautaire. On peut néanmoins s’imaginer que des

entrevues avec des responsables de CDÉC et de CDC après 1998 auraient

permis de faire un peu de lumière sur la façon dont les organisations

intermédiaires de DÉC transigent avec les CLD. On note également que

« l’apport du milieu communautaire est [...] fondamental dans la présence des

femmes aux conseils d’administration (CA) des CLD » (ibid.: 12) car, sans les 81

femmes de la délégation communautaire, le pourcentage de femmes aux CA

des CLD chuterait de 25 % actuellement à 18 %. De plus, puisque les

préoccupations premières des membres communautaires des CLD touchent le

développement de l’économie sociale sur leur territoire (ibid.: 24-26), cela

contribue à renforcer l’intérêt pour les projets dans ce champ et, en

conséquence, à élargir la vision du développement local à l’intérieur des CLD.

En somme, on voudrait savoir comment se vivent la concertation, le partenariat

et d’autres éléments de l’empowerment communautaire dans le dédale actuel

de dispositifs locaux où les nouveaux acteurs sociaux sont invités à collaborer

avec d’autres plus traditionnels dans le but d’améliorer la qualité de vie des

gens de leur milieu. On peut penser que l’analyse d’entrevues plus récentes

avec des représentantes et représentants d’initiatives de DÉC agissant dans le

cadre de ce nouveau contexte aurait sûrement enrichi les résultats sur ce plan.

En second lieu, certaines parties des entrevues seraient vraisemblablement

pareilles si elles avaient lieu aujourd’hui, en particulier les sections ayant trait

aux conditions d’émergence de l’initiative et aux difficultés des débuts.

Cependant, certaines initiatives de DÉC, embryonnaires à l’époque ou conçues

depuis, ont suivi des parcours un peu différents de celles qui existaient en

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125

199247. Toutefois, à l’exception des coopératives de travailleurs actionnaires,

celles-ci ne se définissaient pas par leur marginalité et, en conséquence, elles

n’auraient pas pu faire partie de la collecte de données primaire de toute façon

(ibid.: 390). Bref, l’âge des entrevues ne semble pas interdire leur utilisation.

Cependant, l’âge impose certaines limites à cette recherche, dans la mesure où

les conditions d’émergence et de développement des initiatives de DÉC ne

sont pas celles qu’elles étaient en 1992. La prudence a donc été de mise dans

l’analyse et, surtout, dans l’interprétation des résultats.

Les entrevues doivent aussi répondre à des critères d’échantillonnage, car la

représentativité s’avère un élément capital sur le plan scientifique (Beaud,

1992: 198-199; Rubin et Babbie, 1989: 86-87, 196, 229-233). Or les échantillons

non probabilistes sont privilégiés dans la recherche qualitative (Beaud, 1992:

204-213; Deslauriers, 1991: 56-58; Mayer et Ouellet, 1991: 386-392), car la

représentativité statistique s’avère moins appropriée lorsque l’objectif est de

comprendre l’ensemble d’un problème. L’échantillonnage de l’étude de 1992-

1993 a, de fait, été de type non probabiliste, les unités ayant été choisies

délibérément48 afin d’établir des comparaisons entre les pratiques des

différentes catégories d’organisations de DÉC dans des milieux variés (urbains

et semi-ruraux, près des centres métropolitains, loin de ceux-ci). Pour la

recherche doctorale, la base de sondage serait la même que pour l’autre

recherche, soit l’ensemble des initiatives québécoises de DÉC, car les

territoires couverts n’ont pas changé de façon significative depuis la recherche

antérieure et les types d’initiatives sont, à l’exception des coopératives de

travailleurs actionnaires, toujours les mêmes.

47 Notamment les CDÉC à Québec, à Sherbrooke et à Trois-Rivières ainsi qu’un grand nombre

d’initiatives d'économie sociale ayant vu le jour depuis la fin de 1998.

48 Le choix des territoires et des types d’initiatives de DÉC avait également reposé sur une

analyse détaillée du contenu des numéros de la revue de presse des Publications Mille-

Feuilles publiés entre juin 1991 et mai 1992 ainsi que sur des observations participantes

lors d’événements publics (ateliers lors de colloques, Université d’été du Centre de

formation populaire…) et privés (rencontres des CDC, réunions de l’IFDÉC…) en 1992 et

1993.

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126

Sur le plan du nombre, il n’est pas vraiment possible d’établir l’évolution

depuis la recherche de 1993, car cette dernière n’a fourni que très peu de

statistiques (Favreau et Ninacs, 1993c: 7-15). On peut toutefois affirmer que le

nombre total d’initiatives de DÉC, bien que significatif, n’est pas très

considérable (tableau 8).

TABLEAU 8. NOMBRE D’INITIATIVES DE DÉC AU QUÉBEC

TYPE D’INITIATIVE DE DÉC 1993 2000 RÉFÉRENCE

corporations de développement

économique communautaire (CDÉC)

7 18 liste des membres du Regroupement

des CDÉC

corporations de développement

communautaire (CDC)

12 40 Table nationale des CDC

(communication personnelle)

autres organisations intermédiaires

et bases d’appui (de DÉC)

n/d n/d

cuisines collectives autonomes n/d n/d

cercles d’emprunt n/d 20 Réseau québécois de crédit communau-

taire (communication personnelle)

programmes d’employabilité n/d 150 Comeau et al., 2001: 20

entreprises d’insertion par

l’économique

n/d 36 www.francomedia.qc.ca/~col-

ei/CEIQmembres.html

coopératives jeunesse de service

(CJS)

n/d 75 calcul du Chantier de l’économie

sociale (communication personnelle)

coopératives de travail, coopératives

funéraires,

n/d 230 calcul du Chantier de l’économie

sociale (communication personnelle)

coopératives de travailleurs

actionnaires

0 50 calcul du Chantier de l’économie

sociale (communication personnelle)

autres entreprises communautaires

(de DÉC)

n/d n/d

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127

De toute évidence, il n’a pas augmenté de façon sensible au cours des sept

dernières années, bien que la progression de certaines catégories puisse

sembler spectaculaire. Ainsi, bien que le nombre de CDÉC ait presque triplé

depuis 1993, il n’y en a qu’une douzaine — cinq de plus qu’en 1993 — qui sont

vraiment actives sur leurs territoires. Par contre, le nombre de CDC a connu

une croissance remarquable depuis l’arrivée d’un cadre de financement en

1996 géré par le Secrétariat à l'Action communautaire autonome du Québec

(SACA). La situation est semblable pour les CJS qui bénéficient depuis

quelques années d’un programme de soutien structuré, financé par le

gouvernement du Québec et administré par le Regroupement québécois des

coopérateurs et coopératrices du travail. Pour les CDC et les CJS, notamment

pour celles mises sur pied depuis l’arrivée des programmes de soutien,

l’échantillonnage de l’étude de 1992-1993 se révèle faible. Sur le plan du

fonctionnement des CDC et de leurs actions, cependant, rien n’indique qu’un

plus grand nombre d’entrevues auraient fourni des informations différentes de

celles obtenues dans les entrevues retenues ici. On ne peut toutefois pas

s’avancer autant dans le cas des CJS, car aucune entrevue vouée à ce modèle

précis d’initiative de DÉC n’a été réalisée en 1992-1993. En fait, il existait très

peu de CJS à l’époque et, là où elles étaient en activité, elles n’étaient

généralement pas autonomes mais plutôt rattachées à une organisation

intermédiaire (CDC, CDÉC…).

De plus, il existe probablement d’autres organisations intermédiaires et

initiatives de DÉC. Par exemple, bien que les sociétés d’aide au

développement des collectivités (SADC) ne sont généralement pas reconnues

comme organisations intermédiaires de DÉC (Favreau et Jean, 1994 : 138-140:

Simard, 1995), les connaissances personnelles de l’étudiant-chercheur lui font

croire que quelques-unes semblent avoir un fonctionnement et une structure

s’apparentant au CDÉC. La situation serait semblable pour certains centres

locaux de développement (CLD). Cependant, dans un cas comme dans l’autre,

les SADC et les CLD ayant adopté une perspective de DÉC pour guider leurs

activités demeurent des exceptions et non la règle.

Quant aux initiatives de DÉC, au-delà d’une centaine de coopératives de travail

et d’organismes sans but lucratif sont actifs depuis un an ou deux dans le champ

du maintien à domicile. Un très grand nombre de celles-ci se classeraient dans

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128

la catégorie « entreprise communautaire ». Ceci est aussi le cas pour les

coopératives de solidarité, un nouveau modèle organisationnel de coopérative

qui regroupe travailleurs et travailleuses, usagers et usagères, et même

certains membres de la communauté au sein de l’assemblée générale et du

conseil d’administration. Cependant, puisque la plupart de ces initiatives ont

moins de deux ans d’existence, elles n’auraient pas été retenues aux fins

d’échantillonnage en raison de leur manque d’expérience.

L’échantillonnage doit également assurer une représentativité des actions

menées. Sur ce plan, il existe naturellement des variations selon le type

d’initiative de DÉC :

- les CDÉC sont actives dans les domaines de l’assistance technique et du

soutien à l’entrepreneuriat (entreprises traditionnelles, entreprises

communautaires), du développement de l’employabilité, du placement, de

la formation professionnelle, de l’aide financière, de l’urbanisme, de la

représentation publique et de la concertation locale;

- les plans d’action des CDC incluent les activités suivantes : la formation,

l’information et la réflexion, la consolidation et le développement

d’organisations communautaires et de coopératives, la concertation du

milieu communautaire (participation au développement local et régional) et

la représentation publique;

- les autres organisations intermédiaires sont principalement concentrées

dans les secteurs de la formation en DÉC et du financement, quoiqu’il en

existe quelques-unes dans les sphères du logement, de l’aménagement du

territoire et de la planification urbaine;

- les groupes d’entraide économique sont soit des cercles d’emprunt, soit des

cuisines collectives autonomes;

- les organismes d’employabilité travaillent sur quatre dimensions

principales : l’orientation professionnelle, l’acquisition de compétence par

la formation ou par un stage en milieu de travail, la recherche d’emploi et le

maintien en emploi par la formation continue ou ponctuelle;

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129

- les actions des entreprises d’insertion par l’économique se concentrent

dans les domaines des services communautaires, des activités

commerciales et de la production manufacturière;

- les entreprises communautaires et coopératives de DÉC sont actives dans

les domaines des services communautaires et des activités commerciales,

tous marchés confondus, et depuis quelques années, dans le financement

des entreprises traditionnelles par les coopératives de travailleurs

actionnaires.

Un regard sur le tableau des entrevues (tableau 7, page 117) permet de croire

que, sous une forme ou une autre, plusieurs de ces actions risquent d’avoir été

abordées en 1992-1993 par les personnes rencontrées, à l’exception de la

participation au financement par le biais de la coopérative de travailleurs

actionnaires.

Il faut toutefois noter que les activités des CDÉC de soutien entrepreneurial et

de développement de l’employabilité n’ont pas été décrites par les personnes

qui en étaient responsables. Ceci peut représenter une « insuffisance de la

documentation » (Gauthier et Turgeon, 1992: 475-476), qui poserait au moins

deux problèmes. Premièrement, la saturation des catégories (Deslauriers,

1991: 83-84) risque d’être atteinte plus rapidement que si les entrevues

comprenaient le point de vue des gens responsables des actions, leurs

descriptions pouvant s’avérer plus complètes et plus nuancées que celles

d’autres responsables. En fait, il existe des limites sur le plan de la saturation

lorsque les données proviennent d’un matériel secondaire. Par exemple, il est

possible que la saturation théorique (Strauss et Corbin, 1990: 188) ou

empirique (Pires, 1997: 156-157), selon le cas, ne soit pas atteinte si

l’échantillon s’avère trop petit pour conclure « qu’aucune donnée additionnelle

ne serait utile […] pour développer davantage une catégorie » (Comeau, 1994:

12). Dans le but d’arriver à la saturation, on ajoute habituellement une ou

plusieurs entrevues pour explorer davantage la catégorie ou le phénomène en

question, jusqu’à ce qu’il soit possible d’affirmer que l’ajout de nouvelles

données ne changera pas l’analyse. Or l’utilisation de données secondaires,

comme pratiquée dans cette thèse, ne permet pas une telle opération et

l’analyse risque ainsi d’être limitée sur le plan de la découverte.

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130

L’autre problème est celui de l’absence de données potentiellement clés — par

exemple, sur le « nouveau départ » des coopératives de travailleurs

actionnaires en 1992 (Côté et Luc, 1995: 7) — qui risque d’affaiblir la

compréhension de l’objet d’étude. Ces risques sont réduits par l’expérience et

les connaissances de l’étudiant-chercheur, mais ils appellent néanmoins la

prudence dans l’analyse et l’interprétation.

En résumé, malgré quelques difficultés importantes, les avantages que sous-

tend ce matériel secondaire ont été jugés assez nombreux et les désavantages

suffisamment surmontables pour le retenir.

2.2.2 LA MÉTHODE RETENUE : L’ANALYSE DE CONTENU

La méthode de l’analyse de contenu « vise à permettre une description

objective, systématique et, si possible, quantitative des informations provenant

d’entrevues, de questionnaires à réponses ouvertes ou encore de documents

de diverses natures » (Mayer et Ouellet, 1991: 499). Cette méthode peut être

définie comme suit :

L’analyse de contenu est une méthode scientifique, systématisée et

objectivée de traitement exhaustif de matériel très varié; elle est basée sur

l’application d’un système de codification conduisant à la mise au point d’un

ensemble de catégories (exhaustives, cohérentes, homogènes, pertinentes,

objectivées, clairement définies et productives) dans lesquelles les divers

éléments du matériel analysé sont systématiquement classifiés au cours

d’une série d’étapes rigoureusement suivies, dans le but de faire ressortir

les caractéristiques spécifiques de ce matériel dont une description

scientifique détaillée mène à la compréhension de la signification exacte du

point de vue de l’auteur à l’origine du matériel analysé, et ce, en

s’adjoignant au besoin l’analyse quantitative sans jamais toutefois s’y limiter,

et en se basant surtout sur une excellente analyse qualitative complète et

détaillée des contenus manifestes, ultimes révélateurs du sens exact du

phénomène étudié; elle est complétée, dans certains cas, par une analyse

des contenus latents afin d’accéder alors au sens caché potentiellement

véhiculé, le tout conduisant souvent, mais pas toujours, à divers niveaux

d’inférence et d’interprétation du matériel, l’analyse de contenu pouvant

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131

porter sur des phénomènes statiques d’une part, et s’avérer d’une grande

richesse lorsqu’appliquée dans une perspective développementale d’autre

part. (L’Écuyer, 1990: 120)

Selon Mayer et Ouellet (1991: 479), l’analyse qualitative de contenu est

pertinente pour des petits échantillons constituant une représentation

intéressante de la réalité. Elle ne vise donc pas la généralisation, mais

interprète plutôt le matériel étudié afin de faire ressortir et de décrire ses

particularités (Landry, 1993: 342). Se fondant davantage sur la subjectivité du

chercheur, elle est adaptée pour des études « dans lesquelles la souplesse et

l’intuition sont des qualités nécessaires pour faire ressortir les éléments

nouveaux » (Mayer et Ouellet, 1991: 479). De fait, l’analyse de contenu est

appropriée pour traiter du matériel non structuré, ce qui permet d’analyser des

textes « très longtemps après que ceux-ci aient été produits par un émetteur »

(Landry, 1993: 357). C’est pour ces raisons que cette méthode a été retenue.

Pour effectuer le travail, l’étudiant-chercheur s’est inspiré du modèle proposé

par L’Écuyer (1987: 54-61; 1990: 53-111), car il s’agissait d’une méthode

éprouvée pouvant satisfaire aux exigences sur les plans ontologique et

épistémologique de ce projet. Bien qu’appliquée avec rigueur, la méthode a

toutefois été légèrement adaptée afin de tenir compte des particularités de

cette étude.

2.2.2.1 LA PRÉANALYSE

Selon Mayer et Ouellet (1991: 484), la préanalyse vise trois objectifs : a) le

choix des documents à soumettre à l’analyse; b) la formulation des hypothèses

et des objectifs; et c) la détermination d’indicateurs sur lesquels s’appuiera

l’interprétation finale. Selon L’Écuyer (1990: 57-58), elle comprend des

lectures préliminaires et elle permet au chercheur d’avoir une vue d’ensemble

du matériel, de pressentir les unités de classification — et même d’établir une

liste d’énoncés, c’est-à-dire un premier découpage du matériel — et de saisir

certaines particularités qui deviendront des thèmes ou des catégories.

La préanalyse comprend fréquemment un prétest. Un tel travail a été réalisé

par l’étudiant-chercheur en 1994 dans le cadre d’un cours sur les méthodes de

recherche qualitative (Ninacs, 1994). Il s’agissait d’une analyse qualitative du

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132

contenu manifeste d’une entrevue de plus de deux heures accordée dans le

cadre de la recherche de 1992-1993 sur le DÉC. L’objectif était de vérifier

l’hypothèse voulant que l’empowerment soit un objectif fondamental du DÉC,

idée qui jaillissait des écrits sur le DÉC mais qui n’était pas fondée sur une

conceptualisation précise du DÉC. De fait, les constructions théoriques de

l’époque sur l’empowerment étaient très minces et elles constituaient

davantage des points de repère préliminaires qu’un véritable cadre

conceptuel. Ce travail était donc exploratoire, car les points de repère

n’étaient aucunement exhaustifs et parce que le repérage d’indices ne reposait

que sur des notions définies de façon plus ou moins précise.

La méthode utilisée était inspirée d’un modèle proposé par L’Écuyer (1987: 54-

61) avec de légères variations (aucune étape de préanalyse, aucun prétest).

Trois unités de classification thématiques ont été déterminées avant le

traitement selon des points de repère conceptuels, mais la démarche

demeurait ouverte à l’adoption de nouvelles catégories par l’identification

d’éléments absents du cadre conceptuel et de dimensions particulières de

l’empowerment sur le plan du DÉC. Ainsi, le modèle de traitement s’avérait

mixte quoiqu’il laissât beaucoup de place au raisonnement et à l’intuition du

chercheur.

Les informations recueillies ont été fort éclairantes et ont permis de nuancer

significativement les premières unités de classification. C’est à partir de ce

travail, en effet, que l’étudiant-chercheur a commencé à voir l’empowerment

comme un processus multidimensionnel insufflant une capacité d’action (tant

individuel que collectif). C’est à ce moment également qu’il a commencé à

identifier différentes dimensions de la conscientisation et de la participation et

à préciser certaines limites de l’empowerment, bref à formuler des hypothèses

et des objectifs de recherche ainsi qu’à définir des indicateurs d’interprétation

éventuelle. De plus, la confirmation de l’hypothèse voulant que des

manifestations de l’empowerment puissent surgir clairement du récit autorisait,

d’une certaine façon, l’utilisation des entrevues déjà existantes comme

matériau de recherche aux fins de cette étude doctorale.

Dans le cadre de la thèse, l’étape de préanalyse ne s’est toutefois pas limitée à

ce prétest. Durant les deux années qui ont suivi, d’autres cours à l’université et

d’autres travaux parascolaires ont donné lieu à des conceptualisations plus

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133

fouillées de l’empowerment (Ninacs, 1995a) et du développement économique

communautaire (Ninacs, 1993, 1995) ainsi qu’à une tentative préliminaire

d’établir un lien entre les deux phénomènes en partant des approches de

développement (Ninacs, 1996). C’est ainsi l’ensemble de ces activités qui a

servi à délimiter le foyer de la recherche en cours et qui a permis au chercheur

de développer une vue d’ensemble de son projet de thèse, de peaufiner sa

méthodologie de recherche et de pressentir certains thèmes et particularités

relatifs à l’objet de son étude.

2.2.2.2 LE CHOIX ET LA DÉFINITION DES UNITÉS DE CLASSIFICATION

L’unité de classification, aussi appelée unité d’enregistrement et unité

d’analyse, est définie comme étant la plus petite unité de signification. Elle

constitue cette portion du texte qui sera caractérisée par les catégories

analytiques et les règles d’énumération (Landry, 1993: 344-345). Selon

L’Écuyer (1990: 61), cette étape renvoie à « l’identification des éléments du

texte possédant un “sens complet” en eux-mêmes ».

Dans cette recherche, les unités de classification ont pris la forme

d’expressions et de segments de phrases mais surtout de phrases complètes et

de paragraphes relatifs : a) de façon générale, chez les individus ou les

communautés, aux transformations sur les plans de leur capacité à choisir, à

décider et à agir; b) à la prise en charge ou à la maîtrise des dispositifs

économiques et des ressources locales par les individus ou les communautés;

ou c) à l’une ou l’autre des dimensions de l’empowerment déjà identifiées dans

le cadre conceptuel au moment de la codification.

Ces dimensions constituaient des unités de classification thématiques (Landry,

1993: 345-346). Avant le traitement de la première entrevue, ces dimensions

étaient les suivantes :

• pour l’empowerment individuel :

- assistance muette; - compétences/connaissances techniques;

- conscience critique; - estime de soi;

- participation aux décisions; - prise de parole;

• pour le self-empowerment : enlèvement d’obstacles;

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134

• pour l’empowerment communautaire :

- circulation de l’information; - coopération/synergie;

- forces du milieu; - imputabilité;

- lieux décisionnels participatifs; - maillage des ressources locales;

- sentiment d’appartenance à la communauté;

- transparence.

Comme cela a été le cas durant le prétest, la démarche demeurait ouverte à

l’adoption de nouvelles unités de classification thématiques par l’identification

d’éléments absents du cadre conceptuel et de dimensions particulières de

l’empowerment sur le plan du DÉC.

L’utilisation d’unités de classification définies à l’avance s’avérait essentielle

pour cette étude, car elle examinait un phénomène déjà conceptualisé.

Cependant, comme cette recherche vise la découverte de connaissances, elle

n’aurait eu de sens que si elle arrivait à produire un savoir nouveau, sur le DÉC,

bien sûr, mais également sur l’empowerment. Ceci exigeait la possibilité

d’accepter des unités de classification inconnues au moment de la codification.

Se référer uniquement à une conceptualisation existante apparaissait comme

dangereusement limitatif (Strauss et Corbin, 1990: 68-69), car l’activité de

catégorisation (dont la détermination d’unités de classification thématiques

peut être comprise comme étant la première étape), « c’est, en fin de compte,

théoriser » (Paillé, 1994: 160).

Selon l’exploration qu’a fait Comeau (1994: 11-12) de l’utilisation de nouveaux

éléments de classification, on peut distinguer les catégories substantives des

catégories formelles. À ses yeux, ce qui est substantif émanerait des acteurs et

serait formulé autant que possible avec leurs termes, tandis que ce qui est

« formel » renverrait à la théorie. Pour lui, « les catégories substantives sont

essentiellement descriptives et sont induites par l’analyste pendant le

découpage du corpus » (ibid.: 12). Cela décrit assez bien ce qui s’est produit

dans cette étude : des unités de classification formelles ont été adoptées avant

la codification et des unités de classification substantives ont émergé pendant

le traitement.

Cependant, cette étude a tenté de préciser la signification des entrevues en

restant fidèle aux particularités de leur contenu. Elle s’est donc limitée à leur

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contenu manifeste — ce qui a été dit ou écrit explicitement dans le texte

(L’Écuyer, 1990: 22; Landry, 1993: 341) — et elle n’a aucunement cherché à

inférer par l’étude du contenu latent (Mayer et Ouellet, 1991: 480) ni sur le plan

de la catégorisation ni sur celui de l’analyse, et ce, afin d’éviter le piège de

l’extrapolation abusive (Gingras, 1992b: 37).

2.2.2.3 LE PROCESSUS DE CATÉGORISATION ET DE CLASSIFICATION

Cette étape constitue la phase de réorganisation du matériel (L’Écuyer, 1990:

63) au cours de laquelle les unités d’analyse ou, lorsqu’il y a lieu, certains de

leurs éléments, sont regroupés en fonction de leur sens. « Les catégories

peuvent être définies comme des classes caractérisant d’une même manière la

variété des unités d’analyse ou de leurs éléments. » (Landry, 1993: 348) Or les

catégories doivent provenir de deux sources principales : « du document lui-

même et d’une certaine connaissance générale du domaine dont il relève »

(Pinto et Grawitz, 1967, dans Mayer et Ouellet, 1991: 476). Le modèle mixte de

L’Écuyer (1990: 65-80) favorise une telle démarche en permettant l’adoption de

catégories préexistantes et l’ajout de nouvelles, induites du matériel analysé,

« qui ne découlent pas de façon stricte de la théorie qu’on tente de tester »

(Landry, 1993: 344). Puisque cette recherche avait pour objectif de mieux

connaître les différents types d’empowerment dans les initiatives de DÉC et

d’en déceler d’autres dans le contexte québécois de DÉC ou, tout au moins,

des sous-catégories des types connus, la souplesse du modèle mixte répondait

mieux à ses besoins.

Les étapes du modèle mixte sont (L’Écuyer, 1990: 76-80) :

1) regroupements préliminaires des énoncés selon leur appartenance à l’une

ou l’autre des catégories de la grille existante et éventuellement en

catégories préliminaires nouvelles;

2) élimination des catégories redondantes pour créer des catégories

distinctives;

3) identification définitive et la définition des catégories de la grille d’analyse;

4) classification finale de tous les énoncés à partir de la grille d’analyse.

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136

Les catégories doivent posséder plusieurs qualités dont généralement celles

identifiées par Mayer et Ouellet (1991: 486) : l’exclusivité, l’exhaustivité, la

pertinence, l’univocité et l’homogénéité. L’idée voulant que les catégories

doivent être mutuellement exclusives ne fait, toutefois, pas l’unanimité.

L’Écuyer (1990: 89-96) considère qu’un énoncé peut avoir plus d’un sens, c’est-

à-dire deux ou même trois sens différents, et puisque c’est « la différence de

sens qui doit demeurer le critère ultime » (ibid.: 91, italiques de l’auteur) de la

classification de l’énoncé, le principe d’une double ou même d’une triple

classification doit être retenu au lieu de celui de l’exclusivité. Cette recherche

n’a pas retenu l’exclusivité comme critère de catégorisation.

Une première étape de codification a été réalisée en 1998. Au fur et à mesure

que la première entrevue a été codée (n° 01), de nouvelles dimensions

substantives de l’empowerment ont surgi :

animation

besoin de sécurité

briser l’isolement

buts

buts DÉC

capacité d’agir

capacité de prendreun risque

contexte

décentralisation

espoir

exercice du contrôle

exercice du pouvoir

expérimentation parétapes

limites

objectifs du DÉC

obstacles

participation auxbénéfices

participationéconomique

perception des gens

« power to name »

processus

ressources

ressources requises

résultats

résultats DÉC

risques

solidarité / réciprocité(échanges)

traitement équitable

La codification d’une deuxième et d’une troisième entrevue (n° 05 et n° 02) n’a

révélé qu’une seule autre dimension : le leadership. La codification d’une

quatrième (n° 04) a toutefois produit quelques nouvelles unités :

accès aux lieuxdécisionnels

accès aux ressources

approche globale

capacité de prendredes décisions

coopération/synergie :limites

déclencheur

Page 36: CHAPITRE II MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE - · PDF file104 De son côté, s’inspirant de la phénoménologie, de l’existentialisme et des approches non directives de la psychologie

137

gestion interne

motivation

population(s) cible(s)

reconnaissance deson identité propre

rôles des acteurs

soutien (programmespublics)

Une catégorisation préliminaire s’effectuait en même temps que la codification

thématique, car il était généralement possible d’établir un lien entre l’énoncé

et un des trois types d’empowerment identifiés dans le cadre conceptuel

original (l’empowerment individuel, l’empowerment communautaire, le self-

empowerment). Cependant, après la codification des quatre premières

entrevues, la relecture d’une note de recherche d’avril 1998 sur l’existence

possible d’un autre type d’empowerment a suscité l’adoption d’une nouvelle

catégorie — l’empowerment organisationnel. Puisque le modèle de

catégorisation mixte était utilisé, cette nouvelle catégorie fut introduite dans la

codification de septembre.

La codification des entrevues n° 03 et n° 06 a également été partiellement

réalisée par la suite, mais aucune fiche49 n’a été produite et aucune nouvelle

unité de classification thématique n’a été identifiée. En fait, depuis le

traitement de la première entrevue (n° 01), certains énoncés ont été codés

« n/r », c’est-à-dire « texte non retenu ». Il s’agissait, généralement, de propos

non pertinents à la recherche tels des détails sur certains programmes publics

spécifiques, des anecdotes sur des sujets autres que ceux visés par l’entrevue,

des questions posées à l’étudiant-chercheur, etc. Le traitement des entrevues a

été interrompu au début de l’automne 1998, faute de ressources financières, et

n’a été repris qu’au printemps suivant.

Durant tout le processus de l’année 1998, des notes spontanées ont été inscrites

directement sur les fiches au moment de la transcription et quelques notes de

recherche plus élaborées ont été rédigées jusqu’au moment de la rédaction du

49 Le logiciel de base de données utilisé était FileMaker Pro, un logiciel que l’étudiant-

chercheur maîtrise très bien. Une note à l’été 1997 de Jean-Marie Van der Maren,

professeur de l’Université de Montréal ayant approfondi l'efficacité de logiciels Mac/OS

spécialisés et commerciaux dans l'analyse de données qualitatives, a confirmé qu’il était

« déjà bien équipé » avec FileMaker Pro.

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138

présent document. S’il est question de transcription ici, c’est que l’étudiant-

chercheur est une personne handicapée qui ne peut plus écrire que quelques

mots à la fois. Il a dû faire transcrire les citations des entrevues aux fiches

informatisées à partir d’un système de codes alphanumériques préétablis

correspondant aux unités de classification thématiques et aux catégories.

Lorsqu’une idée méritant d’être retenue jaillissait durant la codification, il

dictait celle-ci en faisant référence aux lignes de l’entrevue en cours. La

personne effectuant ces transferts de citations a également transcrit ces idées

sur les fiches correspondantes ou, s’il s’agissait d’une note plus générale, sur

un document que l’étudiant-chercheur conservait pour traitement ultérieur.

Une nouvelle étape de traitement des entrevues a débuté environ huit mois

plus tard, à la fin d’avril 1999. Cette nouvelle phase a été précédée de deux

mois de réappropriation théorique et méthodologique par l’étudiant-

chercheur, car la mise en garde contre l’excès de confiance dans ses

connaissances acquises ainsi que la rapidité de diffusion de certaines

productions intellectuelles — en particulier les recherches disponibles dans

Internet — exigeaient une mise à jour des connaissances théoriques avant

d’entreprendre la codification de nouveau.

Les nombreuses récapitulations des énoncés par catégories et par dimensions

des six entrevues, la rédaction de différentes notes de recherche et deux

« synthèses » des connaissances de l’étudiant-chercheur (la première en mars

1998 et la deuxième en janvier 1999) ont permis de dégager un portrait

progressivement plus complet des diverses variables ainsi que de nombreux

liens entre elles. La relation dialectique entre la codification en cours et les

nombreux retours aux ouvrages scientifiques sur l’empowerment et sur le DÉC

a provoqué une certaine analyse, le fruit de l’itération entre les cadres

conceptuels — surtout lorsqu’une dimension nouvelle apparaissait — et la

lecture inductive des notes de recherche et d’autres réflexions favorisant la

remise en question des cadres existants. Le résultat de ces activités

intellectuelles s’est manifesté par la rédaction à l’hiver 1999 du document de

travail intitulé « Notes pour un éventuel cadre conceptuel de l’empowerment

sur le plan du DÉC ».

Afin de tenir compte des diverses composantes de cette mise à jour

conceptuelle et partant de l’intuition de l’étudiant-chercheur — qui incluait,

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139

sans doute, un certain degré d’inférence —, un nouveau fichier a été bâti afin

d’inclure les catégories (caractères gras) et les champs suivants (qui

deviennent les unités de classification thématiques de cette étape) :

• le t y p e d’empowerment auquel l’énoncé se rattache : empowerment

individuel, empowerment organisationnel ou empowerment communautaire;

• la situation ou l’événement déclencheur du processus d’empowerment;

• le contexte dans lequel se réalise l’empowerment :

- pour l’empowerment individuel : au sein d’un groupe, d’une organisation

ou d’une communauté, ou seul (qui devient du self-empowerment);

- pour l’empowerment organisationnel ou communautaire : au sein d’une

communauté géographique, d’identité, d’intérêts ou fonctionnelle

(organisation perçue comme une communauté);

• les populations engagées dans le processus d’empowerment : les membres

des instances décisionnelles bénévoles (conseil d’administration,

comités...), les cadres, les membres du personnel rémunéré (non cadres),

les membres des équipes de travail bénévoles ou les usagers et usagères

ou consommateurs et consommatrices, selon le cas, des produits et services

de l’initiative;

• les dimensions des différents processus d’empowerment (incluant leurs

composantes respectives) :

- pour l’empowerment individuel : la participation (assistance muette,

exercice du droit de parole, exercice du droit d’être entendu,

participation aux décisions de façon positive (donner son aval) comme de

façon négative (refuser son consentement), capacité de contribuer et de

prendre le risque d’avoir à assumer les conséquences de sa participation),

les compétences (habiletés et connaissances permettant la participation

ou l’exécution de l’action), l’estime de soi (renversement des évaluations

négatives antérieures donnant lieu à l’autoreconnaissance de la légitimité

de son identité propre et ensuite de sa propre compétence, la

reconnaissance de cette même compétence par les autres) et la

conscience critique (capacité croissante d’analyse sociopolitique donnant

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140

lieu au développement d’une conscience collective, d’une conscience

sociale et d’une conscience politique);

- pour le self-empowerment : aux dimensions de l’empowerment individuel

s’ajoute l’enlèvement d’obstacles;

- pour l’empowerment communautaire : la participation (espaces

décisionnels accessibles, redistribution équitable du pouvoir), les

compétences (forces du milieu, imputabilité, maillage des ressources

locales, coopération et synergie, habiletés décisionnelles consensuelles,

organisationnelles — décisions qui sont mises en œuvre — et

gestionnaires du développement et des ressources, réseaux de soutien

aux individus), la communication (interaction positive, expression de

points de vue divergents, circulation de l’information générale, accès à

l’information spécifique, transparence dans les processus décisionnels) et

le capital communautaire (sentiment d’appartenance à la communauté et à

l’environnement, conscience de la citoyenneté);

• les objectifs poursuivis, c’est-à-dire les changements structurels visés sur

les plans économique et social afin d’assurer l’accès aux ressources et leur

utilisation;

• le contrôle des ressources, c’est-à-dire la façon dont s’exerce

concrètement la capacité d’action que doit produire l’empowerment;

• les facteurs structurants : interaction garantie, accent sur les processus,

système de valeurs articulées à l’intérieur d’une vision commune, ouverture

au changement, atmosphère d’apprentissage, occasions de mise en valeur

des compétences et des habiletés (les individus peuvent contribuer à son

développement par le biais d’actions concrètes bien planifiées et

coordonnées), leadership compétent (sur les plans organisationnel,

instrumental et social), de style consensuel, qui, simultanément, motive et

soutient, information et ressources matérielles et financières disponibles,

accessibles et utilisées, quelque chose à risquer et du temps;

• les obstacles à l’empowerment : personnels, organisationnels, structurels

(société);

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141

• les enjeux tels, entre autres, les limites des différents processus, les

orientations de l’intervention sociale dans un tel contexte, la place des

questions de genre, de race ou de handicaps physiques ou intellectuels, le

lien entre l’approche axée sur l’empowerment et le désengagement de l’État

et la mise en place de politiques de workfare.

Bien que les catégories et les unités de classification thématiques aient été

déterminées d’avance avec beaucoup plus de précision pour cette étape,

l’émergence d’autres unités de classification pendant la codification a été

acceptée, car l’objectif était de tirer profit au maximum du contenu manifeste

des entrevues. Cependant, il fallait une certaine vigilance afin de ne pas

tomber dans le piège inverse de l’extrapolation abusive, compte tenu du

nombre significatif d’unités formelles.

Puisque les catégories et les unités de classification thématiques avaient

changé lors de cette nouvelle étape, c’est-à-dire lorsqu’elles s’étaient

précisées, toutes les entrevues ont été traitées, y compris les six de 1998.

Aucune nouvelle catégorie n’a émergé durant la codification des 17 entrevues.

À l’inverse, plusieurs nouvelles dimensions se sont rajoutées :

• capital communautaire : confiance, désir de « faire sa part »;

• communication : insatisfactions connues par les autorités, langage qui se

comprend, production/diffusion d’analyses;

• compétences : capacité d’apprendre « sur le tas », capacité de recherche et

d’analyse, capacité d’évaluation/d’autoévaluation, capacité de faire face aux

crises, habiletés en communication;

• enjeux : « power to name », clientèles pauvres, complexité des structures de

concertation et de développement, conditions de travail, croissance,

impératifs du marché, participation volontaire, permanence des opérations,

répartition du pouvoir et des bénéfices économiques, solidarité,

syndicalisme/antisyndicalisme;

• facteurs structurants : activités de réflexion, assistance technique, capital

financier, locaux adéquats, modèles auxquels se référer, rôles connus ou

reconnus, taille permettant le contrôle, traitement équitable;

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142

• obstacles : dépendance financière, résistance d’alliés, ressources

inaccessibles, non disponibles ou inadaptées, rôles inconnus ou méconnus;

• participation : consultation;

• populations engagées : membres de l’organisme (assemblée générale),

membres de la communauté locale.

Cette étape de codification a consisté en une relecture attentive de toutes les

entrevues. Un total de 33 628 lignes de texte ont été codées (voir tableau 9).

TABLEAU 9. SOMMAIRE DES UNITÉS DE CLASSIFICATION UTILISÉES LORS DU

TRAITEMENT DES ENTREVUES EN 1999

PREMIER NIVEAU D’UNITÉS DE CLASSIFICATION : CATÉGORIES

contexte

dimension(communication)

dimension (compétences)

dimension (consciencecritique)

dimension (estime de soi)

dimension (participation)

enjeux

facteurs structurants

obstacles

populations engagées

DEUXIÈME NIVEAU D’UNITÉS DE CLASSIFICATION : DIMENSIONS

accent sur les processus

accès à l’informationspécifique

activités de réflexion

assistance muette

assistance technique

assumer les conséquencesde sa participation

atmosphèred’apprentissage

autoreconnaissancecompétence

autoreconnaissanceidentité propre

cadres

capacité d’analysesociopolitique

capacité d’apprendre «sur le tas »

capacité de contribuer

capacité de faire face auxcrises

capacité de prendre lerisque

capacité de recherche etd’analyse

capacité évaluation/autoévaluation

capital financier

circulation del’information générale

clientèles pauvres

communauté d’identité

communauté d’intérêts

communauté fonctionnelle

communauté géographique

complexité des structuresde concertation et dedéveloppement

conditions de travail

confiance

conscience collective

conscience de lacitoyenneté

conscience politique

conscience sociale

consultation

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143

DEUXIÈME NIVEAU D’UNITÉS DE CLASSIFICATION : DIMENSIONS (suite)

coopération et synergie

croissance

dépendance financière

désengagement de l’État

désir de « faire sa part »

double cible (économiqueet sociale)

droit d’être entendu

droit de parole

espaces décisionnelsaccessibles

forces du milieu

groupe

habiletés/connaissancesexécution de l’action

habiletés/connaissancesparticipation

habiletés consensuelles

habiletés décisionnelles

habiletés encommunication

habiletés gestionnaires(développement,ressources)

habiletés organisation-nelles (décisions mises enœuvre)

impératifs du marché

imputabilité

information accessible

information disponible

information utilisée

insatisfactions connuespar les autorités

interaction garantie

interaction positive

langage qui se comprend

leadership compétent

limites des différentsprocessus

locaux adéquats

maillage des ressourceslocales

membres de l’organisme(assemblée générale)

membres de lacommunauté locale

membres équipes detravail bénévoles

membres instancesdécisionnelles bénévoles

modèles auxquels seréférer

occasions de mise en valeurde compétences et habiletés

organisation

organisationnels

orientation del’intervention sociale

ouverture au changement

participation auxdécisions

participation volontaire

permanence des opérations

personnel rémunéré (noncadre)

personnels

place des questions degenre, de race ou dehandicaps physiques ouintellectuels

points de vue divergents

politiques de workfare

« power to name »

production/diffusiond’analyses

quelque chose à risquer

réciprocité

reconnaissancecompétence par les autres

redistribution équitabledu pouvoir

renversement évaluationsnégatives antérieures

répartition du pouvoir etdes bénéfices économiques

réseaux de soutien auxindividus

résistance d’alliés

ressources accessibles

ressources inaccessibles,non disponibles ouinadaptées

ressources disponibles

ressources utilisées

rôles connus ou reconnus

rôles inconnus ouméconnus

sentiment d’appartenance

seul

solidarité

structurels (société)

syndicalisme/antisyndicalisme

système de valeurs/visioncommune

taille permettant le contrôle

temps

traitement équitable

transparence

usagers et usagères/consommateurs etconsommatrices

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144

Il en est résulté 1 908 fiches de la codification, dont 1 516 ont été retenues en

vertu de leur pertinence par rapport au sujet traité (voir tableau 10 sur la page

suivante). Des notes ont été prises au fur et à mesure du processus de

codification. Parmi les fiches retenues, 226 contenaient des notes de

recherche.

Les fiches non utilisées contenaient des énoncés fournissant des informations

sur le contexte, les facteurs structurants et les obstacles à l’empowerment dans

certaines initiatives de DÉC de l’époque. Elles n’ont pas été utilisées, car

l’environnement avait changé depuis et il aurait fallu analyser les politiques

sociales de 1992, leur évolution depuis 1992, pour que ces entrevues aient une

signification scientifique. Puisque ce travail dépassait largement l’objectif de

cette thèse, ces fiches n’ont tout simplement pas été retenues.

2.2.2.4 LA QUANTIFICATION ET LE TRAITEMENT STATISTIQUE

L’idée d’une analyse quantitative repose sur le postulat voulant que « les

différences dans la répartition des contenus à chacune des catégories confèrent

un sens — pour ne pas dire tout le sens — à ces contenus » (L’Écuyer, 1990: 30,

italiques de l’auteur). Bien que « les tenants de l’approche qualitative postulent

que la signification réside dans la spécificité des messages analysés plutôt que

dans leurs caractéristiques quantitatives » (Landry, 1993: 342), il peut exister

plusieurs circonstances où il importerait de quantifier ainsi que de nombreuses

autres où la quantification ne serait pas nécessaire (Berelson, 1952, dans

L’Écuyer, 1990: 97-99). Parmi ces dernières, l’auteur inclut les études aux

échantillons restreints, où les fréquences seraient si faibles qu’une analyse

quantitative n’aurait pas de véritable signification (ibid.: 99).

Or la fréquence d’apparition des unités et des catégories n’a pas été compilée

dans cette étude, principalement à cause du nombre limité d’entrevues

analysées mais aussi parce le décompte des unités et des catégories est

considéré comme secondaire à leur simple présence ou absence.

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145

TABLEAU 10. TRAITEMENT DES ENTREVUES EN 1999

initiative répondant(s) fiches

n° type champ f/h

statut entout

rete-nues

01 entreprised’insertion

restauration f coordonnatrice 157 139

02 organisationintermédiaire

financement h coordonnateur 101 83

03 entreprisecommunautaire

employabilité h bénévole 95 73

04 entreprisecommunautaire

informatique f coordonnatrice 124 103

05 coopérative deconsommation

alimentation naturelle f directricegénérale

111 97

06 entreprisecommunautaire

vêtements et meubles usagés f présidente 99 88

07 organisationintermédiaire

CDÉC (sociocommunautaire) f cadre 138 119

08 entreprisecommunautaire

gestion édifice f bénévole 110 87

09 base d’appui formation h bénévole 75 46

10 entreprised’insertion

manufacture h cadre 146 119

11 entreprisecommunautaire

employabilité h bénévole 79 51

12 organisationintermédiaire

CDC (conseil d’administration) h bénévole 105 67

13 entreprise fauteuils roulants h propriétaire 62 37

14 organisationintermédiaire

CDC (direction générale) h coordonnateur 145 111

15 entreprised’insertion

restauration 1 f,1 h

employée etemployé

126 105

16 organisationintermédiaire

CDÉC (conseil d’administration) h bénévole 133 104

17 regroupement groupes d’entraide f cadre 102 87

1 908 1 516

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146

2.2.2.5 L’ANALYSE QUALITATIVE

Si l’analyse quantitative renvoie à une description exacte des caractéristiques

particulières qui ressortent des compilations statistiques, l’analyse qualitative

« consiste à décrire les particularités spécifiques des différents éléments

regroupés sous chacune des catégories et qui se dégagent en sus des seules

significations quantitatives » (ibid.: 30, italiques de l’auteur). En fait, l’analyse

qualitative « met l’accent sur les nuances qui existent dans les ressemblances et

les différences qui ressortent des catégories analytiques » (Landry, 1993: 342),

l’analyse proprement dite correspondant à l’application systématique des

règles de codification définies précédemment (ibid.: 352). Or la codification

renvoie « à une transformation des données brutes du texte [...] qui, par

découpage, agrégation et dénombrement, permet d’aboutir à une

représentation du contenu, ou de son expression, susceptible d’éclairer

l’analyste sur des caractéristiques du texte. » (Bardin, 1986, dans Mayer et

Ouellet, 1991: 485).

C’est ce qui s’est produit dans cette recherche, car une relecture en profondeur

de toutes les fiches, y compris celles non retenues, a ensuite été effectuée avec,

comme résultat, l’émergence de thèmes spécifiques qui venaient se rajouter de

façon intuitive aux classifications existantes. Ces thèmes se présentaient

comme des regroupements de sens qui pourraient faciliter l’analyse et

l’interprétation. Ils devenaient ni plus ni moins d’éventuels chapitres ou

sections de la thèse. Il s’agissait des suivants : la pauvreté, le DÉC,

l’empowerment, l’intervention sociale, l’empowerment entrepreneurial social,

le rôle des organisations et le capital communautaire. En tout, 27 fiches

préalablement non retenues ont été rajoutées au corpus.

Chaque fiche contenait maintenant de nombreuses rubriques — catégories

originales, dimensions (unités de classification thématiques), thèmes —

permettant des agencements et des tris multiples ainsi que plusieurs données

assurant le retour au matériau original (textes des entrevues) et un meilleur

contrôle (numéros des fiches, des entrevues, des lignes…). Les fiches ont été

triées et étudiées à plusieurs reprises, ce qui constituait l’équivalent de

nombreux déploiements « horizontaux » des idées retenues.

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147

L’étude approfondie des 1 543 fiches s’est soldée par la conservation de 807

fiches « d’idées », chaque fiche incluant, au-delà des citations, toutes les notes

de recherche y correspondant. Les 736 autres fiches ont été mises de côté, car

une certaine incertitude s’est développée chez l’étudiant-chercheur quant à

leur signification réelle. Ce dernier ne voulait pas les inclure tant qu’un

sentiment de doute persisterait quant à leur sens véritable et il voulait, à tout

prix, éviter de saisir un contenu latent. Bref, ce qui avait jadis semblé clair ne

l’était plus — et encore moins en comparaison avec les fiches « d’idées ».

L’étudiant-chercheur a donc choisi de se limiter à ce que les énoncés

affichaient clairement comme information et a mis ce matériel de côté.

Seules les 807 fiches « d’idées » donc contenaient le matériel de base ayant

servi à l’analyse. Leur étude a donné lieu à un raffinement supplémentaire : à

partir de chaque énoncé ou note apparaissant sur la fiche ont été identifiées

une ou plusieurs citations spécifiques qui pouvaient soutenir une dimension

précise des différents thèmes. Le nombre de citations spécifiques par thème

est le suivant :

TABLEAU 11. NOMBRE DE CITATIONS SPÉCIFIQUES PAR THÈME

capital communautaire 28 empowerment individuel 3

DÉC 59 intervention sociale 91

empowerment 19 pauvreté 12

empowerment communautaire 9 rôle de l’organisation 172

empowerment entrepreneurial 413

2.2.2.6 LA PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

Ces citations spécifiques ont été imprimées, l’une après l’autre, après avoir été

triées par thème et, à l’intérieur de chaque thème, par « l’idée » à laquelle la

citation se rattachait. Plusieurs citations spécifiques n’étaient toutefois pas

encore liées à une idée particulière et plusieurs idées ont changé après de

nouvelles lectures. L’évolution de ces idées n’est pas détaillée ici, car le

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148

processus n’était aucunement linéaire, de nouvelles idées jaillissant même

durant la rédaction de la description des résultats, ce qui obligeait une

relecture d’autres citations et une réécriture de la description en cours. Cela

dit, les idées similaires faisaient apparaître des sous-thèmes et certains thèmes

sont devenus des sous-thèmes d’autres thèmes.

Comme indiqué dans le tableau 11 sur la page précédente, neuf grands thèmes

ont émergé du processus de précision des idées contenues dans les citations.

Certains de ces thèmes faisaient référence aux différents cadres conceptuels

présentés dans le deuxième chapitre de cette thèse : la pauvreté, le DÉC,

l’empowerment en général et l’empowerment individuel et communautaire en

particulier. Les citations identifiées à ces thèmes ne sont pas présentées dans

le chapitre traitant des résultats, car elles n’offraient aucun élément

d’information nouveau. Par contre, les citations classifiées sous les quatre

autres thèmes apportaient beaucoup d’idées nouvelles. Ces quatre grands

thèmes sont :

1) l’intervention sociale dans les initiatives de DÉC, qui englobe, outre des

caractéristiques générales, l’intervention sociale en milieu de DÉC auprès

des individus, celle dans les entreprises d’insertion et celle auprès des

communautés;

2) le rôle de l’organisation dans les processus d’empowerment, qui inclut les

liens entre l’organisation et l’empowerment individuel, l’empowerment

organisationnel en tant que tel ainsi que les liens entre l’organisation et

l’empowerment communautaire;

3) l’empowerment entrepreneurial, qui comprend les caractéristiques, les

manifestations et les enjeux particuliers de l’entrepreneuriat social;

4) le capital communautaire, qui renvoie aux éléments de cette dimension de

l’empowerment communautaire présentés dans le chapitre précédent.

Les résultats sont décrits dans le chapitre suivant en fonction de ces thèmes et

de ces sous-thèmes.

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149

2.2.3 LA VALIDITÉ ET LA FIDÉLITÉ DE CETTE RECHERCHE

Tout ce qui a été exposé et étudié dans le présent chapitre – les fondements

épistémologiques de l’approche adoptée, les divers aspects pratiques de la

méthode retenue, le rôle du chercheur et son objectivité, le matériel utilisé –

avait pour objectif principal d’étayer le caractère scientifique de cette

recherche. En d’autres mots, l’étudiant-chercheur a voulu démontrer que sa

façon de procéder (l’approche adoptée et les méthodes utilisées) permet de

croire que la réalité présentée dans sa recherche (les résultats) est telle qu’elle

est et non pas telle qu’il l’aurait souhaitée. En fait, selon Deslauriers (1991: 99),

« [la] recherche qualitative ne peut [pas] se soustraire à la démonstration de la

validité de ses résultats et de la fidélité de ses techniques ». Il ajoute, toutefois,

que la recherche qualitative a développé des indicateurs particuliers de

validité et de fidélité (ibid.: 100), c’est-à-dire « ses propres critères

d’objectivité » (Comeau, 1994: 1).

Ainsi, selon Comeau, la validité d’une recherche qualitative comporterait deux

aspects : 1) la crédibilité, qui renvoie à la justesse de l’identification et de la

description de l’objet ainsi qu’à la vraisemblance des résultats; et 2) la

validation, qui concerne la concordance entre les résultats obtenus et les

données recueillies. Quant à la fidélité, celle d’une recherche qualitative

comprendrait également deux concepts : 1) la transférabilité, qui suppose

qu’un autre chercheur pourrait reprendre la recherche; et 2) la fiabilité, qui

renvoie à la constance dans l’application des méthodes et des règles de

codification (ibid.: 9-10).

Sur le plan de la crédibilité, cette recherche satisfait à tous les critères indiqués

par Comeau, dont :

• la présence prolongée de l’étudiant-chercheur dans le domaine du DÉC;

• la description minutieuse, dans ce chapitre, du cheminement de l’étudiant-

chercheur sur les plans de la catégorisation et de la classification des

données, ainsi que de toutes les procédures qu’il a utilisées lors de toutes

les étapes de cette étude;

• les efforts pour analyser toutes les façons dont l’empowerment semble se

produire dans les initiatives de DÉC même si ces façons ne correspondaient

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150

pas complètement à son modèle conceptuel présenté dans le premier

chapitre de cette thèse. Sans prétendre avoir effectué une recherche de cas

négatifs en tant que telle (Patton, 1990: 463; Strauss et Corbin, 1990: 108-

109), l’étudiant-chercheur montre qu’il ne s’est pas limité dans son analyse

aux paramètres de sa conceptualisation initiale;

• l’illustration de chaque résultat (dans le chapitre suivant) par des extraits

d’entrevues (citations).

Sur le plan de la validation, l’étudiant-chercheur n’a toutefois pas eu recours à

la triangulation, car la nature exploratoire de cette thèse ne permettait pas la

vérification auprès d’autres études et parce que la recherche était limitée à

l’analyse de matériel secondaire. Ces limites ont été notées dans la partie de

ce chapitre traitant du matériel retenu pour cette recherche (2.2.1.3). Certes,

comme le propose Laperrière (1997: 384-386), il existe d’autres formules pour

assurer la justesse du lien entre l’interprétation et l’observation empirique.

Parmi les procédés suggérés par cette auteure, on trouve dans cette

recherche :

• une codification précise, consistante et exhaustive des données;

• une reformulation des catégories jusqu’à saturation (bien que la façon dont

le matériel secondaire a été utilisé ici ait pu limiter la saturation puisqu’elle

excluait le recours à de nouvelles entrevues);

• une adaptabilité de la théorie par l’introduction d’un nouveau type

d’empowerment (l’empowerment organisationnel) et par la suggestion de

liens entre la conceptualisation de l’empowerment et celle de

l’entrepreneuriat.

Sur le plan de la transférabilité, dans le chapitre qui suit, chaque résultat

s’appuie sur des citations clairement identifiées et numérotées de façon à

retrouver sans difficulté les fiches correspondantes. L’étudiant-chercheur a

également conservé ses notes de recherche et les ébauches de ses

constructions théoriques en ordre chronologique ainsi que ses réflexions

personnelles relatives à des citations particulières (consignées sur les mêmes

fiches que les citations en question). De cette façon, si la reproductibilité de

l’étude était jugée nécessaire, elle serait donc possible.

Page 50: CHAPITRE II MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE - · PDF file104 De son côté, s’inspirant de la phénoménologie, de l’existentialisme et des approches non directives de la psychologie

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Pour démontrer la fiabilité, on peut avoir recours à la recherche et l’analyse de

cas spécifiques ou négatifs, à la triangulation et à la saturation selon Comeau

(1994: 10). Or l’absence de recours à l’étude de cas négatifs et à la

triangulation ainsi que les limites imposées par le matériel secondaire sur le

plan de la saturation ont déjà été notées ici. Ces lacunes réduisent-elles la

fiabilité de cette thèse? Pas nécessairement car, comme le signale Laperrière

(1997: 388), la facilitation de la reproduction et de l’évaluation des analyses par

d’autres chercheurs peut contribuer à rendre les analyses fiables. À titre

d’exemple, Lincoln et Guba (1985, dans Deslauriers, 1991: 101) suggèrent de

demander à un autre chercheur d’effectuer une vérification méticuleuse de la

recherche — à l’image de ce qu’un vérificateur-comptable fait pour un rapport

financier. Une telle opération n’a pas été demandée pour cette thèse.

Cependant, les nombreuses pistes de vérification qu’elle contient — citations

clairement identifiées et numérotées, unités de classification précises et

expliquées, méthodes de recherche soigneusement et ouvertement

explicitées, notes de recherche classées… — permettent de penser qu’une

telle vérification serait réalisable. Ainsi, la fiabilité de la présente recherche

demeure hautement plausible.

En somme, cette thèse répond, de façon générale, aux normes reconnues de

validité et de fidélité en recherche qualitative.