chapitre 3 les consommateurs

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Chapitre 3 Les consommateurs Yansan 3.1 Les hypothèses Le problème canonique en microéconomie est sans doute celui du consom- mateur qui maximise son utilité sous contrainte budgétaire. Dans ce qui suit, nous dérivons les résultats principaux qui découlent de ce problème. Nous passerons très rapidement à l’utilisation de la fonction d’utilité plutôt que les préférences, dans la mesure ou ces dernières n’apparaissent que rarement dans la littérature en micro-économie du développement. Toutefois, il est important d’être conscients du fait que l’existence, par exemple, de la fonc- tion d’utilité, n’est pas un résultat évident, et que ce dernier a été l’objet de nombreuses recherches théoriques au cours de plus d’un siècle. Une question primordiale en microéconomie du développement découle de la rationalité des agents économiques. L’hypothèse de travail dans cet ou- vrage est, évidemment, que les agents sont rationnels. Mais il est important de comprendre que rationalité n’implique pas efficacité, et efficacité n’im- plique pas un niveau de vie élevée. Une contribution majeure à la pensée sur le processus du développement, entérinée par Schultz 1964 dans son ouvrage Transforming Traditional Agriculture, est que les paysans dans les pays en développement sont pauvres mais efficaces (au sens de Pareto —nous traite- rons de cette question plus en détail au chapitre 4 sur l’équilibre général). Ici l’hypothèse, qui est d’ailleurs celle de la plupart des auteurs travaillant aujourd’hui dans le domaine, serait que les paysans sont pauvres, mais ra- tionnels : l’efficacité des allocations n’est donc pas supposée ce qui, d’une part ouvre une véritable boite de Pandore en termes de modélisation (les dé- viations par rapport à l’optimum de premier rang sont innombrables) mais 121

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Page 1: Chapitre 3 Les consommateurs

Chapitre 3

Les consommateurs

Yansan

3.1 Les hypothèses

Le problème canonique en microéconomie est sans doute celui du consom-mateur qui maximise son utilité sous contrainte budgétaire. Dans ce qui suit,nous dérivons les résultats principaux qui découlent de ce problème. Nouspasserons très rapidement à l’utilisation de la fonction d’utilité plutôt queles préférences, dans la mesure ou ces dernières n’apparaissent que rarementdans la littérature en micro-économie du développement. Toutefois, il estimportant d’être conscients du fait que l’existence, par exemple, de la fonc-tion d’utilité, n’est pas un résultat évident, et que ce dernier a été l’objet denombreuses recherches théoriques au cours de plus d’un siècle.

Une question primordiale en microéconomie du développement découlede la rationalité des agents économiques. L’hypothèse de travail dans cet ou-vrage est, évidemment, que les agents sont rationnels. Mais il est importantde comprendre que rationalité n’implique pas efficacité, et efficacité n’im-plique pas un niveau de vie élevée. Une contribution majeure à la pensée surle processus du développement, entérinée par Schultz 1964 dans son ouvrageTransforming Traditional Agriculture, est que les paysans dans les pays endéveloppement sont pauvres mais efficaces (au sens de Pareto —nous traite-rons de cette question plus en détail au chapitre 4 sur l’équilibre général).Ici l’hypothèse, qui est d’ailleurs celle de la plupart des auteurs travaillantaujourd’hui dans le domaine, serait que les paysans sont pauvres, mais ra-tionnels : l’efficacité des allocations n’est donc pas supposée ce qui, d’unepart ouvre une véritable boite de Pandore en termes de modélisation (les dé-viations par rapport à l’optimum de premier rang sont innombrables) mais

121

Page 2: Chapitre 3 Les consommateurs

122 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

suggère la piste analytique à suivre.

3.1.1 La rationalité économique des paysans dans lespays en développement

On a longtemps débattu sur la question de savoir si les paysans dans lesPED sont rationnels. La première question qui se pose est de savoir ce quel’on entend par “rationalité”.

ChayanovLes arguments anthropologiques

Un exemple : Le Potlatch

Un modèle extrêmement simple permet aisément de rationaliser ce genrede comportement d’une manière économique.1 Si l’utilité du ménage n’estdéfinie que sur une période, et si nous dénotons la consommation de l’individupar ci, la quantité du bien de consommation détruite lors du Potlatch par ϕi,et le revenu de l’individu par yi,

(yi, 0) = (c∗i , ϕ∗i ) =

argmaxci,ϕi

U(ci) s.c. yi ≥ ci + ϕi

.

En d’autres termes, il sera irrationnel pour l’agent de dépenser des ressourcessur le Potlatch. Supposons par contre que le problème se déroule sur deuxpériodes et que les ressources disponibles en deuxième période dépendentd’une compétition entre agents en termes de destruction. Une façon simplede formaliser ceci est de supposer que les institutions culturelles donnent lieuà une fonction

yi2 = yi2(ϕi, ϕj),

avec∂yi2(ϕi, ϕj)

∂ϕi> 0,

∂yi2(ϕi, ϕj)

∂ϕj< 0.

Ici, la fonction yi2(ϕi, ϕj) représente le fait que le prestige de l’agent i est unefonction croissante de ses destructions au temps 1 et une fonction décroissantedes destructions opérées par l’agent j. Le problème, intertemporel cette fois,de l’agent est alors donné par :

maxci1,ci2,ϕi

U(ci1) + δU(ci2)

s.c.

yi1 ≥ ci1 + ϕiyi2(ϕi, ϕj) ≥ ci2.

1Boas et Malinowsky, trouver citations

Page 3: Chapitre 3 Les consommateurs

3.1. LES HYPOTHÈSES 123

Sous forme non-contrainte, le problème devient

maxϕi

U(yi1 − ϕi) + δU(yi2(ϕi, ϕj))

La CPO correspondante est alors donnée par :

−U ′(yi1 − ϕ∗i ) + δ∂yi2(ϕ

∗i , ϕj)

∂ϕiU ′(yi2(ϕ

∗i , ϕj)) = 0, i = j.

Une solution où ϕ∗i > 0 est évidemment probable dans ce cas. Cette exempletrès simple montre qu’il est difficile a priori d’exclure une rationalité éco-nomique derrière des comportements qui, de prime abord, peuvent paraîtreirrationnels : il suffit de gratter un peu la surface pour voir apparaître unerationalité parfaite dans les comportements.

Un deuxième exemple : L’altruisme

On pense souvent que l’économie ne traite que de décisions égoistes, prisesuniquement sur la base des intérêts personnels de l’individu. Rien ne pourraitêtre plus faux, et le père des théories de l’altruisme en économie n’est autreque Gary Becker, l’un des membres les plus connus de l’école de Chicago,pourtant peu connue pour sa vision gauchiste du monde. Considérons le casd’un cadeau, fait par l’individu i à l’individu j.2

maxϕ

Ui(yi − ϕ) + δUj(yj + ϕ).

La CPO qui définit implicitement la valeur optimale du cadeau est alorsdonnée par

−U ′i(yi − ϕ∗) + δU ′

j(yj + ϕ∗) = 0.

Par différenciation implicite, on remarquera que

dϕ∗

dδ= −

∂∂δ

[−U ′

i(yi − ϕ∗) + δU ′j(yj + ϕ∗)

]

∂∂ϕ∗

[−U ′

i(yi − ϕ∗) + δU ′j(yj + ϕ∗)

]

= −U ′j(yj + ϕ∗)

U ′′i (yi − ϕ∗) + δU ′′

j (yj + ϕ∗)> 0.

On voit donc que la valeur du cadeau est une fonction croissante du degréd’altruisme de l’individu i pour l’individu j.

Dans le chapitre qui suit, nous n’allons pas, malheureusement, examinerdes questions fascinantes comme le Potlatch ou l’altruisme, car il nous faut

2Trouver une citation de Mauss sur le don.

Page 4: Chapitre 3 Les consommateurs

124 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

d’abords bien maîtriser les bases de la théorie du consommateur classique.Par contre, vous devriez être convaincus qu’il est possible de modéliser éco-nomiquement, en termes de choix optimisant, une série de comportementsqui sont de prime abord complètement divorcés du calcul économique. Lamaîtrise des résultats élémentaires qui suivent vous permettra à votre tourde construire des modèles intéressants qui nous permettrons de mieux com-prendre le comportement des paysans dans les sociétés en développement.

3.1.2 La relation de préférence. Les bases axiomatiques

Soit X l’ensemble de consommation. Cet ensemble, qui est un sous-ensemble de l’espace euclidien est (i) fermé, (ii) convexe et (iii) borné parle bas. L’ensemble budgétaire B(p, y) d’un consommateur est défini commesuit :

B(p, y) = x ∈ X| p′x ≤ y ,où p est le vecteur des prix des biens de consommation et y est le revenu duconsommateur.

Afin de construire une théorie du comportement des consommateurs, unebase axiomatique minimale est requise. Les axiomes essentiels sont les sui-vants. Soit la représentation des préférences. La notation

x y

se lit : “x est au moins aussi bon que y”. Les quatre axiomes suivants nouspermettrons de construire une fonction d’utilité à partir d’une relation depréférence.

Axiome 1 (réflexivité) : ∀ x ∈ X, x x ;

Axiome 2 (transitivité) : ∀ x,y, z ∈ X x y et y z, alorsx z ;

Axiome 3 (complétion) : ∀ x,y ∈ X, soit x y ou y x.

Axiome 4 (continuité) : ∀ x ∈ X, ∀ y ∈ X les ensembles x yet y x sont fermés relativement à X.

Les Axiomes 1, 2 et 3 sont intuitifs dans le contexte des préférences.L’Axiome 1 nous dit tout simplement que x est aussi bien que lui même.L’Axiome 2, la transitivité, est intuitivement évidente, mais est souvent vio-lée dans la réalité. Fort heureusement, elle n’est pas nécessaire pour la plu-part des résultats de la théorie des consommateurs (voir Sonnenschein, parexemple). L’Axiome 3, qui paraît relativement inoffensive, est en fait extrê-mement forte. En mots, elle nous dit que les individus, lorsqu’on les confronte

Page 5: Chapitre 3 Les consommateurs

3.1. LES HYPOTHÈSES 125

avec un choix entre deux paniers de consommation, n’ont pas le droit de dire“je ne sais pas choisir”. Dans un certain sens, c’est une hypothèse de “super-rationalité”, dans la mesure où les agents Economiques sont supposés pouvoirclasser TOUS les paniers de consommation, même les plus absurdes.

L’Axiome 4 est une condition topologique qui est très forte (un contre-exemple qui ne satisfait pas cet axiome est représenté par les préférenceslexicographiques ; pensez à l’ordre dans lequel apparaissent les mots dansle dictionnaire). En fait, l’Axiome 4 garantit que l’ensemble des allocationscorrespondantes à l’indifférence ne sera pas constitué par l’ensemble vide.Le quatrième axiome est essentiel pour la construction des courbes d’indiffé-rence.

Deux autres définitions seront utiles dans ce qui suit : les concepts depréférence stricte et d’indifférence :

Préférence stricte : x y (qui se lit : “x est préféré à y) si et seulementsi x y et non y x.

Indifférence : x y et y x.

3.1.3 Des préférences à la fonction d’utilité

La fonction d’utilité représente une façon extrêmement utile de représen-ter les préférences des consommateurs, et nous permettra de discuter despropriétés des fonctions de demande des consommateurs, par exemple, defaçon compréhensible. Essentiellement, la fonction d’utilité est une représen-tation fonctionnelle de la relation de préférence.

Définition d’une fonction d’utilité. Soit X un ensemble et unerelation binaire sur X. Alors une fonction U : X → R est une représentationde , c.à.d. une fonction d’utilité pour les préférences , si ∀ x,y ∈ X,U(x) ≥ U(y) si et seulement si x y.

Existence d’une fonction d’utilité. Supposons que les préférencesdes consommateurs satisfont les Axiomes 1 à 4. Il existe alors une fonctiond’utilité continue qui représente ces préférences. (démonstration : voir, parexemple Barten et Böhm, HBME, vol. 2, pp. 388-390)

La démonstration de l’existence d’une fonction d’utilité est du domainede la topologie, et est due à Debreu (1954) et Rader (19XX).

Deux remarques s’imposent ici. Premièrement, l’utilité est toujours dé-finie sur un vecteur de consommations. Lorsque l’on spécifie, par exemple,une fonction d’utilité qui dépend du revenu, on ne parle pas d’une fonctiond’utilité stricto senso, mais plutôt d’une fonction d’utilité indirecte qui cor-respond à la fonction d’utilité, évaluée à l’optimum. Deuxièmement, l’utilité

Page 6: Chapitre 3 Les consommateurs

126 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

est définie jusqu’à une transformation croissante monotone. Ceci est parceque la solution du problème de maximisation

maxc

U(c) s.c. c ∈ B

est identique à la solution du problème

maxc

f(U(c)) s.c. c ∈ B

où f ′ > 0.

3.1.4 Hypothèses supplémentaires sur les préférences.Conséquences pour la fonction d’utilité

Les hypothèses supplémentaires suivantes sont normalement imposées surles préférences des consommateurs, et mènent aux propriétés suivantes de lafonction d’utilité associée.

Monotonicité : les préférences d’un consommateur sont monotones six y et x =y implique xy. La fonction d’utilité associée à ces préférencesest alors croissante dans ses arguments.

Non-satiété : Pour tout ∀ x ∈ X et ∀ e > 0, alors ∃ y ∈ X avec|x− y| < e tel que yx. Ceci implique que la fonction d’utilité est non-constante dans le voisinage d’un point x.

1c

2c

F. 3.1 — Un exemple de satiété

Convexité : Soit x=y et z ∈ X ; si x z et y z, il suit que αx +(1− α)y z, ∀α ∈ [0, 1]. Si les préférence sont convexes, alors la fonctiond’utilité sera quasi-concave.

Page 7: Chapitre 3 Les consommateurs

3.2. LES DÉTERMINANTS DE L’UTILITÉ 127

Le fait que l’utilité d’un individu soit croissant dans chacun des argumentsne devrait pas paraître particulièrement forte. La non-satiété, quant à elle,exclut des courbes d’indifférences “épaisses”. La convexité, implique que lescourbes d’indifférence auront la forme convexe à l’origine à laquelle vous êteshabitué(e).

1c

2c

F. 3.2 — Préférences convexes

3.2 Les déterminants de l’utilité

Vous aurez remarqué que nous avons écrit la fonction d’utilité U = U(c)ou c est un vecteur de consommations. A première vue, le mot “consom-mation” semblerait dénoter des dépenses courantes, comme l’alimentation,les habits, les loisirs, etc. Mais il faut faire attention au réductionnisme. Par“consommation” on entend, en effet, beaucoup plus que les consommationscourantes.

Prenons un exemple concret : la santé. Il est difficile de dire que, ceterisparibus, un consommateur sera indifférent entre être en bonne santé et êtreen mauvaise santé. Le QALY3

Évidemment, l’état de santé d’un individu sera fonction en grande partiede son vecteur de consommation, dans la mesure ou

Le paradoxe d’Easterlin 1975"The data suggest that at any one time the higher the income, the greater

the probability of happiness ; but over time as income rises the quantum ofhappiness either does not change or actually falls. If happiness is the same

3Variable santé : 0 (très mauvaise), 1 (mauvaise), 2 (acceptable), 3 (bonne), 4 (trèsbonne). Source : PNAD 1998.

Page 8: Chapitre 3 Les consommateurs

128 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

Pathologie coefficient statistique zColonne vertébrale −0.4670 −81.75Arthrite −0.4824 −61.19Cancer −0.9773 −24.67Diabètes −0.4592 −32.85Bronchite −0.5693 −65.44Hypertension −0.4182 −58.06Maladie cardiaque −0.5281 −50.63Reins −0.4571 −37.29Dépression −0.5671 −63.36Tuberculose −0.9711 −15.75Tendinite −0.0991 −7.12Cirrhose −0.6244 −13.08Âge −0.0044 −13.78Âge au carré −0.00009 −22.71Muette homme 0.0366 9.46Paramètres ancillaires écart-typeCut 1 −3.7115 0.0112Cut 2 −2.7764 0.0075Cut 3 −1.4077 0.0057Cut 4 0.2626 0.0052

Santé Probabilité observée0 Pr(xb+u < cut1) 0.00651 Pr(cut1 < xb+u < cut2) 0.03022 Pr(cut2 < xb+u < cut3) 0.17593 Pr(cut3 < xb+u < cut4) 0.51934 Pr(cut4 < xb+u) 0.2681

N = 343935Prob > χ2(15) = 0.0000Pseudo R2 = 0.1290Log vraisemblance = −340693

T. 3.1 — Ponderations QALY pour le Bresil. Coefficients d’une regression enprobit ordonne de l’auto-evaluation de la sante sur la presence de differentespathologies

Page 9: Chapitre 3 Les consommateurs

3.3. UTILITÉ ET DÉPENSES 129

a utility, then utility does not seem to increase as the consumption levelincreases." (Leibenstein 1976, p. 197)

3.3 Utilité et dépenses

3.3.1 Maximisation de l’utilité

Dans ce qui suit, nous supposerons que U(c) est croissant dans ses argu-ments, c’est à dire, que le vecteur N × 1 :

∇cU(c) ≥ 0N .

Nous supposerons également que la fonction d’utilité est concave en ses ar-guments, ce qui implique que la matrice N ×N

∇2ccU(c)

est une matrice (N ×N) semi-définie négative. Formellement, rappelons quececi implique que :

z′∇2ccU(c)z ≤ 0, ∀ z.

Considérons le problème suivant :

Probleme A : maxc

U(c) s.c. p′c ≤ y.

Le Lagrangien correspondant est donné par

Λ = U(c)− λ (p′c− y) .

La solution à ce problème d’optimisation nous donne les fonctions de de-mande “marshalliennes” :

m(p, y) = argmaxc

U(c) s.c. p′c ≤ y ,

qui sont donc fonction du vecteur des prix et du revenu du consommateur.Substituons ensuite les choix optimaux des consommations des biens dans lafonction objective originale. Nous obtenons ainsi la “fonction d’utilité indi-recte” :

V (p, y) = U(m(p, y)).

Page 10: Chapitre 3 Les consommateurs

130 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

3.3.2 Propriétés de l’utilité indirecte

Tout comme pour la fonction de profit, la fonction d’utilité indirecte ad-met une série de propriétés élémentaires.

(i) par le théorème du maximum, V (p, y) est une fonction continue ;

(ii) V (p, y) est décroissant en p, croissant en y ;

(iii) V (p, y) est quasi-convexe en p ;

(iv) V (p, y) est homogène de degré zéro en p, y : V (kp, ky) =V (p, y), k > 0.

La démonstration de ces propriétés devrait être évidente, étant donnéequ’elles ressemblent énormément aux propriétés d’une fonction de profit, quenous avons vues au chapitre précèdent. Évalué à l’optimum, le Lagrangienest donné par :

Λ = U(m(p, y))− λ∗ (p′m(p, y)− y) .

Par le Théorème de l’Enveloppe (Recette 9), nous pouvons écrire :

dy=

∂Λ

∂y=

∂y(U(m(p, y))− λ∗ (p′m(p, y)− y)) = λ∗ > 0,

car la contrainte budgétaire est supposée saturée. De même :

dpi=

∂Λ

∂pi=

∂pi(U(m(p, y))− λ∗ (p′m(p, y)− y)) = −λ∗mi(p, y) < 0.

Donc la fonction d’utilité indirecte est bien croissante dans le revenu et dé-croissante dans les prix des biens. Pour ce qui est de la convexité par rapportaux prix, la démonstration procède comme pour la concavité de la fonctionde coûts ou la convexité de la fonction de profit. Prenons deux vecteurs deprix pa et pb, ainsi que leur combinaison convexe

pc = λpa + (1− λ)pb, λ ∈ [0, 1].Les conditions de premier ordre qui définissent implicitement les demandesmarshalliennes sont données par :

∇cU(m)− λ∗p = 0

Finalement, l’homogénéité de degré zéro en (p, y) provient du fait que lasolution au problème

maxc

U(c) s.c. p′c ≤ y

est forcement identique à la solution au problème :

maxc

U(c) s.c. λp′c ≤ λy, ∀ λ > 0.

Page 11: Chapitre 3 Les consommateurs

3.3. UTILITÉ ET DÉPENSES 131

3.3.3 L’utilité indirecte comme indicateur de bien-être

Du point de vue micro-économique, l’utilité indirecte est la raison princi-pale pour laquelle on s’attache tellement au niveau du PIB par tête commeindicateur de bien-être. En effet, comme l’utilité indirecte est une fonctioncroissante du revenu, toute augmentation dans le revenu augmentera le bien-être des individus. Mais une hypothèse fondamentale ici est que les marchésexistent, permettant au consommateur de transformer son revenu en un vec-teur de consommation qui, lui, affectera son bien-être. Si les marchés sontnon-existants, par contre, cette correspondance disparaît, et l’individu seraincapable de traduire une augmentation de revenu en une augmentation deson utilité.

Prenons comme exemple les dépenses en santé. Supposons qu’un individuvoit son revenu augmenter et que la résultante est qu’il voudrait augmenterses dépenses en santé. Supposons également que l’accès de cet individu auxservices de santé est extrêmement limitée, dans la mesure où, par exemple, ildoit parcourir plusieurs dizaines de kilomètres à pied afin de se procurer lessoins de santé qu’il veut.

Traduire le revenu en vecteur de consommation est ce que Amartya Senentend par “capabilities”.

Easterly 1997. Life during growth on impact of income on different mea-sures of well-being

3.3.4 Minimisation des dépenses

Nous pouvons également définir la “fonction de dépenses” du consomma-teur comme étant le niveau de dépenses minimales nécessaires pour atteindreun niveau donné d’utilité. Ce problème se pose comme un problème de mi-nimisation sous contrainte :

Problème B : minc

p′c s.c. U(c) ≥ V ,

dont le Lagrangien est donné par

Λ = p′c− λ (U(c)− V ) .

La solution à ce problème d’optimisation, que nous dénoterons par

h(p, V ) = argminc

p′c s.c. U(c) ≥ V

nous donne les fonctions de demande “hicksiennes”, qui sont donc fonctiondu vecteur des prix et du niveau d’utilité que l’on doit atteindre. En substi-tuant la solution optimale dans la fonction objective initiale, nous obtenons

Page 12: Chapitre 3 Les consommateurs

132 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

la “fonction de dépenses”, donnée par :

e(p, V ) = p′h(p, V ).

Ce problème est évidemment presque identique, du point de vue mathéma-tique, à celui que nous avons rencontre dans le cas de la minimisation descoûts de la part des producteurs.

3.3.5 Propriétés de la fonction de dépense

La fonction de dépense admet les mêmes propriétés élémentaires que lafonction de coût étudiée au chapitre précèdent. En particulier :

(i) croissante en p ;

(ii) homogène de degré-un en p ;

(iii) concave en p ;

(iv) continue en p pour p strictement positif.

Par application directe du Théorème de l’Enveloppe (Recette 9), nousobtenons un résultat important sur les fonctions de dépenses, en différentiantla fonction de dépenses par rapport au prix d’un bien i quelconque (pi) :

Lemme : ∂e(p,V )∂pi

= hi(p, V ).

Ce résultat est, évidemment, l’équivalent du Lemme de Shephard dans lathéorie du producteur. Ici, la fonction de dépenses correspond à la fonctionde coûts, tandis que la demande marshallienne correspond à la demande op-timale pour un facteur de production, comme fonction du niveau de l’output.Sous forme matricielle, le Lemme s’écrit tout simplement

∇pe(p, V ) = h(p, V ).

Réunissons maintenant les problèmes A et B de la façon suivante. Considé-rons le problème A :

maxc

U(c) s.c. p′c ≤ y.

Évaluons ensuite la fonction objective de ce problème à l’optimum, soit

V = V (p, y) = maxc

U(c) s.c. p′c ≤ y.

Nous dénotons donc par V le niveau d’utilité à l’optimum. Considérons en-suite le problème B où la contrainte sur le niveau d’utilité est donné par lavaleur V . Le problème est donc donné par

minc

p′c s.c. U(c) ≥ V.

Page 13: Chapitre 3 Les consommateurs

3.4. L’ÉQUATION DE SLUTSKY 133

3.3.6 Relations entre la demande marshallienne et lademande hicksienne

Nous pouvons alors énoncer les résultats suivants, qui ne sont en fait quedes identités

(i) e(p, V (p, y)) ≡ y;

(ii) V (p, e(p, U)) ≡ U ;

(iii) h(p, U) ≡ m(p, e(p, U));

(iv) m(p, y) ≡ h(p, V (p, y)).

3.3.7 L’identité de Roy

En différentiant cette l’identité (ii) par rapport au prix du bien i, nousobtenons :

∂V (p, e(p, U))

∂pi+

∂V (p, e(p, U))

∂y

∂e(p, U)

∂pi= 0.

Par application directe du Théorème de l’Enveloppe (Recette 9), nous sa-vons que

∂e(p, U)

∂pi= hi(p, V )

on obtient le résultat essentiel suivant :

∂V (p, e(p, U))

∂pi+

∂V (p, e(p, U))

∂ymi(p, y) = 0.

Réarrangeant cette expression nous donne donc le Lemme suivant :

Lemme (Identité de Roy) :

mi(p, y) = −∂V (p,y)∂pi

∂V (p,y)∂y

.

3.4 L’équation de Slutsky

Considérons le problème de comprendre l’effet sur la demande marshal-lienne du bien j d’un changement dans le prix d’un bien i (i et j pourraientêtre le même bien, mais ne le sont pas nécessairement).

Page 14: Chapitre 3 Les consommateurs

134 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

3.4.1 L’équation de Slutsky

Par la propriété (i), nous pouvons écrire

hj(p, U)−mj(p, e(p, U)) = 0.

Différentions cette équation par rapport au prix pi. Nous obtenons ainsi

∂hj(p, U)

∂pi− ∂mj(p, e(p, U))

∂pi− ∂mj(p, e(p, U))

∂y

∂e(p, U)

∂pi= 0.

Une application directe du Lemme nous permet d’écrire l’équation ainsi :

∂hj(p, U)

∂pi− ∂mj(p, e(p, U))

∂pi− ∂mj(p, e(p, U))

∂ymi(p, e(p, U)) = 0.

En remarquant quemi(p, e(p, U)) = mi(p, y), nous obtenons ainsi la relationfondamentale suivante, dénommée “équation de Slutsky” :

Lemme (L’équation de Slutsky) :

∂mj(p, y)

∂pi=

∂hj(p, U)

∂pi− ∂mj(p, y)

∂ymi(p, y).

Cette relation vous est familière si vous avez suivi un cours de microéco-nomie intermédiaire, et se lit en mots comme suit : l’effet d’un changementdans le prix du bien i sur la demande marshallienne du bien j peut êtredécomposé en deux effets distincts : (i) l’effet de substitution, qui représentele changement dans la demande du bien j causé par un changement dans leprix du bien i tout en gardant le niveau d’utilité constant, plus (ii) l’effetde revenu qui à son tour est égal au changement dans la demande du bien jcausé par le changement dans le revenu nécessaire (courbe d’Engel) multipliépar la demande pour le bien i.

Nous pouvons également suivre la même procédure en considérant toutesles fonctions de demande simultanément. On obtient alors l’équation deSlutsky en forme matricielle :

∇pm(p, y∗) = ∇ph(p, U

∗)−∇ym(p, y∗)m(p, y∗)

Les propriétés des matrices dans cette expression suivent immédiatement.

Page 15: Chapitre 3 Les consommateurs

3.5. EXEMPLES PARAMÉTRIQUES 135

3.4.2 Propriétés de la matrice de substitution

Considérons la matrice dite “de substitution” :[∂hi(p, V )

∂pj

]= ∇2

ppe(p, V ) = ∇ph(p, U∗).

Elle satisfera les propriétés suivantes :

(i) la matrice de substitution ∇ph(p, U∗) est semi-définie négative ;

(ii) la matrice de substitution ∇ph(p, U∗) est symétrique ;

(iii) les éléments de la diagonale de la matrice de substitution

∂hi(p, V )

∂pi=

∂2e(p, V )

∂p2i

sont négatifs ou nuls ;

(iv) ∇2ppe(p, V )p = ∇ph(p, U

∗)p = 0N .

3.5 Exemples paramétriques

“...the formal incorporation of corners into tractable empirical demandfunctions remains a largely unsolved problem” (Deaton 1997, p. 304).

3.5.1 La Cobb-Douglas

La fonction de dépense issue d’une fonction d’utilité Cobb-Douglas estidentique à la fonction de coût issue d’une fonction de production Cobb-Douglas. Pour les dérivations menant aux formes fonctionnelles, le lecteurest prié de consulter le chapitre précèdent. Plus formellement, le Lagrangienassocié à la fonction d’utilité

U(c) = A∏i=N

i=1cαii , αi ∈ (0, 1)

est donné par :

Λ = p′c + λ(y −A

∏i=N

i=1cαii

).

Les courbes d’indifférence correspondant à la Cobb Douglas sont illustrées àla Figure 3.3.

Page 16: Chapitre 3 Les consommateurs

136 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

0 2 4 6 8 10

0

2

4

6

8

10

F. 3.3 — Courbes d’indifférence de la fonction Cobb-Douglas U =√xy

Il en découle les fonctions de demande marshalliennes de la forme :

mi(p, y) =

(

A−1(piαi

)−∑j=Nj=1,j =i

αj∏j=N

j=1,j =i

(pjαj

)αjy

) 1∑j=Nj=1

αj

,

tandis que la fonction de dépenses sera donnée par :

e(p, y) =(∑i=N

i=1αi

)(A−1

∏i=N

i=1

(piαi

)αiy

) 1∑i=Ni=1

αi

.

Tout comme pour la fonction de coût avec une technologie de productionCobb-Douglas, nous pouvons réexprimer les demandes marshalliennes commedes équations de parts, ici des parts de dépenses :

pimi(p, y)

e(p, y)=

αi∑i=Ni=1 αi

= si.

3.5.2 La Translog

3.5.3 La AIDS

Deaton et Muellbauer 1980

si = αi +∑j=N

j=1φij ln pj + λi ln y

ln y = lnY − ln p

Page 17: Chapitre 3 Les consommateurs

3.6. ILLUSTRATIONS DE LA THÉORIE DES CONSOMMATEURS 137

ln p =∑j=N

j=1sj ln pj

Y = ln(∑j=N

j=1pjcj

)

si =piciY

DOUGLAS FISHER, ADRIAN R. FLEISSIG, AND APOSTOLOS SERLE-TIS

Fisher, Douglas and Fleissig, Adrian R. and Serletis, Apostolos Journalof Applied Econometrics 2001

Generalized Leontieff, Basic translog, AIDS, Full Laurent model, Quadra-tic AIDS, General Exponential Form, Fourier model, Asymptotically idealmodel.

3.5.4 Un exemple des applications empiriques. Un sys-tème de demande pour la Cote d’Ivoire

3.6 Illustrations de la théorie des consomma-

teurs

Dans ce qui suit, nous considérons trois illustrations de la théorie duconsommateur en action. Premièrement, nous nous pencherons sur l’offre detravail d’un individu, qui peut simplement être exprime comme étant le choixentre deux biens : la consommation et le loisir. Deuxièmement, nous exami-nerons le problème du choix intertemporel ; dans ce cas, les deux biens serontla consommation aujourd’hui et la consommation demain. Nous nous pen-cherons également sur le problème d’optimisation intertemporel avec horizoninfini, ce qui correspond aussi au problème standard de la théorie du consom-mateur. Finalement, nous développerons un exemple provenant de l’économiede la santé, dans lequel le consommateur alloue son revenu entre la consom-mation présente, l’épargne, et l’investissement dans un stock de capital santéqui lui permettra d’augmenter son temps de travail effectif. Dans ce modèle,nous montrerons que la mort est optimale ( !). Et encore une fois, cet exemple,bien qu’il puisse paraître loin de la théorie élémentaire du consommateur quenous avons développée dans la première partie du chapitre, représente toutsimplement une application simple des principes énoncés jusqu’ici.

Page 18: Chapitre 3 Les consommateurs

138 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

3.6.1 Offre de travail : le loisir comme bien

Considérons la décision d’offre de travail d’un individu. Sa fonction d’uti-lité aura deux arguments : sa consommation d’un bien physique (c), et saconsommation de loisir (l). Il est clair dans ce cas que le revenu que le consom-mateur aura à allouer entre les deux biens n’est plus donné de façon exogènemais est déterminé de façon endogène au problème par son choix de loisir.Cependant, nous pouvons transformer le problème pour qu’il ait la formestandard.

Le cas général

Soit Ω la dotation totale en temps de l’agent ; Ω pourrait être égal, parexemple, à 24 heures. Nous exprimerons donc le loisir en heures. Si le salairehoraire auquel l’agent peut louer ses services est donné par w, le revenu del’agent est évidemment donné par

w(Ω− l).

Le problème d’optimisation est simplement donné par :

maxc,l

U(c, l)

s.c. w(Ω− l) = pc

où nous supposerons que Uc > 0, Ul > 0, Ucc < 0, Ull < 0. En réarrangeant lacontrainte, le programme d’optimisation peut être réexprimé sous une formeconforme avec le problème standard :

maxc,l

U(c, l) s.c. wΩ = pc+ wl

On voit bien que la contrainte implique une contrainte budgétaire déterminéede façon exogène, au problème qui est ici donné par la valeur de la dotationtotale en temps de l’agent. Les demandes marshalliennes peuvent donc êtreexprimées comme :

c∗ = c∗(p,w, wΩ), l∗ = l∗(p,w, wΩ).

Comme dans le problème canonique étudié dans la première partie de ce cha-pitre, nous pouvons également poser le problème correspondant à la fonctionde dépense :

minc,l

pc+ wl s.c. U(c, l) = V.

Page 19: Chapitre 3 Les consommateurs

3.6. ILLUSTRATIONS DE LA THÉORIE DES CONSOMMATEURS 139

Les demandes hicksiennes sont alors données par :

ch = ch(p, w, V ), lh = lh(p, w, V ),

alors que la fonction de dépense est donnée par :

e(p, w, V ) = pch(p, w, V ) + wlh(p, w, V ).

A partir de ces expressions, tous les résultats standards suivent, tels que leLemme de Shephard, l’identité de Roy, ou l’équation de Slutsky.

Par exemple, on voit aisément queAfin de mieux comprendre le problème, notons que le problème initial :

maxc,l

U(c, l)s.c. w(Ω− l) = pc

peut être réexprimé sous forme non-contrainte en remarquant que Ω− l = Let en substituant directement la contrainte dans la fonction objective :

maxL

U(wL/p,Ω− L).

La CPO qui définit implicitement l’offre de travail optimal est évidemmentdonné par :

w

pUc(wL

∗/p,Ω− L∗)− Ul(wL∗/p,Ω− L∗) = 0,

ce qui est équivalent à l’expression

Uc(wL∗/p,Ω− L∗)

Ul(wL∗/p,Ω− L∗)=

p

w.

Le ratio de l’utilité marginale de la consommation sur l’utilité marginale duloisir est égal au ratio des prix respectifs de ces deux biens. La condition desecond ordre (CSO) est donnée par :

0 >

(w

p

)2Ucc(wL

∗/p,Ω− L∗)

−2wpUlc(wL

∗/p,Ω− L∗) + Ull(wL∗/p,Ω− L∗).

Nous allons maintenant considérer la statique comparée de l’offre optimalede travail par rapport à un changement dans le salaire. Par le ThéorèmeFondamental de la Statique comparée (Recette 6), nous pouvons écrire :

dL∗

dw= −

(wpUcc(wL

∗/p,Ω− L∗)− Ucl(wL∗/p,Ω− L∗)

)L∗

p

CSO < 0.

Page 20: Chapitre 3 Les consommateurs

140 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

On voit alors que la direction de l’impact du salaire sur l’offre de travaildépend du signe du numérateur de cette expression. En général, il sembleraisonnable du supposer que Ulc(., .) ≥ 0. En effet, cette condition garantirala négativité de la dérivée seconde de la fonction d’utilité par rapport à Let la condition de premier ordre sera alors non seulement nécessaire maisaussi suffisante. Mais la non-négativité de la dérivée croisée Ulc(., .) impliqueégalement que le numérateur de cette expression ne peut pas être signé defaçon non-ambigüe.

Un exemple paramétrique

Afin d’illustrer ce problème, considérons la fonction d’utilité suivante :

U(c, l) = (αcγ + (1− α)lγ)1

γ .

Cette fonction d’utilité, comme nous avons vu ci-dessus, est de la formeCES (élasticité de substitution constante), et nous savons qu’elle est valide∀γ ≥ 0. Le problème d’optimisation non-contraint correspondant à l’équation(3.1) est alors donné par :

maxL

(w

pL

)γ+ (1− α) (Ω− L)γ

) 1

γ

,

et la solution est donnée par :

L∗ = Ω

[

1 +

1− α

) 1

γ−1(w

p

) γγ−1

]−1.

La dérivée de l’offre de travail par rapport au salaire est alors

dL∗

dw=

1− γ

) Ω(α1−α

) 1

γ−1

(1p

) γγ−1

(w)1

γ−1

[1 +

(α1−α

) 1

γ−1

(wp

) γγ−1

]2 .

On voit alors que le signe de la dérivée de l’offre de travail par rapport ausalaire dépend du signe de 1− γ.

Une autre question, qui est souvent très importante lorsqu’il s’agit del’offre de travail d’un échantillon de femmes, concerne la décision elle-mêmede travailler. Dans le cas général, pour que la personne en question choisissede travailler, il faut que :

U(wL∗/p,Ω− L∗) ≥ U(0,Ω).

Si cette dimension des données n’est pas prise en compte, on risque d’avoirdes estimations biaisées.

Page 21: Chapitre 3 Les consommateurs

3.6. ILLUSTRATIONS DE LA THÉORIE DES CONSOMMATEURS 141

Une illustration empirique. L’offre de travail des femmes au Brésil

L’estimation des fonctions d’offre de travail est extrêmement communedans la littérature micro-économique. Considérez l’estimation suivante surdonnées brésiliennes, issues de l’enquête PNAD 98. L’équation linéaire esti-mée est donnée par :

L∗i = β0 + β1wi + β2w2i +Xiδ + εi,

où le terme quadratique dans le salaire permet aux effets de substitution etde revenu d’apparaître empiriquement.

3.6.2 Choix intertemporels

Beaucoup de choix opérés par les consommateurs impliquent une réflexionintertemporelle. La théorie élémentaire du consommateur, développée dansla première partie de ce chapitre, nous permet aisément de traiter ce genre deproblème en opérant l’artifice conceptuel suivant : le même bien consomméà deux périodes différentes représente en fait deux biens distincts. Et c’est letaux d’intérêt qui jouera un rôle crucial dans la détermination du prix relatifentre le bien consommé au temps t et le même bien consommé au temps t+1.

Lissage intertemporel de la consommation. Deux périodes

Le problème intertemporel le plus simple est donné par celui d’un consom-mateur qui choisit son épargne afin de lisser son profil de consommation surdeux périodes et ainsi maximiser son utilité. Le problème d’optimisation duconsommateur est donné par :

maxct,ct+1

U(ct, ct+1) s.c.

yt = ptct + st(1 + rt+1)st = pt+1ct+1

En combinant les deux contraintes, nous pouvons réexprimer le problèmecomme :

maxct,ct+1

U(ct, ct+1) s.c. yt = ptct +pt+1

1 + rt+1ct+1,

ce qui correspond au problème standard que nous avons traité ci-dessus. Onvoit alors clairement le rôle joué par le taux d’intérêt : une augmentationdans le taux d’intérêt diminue le prix relatif de la consommation au tempst+ 1. De plus, en mettant la contrainte sous cette forme, on voit égalementque nous sommes entrain d’évaluer tous les prix au temps t : c’est ce qui estimpliqué par le fait que le prix au temps t+1 est escompté au taux 1+ rt+1.

Page 22: Chapitre 3 Les consommateurs

142 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

Variables explicatives coefficient statistique zOffre de travail (5236 obs.) ; heures de travail par semaine

Constante (β0) 35.30 13.13Salaire

w (β1) 0.012 11.23w2 (β2) −2.13× 10−6 −8.72

Expérience sur le marché du travail −0.178 −1.79(Expérience sur le marché du travail)2 0.001 0.96Nombre d’années de scolarité −0.442 −4.78Etat de santé

très bon 0.675 1.38passable −0.177 −0.34mauvais −1.116 −0.83très mauvais −1.572 −0.45

Groupe ethniquenoir 1.872 2.79métisse 1.088 2.28

Probabilité de participation (équation de sélection, 15867 obs.)Nombre d’enfants −0.034 −4.25Expérience sur le marché du travail 0.100 41.35(Expérience sur le marché du travail)2 −0.001 −36.38Nombre d’années de scolarité 0.067 23.25Etat de santé

très bon −0.036 −1.29passable −0.129 −4.18mauvais −0.410 −5.92très mauvais −0.633 −3.70

Groupe ethniquenoir 0.115 2.91métisse 0.039 1.42

Constante −1.583 −42.42log vraisemblance −28984Wald χ218 1219ρ [p-value ρ = 0] −0.481[0.0002]σ 14.534

T. 3.2 — Offre de travail dans l’etat de Bahia (Bresil)

Page 23: Chapitre 3 Les consommateurs

3.6. ILLUSTRATIONS DE LA THÉORIE DES CONSOMMATEURS 143

Ici, comme dans le problème du choix d’offre de la main-d’oeuvre, nouspouvons utiliser l’équation de Slutsky afin d’examiner la question suivante :lorsque le taux d’intérêt augmente, un consommateur rationnel aura-t-il ten-dance à augmenter ou à diminuer son épargne ? La réponse qui vient en tête leplus souvent est que l’épargne augmentera. Mais analysons bien le problème.Que se passe-t-il lorsque le taux d’intérêt augmente ?

En utilisant la théorie élémentaire du consommateur il est clair que nousavons deux effets. Premièrement, par l’effet de substitution, la diminutiondans le prix relatif de la consommation au temps t+ 1 fera que nous auronsune augmentation dans la consommation au temps t + 1 (et donc une aug-mentation dans l’épargne au temps t), tout en gardant le niveau de l’utilitéconstant. Deuxièmement, par l’effet de revenu, nous avons une augmenta-tion dans la consommation au temps t (en supposant que la consommationne soit pas un bien inférieur) et donc une diminution de l’épargne. Si l’effetde revenu l’emporte sur l’effet substitution, il est entièrement possible quel’augmentation dans le taux d’intérêt mène à une diminution dans l’épargne.

Un exemple paramétrique

Afin de convaincre le lecteur de ce point, nous allons prendre une formetrès particulière de la fonction d’utilité du consommateur. Supposons que lafonction d’utilité est donnée par :

U(ct, ct+1) =c1−γt − 11− γ

+ δc1−γt+1 − 11− γ

,

où γ = 1. Remarquons que cette fonction d’utilité est valide que nous ayonsγ < 1 ou γ > 1, car elle sera croissante et concave dans ses arguments dans lesdeux cas (le lecteur pourra vérifier cette déclaration en deux lignes d’algèbre ;si le fait que l’utilité est négative lorsque γ > 1 vous dérange, rajoutez toutsimplement 10100 à la fonction d’utilité : rien ne change au problème d’opti-misation car il s’agit d’une transformation monotone croissante (voir section3.X.X), et vous aurez l’utilité positive que vous voulez...). Le cas où γ = 1sera considéré ci-dessous.

Remarquons que les deux contraintes budgétaire du consommateur peuvents’écrire :

ct =yt − stpt

, ct+1 =(1 + rt+1)

pt+1st.

Nous pouvons alors substituer directement dans la fonction d’utilité afind’obtenir le problème non-contraint suivant :

maxst

1

1− γ

[(yt − stpt

)1−γ− 1]

1− γ

[((1 + rt+1)

pt+1st

)1−γ− 1]

.

Page 24: Chapitre 3 Les consommateurs

144 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

La CPO est évidemment donnée par

−1pt

(yt − stpt

)−γ+ δ

((1 + rt+1)

pt+1

)1−γs−γt = 0.

L’épargne optimale est donc donnée par :

st =

[

1 + δ1

−γ

((1 + rt+1)pt

pt+1

)γ−1γ

]−1yt.

Considérons maintenant l’impact d’un changement dans le taux d’intérêt surl’épargne optimale :

∂st∂(1 + rt+1)

= (1− γ)[δ(1 + rt+1)]

−1γ (pt/pt+1)

γ−1γ yt

γ[1 + δ

1

−γ ((1 + rt+1)pt/pt+1)γ−1γ

]2

On voit clairement à partir de cette expression que l’épargne optimale seraune fonction croissante du taux d’intérêt lorsque γ < 1, alors que le contrairesera vrai lorsque γ > 1.

Qu’arrive-t-il lorsque γ = 1 ? Pour le savoir, il suffit de remarquer que

limγ→1

x1−γ − 11− γ

= ln x.

La démonstration que l’épargne optimale est alors indépendante du tauxd’intérêt est reléguée à l’exercice 3.7.

Choix intertemporels et propriétés de la fonction d’utilité

Le résultat obtenu précédemment en termes de la fonction d’utilité CRRAest, en fait, tout à fait général. Considérons le problème suivant :

maxct,ct+1

U (ct) + δU (ct+1) s.c.

ct =

yt−stpt

(1+rt+1)pt+1

st = ct+1

En substituant pour les contraintes, ceci se résume au problème non-contraint :

maxst

U

(yt − stpt

)+ δU

((1 + rt+1)

pt+1st

)

La CPO qui définit implicitement le niveau optimal de l’épargne est donnéepar :

− 1

ptU ′

(yt − stpt

)+ δ

(1 + rt+1)

pt+1U ′

((1 + rt+1)

pt+1st

)= 0.

Page 25: Chapitre 3 Les consommateurs

3.6. ILLUSTRATIONS DE LA THÉORIE DES CONSOMMATEURS 145

Par le Théorème fondamental de la statique comparée (Recette 7), nousobtenons :

dstd(1 + rt+1)

= −δ 1pt+1

[U ′((1+rt+1)pt+1

st

)+ (1+rt+1)

pt+1stU

′′((1+rt+1)pt+1

st

)]

1

p2tU ′′

(yt − stpt

)+ δ

(1 + rt+1pt+1

)2U ′′

((1 + rt+1)

pt+1st

)

︸ ︷︷ ︸CSO<0

où le dénominateur est négatif parce que c’est la CSO. Nous pouvons endéduire que le signe que nous recherchons est donné par celui du numérateur,et comme

ct+1 =(1 + rt+1)

pt+1st,

nous avons :

dstd(1 + rt+1)

= −δpt+1

U ′ (ct+1)

1p2tU ′′ (ct) + δ

(1+rt+1pt+1

)2U ′′ (ct+1)

[1−

(−ct+1

U ′′ (ct+1)

U ′ (ct+1)

)].

Il suit que

signe

(dst

d(1 + rt+1)

)= signe

(1−

(−ct+1

U ′′ (ct+1)

U ′ (ct+1)

)).

Dans le cas de la fonction d’utilité CRRA que nous avons développé ci-dessus,le lecteur pourra aisément vérifier que :

γ = −cU′′(c)

U ′(c).

Nous reviendrons sur les proprietes de cette fonction d’utilite dans le chapitre5, sur l’economie de l’incertain.

Une illustration empirique. L’épargne en Côte d’Ivoire

Une durée de vie infinie

Considérons maintenant un consommateur dont la durée de vie est infinie.Soit U(ct) la fonction d’utilité du consommateur, rt le taux d’intérêt, et ρ sontaux d’escompte psychologique. Le problème d’optimisation intertemporeltrès simple auquel fait face le consommateur est donné par :

maxct

∫ +∞0

U(ct)e−ρtdt

s.c. at = wt + rtat − ct

Page 26: Chapitre 3 Les consommateurs

146 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

où at représente les actifs détenus par le consommateur, et at représente doncson épargne au temps t (si at est négatif, il s’agit d’un emprunt). On trouvela solution à ce genre de problème en appliquant le Principe du Maximumde Pontryagin (voir le Chapitre 1, surtout l’exemple). (Notons que ce genrede problème représente la base de la plupart des modèles de croissance éco-nomique et de macroéconomie.)

L’Hamiltonien correspondant est donné par :

Ht = U(ct)e−ρt + λt (wt + rtat − ct) .

Il est immédiat dans le problème ci-dessus que la variable de contrôle estdonnée par ct, tandis que la variable d’état est donnée par at. En appliquantle Principe du Maximum de Pontryagin, nous obtenons les deux conditionsd’optimalité suivantes :

∂Ht∂ct

= U ′(ct)e−ρt − λt = 0;

∂Ht∂at

= λtrt = −λt;

plus la condition dite de “transversalité” :

limt→+∞

λteρt.

Prenons maintenant la première condition d’optimalité et différentions-la parrapport au temps (comme l’équation en question est une identité, sa dérivéepar rapport au temps sera égale à zéro). Nous obtenons :

λt =d

dt

(U ′(ct)e

−ρt)= ctU

′′(ct)e−ρt − ρU ′(ct)e

−ρt.

Aussi, en substituant la première condition d’optimalité dans la seconde,nous pouvons écrire :

λt = −λtrt = −U ′(ct)e−ρtrt.

Nous avons maintenant deux expressions pour la dérivée par rapport autemps de la variable co-state, que nous pouvons égaler :

ctU′′(ct)e

−ρt − ρU ′(ct)e−ρt = −U ′(ct)e

−ρtrt

ce qui nous donne :

ctct=

(−ct

U ′′(ct)

U ′(ct)

)−1(rt − ρ) .

Page 27: Chapitre 3 Les consommateurs

3.6. ILLUSTRATIONS DE LA THÉORIE DES CONSOMMATEURS 147

Un premier cas particulier se présente immédiatement. Considérons l’expres-sion :

−ctU ′′(ct)

U ′(ct).

Comme nous le verrons dans le chapitre sur l’économie de l’incertain, cetteexpression représente le coefficient d’aversion relative au risque de Arrow etPratt. Et pour une fonction d’utilité bien particulière, cette expression estégale à une constante. La fonction d’utilité en question est donnée par :

U(c) =c1−γ − 11− γ

.

Nous pouvons alors aisément vérifier que :

U ′(ct) = c−γt , U ′′(ct) = −γc−γ−1t , −ctU ′′(ct)

U ′(ct)= γ.

La dynamique de la consommation optimale est donc donnée par :

ctct= γ (rt − ρ) .

Si nous considérons le cas où le taux d’intérêt est constant à travers le temps,rt = r, nous obtenons alors une équation différentielle très simple où laconsommation croît au taux constant γ(r − ρ) et le sentier optimal de laconsommation est donné par :

ct = c0eγ(r−ρ),

où c0 est le niveau initial de la consommation.Il est important de noter que nous avons, dans ce qui précède, complète-

ment évacué la question de la répartition de la consommation entre différentsbiens, dans le sens que nous n’avons parlé que de consommation agrégée àchaque période t. Il est facile, cependant, de considérer le lissage intertempo-rel de la consommation simultanément avec l’allocation de la consommationentre différents biens dans une période donnée.

Pour le faire, redéfinissons ct comme étant la valeur totale de la consom-mation de l’individu au temps t. Cette valeur totale est composée de laconsommation de plusieurs biens, que nous dénoterons par cit, i = 1, ..., N .Le nouveau problème d’optimisation est donc donné par :

maxc1t,...,cit,...,cNt

∫ +∞0

U(c1t, ..., cit, ..., cNt)e−ρtdt

s.c. at = wt + rtat − ctct =

∑i=Ni=1 pitcit

Page 28: Chapitre 3 Les consommateurs

148 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

Nous pouvons facilement résoudre ce problème en deux étapes. Première-ment, à chaque temps t, nous considérons le problème d’optimisation sta-tique :

maxc1t,...,cit,...,cNt

U(c1t, ..., cit, ..., cNt)

s.c. ct =∑i=Ni=1 pitcit

Le consommateur alloue le revenu disponible à chaque temps t entre les Ndifférents biens à sa disposition. La solution à ce problème nous donnera lesdemandes pour chaque bien indexé par i au temps t :

c∗it = c∗it(p1t, ..., pit, ..., pNt, ct), i = 1, ..., N.

En utilisant la notation vectorielle ct = (c1t, ..., cit, ..., cNt), pt = (p1t, ..., pit, ..., pNt),nous pouvons réécrire la fonction de demande marshallienne pour chaque biencomme :

c∗it = c∗it(pt, ct),

et si nous réunissons tous les N demandes dans un vecteur, nous aurons :

c∗t = (c∗1t(pt, ct), ..., c∗it(pt, ct), ..., c

∗Nt(pt, ct)) = c

∗t (pt, ct).

Nous pouvons maintenant remplacer ces demandes marshalliennes dans lafonction d’utilité ponctuelle à chaque temps t, obtenant la fonction d’utilitéindirecte (elle est fonction du vecteur de prix et de ce qui correspond ici au“revenu” alloué à la consommation, ct)

U(c∗1t, ..., c∗it, ..., c

∗Nt) = U(c∗t (pt, ct)) = V (pt, ct).

Le problème d’optimisation intertemporel est donc maintenant donné par :

maxct

∫ +∞0

V (pt, ct)e−ρtdt

s.c. at = wt + rtat − ct

ce qui correspond au problème initial, à l’exception de la présence de l’argu-ment en prix de la fonction d’utilité indirecte. On voit donc que la théorieélémentaire du consommateur se transpose facilement dans un contexte in-tertemporel.

Un exemple parametrique avec une fonction d’utilite Dixit-Stiglitz

Considerez la fonction d’utilite suivante, suggerée par Dixit et Stiglitz :

U(c1, ..., ci, ..., cN) =(∑i=N

i=1cθi

)1/θ

Page 29: Chapitre 3 Les consommateurs

3.6. ILLUSTRATIONS DE LA THÉORIE DES CONSOMMATEURS 149

3.6.3 Le choix du stock de santé. Le modèle de Gross-man

Une deuxième illustration de l’optimisation intertemporelle dans la théo-rie du consommateur provient de l’économie de la santé. Dans le modèle dela demande de santé de Grossman (1972 pour la formulation originale, voirGrossman 1999 pour une évaluation récente par l’auteur de son propre mo-dèle), un consommateur alloue son revenu entre la consommation d’un bienque nous dénoterons par ct et l’investissement dans son stock de capital santé(nous présentons ici une version très simplifiée du modèle, qui inclue aussi,dans sa version originale, le problème de l’allocation du temps du consom-mateur), que nous dénoterons ici par ht. L’investissement dans le stock desanté se fait à travers une catégorie de dépenses, que nous dénoterons parmt, qui pourra inclure les dépenses médicales en tant que telles, ainsi que lesdépenses générales qui améliorent l’état de santé de l’individu.

Le modèle théorique

La contrainte budgétaire de l’individu sera donnée par :

wl(ht) = ct +mt,

où w représente le salaire par unité de temps de travail fournie par l’individuset l(ht) est son offre de travail. Le stock de santé affecte le temps de travaildont dispose l’individu. Plus le stock de santé de l’individu est important,moins de temps sera perdu à cause de maladies. Nous exprimerons cela enécrivant :

l = l(ht), l′(.) ≥ 0, l′′(.) ≤ 0.

Le temps de travail dont dispose l’individu est une fonction croissante etconcave du stock de capital santé de l’individu. Nous supposerons égalementqu’il existe une borne supérieure au temps de travail utile disponible ; nousexprimons ceci en posant

limht→+∞

l(ht) = l.

Une hypothèse éminemment raisonnable, mais également cruciale du modèle,est qu’il existe un stock de santé minimum compatible avec la survie del’individu. Soit h ce stock de capital santé qui représente la limite entre lavie et la mort. Si nous supposons que la mort est synonyme d’un temps nuldisponible pour le travail, nous pouvons exprimer cette hypothèse de la façonsuivante :

∃h tel que l(h) = 0.

Page 30: Chapitre 3 Les consommateurs

150 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

Si le stock de santé peut être augmenté, ceteris paribus, à travers des dépensesen santé, la physiologie humaine joue également son rôle. C’est pour cela quel’équation dynamique qui décrit l’évolution du stock de santé de l’individuinclura également la dépréciation du stock de capital santé de l’individu. Ilest très possible que ce taux de dépréciation soit très faible lorsque l’individuest relativement jeune. Il est inévitable, par contre, que cette dépréciationaugmentera au fur et à mesure que l’âge avance. En d’autres termes : plusl’âge est avancé, et plus importantes seront les dépenses de santé nécessairespour maintenir un stock donné de capital santé. L’équation de mouvementdu stock de capital santé est donnée par :

ht = mt − δtht.

Le problème d’optimisation intertemporel de l’individu est donc donné par :

maxct,mt

∫ T0U(ct)e

−ρtdt

s.c. wl(ht) = ct +mtht = mt − δtht

où T représente la date de mort de l’individu (T pourrait être infini, et nousdiscuterons de pourquoi la mort apparaîtra comme étant un choix optimal( !) dans ce qui suit). En substituant la contrainte budgétaire directementdans la fonction objective de l’individu, l’hamiltonien associé à ce problèmeest donné par :

Ht = U(wl(ht)−mt)e−ρt + λt (mt − δtht) ,

où λt représente, comme d’habitude, la variable co-state. Par une applicationdirecte du principe du maximum de Pontryagin (voir Chapitre 1, Section 1.5),les conditions nécessaires pour un optimum sont données par :

∂Ht∂mt

= −U ′(wl(ht)−mt)e−ρt + λt = 0

∂Ht∂ht

= wl′(ht)U′(wl(ht)−mt)e

−ρt − λtδt = −λt

Notons que nous pouvons réécrire la première condition comme :

λt = U ′(ct)e−ρt.

En différentiant cette équation par rapport au temps, nous obtenons :

λt = ctU′′(ct)e

−ρt − ρU ′(ct)e−ρt.

Page 31: Chapitre 3 Les consommateurs

3.6. ILLUSTRATIONS DE LA THÉORIE DES CONSOMMATEURS 151

Égalisons maintenant cette expression avec la deuxième condition de premierordre (λt = −wl′(ht)U ′(ct)e

−ρt + λtδt). Nous obtenons alors :

ctU′′(ct)e

−ρt − ρU ′(ct)e−ρt

= −wl′(ht)U ′(ct)e−ρt + U ′(ct)e

−ρtδt,

ce qui peut être réexprimé comme :

ct =

[−U ′′(ct)

U ′(ct)

]−1(wl′(ht)− (δt + ρ)) .

La deuxième équation de mouvement du système est tout simplement donnéepar la loi de mouvement du stock de capital santé :

ht = wl(ht)− ct︸ ︷︷ ︸mt

− δtht.

Considérons l’état stationnaire de ce système, ce qui correspond ici aux va-leurs de ct et de ht où nous avonsct = ht = 0. Les équations pertinentes sontalors données par :

ht = 0 : ct = wl(ht)− δtht

ct = 0 : ht = l′−1(δt + ρ

w

)

Nous représentons ces deux courbes graphiquement dans l’espace (ct, ht) dansla Figure 3.4. A partir des équations différentielles, nous pouvons égalementétablir le diagramme de phase qui donne la dynamique de ces deux variables.

th

0tc =&

tc 0tc =&

0th =&

F. 3.4 — Le diagramme de phase du modèle de Grossman

Page 32: Chapitre 3 Les consommateurs

152 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

Ce diagramme de phase est, évidemment dessiné pour une valeur donnéedu taux de dépréciation du stock de capital santé. Si le taux de dépréciationdu stock de capital santé de l’individu était constant et égal à δ∀t, il seraitalors optimal pour l’individu de maintenir un stock de santé constant et égalà h∗ = l′−1 ((δ + ρ)/w) . Il suivrait que la durée optimale de vie serait infinie ;en d’autres termes, il serait optimal pour l’individu de choisir T = +∞.

Mais la physiologie humaine est telle que le taux de dépréciation du stockde capital santé augmente, au fur et à mesure que l’âge avance. Ceci im-plique que δt est, du moins éventuellement, une fonction croissante du tempst. Qu’arrive-t-il lorsque δt augmente ? De l’équation pour ct = 0, nous voyonsclairement que la droite verticale se déplace vers la gauche lorsque δt aug-mente. Il est alors évident que siδt devient suffisamment important, la droitese déplacera jusqu’à ce qu’elle passe par la valeur de ht donnée par h, lavaleur du stock de capital santé incompatible avec la vie. En d’autre termes,la mort devient alors optimale....

Illustration empirique. La valeur du stock de santé du brésilienmoyen

La valeur du stock de santéNous appliquons ici la méthodologie proposée par Cutler et Richardson

1999 pour calculer la valeur du stock de santé.Torrance 1986La santé moyenne des personnes d’age s au temps t est donnée par :

Ht(s) = Pr [ s]×Qt(s),

où Qt(s) = est la qualité de vie moyenne des personnes d’age s au temps t. Sila valeur monétaire d’une année de vie en santé parfaite est de V , la valeurde la santé dans l’année s est donnée par

V ×Ht(s).

Il suit que la valeur du capital santé est donné par

Kt(s) = V∑k=T

k=0

Ht(s+ k)

(1 + r)k,

où r est le taux d’escompte psychologique. Notons que

∑k=T

k=0

Ht(s+ k)

(1 + r)k.

est le nombre d’années de vie ajusté pour la qualité (Quality Adjusted LifeYears = QALY) d’une personne d’age s au temps t (Zeckhauser et Shepard,

Page 33: Chapitre 3 Les consommateurs

3.7. UN RETOUR SUR LES HYPOTHÈSES DE BASE 153

1976).Qt(s) = ( s)

+∑d=Dd=1 Prt [ d s]× [ d].

3.7 Un retour sur les hypothèses de base

La rationalité bornée

3.8 Lectures suggérées

Les chapitres pertinents de Varian 1978, Takayama 1985, ou Mas Colell,Whinston, et Green 1995 sont évidemment indiqués comme lectures de base.Pour une perspective centrée sur le développement, Deaton 1997 fournira debonnes bases ainsi qu’une multitudes d’exemples d’applications empiriques.

3.9 Exercices

Exercice 3.1. Considérez la fonction de dépense potentielle suivante (p1et p2 sont les prix des deux biens, et Uest le niveau d’utilité que le consom-mateur veut atteindre) :

ln e(p1, p2, U) =

γ0 + γ1 ln p1 + γ2 ln p2

+12

(δ11 (ln p1)

2Ex

+2δ12 ln p1 ln p2 + δ22 (ln p2)2

)

U.

Trouvez les restrictions sur les paramètres qui assurent que cette fonctionest effectivement une fonction de dépense en bonne et due forme.

Qu’arrive-t-il lorsque γ1 > 0, γ2 > 0, γ1 + γ2 = 1, et δ11 = δ12 = δ22 =0 ? Justifiez soigneusement vos réponses.

Exercice 3.2. Considérez un consommateur dont la fonction d’utilité estdonnée par :

U(x1, x2) =(x1)

1−γ + (x2)1−γ

1− γoù γ = 1.

Vous dénoterez les prix des deux biens par p1 et p2, et le revenu duconsommateur par y : trouvez l’optimum dans ce modèle.

Étudiez l’impact d’un changement dans le prix du bien 2 (p2) sur lademande marshallienne du consommateur pour le bien 2 (x∗2(p1, p2, y)).

Décomposez le changement dans la demande pour le bien 2 suite au chan-gement dans p2 en utilisant l’équation de Slutsky. Discutez.

Page 34: Chapitre 3 Les consommateurs

154 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

Maintenant, considérez la forme générale suivante pour la fonction d’uti-lité :

U(x1) + U(x2), U ′ > 0, U ′′ < 0.

Caractérisez l’optimum, et refaites les parties (ii) et (iii). Discutez.Exercice 3.3. Considérez le problème d’optimisation suivant :

maxx1,x2

xα1xβ2 s.c. p1x1 + p2x2 ≤ y,

où xα1xβ2 = U(x1, x2) représente la fonction d’utilité, x1 et x2 la consommation

des deux biens, p1 et p2 sont les prix des deux biens, et y est le revenu duconsommateur.

Supposez que le consommateur en question bénéficie d’un don en naturesous forme d’une quantité x1 du bien 1.

Trouvez les demandes marshalliennes du consommateur pour les deuxbiens lorsqu’il reçoit le don en nature.

Calculez l’utilité indirecte du consommateur lorsqu’il reçoit le don ennature.

Une alternative au don en nature est un don en espèces, d’une valeurmonétaire équivalente. Le montant du don en espèces sera dénoté par y, oùy = p1x1.

Trouvez les demandes marshalliennes du consommateur pour les deuxbiens lorsqu’il reçoit le don en espèces.

Calculez l’utilité indirecte du consommateur lorsqu’il reçoit le don enespèces.

Comparez l’utilité indirecte du consommateur en (ii) avec son utilité in-directe en (iv). Qu’en concluez-vous ?

Maintenant, oubliez les lettres grecques et expliquez intuitivement ce quevous venez de démontrer en (v). Un graphique pourrait clarifier vos idées.

Exercice 3.4. Considérez un consommateur dont la fonction d’utilité estdonnée par :

U(x1, x2) = xα1xβ2 .

Le prix du bien 1 sera dénoté par p1, tandis que le prix auquel fait face leconsommateur pour le bien 2 est égal à p2(1− t), où p2 est le prix du marché,et t représente une subvention ad valorem accordée par le gouvernement.Nos amis de Washington, dans le contexte d’un programme d’ajustementstructurel, imposent au gouvernement en question l’élimination de la sub-vention, car elle cause des “distorsions”. Le gouvernement répond qu’il veutbien éliminer la subvention ad valorem, mais voudrait la remplacer par unesubvention forfaitaire qui laissera les consommateurs avec le même niveau de

Page 35: Chapitre 3 Les consommateurs

3.9. EXERCICES 155

bien-être. En outre, le gouvernement affirme que cette subvention forfaitairecoûtera moins aux caisses de l’état que la subvention ad valorem.

Calculez le montant de la subvention forfaitaire envisagée par le gouver-nement ;

Le gouvernement a-t-il raison en termes du coût total de cette nouvelleforme d’aide aux consommateurs, par rapport à la situation antérieure ?

Exercice 3.5. Prouvez que pour U(c, l) = cαlβ, L∗ = αα+β

Ω.Exercice 3.6. Calculez l’offre de travail pour une fonction d’utilité VES.Exercice 3.7. SoitU(ct, ct+1) = ln ct + δ ln ct+1. Prouvez que ∂st/∂(1 +

rt+1) = 0.Exercice 3.8.Considérez la fonction d’utilité suivante :,où est le niveau de consommation de l’agent représentatif , et est le ni-

veau de consommation de ” référence ”, par rapport auquel le consommateurévalue son niveau d’utilité. L’idée que le bien-être d’un individu ne dépendpas uniquement de son niveau de consommation mais aussi du niveau decelle-ci par rapport à une norme (ici la norme c’est ) remonte à Adam Smith(1776) et se retrouve également chez Veblen (1899) et Pigou (1903). Lorsquenous sommes dans le cas standard, tandis que lorsque , le consommateur neconsidère que sa consommation relative à sa consommation de référence. Latechnologie de production est donnée par , et la contrainte budgétaire duconsommateur est donc donnée par :

.Reste à spécifier la loi de mouvement pour le niveau de consommation de

référence , qui s’écrira :(1) ,où est le niveau moyen de consommation dans la population. Le consom-

mateur prendra comme étant exogène. La loi de mouvement de indique quesi le niveau de consommation de référence du consommateur est plus petitque la consommation moyenne dans la population ( ), augmentera, tandisque si , le niveau de référence baissera. Comme pour un modèle standard,le consommateur doit choisir la séquence . A l’équilibre (c’est à dire, aprèsoptimisation), comme tous les consommateurs sont identiques (ils seront sup-posés suffisamment nombreux pour qu’aucune interaction stratégique n’aitlieu), alors forcément : .

(i) Ecrivez le Hamiltonien, et utilisez le Principe du Maximum de Pon-tryagin pour calculer l’expression pour .

(ii) Combinez votre réponse à (i), le fait que tous les consommateurs sontidentiques, et l’équation (1) afin de trouver la relation entre et .

(iii) A l’état stationnaire, et seront constants : trouvez ces valeurs d’étatstationnaire, que vous dénoterez par et .

Page 36: Chapitre 3 Les consommateurs

156 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS

(iv) Représentez votre solution graphiquement dans l’espace , avec lescourbes (droites) et ; que pouvez-vous dire de l’impact d’une augmentationdans sur le taux de croissance de l’économie ?

(v) S’il vous reste du temps. Qu’arrive-t-il lorsque la loi de mouvementde est donnée par ?

3.10 Esquisses de réponses aux exercices

Exercice 3.3. Pour ne pas avoir à faire ce qui est presque le mêmeproblème deux fois, écrivez le problème d’optimisation ainsi :

maxx1,x2

(x1 + x1)α xβ2 s.c. p1x1 + p2x2 = y + y.

Le cas du don en nature correspond à y = 0 tandis que le cas du don enespèces d’un montant équivalent correspond à y = p1x1 (et vous éliminezx1dans la fonction d’utilité). Vous pouvez alors transformer ce problèmecontraint en un problème non-contraint en posant :

x2 =y + y − p1x1

p2.

Le problème devient ainsi

maxx1

(x1 + x1)α

(y + y − p1x1

p2

)β,

la solution étant donnée par

x∗1 =α

α + β

(y + y

p1

)− β

α + βx1

et

x∗2 =β

α + β

(y + y

p2

)+

β

α + β

(p1p2

)x1.

Substituez ensuite dans la fonction d’utilité afin d’obtenir la fonctiond’utilité indirecte :

V =

(y + y

p1+ x1

)α(y + y

p2+

p1p2x1

)βααββ

(α + β)α+β.

Que ce soit le don en nature ou le don en espèces, l’utilité indirecte sera doncla même. Cet exemple représente donc un cas très particulier où le don enespèces n’est pas strictement supérieur au don en nature. De façon générale,

Page 37: Chapitre 3 Les consommateurs

3.10. ESQUISSES DE RÉPONSES AUX EXERCICES 157

un don en espèces ne peut pas fournir un niveau d’utilité strictement inférieurà un don en nature d’une valeur monétaire équivalente.

(i) La fonction d’utilité indirecte associée avec la fonction d’utilité enquestion est donnée par

V (p1, p2, y) = ααββ (α + β)−(α+β) p−α1 p−β2 yα+β.

Le niveau de subvention forfaitaire ∆ en question est défini implicitementpar

V (p1, p2(1− t), y)− V (p1, p2, y +∆) = 0

ce qui donne∆ =

((1− t)−

βα+β − 1

)y.

(ii) Le coût de la subvention ad valorem était de . Plus explicitement, celas’écrit :

Ω = tp2

α + β

)y

p2(1− t)︸ ︷︷ ︸

x∗2(p1,p2(1−t),y)

=

(t

1− t

)(β

α + β

)y.

Comparons ∆ et Ω. Le gouvernement aura raison lorsque Ω > ∆ ce quis’écrit :

t

1− t

α + β

)≥ (1− t)−

βα+β − 1.

Cette inégalité tient toujours pour t ∈ [0, 1]. Le gouvernement a raison.NB : vous pouviez résoudre ce problème sans faire un seul calcul, si vous

connaissiez bien votre micro. Prenez les deux éléments de la définition impli-cite de la subvention forfaitaire et opérez une expansion Taylor de premierordre :

V (p1, p2(1− t), y) = V (p1, p2 − p2t, y)

= V (p1, p2, y)− ∂V (p1,p2,y)∂p2

p2t

V (p1, p2, y +∆) = V (p1, p2, y) +∂V (p1, p2, y)

∂y∆

Substituez ensuite dans la définition implicite de ∆ ; vous obtenez

∆ = −∂V (p1, p2, y)/∂p2∂V (p1, p2, y)/∂y

p2t.

Or, par l’identité de Roy, vous savez que

−∂V (p1, p2, y)/∂p2∂V (p1, p2, y)/∂y

= x∗2(p1, p2, y).

Il suit que

∆ = x∗2(p1, p2, y)p2t < x∗2(p1, p2(1− t), y)p2t = Ω.

Page 38: Chapitre 3 Les consommateurs

158 CHAPITRE 3. LES CONSOMMATEURS