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1 Changer notre regard sur les incendies de forêt … et agir sans délais De notre envoyé spécial à Brignanne-les-Pins, le 13 juillet 2021 « Le Président de la République, entouré du Premier Ministre et des ministres de l’Intérieur, de la Défense, de l’Agriculture, de l’Ecologie et du Logement, s’est longuement recueilli devant les 27 cercueils alignés sur la place du village martyr. Les façades noircies des maisons, les troncs calcinés des platanes, l’at- mosphère saturée de cendres et cette terrible odeur de brûlé, tout rend la scène sinistre. Nul besoin de s’aventurer au-delà des carcasses des bâti- ments pour réaliser la violence du feu. Dans ce havre de bonheur niché au cœur de la forêt, la mort a lourdement frappé les habitants de ce petit village charmant, les pompiers venus à leur secours, les maisons, les arbres et, sur des dizaines de milliers d’hectares, la forêt. Le Président de la République a exprimé la solidarité de la Nation et assuré que l’État apporterait son aide. L’heure n’est évidemment pas à la polémique mais, à voix basse, les premières critiques commençent déjà à s’exprimer. Critiques sur la construction de maisons isolées au cœur de la forêt. Sur des pistes fores- tières trop étroites et se terminant en cul-de-sac. Sur un respect très incertain des obligations légales de débroussaillement. Sur un laisser- aller généralisé dans la maintenance des moyens d’intervention et dans la préparation de la saison « feux de forêt ». Sur une forme de noncha- lance de tous vis à vis du feu : « arrêtez de jouer les rabat-joie, laissez- nous profiter de la vie ! Un feu, la belle affaire ! Mais les pompiers sont là pour les éteindre, les feux ! » Le réveil est cruel. Une fois de plus, on constate combien on a tort d’avoir la mémoire courte et de trop vite céder à la facilité. » Cette note a été rédigée à l’issue de la journée « Changer notre regard sur les incendies de forêt » organisée par l’association Forêt Méditerranéennne le 12 mars 2019 à Carry-le-Rouet, avec le soutien financier de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, du Département des Bouches-du-Rhône, de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du minis- tère de la Transition éccologique et solidaire. Cette note n’engage que l’association Forêt Méditerranéenne qui s’est appuyée pour la rédiger sur l’article de synthèse « Regards croisés sur les incendies de forêt et sur l’évolution de la DFCI en région méditerranéenne française » paru dans le numéro spécial des 40 ans de la revue, et sur les présentations et discussions de la journée du 12 mars. forêt méditerranéenne avril 2019

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Page 1: Changer notre regard sur les incendies de forêt … et agir ... · les feux de forêt, et la succession d’incendies meurtriers et tentaculaires qui ont frappé ces dernières années

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Changer notre regard sur les incendies de forêt

… et agir sans délais

De notre envoyé spécial à Brignanne-les-Pins,le 13 juillet 2021

« Le Président de la République, entouré du Premier Ministre et desministres de l’Intérieur, de la Défense, de l’Agriculture, de l’Ecologie etdu Logement, s’est longuement recueilli devant les 27 cercueils alignéssur la place du village martyr.

Les façades noircies des maisons, les troncs calcinés des platanes, l’at-mosphère saturée de cendres et cette terrible odeur de brûlé, tout rend lascène sinistre. Nul besoin de s’aventurer au-delà des carcasses des bâti-ments pour réaliser la violence du feu. Dans ce havre de bonheur nichéau cœur de la forêt, la mort a lourdement frappé les habitants de cepetit village charmant, les pompiers venus à leur secours, les maisons,les arbres et, sur des dizaines de milliers d’hectares, la forêt.

Le Président de la République a exprimé la solidarité de la Nation etassuré que l’État apporterait son aide.

L’heure n’est évidemment pas à la polémique mais, à voix basse, lespremières critiques commençent déjà à s’exprimer. Critiques sur laconstruction de maisons isolées au cœur de la forêt. Sur des pistes fores-tières trop étroites et se terminant en cul-de-sac. Sur un respect trèsincertain des obligations légales de débroussaillement. Sur un laisser-aller généralisé dans la maintenance des moyens d’intervention et dansla préparation de la saison « feux de forêt ». Sur une forme de noncha-lance de tous vis à vis du feu : « arrêtez de jouer les rabat-joie, laissez-nous profiter de la vie ! Un feu, la belle affaire ! Mais les pompiers sontlà pour les éteindre, les feux ! »

Le réveil est cruel.

Une fois de plus, on constate combien on a tort d’avoir la mémoirecourte et de trop vite céder à la facilité. »

Cette note a été rédigée à l’issue de la journée« Changer notre regard sur les incendies de forêt »organisée par l’association Forêt Méditerranéennne le 12 mars 2019 à Carry-le-Rouet, avec le soutienfinancier de la Région Sud Provence-Alpes-Côted’Azur, du Département des Bouches-du-Rhône,

de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du minis-tère de la Transition éccologique et solidaire.

Cette note n’engage que l’association Forêt Méditerranéenne qui s’est appuyée pour

la rédiger sur l’article de synthèse « Regards croiséssur les incendies de forêt et sur l’évolution de la DFCIen région méditerranéenne française » paru dans le

numéro spécial des 40 ans de la revue, et sur les présentations et discussions

de la journée du 12 mars.

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Un état des lieux satisfaisant...

La relecture des articles parus sur unepériode de 40 ans dans la revue ForêtMéditerranéenne sur la prévention, la lutteet la connaissance sur les feux de forêt parplusieurs experts 1 met en relief des progrèset acquis incontestables pour la France. Ellea donné lieu à la rédaction d’un article trèsinstructif et complet : il est disponible dansle numéro spécial de la revue ForêtMéditerranéenne, édité pour les 40 ans del’association.

Une doctrine française qui a porté ses fruits

Alors que 46 000 hectares étaient annuel-lement touchés en France, ce taux est tombéen moyenne à 11 400 ha depuis 10 ans, avecun nombre de départs de feu en diminution.Plus de 80 % des départs concernent moinsde 1 ha contre 50 % précédemment. Ces chif-fres illustrent parfaitement la pertinence dela doctrine impulsée dans les années 90, qui

repose sur deux principes : une approche glo-bale qui implique les acteurs de la préven-tion et de la lutte, et l’anticipation qui a étéérigée en règle absolue. Celle-ci se traduitdans la volonté de « tuer dans l’œuf les feuxnaissants » en attaquant en moins de 10minutes le feu pour qu’il fasse moins d’ 1 ha.Une fois cet objectif fixé, il en découle touteune série de mesures qui ont été progressive-ment mises en place et adaptées au fur et àmesure de l’apparition de nouvelles technolo-gies.

Des risques mieux évaluésLes risques liés à la topographie, la végéta-

tion, l’occupation du sol, l’historique, le sensdu vent, ont été mieux évalués et croisésavec les enjeux locaux grâce aux donnéesSPOT, LANDSAT. Les logiciels de Systèmesd’information géographiques ont permis deles localiser sur des cartes d’aléas et les don-nées ont pu alimenter des logiciels de modé-lisation progressivement mis au point.

A côté de la base de données sur les feux(Prométhée) qui agrège de précieuses infor-mations depuis 1973, l’état hydrique de lavégétation, vu comme un indicateur biolo-gique du danger de feu, a été créé et géré parle Réseau hydrique (INRA, ONF et DPFM 2).Ces bases de données sont aujourd’huiexploitées pour faire progresser la compré-hension des facteurs gouvernant les feux etleur modélisation. Les données hebdoma-daires de suivi de teneur en eau des végé-taux produites par le Réseau hydrique per-mettent à Météo-France et à l’État-major dezone de préciser le niveau de danger aucours de la saison estivale. L’analyse desfeux passés est aujourd’hui exploitée pourtester des indicateurs d’état hydrique, com-prendre la réponse des plantes à la séche-resse et, in fine, élaborer des indicateurs derisque plus performants.

D’autres travaux ont permis de mieuxconnaître la structure du combustible qui estune question essentielle, parce que la propa-gation du feu et le niveau de risque endépendent, mais aussi parce que c’est enmodifiant, manipulant ce combustible qu’onpeut réduire cet aléa. Enfin, le combustiblen’échappe pas à un élément de contexte demoins en moins nouveau, celui des change-ments globaux. Le réchauffement climatiqueconduira à une hausse importante du dangermétéorologique (Indice Forêt Météo).

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2 - Institut national de la recherche agronomique,Office national des forêts,Délégation à la protection

de la forêt méditerranéenne.

1 - Marielle JAPPIOT (IRSTEA), Rémi SAVAZZI(ONF) et Jean LADIER

(coordinateur, ONF), Jean-LucDUPUY et Éric RIGOLOT(INRA), Etienne CABANE,Roland PHILIP et Bernard

ROMATIF (Délégation à la protection de la forêt

méditerranéenne), Philippe MICHAUT

(Ministère de l’Intérieur), Luc LANGERON (Ententepour la forêt méditerra-

néenne), Hubert d’AVEZAC(Agence MTDA).

L’association Forêt Méditerranéenne a choisi, en ce débutd’année 2019, de mettre à nouveau les projecteurs

sur le thème des incendies de forêt pour deux raisons : la sortie prochaine d’un état des lieux effectué par

plusieurs experts sur 40 ans de prévention et de lutte surles feux de forêt, et la succession d’incendies meurtriers ettentaculaires qui ont frappé ces dernières années l’Europe

(Grèce, Portugal), les États-Unis et l’Australie. Si le bilan en France est source d’une certaine satisfaction,

le second point suscite de réelles inquiétudes. C’est pourquoi, à l’issue du colloque organisé le 12 mars

2019 à Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône),les organisateurs et les participants n’avaient plus qu’une

idée en tête : alerter avant qu’il ne soit trop tard. Avec effarement, ils se sentaient détenteurs

d’informations et de recommandations à faire connaître,puis à mettre en pratique sans tarder. D’où ce documentqui a pour objet de vous faire entrer dans la démarche

qu’ils ont vécue lors de ce colloque intitulé « Changer notre regard sur les incendies de forêt ».

Pour eux, c’est bien plus que le regard qu’il faut changer !

De réels progrès...

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Une compréhension du comportement des feux à améliorer

Des avancées technologiques importantesont été observées depuis 40 ans sur le com-portement du feu. Des outils puissants desimulation du feu ont été conçus mais sontencore réservés aux chercheurs, qui ontbénéficié des avancées en matière de calculscientifique. En effet, un feu résulte d’inter-actions complexes entre le vent, la topogra-phie, la végétation et le feu. La communautéscientifique a pris conscience du fait que lesphénomènes convectifs (les mouvementsd’air et de gaz brûlés dans et autour du feu)sont essentiels pour expliquer la propagationdu feu. Mais plusieurs questions demeurent,par exemple : la propagation du feu dans lesparties vivantes et dans les éléments morts,la différence de combustibilité entre feuilluset résineux…

Un équipement des massifsrévisé

Si l’aménagement du terrain est la clé devoûte de l’organisation de la défense desforêts contre l’incendie ou DFCI (FrancisARRIGHI, 1979), l’implantation des ouvrages aprogressivement été révisée en fonction desmeilleures connaissances du risque appor-tées par les chercheurs. Une normalisationdes équipements et des coupures de combus-tibles et une coopération interservices ontconféré une plus grande efficacité à ces dis-positifs indispensables. De nombreusesréflexions ont été menées sur les techniquesd’entretien de ces ouvrages, et ces 40 der-nières années ont vu l’émergence et la géné-ralisation de nouvelles techniques decontrôle du combustible, le brûlage dirigé etle pâturage contrôlé, en complément dudébroussaillement mécanique qui restenéanmoins la technique de référence.

Une gouvernance DFCI plusclaire

Les services de prévention et de lutte ontappris à travailler ensemble et se sont for-més pour mieux analyser les situations etévaluer les risques. Les rôles des diversesinstances ont été clarifiés. Lorsque les com-pétences sont partagées, des concertationsinterservices traitent par exemple des posi-tionnements des ouvrages à partir desretours d’expérience des feux précédents et

du partage des connaissances. De même, lesdispositifs de prévention et de couverture duterritoire à surveiller sont de plus en plusmutualisés. Véritable structure transversale,l’Entente Interdépartementale en vue de laprotection de la forêt méditerranéennecontre l’incendie, créée en 1963, regroupe 15départements, leurs Services d’incendie et desecours (SDIS), et la Collectivité territorialede Corse. Elle est composée de cinq unitésopérationnelles : un service de communica-tion, une école d’application, un pôle des nou-velles technologies, un centre d’essai et uncomité scientifique et technique, qui en fontun acteur incontournable pour l’informationdu public et l’efficacité de la lutte contre lesincendies.

L’État gère des moyens lourds (avions ethélicoptères…) qui ont été accrus. La bonnerépartition de ces moyens nationaux s’ap-plique en fonction des risques et, s’il le faut,quand le risque est élevé, un guet aérienarmé est mis en place. Il s’y ajoute desmoyens propres des SDIS avec notammentdes véhicules légers de première interven-tion qui peuvent être aussi pré-positionnésles jours de risque avéré.

Une sensibilisation de la population en quête d’efficacité

L’efficacité de la sensibilisation de la popu-lation est difficile à mesurer, mais sur 40ans, on constate une diminution continue desdéparts de feu. En revanche, des idées reçuespersistent telles que celle qui incrimine lespyromanes alors que l’accent doit être mis

Le nombre d’incendies et les surfaces brûlées dans les 15 départements du sud de la France diminuent depuis 1973.Source Prométhée.

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surtout sur l’imprudence qui est toujours lapremière cause des feux. Les dépenses decommunication ont été mieux rationnaliséeset coordonnées, faisant appel à divers sup-ports (papier, réseaux sociaux…).

Des améliorations à conduiresur ces différents points

L’état des lieux montre que de réels effortsont été faits par les responsables et les diffé-rents acteurs et qu’ils ont été efficaces. Pourchaque point, les experts énumèrent néan-moins des sujets à approfondir ou à ajouteret soulignent l’émergence d’un autre type defeux.

Après ce bilan historique, la journée d’in-formation et de débat du 12 mars a abordé laréalité d’aujourd’hui avec des conditions nou-velles, dont trois sont particulièrement alar-mantes : le changement climatique, l’aug-mentation de la biomasse combustible et lapériurbanisation de plus en plus diffuse enforêt.

Avec le changement climatique, une plus grandesécheresse sur des surfacesplus étendues

Les données météorologiques relevées cesdernières années font état d’un changement

dans l’élévation des températures et dansl’allongement des périodes sans pluies. Lessécheresses et vagues de chaleur conduisentà des teneurs en eau encore plus faibles desvégétaux constitutifs de la forêt méditerra-néenne, ce qui augmentera leur inflammabi-lité et leur combustibilité.

Ces changements climatiques affecterontaussi les pourtours de l’actuelle zone àrisques vers l’ouest et le centre de la Franceet vers les moyennes montagnes de l’arrière-pays méditerranéen. Selon les scénarios, lessurfaces brûlées devraient être multipliéespar 3 voire 5 d’ici à la fin du siècle. Lesefforts de prévention et de lutte devront entenir compte avec la mise en place dans lesnouveaux territoires d’une organisation etd’une sensibilisation adaptées.

Une augmentation constante de la biomasse et des accruesforestières

Dans le même temps, la biomasse combus-tible ne cesse de croître. A partir de la basedes données 2015 de l’Inventaire forestiernational, les experts constatent que sur leszones à risque les espaces forestiers sontmajoritaires (53%, soit 4 100 000 hectares),c’est-à-dire beaucoup plus que la moyennenationale. Cette expansion est généralisée etconstante depuis plus de 30 ans (de 1 à 2%par an).

Ce dynamisme se traduit par des volumes 3

qui s’accroissent, augmentant ainsi la quan-tité de combustible potentiel et donc leniveau de risque. La production biologiqueen volume a légèrement augmenté : estiméeà 2,4 m3/ha/an dans les années 1978, elle aatteint 2,7 m3/ha/an sur la période 2008-2016. Les prélèvements de bois n’ont quetrès peu augmenté, passant de 0,66 m3/ha/anestimé en 1978 à 0,78 m3/ha/an sur lapériode 2008-2015, et restent particulière-ment faibles. La quantité de bois mort restetrès inférieure à la moyenne nationale (mortsur pied : 6m3/ha, mort au sol : 10 m3/ha)mais devrait progresser dans les années àvenir suite aux dépérissements prévisiblesdans le cadre des changements climatiquesen cours et à la multiplication des bio-agres-sions . Un tel constat conduit à préconiserdes mesures de gestion de cette biomasse quiseront détaillées plus loin.

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Une augmentation du danger dans le Sud

et dans l’Ouest : anomalie de l’IFM90 à l’horizon de la fin

du siècle (2078-2098) par rapport à la périodeactuelle (1995-2015)

en utilisant les projectionsde 5 modèles climatiques

selon le scénario du GIECC RCP8.5.

L’IFM (Indice Forêt Météo)est un indice journalier dedanger d’incendie à basemétéorologique. L’IFM90

est la valeur de l’IFM pour laquelle 10 %

des jours sont au dessusde cette valeur au cours

de la saison de feu.Source : résultat de la thèse INRA

d’Hélène Fargeon publié àl’International Conference

on Forest Fire Research(ICFFR), Coimbra,

nov. 2018.

… mais des conditions de plus en plus alarmantes

3 : Bois aérien total estimé à ce jour : 160 m3/ha.

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Une urbanisation grandissante dans un milieu arboré

A cet accroissement de la biomasse, il fautajouter l’urbanisation grandissante à proxi-mité et au sein même des espaces boisés. Lesspécialistes de l’urbanisme et de l’aménage-ment montrent, cartes sur table, l’urbanisa-tion continue de Menton à Perpignan, consé-quence de l’attractivité de nos régions, avecdes entrelacs d’interfaces forêt/habitation deplus en plus étendues. On ne peut que rappe-ler la justesse d’un titre à sensation de ParisMatch lors du dernier feu du massif del’Etoile en 1996 en périphérie de Marseille :« Marseille, au-dessous du volcan ».

Une étude réalisée par l’ONF en 2008inventoriait 500 000 constructions en zonede fort aléa, ce qui pourrait concerner1 500 000 personnes. Quels chiffres donnerason actualisation en cours ?…

La structure et l’inflammabilité du com-bustible dans ces interfaces sont malconnues car elles sont composées aussi biend’espèces forestières que d’espèces stricte-ment ornementales. On a pu mettre en évi-dence lors du feu de Rognac (Bouches-du-Rhône) en 2016 que les haies d’ornementavaient un effet de mèche en propageant lefeu d’habitation en habitation.

Ces conditions alarmantes doivent doncnous empêcher de nous endormir sur noslauriers malgré le bilan positif évoqué plushaut.

Une évolution du bâti très forte dans les communes littorales entre 1990 et 2010Source : Observatoire national de la mer et du littoral

Une urbanisation qui se développe au seinmême des massifs.Photo du centre :

Mati en Grèce avant l’incendie de 2018.

Ci-contre et ci-dessous : sur le littoral français...Photos DDTM 13 et J.L.

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La menace des méga-feux

Ces trois tendances lourdes qui aggraventle risque d’incendie de forêt à moyen et longterme ne sont pas l’apanage de la seulerégion méditerranéenne française. Elles sontpartagées avec les autres pays du sud del’Europe et créent les conditions pour de trèsgrands feux, voire des méga-feux, que nosproches voisins ont déjà subis ces dernièresdécennies.

Qu’est-ce qu’un méga-feu ?Il n’y a pas encore de définition stable des

méga-feux, tant ce phénomène est émergent.Néanmoins les spécialistes s’accordent surun certain nombre de leurs caractéristiques.Au-delà d’être généralement des incendiesd’une dimension exceptionnelle pour la zonegéographique où ils se produisent, ils se défi-nissent surtout par le fait qu’ils conduisent àl’effondrement du système de lutte et qu’ilsproduisent des impacts profonds et durablessur la société, l’économie et l’environnement.Les méga-feux ne sont pas forcément desévénements uniques, mais parfois un ensem-ble de feux simultanés sur un vaste terri-toire, se rejoignant parfois.

Les températures élevées, la sécheresse etl’accumulation de biomasse sont les ingré-dients favorables à la formation d’un nou-veau type de feux dits « convectifs ». Ces feuxdont la colonne de convection s’élève sur plu-sieurs kilomètres, génèrent leurs propresvents, responsables de vitesses de propaga-tion et de puissances exceptionnelles,consommant jusqu’à 5000 hectares à l’heure.Un méga-feu n’est pas forcément un feuconvectif, mais il peut aussi résulter d’unépisode de vent soutenu se traduisant pardes vitesses de propagation élevées et dessautes de feu à longue distance rendant lecontrôle de l'incendie impossible. Ces incen-dies dépassent de loin les capacités d’extinc-tion des secours terrestres et aériens réunis,qui se rabattent sur des tentatives de protec-tion des biens et des personnes.

Le Portugal aux avant-postesdu phénomène des méga-feux

Le Portugal connaît depuis le début desannées 2000 une série de saisons feux deforêt catastrophiques avec une succession

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La magnitude extraordinaire

des méga-feux : en Australie,

à Pedrógão Grande au Portugal, à Camp Fireen Californie

et à Rognac en France.

Australie

Portugal

Californie

France

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Les populations prisesau piège au Portugal(en haut) et en Grèce à Mati (ci-dessus et ci-contre).

d’années exceptionnelles : 2003, 2005, 2016 et2017. En 2003, les incendies ont détruit 430000 ha des forêts de ce petit pays, faisant 20victimes et provoquant plus d’un milliardd’euros de dommages. Entre 2003 et 2005, 23% de la surface forestière portugaise a étéparcourue par les incendies. Sur cettepériode, les situations de grands feux simul-tanés qui durent plusieurs jours ont été deplus en plus fréquentes. La décade infernaleautour du 10 août 2016 a marqué lesmémoires non seulement sur le Portugalcontinental, mais aussi sur l’île de Madère oùla capitale régionale Funchal a été assailliepar les flammes et par une pluie de parti-cules d’eucalyptus incandescentes qui endom-magèrent 230 édifices, en en détruisant plusd’une centaine jusqu’au cœur de la ville.

Mais le pire restait à venir : que s’est-ilpassé les 15 et 16 octobre 2017 au Portugal ?Il s’agit de la plus dramatique série de méga-feux qu’ait connue le Portugal en 24 heures :220 000 ha brûlés, 900 habitations princi-pales touchées, 45 victimes et des centainesde blessés. Cette journée funeste a eu lieu aucours de conditions météorologiquesextrêmes. Le mois de septembre 2017 fut leplus sec en 87 ans au Portugal, avec 81 % duterritoire en grande sécheresse et 7,4 % ensituation de sécheresse extrême. Conjuguéesà cette sécheresse, des températures inhabi-tuellement élevées pour la mi-octobre auPortugal, au-dessus de 30 ºC, ont donné desconditions parfaites pour que des feuxintenses se déclarent rapidement.L’événement déclencheur a été l’ouragantempête Ophélia remontant sur l’Atlantiqueau large du Portugal en direction des îles bri-tanniques provoquant des vents tempétueuxsur le Portugal et la Galice. La moindre éclo-sion s’est immédiatement transformée enincendie incontrôlable, et très vite dans lajournée, des centaines de feux simultanésont submergé les maigres moyens de lutte dupays.

Avec l’incendie de Pedrógão Grande, du 17juin 2017, qui a causé la mort de 64 per-sonnes, dont plusieurs piégées dans leursvéhicules sur une route nationale, le bilanhumain de la saison feux 2017 au Portugals’est élevé à plus de 100 victimes. Ce bilanmarque alors un triste record pour l’Europe.Le choc social et politique est sans précédent,mais étonnement, hors de la péninsule ibé-rique, il ne connaît pas de retentissementmédiatique du fait sans doute de la périodedéjà automnale. Le 21 octobre, le Premierministre Antonio Costa a accepté la démis-

sion de sa ministre de l’Intérieur, ConstançaUrbano de Sousa, qui était chargée de la pro-tection civile. Le pays est ressorti sonné decette année noire, et tous les impacts à longterme restent à évaluer. La réaction duPortugal a néanmoins été à la hauteur dudrame et le pays a lancé une série deréformes d’une ampleur exceptionnelle dontnous sommes loin d’avoir pris conscience enFrance.

La Grèce entre à son tourdans le triste livre des records

Sur le front des méga-feux, les tristesrecords s’enchaînant maintenant à unevitesse inédite, cela a été au tour de la Grèce

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de faire la une de l’actualité pendant l’été2018. L’incendie qui a ravagé la petite villecôtière de Mati en plein cœur de la saisonestivale a emporté 96 vies humaines enmoins d’une heure, détruisant 1220 bâti-ments et 305 véhicules. L’exposé du 12 marsretraçant les minutes du drame a jeté l’effroisur l’assistance. Comment un tel drame est-il possible en Europe ? Les conclusions de lacommission d’enquête grecque ont listé aunombre de sept 4, les redoutables conditionsaggravantes et les négligences invraisembla-bles, qui ont abouti à refermer l’étau infernalsur une population prise au piège.

L’incendie de Rognac : un avertissement sans fraispour la France

Le compte rendu qui a été fait de l’incendiede Rognac (Bouches-du-Rhône) lors de lajournée du 12 mars, a montré combien lesingrédients de la catastrophe étaient réunisce 10 août 2016 en Provence. Un niveau desécheresse extrême, des vents en rafalesjusqu’à 85 km/h ont conduit à des vitesses depropagation très élevées de 3,2 à 5,3 km/h,des sautes de feu très nombreuses et particu-lièrement distantes. La zone concernée étaitparsemée d’enjeux à protéger avec près de2000 constructions menacées dans la trajec-toire du feu et des centaines d’automobilistespiégés sur les axes routiers. Par miracleaucune victime n’a été déplorée, mais lesdommages matériels et environnementauxont été considérables. Dans ce départementassurément parmi les mieux dotés au mondeen moyens matériels et humains de luttecontre les feux de forêt, de l’aveu même desresponsables des forces de lutte, ce type defeu ne permet pas de garantir la sécurité descitoyens. En effet, même si les forêts proven-çales de chêne vert et de pin d’Alep sontmoins hautes que les forêts portugaises d’eu-calyptus ou de pin maritime, elles dégagenten brûlant dans ces conditions météorolo-

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A gauche, schéma d’un feu standard

« guidé » par le vent.A droite, un feu

convectif se déploie sur les flancs.

Source S. Lahaye.

4 - - Accumulation de com-bustible en zone habitée.- Urbanisation sans plan

d’aménagement.- Emploi du feu une jour-

née à risque élevé.- Sous-estimation du

risque météo.- Retard dans l’envoi de

moyens.- Blocage de la route de

Marathon.- Non assistance aux per-

sonnes en mer.

Contours du feu de Rognac en 2016. Ce feu qui a brûlé

2655 ha de forêt peutêtre considéré comme

un méga-feu en cesens qu’il a conduit àun dépassement dusystème de lutte et à des impacts locaux durables.

Source SDIS 13.

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giques extrêmes, des puissances de feu deplusieurs milliers de kilowatts par mètre,bien au-delà du seuil de défendabilité par lesforces de lutte. Leurs capacités d’action sontsaturées, la vitesse de propagation du feu, ycompris par sautes, enlève toute possibilitéd’anticipation et de renfort, les secours nepeuvent se porter partout où ils sont néces-saires, le feu est subi par les acteurs de lalutte, et les hautes technologies à l’œuvre nepermettent que de suivre impuissants ledrame en cours. Dans ces conditions, la vul-nérabilité des biens et des personnes estmaximale, les citoyens menacés ignorentpour la plupart le péril qui les menace et lemoindre incident peut basculer en drame.Seuls face aux flammes, seule une bonneétoile a distingué les survivants de l’incendiede Rognac des victimes piégées sur la routenationale de Pedrógão Grande au Portugalou au cœur de Mati en Grèce.

Les méga-feux constituent un nouveauphénomène qui menace toute l’Europe duSud. La France, à ce jour partiellement épar-gnée, n’est pas à l’abri de ce type de catas-trophe. Il faut en prendre conscience et il estde notre devoir d’en donner l’alerte. Auregard des drames qui ont touché nos voi-sins, parfois les mêmes jours, comme ce 10août 2016 où la France et le Portugalployaient simultanément sous les incendies,saurons-nous tirer les leçons de l’expérienceet prendre la mesure du péril qui nousmenace ?

Alors que faire ?

Maintenant nous savons. Nous savons cequi peut se produire. Nous savons ce qu’ilfaut éviter, ce qu’il est impératif d’éviter.

Il faut agir. Et il est possible d’agir.Des actions ont bien évidemment été mises

en œuvre par l’ensemble des partenaires,nous l’avons vu dans le premier chapitre :plus ou moins innovantes, plus ou moins effi-caces selon le contexte humain, institution-nel et géographique. Le défi aujourd’hui estde trouver —d’inventer ? — des solutions derupture face au risque de méga-feu.

Lors de la journée du 12 mars nous avonsvoulu, non pas dresser un projet de pland’actions (nous n’en avions pas la préten-tion !) mais explorer des pistes de progrès.Cela n’a pas été facile, mais les grandeslignes se dessinent... Reste à construire tousensemble les actions qui vont y contribuer.

Faire de la forêtméditerranéenne la véritablerichesse qu’elle mérite d’être

Il faut en finir avec l’image sensationnellede la forêt méditerranéenne « proie desflammes » et donner à notre forêt toute laplace que ses qualités lui destinent.

Le feu de Rognac dansles Bouches-du-Rhône :les pertes humainesont pu être évitées ...cette fois-ci. Photos SDIS 13.

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Valoriser les produits et les espacesforestiers

Les propriétaires forestiers sont les pre-mières victimes des feux de forêt, ils doiventêtre aidés et assistés face à ce fléau. A tra-vers le développement des surfaces sousdocument de gestion durable, à travers lasylviculture et la valorisation des produitsforestiers et celle des espaces forestiers, ils’agit que les propriétaires et gestionnairesforestiers deviennent les premiers acteurspour la protection et la valorisation de leurpatrimoine.

Couplées avec les nécessaires mesures deDFCI, ces formes d’action, bénéfiques pour laprotection des massifs, le seront aussi pour

l’aménagement durable du territoire, la bio-diversité, la qualité de vie, les paysages etl’activité économique ; en cohérence avec lesProgrammes régionaux de la forêt et du bois,elles doivent être inscrites et positionnéesdans des Plans départementaux de protec-tion des forêts contre l’incendie (PDPFCI) etleur déclinaison par massif, qui soient réso-lument le guide de référence de l’action col-lective en DFCI. Elles doivent égalementêtre inscrites dans les documents d’urba-nisme. Elles méritent enfin d'être inscritesdans les prochains Plans de développementrural.

Réhabiliter la planification territoriale et mettre en place un aménagement du territoire qui combine espaces urbains, terres agricoles et massifs forestiers

Dans le conflit qui se joue entre deuxexpansions, celle passive de la forêt et celleactive de l’urbanisation, un retour à la plani-fication territoriale s’impose. L’héliotropismene doit pas l’emporter sur la raison. Espacesurbanisés, espaces agricoles, espaces fores-tiers doivent composer un ensemble harmo-nieux et complémentaire. Il s’agit pour lesCollectivités de réfléchir à de tels aménage-ments où chaque pièce est à sa bonne placeet où la forêt n’est plus vécue comme un fac-teur de risque mais comme un facteur d’équi-libre.

La DFCI est un sujet large et aux multi-ples facettes. Le défi qu’elle porte est d’abordcelui d’une gestion forestière durable et mul-tifonctionnelle qui, elle-même, prend desformes très diverses. Il renvoie ensuite à unaménagement du territoire fait de la cohé-rence tant des politiques publiques que despolitiques territoriales, et qui donc doit êtreconçu dans la coordination de l'ensemble desacteurs de la forêt et de l’environnement etdans la complémentarité des actions.

SCOT et PLUI doivent traduire ces orien-tations. Et chaque commune doit recevoirtoute information sur les risques incendieauxquels elle est exposée, à travers la géné-ralisation des porter à connaissance et descartes d’aléas. Enfin, le PPRIF ne doit pasmarquer une « sanction définitive » suscitantle rejet des élus : il faut qu’il reste vivant etqu’il puisse être révisé d’une façon plus sou-ple lorsque les actions menées par la munici-palité modifient la situation locale en termesd’aléa/enjeu/défendabilité.

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Appliquer les obligations légalesde débroussaillement :

une priorité.

Ci-dessous : le respectstrict des OLD a permisde préserver certainsbâtis très exposés,L’Infernet, 2004.

Photos SDIS 13.

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Redonner une place et un rôle aux « accrues forestières »

Sous ce terme, on désigne ces espacesincertains de friches qui ne sont plus la terreagricole productive qu’ils étaient autrefois,qui ne sont pas encore une véritable forêtporteuse de services et de produits, et qui ontperdu leur fonction de cloisonnement desespaces ou de zone tampon agricole, pourdevenir a contrario des lieux privilégiés dedépart et de transmission d’incendie. Selonle lieu et selon leurs qualités, ces espacesdoivent redevenir des éléments « positifs » del’aménagement du territoire : le boisement,l’agriculture, le pastoralisme ou des formesmixtes d’agropastoralisme, de sylvopastora-lisme ou d’agroforesterie sont autant devoies possibles. Un programme doit êtrelancé dans ce sens sur l’ensemble de la zoneméditerranéenne, soutenu par une mesure àinscrire dans les prochains Plans de dévelop-pement rural des régions méditerranéennes.

Ces mêmes modes de mise en valeur méri-teraient d’être utilisés sur des zones d’inter-face urbanisation/forêt permettant quecelles-ci ne soient plus un handicap dans lalutte mais au contraire un point d’appui.

Assurer l’auto-protection des maisons et constructionsexposées au risque d’incendie

Face à ces nouveaux risques, les servicesd’incendie et de secours conviennent que,malgré leur organisation, malgré leursmoyens, leur courage et leur détermination,ils ne seront pas toujours en mesure de venirau secours de chacun. Dans ce contexte, il estessentiel d’assurer la meilleure auto-protec-tion des maisons de sorte qu’elles puissentjouer leur rôle de refuge protecteur lors dupassage du feu. Et cette auto-protectionapporte le triple bénéfice de se protéger soi-même, protéger les maisons proches et proté-ger la forêt, car les pompiers, moins mobili-sés sur la protection des personnes et desbiens, peuvent alors se focaliser sur la luttecontre le feu qui détruit la forêt.

Appliquer les obligations légales de débroussaillement (OLD)

C’est la toute première priorité, tous lesretours d’expérience en confirment l’utilité :la protection des occupants d’une maison estnettement renforcée lorsque ses abords ontété débroussaillés. La loi est claire : c’est le

propriétaire du bien qui a la charge d’opérerce débroussaillement. L’application endevient complexe lorsqu’il y a superpositiond’obligations. Le ministère de l’Agriculture afait un très bon travail pour apporter desinterprétations claires et précises des textes.Le volume de ce guide technique, 98 pages,ne manque pas de susciter la question : unerègle qui nécessite autant de pages d’explica-tion ne comporte-t-elle pas un réel handicapde conception ? Le taux d’application actuelde ces obligations légales semble donner uneréponse : les estimations des services sont engénéral inférieures voire très inférieures à50%. La réunion du 12 mars a permis d’en-tendre deux témoignages où une volonté

Un débroussaillementefficace à Vidauban(Var).Photo SDIS 83.

Les haies d’alignementjouent un rôle important dansla profondeur de pénétration du feudans les zones bâties.Photos SDIS 13.

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locale, forte et durable, alliant fermeté etconvivialité, permet d’atteindre de bonsrésultats. Ces cas exemplaires ne peuventhélas gommer la trop fréquente réticence despropriétaires à opérer ces débroussaille-ments, ainsi que les difficultés que rencon-trent les élus pour les y contraindre.

Une maîtrise d’ouvrage unique et publiqueparaît dorénavant incontournable, qui méri-terait de s’appuyer sur un dispositif calquésur celui qui a été mis en place pour la ges-tion des milieux aquatiques et la préventiondes inondations. Le dispositif GEMAPI 5 per-met à la collectivité de mettre en œuvre destravaux concourant à l’intérêt de tous ; laprotection contre l’incendie de forêt relèved’un même intérêt général ; une formule dumême ordre résoudrait-elle dans certainscontextes les difficultés si paralysantes — etmenaçantes — depuis tant d’années ?

Appliquer les prescriptions techniques de conception etconstruction durables appropriéesaux zones à risque d’incendie de forêt

Un excellent guide a été rédigé par ENVIROBAT BDM avec le soutien de l’État,de la Région Sud-Provence-Alpes-Côted’Azur et de l’ADEME. Sous le titre« Construire durable en zone à risque d’incen-die de forêt », il présente toutes les règles àrespecter et les techniques à déployer. Lesconsignes sont donc bien identifiées, ilimporte de les faire connaître et, pour cela,de trouver les voies et moyens pour diffuserce guide vers les services et les usagersconcernés, et en faire respecter les prescrip-tions.

Ces prescriptions doivent s’appliquer auxconstructions nouvelles — dès lors que cesconstructions seront réglementairementenvisageables — elles doivent aussi êtreappliquées à la réhabilitation de bâtimentsafin de les mettre en situation de résister aupassage du feu.

Respecter les règles de gestion de lamaison et de ses abords ainsi queles comportements appropriés auxzones à risque d’incendie de forêt

Ici aussi, les consignes et les règles de com-portement sont identifiées ; ici aussi, il fautassurer une diffusion qui suscite, sansréserve, compréhension, adhésion et applica-tion.

Au-delà, et dans l’objectif de réduire dras-tiquement les départs de feu — et d’éviterd’avoir ainsi à les combattre — le développe-ment de la culture du risque, la compréhen-sion du feu, l’adoption des bons comporte-ments chez tous ceux qui vivent dans ceszones exposées, constituent une piste de pro-grès qui ne passe pas seulement par la dis-tribution de documents d’information (cf.plus loin) : la sensibilisation directe de cespersonnes ou, encore mieux, l’organisationd’exercices traduisant les dispositions duPlan communal de sauvegarde (PCS),devraient être systématiquement assuréespar les acteurs municipaux (élus, associationlocale, CCFF).

Connaître, comprendre,faire prendre conscience, faire adhérer

Généraliser les cellules de recherche des causes et circonstances des incendies

Aujourd’hui encore, les causes des incen-dies de forêt restent souvent inconnues.Cette méconnaissance est doublement péna-lisante, elle amène très vite à affirmer quechaque feu est le fait d’un incendiaire — cequi est à la fois faux et déresponsabilisant —et elle empêche de caler les dispositifs deprévention et de lutte sur les perspectives lesplus vraisemblables de départ et de dévelop-pement de feux. Déjà, dans plusieurs dépar-tements, un très bon travail est fait par descellules de recherche des causes et circons-tances des incendies (RCCI). Il est essentielde créer ou de conforter de telles cellulesdans tous les départements concernés etd’envisager leur mise en place dans lesdépartements qui peu à peu connaissent l’ap-parition de feux de forêt. Sous une forme àpréciser, les Parquets doivent être égalementimpliqués dans cette action d’investigation.Et le centre de formation de Valabre doitredevenir le point focal qu’il a été dans lepassé, de formation et d’échange de bonnespratiques.

Bâtir un plan de communication à l’échelle de la zone méditerranéenne

Les témoignages le confirment : il existeencore un fort taux d’inconscience sur lerisque feu de forêt. La culture du risque esttrès insuffisamment intégrée, chez les tou-

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5 - GEMAPI : « Gestion desmilieux aquatiques et pré-vention des inondations ».Cette nouvelle compétencea été confiée aux intercom-

munalités. Elle replace la gestion des cours d’eau

au sein des réflexionssur l’aménagement

du territoire. Elle aborde de manière conjointe la

prévention des inondations,la gestion des milieux

aquatiques et l’urbanisme.Elle conforte également la solidarité territoriale.

Pour la financer, les communes ou EPCI

peuvent mettre en placela taxe GEMAPI.

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ristes ou les nouveaux arrivants, mais aussichez les résidents de longue date.Déclinaison d'une stratégie nationale inter-ministérielle, une stratégie de communica-tion doit être bâtie au niveau zonal de sorteque les messages et les vecteurs de commu-nication soient homogènes et qu’ils relèventd’une même identité visuelle sur l’ensemblede la zone méditerranéenne les rendant ainsimieux repérables, plus forts et efficaces.

Les besoins de recherche sur les « méga-feux »

Suite aux incendies dramatiques de l’an-née 2017, la Direction générale pour larecherche, la science et l’innovation de laCommission européenne a pris l’initiatived’établir le bilan des résultats des recherchesde l’UE sur les incendies de forêt, en vued’analyser l’adaptation des politiques pourfaire face aux nouveaux défis imposés par lesméga-feux. Ce bilan s’est conclu à Lisbonneen février 2018 par un colloque qui a montréles solides avancées obtenues par la sciencemais aussi les domaines spécifiques à amé-liorer face à ces enjeux inédits 5.

Les améliorations souhaitables s’expri-ment par une série de recommandations derecherches dans les domaines des sciencesdu feu, de la prévention, de la détection, etde la lutte contre les méga-feux, mais ausside la restauration après le passage du feu.Ces recommandations s’organisent autourdu concept, maintenant bien établi, de ges-tion intégrée du feu. Cette initiative a débou-ché sur l’appel à projets de recherche LC-CLA-15-2020 : Forest Fires risk reduction:towards an integrated fire managementapproach in the E.U. sur lequel les équipesde recherche sont d’ores et déjà mobilisées.

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Si les trois grands domaines d’actions évo-qués ci-dessus nous semblent incontourna-bles, les actions proposées pour y contribuern’ont bien évidemment pas l’ambition del’exhaustivité. Elles font référence à desactions déjà mises en œuvre, d’autres à tes-ter, d’autres à promouvoir.

L’association Forêt Méditerranéenne sepropose, en s’appuyant sur son large réseau,de contribuer à identifier et recenser desactions efficaces dans les domaines cités ;mais aussi d’élargir l’enquête auprès desautres pays méditerranéens, notammentceux qui ont subi des « méga-feux ».

Il faut aller plus loin, s’attaquer auxcauses structurelles des incendies. Cesactions appellent une volonté sans faille àtous les échelons : ceux de l’État, national,régional et départemental, ceux des collecti-vités territoriales, chacun dans son rôle etses responsabilités, de sorte qu’elles seconcrétisent au niveau de chaque citoyen.

Nonobstant, il reste que les feux convec-tifs, ces « méga-feux » que l’avenir nous pro-met, nécessitent également des « mesures derupture » que notre session du 12 mars n’apu identifier : un groupe de travail dédié doitêtre mis en place sans attendre.

C.D., L.-M.D., E.R.

5 - https://www.preventionweb.net/publications/view/62829

La forêt méditerranéenneprocure une multitudede produits, biens et services à la société :ressources ligneuses et non ligneuses, paysage, biodiversité,lutte contre l’érosion et le changement climatique, qualité des eaux, etc. Il serait souhaitable dechiffrer tous ces biens,tous ces bienfaits quenous apportent nosforêts, on mesureraitmieux alors le coût global d’un incendie de forêt et tout ce qu’il nous fait perdre en quelques instants ...Photo DA.

Charles DEREIXLouis-Michel DUHEN

Eric RIGOLOTForêt Méditerranéenne

14 rue Louis Astouin 13002 MarseilleTél. : 04 91 56 06 91

Mél : contact @foret-mediterraneenne.orgwww.foret-mediterraneenne.org

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