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CHANGEMENT ET INVARIANCE DANS LES DYNAMIQUES DE RESTRUCTURATION SOCIO-SPATIALE D’ UNE METROPOLE MAGHREBINE LE CAS DE CASABLANCA L’espace urbain, au Maghreb, a connu au cours du 20 ème siècle de profondes mutations, sur le plan quantitatif et qualitatif. L’étude de ces mutations se fait, en général, en termes de transformations dictées par les changements de conjoncture. Ce qui ramène ces mutations à de simples réadaptations fonctionnelles de l’espace urbain. Le propre de cette communication est d’aborder ces phénomènes, en termes de changement et d’invariance, permettant d’accorder la priorité dans l’explication des dynamiques spatiales à l’approche globale des structures urbaines. Ce qui est à même de questionner le concept de restructuration socio - spatiale dans son inscription, à la fois dans le temps et dans l’espace. Autrement dit, l’approche des dynamiques urbaines en termes de restructuration revient, non seulement, à accorder une plus grande place aux stratégies et aux intérêts en présence, mais aussi, à voir plus clair dans leurs soubassements et leurs prolongements sociaux. Le cas de la ville de Casablanca, qui sert de support à cette tentative de relecture des dynamiques spatiales, en cours dans les métropoles du Maghreb, est représentatif , dans la mesure cette ville a constitué, depuis l’époque coloniale, un véritable laboratoire, en matière de production et d’instrumentation de l’espace urbain, dans les différents processus de régulation sociale. Il s’agit donc d’une approche qui rend compte à la fois de la politique de mise à la norme par la refonte des structures urbaines et de la politique de mobilisation des populations au sein de l’espace urbain. 1– LES PRINCIPALES DYNAMIQUES DE RESRUCTURATION SOCIOSPATIALE 1 – 1 Un étalement urbain de moins en moins régulé En s’opposant à l’émergence de véritables villes satellites, le Schéma Directeur d’Aménagement Urbain (S.D.A.U). de Casablanca de 1984, a ouvert la voie devant le déchaînement de l’urbanisation diffuse. Ce qui s’est traduit par l’ouverture de tout l’espace périurbain à l’aventure urbaine. Le choix du S.D.A.U. , en tant qu’option stratégique, est indissociable des intérêts fonciers et immobiliers qui président au destin de la ville, et partant il explique la prééminence de la logique foncière dans toutes les dynamiques d’étalement spatial et de métamorphose du périurbain et dans la sélectivité qui caractérise ces dynamiques. Le fait que ce sont toujours les couches les plus aisées qui s’aventurent de plus en plus dans la conquête de nouveaux pans du périurbain et poussent plus loin les fronts de l’urbanisation, donne une tonalité sociale prononcée à ce choix et à toutes les dynamiques qui sont derrière l’étalement urbain. (CHOUIKI M. 2002) Dans ce sens, le fait de doter les communes urbaines situées en marge de la ville de Casablanca de périmètres urbains assez étendus a , non seulement , fait passer de larges espaces ruraux de la logique de gestion rurale à la logique de

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Page 1: CHANGEMENT ET INVARIANCE DANS LES DYNAMIQUES DE ......RESTRUCTURATION SOCIO-SPATIALE D’ UNE METROPOLE MAGHREBINE LE CAS DE CASABLANCA L’espace urbain, au Maghreb, a connu au cours

CHANGEMENT ET INVARIANCE DANS LES DYNAMIQUES DE

RESTRUCTURATION SOCIO-SPATIALE D’ UNE METROPOLE

MAGHREBINE

LE CAS DE CASABLANCA

L’espace urbain, au Maghreb, a connu au cours du 20ème siècle de profondes

mutations, sur le plan quantitatif et qualitatif. L’étude de ces mutations se fait, en

général, en termes de transformations dictées par les changements de conjoncture.

Ce qui ramène ces mutations à de simples réadaptations fonctionnelles de l’espace

urbain.

Le propre de cette communication est d’aborder ces phénomènes, en termes de

changement et d’invariance, permettant d’accorder la priorité dans l’explication des

dynamiques spatiales à l’approche globale des structures urbaines. Ce qui est à

même de questionner le concept de restructuration socio - spatiale dans son

inscription, à la fois dans le temps et dans l’espace. Autrement dit, l’approche des

dynamiques urbaines en termes de restructuration revient, non seulement, à accorder

une plus grande place aux stratégies et aux intérêts en présence, mais aussi, à voir

plus clair dans leurs soubassements et leurs prolongements sociaux.

Le cas de la ville de Casablanca, qui sert de support à cette tentative de

relecture des dynamiques spatiales, en cours dans les métropoles du Maghreb, est

représentatif , dans la mesure où cette ville a constitué, depuis l’époque coloniale,

un véritable laboratoire, en matière de production et d’instrumentation de l’espace

urbain, dans les différents processus de régulation sociale.

Il s’agit donc d’une approche qui rend compte à la fois de la politique de

mise à la norme par la refonte des structures urbaines et de la politique de

mobilisation des populations au sein de l’espace urbain.

1– LES PRINCIPALES DYNAMIQUES DE RESRUCTURATION SOCIOSPATIALE

1 – 1 Un étalement urbain de moins en moins régulé En s’opposant à l’émergence de véritables villes satellites, le Schéma Directeur

d’Aménagement Urbain (S.D.A.U). de Casablanca de 1984, a ouvert la voie devant le

déchaînement de l’urbanisation diffuse. Ce qui s’est traduit par l’ouverture de tout

l’espace périurbain à l’aventure urbaine.

Le choix du S.D.A.U. , en tant qu’option stratégique, est indissociable des

intérêts fonciers et immobiliers qui président au destin de la ville, et partant il

explique la prééminence de la logique foncière dans toutes les dynamiques

d’étalement spatial et de métamorphose du périurbain et dans la sélectivité qui

caractérise ces dynamiques. Le fait que ce sont toujours les couches les plus aisées

qui s’aventurent de plus en plus dans la conquête de nouveaux pans du périurbain

et poussent plus loin les fronts de l’urbanisation, donne une tonalité sociale

prononcée à ce choix et à toutes les dynamiques qui sont derrière l’étalement

urbain. (CHOUIKI M. 2002)

Dans ce sens, le fait de doter les communes urbaines situées en marge de la

ville de Casablanca de périmètres urbains assez étendus a , non seulement , fait

passer de larges espaces ruraux de la logique de gestion rurale à la logique de

Page 2: CHANGEMENT ET INVARIANCE DANS LES DYNAMIQUES DE ......RESTRUCTURATION SOCIO-SPATIALE D’ UNE METROPOLE MAGHREBINE LE CAS DE CASABLANCA L’espace urbain, au Maghreb, a connu au cours

gestion urbaine, mais a également consacré la prééminence de la logique foncière

dans la gestion du processus d’urbanisation. Ce qui souligne que ce processus a

une tonalité sociale certaine, et qu’elle constitue avant tout un choix officiel

véhiculé par un document d’urbanisme. Autrement dit, l’étalement urbain n’est pas

le simple résultat de choix individuels, mais qu’il s’insère dans des choix officiels

et relève de la planification spatiale en vigueur et du système de gestion urbaine

en place.

La multiplication des lotissements non réglementaires en rase campagne et la

régularisation de leur situation par la suite ont contribué à la prolifération de ce

mode d’urbanisation. Ce qui s’est traduit par la consécration d’une nouvelle forme

de croissance urbaine mêlant des espaces urbains inachevés à des espaces ruraux

mal « achevés ».

1 – 2 Des mouvements de population de plus en plus sélectifs La restructuration socio-spatiale passe également à travers la mobilité

résidentielle et la sélection sociale qui dans le cas présent revêtent la forme

d’une mobilisation des habitants.

1 – 2 – 1 La mobilité résidentielle

L’histoire de Casablanca est faite de vagues de mobilisation des habitants. Dans ce

sens, il y a eu :

- Des mobilisations par la contrainte : C’est le cas de la population des quartiers

marocains encerclés par la ville européenne et détruits en 1938 (Derb Omar, Derb

Ben Jdia, Derb Bachkou …) C’est aussi le cas des nombreux bidonvilles rasés,

depuis l’indépendance, et dont la population fut contrainte à l’émigration vers des

banlieues lointaines ou transférée vers des cités périphériques de recasement.

- Des mobilisations par l’offre de logements : Les vastes programmes publics de

production de logements et de lots à construire lancés entre 1960 et 1980 ont

entraîné la mobilisation d’une importante population vers les périphéries. Le

Ministère de l’Habitat à lui seul a offert entre 1960 et 1986 plus de 36700 lots

de terrain, soit l’équivalent de plus de 75500 logements. Depuis le début des

années 80 l’initiative privée a pris la relève.

- La mobilisation par le travail : La requalification des quartiers périphériques par

l’introduction de nouvelles fonctions administratives, commerciales, industrielles... a

contribué à rendre ces espaces plus attractifs en tant que lieu de résidence et de

travail.

Les différentes formes de mobilisation de la population par le biais du marché

du logement et du travail, ont accru quantitativement et qualitativement l’attraction

des quartiers périphériques. En plus des couches démunies, ils attirent de plus en

plus de couches sociales et surtout les moyennes. Ce qui met en évidence les

dimensions sociales de la mobilité résidentielle. (CHOUIKI M. 1997a)

1 – 2 – 2 La sélection sociale

Cette dynamique prend différentes formes :

- Elle se présente d’abord comme une consécration de l’hétérogénéité sociale

des quartiers périphériques. Hétérogénéité souvent créée de toutes pièces. C’est le cas

des secteurs de villas incrustés dans des programmes d’habitat social à Aïn Sebaa,

Aïn Chock, Oulfa, Elqods , Moulay Rchid… Ce qui permet d’avancer que la fin de

la coloration populaire de nombreux quartiers périphériques est déjà une réalité.

C’est ce que confirme l’hégémonie des couches moyennes dans de nombreux quartiers

populaires. C’est le cas d’Elbernoussi de Hay Hassani, d’Ain Chock, de Sidi Othman…

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en raison de l’accroissement des non salariés dans des espaces, autrefois dominés

par les salariés. Autrement dit, les quartiers périphériques se restructurent sur le plan

social.

- Cette dynamique est également une forme de mobilité sociale dont

témoignent l’émergence de nouvelles élites sociales et le développement de la

marginalité. Les élections communales et législatives révèlent, depuis trois décennies,

la montée en force des représentants des couches moyennes comme nouvelle

élite politique dans de nombreux quartiers périphériques. Ils ont représenté 57% des

candidats en 1997, toutes colorations politiques confondues. Dans ces espaces les

promotions vertigineuses deviennent assez fréquentes. Tous les ingrédients que

nécessite ce genre de mobilité sociale y sont désormais réunis : carrière politique,

contrebande, spéculation, émigration à l’étranger …

A l’opposé, il y a aussi une recrudescence de la marginalité. C’est ce que révèle la

reproduction des ghettos dans de nombreux quartiers périphériques. La densification

par la cohabitation est telle que certains secteurs réglementaires ont atteint des

densités supérieures à celles des bidonvilles. C’est le cas par exemple de Derb

Moulay Cherif à Hay Mohammedi, où la densité est de l’ordre de 1800 hts/ha

contre seulement 650 hts /ha dans le bidonville voisin. (CHOUIKI M. 1999)

La marginalité se traduit également par le développement de nouvelles

périphéries à la marge des quartiers périphériques et révèle la reproduction de la

ségrégation socio-spatiale au sein même des espaces produits par le processus de

marginalisation. Les périphéries développent leurs propres périphéries. Ainsi Hay

Hassani reproduit la marginalité à Sidi Elkhadir , Sidi Moumen dans le bidonville

voisin, Sidi Othman à Lahraouine, El Bernoussi à Ain Harrouda… Et l’exclusion se fait

de plus en plus vers l’extérieur du périmètre urbain.

Dans les quartiers centraux et péricentraux, des processus similaires sont à

l’origine de changements de populations à travers la transformation des logements

en bureaux qui se traduit par l’expulsion des couches moyennes en difficulté qui

ont supplanté les Européens vers les quartiers périphériques. La transformation de

nombreux quartiers de villas (Hôpitaux, Palmier, Gautier, Racine, Mers Sultan. . .) en

quartiers d’immeubles de haut standing a attiré les couches moyennes ascendantes

tout près du centre – ville.

L’examen de la restructuration spatiale à travers ses dimensions sociales révèle

qu’il ne s’agit pas d’un simple processus spatial mais aussi d’un ensemble de

dynamiques de restructuration sociale. A Casablanca cette restructuration se traduit

par une restructuration socio-spatiale de la ville et ses marges internes et externes..

1 – 3 Des formes de restructuration périphérique concordantes

1 – 3 – 1 Le développement de centralités périphériques

En 1976, Casablanca a connu la plus importante opération de restructuration

administrative, avec le découpage de son espace urbain en cinq communes . Ce

découpage s’est fait sur la base de la démarcation entre le Nord-Est et le Sud-

Ouest. Ce qui s’est traduit, lors des découpages suivants par la reproduction de la

configuration ségrégée de la ville. Les principaux pôles administratifs qui

cristallisent la dernière étape de restructuration administrative, expriment cette

reproduction :

- Le centre administratif d’Ain Sebaa constitue le pôle type des quartiers

industriels. Les structures administratives y sont réduites au minimum, comme quoi

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la présence du pouvoir politique, dans les espaces monopolisés par le pouvoir

économique doit être plus discrète.

- Le centre administratif de Sidi Othman est le prototype des pôles des quartiers

populaires. C’est le plus étoffé de tous, en matière de structures administratives. Il

est également le plus luxueux et le plus garni en symboles de la grandeur et de

la puissance du pouvoir. C’est également le pôle le mieux situé et le plus branché

avec son environnement.

- Le centre administratif de Hay Hassani représente le pôle type des quartiers des

couches moyennes. Son architecture moderne et stylisée concorde avec les

aspirations de ces couches. Et c’est également le pôle le plus débranché par

rapport à son environnement.

- Les pôles de Derb Soltane et Bernoussi sont nés éclatés et sans grand effet sur

la structuration du territoire de leurs préfectures. A la diversité du contenu social

de ces dernières correspond la diffusion de leurs structures administratives.

Les pôles administratifs voulus différents, au niveau de la conception, de

l’architecture, de la symbolique, de l’articulation avec leurs environnements…expriment

le choix d’une restructuration différentielle. C’est assez dire sur le rôle de la

gestion administrative dans la cristallisation des différences La gestion de la

différence a fortement marqué le découpage administratif de Casablanca, dans la

mesure où chaque entité a été conçue sous forme de complexe social. A

l’intégration que laisse entendre les noms des préfectures s’oppose une

configuration socio-spatiale qui cultive la différence. Ce qui revient à dire que la

restructuration administrative se traduit par la multiplication des discontinuités des

formes urbaines et la continuité du fonctionnement des structures administratives.

Toutes ces considérations permettent de soutenir qu’à ce niveau la

restructuration se ramène à un ensemble de dynamiques entretenues par le pouvoir.

Dynamiques qui contribuent à la reproduction de la ségrégation sous différentes

formes et à différents niveaux. Ainsi, Casablanca fonctionne comme un système

dont la gestion est porteuse d’un projet urbain basé sur la reproduction d’une

structuration socio-spatiale axée sur la différentiation. 1 – 3 – 2 La restructuration des espaces périurbains

Les espaces périurbains de Casablanca qui ne se limitent plus aux seules

communes urbaines et rurales relevant du Grand Casablanca, ont beaucoup perdu

du schéma classique qu’ils avaient développés tout au long du 20ème siècle. Sur le

plan démographique il ne s’agit plus d’une simple étape sur le chemin migratoire

conduisant à la métropole économique du pays. Sur le plan social, les couronnes

périurbaines ne s’assimilent plus aux marges pauvres de la ville. Dans le domaine

économique elles ne constituent plus un simple arrière – pays agricole rattaché au

plus grand marché de consommation du Maroc. Sur le plan spatial, ces couronnes

se restructurent et se repositionnent au sein de la répartition des fonctions qu’assure

la capitale économique du Maroc. - Un accroissement démographique soutenu

Les communes périurbaines de Casablanca, Mohammedia exclue, ont enregistré

des taux d’accroissement très élevés qui ont permis à ces espaces, depuis 1982, de

dépasser le taux d’accroissement enregistré par la ville de Casablanca.

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Tableau n° 1 : Evolution de la population de la première couronne périurbaine de

Casablanca Année Population rurale Population urbaine Population totale Taux d’accroissement

moyen annuel de la

population urbaine 1960 79 563 4 334 83 897

3,8 % 1971 114 188 5 766 119 954

1,2 % 1982 118 325 19 145 137 470

6,3 % 1994 153 520 141 960 295 480

7,7 % 2004 305 462 187 115 492 577

Sources : R.G.P.H. de 1960, 1971, 1982, 1994 et 2004

Ce tableau permet d’évaluer quantitativement l’importance de l’accroissement

démographique que connaît l’espace périurbain casablancais, ainsi que son

appréciation par le biais du taux annuel. (CHOUIKI M. 2005 b) De ce fait, la

densité globale y est passée de 80 habitants / km² en 1960 à près de 520 en 2004.

Un tel dynamisme démographique ne peut résulter du seul accroissement naturel.

- Une attraction migratoire soutenue

Le pouvoir des espaces périurbains ,dans ce domaine, qui relevait autrefois

de leur position d’étape sur le chemin migratoire menant à Casablanca leur a

permis de préserver assez longtemps leur aspect d’espace rural périurbain facilitant

l’insertion au rythme de vie de la métropole. Cette fonction s’est dédoublée depuis

le début des années 80 par l’accroissement de leur attraction sur les habitants de

Casablanca même.

L’ouverture de cette couronne devant le redéploiement des activités

industrielles facilité par le SDAU de 1984, s’est accompagnée d’un autre

redéploiement, en matière d’habitat. La crise de logement qui sévissait en ville,

les importantes réserves foncières dont dispose cette couronne , et les opportunités

d’accession à la propriété du logement qu’offre le périurbain, ont provoqué une

ruée vers ces espaces de la part de toutes les couches sociales.

Tableau n° 2 : Evolution des origines de la population de la première couronne

périurbaine de Casablanca

Année

Lieux de naissance

1971 1994

Casablanca 2,9 % 39,2 %

Sur place 62,8 % 22,3 %

Autres 34,3 % 37,5 % Sources : R.G.P.H. de 1971 et 1994

Ce tableau met en évidence le caractère général du renversement des rapports

entre Casablanca et sa couronne périurbaine, sur le plan des échanges

démographiques. Dans ce sens la prééminence de Casablanca est déjà acquise.

Ainsi, l’espace périurbain casablancais change de contenu démographique et perd

sa coloration sociale d’origine.

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- Une métamorphose de l’habitat périurbain

Le type d’habitat rural tend à devenir minoritaire dans l’espace périurbain. La

prééminence est désormais aux modes d’habitat sécrétés par la ville. La tableau

suivant met en évidence les aspects les plus saillants de la nouvelle configuration

de l’habitat périurbain.

Tableau n° 3 Les types d’habitat dans les communes

de Dar Bouazza et Aïn Harrouda

Types d’habitat Commune Aïn Harrouda Commune Dar Bouazza

Habitat urbain 4,5 % 39 %

Habitat rural 19 % 20 %

Habitat insalubre 76, 5 % 41 % Source : H.S. Moufakkir : La dynamique urbaine dans la commune de Dar Bouazza,

Mémoire de DESA, FLSH. Mohammedia, 2002

Ce tableau permet de constater l’infime part qui revient à l’habitat rural dans

une commune du Nord –Est (Aïn Harrouda) classée comme urbaine et dans une

autre du Sud - Ouest (Dar Bouazza) classée comme rurale. Le propre de cette

évolution réside dans la prééminence de l’habitat insalubre dans la commune dite

urbaine et de l’habitat urbain dans celle taxée de rurale. Mais, dans les deux cas,

l’habitat insalubre comme l’habitat urbain, en tant que produits de la ville,

concourent tous les deux au renforcement des mutations subies par l’espace

périurbain sous l’influence de la ville. (CHOUIKI M. 2005)

Ce changement lié à l’injection de nouvelles couches sociales se traduit

également par l’entrée de cet espace dans l’ère de la diversité sociale, que ce soit

dans les communes rurales ou urbaines.

-Une recomposition socioprofessionnelle

Toutes les dynamiques de restructuration passées précédemment en revue ont

contribué à la diversité des catégories socioprofessionnelles. En effet, l’attraction de

couches sociales très variées s’est traduite partout par la fin de la prééminence des

métiers relevant de l’agriculture, et la montée en puissance de nouvelles catégories

exerçant des professions relevant de l’activité urbaine.

Tableau n° 4 : Evolution des catégories socioprofessionnelles de la couronne

périurbaine casablancaise

C.S.P.

Commune Aïn Harrouda Commune Dar Bouazza

1971 1994 1971 1994 Agriculteurs 67,5 41 52 30,5 Ouvriers 11 19 14 27,5 Commerçants et prestataires de services 6 17 10,5 14

Professions libérales 5,5 15 11,5 23

Autres 10 8 12 5 Source : H.S. Moufakkir : La dynamique urbaine dans la commune de Dar Bouazza,

Mémoire de DESA, FLSH. Mohammedia, 2002

Ce tableau souligne, on ne peut plus clairement, que le passage d’une structure

sociale à majorité paysanne à une autre à majorité urbaine, est plus accentué dans

la commune classée en tant qu’entité rurale. L’introduction de nouvelles couches

sociales par le marché du logement a donné lieu à une recomposition du marché

du travail qui s’est élargi avec l’ouverture des espaces périurbains aux activités

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urbaines notamment industrielles, et par une récente promotion de cette commune au

rang de collectivité urbaine.

Il ressort de tout ce qui précède que les dynamiques en place prennent

différentes allures et postures et par conséquent ne semblent pas concourir dans le

même sens. Ce qui légitime leur interrogation en termes de changement et

d’invariance.

2 – CHANGEMENT OU INVARIUANCE ?

2 – 1 Au niveau de l’agglomération dans sa globalité

2 – 1 – 1 La reproduction de l’articulation de la ville sous forme de bassins spécialisés

La production de l’espace urbain initiée par la colonisation , au début du

protectorat en marge de la médina , s’est faite dans l’anarchie totale que les

différents documents d’urbanisme ont tous essayé de consacrer en instituant un

zonage assez marqué . Ce zonage consacré par le plan de M. Ecochard en 1946 , et

critiqué par le schéma directeur de 1984 , n’a jamais été remis en question , dans

les faits. Bien au contraire, la loi de 1992 a consacré le caractère réglementaire des

plans de zonage.

Ainsi , la reconduction du zonage s’est traduite par la reproduction d’unités

spatiales fonctionnellement et morphologiquement distinctes qui ont donné lieu , à

l’échelle de l’agglomération, à de grands bassins spécialisés et juxtaposés , se

reproduisant du centre-ville vers les périphéries. (Carte n° 1)

Le caractère fonctionnel de cette configuration spatiale a , cependant , atteint ses

limites , avec le gigantisme urbain qui est celui de Casablanca. Les quartiers

périphériques ont pris l’ampleur de véritables villes de banlieue et sont même

devenues des concentrations démesurées de problèmes urbains. Autrement dit , la

configuration de l’espace urbain sous forme de grands bassins d’emplois et

d’habitat (CHOUIKI M. 2006 ) est devenue difficile à gérer. Aussi, le schéma

directeur de 1984 a-t-il introduit la formule de mixité de l’emploi et de l’habitat,

sans remettre totalement en question le zonage comme principe majeur de

l’urbanisme opérationnel , et comme mode de structuration de la ville. Ce qui s’est

traduit par :

- une amorce de dilution de la concentration des activités, suite à la liberté

accrue accordée aux activités industrielles en matière de localisation.

L’implantation de 60% des activités a été prévue hors zones industrielles

( SDAU, 1984, p 51). Le Sud de Casablanca a été ouvert à l’industrie, avec

la création d’une zone industrielle à Lissasfa , et l’ouverture de l’espace

périurbain devant le déploiement industriel.

- l’injection des couches moyennes dans certains quartiers périphériques , à

travers l’accès à la propriété des logements. Dans ce sens , au moment où

les promoteurs publics ont concentré leurs efforts sur l’axe nord – est, les

promoteurs privés ont concentré les leurs sur l’axe sud – ouest. De ce fait, si

le caractère résidentiel de nombreux quartiers périphériques a été accentué,

la coloration sociale et le cadre bâti de bon nombre d’entre eux,

connaissent de profondes mutations.

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- la création de centres administratifs dans certains quartiers périphériques a

donné lieu à la genèse de nouveaux pôles tertiaires qui sont en passe de devenir

structurants , et risquent de changer , par conséquent , la vocation de certains espaces

périphériques.

Cependant, les changements que ce schéma directeur a introduit , en matière

d’articulation de la ville sous forme de grands bassins spécialisés n’ont pas ,

jusqu’à maintenant , bouleversé l’héritage de tout un siècle d’urbanisme de zonage.

Ces bassins continuent à marquer le paysage urbain et l’articulation des différentes

entités spatiales. De par leur nature, ces changements ne semblent pas avoir pour

mission que de consacrer le changement dans la continuité. Dans ce sens , la

dispersion des activités industrielles n’a pas entamé la prééminence du Nord-Est en

tant que grande concentration industrielle dynamique sur le plan spatial et

fonctionnel. L’injection des couches moyennes n’a donné des résultats tangibles que

dans les quartiers qui ont sauvegardé leur caractère résidentiel. La création de

pôles tertiaires s’est avérée une pure opération de transfert de la ville vers les

périphéries pour les rendre plus accueillantes pour certaines couches sociales

moyennes. 2 – 1 – 2 Une organisation périurbaine de plus en plus anarchique

Casablanca qui a hérité de l’époque coloniale une démarcation très nette entre

un Nord-Est où se juxtaposent espaces industriels et quartiers d’habitat denses , et

un Sud-Ouest essentiellement résidentiel, a reproduit jusqu’aux années 70 la même

démarcation au sein de son espace périurbain.

La reproduction à l’identique de l’organisation de l’espace urbain au sein du

périurbain casablancais a consacré la continuité des bassins d’emploi et d’habitat

tel qu’ils se sont développés depuis le début du 20ème siècle. A cette macro

ségrégation socio-spatiale opposant un périurbain industriel et ouvrier au Nord-Est

à un autre agricole et résidentiel au Sud-Ouest, a succédé une micro ségrégation où

la division sociale de l’espace devient de plus en plus fine, mais sans

spatialisation fonctionnelle stricte. La redistribution des couches sociales au sein de

l’espace périurbain qui n’est pas synonyme de fin de la ségrégation socio-spatiale

marque par contre le passage d’une organisation de l’espace en bassins spécialisés

s’étendant du centre vers les périphéries à une structuration en couronnes

successives et non spécialisées. (Carte n° 2). Cependant, ce passage ne traduit pas

un changement au niveau du mode de régulation de l’urbanisation, mais plutôt la

fin de cette régulation, comme il ressort des caractéristiques de chaque couronne :

- La première couronne accolée à l’espace urbain est le produit de la construction

non réglementaire qui a proliféré par endroit selon les opportunités foncières et le

degré de bienveillance des autorités locales. Elle est discontinue , peu large ( 1 à 5

km. ) et souvent même elle est déguisée en agglomérations rurales compactes par

endroit et lâches dans d’autres. Elle a essentiellement une vocation résidentielle

associée à une fonction non moins importante qui est celle d’hébergement des

entrepôts qui tiennent à éviter les regards curieux. (CHOUIKI M. 2005 a)

- La deuxième est plus étendue (10 à 30 km.) et où toutes les dynamiques de péri

urbanisation sont actives associant le développement d’agglomérations urbaines et

rurales à l’urbanisation diffuse , aux activités agricoles et industrielles. C’est dans

cette couronne composée de communes rurales et urbaines relevant de la Wilaya

de Casablanca qui viennent d’être érigées en provinces (2004) gérées

indépendamment de la ville ( province de Nouaceur et province de Médiouna). que

l’anarchie bat son plein.

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- La troisième couronne , de par sa situation à la marge externe de la Wilaya du

Grand Casablanca, associe les caractéristiques des deux couronnes précédentes tout

en gardant les siennes. Elle constitue un refuge pour toutes les formes d’habitat et

d’activités qui n’ont pas pu accéder au Grand Casablanca, ou ne tenant pas à y

accéder. Cet espace périurbain reste rural pour l’essentiel mais tout en étant

soumis à la logique de maximisation du profit qu’offre la proximité de la

métropole économique. La stratégie de laisser – faire adoptée par les provinces de

Berrechid , Benslimane et El Jadida dont relèvent les communes rurales limitrophes

du Grand Casablanca est à l’origine d’un processus de périurbanisation qui étend

les dégâts de cette proximité sur une profondeur de 30 à 50 km, et d’une manière

plus accentuée le long des axes routiers.

Cette hiérarchie obéit à la même logique de différentiation imposée par la

sélectivité de l’accès à l’espace urbain casablancais qui fonctionne par exclusion

des plus démunis vers les périphéries immédiates, alors que les plus nantis arrivent

toujours à créer le fait accompli à l’écart de l’espace urbain et que la ville finit ,

d’une manière ou d’une autre, par intégrer. Cette logique est derrière l’échec de

l’émergence de véritables pôles urbains sur un rayon de 80 à 100 km. autour de

Casablanca, où Eljadida , Settat Benslimane et tout récemment Berrechid n’ont pu

consacrer leur présence qu’une fois promues au rang de chef-lieu de province,

tout en continuant de servir de relais pour la capitale économique.

Ainsi, la périurbanisation en tant que processus de restructuration continue de

l’espace rural limitrophe cache mal son fonctionnement en tant que processus de

restructuration socio - spatiale. La montée en puissance de la fonction résidentielle

dans le processus de périurbanisation autour de Casablanca reflète clairement la

concordance entre périurbanisation et redistribution sociale de l’espace.

2 – 2 Sur le plan de l’articulation socio - spatiale

2 – 2 – 1 La requalification sociale de l’espace urbain

L’histoire contemporaine de Casablanca est faite d’une longue succession

de dynamiques de requalification sociale des différents pans de la ville , à tel point

que seuls certains quartiers résidentiels aisés ont échappés, en partie, aux

mouvements de populations qui se sont avérés de puissants facteurs de

restructuration socio-spatiale. Dans ce sens , l’Ancienne Médina a été vidé de sa

population de souche, au profit des migrants ruraux avec l’émergence d’une ville

moderne dès le début de la colonisation. Les quartiers européens ont été occupés

par les marocains avec la fin de la colonisation. Les quartiers périphériques nés

comme cités de relogement des bidonvillois se sont métamorphisés en véritables

villes où la mixité sociale est de plus en plus fréquente. . . (CHOUIKI M. 2003)

Cependant , ce sont les quartiers périphériques , dans leur globalité, qui ont été

complètement restructurés, suite à ces mouvements. Autour des cités de relogement

des habitants des bidonvilles édifiées entre 1946 et 1967 , à El Bernoussi , Hay

Mohammedi , Sidi Othman , Aïn Chock, Hay Hassani. . . l’Etat a initié un processus

d’urbanisation en ouvrant de plus en plus d’espaces devant la promotion publique

et privée. L’encouragement de l’auto construction des logements, pour pallier à

l’insuffisance du rôle de l’Etat , a attiré des couches moyennes avides de cellules

mono familiales. Ces noyaux d’urbanisation conçus , au départ , comme des îlots en

marge de la ville se sont agrandies progressivement entre 1970 et 1990. En 20

ans de véritables villes périphériques ont émergé et ont étoffé leurs équipements

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socio-culturels et commerciaux , pour succéder aux anciennes cités isolées et

socialement homogènes.

Ces noyaux d’urbanisation conçus au début comme moyen de stabilisation tout

près des zones industrielles d’une main d’œuvre flottante , d’où leur localisation, en

majorité, au Nord-Est , et en tant que cadre de socialisation de couches démunies

et fraîchement urbanisées, sont devenus , dans une conjoncture de crise de logement

très convoités par des couches moyennes ascendantes et hantées par la

concrétisation de la réussite de leur aventure urbaine à travers l’accession à la

propriété de leurs logements. L’implantation de ces nouvelles couches sociales s’est

soldée également par le transfert de la ville vers les périphéries et par conséquent

par le déclenchement de processus de sélection sociale. La prolifération des

commerces et d’espaces commerciaux destinées aux nouveaux habitants s’est même

traduite par l’exclusion de certaines couches sociales incapables de résister à

l’emprise du commerce sur leur espace de vie ; Et de véritables ghettos se sont

développés à la marge de ces quartiers , parallèlement à l’extension fulgurante des

résidences destinées aux couches moyennes attirées par ces nouveaux marchés de

logement.

Parallèlement aux mutations qui se sont traduites par la diversification du cadre

bâti, et l’accroissement de la population , le contenu social qui en se diversifiant a

redynamisé les rapports sociaux en les rendant plus denses et plus complexes. Le

développement de rapports conflictuels qui a aiguisé les conflits sociaux au sein de

ces quartiers périphériques a contribué à la perte de l’identité sociale de ces

espaces. Ils n’ont plus de coloration sociale claire comme ils ont perdu leur

qualité de creuset de la culture populaire acquise à leur apparition. L’hétérogénéité

sociale qui est devenue la règle dans ces quartiers est à la base de l’émergence de

nouvelles élites locales . L’extension du comportement courtisan a permis au

pouvoir et aux partis politiques de se tailler de nouvelles alliances sociales. Le

tout se traduit par des promotions sociales vertigineuses et le plus souvent

douteuses. Cependant, la restructuration sociale dans les quartiers périphériques ne

se fait pas dans un seul sens, puisque les populations y sont aussi soumises à la

sélection par l’échec à l’intégration urbaine. Aussi la reproduction des positions

sociales se fait de plus en plus à l’identique et au différent. (CHOUIKI 1999)

Toutes ces considérations permettent de soutenir que les différentes opérations

de requalification urbaine des espaces périphériques qui se sont traduites , certes par

un certain transfert de la ville vers la périphérie, ont par leur caractère violent et

rapide contribué à l’émergence d’une périphérie à deux vitesses. De ce fait, les

couches sociales locales démunies dans leur majorité et incapables de suivre les

rythmes de vie transposés par les nouveaux venus se retrouvent encore une autre

fois marginalisées, à la fois sur le plan spatial et social. Par contre, les nouvelles

couches sociales chassées des quartiers centraux et péricentraux par l’extension du

marché de bureaux au dépens du marché de logement, et qui tiennent à valoriser

socialement l’accession à la propriété du logements font tout pour démontrer leur

différence. Ce qui revient à dire que cette restructuration se traduit par

l’association du différent à l’identique, et par conséquent la ségrégation socio-

spatiale qui était apparente à Casablanca essentiellement entre un Nord-Est démuni

et un Sud-Ouest aisé tend à se généraliser.

2 – 2 – 2 la reproduction de la ségrégation socio-spatiale

Le concept de ségrégation est utilisé ici dans le sens où l’exclusion d’un

groupe ne peut être effective sur le plan spatial qu’une fois accomplie sur le plan

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social. De ce fait , elle reflète dans la réalité un vecteur de reproduction des

inégalités sociales. Appréhendée , ainsi , en tant que dynamique , la ségrégation

n’acquiert du poids en matière de structuration de l’espace et de la société qu’en

s’inscrivant dans le temps.

La ségrégation telle qu’elle vient d’être schématisée, remonte à Casablanca à

l’époque coloniale , lorsque les Européens ont refusé de cohabiter avec les

Marocains, à l’intérieur de l’Ancienne Médina , et ont refusé les « indigènes » dans

la ville européenne. De ce fait la juxtaposition de deux villes a été vécu par les

Marocains en tant que ségrégation non seulement ethnique mais avant tout sociale

puisque les Marocains acquis au mode de vie européen ont été progressivement

intégrée à la ville moderne, et ceux qui ont été contraints à continuer à vivre

dans le tissu historique sont ceux qui ont été relégué en bas de l’échelle sociale.

Les différents plans d’urbanisme élaborés pour Casablanca sous la colonisation ont

tous consacré ce partage de l’espace et l’ont même institué en tant que principe

majeur de la structuration de l’agglomération dans sa globalité, puisque sa partie

nord-est a été réservée à l’industrie et à l’habitat du grand nombre pour les

Marocains , et se partie sud-ouest a reçu la vocation d’espace résidentiel séparé du

Nord-Est par une zone centrale destinée au commerce et aux services. (CHOUIKI

1997 b)

En tant qu’expression de l’ordre établi par et pour la colonisation la

ségrégation socio-spatiale a sécrété ses mécanismes de reproduction par le biais du

marché immobilier et le marché du travail. De ce fait, les populations susceptibles

d’exclusion sont avant tout celles dont la position sur le marché du travail est le

plus fragile et partant celles qui ont le moins de chance d’accéder au marché de

logement.

Cet ordre qui a été amené à s’inscrire dans la durée a vu , ainsi , sa situation

conjoncturelle s’ériger en ordre historique. Ainsi , la multiplication des formes de

partage de l’espace qui se sont succédées depuis le début du 20ème siècle ont

consacré un fait accompli et un héritage historique reproductible.

Tout en étant un héritage de la période coloniale , la ségrégation socio-spatiale est

loin d’être un legs statique. Ses dimensions sociales et la mobilité qu’impose la

vie urbaine en font un phénomène dynamique où le temps joue beaucoup et

acquiert même un rôle de taille dans la démultiplication des effets des disparités

sociales. 2 – 2 – 3 La négation du quartier

Sous la colonisation, les pratiques urbanistiques consacrées par l’urbanisme

libéral se sont traduites par la négation du quartier, surtout pour les Marocains.

Cette négation s’est faite en trois grandes étapes : (CHOUKI M. 2000)

- La première étape : l’encerclement de l’Ancienne Médina.

Dès son implantation , le pouvoir colonial a tout fait pour empêcher l’urbanisme

local de se reproduire. Dans ce cadre, l’Ancienne Médina a été bloquée sur tous

les plans et, toutes les facilités ont été accordées à l’urbanisme colonial pour

s’imposer en tant qu’alternative. Ainsi, les traditions de vie de quartier ont donc

continué à exister pour les Marocains, mais tout en étant privées des possibilités

de reproduction en dehors de l’Ancienne Médina.

- La deuxième étape : l’éradication des derbs marocains qui se sont développés à

proximité des quartiers européens . Ce processus à qui les autorités coloniales ont

donné la coloration d’une action hygiénique a pris comme prétexte l’épidémie

de typhus de 1938 et s’est soldé par la destruction des quartiers marocains

qui gênaient la croissance de la ville européenne (Derb Omar, Derb

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Bachkou, Derb Ben Jdia ... ) Les derbs détruits étaient plus dangereux pour la

colonisation, en tant que cadre de reproduction sociale qu’en tant que cadre bâti

discordant par rapport à l’urbanisme colonial.

- La troisième étape : La ségrégation entre Marocains et Européens.

L’urbanisme colonial est à l’origine de nombreux quartiers au sens propre du

terme (Maarif, Roches Noires, Belvédère, Gautier, Oasis, Beauséjour, Ain Sébaa,

Bourgogne, Lusitania, Anfa…). Chacun d’entre eux avait une personnalité propre

sur le plan morphologique et social et, une présence dans son environnement. Ils

ont tous en commun la taille permettant la densité des rapports sociaux équivalente

aux besoins des catégories sociales concernées. Ce qui révèle que les autorités

coloniales ont veillé à la mise en place des structures d’accueil et d’encadrement

nécessaires à la reproduction de la communauté européenne.

Ce modèle de quartier a été combattu dans les espaces réservés aux

Marocains. Pour ces derniers, l’urbanisme colonial a mis en place des ensembles

qui ont les dimensions de petites villes et même de villes moyennes. L’identité

sociale très accentuée des quartiers européens a été gommée dans ceux réservés

aux Marocains. Le qualificatif d’habitat du grand nombre utilisé à cette époque

révèle que la vie de quartier a été bannie de l’urbanisme choisi pour les

Marocains, en faisant passer l’hébergement avant la socialisation et la vie

individuelle avant la vie communautaire. .

Ainsi, l’urbanisme colonial a fini par diluer la vie de quartier là où les

Marocains sont parvenus à la reproduire. La stratégie visant à permettre à la

fonction économique de prendre le dessus sur la fonction résidentielle dans les

quartiers marocains a beaucoup aidé dans ce sens en transformant ces espaces en

véritables villes dans la ville.

Après la colonisation : Casablanca a hérité lors du passage à l’indépendance d’un

grand nombre de projets d’habitat du grand nombre. En plus, l’ampleur du déficit

en logements légué par la colonisation faisait des grands ensembles une solution

incontournable. Autrement dit, les pratiques urbanistiques coloniales qui ont

consacré la négation du quartier comme entité socio – spatiale de base, ont balisé

le chemin à suivre en matière de production et de gestion de l’espace urbain.

Les ensembles de l’habitat du grand nombre réalisés après la colonisation ont tous

en commun :

- La diversité des types de logements au sein du même ensemble. Le logement

individuel est associé au collectif et chacun d’entre eux se présente selon des

formules variées dans leurs formes et leurs configurations spatiales. Autrement dit,

l’habitat a été utilisé beaucoup plus comme moyen de démarcation qu’en tant que

cadre de vie communautaire. Tout ce qu’il faut pour compromettre la vie de quartier.

- L’association des grands ensembles d’habitat aux zones d’activités. C’est la

consécration de l’urbanisme colonial qui visait depuis le plan de H. Prost (1918) à

rattacher les quartiers marocains aux zones industrielles. Ce qui s’est traduit par la

juxtaposition des lieux d’habitat aux lieux de travail, et cristalliser ainsi la primauté des

aspects économiques sur les aspects sociaux dans la conception des entités

spatiales réservés à la majorité des habitants de Casablanca. Autrement dit, il n’y a

pas eu de rupture avec le projet colonial où l’articulation de l’habitat aux zones

de travail passait avant son articulation sous forme de quartiers.

- L’accroissement soutenu des densités. Tous les ensembles de l’habitat du grand

nombre édifiés à Casablanca ont vu la densité de leurs populations s’accroître,

pour atteindre parfois des seuils critiques. Le développement de la cohabitation

entraîne la dégradation des conditions de l’habitat dans certains secteurs. Comme

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c’est le cas à Hay Mohammedi, El Bernoussi… La surélévation des unités de

logement est à l’origine dans d’autres cas de l’implantation de nouvelles couches

sociales. (Sidi Othmane, Hay Hassani…) Dans un cas comme dans l’autre

l’accroissement des densités s’accompagne de la négation de la vie de quartier et

par l’initiation de véritables ghettos.

En une décennie d’immenses ensembles de l’habitat du grand nombre ont vu le

jour partout sur les marges urbaines internes. Ces ensembles conçus comme

assemblages d’entités disparates ont été amenés à évoluer comme noyaux de

grandes concentrations de populations qui dépassent le seuil optimum du quartier.

Ils portent l’appellation de quartier, tout en étant la preuve même de la négation

du quartier. L’urbanisme mis en œuvre a donné lieu à un changement d’échelle du

cadre de vie urbaine, dans la mesure où la négation du quartier entraîne le

passage direct du logement à la ville. La transition qui revient au quartier n’est plus

assurée.

CONCLUSION La lecture des dynamiques qui président à l’évolution de Casablanca , en tant

que métropole, donne suffisamment d’illustrations de la prééminence de la

continuité sur le changement. En effet, l’essentiel de la croissance de la ville se

ramène à des dynamiques d’insertion urbaine sélectives, sous l’effet desquelles les

espaces urbains et périurbains produits par la marginalisation deviennent des lieux

d’exclusion parallèlement à leur basculement de la logique publique à la logique

privée. Elles sont donc, l’expression de processus qui font passer des espaces nés

dans le cadre de l’intervention étatique, de la gestion publique à la gestion par les

mécanismes du marché. Cette évolution qui véhicule de nombreux signes de

changement cache mal la prééminence de la continuité.

En effet, l’étalement urbain qui prend l’allure de dynamiques démesurées n’est

autre que l’expression du déchaînement de l’urbanisme libéral qui est à l’origine

du Casablanca moderne. Le changement se fait donc dans la continuité puisqu’il

réside essentiellement dans l’intensité et les formes des dynamiques en présence, et

non dans la nature et les soubassements de la croissance spatiale de la ville, en

elle – même.

De sa part , la mobilité des populations prend de l’ampleur, sous les effets de

l’évolution du marché de l’emploi et du logement, tout en continuant à assurer la

fonction de mobilisation de la population nécessaire à cette évolution. La restructuration administrative se traduit par la multiplication des

discontinuités des formes spatiales et la continuité du fonctionnement des structures

urbaines, à travers la reproduction de la hiérarchie centre – périphérie à toutes les

échelles, et la reconduction des mêmes structures spatiales et de la concordance

des mêmes rapports de la société à l’espace.

Tout compte fait, si la ville reproduit à toutes les échelles, la configuration

socio – spatiale originelle et fait de plus en plus prévaloir la logique de l’initiative

privée sur celle de la vie communautaire, c’est par ce qu’elle est de plus en plus

sollicitée dans l’entreprise de régulation socio – spatiale nécessaire à la

consolidation du système économique qu’elle véhicule, et au projet de société retenu

pour le Maroc au début du 20ème siècle. La reproduction de la ségrégation socio –

spatiale et de la négation du quartier en tant que structure urbaine et comme

mode de vie, découle beaucoup plus des intérêts qui sous-tendent la ville que des

choix urbanistiques proprement dit.

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Et c’est là où réside tout l’intérêt d’expérimenter de nouvelles pistes de lecture

des mutations urbaines dans leur globalité, et leurs interactions sur le plan social,

spatial, et temporel.

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CHOUIKI Mustapha

Communication pour le Séminaire :

Comment lire la ville d’aujourd’hui, Annaba, 24-25 avril 2007