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    Copyright 1998 Abdourahaman Chaibou

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    LA JURISPRUDENCE NIGRIENNE

    EN DROIT DE LA FAMILLE ETLMERGENCE DE LA NOTION DECOUTUME URBAINE

    Abdourahaman Chabou

    Introduction

    Dans le systme juridique nigrien, la coutume tient, ct du droit critdinspiration occidentale, une place prpondrante surtout en matire de statutpersonnel. Le droit coutumier a un contenu difficilement saisissable du faitnotamment de son caractre oral et plural. Mais cest un droit en pleine volution.En effet,

    Les rgles de droit sont des solutions adoptes par des groupessociaux pour rsoudre leurs problmes dont les caractresdpendent des donnes fournies par les faits: le droit coutumierapparat comme droit vcu. Chaque fois que lordre social semodifie, la rvolution des faits contre le droit ainsi amorceentrane lvolution du droit. Cette rgle simpose toute socit(Pougoue 1990: 47).

    Le lgislateur nigrien ne dfinit que le domaine et les conditions dapplication de lacoutume. Il laisse donc aux juges le soin de lidentifier, de lappliquer aux faits descauses qui leur sont soumises, et ventuellement de lcarter si elle ne runit pas cesconditions. Ce que le lgislateur na pas prvu, cest lvolution plus rapide de lacoutume dans les centres urbains que dans les centres ruraux, de telle sorte que ledcalage ft si grand et vident quil ne soit plus possible aux juges de lignorer.Dautant plus que cest une volution souhaitable, car

    des rapports nouveaux sont apparus, dans bien des milieux, aveclaffaiblissement des liens traditionnels de dpendance aux sein

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    des communauts parentales tendues, lautonomie croissante desgroupements plus restreints, laffirmation du droit individuel.(Lampue 1979: 252)

    Cest pourquoi est apparu dans la jurisprudence nigrienne un nouveau vocabulairepour qualifier les rgles coutumires issues de cette volution: la notion descoutumes urbaines (voir ci-aprs). Mais avant de consacrer cette notion, les jugesde la Cour suprme ont commenc par prciser que la coutume doit se conformer lvolution gnrale du pays. Cette faon de procder peut tre plus comprhen-sible si lon connat la place que tient la coutume dans le systme juridique nigrien.

    La coutume dans le systme juridique nigrien

    Au Niger, la coutume est vivace et constitue une source de droit importante dans largulation des conflits sociaux. Il importe de dfinir brivement son domaine et sesconditions dapplication.

    Le domaine dapplication

    Aux termes de lart. 51 de la loi n62-11 du 16 mars 1962 fixant lorganisation et lacomptence des juridictions de la Rpublique du Niger:1

    [L]es juridictions appliquent la coutume des parties:

    (1) dans les affaires concernant leur capacit contracter et agir

    en justice, ltat des personnes, la famille, le mariage, le divorce,la filiation, les successions, les donations et testaments;

    (2) dans celles concernant la proprit ou la possessionimmobilire et les droits qui en dcoulent, sauf lorsque le litigeportera sur un terrain immatricul ou dont lacquisition ou letransfert aura t constat par un mode de preuve tabli par la loi.

    La domaine dapplication de la coutume est vaste. Il concerne lcrasante majoritde la population nigrienne. La coutume constitue lgalement le droit commun dans

    1

    Recueil des Lois et Rglements (ci-aprs, Rec.), Secrtariat Gnral duGouvernement, 2d. Nouvelles Imprimerie du Niger (N.I.N), N83.1.

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    les matires ci-dessus numres.

    Les conditions dapplication

    Il existe des conditions lgales et une condition jurisprudentielle.

    (a) les conditions lgales

    Lart. 51 de la loi n62-11 du 16 mars 1962 prcite dispose:

    sous rserve du respect des dispositions lgislatives ou des rglesfondamentales concernant lordre public ou la libert despersonnes, les juridictions appliquent la coutume des parties...

    Il faut galement que la coutume ne soit pas carte au profit de la loi:

    - lorsque les justiciables rgis par elle lauront dun commun accord demand (art.53.2.a de la mme loi);

    - lorsque le justiciable ne peut se prvaloir dune coutume ou y aura totalement oupartiellement renonc par un acte non quivoque de volont (art. 53.2.b);

    - Dans tous les cas de son silence ou de son obscurit (art. 53.2);

    - Lorsquelle entre en conflit avec la loi (art. 54).

    Le lgislateur nigrien se contente donc de dfinir le domaine et les conditionsdapplication de la coutume. En labsence dun coutumier et de lenseignement de lacoutume dans la formation des juges, le rle de la jurisprudence devient trsimportant. Le caractre oral, plural et trs diversifi de la coutume et surtout ladifficult subsquente de sa matrise, spcialement par les magistrats souvent trs

    jeunes (Abarchi 1993: 34) ont conduit le lgislateur instituer ladjonction de deuxassesseurs coutumiers, avec voix consultative, pour complter toute juridictionstatuant en matire coutumire.2

    2 Les art. 5 al.4, art. 36 de la loi n62-11 du 16 mars 1962 fixant lorganisation etla comptence des juridictions de la Rpublique du Niger, Art. 64 de la loi n90-10

    du 13 juin 1990 dterminant la composition, les attributions et le fonctionnement dela Cour suprme, Rec. N83.3.

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    Pour assurer une bonne connaissance de la coutume et permettre la Cour suprmedu Niger3 dexercer son contrle sur lapplication de celle-ci, le lgislateur a

    galement institu une forme particulire et obligatoire des nonciations desjugements rendus en matire coutumire. Ils doivent indiquer spcialement: lesnoms des assesseurs,4 la coutume des parties,5 et sous peine de nullit,lnonc complet de la coutume applique.6La Cour suprme exerce un contrlescrupuleux sur le respect de ces dispositions par les juges de fond en sanctionnantceux qui les ont mconnues.7Par ailleurs, elle estime que les coutumes nigriennesdoivent respecter non seulement des conditions lgales dapplication mais galement,semble-t-il, une condition supplmentaire: la conformit lvolution gnrale dupays.

    (b) la notion de lvolution gnrale du pays

    Le rle important confr aux juges nigriens en gnral dans lidentification,lapplication et la connaissance de la coutume, notamment la possibilit de

    3 La haute juridiction de cassation nigrienne se dnommait galement CourdEtat du Niger entre 1974 (Ordonnance n74-13 du 13 aot 1974) et 1990 (Loin90-10 du 13 juin 1990).

    4 Art. 36 al.2 de la loi n63-28 du 22 fvier 1963 fixant les rgles de procdure suivre devant les justices de paix statuant en matire civile et commerciale, Rec.N81-10.

    5 Art. 37 ibid.

    6 Art. 38 ibid.

    7 Il existe ce sujet une jurisprudence constante, par exemple voir: Arrt du 6avril 1967, Bulletin de principaux arrts de la Cour dEtat/Cour suprme (ci-aprsbull.) n3 1967/1968 p. 12 (le choix de la coutume applique aux parties doit tre

    justifie dans les motifs de la dcision...); Arrt n80-5/c du 19 juin 1980), Bull.n15, 1980, p. 14 (absence de lnonc complet des rgles coutumires applicablesau litige en cause...); Arrt n81-1/c du 21 mai 1981, Bull. n16, 1981, p. 22 -Arrt n85-9/c du 5 dcembre 1985, Bull. n20, 1985, p. 24 (absence de la mentionde la coutume des assesseurs...); Arrt du 12 mars 1966, Bull. n2 1965/1966,p. 7 -

    Arrt n85-10/C du 5 dcembre 1985, Bull. n

    20, 1985, p. 28 - Arrt n

    93-41/c du11 novembre 1993 indit (absence de lnonc complet de la coutume applique...).

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    lutilisation dun large pourvoir dapprciation dans linterprtation des conditions deson application, permet, particulirement aux juges de cassation, davoir un pouvoirnormatif dans les matires numres lart. 51 de la loi n62-11 voque ci-dessus.

    Ainsi la rfrence lvolution gnrale du pays peut tre place dans le soucipermanent des juges donner aux litiges qui leur sont soumis des solutions adaptesaux ralits nigriennes actuelles. Cest pourquoi la solution retenue par les juges dufond se trouve confirme par les juges de cassation. Larrt de principe en la matireest larrt de la Cour dtat, N83-2/c du 20 janvier 1983.8

    (i) la solution retenue par les juges du fond

    Il sagissait dune affaire de divorce en matire coutumire. Celui-ci tant prononcaux torts exclusifs de la femme. Mme. S.Y., le juge de paix prs le tribunal depremire instance de Niamey, a nanmoins exclu du remboursement de la dot les

    accessoires (cest--dire tous les frais - sauf la dot - affrents la clbration dumariage dbourss par le mari) comme le voulait la coutume par un jugement rendule 30 novembre 1978. Le mari, M. K.K., interjeta appel contre ce jugement endemandant le remboursement de ces accessoires. La juridiction dappel, enloccurrence le tribunal de premire instance de Niamey, confirma le jugementattaqu au motif que la coutume invoque par lappelant est incompatible avec unevolution qui limite le remboursement des frais dbourss par le mari loccasion dela clbration du mariage au seul montant de la dot. M. K.K. se pourvut encassation en invoquant la violation de la coutume aux termes desquels la partie quidemande le divorce... en supporte toutes les consquences qui en dcoulent.

    (ii) la solution consacre par la Cour dtat

    La Cour se prononce sur les conditions dapplication de la coutume, dune part, etdautre part, sur la coutume invoque.

    Dabord, la Cour se prononce sur les conditions dapplication de la coutume:

    Attendu que, dans le silence du lgislateur, la Cour dtat,comme toute autre juridiction, avant toute vrification delexistence dune coutume et a fortiorison application aux faits dela cause, doit en apprcier la conformit non seulement lordrepublic en vigueur mais aussi, compte tenu du caractre

    8 Bull. 1980 1983, p. 42.

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    fondamentalement volutif de toute norme coutumire, lvolution gnrale du pays.

    Cet attendu appelle beaucoup de commentaires, mais il ne sera question ici que delessentiel:

    - La rfrence lordre public9est un rappel de lune des conditions contenuesdans lart. 51 al.1 de la loi voque plus haut dans lapplication de la coutume. Maiselle est insuffisante elle-seule pour constater une volution souhaite et actuelle dela coutume qui est une preuve de la capacit de celle-ci sadapter lvolution dela socit. Cest pourquoi selon le juge, la coutume doit se conformer galement lvolution gnrale du pays. Il exerce ainsi, ce que lon appelle, un pouvoirquasi-lgislatif.

    - Le juge de cassation exerce un pouvoir normatif en matire coutumire.

    - Le juge de cassation prcise que dans le silence du lgislateur en matirecoutumire, il lui appartient de jouer pleinement son rle dadaptation de la normecoutumire aux ralits actuelles du Niger. Ainsi, en plus des exigences lgales (art.51 et suivants de la loi n62-11 prcite) la Cour exige de prendre en compte unecondition supplmentaire: la conformit de la coutume lvolution gnrale dupays. La vrification de lexistence de cette condition est obligatoire et elleincombe la Cour elle-mme et tout autre juridiction.10 Par consquent, laCour, en lespce, a cart lapplication dune coutume qui ne remplit pas cettecondition. Ainsi cet arrt se rapproche dun arrt de rglement, pourtant interdit parlart. 5 du code civil nigrien11en ce que la Cour prcise expressment que le jugedoit apprcier la conformit de la coutume cette volution.

    La Cour ne se prononce pas seulement sur les conditions dapplication de lacoutume, mais en outre sur la coutume spcifique invoque par le demandeur. LaCour estime que

    9 Cf. J.L. Mouralis (1985: 341, 348ss.) pour plus dinformations sur le contenu etle sens de la notion dordre public dans lapplication de la coutume.

    10 Cependant pour Abarchi (1993: 35), la Cour ne suggre au juge que la priseen compte du caractre volutif de la coutume.

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    Aux termes duquel il est dfendu aux juges de se prononcer par voie dedisposition gnrale et rglementaire sur les causes qui leur sont soumises.

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    la rgle invoque par le requrant, supposer quelle ait exist,est, ainsi que la constat le juge dappel, incompatible avec unevolution qui, pour ce qui concerne les frais affrents la

    clbration proprement dite dun mariage ultrieurement dissouspar divorce, limite en toute hypothse, la responsabilit delpouse au montant de la dot.

    Elle rejeta donc le pourvoi.

    Cet arrt est important dans la jurisprudence nigrienne car il rvle uneconcordance des solutions des juges de fond et des juges de cassation. Cette affaire,qui est une suite de confirmations du jugement du juge de paix, est tout--faitremarquable. En effet, les juges nigriens nont fait que constater une volution de lacoutume et lont consacre judiciairement; de plus, ils ont expliqu en quoi cettevolution consiste. Larrt modifie le contenu de la coutume. Cela permet la

    connaissance du stade actuel dvolution de la norme coutumire. Par consquent,les parties pourront linvoquer et les juridictions, statuant en matire coutumire,lappliquent aux faits des causes qui leur seront soumises.

    Mais, le lgislateur ne prvoit pas non plus lincidence dun certain mode de vie quiserait fonction de la situation gographique (milieu urbain et milieu rural) et quiaurait une influence sur lvolution de la coutume de telle sorte quun mme acte oufait se verrait qualifier diffremment selon quil se soit pass en milieu urbain ou enmilieu rural. Le juge nigrien nhsite pas franchir ce pas loccasion des litigesrelatifs au droit de la famille en suggrant ladoption dune notion nouvelle en droitcoutumier nigrien: la coutume urbaine.

    La coutume et les centres urbains

    Llvation du niveau de vie et du degr dinstruction, lvolutiondes mentalits tendent disloquer, dune faon gnrale, lescadres socio-conomiques traditionnels, notamment la structurefamiliale. Mais il est vident que ce phnomne est beaucoup plusprofond et rapide dans les grandes agglomrations (Mouralis1983: 350).

    Ces dernires constituent galement les lieux de brassages culturels et ethniques.Elles sont plus rceptives aux influences extrieures surtout dans la capitale, o lesprogrs des techniques et le dveloppement des mdias permettent une plus large

    circulation des informations et des images vhicules par dautres cultures,notamment occidentales. Il nest donc pas tonnant de les considrer comme des

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    champs dexprimentation, de scrtion et dadaptation de la coutume aux nouvellesexigences de la vie. Et quand on sait, pour reprendre les termes des juges de la Courdtat dans larrt du 20 janvier 1983 prcit, que la norme coutumire a un

    caractre fondamentalement volutif, cest donc un processus tout--fait normal,et souhaitable, pour toute norme juridique de sadapter lvolution socio-conomique de la socit quelle a vocation rgir.

    En effet,

    lessentiel de la coutume tient son esprit, cest--dire samanire de penser la transmission dattitudes et des valeurspermettant dassurer la reproduction. La coutume est uncontenant qui peut recevoir des contenus trs divers, car lacoutume ne cesse dvoluer et de se transformer... (Le Roy 1984:234)

    Il nest pas galement tonnant, comme il a dj t soulign, que le besoin et ledsir de voir voluer la coutume soient en gnral plus grands dans les villes(Mouralis 1983: 351). Donc, les juges nigriens ne peuvent pas les ignorer. Cela aconduit lapparition de la notion de coutume urbaine, dans laffaireMme. N.D.c. Mme. D.A., consacre par larrt de la Cour dtat n83-7/c du 17 mars 1983.Seules les lments de larrt qui concernent la notion de coutume urbaine12serontanalyss; ce sont successivement les donnes de laffaire, la solution de la Cour, etla porte de cette notion.

    Les donnes de laffaire

    Aprs le dcs de M. N.M. la question fut soulev par sa mre Mme. N.D. sur ledroit de tutelle et de garde des trois enfants quil avait eus avec son ex-pouse Mme.D.A.

    (a) la coutume invoque

    Mme. N.D., demanderesse, invoquait une coutume selon laquelle, aprs le dcs dupre, la tutelle et la garde des enfants reviendraient la mre jusqu lge de 7 anset la ligne paternelle partir de cet ge.

    12

    Pour les autres questions juridiques souleves par cet arrt, voir Mouralis (1983:350).

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    (b) la rfrence lintrt des enfants

    Pour la mre, Mme. D.A., lintrt des enfants motiverait que la tutelle et la garde

    de ceux-ci lui soient confies jusqu leur majorit, ou dfaut leur grand-mrematernelle.

    Quant la grand-mre paternelle, Mme. N.D., elle estimait que linstabilit deMme. D.A. militerait en sa dfaveur si lon tenait compte de lintrt des enfants.

    La prvalence de lintrt des enfants

    En lespce, la Cour approuve la dcision des juges dappel qui ont fait prvaloirlintrt des enfants en cartant la coutume. Elle insiste sur la ncessit de laconformit de toute norme coutumire lordre public en vigueur. Ainsi,

    contrairement la coutume, les enfants furent confis leur grand-mre maternelle,donc la ligne maternelle.

    Larrt de la Cour dtat prsente galement un intrt majeur quant lemploi dunvocabulaire nouveau pour identifier la coutume qui sest dveloppe... dans les vil-les (Vanderlinden 1990: 238). En effet, la Cour estime que les conceptions devie... de deux parties lgalement en cause conduisent la constatation duneralit... notamment dans les grands centres urbains, dune coutume que lonpourrait, en raison de la majorit de ceux et celles auxquels il y a dsormais lieuden appliquer les rgles, qualifier durbaine. Il sagit de ladoption dune notionnouvelle qui ne peut passer inaperue.

    La porte de la notion de coutume urbaine

    Cette notion inaugure un changement, mais comporte en elle-mme ses propreslimites.

    (a) coutume urbaine: changement et protection

    - Le changement amorc tend vers une adaptation de la norme coutumire auxralits actuelles. Il en va galement ainsi de la notion dvolution gnrale dupays de larrt du 20 janvier 1983 prcite. Comme la su bien relever J.L.Mouralis (1983: 350), sur le plan de la technique juridique, les rgles

    jurisprudentielles ainsi cres pourront tre des instrument[s] trs efficace[s]dvolution de la coutume. Ce changement permet de prendre en compte le contenu

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    mme de la coutume afin de constater son volution. Cela permet galement au jugedappliquer la coutume dans son tat actuel (Pougoue 1990: 48). Dautant plusquil contribue une plus grande protection de telle ou telle catgorie sociale

    fragilise par les conditions de vie dans les centres urbains, en loccurrence danslarrt du 20 janvier prcit, lenfant.

    - Lexigence de lintrt ou la protection des enfants dans lattribution du droit de latutelle et de la garde en matire coutumire est de plus en plus utilise par les juges.Dans laffaireMme. N.D. c. Mme. D.A.le juge dappel relev que les coutumeshaoussa-musulmanes ou zerma-musulmanes13 sur le droit de garde, tout enreconnaissant quen cas de dcs du pre les enfants appartiennent la lignepaternelle mais elles subordonnent toute dcision les concernant la prise encompte de leur intrt. Cest ce qui rsulte galement de certaines dcisions des

    juges de fond.14Cependant, cette exigence constitue une adaptation du contenu des

    13 Ce sont les termes employs pour qualifier les coutumes islamises des ethnieshaoussa et zerma.

    14 Jugement en appel du Tribunal de premire instance de Zinder du 19 novembre1974; indit:

    ...pour une bonne ducation et expression libre de ses enfants, ilconvient de les laisser la garde de leur mre qui au demeuranttrs ge a besoin de la prsence de ses enfants quelle entouredune affection totale.

    Deux jugements coutumiers en appel du tribunal de premire instance de Niamey,cits par Arzika (1985: 251), qui attribuent la tutelle et la garde des enfants de moinsde sept ans leur pre:

    (1) jugement du 2 octobre 1982: ...suivant la coutume peul-musulmane des parties, en cas de dcs dun chef de famille, lagarde et la tutelle des enfants de plus de 7 ans appartiennent laligne mle, mais attendu que cette coutume apporte la rservesuivante pour toute dcision concernant les enfants, il faut tenircompte de leurs intrts, ducation et bon tablissement....

    (2) jugement de 30 juin 1982, ...suivant la coutume djerma-musulmane des parties, en cas de divorce les enfants de moins de7 ans sont confis la garde de leur mre, que compte tenu des

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    coutumes aux nouvelles ralits de la vie surtout dans les centres urbains. En effet,selon Arzika (1985: 180), propos des coutumes nigriennes avant les influences dudroit musulman et du droit franais,

    sagissant du sort des enfants (en cas de divorce), il appartenaienttous au pre, et dans la socit Touareg, loncle maternel. Ceuxqui taient en cours dallaitement ou gs de moins de sept ansdemeuraient avec leur mre. Le pre devait subvenir leurnourriture et leur habillement jusqu lge de sept ans o ilpouvait alors les reprendre. Cependant, les filles restaient avecleur mre si le mari ne sy opposait pas; mais le pre pouvait lesreprendre, tout moment, au-del de lge de sept ans.15

    Il napparaissait donc pas le souci de tenir compte de lintrt des enfants.

    Lvolution de la coutume sur le droit de garde des enfants mineurs, sous lesinfluences des ralits nigriennes actuelles et de la jurisprudence, vers une prise encompte de leurs intrts est une volution qui peut tre rapproche du droit critdorigine franaise. En effet, lavantage et lintrt des enfants sontexpressment viss par les art. 302 al.1 (les effets du divorce),16et art. 383 al.2 (la

    dplacements frquents ltranger que risque deffectuer la mre,le 1er juge a confi la garde de M. (un enfant de moins de 7 ans) son pre, il y a lieu de confirmer en tous ses points....

    15 Lauteur cite les enqutes quil a effectu Zinder, Dadagarga, Tahoua, Maradi,Agadez, Fandou-Mayaki (toutes villes du Niger), et les Coutumiers juridiques delA.O.F..

    16 Aux termes duquel:

    Les enfants seront confis lpoux qui a obtenu le divorce, moins que le tribunal, sur la demande de la famille ou de ministrepublic et au vu des renseignements recueillis en application delart. 238 al.3, nordonne, pour le plus grand avantage des

    enfants, que tous ou quelques uns deux seront confis aux soins,soit de lautre poux, soit dune tierce personne.

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    puissance paternelle sur les enfants naturels)17du code civil nigrien.18Le projet ducode de la famille de 1993, dans son art. 197,19 confirme ce souci de rechercherlintrt des enfants.

    Ainsi, les juridictions nigriennes statuant en matire coutumire peuvent, avec labndiction de la Cour suprme, utiliser la technique juridique ainsi inaugure pourprotger davantage les intrts de certaines catgories sociales, en loccurrence lesfemmes - surtout en ce qui concerne le mariage, le divorce, la rpudiationcoutumire... - et les enfants.

    (b) Les limites de la notion

    tant cre pour identifier lvolution des coutumes spcifiquement urbaines, lanotion de coutume urbaine porte en elle ses propres limites:

    - Elle est dabord limite par son champ dapplication qui ne concerne que lesgrands centres du pays. Ainsi, si lon suit le raisonnement de la Cour, mmeparmi les centres urbains du pays, seuls seront concerns les grands: enimportance conomique? sociale? les arrondissements en font-ils partie? ou toutdpendra-t-il de la constatation dune volution relle et souhaite de telle ou tellecoutume dans tel ou tel centre urbain, quelle quen soit limportance de celui-ci?Cette dernire faon de procder nous semble la mieux indique car elle permettraitde saisir lvolution des coutumes dans toutes les villes du Niger.

    - Ensuite, elle semble ne concerner que les domicilis des grands centres urbains.Pour cette catgorie de justiciables, il nexisterait donc aucun problme quant soninvocation par les parties ou quant son application par le juge loccasion dunlitige en matire coutumire. Mais serait-elle, par voie de consquence, carte ds

    17 Aux termes duquel: Le tribunal peut toutefois, si lintrt de lenfant lexige,confier la puissance paternelle celui des parents qui nest pas investi par la loi.

    18 Code Civil du 31 mars 1803, rendu applicable par le dcret du 6 aot 1901 et parlart. 76 de la constitution du 8 novembre 1960 (actuellement par lart. 128 de laconstitution du 26 dcembre 1992). Il est presque une copie servile du code civilfranais de 1960.

    19 Qui prconise que: A dfaut dun rglement amiable entre les parents, la garde

    des enfants sera confie lun ou lautre des conjoints ou une tierce personnedans lintrt des enfants.

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    lors que le litige impliquerait un citadin et un paysan ou, a fortiori, deux paysans?En effet, quest-ce quun paysan? Celui qui est domicili en campagne, exerant uneactivit agro-pastorale et artisanale et qui est attach aux valeurs ancestrales? Et les

    personnes vivant dans les banlieues des villes qui continuent perptuer le mode devie essentiellement rural? Les rponses ces interrogations ne peuvent venir que dela Cour suprme elle-mme. La jurisprudence sur lapplication de cette notion abesoin dtre affine pour quelle soit efficacement un instrument de latransformation de la norme coutumire. Pour linstant, notre connaissance, ilnexiste que larrt dont il est question ci-dessus qui y fasse rfrence.

    Conclusion

    Le juge suprme nigrien amorce un changement en fondant ses dcisions nonseulement sur lordre public mais galement sur lvolution du contenu mme de la

    norme coutumire. Il prfre constater une volution de cette norme, plutt que delcarter au profit dune norme juridique issue du droit crit dinspirationoccidentale. Devant limmobilit du lgislateur (par exemple, le Code de la familleest en gestation depuis prs de deux dcennies et sa naissance est encore plusincertaine tant les contradictions - entre le courant rformiste qui prne un droit

    unifi dinspiration occidentale et le courant islamiste qui rclame lapplicationstricte du droit musulman - sont grandes et irrductibles), seule le jurisprudencereste un instrument susceptible dexercer une action souhaitable sur ladaptation dela norme coutumire aux ralits nigriennes actuelles, lesquelles exigent de plus enplus que lon tienne compte des disparits existant entre les centres urbains et lescentres ruraux.

    Cependant, les notions dvolution gnrale du pays et de coutume urbaine sontdes notions imprcises et volutives (comme par ailleurs celle de lordre public) quiimpliquent, quant leur application, un large pouvoir dapprciation des juges defond. Cest pourquoi il nous semble important que les dcisions de ces juges soientrigoureusement motives pour permettre la Cour suprme dexercer son contrle.Pour ce faire, deux prcisions semblent particulirement essentielles: la justificationde ce en quoi a consist telle ou telle volution de la coutume par rapport au pays engnral ou spcialement aux centres urbains ou ruraux, et surtout lnonc prcis dunouveau contenu de celle-ci. Elles pourraient constituer une source de scurit

    juridique pour les justiciables et un moyen permettant de limiter la tentation, dujuge, prendre une trop grande libert dapprciation qui tendrait la dnaturationde la coutume.

  • 7/24/2019 Chaibou Art

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    LA JURISPRUDENCE NIGRIENNE EN DROIT DE LA FAMILLEAbdourahaman Chabou

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