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Il y a dans son roman une authentique saveur d’enfance, un regard émerveillé et curieux, une soif de vivre à toute allure. Marie-Claude Fortin, Voir Bruno Hébert C’EST PAS MOI, JE LE JURE ! roman Extrait de la publication

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106 Prix France-Québec/Philippe-Rossillon 1998Prix des libraires du Québec 1998

C’est pas moi, je le jure ! étonne par sa fraîcheur et sa verve, par sa vision du monde de l’enfance, par son imaginaire débridé. À trente-neuf ans, soit l’ âge qu’aurait aujourd’hui son petit héros, l’auteur est manifestement resté très près de ses premières années.

Marie-Claude Fortin, Voir

On a peine à croire que C’est pas moi, je le jure ! est un premier roman, tant la langue est sûre, agile, l’action bien conduite, les personnages convaincants. Bruno Hébert ne l’a pas écrit à la sortie du cégep. Il a lu, il a vécu. C’est pas moi, je le jure ! n’est pas seulement un remarquable premier roman ; c’est l’un des meilleurs romans de la saison.

Gilles Marcotte, L’actualité

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ISBN 978-2-7646-0003-0

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N Bruno Hébert est né à Montréal en 1958. Il a fait paraître deux romans, C’est pas moi, je le jure ! (1997) et Alice court avec René (2000), portés au grand écran par Philippe Falardeau.

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Il y a dans son roman une authentique saveur d’enfance, un regard émerveillé et curieux, une soif de vivre à toute allure.Marie-Claude Fortin, Voir

Bruno HébertC’est Pas Moi, je le juRe !roman

Extrait de la publication

Les Éditions du Boréal, rue Saint-Denis

Montréal (Québec) HJ L

www.editionsboreal.qc.ca

Extrait de la publication

C ’E ST PAS MOI ,J E LE JURE !

Extrait de la publication

DU MÊME AUTEUR

Alice court avec René, Boréal, ; coll. « Boréal compact », .

Le Jeu de l’épave, Leméac, .

Extrait de la publication

Bruno Hébert

C’EST PAS MOI,

JE LE JURE !roman

Boréal

Les Éditions du Boréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour ses activités d’édition et remercient le Conseil des Arts du Canada pour son soutien financier.

Les Éditions du Boréal sont inscrites au Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée de la SODEC et bénéficient du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec.

Illustration de la couverture : Carlos Gallardo, Evidencias VIII (détail), Galerie Éric Devlin.

© Les Éditions du Boréal pour l’édition originale© Les Éditions du Boréal pour la présente éditionDépôt légal : e trimestre

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Diffusion au Canada : DimediaDiffusion et distribution en Europe : Volumen

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives CanadaHébert, Bruno, -C’est pas moi, je le jure !e éd.(Boréal compact ; )ISBN ----

I. Titre.. ’. --

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À Lizbeth Vientos

Extrait de la publication

Extrait de la publication

Prologue

Au début j’allais très bien. Tout baignait dans l’huile, unepériode de constante évolution. Je me faisais les ongles dansune méditation que je qualifierais de transcendantale, la cha -leur ambiante était parfaite, l’obscurité quasiment totale.C’était avant le verbe… On dit au commencement était leverbe, eh bien là, aucun verbe aux alentours et c’était pour tantle commencement de tout. Il y avait peut-être le verbe être, à larigueur, mais c’est discutable. Le bonheur est une chose toutesimple mais n’allez pas mettre un verbe en travers de sa route.Le 18 juillet 1958, il y eut un glissement de terrain horrible,

l’eau de la mer se vida d’un seul coup. Tête première, je me suisenfoncé dans des sables mouvants. La pression était si forteque mon crâne, encore tendre et moelleux, s’est contracté, puisune comète de trois milliards de watts m’est arrivée dans lagueule pour m’éclater les iris. Mes petites mains avec dedansmon destin écrit n’étaient même pas encore dépliées que j’étaisdéjà mutilé du nombril, lavé, emballé dans du coton plus blancque blanc. J’étais né.Le docteur Larrivée a dit à ma mère que tout s’était très

bien passé, j’étais un enfant parfaitement constitué, tout étaitnormal, un enfant normal.Il y a des médecins qui devraient être radiés de la pro -

fession.

Extrait de la publication

Chapitre

Deux cent vingt, montée Grandbois, août 1963.Un après-midi de canicule, seuls ceux qui ont vécu au

Qué bec peuvent comprendre ce que cela veut dire. La chaleuret l’humidité sont si intenses que, si vous lancez un caillou enl’air, ce n’est pas sûr qu’il retombe par terre, il peut rester ensuspension jusqu’à la rosée du soir. Ça s’est déjà vu.Ma mère préparait des pinces de crabe qu’elle servirait en

entrée pour le dîner. Papa venait avec un invité im por tant. Onbouffe pas du crabe tous les jours dans notre maison. Faut quece soit une grande occasion. Maman disait que l’in vité étaitpresque un saint, j’ai même entendu Mme Piché dire qu’onpar lait de lui à Rome et qu’il avait une aura. Je n’avais jamaisvu d’aura sauf celle de Simon Templar à la télé.Il y avait de l’excitation dans l’air. Mon frère et moi, on se

bai gnait dans la petite piscine d’enfant ; l’idée était de resterdans l’eau le plus longtemps possible jusqu’à se ratatiner lesdoigts de pied, parce qu’après on n’avait plus le droit de se salir,il fallait mettre nos habits du dimanche. L’horreur, du lingepro pre et repassé en pleine canicule, ça relève de la torturemen tale et physique.Dans le poste de radio de la cuisine, Charles Trenet chan -

tait : « Y’a d’la joie, bonjour, bonjour les hirondelles… » C’està ce moment-là que mon frère a tiré la jupe de ma mère :

—Maman ! Maman !Comme elle avait cinq enfants, elle ne répondait pas tout

de suite. Le beurre à l’ail allait bientôt recouvrir les pinces decrabe qui iraient ensuite au four.—Maman… maman…Il faut faire griller à 450 oF juste avant de servir, et alors on

obtient une petite bouchée tendre et juteuse, un rien crous til -lante. Une entrée parfaite pour un saint.—Maman, Léon dort dans la piscine.Il y eut quelque chose qui suspendit le geste de maman

juste comme elle allait tremper une pince de crabe dans lebeurre fondu. Sa tête fit un petit mouvement sec vers la fenêtred’où elle pouvait apercevoir la piscine. Elle était bien là, la pis -cine en plastique au milieu du terrain, avec ses dauphins grisperle au grand sourire, tout contents sur un fond turquoise.Maman se pré cipita vers la porte tandis que mon frère grim paitsur le comptoir pour observer la scène de la fenêtre. Ce fut uneriche idée parce qu’il put me raconter les détails de mon sau -vetage… « Y’a d’la joie, bonjour, bonjour les hiron delles… »La bouche et les yeux ouverts, bras en croix au fond de la

pis cine, j’étais devenu le Petit Bleu. Maman resta figée quel -ques secondes, puis une sorte de détermination, en vérité unemontée hystérique, la fit réagir ; elle me prit par une cheville,me sortit de l’eau la tête en bas et commença à me faire tour -ner comme une toupie. Je vomis un grand bol d’eau dans legazon et je repris connaissance. Puis je fus transporté par unpa quet de nerfs jusqu’à la maison. Ce n’était pas des bras, desmains, un cou : ma mère était devenue de l’énergie bouillante,un magma électrique ; je me déplaçais dans l’espace commepar magie. Arrivée au salon, elle me fit asseoir sur le canapé,fonça vers la cuisine, revint aussitôt avec un verre de lait. J’enbus deux ou trois petites gorgées.

Extrait de la publication

—Écoute, Léon, tu vas rester assis bien sagement, ma manrevient tout de suite.Je ne reconnaissais pas sa voix, mais il faut dire que j’avais

de l’eau dans les oreilles. Je n’eus pas le temps de répondre ouique ma mère était déjà repartie à la cuisine. Elle marchait sifort que j’ai eu peur qu’elle fasse des trous dans la marqueterie.Je l’ai entendue farfouiller dans les ustensiles. Les tiroirs s’ou -vraient et se refermaient, elle cherchait quelque chose avec fré -nésie. Je n’étais pas rassuré, je voulais aller faire la sieste. Aprèsun moment, je vis réapparaître ma mère dans le salon avec, à lamain, l’énorme couteau de cuisine tellement coupant qu’onn’avait même pas le droit de le regarder. Seul papa s’en servaitpour le roast-beef du dimanche.Les yeux hagards, maman marchait vers moi avec ses ta -

lons qui entraient dans le sol. Ma vie était finie, je savais qu’ilétait défendu de se noyer, mais c’était ma première noyade, leslarmes me montaient aux yeux, je ne pouvais pas savoir, onétait si bien au fond de l’eau, c’était calme et tranquille, j’avaisun tel besoin de tranquillité. Maman vint vers moi sans mêmeme regarder : une flèche lancée sur sa cible, trajectoire décidéeà l’avance. Je n’étais pas visé : elle ouvrit la porte de la terrasse,sortit, traversa le jardin, passa sous les saules pleureurs et s’ar -rêta devant la petite piscine bleue et ses Flippers qui sau til -laient de bonheur comme pour la parade. Ce fut un carnage :ma mère poignarda la piscine à plusieurs reprises, découpa lesdauphins en morceaux, plia le tout en un paquet qu’elle traînajusqu’à la rue, là où on dépose les poubelles. Ce fut la fin de lapiscine. De retour à mes côtés, elle se mit à pleurer doucement.Tout était redevenu normal. J’avais un peu mal à la tête

mais je m’en foutais. Maintenant, couronné de l’auréole dugrand noyé, rescapé à la dernière minute, j’aurais dû être mort.Il y avait du miracle dans l’air et ça tombait pile, puisque le

presque saint Pierre, patron des disciples d’Emmaüs, venaitdîner à la maison le soir même. Malgré mon jeune âge, je mesen tais enveloppé de sainteté, calme et serein. Je mangeais macrème glacée comme un apôtre, le corps du Christ. Mamanm’examina sous toutes les coutures, elle me sécha les cheveux.Je crois que mon visage est resté imprimé sur la serviette telle -ment elle frottait fort. J’en suis sûr. Au bout d’un moment, meconsidérant hors de danger, ma mère retourna à ses casseroles.Mon frère Jérôme me prit par la main et m’emmena silen -

cieu sement au bord du chemin. Recueillis, comme à la mort degrand-papa, nous contemplions le cadavre de la piscine — unmoment douloureux, il faut le dire. Cette piscine nous avaitprocuré tant de plaisir, et la voir là, toute repliée sur elle-même,avec ce dauphin lacéré qui ne cessait de me regarder bizar re -ment, un œil sur l’asphalte de la rue, l’autre droit dans mesyeux comme pour m’accuser. C’était affreux. J’étais sur le pointde quitter mon grand calme liturgique pour plonger dans lecafard des assassins. Mon frère aussi m’en voulait de m’êtrenoyé, il m’en voulait pour tant de choses, la piscine ce n’étaitqu’une goutte d’eau dans la mer. Si j’étais mort ce jour-là, ilaurait peut-être pu être heureux.La grosse Chevrolet de papa apparut au bout de la rue.

Sans dire un mot, nous sommes allés nous cacher derrière lahaie de cèdres pour observer à loisir l’arrivée de l’apôtre saintPierre, patron des Emmaüs.— Il a de très grandes oreilles, déclara mon frère, tout de

suite.Ça m’énervait qu’il porte un jugement sur un saint

homme, et pourtant l’évidence m’obligeait à être d’accord aveclui : l’abbé Pierre avait des portes d’église de chaque côté de latête.— Faut être prudents, ne pas faire de bruit, que je dis.

Extrait de la publication

Cet homme-là entend même une mouche qui chie sur le pontd’un navire.— La grosseur des oreilles n’a rien à voir avec l’en ten de -

ment, imbécile ! Peut-être qu’il est sourd comme un pot.Du coup, comme pour le contredire, l’abbé Pierre se re -

tourna et se mit à regarder intensément la haie de cèdres.— Vous avez de bien beaux conifères, monsieur Doré.Il prononça cette phrase haut et clair comme au com men -

cement d’une épître. Nos cèdres étaient la honte de la rue, tousles clébards venaient pisser dessus, la base était toute jaune etça puait l’ammoniaque.— Il nous regarde, que je dis à Jérôme.C’était des yeux noirs, ronds comme des billes exorbitées,

des yeux qui englobent tout, le ciel, la terre, les mers, les bêteset tous les enfants cachés. Jérôme partit en courant derrière lamaison, moi je restai là, je me disais que j’étais seulement unenfant, c’est normal de se cacher pour un enfant, même quej’étais caché parce que je jouais aux Indiens avec des copains— un hasard. Ils avaient déterré la hache de guerre il y avaitpas cinq minutes, je n’avais plus le choix de me planquer, onrigole pas avec Géronimo. Mon père et l’invité finirent par en -trer dans la maison, je suis resté caché dans l’herbe un mo -ment, j’avais besoin de réfléchir. D’abord, je n’avais pas remar -qué l’aura, peut-être qu’il fallait attendre la nuit pour la voir,peut-être que l’abbé Pierre l’aura pas tout le temps, SimonTem plar l’aura juste au début de l’émission, ensuite, il l’auraplus du tout. Chose certaine, il me fallait un homme de Dieude mon côté et j’élaborai un grand projet de séduction.Il y eut d’abord l’apéro sur la terrasse, à l’ombre du tilleul.

L’abbé Pierre buvait du jus d’orange, mon père en était à sontroi sième whisky, maman sirotait du café en racontant manoyade dans les détails, mon sauvetage in extremis, et pour

finir, le miracle de la vie : ni plus ni moins la résurrection. Messœurs Marguerite et Valérie apparurent dans le décor pourfoutre en l’air l’ambiance, comme à leur habitude. Elles vi -vaient dans leur monde, univers clos, hermétique, gnomesd’une autre pla nète. Elles jacassaient dans un langage inventéqui leur per met tait de se comprendre entre elles sans être com -prises des autres. Moi, je restais assis sagement sur la chaise enosier, ré so lu ment touché par la grâce. Je buvais les paroles dema mère sans même oser bouger le petit doigt. J’étais impres -sionné par le récit de ma propre noyade et mon état de grâceaug mentait de minute en minute. Une ombre au tableaucepen dant : je me disais qu’il me faudrait bientôt intervenirquand les regards se tourneraient vers moi.À mon grand regret, je n’avais pratiquement aucun sou -

venir de toute cette histoire. Je m’étais laissé glisser au fond, en -traîné dans le silence, sous la pression de l’eau. Puis, une dis -trac tion, un oubli, comme on oublie sa boîte à lunch, j’aiou blié d’aller respirer, c’était tellement stupide, je n’osais pasen parler : ma distraction et mon étourderie étaient déjà lé -gendes dans la famille. Inutile d’apporter de l’eau au moulin,déjà que je n’avais plus le droit de coucher en haut dans le lit àdeux étages parce que, à ce qu’on racontait, la nuit, quand jeme réveillais pour aller pisser, j’oubliais où j’étais et je mepétais la gueule en tombant. Des ouï-dire. Je n’ai aucun sou ve -nir, on doit bien se souvenir de quelque chose quand on se pètela gueule, c’est mon point de vue. Pour ce qui était de remettreles pieds dans une piscine, il aurait fallu qu’il fasse au moinstrois cents degrés à l’ombre, plus ordonnance du mé de cin, etencore ça n’était pas sûr. De toute manière, à partir de main te -nant, j’aurais des foutus flotteurs partout et je mourraisétouffé dans du caoutchouc gonflé.N’empêche qu’il fallait trouver quelque chose. C’est là que

je me suis souvenu d’une conversation que maman avait eueavec Mme Piché. C’était le jour où je faisais semblant de jouerdans le carré de sable avec son fils, Jean, et je ne perdais rien dela conversation. C’était à propos de la fois où maman avait dé -truit la voiture de papa en fonçant dans un arbre. Sa tête avaitheurté le pare-brise, je me souviens d’une grosse bosse sur sonfront et de la crise de papa quand il est rentré le soir.Maman racontait qu’au moment de l’impact, elle avait vu

une grande lumière blanche, puis des événements de sa vieavaient défilé très vite devant ses yeux, comme au cinéma. Çadevait être un peu ça, la mort, qu’elle disait à Mme Piché quiavait les yeux écarquillés comme si elle avait vu un fan tôme. Jetrouvais qu’il y avait dans cette conversation un bon filon àexploiter. Une fois tous à table à bouffer des pinces de crabe, jeme sentis prêt à raconter à l’abbé Pierre l’expérience de manoyade.— D’abord, j’ai vu une grande lumière blanche for mi -

dable, comme une porte ouverte en haut d’un escalier, puis legrand doigt de la chapelle Sixtine est venu me toucher le frontmême si j’étais encore dans l’eau, ça m’a dénoyé aussi sec,ensuite j’ai entendu de la musique.— Quel genre de musique ? me demanda l’abbé Pierre.— Du banjo.Ça n’a pas eu l’air de l’étonner.— La musique venait d’un autre endroit, d’une pièce à

côté peut-être, mais qui était en réalité une cathédrale mais jene le savais pas, je pense seulement. Un petit chien est venu, unbébé chien terre-neuve, il m’a sauvé la vie en me donnant del’air par un tube.L’histoire du chien, c’était pour que papa change d’avis au

sujet de la portée de Delphine, le chien des Lacombe. J’auraisvendu mon âme pour un bébé terre-neuve. Il faut toujours

Extrait de la publication

que j’en fasse trop. L’abbé Pierre m’écoutait religieusementavec ses grands yeux exorbités, papa avait sa mine de celui qu’ilne faut pas prendre pour un cave, j’évitais de le regarder, ma -man était ravie, mes sœurs parlaient en dialecte africain et s’enfoutaient complètement, tandis que Jérôme me donnait descoups de pied sous la table parce que j’allais faire foirer le coupdu terre-neuve des Lacombe.Ce n’était pas le genre de réaction que j’avais espérée, en

fait je ne savais pas quelle réaction je cherchais à provoquerexac tement, peut-être capter l’attention de l’abbé Pierre, sus -citer chez lui un intérêt, une compassion, créer le doute, insi -nuer le mystère. Je voulais qu’il se souvienne de moi : avoirpour ami personnel un envoyé de Dieu, un faiseur de miracles,ça pouvait servir. Je sentais en moi une grande confiance, peut-être même la foi. L’abbé me délivrerait du mal maintenant etjusqu’à l’heure de ma mort, une fois pour toutes, amen. Car jesentais déjà des tendances inquiétantes s’insinuer dans moncœur, une révolte tapie dans les hautes herbes, le remords etd’autres bêtes fauves qui ne demandaient qu’à bondir hors deleur cachette pour venir lacérer les restes de mon innocence.L’abbé Pierre pouvait, d’un geste, changer les lions en agneaux,j’en étais sûr. Pourtant, le saint homme ne vit pas ma détresse,il me donna seulement un paquet de dragées qu’il avait dans sapoche, des reliquats d’un baptême. L’abbé Pierre était toujoursin vité à des baptêmes : il touchait la tête des nouveau-nés pourqu’ils deviennent des illuminés et, plus tard, à l’âge adulte, lesenfants qu’il avait baptisés fonderaient des sectes dont lesmembres se suicideraient collectivement.J’étais déçu.L’abbé Pierre passa la nuit couché sur le toit à regarder les

étoiles.Au cours de mon enfance, je me suis noyé trois autres fois :

Extrait de la publication

au Love Sun à Port-au-Prince, en m’assommant sur le trem -plin ; au lac Ouareau, le pied coincé sous un gros caillou et, en -fin, en semi-finale inter-cité devant cinq cents personnes, com -pé ti tion officielle, discipline papillon. J’avais perdu monmail lot au plongeon de départ. Je m’étais mis dans la tête de lerécu pérer et de le remettre, tout ça sous l’eau, au fond dudouze-pieds, pour que personne ne me voie. Quand ils sontvenus me chercher, mon maillot était à l’envers.J’ai rencontré d’autres saints aussi, l’abbé Paulhus, le père

Vanier, le frère Untel, mais ils ne m’ont jamais pardonné mespéchés ni délivré du mal, amen.Le lendemain matin, papa descendait tranquillement la

rue dans sa Chevrolet. Il emmenait avec lui l’énigme de labonté : l’étrange abbé Pierre.

Extrait de la publication

Extrait de la publication

Table des matières

Prologue

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Épilogue

Extrait de la publication

MISE EN PAGES ET TYPOGRAPHIE :LES ÉDITIONS DU BORÉAL

CE DIX-SEPTIÈME TIRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER EN JUILLET

SUR LES PRESSES DE TRANSCONTINENTAL GAGNÉ

À LOUISEVILLE (QUÉBEC).

Extrait de la publication

106 Prix France-Québec/Philippe-Rossillon 1998Prix des libraires du Québec 1998

C’est pas moi, je le jure ! étonne par sa fraîcheur et sa verve, par sa vision du monde de l’enfance, par son imaginaire débridé. À trente-neuf ans, soit l’ âge qu’aurait aujourd’hui son petit héros, l’auteur est manifestement resté très près de ses premières années.

Marie-Claude Fortin, Voir

On a peine à croire que C’est pas moi, je le jure ! est un premier roman, tant la langue est sûre, agile, l’action bien conduite, les personnages convaincants. Bruno Hébert ne l’a pas écrit à la sortie du cégep. Il a lu, il a vécu. C’est pas moi, je le jure ! n’est pas seulement un remarquable premier roman ; c’est l’un des meilleurs romans de la saison.

Gilles Marcotte, L’actualité

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ISBN 978-2-7646-0003-0

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N Bruno Hébert est né à Montréal en 1958. Il a fait paraître deux romans, C’est pas moi, je le jure ! (1997) et Alice court avec René (2000), portés au grand écran par Philippe Falardeau.

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Il y a dans son roman une authentique saveur d’enfance, un regard émerveillé et curieux, une soif de vivre à toute allure.Marie-Claude Fortin, Voir

Bruno HébertC’est Pas Moi, je le juRe !roman

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