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    ROMAIN GUILLOUX -PSYCHOLOGUE

    UN CERVEAU,COMMENT A MARCHE ?(VI)

    JEN AI UN VAGUE SOUVENIRBon, il resterait videmment beaucoup dire sur ce monde passionnant de laformation des gestes, mais il nous faut tout de mme avancer, et, fidles notremthode, continuer "remonter" des profondeurs du cerveau vers l'corce (le"Cortex"). Cela nous conduit nous intresser aux formations qui jouent un rleimportant dans une fonction fondamentale pour l'tre humain : la Mmoire. Jesens que a va en intresser plus d'un(e), surtout parmi ceux qui, comme moi,commencent prendre de l'ge !!!

    Une nouvelle digression est ncessaire avant d'aborder le fonctionnement de cefameux "lobe de l'hippocampe", puisque c'est de lui qu'on va causer dans cechapitre. Qu'est-ce que la mmoire ? Et O doit-on la situer ?Eh bien, voil une question qui a agit tous les philosophes depuis la nuit destemps, et autour de laquelle la communaut scientifique s'est livre de bellesbagarres. Tous les scientifiques ne sont pas d'accord, mme si un certain consensussemble se dessiner, et un point crucial de ce consensus, c'est bien ce fameuxhippocampe. L, tout le monde est peu prs d'accord sur son rle.Un autre point sur lequel tout le monde est d'accord, c'est qu'il n'y a pas UNE,

    mais DESmmoires. On parle plutt de "systmes mnsiques". Notre cerveau neprocde pas de la mme manire pour se rappeler un souvenir d'enfance (mmoireautobiographique), l'endroit o on vient de poser ses lunettes (mmoirepisodique), la dfinition de ce qu'est un ornithorynque (mmoire smantique),l'odeur du pain grill de notre enfance (combinaison de mmoiresautobiographique, motionnelle et olfactive), etc Bref, l encore notre cerveaudveloppe des stratgies diverses et varies pour ramener la surface au moment

    voulu un souvenir ou une connaissance utile ce moment l. Enfin, quand toutmarche bien ! Nous reprendrons tout cela quand nous tudierons la mmoire plusen dtail.

    Et puis, une notion absolument fondamentale, c'est qu'il y a des souvenirs courts,voire trs courts, qui s'effacent au bout de quelques minutes, voire quelquessecondes et mme fractions de secondes, et d'autres qui durent la journe, desannes, voire la vie entire. Et c'est trs bien comme a : par exemple, lorsque voustes au cinma, et que vous regardez un film, vous avez l'impression que lesmouvements l'cran sont parfaitement lisses, alors qu'en fait ce sont des imagesqui se succdent 24 images par seconde. En fait, chaque image reste un tout petitinstant active, juste le temps ncessaire pour que l'image suivante prenne la place,ce qui nous vite de voir une succession d'image clignotantes, ce qui serait parait-il

    la faon dont une mouche voit un film. Les mouches tant incapables d'apprcier le7me art, a tombe bien. Cette mmoire dite "sensorielle" est directement lie au

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    temps qu'il faut aux cellules visuelles pour faire la "remise zro". Heureusementqu'elles la font la remise zro, imaginez que les 24 images par seconde du filmrestent prsentent et se superposent pendant plusieurs secondes le mouvement,de lisse, deviendrait srieusement pteux. Mais ce n'est pas possible. Toutefois, ilpeut arriver, dans d'autres circonstances, qu'une image trs intense (un paysage trsensoleill avec soleil de face par exemple) se maintienne plus longtemps que

    ncessaire, et gne la vision des scnes suivantes.

    Par contre, lorsqu'un lecteur confirm lit un texte, ses yeux se dplacent par petitessaccades extrmement rapides d'une syllabe l'autre (nous y reviendrons). Ils n'ontpas le temps de lire lettre par lettre, mais l'image de chaque syllabe est maintenueprsente la mmoire le temps de lire la suivante, ce qui permet d'accder trsrapidement au sens. Comment pourrait-on en effet comprendre par exemple le mot"voiture" si, quand on est arriv au "tu", la premire syllabe "voi" s'tait djvapore ? Puis, le mot dchiffr passe au second plan. Lorsque vous lisez ce texte,

    vous savez qu'on parle de mmoire. Mais le mot mmoire que vous avez lu 3 lignesplus haut n'est plus prsent dans votre conscience immdiate, qui est occupe lirece que j'cris en ce moment. Mais pour pouvoir le lire, il faut que le mot mmoiresoit pass au second plan, et ne reste plus occuper votre esprit, ce qui vousempcherait de lire la suite. Au passage, notons que cela ncessite de pouvoir traiterune information en avant-plan, en gardant une autre disponible l'arrire plan. Etde pouvoir effacer de l'avant plan le mot (mmoire) pour librer la ressourceattentionnelle ncessaire pour poursuivre la lecture. Car si, chemin faisant, en melisant, vous avez compltement oubli le sujet dont on est en train de parler, vousne pouvez plus rien comprendre. Il n'est pas seulement question de mmoiredansce dont on parle actuellement, mais galement d'attention.Ce n'est pas vident chez un enfant qui apprend lire, ce jeu des choses mainteniren avant plan et en arrire plan. Mais nous allons y revenir lorsque nous traiteronsde la lecture.Et puis, vous pouvez aussi conduire, tout en discutant philosophie avec votre

    voisin, et vous reprer sans problme dans une ville que vous connaissez, mais odes dviations vous amnent modifier votre itinraire. On appelle "mmoire detravail" la mmoire qui permet a. Vous le voyez, il faut se garder d'tre rducteurs,lorsqu'on aborde ces problmes, et de vouloir les rduire des choses simples. Il

    n'y a pas dans notre cerveau une zone remplie de tiroirs bien classs quis'appellerait la "zone mmoire", mais une multitude de systmes disperss dans toutnotre cerveau, et qui collaborent pour que cette fonction tellement indispensable notre vie soit correctement accomplie. Car mme si - et cela est encore discut -nos souvenirs sont stocks dans des endroits prcis de notre cerveau, ils le sontcomme des livres dans une bibliothque, si on ne les ouvre jamais, a ne sert rien.Et si on ne range pas les nouveaux livres dans la bibliothque, elle devient viteobsolte. Or, savoir que pour traiter telle situation on a besoin des renseignementsqui sont dans tel livre, que ce livre est rang tel endroit, qu'en fait il y a deux livresintressants, l'un de parution rcente, l'autre de parution plus ancienne, mais que lesrenseignements qu'ils donnent sont complmentaires pour traiter la situation o

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    nous nous trouvons en ce moment, a ncessite un grand nombre demanipulations. Et puis, une bibliothque n'tant pas extensible l'infini, il fautparfois se dbarrasser de certains livres, ou ne pas ranger dans la bibliothque deslivres rcemment parus qui n'ont d'intrt que sur le moment. C'est pareil pour lessouvenirs. Il y en a qu'il faut garder, d'autres qu'il faut associer d'autres djexistants pour ajuster nos apprentissages, d'autres qui n'ont qu'un intrt

    anecdotique, auxquels on peut s'intresser sur le moment, mais dont on ne va pasforcment s'encombrer l'esprit.En plus de cela, dans notre bibliothque, il y a parfois des livres qu'on a ouvertsune fois, puis qu'on a oublis sur une tagre et abandonns la poussire et auxrats. Dans nos souvenirs, c'est un peu diffrent. Une nouvelle acquisition dans nossouvenirs, quelque chose qu'on a lu, quelque chose qu'on a appris, une situation laquelle on a d faire face, un mot nouveau dans une langue trangre (a, c'estassez caractristique), c'est engrang dans notre mmoire, avec un certain "poids".Ce "poids" dpend de plusieurs choses, mais en particulier de trois lments :

    1. La charge motionnelle qui a accompagn l'apprentissage. Soit directement : on se souvient plus facilement du nom de la fille (ou du

    garon) qui on doit son premier baiser que de celui de la mre d'Henri IV.

    Soit de manire indirecte : au moment o le prof prononait le nom deJeanne d'Albret, notre charmant(e) voisin(e) de classe, dont on estsecrtement amoureux(se) nous a susurr: "on sort ensemble ce soir". Il y apeu de chance qu'on se rappelle du reste du cours, mais Jeanne d'Albrets'imprimera trs facilement dans notre mmoire (quant se rappeler cequ'elle venait faire l, c'est une autre histoire).

    2. On a facilement mis cette nouvelle information en relation avec d'autresinformations dj en mmoire. On dit que cette information s'inscrit dans unechane smantique, une chane de sens. Alors qu'une information qui arrivecomme les cheveux sur la soupe, dont on ne voit pas ce qu'elle vient faire laura moins de poids. Dans l'exemple prcdent, le nom "Jeanne d'Albret"s'imprime, mais l'information "mre de Henri IV" beaucoup moins bien.

    3. La dure qui s'coule avant que le souvenir ne soit r-voqu. Si vous apprenezun jour un mot d'anglais par exemple, et que vous ne le voyez plus pendantplusieurs mois, il y a de fortes chances pour qu'il se soit "vapor".

    Lorsque nous apprenons une chose nouvelle, elle laisse une "trace" dans notrecerveau. Il est ncessaire de lui faire prendre l'air de temps en temps pour que cettetrace se maintienne dans la mmoire. Ou plutt dans le systme de mmoire quis'occupe en quelque sorte des acquisitions nouvelles. On appelle a "ractiver latrace". Au bout de quelques ractivations, cette trace devient plus solide, elle passedans notre "Mmoire long terme". Le nombre de ractivations ncessaire diminueavec deux facteurs principaux : l'ge (plus on est jeune, moins il en faut), et lacharge motionnelle qui accompagne l'intgration de la trace. Pour un souvenirtraumatique, ou trs charg motionnellement, il n'est pas forcment ncessaire que

    la trace soit ractive pour qu'elle passe directement dans la mmoire permanente.

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    Alors, qu'est-ce que c'est que cette "trace" ? C'est assez difficile expliquersimplement. Car on est au cur mme du fonctionnement du systme nerveux, etles scientifiques ont mis beaucoup de temps pour comprendre comment celafonctionne, et encore, on ne sait pas tout.

    Quand on regarde quelque chose pour la premire fois (un canard, dans mon

    exemple), les cellules sensibles de notre il reoivent chacune une information surun petit morceau du canard. Un peu comme les "pixels" de votre appareil photonumrique. Ces informations portent sur la couleur, l'intensit de la lumire,l'intensit des gris de chaque morceau de canard.

    Figure 15

    Evidemment, chaque cellule sparment est bien incapable de transmettre lesinformations sur tout le canard !!! Mais, nous l'avons vu, ces cellules sont relies pardes synapses (vous savez, ces petits boutons qui "font le contact" entre nosneurones) avec un tas d'autres neurones dans notre cerveau. Vous vous rappelezque le contact se fait par un petit messager chimique, qu'on appelleneurotransmetteur. Les canaux qui librent ces messagers chimiquess'ouvrent plus ou moins facilement. C'est a le truc important. Au dbut, les

    "morceaux de canard" se confondent avec les autres "morceaux" de la scne (le"fond": la mare, l'herbe, etc) Puis, par une alchimie qu'on n'a pas encoretotalement lucid ma connaissance, le cerveau se rend compte que, par exemple,ces morceaux se dplacent ensemble quand le canard bouge. Et que donc il y aquelque chose qui les relie, ils font partie du mme ensemble. A partir de cemoment l, il va dcider que les diffrentes synapses concernes par cet objetnouveau vont ouvrir leurs canaux neuromdiateurs plus facilement. Maisseulement quand toutes - ou la plupart- sont sollicites en mme temps. Du coup siun nouveau canard se prsente, c'est un peu comme si le systme nerveux tait prt le reconnatre, puisque l'ensemble de communications entre les neuronesconcernes par la matrice "canard" ne demandaient qu' s'ouvrir lorsque un certain

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    nombre d'entre elles est sollicit en mme temps. J'ai essay de prciser un peu touta dans la figure 16, en diminuant le nombre de "pixels" pour la clart de l'expos(et aussi parce que je suis un peu paresseux, il faut bien l'avouer).

    Fig 16 - 1

    Imaginons l'ensemble des connexions entre les neurones comme une sorte de damier. Chaque casecorrespond une connexion (une synapse). Quand rien ne passe, la case est blanche, quand uncanal s'ouvre, la case change de couleurRien ne passe, dans le noir, on ne voit rien. Le tableau de connexion est tout blanc

    Faisceau des neurones quiapportent l'information

    Tableau de connexions

    Faisceau des neuronesqui emportentplus loinle rsultat de l'opratio

    Fig. 16 - 2, un canard passe dans le champ de vision, pour la premire fois, il est reconnu au bout de1 seconde, par exemple, comme un truc intressant qu'il faut peut-tre garder en mmoire

    Faisceau des neurones quiapportent l'information

    Tab leau de conne x ions

    Faisceau des neuronesqui emportentplus loinle rsultat de l'opration

    Fig 16 - 3: Quand le canard est parti, les connexions se referment, mais restent prtes se rouvrirplus facilement si la mme configuration se reprsente

    Faisceau des neurones quiapportent l'information

    Tab leau de connexions

    Faisceau des neuronesqui emportentplus loinle rsultat de l'opratio

    Notons qu'aprs cette reconnaissance, si un chat, un ouistiti ou une machine laver

    sollicite les mmes cellules visuelles, cela ne va pas ractiver l'image "canard", parce

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    que les configurations d'activation ne sont pas les mmes, par contre un autrecanard lgrement diffrent, si.Et puis on va apprendre que a s'appelle un canard, que c'est un oiseau, unpalmipde, que a a une vie trs intressante, et qu'accessoirement, a se mange,surtout en foie gras, en magret et en confit, et qu'avec un bon sauternes mais jem'gare.

    Bon, il reste donc dans les diffrents circuits qui ont eu connatre du canard unesorte d'empreinte, sous forme d'une potentialisationde ces cellules, on parle depotentialisation pour dsigner ce phnomne d'empreinte. Mais cettepotentialisation ne va pas, dans un premier temps rester dfinitive. Il va falloirplusieurs rencontres avec l'image d'un canard pour qu'elle s'tablisse durablement.On dira qu'alors les cellules visuelles concernes font l'objet d'unepotentialisation long terme.

    Je vous disais au dbut qu'il y a plusieurs mmoires. L'apprentissage du concept

    "canard" passe donc par diffrents stades : un premier stage dans les mmoires court terme, le temps que la "potentialisation long terme" s'tablisse, puis unsecond stage dans les mmoires long terme, et enfin, aprs quelques mois defrquentation du "concept canard", une nouvelle tape est franchie, et ce conceptentre alors dans les mmoires permanentes, dont il ne s'vadera plus - sauf

    Alzheimer, hlas ! -. Attention, le fait que ce concept soit dans les mmoirespermanentes ne veut pas dire qu'on l'aura toujours disposition : n'oublions pasque pour tout ce qui concerne la mmoire, il y a deux types de problmes biendistincts : la "mise en mmoire", et la "rcupration" de ce qui est en mmoire. Onpeut trs bien avoir en mmoire des tas de souvenirs qui nous seraient utiles, maisauxquels on ne parvient pas accder. Le phnomne du "mot sur le bout de lalangue" en est un excellent exemple.

    Pour mieux comprendre comment a se passe, un bon exemple est celui de lareconnaissance des visages. On rencontre dans une rue une personne dont le visagenous "rappelle quelqu'un". Il y a dans notre mmoire une empreinte de visage danslaquelle celui de la personne qu'on vient de rencontrer "tombe" quelques dtailsprs, mais avec la mobilisation de suffisamment de cellules nerveuses pour que tousles canaux s'ouvrent, et que le phnomne de reconnaissance se dclenche. Mais, il

    y a tant de variations possibles dans un visage, que peut-tre c'est une faussereconnaissance. Alors dans un second temps, notre cerveau va aller chercher dansd'autres mmoires un complment d'information : "c'est un(e) tel(le)". A partir dece complment d'information, on va rexaminer le visage et mobiliser alors unautre mode de reconnaissance sur lequel on reviendra plus tard, qui va nouspermettre de dire "c'est bien un(e) tel(le)" ou "non, il (elle) lui ressemble, mais"Et quand on n'arrive pas "remettre un nom" sur ce visage, on est en difficult,mais c'est une autre histoire.

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    La partie de notre mmoire qui fait ce rajustement, et plus gnralement, celle quidans toutes les tches de la vie quotidienne s'occupe de dcider quelle information

    doit tre garde, laquelle doit tre mise en arrire-plan, qui va chercher les autresconnaissances disponibles dans nos diffrentes mmoires, et ncessaires la tcheen cours, ce systme est gnralement appel "mmoire de travail". C'est unsystme complexe qui fait travailler plusieurs zones de notre cerveau.

    Si j'ai fait cette longue digression, c'est parce que dans notre exploration dufonctionnement crbral nous sommes parvenus une structure qui joue un rleabsolument crucial dans tous ces mcanismes : le lobe de l'hippocampe. On a pumettre en vidence l'importance de cette partie du cerveau tout particulirementpour tout ce qui concerne la gestion de l'espace et la mmoire de travail. Lorsque

    qu'un "grain de sable" affecte cette structure, a n'efface pas forcment lessouvenirs antrieurs, a n'empche mme pas certains apprentissages, mais celaperturbe considrablement l'efficacit de la mmoire de travail, en empchant lesrajustements."Dans le cerveau, l'hippocampe, primordial pour la mmoire court terme, bat le rappel dediffrentes traces de mmoire pour former un souvenir" 1

    J'insiste sur le fait qu'il n'est qu'undes acteurs de l'acte mnsique, acte qui met enjeu la synergie de tout un tas de zones crbrales qu'on abordera au fur et mesure,mais c'est un acteur tout de mme important.

    1Hippocampe et comportement, Brigitte Potier, Jean-MarieBillard et Patrick Dutar, in La mmoire, le jardin de la pense,dossier hors srie n 31 de Pour la Science, Avril-juillet 2001.

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    Il se trouve qu'on a dcouvert ce rle chez des patients qui avaient t oprs suite des crises rptes et graves d'pilepsies. Au cours de cette opration, entreautres, avait eu lieu l'ablation de l'hippocampe. Ca avait guri l'pilepsie, d'ailleurs.Mais au prix de troubles graves de la mmoire. Cela m'amne parler un peu de ceproblme de l'pilepsie. Car elle a, chez certains enfants en particulier, des

    consquences graves sur les apprentissages. Prcisment, parce qu'elle tend "effacer" les traces, en particulier les plus rcentes, celles qui auraient justementtellement besoin d'tre consolides pour que les apprentissages se fassent.Quand on parle d'pilepsie, en effet, on a toujours la vision de la grande crise o lapersonne tombe, est secoue de tremblements, de spasmes, perd ses urines, et perdplus ou moins conscience. Ce qu'on appelle la grande crise clonique. Mais il existedes crises beaucoup moins spectaculaires, au point qu'elles peuvent passerinaperues ou presque, mais qui ont pourtant un effet pernicieux absolumentdsastreux.

    Qu'est-ce qui se passe, lors d'une crise d'pilepsie ?En temps normal, nos neurones, mme au repos, "dchargent" des impulsionschacun son rythme. Ca donne une espce de "bruit de fond" lectrique diffus,d'o merge videmment l'activit lectrique des neurones qui travaillent cemoment l diffrentes tches. Mais chacun fait son boulot, sans s'occuper du

    voisin. Et puis parfois, tout un groupe de neurones, au lieu de vaquertranquillement ses occupations, chacun pour soi, tout ce groupe de neurones semet au "pas cadenc", pulser rythmiquement. Vous connaissez cette histoire dupont qui s'tait croul parce qu'un rgiment passait dessus au pas cadenc, que lafrquence de ce pas tait la mme que la frquence de vibration du pont, et les

    vibrations de ce pont s'taient tellement amplifies qu'il n'avait pas rsist. Lorsqueje faisais mes tudes de physique, on me disait que depuis, un groupe de militaire nedevait pas marcher au pas sur un pont. Je ne sais pas si c'est vrai. Mais si je vous discela, ce n'est pas pour vous raconter des souvenirs de ma (lointaine) jeunesse.Notre cerveau aussi a une "frquence de rsonance" qui lui est propre. Lorsque desneurones se mettent pulser rythmiquement, cela provoque des dgts. S'il y a ungros paquet de neurones s'y mettre, et en particulier les neurones moteurs, celaprovoque la grande crise clonique dont nous parlions tout l'heure. Mais si ce sontdes petits groupes de neurones, et que les neurones moteurs n'en font pas partie,

    cela peut trs bien passer sinon inaperu, du moins pour quelque chose derelativement bnin. Sauf qu'alors, aucun pont ne s'croule, mais les potentialisationsde synapse (vous savez, l'empreinte du canard ) qui ne sont pas encore trsrenforces, donc celles des apprentissages les plus rcents, se trouvent effaces.

    Toutes, ou certaines d'entre elles, ce qui est encore pire, car la personne qui esttouche par ces troubles garde des souvenirs en quelque sorte "mits", dont elle nesait que faire. Et son entourage ne comprend pas que, alors qu'elle n'est pas bte, etqu'elle se rappelle de beaucoup de chose, elle n'arrive pas construire une pensecohrente, et il lui faut tout reprendre zro.

    J'cris ce passage en pensant avec motion certains enfants, en particulier un petit"B" qui subissait ce genre de difficults, certaines priodes plusieurs fois par

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    heure, qui droutait son entourage, mais tait lui-mme tellement drout de ne pasrussir apprendre qu'il en souffrait vritablement le martyre, jusqu' ce que laneurologue qui le suivait parvienne enfin, aprs avoir beaucoup cherch, trouverle traitement efficace.

    Voil, je clos ici ce premier "chapitre d'automne", mais le feuilleton continue.

    Diffus par CORIDYS