cerf-volant pour un poème

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...Les enfants ne sont pas les humains en devenir, non, ils sont des êtres à part, venus d'un rêve, non du rêve de quelqu'un, ce n'est pas le rêve d'une personne, c'est le Rêve qui est à l'origine de notre Monde, de l'Univers, de Tout..

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...Les enfants ne sont pas les humains en devenir, non, ils sont des êtres à part, venus d'un rêve, non du rêve de quelqu'un, ce n'est pas le rêve d'une personne, c'est le Rêve qui est à l'origine de notre Monde, de l'Univers, de Tout..

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Edition RUELLEISBN : 978-2-9531938-1-7

Dépôt légal [email protected]

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Cerf-volant pour un poème

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… on retrouve très vite, grâce à '' Cerf-volant pour un poème ‘’, la capacité, le don de rêver. En ce sens, Eddy Lane est un réel magicien, un chamane, un peintre de l’onirique – j’ai eu la chance de découvrir ce que j’aime appeler ses '' narrats '' il y a quelques temps déjà : depuis, je ne cesse de me souvenir de ces rêves, de mes rêves, et de l’en remercier. Vous qui venez d’ouvrir ce livre, ne le refermez pas ; il me reste une chose à vous dire, à vous dire : Et la porte est derrière cette page. Ne suivez pas le guide, précédez-le, vous êtes ici chez vous.Soyez-y le bienvenu.

Christian G@rp

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Cerf-volant pour un poème

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A demain ou Cerf-volant pour un poème

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Cerf-volant pour un poème

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Sur la plage un garçon tenait le fil et regardait le cerf-volant

au-dessus de lui.Un très beau cerf -volant. Grand, fier avec un sourire rouge sur sa surface blanche. Le garçon le faisait tourner, le laissait monter, très haut. Je les regardais en marchant lentement dans le sable. L'homme à côté du garçon me dit : ― C'est beau, n'est-ce pas ? ― Oui, très. ― Vous voulez essayer? J'en ai d'autres ici. Ils sont tous magnifiques. Faites-vous plaisir. Je ne les loue pas très cher. Surpris, j'ai vu, plusieurs cerfs-volants près de lui et du garçon. ― Vous louez les cerfs-volants sur la plage? ― Oui, monsieur. ― Comment les louez-vous? ― Ça dépend. Vous en choisissez un et vous le faites voler pendant une heure. Après vous écrivez un poème et si ce poème plait à mon fils et à moi, alors ça sera gratuit, sinon c'est 10 euros. ― Je ne sais pas écrire des poèmes et je n'ai pas 10 euros non plus. ― Essayez, monsieur, venez avec moi. Le garçon se mit quelques pas plus loin et me fit signe: allez. Je pris un cerf-volant. Il s'envola aussitôt et vibra à côté de celui du garçon. ― Oui, c'est bien, Monsieur. Gaspard n'aime pas être seul là-

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haut. Le garçon riait. Je tenais le fil tendu par le vent et je m'entendis rire. Nos têtes vers le haut, le petit garçon me dit, répondant à ma question non posée. ― Simon, il s'appelle Simon, le vôtre. Gaspard et Simon. Le garçon et moi. Gaspard fit un saut en avant. Je suivis le garçon et Simon dansa tout près de son ami, Gaspard. Le garçon riait. Simon tremblota, un peu, je senti le fils bouger dans ma main. Il se cacha derrière Gaspard, sorti de l’autre côté, revint et montra son sourire de nouveau. Le garçon sauta en arrière, je l'entendis rire dans mon dos. Là haut c’était le tour de Gaspard de faire les galipettes. Il fit un cercle autour de Simon. Les cerfs-volants mélangeaient leurs pirouettes dans le ciel pendent que le sable devint un dessin marqué par les traces des pas de garçon et de moi. En dansant et riant aussi, mon regard levé vers le haut, je ne sentis pas le temps passer. Une heure plus tard, l'homme me tendit une feuille et un crayon. J'écrivis mon poème. L'homme le lit puis le garçon, aussi. Après une assez longue pause le père me dit : ― Je trouve que vous ne me devez rien. J'aime ce que je vois sur ce papier mais ... Tommy n'est pas de mon avis. C'est la première fois que ceci se produit. Alors nous devons recommencer. Une heure de vol des cerfs-volants et un poème. Demain. Le garçon sourit. ― A demain. ― A demain. Le garçon m’accompagne pour me dire - au revoir. ― Monsieur, j’aime bien votre poème. ― Mais tu veux faire plaisir à Simon et à Gaspard ?

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Il riait. ― A demain. ― A demain.

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Dis bonjour

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Tu as terminé Marie? Bonne fin de l'après-midi et à demain,

alors. La femme tenait la porte entre ouverte. Elle sourit aux enfants et fit un signe, un coucou amical à la maîtresse et à moi.― A demain matin. ― Dis bonjour à Marc. ― Je n'y manquerai pas. Je repris mon dessin sur le chevalet placé au milieu des petites tables des enfants autour de moi. En bougeant lentement le crayon, je leur parlais. Je leur disais, que dessiner c'était comme parler, si on savait dire : une maison, un arbre, on pouvait en faire un dessin. Dessiner c'est comme parler, mais pas avec ta bouche, mais avec ta main. C'est mieux, des fois, personne ne vous dira qu'on ne dessine pas la main pleine par contre parler la bouche plaine, ah ça..... Ils riaient. Je regardais leurs dessins. Une maison. Un arbre. La maison penche un peu, mais c'est une belle maison. Avec une porte. Avec des fenêtres, Avec une question: comment dessine-t-on un chien ?Le facteur venu avec ses plis regardait nos dessins. En partant, il plaisantait : maître, attention, vos élèves vous dépasseront sous peu. ― Au revoir. ― Au revoir, dis bonjour à ta femme, François. ― Je n'y manquerai pas. Merci.

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Nous avons accroché nos dessins. Une exposition ! Une petite bataille pour les meilleures places sur le panneau. Je rigolais. Mais demain, on les placera autrement. D'accord ? Ils l'étaient. Je mis ma veste. A la porte de l'orphelinat je dis : ― Au revoir les enfants. ― Au revoir. ― Maître ! ― Oui ? Un petit garçon. Il vint vers moi.― Dis bonjour à ... quelqu'un.

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Le caillou

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A la pointe, les deux bras de la rivière se réunissent après

avoir coulé, chacun de son côté de l'île du Château. Le bras droit descend, quittant l'écluse du moulin et deux cent mètres plus bas il s'élargit et renforcé par les eaux du bras gauche, il forme un petit lac. Le parc touche ce tout petit lac par son allée qui longe la rivière.

Assis au bord du lac je peux voir Gaspard sur son rocher. Gaspard est le nom que j'ai donné à un canard blanc. Le rocher est, au faite, un, un peu plus grand caillou, sortant de l'eau d'à peine dix centimètres. Mais ce petit Gaspard, toujours seul, jamais avec le reste des canards vivant sous le moulin, se posait sur celui-là, quand il ne se promenait pas dans le village. J'aimais dire : tiens, Gaspard est encore sur son rocher ! Le couple des cygnes vient vers moi. Le mâle sort sur la rive et à un pas, seulement, de moi prend les morceaux de pain que je lance. Il se met entre sa femelle et moi pour la protéger ouvrant un peu ses ailes qu'il accompagne de petits grognements, enfin je ne sais pas comment dire autrement pour ses sons. Je les

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regarde partir.

― Monsieur, avez-vous des cailloux ? Le garçon pose quelques cailloux sur la rive. Je ne l'ai pas entendu venir. ― Ici, on n'en trouve pas. J'ai apporté les miens. Des plats. Pour faire des ricochets. Vous savez les faire, les ricochets ? Une fois j'en ai fait dix. ― Dix ? ― Non, trois ! Il sourit, content de ma surprise. Il se met près de l'eau. Son épaule gauche vers la rivière il lance un caillou. Plouf ! Il essaie un deuxième. Plouf. Pas un seul ricochet. Troisième non plus. Je me lève. ― Attends ! Je prends un de ses cailloux. ― Un deux, trois.. ouiiii, vous avez fait cinq ou six ! Je pris un autre et je lui explique comment faire : il faut plier les genoux, ne pas le lancer trop près, il rebondit trop haut et après ça donne plouf !, ne pas lancer trop fort non plus, entre dans ton caillou, suis son vol de ton bras, de ton regard, choisis bien le moment sans petites vagues sur la surface ! Je lance. Il fait plusieurs ricochets, glisse sur l'eau allant loin et plonge lentement. ― Vas y ! A toi maintenant ! Deux ! Plouf ! Deux ! Deux ! Plouf ! Trois ! Deux ! CINQ ! ! ! Le garçon regarde la rivière. Il est content. Nous sommes contents, tous les deux. Il se retourne. ― Il n'y a plus de cailloux. ― Si !

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Je sors de ma poche un caillou. Je le montre au garçon. J'entre dans la rivière de deux pas. Je le lance. Le caillou touche la surface, rebondit, vole tout près au-dessus, la touche encore, fait une vingtaine de ricochets, glisse, s'en vole encore et se perd au loin. Le garçon se tourne vers moi. ― Mais il est parti le caillou ! ― Non, regarde ! J'ouvre ma main. Le caillou mouillé, avec quelques goûtes d'eau, reflet la lumière. - Un jour, j'avais ton âge, dix ans, c'est ça ?, j'ai été sur une plage et je regardais un peintre derrière son chevalet. Il faisait le ciel, la mer, la plage, le sable, les galets et les cailloux sur la plage. Il s'est retourné, m'a vu et il a pris ce caillou de son tableau et il me l'a donné. Je le garde à jamais. Le caillou est sec. Je le mets dans ma poche. Le garçon suit mon geste. ― Tu sais, des fois je viens ici et je peints le moulin.

Nous rentrons ensemble. Tiens, Gaspard est, encore, sur son rocher.

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Le théâtre

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La maison des Poclains se trouve à l'autre bout du village.

Je les ai rencontrés lors d'un vernissage à Paris. Et deux ou trois fois, dans la boulangerie du village : bonjour, bonjour... Ce fut une surprise, ce coup de téléphone de la part de madame Poclain, me priant de garder leurs deux enfants, le soir - même. Une urgence ! Avant, même de pouvoir refuser poliment, elle lâcha un grand soupir et, soulagée elle me remercia de tout son cœur comme si j'avais accepté.

Les Poclains juniors, Denis et sa sœur Léa me regardaient comme tous les enfants, avec curiosité. Je sentis que nous allions passer une soirée pas comme les autres. J'ai tenté une conversation aussi classique que débile. Les deux petits ont très rapidement retourné la situation et je m'entendis répondre aux questions, qu’ils me posaient dont la dernière était :

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― Aimez-vous le théâtre ? ― Oui, bien sûr, j'aime le théâtre. ― Vous aimez le théâtre ? Génial ! Vous voulez qu'on joue, qu'on fait du théâtre ? ― Allez, allez, dites oui !― D'accord ! Mais je ne sais pas comment nous pourrions jouer au théâtre ― Facile ! Vous inventez un lieu, une belle histoire, vous nous racontez et puis vous nous dites qui doit jouer quoi et puis vous nous dites si on le fait bien ou non et puis .... Pour faire de la place pour la scène, ils déplacèrent les chaises et la table. Pris au jeu, je les aidais. Assis sur le tapis, les enfants côté jardin et moi côté cour, si le canapé fait la salle de notre théâtre, je commence : il y a un pays qui s'appelle Danemark. Autrefois, il y avait un roi de ce pays, enfin dans une histoire, dans ce pays, il y avait ce roi et il avait un fils, Hamlet…

Ils m'écoutaient attentivement pendant que je leur expliquais, je leur distribuais les rôles, Denis : Hamlet et la petite Léa : Ophélia. Je crois qu'ils étaient assez contents de ce casting. ― Je suis Hamlet, alors. Et toi, tu es Ophélia. Denis est content. Sa sœur aussi. ― Oui, Hamlet, je suis Ophélia Mais moi, je suis mécontent. Je suis fou de rage, même. Je viens de proposer aux enfants de participer, d'entrer comme des personnages dans une tragédie Shakespearienne. Assassinat, vengeance, la folie, dans ce drame. Il y a de quoi se poser la question si ce n'est pas moi qui suis devenu fou en proposant une pièce comme celle-ci aux enfants. Je fais marche arrière. ― Euh.... j'ai une meilleure histoire. Écoutez-moi, écoute-moi Léa

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et puis toi… ― Hamlet !Sa réaction me fit sourire. Je me tourne vers la petite fille : regarde, tu feras le Chaperon rouge, toute mignonne que tu es, avec une corbeille et .... ― Et Hamlet le Grand méchant loup ? ― Non, je suis Hamlet et toi tu es Ophélia ! Voilà ! Le garçon avait l'air décidé. J'étais décidé moi, aussi. Je me levais pour annoncer officiellement et sans appel, l'annulation de ce projet. Je vis le garçon marcher lentement sur le tapis, sur notre scène. Tête baissée pour un moment et puis relevée, il me regarde, il regarde à travers moi et il dit :

―To be or not to be, that is the question!

Je me sentis comme foudroyé, Pendant une éternité, je suis resté bouche ouverte, mon bras à mi-chemin entre ma tête et nulle part. Finalement, de nouveau assis je dis : ― Mais, mais, comment sais-tu ça et en anglais de surcroît ? ― Ah c'est de l'anglais? Génial, génial, Ophélia, c'est de l'anglais, dit le Monsieur ! ― Super, super, Hamlet, j'ai beaucoup aimé ! ― Ophélia, tu dois prononcer le H, on dit : H H H A M L E T ! Pendant l'heure qui a suivie, je les ai écoutés. Ils jouaient bien. Ils jouaient très bien. Je ne croyais pas ce que je voyais. Je répondais brièvement à leurs questions, de temps en temps. Je me sentais souffrant. J'étais souffrant. Je ne me souviens pas du moment de retour de leurs parents. Je ne sais pas comment je suis rentré chez moi.

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Deux semaines plus tard, je téléphonais : ― Bonjour ...oui, oui, c'est moi, comment allez-vous madame ? Bien ! Oui ! Oui ! Moi aussi ! Merci ....voilà j'ai deux invitations pour l'exposition d'un ami que j'estime énormément, mais voilà, je ne peux pas m'y rendre alors, ....... ah, non, non, oui, voilà je pourrais rester avec Hamlet et ... avec Denis et Léa.

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L'oiseau

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Comme tous les mercredis et vendredis, jours de ses cours

de chant, la petite Laure Barth est venue, accompagnée de sa mère. Comme chaque fois, Madame Barth m'a demandé si elle pouvait venir à mon atelier. Elle y est restée une dizaine de minutes et, après avoir choisi une toile pour son salon, comme chaque fois, toujours une différente, sans jamais en emporter une seule, elle est partie pour revenir chercher sa fille, une heure plus tard. Mary, ses mains sur le clavier de son piano, son élève à côté d'elle, me regarde, tu as encore bien vendu ? Je souris aussi oui, bien sûr ! La porte reste, toujours ouverte entre les deux pièces. Derrière mon chevalet, je peux entendre les explications de la prof et le chant de Laure. Un talent pur, l'oreille absolue.

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― Laure, écoute-moi ! Tu chantes bien, mais tu peux faire beaucoup mieux. Le chant, c'est comme un oiseau. Tu le lâches et il s'envole. Chante, pour voir un oiseau dans l'air. Laisse-le partir, laisse-le s'envoler ! ― Un oiseau ? Il va s'envoler ? ― Oui, Laure ! Le piano. Un exercice simple. Laure chante. Elle chante très bien, comme jamais. Je me lève. Lentement, très prudemment, j'avance vers la porte, sur la pointe des pieds. Un bras tendu devant moi, comme dans le noir. Laure chante. A la porte, je m'arrête. Mary passe à un exercice plus complexe. Laure suit. Elle chante. Mary aussi. Elle porte la voix de la petite pour se placer aussitôt derrière, la suivre et la laisser seule. Laure chante. Je reviens à mon chevalet. Je prends une feuille. Le piano s'arrête. Laure est à la fenêtre. ― Mais je ne l'ai pas vu, l'oiseau ! ― Moi si, je l'ai vu. Regarde, c'est pour toi ! Je lui montre mon dessin : un oiseau en vol !

Quelques mois plus tard, Mary et moi, sommes partis vivre à la campagne. Le salon de Madame Barth est resté privé d'une de mes toiles. Des années plus tard, à Paris, en entrant dans une librairie, nous avons vu une affiche : Concert, Laure Barth-Pinnina, soprano, la date, l'heure ! Le fond de l'affiche : un dessin, un oiseau en vol. Mon dessin.

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La diagonale du fou

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Cerf-volant pour un poème

n jour j'ai proposé, de marquer les 64 cases, noires et blanches, pour le jeu d'échec, sur une des deux tables en pierre dans le parc. Personne n'a réagi. Alors, un jour, je

les ai tout simplement peintes. Personne n'a approuvé ni critiqué ce geste de bienfaisance ou de vandalisme. C'était clair que personne, ici, ne s'intéressait à ce jeu. Peu importe. Je sors dans le parc et je joue avec les grands maîtres :Kortschnoî, Spaski, Capablanca. D’après les paries regroupées dans un livre dont je ne me sépare. Mon grand Maître favori est, incontestablement Léon Aliehinoff. J'admire son jeu. Même dans les cas où il a perdu, il reste un virtuose. Le livre contient, beaucoup, d'anecdotes sur sa vie, quelques lettres qu'il a écrites à ses amis, un poème aussi. Mais à part sa courte biographie, je ne lisais que les pages avec ses parties, jouées un peu partout dans le monde. Assis à table au jeu d'échec je cherche la page avec la partie contre le Hongrois Szabo, qu'Aliehinoff a jouée à Malte en 1912.

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Un couple passe. ―Bonjour !―Bonjour !De l'autre côté de la rivière, le long de la promenade devant le Château quelqu’un appelle son chien. Je reconnais la voix. Je connais le chien, aussi. Vesuvio, le cocker du fleuriste. Ils restent quelques minutes encore et puis, c'est le silence. Le couple est sorti du parc en s'éloignant le long du quai. Je plonge dans ma partie. Je la connais bien et je la commence au trentième coup de blanc. Je joue prudemment, lentement. Je réfléchis et comme à chaque fois, je reste la tête entre mes mains, à admirer les trois derniers. quand il joue, papa, il a toujours quelqu'un pour jouer avec lui.― Tu sais, on peut jouer seul, d'une certaine manière, mais il faut que je t'explique un peu le jeu et puis tu verras, comment il est possible de jouer avec quelqu'un tout en étant seul. Tu veux ?Elle est d'accord. Elle monte sur la chaise, en face de moi et me regarde attentivement. J'avais un peu d'expérience avec les enfants de cet âge. Un de mes neveux a appris à jouer aux échecs avec moi. J'estime que la fille en blanc doit avoir aussi neuf ans ou, peut-être, dix. J'avais mis les figures en position du départ. Blancs et Noirs. Chaque camp avec sa reine et son roi. Les fous à côté. Les pions. Elle ne perd aucun mot. Elle suit ma main quand je déplace un pion, ou la tour. À la fin, je lui explique que dans un livre, on peut trouver beaucoup de belles parties et comme ça, on joue même quand on n'a pas un vrai partenaire. En terminant, je la regarde, je la vois toute concentrée et je m'attends à une avalanche de questions: pourquoi le fou s'appelle-t- il fou, ou bien pourquoi la tour est plus petite que le

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roi ?― Comment s'appelle-t-il ? Elle me montre, elle touche même un des pions blancs.― Mais je t'ai dit. en blanc doit avoir aussi neuf ans ou, peut-être, dix. J'avais mis les figures en position du départ. Blancs et Noirs. Chaque camp avec sa reine et son roi. Les fous à côté. Les pions. Elle ne perd aucun mot. Elle suit ma main quand je déplace un pion, ou la tour. A la fin, je lui explique que dans un livre, on peut trouver beaucoup de belles parties et comme ça, on joue même quand on n'a pas un vrai partenaire. En terminant, je la regarde, je la vois toute concentrée et je m'attends à une avalanche de questions: pourquoi le fou s'appelle-t- il fou, ou bien pourquoi la tour est plus petite que le roi ?― Comment s'appelle-t-il ?Elle me montre, elle touche même un des pions blancs.― Mais je t'ai dit. Ce sont des pions. Ils sont huit et puis voici le fou .... ― Non, pas comme ça, par exemple moi, je m'appelle Angélique ! Elle me regarde avec une insistance telle que je souris et me présente à mon tour. Elle est contente et pose de nouveau son doigt sur le pion blanc, sur la case e2. Je ne dis rien. Elle attend un peu et puis elle me dit :― C'est Alexandre et celui-ci s'appelle Ivan et voici Serge ! Son doigt passe de la case e2, à d2 et f2.― Et la reine s'appelle Catherine ! ― Enchanté, ravi de faire votre connaissance Alexandre, Ivan et Serge !   Angélique me surprend encore une fois. Elle quitte sa chaise, se met debout et fait une belle révérence. Je comprends

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que c'est pour la reine Catherine et je baisse ma tête, aussi.― Votre majesté !Angélique est vraiment fière de m'avoir appris, quelque chose. Nous sourions tous les deux. Tous les deux, nous sommes vainqueurs dans notre toute première partie d'échecs. En partant, elle me tend sa main et s'en va. Je sens que ce n'est pas tout. J'ai raison. Quelques dix pas plus loin elle se retourne.― Au revoir Ivan, Serge, Alexandre, Votre Majesté !

Je reste seul dans le parc, devant ma table aux 64 cases de l'échiquier. Je pose les figures et j'organise la situation avant le quarante-sixième coup pour le blanc, dans la partie Aliehinof-Oleg Plehanoff. La partie dite ''Champagne''. Je regarde la position et je joue, le coup de génie, le coup gagnant, le coup de la diagonale de fou, avec lequel Aliehinof gagne  Ba6 Mat !  La nuit s'annonce doucement. Je regarde vers le Château et puis, pour la première fois, je tourne la page des Index et sous  ''La partie dite Champagne''  je lis :

La partie jouée dans le Château Ogier, en Champagne, en 1913, lors de séjour de Léon Aliehinof en France, accompagné de son épouse Catherine et de ses trois fils Alexandre, Ivan et Serge.

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Dat omno ti nagorih

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Cerf-volant pour un poème

Les parties de mini-golf avec Nadine se terminaient sans

jamais aller au bout. Bavarde, curieuse, maligne, elle ramenait la balle que je venais de jouer en expliquant que c'était contre les règles et que je devais rejouer ou bien que c'était son tour. Nous ne sommes, jamais, allés, au - delà première case de 12 que notre piste avait. En règle générale, à la fin de notre partie, à son interruption, plutôt, je me trouvais assis sur le banc, mort de rire et Nadine proclamait sa victoire incontestable,

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― Qui commence ?― Le perdant du dernier match, toi !― Mais nous n'avons pas terminé le match.― J'ai gagné la dernière fois. Et puis, je gagne toujours !Elle se donna l'air de quelqu'un qui en a marre de le répéter tout le temps. Un couple passait à côté de notre terrain et nous regardait. La jeune femme sourit. Ses bras un peu écartés, elle avait l'air de ne pas comprendre ce que la petite joueuse disait. L'homme se tourna vers moi.― Nous zommes Allémands !― Ich kann deutsch.― Ah ja ? Ihre Tochter is niedlich.J'ai expliqué que Nadine était ma nièce. J'étais assez content d'échanger quelques mots en allemand, J'étais, aussi et même beaucoup plus content et très surpris que Nadine nous écoutât et nous regardât sans aucun signe d'impatience et n'insistant jamais à continuer notre jeu,― Auf Wiedersehen und gute Reise !Quand les deux jeunes gens partirent, Nadine me prit par le bras et me guida vers le banc.― Mais, qu’est-ce que c'était ? Comment avez-vous.... pourquoi avez-vous parlé comme ça ?― Ce sont des Allemands. La Dame et le Monsieur, ils sont Allemands.― Allemands ?

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― Oui, Nadine, tu sais, il y a des Allemands et puis ils parlent allemand.― Pourquoi ? Pourquoi ils ne parlent pas comme nous ?Je me sentis piégé. Comment expliquer les origines des langues, les origines des peuples, la création des nations, à une fille de cinq ans ? Enfin, comment l'expliquer même si, elle en avait vingt-cinq. Alors je me mis à simplifier.― Il y a des Allemands, ils vivent en Allemagne et ils parlent allemand. Comme nous ! Nous vivons ici, en France et nous parlons français.― Et y-a-t-il encore ?― Encore ?,― Oui, encore, S'il y a encore d'autres personnes qui sont d'autres que nous et qui ne parlent pas comme nous ? Ni comme les Allemands ?― Oui, oui, bien sûr, il y a, par exemple ..., il y a des Russes, puis il y des Espagnols...― Mais tu as parlé allemand !― Oui, j'ai appris l'allemand.― Et pourquoi moi je ne l'ai pas appris ?― Mais tu peux l'apprendre si tu veux et d'autres langues aussi.― Et il y en a beaucoup ?― Oui, pas mal. Mais, tu sais, même si tu ne parles pas une langue, tu peux la comprendre si quelqu'un la traduit. Je peux te traduire ce que dit un Allemand, par exemple.― Et les chiens?― Quoi les chiens ?― Les chiens en Allemagne comment font-ils ?― Les chiens en Allemagne aboient,― Ils aboient en allemand ? Nos chiens comprennent-ils les

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chiens allemands ?― Nadine, jouons au golf. Allez c'est à toi de jouer! La partie reprit. Comme d'habitude Nadine me faisait rire. Elle tapa la balle. La balle partie à côté, elle courut, l'attrapa, revint et rejoua le coup comme si elle n'avait pas joué. Quand ce sera à moi de jouer, elle se mettra tout près de moi et me posera mille questions qui n'ont rien à faire avec le golf, pour me déconcentrer.J'avais encore un coup à jouer. Avec ce coup, je peux gagner. Nadine partit en courant voir la rivière. Étant absente, elle peut contester le coup. Mort de rire, je ne l'ai même pas joué. Assis sur le banc, je la vis revenir. Elle se mit devant moi, toute sérieuse. J'étais sûr qu'elle allait me lancer un je gagne toujours comme elle le faisait d'habitude.― Dat omno ti nagorih !Je ne dis rien, Elle répéta :― Dat omno ti nagorih !― Pardon ? Ah oui, tu as appris... tu as inventé une nouvelle langue. Il faut me traduire, Nadine.― Oui mais ce n'est pas une nouvelle langue, C'est un mélange des langues qui existent déjà,― Ah, d'accord, Je te l'ai dit qu'on pouvait traduire les langues, Pour les comprendre,― Oui, je sais.― Il faut me traduire, Nadine. Qu'as-tu dit ?―On est bien ensemble !

Quelques jours plus tard, j'ai reçu une invitation pour participer à une réunion à Reims. A l'initiative d'une association d’artistes, d’écrivains, de traducteurs un grand projet sera lancé. Ce projet,

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une fois lancé, devrait tracer un chemin vers les médias pour y introduire l’art, la peinture, la littérature. J'ai téléphoné à un ami pour avoir quelques informations complémentaires. Il m'en a donné et finalement, je lui demandai, quel nom a été donné à ce projet.― Dat omno ti nagorih !― Pardon ?― Dat omno ti nagorih !― …―Tu es toujours là ?― Tu as bien dit : Dat omno ti nagorih ?― Mais oui. J'ai le projet devant moi et je te lis le titre encore une fois, si tu veux…― Non, non, j'ai compris et ça vient de ... ?― C'est une combinaison de plusieurs langues.― Oui, bien sûr, et ça veut dire : on est bien ensemble ?― Rien du tout ! Pourquoi dis-tu ça ? Ça veut dire : Je gagne toujours !

Le sourire

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Cerf-volant pour un poème

Il y a des gens qui portent le sourire sur leurs visages

longtemps après avoir dit quelque chose de gentil ou après avoir pensé à quelque chose d'agréable. Ils le promènent sur leurs visages, tout en négociant des prix sur un marché, ou bien en s'arrêtant au feu rouge derrière le volant de leurs voitures ou

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bien....Certains l'éteignent rapidement, avant même de lui donner sa forme définitive.Il m'arrive de garder le sourire sans le savoir, oubliant même ce qui a pu le poser sous ma moustache.― Monsieur, vous rigolez. Anne, regarde !Un garçon se mit devant moi, sur la petite allée dans le parc.― Ben, je..Sans attendre mes explications le garçon se retourna et se mit à courir vers Anne, près du toboggan à une quinzaine de mètres de nous. Le garçon d'environ neuf ans, sa sœur deux ou trois ans de moins, je crois. Elle tapa le sol avec son pied. ― Tu n'as pas dit : bonjour !  Il faut dire : bonjour, Thomas !Thomas s'arrêta, trébucha un peu, éclata de rire à cause de sa maladresse. Il leva sa main, y posa un baiser, sa bouche en rond il souffla vers moi. Il m’envoyait un bisou à la place d’un bonjour oublié. Ses bras accompagnèrent le bisou : vole, vole !  Je posai rapidement mon bouquin par terre. Redressé, j'observais attentivement le vol. Anne et Thomas, surpris, les yeux grands ouverts suivaient mes gestes. Pour intercepter le vol du bisou, je bondis, mon bras droit tendu. Ma main ouverte se referma. Je l'avais. Je le tenais. Doucement je posai ma main contre mon visage. Immobiles les enfants me regardaient : et maintenant ?À mon tour, je mis un baiser sur ma main et fis le geste de le lancer vers le garçon, comme on lance une balle. Je le vis plier ses genoux presque jusqu'à la terre. Il sauta, son bras en l'air. Un cri de joie. Il l’avait ! Il se donna une gifle, se précipitant de placer le bisou sur sa joue. Le garçon m’imita et fit comme moi, il lança un autre bisou vers moi. Pour prendre en vol son deuxième envoi

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je courus à gauche et avec les bouts de mes doigts je le touchai, il rebondit ... je tendis l’autre bras ...encore un effort, attention, un pas à droite et... ouf, je le tenais. Essoufflé, revenu à ma place je le mis sur mon nez. Thomas fit la même chose avec le mien.  À chaque fois je changeais.  Un lancement tel un joueur de football, depuis la touche. Le basketteur en suspension. Je rattrapais ses envois sur un cheval au galop, en nageant, sur une planche à voile. Anne nous encourageait.   ― Bien joué Thomas, bravo Monsieur ! Le garçon faisait les mêmes gestes, les mêmes figures que moi sauf...     C'était à moi d'envoyer le baiser. Il le suivait de son regard. À la place de le saisir il s'écarta d'un pas et le laissa continuer son vol vers Anne. Elle l'attendait et ne le prit pas dans sa main. Elle tourna sa tête légèrement et le laissa se poser tout seul sur sa joue. Elle mit le sien sur sa main. Il partit. Thomas s'écarta et l'accompagna, renforça  d'un souffle. Je fis quelques pas en avant. Mes mains ouvertes, l'une à côté de l'autre je le pris et le renfermai avec douceur. Comme un oiseau. Les enfants vinrent vers moi. Nos genoux par terre, nous fîmes un petit cercle ensemble autour de l'oiseau dans mes mains. Lentement je les ouvris. Un papillon jaune s'envola. Trois ou quatre le suivirent. Dix, trente, centaines. Les cheveux d'Anne et de Thomas bougeaient sous les battements de leurs ailes. Derrière des milliers de papillons jaunes, je vis les yeux émerveillés des enfants.

Un peu en retrait, un peu séparés des autres, trois derniers papillons tourbillonnaient autour de nous et partirent vers les fleurs. Thomas se tourna vers moi.

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― Monsieur, vous rigolez toujours. Anne, regarde !

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Cerf-volant pour un poème

Les châteaux de sable

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Cerf-volant pour un poème

De loin, déjà, je vis le garçon, d'hier. Il observait son village

dans le sable.

― Tu as quel âge ?J'aurais pu dire quelque chose d'autre. J'aurais pu lui dire, que je

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l'avais vu hier faire des châteaux de sable et que j'étais impressionné par les formes qu'il leur donnait. J'aurais pu dire que je savais qu'il avait entendu la voix de la femme qui répétait son nom, en l'appelant à chaque fois plus fort. J'aurai pu dire que je le cherchais sur la plage pour lui parler de ses sculptures.― J'ai neuf ans. Je suis en cm1. J'aime aller à l'école. La maîtresse est gentille.Oui, j'aurais dû dire quelque chose d'autre. Le garçon mit fin à l'interrogatoire qu'on lui imposait souvent. Il se mit à genoux. Comme je ne bougeais pas il leva la tête. Surpris, il sourit.― Hier, vous avez vu le domaine du Roy que j'ai fait, ici. Et je sais que vous aimez. Vous avez les yeux bleus et je sais voir dedans.Je m'assis sur le sable.― Vous savez faire des tableaux avec une mer et les vagues ?― Oui, j'en peins souvent. Il sait voir dans les yeux bleus. Il sait que je peins. Je souris. Le garçon me regarda. Les yeux bleus.― Un tableau avec une mer, avec des vagues et avec un bateau pour partir sur la mer. Pour de bon ! Vraiment !  Vous sentirez le vent sur votre visage.La voix de la femme. Elle appelait le garçon. Tiens, le même nom comme le mien. Hier, je ne l'entendais pas clairement.― Un jour, tu le feras ce tableau !Le garçon se leva.―Tu le sauras. Avant de prendre la mer, dans ton tableau, fais une île. Avec une plage, avec du sable. J'y serai, je t'attendrai sur la plage.

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La course

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Cerf-volant pour un poème

Deux fois par semaine, je sors dans les environs pour

courir. Le plus souvent, je laisse la voiture derrière l'église de 58

Saint Quentin le Vieux et je prends le chemin à travers le bois. Je marche pendant deux ou trois cent mètres et après, je commence à courir, lentement, au départ, pour accélérer de temps en temps. Une demi-heure plus tard, deux ou trois de ces accélérations passent en sprints soutenus pendant à peu près dix ou vingt secondes. Au moment même où j'ai voulu changer le rythme, quitter la cadence d'un marathon, plutôt lent, et partir plus vite, j'entendis des pas derrière moi, rapides et légers. Et puis, à la hauteur de ma taille à ma gauche, une tête apparaît en balançant ses mèches blondes. Devant elles tombent et rebondissent sur le front, et en arrière, elles fouettent les épaules d'un garçon en survêtement rouge. Il ne me dépasse pas. Il court à côté de moi. Il ne me regarde pas, ne dit rien. Il court. Moi non plus, je ne dis rien. Je cours à côté de lui. En silence. Je sens que le garçon s'attend à ce que je dise quelque chose, tu es venu avec qui, tu cours souvent par ici. Normalement je l'aurais fait, mais là, je ne sais pas par quelle soudaine envie de plaisanter un peu, je reste muet. Quelques minutes encore, nous gardons le même tempo sans se parler. Je vois ses mèches qui sautillent sur sa tête. ― Bonjour, dit le garçon.― Oh, bonjour !Sans dire rien de plus, j'accélère. Je rajoute de la vitesse mais très dosée, pas après pas, progressivement, Le garçon suit. Quand j'ai vu qu'il plafonnait, je gardais cette vitesse tout en observant, en cachette le petit sportif blond. Il ne peut plus. Alors je ralentis et je m'arrête complètement. Je fais quelques mouvements sur place. Le garçon est visiblement fâché. Il revient vers moi.― Vous avez ..... Vous avez pu, ..... Il est essoufflé. Vous avez

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pu con...continuer pour voir qui.....qui est plus... qui peut gagner.― Gagner ? Gagner quoi ? Je ne vois pas quoi....― Ah non ?― Ben, non !Il me regarde en attendant que sa respiration se calme. Je lui fais signe de venir et de marcher avec moi.― Écoute, oui, c'est vrai, j'ai lancé une petite attaque pendant que nous courrions mais ce n'était pas pour te vexer, je ne ....― Mais non, non, la course n'est pas terminée, elle va juste démarrer, maintenant, si vous le ... voulez.― Une autre fois, d'accord ? Parlons d'autre chose. Tu es venu avec ton papa ? Tu sais, je viens souvent ici et je ....― Alors vous savez que ce chemin bifurque et que les deux chemins sortent sur le champ et après ....J'ai compris qu'il ne lâcherait pas prise. Bien sûr que je connais les deux chemins. Et la clairière avec un dolmen plus loin. A une cinquantaine de mètres après les bois, c'est le plus grand et le plus beau dolmen de la région. Il me propose, donc, mon petit adversaire coriace, une ''compète''. Chacun prend son couloir, un des deux chemins, comme ils ont la même longueur, le gagnant sera celui qui arrivera et touchera le dolmen le premier. Je le regarde pour voir s'il est sérieux. Il l'est ! Je ne refuse pas. Au contraire, cette course me permettra de le laisse gagner ou d'organiser un match nul. Je souris et j'accepte. Il part à gauche. Je reste pour finalement rire sans le cacher. Et je pars en empruntant mon couloir. Le chemin de droite. Je cours à une vitesse estimée à peu près, égale à celle du garçon qui, donne, probablement tout ce qu'il peut pour arriver le premier. Et puis, le même diablotin, plaisantin, me murmure quelques mots. L'idée me plaît et je me mets à courir à fond, moi aussi. Notre plan, le

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plan du diablotin, plaisantin et de moi-même, est basé sur le fait que les deux chemins, les deux couloirs de la course sortent sur le champ, sur la clairière avec le dolmen et que c'est seulement, à ce moment, que le garçon peut me voir et peut se rendre compte de sa position, par apport à moi. C'est là, qu'il verra son adversaire. Et s'il ne le voit pas ? Alors, forcément, il croira que je suis derrière lui, toujours dans les bois. Voilà ! Le garçon sort des bois, ne me voit pas, il mène la course, croit-il, il est content, se précipite, court vers le dolmen et là, au moment où, il veut le toucher, tout souriant, je sors de derrière celui-ci, car, eh oui, je suis déjà arrivé et je m'y cachais.Je ne pensais pas donner une leçon, non, je n'y vois qu'une invitation à rigoler ensemble. Je cours à fond, j'applique la vitesse d'un demi-fond élevé, je sors des bois. Je vois le dolmen. je cours pour me mettre derrière. A deux, trois mètres devant, je me retourne, ce qui n'est, vraiment, pas nécessaire, le petit blond ne peut pas être visible, pas encore. Un garçon, de dix ou onze ans, doit être assez loin vu que je courrais à fond. Je me retourne, quand même, je ne le vois pas, et au moment où, je dirige mon regard, de nouveau vers le dolmen, avec le bras en avant, je l'ai vu ! Le garçon blond sort, de son cachot, le dolmen, riant à haute voix. Il était déjà là. Ce n'est pas possible mais je le vois sautillant.― J'ai gagné ! J'ai gagné !Ce n'est pas possible ! Non ! Un prodige, je veux bien. Un Mozart qui joue du piano à quatre ans, d'accord, mais il y a des limites. Un petit corps, un corps d'un garçon de son âge ne peut atteindre les vitesses comme un adulte entraîné. Non ! Et pourtant, il m'attendait, il était avant moi au pied du dolmen. Je m'assois. Je me relève, je fais le tour du dolmen. Personne. Je ne sais pas ce

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que je cherche mais je sais que je ne trouve rien.― Si vous n'êtes pas trop fatigué je vous propose une revanche.Je n'en crois pas mes oreilles ! Il est bien culotté, le petit. Mais pourquoi finalement ? Il a bien gagné notre course. Je ne sais pas comment, mais il l'a fait. Je le regarde pour voir s'il est sérieux. Il l'est. Et, de nouveau, j'accepte. Je veux trouver comment il a pu faire ça. Je pense de suite me lancer dans une course la plus rapide que je puisse, parcourir les deux voies, les deux couloirs, les deux chemins. Je pense arriver au point où, le chemin bifurque, et courir à la rencontre de mon petit adversaire et ainsi trouver la solution. Est-ce son père avec un vélo, une Ferrari, un hélicoptère qui l'y dépose, sinon comment ?..... Oui, je suis énervé, l'avoue.Je cours de toutes mes forces. J'ai encore une trentaine de mètres pour tourner et courir en contre-sens . Mais je ne m'y lancerai pas.Je vois les cheveux blonds. Le garçon est assis par terre et sourit. Je ne dis rien. Je parcours sa partie lentement. Je ne trouve rien, ni personne. Je reviens et je m'assois à côté de lui. Je ne dis rien.― C'est génétique, vous savez ! Deux de mes oncles et aussi une tante, côté maman avaient...Il ne va, tout de même, pas me sortir une théorie des talents génétiques en athlétisme, dans sa famille. Le talent, oui, mais un garçon ne peut pas J'ouvre la bouche pour l'interrompre mais ― On dit que c'est rare mais que c'est, vraiment génétique, que dans notre famille il y ait tant de cas de jumeaux...Le garçon sourit, pose sa main sur mon épaule, me montre avec l'autre, quelque chose. Je me tourne dans cette direction et je vois un garçon, blond, souriant, en survêtement rouge, d'à peu

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près dix ou onze ans. Il sort de derrière un arbre et se rapproche en montrant en direction de celui assis, près de moi. Au même moment, je les entends tous les deux !― Mon frère ...

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Kant et Karl

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Cerf-volant pour un poème Argos, viens ! Je descends le long du chemin pour traverser le petit champ à gauche du pont. Argos court à quelques mètres devant moi.J'entre dans le petit bois et cinq minutes plus tard, j'avance vers la rivière. Sur le petit banc en pierre trois canettes de bière. Vides bien sûr. Les gens les transportent jusqu'ici quand elles sont pleines et plus lourdes et puis, une fois, la bière bu, ils les

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laissent.Je les mets dans la page de publicité de mon journal et puis dans mon sac à dos pour les emporter d'ici. Il fait beau et très calme.La rivière est silencieuse. De temps en temps, un poisson remonte vers la surface et fait ainsi quelques petites vagues et un léger bruit agréable. Le chien renifle autour de nous, va voir un peu à gauche, un peu à droite et vient se coucher à côté du banc. Une voiture passe le pont et s'arrête mais je ne peux pas la voir. Quelques voix. Je lis mon journal. Personne ne vient vers la petite clairière, où je suis assis là, sur mon banc. Je prends quelques cailloux et je les lance dans la rivière, un par un. Chacun provoque la formation de vagues en forme de cercles concentrés autour de l'endroit, où il tombe dans l'eau. Ces cercles s'éloignent du centre. Les vagues partent du plouf et s'en vont, naviguent, ralentissent pour se perdre, pour se fondre dans le calme de la surface.― Carle !Une voix d'homme. Plouf. C'est étrange comme nous sommes toujours sérieux en exerçant ce jeu de cercles dans l'eau. Les vagues exécutent leurs danses géométriques. Plouf, plouf !! J'ai lancé deux cailloux en même temps mais à deux mètres l'un de l'autre. Les vague se rencontrent, se croisent et transforment leurs cercles de départ en nouvelles figures géométriques. J'avais quel âge quand j'ai lu « Esthétique » de Kant ?― Carle !La même voix d'homme. Plouf. Kant parle de ces petites vagues dans l'eau que nous créons en y lançant des cailloux. Il l'explique par un besoin humain d'influencer l'entourage, d’agir sur son environnement et d'observer les conséquences. C'est vrai que mon chien fut intéressé par le bruit du premier plouf et quand il a

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constaté que ce n'était pas un jeu, il perdit tout intérêt pour Kant, pour moi ainsi que pour nos cailloux. L'homme aime changer. Finalement ne pouvant compter sur sa force physique, il a fait des armes, ne pouvant résister au froid, il a fait les vêtements. La vitesse de sa course étant ridicule le voilà dans une voiture, dans un train. Et puis, par cette attitude de vouloir influencer, changer, agir sur tout, autour de lui, il a fait les pyramides, la Venus de Milo, la Joconde, les ponts, les maisons. Oui ! Mais aussi la guerre … Plouf.― Carl !J'entends la voix, de nouveau, mais aussi des pas derrière moi. Un garçon se rapproche de nous. Il donne un petit morceau de sa tartine à Argos et s'assoit près de moi sur le banc.― Bonjour.― Bonjour, c'est toi Carl ?― Oui, mais avec un K. Karl.Plouf. Le garçon regarde les vagues en cercles concentrés. Puis il me regarde-moi. Plouf. Il fait le même geste. Après avoir observé les vagues, il tourne sa tête et me regarde sans rien dire. Plouf. Encore. Et encore. A chaque fois, son regard quitte la surface de la rivière et se pose sur mon visage. Je cherche une adaptation de Kant pour lui expliquer le caillou, les vagues. Une explication adaptée à son âge de onze ou douze ans.― Tu te poses des questions ? Tu te demandes pourquoi je fais ça ?― Karl ! Karl !― On m'appelle. Je dois m'en aller.Le garçon touche la tête de mon chien, se lève et s'en va. A l'entrée des bois, il se retourne.― Non ! C'est votre visage, monsieur. Vous êtes très triste quand

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vous touchez la rivière avec vos cailloux. Les comptez-vous ? Avez-vous peur qu'un jour la rivière n'en voudra plus, n'en pourra plus d'être touchée et qu'elle ne reviendra pas ?

Il se retourne et je ne le vois plus. J'entends seulement ses pas s'éloigner. Je suis debout. J'ai encore un caillou. Je regarde la surface de l'eau. Le caillou glisse entre mes doigts et tombe par terre. Je regarde la rivière et me retourne.― Viens mon chien !

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Le jour, la nuit

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Le jardin sentait, déjà, le printemps. Les feuilles des lilas

avaient ce vert intense qui précède les bourgeons et la floraison.

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Je terminais ma ronde suivi de mes chiens. Je m'arrête à côté de deux bancs en pierre. C'est ici que je mets la table et les chaises du jardin et c’est là que je mets de l'éclairage solaire. La terre est douce et je plante les trois lampes très facilement. Elles peuvent être allumées ou éteintes par un claquement des mains, comme un applaudissement. J'essaie. Ça marche ! Claque ! Allumées ! Claque ! Éteintes ! Les chiens accourent. Ils sont contents de me voir souriant. Claque ! Allumées ! Claque ! Éteintes ! Et encore ! Claque ! Allumées ! Claque ! ―Super !Je reconnais la petite fille que je vois souvent passer avec sa mère ― Super ! Comment vous faites ?Je fais quelques pas vers elle, j'ouvre la porte. Sa mère parle avec ma voisine de l'autre côté de la ruelle. Elle me sourit, me fait signe, bonjour.― Bonjour madame, bonjour voisine !― Excusez- la ! On est curieux lorsqu'on a dix ans.― Viens voir ! Viens voir la magie !

La petite fille se retourne. Sa mère est d'accord. Elle me suit. Les chiens viennent la saluer et sautent autour d'elle.― Attention !Je claque avec mes mains. Claque ! Allumées ! Claque ! Éteintes !Elle est ravie, Elle essaie, elle fait une claque mais ses petites

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mains ne produisent pas le son assez fort pour allumer les lampes. Elle me regarde.― Ah, tu sais, ce n'est pas seulement claquer des mains. Il faut dire des mots magiques. Regarde !

Je fais semblant de me concentrer. Claque ! Allumées ! Claque ! Éteintes ! La petite fille sourit. Je crois qu'elle me prépare quelque chose. En effet, à la place de me demander les mots magiques elle rit.― Je connais des mots magiques, moi. Je sais allumer le jour.― Ah oui ?― Oui, oui, regardez-moi, écoutez !Elle écarte ses bras, tourne les paumes de ses mains l'une vers l'autre pour les claquer.― Attention ! Quand je claquerai des mains vous fermez les yeux. D'accord ? Attention ! Elle claque des mains. Je ferme les yeux.― Nuit ! dit-elle.Je pouffe de rire mais je garde mes yeux fermés. C'est, vraiment, magique. Et malin. Elle claque de nouveau. J'ouvre mes yeux.― Jour !Elle est contente. Je ris. Elle veut encore. Claque ! Je ferme les yeux.― Nuit !Claque ! Je les ouvre.― Jour !Claque ! Je ris. Je les ferme.― Nuit !Silence. Rien. J'attends les yeux fermés. Rien. J'attends.― Aurore !

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J'ouvre les yeux. Je la vois, ses mains prêtes. Elle les rapproche lentement. Ses mains se touchent. Ses lèvres bougent,  jour ! Sans voix. Elle est souriante, triomphante.― Aurore, viens, on s'en va !Sa mère me sourit. Aurore court vers elle. Pendant qu'elles s'éloignaient, je pouvais entendre la petite fille parler à sa mère. Sans doute, elle lui racontait comment elle m'avait eu, comment j'avais été surpris quand elle "avait allumé le jour". En effet, je l'étais vraiment ! Surpris et même ravi par sa magie, de synchroniser notre petit jeu avec la voix de sa mère qui l'appelait. Qui allait l'appeler. Un jeu ou vrai ?

La nuit tombée, je sentis une étrange inquiétude. Je ne sais pas l'expliquer, sauf que je sens la présence de cette inquiétude grandissante. Je décide d'aller dormir. Je me couche et le sommeil vient aussitôt. Je me réveille ! Il est minuit. Je me lève, je mets mon pantalon et ma veste.― Argos, viens !La nuit noire. Argos me suis quand je tourne à gauche, en quittant notre jardin. C'était la direction d'où la petite Aurore venait avec sa mère. Je me dirige vers le quartier avec des rues aux noms de fleurs, rue des roses, rue des lilas. Le chien me précède maintenant. Les maisons sont sans lumière. Les lampadaires aussi. Je fais confiance à mon chien et je le suis en écoutant ses pattes et sa respiration régulière. Les rues aux fleurs se terminent par un terrain vague, Nous le traversons pour entrer dans la rue Fosse aux Loups. La porte d’une maison s'ouvre. Argos se met à courir. Je vois une torche s'allumer, une main caresser le dos d'Argos. Une voix de femme. La voix de la mère d'Aurore.

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― Venez, venez par ici !Elle dirige la lumière de sa torche vers le petit chemin en briques. Je me rapproche et je la vois. Elle sourit.― Ne vous inquiétez pas, Aurore va bien. Elle dort.Je ne sais pas quoi dire. Comment expliquer ma présence en pleine nuit, ici, devant leur maison.― Oui, oui, bien sûr, excusez- nous ! Viens Argos, c'est tout-à-fait normal qu'elle dorme... puisque c'est la nuit.― Oui, monsieur, c'est normal, c'est la nuit, puisqu'elle dort.

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Freesbe

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La balle rebondit et retombée par terre entre deux bancs,

elle roula le long du petit chemin, poursuivie par mon chien. Lancé à toute vitesse, il l'attrapa, mais la balle lui glissa d'entre les dents et son geste pour la rattraper, la relança encore plus en avant.  Argos n'abandonne jamais et fonça derrière la balle dans la partie boisée du parc. Je ne les voyais plus. ― Cherche, cherche ta balle, vas-y Argos ! Penché en avant, mes mains posées sur mes genoux, j'attendais le retour de mon chien triomphant avec la balle dans sa bouche. Mais je vis la balle resurgir derrière un buisson et voler vers moi, suivie d’Argos qui courait après elle en aboyant, fou de joie.― Vas y, Argos, cherche la balle ! La voix d'un garçon que je vis apparaître entre les arbres. C’était, certainement lui qui avait relancé la balle. Il courait aussi. Argos saisit la balle, me l'apporta et partit en courant, à la rencontre du garçon. Il souriait en me disant : ― Il est très beau votre chien ! Il tenait un freesbe rouge. Il caressait le chien et lui montrait le freesbe. Argos le reniflait content en y voyant un nouveau jeu. Un petit vent se levait. Le garçon se tourna vers moi.― Argos est un joli nom. Argos, Argos ... J'ai connu un autre chien qui s'appelait ainsi et j'ai connu son maître aussi. Mes parents l'ont souvent rencontré, il y a longtemps .... Argos viens ! Le garçon avait environ neuf ans. Il était souriant et ses mouvements étaient très souples, fluides. Quand il courait à côté d'Argos, pendant qu'il envoyait son freesbe et quand il riait,

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regardant Argos qui bondissait en l'air pour l'attraper, j'avais l'impression que sa silhouette était floue, transparente. Ses gestes étaient doux, mais rapides et le freesbe volait loin. Il lui donnait des trajets étonnants. Tantôt le cercle rouge  partait vers l'autre bout du parc et tout d'un coup, il tourbillonnait, montait un peu pour piquer du nez à la seconde suivante. Ou bien, il volait lentement, si lentement qu'on avait l'impression qu'il planait sur place. En tout cas, Argos trouvait ce jeu formidable et s'en donnait à cœur joie. Le vent portait leurs cris et leurs rires le long de la rivière. ― Monsieur, allez, jouez avec nous !Le garçon me montra comment lancer et je fus surpris de voir le freesbe voler loin en dessinant une belle parabole dans l'air. Maintenant, nous étions deux à lancer et Argos le seul à l'apporter ce qui lui faisait très plaisir. J'étais pris au jeu et à chaque fois, je le lançais encore plus loin. Le garçon étouffait de rire.― Ah, je vois, vous voulez faire mieux que moi. D'accord j'accepte le défi. Chacun lance trois fois. Et le vol le plus long gagne ! Je ne comprenais pas pourquoi cette petite compétition le faisait autant rire, mais je riais aussi. Les deux premiers lancers de chacun de nous ne donnèrent pas un avantage important. Je pris le disque et après un élan de quatre pas, je l'envoyai très loin. J'étais sûr de gagner. Le garçon riait toujours, ce qui me plaisait, au moins il sera un bon perdant. Il laissa partir le freesbe, mais trop lentement. Il volait trop bas et il commençait à perdre de la vitesse à déjà une vingtaine de mètres de moins que le mien. Argos allait le prendre, quand le freesbe se mit à trembloter un peu, dressa son trajet, accéléra, se leva haut, fit un virage et en

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tourbillonnant se posa doucement plusieurs mètres plus loin. J'étais battu. Le garçon me regardait. ― Mais qu’est- ce qui s'est passé ? Ceci n'est pas possible ! ― J'ai eu un peu de chance ! Je n'en revenais pas. Argos rapporta le freesbe. Un coup de vent souleva quelques feuilles autour de nous. Le garçon dit :― Je crois que je dois rentrer chez moi ! Monsieur, vous avez bien joué. Venez, je vous donne un bisou !Je souris et je le pris dans mes bras. Il était si fin, léger, comme l'air. Ses lèvres sur ma joue comme une plume. Un deuxième coup de vent, plus fort encore.― Je m'en vais, mes parents peuvent s'inquiéter. Au revoir, Argos.....Argos !Il partit en courant. Il était déjà à la sortie du parc quand je lui criai:― Garçon, garçon, tu t'appelles comment ?Il répondit, mais il était trop loin. Je fis signe de ne pas comprendre. Il montra autour de lui, tourna le bras. J'en ai compris attendez ...... Le vent se leva, changea la direction et j'ai pu entendre : ― E ........ o ........ l ....... e …..

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La barque verte et blanche

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J'étais surpris de voir la belle barque verte et blanche sur les

galets de la petite plage de la Belle Assise. C'était la même qui était toujours attachée au ponton de l'autre côté de la digue.Deux garçons essayaient de la remettre dans l'eau.

― Monsieur, il faut nous aider. Mon frère et moi, nous avons fait une bêtise. Nous avons détaché la barque de notre père et s'il l'apprend, nous sommes perdus. Il nous punira sévèrement.J'ai compris que leur jeu avait mal tourné. Une fois détachée, la barque est, devenue incontrôlable et le courant les a fait échouer ici, sur la rive opposée, et les voilà maintenant, paniqués, sans savoir comment rentrer. Sans même pouvoir la bouger.― Quel âge as-tu ?― Dix ans.― Moi onze !Les frères me regardaient. J'étais leur seul espoir. J'observai la barque. Petite. Trop petite pour tous les trois. La rame avait l'air correct. Le fond de la barque était sec.― Bon, écoutez-moi. Je vous aiderai à ramener la petite barque à sa place. Ceci ne veut pas dire que vous vous en sortirez sans une critique que vous méritez, mais nous en parlerons une fois la rivière traversée et la barque attachée. Elle est petite, votre

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galère, alors je transporterai d'abord toi, disons, et puis ton frère !Ils ne disaient rien. Ils me regardaient sans réagir. Je me vis obligé d'expliquer le tout encore une fois. Mais ils l'ont compris dès le début. Un peu hésitant l'un des garçons regarda son frère, puis moi.

―Nous ne nous séparons jamais ! Nous devons rester ensemble !Il était, un peu, troublé en me parlant ainsi, mais je sentis que je devais chercher une autre solution. Rester ensemble était essentiel. J'essayai de leur expliquer pourquoi il était impossible de s'embarquer à trois. Rien à faire !― Nous ne nous séparons pas !― Bien, je vois que ce n'est pas facile de vous aider. Voilà comment nous allons faire. Poussez la barque avec moi ! Bien ! Allez, embarquez, tous les deux, restez assis !Je mis ma chemise et mes chaussures à côté de deux frères sagement assis dans la barque. La barque flottait sur la surface de l'eau légèrement froissée par un petit vent de l'est. Je la poussais devant moi, en marchant dans la rivière. Je sentis sa fraîcheur sur mes cuisses.― Restez comme ça, assis et ne bougez pas ! Je reste dans l'eau et ainsi nous traverserons ensemble. Je connais la rivière. Elle n'est pas profonde par ici. Au milieu, elle peut seulement me toucher, un peu le visage. A cet endroit, le courant est assez fort mais je serai protégé par la barque, et deux ou trois mètres plus loin c'est de nouveau calme et moins profond. Ne regardez pas la digue à votre droite. Elle fait un bruit qui fait peur mais n'y pensez pas.Je suis avec vous.

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L'eau montait le long de mon corps. Agréablement froide. Quand le courant du milieu se fit sentir je poussais la barque en avant et vers la gauche pour garder la ligne de la traversée droite. Les garçons, assis, calmes, se tenaient au bord de la barque et jetaient quand même un petit coup d'œil vers la digue.Tout d'un coup, au milieu du courant, je perdis le sol sous mes pieds. La tête dans l'eau, je ne le touchais plus. Le courant nous portait. Sans ce support pour mes jambes, en nageant, je ne contrôlais plus la direction. Je mis toute ma force dans une grande poussée des bras, et j'envoyais la barque vers la rive, devant nous. Les frères, toujours assis, avaient l'air effrayés en me voyant rester derrière la barque qui avançait toute seule, maintenant.― Ne bougez pas ! Vous y êtes presque ! Dès que la barque touche la rive, sautez sur la rive !Je criais fort en nageant derrière la barque. Un tourbillon me fit barrage et me poussa sous l'eau.  J'étais obligé de nager de toutes mes forces pour éviter le courant qui me portait vers la digue.Je vis les deux garçons debout et avant de pouvoir réagir, faire un signe, crier je les vis se jeter par-dessus le bord. Je fus retourné une fois vers la gauche, puis vers la droite. Je me battais contre le tourbillon, tout en essayant d'avancer vers les garçons que je ne voyais plus.Je sentis le sol sous mes pieds. Dressé dans l'eau, je vis des mouvements, je vis des bras, je vis deux têtes se balancer régulièrement vers le côté, pour prendre l'air. Les frères nageaient vers moi. Comme deux requins, comme des poissons !Ils traversèrent le tourbillon comme s’ils se trouvaient dans une piscine. Nous sortîmes tous les trois sur le bord de la rivière.

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Nous n'étions qu'à deux pas de la digue. Nous pouvions voir l'écume qui se formait dix mètres plus bas, sous la digue.

Assis, je les regardais. Ils me regardaient à travers leurs cheveux qui leur collaient sur le visage. J'étais mort de peur. J'étais fou de rage. J'étais hors de moi de bonheur à les voir près de moi.― Mais vous êtes fous, les frères ! Je vous ai dit : rester assis ! Quand la barque la touche sortez à la rive ! Et que font-ils? Vous sautez dans la rivière à l'endroit le plus dangereux. Heureusement, vous nagez comme des dauphins. Il fallait me le dire, quand même !

― Mais nous ne savions pas, Monsieur, nous n'avions jamais nagé.Je les regardais. Ils souriaient, innocents, sincères. Une longue pause.  Silence.  Les gouttes d'eau coulaient sur nos visages, dégoutées de nos nez.― Vous ne le saviez pas ?! Vous l'ignoriez ?! Et pourtant vous avez sauté ! Vous avez nagé vers moi. C'est fou !― Pourquoi ?― Mais parce que je sais nager, moi ! Je suis un bon nageur, moi !― Nous l'ignorions aussi, Monsieur.Les gouttes d'eau se détachaient toujours de nos nez.

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Étrange nuit

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Cerf-volant pour un poème

Cette nuit j'ai vécu quelque chose d'étrange. Réveillé entre

sa tombée et l'aurore, je suis sorti et je marchais. C'était la nuit. C'était son temps, mais ...Je n'ai rien remarqué en sortant de chez moi. Ce n'était que sur le sable de la plage et aux bruits des vagues de la mer que je me suis arrêté, surpris. Je voyais les oiseaux voler au-dessus de sa surface scintillante. Le sable était chaud sous mes pieds nus. Il faisait clair. Il était jour.― Qu'est-ce que c'est ?Un garçon me regardait, son doigt montrant la mer.― C'est la mer !― C'est comme beaucoup de rivières les unes à côté des autres.

Il marcha dans le sable assombri par les écumes que la mer versait sur la rive. Il pencha sa tête en écoutant.― On n'entend rien, dit-il.

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― Mais si, on entend les vagues et on entend les oiseaux au loin.― Non, je n'entends aucune chanson. Les chansons de nos naissances et d'autres chants que portent les rivières.Je ne savais pas répondre. Le garçon regarda au loin. Il montra  l'horizon.― Et si on allait vers là-bas ? Peut-être on retrouvera nos chants. ―Là-bas, au loin il y a des îles …― C'est ça, les îles sont les chants des rivières qui font la mer. Allons-y !― D'accord, mais dis-moi comment un petit garçon comme toi vient tout seul sur la plage ? Un garçon, c'est, aussi, un fils.Qui est ton père ? Comment t'appelles-tu ?― Je ne suis pas seul, je suis avec  toi. Et ton fils porte-t-il un nom ?― Oui, le jour où …― Allons-y ! Allons écouter les chants. Tu connais mon nom.

Nous sommes partis lentement. Nous devons avancer tout en douceur. Les chants sont très fragiles.  Comme le rêve.

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Dessiner en allemand

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Cerf-volant pour un poème

Chaque jour quelques collégiens passent par ma ruelle

pour aller à la classe ou bien en rentrant chez eux. En groupe de trois ou quatre. Souvent un garçon qui accompagne une fille. Les premiers amours, amourettes avec leurs sourires, leurs secrets. Le garçon en veste noire est toujours seul. Il marche lentement, s'arrête pour regarder à gauche, à droite. Il n'est jamais pressé de rejoindre son domicile. On se dit bonjour quand je suis dans la rue ou dans mon jardin. Presque à chaque fois, il me dit quelque chose, il pose une question, il lie la conversation. ― Vous avez des beaux chiens !― Oui, si tu veux tu peux jouer avec eux. Ils ne sont pas méchants, au contraire, ils sont très gentils.― Bien sûr, les épagneuls sont câlins, je les connais. Mon père est vétérinaire. Maman, elle est médecin.Une fois, je sortais les toiles vierges de ma voiture. Il voulait m'aider.

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― Vous préparez une exposition ? Vous devez être très occupé en ce moment. Je sais parce que quand ma mère a un concert à donner, elle travaille beaucoup. Elle est violoniste. Ses parents changeaient de vocations, de métiers en fonction de nos causettes. Tantôt le papa, il était militaire, sa mère travaillait pour une organisation humaniste, puis elle devenait vendeuse et le père s'occupait d'une équipe de foot comme entraîneur. Je ne donnais pas trop d'importance à ça. J'expliquais ses mensonges comme produits de son imagination. L'imagination d'un garçon, probablement, solitaire, comme je l'étais moi-même, aussi. J'inventais pleines de choses et pleines de situations rocambolesques, impossibles et incroyables mais moi, je finis par diriger mes mensonges, les mensonges de mon imagination vers mes dessins. Un jour Alexandre, le garçon en veste noire est passé alors que je discutais avec mon voisin, ancien Principal du collège. Nous étions intrigués par un livre d'histoire en allemand, une édition rare. Le lendemain Alex me dit :― Vous êtes allemand? Vous savez, j'ai plutôt de bonnes notes à l'école, mais l'allemand me pose de problèmes. Peut-être vous pouvez m'aider un peu ? ― Oui, pourquoi pas ? Non, je ne suis pas Allemand mais, je peux te donner quelques leçons si tu veux. On se mit d'accord; il allait me montrer ses devoirs de l'allemand, il en parlera avec ses parents, leur dire que je ne voulais pas d'argent, que c'était pour l'aider seulement. Il devait passer le lendemain pour préciser l'heure et jour pour nos leçons.. Mais il n'est pas venu. Je ne l'ai pas vu pendant quelques semaines. Et puis, un matin, je l'ai vu sortir d'une voiture devant le collège. Il s'est dirigé vers l'entrée et s'est perdu dans le courant des

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écoliers entrant dans la grande cour. Ses parents allaient partir. ― Bonjour, Je connais un peu, votre fils Alexandre.Et je leur dis que de ma part, il n'y aurait aucun problème pour l’aider, oui, pour l'allemand. ― Oh là, ce garçon, alors là, il n'arrête pas, je ne sais plus que faire !! Il est capable d'inventer n'importe quoi pour se faire remarquer !La femme fini par m'accuser indirectement d'avoir voulu gagner de l'argent. Je la regarde sans comprendre. Elle me tourna le dos, partit dans la voiture. Mal à l’aise, surpris je me tournai vers l'homme, resté avec moi. Il m'expliqua qu'Alexandre n'avait pas d'allemand comme matière. Il m'expliqua qu'Alexandre n'avait pas de parents. Enfant trouvé, il leur a été confié par un organisme social, mais moi, je n’écoutais plus attentivement.

Le jardin était assez grand. Je marchai vers la maison mes carnets de dessin sous le bras. La femme ouvrit la porte, me vit, disparut. Quelques enfants vinrent vers moi. Alexandre me vit, hésita, rougit et, finalement sortit suivant les autres. ― Asseyez-vous ! L'homme sorti du garage, me montra une des chaises près d'une table de jardin. Je la pris, d’un geste j’invitai les enfants venez. J'ouvris un carnet de dessins et le posai sur la table. Les enfants se rapprochèrent lentement. Alexandre, aussi fit un pas vers moi. ― Voilà, les petits, je suis venu vous parler un peu de dessin. Et, si vous le voulez bien vous apprendre à dessiner. Ceux qui pensent que ce n’est pas facile, ont raison mais ceux qui pensent qu’ils ne pourront pas apprendre se trompent. Tout le monde peut apprendre le dessin. Tout le monde! Il ne s'agit que de poser sur le papier l'image que vous voyez devant vous. Laisse

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votre main expliquer ce que vos yeux voient. Vous voulez qu’on essaie ? Ils étaient d’accord. ― Qui est le plus âgé parmi vous? ― Alexandre, Alexandre !Ils se tournent tous vers lui.― Alors, on va commencer avec toi Alexandre, viens. Tu vois ...Le carnet de dessins est fermé et on peut lire la marque du fabricant et en deuxième ligne : Zeichenblock .― C'est un carnet de dessin ... et, regarde, c'est marquer ici... Zeichenblock ! Zeichnen ... Ceci veut dire dessiner en allemand, ... tiens ... nous n’avons pas seulement une classe de dessin mais de l'allemand aussi...Il lève ses yeux vers moi. L’ombre d'une petite confusion. sur son visage fit emportée par un sourire.

― Oui ? ― Ja ! Il prit le crayon, l'essaya sur une feuille qu'il sortit et posa sur le bloque. ― Au faite, le dessin n'est que le prétexte pour préparer la place pour la couleur. Mon père le dit souvent et il s’y connait, il est critique d'art. Il a connu ma mère lors d’une de ses premières expos de sculpture … Les enfants se mirent à rigoler, sacré Alex. J'ai failli éclater de rire, moi aussi, mais un coup d'œil sur le dessin d'Alexandre m'arrêta net et suis resté le souffle coupé … son dessin était magnifique ...

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Cerf-volant pour un poème

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Depuis ruelle Mignonnette vers le Monde

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Imprimé en Pologne

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