cercle turgot - repenser la planete finance

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Repenser la plante Finance

ditions dOrganisation Groupe Eyrolles 61, bd Saint-Germain 75240 Paris cedex 05 www.editions-organisation.com www.editions-eyrolles.com

Les Echos Editions Groupe Les Echos 16, rue du Quatre-Septembre 75112 Paris cedex 02 www.lesechos-editions.fr

Le Code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressment la photocopie usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique sest gnralise notamment dans lenseignement provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilit mme pour les auteurs de crer des uvres nouvelles et de les faire diter correctement est aujourdhui menace. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intgralement ou partiellement le prsent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de lditeur ou du Centre franais dexploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

Groupe Eyrolles, 2009 Les Echos Editions, 2009 ISBN : 978-2-212-54340-7

LE CERCLE TURGOT Sous la direction de Jean-Louis Chambon

Repenser la plante FinanceR EGARDS CROISSSUR LA CRISE FINANCIRE

CERCLE TURGOTSige social : 37, quai de Grenelle 75015 PARIS Confrences : Maison de la Chasse et de la Nature, Htel de Gungaud 75003 PARIS PRSIDENT Jacques-Henri DAVID VICE-PRSIDENTS Nicolas BOUZOU, Patrick COMBES, Philippe DESSERTINE Centre de rexions et danalyses nancires, il a pour vocation dencourager les auteurs, de favoriser la recherche et la pdagogie, principalement en conomie nancire. Sont membres les laurats des vingt-deux ditions du prix Turgot, des reprsentants de lconomie, de la nance et de lentreprise et les membres dhonneur. Le Cercle Turgot relve de lAssociation des lves et anciens lves de lInstitut de haute nance, institut cr par le prsident Pompidou en 1972. Le Cercle prolonge lvnement annuel du prix Turgot du meilleur livre dconomie nancire, cr sous le haut patronage du ministre de lconomie et des Finances.

Membres dhonneurYsabel DE NAUROIS TURGOT, prsidente de la Socit des amis de Turgot. Jean CLUZEL de lInstitut. Xavier MUSCA, directeur gnral du Trsor et de la Politique conomique. Jean-Louis CHAMBON, fondateur du Cercle Turgot et prsident dhonneur. Pierre JARS, prsident dhonneur du prix Turgot.

Conseil dorientation Membres de droit Prsident et vice-prsidents du Cercle, prsident du prix Turgot. Michel BON, prsident du grand jury du prix Turgot. Philippe MARINI, rapporteur gnral de la commission des nances au Snat.Autres membres actifs Armand ANGELI, prsident de EOA. Raimondo ASCER, prsident de VIVEO. Daniel BACQUEROT, prsident de la DFCG. Frank BOURNOIS, DG du CIFFOP. Arnaud de BRESSON, DG de Paris Europlace. Daniel BURLIN, Past DG Technip. Herv de CARMOY, prsident dEtam. Laurent COHEN-TANUGI, avocat essayiste. Jean-Luc DECORNOY, prsident KPMG. Christian DUVILLET, DG de LCL. Bernard SAMBERT, prsident du Club des Vigilants.

Marc FOSSIER, directeur excutif chez FranceTlcom. Steve GENTILI, prsident du FFA et de la Bred. Pierre-Nol GIRAUD, professeur dconomie lcole des mines, prix Turgot 2001. Christian JULIENNE, prsident de lassociation Hritages et Progrs. Philippe JURGENSEN, prsident de lACAM. Alain LAURENT, philosophe. Jacques LENORMAND, DG dlgu du Crdit Agricole SA. Andr LVY-LANG, prix Turgot 2006. Mickal MANGOT, prix Turgot 2005. Bndicte MERLE, vice-prsidente de lassociation des lves de lIHFI. Franois MEUNIER, DGA de Coface. Me Yves-Marie MORAY, prsident du CED. William NAHUM, prsident de lAcadmie des sciences techniques comptables et nancires. Valrie OHANNESSIAN, DG du groupe Revue Banque. Pierre PARIENTE, DG de lIFG. Olivier PASTR, professeur Paris-VIII. Jean-Pierre PETIT, prix Turgot 2003. Jean-Jacques PLUCHART, Professeur Paris-I. Vincent REMAY, DGA de NYSE Euronext. Christian SAINT-TIENNE, prix Turgot 1994. Jean-Marc SYLVESTRE, journaliste. Daniel VITRY, professeur Paris-II. Christian WALTERS, actuaire et professeur lIEP de Paris. Daniel ZAJDENWEBER, prix Turgot 2000.

LES AUTEURS

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Les auteursARMAND ANGELI MBA de lInsead ; diplme dingnieur de lINSA Lyon et de lIllinois Institute of Technology de Chicago (tats-Unis). Cofondateur & vice-prsident, EOA France (European Outscourcing Association). Directeur du dveloppement externalisation, Grant Thornton. Cofondateur et le vice-prsident de lEuropean Outsourcing Association (EOA) France. Prsident du groupe international de la DFCG (Association des directeurs nanciers et du contrle gestion) ; Administrateur de la DFCG et membre de son bureau national ; Animateur du groupe de rexion CSPExternalisation de la DFCG. Membre du bureau EOA France. Confrencier. Chroniqueur spcialis.

PASCAL BLANQU Ancien lve de lcole normale suprieure (Ulm). Diplm de lIEP Paris. Docteur en sciences de gestion de ParisDauphine. Directeur de la gestion de crdit agricole asset management group. Chroniqueur-auteur : dont Thorie globale de lIntrt, du Cycle et de la Mmoire (Economica, 2009), Tractacus economico-philosophicus, Carnets montaires, Gnalogie de lconomique et Valeur et temps (Economica, 2008).

DANIEL BACQUEROT Diplm de luniversit Paris-IX Dauphine (matrise de gestion, option Finance-Fiscalit) et ancien lve de lIMD de Lausanne. Prsident national de la DFCG (Association des directeurs nanciers et des contrleurs de gestion) en juin 2008. Carrire au sein de groupes anglo-saxons (Unisys, GlaxoSmithKline, AstraZenecca, Otis, ISS et actuellement Brinks). Aprs diffrentes fonctions nancires (contrle de gestion industriel, reporting et plan, crdit management et services nanciers, acquisition et trsorerie, mise en place dun ERP et centre de services partags), il a rejoint le groupe ISS-France en 2000 au poste de directeur nancier, puis directeur gnral Finance et ensuite directeur international du dveloppement et des intgrations pour lEurope continentale. Depuis dcembre 2005, Daniel Bacquerot est directeur gnral adjoint Finance et Administration du groupe Brinks France. Prsident de la DFCG le-de-France depuis mars 2006.

MICHEL BON Diplm de lEssec, de lIEP Paris et ancien lve de lENA. Stanford Business School. Inspecteur des nances. Prsident ou directeur gnral successivement de plusieurs groupes du CAC 40. Prsident du conseil de surveillance de Devoteam et de la FNEGE et administrateur de socits. Prsident du grand jury du prix Turgot. Chroniqueur et auteur.

NICOLAS BOUZOU Prix spcial du jury Turgot, 2007. conomiste, directeur-fondateur dAsters. Il est directeur dtudes au sein du MBA de droit des affaires et de management de luniversit de Paris-II Assas. Auteur-chroniqueur. Intervenant rgulier sur plusieurs chanes de tlvision et de radios (BFM, LCI, RTL, France Tlvisions et Canalacadmie), Nombreuses confrences en France et ltranger. Auteur de plusieurs livres, dont le Petit Prcis dconomie applique lusage du citoyen pragmatique (Eyrolles, 2007, prix spcial du jury Turgot en 2008), et Krach nancier : ce qui va changer pour vous (Eyrolles, 2008).

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JEAN-PAUL BINOT HEC Lige. Directeur Europe continentale cabinet conseil Alsbridge.

6 REPENSER LA PLANTE FINANCEARNAUD DE BRESSON Diplm de lIEP Paris (1978). Titulaire dun DEA de sciences conomiques de luniversit Paris-I Panthon-Sorbonne (1978) et dune matrise de sciences conomiques, Paris-X (1977). Depuis 1993, dlgu gnral de Paris Europlace, association en charge de promouvoir et dvelopper la place nancire de Paris, fonde par la Caisse des dpts, la Banque de France, la CCIP, la Fdration des banques franaises, Euronext, la Rgion le-deFrance, la Ville de Paris, etc. Directeur gnral de linstitut Europlace de Finance (EIF) depuis 2004, et directeur gnral du ple de comptitivit Finance Innovation depuis janvier 2008. Administrateur de la socit foncire Afne, du comit France-Chine, de lIFA (Institut franais des administrateurs), membre de lICGN (International Corporate Governance Network), et administrateur de luniversit dvry. Membre du comit de rdaction de la Revue dconomie nancire (REF).

JACQUES-HENRI DAVID Diplm de lcole polytechnique, de lIEP Paris et de lEnsae. Prsident du Groupe Deutsche Bank France et vice-chairman de la division Global Banking de Deutsche Bank AG. Prsident du Cercle Turgot. Inspecteur des nances, Jacques-Henri David a t notamment chef du service dtudes et de recherche de la Banque de France, conseiller technique, directeur adjoint, puis directeur du cabinet de Ren Monory, ministre de lconomie et des Finances, avant doccuper de 1981 1984 les fonctions de secrtaire gnral du Conseil national du crdit la Banque de France. Il est entr en septembre 1984 la compagnie de Saint-Gobain dont il fut nomm directeur nancier en janvier 1985 et directeur gnral en juillet 1986. Il a t ensuite prsident de la banque Stern de 1989 1992 ; directeur gnral de la Compagnie gnrale des eaux (Vivendi) de janvier 1993 n 1995 ; prsident du CEPME, de Sofaris puis de la Banque du dveloppement des PMEBDPME, de janvier 1996 septembre 1999. Ancien membre du Conseil conomique et social, administrateur de plusieurs socits franaises et trangres. Commandeur de la Lgion dhonneur et commandeur de lOrdre national du mrite.

HERV DE CARMOY Prsident du conseil de surveillance dEtam. Past-directeur regional Europe - Chase Manhattan Bank. Professeur de stratgie internationale des entreprises lIEP de Paris. Auteur de LEuramrique (PUF, 2007) et de La Banque du XXIe sicle (Odile Jacob, 1995).

JEAN-LUC DECORNOY Prsident du directoire de KPMG SA premier cabinet franais daudit et dexpertise comptable et de conseil, membre de KPMG International. Expert-comptable et commissaire aux comptes, il est galement diplm de lEssec. Commissaire aux comptes de plusieurs grandes socits dans les secteurs de la distribution, des hautes technologies et de lnergie. Prsident du dpartement APE de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Membre du board mondial de KPMG International, dont il est galement prsident du comit daudit et membre de la Global

JEAN-LOUIS CHAMBON Diplm de lInstitut de haute nance (IHFI) et de lInstitut suprieur de la banque. Prsident du prix Turgot. Prsident de la Fdration nationale des cadres dirigeants. Prsident dhonneur et fondateur du Cercle Turgot. Past-directeur (Groupe Crdit Agricole). Chroniqueur dans diffrentes revues nancires. Chroniqueur conomique Canalacadmie ( linstitut de France).

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LES AUTEURS

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Executive Team, et membre du board et du comit stratgique de la rgion EMA de KPMG (Europe, Moyen-Orient, Afrique).

PHILIPPE DESSERTINE Agrg en sciences de gestion. Professeur duniversit la facult de Nanterre. Directeur du dpartement Finance et du Ceros. Directeur gnral de lInstitut de haute nance (IHFI). Auteur, chroniqueur, intervenant rgulier dans les mdias nationaux, radio, tl et Canalacadmie. Dernire parution : Ceci nest pas une crise : (Juste la n dun monde) (Anne Carrire, 2009).

ouvrages : Le Commerce des promesses. Petit Trait sur la nance moderne (Le Seuil, Prix Turgot 2001) et LIngalit du monde. conomie du monde contemporain (Gallimard, 1996, traduit en cinq langues).

ALAIN LAURENT Philosophe et essayiste, Alain Laurent dirige la collection La Bibliothque classique de la libert aux ditions des Belles Lettres. Dernier ouvrage paru : La Socit ouverte et ses nouveaux ennemis (Les Belles Lettres, 2008).

VIVIEN LVY-GARBOUA Diplm de lcole polytechnique et de lcole des Mines et titulaire dun PHD en conomie luniversit dHarvard. Thoricien et praticien de la monnaie et de la banque, il est membre du Comex de BNPParibas. Auteur et chroniqueur, dont Macro-conomie contemporaine (avec Bruno Weymuller, Economica, 2e d., 1995), Macro-psychanalyse : lconomie de linconscient (avec Grard Maarek, PUF, 2007).

BERNARD SAMBERT Diplm de lcole polytechnique. Ancien conseiller du prsident Georges Pompidou. Conseiller aux affaires industrielles llyse de 1969 1974. Grand banquier daffaires. Membre du collge de la COB. Coprsident de Bollor et des conseils de surveillance de Lagardre Groupe Arjil, etc. Ancien prsident de linstitut Pasteur. Prsident de la fondation franaise de la recherche sur lpilepsie et de la fdration pour la recherche sur le cerveau. Prsident de lassociation Club des vigilants. Auteur, chroniqueur dont La Guerre conomique mondiale (Olivier Orban, 1991). Groupe Eyrolles Les Echos Editions

ANDR LVY-LANG Prix Turgot 2006. Ancien lve de lcole polytechnique (1956) et docteur (Ph.D. in Business Administration, 1966) de luniversit de Stanford, Andr Lvy-Lang a dbut comme physicien au Commissariat lnergie atomique en 1960. De 1962 1974, dans le groupe Schlumberger, il a occup diffrentes fonctions techniques et de direction, en France et aux tats-Unis. Past-prsident du groupe Paribas. Professeur associ mrite Dauphine. Prsident du conseil de surveillance des chos, de la Fondation du risque et de linstitut Louis-Bachelier, administrateur de Dexia, de Scor, membre du conseil de surveillance de Paris-Orlans, vice-prsident de linstitut Europlace de Finance, membre du conseil de lInstitut des hautes tudes scientiques, de lAmerican Hospital in Paris, de lInstitut franais des relations internationales et de la Fondation Pierre-Gilles de Gennes.

STEVE GENTILI Prsident de la BRED. Prsident du Forum francophone des affaires (FFA).

PIERRE-NOL GIRAUD Prix Turgot 2001. Ingnieur gnral des Mines. Professeur dconomie Mines ParisTech. Il y a fond en 1978 et dirig jusquen 2003 le Cerna, centre de recherche en conomie industrielle. Enseigne galement luniversit de Paris-Dauphine. Membre fondateur de lAcadmie des technologies. Principaux

8 REPENSER LA PLANTE FINANCEGRARD MAAREK Diplm de lcole polytechnique et de lENSAE. Consultant indpendant. Past-secrtaire gnral de lInsee. Auteur, chroniqueur dont Macro-conomie et gestion dactifs (Economica, 2003). Auteur, chroniqueur dont Le Roman vrai de la crise nancire (avec Jean-Marc Sylvestre, Perrin, 2008). Producteur de lmission Lconomie en question sur France-Culture. Intervenant rgulier dans les mdias nationaux (radio, tlvision et Canalacadmie).

MICKAL MANGOT Prix Turgot 2005. Chercheur lEssec Singapour et consultant en nance comportementale.

JEAN-PIERRE PETIT Prix Turgot 2003 et prix spcial du jury 2005 (premier doubl du prix Turgot). Diplm de lIEP Paris et titulaire dune matrise en droit et dun DEA dconomie internationale. Directeur de la recherche conomique et de la stratgie dExane-BNP-Paribas, la premire socit de Bourse franaise pour clientle institutionnelle. Adjoint au directeur des tudes conomiques de la BNP (et, ce titre, membre du comit de pilotage sur leuro de la BNP), adjoint de direction la Banque de France et consultant pour le Fonds montaire international (1986-1994). Auteur de plusieurs ouvrages, La Finance, autrement (en collaboration, Dalloz, 2005), La Bourse, rupture et renouveau (Odile Jacob, 2003), conomie internationale : la place des banques (Dunod 1999), Les Privatisations (en collaboration, Montchrestien, 1998), changes et nance internationale, les enjeux et changes et nance internationale, les acteurs (revue Banque diteur, 1997), conomie contemporaine (ditions du CFPP, 1989). Meilleur conomiste de march de 2002 2007, Jean-Pierre Petit a t lu lors des grands prix de lanalyse nancire organiss par Extel-Age en France avec un vote par plus de sept cents investisseurs institutionnels. Chroniqueur LExpansion, Investir, lAGEFI (suisse), lAGEFI hebdo (France) et la revue Banque Magazine. Intervenant rgulier BFM, BFM TV, LCI, TV5, Radio-Classique, Bloomberg TV, etc.

PHILIPPE MARINI Ancien lve de lENA. Inspecteur des Finances. Snateur. Rapporteur gnral de la commission des nances au Snat.

FRANOIS MEUNIER Diplm de lEnsae. conomiste. Directeur gnral adjoint Coface. Past-prsident de la DFCG. Membre du conseil dorientation du Cercle Turgot. Auteur, chroniqueur.

WILLIAM NAHUM Prsident et fondateur de lAcadmie des sciences techniques comptables et nancires. Mdiateur dlgu du crdit charg des rseaux socio-professionnels. Past-prsident du Conseil suprieur de lordre des experts-comptables. Expert-comptable. Commissaire aux comptes. Vice-prsident de la FNCD. Membre dhonneur du Prix Turgot.

OLIVIER PASTR Professeur lUniversit de Paris-VIII. Prsident dIM Bank (Tunis). Conseiller scientique de la Revue dconomie nancire. Membre du conseil scientique de lautorit des marchs nanciers. Administrateur de plusieurs banques.

JEAN-JACQUES PLUCHART Prix spcial du jury Turgot 2000. Docteur dtat conomie, HDR gestion, IEP Paris, Institut de haute nance. Professeur des universits (Paris-I PanthonSorbonne).

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LES AUTEURS

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Ex-ingnieur nancier (groupe Total) pastprsident de lOmnium europen. Vice-prsident de lassociation AEEIHFI. Auteur ou co-auteur de quinze ouvrages (dont LIngnierie de projet cratrice de valeur, ditions dOrganisation, 2001, prix spcial Turgot) et de trente-cinq articles scientiques. Membre du comit scientique de la DFCG et du cercle Turgot.

(Bruno Leprince diteur/CGM, 2003) et Lacit : la croix et la bannire (avec Alain Simon, Bruno Leprince diteur, 2005).

FRANOIS-XAVIER SIMON Diplm de lESC Rouen et titulaire du DECS. Directeur la Cegos. Conseil et formation dans les domaines de la stratgie, de la nance et de la gestion. Auteur ou co-auteur de douze ouvrages, et de nombreux articles, cahiers techniques ou dossiers. Membre du comex. Vice-prsident du comit scientique de la DFCG. Membre du comit de rdaction de la revue changes, membre du comit dorientation de lAcadmie des sciences et techniques comptables, prsident du comit de lecture du prix Turgot

VINCENT REMAY Diplm dAudencia. MBA de luniversit de lOhio. Deputy Senior Advisor NYSE Euronext en charge du dveloppement produits et des relations de place. Conseiller du prsident du dveloppement produits. Membre du conseil dorientation du Cercle Turgot.

JEAN-MICHEL REYNAUD Cadre la Banque de France. Prsident de la section des Finances du Conseil Economique et Social. Prsident dlgu de lIcosi, Institut de Coopration Sociale Internationale. Confrencier spcialis en intelligence conomique. Chevalier dans lOrdre National de la Lgion dHonneur et dans lOrdre National du Mrite. Auteur de : Chroniques dun Citoyen Ordinaire (Bruno Leprince diteur, 1997), Rpublique et franc-maonnerie (Bruno Leprince diteur, 2002), La lacit, centre de lunion Groupe Eyrolles Les Echos Editions

CHRISTIAN WALTER Actuaire agrg de lInstitut des actuaires. Fondation Maison des sciences de lhomme. Professeur associ lInstitut politique de Paris. Auteur, chroniqueur dont Critique de la valeur fondamentale (avec ric Brian, Springer, 2008).

DANIEL ZAJDENWEBER Prix Turgot 2000. Professeur merite luniversit Paris-OuestNanterre-La Dfense. Membre du Ceros. Auteur, chroniqueur.

En hommage des auteurs Anne-Robert-Jacques TURGOT, baron de lAulne, conomiste, administrateur et homme dtat, pour qui libralisme et laisser-faire ntaient en rien synonymes de laisser tout faire .

SommairePrfaceExorciser le pch dorgueil Philippe Marini...........................

15

IntroductionLinlassable travail dadaptation lre du temps Michel Bon....................................

17

P ARTIE 1 R EGARDS

DES

AUTRES SCIENCES

Pascal Blanqu Alain Laurent

Regard de la philosophieLa dvastation et lattente Libralisme et laisser-faire , la leon de Turgot...........................

23 33

................................

Regard de la psychanalyse et de la psychologieMacropsychanalyse de la crise financire La crise vue par la finance comportementale Vivien Lvy-Garboua et Grard Maarek .................... 39 Mickal Mangot........................

53

Regard de lhistoireDune crise lautre : 13 mai 1931/15 septembre 2008 Groupe Eyrolles Les Echos Editions

Daniel Zajdenweber Pierre-Nol Giraud

...............

63 73

Les crises de la finance globale de march : imprvisibles, ncessaires, inquitables

..................

Regard des mathmatiquesLe virus brownien et la droute des professionnels en finance Christian Walter........................

89

P ARTIE 2 R EGARDS

DE L ENTREPRISE

Regard de chefs dentrepriseConsquences gopolitiques : les relations entre lIran et les tats-Unis Herv de Carmoy..................

105

14 REPENSER LA PLANTE FINANCELa crise financire et le tissu industriel franais : rebonds ? Les rponses de lexternalisation Une nouvelle page pour la francophonie conomique ?

Bernard sambert .................. 111 Armand Angeli et Jean-Paul Binot ................... 121 Steve Gentili..............................

129

Regard de dirigeantsVers un capitalisme thique ? Dontologie financire ou la gnration perdue de la finance Le mtier de dirigeant en question Crise et communication financire : de lexcs de linformation Lintelligence conomique dans le contexte de la crise Jean-Jacques Pluchart et Franois-Xavier Simon ... 135 Daniel Bacquerot ................. 145 Jean-Louis Chambon ............ 155 William Nahum......................

171 179

Jean-Michel Reynaud

..........

P ARTIE 3 R EGARDS Analyses

DE L CONOMIE FINANCIRE

Faut-il reconstruire le capitalisme ? Risques anciens, risques nouveaux Rgulation bancaire : la discipline de march est-elle une illusion ? Bulle immobilire = destruction de valeur

Nicolas Bouzou ...................... 193 Andr Lvy-Lang ..................... 201 Franois Meunier ................... 207 Jean-Pierre Petit ....................... 225

lments de rponses Groupe Eyrolles Les Echos Editions

Reconstruire la gouvernance financire mondiale De la ncessit de lvolution des normes comptables Crise financire : quelles pistes de solutions ? Quelle nouvelle stratgie pour la place de Paris ? LEurope et la crise

Olivier Pastr

............................

231

Jean-Luc Decornoy ................. 237 Arnaud de Bresson et Vincent Remay ................... 251 Philippe Dessertine ................ 263

ConclusionNayez pas peur Jacques-Henri David............

279

Index ........................................................................................................................................................................... 283

Prface

Exorciser le pch dorgueilPHILIPPE MARINI

Depuis de nombreuses annes, je rapporte devant le Snat les textes les plus divers en matire de lgislation nancire, touchant lorganisation des marchs, celle du secteur des banques et des compagnies dassurances, lpargne et linformation du public. Or, ds la n des annes 1980, les rgles du jeu prvalant dans ces domaines ont littralement explos. Bien des concepts auxquels nous avons t forms ont t battus en brche par la globalisation, et emports par une vague dorigine anglo-saxonne devant laquelle aucun barrage ntait raliste Mme lesprit critique ne pouvait plus sexprimer ! Cest ainsi que les principes de valorisation des actifs nanciers dans les bilans, le mode de transmission des risques entre les professions rglementes et le march, les mthodes de cotation des valeurs ont t rvolutionns, la satisfaction des professionnels et dans lindiffrence et lincomptence gnrales des assembles politiques et des opinions publiques Jai, par exemple, le souvenir davoir timidement voqu en 2003, lors de la discussion de la loi dite de scurit nancire , les procdures et la documentation utilises par les agences de notation et les conits dintrt auxquels elles peuvent tre exposes. Il mavait t rpondu par lexcellent ministre de ce moment-l quil ne sagissait que de rapports contractuels, et quil fallait laisser les clients de ces agences dnir leurs besoins et leurs attentes. Nul pourtant ne pouvait alors ignorer le rle vital de nud dinformations jou par ces prestataires de services, hors de tout systme de rgulation et de contrle externe. Lors de la transposition de la directive communautaire sur les marchs dinstruments nanciers, je me suis efforc dencadrer par quelques principes labandon, au prot des banques dinvestissement, de la notion de concentration des ordres de Bourse sur

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16 REPENSER LA PLANTE FINANCE

un march rglement. Je me suis par ailleurs attach signaler le caractre consanguin des groupes dexperts chargs aussi bien de rednir les normes comptables que de veiller la standardisation de certaines oprations nancires. Le plus souvent, jai eu le sentiment dtre vox clamans in deserto Et voici que la crise venue, ces sujets se placent au centre des grands enjeux politiques internationaux. Le dcrochage des Bourses, le marasme immobilier, la remise en cause dun modle dont le dveloppement apparaissait sans limite, tous ces vnements clairent dune lumire crue nos contradictions, nos conformismes, nos lchets. En dautres termes, les hommes dtat, les conomistes, les nanciers daujourdhui nont dautre choix que de se projeter dans un monde nouveau, tout en grant les consquences douloureuses de la rduction dactivit ou de la rcession. Cest une chance et un pril tout la fois. La chance, tout dabord, dlaborer des ides, des mthodes, des rgles du jeu qui vaudront sans doute pour une gnration au moins. Le pril de ne pas savoir communiquer avec une opinion publique trop habitue aux protections multiples de nos socits dveloppes. Dans de telles priodes, la recherche des boucs missaires nest jamais trs loin, et chacun sait quels dbordements elle peut conduire. la veille dune anne 2009 qui sera celle de tous les prils, je suis particulirement heureux douvrir cet ouvrage collectif, qui, sous le patronage de Turgot, est une vraie rexion pluraliste sur les enjeux majeurs de lconomie nancire daujourdhui. La crise redistribue les fortunes et le pouvoir. Les membres du Cercle Turgot, par ces regards croiss, en appellent la libert desprit et la critique. Nul parmi nous na de certitude, lexception de deux convictions. En premier lieu, le juste quilibre entre, dune part, la capacit dinnovation et le dynamisme des marchs et, dautre part, leur rgulation, au nom de lintrt gnral, est bien lenjeu essentiel sur lequel nos tats et leurs dirigeants seront jugs par lavenir Ensuite, lconomie de march doit retrouver sa vocation, qui est prcisment dassurer le nancement optimal des activits conomiques : si les arbres ne montent pas jusquau ciel, la technique nancire ne saurait davantage se substituer lconomie relle. Jexprimerai enn le souhait que ces rexions contribuent exorciser le pch dorgueil qui me parat avoir t le ferment universel de la crise.

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Introduction

Linlassable travail dadaptation lre du tempsMICHEL BON

De toutes les caractristiques de la crise que nous traversons aujourdhui, la plus tonnante peut-tre est la perplexit de ses acteurs. Ah ! quelles semblaient belles et simples, vues de 2009, les crises prcdentes ; chacun alors y allait de son explication sur les tenants et les aboutissants. On croyait qui lon voulait, mais du moins lon pensait savoir o lon allait. Rien de tel, cette fois. Comment ? Combien ? Jusquo ? On ne sait pas ! Cette pnombre de lintelligence de notre monde nest bien sr pas favorable laction : la peur alimente la paralysie, celle-ci creuse la crise qui son tour augmente la peur. Cest ce cercle quil faut briser, et cest prcisment lambition de ce livre : demander quelques-uns de nos meilleurs esprits dutiliser les outils de leur discipline, histoire, philosophie, mathmatiques, conomie et mme psychanalyse et nous donner assez de lumire sur ce qui est en train de se passer pour nous sortir de la nuit. Groupe Eyrolles Les Echos Editions

Chacun trouvera donc ici de quoi alimenter son intelligence de la situation prsente, en y prenant, selon sa forme de pense un peu plus ici, un peu moins l : cest la force des ouvrages collectifs que de mieux permettre la cueillette des ides. Mais ce livre a une ambition plus grande encore : prparer laprs-crise. Parce que si le dsarroi prvaut sur lanalyse de ce qui va se passer, ce sont les tnbres qui rgnent sur le paysage que nous prpare cette crise. Il y a ceux qui prdisent quelle va tout changer, et que plus rien ne sera comme avant. Et il y a ceux qui, au contraire, tablent sur la nature humaine pour annoncer que le soulagement de la reprise effacera vite toute ambition de rforme, jusqu la crise suivante. Sans doute la vrit est-elle entre les

18 REPENSER LA PLANTE FINANCE

deux, mais o ? Autrement dit, si la volont de rforme est bien l aujourdhui, mais que lon peut craindre quelle ne dure gure, sur quoi faut-il mettre laccent ? Chacun des chapitres est, de ce point de vue, trs stimulant. Ainsi sur linvasion de la nance par les mathmatiques. Na-t-elle pas, sous lillusion dune vrit scientique, couronn par plusieurs prix Nobel donn naissance une martingale qui a transform nos marchs en vastes casinos ? Ds lors que lon se convainc quaucune formule, si savante soitelle, ncarte le risque, beaucoup de pistes souvrent pour permettre linvestisseur un arbitrage propre entre risque et rendement. Ainsi sur lorganisation des marchs et de leurs contrles. Ont-ils pris toute la mesure du monde auquel ils sappliquent : des millions de personnes capables dagir instantanment, sur la base des mmes informations, vraies ou fausses ; des oprateurs limage de lhomme daujourdhui, faonn par la culture des jeux et des sries tlvises, domins par lmotion plus que la rationalit, limmdiat plutt que le durable, limpunit du risque dans une socit qui fait tout pour lliminer ? Ainsi sur le rle des dirigeants, ceux de tout en haut et ceux au contact des units de terrain. Lorsque le monde devient bien difcile dcrypter, leur rle se transforme. Lorsque le gnral de larme en droute quitte le terrain dans un train blind confortable, davantage quun scandale, cest la lgitimit mme de la hirarchie et de lentreprise comme outil social efcace qui vacille. Je suis trop jeune pour avoir connu la crise de 1929 et, lorsque survint le choc ptrolier de 1973, je navais pas assez de responsabilits ou de risques pour men inquiter vraiment. Pourtant, la crise actuelle a pour moi un air de dj-vu, car jai vcu, de trs prs, la bulle Internet et son clatement, les espoirs et les ravages quelle produisit dans le secteur des communications. Jy ai vu luvre les mmes leviers quaujourdhui : crdulit gnralise, occultation des risques, ination des bilans, rglementations dvoyes. Jy ai vu les mmes accuss : patrons perdant le sens commun, agences de notation agissant trop tard et trop fort, spculateurs la manuvre. Mais, comme lun de nos auteurs le montre, mon exprience est loin dtre isole. En vrit, toutes les crises, depuis la crise des tulipes aux Pays-Bas, ont la mme origine : des oprateurs qui achtent non pas pour eux, mais pour revendre, et qui le font crdit.

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INTRODUCTION

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Ny a-t-il donc rien faire, puisque les mmes maux semblent se manifester chaque crise ? La vrit, que chacun pressent sans forcment se lavouer, cest que le mal quil faudrait combattre est au cur de lhomme. Sa crdulit, son comportement moutonnier, sa cupidit. En un mot, quand on voit stablir grande chelle des mouvements qui reposent la fois sur la crdulit, le panurgisme et la cupidit, la crise nest pas loin. Mais pourtant, de crise en crise, notre humanit progresse, comme le montre lHistoire. Voyons donc dans cette crise, comme dans les prcdentes, un rappel sans doute pnible, mais utile, combattre nos dmons, et ne jamais ngliger linlassable travail dadaptation lair du temps.

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Partie 1

REGARDS DES AUTRES SCIENCES

Regard de la philosophie

La dvastation et lattentePASCAL BLANQU

Les mots de Martin Heidegger retenus en titre rappellent que l o crot ce qui menace crot aussi ce qui sauve. Au cur de la crise se trouvent les questions du rgime macro-nancier, de lination et de la monnaie, enn de lconomique lui-mme.

LE RGIMELe rgime de croissance nest plus celui des annes 1970-1980. Ce dernier a t marqu pour lessentiel par lendettement public et sa montisation, une part trs leve des salaires dans la valeur ajoute et lination du prix des biens et services. Le rgime qui sest install dans les annes 1990, et dabord aux tats-Unis, est caractris par lendettement priv, une part leve en tendance des prots dans la valeur ajoute et des formes diverses dination nancire qui accroissent la sensibilit du cycle conomique la trajectoire des actifs nanciers, et placent les autorits montaires devant de nouveaux ds. Le risque de ce rgime est linstabilit nancire et, in ne, la dation, quand clatent ici ou l les bulles quil nourrit. Lination classique a disparu mais de nouvelles formes dination sont apparues, qui expriment une prfrence collective pour une certaine stabilit des prix. Cette prfrence sera peut-tre remise en question lorsque son cot ne sera plus tolr par le corps social. Ce rgime de croissance sinsre plus largement dans un contexte conomique et nancier globalis assis sur un dsquilibre fondamental de lconomie amricaine et, partant, mondiale. Jamais la ponction exerce par une conomie amricaine dbitrice nette structurelle sur lpargne mondiale na t aussi prononce. la fois moteur de lconomie mondiale et incubateur

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de ses fragilits, le dcit de la balance des paiements courants amricains reste au cur de la dynamique du risque et des opportunits globales. Un axe tats-Unis/Asie, que structurent le statut et le rle du dollar, gouverne son mode de nancement. La Chine y tient une place croissante. Le rgime de croissance actuel et larchitecture du systme conomique et nancier mondial ont leur cohrence. Traverss de tensions et de dsquilibres, la question de leur soutenabilit est centrale. Les cycles de reprise globale ont tendance raccourcir quand perdurent de nombreux dsquilibres. Lorsque dbute le nouveau sicle, le village global est surplomb par des stocks dette ou surcapacits, des bulles et un dcit extrieur amricain au statut paradoxal, moteur de la croissance mondiale et incubateur de ses fragilits. Ces dernires nourrissent, de temps autre, des fractures relles et/ou nancires, que colmatent les interventions du prteur en dernier ressort, au risque de ne pas les traiter au fond, tout en entretenant un moral hazard problmatique. bien des gards, lide que les rcessions font partie du cycle et sont des moments ncessaires de purge, est devenue insupportable aux socits contemporaines. Injection de liquidit aprs injection de liquidit, le village global a avanc sur des fragilits qui sadditionnaient. Crise aprs crise, les marges daction se sont amenuises. Les abcs nont pas tous t crevs, du temps a t gagn et de lhuile jete sur de prochains feux. Dans ce rgime, des rpits, rmissions ou sursauts sont obtenus qui, par leurs propres effets (remonte des taux dintrt entre autres), peuvent produire des rechutes de plus en plus rapides. La voie qui mne ventuellement lconomie mondiale la dation passe, dans ce type de rgime macro-nancier, par une srie de brves embellies. Chercher lutter contre la rcession par une relance du crdit dans une phase de dgonement dune bulle dendettement ne fait sans doute que jeter de lhuile sur un prochain feu. Tant que la purge na pas eu lieu, les tentatives de prolongement du cycle par une nouvelle expansion montaire peuvent faire gagner du temps et obtenir des sursauts, mais ne changent pas la n de la partie. Aux excs de la sphre des entreprises la n des annes 1990 (dette, actions, investissement) font cho sans surprendre ceux de la sphre des mnages quelques annes plus tard (dette, immobilier, consommation), le taux dintrt ayant assur la transmission dune bulle une autre dans une liation quasiment ncessaire. En matire montaire, on a les consquences (Rueff).

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Comme on craque une allumette sur du bois sec, la dcennie coule a vu une dissmination croissante du risque en forme dvacuation au-del de la ligne Maginot bancaire et dans lconomie. La titrisation des crances peut, dune certaine faon, sanalyser comme une transformation dun risque de nature systmique en risque macro-conomique. Le trou noir incontrl des produits drivs de crdit, dans un concert de satisfecit prmaturs, inquitait. Lapport de nouvelles techniques et instruments nanciers au fonctionnement des marchs est peu discutable. Ce qui lest, cest la nature du risque cr et les moyens de lencadrer. Le transfert du risque, port habituellement par les banques, vers de nombreux acteurs (entreprises, assureurs, OPCVM), casse le lien entre crdit et risque (lacte de crdit traverse le bilan) une perversion intellectuelle, une source dala moral et une dsincitation pour le prteur comme pour le rcipiendaire se soucier danalyser le risque , multiplie les points de vulnrabilit aux chocs, ne dit pas qui porte le mistigri in ne ni o se trouvent les points de concentration, enn ne prmunit pas les banques deffets de boomerang. La titrisation est moins inquitante en tant que telle que la qualit des actifs sous-jacents quelle concerne. Les drivs de crdit sont moins inquitants en tant que tels que la faon dont ils peuvent tre mis en uvre dans des oprations effet de levier et comportant une qualit mdiocre dactif. Multiplicateur de crdit dans le boom, acclrateur de ventes de dtresse dans le bust (liquidation de portefeuilles dactions ou dobligations pour compenser le cot du risque), ce segment nancier soidisant stabilisateur et liquide sa liquidit peut svaporer en un instant larmature juridique complexe, ressemble certains gards plus la queue de comte dune bulle de crdit quau dbut dune nouvelle re. Comme la mis en avant lanalyse autrichienne, la rcession est en quelque sorte fatale : tant que la purge et la restructuration associe nont pas eu lieu (la rcession), les tentatives de prolongement du cycle par une nouvelle expansion montaire ne changeront pas la n de la partie : lajustement est incontournable et sera dautant plus brutal que le traitement des dsquilibres aura t report. Il faut mditer le message autrichien, moment rare o, dans un environnement doubli croissant, lconomique est pourtant encore pens avec exigence du ct de ce qui est. Cette ncessit des modalits dtre de lquilibre et de la valeur soppose, en rupture, la contingence dune pense de lconomique comme action de transformation du monde et, en

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matire montaire, au remplacement des attributs dtre de la monnaie par de purs phnomnes montaires et, in ne, la substitution du concept de liquidit celui de monnaie.

LINFLATION, LA MONNAIELnigmatique disparition de lination du prix des biens et services peuttre nest-ce quune clipse nest sans doute pas celle de lination. Les marchs de biens et services ne sont pas les seuls o peuvent se dverser des encaisses non dsires. Les marchs nanciers sont des rceptacles potentiels de la cration montaire et, plus gnralement, des injections de liquidits. Cest, de fait, partir de 1995 que les valorisations de nombreux marchs nanciers sont sorties des pures classiques. La mutation des formes de lination lpoque moderne celle du march et de la nance conduit penser plus largement le concept de prix, cest--dire de diffrence, de diffrentiel, au cur mme du mouvement circulatoire de la monnaie. Le risque dasphyxie montaire de la sphre nancire fait partie dun rgime conomique o la liquidit (et sa circulation) domine la monnaie et ses modalits dquilibre et de valeur. La pense de lconomique comme action et circulation conduit approcher la monnaie par sa circulation plutt que parce quelle est, et la valeur (le prix aussi) par cette diffrentielle du temps, de laction et du mouvement. La domination du phnomne montaire sur la monnaie et de laction circulatoire sur ce qui est (i.e. abrit) dans la monnaie accentue la scission moderne entre le rel (qui regarde du ct de ce qui est) et le nancier, qui porte le fondement de lconomique moderne comme action productrice de valeurs. Par son excs mme, cette scission signale la difcult croissante penser ce qui est simplement rel, la ralit (la prsence) de ce qui est sopposant au mouvement vital de la nance. La monnaie est pense de plus en plus partir de son cheminement (la liquidit), dans la vise daction du sujet dans le monde, et de moins en moins partir de ce qui est et se rend prsent au monde et au sujet. Ce tournant fondamental prcipite lconomique dans lpoque moderne. Domine par la pense technique de laction montaire, la monnaie est oublie en tant que rceptacle des modes dtre, de la valeur lquilibre, du rel au naturel, de la dure la mmoire. Cet oubli est au cur de la destination de lconomique lpoque moderne. Lination est lexpression du conit interne du phnomne montaire entre ce qui regarde vers ltre et la valeur, et ce qui est embarqu dans

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la ralit, par laction humaine de surcrot. Ce qui est embarqu dans la ralit (humaine, conomique) lest toujours sans limites ; ce qui regarde du ct de ltre et de la valeur regarde toujours dans le cadre dune limite sans laquelle tre et valeur ne pourraient tre penss durablement. Lination est manifestation de la tension qui apparat entre ces deux territoires, au sein mme du phnomne montaire. Lination apparat souvent quand laction transformante du monde mene par le sujet conomique prend le dessus et, littralement, prend le pilotage de la monnaie, cest--dire de la valeur. Les dbats sur lindpendance des banques centrales, sur la manipulation de la monnaie, ont leurs racines dans ce mouvement dappropriation et, surtout, dans le processus qui conduit, dune part, disjoindre le lien ontologique existant entre la monnaie et le pilier conceptuel tre-valeur-quilibre (les priodes dination sont, toujours, des priodes de crise de la valeur, donc des valeurs) et, dautre part et simultanment, indexer (recrer un lien) monnaie et nouvel univers de valeurs, ces valeurs tant de pures vises du sujet conomique sur le monde. Les liens entre monnaie et prix des actifs nanciers sont essentiels parce que le march nancier est, lpoque moderne, rceptacle/miroir/source de valeur et intermdiation absolue de laction transformante du sujet dans/vers le monde, intermdiation qui, de proche en proche, prend la forme ferme de laction elle-mme. Le lieu de lination change. Lination nest plus dans le monde (prix des biens et services) impact distance de laction conomique du sujet (conomique). Lination est dans la sphre nancire, sur le march nancier et en cela se rapproche de laction humaine jusqu en tre la simple extension. Lination sinsre dans le cur de laction et du circuit de la valeur, i.e. le march. Lination revt alors un caractre plus endogne. Cette endognit mme rend le travail de rgulation par la banque centrale plus complexe car cette dernire et lination se trouvent ensemble au cur du march. Les banques centrales peuvent alors entrer dans un rgime montaire dasymtrie entre hausse et baisse des taux dintrt. Une apprciation excessive du prix des actifs nanciers nest pas considre comme de lination, une baisse excessive des mmes prix est par contre assimile de la dation rclamant une baisse des taux directeurs. Labsence dination classique justie dagir de la sorte. Les politiques montaires se laissent progressivement enfermer dans une crdibilit et une tranquillit paradoxales, qui pour une bonne part viennent du caractre endogne (i.e. dans le march nancier) de lination et, donc, en quelque Groupe Eyrolles Les Echos Editions

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sorte de la situation de juge/partie, pompier/pyromane de la banque centrale, elle-mme partie prenante du march. On voit les limites dune mission de rgulation (du prix des actifs) dans un tel contexte. Il nest pas exclu que les banques centrales sengagent dans une nouvelle bataille de crdibilit, cette fois contre lination du prix des actifs nanciers. Rien nest moins sr car le march nancier, qui produit lination du prix des actifs nanciers, est, lpoque moderne, la forme majeure institutionnelle dintermdiation certes, mais aussi, de plus en plus, de production de la valeur et daction du sujet, en assurant mme, en quelque sorte, la rgulation. Cette convergence, dans la mme forme institutionnelle, de lintermdiation (i.e. de laction transformante du sujet dans le monde), de la fonction de rceptacle/abri de la valeur (on peut aller plus loin car le march dit fondamentalement ce qui a de la valeur), enn de la rgulation (le march carte, sanctionne), cette convergence mme ne peut quouvrir un foyer de tensions avec linstitution montaire quest la banque centrale. Cette tension est un des moteurs de la dynamique de lconomique contemporain, pour le meilleur et pour le pire. Lination du prix des actifs loge dans une forme institutionnelle puissante de lconomique moderne, le march nancier, dont la banque centrale hsite violer lindpendance et, bien plus, la raison (la plupart des banques centrales se refusent toute intervention parce que se jugeant dans lincapacit dapprcier ce type dination et, sur le fond, postulant jusqu un certain point, lefcience du march). Cela signie un affrontement entre un march puissant, dont la puissance est la capacit moderne de porter les signes et le sens de laction de transformation du monde par le sujet (qui est cration de la valeur), et, potentiellement, une forme institutionnelle ancienne qui peut faire prvaloir la ncessit et lexigence dun corps de concepts fonds sur la mesure et la norme, mais qui peut, elle-mme, on la vu, tre entrane dans un schma activiste de consentement lination du prix des actifs nanciers. Le march, plus particulirement le march nancier, est le lieu majeur dchange et de confrontation des vises, anticipations et projections. De plus en plus, le march remplace le sujet individuel ou collectif humain autant quil lintermdie, et la nance devient la structure dominante de lconomique le plus contemporain parce que portant lensemble des vises daction et constituant le noyau central de ngativit sans laquelle ces projets ne pourraient voir le jour. Le dbut du nouveau sicle ouvre un face--face conictuel au cur du rgime macro-nancier de croissance

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entre deux formes institutionnelles majeures, lune assez traditionnelle (banque centrale), lautre en extension de ses fonctions : le march nancier. Lautonomisation de la forme institutionnelle du march (et, in ne, de la nance car le march nancier inclut la fonction de conance) est un des aspects du rgime de croissance et de lpoque moderne. Cette dynamique, et cela est vrai de tout rgime macro-nancier, est traverse de contradictions internes qui portent en elles les germes des crises du rgime et des mutations vers un nouveau rgime. Ainsi, lination du prix des actifs nanciers est une des formes essentielles du dsquilibre au sein du rgime macro-nancier analys qui, dans son origine comme dans sa destination (i.e. sa rsolution), se nourrit de la coexistence conictuelle de formes institutionnelles majeures. Les dsordres montaires nombreux qui traversent lconomie mondiale telle quelle est la convention du dollar et labsorption de billets verts jusqu plus soif en constituant de puissants ressorts font implicitement rfrence ce qui nest jamais nomm expressment, i.e. un ordre montaire. Depuis 1993, cest sous linteraction du dcit des paiements amricains et des politiques de change xe conduites par les banques centrales des pays mergents quaugmente la montisation de lendettement public amricain. Plus prcisment, un axe tats-Unis/Asie concentre le dsordre des miracles, des bulles et des krachs. Le tournant moderne voit la diffusion puissante et progressive de laction conomique (celle du sujet conomique) comme projection transformante et technique du sujet dans et vers le monde. Cette dynamique de lappropriation consciente est, aussi, une ontologie du dsquilibre o la valeur merge de laction transformante du sujet, merge de ce qui est sur le mode du ntre-pas (ngativit). Cette mutation profonde de lconomique qui nit par ne plus tre identi quavec cette ombre transformante du dsquilibre recouvre un oubli fondamental des modes dtre de lconomique (quilibre, valeur, temps) et, plus essentiellement, de ce qui est dans lconomique. Lordre montaire sefface du pens car, justement, ce qui est pens, cest laction montaire transformante et dmiurgique. Lenvahissement du rel et du nancier par le dsordre montaire est un des enchanements profondment ncessaires du tournant moderne. En cela, ce qui intervient au tournant du sicle montre la fois que toute crise individuelle est altration de ce qui est (valeur, temps, quilibre), mais, surtout, signale que le tournant moderne en fait, de plus en plus, le rgime (invers) normal de lconomique. Une crise est toujours et partout une forme particulire doubli de ce qui est.

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LCONOMIQUELconomique est la fois objet de pense et signe de la pense elle-mme. On veut dire par l que lconomique surgit en sautonomisant un moment cl, que nous avons appel tournant , disons poque moderne . Cette autonomie de lconomique est la mutation de la pense en science technique de laction dappropriation du monde par un sujet (conomique), subjectivit-conscience mancipe. Lconomique cesse dtre pens partir de ce qui est et se rend prsent dans le fait , lvnement, ou le phnomne conomique. En termes gnalogiques, il sagit de la destination moderne de lconomique comme mode fondamental de rapport au monde dans la pense occidentale. Le tournant moderne , en mettant au centre le sujet (conomique) et son projet de transformation du monde, modie profondment la faon dont sont penss le temps, la valeur, lquilibre ou la monnaie. Lconomique est de plus en plus pens comme mode technique daction et vise dappropriation et de transformation, et lconomique est pens comme une action de politique conomique. Parce quil est pens comme action de projection vers le monde, lconomique moderne est sur le mode de ce qui est venir et qui nest pas encore. La ngativit, nier le monde pour le transformer, est donc un concept essentiel. cette pense du dsquilibre et du non-tre, o la projection du sujet dtermine la valeur, continue de sopposer une pense pour laquelle les concepts fondamentaux de lconomique sont au contraire des modes dtre et le temps une fonction de la dure et de la mmoire, et o tre, sujet (homo economicus) et monde forment une totalit. Lconomique attend dtre pens par-del le sujet et la domination exerce par ce dernier dans le rapport au monde, et qui a pris spciquement nom d conomique lre moderne. Penser par-del le sujet et sa nature totale et totalisante, penser pour, par et vers une totalit dtre o tre, sujet et monde forment un tout et o lconomique est fondamentalement pens partir de ce qui est , cest--dire des modes ou modalits dtre que sont les concepts fondamentaux de lconomique. Ce chemin de refondation passe par une pense attentive et patiente de lconomique moderne, et singulirement de la nance, car il sagit bien de tisser le lien qui va des faits, phnomnes, apparitions, discours et thories modernes vers ce qui a t oubli mais qui continue de laisser trace autour de nous. Groupe Eyrolles Les Echos Editions

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Car penser authentiquement lconomique nest pas penser contre la destination moderne mais au contraire avec . Lmergence dhomo economicus comme conscience agissante et transformant le monde constitue un tournant : emballement (technique) dune prsence au monde purement agissante, domination transformatrice de la raison pratique dans ltablissement des rapports avec le monde, circularit (absurde) de la volont qui se veut elle-mme dans lacte dit conomique , extrme difcult dire sinon tablir le sens des faits conomiques dont lensemble fait monde, embarras effray devant lacclration obsessive de la vise agissante. Cest parce quaux origines la valeur apparat comme totalit (substance), plnitude (de soi) et tre, que le sujet conomique, lors de sa constitution au tournant de lpoque moderne en homo economicus et raison pratique, poursuit de sa vise (intentionnalit) totalisante le monde, cherchant la synthse impossible entre sa capacit se projeter et une forme dtre-en-soi ; en tout cas, en cherchant, par son action sur le monde, accumuler, accrotre (surplus), la valeur (conomique) mergeant de cette accumulation mme. Dans cette qute dtre (substance) et de surplus, progressivement mergent la gure et la structure dun sujet (homo economicus) acteur mais, surtout, agi, pouss par la volont qui se veut elle-mme. Lconomique sest transform en pure mthodologie technique instrumentale de laction, au prix dune thorisation pousse, le keynsianisme parachevant la mutation de lconomique en politique de laction conomique. Ou plutt, devrait-on dire que lconomique est le nom moderne que porte cette transformation mme, qui a exil le sens mme de la vise qui lanime. Cercle pur mais vide, la technique conomique contemporaine, qui ne parvient penser quen lien avec laction, a perdu de vue les origines mmes de cette destination vers laction. Elle se trouve aussi dans limpossibilit de fonder cette action tant quelle ne parvient pas penser ses propres fondements qui ne sont pas des concepts de laction. Tant que ses fondements nauront pas t penss il sera aussi impossible de donner, littralement, un sens, cette action et donc une valeur morale (le dsarroi contemporain quant au caractre immoral de lconomie nest pas une surprise). Car la pense de lconomique nest pas quelque chose dconomique. Et pourtant, il faut demander lconomiste, o quil se tienne, cette exigence de pense sans laquelle il nest daction authentique matrise. Face au risque considrable de transformation de lconomique en pure technique de

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laction et de rupture du lien fondamental entre lhomme et le monde, il faut afrmer quun conomiste ne saurait tre seulement un plombier, mme parmi les meilleurs.

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Libralisme et laisser-faire , la leon de TurgotALAIN LAURENT

Quen de des subprimes elles-mmes, lune des causes premires des crises nancire puis conomique actuelles ait t laction dtablissements semi-publics de crdit hypothcaire crs par le Welfare State amricain an dtendre laccs des couches modestes de la population la proprit immobilire, cela ne fait aucun doute. Ctait une politique sociale hauts risques, la merci du moindre retournement de conjoncture, et lourde deffets pervers potentiels. Mais ce nen est pas la cause, la seule cause : jamais rien nest d au jeu dun facteur unique, idologiquement privilgi, mais une conjonction de facteurs (ceci valant aussi pour tous ceux qui protent dun dsastre en partie provoqu par ltat providence pour incriminer uniquement le capitalisme et le laisser-faire). Cependant, si, par sa politique sociale, ltat amricain a mis en place les conditions sufsantes pour quune crise clate, ce ntait pas l une cause fatale pour que surgisse une catastrophe dune telle ampleur. Personne nest contraint de cder aux tentations offertes par ce qui peut tre indment peru comme une incitation (ce nest pas parce que mon voisin na pas ferm sa porte cl que je suis oblig daller le voler !). Il a fallu pour cela quinterviennent dautres facteurs, relevant de la responsabilit des agents luvre dans la haute nance. Que personne nait compris (ou voulu comprendre) temps quune bulle stait forme et nen ait anticip lclatement programm, puisque bien entendu a ne pouvait pas ternellement durer, est accablant pour les professionnels de la haute voltige nancire et des agences de notation ayant failli leur fonction de vigilance. Et que penser de ces capitalistes purs et durs qui se fourvoient

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sur des chemins aventureux parce quils se sentent couverts par la garantie ultime dun tat quils accusent par ailleurs davoir t trop laxiste par sa politique de crdit facile ? Daucuns nauraient-ils pas dailleurs tellement air l la bonne aubaine quils auraient pouss la roue pour en tirer prot sans risque excessif ? Et la crise aurait-elle pris ce tour paroxystique et se serait-elle propage ce point si des petits sorciers nanciers navaient imagin de dissimuler des crdits hypothcaires hasardeux dans une titrisation si sophistique que mme des experts conrms ny comprenaient plus rien, qui a en dissmin partout dans le monde les effets dsastreux ? De quoi sinterroger sur la comptence, et surtout le respect de la conance cher au capitalisme ou le sens de la responsabilit chez les intresss En combinant la rfrence un processus multifactoriel et lirresponsabilit partage des acteurs tatiques et privs , la rinterprtation de ce qui vient de se passer ne peut manquer de faire place la rapacit inextinguible et la cupidit effrne (la chrmatistique dAristote) de certains acteurs surtout en comptition pour des rmunrations extravagantes, croyant avoir enn dcouvert la martingale magique, emports par lubris cette griserie et cette inclination la dmesure qui semparent desprits convaincus que leur gnie les exonre des rgles ordinaires de la prudence et qu eux tout est possible et tout est permis. Tout semble bel et bien stre pass comme si une petite caste arrogante stait enferme dans la pire des bulles : celle qui isole du rel et dconnecte de ses contraintes et limites, et fait perdre le sens le plus lmentaire de la rationalit et de la responsabilit personnelle. Et comme si ces lus staient comports en prdateurs et exploiteurs du capitalisme leur prot exclusif, donnant ainsi naissance une sorte de chancre ou une prolifration de cellules cancreuses nayant plus rien voir avec le libre jeu nancier servant le capitalisme entrepreneurial, dont ils ont drgl lautorgulation. Que, dans une nouvelle version de laveuglement volontaire, les adeptes du libralisme conomique naient rien vu venir, ne se soient pas alarms de ce dtournement de leurs ides et nen tirent gure les enseignements invitables est pour le moins problmatique. Il ny a aucun dshonneur, tout au contraire, saffranchir dun certain dngationisme ( cest la faute ltat ! ) pour reconnatre une faille dans le systme, qui le rend trop vulnrable aux passions destructrices un dsaveu de Mandeville. Le libralisme nest ni une science apodictique qui aurait dnitivement tout compris et coul ses pratiques dans le bronze, ni encore moins une religion dont on pourrait se contenter de psalmodier le credo. Comme tout ce qui est humain, trop humain, il est susceptible dtre perverti par Groupe Eyrolles Les Echos Editions

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lidologisation qui carte davance toute critique et les vertus dune saine autocritique la lumire de lexprience. Ainsi que Revel le notait, le libralisme na jamais t une idologie [] ni un dogme invariable et indiffrent au cours des choses1 . De fait, cest le principe mme dautorgulation du capitalisme de libre march qui est en cause et, travers lui, le laisser-faire, ou du moins la porte lui donner. Un problme qui ne peut tre abord sans procder deux considrations liminaires. Tout dabord, se dfaire de lerreur consistant identier drgulation et drglementation (souvent due une mauvaise traduction du terme anglais regulation ) : supprimer les rglementations intrusives et excessives ne revient pas chasser toute rgle ou rgulation. Ensuite prendre en compte que pratiquement jamais aucun thoricien de la libre conomie de march na soutenu lide dune autorgulation totalement spontane ou dun laisser-faire dbrid. Hayek luimme jugeait que rien na sans doute autant nui la cause librale que linsistance bute de certains libraux sur certains principes massifs, comme avant tout la rgle du laisser-faire [] Il est important de ne pas confondre lopposition [au] planisme avec une attitude de laisser-faire dogmatique []. Le terme laisser-faire est extrmement ambigu et ne sert qu dformer les principes sur lesquels repose la politique librale2 . Quant Mises, pourtant rput ultra , il prcisait que laisser faire ne signie pas : laissez agir des forces mcaniques sans me. Il signie : permettez chaque individu de choisir comment il veut cooprer dans la division sociale du travail ; permettez aux consommateurs de dterminer ce que les entrepreneurs doivent produire3 . Dans la perspective librale classique, lautorgulation du march sopre certes par la libre concurrence mais, comme le laisser-faire, elle est rgle par un solide cadre juridique institutionnel renforc par ltat de droit. Et elle prsuppose que les acteurs jouent le jeu, en demeurant volontairement soumis des rgles cette fois-ci comportementales, issues dun thos de conance et dune capacit raisonne dapprhension du rel. De mme que la meilleure des constitutions politiques ne vaut rien sans les murs , le meilleur des systmes conomiques (mais le libralisme nest-il pas plutt le moins1. REVEL J.-F., La Grande Parade. Essai sur la survie de lutopie socialiste, Plon Olivier Orban, 2000. 2. HAYEK F. A., La Route de la servitude, PUF, 2005. 3. VON MISES L., LAction humaine, trait dconomie, PUF, 1985.

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mauvais des systmes connus ?) sautodtruit si ses acteurs ignorent la pratique des vertus qui ont permis son mergence. Mais, puisquil sagit de ce laisser-faire dont tout le monde dsormais annonce et veut la n, ne convient-il pas maintenant de se retourner vers le grand Turgot, le pre fondateur du libralisme en France, et qui en a historiquement t le premier thoricien explicite bien que des plus cursifs, et actif promoteur lorsquil fut aux affaires en tant que contrleur gnral des nances entre 1774 et 1776 ? Tout en se rfrant approbativement son mentor Gournay rptant le mot de M. Le Gendre M. Colbert : laisseznous faire1 , Turgot recourt volontiers lui-mme lexpression en recommandant au sujet de tous les individus dans certaines conditions : Laissezles faire : voil le grand, lunique principe (article Fondation de LEncyclopdie2). Ayant, la diffrence des physiocrates comme Quesnay, prcocement compris que lavenir dune conomie prospre et bnque tous se jouerait dans la symbiose de la dynamique entrepreneuriale et de lindustrie seconde par la nance, il soutenait que la poursuite des intrts particuliers gnre le bien public et saccorde lintrt gnral pourvu quelle soit ouverte aux lgitimes intrts des autres et ancre dans le respect du droit de proprit. Mais lattentive lecture de ses textes datant de la priode o il est au pouvoir le montre tout fait conscient du fait que la cupidit (Arrt sur la libert du commerce des grains, 1774), l avidit (dit de suppression des jurandes, 1776) et parfois mme la nance (id.) peuvent tout perturber lorsquelles sont au service dintrts particuliers clos sur eux-mmes au prjudice (des intrts) de la socit gnrale (1774) ou trop empresses utiliser leur seul prot les dfaillances de ltat. Dans le Mmoire sur les municipalits (dont il a rdig le premier jet en 1775), il rappelle que le souverain a pu tre tromp par des intrts particuliers tout-puissants et dplore mme que, trop souvent, lindividu nest occup que de son intrt particulier exclusif . Peut-on tre plus lucide envers les perversions possibles de lintrt personnel, certes le meilleur moteur qui soit de lactivit productrice, mais tout de mme surveiller de prs ? Lorsquil arrive que la poursuite de ces intrts semballe dans une spirale infernale et/ou se coagule dans une excroissance nuisible aux intrts des autres acteurs, nest-on pas alors en prsence de1. TURGOT A R J., loge de Vincent de Gournay , Mercure, 1759. 2. LE ROND DALEMBERT J., DIDEROT D., LEncyclopdie ou Dictionnaire raisonn des sciences, des arts et des mtiers, 1751-1772.

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REGARD DE LA PHILOSOPHIE

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lun de ces obstacles que le gouvernement doit se proposer dcarter puisque selon Turgot tel est son principal objet ct de la protection du droit des particuliers ? Enn, dans le projet global de rformes pens et propos par lauteur des Rexions sur la formation et la distribution des richesses, la libralisation du commerce et du travail nest quun aspect parmi dautres. Ce sont des moyens au service dune n plus ambitieuse visant le bien de tous (consommateurs et travailleurs), qui se tient dans laccs gnralis la libert daction assise sur leur droit naturel de proprit. Et le contrleur gnral des nances tait fort attentif ce que les plus humbles puissent aussi en bncier L rside lopportune leon de Turgot, toujours valide dans son esprit quand bien mme il faudrait en ractualiser les modalits dinscription dans la ralit sociale en fonction dun contexte nouveau. Libre march et laisser-faire ne sont que les instruments les plus performants, mais pragmatiquement amliorables et pas les seuls, dun libralisme qui a pour n majeure retour aux fondamentaux la libert individuelle de choix dans les champs les plus concrets de la vie courante : libert de sassurer comme on veut contre la maladie et le chmage, de xer contractuellement la dure de son travail, de prparer et prendre sa retraite, de donner lducation quon juge la meilleure ses enfants, de disposer des revenus de son travail sans tre soumis la spoliation scale, dentreprendre sans tre entrav par une sur-rglementation, de dterminer sa propre manire dtre solidaire, et de sauto-organiser an de pouvoir vivre en paix si la puissance publique se rvle dfaillante. Bref, dexercer pleinement sa responsabilit personnelle sans tutelle intrusive et contre-productive sous la protection de ltat de droit et le dploiement de stratgies visant offrir sa plus grande chance de russite par ses propres efforts chacun. Groupe Eyrolles Les Echos Editions

Et puis, il faut ajouter ceci : sil convient de requestionner le bien-fond de certains postulats classiques du libralisme (lindividu toujours bon juge de son propre intrt ; le bien gnral procdant ncessairement et spontanment de la libre poursuite des intrts particuliers non violents), sensuit-il que les politiques soient mieux placs que dautres pour instaurer une meilleure rgulation comme on voudrait tant le faire accroire en proclamant quil faut refonder le capitalisme et que le moment est venu du retour de ltat ? Turgot et bien dautres sa suite lavaient bien point : dirigeants politiques et grand commis de ltat ne sont pas dune extraction surnaturelle qui les rendrait mieux aptes que quiconque discerner lintrt

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gnral. Eux aussi, tout en se parant de vertu et de lonction lectorale, cherchent satisfaire leurs intrts particuliers (clientlistes, idologiques, et humains, trop humains dans la griserie et la dfense des positions de pouvoir ou des privilges et prbendes qui y sont lis). Rien ne prouve quils disposent des comptences surhumaines quil faudrait avoir pour prtendre rguler lordre hypercomplexe du march. Lendettement public faramineux quils vont maintenant lguer aux prochaines gnrations est lourd de nouvelles menaces et deffets pervers. On devrait pourtant lavoir compris : le retour du dirigisme est hors sujet. Lindispensable capitalisme ne se refonde pas par dcret et en cnacles, si tant est quil faille le refonder et non pas plutt le laisser se refonder lui-mme par lautocritique agissante. Les remdes tatistes actuellement concocts ont toute (mal)chance dtre pires que le mal quils prtendent gurir. Mais il nen demeure pas moins quau moment o lon pouvait croire la partie dnitivement gagne pour le capitalisme libral, ce que les antilibraux de laltermondialisme et du no-collectivisme navaient pas russi obtenir, certains acteurs dvoys du libre march nancier le leur ont apport sur un plateau dargent : dclencher une crise dommageable tous, et discrditer pour longtemps le libralisme en gnral. Divine surprise ! Pour les libraux qui nont pas perdu le sens du rel et de la mesure, lurgence donc est grande de relever le d, de faire le mnage eux-mmes sans rien renier de leurs principes cardinaux pour au contraire les mieux servir et faire chec la restauration de linterventionnisme. Vaste programme, qui eut sans nul doute stimul Turgot

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Regard de la psychanalyse et de la psychologie

Macropsychanalyse de la crise nancireVIVIEN LVY-GARBOUA GRARD MAAREK

APRS SEPT MOIS : MARS 2008La crise nancire qui a clat en aot 2007, la crise du subprime , se prte une interprtation conomique simple et plutt convaincante. Mais, comme chaque fois quune bulle clate, on est amen se demander comment pareils excs ont t possibles et pourquoi, sils sont si bien analyss et quils taient si prvisibles, il ne sest trouv personne pour les viter. La crise dure depuis sept huit mois, et les conomistes semploient maintenant donner les raisons qui en retardent autant lissue. Leur dmonstration nest pas moins pertinente. Lobjectif ici est dexaminer les crises nancires dun point de vue diffrent, non pas concurrent mais complmentaire : celui quadopterait un observateur extrieur qui traiterait analystes, conomistes, et autres commentateurs, comme des protagonistes du drame, et qui sintresserait non lvolution des variables conomiques et nancires, mais aux tats psychologiques que traversent les acteurs. On espre ainsi saisir les traits communs toutes les crises nancires et les spcicits de celle que nous vivons. Nous avons prconis cette approche dans un ouvrage rcent (LevyGarboua, Maarek, 2007), sous le label de macropsychanalyse. Elle tente dclairer les phnomnes sociaux, en faisant lhypothse que, comme les individus, les groupes structurs ont un psychisme collectif, et que les concepts de la psychanalyse peuvent tre moyennant quelques adaptations transposs ces groupes.

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La communaut nancire, comme groupe structurLe merveilleux livre de Kindleberger, Manias, Panics and Crashes (1971), offre une description des cycles nanciers, o il use abondamment du vocabulaire de la psychologie. Le titre de louvrage comme le nom des cinq phases quil distingue (le dplacement, le boom, leuphorie, la dtresse nancire et le krach) en tmoignent. Il le fait sous forme de mtaphores. Son souci est davantage celui de la prcision historique que de la cohrence thorique. On peut donner une explication plus ordonne des mmes phnomnes en appliquant notre grille de lecture, la macropsychanalyse, un groupe structur particulier, celui que lon baptise usuellement du terme de communaut nancire internationale (CFI). Ce groupe est bien sr trs vaste, mais il est prenne, au-del des personnes particulires qui en font partie un moment donn. On y trouve tous les grands acteurs de la nance, banquiers centraux et dirigeants des banques commerciales, intermdiaires et investisseurs, hommes de presse, chercheurs et enseignants, poursuivant chacun un objectif spcique, mais uvrant au fonctionnement de lensemble. Ces individus sont parfaitement conscients de leur appartenance une communaut dintrts et de destin. Le terme mme de CFI est rvlateur cet gard. Regardons ce groupe comme un tre vivant, dot dun psychisme collectif. Alors, comme nous lavons montr dans louvrage dj cit, il peut sorganiser autour de quatre instances fonctionnelles : le Producteur/a (par analogie avec le a de Freud) constitu par la masse des acteurs de la communaut nancire : guichetiers, responsables dagence, commerciaux, traders, analystes, hommes de middle ofce et de back ofce, etc. Ils sont la force vitale de cet ensemble, ils innovent, ils recherchent sans cesse le prot et lexcitation du risque ; le Prince/moi (par analogie avec le moi de la psychanalyse) qui cherche canaliser la crativit, lambition et lavidit du Producteur et fait en sorte que la satisfaction de ses pulsions soit socialement acceptable et compatible avec la ralit du monde extrieur. Au niveau de chacun des tablissements, cest la tche du PDG et de ses collaborateurs que dassurer ainsi la prennit de leur maison. Au niveau suprieur, le Prince est constitu par les dirigeants des grandes banques centrales. Longtemps Alan Greenspan a assum ce leadership. Aujourdhui, Ben Bernanke et Jean-Claude Trichet reprsentent le mieux ces patrons de la CFI. Leur objectif : une ination matrise, une croissance rgulire, la stabilit des institutions et des marchs ;

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le Prtre/surmoi est celui qui dit la loi, celle qui a t intriorise par le groupe comme rsultante de son histoire. Il est le gardien des valeurs et veille au respect des interdits. Dans la communaut nancire internationale, les rgulateurs, y compris les banques centrales dans leur fonction denforcement, jouent ce rle. Mais peuvent sy adjoindre des acteurs plus symboliques, reprsentant lautorit paternelle , porteurs de lthique de la profession. Ils sont la conscience de la communaut. Warren Buffet en est le modle le plus accompli ; le Professeur enn (qui na pas dquivalent dans la mtapsychologie de Freud) propose au groupe une interprtation de la ralit extrieure. Les conomistes et les thoriciens de la nance sont reprsentatifs de cette instance. Ils scrutent sans relche ltat des marchs et sinquitent de leur interaction avec le reste de lconomie.

Les stades du cycle nancierArm de ces catgories, on peut maintenant dcrire le cycle nancier typique, partir de trois ingrdients : un choc initial, un objet de dsir, et une croyance collective. Le choc initial varie selon les circonstances. Il consiste dans un changement rapide de lenvironnement extrieur. Dans le cas de la bulle des annes 1996-2000, cest clairement la rvolution technologique de lInternet. Sagissant de la crise de 2007-2008, la globalisation nancire a constitu le traumatisme de dpart. Le dater est mal ais. Mais il est sr quau dbut des annes 2000, cest un processus achev touchant tous les pays et tous les marchs, pouvant ainsi produire son plein effet. Lobjet du dsir est plus facile pointer1. la n du sicle dernier, la passion tait celle des titres dot.com , qui ont fait rver les grands patrons, les particuliers et la communaut nancire tout autant. Un vritable eldorado de libert, de crativit et de rve souvrait tous. En 2007, les dsirs sont plus banals. Ils se portent sur la pierre et laccession la proprit. Un vhicule nancier particulier, le crdit subprime, semble runir toutes les vertus : un fort rendement pour un risque faible. La titrisation rend sa diffusion possible toute la plante nancire.

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1. La notion dobjet a un sens trs particulier en psychanalyse. Cf. LVY-GARBOUA V., MAAREK G., Macropsychanalyse, lconomie de linconscient, PUF, 2007, p. 31.

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Une croyance collective est indispensable pour entretenir la bulle en la dissimulant aux yeux des acteurs. Cest un discours qui rationalise lengouement pour lobjet du dsir et permet de le prolonger contre toute vidence. Par exemple, au cours de la bulle Internet, le thme dominant tait celui de la nouvelle conomie . Un changement de paradigme tait en cours, disait-on, engendr par leffet de rseau. Le nombre de clics devenait un indicateur de rentabilit nancire, prfrable la valeur actualise des revenus futurs. Avant lt 2007, le discours est celui de la globalisation conomique et nancire, de la pousse inluctable des BRIC (Brsil, Russie, Inde, Chine) et de la baisse durable des taux dintrt, dans un monde o lination des prix a t chasse par la concurrence accrue des pays mergents, faible cot de main-duvre. Les risques macro-conomiques comme les risques de marchs paraissent bien matriss. Le cycle nancier est un processus de rvision de la croyance, les acteurs passant par une succession dtats psychiques. a) Dans une premire phase, que nous appelons la phase maniaque, les informations qui arrivent la communaut nancire confortent la croyance. Sa vraisemblance est sans doute surestime et la conance se propage, excessive. Les Producteurs en protent. Le Prince est complice, le Prtre voit ses convictions branles par cette nouvelle croyance et il est incapable (ou na pas dargument pour le faire) de temprer les ardeurs. Songeons au Greenspan de l exubrance irrationnelle (1996) converti tardivement au nouveau paradigme (1999). Les prix montent, celui des titres Internet ou celui de limmobilier, sur la base de cette croyance et de sa validation implicite par le Prtre et le Professeur b) La deuxime phase est celle de lassimilation. Des informations viennent peu peu contredire la croyance. Mais les Producteurs, tout entiers enchans leur passion du moment, les censurent. Le Prince et le Prtre minimisent la porte de ces nouvelles. Cest une phase de dni, comme celle que connaissent les psychotiques lorsquils se coupent du rel en lui substituant leur propre subjectivit. En gnral, les Professeurs mettent en garde contre cette illusion, mais il sen trouve toujours pour dfendre la croyance, et ce sont eux que lon coute. c) La phase dadaptation/accommodation est dclenche par une prise de conscience brutale. En mars 2000, ce sont les mauvais rsultats de socits technologiques ; en juin 2007, cest le sauvetage par Bear Stearns de trois de ses hedge funds. Linvestisseur abandonne la croyance pour un nouveau

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schma explicatif. La panique qui sempare de lui est amplie par un fort sentiment de culpabilit, sourd dans un premier temps, puis de plus en plus explicite et concret. Les acteurs/Producteurs essayent de se disculper et partent la recherche de boucs missaires. En 2000 taient tout dsigns les commissaires aux comptes ngligents, les analystes sell-side et leurs prconisations hasardeuses. En 2008, ce sont les agences de notation et leur manque de rigueur mthodologique. Les Princes des grandes institutions (les PDG des banques comme les banquiers centraux) sont la cible de critiques virulentes et se voient quelquefois congdis. Aujourdhui, nous sommes au milieu du gu : la dpression sinstalle, au double sens du terme (conomique et psychanalytique). Au cours de cette phase nvrotique , le a et le moi sont culpabiliss par un surmoi redevenu puissant et autoritaire, et qui est dsormais en mesure dimposer sa loi. Sinstalle quelquefois un mode de pense que caractrisent notamment la rumination mentale, le doute, les scrupules, et qui aboutit des inhibitions de la pense et de laction (Laplanche et Pontalis, 2002, p. 284). Lobsession de la liquidit et la mance gnralise, qui ont paralys le march interbancaire cet hiver, peuvent sinterprter en ces termes. d) La normalisation vient enn, pour que le cycle puisse reprendre. Elle passe par la cure psychanalytique, cest--dire une entreprise de dvoilement des pulsions refoules qui ont conduit au dsastre : la jouissance sadique sapproprier lobjet dsir, la volont de triompher des forces secrtes du temps et de lignorance de lavenir (J.M. Keynes). Ayant repris le chemin de lhumilit, la communaut nancire est en demande de plus de rgulation pour se protger contre ses propres tentations. Le Prtre, le corps social accordent leur pardon, puis oublient. Mais la compulsion de rptition est luvre. Vient un moment o dans les failles de la loi apparat un nouveau paradigme, un nouvel objet de dsir et une nouvelle croyance pour les justier. La ronde continue

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La crise du subprime : une perte de represNous pensons que cet enchanement est trs gnral et sobserve dans toutes les bulles nancires. Mais, sil nous parat rendre compte de manire saisissante de lpisode Internet, il nexplique pas compltement ce qui est luvre aujourdhui. Circonscrite au dpart limmobilier et aux crdits subprime, la crise actuelle parat devoir branler deux piliers de la nance moderne : la matrise du hasard par le calcul des probabilits et le modle de la banque clate .

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La valorisation des produits complexes est en procs pour plusieurs raisons. Parfois, elle se fonde sur des donnes fausses ou mal interprtes, comme ce fut le cas avec les notations des agences de rating (un AAA de fonds subprime na, en dpit des apparences, pas grand-chose voir avec le mme AAA appliqu des obligations dtat !). Ou bien, en labsence de prix de march observables, elle se base sur des modles nourris dhypothses mal vries en priode de crise : des variables, dhabitude peu corrles, peuvent devenir covariantes ; lhypothse de normalit nglige les vnements rares qui, prcisment, sont caractristiques des priodes de fortes turbulences. En utilisant le vocabulaire de la macropsychanalyse, on dira ici que deux instances ont failli. Dune part, le Professeur na peut-tre pas fourni les bons outils danalyse et a induit la communaut nancire en erreur. Dautre part, le Prince a eu tort daccorder une trop grande conance des modles, toujours susceptibles de diverger. Passe encore lorsque la modlisation porte sur les proprits stochastiques des prix et des rendements. Mais lorsque la valorisation dun actif est le rsultat dune formule mathmatique, en labsence de march organis, le risque est grand de perdre tout contact avec la ralit extrieure. Or cette pratique sest gnralise avec le dveloppement de produits de plus en plus complexes, vendus de gr gr et en sries limites. Enferme dans son monde intrieur, la communaut nancire a dvelopp ainsi un syndrome psychotique, jusquau moment o le rel, en lespce les dboires du march immobilier amricain, la ramene sur terre. Latterrissage savre trs douloureux. Laccommodation, le dni du rel, voqus plus haut, sont devenus consubstantiels de la nance contemporaine.

La crise du subprime : la banque clate en question Groupe Eyrolles Les Echos Editions

La titrisation des crdits, cest--dire la sparation entre production et distribution, fait que des produits toxiques (les mauvais crdits) se sont retrouvs parpills dans de trs nombreux portefeuilles, principalement ceux de hedge funds et dOPCVM montaires. Ils sont dcoups en tranches en fonction des priorits de remboursement. Ils servent de sous-jacents des produits drivs (CDO 2 et 3, etc.), et sont parfois logs dans des conduits destins tirer parti au maximum du levier dendettement ou, plus prosaquement, parquer les titres qui nont pu tre distribus aux investisseurs naux. Cette situation peut sinterprter, dans le langage de la psychanalyse, laide du concept de clivage .

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Le clivage est lune des gures essentielles de dfense du psychisme contre les objets ou les situations dsagrables. Il prend la forme de clivage dobjet et de clivage du moi. Le clivage de lobjet consiste sparer lobjet du dsir entre un bon et un mauvais objet (typiquement la bonne et la mauvaise mre pour un nouveau-n). Or tout produit nancier a cette double caractristique dtre bon et mauvais la fois, de proposer un rendement (le bon) en contrepartie dun risque (le mauvais). Les crdits subprime avaient la fois une image innovante, voire sociale, puisquils faisaient accder la proprit des mnages pauvres et une face sombre, correspondant une prise de risque mal matrise. Le clivage de lobjet saccompagne en gnral dun clivage du moi. Alors que, dans le refoulement, le moi repousse dans linconscient la sensation dsagrable ou la reprsentation de lobjet toxique, dans le clivage, le moi laisse coexister les deux parties, mais en les isolant lune de lautre, chacune en relation avec une partie de lui-mme (les deux parties du moi cliv), qui signorent : la main gauche ne sait pas ce que fait la main droite. Il y a un moi qui sait et un moi qui ne veut pas savoir. Ce phnomne se joue plusieurs niveaux, celui des banques comme celui la communaut nancire tout entire. Ltage des banques Dans les banques, la recherche defcacit, rendue possible par les systmes informatiques, les moyens de communication instantans et longue distance, a conduit une plus grande spcialisation. Cette spcialisation est spectaculaire dans deux secteurs de lorganisation : la production et la distribution sautonomisent, du ct des crdits (cest la titrisation), mais aussi au passif, avec la sparation entre gestion et distribution de produits dpargne ; larchitecture ouverte se substitue aux gestions propritaires dans les grands tablissements ; la vente et le contrle deviennent indpendants. Les vendeurs sont valus exclusivement sur leurs performances commerciales ; les contrleurs de gestion, les auditeurs sont constitus en quipes distinctes, ayant une certaine autonomie vis--vis des front ofces. Ils sont chargs dapprcier la qualit des risques, la bonne facture des oprations et le respect des rgles. Cette spcialisation conduit, dans les tablissements, la constitution de lignes hirarchiques indpendantes, de silos dans lorganigramme, cest--dire dentits qui travaillent en parallle et qui, soit se parlent peu, soit ne sentendent pas dans les deux sens du terme. Dans ce contexte,

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les vendeurs ont deux supriorits : dune part, ce sont eux qui font vivre la banque ( court terme en tout cas), qui gnrent les revenus, alors que les contrleurs/hommes du risque apparaissent comme des freins au dveloppement ; dautre part, ils sont trs bien rmunrs, ce qui les place assez haut dans la hirarchie sociale de lentreprise. Cette situation rsulte davantage du rle dterminant de cette ressource humaine dans la comptition que dun aveuglement particulier tel ou tel tablissement. Quiconque viendrait sen carter perdrait ses meilleurs lments dans la vente et, de l, des parts de march. La constitution de lires spares accompagne donc le clivage des objets, jusquau moment o un arbitrage devient ncessaire : le Prince , en loccurrence un comit de crdit du sige ou le comit excutif, doit dcider en dernier ressort. Cest le moment o lensemble des pulsions de la banque, quelles manent des vendeurs ou des contrleurs de risque, doivent tre confrontes au principe de ralit et tre transformes en actions concrtes, en dcisions, ou au contraire refoules. Interviennent alors deux caractristiques qui vont pousser une dcision plutt favorable au vendeur. Dans un premier temps, le clivage du moi perdure, la banque ne souhaite pas trancher. Le choix est douloureux et angoissant. Car elle ignore ce que sera le comportement des concurrents et craint dtre pnalise par une attitude trop frileuse. Cest ce que Chuck Prince, le PDG de Citigroup au moment de la crise du subprime, a rsum dans cette phrase aussi pertinente que pathtique : il faut danser, tant que lorchestre joue . Bien entendu, dans une telle circonstance, le Prtre/surmoi a un rle jouer. Sil est faible (et il tend tre faible dans les priodes de forte activit, quelles soient maniaque ou d assimilation ), il ne pourra sopposer la force des vendeurs en cas de dsaccord avec les contrleurs. Lala moral (moral hazard) joue alors plein. Ltage de la communaut nancire La mme squence se joue dans la communaut nancire prise dans son ensemble, vue comme un groupe structur de niveau suprieur. La recherche defcacit a conduit, ici aussi, la constitution dacteurs spcialiss, ayant des statuts divers et plus ou moins soumis au contrle des rgulateurs. Le march hypothcaire amricain est larchtype de cette profusion de structures spcialises, dont certaines rsultent de la bonne division du travail (au sens dAdam Smith) et dautres sont plus articielles. En temps normal, la coordination entre elles se fait par le systme de prix Groupe Eyrolles Les Echos Editions

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(de taux de change ou dintrt et de spreads principalement) qui, sil fonctionne bien, assure une bonne allocation des risques entre les agents conomiques. Dans une bulle, en revanche, une trop faible prise en compte du risque aboutit un excs dendettement et, simultanment, laccumulation, sans tats dme, de papiers garantis par le bton de limmobilier dans des portefeuilles tilts . Lorsque survient la crise, les effets de cette mauvaise coordination par les prix (lquivalent dun clivage de la communaut nancire) remontent vers les banques centrales, lesquelles vont chercher rsoudre des conits dcoulant de dcisions incompatibles. Cest, dans laffaire Northern Rock, le trio de la FSA (le rgulateur), du Trsor (ltat) et de la Banque centrale (le prteur en dernier ressort ) qui doit trancher. Le Prince est clairement cartel : Mervyn King, dans le rle du surmoi, est pour la fermet, tandis que le Trsor incarne le principe de la ralit. On ne peut, voulant sanctionner une seule banque, ruiner des milliers dpargnants. Limage des queues des dposants venant retirer leur argent aux guichets est socialement et politiquemen