ccccmjf- - -- · 2015-09-23 · liminaire par mme le or françoise gontard (*) pour quelle raison...

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PHÉNOMÈNES MYSTIQUES D La 111; rs tiqu e, qu 'est-ce à dire ? par li· l'h-1.! l' a// AbirP11 o.c. d. DÊtre 111;ys lique et musulnum D Les Chinoi s et la por le l'he ) i·1•s Rug11i11 s:f. D Démarche spirituell e du bouddhisme par Ir· ./ l'w1 - C/1111f/1• /Jesw1r·1•111'. 1 · Nu 111 ém :2:29 D Le ps yc hiaf re fa ce au.T phénom ènes iques por 11' / )' . l11dn; C11relier D Thérè.'ie d 'A vila . La réfle.1·ion d' un e e;r'trllique, sur son propre cas p11 r Il' ./ u.1·1ph f31111 r'1:1 · 11. r. t!. D Les « Fols eu C hrist » russes DL'a rbre à ses fruits. Relec tur e de « Jlllys tiques el fau x· m_ys f iqu es » /Hl/" Il' /> . l!idwl !3rmrd Mai- ./11i11 1 997 ---- - CCCCMJF - - --

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PHÉNOMÈNES MYSTIQUES

D La 111;rstique, qu 'est-ce à dire ?

par li· l'h-1• .!l'a// AbirP11 o.c.d.

DÊ tre 111;yslique et musulnum

D Les Chinois et la n~ystique por le l'he ) i·1•s Rug11i11 s:f.

D Démarche spirituelle du bouddhisme

par Ir· />,~,." ./l'w1 - C/1111f/1• /Jesw1r·1•111'.1 ·

Nu 111ém :2:29

D Le psychiaf re fa ce au.T phénomènes 11~yst iques

por 11' / )' . l11dn; C11relier

D Thérè.'ie d 'A vila. La réfle.1·ion d 'une e;r'trllique, sur son propre cas

p11 r Il' l'r~n· ./u.1·1•ph f31111 r'1:1 · 11. r . t!.

D Les « Fols eu Christ » russes

DL 'arbre à ses fruits. Relecture de « Jlllystiques el faux· m_ys f iques »

/Hl/" Il' /> .l!idwl !3rmrd

Mai-./11i11 1997

----- CCCCMJF- - --

Liminaire

par Mme le or Françoise GONTARD (*)

Pour quelle raison notre revue« Médecine de l'Homme» a-t-elle envisagé un numéro sur les « Phé­nomènes mystiques » alors que la norme culturelle actuelle est encore marquée par une critique matéria­liste de tout ce qui relie l'homme à l'invisible?

Le mot « mystique » vient du verbe grec « muo » : se fermer, se taire. Il indique donc le secret, le caché, et par glissement de sens, ce qui permet d'y accéder. Issu, en Occident, de la spiritualité grecque, le terme« mystique» a reposé sur le courant dualiste de Platon selon lequel le monde des idées divines et de l'âme se trouve distinct de ce monde-ci. Dans le christianisme primitif, il a qualifié l'initiation chré­tienne au« mystère» du Christ et, plus tard, la recherche d'une union avec le divin. Le mot« mystique» évoque ainsi l'entrée dans l'aventure de la recherche d'une union avec Dieu dans les religions mono­théistes, avec l'absolu dans la quête de l'hindouisme ou du bouddhisme.

Le Père Jean Abiven, o.c.d., introduit excellemment la perspective théologique chrétienne de la vie mystique, et le Père Pierre Lambert, o.p., celle de la tradition musulmane, bien que Dieu ne se révèle pas dans le Coran.

Le Père Yves Raguin, s.j., et le Père Billot, o.s.b., nous font participer à leur grande connaissance du bouddhisme, du taoïsme et du confucianisme.

L' «expérience intérieure », visant à la recherche du bonheur, de la liberté et de la vie, intéresse avec la même acuité nos contemporains, comme en témoignent l'intérêt pour la vie spirituelle de certains cou­rants religieux, les demandes de psychothérapies, ou d'accompagnement, voire la parapsychologie, la recherche de l'ésotérisme, l'occultisme, les sociétés initiatiques. Le comblement du « vide » ou du « mal­être » par la toxicomanie ou les déviances psychiatriques ou sexuelles ne reflète-t-il pas la difficulté d'harmonisation entre les besoins du corps et ceux de l'affectivité et de l'esprit?

À l'intérieur de cette expérience, peuvent survenir des «phénomènes extraordinaires», comme les visions, les apparitions, les révélations, l'extase, assimilables à des somatisations. Ce sont des événements transitoires, survenant généralement dans un contexte de grande intensité émotionnelle, qui renvoient à une histoire. Or, isolés de leur contexte et objectivés, puisqu'observables, donc «intéressants» pour les scientifiques, ils ont contribué à faire considérer la mystique comme une forme particulière de pathologie. Ils risquent alors d'être soumis au paradoxe d'une opposition entre des« phénomènes» particuliers, clas­sés comme exceptionnels, et le sens dans lequel ils s'inscrivent, masquant le témoignage éventuel d'un Absolu invisible, et les réduisant à la traduction psychologique d'une personnalité qui se dégrade.

(Suite page 2)

(*) Médecin-cardiologue - Paris.

WJEIDJE©JllNJE e IDJE l1~W®WWJE Revue du Centre Catholique des Médecins Français

BIMESTRIEL

!f1:r1111·t1•111· 1•11 C!uf

P' Claude LAROCHE

C1111.~('; I 1u1 I io11al

P' GENTILINI, Président (Paris), MM. les Docteurs ABIVEN (Paris),

BARJHOUX (Chambéry), BLIN (Paris), DE BOUCAUD (Bordeaux), BOST (Paris),

BOU REL (Rennes), BOUVIER (Reims), BREGEON (Angers),

CAZOTTES (Perpignan) , CHARBONNEAU (Paris),

DEROCHE (Joué-les-Tours) . ESCHARD (Bezannes), GAYET (Dijon),

Mme• les D" GONTARD (Paris), GROSBUIS (Garches),

MM. les D" LAROCHE (Paris) , LIEFOOGHE (Lille), MALBOS (Le Mans), MASSON (Bar-sur-Aube), RÉMY (Garches). Père J.-C. BESANCENEY, aumônier national

( '11111i11: rfl' rh la«1io11

M. ABIVEN - F. BLIN - M. BOST M. BOUREL - P. CHARBONNEAU

P. CHARDEAU - F. GONTARD S. GROSBUIS - M.J. IMBAULT-HUART

J .M. JAMES- Cl. LAROCHE J.M. MORETTI s.j.

J.-L. TERMIGNON - J.-C. BESANCENEY

. ld111i11is lr11tio11 If ,:t/111'1 ion

Pnblfrité

Centre Catholique des Médecins Français

5, avenue de !'Observatoire 75006 Paris

Tél.: 01 46 34 59 15 Fax : 01 43 54 1 O 07

A bo1111,•!m•111 ...

Un an: 350 F Étranger : 370 F

Le numéro franco : 60 F C.C.P. : C.C.M.F. 5635-34 T Paris

N° 229 - MAI-JUIN 1997

s • ornma1re

• /_,i111i11aire par Mm• le 0 ' Françoise Gontard

• La 111.rstique. q11 'est-ce it dire r par le Père Jean Abiven o.c.d . . ..... . . . .. . . . ... . . . .. .

• IZ'trl' mystique e/ 11tf1.rn/111r111 par le Père Pierre Lambert o.p ........... . ... . . . . . ... . 7

• Ll•s Chiuois el la 111,J ·stiq111• par le Père Yves Raguin s.j ..... . .. . .... ..... . .. . . . . . 9

• Démarche spiritm•I/(• du bouddhisme par le Père Jean-Claude Besanceney ............. . .. . 1 :2

• IA• /MJ ·cltialrl' fal'<' a11.1· phé110111è11es m_vsliq11,•s par le 0 ' André Cuvelier .. . . ...... . .. ........ . .. . .. . 17

• T héri>se d'Avila . La n '.fle.rio11 d'11111• e.r/alique . . <t11r son proprl' cas par le Père Joseph Baudry o.c.d .. .. . . . .............. . :21

• Les « Fot ... eu Christ » russt'.'> par le Père Pierre Lambert o.p . . .. . . .. . ..... .... .. . . . 2-t

• L'arbre à .o;e .<t .fi"11ils . 11,./,•1' /tfl'(' d<• « Jl1~rstiq"'•s el fa11.1· 111.rstiq1u•s »

par le P' Michel Bourel . .... . . ......... ........ . . .. .

• /Jibliop:raplti<• . . . .. .... . ... . . ....... . .. . .. .. ... Ill ' cou,.,

MÉDECINE DE L'HOMME N° 229 e 1

1 Liminaire (suite)

Les médecins peuvent alors être confrontés à des diagnostics difficiles dont nous fait part le or Cuvelier.

Le père Baudry o.c.d., pose, avec discernement, l'interrogation de« normalité» que Thérèse d'Avila s'est elle-même posée.

Est spirituelle la démarche qui ne s'arrête pas à un moment narcissique, si intense ou si exceptionnel soit-il. Toute découverte amoureuse n'est-elle pas engagée dans la dynamique de la rencontre de l'autre comme autre ? Cet appel à la maturation passe, en effet, de la projection de soi dans l'autre, à la reconnais­sance de la vérité de l'autre dans sa différence.

Si difficile que soit le jugement, s'il était légitime d'en porter un, sur l'état mystique, le mieux n'est-il pas de le situer dans la temporalité en suivant la voie indiquée par le titre choisi par le P Bourel en guise de conclusion :

«Vous reconnaîtrez l'arbre à ses fruits» (Mt. 7, 20). Il

Le prochain numéro de la revue « Médecine de l'Homme »

de JUILLET-AOÛT 1997- N° 230, aura pour thème:

MALTRAITANCES À ENFANTS SÉVICES SEXUELS

2 e MÉDECINE DE L'HOMME N° 229

La mystique, qu'est-ce à dire?

par le Père Jean ABIVEN, o.c.d. (*)

La question est susceptible de multiples approches. On peut l'aborder du point de vue de l'observation cli­nique, sous réserve toutefois d'avoir bien ciblé l'objet. On peut, en historien, étudier comment s'est présentée la vie mystique dans les diverses religions. On peut encore, comme Bergson le fit brillamment, se demander en philo­sophe quelle en est la signification.

Nous abordons ici la question d'un point de vue théo­logique, c'est-à-dire dans une perspective qui admet l'existence de Dieu et la possibilité pour l'homme d'entrer en relation avec lui, la question restant ouverte de savoir qui des deux a l'initiative de cette relation.

Ajoutons immédiatement que cette perspective théo­logique est ici celle de la tradition chrétienne. On ne nie pas que la vie mystique puisse se retrouver dans d'autres traditions. Le Bouddhisme, !'Hindouisme ou l'Islam ont leurs mystiques. Mais, comme on le verra au passage, les conceptions que l'on trouve dans ces courants de pensée, divergent de ce que pense la tradition judéo­chrétienne. La perspective de notre approche étant ainsi posée, nous essaierons tout d'abord de cerner ce qui, aux yeux du théologien, constitue l'essentiel de la vie mystique. Ceci nous permettra de situer, dans un second temps, les phénomènes plus ou moins voyants, plus ou moins insolites, selon lesquels elle se manifeste parfois. Nous pourrons alors apprécier, en conclusion, la portée relative de certaines approches.

* * *

La vie de relation à Dieu suppose toujours, selon la conception chrétienne, une initiative divine que l'on appelle la grâce. «Dieu nous a aimés le premier» nous dit saint Jean. Sans elle nous ne pouvons rien faire qui soit agréable aux yeux de Dieu. Cette grâce n'est refusée à .aucun homme de bonne volonté, même si c'est à l'Eglise qu'est dévolue la mission de manifester au monde ce que devient l'homme quand la grâce est à l'œuvre.

Mais cette initiative divine à l'égard de l'homme, est, comme Dieu lui-même, inaccessible en droit à l'observa­tion expérimentale. Ceci veut dire qu'en règle commune l'homme est amené à gérer sa vie religieuse selon les lois qui sont celles de toute activité humaine. Il prend les déci­sions que sa raison lui dicte conformément aux préceptes

(*) Carme - Le Broussey - Gironde.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 229 o 3

l . ' ' ,. l) _Ja mJ~sttque, qu est-ce a c tre •

qui sont ceux de sa communauté religieuse. Pour parler concret, il adopte par exemple une règle de vie appro­priée à sa condition, il se fait aider au besoin par un conseiller spirituel, il use des moyens qui sont à sa dis­position : sacrements, dévotions, lectures, groupements de piété ou d'activité apostolique, etc. Il procède par essais et erreurs, retenant ce qui donne pour lui de bons résultats. Quand il enregistre une réussite, au plan moral, caritatif, apostolique, il s'en réjouit. L'échec, au contraire l'attriste mais aussi le stimule. Les auteurs spirituels du xv11° siècle français aiment à parler de « l'affaire » de notre vie chrétienne. Le mot est significatif. La gestion de la vie chrétienne est une « affaire » humaine.

Ceci est le registre courant selon lequel se déroule la vie du croyant. Mais la théologie chrétienne a toujours reconnu l'existence d'un registre supérieur. La grâce qui pénètre l'homme et le rend, selon saint Pierre, « partici­pant de la nature divine » établit en lui une sensibilité par­ticulière au divin, un organisme sensoriel d'ordre surnatu­rel pourrions-nous dire. La charité en se développant affine ces sens spirituels et les rend éveillés par rapport à toute initiative divine. En langage technique, on a pu par­ler à ce sujet des « dons du Saint-Esprit » qui seraient comme des récepteurs de la grâce. Que l'on retienne cette explication théologique ou une autre, on doit admettre que Dieu quand il le veut peut empoigner en quelque sorte la personne en qui la charité est éveillée, et la faire fonctionner cette fois à sa manière à lui, si l'on peut dire, et non plus à la manière humaine. L'homme ou la femme ainsi saisi par Dieu aura dès lors un comporte­ment qui, tout en demeurant pleinement humain, mani­festera en quelque manière un «plus», une marque ou une saveur divine. Cette personne n'aura sans doute pas la perception directe de Dieu. Mais elle fera l'expérience d'une « vie avec Dieu » qui lui donnera comme un avant­goût de ce qu'est Dieu.

Cette connaissance n'est pas, en soi, de l'ordre notionnel, mais plutôt de l'ordre du vital. «Connaître», dans la mentalité biblique pourrait se traduire par des expressions comme « être familier de ... >> ; « être en accord avec ... » ; cc être à l'unisson de ... » ; cc être sur la même longueur d'onde que ... », En ce sens, le paysan cc connaît » ses bêtes, le marin « connaît » le temps, le mécanicien cc connaît » un moteur, il sent d'instinct si cela marche ou non. Une maman, de même, cc connaît» son fils ; et une bonne chrétienne peu instruite, qui ne sait dire que son chapelet mais vit dans le don de soi,« connaît» Dieu beaucoup mieux que tel savant théologien, même si elle est incapable d'aligner trois phrases pour le dire.

Tel est, peut-on dire, l'essentiel de l'expérience mys­tique pour la théologie chrétienne. Il est bon, toutefois, de préciser en quoi peut consister ce cc fonctionnement à la manière divine» dont nous avons parlé. Saint Jean de la Croix est ici la référence. Il note que, dans un premier temps de cette expérience, le mystique se trouve plongé dans ce qu'il appelle la « nuit passive du sens », où se trouvent obscurcies et brouillées toutes les appréhen­sions distinctes qu'il pouvait avoir de Dieu. Il ne voit plus rien ni ne comprend plus rien. Dieu lui fait comme toucher du doigt qu'il est I' Au-delà de tout, celui qu'on ne voit, ni ne sent, ni ne touche. Puis intervient- parfois simultané­ment, du reste - la « nuit passive de l'esprit », où l'homme éprouve son être de pécheur, son propre enfer,

4 o MÉDECINE DE L'HOMME N° 229

pourrait-on dire. Expérience encore de ce qu'est Dieu, mais par le moyen de l'horreur qu'on ressent à découvrir combien on lui est opposé. Ceci, toutefois, débouche à court ou long terme, sur une communion plus ou moins vivement perçue à l'amour que le Christ éprouve pour son Père et pour le salut des hommes. Un amour qui se traduit par des œuvres.

Thérèse d'Avila apporte à cette doctrine un éclairage complémentaire. Décrivant simplement sa propre expé­rience, elle témoigne de ce que le cc fonctionnement à la manière de Dieu » peut être aussi quelque chose de savoureux, du reste gratifiant ou douloureux. Le mystique s'éprouve comme saisi par Dieu, un recueillement lui est donné, sans qu'il y soit pour quelque chose ; ou encore des lumières savoureuses qui vont fixer son attention sur une vérité de la foi, un détail d'une scène évangélique qui deviendra lourd de sens. Et tout ceci aura un goût. Thé­rèse parle de « gustos » quelque peu divin. Parfois encore ce sera une joie d'être aimé de Dieu sans qu'au­cune cause ne l'explique. Ignace ,de Loyola parlera, lui, de cc consolation sans cause ». A un degré supérieur, Thérèse parlera de visions ou de paroles intérieures qui, sans frapper ses yeux ou ses oreilles, auront pourtant pour son intelligence et son action des effets analogues à ce que produisent les sens ou la réflexion.

De plus, cette emprise de Dieu peut aboutir parfois à suspendre les activités psychiques et à faire perdre, en conséquence, la notion du temps, de soi-même, de l'en­vironnement. C'est alors ce que l'on appelle l'extase. Certaines formes d'emprise de Dieu, que Thérèse appelle « oraison d'union » sont, de soi, extatiques. Mais il s'agit là pour elle de formes encore déficientes de l'union à Dieu, comme si la personne, encore peu fami­lière de l'approche du divin, y perdait, si l'on peut dire, ses moyens. La Thérèse définitive, contrairement à ce que l'on pense souvent, n'est pas celle qu'a représentée Le Bernin, pâmée sous le dard du chérubin, mais cette femme d'action qui ne connaît plus d'extases et fait face aux situations les plus difficiles avec un calme souverain.

Au terme de son évolution, pour Jean de la Croix comme pour Thérèse, le mystique est celui qui vit en quelque sorte en synergie avec Dieu. Sa nature humaine, ses capacités, son génie éventuellement, sont comme transfigurés et survoltés par l'amour divin, auquel il n'offre plus de résistance. Le mystique donne alors la pleine mesure de ce qu'il est et bien plus encore. Il faut se reporter sur ce point, aux pages admirables qu'a écrites Bergson dans « Les deux sources de la Morale et de la Religion » pour décrire le comportement des mystiques chrétiens comme une forme tout à fait supérieure de l'activite humaine (1 ).

Cette brève esquisse du mysticisme appelle quelques remarques. Tout d'abord, selon la conception chrétienne, l'expérience mystique est purement gratuite. Dieu la donne à qui Il veut, quand Il veut, comme Il veut. Il ne saurait donc y avoir de procédé ou de recette pour y conduire. On voit tout de suite comment cette conception se sépare de celle des sagesses orientales, qui préconi­sent des pratiques ascétiques capables de provoquer

(1) Bergson, .. Les deux sources de la Morale et de la Religion" - Paris, 1932, pp. 240 et suiv.

selon elles cette expérience du divin. Pour le chrétien, l'ascèse est sans doute nécessaire pour se libérer du poids de ses penchants et parvenir à une disponibilité totale à Dieu. Mais cette ascèse est radicalement inadé­quate, elle ne saurait conduire à l'expérience mystique par sa propre vertu.

On comprend dès lors que les vrais mystiques chré­tiens n'aient jamais voulu « devenir des mystiques ». Ils ont voulu <<devenir des saints», ce qui est tout autre chose. Ils ont cherché à faire la volonté de Di~u en conformant leur vie à celle de Jésus-Christ et à l'Evan­gile. Thérèse d'Avila met fortement en garde ses sœurs contre toute attente fiévreuse des grâces qu'elle appelle « surnaturelles ». On peut s'y disposer, sachant que Dieu n'a d'autre désir que de se communiquer.

Mais l'initiative divine ne saurait être forcée. Le chré­tien est celui qui conforme sa volonté à celle de Dieu ; qui, en conséq~ence, imite le Christ et se soumet à la régulation de l'Eglise. Voilà pourquoi il n'y a de mystique chrétienne que dans la mouvance du Dieu-Homme, chemin nécessaire ; et auçune révélation valable qui ne soit un simple écho de l'Evangile. Par cette référence au Dieu-Homme, la mystique chrétienne se sépare de l'Islam.

Il s'ensuit que lorsqu'on parle de mystique en théolo­gie, on ne rejoint pas tout à fait ce que l'opinion courante met sous ce mot. L'insolite n'en constitue pas l'essentiel. Une Thérèse de Lisieux s;i, dans sa vie, peu de choses qui sortent de l'ordinaire. L'Eglise catholique la tient pourtant non seulement pour une sainte, mais pour une très grande mystique, à l'instar d'une Thérèse d'Avila chez qui l'emprise divine a produit des effets plus spectacu­laires. On a publié, voici quelques années, les expé­riences d'une Camille C ... , une femme belge, épouse et maîtresse de maison, vivant une vie ordinaire dans un milieu social aisé (2). Son expérience mystique est demeurée, pour l'essentiel, une expérience intérieure. Sans doute a-t-elle été saisie parfois, au théâtre ou ailleurs, par une extase demeurée discrète. Cette discré­tion n'exclut pas l'authenticité, bien au contraire. La stig­matisation d'une Thérèse Neumann ou la privation complète de nourriture de Marthe Robin - techniquement on parle d'« inédie » - ne sont pas ce qui fait d'elles des mystiques au sens théologique du mot (3).

Mais, objectera-t-on, que faut-il penser de tous ces phénomènes que l'on observe quand même souvent chez ceux ou celles que l'on appelle mystiques : extases, mais aussi lévitations (la personne soulevée du sol), stig­matisation, inédie ? Sans compter des manifestations encore plus incompréhensibles ou plus difficiles à vérifier comme la bilocation (présence simultanée de la même personne en deux endroits différents). Toutes ces réalités sont à prendre en compte par quiconql;Je est curieux de l'expérience humaine dans sa totalité. A ce titre, ils inté­ressent le scientifique. Et ils lui posent des questions soit par leur caractère difficilement explicable, leur absence apparente de signification ou encore leur analogie avec des phénomènes pathologiques.

. (2) « Camille C ... " ou l'emprise de Dieu, présenté par H. Caffarel, Paris, Ed. du Feu Nouveau.

(3) Thérèse Neumann, paysanne allemande a vécu de 1923 à 1962 les souffrances de la Passion chaGue vendredi avec effusion de sang. Marthe Robin, rurale elle aussi, des environs de Valence, morte en 1982, a vécu une quarantaine d'années sans autre nourriture que la communion quotidienne.

Nous abordons là un problème difficile, sur lequel on est bien loin d'avoir fait toute la clarté. Dans le cadre restreint de cet article, on peut seulement faire appel à quelques principes.

On l'a vu, la mystique consiste pour l'essentiel en une manière de vivre qui, tout en demeurant pleinement humaine, manifeste un« plus». Elle fait partie de l'expé­rience chrétienne et elle consiste selon le joli mot de Bergson « à repasser la lettre du dogme en caractères de feu ». On pourrait dire, avec un connaisseur avisé de Thérèse d'Avila, qu'elle joue par rapport à l'expérience chrétienne ordinaire le rôle d'un« miroir grossissant» (4). Autrement dit, le mystique est celui qui vit en très gros ce que la plupart des fidèles vivent en petit ; celui qui touche du doigt ce que le chrétien ordinaire se contente de tenir dans l'obscurité de la foi. Il peut par le fait même témoi­gner devant tous : « Ce que vous vivez à l'obscur, ce n'est pas un leurre, je l'ai éprouvé, vécu», Ou, pour repren­dre un titre célèbre : « Dieu existe, je l'ai rencontré >>.

L'expérience d'une Thérèse d'Avila peut être, en ce sens, exemplaire. Pendant une douzaine d'années, il lui a été donné d'éprouver à ses côtés la présence du Christ ressuscité. Il lui faisait sentir qu'il était là comme un compagnon de route, la réconfortant par des pproles inté­rieures, souvent à peine demarquées de l'Evangile et surtout de saint Paul; l'instruisant aussi, en lui représen­tant intérieurement soit les principaux mystères de sa vie terrestre, soit les vérités essentielles de la foi. De sorte que la relation de ses expériences apparaît comme un commentaire vivant du donné révélé dans sa totalité tel qu'il était annoncé au xv1e siècle espagnol : « De la Trinité à l'eau bénite», a-t-on pu écrire plaisamment. Après une douzaine d'années de cette perception, le Christ lui a fait éprouver sa présence, non plus à ses côtés, mais au plus profond d'elle-même, à la racine même de son être, comme si elle était greffée sur lui, à la manière du sar­ment sur le cep, leurs œuvres étant communes. Ceci, après qu'eussent cessé extases et visions. On voit tout de suite comment cette expérience est un écho de l'en­seignement de saint Paul, selon lequel le mystère de la relation au Christ, trop riche pour être épuisé par une seule saisie intellectuelle, s'exprime comme une vie « avec » le Christ, compagnon de route distinct et séparé ; et une vie « dans» le Christ par une sorte d'apparte­nance mystérieuse à son Corps.

Le mystique est ainsi celui qui, quelle que soit sa sainteté personnelle, est investi d'une mission de témoi­gnage. En langage théologique on parle alors de cha­risme, donné non plus pour la convenance personnelle mais pour l'utilité du peuple de Dieu. Si l'on admet, avec la foi chrétienne, que Dieu reste toujours maître de per­turber quelque peu les lois qu'il a données à la nature, il faut alors reconnaître d'une part que la science ne puisse faire autre chose que constater l'inexplicable et d'autre part que la foi doive toujours s'interroger sur la valeur de signe que peuvent avoir de tels faits. L'expérience de Thérèse d'Avila citée plus haut, encore qu'elle ne boule­verse guère les lois de la nature, apparaît très signifiante. Thérèse, du reste, enseigne que le critère d'authenticité dans ce domaine demeure la conformité au donné révélé. «On reconnaît l'arbre à ses fruits», Si telle révé­lation est t(\nt soit peu en dissonnance avec l'enseigne­ment de l'Eglise, si tel comportement s'éloigne de la morale évangélique, la cause est entendue.

(4) L'expression est du Père Thomas Alvarez, Carme espagnol, dans un cours inédit.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 229 o 5

La mystique, qu'est-ce à dire ?

D'autres faits, au contraire, beaucoup plus spectacu­laires, peuvent laisser perplexe sur la signification qu'ils portent. On peut ainsi se demander ce que veut dire chez une Marthe Robin l'abstention de nourriture, hormis la communion, pendant quarante ans. Peut-être un rappel que « l'homme ne vit pas seulement de pain ,, ? Ne peut­on pas penser, de même, que la stigmatisation témoigne d'un amour assez intense pour partager jusque physi­quement le mystère pascal du Seigneur ? Ou que cer­tains faits encore plus étranges de bilocation ou de lévitation tendraient à montrer par anticipation que dans « les cieux nouveaux et la terre nouvelle ,, les lois du corps seront soumises à celles de l'esprit? Ce ne sont là que des points d'interrogation posés avec une extrême circonspection. Le merveilleux peut avoir un sens, mais on serait tenté de dire que plus il sort de l'ordinaire plus il faut être réservé à son égard.

On coll)prend en particulier que la science médicale - comme l'Eglise du reste - soit a priori en méfiance. Car elle a son mot à dire. Les réactions physiologiques et psychologiques de l'être humain ne sont pas encore tota­lement connues. Mais elles relèvent de la science expéri­mentale et de l'observation clinique. On sait que la pra­tique de disciplines ascétiques préconisées par les sagesses d'Extrême-Orient aboutit à des performances spectaculaires, parfois difficilement croyables au premier abord. D'autre part, la concentration mentale à laquelle l'être humain peut se livrer, les tensions psychologiques auxquelles il peut être soumis, peuvent avoir des reten­tissements insolites.

Le climat psychologique dans lequel évoluent cer­taines personnes dites mystiques n'est pas étranger aux formes que prend leur expérience. Certains maîtres spiri­tuels en ont fait la remarque. On prête au Père Marie­Eugène de l'Enfant-Jésus (5) ce propos : « Chez nous, au carmai, il n'y a guère de stigmatisés, mais plutôt des gens favorisés de grâces d'oraison, voire d'extases ; les stigmates, c'est dans d'autres traditions spirituelles qu'on les trouve plus fréquemment ,, . Ce propos, exprimé sous forme de boutade, comporte cependant une part de vérité. Une famille spirituelle qui insiste fortement sur la méditation de la Passion, sur la communion aux souf­frances du Sauveur, pourrait peut-être, en effet, se trou­ver plus souvent en présence de phénomènes de stig­matisation. Et ainsi du reste.

D'autant plus que, comme on l'a dit, beaucoup de ces effets spectaculaires sont à mettre au compte des défaillances de l'organisme, physiques ou psycholo­giques, que peut entraîner une expérience paroxystique. Bien loin de s'extasier - sans jeu de mot ! - sur ce genre de choses, il conviendrait de les considérer comme des faiblesses destinées à disparaître quand la véritable vie mystique aura atteint son plein épanouissement.

Et ceci nous conduit à une autre considération. Un mystique n'est pas nécessairement un type supérieur d'humanité. Il peut avoir ses blessures, ses tares, ses névroses. Celles-ci se manifesteront parfois d'autant plus que les grâces authentiques seront plus fortes. De sorte

(5) Le Père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus, Carme français, mort en 1962, est l'auteur d'un traité de la vie spirituelle universellement connu, .. Je veux voir Dieu"· Il est considéré comme l'un des maitres spirituels de notre temps.

6 O MÉDECINE DE L'HOMME N° 229

que nous pouvons assister à des comportements où le spirituel le plus vrai se marie inextricablement au patho­logique le plus notoire. Un Père Surin, au xv11° siècle, mêlé à l'affaire des possédées de Loudun, en est un exemple typique.

On comprend dès lors pourquoi certaines écoles médicales ou psychologiques aient pu considérer la mys­tique comme une forme particulière de pathologie. Nous comprenons ce point de vue. Sans le partager toutefois. Il est de fait que l'organisme humain n'est susceptible de réactions physiques ou psychologiques que dans les limites d'une certaine gamme. S'il est soumis à l'extra­ordinaire, ses réactions peuvent être les mêmes, quelle que soit la nature de cet extraordinaire : qu'il soit patholo­gique et donc infra-humain ou au contraire en quelque sorte surhumain. Un modeste instrument musical manié par un Bach ou par un débutant quelque peu délirant ne pourra donner dans les deux cas qu'un nombre limité d'harmoniques. Pour juger de la production, il faudra recourir à d'autres critères que ceux des qualités tech­niques de l'instrument. De même, certaines manifesta­tions que l'on observe dans une vie mystique authentique peuvent présenter des analogies nombreuses avec celles que l'on retrouve dans un hôpital psychiatrique. Ramener la signification des premières aux secondes équivaudrait à juger d'un tableau de Rouault d'après l'épaisseur des couches de peinture ou les blessures infligées à la toile par le pinceau de l'artiste. On a voulu expliquer l'expérience de Thérèse d'Avila par un psychisme entaché d'hystérie. Il est hors de notre compétence de juger de l'existence de composantes hystériques dans sa personnalité. Mais il est permis de souhaiter que l'humanité produise par douzaines des hystériques de ce genre !

Ceci nous amène à conclure. Que les sciences humaines médicales ou psychologiques se penchent sur le fait mystique, quoi de plus naturel ? N'est-on pas en présence d'un type particulier d'expérience humaine ? Encore faut-il bien cibler son sujet et ne pas confondre la mystique avec les comportements extraordinaires qu'en sont les manifestations les plus marginales, ou simple­ment même avec des phénomènes concomitants dus aux faiblesses de la nature face à une expérience parti­culièrement forte.

Il faut en outre mesurer la portée limitée d'une approche purement scientifique de ces réalités. Car cette approche ne manque pas de soulever la question du sens qui, elle, n'est plus de son domaine. Assimiler ces faits à des manifestations purement pathologiques, c'est faire fi, comme l'a montré Bergson, de la santé psycholo­gique dont font preuve la plupart des mystiques authen­tiques. C'est en conséquence adopter une attitude réduc­trice qui n'a rien de scientifique. Une observation qui se veut pleinement objective débouche au contraire sur la question du sens. Il faut alors ou demeurer sur une inter­rogation ou recourir aux lumières de la philosophie et, plus encore, de la foi. L'auteur de ces lignes n'est pas loin de penser que pour disserter valablement des mystiques il est peut-être bon, non de cheminer à leur hauteur, mais de leur emboîter le pas. Ill

A

Etre mystique et musulman

par le Père Pierre LAMBERT, o.p. (*)

l existe déjà de nombreux livres sur les mystiques musulmans, je ne peux qu'engager vivement à les lire. Mon propos, dans cette courte réflexion, est d'un autre ordre : la démarche mystique, dans sa rencontre immé­diate avec Dieu, est-elle compatible avec la foi musul­mane?

La réponse semble être spontanément affirmative, tant sont nombreux ces hommes et également ces femmes qui au sein même de l'islam ont vécu de façon très intense l'expérience mystique. Ces mystiques, ces soufis comme on les appelle habituellement, sont les témoins de cette tendance profonde inscrite au cœur de l'homme d'aller à la rencontre de Dieu. Mais ce chemin a été parcouru au prix de bien des confrontations, allant jusqu'à la crucifixion pour Al-Hallaj en passant par l'oubli le plus absolu pour An-Niffari.

Fondamentalement la religion construite sur le Coran refuse qu'il puisse y avoir chez l'homme la moindre expé­rience de Dieu : Dieu est « akbar », l'absolu ment grand, « samad », l'impénétrable, « ghayb », le mystère. Aucune parole ne peut<< dire» Dieu, c'est ainsi que Louis Gardet concluera que dans le Coran Dieu révèle sa parole, mais Dieu ne se révèle pas. Une telle transcen­dance se trouve mise en évidence dans les religions juives et chrétiennes, un poème attribué à l'évêque Grégoire de Naziance nous le rappelle:

« ô toi, l'au-delà de tout «n'est-ce pas là tout ce qu'on peut chanter de toi? « Quelle hymne te dira, quel langage ? « Aucun mot ne t'exprime ... « Seul tu es indicible, « car tout ce qui se dit est sorti de toi. « Seul, tu es inconnaissable, « car tout ce qui se pense est sorti de toi. »

Les théologiens de l'islam ont plus que renforcé cette inconnaissance de Dieu, ce qui les a conduits, dès qu'un musulman témoignait d'une relation personnelle et familière avec Dieu, à le condamner. Et pourtant, c'est bien en tant que musulman que ces hommes et ces femmes ont fait l'expérience de Dieu. Comment est-ce possible?

(*) Ex-aumônier du C.C.M.F.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 229 o 7

Etre mystique et musulman

Le Coran, chemirl d'urw rencontre avec Dieu

Bien que peu connus, il existe trois versets du Coran qui font de la rencontre de Dieu l'objet même de la démarche religieuse :

« Rien chez personne ne mérite récompense de sa part, hormis le désir de la face de son très haut Seigneur, alors il sera comblé » (Sourate 92, versets 19 à 21 ).

Ces trois versets surprennent tellement que bien des musulmans, tout en les connaissant par cœur, n'en font pas l'analyse concrète sur ce qu'ils impliquent dans leur relation avec Dieu. Il s'agit ici de la reprise d'un verset du Psaume 27 : « Je cherche ta face, Seigneur » (verset 8). Contrairement aux doctrines « officielles » cette démarche met bien en évidence le désir inscrit au cœur de l'homme de rencontrer Dieu face à face.

À partir de ce désir, les soufis vont élaborer, en s'ap­puyant non pas sur le texte, mais sur l'existence même du Coran, une pratique de la rencontre de Dieu.

Lorsqu'un musulman écoute psalmodier le Coran, il reçoit une réalité qui de récitant à récitant remonte à Muhammad lui-même. C'est ainsi qu'en écoutant le Coran, le soufi peut se considérer comme se trouvant devant Muhammad au moment où lui-même récitait le Coran. Mais la réalité du Coran a été reçue par Muhammad lui­même de l'archange Gabriel. Le soufi peut donc, en écou­tant le Coran, se considérer comme se trouvant à côté de l'archange Gabriel au moment où celui-ci le transmettait en le récitant à Muhammad. Mais, se trouvant à côté de l'ar­change Gabriel, le soufi peut se considérer comme enten­dant le Coran lorsque Dieu lui-même le confiait à l'ar­change Gabriel. Le Coran constitue ainsi comme un fil d'Ariane qui de récitant en récitant permet au mystique de se rapprocher de Dieu. Ce n'est donc pas le message, en tant que parole signifiante, qui permet de se rapprocher de Dieu, mais le fait même que ce message vienne de Dieu.

De ce fait, ce n'est pas tellement le contenu noétique de l'enseignement qui constitue l'essentiel des textes mys­tiques. La valeur d'un texte lui vient de ce que, au-delà des mots et des lettres, celui qui désire aller à la rencontre de Dieu est en mes~re de s'approcher de la personne qui en est à l'origine. A la limite, peu importe la signification exacte du message. Par contre, la communication entre personnes que permet l'existence d'un texte est irrempla­çable. De là l'aspect bien souvent « fermé » présenté par de nombreux ouvrages mystiques. En voici un exemple :

« il m'arrêta dans l'indicible et me dit : « par lui tu te concentres dans le dicible. « Il me dit : si tu ne vois pas l'indicible, dissous-toi dans le dicible « Il me dit: l'expression est écart. «Si tu vois l'immuable, tu ne t'écartes pas. »

(An-Niffari, station de l'indicible, traduction de Mohammed Oudaimah et Anne Wade-Minkowski).

Il est vrai que dans le Coran Dieu ne se révèle pas. Mais à travers l'existence du Coran venant de Dieu, le soufi trouve un chemin qui le conduit à la rencontre de Dieu. Ce qui permet de continuer à tenir l'ineffabilité de Dieu.

8 • MÉDECINE DE L'HOMME N° 229

La prière, lieu de la rencontre avec Dieu

Au-delà même des mots, les gestes de la prière constituent également un chemin pour le mystique musulman. Ceux qui participent aux réunions de prière des groupes dits « charismatiques » le savent bien : les gestes permettent d'établir une certaine rencontre de Dieu. Ceci se retrouve tout autant dans la prière musul­mane qui met en œuvre l'ensemble du corps dans des positions très expressives de la relation à Dieu. Ayant passé moi-même plusieurs fois la nuit du destin (27° nuit du Ramadan) à prier dans des mosquées, je peux ici apporter mon témoignage personnel.

Un premier élément tient au fait que la prière ne se fait pas en direction d'un point précis dans l'espace envi­ronnant, mais dans la direction de la Mekke, lieu lointain et symbolique. Il peut arriver que le priant se trouve tout simplement devant le mur de la mosquée. Alors la prière se dirige tout naturellement vers l'invisible, vers le Tout­Autre qui n'est même plus celui devant qui je me tiens mais celui en qui je suis totalement ; il n'y a plus que Lui et je disparais en Lui.

Toute la tradition musulmane est d'accord sur ce point que le musulman n'est jamais plus proche de Dieu que ·lorsqu'il se trouve prosterné, le front collé à la terre. Dans une telle attitude, l'homme, en lui-même, n'est plus rien qu'un peu de poussière, mais il se trouve dans sa vérité face à Dieu et donc se trouve proche de Dieu. Le même geste se retrouve, avec la même signification, dans la prière de nombreux saints chrétiens.

Par ailleurs, il m'a été donné de rencontrer au Maroc les derniers témoins de la tradition de la prière hésy­chaste (1 ). J'ai connu des jeunes musulmans qui, dési­reux de vivre la prière perpétuelle, allaient se former sous la conduite d'un maître spirituel dans le Moyen Atlas, près de Taza, pendant deux à trois ans. Là, il leur était ensei­gné à prier sur le rythme de la respiration, à l'aide d'une courte phrase répétée sur l'inspir et sur l'expir. Une telle prière devenait peu à peu un acte permanent, qui se maintenait dans toutes les activités de la vie, y compris le sommeil. Leur vie devenait ainsi une relation continuelle avec Dieu.

Je voudrais terminer sur un témoignage. Quelques mois après avoir fait sa connaissance, un ami marocain me posa très simplement la question : « Pierre, est-ce que tu penses à rendre grâce à Dieu?». Jamais un chré­tien ne m'avait posé une telle question. Voyant ma sur­prise, mon ami me cita cette sentence qui me paraît bien caractériser le soufisme :

« Celui qui est dans la grâce et qui ne rend pas grâce, « il en sera exclu et il ne le sentira pas ». Il

(1) Hésychasme : École de spiritualité de l'Église orthodoxe, fondée sur la contemplation et l'invocation réitérée du nom de Jésus.

Les Chinois et la mystique

par le Père Yves RAGUIN, s.j. (*)

Introduction Lin Yü-t'ang, philosophe chinois décédé en 1976, a

écrit dans son livre La Sagesse de la Chine : cc Pour ce qui est de la civilisation chinoise, l'impres­

sion générale est que c'est un genre de culture humaine/ rationaliste et facile à comprendre. Le tempérament chi­nois est, dans son ensemble, humaniste, non religieux et pas mystique. Ceci est vrai jusqu'à un certain point. Je suis entièrement d'accord pour dire qu'il est humaniste, mais je ne suis pas d'accord pour dire qu'il est non-mys­tique, parce que toute culture qui possède une profonde fondation spirituelle doit être, en un sens, mystique. Si par cc non-mystique,, on entend la vénération moderne, ser­vile et sans profondeur des faits mécanistes et matéria­listes ... , alors je dois rejeter cette idée que la civilisation chinoise soit tombée si bas. Le fait est que, toute branche du savoir, que ce soit l'étude des roches et des minéraux, ou l'étude des rayons cosmiques, touche au mystique, dès qu'elle atteint une certaine profondeur ,, (1 ).

Comme le remarque Max Kaltenmark, l'attitude des Chinois est mystique à l'égard de l'ensemble du cosmos dans lequel l'humanité est immergée. C'est peut-être un mysticisme latent, mais c'est un mysticisme. Cette atti­tude s'est développée en toute liberté dans le taoïsme, le bouddhisme et les religions populaires (2). Le confucia­nisme lui-même que l'on définit comme un humanisme, implique l'existence d'un lien spirituel et mystique avec le Ciel, pouvoir suprême qui régit l'univers.

L'art de la divination Il y a plus de trois mille ans, les Chinois avaient déjà

élaboré une technique de la divination pour communiquer avec leurs ancêtres et avec les divinités. Nous avons, pour nous renseigner sur ces techniques, des milliers d'inscriptions oraculaires qui datent de la fin du second millénaire avant l'ère chrétienne. Ces inscriptions sur omoplates de bœuf ou sur des plastrons de tortues ont été retrouvées à la fin du siècle dernier.

(*) Le Père Yves Raguin (sj) séjourne depuis de nombreuses années en Extrême-Orient (Shanghai, avril 1949/aout 1953; Taïwan, septembre 1953/juillet 1959 ; Vietnam sud, juillet 1959/juillet 1964 ; Taïwan (Taipei), juillet 1964 jusqu'à maintenant.

(1) Lin Yü-t'ang. The Wisdom of lndia and China. Part Il The Wisdom of China. New York. The Modem Library,1942 Introduction, r· 567. . (2) Kaltenmark, Max. Lao-tseu et le taoïsme. Col . Maitres spirituels. Editions du Seuil, 1965. pp. 79, 104, 121.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 229 e 9

!Les Chinois et la mystique

La société de la fin des Shang (Chang) (3) (1765-1122 ?) présentait une organisation sociale et politique très avancée. La divination mettait les humains en rela­tion avec leurs ancêtres et avec les esprits.

Comme dit le Père Jean Lefeuvre : cc À l'époque de la fin des Shang il y avait des chamans, mais les devins du roi n'effectuaient pas la divination en entrant en transes. Les Shang cherchaient à entrer en communication avec les esprits, spécialement avec leurs ancêtres, mais d'une manière rituelle et ordonnée» (4).

La divination, magique dans ses origines, devint de plus en plus religieuse, mais déjà, à la fin des Shang, se manifesta une tendance humaniste qui s'épanouira sous la dynastie des Zhou (Tcheou) (1121-222).

Le livre des mutations Yi-jing (Yi-king)

On appelle Livre des mutations, ou Livre des chan­gements, un recueil de 64 hexagrammes. Ces hexa­grammes sont la combinaison de six lignes, les unes bri­sées, représentant l'élément cc yin » féminin, les autres non brisées «yang » représentant le masculin. Ces hexagrammes sont employés pour la divination. Mais leur ensemble représente l'univers et l'humanité dans leurs mutations. cc Les 64 hexagrammes contiennent la représentation la plus précise des aspects de l'univers en mouvement, du continuum espace-temps » (5). Le pre­mier des hexagrammes (pur yang) est le masculin, le second (pur yin) est le féminin. Tous les autres sont la combinaison des deux éléments, ying et yang.

Les 64 hexagrammes disposés en cercle sont une représentation symbolique des mouvements du cosmos. C'est en cela qu'ils ont une valeur mystique. Ces signes permettent d'entrer en relation avec l'invisible mais aussi d'avoir sur lui un certain pouvoir.

Ces hexagrammes ne se trouvent pas dans les ins­criptions oraculaires qui servaient à la divination. Mais ils ont été élaborés avant les systèmes taoïste et confucéen. C'est pourquoi ces deux écoles philosophiques en ont fait des commentaires. Voici, à titre d'exemple, un commen­taire du vingtième hexagramme Guan (kouan) qui veut dire contempler : « Perception de l'invisible, moment où l'on saisit l'influx des énergies cachées » (6). Ainsi celui qui offre un sacrifice est tout absorbé dans la contempla­tion du mystère (7).

(3) Les transcriptions des mots chinois sont données d'abord d'après la romanisation officielle dite " pinyin ,, . Entre parenthèse est donnée la roma­nisation de l'École Française d'Extrême-Orient, qui est plus proche de la pro­nonciation française.

(4) Lefeuvre Jean A. s.j. Collections d'inscriptions oraculaires en France. Variétés Sinologiques, Nouvelle série - n° 70 - Institut Ricci, Taipei, Paris -1985, p. 189.

(5) Lefeuvre Jean A. s.j. Livre des mutations. Dictionnaire Français de la Langue Chinoise, Institut Ricci Taipei, Paris 1976. Appendices, p. 26.

(6) Lefeuvre Jean A. s.j. Livre des mutations. Dictionnaire français de la langue chinoise, Appendice, p. 32.

(7) Le Yi King. Livre des changements de la dynastie des Tsheou, Tra­duit par P- L.- F. Philastre. Première partie. Annales du Musée Guimet. Librai­rie d'Amérique et d'Orient, Paris 1982, p. 335. I Ching a Book of Changes. Traduit par Richard Wilhelm London. Routledge and Kegan Paul, 1971, Hexa­gramme 20. Kuan.

1 0 o MÉDECINE DE L'HOMME N° 229

La my.'ltique taoïste

La mystique chinoise a trouvé son expression litté­raire et philosophique dans les écrits de deux grands maîtres Laozi (Lao-tseu) et Zhuangzi (Tchoueng-tseu). Les textes que nous possédons sont d'époques relative­ment tardives, IV° et 111° siècles avant l'ère chrétienne, mais la doctrine qu'ils proposent a son origine dans un passé insondable. Leur école d~ pensée porte le nom de Dao-jia (Tao-kia) c'est-à-dire, I'« Ecole du Dao», ou cc de la voie».

Cette voie est la voie primordiale, à la fois l'origine, le chemin, le but final.

La première mention de cc l'École du Dao » dans l'histoire officielle la définit comme une mystique à trois dimensions : « L'école taoïste exhorte les hommes à l'unité de l'esprit, enseigne que toutes les activités doi­vent être en harmonie avec l'invisible, et prône une grande libéralité envers toutes les choses de la nature» (8).

Ce texte date des environs de l'an 1 OO avant l'ère chrétienne, mais le chapitre 33 du Livre de Zhuangzi nous plonge dans les origines de cette doctrine. L'auteur rappelle que, dès l'antiquité, il y a eu plusieurs manières de gouverner le monde. Celle que l'auteur préfère est cc la méthode du Dao », l'antique méthode de la Voie. Ceux qui conçurent cette méthode « bâtirent leur système sur le postulat d'une non-existence éternelle et en tirèrent l'idée dominante de la grande unité » (9). Laozi et Zhuangzi sont les héritiers de cette tradition qui va influencer toute l'expérience spirituelle de la Chine. Cette mystique va ensuite imprégner la religion taoïste qui prit forme au deuxième siècle de l'ère chrétienne.

Laozi et Zhuangzi Laozi et Zhuangzi sont bien différents, mais il est

d'usage de les présenter ensemble comme deux mani­festations de la pensée taoïste.

Le Dao-de jing (Tao-te king), le Livre de la Voie et de sa vertu, de Laozi, est un petit traité qui contient un peu plus de 5 000 caractères. Sous sa forme actuelle, il remonte au 111° siècle avant l'ère chrétienne. On peut considérer le Dao-de jing comme un recueil de sen­tences souvent mystérieuses, mais toujours suggestives qui évoquent les relations de l'homme avec l'au-delà, avec les profondeurs du cosmos et avec le monde des humains (10).

Dans la tradition commune, il y a la voie des hommes, la voie du souverain, la voie du ciel. Laozi fait un pas de plus. Il y a la Voie absolue, la Voie qui est au­delà de tout et que l'on ne peut nommer. Cette Voie qui

(8) Sima Qian (Sseu-ma Ts'ien) Mémoires Historiques. Chap.180. Fang You-lan. A History of Chinese Philosophy. Princeton University Press, 1952, Vol. 1, p. 170.

(9) Zhuangsi (Tchouang-tseu), Chap. 33. L. Wieger. Les Pères du sys­tème taoïste. Paris, Cathasia, 1950. pp. 498-459.

(10) Kaltenmark, op. cil. p. 19. Lao Tseu. Tao-Te King. Le livre de la voie et de la vertu. Traduction Claude Larre. Desclée de Brouwer-Bellarmin, 1977.

Lao Tseu. Tao-Te King. Texte traduit et présenté par Claude Larra. Les Carnets DDB, 1994.

est le principe de tout ce qui existe se manifeste dans sa Vertu, puissance qui anime toutes choses.

Le Zhuangzi est un ouvrage qui défie toute descrip­tion. Il est aussi vaste qu'un océan, « il semble transcen­der le monde terrestre, et pourtant il est toujours au cœur de la vie quotidienne. Il est quiétiste, et pourtant la vie pour lui avance à la vitesse d'un cheval au galop. Il est mystique et en même temps la raison le guide comme un phare » (11 ). Alors que Laozi cherche l'union avec la Voie transcendante, Zhuangzi nous invite à suivre notre propre nature. Le livre est plein d'évocations mystiques et d'anecdotes, souvent imaginaires, mais qui nous ramè­nent constamment à l'expérience la plus humaine.

E;i:ubéra11ce my.ytique

Aux environs de l'an trois cents avant l'ère chrétienne nous assistons à la convergence de la pensée philoso­phique taoïste avec la quête de l'immortalité, par les élixirs, les pratiques magiques de divination et les méthodes de contemplation.

Les alchimistes raffinaient le cinabre pour fabriquer une drogue d'immortalité, les ermites scrutaient les mys­tères de la nature et cherchaient à connaître les vertus cachées des plantes et de tous les éléments, les méde­cins figuraient les correspondances entre le microcosme humain et l'univers, établissant ainsi les fondements de la médecine chinoise. Comme le dit M. Kaltenmark, ce sont « les observations et réflexions des « savants » astro­nomes ou astrologues, médecins ou devins qui ont permis de systématiser les croyances populaires. Cette pensée érudite a élaboré les grandes catégories de la pensée chinoise: Dao, Yin et Yang, les cinq éléments» (12).

Au deuxième siècle de l'ère chrétienne, deux grands maîtres taoïstes fondèrent ce que nous appelons l'Eglise taoïste, qui, au cours des âges, essaya d'absorber les croyances populaires, sans jamais y réussir complète­ment. On peut dire que toutes les formes de communica­tions avec les divinités, avec les puissances cosmiques, avec les défunts, avec les esprits bons ou mauvais se retrouvent dans la religion populaire. Les esprits éclairés eux-mêmes ne dédaignent pas de recourir aux devins, chamans ou géomanciens pour rester en harmonie avec les puissances invisibles qui gouvernent notre univers.

L'u11iver.fli,flme confucéen

Sous la dynastie des Shang (Chang), la grande divi­nité était le Shangdi (Chang-ti), !'Empereur d'en-haut. Les Zhou (Tcheou), qui succédèrent aux Shang vers l'an 1100 A.C., mirent en honneur le culte du Ciel, le Tian (T'i~n), puissance suprême regardée comme impersonnelle. Peu à peu dans les milieux dirigeants, l'attention se détourna des relations avec les puissances supérieures pour se reporter sur les relations humaines. Mais ces relations humaines s'épanouissent dans un univers de relations entre le Ciel, la Terre et l'Humanité. Cet « universisme ,, implique une vision mystique de l'existence humaine. La vertu confucéenne du cc jen » ou de la cc bienveillance », s'épanouit dans cette relation avec le Ciel et la Terre.

(11) Wing Tsit Chan, A Source Book in Chinese Philosophy. Princeton University Press, 1953, p. 1 n.

(12) Kaltenmark. Op. cit. p. 38.

Confucius avait certainement une relation person­nelle avec le Ciel qui lui avait confié la mission d'assurer la survie de la civilisation chinoise. Peu à peu cette rela­tion personnelle a été laissée dans l'ombre et la pensée confucéenne s'est sécularisée. Mais elle a toujours gardé quelque chose de la mystique de ses origines.

Après la mort de Confucius, l'école de Xunzi (Siun­Tseu) mit l'accent sur l'humanisme, mais Mengzi (Mong­tseu) développa l'aspect mystique. Or c'est Mengzi qui servit de base et d'inspiration au mouvement Néo-confu­céen qui s'épanouit sous les Song (1127-1279) et devint le confucianisme des temps modernes, avec une branche plus rationaliste et l'autre plus mystique.

La my.'Jtique bouddhique Quand le bouddhisme fut introduit en Chine, très pro­

bablement vers le milieu du premier siècle de l'ère chré­tienne, il se trouva face à deux courants de pensée, le courant confucéen et le courant taoïste.

Les confucéens s'opposèrent violemment au boud­dhisme qui venait troubler leur édifice. Mais le boud­dhisme trouva un accueil favorable chez les taoïstes, qui, avec Zhuangzi, avaient ouvert le chemin de l'esprit par le cc vide du cœur » (13).

La mystique bouddhique n'est pas un envol dans les hauteurs du cosmos.

En se référant à l'expérience du Bouddha, elle ouvre le chemin intérieur de la nature originelle. Cette nature est appelée « nature de Bouddha ,, , principe absolu de tout être pensant et même de tout être vivant.

Dès son introduction en Chine, le bouddhisme a enseigné les méthodes de contemplation qui vont un jour trouver leur expression dans le Zhan (Tchan), le Zen japonais. Le bouddhisme a, en même Jemps trouvé son expression la plus répandue dans l'Ecole de la Terre Pure, chemin de la prière et de la dévotion, où le fidèle est guidé par le Bouddha Amida et les bodhisattvas misé­ricordieux, jusqu'à l'entrée dans le Paradis de la Terre Pure où réside Amida (14).

La vie humaine est un océan de douleur. Le Bouddha est le grand passeur. Il conduit ses fidèles de cette rive sur l'autre rive qui est le Nirvâna. Dans le nirvâna, ni nais­sance ni mort, mais une éternelle béatitude dont on ne peut rien dire. Expérience mystique s'il en fut!

Conclu.'Jioll Ni le Marxisme ni l'essor économique n'ont réussi à

détruire chez les chinois le penchant vers la mystique. La quasi divinisa~ion de Mao' Zedong (Mao Tze-tong) en est un exemple. A Taiwan l'influence de l'Occident a ébranlé bien des convictions religieuses, mais la croyance aux esprits qui habitent les profondeurs de la terre et les espaces célestes demeure profonde même chez ceux qui prétendent en être libérés. Ce n'est pas un paradoxe de dire que plus on s'engage dans le concret, plus on a de chance de devenir un mystique. Ce n'est pas le sens du concret qui abolit la dimension mystique, mais c'est bien plutôt la tendance à privilégier l'abstraction. lil

(13) Zhuangsi Chap. 4, Wieger, op. cit., pp. 232-233. (14) Houang, François. Le bouddhisme de l'Inde à la Chine. Paris,

Arthème Fayard, 1963.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 229 • 11

Démarche spirituelle du bouddhisme

par le Père Jean-Claude BESANCENEY (*)

12 o MÉDECINE DE L'HOMME N° 229

Pour aborder sommairement Cfll aspect du boud­dhisme, nous avons obtenu des Editions Desclée de Brouwer que nous remercions, l'autorisation de repro­duire des extraits d'un ouvrage intitulé " Voyage dans les monastères Zen ". Ce livre a été rédigé par le Père Benon Billot, bénédictin, qui fait partie d'un groupe de travail sur les rapports entre le mona­chisme bouddhiste et le monachisme chrétien catho­lique.

Ces extraits portent essentiellement sur ce qu'est le bouddhisme zen lui-même plutôt que sur les élé­ments de comparaison et de convergence entre les deux traditions.

La méditation

Ce n'est pas une méditation au sens courant du terme. Dans le cc zazen » (ce qui veut dire : en assise) le méditant ne fixe pas son esprit sur un objet. Il ne garde pas en lui une parole sacrée qu'il aurait à répéter. Il ne s'imprègne pas non plus d'une image sainte. En fait, il ne fait rien d'autre que de vivre au rythme de sa respiration, se bornant à rece­voir avec gratitude l'air qui pénètre en lui et à le rendre dans l'expiration. C'est donc une méditation du souffle.

S'ils étaient agités, le corps et l'esprit se calment dans cette méditation. La respiration et le rythme car­diaque s'apaisent, en même temps que le corps se réchauffe. Le méditant laisse remonter du fond de lui­même le grand silence qui s'y trouve. Bien sûr, des pensées, des souvenirs, des impulsions lui viennent à l'esprit; mais il tente de ne pas s'y attacher et les laisse partir comme ils étaient venus. Les Japonais ont une belle image pour exprimer cela : cc Le Fuji se dresse vers le ciel, les nuages passent sans s'y accro­cher ,, . Ainsi, le méditant se dresse-t-il entre ciel et terre et laisse partir les pensées pour ne rien vivre d'autre que le silence.

(*)Aumônier National du C.C.M.F.

Lâcher prise C'est pourquoi, s'il s'engage dans la vie monas­

tique avec persévérance, le moine connaît-il une libé­ration progressive : peu à peu il se libère des préjugés, des attachements, des contractions dont il n'avait pas connaissance jusque-là. Guidé par son roshi il passe par des arrachements douloureux qui l'amènent à autant de découvertes de sa vraie nature. Le boud­dhisme appelle cela l'illumination (Saton). Ce phéno­mène, commun à toutes les religions, a été mis en évi­dence par les découvertes de la psychanalyse. Le directeur d'un centre spirituel nous l'a fait remarquer. Il a rappelé que chacun de nous sécrète depuis sa petite enfance, couche après couche, pour se protéger de la souffrance, des croûtes de protection qui renouvellent inlassablement la source de nos ignorances et renfor­cent le processus d'occultation de notre cc nature de Bouddha »1 de notre Visage Originel. En Occident, depuis un siècle, la psychanalyse nous décrit abon­damment ce processus d'occultation, le travail de l'in­conscient générateur de nos conduites aberrantes et le travail salvifique de !'Anamnèse.

Or, ce n'est pas à la force du poignet que l'on peut se débarrasser de toute cette ombre sur nos vies. Il n'existe pour cela ni programme d'études, ni diplômes. Il faut seulement s'adonner avec persévérance à un travail spirituel que K. Graf. Durckheim appelle cc Lâcher-Prise». C'est alors que les couches d'igno­rance cèdent de façon inattendue, généralement par brèches imperceptibles. Mais il peut arriver aussi que ce soit par pans entiers. Alors, l'illumination affleure, et la personne sent que s'ouvre devant elle la porte qui demeurait fermée depuis si longtemps. Malgré les contractions qui reviennent sans cesse ...

Maître Dogen mourut en 1254 à Kyôto : il avait 54 ans. Il pensait que la méditation n'était pas un moyen pour parvenir à l'illumination. Si on pensait cela, on acceptait le dualisme, à savoir que l'illumina­tion est quelque chose à acquérir. Il pensait au contraire que l'illumination est déjà en l'homme, et qu'il ne s'agit que de lui donner les possibilités de se mani­fester: cc Il faut travailler pour que la nature de Boud­dha se révèle», C'est dans cette tension entre les deux pôles que se trouve tout le dynamisme de la vie spirituelle. Cette expérience de la Nature de Bouddha, la plupart des hommes la font plusieurs fois pendant leur existence, et surtout durant leur enfance. Mais ils ne savent pas qu'ils peuvent étouffer cette semence ou au contraire la laisser croître. Ceux qui ont compris qu'il y a là un travail à faire ont été pris du désir invin­cible d'aller plus avant, et certains se sont sentis prêts à tout abandonner pour cela.

Faire zazen, c'est donc s'asseoir dans une posture physique très élaborée et qui demande un apprentis­sage assez long pour être bien ressentie. C'est apprendre à respirer en profondeur à partir du ventre. Et c'est s'exercer à une discipline pour créer le silence en soi (ce que nous appelons dans notre langage: lut­ter contre les distractions). L'important n'est pas laper­fection de la posture du zazen, mais les dispositions intérieures du cœur. La posture n'est qu'un support.

Entrer dan.'l l'ordre co.~mique

Dans la vie d'un monastère rien n'est laissé à l'improvisation. La vie quotidienne est tissée de rites qui rappellent le lien au Sacré et la soumission au dharma, c'est-à-dire à l'ordre cosmique pour que tout puisse se mettre en place en l'homme, et en harmo­nie avec le monde. Réaliser le dharma amène à l'illu­mination. Le dharma est fait de tradition séculaire et de coutumes introduites par des roshis (maÎtres) suc­cessifs. La loi du dharma est immuable et impose son rythme, sa manière de faire et d'agir, le compor­tement vis-à-vis des autres ... Seul le roshi peut don­ner des dispenses dans certaines limites. Le dharma impose des actes à la limite de l'absurde : par exemple, lorsqu'on me demandait d'épousseter le hondo (salle de prière), j'avais tendance à le faire de la manière qui me paraissait la plus juste et la plus simple. Mais non : tous les gestes sont prévus, même ceux-là. Ou bien encore, si par mégarde, je gravissais la première marche du temple avec mes chaussures, je les scandalisais. Pour eux, c'était l'équivalent d'un sacrilège.

cc Au début, je me révoltais, car tout ce que je vivais allait à l'encontre de ma logique, de notre sys­tème de vie occidentale et de notre besoin d'efficacité. Mais, peu à peu, j'ai pu accepter cet esprit du zen qui conduit le disciple à abandonner le recours au mental et la volonté propre. Se démettr~ de soi-même pour se soumettre et se remettre à son Etre intérieur à chaque instant. S'ouvrir à une entière disponibilité : ne pas savoir pourquoi l'on fait ceci ou cela, ne pas connaître le programme d'ure journée ni même l'heure du cou­cher ou du lever. Etre toujours prêt et entièrement pré­sent dans tout ce qui est proposé. »

C'e.'lt là qu'apparaît la souffrance ...

C'est là qu'apparaît la souffrance. Évidemment, tout homme connaît cette vieille compagne. Mais elle ne cesse, en particulier, d'assaillir celui qui marche sur la voie. Au point qu'il en viendrait presque à l'aimer. Non pas par une sorte de masochisme inconscient, mais parce qu'il finit par se rendre compte que plus il souffre plus il avance.

Il souffre d'abord parce qu'il prend conscience de lui-même. Il voit ses propres divisions intérieures. Cette douleur souvent le fait pleurer ; la tradi­tion monastique chrétienne nomme cela la cc com­ponction ». Plus il se comprend lui-même, plus les conflits se déchaînent en lui, comme de véritables tempêtes. Il souffre aussi parce qu'il est attaché (la volonté propre) à de multiples choses, et qu'il est appelé à s'en détacher. Affections, sécurité, bonne réputation, satisfaction des instincts ... tous les liens cassent les uns après les autres. Il souffre enfin de la souffrance du monde, de cette masse de douleur, d'in­justices, d'angoisse qui accablent l'homme. Quelque chose dans le pèlerin vibre très fort avec le malheur humain. Sans qu'il le veuille, sans qu'il le cherche, il s'enfonce alors dans une souffrance de plus en plus

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/)émarche spirituelle du bouddlâsrne

grande, pressentant un peu plus à chaque pas que quelque cho~e va mourir .en lui mais que, quelque part dans son horizon, le soleil va se lever. Aussi se laisse­t-il aller, cherchant le moyen de mieux « lâcher­prise », d'abandonner ses sécurités et ses repères pour se laisser emporter vers l'aurore.

Provùwirement ou définitivement

Au cours d'une rencontre, après les témoignages, nous abordons les questions qui se posent pour le dia­logue inter-monastique. Ces questions, nous les avons collectées entre nous, Européens, et trans­mises aux roshis, afin qu'ils puissent y répondre aujourd'hui. La première concerne le fait que les boud­dhistes japonais ne se font pas de la vie monastique la même idée que les chrétiens. Pour eux, on vit dans une communauté monastique, pendant deux ou trois ans, le temps d'une formation humaine et spirituelle dont nous avons pu nous faire une idée. Puis, on est prêtre de temple et on peut se marier. Ceci n'est pas d'ailleurs une difficulté seulement pour le dialogue. Il semble qu'elle le, soit aussi pour le bouddhisme japo­nais lui-même. A plusieurs reprises, les unsuis ont interrogé certains d'entre nous : on a senti que le céli­bat consacré et définitif exerçait sur eux une sorte de fascination par sa radicalité. On a aussi rencontré un moine bouddhiste de 40 ans qui cherchait à continuer une vie monastique communautaire, et ne trouvait pas un endroit au Japon pour le faire. Plusieurs roshis sont conscients qu'il manque quelque chose et il n'est pas impossible qu'ils nous aient interrogés si souvent parce que, justement, ils sont en recherche à ce sujet. Pour un chrétien, l'engagement définitif dans la vie commune est capital pour la vie monastique. Les bénédictins et les cisterciens ont même un vœu parti­culier pour cela, le vœu de stabilité. Stabilité dans une communauté, avec un Supérieur et une Règle de vie. Vivre avec des frères pendant des années, porter le poids de leurs petites misères et parfois de leurs grandes déficiences, accompagner leur recherche, comprendre les orientations qu'ils prennent. Se réjouir de leurs réussites et souffrir de leurs échecs, et réci­proquement être accepté, et compris : c'est là une école qui permet l'apprentissage quotidien de la dépossession, qui apprend au moine à devenir un homme d'écoute, un être de relations. C'est la dimen­sion horizontale de la vie spirituelle. Minegishi Roshi prend la parole et dit : « Chez nous aussi, on consi­dère qu'on doit aimer ses frères plus que soi-même. Cependant, je dois dire que j'estime beaucoup, chez les moines occidentaux, l'engagement par des vœux pour la vie tout entière. Vous êtes plus logiques avec vos vœux, il y a moins de distance entre l'idéal et la réalité. Cette tradition de stabilité est importante. Au Japon, depuis un siècle, nous avons connu une certaine dilu­tion de la vie monastique. Aussi, avons-nous peut-être

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quelque chose à apprendre ». Paroles surprenantes ! Nous n'avions pas eu l'impression d'une dilution de la vie monastique zen. Il nous a semblé trouver ici quelque chose de très fort. Peut-être s'agit-il simple­ment de ce sentiment si naturel qui amène l'homme à penser que les Anciens faisaient mieux que lui. ..

Rite.~ et cérémonie.'l

Une autre grande question posée concerne les rites et cérémonies. Quel est donc leur sens ? Hirata Roshi est le premier à prendre la parole. Avec son visage de spirituel et ce sourire intérieur qui ne le quitte jamais, il semble fatigué. Il est assis sur un fau­teuil comme nous tous, mais il a retiré ses sandales, remonté ses jambes et s'est installé en lotus. Pour sa réponse, il se réfère à la tradition et à l'histoire du bouddhisme. Il montre comment les rites ont été conçus en Inde, adaptés par la Chine et enfin adoptés par le Japon. Il explique que le premier pas dans la vie monastique est d'observer les préceptes (règles de morale, rites et discipline) et que cette observance permet au moine de perdre peu à peu son petit Moi. Que ce premier pas conduit à un second qui est le zazen. Lequel procure la dyana (concentration). Puis, à un troisième qui est la prajna (sagesse). Ainsi pré­ceptes et rites sont importants, même s'ils sont très pratiques et ordinaires. Ils ont une valeur pédago­gique. Ils sont la première condition pour se détacher de soi-même. C'est ensuite au tour de Narazaki Roshi de parler. Il dit:« Entrer dans les rites, c'est la voie de Bouddha. Donc se lever le matin, se brosser les dents, chanter des sutras ... si l'homme se donne totalement à ces gestes, il devient Bouddha ». Et le roshi de citer cette phrase de Maître Dogen, qui est typiquement orientale: «Quand la lune brille sur l'eau, toutes les vagues reflètent la même lumière.» L'eau est le cœur pur de celui qui a réussi à unifier le corps et l'esprit dans un ordre intérieur. Chacune de ses pensées, chacun de ses mouvements intérieurs, chacun de ses gestes extérieurs, expriment la même harmonie. C'est la sagesse qui se reflète dans tous les moindres détails de la vie quotidienne. Ce qui par ailleurs entraîne le fait qu'il n'y a pas de détail négligeable.

Aoyama Senseï va compléter ces deux réponses. Avec sa tête rasée comme celles des hommes, et son visage souriant, elle inspire tout de suite la sympathie. Elle revient sur ce chemin, mille fois exprimé depuis que nous sommes ici, qui va du Moi (où nous vivons au niveau de nos envies) au mus-shin. (le « cœur du cœur " sur le « cœur profond "). Elle explique que le zen est une façon raffinée et fondamentale d'aller jus­qu'au bout de sa vie et d'arriver au véritable je où on découvre la nature de Bouddha. Or, cette nature est aussi l'être profond de tout le cosmos. Il y a donc un ordre originel à retrouver et à respecter : c'est le dharma.

" Aussi, les rites quotidiens ne sont-ils rien d'autre que l'expression de l'ordre cosmique. Ils sont d'ailleurs nécessaires pour que l'on ne tombe pas dans le volon­tarisme. Car, par le zazen, on peut devenir volontariste et vaniteux. Or, les gestes, rites et cérémonies pous­se nt l' homme à trouver une att itude ouve rte et accueillante qui corrige ce que le zazen pourrait pro­duire de rigide et de replié. Il suffit donc de se laisser aller et de coïncider avec tous les gestes qui nous sont demandés. Mais là, on ne peut avancer que pas à pas, dans un engagement définitif " ·

Cette question de rites est tout à fait importante pour nous. Aussi, insistons-nous en portant le ques­tionnement sur l'adoration. Pourquoi les heures pas­sées au hondo? Pourquoi les nombreuses prosterna­tions ? Pourquoi cette multiplicité de statues ? Nous pensions, venant au Japon, fa ire le zazen, et voici qu'est apparu un aspect auquel nous ne nous atten­dions pas : le culte.

Qui donc adorons-nous ? Kono Roshi commence. Il nous cite un grand maître qui avait reçu l'illumina-

Vie des région.~

Centre Catholi

tion. On lui demandait un jour pourquoi il se proster­nait tout le temps devant les êtres. Il répondit qu'il se prosternait devant tout être vivant car il y voyait claire­ment la natu re du Bouddha. En fait il voyait la nature du Bouddha en lui-même. Il était émerveillé et cela le lui faisait voir autour de lui . Dans le bouddhisme zen, la prosternation s'adresse au Bouddha Shakyamuni qui est le personnage historique ayant vécu six siècles avant Jésus-Christ, et dont l'enseignement lumineux continue d'inspirer les hommes.

El le s'adresse aussi à d'autres saints (Bodhisatt­vas) particulièrement Monju et Fugen qui sont généra­lement représentés à droite et à gauche de Bouddha, et qui sont respectivement Bodhisattva de la sagesse et de la compassion. Mais cette prière n'a pas pour but de recevoir quelque chose qui vient d'ailleurs, indé­pendamment de nous-mêmes. Elle ne fait que deman­der à Bouddha et à d'autres saints, toujours vivants dans la foi bouddhiste, de développer quelque chose qui existe déjà en nous et qui ne demande qu'à gran­dir.,, •

MÉDECINE ET PARTAGE

11 JUIN 1997 MÉDECINE ET COOPÉRATION

à 20 h 45 - Salle de réunion V 120 C.H.G. PERPIGNAN

Pour prendre contact :

D' BOIXADOS Tél. : 05 68 61 65 84 D' CAZOTTES Tél.: 05 68 34 44 49 D' FAILLIE Tél. : 05 68 61 65 12 D' HERAN Tél. : 05 68 61 67 51 D' JULIA Tél. : 05 68 61 46 03 B. SOUDAY Tél. : 05 68 61 66 23

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Œuvre spirituelle du bienheureux père Jean de la Croix Traduction du R.P. Cyprien de la Nativité (xv1f siècle)

Chant de l'âme qui s'éjouit de connaître Dieu en foi

Voici un poème né dans l'obscurité du cachot de Tolède. L'histoire nous dit combien le saint vivait de la vie de Dieu, Père, Fils et Esprit, dans l'âme des justes. Elle nous rapporte aussi qu'il aimait célébrer la messe de la sainte Trinité et qu'il en parlait avec une chaleur qui ne pouvait laisser son interlocuteur indifférent. Sainte Thérèse le savait bien ... On sait aussi comment le taber­nacle le fascinait des heures entières durant la nuit. Il célébrait la messe avec une ferveur jamais lassée. C'est tout cela qui est évoqué en termes pleins de chaleur et de vie dans ce poème admirablement plein. On ne dira jamais assez ce qu'était la foi dans la vie de saint Jean de la Croix et ce qu'elle demeure dans sa doctrine. Le lancinant refrain de ce poème et l'affirmation finale, dans son audace tranquille, ne sont-ils pas bien faits pour nous rappeler ce rôle prépondérant de la foi ?

Saint-Esprit :

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Bien sais-je la source qui jaillit et fuit, Mais c'est de nuit !

Cette source éternelle bien est celée Et pourtant sa demeure je l'ai trouvée,

Mais c'est de nuit ! En l'obscure nuit de cet exil mauvais

La source fraiche, par la foi, bien la sais, Mais c'est de nuit !

Ne sais son origine, car n'en a mie, Mais que toute origine d'elle est jaillie,

Mais c'est de nuit ! Bien sais que ne peut être chose si belle

Et sais que ciel et terre s'abreuvent en elle, Mais c'est de nuit !

Bien sais que de fond jamais on n'y trouva Et que nul à gué oncques ne la passa,

Mais c'est de nuit ! Que nul voile à sa clarté ne fut connu Et que toute lumière d'elle est venue,

Mais c'est de nuit ! Bien sais que si riches roulent ses courants

Qu'enfers et ciels et mondes ils vont arrosant, Mais c'est de nuit !

Et le courant de cette source naissant Bien sais qu'il est aussi riche et tout-puissant,

Mais c'est de nuit !

Et le courant qui des deux autres procède Bien sais que nul des autres ne le précède,

Mais c'est de nuit ! Bien sais que les trois en une seule eau vive

Résident et que l'un de l'autre dérive Mais c'est de nuit !

Cette source éternelle bien est blottie Au pain vivant afin de nous donner vie,

Mais c'est la nuit !

Elle est là criant vers toute créature Qui de cette eau s'abreuve mais à l'obscur,

Car c'est la nuit ! Cette source vive à qui tant me convie Mon désir, je la vois en ce pain de vie,

Mais c'est la nuit !

Le psychiatre face aux phénomènes mystiques

par le D'André CUVELIER (*)

Ue fois surmontée la légitime méfiance du prêtre vis-à-vis d'un psychiatre qui, jusqu'à maintenant, relé­guait la religion dans le flou de l'opinion ou l'enfer de la névrose, un dialogue efficace peut s'engager entre deux hommes dont la vocation est de s'interroger sur l'humaine condition.

Certes le prêtre propose à travers l'Évangile, l'in­croyable aventure d'un Dieu se faisant l'un de nous et nous ouvrant des perspectives d'éternité alors que le psychiatre, homme de l'existentiel et du relatif, s'efforce surtout d'écouter pour mieux comprendre les désirs, les rêves et les espérances.

À la fin du x1xe siècle, la psychiatrie ouvre des voies nouvelles. Jean Martin Charcot et l'école de la Salpé­trière grâce à l'hypnose, plongent dans le mystère du psychisme humain ; l'école de Nancy avec Liebeault et Bernheim tout en utilisant ce que l'on appelait le magné­tisme animal, montre l'importance de la suggestion. Ces découvertes fascinaient à tel point que Lacordaire s'écriait lors d'une conférence de carême à Notre Dame en 1835 : « L'hypnotisme est le dernier rayon de la puis­sance Adamique destiné à confondre la raison humaine et l'humilier devant Dieu ».

Parallèlement à un renouveau de l'ésotérisme, de l'occultisme et des sociétés initiatiques, se développe un intérêt à la vie mystique et aux phénomènes l'accompa­gnant. C'est en 1911 que, réagissant contre le crépuscule des mystiques, l'abbé Henri Brémond publie sa remar­quable « Histoire littéraire du sentiment religieux en France» faisant connaître à tous et surtout aux universi­taires, nos grands spirituels. Des philosophes comme Charles Blondel ou Henri Bergson ouvriront la conscience à des dimensions jusqu'ici refusées. C'est en 1923 que Jean Baruzi publie chez Alcan « St Jean de la Croix et le problème de l'expérience mystique » popularisant le thème de « la nuit obscure». ~n 1937, c'est le jésuite Joseph Maréchal qui écrit ses « Etudes sur la psychologie des mystiques » alors que Jacques Maritain et sa femme, tant par leurs écrits que leur exemple, vont faire germer une nouvelle génération de spirituels français.

(*) Neuropsychiatre - DES de philosophie - Licencié en théologie de la facultê de Strasbourg.

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Le p.~) ·chiai re face au.r phénomènes m~ystiques

« Les Études carmélitaines » sous l'impulsion d'un de leurs disciples carme, Bruno de Jésus Marie, déclen­cheront un vif intérêt pour l'étude des phénomènes mys­tiques.

C'est alors que des psychiatres, comme le D' Pierre Giscard ou le P' Jean Lhermitte, porteront des opinions très nuancées sur ces faits, pouvant être impliqués, disaient-ils, dans l'hystérie.

D'autres démontreront que ces phénomènes n'étaient pas tous d'ordre religieux. Comme le proclamait Nietzsche : cc Je suis mystique et je ne crois à rien ». La psychanalyse s'affronte à la pensée d'Orient et d'Occi­dent tandis que l'utilisation des drogues psychédéliques permettait d'obtenir des effets semblables, popularisés non seulement par des artistes comme Henri Michaux mais aussi des psychiatres comme Timothy Leary. C'est aussi un psychiatre, Abraham Masslow, qui en présen­tant ses « expériences paroxystiques» ouvrira la voie aux A.S.C. « Altered States of Consciousness » que nous appellerons « états de conscience modifiés ,, et qui sont une des clés de la compréhension des phénomènes mystiques.

Loin d'être un miroir, la conscience est toujours pro­jet. C'est une dynamique influençant ses propres signes et symboles. Elle se modifie sous la pression de la culture mais aussi de nos désirs et des autres consciences aux­quelles nous sommes reliés. Ces états nous ouvrent à la totalité d'un monde dont nous sommes des éléments ; nous forgeons une conscience cosmique grâce aux rap­ports interpersonnels. Rimbaud écrivait : « Je suis un autre ... Je dis qu'il faut être voyant ». Ces états de conscience modifiés se trouvent surtout, mais pas exclu­sivement, dans la recherche du mystère de l'absolu, la mystique.

Nous pensons que seul un psychiatre chrétien peut accéder à une compréhension approfondie des états associés à la mystique chrétienne. Certains récusent cette ingérence et affirment, comme François Roustang, que le spécialiste ne doit croire à rien, sinon à la possibi­lité d'aider et d'écouter l'autre. Ce paralogisme néglige le fait que tout homme doit pour vivre et ordonner son action, se forger un principe unificateur de ses propres valeurs et de son comportement. C'est pourquoi, le psy­chiatre chrétien, suite à son expérience spirituelle, sait que tout signifiant renvoie à un signifié et que Dieu est le signifié ultime. Certes on peut admettre une opinion diffé­rente et écarter Dieu de sa vie. Aucune de ces deux croyances ne peut se justifier rationnellement mais elles s'éprouvent au contact du vécu. Quoi que l'on puisse dire, celui qui y croit et celui qui n'y croit pas ne peuvent vivre de façon semblable.

Nous sommes consultés le plus souvent pour savoir si les faits qui nous sont présentés ressortissent ou non de la psychiatrie. « Ces phénomènes sont-ils authen­tiques ? Viennent-ils de Dieu ou du Diable ? La personne est-elle malade ? »

18 o MÉDECINE DE L'HOMME N° 229

Toutes ces questions naïves sont en réalité de fausses questions qui sous entendent déjà une partie de la réponse. Le vrai problème que le psychiatre doit résoudre c'est celui-ci : Le sujet examiné est-il un simula­teur ? Est-il capable de participer consciemment à la construction d'un jeu de rôle dont il serait la vedette ? Peut-il y avoir une supercherie dictée par la satisfaction narcissique, le désir de paraître ou la volonté de puis­sance?

Une fois écartés la simulation et les troubles psychia­triques (à vrai dire assez faciles à diagnostiquer) que sont les psychoses et les névroses avérées, il faut tenter de savoir si notre sujet montre en toute vérité une expé­rience spirituelle d'intimité divine. C'est là, nous n'en dou­tons pas, le rôle essentiel du père spirituel, mais il est indispensable pour le psychiatre de voir comment ce sujet vit les vertus théologiques de Foi, d'Espérance et de Charité, couronnées par la gratuité des dons de !'Esprit. Le comportement, la relation aux autres, les fruits d'une telle relation sont objets d'étude du psychologue.

Signalons que le diagnostic d'hystérie n'a plus guère aujourd'hui de signification sinon dans le sens strict défini par les psychanalystes. La nosographie actuelle (D.S.M. IV) préfère écarter ce terme mythique pour « troubles de somatisation » ou « troubles de conversion ». Or tout mystique présente peu ou prou de tels troubles ce qui permettait pour des observateurs peu avertis de les disqualifier en les traitant d'hystériques.

Visions, révélations, extases, stigmatisation, inédie (1 ), manifestations somatiques étranges et sans ~ystémati­sation neurologigue, ont toujours laissé les Eglises et en particulier l'Eglise catholique dans une méfiance compréhensible. Ces faveurs extraordinaires ne trahi­raient-elles pas l'exigence de la vie de Foi et l'expé­rience de l'Amour ? C'est pourquoi les diagnostics d'hystérie et de troubles psychiatriques sont bien pra­tiques pour éliminer le problème ... et l'abandonner aux psychiatres.

Ces faits sont très souvent observés chez des per­sonnes n'ayant aucun signe de troubles neuropsychia­triques. Bien plus, certains mystiques vont manifester, à travers ces phénomènes, une lucidité, un don de conseil et de lumière qu'ils n'ont pas dans leur état normal.

Marthe Robin et Louise Lateau sont deux mystiques très comparables dans leur expression physique, depuis les troubles somatiques jusqu'à la stigmatisation et l'inédie. Le psychiatre pourrait s'attendre chez Marthe Robin, à une désagrégation psychique progressive. Bien au contraire, on assiste à une restructuration de saper­sonnalité qui s'enrichit, s'épanouit et transmet à ceux qui l'approchent une lumière et une force humainement incompréhensibles.

(1) Du latin lnedia, abstention de nourriture.

Il est vrai que nous connaissons, suite à des troubles psychiques graves, des restructurations de personnalité à tel point que ces troubles ont été appelés « maladie créative ». Après une paraphrénie évidente et très longue, le père Surin a manifesté des dons intellectuels et spiri­tuels stupéfiants.

Certes le psychiatre ne peut atteindre que l'humain, mais lorsqu'une vie spirituelle unifie les valeurs et les comportements, lorsque l'amour a le dernier mot et que Dieu est plus intérieur à soi-même que soi-même, il est obligé d'admettre que ce sujet diffère totalement de ses malades habituels.

* * *

Le problème se complique lorsqu'on s'aperçoit que ces phénomènes extraordinaires ne sont pas toujours l'apanage de personnes faisant référence à l'expérience religieuse. L'exemple type est celui de deux femmes vivant au même moment, l'une religieuse vivant en Dieu, l'autre se réclamant du magnétisme animal. Katharina Emmerich et Friedericke Hauffe présentaient les mêmes phénomènes de voyance et discernaient dans leurs visions, faits à venir ou cachés. L'une était stigmatisée, l'autre parlait une langue inconnue, toutes les deux s'abstenaient de nourriture. On sait que c'est grâce aux visions de Katharina Emmerich que l'on ,découvrit le bâti­ment appelé « Maison de la Vierge » à Ephèse. De nom­breux psychiatres, philosophes et théologiens les étudie­ront avec soin. Mollie Fancher, protestante, née en 1848, présenta vers l'âge de vingt ans des troubles somatiques, semblables à ceux de Marthe Robin. Elle correspondait avec des entités célestes, tombait souvent en transe hyp­notique et fut une des premières patientes étudiées pour ses personnalités multiples. Son inédie dès 1866 fut par­faitement surveillée jusqu'à sa mort. L'inédie fut révélée chez de nombreux « mystiques » : K. Emmerich, F. Hauffe, Domenica Lazzari, Louise Latteau, Thérésa Hig­ginson, Thérèse Neumann, Marthe Robin, etc ...

* *

Depuis le début de l'humanité, l'homme cherche à fusionner avec le souffle cosmique de la vie. Certains cherchent à l'utiliser à leur profit, d'autres tentent de for­cer le passage jusqu'à l'ultime : saisir l'éternel dans le mortel est une entreprise exaltante mais risquée car, grâce à cette quête, écrivait Tauler, le filet de notre corps risque de se déchirer !

Tout mystique est ouvert au mystère des forces chthoniennes ou des forces de l'Esprit, sachant que les expériences débordent sa conscience personnelle. Lors­qu'au terme d'une méditation soutenue ou d'une contem­plation amoureuse, se desserre le carcan de l'espace et du temps, la conscience s'ouvre à l'influence d'autres consciences, d'autres énergies. Ainsi tout phénomène mystique, qu'il soit cosmique ou religieux, est accompa­gné d'un état de conscience modifié.

cc Je est un autre, écrivait Rimbaud. Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant... ». Ces plongées dans les profondeurs donnent au sujet une nouvelle vision du monde et une action renouvelée. Certaines prédisposi-

tions psychiques sont souvent, mais pas toujours, à l'ori­gine de ces états.

Une de nos patientes, vivant la passion du Christ toutes les nuits, stigmatisée, se comporte tout à fait normalement puisqu'elle exerçait jusqu'à sa retraite, la fonction d'assistante sociale. En fait si certains spirituels baignent littéralement dans les phénomènes extra­ordinaires, d'autres n'en présentent aucun. Personne n'aura l'idée de prétendre que Gemma Galgani est plus sainte que Thérèse de Lisieux, Dina Bellanger qu'Élisa­beth de la Trinité, Marthe Robin que Madeleine Delbrel....

* * *

L'Église n'a jamais béatifié quelqu'un en raison de phénomènes extraordinaires dévoilant simplement une dimension cachée d'un psychisme qui n'est pas limité à la seule conscience personnelle.

Elle ne cesse de répéter qu'une expérience mystique chrétienne est centrée sur le mystère de mort et de résur­rection du Christ Jésus. Cette expérience est relation amoureuse avec le Fils, nous élevant dans l'intimité du Père par la puissance de l'Esprit. Que cette expérience entraîne fréquemment des états de conscience modifiés n'a rien d'étonnant, d'autant plus que Dieu est libre d'ac­corder ses dons comme Il veut et quand Il veut. Mais saint Jean de la Croix, écrivait dans le chapitre deux de la « Montée du Carmel » : cc Désirer visions ou révélations ce n'est pas seulement faire une sottise, c'est offense~ Dieu, puisque par là, nos yeux ne sont pas uniquement fixés sur le Christ, sans chercher chose nouvelle ... En Lui j'ai tout établi, en Lui j'ai tout dit, tout révélé ... » Thérès~ d'Avila précisait bien que négliger l'humanité du Christ, c'était se perdre dans une fusion avec l'indéterminé.

*

Le psychiatre peut aider le père spirituel en affinant les diagnostics possibles et en étudiant les ressorts cachés du comportement humain. Même la psychana­lyse peut être utile. Mais c'est au spirituel de discerner l'épanouissement des vertus théologales, leur insertion dans ~e vécu et les fruits de l'Esprit. Si le psychiatre dia­gnostique et que le spirituel discerne, ils doivent unir leur savo!r p~ur se pencher avec compétence, rigueur mais aussi Foi et Amour sur les merveilles que nous décou­vrons en l'homme. Œ3

Bibliographfo ·"ommaire

Ces ouvrages épuisés, peuvent être consultés en bibliothèque. - BONIFACE Edmond:

•Thérèse Neumann, la crucifiée. • Essai de phénoménologie mystique. Lethielleux, 1979.

- CUVELIER André : • La drogue ou la sainteté. Essai de mystique naturelle. Aposto­

lat des éditions, 1974. •L'homme du oui. Tequi, 1987.

- MARIE-EUGÈNE D~ L'ENFANT JÉSUS. •Je veux voir Dieu. Ed. du Carmel, 1956.

- THURSTON Herbert : • Les phénomènes mystiques du mysticisme. Gallimard, 1961.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 229 o 19

1

Notes de l~cture ·

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Cette brochure de 60 pages sur un sujet de grande actualité est très intéressante et mérite une diffusion importante. Un objectif est de donner tant aux médecins qu'à tous les français responsables une information cohérente fondée sur des données scienti­fiques les plus récentes sur cette maladie. Elle contient tout d'abord un rapport au nom de la Commission VII (Maladies sexuelle­ment transmissibles et sida) de l'Académie de Médecine, sur le sida. Sont abordés dans ce rapport les facteurs de contamina­tion, l'information destinée aux adolescents et sont données également un certain nombre de recommandations. Puis la deuxième partie de 25 pages est très instructive, car elle traite de nombreux problèmes : par exemple la cohabitation du virus et des germes microbiens dans l'orga­nisme ; la destruction du système immuni­taire par Je V. J.H. ; le dépistage : recom-

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mandé ou obligatoire ; la protection appor­tée par le préservatif qui n'est pas sans poser de questions ; l'échelle des risques. Elle se termine sur l'information donnée et ses dérives. Brochure très intéressante et très impor­tante car elle apporte des informations essentielles concernant cette affection.

0' Pierre Charbonneau

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En un demi-siècle, la génétique a connu un essor prodigieux, depuis les travaux de Morgan sur la drosophile jusqu 'à ceux du Généthon qui aborde la cartographie géné­rale de nos gènes. Leur fonctionnement est commandé par des gènes - régulateurs qui déclenchent leur activité au cours du déve­loppement de l'embryon. C'est à ce niveau qu'interviennent les mutations importantes. F. Jacob expose ces acquisitions récentes

de la science et ce que peut en attendre tant la médecine que notre compréhension des mécanismes de l'évolution. Avec l'auteur, le lecteur s'émerveille devant la complexité des mécanismes, a priori haute­ment improbables, qui aboutissent à partir d'une seule cellule, l'œuf, à un oiseau, un éléphant ou un homme.

Pour F. Jacob, et pour bien d'autres biolo­gistes, l'évolution ne poursuit pas de but : " la nature procède au hasard"· Certes, le monde n'est pas régi par un déterminisme absolu. Le hasard existe, les créatures pos­sèdent leur autonomie propre. Pour la théo­logie chrétienne, le Créateur donne tout à la créature, son être et son agir. Il n'intervient pas dans le temps : l'acte créateur est éternel comme Dieu lui-même. En langage forcément anthropomorphique, on dira que Dieu laisse le vivant évoluer selon les possibilités de sa nature. li lui impose seu­lement d'aboutir à l'homme, " seule créa­ture voulue pour elle-même " (Vatican Il). La science comme telle ne peut découvrir l'action du Créateur. D'où son recours au seul hasard. Mais en face de l'extra ­ordinaire complexité du moindre vivant, qui croirait qu'elle résulte uniquement d'une suite d'événements fortuits, chacun d'une probabilité quasi nulle ?

Jean-Marie Moretti s.j.

Thérèse d'Avila. La réflexion d'une extatique, sur son propre cas

par le Père Joseph BAUDRY (*)

Les médecins, dit-on, trouvent étranges les phéno­mènes extraordinaires qui accompagnent la vie de quelques grands mystiques. Qu'ils se rassurent, ils ne sont pas les seuls ! Deux images viennent à l'esprit, la stigmati­sation de saint François d'Assise et la transverbération de sainte Thérèse d'Avila. Pour cette dernière, l'image devient même encore plus précise lorsqu'elle prend la forme du célèbre groupe sculptural du Bernin représentant l'ange avec la flèche, et la sainte qui tombe en pamoison.

Il n'est certes pas question de nier la grandeur et le génie de ces deux saints. Mais comme on aimerait pou­voir se passer de leur vie mystique ! Avec quelle facilité n'accepterait-on pas ce jugement porté sur la grande réformatrice espagnole: « En elle, la fondatrice a sauvé la mystique ,, !

L'auteur des lignes qui vont suivre n'a aucune com­pétence dans le domaine de la médecine, de la psycho­logie et de la psychanalyse. Simplement, ayant lu quelque peu les écrits de sainte Thérèse, il aimerait apporter une pièce au dossier, à savoir le jugement que la sainte émet sur son propre cas. Or c'est un aspect que l'on passe facilement sous silence (1) et qui est pourtant d'une importance capitale. On la traite souvent comme un cas clinique sans se poser la question préalable : mais elle-même n'a-t-elle pas pris conscience de « ce qui lui arrivait,,? Or tel est précisément le cas. Même si elle n'est pas la seule parmi les mystiques du christianisme, elle s'est d'abord posé à elle-même la question de la « normalité » de ses expériences mystiques. Et elle l'a fait avec une telle lucidité, une telle acuité de jugement, une telle pertinence et une telle richesse descriptive qu'on la considère généralement comme la référence majeure en ce domaine.

Le problème de la « normalité » tel qu'il ,'Je pose à nou.'J

Les phénomènes mystiques font partie de la mys­tique, mais ils n'en sont pas le tout ni même l'aspect le plus important. Ils se ramènent essenti,ellement à celui de l'extase (2). Qu'est-ce que l'extase? Etymologiquement,

(*) Carme Toulouse. (1) Par exemple, tout récemment, Daniel Sibony dans son livre :

" Perversions. Dialogues sur des folies actuelles ,, , Paris 1987. Voir la critique pénétrante qu'en donne le P. Michel De Goedt dans son livre cc Le Christ de Thérèse de Jésus"• Paris 1993, pp. 217-222.

(2) Comme le dit fort bien Henri Gratton dans l'article du cc Dictionnaire de spiritualité ,, consacré à ce sujet, col. 2171-2182.

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Thérèse d'Acila - La nflle.-i·ion d'une e.xtatique, sur son propre cas

c'est la « sortie de soi » (du grec « ex-tasis » ). Dans la réalité, c'est un phénomène tellement vaste et complexe qu'il paraît difficile d'en donner une définition satisfai­sante. Il y a d'authentiques extases qui n'ont pourtant rien de religieux, par exemple celles du philosophe, du savant ou de l'artiste. Ce qui caractérise l'extase mystique pro­prement dite, c'est son rapport avec l'absolu (par exemple dans le bouddhisme). Lorsque l'absolu auquel on s'unit est le Dieu unique et transcendant, l'extase devient religieuse (comme dans la mystique musul­mane). Elle est chrétiE~nne ,lorsqu'il s'agit du Dieu de Jésus-Christ et de son Eglise.

Trois traits caractérisent l'expérience extatique : 1) la polarisation de toutes les énergies de l'âme sur

l'objet divin qui se manifeste et auquel on s'unit ; 2) l'exclusion concomitante plus ou moins accusée des

autres fonctions et intérêts psychiques, y compris de la conscience de soi ;

3) les sentiments intenses de joie (ou de souffrance) qui résultent de tout cela. Dans certains cas, la sortie de soi ainsi réalisée

acquiert une telle puissance qu'elle entraîne pour ainsi dire le corps lui-même par la lévitation, en le soulevant au-dessus du sol.

Face à tel cas donné, la question qui se pose est donc la suivante : sommes-nous en présence de quelque chose de normal, d'a-normal ou de supra-normal? En ce qui concerne sainte Thérèse, bien des scientifiques depuis un siècle et plus répondent sans hésiter : c'est une « hystérique » (Charcot, Janet) (thèse généralement abandonnée aujourd'hui) ; ou bien, elle est victime d'une illusion: les expériences d'extase qu'elle décrit en géné­ral (Leuba) ou plus précisement dans le récit de la trans­verbération (3) (Marie Bonaparte) ne sont en réalité, bien qu'elle n'en soit pas consciente, que des manifestations érotiques de sa sexualité féminine, ayant les caractéris­tiques d'une compensation née d'une frustration (4) ; on a même qualifié Thérèse de« perverse» (Sibony).

Le problè11ze de la « uormalité » tel qu'il .~e po.~e à Tllérè.r.;e

Le contexte socio-culturel dans lequel évolue la sainte ne lui permet évidemment pas de se poser le pro­blème dans les mêmes termes que nous aujourd'hui. Mais l'important est qu'elle se le pose effectivement. Or tel est bien le cas. Devant l'avalanche d'extases qui s'abat sur son âme, elle prend peur, ayant conscience de côtoyer un abîme.

Tout commence en 1538, alors que, toute jeune reli­gieuse, elle n'a que vingt-trois ans. Au cours d'une mala­die, elle fait la découverte d'un livre ( « Le troisième abé­cédaire » du franciscain Osuna) qui l'initie à la pratique

(3) cc Vie ,, ch. 29, 13. Nous renvoyons ici à la dernière édition des cc Œuvres complètes ,, (traduction Marie du St Sacrement), Cerf 1995. Nous citerons dans l'ordre, le titre de l'œuvre, le chapitre, le numéro du paragraphe.

(4) P. Louis Beimaert, S.J .•. cc La signification du symbolisme conjugal dans la mystique '" dans " Etudes carmélitaines '" .. Mystique et continence ,, , 1952.

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de l'oraison de recueillement. Guérie et de retour dans son monastère, loin de se contenter, comme les autres sœurs, de l'office choral, elle se retire chaque jour une ou deux fois pendant une heure, pour être seule avec le Christ et le rechercher à l'intérieur même de son âme. Son oraison n'a rien d'extraordinaire ; elle res­semble à celles de tant et tant d'autres femmes qui s'y exercent à la même époque, en suivant les conseils des auteurs à succès, tel le dominicain Louis de Grenade.

Mais une quinzaine d'années plus tard, tout change. Elle décide alors de changer de vie, en se livrant sans réserve aux exigences de l'amour divin. C'est alors que commence sa vie mystique proprement dite, tout d'abord par des grâces de type pré-extatique (oraison de quié­tude) ; puis viennent les extases elles-mêmes (oraison d'union) avec tous les degrés d'intensité jusqu'au ravis­sement et à la transverbération. Thérèse connaît même -pendant peu de temps, il est vrai - des phénomènes de lévitation. Tout ceci accompagné de paroles et de visions purement intérieures.

Or dès le début de cette aventure, Thérèse est litté­ralement prise de panique. Qu'est-ce qui lui arrive ? Il y a d'abord l'aspect proprement doctrinal si important dans une Espagne éprise d'orthodoxie face à « l'illuminisme » des « alumbrados » de Tolède et au protestantisme nord­européen. Les condamnations pleuvent à cette époque à l'encontre des livres d'oraison dont Thérèse est si friande. Mais il y a aussi des raisons d'ordre spirituel. Il existe tant d'authentiques mystiques dans l'Espagne de ce temps-là, à commencer par celui qu'elle appelle « le Père Ignace» (saint Ignace de Loyola). Mais ce sont de vrais saints ; or, elle, Thérèse, se sent si imparfaite : ne serait-elle pas le jouet du démon ? Il y a enfin l'aspect proprement psychologique. Son solide bon sens est mis à rude épreuve. Elle essaie bien de toutes ses forces de résister aux suavités mystiques. Mais rien n'y fait : plus elle résiste et plus les grâces abondent. Ne fait-elle pas partie de ces femmes dont on parle tant parce qu'elles sont tombées dans de grandes illusions ? ( « Vie » 23, 2).

Devant toutes ces questions, si angoissantes, elle s'estime complètement démunie. Voilà pourquoi elle s'adresse aux plus grands spirituels et aux plus grands théologiens de son temps pour leur demander leur avis. Parmi les premiers, on trouve François Borgia, Pierre d'Alcantara, Jean d'Avila; parmi les seconds, le célèbre Dominique Banez.

La réfleJ.:io11 de la .~aiute ,'Jur .'1011 proprt~ ca.'I

Or les avis de tous ces hommes éminents sans exception, à commencer par le dominicain Banez pour­tant fort peu porté sur les phénomènes mystiques, sont non seulement positifs mais franchement admiratifs. Que Thérèse se rassure : à l'origine de ses extases, il y a non pas l'esprit d'illusion, ni encore moins celui du démon, mais uniquement celui de Dieu. Ceci lui permet de réflé­chir sereinement par elle-même sur son propre cas. Et il en ressort ce chef-d'œuvre qu'est sa «Vie», accompa­gnée de ses « Relations » à ses confesseurs.

1) En quoi consiste l'e:rpérience mystique:' C'est une véritable invasion de l'âme par ce qu'elle

appelle cc l'esprit de Dieu ». Invasion progressive, ca_r Dieu dans sa miséricorde ne veut pas l'effaroucher. A chaque manifestation du divin, elle éprouve un sentiment de crainte comme Moïse devant le buisson ardent.

Généralement de telles expériences durent peu de temps, l'espace d'un cc clin d'œil »,ou d'un cc ave maria», ou d'un cc credo ». Parfois cependant elles peuvent se prolonger pendant une journée et plus, plongeant l'âme dans une sorte d'hébétude qui la rend inapte aux exer­cices de la vie active.

C'est une expérience totalement passive, ce qui veut dire que l'on n'a aucun pouvoir pour la provoquer, ou pour y résister, ou pour la reproduire. « Malgré nous, dit Thé­rèse, Dieu enlève notre esprit comme un géant enlèverait une paille et il n'y a résistance qui tienne » (cc Vie » 22,13). On ne peut que s'y cc disposer» (mot essentiel du vocabulaire thérésien) par la pratique persévérante de l'oraison (mais il y a beaucoup d'âmes qui pratiquent l'oraison et qui ne goûtent jamais l'extase !), et surtout par celle des vertus solides telles que la charité, le détache­ment de tout, l'obéissance et l'humilité. (Nous sommes donc aux antipodes d'une mystique qui serait provoquée par des techniques contemplatives ou ascétiques.)

C'est une expérience unitive, ce qui veut dire que l'âme y est totalement perdue en Dieu au point de perdre conscience de tout ce qui n'est pas lui, y compris elle­même.

C'est enfin une expérience fruitive, c'est-à-dire qu'elle procure un sentiment de joie et de plénitude tel qu'on n'en rencontre aucun de semblable sur la terre. Rien de trouble, mais au contraire dilatation de l'âme, paix inaltérable, en un mot la béatitude réservée aux élus. Voilà pourquoi Thérèse ne craint pas de lui donner le nom de cc gloire ».

2) Le.ç ,çignes qui perme/lent de discerner

Une expérience mystique a de bonnes chances d'être authentique si on ne la désire pas ; pour des rai­sons d'humilité (cc je n'en suis pas digne ») et de déta­chement (que recherche-t-on : le Dieu des consolations ou les consolations de Dieu?). Quant à solliciter ces grâces, dit-elle, à demander de tendres sentiments de dévotion, jamais je n'osais le faire. Je me contentais d'implorer la grâce de ne pas offenser Dieu et le pardon de mes grandes fautes («Vie,, 9,9). Deux sœurs d'un monastère, enivrées par les douceurs spirituelles que leur procurait la communion, désiraient communier tous les jours. Or cette pratique n'était réservée qu'à un tout petit nombre de personnes, dont Thérèse elle-même. Elles lui disent que si on les prive de ce qu'elles deman­dent, elles en mourront. cc Je leur dis alors que j'avais, moi aussi, les mêmes désirs, et que pourtant je me prive­rais de communier... ; ainsi nous mourrions toutes trois ensemble.» Cette phrase suffit pour guérir ces sœurs à tout jamais ! (cc Fondations » 6, 13-12).

L'âme qui a l'habitude de ce genre d'expériences reconnaît au premier coup d'œil quelle en est l'origine. Si elle vient vraiment de Dieu, elle ne la trouble jamais mais la laisse pure et paisible comme un lac de montagne. Ce qui ne veut pas dire que l'affectivité, voire le corps lui­même, ne goûtent jamais par cc redondance » comme dit Jean de la Croix (cc Cantique A», str 39,6) aux délices accordées à l'âme. Thérèse elle-même en convient. Mais

si l'on veut interpréter correctement la scène de la trans­verbération, il faut lire le texte thérésien lui-même et non la traduction baroque, d'ailleurs géniale, qu'en a donnée le Bernin ! Expérience, dit Thérèse de douceur indicible et de douleur excessive : «Cette souffrance n'est pas corporelle, mais spirituelle; et pourtant le corps n'est pas sans y participer un peu, et même beaucoup ... ''(« Vie,, 29, 13).

On reconnaît un arbre à ses fruits. Le bien ne fait pas de mal et le mal ne fait pas de bien. Lorsqu'une grâce vient de Dieu, cela se voit dans la vie courante. L'âme est plus détachée d'elle-même, plus pauvre, plus obéis­sante, plus portée à s'oublier pour le bien des autres, plus humble surtout. Ces vertus sont les petites fleurs du jar­din arrosé par l'eau généreuse de la contemplation (cc Vie,,, 14,9).

Enfin dernier signe : l'humilité et l'obéissance. Quand elles font défaut, on peut être à peu près sûr que l'on est en présence de l'inauthentique. C'est finalement le critère le plus sûr de tous.

3) Pourquoi Dieu accorde-1-t'/ ces grâces :'

Réponse de Thérèse : « Ne vous imaginez pas, mes sœurs que le dessein de Dieu soit uniquement de faire goûter aux âmes ses délices. Ce serait une grande erreur. Sa Majesté ne peut rien nous accorder de plus précieux qu'une vie conforme à celle de son Fils bien­aimé. Aussi j'en suis absolument convaincue et je l'ai dit quelquefois, ces grâces sont destinées à fortifier notre faiblesse et à nous rendre capables de supporter, à l'exemple de ce divin Fils, de grandes souffrances. ,, (cc 7° Demeures,, 4,4) cc C'est là, mes filles, le but de l'oraison, et ce mariage spirituel est destiné à produire continuellement des œuvres, des œuvres ».(Ibid, 6).

La période cc extatique » ne représente qu'une petite vingtaine d'années dans la vie de Thérèse qui en a connu soixante-sept ! Or, cette période correspond à peu près exactement à celle de sa plus grande activité de fon­datrice. Pourquoi Dieu lui a-t-il donc accordé tant de grâces ? Réponse : n'allons pas croire que les contemplatifs passent leur vie dans les délices. Tout le contraire ! Ce sont des combattants exposés à recevoir tous les coups sans pouvoir se défendre, tel le porte-dra­peau dans la bataille. Voilà pourquoi ils ont besoin d'un cc vin fort ,, qui les enivre, cc afin qu'ils perdent le senti­ment de leurs souffrances et soient en état de les sup­porter » ( « Chemin » 18,2).

Tel a bien été le cas de Thérèse. Les coups ne lui ont pas été épargnés dans sa longue et laborieuse expé­rience de fondatrice, surto4t lorsqu'ils provenaient des plus hautes autorités de l'Eglise. Ainsi le Nonce Sega qui la traitait gentiment de cc femme inquiète et vaga­bonde ,, ! Réfléchissant elle-même sur sa vie mystique, elle a cette pensée : cc Sans les grâces que j'ai reçues du Seigneur, je n'aurais pas eu, je crois, le courage d'entre­prendre les œuvres réalisées jusqu'ici (déjà huit fonda­tions de sœurs et une de frères), je n'aurais pas eu la force de supporter tant de travaux, de persécutions, de murmures». (cc Relation» 34).

En Thérèse, la fondatrice aurait sauvé la mystique ? Ne faudrait-il pas plutôt dire : en Thérèse, la fondatrice ne peut s'expliquer sans la mystique ? À chacun de conclure! Il

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Les« Fols en Christ» russes

par le Père Pierre LAMBERT (*)

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Extrait du livre : cc Pèlerins russes et vagabonds mys­tiques " du Père Michel Evdokimov (pp. 51 à 55).

Publié avec l'aimable autorisation des éditions du Cerf 29, Bd Latour-Maubourg, 75007 Paris. Collection Patrimoines - orthodoxie, 1987 (ouvrage en cours de réimpression).

Les « Fol.'l en Chri.'lt » russes

Quand les hommes d'Église s'assagissent, que les politiques poursuivent leurs propres ambitions, il devient à nouveau inévitable de renverser les pseudo-valeurs, de dénoncer la monstrueuse sagesse du monde. Le phéno­mène se produisit en Russie, à l'aube du xw siècle, lorsque se leva une nouvelle moisson de fous au nom du Christ, qui témoignèrent, comme l'avaient déjà fait les premiers chrétiens, de la folie de Dieu au sein d'une société non plus païenne, mais benoîtement établie dans le confort spirituel, où l'on partage la folie divine avec modération.

Skovoroda était un vagabond intellectuel, épris de rencontres avec ses semblables, qui se retirait sur les routes pour dérouler au rythme de la marche le fil de sa réflexion intérieure. Le cc fol en Christ» est un autre type de vagabond, hostile aux manifestations d'une humanité satisfaite de son sort, et surtout très anti-intellectualiste. Il ne fournit pas directement une contribution à la culture de la nation, toutefois il en constitue un élément propre, non seulement parce qu'il prête son image pour servir de modèle à des personnages de la littérature passés dans la postérité, mais encore parce qu'il sert de pôle d'attrac­tion à des âmes d'élite éprises d'absolu.

Le cc fol en Christ,, n'est pas le simple d'esprit, le benêt, comme il peut en exister dans les campagnes de certaines régions de France, et qui attire sur lui une corn-

(*) O.p.

misération apitoyée. Dans un esprit d'abnégation et d'humilité il abdique délibérément toute dignité, contrefait la folie des hommes pour imiter la folie de ce Dieu qui, au terme de sa vie, se laisse tourner en dérision, flageller, suspendre sur cette croix « scandale pour les Juifs et folie pour les païens » (1 Co 1,23). De même que le Christ provoquait le courroux des pharisiens, gardiens intransigeants de la Loi, en guérissant des malades les jours de sabbat, ou en s'asseyant à table avec des per­sonnes de mœurs légères, de même les fols - en russe, jurodivyje -, bousculent les idées reçues en portant des vêtements à l'envers, quand ils ne se promènent pas dans le costume d'Adam, en renversant l'étal des mar­chands malhonnêtes, en consommant ostensiblement du saucisson le Vendredi saint.

Le type du «fol en Christ» qui, par le biais de l'hu­mour, déstabilise, subvertit les lois de ce monde, se dis­tingue de celui du vagabond, qui vit en étranger aux lois de ce monde et n'offre pas de traits particulièrement comiques. Pour le «fol», le renversement des valeurs morales, les jongleries du non-sens, de la déraison, manifestent une très sérieuse quête du sens. Saint Basile le Bienheureux, à qui fut dédiée la célèbre cathédrale aux bulbes multicolores sise à une extrémité de la place Rouge, affectionnait de jeter des pierres sur les fenêtres des nantis, et de baiser le seuil des maisons des prosti­tuées, car sur les premières il voyait des démons agrip­pés aux murs, et sur le toit des dernières il apercevait un ange, et qui pleurait. On le rencontrait sur les marches, dispersant les marchandises des vendeurs malhonnêtes sans que la police osât porter la main sur lui, si grande était la vénération dont le peuple l'entourait.

Le plus souvent on les trouvait dans les villes, où ils pouvaient exploiter à loisir leurs dons de provocateurs, dormaient à la belle étoile, dans des granges ou sous le porche des églises, et partout la population tenait en hon­neur de leur offrir l'hospitalité. La merveilleuse liberté intérieure dont ils étaient animés découlait de leur renon­cement total aux choses de ce monde, à toute vie de famille, et même à l'équilibre psychique ou à la santé mentale dont ils semblaient faire fi dans le sens où les entend le commun des mortels. Les authentiques fous pour l'amour de Dieu, acquéraient alors la sagesse, les charismes de l'Esprit. Presque tous les jurodivyje se voient reconnaître le don de prophétie. Fédotov l'ex­plique ainsi : « La vision par les yeux de l'esprit, l'attri­bution d'une intelligence et d'un jugement supérieurs, sont, semble-t-il, la récompense du mépris dans lequel est tenue l'intelligence humaine, de même que le don de guérison est presque toujours lié à l'ascèse cor­porelle, au pouvoir gagné sur la matière de sa propre chair (1 ). »

Curieusement, un des premiers fols en Christ consi­gné dans les annales russes est un Latin, venu d' Alle­magne au début du x1ve siècle, un certain Prokop d'Ous­tioug, qui se livrait à de grotesques excentricités tout en se soumettant à de dures austérités, et n'acceptait du pain que de la main des pauvres, tant son mépris pour les riches était profond. Sa folie simulée attirait sur sa per­sonne quolibets, coups, injures ; lui, priait pour ses persécuteurs.

(1) G.P. Fédotov, Svjatye drevnjej Rusi, op. cit., p. 193.

Le."l « Fol."l en Cllrù;t » et le pouvoir politique

Opposé à toute forme de pouvoir, dont la nécessité ne saurait toutefois être mise en cause, il y a le «fol en Christ », qui se situe à la base de la pyramide sociale dont il est un soutien paradoxal. Des rapports uniques, privilégiés, peuvent se nouer entre lui et l'homme investi de l'autorité suprême (2), mystérieusement attiré par cet être dédaigneux de toute étiquette, affranchi de toute fla­gornerie courtisane, hardi dans ses propos. Le fou de Dieu a pu assumer le rôle de la conscience intérieure du monarque. Ainsi Ivan IV, dans la première moitié de sa vie où il ne s'était point encore révélé comme le Terrible, fréquenta Basile le Bienheureux; Pierre le Grand, le blas­phémateur, conversa avec Thaddée ; Nicolas 1°r fut plongé dans un abîme de perplexité lors de sa rencontre avec Théophile ; Nicolas Il fut reçu dans la cellule de l'in­nocente Pasha qui, dans le thé qu'elle avait coutume de servir à ses visiteurs mettait d'autant plus de sucre qu'elle prévoyait pour eux de malheurs. La tasse offerte au der­nier tsar n'était qu'un épais sirop, et le monarque sortit de l'entretien, le visage blême.

Brûlant de subvertir les lois de ce monde, certains « fols en Christ » vont donc jusqu'à défier la puissance du tsar. Une chronique relate que, lors du sac de la ville de Pskov en 1570, un jurodivyj du nom de Nicolas invita Ivan le Terrible à passer dans sa maison, et lui présenta un plat de viande crue. Son auguste hôte lui objecta que c'était le temps du carême, et qu'il ne mangeait pas de viande: « Et le sang des chrétiens, tu le bois bien? » lui lança le bienheureux, le laissant tout pantois. Ordre fut alors donné de mettre fin au massacre. G.P. Fedotov remarque que le prophétisme des jurodivyje, leur dénon­ciation des iniquités acquirent, au xw siècle, « une signi­fication sociale et même politique: .. ». Avec le saint prince, le jurodivyj fait figure, dans l'Eglise, de champion de la vérité du Christ dans le domaine de la vie sociale (3).

Le jurodivyj est la réponse du peuple russe au tsar « sacrifié » pour assumer le pouvoir, comme le voulaient les slavophiles ; il a la charge de lui en rappeler les limites et, si besoin est, la vanité. Ayant tué en lui-même toute volonté de puissance, il peut s'identifier au Christ qui repoussa la tentation satanique du pouvoir terrestre: « Il est écrit: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et à lui seul tu rendras un culte » (Le 4,8).

L'Église ne cesse de prier pour les hommes de pou­voir, quels qu'ils soient, le fou de Dieu, en qui il n'y a point d'injustice, intercède tout spécialement pour eux devant le trône du Seigneur.

Le.'/ « Fol.{j en Cllri.{jt »

daru; la Russie actuelle

1 rina Goraïnoff a interrogé de nombreux ressortis­sants soviétiques sur la présence de jurodivyje dans la Russie d'après la révolution. Leur visage s'éclaire. Tous parlent de leurs yeux, de l'expression inoubliable de leur regard:

(2) 1. Gorainoff insiste particulièrement sur ce point important. (3) Svjatye drevnjej Rusi, op. cit., p. 203.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 229 e 25

Les « Fol.~ en Christ» russes

Deux yeux caressants comme ceux d'un chien fidèle ... Des yeux limpides comme ceux d'un enfant... Des yeux qui vous regardent sans vous voir, qui regar­dent, à travers vous, l'au-delà de vous. On est gêné. On a presque peur. Ils sont inoubliables, leurs yeux ... Des yeux qui voient les démons et les anges (4).

Une étudiante orthodoxe, qui séjourna en Union soviétique de septembre 1958 à septembre 1959, consigne dans son journal ses rencontres avec une moniale errante devant l'église Saint-André de Kiev. Celle-ci raconte comment, paralysée dans sa jeunesse, elle avait été remise sur pied par la Vierge Marie, à la stu­péfaction des médecins qui l'avaient chassée de l'hôpital. La Mère de Dieu lui avait tracé un programme de vie :

« Supporte, supporte, du début jusqu'à la fin. Tu ne vivras pas dans un monastère. Tu n'auras sur toi aucun argent. Tu vivras de ce que tu recevras. Tu n'auras pas de toit ». (5)

Détachée des biens terrestres, menant une exis­tence entièrement consacrée au Seigneur, la pèlerine a atteint un stade de sérénité et de bonheur profond, elle s'épanche en accents de clairvoyance prophétique : « Et moi, je suis tellement heureuse que je ne sais pas comment remercier le Seigneur de la vie qu'll m'a choi­sie. Il n'y a rien de plus doux, de plus puissant que mon Seigneur bien-aimé. Même la vie du couvent est trop luxueuse pour moi, là-bas il y a des lits, toutes sortes de choses confortables et qu'ai-je à faire, moi, d'un lit ? Ma petite sacoche sous ma tête, et à Dieu vat 1 Personne, personne n'est aussi heureux que moi, personne ne vit aussi bien que moi, pas même K. Mais aujourd'hui, ceux qui croient en Dieu souffrent parce que le Christ souffre. Beaucoup ne croient pas, mais c'est pour ça que nous devons supporter, supporter jusqu'au bout. Je vais vous dire, moi, le temps approche du retour du Christ, il nous faut patienter, ce n'est plus long. Je ne vis pas dans un

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couvent, mais je suis une moniale et une errante (stran­nitsa), et il y en a beaucoup comme moi. Et maintenant, mes petites filles, allez à l'église. Dites-moi vos prénoms, je me souviendrai, je prierai pour vous. Et moi je m'appelle J. » (6).

Le lendemain, la voilà partie dans des considérations sur le mode de vie dans le pays des soviets. Son point de vue n'est certes pas celui d'une citoyenne soviétique moyenne, accablée par les charges de sa vie profession­nelle cumulées avec les soins du ménage et l'éducation des enfants, mais celui d'une femme à qui sa condition pérégrinante donne un certain détachement, à la fois lucide et serein:« Dire que c'est moins bien maintenant, on ne peut pas. Dire que c'est la faute d'un gouverne­ment si on vit mal, on ne peut pas. On vit comme on vit parce que c'est la volonté de Dieu. Si nous avons des maux à supporter c'est peut-être pour nos péchés, on ne sait pas, il faut simplement supporter. Maintenant, bien sûr, il y a une chose, c'est qu'on lutte contre la foi et contre ceux qui croient, ça c'est une chose ... » (7).

Le moral de cette moniale, vivant de la charité des autres, n'était en rien entamé par les restrictions sévères, les duretés de la vie, qui sévissaient à l'époque, et dont elle ne rendait pas responsable le gouvernement. Aucun accent de révolte, qui du reste dans le contexte politique ne saurait être que stérile. Mais il reste un combat à mener, et elle le situe sur son vrai terrain : contre le péché. Elle prêche ici une résignation active, et lorsqu'elle évoque la « lutte contre la foi », sa voix devient grave, la phrase s'interrompt sur un silence éloquent... il

(4) Les Fols en Christ, op. cit., p. 183. (5) E. de Linden, "Une moniale errante dans la Russie d'aujourd'hui"• Contacts, n° 30, 1960, p. 138. (6) E. de Linden op. cit., p. 138. (7) E. de Linden, op. cit., p. 139 .

L'arbre à ses f raits.

Relecture de «Mystiques et faux mystiques »

par le pr Michel BOUREL (*)

Relecture ? Parce que le livre « Mystiques et Faux Mystiques ,, du P' Jean Lhermitte (Bloud et Gay) date de 1952 et qu'il a pu, il y a quarante-cinq ans, faire date ... ce qu'il ne semble plus faire aujourd'hui.

Avant de s'aventurer dans l'abord du Faux Mystique, il est apparu nécessaire à l'auteur d'esquisser les traits de l'expérience mystique authentique ; supposés connus, il ne leur consacre qu'à peine le dixième de ses pages et, sans difficulté, on le suit dans cette description fort clas­sique.

La vie mystique est, on le sait, caractérisée par : - Le combat qui y conduit ; longue route d'efforts, de concentration, de prière et d'ascèse qui aboutit à cette oraison d'union qui mène au sentiment de la proximité de Dieu de soi et en soi, mais au prix du poids d'une croix intérieure, aux « abords du désespoir dans la nuit et la vallée de l'ombre ,, (Mère Angélique de saint Jean Arnauld, citée par J. Green en 1956, « dans une nuit plus profonde encore que la nuit du néant,, (sainte Thérèse de Lisieux, in J.F. Six, 1995) - deux vertus sont l'apanage de cette authenticité. L'humilité d'abord. Cette humilité « n'est pas le mépris de soi ou c'est un mépris sans méprise; n'est pas ignorance de ce qu'on est, mais plutôt reconnaissance de ce qu'on n'est pas » (A. Comte­Sponville 1995). La simplicité ensuite. La simplicité fait naître l'étonnement du mystique authentique, voire le refus de grâces dont il ne se sent pas digne. Elle écarte de lui toute grandiloquence et toute exagération narra­tive. Elle n'est pas compatible avec des éclats ou des atti­tudes théâtraux ; elle le pousse plutôt à se cacher et à demander à Dieu d'être délivré de telle expérience. - La survenue de manifestations difficiles à cacher : ravissement, extases inopinées se terminant plus ou moins brusquement, laissant une impression de paix pro­fonde ; au cours de ces périodes peuvent survenir des visions, des locutions, des sentiments de dédoublement ou de présence accompagnante dont il est prudent, dit sainte Thérèse d'Avila « de se défier et que le mieux est de les combattre sans cesse,, (Château intérieur). - L'apparition de stigmates, mimant sur le corps les marques de la passion du Christ (saint Francois d'Assise), épisodiques ou périodiques, complète en mys­tique occidentale (mais pas orientale où ce n'est pas le

(•)Membre de l'Académie Nationale de Médecine.

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jL'arbre à ses fruits

modèle du cc Christ Crucifié » qui est vécu, mais celui d'un Christ de splendeur et de majesté) le tableau des manifestations extérieures de cette vie mystique.

Les éléments de ce tableau s'ajustent différemment selon les personnalités, leur ordre de survenue est variable ; ils ne sont pas tous présents chez chacun ; ils peuvent aussi être seulement intériorisés (saint Jean de la Croix).

Tels sont les caractères, admis de tous, que silhouet­tent les premières pages du livre.

La deuxième partie verra l'auteur revêtu de prudence car il pressent que la prudence « est la plus moderne de nos vertus ou plutôt celle de nos vertus que la modernité rend la plus nécessaire» (A. Comte-Sponville). C'est cette prudence même qui le fait hésiter à aborder, à la lumière d'une longue expérience de neurologue et de psychiatre, le domaine cc Faux Mystiques». Il prend alors le risque d'aborder tout à la fois les apparences et le terrain.

Les apparences sont ce qu'il appelle cc les contre­façons de la vie mystique » telles que les états exta­tiques, les transes, les épisodes de cécité, mutité, réso­lutifs, les périodes d' cc inédie », les guérisons subites et inexpliquées, les convulsions et épisodes de catatonie (attitude de rigidité pseudo-tétanique, projections hors du lit...) et surtout les stigmates. De longues pages, illus­trées de quelques photographies, sont consacrées au stigmatisme corporel imitatif des plaies de la passion du Christ. Il s'agit ici d'observations cliniques de patients examinés par l'auteur dont il rapporte en détails l'histoire ou les écrits. Il s'arrête aux méthodes proposées pour débusquer la stigmatisation frauduleuse : pansements occlusifs, surveillance en milieu hospitalier ou conven­tuel. Ce faisant, il insiste sur la fréquence des faux­fuyants et surtout la compromission compationnelle de

l'entourage (famille ou guide spirituel) peu enclin à des contrôles éventuellement frustrateurs de l'aura extra­naturelle qui entoure le stigmatisme.

Le terrain est abordé par le pr Lhermitte avec la science clinique mais aussi la prudente réserve d'un homme de foi. De telle sorte que sont analysés à l'aide d'exemples longuement détaillés : - la composante psycho-physio-pathologique des états

mystiques, - l'hystérie fabulante et la mythomanie, - l'automatisme mental source de déviation, - la schizophrénie par dissociation psychologique.

Le vrai problème, celui d'une composante psycholo­gique (et éventuellement psysiologique) spécifique aux états mystiques est, en plusieurs chapitres, évoquée mais jamais située. Cette composante de la personnalité, ce «terrain », puisqu'on en est réduit à conserver le terme, est sans doute retrouvé chez ceux (ou celles) qui expriment une expérience mystique authentique et qu'il n'entrave ni l'action ni les réalisations (fondation d'Ordre, dynamisation de groupes ; initiation de modes communautaires de vie religieuse). Mais il peut n'être pas incompatible avec une vie pieuse ne prenant pas racine aux profondeurs de la néantisation. Il peut aussi exister, de façon constitutionnelle et servir d'appoint à toutes les exubérances initiées par les modalités éducatives, les épreuves de la vie affective ou professionnelle, les conseils imprudents.

Il en va du terrain cc mystique » comme d'une graine dont personne, sur l'apparence, ne peut apprécier la substance ou le devenir. Mais ce terrain peut aussi servir de fondement, - pourvu qu'il soit maîtrisé par une surnaturelle inspiration - à l'éclosion de fruits incomparables. Il

Directeur de la Publication 0' Claude LAROCHE 34, rue de Bassano, Paris-a• • 1:.-5

•11 ISSN 0543-2243

Commission Paritaire N° 54216

IMPRIMERIE B ALENÇONNAISE Rue Édouard-Belin, 61002 Alençon

Dépôt légal : 2• trimestre 1997 - N° d'ordre : 39994

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Bibliog·rapli~e 1

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La mystique et les mystiques - ouvrage collectif - Desclée de Brouwer, 1965, 1125 p.

La mystique, par Louis Gardel - P.U.F. " Que sais-je .. , 1981 (2° éd.), 128 p.

La mystique sauvage, par Michel Hulin - P.U.F. Perspectives critiques, 1993, 296 p.

Le soufisme ou l'ivresse de Dieu dans la tradition de l'Islam, par Jean Chevalier, Culture, Arts, Loisirs 1974, 256 p.

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Vie <le.fi mouvements médico-sociaux· chrétiens : . par le 0' Pierre Charbonneau

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Numéro très intéressant, mais dont il est difficile de faire un résumé tant il est riche et varié. Il est divisé en chapitres qui portent chacun un nom et aborde un sujet différent. Ainsi :

- RÉFLÉCHIR : traite de l'enfant et de la négligence multiforme envers lui. Aussi l'adulte est-il appelé à un sursaut de res­ponsabilité. - ENSEIGNER : l'équipe d',. enseigner" s'interroge sur la pratique de la notation et tente d'en montrer les limites et le bon usage. - RÉAGIR : c'est sur le citoyen que se manifeste les libres propos de " Réagir '" Ce chapitre donne quelques notions perti­nentes sur des problèmes d'actualité. - CROIRE : dans cette partie, les auteurs s'intéressent aux générations des 25135 ans et nous donnent quelques repères sociologiques concernant " foi et moder­nité'" - VIVRE ENSEMBLE et LIRE donnent des comptes rendus de tous les apports substantiels des diverses rencontres de l'association et des livres susceptibles d'in­téresser les membres. Très important pour les médecins est le compte rendu du livre de René Valette intitulé " le catholicisme et la démographie. Église, population mon­diale, contrôle des naissances '"

En bref, numéro très important qui n'inté­resse pas que les catholiques de l'enseignement public.

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Le titre de ce numéro est " À l'écoute des enfants du monde '" Il était important tout d'abord que soit indi­quée la place de l'enfant dans la Bible. C'est ce que fait d'une façon très pertinente Jean Potin, un assomptionniste.

Puis Michel Bonnet , expert auprès du Bureau International du Travail , nous décrit les situations dans lesquelles se trouvent les enfants à l'échelle du monde en préci­sant les types d'enfants qui doivent nous intéresser car il faut passer à l'action. D'ailleurs, l'article suivant de Christine Benaïm , directrice du B.l.C .E. France (Bureau International Catholique de !'En­fance) , nous fait connaître la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Ensuite, Claude Masse, rédactrice en chef de 19 revue du B. l.C.E., nous parle de la " RESILIENCE " qui est une approche développée depuis plusieurs années par le B.l.C.E. En bref, la résilience a deux com­posantes : la résistance à la destruction et la capacité de construire positivement sa vie. Enfin, une religieuse du Sacré-Cœur-de­Jésus, Juge des enfants, nous donne un exemple d'enfants déchirés par un conflit parental.

Les quinze dernières pages contiennent un travail d'un très grand intérêt de Bernard Rey, o.p., sur le thème .. Jésus, guérisseur et sauveur, hier et aujourd'hui '"

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Cette petite revue est intéressante à par­courir, car elle nous informe sur les pro­blèmes qui se posent à cette profession. Outre des renseignements concernant la vie professionnelle, deux courts articles sont intéressants, l'un sur la douleur. l'autre sur le Distilbéne dont il est important de connaitre les conséquences de son usage.

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Ce numéro de !'Association médico-sociale protestante de langue frança ise est très intéressant. Il porte le titre " santé à dimen­sions multiples '" C'est précisément cette dimension multiple de la santé que les diffé­rents articles mettent en évidence. Le premier nous décrit " la médecine à vitesses variables '" Elle doit répondre à la .. souffrance sociale '" Mais .. quelle santé " ? Quelles valeurs et quelles fina­lités dans les soins de santé ? C'est à ces questions que répond le D' Jean Martin de la faculté de médecine de Lausanne. Ce n'est pas tout. Un psychia tre de Mulhouse nous parle du " refus ou impossi­bilité de communiquer ,, : et une assistante sociale ainsi qu'un aumônier traitent du comportement de la personne en radiothé­rapie et de celui de ses proches .

APPEL POUR 1997 . "

AUX ADHERENTS ET ,AMIS DU C.C.M.F.

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