cathos la révolution silencieuse

Upload: thierrytrade

Post on 06-Jul-2018

221 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    1/11

    CATHOSLA RÉVOLUTIONSILENCIEUSE

    F

     MVENDREDI 30 ET SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    2/11

    EN PARTENARIAT AVEC

    On les disait vieillissants, moribonds, déconnectés de la société... On s

    trompait, affirment Jean Sévillia, qui publie un livre de référence appelé

    un grand succès («La France catholique»), et Eugénie Bastié, partie à

    36 LE FIGARO MAGAZINE - 30 OCTOBRE 2015

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    3/11

        D    A    V    I    D 

        L    A    T    O    U    R    /    C    I    R    I    C

    Confession au piedde la Sainte-Baume,

    ors du festival

    d’évangélisation

    Anuncio. Une

    génération marquée

    par l’exigence

    spirituelle.

    rencontre des forces vives de l’Eglise de France. Quelques jours après la fin 

    du synode sur la famille, sur lequel Jean-Marie Guénois fait le point,

    enquête sur ces cathos qui s’affirment comme une minorité agissante.

    30 OCTOBRE 2015 - LE FIGARO MAGAZINE 37 

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    4/11

    La foi est quelque chose pour moi de très im- portant. » Ce n’était pas Christine Boutin niGuy Gilbert qui s’exprimait ainsi le 29 aoûtdernier, à la Sainte-Baume,au milieu des cigales du Varet des crépitements des ap-pareils photo. Mais MarionMaréchal-Le Pen. La jeunedéputée FN du Vaucluse était invitée par Mgr Rey pour s’ex-primer à l’université d’été de l’Observatoire sociopolitique deFréjus-Toulon, le think-tank catholique qu’il a lancé en2005. A quelques kilomètres de là, au centre culturel jésuite LaBaume, bastion des chrétiens de gauche, l’université d’été« La politique, une bonne nouvelle », animée entre autres parla Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), était annulée, faute departicipants. D’une Baume l’autre. Un symbole extrême – lescatholiques ne votent pas plus FN que la moyenne des Fran-çais – mais qui témoigne de l’évolution à droite d’une Eglise

    de France où, longtemps, les chrétiens de gauche ont régné enmaîtres.Lors du congrès de la JOC en 1974, Georges Marchais en-tonnait L’Internationale. Elle était reprise en chœur par35 000 personnes devant 44 évêques qui ne bronchèrentpas. On comprend mieux pourquoi, en 1980, à l’aéroportdu Bourget, une partie de l’épiscopat français accueillitfraîchement le reproche de Jean-Paul II :« France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? »Nommé un an plus tard archevêque de Paris, Jean-MarieLustiger répondit en actes à la question du pape polonais. Lecatholicisme est devenu minoritaire en France ? Il repartira

    des villes et des intellectuels. L’Eglise, ce sont d’abord des prê-tres. Avec le séminaire de Paris, créé en 1984, Lustiger faitéclore une génération de clercs dont la qualité intellectuelle ledispute à la capacité d’adaptation au monde moderne. Il

    fonde l’Ecole Cathédrale, faculté de théologie, et lance l’idéede faire du collège des Bernardins, au cœur du Quartier latin,à Paris, un haut lieu de rencontres intellectuelles.Aujourd’hui, ce catholicisme urbain bat son plein. Les aumô-neries prospèrent : 12 000, dont 3 000 dans les grandes écoles.Depuis 2009, ils sont plus de 500 à se rassembler tous les lun-dis soirs à Saint-Germain-des-Prés, pour suivre le parcoursde formation Even, initié par le père Alexis Leproux. Aux JMJde Madrid en 2011, la France emmenait la deuxième déléga-tion mondiale avec 50 000 jeunes. On en attend 60 000 àVarsovie cette année, pourtant plus éloignée.

    Ce catholicisme décomplexé, nourri des enseignements et desexemples de Jean-Paul II et de Benoît XVI, « n’a plus peur ».

    Sa révolution souterraine a explosé au grand jour pendant laManif pour tous. Certes, il reste ultraminoritaire. Comme lerappelle Yann Raison du Cleuziou, auteur de Qui sont les ca-thos aujourd’hui ?  (Desclée De Brouwer, 2014), l’écrasantemajorité des catholiques est âgée, et plus préoccupée par desproblématiques sociales que par les questions morales. Lepremier réseau catholique français demeure le Secourscatholique (77 000 adhérents). « Si on regarde les choses de

    UNE GALAXIE HÉTÉR

    Depuis la Manif pour tous, ils sont sortis des catacombes. Si les 

    « catholiques d’ouverture » continuent d’être majoritaires, la 

    minorité des « catholiques d’identité » est en train de prendre le dessus 

    au sein de l’Eglise de France. En pointe du combat culturel, présents 

    dans le débat intellectuel, à l’assaut du politique, visibles dans la cité 

    et sur les réseaux sociaux, les nouveaux catholiques n’ont peur de rien.

    P A R E U G É N I E B A S T I É

    b

    38 LE FIGARO MAGAZINE - 30 OCTOBRE 2015

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    5/11

    CLITE QUI BOUSCULE LES VIEUX CLIVAGES

    Ci-dessus, messe des étudiants à Notre-Dame de Paris.

    Ci-contre, le cardinal Barbarin avec des représentants des

    Eglises d’Orient ; on retrouve l’archevêque de Lyon sur tous

    les fronts, de la Manif pour Tous au dialogue interreligieux.

    Le vieux clivage entre traditionalistes et progressistes n’a plusde pertinence pour décrire cette galaxie hétéroclite. Ils lisentLaudato si ’ le jour et collent des affiches contre l’euthanasie lanuit. Veillent sur les places de France et s’engagent en politi-que. Passent leurs week-ends à marcher bannières déployéesvers Chartres ou à brancarder les malades à Lourdes. Ignorentqui est Mgr Pontier, président de la conférence des évêques deFrance, mais retweetent l’abbé Grosjean, le médiatique curéde Saint-Cyr-l’Ecole. S’il faut brosser sommairement le por-trait du « néocatholique » typique, celui-ci affiche quatre« quartiers de noblesse ». Il est passé par le scoutisme : les troisquarts des séminaristes viennent des Scouts unitaires de

    France ou des Scouts d’Europe, dont les chiffres sont en aug-mentation constante ces dix dernières années (environ30 000 adhérents chacun). Il vient souvent d’une famillenombreuse où il y a des vocations. Il a fait sa scolarité dans uneécole privée réputée. Il a été formé religieusement au contactde communautés nouvelles (Emmanuel, Chemin Neuf, AïnKarem…) ou de filières traditionnelles qui ont traversé letemps. Autant de structures extérieures aux paroisses et-

    manière objective, tous les indicateurs sont au rouge ou au déclin, y compris chez les jeunes, où la seule religion en hausse est l’is-lam », insiste le sociologue. Mais, admet-il, « le rapport des

     forces a changé au sein de l’Eglise ». Ce qu’il appelle le « catho-licisme observant » ou les « néocatholiques » sont en train deprendre le pouvoir sur les catholiques dits « d’ouverture ».

        C    Y    R    I    L

        B    A    D    E    T    /    C    I    R    I    C

        L    A

        U    R    E    N    T

        C    E    R    I    N    O    /    R    E    A

    30 OCTOBRE 2015 - LE FIGARO MAGAZINE 39

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    6/11

    sance. Paul, lui, s’investit dans le dialogue islamo-chrétien.En 2013, il s’est retrouvé face à 200 musulmans dans une

    mosquée du IIIe

     arrondissement de Lyon « à la place del’imam » pour les haranguer sur le mariage pour tous. Résul-tat : il a réussi à envoyer quatre cars de musulmans à la mani-festation du 24 mars.Ils s’inspirent autant du « Comité invisible », groupusculeanarchiste, que de la théologie du corps de Jean-Paul II. Leursréférences ? Bernanos, Chesterton et Simone Weil. Ils lance-ront même bientôt dans la capitale des Gaules un café au nomde cette dernière. Le Simone ouvrira ses portes début 2016. Ils’agira d’un espace de rencontres et de coworking à la fois« ancré dans la cité » et créateur de liens.Moins alter, et plus inter, il y a Sens commun, le mouvementfondé aux lendemains de la Manif pour tous au sein des Répu-blicains. Si le courant n’est pas ouvertement catholique,

    beaucoup de membres le sont. Là où les « Altercathos » se ré-clament de Gramsci et du combat culturel, eux semblent sui-vre les traces de Trotski et sa stratégie de « l’entrisme ». Unentrisme« à drapeaux déployés », pour reprendre les mots duleader révolutionnaire russe, consistant à influencer la lignedu principal parti de droite en vue de la présidentielle de 2017.Avec 7 000 adhérents, d’une moyenne d’âge de 40 ans(contre 70 ans environ pour le militant des Républicains),Sens commun est un poids plume dans ce gigantesque parti,mais il a pour lui le dynamisme et l’intransigeance de la jeu-nesse. En ligne de mire : l’abrogation de la loi Taubira. Mais passeulement. Pour Madeleine Bazin de Jessey, porte-parole dumouvement, nommée par Sarkozy secrétaire nationale des

    Républicains à seulement 26 ans, il s’agit de sortir de cette lo-gique d’« intermittents du réveil » des catholiques qui se mobi-lisent ponctuellement sur des sujets cloisonnés sans dévelop-per une vision du monde cohérente et politique. Elle veutsortir de la « monomanie des catholiques sur la famille » et s’at-taquer à d’autres sujets. « Pendant des années, la théologie ducorps et la sexualité sont devenus les sujets privilégiés dans les pa-

    LYON EST DEVENUE L’AVANT-GARDEDU DYNAMISME DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

    aux diocèses qui se sont retrouvées à devoir « gérer l’exis-tant », tandis que la dynamique leur échappait. Néanmoins,

    les diocèses dynamiques aujourd’hui sont ceux où, juste-ment, cette dichotomie entre paroisses et communautéss’estompe.

    Tout le monde connaît Koztoujours (de son vrai nom ErwanLe Morhedec), l’avocat qui règne en maître sur le web catho.On connaît moins Natalia Trouiller, qui agit dans l’ombre dela cathosphère. Elle est la femme qui est capable de fairemonter en « tendances France » Twitter le mot « carême »le jour du mercredi des Cendres, d’expliquer à un évêque ceque signifie le mot « hashtag » ou de faire sonner à la voléetoutes les cloches de France le 15 août pour les chrétiensd’Orient après avoir répandu la campagne #ChristianBellssur les réseaux sociaux. Une première tentative d’« ubérisa-

    tion » du catholicisme français, où les diocèses et les paroissesse sont vus sommés par leurs fidèles de faire ce geste pour leschrétiens d’Orient. C’est elle aussi qui était derrière l’opéra-tion « Erbil Light », en décembre 2014, où une délégationemmenée par le cardinal Barbarin est allée célébrer la fêtelyonnaise des Lumières en Irak, aux côtés des chrétiens per-sécutés. Aujourd’hui, cette ancienne journaliste à La Vie, quia été directrice de communication du cardinal pendant deuxans, a fondé son association Noé 3.0 (Nouveaux outils pourl’évangélisation), entièrement consacrée à la « mission sur le continent numérique ». Objectif ? Mettre à la disposition desdiocèses, des paroisses, et des projets, des outils de commu-nication capables de « générer le buzz » et de « créer du ré-

    seau ». « Les catholiques français ont mis du temps à réaliserqu’ils étaient minoritaires. Aujourd’hui on ne respire plus, enFrance, un air chrétien. Quand on est minoritaire, on a besoind’armes : le lobby en est une, internet en est une autre », résumecette malicieuse quadragénaire.Est-ce parce que l’esprit de saint Irénée, père de l’Eglise quiévangélisa une partie de la France au IIe siècle, y souffle en-core ? Lyon est devenue l’avant-garde du dynamisme quitransforme l’Eglise de France. C’est là-bas, à l’Ecole normalesupérieure, qu’une petite garde de catholiques a rejoint, de-puis 2011, le combat culturel. Paul Colrat et Gaultier Bès, agré-gés respectivement de philosophie et de lettres, créent alorsLes Alternatives catholiques, une association qui se donnepour but de promouvoir un débat « non partisan » entre laïcs

    catholiques. « On en avait marre d’être des catholiques du di-manche », raconte Paul Colrat, 27 ans, qui prépare une thèsesur la philosophie politique de Platon. « 99 % des milieux ca-thos sont des milieux cultuels. Nous, on voulait promouvoir une pensée alternative, c’est-à-dire autonome des structures et destraditions qui ont échoué. » Et de saluer l’aura du cardinal Bar-barin. « Il a su donner de la liberté aux jeunes, en dehors des ca-dres cléricaux et des structures figées, qui sont souvent stériles. »

    Depuis, les « Altercathos » veulent être sur tous les fronts. Ma-rianne bataille contre la GPA. Marie-Helène et Foucauld mili-tent contre le traité transatlantique. Gaultier parle de décrois-

    -

    Le père Michel-Marie Zanotti-Sorkine, longtemps curé à Marseille,

    fait partie de ces prêtres qui entraînent les jeunes catholiques.

        G    I    L    L    E    S

        B    A    S    S    I    G    N    A    C

    40 LE FIGARO MAGAZINE - 30 OCTOBRE 2015

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    7/11

        F    A    B    R    I    C    E    D    E    M    E    S    S    E    N    C    E

    Porte-parole de Sens commun et secrétaire nationale des

    Républicains, Madeleine Bazin de Jessey s’est engagée en politique,

    comme beaucoup de jeunes catholiques, après les Manifs pour tous.

    Ce dynamisme du catholicisme français a sa source propre, denature religieuse et spirituelle. Mais il s’inscrit par ailleurs dansun contexte particulier . Car ces jeunes pousses profitent d’unterreau bien plus large et profond. De la pétition « Touche pasà mon église », signée par de nombreux intellectuels non chré-tiens (Finkielkraut, Bruckner, Zemmour), au récent succès dulivre de Pierre ManentSituation de la France  – qui fait des racineschrétiennes un point d’appui face à l’islam –, le réveil catholi-que se fait sa place dans le mouvement des idées. Les politiquesne s’y trompent pas. Si en 2004, Jacques Chirac, président dedroite, refusait de mettre les « racines chrétiennes de l’Europe »

    dans la Constitution de l’Union européenne, en 2015, dans lacathédrale de Strasbourg, le ministre de l’Intérieur BernardCazeneuve, de gauche, n’hésite pas, lui, à dire que « la France est historiquement un pays de tradition chrétienne ».Le réveil des catholiques apparaît ainsi comme une des facesd’un mouvement beaucoup plus large : celui de l’angoisseidentitaire – également appelée « insécurité culturelle  »(Laurent Bouvet) – qui traverse toute la société française.On les croyait morts, ils sont toujours vivants. Engagés dansune révolution silencieuse, ils portent dans le cœur cettemaxime de Benoît XVI : « L’avenir appartient aux minoritéscréatives. » ■ EUGÉNIE BASTIÉ

    roisses et la vie étudiante, il est temps de passer à autre chose »,dit-elle. Sans pour autant lâcher les combats fondateurs :quand Nathalie Kosciusko-Morizet qualifie la Manif pour tousde mouvement « agressif envers les femmes » dans le maga-zine féminin Grazia , la jeune femme lui répond vertementdansLe Figaro:« Vous parlez comme la gauche : pourquoi ne pas la rejoindre ? »

    Si les laïcs n’hésitent plus à bousculer une hiérarchie diocé-saine dépassée, une partie du clergé accompagne cette révo-

    lution de l’intérieur. Chez les jeunes prêtres, le col roulé estpassé de mode. La soutane est sortie des sacristies, et le col ro-main se porte comme une évidence dans un monde où êtrechrétien ne l’est plus. A l’image des jeunes curés du Padre-blog, site internet fondé par l’abbé Grosjean et l’abbé Amar,ils sont le fruit d’une alchimie entre tradition et modernité,ancrage dans la cité terrestre et rigueur de la doctrine. Lacommunauté Saint-Martin en est un autre exemple élo-quent. Depuis trois ans, cette association de prêtres séculiers,fondée par l’abbé Jean-François Guérin en 1976, a vu sonnombre de séminaristes doubler : aujourd’hui, ils sont 100,sur les 750 séminaristes que compte la France. « Beaucoup de 

    séminaristes ne le seraient pas si nous n’existions pas », confie undes responsables. La recette du succès ? La vie en commu-nauté, qui fait que les jeunes séminaristes vivent « comme en 

     famille » et sont envoyés dans des paroisses par groupe de troisou quatre, ce qui permet de pallier la solitude, obstacle majeurde la vocation sacerdotale. La figure du prêtre est mise au cen-tre de la doctrine. Ils disent la messe ordinaire dans les parois-ses, mais chantent en grégorien au séminaire. Ces jeunesloups ne cachent pas leur ambition d’un catholicisme de mis-sion.« On ne peut plus être pasteur sans être missionnaire », ré-sume Don Louis-Hervé Guiny, responsable de la formationdu séminaire.Mgr Rey à Toulon, Mgr Barbarin à Lyon, Mgr Aillet à Bayonne :

    autant d’évêques dont les noms résonnent dans les médias etqui, par leur charisme, court-circuitent les structures exis-tantes. Ce sont eux qui prennent le devant de la scène sur lessujets de société tandis que Mgr Jean-Luc Brunin, présidentde la commission famille et société de la Conférence des évê-ques de France, est inconnu du grand et du petit public. Il apublié, au lendemain du vote de la loi sur le mariage pour lescouples de même sexe, une note intitulée « Poursuivons ledialogue », sonnant le glas de la mobilisation. Mais les nou-veaux catholiques ne veulent pas dialoguer avec le monde.Ils veulent l’affronter. Loin de l’enfouissement qui a suiviVatican II, la jeune génération, qui a toujours été minoritaire,a décidé d’entrer dans la carrière. « Avant, le christianismeétait une évidence ; il est devenu une cause à défendre », analyse

    l’abbé Grosjean. Ou encore, comme le dit Jean-Pierre Denis,« les cathos sont devenus des juifs comme les autres ». Le direc-teur de La Vie  les appelle les « cathos plus ». A l’opposé du« christianisme de cafétéria » des années 1980, où l’on puisaità la carte dans le grand supermarché des religions, les nou-veaux cathos veulent tout dans le christianisme. Les rites, ladoctrine, le social, le spirituel. La famille, mais aussi l’écolo-gie, l’identité, l’économie. Ils sont « intégraux », comme di-rait le pape François, alliant la rigueur doctrinale à un sens dela modernité. Ils tweetent des bouts d’encyclique, font desconcerts pour les chrétiens d’Orient, organisent des happe-nings sur la fin de vie.

    30 OCTOBRE 2015 - LE FIGARO MAGAZINE 41

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    8/11

    JEAN SÉVILLIA “LA FRANCE CATHOLIQUE

    N’A PAS DIT SON DERNIER MOT”

    La France catholique  : le titre du livre que vous pu-

    bliez n’est-il pas provocateur ?Jean Sévillia – Tel n’est pas son objectif, entout cas. Evoquer la France catholique, c’estrappeler les faits. En premier lieu en ce quiconcerne la population française. S’il est in-terdit aux organismes publics de

    procéder à des statistiques sur l’appartenance re-ligieuse, de nombreuses études opérées par desinstituts de sondage fournissent des indicationsfiables. Selon une récente enquête, 56 % des Fran-çais se déclarent catholiques, 8 % musulmans,1,4 % protestants, 1,4 % orthodoxes, 1,3 %bouddhistes et 0,8 % juifs, 27 % des sondés se pré-

    sentant comme sans religion. 56 % de catholiquesdéclarés, c’est ce qu’on appelle une majorité. Enchiffres, on sait que le pays compte 44 millions debaptisés, ce qui fait, sur 65 millions d’habitants,les deux tiers de la population. Sous l’influenced’une laïcité exacerbée qui voudrait effacer le faitreligieux de l’espace public, sous l’incidence, éga-lement, du grand nombre de questions intérieureset extérieures touchant à l’islam ou aux musul-mans et qui finissent par accaparer les débats, on en vien-drait à oublier, et pour certains à occulter, que le catholi-cisme reste la religion d’origine ou de référence de la majeurepartie de la population française.Mais une religion qui est de moins en moins pratiquée…

    Certes. Au début des années 1960, environ 90 % des Françaisse présentaient comme catholiques, dont 35 % de pratiquantsréguliers ou occasionnels ; au début des années 1970, lespourcentages étaient encore de 82 % de catholiques déclaréset de 20 % de pratiquants. Aujourd’hui, les catholiques prati-quants représentent entre 4,5 et 6 % de la population. Ce reculspectaculaire tient à des causes multiples : disparition de lavieille société rurale, bouleversements socioculturels des an-nées 1960-1970, sécularisation du monde occidental. D’unesociété qui, en dépit de la laïcité officielle et de la séparation del’Eglise et de l’Etat, était héritière d’une société de chrétienté,nous sommes passés à une société du libre choix religieux,

    dans un contexte d’incroyance généralisée. Néanmoins, en

    2015, la France compte 3 millions de catholiques pratiquantsréguliers et 10 millions de pratiquants occasionnels, soit13 millions de personnes. S’il s’agit d’une minorité, cette mi-norité est numériquement la première minorité de France.Quant au long terme, les projections montrent qu’en 2045, le

    pays comptera entre 33 et 37 millions de baptisés,ce qui sera encore une masse considérable.Mais la France catholique, c’est aussi une culture ?

    C’est un patrimoine de 100 000 édifices religieux,dont 150 cathédrales et 45 000 églises paroissiales.C’est un enracinement bimillénaire qui s’observedans la toponymie (4 400 communes portent unnom de saint), dans le calendrier civil où les six plus

    grandes fêtes chrétiennes sont des jours fériés, dansles traditions populaires, de la crèche de l’Avent auxœufs de Pâques. C’est tout un héritage artistique,littéraire et musical. C’est un héritage intellectuel etphilosophique : tous les grands penseurs français,même s’ils n’étaient pas chrétiens, ont eu à se situerpar rapport au catholicisme, ce qui revenait àreconnaître la place centrale de celui-ci dans notrehistoire. La France catholique, ce sont encore les

    principes de base qui fondent le pacte social : la dignité de lapersonne humaine, l’égalité entre l’homme et la femme, lasolidarité envers les petits et les pauvres, le souci de la justiceou le sens du pardon ont pu être laïcisés, ils expriment uneanthropologie tirée des Evangiles. C’est en ce sens que la

    formule du général de Gaulle selon laquelle« la République est laïque, la France est chrétienne » conserve toute sa pertinence.C’est en ce sens également que les sociologues Hervé Le Braset Emmanuel Todd ont pu parler récemment d’un « catho-licisme zombie », signifiant par là qu’en dépit de la baisse de lapratique religieuse, demeure, en France, une manière devivre façonnée par le catholicisme.Quel est le poids des catholiques dans la société ?

    Il est énorme, mais il s’exerce de façon discrète. Dans ledomaine de l’enseignement, par exemple, une famille fran-çaise sur deux confie son enfant à un moment ou à un autrede son parcours scolaire à l’enseignement catholique. Même

    La France catholique ,

    de Jean Sévillia,

    Michel Lafon, 240 p.,

    400 photographies,

    29,95 €.

            D        R

    Historien, essayiste et journaliste, notre collaborateur publie un superbe album illustré

    qui constitue, par le texte et par l’image, un état des lieux du catholicisme en France aujourd’hui.

    b

    42 LE FIGARO MAGAZINE - 30 OCTOBRE 2015

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    9/11

    quand les motivations des parents ne sont pas d’ordre reli-gieux, et même quand les établissements fréquentés n’ontqu’une faible identité confessionnelle, les élèves ont uncontact, le temps de leur scolarité, avec l’univers catholique.Dans le domaine de l’aide sociale, du caritatif et de l’humani-taire, tant en France que pour les missions françaises à

    l’étranger, si l’on supprimait d’un trait les associations ca-tholiques, ce serait une perte immense, si nombreux sont lescatholiques engagés dans ces secteurs. L’éducation chré-tienne, en général, prédispose au bénévolat. Rappelons, parexemple, qu’avec 125 000 membres le scoutisme catholique,toutes tendances confondues, est un des principaux mouve-ments de jeunesse français.Et sur le plan politique, que représentent les catholiques ?Politiquement, ils sont divisés. Ce n’est pas nouveau, cela datedu XIXe siècle. Il existe des catholiques de gauche, du centre etde droite. Mais, au cours des deux dernières décennies, les

    équilibres se sont modifiés. Nous avons assisté à la quasi-dis-parition des chrétiens de gauche, emportés par leurs désillu-sions consécutives à la présidence de François Mitterrand.Puis à la droitisation du curseur chez les catholiques prati-quants, dont les trois quarts ont voté pour Nicolas Sarkozy ausecond tour de l’élection présidentielle de 2012. Mais le peuplecatholique n’est pas différent du commun des mortels : ce quiprédomine chez lui, c’est une méfiance à l’égard des partis et

    des hommes politiques actuels, accusés de se préoccuperd’enjeux politiciens ou d’objectifs à court terme, et non desvrais problèmes qui engagent notre avenir. L’opposition aumariage homosexuel, toutefois, a manifesté une capacité demobilisation des réseaux catholiques qui a surpris tout lemonde, y compris les organisateurs des grandes manifesta-tions de 2012-2013. Cette mobilisation, qui a dépassé lesclivages traditionnels, marque l’entrée dans l’arène d’unenouvelle génération catholique qui sait être une minoritéagissante.Qu’est-ce que le pontificat du pape François change pour les catho-liques français ?Méfions-nous des fausses oppositions entretenues, non sansarrière-pensées, par le système médiatique. La majorité des

    forces vives du catholicisme français, que ce soit dans le clergéou chez les laïcs, n’a eu aucun problème, au contraire, avec lespontificats précédents. Le témoignage public de la foi chré-tienne par les processions ou les pèlerinages, pratiques quisont en plein renouveau, l’exigence de formation religieuseou d’approfondissement spirituel, qui caractérisent la nou-velle génération, sont des legs de Jean-Paul II et de Benoît XVI.Mais l’appel à la radicalité évangélique à laquelle invite Fran-çois n’a rien pour déplaire à cette nouvelle génération.Comment se présente l’avenir pour le catholicisme français ?Les évolutions démographiques et sociologiques sont lentesmais implacables. A court et moyen terme, nous allons versune Eglise de France plus resserrée, plus citadine, où les di-

    visions internes n’auront pas disparu mais se seront dépla-cées. Dans la mesure où le catholicisme populaire a fondu,le risque est celui de l’entre-soi. La contrepartie de cettehomogénéité sociale et culturelle, c’est une vraie cohérenceet une garantie de durée. Sur le long terme, si l’on considèrele dynamisme de ces mouvements, de ces paroisses et deces communautés, sans parler de leur vitalité intellectuelleet spirituelle, on peut dire que la France catholique n’a pasdit son dernier mot.

    ■ PROPOS RECUEILLIS

    PAR JEAN-CHRISTOPHE BUISSON

    1ÈRE CHAÎNE D’INFO DE FRANC

    CATHOS :LA RÉVOLUTION SILENCIEUSE

    Jean Sévillia sera l’invitéd’Olivier Truchotdans à 18h

     VENDREDI 30 OCTOBRE

    Jean Sévillia. Son livre

    montre un catholicisme

    français minoritaire,

    mais doté d’une forte

    énergie intérieure.    F    A    B    R    I    C    E    D    E    M    E    S    S    E    N    C    E

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    10/11

    DANS LES

    COULISSES DU

    SYNODELa composition de la délégation française au récent synode sur la famille, au Vatican,

    aura révélé la persistance dans le corps 

    épiscopal de ces vieux clivages qui, en 

    revanche, s’estompent chez les j eunes 

     prêtres et chez les fidèles catholiques.

    L

    e synode sur le mariage et la famille s’estconclu samedi dernier au Vatican. La dési-gnation des représentants de l’Eglise deFrance à cette assemblée universelle auraété le révélateur de la permanence d’un cli-

    vage idéologique qui mine, de l’intérieur, lerayonnement du catholicisme français,pourtant si riche spirituellement. Certes, la montée d’unenouvelle génération de prêtres et d’évêques bouscule àprésent la « vigilance » qui a longtemps prévalu contretous ceux qui ne se situaient pas dans la ligne épiscopaledominante, caractérisée par l’esprit d’« ouverture » et parun positionnement politique de centre gauche. Naguère,on marginalisait systématiquement les « trop à droite » etles « tradis ». On neutralisait les « cathos classiques ».Aujourd’hui, cette forme d’exclusion qui n’a jamais ditson nom s’éteint lentement, faute de combattants, lais-sant la place à un puissant esprit de communion, de fra-ternité et de spiritualité, esprit cultivé par la jeune géné-

    ration du clergé et des familles catholiques.

    De ce point de vue, l’Eglise de France, en dépit de sonvieillissement visible, est paradoxalement l’une des plusdynamiques du monde sur le plan spirituel. Vu du Vati-can, c’est-à-dire à l’échelle du temps long, on mesure eneffet la santé des Eglises non à la richesse de leurs struc-tures ou de leurs « sensibilités » idéologiques – phéno-mène du reste très français -, mais à leur… sainteté.Cependant, malgré ce fleurissement, le synode romain aconfirmé la permanence, au plus haut niveau de l’Eglisede France, de forts blocages internes qui empêchent à

    cette relève d’être admise aux postes clés. Car cette gé-nération marquée par les pontificats de Jean-Paul II et deBenoît XVI est encore systématiquement suspectéed’être trop « identitaire », trop « spirituelle », et pas assez« sociale ».

    Pour le synode, le cas le plus emblématique fut celui de

    Mgr de Germay. Le jeune évêque d’Ajaccio - pourtant l’undes membres de l’épiscopat les mieux préparés sur cesquestions familiales, en tant que diplômé de l’InstitutJean-Paul II de la famille à Rome -, n’a reçu, de la part deses confrères, qu’un titre de « suppléant » pour l’assem-blée romaine où il n’a donc pas pu se rendre… Alors quetrois évêques, Mgr James (Nantes), Mgr Ulrich (Lille) etMgr Brunin (Le Havre), confirmés mais n’ayant pas decompétences particulières en ce domaine, y étaient pré-sents.Certes, Mgr Brunin, spécialiste des questions sociales, pré-side aussi le dossier famille pour l’épiscopat où il défend

    avec application l’ouverture à toutes les formes de familles,sans privilégier la famille chrétienne en soi. Ce qui expli-qua, au passage, son embarras lors de la Manif pour tous.Même état d’esprit chez les personnalités religieuses fran-çaises qui ont œuvré comme experts au synode et y ont

     joué un « rôle décisif », selon des témoins internes nonfrançais : Mgr Vesco, dominicain, évêque d’Oran en Algé-rie ; Mgr Bordeyne, recteur de l’Institut catholique deParis ; le frère Cadoré, supérieur de l’ordre des Dominicains ;le père Dumortier, jésuite et supérieur de la Grégorienne.L’Eglise de France ne peut que se féliciter d’avoir des cadresaussi brillants, qui sont d’ailleurs de la même génération.

    b

    44 LE FIGARO MAGAZINE - 30 OCTOBRE 2015

  • 8/18/2019 Cathos la révolution silencieuse

    11/11

          E      D      F

          5      5      2      0      8      1      3      1      7      R      C      S      P      A      R      I      S ,

          7      5      0      0      8      P     a     r      i     s .     a

    L’énergie est notre avenir, économisons-la!

    DÉCOUVREZNOSOFFRESDEMARCHÉ ENÉLECTRICITÉETGAZ

    Avec la fin des tarifs réglementés

    de vente d’électricité et de gaz

    les entreprises ayant des sites avec

    une puissance souscrite supérieure

    à  kVA en  électricité ou

    consommant plus de  MWh par an

    en gaz doivent souscrire une offre

    de marché avant le  er  janvier 

    C’est le moment de choisir le bon

    accompagnement

    C’est lemoment

    choisissezEDF   EDF ENTREPRISES INNOVEPOUR VOTRE COMPÉTITIVITÉ

    edfentreprisesfr

        A    N    G    E    L    O

        C    A    R    C    O    N    I    /    E    P    A  -    M    A    X    P    P    P

    Si le synode sur la famille a renforcé le pape

    François, il a aussi mis en lumière le décalage

    entre les cadres de l’Eglise de France et

    une partie croissante de ses fidèles.

    Mais il est permis de s’interroger sur le fait qu’à l’exceptionde Mgr Vingt-Trois, vice-président du synode, et hors des

    membres de la curie romaine, tous les Français présentsdans cette assemblée avec droit de vote - dont Mgr Pontier,président de la Conférence des évêques de France - étaientsur une ligne unique. Celle de l’ouverture pour les ques-tions familiales aux situations qui se multiplientaujourd’hui dans la société occidentale, ouverture désiréepar le pape François mais qui a entraîné les résistances, parexemple, des évêques d’Afrique ou d’Europe de l’Est.

    Au synode, la représentation française s’est montrée dépen-dante, de plus, sur le plan théologique et intellectuel, dugroupe des germanophones qui a défendu l’admission desdivorcés remariés à la communion. Comme si la grandetradition théologique française était muette…

    Quand il s’agit de décider des grandes orientations, donc,la« diversité », tellement louée sur tous les plans par l’épis-copat français, est loin d’être une réalité interne. Dansl’appareil ecclésial, le pluralisme devra attendre une géné-ration.   ■ JEAN-MARIE GUÉNOIS