catégorisation et grammaticalisation relation génitivale en mandingue

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  • 7/26/2019 Catgorisation Et Grammaticalisation Relation Gnitivale en Mandingue

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    Denis CREISSELS

    Catgorisation et grammaticalisation : larelation gnitivale en mandingue

    Rsum

    Cet article analyse les critres de choix entre les deux constructions du syntagme gnitival en

    mandingue dans le cadre des nouvelles perspectives sur la smantique grammaticale qu'ouvrent

    les recherches rcentes sur la grammaticalisation et la catgorisation.

    Mots-clefs

    Possession, alinabilit, catgorisation, grammaticalisation.

    Abstract

    This article analyses the criteria for choosing between the two constructions of the genitivalphrase in Mandingo within the framework of the new insights into grammatical semantics put

    forward by recent research on grammaticalization and categorization.

    Keywords

    Possession, alienability, categorization, grammaticalization.

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    LA NOTION DE POSSESSION EN LINGUISTIQUE

    Le syntagme gnitival, comme plus gnralement les constructionscouramment dsignes par les linguistes comme possessives , renvoiefondamentalement la notion de participation dune entit(conventionnellement dsigne comme le possd) la sphre personnelled'un individu (conventionnellement dsign comme le possesseur) : lesconstructions possessives sont des structures syntaxiques dont l'emploi a pourfondement la possibilit d'assimiler la relation entre les rfrents de deuxtermes la relation entre un individu et un lment de la sphre personnelle decet individu. La sphre personnelle s'organise autour de trois ensembles

    prototypiques de relations permettant de reprer une entit dans lesquelles lerepre est constitu par un individu humain :

    - la relation d'un individu aux parties de son corps ;- la relation d'un individu aux autres individus auxquels il est apparent ;- la relation d'un individu aux objets dont il a l'usage de faon relativement

    permanente.La notion de sphre personnelle, qui semble apparatre pour la premire

    fois dans Bally (1926) a t labore date rcente par la grammaire cognitive.Cette thorie (cf. notamment Langacker, 1995) dveloppe une approche de laquestion trs semblable ce que j'avais propos dans ma propre thse(cf. Creissels, D., 1979), mais plus formalise et avec un usage systmatique desnotions de prototype et de saillance. Une fois reconnue l'absence de limitation

    la nature des relations susceptibles de donner lieu des constructionspossessives, et donc l'impossibilit de trouver un trait smantique constant travers les emplois des constructions possessives, la grammaire cognitive ne selimite pas reconnatre les relations d'un individu aux parties de son corps, ses parents et aux objets dont il a l'usage comme prototypes par rfrenceauxquels s'organisent les emplois des constructions possessives. Elle proposeplus gnralement d'expliquer l'emploi des constructions possessives en voyantdans le possesseur un point de rfrence travers lequel l'nonciateur tablitun contact mentalavec d'autres entits.

    L'ide est que dans notre perception du monde, certaines entits sontparticulirement saillantes au sens o elles s'isolent plus naturellement qued'autres comme individus : ce sont en priorit les humains. L'tre humain seconoit comme individu situ au centre d'un rseau de relations avec un certain

    nombre d'entits, et projette sur le monde extrieur la conscience qu'il a d'trele centre de sa sphre personnelle. Par analogie avec la perception que nousavons de nous-mmes, nous considrons toute entit individualise comme lecentre d'un rseau de relations avec d'autres entits moins saillantes. Donc,tant donn une entit quelconque, nous tendons la percevoir commelment de la sphre personnelle d'une entit plus saillante (c'est--dire plusfacilement perue comme individu), et ceci conditionne la faon dont noustraitons la question de l'accs des rfrents dans l'activit de langage : les

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    rfrents relativement peu saillants tendent tre apprhends parl'intermdiaire d'un rfrent plus saillant la sphre personnelle duquel onpeut les considrer comme rattachs. Si les relations d'un individu aux partiesde son corps, ses parents et aux objets dont il a l'usage constituent desprototypes pour l'emploi des constructions possessives, c'est que, s'agissantpour l'individu humain de relations importantes auxquelles il est constammentconfront, elles se prtent particulirement bien l'utilisation d'un individucomme point de rfrence pour accder d'autres entits.

    Cette approche explique par exemple trs simplement pourquoi, en cas denominalisation, les langues utilisent gnralement des constructionspossessives pour spcifier les participants un procs. Les participants unprocs sont en effet des points de rfrence naturels pour un procs : il estpresque toujours impossible de concevoir un procs indpendamment departicipants ; les participants sont gnralement concrets, et donc relativementsaillants, et il est ainsi naturel de traiter un procs comme lment de la sphrepersonnelle de l'un des participants.

    LA NOTION DE SYNTAGME GENITIVAL

    La notion de syntagme gnitival repose sur la constatation que toutes leslangues disposent de constructions vrifiant les deux conditions suivantes :

    - syntaxiquement, ces constructions confrent un constituant nominalN2une fonction de dtermination relativement un autre constituant nominalN1dans lequel N2est enchss ;

    - smantiquement, ces constructions ont la particularit de spcifier demanire minimale1 la relation entre les rfrents de N1et de N2qui autorisel'nonciateur traiter N2 comme dterminant de N1, et leur emploi estnotamment particulirement usuel lorsque N2 a pour rfrent un individuhumain et que la relation entre les rfrents de N1et N2relve de l'un des troisprototypes autour desquels s'organise la notion de sphre personnelle d'unindividu.

    En franais, cette dfinition s'applique la construction o un substantifse combine un modifieur ayant la forme de N et pouvant tre reprsentpar un dterminant possessif.

    L'utilisation du terme de syntagme gnitival pour dsigner de tellesconstructions, abstraction faite de leur particularits morphologiques, revientsimplement donner au terme de gnitif une signification syntaxique

    clairement apparente la signification qu'on lui accorde traditionnellementdans la description de systmes de dsinences casuelles : le syntagme gnitivalest le type de construction dans lequel oprent typiquement les morphmes

    1Il importe de souligner que spcification minimale ne veut pas dire absence de spcification autrement, cela n'aurait aucun sens de parler de syntagme gnitival dans les langues quiexpriment obligatoirement une distinction de type alinable / inalinable ou qui ont desclassificateurs gnitivaux.

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    traditionnellement identifis comme dsinences de gnitif. Si on adopte cettesolution, on pourra dire que le terme N2de la construction est en fonction degnitif, indpendamment du fait qu'il prsente ou non une marque casuelleparticulire.

    LA NOTION D'ALIENABILITE EN LINGUISTIQUE

    Dans un nombre important de langues (notamment en franais)1, on peutavoir un syntagme gnitival qui smantiquement informe seulement sur le faitque N1 est un lment de la sphre personnelle d'un individu N2, ou plusgnralement entretient avec N2 une relation que l'nonciateur jugeassimilable la relation de participation d'une entit la sphre personnelle

    d'un individu.Mais il y a aussi des langues dans lesquelles il existe un choix qui peut tre

    smantiquement significatif entre plusieurs constructions concurrentes dusyntagme gnitival, ainsi que des langues o il existe une seule constructionmais avec un choix qui peut tre smantiquement significatif entre plusieursmorphmes diffrents susceptibles de marquer la relation gnitivale. Leproblme est alors de prciser la nature des distinctions smantiques mises enjeu.

    Les distinctions smantiques qui peuvent intervenir dans la constructionde la relation gnitivale prsentent travers les langues une indniable varit.Toutefois, il y a un cas de figure qui revient de faon particulirementfrquente, et qui a attir de ce fait l'attention des linguistes : c'est celui o le

    systme de la langue interdit d'utiliser la mme structure formelle pourl'ensemble des relations relevant de l'un des trois prototypes autour desquelss'organise la notion de sphre personnelle d'un individu, et o le choix est d'unemanire ou d'une autre sensible au caractre plus ou moins intime de larelation entre l'individu et les entits qui constituent sa sphre personnelle. Ondit usuellement dans de tels cas que la construction du syntagme gnitival meten jeu une distinction de type alinable / inalinable.

    Il est crucial de reconnatre que cet usage technique des termes alinable / inalinable implique seulement qu'il existe, l'intrieur des troisprototypes qui structurent la sphre personnelle, une distinction mettant en jeud'une manire ou d'une autre le caractre plus ou moins intime de la relationentre l'individu et les entits qui constituent sa sphre personnelle (un casparticulirement frquent tant celui o le traitement des relations d'un

    individu aux objets qu'il utilise contraste globalement avec celui des relationsd'un individu aux parties de son corps ou ses parents). Ceci n'implique rienquant la nature smantique exacte de la distinction, qui reste discuter, etdont rien n'assure a prioriqu'elle soit vraiment constante travers les langues

    1On se rfre ici au franais standard ; en franais familier, les choses sont plus complexes, dufait de la persistence de la concurrence entre les prpositions et dedans la mise en forme de larelation gnitivale.

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    o une configuration de ce type est constate. Ce serait notamment une graveerreur de penser que chaque fois qu'on observe un contraste l'intrieur destrois prototypes qui structurent la sphre personnelle, on doive pouvoir prdirede faon simple l'emploi des deux constructions sur la base d'une distinctiongnrale entre relations qui peuvent ou non se trouver rompues (ce qui est lesens d'alinable / inalinable dans le langage ordinaire).

    LA DISTINCTION ALIENABLE/INALIENABLE DANS LACONSTRUCTION DU SYNTAGME GENITIVAL EN MANDINGUE :

    PRESENTATION DES DONNEES

    Remarques gnralesLes parlers mandingues ont deux constructions possibles du syntagme

    gnitival : dans les deux constructions, le gnitif prcde le substantif qu'ildtermine, mais dans l'une des deux constructions il lui est simplementantpos, alors que dans l'autre il est combin une postposition. L'emploirespectif de ces deux constructions est prsent dans cette section partir dedonnes du parler mandinka obtenues auprs d'informateurs gambiens.D'aprs mes observations, sauf sur quelques points prcis qui seront d'ailleursvoqus dans ce qui suit, il n'y a pratiquement pas de diffrence dans la faondont ces deux constructions s'emploient d'un parler l'autre. Les donnes quivont tre rsumes figuraient dj dans Creissels (1979) mais elles reoivent iciune prsentation diffrente qui vise mieux faire ressortir des aspects que je

    considre maintenant comme cruciaux.En mandinka, la postposition qui peut marquer le gnitif est la, avec

    l'allomorphe nasi le dernier mot du constituant gnitif est finale nasale. Desexemples comme (1) suffisent pour tablir qu'il s'agit d'une distinction de typealinable / inalinable au sens dfini ci-dessus.

    (1) a. msoo ko la tte de la femme (qui fait partie de son corps)

    b. msoo la buo la maison de la femme

    c. msoo la ko la tte de la femme (la tte qu'elle s'est approprie par exempleune tte d'animal qu'elle se propose de manger)

    d. *msoo buo

    Dans ma thse sur les constructions possessives (Creissels, D., 1979) jem'tais efforc d'analyser la distinction alinable / inalinable en mandinguedans le cadre d'une approche de la smantique lexicale axe sur la recherche

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    d'un trait smantique unique dont la prsence ou l'absence dterminerait lechoix entre les deux constructions du syntagme gnitival qui existent dans cettelangue, et j'avais propos le trait de contrle exerc par le rfrent du gnitifsur sa relation au rfrent du substantif dtermin. Il subsistait toutefois uncertain nombre de cas o la rfrence au trait de contrle ne permettait pas deprdire de manire vidente la construction utilise. Compte tenu de tout dequi a t crit depuis une vingtaine d'annes sur le fonctionnement de lacatgorisation et sur la faon dont se dveloppe la grammaticalisation dedistinctions smantiques dans l'histoire des langues, ceci n'a rien d'tonnant.L'objectif de cet article est de rexaminer les donnes mandingues enabandonnant l'ide qu'il puisse exister un trait smantique unique quipermettrait de prdire dans tous les cas la construction du syntagme gnitival,et en tenant compte des nouvelles perspectives sur la smantique grammaticalequ'ouvrent les recherches rcentes sur la grammaticalisation et lacatgorisation.

    Ce faisant, il faudra tenir compte d'une particularit remarquable dumandingue : dans la plupart des langues qui ont ce type de distinction (cf.Nichols, 1988), la construction caractrisable comme inalinable est possibleseulement si le substantif en fonction de dtermin appartient une liste closede substantifs, ce qui peut permettre la limite de traiter la possibilit d'entrerdans la construction inalinable comme une proprit lexicale des substantifsen question. En mandingue par contre, on ne peut pas viter de poser leproblme des principes gnraux de choix entre les deux constructions, car laplupart des substantifs peuvent prendre en fonction du contexte les deux types

    de dtermination gnitivale.Dans le dtail, il apparat que, si l'on veut formuler le systme de rgles le

    plus simple possible permettant de prdire le choix que font les locuteurs decette langue entre ces deux constructions, il convient d'envisagersuccessivement les trois cas suivants :

    (a) le substantif dtermin est un verbo-nominal, et le gnitif reprsenteun participant au procs que reprsente le substantif dtermin ;

    (b) le substantif dtermin n'est pas un verbo-nominal, et le gnitif a unrfrent non anim ;

    (c) le substantif dtermin n'est pas un verbo-nominal, et le gnitif a unrfrent anim.

    Cas o le substantif dtermin est un verbo-nominal, et o le gnitif reprsenteun participant au procs que reprsente le substantif dtermin

    Dans le cas o le substantif dtermin a pour base un lexme qui signifieun procs et peut s'employer comme verbe avec la mme signification deprocs, le choix de la construction du syntagme gnitival peut tre prdit trssimplement en prenant en considration la construction prdicativecorrespondante. En effet, la rgle est qu'on a la construction par juxtapositiondirecte (c'est--dire la construction inalinable) si le gnitif peut tre considr

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    comme la transposition de l'objet de la construction prdicative, et laconstruction avec la (c'est--dire la construction alinable) si le gnitif peuttre considr comme la transposition du sujet de la relation prdicative.

    (2) a. ko ye musoo kilii lhomme acc.pos femme appeler foc1 l'homme (sujet) a appel la femme (objet)

    b. ko la kiliiroo l'appel que l'homme a lanc

    c. msoo kilio l'appel que la femme a reu

    d. wuluulaalu ye diolu knu lparents acc.pos eux enfants aimer foc les parents (sujet) aiment leurs enfants (objet)

    e. wuluulaalu la knoo ( diolu ye) l'amour des parents (envers leurs enfants)

    f. dindiolu knoo l'amour des enfants (au sens de l'amour qu'on prouve envers lesenfants)

    Par contraste avec ce qui se passe lorsque le substantif dtermin n'est pasun verbo-nominal, on notera que le caractre anim / inanim du gnitifn'intervient pas, ce qui veut dire qu'un gnitif inanim peut entrer dans laconstruction alinable, pourvu qu'il puisse tre considr comme latransposition du sujet d'une construction prdicative.

    (3) a. sanjii-foloo ke-ta lpluie-premire avoir lieu-acc.pos foc les premires pluies sont arrives

    b. sanjiifoloo la kee

    l'arrive des premires pluies c. snsio kuliyaa-ta l

    panier tre lourd-acc.pos foc le panier est lourd

    1Les abrviations suivantes figurent dans les gloses des exemples mandinka : acc.pos = accomplipositif, foc = marque de focalisation, gn = marque du gnitif, postp = postposition.

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    d. snsio la kuliyaa

    le poids du panier

    Lorsque le substantif dtermin est un verbo-nominal, le choix entre lesdeux constructions est donc fortement grammaticalis, puisqu'il dcouleautomatiquement de la mise en forme de la relation prdicative dont ce verbo-nominal est le noyau lorsqu'il s'emploie en qualit de verbe. La relation avec lesens est alors indirecte, c'est--dire mdiatise par la relation entre lesfonctions syntaxiques sujet / objet et les rles smantiques que peuventassumer les participants un vnement ou une situation, puisque le choixentre alinable et inalinable dcoule du fait que le rfrent du gnitif assumeun rle qui lui permettrait d'tre trait respectivement comme sujet ou commeobjet dans la construction prdicative correspondante.

    Cas o le substantif dtermin n'est pas un verbo-nominal, et o le gnitif a unrfrent non anim

    Ce deuxime cas est encore plus simple dcrire que le premier. En effet,si le substantif dtermin n'est pas un verbo-nominal, et si le gnitif a unrfrent non anim, c'est obligatoirement la construction par juxtapositiondirecte (c'est--dire la construction inalinable) qui est utilise.

    (4) a. buo daa la porte de la maison

    b. dndikoo jifoo la poche du vtement

    c. yiroo troo le sommet de l'arbre

    d. yiroo ninio l'ombre de l'arbre

    e. manoo daa le prix du riz

    f. kumoo kotoo le sens de la parole

    g. bnkoo tolu les propritaires du sol

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    h. tyoo kodoo l'argent de l'arachide (= l'argent rapport par la vente del'arachide)

    i. transportoo kodoo l'argent du transport (= l'argent pay pour le transport)

    j. Bnjunu siloo la route de Banjul

    k. sateo lkaaloo le chef du village

    l. sateo jaameo la mosque du village

    Cas o le substantif dtermin n'est pas un verbo-nominal, et o le gnitif a unrfrent anim

    Il convient tout d'abord de noter que, par contraste avec ce qui s'observedans d'autres langues, c'est invariablement la construction alinable quiapparat en mandingue chaque fois qu'un nom d'objet concret est dterminpar un nom de personne, sans aucune possibilit de distinction selon le degr

    d'intimit de la relation, ou selon que la personne en question est l'utilisateurde l'objet ou entretetient avec lui un autre type de relation. Dans les ex. (5), lespossibilits d'interprtation du gnitif sont aussi largement ouvertes enmandingue qu'en franais, et il est impossible d'imaginer un type de relationentre une personne et un vtement ou une maison qui rendrait possible laconstruction par juxtaposition directe.

    (5) a. la dndikoo son vtement

    b. la buo sa maison

    Mais ds lors que le substantif dtermin n'est pas un nom d'objet concret,la description du syntagme gnitival dans le cas envisag maintenant estnettement plus dlicate que dans les deux cas prcdemment examins. Onpeut toutefois considrablement la simplifier en considrant que lorsque lesubstantif dtermin n'est pas un verbo-nominal et que le gnitif a un rfrentanim, la construction avec la postposition la (c'est--dire la constructionalinable) est la construction non marque.Ceci signifie que dans ce cas, la

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    description peut se limiter dresser l'inventaire des types de relations quientranent le choix de la construction inalinable.

    C'est sans exception la construction inalinable qui est utilise lorsque lenom d'un individu dtermine le nom d'une partie de son corps. Par contre, unnom de partie du corps dtermin par le nom d'un individu autre que sonpossesseur naturel entre dans la construction alinable.

    (6) a. nnsoo sboo la viande de la vache

    b. buseo la sboo la viande du boucher

    c. jtoo kloo la peau du lion

    d. n na jtakuloo ma peau de lion

    e. freo son cadavre (= le cadavre constitu par son corps)

    f. la freo l mu n tilui gn cadavre foc tre moi postp

    lit. 'je suis son cadavre', comprendre comme je vais mourir par safaute

    On trouve aussi la construction alinable avec des termes signifiant desnotions lies au corps, mais qui ne constituent pas pour autant des lmentsconstitutifs de l'individu, ainsi qu'avec des termes dsignant des substitutsartificiels de parties du corps.

    (7) a. la bramoo sa blessure

    b. la tamaafaroo

    son tatouage c. la fukoo

    son gotre

    d. la madimio sa plaie

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    e. la saninyio sa dent en or

    f. la yirisio sa jambe de bois

    On retrouve par contre la construction inalinable avec des termes qui,comme les parties du corps, renvoient des parties constitutives de l'individu,bien que sur un plan intellectuel, moral ou social plutt que strictementanatomique.

    (8) a. nio son souffle, son me

    b. hakiloo son esprit

    c. sondomoo sa conscience

    d. jikoo son caractre

    e. floo sa destine

    f. smboo sa force

    g. timinoo son endurance, son ardeur au travail

    h. jahannaboo son mal (au sens du mal qui est en lui)

    i. too

    son nom individuel

    j. jmuo son nom clanique

    k. sio son ethnie

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    l. tnoo son tabou

    On a toutefois la construction alinable dans des cas comme ceux de l'ex.(9). On peut se demander si le choix de la construction alinable ne s'expliquepas l par le fait qu'il s'agit de caractres que l'individu acquiert au cours de savie et qui n'ont pas un caractre dfinitif. On notera que le terme qui dsigne lalangue (qu'on parle) est le mme que le terme anatomique pour gorge , cou , avec une diffrence de construction.

    (9) a. la lodulaa sa situation (au sens professionnel du terme)

    b. la diinoo sa religion

    c. la adoo leurs coutumes

    d. la kao sa langue (au sens de la langue qu'il parle)

    e. kao sa gorge, son cou

    On retrouve la construction inalinable avec les termes signifiant endroit o se tient habituellement et poque laquelle vivait .

    (10) a. ya sa demeure

    b. jmaanoo son poque (l'poque o il vivait)

    On a aussi la construction inalinable avec toute une srie de termesqu'on peut regrouper sous la rubrique manations du corps .

    (11) a. ninio son ombre

    b. snnoo sa trace

    c. taroo sa sueur

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    d. nyaajio

    ses larmes

    e. daajio sa salive

    f. seeroo son odeur

    g. nnsoo kekeo le lait de la vache

    On relve toutefois dans ce domaine deux cas a priori difficilementexplicables, sauf considrer que le gnitif est la transposition du sujet de cracher et pondre un uf envisags comme des actions, ce qui nousrenvoie au critre de choix dcrit la rubrique cas o le substantif dterminest un verbo-nominal .

    (12) a. la karoo son crachat

    b. siseo la kiloo l'uf de la poule

    Lorsque le substantif dtermin est un nom de lieu et le gnitif un nom depersonne, en dehors du cas de ya demeure dj voqu ci-dessus, les seulscas o la construction inalinable est utilise sont ceux o la relation del'individu au lieu en question dcoule de sa relation l'occupant privilgi de celieu ex. (13), ce qui nous renvoie un cas de figure qui sera examin plustard.

    (13) a. falaa la demeure de sa famille paternelle (lit. sa rsidence de pre)

    b. bitankundaa

    la demeure de sa belle-famille (lit. sa rsidence de belle-famille)Dans tous les autres cas, la dtermination d'un nom de lieu par un nom de

    personne est traite comme la dtermination d'un nom d'objet par un nom depersonne : quelle que puisse tre la nature exacte de cette relation, on aura laconstruction alinable.

    (14) a. la bnkoo son pays

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    b. la sateo

    son village

    c. la dokuudulaa son lieu de travail

    d. la kaburoo sa tombe

    Le dernier cas o la construction inalinable peut apparatre lorsque lesubstantif dtermin n'est pas un verbo-nominal et que le gnitif a un rfrentanim est le cas o les deux termes de la relation sont tous deux des individushumains et o le substantif dtermin a une signification de type relationnel.En effet, la construction inalinable est alors obligatoire dans les cas suivants :

    - sans aucune exception, chaque fois que le substantif dtermin signifieune relation de parent de sang ;

    (15) a. fa son pre

    b. bari son oncle maternel

    c. diolu ses enfants 1

    d. baalankoolu ses parents du ct maternel

    la seule exception de msu pouse dont le cas sera dcrit endtail ci-dessous, lorsque le substantif dtermin signifie une relation deparent par alliance ;

    (16) a. ke son mari 2

    1Le mandinka a deux termes diffrents pour enfant en tant que terme relationnel ( di) et enfant en tant que terme non relationnel (dindi) et on notera la distinction entre diolu les enfants qu'il a engendrs et la dindioluqui peut signifier par exemple les enfants dontil s'occupe .2 kesignifie plus gnralement homme , et lorsqu'il figure comme terme dtermin d'uneconstruction gnitivale avec un anim en fonction de gnitif mais avec une signification autre que le mari de , c'est invariablement la construction alinable qui est utilise. Par exemple

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    b. bitammusoo

    sa belle-mre

    c. sinaa sa co-pouse

    - lorsque le substantif dtermin appartient une srie de termes qui onten commun de dsigner des relations interpersonnelles ayant un caractresymtrique : teeri ami , jawu ennemi , fula conscrit (membre de lamme classe d'ge), et de manire gnrale les termes forms l'aide du suffixede rciprocit nyoo: taanyoo compagnon de voyage , kfunyoo copain , camarade , etc. ;

    (17) a. teeroo son ami

    b. jawoo son ennemi

    c. fulao son conscrit

    d. taanyoo

    son compagnon de voyage

    - lorsque le substantif dtermin appartient un petit groupe de termesayant en commun de dsigner le terme dominant d'une relation de suprieur subordonn : marii matre (d'un esclave) , btufaa patron (d'un griot) ,jyaatii logeur , krammoo matre d'cole coranique ; avec ces termes, ilest intressant de remarquer que lorsqu'on prend comme substantif dterminle terme domin de la relation, c'est la construction alinable qui apparat.

    (18) a. mario son matre

    b. la jo

    son esclave

    c. btufaa son patron (en parlant d'un griot)

    dans un rcit, le conteur peut dire na ko notre homme au sens de l'homme dont je vousparle .

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    d. la jloo son griot

    e. krammoo son matre (dans le contexte de l'cole coranique)

    f. la krandio son lve

    Le cas du terme pour femme utilis au sens d'pouse mrite uneattention particulire. En effet, pour le mari de , on a invariablement dansles parlers mandingues la construction inalinable, alors que pour l'pousede , il y a hsitation, et la construction la plus usuelle n'est apparemmentpas la mme d'un parler l'autre, ce qui est une situation assez exceptionnelle.En mandinka, la construction alinable semble plutt plus usuelle, mais laconstruction inalinable est aussi possible, sans diffrence de significationvidente.

    (19) a. ke son mari

    b. la msoo ~ msu son pouse

    UTILITE ET LIMITES DU TRAIT DE CONTROLE POUR EXPLIQUERLE FONCTIONNEMENT DE LA DISTINCTION ALIENABLE /

    INALIENABLE EN MANDINGUE

    Les donnes prsentes ci-dessus montrent de manire vidente que lemandingue a bien une distinction de type alinable / inalinable, si on donne ces termes la valeur qui est devenue la leur dans le jargon des linguistes, maisaussi que la notion extra-linguistique de relation inalinable (c'est--dire derelation qui ne peut se trouver rompue, dans laquelle le possd n'est passusceptible d'tre transmis un autre possesseur ) n'a pas grand chose voiravec le fonctionnement de cette distinction. Par exemple mon livre ne peut

    se rendre en mandinka autrement que comme n na kitaaboo, c'est--dire avecla construction dite alinable, qu'il s'agisse d'un livre que je possde (relationtypiquement alinable) ou d'un livre que j'ai crit (relation typiquementinalinable). On pourrait facilement multiplier de tels exemples.

    Il se confirme donc que les termes d'alinable et inalinable tels que lesutilisent les linguistes ne font rien de plus qu'enregistrer l'existence d'unedistinction fonde sur un contraste entre les prototypes autour desquels sestructure la sphre personnelle. En mandingue, comme dans bien d'autres

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    langues, le contraste fondamental est entre parties du corps et parent de sangd'un ct, et objets d'usage personnel d'un autre ct. Mais ceci ne rgle pas laquestion de savoir, une fois instaur un tel contraste, sur quelle base vas'effectuer la catgorisation des relations qui n'entrent pas de manire videntedans l'un des prototypes, c'est--dire la question de savoir quels traits vont tredcisifs pour dcider d'assimiler une relation donne l'un des prototypesplutt qu' l'autre. Et cette question ne peut paratre simple que dans uneapproche superficielle. Ds lors qu'on se livre une enqute systmatique, etqu'on se donne en outre la peine de dpouiller des textes, les chosesapparaissent singulirement plus complexes.

    Dans le cas du mandingue, mme si on abandonne l'ide d'expliquerglobalement le fonctionnement de la distinction alinable / inalinable par untrait smantique unique, on peut soutenir que le trait smantique qui permetd'expliquer simplement un maximum de cas de choix entre les deuxconstructions du syntagme gnitival est l'existence ou l'absence d'un contrleexerc par le possesseur sur sa relation au possd . Une bonne partiedes donnes peut en effet se rsumer en posant que le rfrent du gnitif estprsent comme actif dans la relation dite alinable, et comme passif dans larelation dite inalinable.

    Cette hypothse s'impose dans le cas o le substantif dtermin est unverbo-nominal. En effet, nous avons vu que dans ce cas le choix de laconstruction peut tre prdit d'aprs la fonction qu'assumerait le possesseur dans la construction prdicative correspondante. Or, s'il est certain que sujet etobjet n'encodent pas toujours les mmes rles smantiques, il est non moins

    certain que le sujet prototypique est un agent, et que l'objet protypique est unpatient.

    Cette hypothse est aussi conforme ce que l'on observe lorsque lesubstantif dtermin n'est pas un verbo-nominal et que le gnitif est uninanim. Nous avons vu en effet que dans ce cas, on a uniformment laconstruction inalinable. Or un inanim est conu comme intrinsquementinapte exercer un quelconque contrle.

    Reste le cas o le possd n'est pas un verbo-nominal et o le possesseurest un anim. Dans ce cas, on peut retenir de la discussion prsente de faondtaille dans (Creissels, D., 1979) que le trait contrle du possesseur sur sarelation au possd permet de faire plus de prdictions correctes qu'unquelconque des autres traits auxquels font rfrence les discussions sur les

    distinctions de type alinable / inalinable. Ce trait n'expliquemalheureusement pas tout.Un cas particulirement problmatique est celui du traitement de la

    relation entre poux et plus gnralement des relations interpersonnelles danslesquelles il est possible de dceler une hirarchie. A premire vue, les faitsvoqus ci-dessus cf. notamment ex. (18) et (19) semblent appuyerl'explication en termes de contrle : dans des relations fortement hirarchises,seul le suprieur hirarchique est conu comme contrlant sa relation l'autreterme. Mais on doit aussi observer que :

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    (a) le terme pour pouse est le seul pour lequel on observe desvariations dialectales importantes ; or il n'y a pas de variation sensible traversl'aire mandingophone, en ce qui concerne la condition fminine et l'institutiondu mariage, qui pourrait expliquer ces variations ;

    (b) si la notion de hirarchie tait aussi dterminante, on devraits'attendre par exemple ce que le terme pour enfant au sens de fils ou fillede entre dans la construction alinable au mme titre que le terme pour pouse , ce qui n'est pas le cas ;

    (c) parmi les nombreux couples de termes signifiant des relationsinterpersonnelles autres que familiales qui impliquent une hirarchie, seulsceux qu'illustrent les ex. (18) appellent la construction inalinable lorsque legnitif dsigne le subordonn ; tous les autres appellent la constructionalinable quel que soit le sens dans lequel est envisage la relation.

    (20) a. la kntao son parrain d'initiation

    b. la nsio son filleul d'initiation

    On peut toutefois concilier l'ide d'une distinction reposantfondamentalement sur le trait de contrle avec l'existence manifeste d'emploisque le trait de contrle explique difficilement, condition de tenir compte du

    fait que lorsque le gnitif est un inanim, la construction inalinable estproductive et non marque, tandis que lorsque le gnitif est un anim, c'est aucontraire la construction alinable qui est productive et non marque. Eneffet :

    - lorsque le gnitif est un inanim, le choix par dfaut est la constructioninalinable (ce qui est conforme l'ide d'une association naturelle entreinanim et passif), et la construction alinable s'emploie uniquement lorsque legnitif peut s'analyser comme la transposition d'un sujet ;

    - lorsque le gnitif est un anim, le choix par dfaut est la constructionalinable (ce qui est conforme l'ide d'une association naturelle entre animet actif), et la construction inalinable s'emploie seulement pour une listerelativement limite de relations qui impliquent gnralement un rle passif durfrent du gnitif.

    Dans cette optique, l'existence de constructions alinables avec un gnitifanim qu'on peut difficilement considrer comme le terme dominant de larelation peut s'expliquer par la tendance gnraliser l'emploi de laconstruction la plus productive, gnralisation dont le rsultat est unedissymtrie entre l'homognit smantique des emplois de la construction nonproductive et l'htrognit smantique des emplois de la constructionproductive.

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    ALIENABLE / INALIENABLE : UN PROBLEME DEGRAMMATICALISATION

    Ce qui vient d'tre expos va dans le sens de la thse soutenue avec forcepar les thoriciens de la grammaticalisation, selon laquelle il est vain dechercher ramener un principe unique, dans une optique strictementsynchronique, le fonctionnement des morphmes grammaticaux, seule uneprise en compte de la diachronie permettant d'intgrer certains aspects quisynchroniquement ne peuvent raisonnablement tre considrs que comme

    des exceptions aux rgularits dominantes. Les tudes sur lagrammaticalisation ont en effet fait ressortir que, lorsque des distinctions segrammaticalisent et voluent vers des significations de plus en plus abstraites, iln'est pas rare que certains dtails dans le fonctionnement de ces distinctionscontinuent de ne pouvoir s'expliquer que par rfrence aux significationsconcrtes d'origine.

    L'ide selon laquelle la question de l'alinabilit doit trefondamentalement envisage dans une perspective de grammaticalisation estdj clairement exprime, propos des langues mand, dans (Manessy, G.,1964 : 27) :

    Il nous semble cependant important, du point de vue de la thorielinguistique, qu'un phnomne aussi remarquable que l'existence, en

    certaines langues, d'une classe de substantifs dsignant des possessionsinalinables se rvle susceptible d'interprtation proprement linguistique,alors qu'on a trop tendance, notre avis, le traiter comme un fait dementalit, comme une curiosit relevant de la psychologie des peuples. Ila t possible d'tablir une continuit entre la simple facult, offerte parcertains parlers, de prciser par des moyens lexicaux le contenu d'un rapportde dtermination, et l'institution de deux classes de noms dont lecomportement est impos au sujet parlant par la structure mme de salangue Plutt que l'mergence d'une structure mentale propre auxpopulations de langue mand, nous avons observ un processus degrammaticalisation, la sclrose d'un procd lexical analogue celui qui, enun tout autre domaine, a permis la formation du futur dans les languesromanes.

    D'autres linguistes travaillant dans d'autres domaines (cf. notammentpour le domaine mlansien, Cowan, H., 1969) ont soutenu qu'il ne faut pasvoir dans les distinctions de type alinable / inalinable autre chose que laconsquence de processus diachroniques trs banals et susceptibles de semanifester dans toute langue. Il convient donc d'largir le problme et de poser

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    plus gnralement la question des changements qui peuvent affecter laconstruction du syntagme gnitival au cours de l'histoire des langues.

    Un scnario qui semble se produire constamment dans l'histoire deslangues est celui o, dans une langue qui dispose d'une construction gnitivalevalable au dpart pour n'importe quel type de relation, il se dveloppe uneconstruction concurrente plus marque morphologiquement, qui initialementconcerne une varit spcifique de relation relevant du domaine de lapossession alinable. Le fait que la construction nouvelle plus marquemorphologiquement soit initialement lie un type de possession alinabledcoule du fait qu'il est peu naturel de marquer particulirement des relationsqui sont fortement suggres ou mme imposes par la signification mme dusubstantif dtermin. Ensuite, la valeur d'origine de la nouvelle constructiontend s'estomper au fur et mesure qu'elle devient plus frquente et acquiertdes emplois plus varis. Selon les cas, la nouvelle construction peut liminercompltement l'ancienne, mais la situation peut aussi se stabiliser avantl'limination totale de la construction ancienne.

    Ainsi, les linguistes ayant tudi dans une perspective diachronique deslangues prsentent une distinction de type alinable / inalinable dans laconstruction du syntagme gnitival aboutissent trs souvent au mme typed'explication historique : la construction de la possession inalinable est unvestige d'une construction ancienne du syntagme gnitival, alors que laconstruction de la possession alinable est une innovation qui ne s'est pastendue la totalit des constructions gnitivales.

    A partir de l, on peut contester que cela ait un sens de chercher

    dcouvrir dans les distinctions de type alinable / inalinable un principe decatgorisation permettant de prdire le choix entre les deux structuresconcurrentes, et soutenir qu'il convient de considrer qu'au moins dans unepartie des cas, la dlimitation de l'ensemble des possessions inalinables estsynchroniquement arbitraire et ne peut recevoir d'explication que dans uneperspective diachronique. C'est une telle opinion que soutient sous une formeparticulirement radicale Nichols (1988 : 31) :

    There is no invariant semantic content to 'alienability'. It is simply a formalsplit in the marking of adnominal constructions, with the more fused orarchaic of the two marking types associated with exactly those nouns that aremost often possessed.

    On peut bien sr objecter cette position que si certains noms sont plussouvent possds que d'autres, c'est prcisment en vertu d'un smantismeparticulier, qui va donc caractriser dans une perspective synchroniquel'ensemble des noms qui d'un point de vue diachronique maintiennent uneconstruction ancienne du syntagme gnitival.

    L'ide d'une explication fondamentalement historique n'est donc pascontradictoire avec la recherche d'une cohrence smantique dans le

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    fonctionnement synchronique des distinctions de type alinable / inalinable.Toutefois, la prise en considration du point de vue diachronique doit conduire admettre qu'il est normal que cette cohrence ne soit pas totale, compte tenude ce que l'on observe de manire gnrale dans les volutions de distinctionsgrammaticales refltant des principes de catgorisation.

    CONCLUSION

    En dehors du domaine de la possession, il n'est pas inutile d'voquer ici cequi passe dans les langues classes nominales lorsque de nouveaux nomsapparaissent (notamment du fait de l'emprunt). On constate en effet que, demanire apparemment imprdictible, l'intgration de termes nouveaux aux

    systmes de classes nominales peut se faire selon l'un des trois principessuivants :

    - ou bien le choix de la classe dans laquelle va se ranger le termenouvellement apparu s'explique par le fait que la classe en question regroupeun nombre particulirement important de lexmes nominaux, ce qui faitapparatre le choix de cette classe comme non marqu ;

    - ou bien le choix s'explique par des facilits de traitement phonologiqueou morphologique ;

    - ou bien le choix s'explique par le fait qu'on trouve dj dans la classe enquestion une proportion significative de termes qui peuvent tre considrscomme appartenant une mme catgorie smantique que le terme emprunt.

    Dans les deux premiers cas, la cohrence smantique du systme se trouve

    affaiblie. Dans le dernier, elle se trouve renforce, au moins localement :rien ne dit en effet que le fait de traiter de manire identique un ensemble determes qui peuvent tre considrs comme appartenant une mme catgoriesmantique doive ncessairement reflter un principe gnral decatgorisation valable pour l'ensemble du lexique.

    On peut imaginer que des phnomnes du mme genre se produisentavec les distinctions de type alinable / inalinable, avec comme consquencequ'il ne faut pas s'attendre ncessairement ce que la totalit de la rpartitiondes relations possessives en alinables et inalinables dans une langue donnepuisse s'expliquer par l'application systmatique d'un principe decatgorisation. Il est en particulier normal qu'une construction productivetende absorber indiffremment tous les termes nouveaux.

    C'est par exemple une explication de ce type que propose J. Martin (1993)

    propos du creek. Dans cette langue, la catgorie des possessions inalinablesregroupe la plupart des termes du corps et des termes de parent, mais, defaon apparemment inexplicable, quelques termes appartenant ces deuxchamps smantiques sont traits comme possessions alinables. L'explicationpropose par Martin est que ces exceptions doivent tre des termes apparusrcemment, qui ont pris les marques de la possession alinable toutsimplement parce que le principe de rattacher les termes nouveaux un typemorphologique productif sans se proccuper de leur smantisme l'a emport

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    sur le principe de traiter les termes nouveaux par analogie avec la faon dontsont dj traits des termes smantiquement comparables.

    On peut revenir ce propos au problme soulev par le fait que lesrelations interpersonnelles impliquant une hirarchie ne sont pas traitestoutes de la mme faon dans la construction gnitivale du mandingue. Eneffet, on peut considrer comme significatif que dans tous les cas (peunombreux) o le substantif dtermin dsigne un suprieur hirarchique et ola construction inalinable (non productive lorsque le gnitif a un rfrentanim) est choisie, on a affaire des relations interpersonnelles traditionnellesdans la socit mandingue, alors que ce choix ne s'observe jamais pour destypes de relations interpersonnelles qui sont apparus par le contact avec lacivilisation europenne.

    Plus gnralement, la proposition faite ici est de prvoir que dans le choixentre les deux constructions du syntagme gnitival en mandingue puissentinterfrer principes gnraux de catgorisation (ici : le trait de contrle enrelation avec le trait anim / inanim), principes locaux de catgorisation(tendance aligner le comportement d'ensembles limits de termes ressentiscomme particulirement cohrents du point de vue smantique), et survivanced'emplois refltant des principes de catgorisation qui ont cess d'treproductifs. C'est en ces termes qu'on peut esprer expliquer des casdifficilement rductibles un principe gnral unique de catgorisation, etrendre compte par exemple des hsitations observes pour le traitement duterme signifiant pouse , dj voqu ci-dessus.

    Cl. Grgoire (1984) montre bien sur ce cas prcis les faiblesses d'une

    thorie qui cherche expliquer la totalit des emplois des deux constructionsdu syntagme gnitival mandingue par le trait de contrle exerc ou non par lerfrent du gnitif, et suggre de considrer comme pertinent le fait que lesmorphmes qui marquent la possession alinable en mandingue sont trsprobablement issus de morphmes locatifs. Le la du mandinka est enparticulier une postposition trs probablement apparente un substantifsignifiant bouche , bord , et par consquent la signification originelle de Xla Ydevait tre quelque chose comme le Y de chez X . On peut donc penserqu'avant de se gnraliser au point de devenir la construction non marquelorsque le gnitif est un anim, cette construction s'est d'abord dveloppe dansdes cas o le possesseur dtermine la localisation du possd . Dans cetteoptique, il n'est pas ncessaire de se livrer une analyse sociologique de la

    relation entre logeur et tranger pour comprendre qu'il est naturel que lelogeur dsigne la personne qu'il loge comme l'tranger de chez moi , alorsque l'tranger ne saurait utiliser une telle formulation pour dsigner sonlogeur. De manire analogue, dans une socit o la femme marie quitteobligatoirement sa famille pour aller habiter dans la famille de son mari,l'homme peut tout naturellement dsigner son pouse comme la femme dechez moi , alors que l'pouse ne saurait parler de son mari en le dsignantcomme l'homme de chez moi et bien sr, l'homme ne saurait non plusdsigner ses beaux-parents comme les beaux-parents de chez moi . On peut

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    donc penser que dans ce cas prcis, l'usage de la construction alinable pour la femme de reflte tout simplement cette situation ancienne, et que celan'a donc aucun sens de chercher l'expliquer comme une application directed'un principe gnral de catgorisation bas sur la notion de contrle.

    Pour ce qui est maintenant de la possibilit de trouver concuremment lafemme de avec la construction inalinable, il me semble maintenant quel'explication la plus vraisemblable (explication que n'envisagent niCreissels, D., 1979, ni Grgoire, Cl., 1984) fait tout simplement appel latendance homogniser (mme si cela peut contredire des tendances plusgnrales) le comportement d'ensembles de termes ressentis commeparticulirement cohrents du point de vue smantique. En effet, en dehors duterme signifiant pouse , tous les termes de parent (parent par allianceaussi bien que parent de sang) entrent exclusivement dans la constructioninalinable.

    Autrement dit, on a une meilleure explication des hsitations sur letraitement de la relation l'pouse de en admettant que ces hsitationsn'ont rien voir avec l'application d'un principe gnral de catgorisation, etdoivent se comprendre comme le rsultat d'un conflit entre des tendancescontradictoires :

    - d'une part la signification tymologique du morphme laexplique que leterme pour pouse ait pu entrer dans la construction qui allait devenir laconstruction alinable ds le moment o celle-ci a commenc se dvelopper,et on peut penser que le choix de la construction alinable est renforc enmandingue actuel par le fait que ce choix est devenu le choix productif et non

    marqu lorsque le rfrent du gnitif est anim ;- mais d'autre part la tendance renforcer localement la cohrence

    smantique du choix entre les deux constructions du syntagme gnitival vadans le sens d'un alignement du comportement du terme signifiant pouse sur celui des autres termes de parent, ce qui a pu favoriser pour ce terme lemaintien de la construction ancienne qu'ont conserve sans exception tous lesautres termes de parent.

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