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LES RENCONTRES DU CINÉMA DOCUMENTAIRE OCTOBRE 2005 du cinéma documentaire du 4 au 11 octobre 2005 au Ciné 104 à Pantin les rencontres cinéma direct, le réel inventé les rencontres

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LES RENCONTRES DU CINÉMA DOCUMENTAIRE OCTOBRE 2005

d u c i n é m adocumentaire

du 4 au 11 octobre 2005

au Ciné 104 à Pantin

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Périphérie���Centre de création cinématographique

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la voix offle réel inventé

cinéma direct le réel inventé

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cinéma direct le réel inventé

les rencontres d u c i n é m a documentaire

Coordination du catalogue : Catherine BizernOnt collaboré à ce numéro : Hervé Aubron, Safia Benhaïm, Simone Bitton, Emmanuel Burdeau, Jean-Sébastien Chauvin, Daniel Cling, Abraham Cohen, Jean-Pierre Daniel, Manuela Fresil, Jean-Patrick Lebel, Gérard Preszow, Pierre Primetens, Cyril Neyrat, Jean-Pierre Rehm, Ariel Schweitzer, Philippe Troyon, Caroline Zéau.Nous remercions Avi Mograbi, Anne Baudry, Stephane Breton, Philippe Grandrieux, Claire Doutriaux, Thomas Bartel.

cinéma direct, le réel inventé est organisé en partenariat avec le Ciné 104 à Pantinavec le concours de la revue VERTIGOla participation d’ARTE-France et de l’Académie de Créteilet le soutien d’Arcadi (Action régionale pour la création artistique et la diffusion en Ile-de-France)

Nous remercions Jacquy Evrard, Sylvie Laroque et l’équipe du Ciné 104, Alain Cavalier, Jean-Louis Comolli, Jean-Pierre Daniel, Philippe Dauty, Jean-André Fieschi, Thierry Garrel, Laurent Genillier, Laetitia Gonzales, Claude Guisard, Georges Heck, Joana Idierder, Patrick Imbert, Isabelle Laboulbène, Serge Lalou, Valérie Lalonde, Richard Leacock, Claudie Le Bissonais, Chloé Lorenzi, Stéphanie Magnant, Javier Packer, Monique Radocevitch, Armandine Siess, Françoise Widhoff, Martine Zack, Yolande Zauberman, AMIP, ARCHIPEL 33, Les Films du Losange, Les Films d’ici, MC4, Les Films du Poisson, Les Ateliers Varan, toute l’équipe de Périphérie, l’ensemble des participants aux tables rondes et ateliers et tous les cinéastes qui par leur présence enrichissent les rencontres du cinéma documentaire. Les rencontres du cinéma documentaireUne manifestation de Périphérieen partenariat et avec le soutien du Conseil général de la Seine-Saint-Denisavec le soutien financier du Conseil régional d’Ile-de-Franceet de la PROCIREP société des producteursDéléguée générale : Catherine BizernCoordination générale : Abraham CohenCoordination journée «éducation à l’image» : Jeanne DubostAssistante stagiaire : Joanna AraspinRégie : Charlotte PoyéAttachée de presse : Anne [email protected]

Edition : Périphérie «les cahiers de Périphérie»40 rue Hector Berlioz93 000 Bobigny

ISBN : 2-95105711-4-3EAN : 978295157143

maquette Osideimpression Autographe

octobre 2005

sommaire3 Un paysage à réinventer

4 Cinéma direct, le réel inventé

6 Naissances des cinémas directs

11 Avi Mograbi, un corps en cinéma

27 Des films à découvrir

30 Alain Cavalier, un homme en direct

32 Les années 90 : l’échappée française

34 Des cinéastes dans «l’ éducation à l’image»

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DR

UN PAYSAGE À RÉINVENTER

Si le documentaire n’en finit pas d’inventer le réel, le réel de son économie, lui, aurait bien besoin d’être réinventé.

Il est de bon ton depuis quelque temps de célébrer la bonne santé et le “retour” du documentaire. On se demande d’ailleurs où il était parti pour ceux qui le voient ainsi revenir. Deux phénomènes ont entretenu l’idée d’un soi-disant renouveau du genre : le succès en salles de quelques documentaires et les sorties de plus en plus nombreuses, bien qu’éphémères, de films produits de façon précaire qui n’ont d’autres moyens d’être vus par un public, même réduit, d’un côté ; le succès à la télévision, et parfois en “prime-time” de grosses machines et, notam-ment, de “docus-fiction”, de l’autre. Pourtant, plus que jamais, la standardisation et le formatage qui règnent sur les chaînes de télévision - y compris le service public, la chaîne culturelle ou les chaînes spécialisées dans ce domaine - asphyxient la création documentaire.

Non pas que certains de ces documentaires, qui flirtent avec les moyens de la fiction - à caractère historique, voire préhistorique ou policier - ne soient pas intéressants ou ne nous apprennent pas quelque chose, mais ce sont des films d’illustration. Ils répondent à une demande d’information, de documentation. Ils savent déjà tout (ou prétendent le savoir) du sujet qu’ils traitent. Ce ne sont pas des œuvres de découverte, qui explorent, cherchent à comprendre et indui-sent cette part du réel dont la recherche et la matérialisation constituent le mouvement même du film.

Je me souviens d’un temps, pas si lointain, où l’on disait que tout film était un prototype (en parlant de la spé-cificité de l’industrie du cinéma) et d’un autre, encore moins lointain, où l’on disait que l’originalité et la qua-lité du cinéma documentaire (cinéma le plus souvent produit et diffusé par des chaînes de télévision) venaient précisément du fait qu’aucun film ne ressemblait à un autre car, chaque film se référant à une part différente du réel, leur forme était engendrée par la diversité inépuisable de celui-ci. Le documentaire paraissait plus inventif et moins standardisé dans ses modes de narration et ses formes cinématographiques que le cinéma de fiction qui était (et est toujours) très codé.

Le risque du réel n’est plus pris à la télévision : celui d’un réel inconnu qu’il faut découvrir, dévoiler, construire, inventer, et pas seulement montrer comme un objet déjà là, exposé dans une vitrine. D’où l’intérêt aujourd’hui d’un retour sur le cinéma direct et ses origines.

Bien sûr, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles en cette rentrée. L’ouverture au documentaire de créa-tion du Fonds de soutien de la Région Ile-de-France en est une bonne, même si le dispositif n’est pas parfait. Mais le documentaire ne peut pas seulement survivre d’aides publiques bien intentionnées, aussi nécessaires soient-elles. Il a besoin d’être diffusé, d’être inclus dans un processus industriel — dans un marché disons le mot — pour exister, être vu et se développer, pour que les réalisateurs et les techniciens qui le font puissent en vivre normalement, dignement. Un marché qui ne soit pas seulement celui de l’achat au moindre prix de la plus grande audience possible, mais un marché de l’emploi et de la production où la création puisse respirer.

À sa place, avec ses moyens, Périphérie sera toujours du côté d’un documentaire de création qui invente le réel. Il est bon que des partenaires nous soutiennent dans cette action. Qu’ils en soient ici remerciés. En premier lieu, le Conseil général de la Seine-Saint-Denis pour la constance et l’importance de son effort, ainsi que le Conseil régional d’Ile-de-France qui, pour la première fois cette année, soutient les Rencontres et la Procirep qui nous accompagne, elle, depuis le début dans notre travail auprès des publics franciliens et séquano-dyonisiens, ainsi que dans notre travail de réflexion avec les professionnels.

Jean-Patrick Lebel, président de Périphérie

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A la fin des années 50, le cinéma direct propose véritablement une nouvelle façon de voir, d’entendre, de sentir qui a bouleversé notre perception et notre compréhension du monde. Cinéma à hauteur d’homme, tout à la fois de la performance et de plain-pied avec le présent, il travaille ce sentiment intense, tant pour le cinéaste que pour le spectateur, d’un «être là, ici et maintenant», d’une relation directe au monde qui rend toute sa puissance à la réalité et surtout où, comme l’écrit à l’époque L. Marcorelles «le quotidien est signifiant». Tandis qu’à la télé-vision aujourd’hui le documentaire se heurte aux contraintes éditoriales des chaînes normalisatrices et asphyxiantes et que - sans doute en réaction - nous tournons de plus en plus notre regard vers des œuvres plus conceptuelles, revenir sur le cinéma direct, ses origines et ses mutations, c’est s’intéresser au geste du cinéaste qui construit une mise en scène au service du plan, premier creuset de l’émotion cinématographique. S’intéresser aussi à un cinéma qui raconte des histoires, provoque des glissements de l’événement filmé vers la fiction et lui con-fère ainsi une dimension universelle (1). Un cinéma qui, tout à la fois, colle au monde et lui en donne le sens. Et qui fait dire à Jean Collet au sujet de Pour la suite du monde en 1964 dans Télérama «Ces gens-là, la caméra les a vus comme personne jusqu’ici n’avait su ni n’avait pu les voir. La caméra les a inventés!»

Loin de pouvoir être exhaustifs, nous avons construit notre programmation en tentant de privilégier un choix d’œuvres sou-vent moins connues, parfois d’auteurs moins attendus. Nous avons en particulier laissé délibérément de côté le cinéma ethnographi-que — dont chaque année le bilan du film ethnographique dresse un panorama — et le cinéma militant — le documentaire phare des années 70 — qui ont été élevés dans le creuset du cinéma direct. Tout comme le reportage d’ailleurs. Nous avons aussi dû faire l’impasse sur les expériences fictionnelles qui, dès le début des années 60

et jusqu’à présent, ont trouvé dans les dispositifs du cinéma direct un renouvellement des formes narratives.Absolument subjectif, le cinéma direct se présente comme un art du détournement, détournement du système industriel et commercial et du contrôle politique et idéologique d’abord. Détournement des intermédiaires (point de scénario, une production réduite). Détournement même des dispositifs propres au genre : le mouvement se construit, se développe et se perpétue, multiple et insaisissable, dans l’indépendance esthétique de chacun, à l’image des films récents que nous avons choisis. Dès le début des années 60, entre les uns qui proposent des mises en scène qui privilégient la parole et ceux qui prônent la non-inter-vention restent seuls en commun la prise de son synchrone et la caméra à l’épaule. D’un côté, la mouvance canadienne et en parti-culier Pierre Perrault, qui pour son premier long-métrage coréalisé avec Michel Brault à la caméra Pour la suite du monde, construit un film où la parole fonde le cinéma. De l’autre, les récits filmés de R. Leacock, D.A Pennebaker et des frères Maysles à travers lesquels le cinéma direct trouve une respiration toute naturelle.

En France, deux films restent encore emblématiques du cinéma direct Chronique d’un été d’Edgar Morin et Jean Rouch (1961) et Le joli mai de Chris Marker et Pierre Lhomme (1962), mais le véritable penseur du cinéma direct est Mario Ruspoli. En 1961, il signe deux films Les inconnus de la Terre et Regard sur la folie.D’une rigueur exemplaire, ils constituent un véritable acte de foi et dessinent trois règles essentielles, pour certains, du cinéma direct : unité de lieu, unité d’action et création d’un temps à la fois présent et prégnant, durable et épais. Plus tard, Raymond Depardon photo-reporter, fera son apprentissage du cinéma grâce à de nombreux reportages tournés de par le monde en 16 mm. Et c’est dans la veine de Primary de R. Leacock, qu’il réalise son premier long-métrage sur Valéry Giscard d’Estaing, candidat à l’élection présidentielle de 1974.

Cinéma direct,le réel inventé

(1) A lire et relire, le texte de Jean-Louis Comolli « Détour par le Direct», publié dans les numéros 209 et 211 des cahiers du cinéma en 1969.

Ailleurs en Europe, après le Free cinema qui fait figure de précurseur en Grande-Bretagne, le cinéma direct trouve en Hollande un adepte en Johan Van der Keuken, photographe qui s’empare de la caméra 16 mm dès le début des années 60. A partir de 1964, il se considère véritablement comme cinéaste et tourne en 1965, Beppie, un film peu connu en France où déjà est présent ce mouvement de cadrage-décadrage qui lui est si particu-lier et dont la précision est toujours celle du photographe.

Des mutations de ce cinéma qui racontent aussi les mutations du monde, Avi Mograbi nous offre une des propositions les plus époustouflantes. Le cinéma d’Avi Mograbi est sans doute exemplaire de ce que le cinéma direct permet de meilleur : le rapport complexe d’un cinéaste au monde qui met son corps au centre du processus cinématographique selon l’expression de Caroline Zéau (cf. p. 6). Qu’il utilise le burlesque et la fiction ou pas, Mograbi se départit peu de sa propre posture, celle d’»un activiste politique qui tente de s’opposer à ce qui se passe, et de filmer tout en s’impliquant». De son côté, Alain Cavalier travaille à une écriture qui lie inti-mement le geste et la parole. Par la forme du carnet de notes filmé, seul avec une caméra numérique légère, il choisit à partir de 1994 de poursuivre une veine autobiographique qu’il avait inaugurée avec Ce répondeur ne prend pas de message réalisé en 1979, l’année de Martin et Léa, en «tourné monté», avec un opérateur et un ingénieur du son. Tout au long de son dernier film Le Filmeur où l’on reprend le fil laissé en suspend à la fin de La Rencontre, comme le peintre Matisse qui tous les jours dessine les fleurs de son jardin, on voit comment A. Cavalier s’exerce à filmer tout en parlant. On se souvient de ses premiers essais- présence de sa voix, de ses mains – tournés dans les Portraits réalisés pour la télévision en 1987. La fin des années 80 est une période faste pour le cinéma direct à la télévision française. Dès le milieu des années 60, celle-ci avait déjà mis en germe une véritable école du cinéma direct avec notamment des réalisateurs comme Jean-Claude Bringuier

et Jacques Krier et la série produite par Eliane Victor «les femmes aussi» (arrêtée en 1974). Mais la création du compte de soutien aux industries de programme permet à partir de 1986 l’essor de sociétés de production indépendantes principalement issues du cinéma militant et de sa diffusion, qui se consacrent alors au documentaire. FR3, CANAL + et surtout la Sept puis ARTE vont être leurs partenaires privilégiés pour produire les films de Robert Kramer, Nicolas Philibert, Claire Simon, Denis Gheerbrant et bien d’autres. Ces cinéastes vont ainsi avoir l’opportunité de réaliser pour la télévision des œuvres singulières devenues désormais des classiques du genre. Ils vont également expérimen-ter leur propre style dans le cadre de collections pour la télévision. Ces œuvres courtes et moins connues nous permettent de nous interroger sur la façon dont le cinéma direct s’arrange de la con-trainte et se construit dans un cadre arrêté. Comment, au-delà de la commande, tout exercice imposé peut aussi générer des propositions éminemment personnelles ?L’occasion de revenir sur ce lien paradoxal entre cinéma direct et télévision, et son évolution jusqu’à l’état de crise actuel.

Catherine Bizern

Les rencontres du cinéma documentaire se proposent toujours d’ac-compagner les préoccupations des professionnels et leurs réflexions quant à leurs pratiques. C’est dans cette optique que nous avons choisi de consacrer une journée de réflexion à la place des cinéastes dans «l’éducation à l’image» en lien avec le département de l’éducation à l’image de Périphérie et avec le soutien d’ARCADI. Que font les cinéastes avec des enfants et des adolescents dans le cadre d’ateliers de pratique artisti-que ? Nous nous questionnerons sur la place du cinéaste dans ce type de dispositif et la façon dont cette pratique est, pour lui, un acte de cinéma qui l’engage en tant qu’artiste, sur la façon aussi dont ce type de pratique résonne dans son propre travail de création. Comme dans toute notre programmation, il sera encore et toujours ques-tion du geste cinématographique, là où le cinéma s’invente à mesure où il se fait. CB

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les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

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Free cinema, Candid Eye, Living Camera, cinéma vérité, cinéma “vécu”, cinéma direct enfin… telles sont les multiples expressions qui ont qualifié ce large mouvement de renouveau technique et artistique né des désirs con-vergents et simultanés de quelques pionniers canadiens, français et américains à la fin des années cinquante. Ces artisans innovants au précieux savoir-faire conduiront le documentaire à la modernité en transformant radicale-ment ses appareils et ses pratiques de tournage, ses us et ses coutumes, l’attribution des rôles dans son processus créatif, ses conditions économiques de production, et donc ses potentialités esthétiques et politiques. Cette révolution du cinéma a émergé à la faveur de conjonctures diverses, mais avec un objectif commun : libérer les conditions de tournage pour démocratiser le documentaire. Elle a connu des prolongements esthétiques divers et son héritage est illimité.C’est par réaction contre la tradition du documentaire

gouvernemental que les cinéastes de l’Office National du Film du Canada ont bousculé les usages, au milieu des années 50, à la faveur des besoins nouveaux suscités par l’avènement de la télévision. Les créateurs de la série Candid Eye (1958-1961), Wolf Koenig et Roman Kroitor en tête, étaient influencés par les films anglais du Free cinema dont le manifeste, en 1956, rejetait les conven-tions du cinéma commercial et prônait une approche du réel basée sur la spontanéité et l’engagement. Mais leur référence suprême était Henri Cartier-Bresson, pour sa lucidité instinctive face au réel, ce surgissement instan-tané et conjoint du sens et de la forme qu’il attribuait à la décision de l’œil. C’est au nom de cette quête de la spontanéité et du hasard que l’équipe du Candid Eye rejeta tout préalable scénaristique, le trépied de la caméra et le commentaire. Les cinéastes francophones de l’ONF se saisirent aussitôt de cette échappée pour en magnifier la portée. Il faut dire

Naissance des cinémas directs

que pour ces derniers l’émancipation cinématographique allait de pair avec le mouvement d’affirmation identitaire que fut au Québec la Révolution tranquille. Or celui-ci con-trariait l’idéal d’unité nationale qui fonde une institution fédérale telle que l’ONF. C’est donc “clandestinement” que Michel Brault, Marcel Carrière et Gilles Groulx y réalisèrent Les Raquetteurs en 1958 ; tourné en deux jours pour un coût dérisoire, il est devenu un classique de la cinémato-graphie québécoise en raison de sa force emblématique. Il est également considéré comme le point de départ au Canada du cinéma direct, bien qu’il n’en soit technique-ment que le “degré zéro” (une seule séquence est tournée en son synchrone). Pour la suite du monde, coréalisé par Pierre Perrault et Michel Brault est le fruit de cette double revendication identitaire et artistique : il annonce l’édification d’une cinématographie nationale, et affirme la maturité esthé-tique du cinéma direct en inaugurant une forme et une méthode propres à satisfaire le projet d’offrir aux habi-tants de l’Ile aux Coudres, et au Québec, une mémoire cinématographique. Ce que Perrault et Brault avaient en commun, c’était le désir d’être là, de participer à l’action filmée et de substituer l’échange à la saisie pour privilégier le sentiment d’appartenance ; tel était pour Pierre Perrault le sens du “cinéma vécu”. La principale contribution des cinéastes québécois fut sans doute d’intensifier la relation entre le cinéaste et le monde qu’il filme, en associant à l’image le recueil de la parole et de l’univers sonore grâce à la conquête du tournage synchrone.

Aux Etats-Unis, à la fin des années 50, la même quête ciné-matographique était en œuvre sous d’autres auspices. Robert Drew, rédacteur et reporter au magazine Life, obtenait le concours du groupe de presse Time-Inc pour produire des documentaires prolongeant le style journalistique de la revue et destinés à la télévision. Il réunit pour ce faire une équipe de cinéastes et de techniciens prometteuse : entre autres l’ingénieur Don Pennebaker, Albert et David Maysles, et Richard Leacock qui avait été l’assistant de Robert Flaherty. La série Living Camera (1960-62) fut ainsi con-çue, et le pilote en fut Primary (1960) qui décrivait d’une façon absolument nouvelle (en son synchrone et caméra à l’épaule) la bataille entre les deux candidats démocrates,

J.F. Kennedy et Hubert Humphrey, pour les Primaires dans le Wisconsin. Le contexte journalistique qui a vu naître ce mouvement lui a imprimé sa principale distinction : l’exi-gence de bannir toute intervention dans l’événement filmé, ne pas interviewer, ne pas interférer, respecter sa logique pour voir se dessiner des personnages, un point de vue et, si possible, un dénouement. Car la probabilité d’un conflit dramatique était déterminante dans le choix du sujet. Ainsi, les frères Maysles, Richard Leacock, Don Pennebaker, et plus tard Frederick Wiseman, scruteront-ils inlassablement chaque facette de l’Amérique, mythique ou quotidienne, avec leurs caméras flegmatiques et toujours plus légères.

En France, le cinéma direct s’est imposé par l’entremise de l’ethnologue Jean Rouch qui, pour les besoins de la «cinétranse», avait jusqu’alors préféré un équipement amateur aux lourdeurs du matériel professionnel. Le synchrone léger et ses méthodes furent introduites en France avec l’aide de Michel Brault, invité par Jean Rouch à participer au tournage de Chronique d’un été, qu’il coréalisait avec Edgar Morin, à Paris pendant l’été 1960. À cette occasion, Brault fut le premier à expérimenter le prototype de la caméra KMT Coutant-Mathot, qui, à la demande de Jean Rouch, était en cours d’élaboration chez Eclair. Michel Brault poursuivit l’expérience en tournant Les Inconnus de la terre (1961) et Regard sur la folie (1962) de Mario Ruspoli et La Punition (1963) de Jean Rouch, alors que Pierre Lhomme tournait Le Joli mai (1962) de Chris Marker avec la même technique.

Ce contexte de convergence connut son apogée à l’occasion des journées d’étude du MIPE TV organisées à l’initiative de Pierre Schaeffer à Lyon en mars 19631. Ces rencontres rassemblaient les principaux protagonistes de ce que l’on appelait encore le “cinéma-vérité” et donnèrent lieu à d’houleux débats mettant à jour la diversité que recouvrait ce mouvement, en dépit d’objectifs communs. Ces derniers prirent la forme concrète d’un cahier des charges établi

LE CINÉMA DIRECT, UNE ESTHÉTIQUE DE L’INDÉPENDANCE

JAZZ DANSE

les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

RICHARD LEACOCK

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Jazz Dance DE RICHARD LEACOCK ET ROGER TILTON USA – 1954 – 35 mm – 20’

Une soirée animée dans un club de jazz à New-York. Les musiciens et les danseurs se répondent dans une ambiance survoltée.

The Chair DE DREW ASSOCIATE - RICHARD LEACOCK, D.A. PENNEBAKER, GREGORY SHUKER USA – 1962– 16 mm – N&B – VOSTF – 70’– Prod : Time-Life Broadcast et Drew Associates

Richard Leacock a filmé en continuité la lutte menée par les avocats pour sauver un jeune noir de la chaise électrique. Un film à haute tension, qui remet en cause le système judiciaire amé-ricain concernant la peine capitale.

Le choix joue un rôle considérable,surtout dans le montage. Il me semble toujours, au cours du tournage avoir filmé la réalité dans sa totalité. C’est évidemment impossible. Et au montage, comme Pabst l’a si bien montré, le pro-blème consiste à révéler la ligne générale d’une histoire, tout en restant entière-ment fidèle à la réalité. Mais ce ne sera jamais toute la réalité. R.L.Nous racontons une histoire. Chaque choix que nous effectuons, au niveau du sujet, en cours de tournage, au montage, est lié à cette nécessité de raconter une histoire. Nous consacrons 75 ou 80% de notre temps, de nos efforts, de notre intelligence, à découvrir, après le tournage, dans le matériel filmé à notre disposition en quoi consiste l’histoire et comment la révéler. R.D.

Entretien avec Robert Drew et Richard Leacock par A.S. Labarthe et L. Marcorelles, Les Cahiers du Cinéma n°140 - Février 1963

Salesman D’ALBERT ET DAVID MAYSLES, CHARLOTTE ZWERINUSA – 1969 – 16 mm – N&B – VOSTF – 90’ – Prod : Maysles Films.

Durant deux mois, les frères Maysles ont suivi sans relâche les aventures tragi-comiques de quatre colporteurs, vendeurs de bibles au porte-à-porte. Liberté d’en-treprise, profit et prosélytisme, ce film décrit le combat à la fois obstiné et dérisoire de ces repré-sentants en saintes écritures.

Welfare DE FREDERICK WISEMANUSA – 1975 – 16 mm – N&B – 167’ – VOSTF – Prod : Zipporah Films

Misère économique et sociale, bureaucratie impuissante, valse de gui-chets en guichets : fidèle à son idée de sonder le rapport entre les individus et les institutions F. Wiseman s’attaque ici au centre d’aide sociale de Waverly, à Manhattan, New York.

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1 Marché International des Programmes et Equipements de Télévision.2 Edgar Morin, “Pour un nouveau «cinéma-vérité»”, France Observateur, 14 janvier 1960.3 Mario Ruspoli, Pour un nouveau cinéma dans les pays en voie de développement : Le groupe synchrone cinématographique léger, Unesco, 1963, p. 18.4 Op. Cit . p. 17.5 Louis Marcorelles, Une esthétique du réel, le cinéma direct, Organisation des Nations-Unies pour l’Education, la Science et la Culture, 1964, p.8.6 Jonas Mekas, « 31 octobre 1963 : Sur le cinéma vérité et la vérité de la voix humaine «, Ciné-journal 1959-1971, traduction Dominique Noguez, Paris Expérimental, 1992, p. 106. 7 Louis Marcorelles et Nicole Rouzet-Albagli, Eléments pour un nouveau cinéma, Unesco, 1970, p.14.

LES PÈRES AMÉRICAINS

THE CHAIR

WELFARE

SALESMAN

collectivement, en présence des ingénieurs André Coutant et Stefan Kudelski, et qui portait en germe l’Eclair 16, légère, silencieuse et munie d’un synchronisme piloté par quartz, qui en 1965 fera le bonheur de tous.

Le MIPE TV de Lyon fut également le lieu des premières tentatives de penser collectivement le bouleversement qui était en cours. L’une des questions soulevées concernait l’emploi du vocable “cinéma-vérité” qui avait été adopté à la sortie de Chronique d’un été en 1961 à l’initiative d’Edgar Morin. Dans un texte intitulé Pour un nouveau «cinéma-vérité»2, il appelait à suivre l’exemple de Jean Rouch - cinéaste-scaphandrier qui plonge dans le milieu réel - dont la caméra-stylo offrait à chaque homme de révéler sa vérité psychanalytique. Cette appellation semblait combler le manque d’un nom regroupant ces expériences “sœurs” ; mais si cette prétention à la vérité satisfaisait les plus idéalistes, elle embarrassait les plus pragmatiques. Mario Ruspoli résuma ainsi cette dernière position : “L’association du mot “cinéma” au mot “vérité” est un non-sens. Que la caméra soit présente, cachée, psychanalytique ou interrogative, elle n’en voit pas plus sur la vérité, ni n’en sait plus que nous n’en voyons et n’en savons nous-mêmes”3. Il proposa comme alternative le terme “cinéma direct” qui sera largement retenu.

Deux avancées techniques, elles-mêmes constituées de beaucoup d’autres, ont été centrales dans l’évolution esthétique du cinéma direct. La conquête de la mobilité, par la transformation des camé-ras et l’élaboration d’une attitude physique et d’un savoir-faire appropriés, est le progrès le plus évident qui détermi-ne tous les autres. Mario Ruspoli en déduit une conception nouvelle du tournage dont le facteur primordial est l’amitié qui détermine la constitution de l’équipe ; il décrit en ces termes la seconde nature technique que le cinéma direct

requiert du caméraman : “La caméra légère, ainsi portée sans relâche, devient une partie du corps du caméraman. Elle rem-place son regard par une sorte d’organe complémentaire qui lui permet d’enregistrer ce qu’il vit et voit, d’appréhender et d’inscrire la réalité”4. Cette singulière qualité de présence est au cœur de la révolution du direct.Mais l’évolution la plus déterminante est sans doute l’accession, grâce au tournage synchrone léger, à la totalité sonore et à la parole vivante, pour emprunter les termes de Louis Marcorelles. À ses yeux, cette nouvelle esthétique du son constituait le but ultime du progrès opéré par le cinéma direct : “Peut-être le cinéma que nous croyons parlant depuis plus de trente ans commence-t-il seulement à parler”5. L’avènement de la prise de son synchrone, en permettant le recueil de la parole et de l’environnement sonore apporte l’alternative attendue au règne de l’écrit. Jonas Mekas a salué dès 1963 cette étape déterminante dans l’histoire du cinéma : “La voix humaine avec toutes ses nuances était tenue à l’écart du cinéma, comme si elle n’en valait pas la peine. (...) Ce n’est que maintenant, avec les films de Leacock, Rouch, Brault et Smith, qu’on découvre la beauté auditive du langage humain”6.

À bien des égards, le cinéma direct s’inscrit dans une mouvance qui, du néo-réalisme italien au Free cinema en passant par la Nouvelle Vague, avait en commun la volonté de libérer le cinéma de ses servitudes techniques et conven-tionnelles, un rejet de l’emprise de l’écrit sur le processus de création cinématographique, et une remise en cause des critères commerciaux de production. Le cinéma direct s’est donc érigé à partir d’une approche informelle, non-scéna-risée et basée sur le hasard et l’instantanéité. Pourtant, en dépit des idées reçues, l’esthétique du cinéma direct repose, non pas sur l’effacement de l’auteur, mais sur une

redéfinition radicale de son rapport au monde. Le cinéaste, qui n’est plus un créateur omnipo-tent, affirme son appartenance au monde qu’il filme tout en assumant pleinement la subjecti-vité inhérente à l’acte de filmer. Sa lutte avec le matériau brut du “direct” est le lieu de sa liberté artistique et de son indépendance. “Le direct est le contraire du simple immédiat, précise Louis Marcorelles, il réinstaure la médiation réelle qui s’élabore dans toute entreprise authentique de connaissance (...) et révèle que dans le monde réel nous avons désappris l’écoute et le regard”7.

Sans doute, l’apport primordial du cinéma direct, quels que soient les noms et les for-mes qu’il a pu prendre et prendra encore, est d’avoir modifié la place du cinéaste en situant son corps au centre du processus de création cinématographique. En interposant aux roua-ges de la production sa présence corporelle, devenue créatrice grâce à la mobilité de la caméra et à la prise de son synchrone, le cinéaste reprend ses droits. L’esthétique et les méthodes du cinéma direct qui en résultent sont devenues, et restent aujourd’hui encore, le moyen d’expression d’un cinéma avide d’indépendance, bien au-delà des frontières communément admises du cinéma documen-taire. Cette esthétique de l’indépendance est l’héritage le plus précieux du cinéma direct ; c’est aussi le plus fragile et le plus menacé… Caroline Zéau

Auteure d’une thèse sur la production de l’Office National du Film du Canada, C. Zéau enseigne l’histoire et l’esthétique du documentaire

- en particulier du cinéma direct - à l’Université Paris 8 et à l’ESEC.

les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005 les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

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les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

Pour la suite du monde DE MICHEL BRAULT ET PIERRE PERRAULTCanada – 1962 –16 mm – N&B – 105’– Prod : ONF, Fernand Dansereau

Sur l’Ile-aux-Coudres, dans le fleuve Saint-Laurent, une tradition presque oubliée la pêche au marsouin est reprise par ses habitants. Ceux-ci nous en apprennent beaucoup sur comment les hommes vivent ensemble. Qu’est-ce qu’appartenir à la même communauté, quelle est la nature du lien qui unit les uns aux autres ?

Il faut essayer de rechercher ce qu’il y a de précieux chez les gens, et qui existe, je crois, dans chaque être. Il est impossible qu’un homme n’ait rien à dire. Ça n’existe pas. Cela dépend de la question qui lui est posée, et de celui qui la lui pose. On peut toujours trouver dans les hommes ce qu’ils ont de plus important à dire. Vous devez par-venir à atteindre le moment, la façon qu’a un homme de s’exprimer. Vous avez alors sa parole. Car la parole ne contient pas toutes les possibilités. Elle

a besoin d’un sujet, elle a besoin de l’inspiration, elle a besoin de partir de la vie, surtout chez ces gens-là qui ne sont pas des professionnels de la parole. Mais quand ils sont en situation, quand ils sont dans leurs bottes à eux, ils peuvent très bien s’en servir. Toute la question est de rechercher ce point crucial où l’homme va s’exprimer. P.P«L’action parlée» Entretien avec Pierre Perrault par M. Delahaye et L. Marcorelles, Les Cahiers du Cinéma n° 165 - Avril 1965

1974, une partie de CampagneDE RAYMOND DEPARDONFrance – 1974 – 16 mm – couleur – 90’ - prod : Gamma

A l’occasion d’une séance de pho-tos, R. Depardon, alors cinéaste débutant, propose à Valéry Giscard d’Estaing de faire un film sur sa campagne pour l’élection présiden-tielle de 1974, à la manière de Primary, le film de Leacock sur John Kennedy. Ce film censuré pendant près de 20 ans est aussi un film fondateur pour Depardon.

Après quinze jours de meeting, de discours, de poignées de main, de conférences de presse, dont je ne peux rien faire, le miracle a lieu à Perpignan, entre aéroport et

podium, avec escorte de motards. Giscard fait descendre de la DS deux notables, et nous montons à l’avant. J’ai trois maga-sins d’avance (une demi-heure). Je tourne tout. Je ne réfléchis pas. J’ai le sentiment qu’il ne se passe rien. Un candidat parle de choses et d’autres avec une personnalité locale, cela n’a aucun intérêt. Au montage, il n’y aura presque rien à couper. Que s’est-il passé ? Ce jour d’Avril 1974, moi qui suis des hommes politiques depuis 10 ans, je vois apparaître la rencontre de l’image et de la parole. R.D. Cinéma du réel de Cl. Devarrieux et M-C. de Navacelle,éd Autrement, Paris, 1988

LA MOUVANCE QUÉBÉCOISE

LES RAQUETTEURS

REGARD SUR LA FOLIE

LES EUROPÉENS

Regard sur la folie DE MARIO RUSPOLIFrance – 1962 – 16 mm – N&B – 53’ – Prod : Argos films

A une époque où la folie est un sujet tabou, totalement occulté par la société, Mario Ruspoli décide de tourner un documentaire sur l’hôpital psychiatrique de St Alban en Lozère, là où un groupe de méde-cins novateurs tentent une autre approche thérapeutique de la maladie, fondée sur la proximité avec les patients. Grâce à son regard généreux, le cinéaste nous fait par-tager au quotidien la relation exceptionnelle qui se noue entre soignants et soignés. (…) Qu’un cinéaste ait pu en si complète humilité devant son sujet,

non chercher à briller à ses dépens, mais simplement retracer le dur chemin de ces héros, nous propo-ser à son tour (avec un minimum d’égards : nous ne sommes pas censés être des psychiatres) cette nuit absolue, sans le moindre havre où se reposer, corridors succédant aux corridors, comme un Marienbad vrai, voilà qui ne laisse pas de me surprendre et quels que puissent être par ailleurs les détours ou les ratures de ce labeur unique, de me combler.(…) C’est la rançon de la réalité que de ne donner que par bribes : mais alors quelle offrande lumineuse !Claude Beylie, Les Cahiers du Cinéma n°137, nov. 1962

Beppie DE JOHAN VAN DER KEUKENPays-Bas – 1965 – 16 mm – N&B –VOSTF – 38’ – Prod : JvdK en coproduction avec VPRO

Beppie raconte pendant plusieurs mois ses aventures au cinéaste qui la suit dans sa vie quotidienne. Une savoureuse évocation de la vie, de la mort, de l’amour, de la télévision ou encore de l’argent. «Elle avait dix ans et était le rayon de soleil du canal où j’habitais. Une vraie gamine d’Amsterdam, drôle, pleine d’esprit, à la fois gentille et maligne comme un singe». JvdK

Les Raquetteurs DE GILLES GROULX ET MICHEL BRAULTCanada – 1958 – 16 mm – N&B – 15’– Prod : ONF

Un congrès de raquetteurs tenuà Sherbrooke, au Québec, en 1958. Au menu : courses de sprint en raquettes et défilés de majorettes. Une fête populaire filmée au plus près des gestes et des expressions par Michel Brault, caméra à l’épaule.

les rencontres d u c i n é m a documentaire

o c t o b r e 2 0 0 5

Avi Mograbiun corps en cinéma

www.iemeditions.com

Périphérie���Centre de création cinématographique

Avi Mograbiun corps en cinéma

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n’oserait en faire un film. Faire un film méchant sur Ariel Sharon, par exemple. Ou un film apocalyptique sur le mythe de Massada. La conjugaison entre la dimension un peu convenue des thèmes qu’il se choisit et l’incroyable liberté avec laquelle il les traite font de lui un cinéaste indispensable, un de ceux qui réussissent à rendre des yeux et des oreilles à un public rendu sourd et aveugle par le triomphe du “politically correct”.

La deuxième remarque, c’est que dans chacun de ses films il y a toujours au moins une scène qui fait brus-quement plonger le spectateur dans l’abîme de complexité, de rage et d’impuissance du fond duquel tout le film a été conçu. Ce sont des scènes où la relation filmeur-filmé atteint une intensité presque insupportable. Dans Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon... (quel titre !), il y a un plan très court où Mograbi sourit gentiment à Sharon, échange un regard complice avec lui. Je me demande si j’aurais eu le courage de garder un tel plan au montage, mais Mograbi n’a pas ce genre de frayeurs.

La troisième remarque, c’est qu’après nous avoir fait beaucoup rire, aujourd’hui Mograbi ne rigole plus. Pour un seul de mes deux yeux est un film terrifiant. Il est dédié à Shaül, le fils du cinéaste, actuellement emprisonné pour refus de servir dans l’armée. En le revoyant aujourd’hui pour la troisième fois, j’ai soudain pensé à mon vieux maître de l’IDHEC, Louis Daquin qui m’avait dit un jour de sa grosse voix tonitruante : “Tu veux faire des films politiques ? Très bien. Mais n’oublie jamais qu’un film, ça doit faire rire ou pleurer ou alors tout le monde s’endort”. Il avait ajouté : “A la rigueur, faire peur, c’est bien aussi”. J’avais oublié le “faire peur”, je m’en suis souvenue en revoyant la scène où les rockers kahanistes hurlent à la mort. Daquin, dont je ne peux évoquer le souvenir sans sourire, aurait adoré Mograbi. Ne serait-ce qu’à cause de la grosse voix que le bon Dieu leur a donnée en partage. C’est beau une grosse voix, surtout lorsqu’elle engueule un sale type et qu’elle tonne contre l’abjection. La grosse voix d’Avi Mograbi, à la fin de Pour un seul de mes deux yeux, est formidablement consolatrice. Je ne sais pas si les soldats ont fini par ouvrir l’infâme portail. Je sais que tous les jours, ces enfants attendent pareillement et que chaque jour leur colère grandit avec le désir de laver l’affront. Mais au moins ils auront eu ça, et nous aurons eu ça, qui le temps d’une séquence de film a remis à l’heure les pendules du monde : la grosse voix d’Avraham Mograbi, né à Tel-Aviv, juif israélien de la tête au pied, engueulant en hébreu le méchant soldat qui traite comme de la merde des petits enfants parqués derrière un mur.

Je terminerai par un dernier souvenir personnel : l’été dernier, lorsque j’ai présenté Mur à la cinémathèque de Jérusalem, une spectatrice m’a cherché noise. Certaines choses lui manquaient dans le film et elle revenait à la charge encore et encore, empêchant le débat de se développer. Excédée, je finis par lui demander d’exprimer clairement ce qu’elle avait à dire. Elle se mit alors à minauder “Vous savez bien, la violence, le sang, tout ça, qui explique pourquoi nous construisons ce mur, ce n’est pas dans votre film, que va-t-on penser de nous à l’étranger ?” Je m’apprêtais à lui répondre une quelconque banalité, lorsqu’une grosse voix (devinez laquelle ?) s’est élevée sans crier gare du rang des invités. Par respect pour les âmes sensibles, je m’abstiendrais de retranscrire l’explosion salvatrice qui a fait rire la salle en renvoyant l’amatrice d’images de mort au diable. Pour tout cela, et pour bien d’autres choses encore qui resteront entre nous faute de place, je te souhaite une très longue vie, Mister Mograbi !

SIMONE BITTON Août 2005

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

III

Longue vie à toi, Mister Mograbi ! Un souvenir parmi d’autres : nos deux avant-premiè-res au festival de films documentaires de Tel-Aviv, au printemps 1999. Il présentait Happy Birthday Mr Mograbi, et moi L’Attentat, film nettement moins rigolo. Je me suis gondolée pendant son film, il est sorti du mien en sanglotant. Pour nous deux, il était clair que c’était la même chose, ou en tout cas, que mon rire et ses larmes convenaient bien à l’atmosphère tragi-comique de ces dernières années d’Oslo. Sur nos trois prix Nobel de la paix, signataires des fameux accords signés en Norvège et jamais appliqués, l’un avait été assassiné (Rabin), l’autre avait renoué avec la fâcheuse habitude de bombarder les Libanais pour d’obscures raisons aujourd’hui oubliées (Pérès), le troisième était toujours en poste mais il ressemblait de plus en plus à un extraterrestre (Arafat). Pourtant la supercherie battait toujours son plein. Le monde entier applaudissait la farce d’un processus de paix ponctuellement réanimé par tel ou tel show médiatique, pendant que nos vies, en Israël et en Palestine, étaient rythmées par la brutalité de Netanyahu et les attentats-suicide du Hamas.

Heureusement il y avait le cinéma, surtout le documentaire, qui commençait à occuper le vide laissé par la démission effarante de la pensée critique israélienne. La gauche s’apprêtait à élire un général particulièrement autoritaire et arrogant (Barak) à la tête du gouvernement, mais la cuvée 1999 de Docaviv était remarquable. Comme c’est devenu la règle dans les festivals israéliens depuis lors, on s’ennuyait un peu dans la com-pétition internationale mais on vibrait dans les séances de la sélection locale. Quand votre public risque de sauter dans la rue à la sortie de la projection, il faut taper fort pour espérer faire entendre une petite voix lucide dans le chaos de l’irrationnel. C’est peut-être pour cela que le documentaire israélien a fini par devenir — en bonne partie grâce à Avi Mograbi — ce qu’il est aujourd’hui : un lieu de subversion et d’intelligence.

Ecrire sur un ami cinéaste, lorsqu’il s’agit vraiment d’un ami, est un exercice difficile. Comment dire tout le bien qu’on pense de son travail, alors qu’on a surtout envie de dire le bien qu’on pense de lui ? Je me con-tenterai donc de trois remarques. La première, c’est qu’au départ des films de Mograbi, il y a toujours une idée de génie, mais cette idée est tellement évidente qu’aucun cinéaste craignant un tant soit peu le ridicule

DANS CHACUN DE SES FILMS IL Y A TOUJOURS AU MOINS UNE SCÈNE QUI FAIT BRUSQUEMENT PLONGER LE SPECTA TEUR DANS L’ABÎME DE COMPLEXITÉ, DE RAGE ET D’IMPUISSANCE DU FOND DUQUEL TOUT LE FILM A ÉTÉ CONÇU.

II

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

THOMAS BARTELc

Page 8: Catalogue rencontres oct 2005.pdf

TOUTE SON ŒUVRE EST UNE MACHINE DE GUERRE CONTRE LA TYRANNIE DU «POINT DE VUE», L’OBLIGATION MORALE FAITE AU DOCUMENTARISTE DE «CHOISIR SA PLACE».

V

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

Détourner le directCYRIL NEYRAT

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

IV

Dans Pour un seul de mes deux yeux, Avi Mograbi fait preuve d’une discrétion inhabituelle. Son corps est présent lors des conversations téléphoniques, mais il écoute plus qu’il ne parle. D’autant plus frappant le retour de sa grosse voix et de son imposante carcasse dans la dernière séquence, lorsqu’il perd son calme face à la brutalité des soldats qui refusent de laisser passer les enfants. Cette scène conclue le film par une violente rupture d’équilibre, ce qui n’a pas manqué de susciter chez certains spectateurs et critiques deux réactions opposées, aussi prévisibles l’une que l’autre. Première réaction, positive : Mograbi se met en danger, il s’implique, ne se contente pas d’observer et de juger à distance. Deuxième réaction, négative : Mograbi franchit la limite, quitte sa place de cinéaste responsable et devient un gauchiste donneur de leçons. Inutile de s’attarder sur la première, si ce n’est pour répéter ce qu’il dit lui-même : s’il agit ainsi, c’est justement parce qu’il ne court aucun danger, qu’il sait pouvoir le faire. La seconde mérite plus d’attention parce qu’elle témoigne d’une orthodo-xie documentaire moralisatrice contre laquelle Mograbi construit ses films. Si cette séquence est forte et nécessaire, c’est jus-tement parce que Mograbi ne reste pas à sa place. Toute son œuvre est une machine de guerre contre la tyrannie du «point de vue», l’obligation morale faite au documentariste de «choisir sa place». Ici comme ailleurs, le cinéma affiche son imperméabilité inculte aux évo-lutions qui, depuis longtemps, ont élargi l’horizon des autres arts. Pendant que l’art moderne remettait en cause l’ordre perspectiviste et l’autorité du point de vue unique, le cinéma dans sa quasi-totalité œuvrait à leur restauration. Un film n’est politique, entend-on encore, qu’à proposer un «point de vue» sur ce dont il veut traiter. Sans doute Mograbi a-t-il retenu de ses études philosophiques et artistiques que le sujet unique de la représentation perspective n’était pas la seule forme de subjectivité possible.

On connaît les raisons de son effacement relatif dans son dernier film : inutilité de la fiction devant la puissance nouvelle de la matière documentaire, crainte que l’ironie soit ici de mauvais goût. Mograbi prend alors le risque d’une solennité qu’il avait jusqu’ici évitée grâce à l’humour fictionnel. La solidité documentaire du film, l’assurance maîtrisée de sa démonstration tendent à enfermer le cinéaste dans un rôle qu’il avait jusqu’ici refusé de jouer : celui d’observateur distant, d’analyste lucide des maux de sa société. Les conversations télé-phoniques, mais surtout l’enragement final ont pour fonction de contrer cette tendance en déplaçant le cinéaste de l’autre côté de la caméra, en intégrant son corps dans le corps social malade. L’effet-soupape de la dernière scène fonctionne à deux niveaux : elle libère la tension accumulée et fait déraper le film, le soustrait in extremis au risque de la bonne conscience objective. Parce qu’il quitte son point de vue de cinéaste pour se mettre «à la place» des autres – parent, enfant, soldat –, Mograbi perd son assurance de sujet pensant et retrouve son corps politique.

Pour un seul de mes deux yeux est son film le plus «direct». Il marque sans doute le début d’une nouvelle étape de son itinéraire, au cours de laquelle il lui faudra inventer d’autres manières de déjouer la solennité, la tentation du surplomb. Un saut dans le plein : Mograbi, pour la première fois, fait confiance aux images docu-mentaires, travaille à partir de leur puissance. Jusqu’ici, il s’appuyait sur leur faiblesse. Ses trois films précédents se présentaient comme des making of de films non réalisés, des constats d’échec. Impuissance à cap-turer directement le monstre derrière le populisme de

Sharon, incapacité à saisir la violence en acte dans les rues de Tel-Aviv (Août), nécessité de la comédie immobilière pour faire apparaître les enjeux politiques derrière les images de la célébration de l’Indépendance d’Israël (Happy Birthday). Pourquoi le cinéma direct est-il condamné à l’impuissance, pourquoi enregistre-t-il une matière si faible et désarmée qu’elle nécessite des stratégies indirectes de mise en scène ? Parce que la caméra ne capte jamais que la propagande du réel, le produit d’une communication politique généralisée qui ne demande qu’à être enregistrée (cf. le texte de Hervé Aubron). Mograbi constate la vanité du reportage : sa caméra ne montre rien que ce qu’»on» veut bien lui mon-trer. D’où la nécessité de contrer cette machination par l’invention de dispositifs narratifs suffisamment forts pour détourner ces images, les subvertir, leur faire «rendre gorge», puisqu’elles ne le font plus d’elles-mêmes. Le programme de Mograbi, dans ses trois premiers films, consiste ainsi en un «détournement» rusé du cinéma direct. Et une critique burlesque du cinéaste comme «sujet supposé savoir» : dans un régime de commu-nication politique généralisée, la fameuse «place» du docu-mentariste risque de n’être que le contrechamp du pouvoir.Rien de plus étranger à cette stratégie que l’idée d’un cinéma intime, «à la première personne». En injec-tant son corps dans la matière filmique, Mograbi ne prononce aucun «je», il invente une subjectivité éclatée, disséminée, capable d’échapper à l’emprise du «cinéma permanent» d’Israël (cf. le texte d’Emmanuel Burdeau), d’enrayer la machine communicationnelle. Le corps-Mograbi circule entre deux espaces-temps, entre le présent de l’arène documentaire et l’après-coup de la scène fictionnelle. Le lieu de l’après-coup ne surplombe

pas l’arène du présent, il la borde, l’entoure comme un cadre flottant, mal ajusté. Nul commentaire ne vient, en voix-off, réarmer les images du direct en y impri-mant un «point de vue». Le sens ne tombe pas du ciel de la conscience, il prolifère dans les intervalles entre les deux espaces, naît du frottement des deux temps, de leur jeu ironique. Détournement, contournement : Mograbi n’oppose pas son discours à la voix du pou-voir, il encercle et infiltre, se diffracte, occupe le terrain, toutes les places, en un travestissement carnavalesque qui devient explicite dans Août. Retournement : soumi-ses à ce traitement, les images du direct finissent par dévoiler leur envers, comme des cartes dans les mains du joueur. Pour un seul de mes deux yeux n’apparaît plus seule-ment comme une rupture, mais comme l’aboutissement de cette stratégie, et sa limite. Si Mograbi se passe d’armature fictionnelle, c’est parce que le jeu des deux temps, présent et après-coup, est entièrement passé dans le montage. Le présent du direct n’est plus détourné par la fiction du corps-Mograbi, mais par le recours aux deux légendes de Samson et Massada. Le contrepoint n’a plus à être produit et disposé autour des images enregistrées, il est inclus dans leur matière. Le simple agencement des plans suffit à produire le cadre qui permet de montrer leur envers, de retourner la parole de la domination contre elle-même. Perfection de la machine-Mograbi, épure subversive. Mais limite aussi, pointée dans ces pages par Emmanuel Burdeau : quand les images tournent si bien sur leur axe, rien ne les empêche de faire un tour de plus. Il faudra à nouveau, et à chaque film, sortir du cercle, imaginer d’autres stratégies indirectes.

HAPPY BIRTHDAY MISTER MOGRABI

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L’explication de cet inconfort est

simple : le cinéaste se surprend

à avoir parfois les mêmes intérêts

que le politicien, en termes de régie

tout au moins. Le show ne doit

pas être entravé sans quoi le film

n’aurait rien à saisir. Mograbi se

retrouve à dépanner des électri-

ciens sur un meeting. Dans l’un

de ses rêves, Sharon, ne pouvant

parler à cause d’une tempête, lui

dit : «Fais quelque chose contre ce

vent, sinon cette scène manquera à

ton film.»

Et Sharon, dans tout ça ? Comment

j’ai appris… n’est ni l’analyse d’une

machine électorale, ni un portrait

(les mystères de l’homme – son

charisme, sa brutalité pateline –

restent entiers), ni une charge (à

l’exception d’un scandaleux rac-

courci, il comporte peu de déclara-

tions politiques). D’abord injoignable

puis insaisissable, Sharon est le

point aveugle du film, ou plutôt

son poids mort (la guerre du Liban,

évoquée à la manière d’un cauche-

mar cotonneux). Simple chronique

d’un échec ? Absolument pas.

Le titre du film (reprenant le sous-

titre de Docteur Folamour en rem-

plaçant «la bombe» par Sharon)

est essentiel. Il ne se limite pas

à comparer le politicien à une

bombe à retardement. Dans le film

de Kubrick, tous les personnages,

écrasés par la puissance du feu

atomique, régressent vers divers

comportements infantiles. Voilà bien

ce qui taraude Mograbi, au-delà de

Sharon : l’infantilisme politique (le

sien, celui des Israéliens, le nôtre).

C’est la peur, bien sûr (il se met en

scène intimidé, lors de sa première

communication avec Sharon). C’est

aussi la tentation de la connivence.

Sharon entrouvre la porte grâce à

une plaisanterie de Mograbi. Le

réalisateur surjoue ensuite, admi-

rablement, la posture de l’enfant

complaisant (notamment lorsqu’il

raconte à Sharon, passionné d’éle-

vage, qu’il a vu naître un girafon

dans un zoo). Le summum de cette

comédie résidant dans sa fausse

conversion, lorsqu’il opine du chef,

admiratif, à côté de la tribune.

C’est enfin une pulsion sarcastique.

Dans un arrêt sur image montrant

Sharon mangeant un gâteau, figé

dans une posture grotesque de

poisson glouton, Mograbi ne cache

pas qu’il est tenté de mettre en

avant l’adiposité d’un corps, sa

goinfrerie étant la figure idéale d’un

dangereux ogre politique (ce dont

Sharon est d’ailleurs conscient :

«Ne filmez pas pendant que je

mange»). Mais c’est là encore peine

perdue : la charge se réduirait à une

piteuse attaque physique, mais elle

est surtout intégrée à la communi-

cation de Sharon, qui multiplie les

plaisanteries sur sa propre vora-

cité.

Peur, flatterie, raillerie : tour à tour

l’enfant qui craint, qui cherche les

faveurs ou se moque. Parvenons-

nous aujourd’hui à inventer

d’autres rapports au politique ?

Qu’on soit de connivence ou qu’on

le prenne à revers, il s’agit toujours

de le tester.

Seule porte de sortie pour Mograbi

: l’enfance contre l’infantilisme (ce

que fait aussi Nanni Moretti dans

l’Italie berlusconienne). Sidérant

final où il danse avec des rockeurs

d’extrême droite, poursuivant

sa comédie de l’adhésion et se

foutant de leur gueule tout à la fois.

Il ne s’agit pas de ricaner en dansant

avec les loups. C’est bien plutôt le

seul, le dernier geste d’engagement

encore opérant : celui du clown,

corps désemparé qui, à défaut

de convaincre les brutes, prend

le risque de valser avec elles.

La ronde d’un enfant rêvant du

croche-pied décisif. HERVÉ AUBRON

COMMENT J’AI APPRIS À SURMONTER MA PEUR ET À AIMER ARIEL SHARON… Israël – 1997 – 16mm – Couleur – VOSTF – 61’ – Prod : Avi Mograbi

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

En 1996, Avi Mograbi décide de filmer Ariel Sharon durant la campagne du Likoud qui amena Netanyahu au pouvoir. Le film alterne entre choses

vues et faux journal intime. Un cinéaste de gauche suivant un politicien

de droite : schéma connu du meilleur ennemi, toujours susceptible de

s’envaser dans le suspense psychologique. Ah la la, cet homme est tout

de même sympathique, mais, bon sang, il me manipule peut-être, etc.

Atermoiements censés alerter le spectateur, mais qui le passionnent plutôt

pour l’histoire d’une liaison amoureuse. L’excès de transparence docu-

mentaire peut ainsi se faire le meilleur allié de la communication politique.

Ce que Mograbi désamorce par la surenchère. Ses doutes sont filmés

pour ce qu’ils deviendraient s’ils étaient sérieusement développés : une

sitcom. Une conversation téléphonique sur la courtoisie de Sharon finit par

ressembler à une discussion de collégiennes. Une hilarante séquence de

rêve se vautre dans de grossiers ralentis. C’est par-dessus tout le récit de

sa rupture conjugale, que le film

lui-même aurait provoquée (une

pure invention fictionnelle), et que

Mograbi raconte seul devant sa

caméra, installé dans son salon à la

manière d’un téléspectateur débous-

solé qui ne sait plus distinguer débat

politique et soap opera.

Le film est d’une précision extrême

(car burlesque) sur la manière dont

ce type de projet est, dès son ori-

gine, à la merci du réseau de la

communication. Elle est là dès le

générique, accompagné de cette

musique d’attente qui ponctue

ses multiples appels téléphoni-

ques auprès des collaborateurs

de Sharon (et qui pourrait être

celle d’un clip de campagne). La

figure de l’investigateur intraitable

est de facto ramenée à celle d’un

prétendant amoureux, puisqu’il ne

parvient pas à établir de contact

direct. Une fois que Mograbi tou-

che enfin au but (être informé de

l’emploi du temps de Sharon),

il réalise que cela n’avait aucun

intérêt : litanie de meetings dont il

ne cache pas l’ennui.

Mais cet aveu lui-même s’extirpe

difficilement du marais communi-

cationnel, les vues de meeting étant

montées à la manière d’illustrations

visuelles dans un journal télévisé.

COMMENT J’AI APPRIS À SURMONTER MA PEUR ET À AIMER ARIEL SHARON…

DEPORTATION Israël – 1989 – 16 mm – Couleur – 12’ – Prod : Avi MograbiDragon d’argent, festival du court-métrage de Cracow – Prix du meilleur montage, Institut du Film Israëlien.

THE RECONSTRUCTION (L’AFFAIRE CRIMINELLE DANNY KATZ) Israël – 1994 – Vidéo – Couleur – VOSTF – 50’ – Prod : Avi MograbiPrix du meilleur film documentaire, Institut du Film Israëlien.

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

VI VII

RETROSPECTIVE

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En gros plan, dans son salon, un homme face à la caméra nous parle, se parle. Il s’interroge sur son désir de film — enregistrer l’état d’esprit d’Israël

pendant le mois d’Août, ce mois symptomatique où tout suffoque, s’amplifie,

gronde.

Quelque chose est pourri au royaume d’Israël, et sous l’écrasante chaleur d’août,

la pourriture mûrit, la violence quotidienne se déverse, nauséabonde, vulgaire. Devant

nous, tandis qu’il cherche à formuler son projet, le visage de Mograbi se contracte,

déformé par une rage latente, longtemps contenue, et prête maintenant à exploser.

Le cinéaste, grotesque, semble se transformer en bouffon, ce clown qui énon-

ce crûment les vérités du royaume. Les images du dehors apparaissent alors,

images du quotidien d’Israël au mois d‘août : injures aux carrefours ; disputes

hargneuses entre patients dans la salle d’attente d’un hôpital ; insultes et hur-

lements dans les tribunes d’un match ; scène d’humiliation ordinaire subie par

des Palestiniens, observée par une foule de spectateurs agressifs ; exultation

inquiétante d’un méga show religieux ; mascarade de militants anti-palestiniens

déguisés en arabes pour effrayer les passants ; violence impuissante d’un enfant

palestinien jetant des pierres, et qui semble en cet instant, dans son errance, le

dernier habitant de l’autre côté du mur… Partout, la haine s’exprime, en même

temps qu’une mauvaise conscience implicite — Mograbi se heurtant systéma-

tiquement à la méfiance, la gêne ou l’agressivité des personnes refusant d’être

saisies dans le miroir de la caméra. Mograbi ne filme pas la guerre à proprement

parler, mais la façon dont elle gangrène un territoire, un peuple. Filmer la guerre

comme une maladie, enregistrer les symptômes du mal, cette hystérie générali-

sée, ce détraquement qui corrompt individus et Etat jusqu’à envahir littéralement

le corps politique au dernier plan du film : le regard vide d’Ariel Sharon uniquement

animé d’un spasme nerveux.

Ce n’est pas un regard distant qui radiographie ainsi sa propre société. Critique

mais impliqué, Mograbi engage et met à l’épreuve son propre corps. Dans les

AOÛT, AVANT L’EXPLOSION rues où, filmeur, il s’expose en pro-

voquant passants et militaires, trans-

formant le tournage en une confron-

tation permanente entre son corps et

la société. Dans son appartement, où,

filmé, il interprète tour à tour ou simul-

tanément tous les rôles d’une tragi-

comédie domestique l’opposant à sa

femme et à son producteur furieux,

schize burlesque redoublant l’hystérie

qui gangrène son pays. Cette mise

en scène de soi où le corps filmeur /

filmé est violenté, relève autant d’une

nécessaire réflexion sur la position du

documentariste, que d’une véritable

performance vigoureusement libé-

ratrice, inventant ainsi une forme de

distanciation incarnée. Au dispositif

images brutes du réel / farce domesti-

que, Mograbi noue un autre mode de

distanciation narrative : l’imbrication

de séquences de casting pour un film

de fiction - finalement jamais réalisé -

sur le massacre d’Hébron. Embryons

d’une fiction impossible, les visages

des actrices, animés par la même

tension explosive qui traverse les rues

d’Israël et le corps du cinéaste, sont le

troisième terme de ce documentaire-

kaléidoscope, où le réel implose et se

défragmente, désagrégé par la folie,

symptôme d’un état de guerre relégué

hors champ.

SAFIA BENHAÏM

AOÛT, AVANT L’EXPLOSION Israël / France – 2002 – 35 mm – Couleur – VOSTF – 72’ – Prod : Avi Mograbi / Les Films d’Ici Prix de la Paix, Festival international du film de Berlin 2002

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

HAPPY BIRTHDAY MISTER MOGRABI

Happy Birthday Mr. Mograbi s’appuie sur un dispositif complexe, l’un des plus audacieux jamais expérimenté dans le cinéma documentaire israélien, qui transgresse systématiquement les limites du genre.Mêlant réalité et fiction, jouant constamment sur les codes du «journal intime» et

de «l’autobiographie filmée», le film ne se distingue pas moins par son humour

loufoque lié à la présence burlesque de Mograbi lui-même, parodiant le rôle du

«cinéaste-militant».

Le cadre documentaire du film est celui de l’année 1998 durant laquelle l’Etat

d’Israël célèbre son cinquantième anniversaire. Pour les Palestiniens, cet anniver-

saire est synonyme d’une autre commémoration, celle de la «Nakba», catastro-

phe nationale provoquée par la création de l’Etat hébreu en 1948. Plusieurs récits

fictionnels (ou pseudo-documentaires) viennent interroger cette réalité fort chargée

: un producteur israélien demande à Mograbi de tourner «un film joyeux» sur les

célébrations nationales, alors qu’un producteur palestinien lui commande un film

sur les villages palestiniens détruits au moment de l’indépendance d’Israël.

Troisième récit : la famille Mograbi a vendu un terrain dont les frontières avaient

été mal définies dans les registres de l’administration israélienne, entraînant des

complications invraisemblables avec les voisins et le nouvel acquéreur.

Confrontés les uns aux autres, ces trois récits produisent un système critique,

une machine dialectique qui problématise la réalité historique et le discours officiel

israélien. Elle déconstruit méthodiquement le mythe du sionisme triomphant pour

révéler sa part obscure, la tragédie palestinienne et interroge la question des

frontières et du lien entre un peuple et une terre.

Ainsi, les images des cérémonies israéliennes sont systématiquement entrecoupées

par celles des traces des villages palestiniens détruits, ou encore des sites israéliens

construits sur les ruines des maisons palestiniennes. Une image revient sans cesse,

celle des figuiers de Barbarie qui, avant 1948, fleurissaient dans chaque village

palestinien, demeurant aujourd’hui, symbole muet de leur effacement.

Une place importante est accordée

aux Arabes-Israéliens (palestiniens

vivant en Israël), obligés de renon-

cer à leur appartenance d’origine au

profit d’une nouvelle identité pseudo-

israélienne, artificielle et névrotique.

Par exemple, une scène hallucinante

montre des employés arabes d’un

grand hôtel israélien, déguisés en

pionniers juifs au cours d’une répéti-

tion pour la fête nationale. Une autre

scène montre des jeunes Arabes en

train d’écouter les récits de bravoure

du sionisme racontés par un guide

à l’esprit patriotique, arabe lui aussi.

Une fille ne peut alors s’empêcher de

se tourner vers la caméra et de chanter

l’hymne palestinien, «Biladi, Biladi»

(«Ma patrie, ma Patrie»).

Le film atteint son point culminant le

jour de la fête nationale israélienne,

qui paradoxalement coïncide avec le

quarante-deuxième anniversaire d’Avi

Mograbi. Le cinéaste est au bord de

l’effondrement : ne parvenant à ache-

ver le film israélien, ni le palestinien,

harcelé par le nouveau propriétaire

du terrain, il écoute, hagard, l’hymne

israélien à la télévision. Les dernières

images nous font alors passer de la

petite à la grande histoire : en effet,

une violente manifestation palesti-

nienne dans les territoires occupés

annonce le prochain film de Mograbi,

tourné au moment de le seconde

Intifada : Août, avant l’explosion.

ARIEL SCHWEITZER

RELIEF Israël – 1999 – Couleur – Vidéo – 5’ – Installation – Prod :Avi Mograbi

HAPPY BIRTHDAY MISTER MOGRABI Israël / France – 1999 – 16 mm – Couleur – VOSTF – 77’ – Prod : Avi mograbi / Les Films d’Ici

Runner Up prize, Festival international du film documentaire de Yamagata

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

RETROSPECTIVE

VIII IX

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Malgré arcanes et chicanes, une seule question semble courir à travers le cinéma d’Avi Mograbi : Israël est-elle un film ? Question complexe, on l’imagine. La réponse d’Août, par exemple, est un non, hélas : agressifs ou amusés,

les pour qui tu filmes ? y rythmant les sorties dans la rue ne sont pas refrain de reportage ; ils

martèlent au contraire qu’aucune image n’est libre en Israël, toutes sont d’emblée otages.

La réponse de Comment j’ai appris… serait plutôt oui, forcément : le politique et religieux

y étale un cinéma permanent, tandis qu’Ariel Sharon fait un méchant trop truculent et trop

réussi pour résister à l’envie de lui abandonner progressivement la vedette.

Question de cinéaste : Mograbi ne voit pas pourquoi la situation dans son pays devrait le

mettre au chômage. Question éthique : pour autant, témoigner caméra en main n’autorise

pas à méconnaître les compromissions toujours possibles du cinéma dans les mise en

scène politiques. Question comique, profondément, au sens où le grotesque mograbien

sert d’abord à tendre la question : répondre oui en jouant avec son propre nom, en faisant

le pitre, en basculant si on veut du côté de la fiction ; et répondre non en inventant un

désordre voire une laideur – goût du cinéaste pour les trucages-gag – à la faveur de quoi

les films sont précisément plus et moins que des films. Il n’en va pas de même avec Pour

un seul de mes deux yeux.

Qu’il y ait là proprement un film, tout l’indique : l’abandon du comique et la gravité du

propos, l’hélico du générique, le souffle de l’Histoire et l’ampleur d’une construction que

commande un binarisme strict. D’un côté, religieux, éducateurs, parents narrent à desti-

nation des jeunes deux mythes de la résistance juive à l’envahisseur – le suicide collectif

de Massada en l’an 70 et le sacrifice de Samson. De l’autre et parallèlement, des scènes

montrent les Palestiniens dans des circonstances d’oppression quotidienne dont le détail

paraît tiré des récits entendus à l’instant. Tiré par inversion, bien sûr. Le message est clair :

livrés comme légitimation des violences actuelles contre la Palestine, ces mythes peuvent

être également lus a contrario, comme justification de la lutte palestinienne elle-même.

Grande intelligence de la structure, harmoniques subtiles du montage. Très beau film.

Tout s’y tient. Mograbi ne rigole pas ; à l’outrance comique succède simplement une ironie

sourde. Plus d’hésitation : Israël est bien un film – le film de sa légende continuée. Mais

disant cela, le cinéaste semble dire aussi que la Palestine serait le même film ; le même

film à l’envers, son remake... Dès lors on voit bien le risque de Pour un seul de mes deux

yeux : risque de l’inversion, risque de la circularité. Si son mouvement va bien d’hier à

aujourd’hui, le présent de son déroulement n’empêche les échos de tourner en rond :

d’Israël vers la Palestine et retour. Pour cette raison, il faut peut-être voir en ce dernier

film un moment critique dans l’itinéraire mograbien : si le désordre y devient méthode,

celle-ci pourrait bientôt muter procédé.

Face à cette menace, il est important que

la perfection de la structure connaisse au

moins deux interruptions majeures. Au

début, lors de la conversation au télé-

phone d’où Mograbi tira d’abord le court

métrage Wait… – voir ci-contre. Et vers la

fin, lors d’une altercation entre le cinéaste

et quelques jeunes soldats israéliens gar-

dant prisonniers derrière une barrière des

enfants palestiniens revenant de l’école.

Loin de tout morceau de bravoure à la

Michael Moore, cette scène désigne le

cœur d’un film dont la dédicace finale va

aux fils du cinéaste : le rapport entre les

générations et l’espoir d’une transmission

non meurtrière.

Moment précieux : l’invective n’y annule

pas l’échange, encore moins l’évidence

d’une terre et d’un destin communs.

Qu’Israël puisse encore dialoguer avec

elle-même, malgré l’aveuglement suggéré

ici par le titre, ce fut toujours la surprise de

Mograbi, et peut-être le nerf de son cinéma :

au FID Marseille où le film fut présenté en

ouverture, on put ainsi l’entendre dire sans

plaisanter qu’il n’oserait jamais s’adres-

ser sur ce ton à un gendarme français.

Manière de rappeler la puissante intimité

contradictoire qui le lie à son pays : après

tout, son anniversaire tombe bien le jour du

cinquantenaire de la Nakba. Avec Pour

un seul de mes deux yeux vient peut-être

le temps d’une autre contradiction, celle

d’un cinéaste désormais reconnu et fêté.

Contradiction ou schizophrénie entre la

majestueuse rhétorique du montage et

celle combien plus serrée, plus périlleuse

du dialogue. Entre l’aspiration au grand

cinéma et l’urgence irréductible du live.

L’effort continue, la question n’est pas

oubliée mais relancée plus loin. Suite au

prochain épisode.EMMANUEL BURDEAU

POUR UN SEUL DE MES DEUX YEUX

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

Wait,… , tourné en mini dv, dure 13 minutes. Aussi long le titre, aussi bref le document. Montré tel depuis 2002 en festivals, il prendra place, intact, trois ans plus tard, dans Pour un seul de mes deux yeux, en écho à plusieurs scènes obéissant au même dispositif. Cadre domestique, bureau du réalisateur

encombré de cassettes, télévision allumée aux news et porte ouverte sur la perspective

de l’appartement avec famille défilant en arrière-plan, c’est un autoportrait en gros plan

fixe, en conversation téléphonique avec un ami palestinien injoignable autrement.

Deux remarques. 1. L’urgence. Mograbi filme Avi au moment de l’événement, celui de

l’appel, de l’échange, puis, scoop, celui de son interruption. Logique du direct, Mograbi

concurrence la télé, ses images et ses commentaires discernables en contrepoint. Projeté

aussitôt que fait, le film n’attend pas une autre facture, une autre durée, il justifie son indé-

pendance, provisoire et pleine, de faire bloc d’information. Voilà la grande geste documen-

taire du sortir, de l’aller vers, de l’exposition risquée à l’altérité, de la confrontation en vrai,

qui anime bien des séquences ailleurs dans ses films, suspendue - du moins parodiée.

Mograbi est devenu, chose cocasse, correspondant étranger, grand reporter, à domicile.

Parce que les nouvelles arrivent chez lui. Dans son oreille et son micro, dans son bureau, sur

son visage, au coeur de son amitié, etc. Elles arrivent même à deux reprises. En s’énonçant

d’abord, c’est la fonction du téléphone : ramasser dans l’ouïe le lointain. Ainsi la voix lui

apprend que des soldats israéliens sont venus, une fois encore, «rendre visite» à domicile

et emprunter à tous leurs papiers d’identité. Il entend, en léger différé, raconté tout frais,

le récit d’une énième descente policière. C’est ce récit qui les invite tous deux à reprendre

une ancienne conversation, à remonter le temps, à essayer de raccorder les fils du lointain,

temporel ce coup, à ressasser l’historique des violences et de ses impasses. Rien de neuf

donc, dialogue de quasi sourds : quelles nouvelles dans ces nouvelles ? Seconde irruption

des nouvelles, paradoxale, en cessant : l’ami raccroche au retour de l’armée annoncée dans

le titre, et ne répond plus ensuite. Direct, cette fois, mais qui diffère indéfiniment la poursuite

du dialogue, et l’attente, le Wait du titre. La conclusion abrupte de l’entretien, le silence et

les gestes de l’impuissance qui la suivent, la télé regardée sans voix, là voilà, plus que telle

anecdote scandaleuse, plus que les analy-

ses démêlées sans fin, l’actualité, le now du

documentariste israélien «engagé».

2. L’indirect. C’est donc que

Mograbi n’est pas tout à fait chez lui. Plutôt

: chez lui, pas de possibilité de direct. Son

bureau, devenu studio (Mograbi caméraman

ingé-son bidouille à vue la technique), finit par

être le «terrain», mais terrain où l’Autre, invisible

et inaudible, reste l’Introuvable, ce corps éva-

noui après un dernier appel téléphonique du

film de Van Dyke. Si une fois de plus Mograbi

rencontre Avi, la schizo joueuse d’Août se

retrouve ici en panne. Privé d’interlocuteur,

il se révèle incarcéré à demeure, prisonnier

de la quiétude entr’aperçue en arrière-plan,

seul hors champ à sa portée. Hors champ

sans commune mesure avec celui qu’il essaie

de susciter au téléphone et qui, passée une

brève existence fantomatique, s’est retiré

pour de bon. Le téléphone dévoile son bran-

chement : il n’est pas en prise sur un dehors,

il est raccordé au-dedans, sur la caméra, sur

la télé, l’appartement, la famille.

Si l’on devait faire une histoire des scè-

nes de téléphone au cinéma, assurément

Wait,… y aurait bonne place. Et pas si loin

sans doute du coup de fil fatal dans le

Detour d’Ulmer où le malchanceux prota-

goniste étrangle sans le savoir sa compagne

dans la chambre d’à côté à force de tirer

sur le cordon de l’appareil. Non pas, bien

sûr, qu’il y ait chez Mograbi rapport direct

de cause à effet. Non, mais indirect, peut-

être. Dans quelle langue, au fait, s’est déroulé

l’entretien ? Et quoi, du reste, nous assure du

son synchrone? L’ombre de la fiction, fami-

lière aux comédies politiques de Mograbi,

n’offre pas refuge au documentaire, elle est le

symptôme de son impossibilité.

JEAN-PIERRE REHM

WAIT, IT’S THE SOLDIERS, I HAVE TO HANG UP NOW

WAIT, IT’S THE SOLDIERS, I HAVE TO HANG UP NOWIsraël – 2002 – Vidéo – VOSTA – Couleur – 13’ – Prod : Avi Mograibi

POUR UN SEUL DE MES DEUX YEUX Israël / France – 2005 – 35mm – Couleur – VOSTF – 100’ – Prod : Avi mograbi / Les Film d’Ici

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

RETROSPECTIVE

X XI

Page 12: Catalogue rencontres oct 2005.pdf

De créer un flux qui permette au spectateur de prélever une idée dans un passé mythique et de la déplacer dans l’actualité présente, et vice-versa. L’idée était là au départ, mais je ne savais pas ce que j’allais trouver, dans les terri-toires comme à Massada. Cela tient aussi à ma méthode. J’ai l’habitude de faire très peu de recherches pour préparer mes films, afin d’en savoir le moins possible au moment du tournage. C’est ma manière de rester aux aguets, inquiet – cela conduit aussi à beaucoup d’échecs. C’est seulement au montage que je commence à créer du sens, à construire un récit à partir de ce qui a été filmé. Dans Pour un seul de mes deux yeux, j’avais prévu une part importante de fiction, que j’ai finalement décidé de ne pas inclure. Deux raisons à cela. D’abord, les éléments documentaires sont suffi-samment forts, ils n’ont pas besoin d’armature fictionnelle. Ensuite, ce que j’ai filmé est si grave, tragique, qu’y mêler de la fiction, avec sa part d’ironie, aurait été de mauvais goût, presque pornographique. Mais l’écriture au montage, la recréation du récit, ont été conçues de la même manière que les récits de fiction des autres films.

Corps de cinéaste, corps social Je ne sais pas si ma présence fait apparaître la violence, mais elle incite les gens à réagir, et ils le font avec agressivité. Pourtant je ne provoque pas, je ne balance pas l’objectif au visage de quelqu’un dans le but de l’énerver. Plus précisé-ment, ce n’est pas la caméra qui crée de la violence, mais l’image de la caméra dans l’esprit des gens. Quelle image ? Je crois que ça dépend des circonstances, du climat politique. Quand j’ai tourné Happy Birthday, les gens étaient très aima-bles avec la caméra, très contents d’être filmés, ils passaient le bonjour à leur maman… C’était différent pour Août, il y avait comme une prescience de la violence qui allait éclater en septembre. Les gens étaient sous pression, paranoïaques.

J’ai vraiment eu le projet d’un film sur Baruch Goldstein, mais bien avant de réaliser Août. Après le massacre d’Hébron, l’Etat avait mis en place une commission d’enquête. Les auditions des témoins étaient diffusées en direct à la télé. Mon idée était de faire un montage de ces images, dans l’esprit d’Un spécialiste, d’Eyal Sivan. Je n’ai pas eu l’autorisation d’utiliser les bandes, mais j’en ai gardé une trace en moi, qui est ressortie trois films plus tard, dans Août. Quand j’ai intégré cet élément au film, je ne savais pas quel sens cela pouvait avoir – je travaille d’une manière très intuitive. La femme de Goldstein fait le récit des heures précédant le massacre, et à la fin, elle demande qu’on lui remette le pistolet qu’a utilisé son mari. Elle le consi-dère comme son héritage. Cette exigence m’a frappé. Une personne normale ne voudrait pas de ce pistolet qui a tué tant de gens. Au lieu de rejeter la violence de son mari, elle décide de la prendre en charge, de prolonger sa mission. Une autre signification m’est apparue bien plus tard. Quand je vais dans la rue, je deviens violent, agressif, de plus en plus au cours du film. Dans la maison, je joue les trois rôles. Et les trois actrices qui font les essais pour l’audi-tion Goldstein deviennent cette femme. Ainsi, l’épisode Goldstein participe d’une logique qui veut que le film nous regarde, ne regarde pas la société israélienne d’un point de vue extérieur, mais de l’intérieur. Il ne s’agissait pas de dire «regardez cette horrible société, et moi si propre et formida-ble.» Je fais partie de cette société.

Faire l’acteurLa séquence avec les trois coups de téléphone succes-sifs, à la fin de Happy Birthday, a été très difficile à mettre en scène. Evidemment, je n’ai pas reçu ces trois appels pendant la prise. Je devais imaginer les voix, dialoguer avec des propos inexistants, qui n’ont été enregistrés que plus

Je n’ai pas étudié le cinéma, mais la philosophie à l’université et l’art dans une école. Mais le cinéma tenait une place importante dans ma jeunesse. Mon père possédait l’un des plus grands cinémas de Tel Aviv, le Mograbi cinéma, qui a été détruit il y a plus de quinze ans. J’y ai grandi en voyant des milliers de films. J’accompagnais souvent mon père aux projections privées pendant lesquelles il choisissait des films. J’en voyais cinq ou six à la suite, la plupart du temps épouvantables. C’était un cinéma commercial, avec deux salles. Dans la petite, il pouvait montrer des Fellini, des Bergman. Lorsque la cinémathèque de Tel Aviv a ouvert, j’avais quinze ans, et c’est devenu ma deuxième maison. Adolescent, je voulais devenir cinéaste. Même si j’ai réalisé quelques vidéos pendant mes études d’art, je n’ai recom-mencé à y penser qu’une fois mes études terminées.. Je ne gagne pas ma vie avec mes films, mais en enseignant le cinéma à l’université de Tel Aviv et comme assistant réali-sateur sur des publicités. J’essaie de concilier ces trois activi-tés. Le poste de professeur de documentaire était occupé, alors ils ont fait de moi l’expert local en cinéma expérimental - ce qui je ne suis pas, même si ça m’intéresse beaucoup. On retrouve dans mes films l’influence du cinéma expéri-mental, ou plutôt de l’art vidéo, et certains sont projetés dans des galeries.

La naissance d’une formeMon premier film, Deportation, était une fiction. Par la suite, j’ai essayé d’écrire des scénarios. Je crois qu’on ne m’y reconnaîtrait pas aujourd’hui. Deportation date de 1989, et jusqu’en 1994, je n’ai pas fait de film. Un jour, je suis tombé sur le fait divers qui a donné lieu à The Reconstruction. Cinq arabes, accusés d’avoir tué un jeune juif, ont été condamnés sur la seule base de leur confession. J’ai suivi l’enquête et la reconstitution du crime. Le film posait beaucoup de questions. C’est ainsi que j’ai pris conscience de la force du documentaire, à propos duquel j’avais jusqu’ici des idées très sommaires. The Reconstruction m’a fait réfléchir à la capacité du documentaire de dire la vérité. Doit-il la dire, peut-elle être capturée ?La forme singulière de mes films est née pendant la réali-sation du documentaire sur Sharon. Je pensais faire un film politique brut, violent. Le projet était simple : m’approcher et capturer le monstre caché dans ce corps. En tournant, j’ai compris que le monstre n’allait pas apparaître. En revan-che, du fait de ma proximité, nous avions eu des échanges

drôles et étranges, tous filmés. Vers la fin du tournage, il était clair que je n’aurais pas le film que je voulais, et que le charisme d’un homme politique pouvait faire oublier qui il est vraiment. J’ai alors décidé que le film ne porterait pas tant sur lui que sur moi, ou plutôt sur quelqu’un comme moi, de la gauche israélienne. Comment pouvons-nous vivre sans mettre en pratique nos idées, notre morale ? Comment peut-on penser que Sharon est un criminel de guerre et devenir ami avec lui, le remercier ? Mon approche du documentaire a donc évolué pendant la réalisation du film, sans que j’aie conscience de créer un style, d’inventer quelque chose. Les questions soulevées quant à la diffé-rence entre documentaire et fiction, à leur mélange, ne sont devenues apparentes qu’après-coup. Le tournage terminé, il fallait trouver un moyen de raconter l’histoire que j’avais en tête. La solution fut de faire du film une sorte de making-of de lui-même, à partir de la confes-sion d’un cinéaste. Autre idée, l’introduction du personnage de la femme : au lieu d’attribuer au cinéaste des idées con-tradictoires, j’ai ajouté un personnage qui incarnait comme une voix intérieure, une autre opinion. Puis il me fallait un peu de drame à la fin. C’est comme ça que la femme en est venue à quitter le réalisateur. C’est de la pure fiction, évidemment. Ma femme n’avait aucune raison d’être énervée, car je n’ai jamais commencé à aimer Ariel Sharon.

A l’aveugleAriel Sharon, Happy Birthday et Août racontent des échecs : un cinéaste n’arrive pas à faire le film qu’il projette. Pour Ariel Sharon, c’est vrai, c’est comme ça que le film est né. Pour les autres, c’est plus complexe. Quand j’ai commencé à tourner Happy Birthday, j’avais déjà en tête la forme générale. Août est en partie le fruit d’un échec. J’avais bien le projet d’un film sur la violence urbaine, mais pas celui-là. Je pensais qu’il suffisait de sortir dans la rue pour capturer la vraie violence. Mais elle semble toujours être ailleurs, elle n’appa-raît que lorsqu’on ne la cherche pas. Le privilège du documentariste, c’est qu’il ne sait jamais à l’avance ce qui va se passer. C’est pourquoi j’ai dû tourner tant de jours dans les territoires occupés pour obtenir les scènes fortes de Pour un seul de mes deux yeux. Plus de 200 heures. J’étais seul dans les territoires, et accompagné d’un cameraman, Philippe Bellaïche, pour les scènes en Israël. Dans ce film, j’ai essayé de raconter une seule histoire en rapprochant des événements distants de deux mille ans.

PROPOS RECUEILLIS PAR CYRIL NEYRAT

XIIIXII

Entretien avec Avi Mograbi

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

AOÛT, AVANT L’EXPLOSION

Page 13: Catalogue rencontres oct 2005.pdf

Documentaires plastiquesJe pense que mon exposition à l’art pendant mes études m’a libéré de beaucoup de croyances religieuses par rapport au documentaire. Je ne m’interdis pas de manipuler les images. Quoique je fasse, c’est de la grosse manipula-tion, puisque la réalité est récréée au montage. Ce qui est important, c’est l’intégrité du cinéaste. Je veux dire la vérité, mais pas selon le code traditionnel du documentaire, selon lequel on dit la vérité quand on ne touche pas à l’image. Or, on peut dire de gros mensonges sans y toucher. De mon éducation artistique, j’ai aussi gardé cette facilité à utiliser ma propre image. Cela n’implique pas forcément de parler de soi. La présence de l’artiste peut avoir une signification universelle.Par exemple, l’idée de faire défiler l’image à l’envers à la fin de Happy Birthday m’est venue au montage. Je cherchais une sorte de filtre pour introduire aux maisons palestiniennes. Je n’aimais pas l’idée du noir et blanc, ou d’un filtre digital qui attirerait l’attention sur le déplacement de la célébration israélienne vers la destruction de la Palestine. Soudain, en jouant avec la souris, un plan s’est mis à défiler à l’envers. Illumination : la vidéo m’a dicté ce que je devais faire. Mais comme toujours, il m’a fallu six mois pour en percevoir le sens. L’idée que le temps allait à l’envers ne me suffisait pas. Cet effet instaure un monde dans lequel cohabitent dif-férentes lois physiques. Si le monde des Palestiniens fonc-tionne selon les mêmes lois que le nôtre, pourquoi ne les comprenons-nous pas ? Comment ne comprenons-nous pas, nous qui sommes revenus en Israël après deux mille ans d’exode, le souhait des palestiniens de retrouver

leur terre natale ? Il y a donc deux mondes, qui ne commu-niquent pas. Le court-métrage Relief est celui qui s’approche le plus de l’art vidéo. Ce film consiste en un plan enregistré pen-dant le tournage de Happy Birthday, le jour de la Nakba à Jérusalem. Les Palestiniens voulaient rester debout, silen-cieux, pendant deux minutes, comme nous le faisons en mémoire de nos morts. La police ne les a pas laissés faire. J’étais là, et j’ai filmé la confrontation. Je n’ai pas utilisé ces rushes, mais la situation était si forte qu’elle a continué à me hanter après le montage de Happy Birthday. En jouant avec la souris, je me suis rendu compte que lorsque l’image défile à l’envers, on ne voit pas la différence. Il n’y a pas de pro-gression. L’image devient comme un champ de blé dans le vent : tout bouge, mais le blé reste planté au même endroit. C’était une belle image du conflit sans fin entre les deux peuples. Ca bouge tout le temps, mais ça ne va nulle part. On ne voit pas qui avance, qui recule, qui gagne et qui perd. J’ai cherché deux endroits dans le plan, où je pouvais changer le sens du défilement sans que ça se voit à l’image. Puis j’ai ajouté un effet digital pour donner à l’image une texture picturale, pour la détacher de tout réalisme documentaire. Mais d’une certaine manière, cette forme d’abstraction plonge d’autant plus le spectateur dans la réalité de l’évé-nement. Le plan d’origine dure deux minutes et demi. J’ai réduit la vitesse de moitié. La double inversion du sens du défilement produit un film infini, sans début ni fin, comme le conflit entre les peuples. Dans la galerie ou le musée, pour lesquels Relief est conçu, le visiteur peut entrer et sortir quand il le veut, le film n’évolue pas.

tard. C’était une vraie performance d’acteur. Dans Août, j’étais mon propre partenaire de jeu, je devais m’imaginer incarnant un ou deux autres personnages. C’était très compliqué. J’étais contraint de compter dans ma tête le temps de jeu de l’autre personnage et de continuer à jouer en même temps, comme s’il était en face de moi. Je devais être seul pour le faire. Avec quelqu’un dans la pièce, je perdais ma concentration. Ces personnages sont de pures inventions – ma femme ne met jamais de serviette sur sa tête, comme ça. Le collage des fragments de cadre est volontairement grossier, apparent. J’aurais pu le faire par-faitement avec After Effect : on peut découper les corps et les placer dans un cade unique, etc. Le choix de cette low high tech ou high low tech devait accentuer le ridicule de ces situations. L’évolution de ces séquences donne une idée de ma manière de travailler. Au départ, je ne devais pas jouer les trois rôles. Deux autres acteurs, des amis, devaient incarner ma femme et le producteur. Mais je ne savais pas ce que je voulais faire, je n’avais pas de script, juste l’idée de quelqu’un débarquant dans la maison et mettant tout sens dessus dessous. Quand je croisais mes amis dans la rue, je les évitais, car j’étais perdu, coincé. Pour débloquer la situa-tion, j’ai décidé de prendre la première scène, celle de l’arrivée du producteur furieux, et de la jouer moi-même, pour voir comment ça fonctionnait. J’ai donc joué les trois rôles, et j’ai tout de suite compris que c’était la solution. Je n’avais pas l’explication théorique, je l’ai trouvée plus tard – l’idée d’être de tous les côtés à la fois. Après cette première scène, j’en ai écrit d’autres. Je filmais, je commençais à monter, je retournais au salon pour filmer à nouveau, modi-fier mon jeu, la mise en scène… A la fin du montage, quand j’ai décidé que tout était à sa place, j’ai dû tout rejouer une nouvelle fois, avec la bonne lumière, la serviette bien en place sur ma tête, etc. Ça m’a pris trois jours, c’est ce que l’on voit dans le film.

La cohabitation des récitsLa coïncidence des trois anniversaires dans Happy Birthday est réelle. L’anniversaire de l’Indépendance d’Israël, daté selon le calendrier hébreu, correspond chaque année à un jour différent du calendrier grégorien. Tous les dix-neuf ans, il tombe le même jour que le mien.Comment raconter ensemble les trois histoires ? Ce n’est

qu’après avoir tourné les éléments documentaires que j’ai commencé à écrire l’armature fictionnelle. La première idée fut celle de la maison, du problème de terrain. Puis m’est venue celle du producteur israélien. Enfin, j’ai contacté le producteur palestinien. Il ne me connaissait pas. Je suis allé le voir à Ramallah. A notre première rencontre, il m’a demandé quels films j’avais faits. Je lui ai dit : Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon. Il ne pouvait pas savoir que c’était ironique, ce n’était pas la meilleure manière d’entrer en relation avec un producteur palestinien. Mais il a vu le film et a donné son accord pour jouer le rôle. J’ai alors commencé à tourner la fiction et aussi la partie sur les maisons palestiniennes en ruine. Je ne l’ai fait que quand j’ai commencé à sentir le montage du film à venir, quand j’ai compris que j’en avais besoin pour soutenir ce montage. A un moment, les deux anniversaires coïncident. En suivant des enfants israéliens qui jouent à la chasse au trésor, je découvre des ruines de maisons israéliennes. Ce jeu fait partie de la célébration de l’Indépendance. Pour faire prendre conscience de cet anniversaire dans les écoles, le Ministère de l’Education a imaginé d’organiser des chasses au trésor, dont les indices, les cartes s’inspiraient d’épisodes de l’établissement de l’Etat d’Israël. Certaines ruines pales-tiniennes de villages détruits faisaient donc partie du récit de la chasse au trésor. Cette séquence constitue le coeur du film : on ne peut pas raconter une histoire sans y inclure la seconde. Selon le point de vue adopté, on passe de l’une à l’autre. Quand on fait le récit israélien, le récit palestinien est là, qu’on veuille le cacher ou pas. C’est ce genre de situation que j’aime dans le documentaire. Vous avez une idée, plus ou moins complexe, que vous cherchez à développer en utilisant des images qui ne sont pas nécessairement liées, et soudain cette idée prend vie sans vous. La méthode est toujours la même, jusqu’à Pour un seul de mes deux yeux : organiser la coexistence de plusieurs événements, faire en sorte qu’ils s’entre-interprè-tent ; donner une interprétation d’une situation en regardant une autre situation, supposée lointaine, mais qui injecte beaucoup de signification dans la première. Ma manière de tourner relève du cinéma direct. Mais au montage, je crée une signification plus complexe, je crée des rapports plus indirects. C’est comme dans une conversation normale : pour décrire quelque chose, pour lui donner du sens, on le compare à autre chose. J’essaie d’utiliser cette forme de langage au cinéma.

XIV XV

JUILLET 2005, PAR TÉLÉPHONE (PARIS-TEL AVIV)

AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E AV I MO G R A B I , U N C O R P S E N C I N É M A O C T O B R E

Entretien avec Avi Mograbi

DEPORTATION

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LES RENCONTRES DU CINÉMA DOCUMENTAIRE OCTOBRE 2005

Avi Mograbi, un corps en cinémaCahier Spécial publié à l’occasion des rencontres du cinéma documentaire d’octobre 2005Cinéma direct, le réel inventé avec le concours de la revue VERTIGO

coordination : Catherine Bizern, Cyril Neyrat

ont collaboré à ce numéro : Hervé Aubron, Safia Benhaïm, Simone Bitton, Emmanuel Burdeau, Cyril Neyrat, Jean-Pierre Rehm, Ariel Schweitzer.

Nous remercions Avi Mograbi, Les Films du Losange, Les Films d’Ici, Thomas Bartel.

Edition : Périphérie «les cahiers de Périphérie»40 rue Hector Berlioz93 000 Bobigny

ISBN : 2-95105711-4-3EAN : 978295157143

maquette : Osideimpression : Autographe.

La circulation de la rétrospective Avi Mograbi, un corps en cinéma dans les salles d’Ile-de-France est orchestrée par l’ACRIF pendant le Mois du film documentaire

L’ACRIF - association des cinémas de recherche en Ile-de-France a été créée en 1981 par des programmateurs de salles de cinéma de la région parisienne et regroupe actuellement une quarantaine d’établissements. Elle a pour objet : d’être un lieu de réflexion ; de soutenir et favoriser la promotion de films novateur et dont la distribution est fragile ; de travailler à l’élargissement et à la formation des publics et des équipes ; d’être une force de proposition et de favoriser, par effet de miroir, la réflexion sur l’identité de nos salles ; de coor-donner Lycéens et Apprentis au cinéma en Ile-de-France, en partenariat avec l’association Cinémas Indépendants Parisiens ; de coordonner le Mois du film documentaire en Ile-de-France. Ses actions ont pu se développer et se poursuivre grâce au soutien de la DRAC et du Conseil Régional d’Ile-de-France.ACRIF - Association des Cinémas de Recherche d’Ile de France57, rue de chateaudun - 75009 Paris - tel : 01 48 78 14 18 - fax : 01 48 78 25 35 e-mail : [email protected]

Les rencontres du cinéma documentaireDéléguée générale : Catherine BizernCoordination : Abraham CohenUne manifestation de Périphérieen partenariat avec le Conseil général de la Seine-Saint-Denisavec le soutien financier du Conseil général de la Seine-Saint-Denis du Conseil régional d’Ile-de-Franceet de la PROCIREP société des producteurs40 rue Hector Berlioz93000 BOBIGNYTel : 01 41 50 01 93Fax : 01 48 31 95 45mail : [email protected] : www.peripherie.asso.fr

La revue VERTIGO est éditée par Images en Manœuvres Editions14 rue des trois frères Barthélemy 13006 [email protected]

Avi Mograbi - filmographie

Avenge but one of my two eyes (Pour un seul de mes deux yeux) 2005 - 100 minutes, 35mm, documentaire

Detail 42004 - 5 minutes, vidéo, documentaire

Details 2&32004 - 9 minutes, vidéo, documentaire

Detail2004 - 8 minutes, vidéo, documentaire

August (Août, avant l’explosion)2002 - 72 minutes, 35 mm, documentaire

Wait, It’s the soldiers, I have to hang up now.2002 - 13’, vidéo, documentaire

At the back 2000 - 32 minutes, vidéo, installation

Will you please stop bothering me and my family 2000 - 7 minutes en boucle, vidéo, installation

Relief1999 - 5 minutes en boucle, vidéo, installation

Happy Birthday Mr. Mograbi 1999 - 77 minutes, 16mm, documentaire

How I learned to overcome my fear and love Arik Sharon (Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon)1997 - 61 minutes, vidéo, documentaire The Reconstruction (L’affaire criminelle Danny Katz)1994 - 50 minutes, vidéo, documentaire Deportation1989 - 12 minutes, 16 mm, fiction

Des films à découvrir

les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

Est-ce qu’on a gagné ou est-ce qu’on a encore perdu ? DE CLAIRE SIMONFrance, 2005, Beta num, couleur, 40’, prod : Claire Simon - SRF

Militants, réalisateurs, acteurs, techniciens, sénateurs, députés, syndicalistes : tous sont venus se faire entendre sur la Croisette pendant le festival de Cannes 2004. En point d’orgue : une conférence de presse mémorable. Bien sûr, le film ne répond évidemment pas à la question, mais il donne à voir d’une manière saisissante un instant de la lutte des intermittents du spectacle contre la réforme de leur assurance-chômage.

Gare du Nord DE JEAN ROUCHFrance, 1964, 16 mm, 16’, in Paris vu par... prod : Les Films du Losange

Une jeune femme, ambitieuse, rêve d’une vie meilleure. Elle rencontre par hasard, rue de Maubeuge, un jeune bourgeois qui lui propose de partager avec elle la vie dont elle rêve.

Comment filmer l’engagement, la manifesta-tion d’une parole sans tomber dans ledouble piège de la propagande ou d’une neu-tralité désengagée ? L’indétermination du titre dit avec subtilité où se situe le travail documentaire de Claire Simon : filmer le mouvement de la parole, la construction du débat, la conception de la lutte (de la conférence de presse au débat interne en passant par la manifestation de

rue) comme autant de passages vers un mieux hypothétique (l’aboutissement des négociations). Tout en choisissant clairement son camp : le «on» du titre signe sa volonté d’être avec (les intermittents), d’opter clairement pour qui et quoi filmer sans exclure pour autant la parole de «l’ennemi» (la séquence avec Donnadieu de Vabres).«Gagné», «perdu» ? La posture documentaire

de Claire Simon ce n’est pas le ciné-tractou l’agit-prop, ni même un cinéma d’intervention. Au contraire, ici rien n’est jamais joué. Le documentaire y est à la fois l’enregistrement net et précis d’un combat, avec ce que cela implique de choix moraux et politiques (le qui et quoi filmer), et une manière de laisser place au travail du doute inhérent au réel, le flottement, les contingences, tout ce qui vient buter contre la nécessité (de la lutte). En dernière instance, les militants eux-mêmes ne s’accordent pas pour savoir s’il faut juger heu-reuse ou malheureuse l’issue des négociations qui se préparent. Impression douce-amère toute entière contenue dans cet «encore» qui doute.

Jean-Sébastien Chauvin

SOIRÉE D’OUVERTURE

EST-CE QU’ON A GAGNÉ OU EST-CE QU’ON A ENCORE PERDU ?

GARE DU NORD

CHABADA, LA VIE DES HOMMES

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les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

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les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

Un été silencieux DE STÉPHANE BRETON France, 2005, DV Cam, couleur, 52’, VOSTF, prod : Les Films d’Ici en coprod avec Arte

La caméra en guise de carnet de note, Stéphane Breton est au Kirghizstan. Il passe les quelques mois de l’estive, dans la soli-tude des montagnes auprès d’un vieux couple de bergers dont il ne parle pas la langue et leurs jeunes employés.

SOIRÉE DE CLÔTURE PREMIERS FILMS

Le sujet du film n’est rien d’autre que ce qui pourrait avoir lieu n’importe où. Ce qui est propre au Kirghizstan n’est qu’une toile de fond sur laquelle se détache, dans une lumière pure et par grand vent, la solitude d’hommes et de femmes contraints à vivre ensemble et qui se croisent sans toujours échanger des regards. Ce fut aussi le cas du cinéaste, qui s’est trouvé là presque par hasard et qui, accueilli avec un curieux mélange de douceur et d’indiffé-rence, n’a jamais eu l’impression de déranger ses hôtes. Il le regrette un peu. Il ne leur en veut pas : ils ont tout partagé avec lui.De ces circonstances froides, il reste dans le film quelques traces. La première tient à un jeu d’échelle. Au milieu d’un paysage perdu dans l’infini se trouve un campement minuscule, une tente de feutre, un enclos, un piquet pour le cheval et un samovar posé dans l’herbe. On a le sentiment d’être enfermé dans une immensité. L’espace est élastique. On voit les choses de loin ou de beaucoup trop près. La deuxième trace tient par conséquent à la manière de voir. Le cinéaste qui observe ne voit pas son regard retourné. On ne lui parle pas, il ne s’adresse à personne. Il est pourtant là, cela se sent, cela se voit, car il regarde des choses qui sont trop infimes pour s’imposer d’elles-mêmes, elles ont donc un auteur. Il assiste parfois à une scène dramatique — mort d’une vache, dispute, séparation —sans que sa pré-sence change quoi que ce soit. Il n’est donc qu’un œil, avec quelqu’un derrière, peut-être. Stéphane Breton

Chabada, la vie des hommes DE PHILIPPE CRNOGORAC France, 2004, DV Cam, couleur, 57’, prod : Pyramide Production en coprod avec Regard Nomade et France 3 Sud.

Ils se sont rencontrés au refuge de Tonio, alors que Bertrand marchait dans les Pyrénées. Ils ont passé la soirée ensemble à discuter de musique et de montagne et le lendemain matin, le marché était conclu : Bertrand vien-drait vivre avec Tonio dans le refuge lors de la prochaine saison d’avril à octobre. Il lui apprendrait la batterie, il lui apprendrait la montagne. Philippe viendrait aussi et filmerait le séjour.

Chabada, la vie des hommes, est un film qui ne ressemble à rien de connu : dans un lieu improbable- un refuge de haute montagne - deux types, deux «gars» appren-nent l’un de l’autre, ce que juste-ment l’autre ne sait pas. L’un ignore tout de la montagne, l’autre ignore tout de la batterie. Qu’est-ce que c’est qu’une amitié entre deux «gars»? Là où les filles papotent, les garçons «chabadisent» : ces deux-là, en tout cas, s’obstinent à perfectionner leur «Chabada» - un rythme particuliè-rement difficile de batterie - comme des petits garçons construisent des châteaux en Lego.Chabada est un film sur le Masculin (comme on dirait le Féminin). Chabada est un film qui fait aimer les garçons. Les garçons entre eux. Du coup, pour moi qui suis une fille - une papoteuse - il raconte l’écart entre les êtres. C’est-à-dire, et mine de rien, l’altérité. Sur une marge inconnue de notre monde - la montagne si loin, si proche -

(je pense à cette étrange et lou-foque cérémonie de remise de médaille à un berger), les deux garçons n’arrêtent pas d’interroger le temps, la météo bonne ou mauvaise - qui influe sur l’humeur, la leur, et de retravailler leur «chabada», jusqu’à l’obsession. Du récit de cette obsession, Philippe Cnrogorac fait un petit moment de poésie drolatique, qui, pour moi, a quelque chose de Maine-Océan de Jacques Rosier. Le film saisit le moment rare d’une l’amitié qui se cherche, se trouve, s’échappe, s’affronte, se retrouve et puis s’en va. Là-haut sur la monta-gne, les deux garçons se regardent l’un l’autre, mais comme disait Renoir «chacun a ses raisons». L’écart entre eux reste irréductible. Manuela Frésil

Ghislain et Liliane, couple avec pigeons D’EVE DUCHEMINBelgique, 2005, mini DV, couleur, 29’, Prod : Atelier de réalisation – INSAS

Ghislain, soixante-treize ans, est colombophile. Liliane, sa femme, n’a jamais été «férue de ces bêtes-là». Ils sont donc trois : Ghislain, Liliane, et les pigeons. Ils sont quatre avec Eve Duchemin qui aime et qui questionne, et nous fait partager avec justesse leur état et leurs états d’âme.

À la question : pigeon vole ? On ne sait quoi répondre. Quarante ans de mariage, quarante ans de vie commune, à trois, dans une maison. Ghislain, Liliane et les pigeons : trois entités pour un double lien, si tu m’aimes, ne m’aimes pas, arrête, n’arrêtera pas.

Qu’est-ce que l’amour conjugal ? Qu’est-ce que vivre à côté d’un passionné ? Celle qui questionne c’est Eve, la réalisa-trice. C’est sa voix qui nous frappe d’abord, qui touche juste, titille ; avec la franchise d’une enfant, de l’innocence qui ose demander. La mort, la perte. Qu’est-ce qui nous tient ? À quel moment on renonce, en quoi la crise resserre la relation ? Eve c’est la “petite fille” qui donne à Ghislain et Liliane la possibilité de décrire, de parler, de partager. De transcender leur enfermement anthropophage qui va jusqu’à manger leurs propres enfants-pigeons. Eve accompagne et questionne avec sa voix et avec son corps. Elle se tient près d’eux, en face. Elle les individualise, en leur offrant des cadres uniques où ils se trouvent avec eux-même et leur image, deviennent un et un, pour un jour pouvoir être à nouveau deux, côte à côte. Abraham Cohen

Donner le jour DE MARTIN VERDETFrance, 2005, DV Cam, couleur, 78’, prod : Chaz production.

Donner le jour raconte un passage, celui de la mort à la vie, celui du deuil à la naissance. Martin Verdet chronique un espace et un temps, entre la mort de sa mère et la nais-sance de son fils. Un film comme une invitation à se raconter sa pro-pre histoire.

Le film de Martin Verdet, «Donner le jour» traverse ce temps qui, de la mort de sa mère à la naissance de son fils, emmêle jour après jour, la matière du deuil à la matière de la vie. Ce film est un film rare, rare par l’émotion qu’il provoque, la qua-lité de cette émotion qui toujours se nourrit d’une élaboration formelle, d’un travail sur la forme dont la beauté nous saisit d’emblée comme énigme et comme révélation. Fragments de temps, fragments qui puisent, dans la poésie invi-sible du quotidien, la densité de chaque instant, la densité du monde, cette opacité du Réel, ce que nous ne pouvons pas dire, ce qui nous échappe infiniment… Ce que, par l’art seulement, nous croyons saisir, entrapercevoir, dans la fulgurance d’une forme que rencontre une émotion. Ce qui nous atteint tous, pour peu que nous acceptions de nous y abandonner, tant cela touche au plus intime, au plus archaïque, à l’endroit même où se tissent en nous la vie et la mort. Anne Baudry

Ma vie est mon vidéo-clip préféré DE SHOW-CHUN LEEFrance, 2004, DV, VOSTF, Couleur, 48’, prod : Sunday Morning Productions

«Je m’appelle Ren Liping, je suis née à Zhejiang en Chine. Je suis arrivée en France en 1999. J’avais dix-sept ans. C’est le rêve de beaucoup de chinois, on pense que la vie en France sera meilleure. C’est pour cela que je suis ici. Mes parents ont fait appel à un passeur. Le voyage a duré plusieurs mois. Mais nous avons fini par arriver en France, dans mon Eldorado…». Et au-delà du témoignage, comment rendre comp-te de ce qu’est la vie d’une jeune fille chinoise sans papier à Paris depuis six ans ?

A l’Ouest des rails, Yanmo, Floating Dust, les films documentaires chinois que nous avons pu découvrir dans les festivals ces derniers temps, nous donnent à voir et à comprendre, au-delà de la situa-tion en Chine, l’état du monde aujourd’hui. Avec Ma vie est mon vidéo-clip préféré, Show-Chun Lee amène un chaînon supplémentaire à cette vertigineuse histoire de mutation du monde. Des jeunes gens sans voix et sans visage ici, pour une reconnaissance infinie et tous les attributs du capitalisme occidental portés par la famille, là-bas. Envoyer ses enfants travailler dans des ateliers clan-destins en Europe a développé en Chine des rituels et passages obligés marquant la réusssite : le parfum Dior et le costume

Yves St Laurent rapportés à la première visite, le vidéo-clip du mariage fastueux (grande réception et Cadillac) envoyé aux parents. Mais avant cela, il y a le risque du passage au tarif faramineux, la vie dans des caves aménagées pour un travail sous-payé mais sans relâche et la solitude devant les vitrines de ces fringues fabriquées, convoitées et inaccessibles. C’est ce que raconte Ren Liping filmée par Show-Chun Lee. Et bien plus encore. La réa-lisatrice lui rend son visage, la filmant bien droite face caméra, elle lui redonne aussi et sa part de vie réelle et sa part de fantas-me. Ren Liping n’est pas qu’une jeune sans papier chinoise qui ose témoigner, c’est une femme qui travaille avec des gestes sûrs, qui rêve et qui a des secrets, de la rage, de la souffrance et des pen-sées tues. Show-Chun Lee joue des dispositifs narratifs pour rendre à Ren Liping toute la complexité de sa personne n’hésitant pas à emprunter à la télévision et au karaoké procédés et formes pour mieux faire échapper la jeune fille à la seule image de clandestine à laquelle toutes ses conditions d’existence tendent à la réduire. En cela, Ma vie est mon vidéo-clip préféré est un film éminemment libre. Catherine Bizern

DONNR LE JOUR

UN ÉTÉ SILENCIEUX

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les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

Comment, chez Cavalier, les objets inanimés, cette apparente prédominance de l’anecdote peuvent-ils à ce point ouvrir sur l’abyme ? Comment, dans La Rencontre et Le Filmeur, ce réel frontalement mis en boîte – certes ensuite monté et organisé dans le secret de la salle de montage mais filmé dans un rapport direct, «irréfléchi» et spontané aux choses – comment ce réel immédiat peut-il générer autant de pièces vides et désolées que Ce répondeur ne prend pas de message, produire une épaisseur qui interroge le monde ? La voix elle-même ne fait qu’énoncer trivialement les choses sans chercher à les interpréter, avec cet air de pas y toucher, ce ton faussement neutre et objectif qui jamais ne juge ce qu’il y a là, devant nous, dans l’évidence de la lumière. Le montage à son tour, donne le sentiment d’associer ces choses déconnectées les unes avec les autres sans chercher à forcer le sens de telle ou telle association. Le réel a l’air de s’écouler, chronologique (La Rencontre), en forme de kaléidoscope (Le Filmeur) mais aléatoire et impartial. Aléatoire, impartial ? Pas tout à fait en réalité. Il y a chez Cavalier, une manière finement intervention-

niste, tapie derrière l’apparente littéralité de ses images, de pointer les faits et les choses. Deux chèques signés en miroirs par lui et sa compagne (La Rencontre), un poudrier dans le même état de décrépitude que sa propriétaire (Le Filmeur), ses films sont construits comme des chambres d’échos : les corps, les faits, les choses s’y répondent à distance car invariable-ment ils font signe, empêchés dans leur neutralité par la voix d’Alain Cavalier qui les ramène sans cesse à la profondeur d’une histoire dont ils sont les témoins. Un voix, mais aussi une distance réduite à son minimum entre le filmeur et le

filmé si bien que, par la mise en valeur de sa présence (sa voix, son souffle), Cavalier donne le sentiment de toucher ces objets, d’être dans un rapport de connivence avec eux. A contrario, si Ce répondeur ne prend pas de message est si vif et écorché, c’est qu’il nie rageusement et de manière cinglante le moindre signe (par exemple : dépecer méthodiquement une chaise) et va jusqu’à effacer le monde. La méthode éprouve, à l’instar du cinéma direct, un rapport instantané au réel (le film est tourné-monté, filmé sans montage a posteriori) : c’est dire si la violence infligée à ce qui plus tard préservera le souvenir (le système des «objets») est envisagée comme un geste brut, direct, sans médiation, restitué dans sa plus extrême immédiateté.D’ailleurs dans Ce répondeur, c’est le corps même du cinéaste qui est dépossédé de ses prérogatives. Un homme invisible, un corps mutique fait de bandelettes qui, plus tard, deviendra une voix, une présence peut-être invisible à l’œil mais chaude (La Rencontre) et qui plus tard encore (Le Filmeur) se muera en corps, exposant les stigmates de ses opérations chirurgicales infligés au visage du cinéaste. Stigmates, traces, c’est cela en définitive que cherche Cavalier. Filmer de près, en gros plan, réduire un corps à ses détails : façon pour Cavalier de toucher à la vérité physique des choses (une peinture écaillée, des chairs affaissées, une montre arrêtée), de quitter en quelque sorte le système des images pour celui des objets et ainsi abolir la distance qui sépare la chose de sa représentation. Du cinéma direct en quelque sorte… Jean-Sébastien Chauvin

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Ce répondeur ne prend pas de messages France - 1979 - 35 mm – Couleur - 77’ - prod : Xavier Saint-Macary

Un appartement aux murs blancs, sous les toits. Peu de mobilier, quelques objets. Une voix-off parle de femmes connues dans le passé. Un homme apparaît, la tête entourée de bandelettes : seuls les yeux sont dégagés. Le personnage, muni d’un rouleau et d’un seau de peinture noire commence à enduire les portes.

La RencontreFrance - 1996 - DV – Couleur - 75’ - prod : les films de l’astrophore

Un homme rencontre une femme. Par petites touches, il filme avec sa caméra vidéo des moments de leur vie. Seules les voix des protagonistes accompagnent ce reflet filmé de leur quotidien : des objets, des paysages, des bribes de corps composent une chronique intime de la vie d’un couple, vue précisément par l’homme, qui se trouve être cinéaste.

Le FilmeurFrance - 2005 - DV – Couleur - 100’ - prod : Camera One, Pyramide productions

Plus de dix ans d’une vie et de journal filmé. Chaque plan accompagne le cours de la vie, le suivant et impossible à prévoir. «J’ai découvert que lorsque les prises de vie en direct sont réussies, elle rejoignent les lois anciennes de la dramaturgie. Ces principes viennent sans doute d’une observation juste de la nature humaine» A.C.

Alain Cavalier, un homme en direct

Les années 90 : l’échappée française

LIVE UNE SÉRIE INITIÉE PAR PHILIPPE GRANDRIEUX France, 1991, Hi8, N&B et couleur, VOSTF, 6x60’, prod : La Sept-Arte

L’idée initiale de LIVE remonte à un projet de télévision : je voulais ouvrir l’antenne, tard dans la nuit, à du pur direct. Il n’y a pas de degré entre les événements, un crash d’avion, le discours de Chirac, une vague sur la plage, le soleil et son ombre portée, tout peut-être pensé dans une certaine équivalence, le monde comme défait de toute intentionnalité. N’existe alors que la puissance de l’être-là qui elle peut être saisie par la durée. Sans aucune maîtrise sur le plan, nous aurions diffusé deux ou trois plans très simples, par exemple un carrefour à Hong Kong alors que le jour se lève, un homme, la nuit, à sa table entrain d’écrire, une réunion dans un bureau à Los Angeles… tout ces événements se déroulant simultanément, en direct. La puissance de la télévision me semble essentiellement tenir à sa définition même, à sa possibilité technique de représenter le monde ici et maintenant, dans le flux même de sa durée. D’une certaine manière ce projet préfigurait ce qui est aujourd’hui possible avec les webcams. Ce projet de télévision qui n’a pas vu le jour, allait à l’encontre de toute idée de programme, de case et de contrôle des contenus. Sans doute était-ce bien trop subversif.

C’est grâce à André Harris, alors directeur des programmes de la Sept-Arte, que LIVE a pu voir le jour. En proposant des films d’une heure en plan séquence, sans aucune post-production (tel que le plan était tourné il était diffusé), restait cette idée forte de la perte de la maîtrise et cela à plusieurs niveaux. En terme de production, il n’y avait aucune maîtrise possible sur le contenu ni de ma part, en tant que producteur, ni de la part de la chaîne. La commande passée (un film d’une heure sans aucune coupe, ni post-production, et 15000 Euros pour chacun) le film était soit accepté tel quel, soit refusé (deux l’ont été) mais il échappait à tout contrôle possible, tout accommodement.

La perte de la maîtrise se jouait dans le dispositif lui-même. Il est impossible de «contrôler» ce qui se passe dans le plan durant une heure. Il s’agissait de saisir de façon intuitive la réalité et de travailler sur le rapport durée/temporalité. Par ailleurs, je voulais que des cinéastes, des docu-mentaristes mais aussi des photographes et des artistes participent à ce travail. Certains ont tenté de détourner la commande, en filmant des acteurs (Robert Franck It’s true) en faisant du montage en direct (Robert Kramer Berlin 10/90) mais la dimension de la performance, l’idée «d’y arriver» est inscrite dans chaque film.

14 films ont ainsi été produits. Les plus «radicaux» — je pense en particulier à celui de Dwoskin, magnifique, qui filme durant une heure le visage silencieux de sa monteuse (Anthéa’s face) — n’ont jamais été diffusés à la télévision.

Philippe Grandrieux, propos recueillis le 12 septembre 2005

La lettre jamais écrite DE DOMINIQUE DUBOSC56’, prod : La Sept-Arte / Kinofilm

Dominique Dubosc filme la maison au japon qui était celle de son père : les arrange-ments floraux dans le jardin, les objets personnels, les livres et les documents dans le bureau, et l’épouse avec laquelle il a fini sa vie. Un film comme cette lettre que son père aurait pu lui adresser.

La Place Rouge DE DANIELE INCALCATERRA64’, prod : La Sept – Arte / Prony Production

Moscou. La Place Rouge. Le 3 août 1990. Entre 16h et 17h. Une foule de gens venus des quatre coins du pays attendent dehors de pouvoir se plaindre de leur situation dif-ficile à l’administration. Une femme au milieu concentre l’attention. On l’accuse d’avoir montré ses seins. Elle s’en défend…

LA PLACE ROUGE

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LE FILMEUR LA LETTRE JAMAIS ÉCRITE

les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

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les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

À l’époque, j’étais chargée de programme à l’unité documentaire d’Arte, et je me souviens que c’est en discutant avec Paul Ouazan, que nous avons eu l’idée de cette série LA ROUE.Il s’agissait pour nous de faire des propositions typiquement télévisuelles, en jouant sur les durées et sur les formes. Il me semble qu’il est absolument nécessaire pour faire évoluer les dispositifs propres à la télévision de faire des expériences qui portent à la fois sur les objets eux-mêmes mais aussi sur leur programmation.

Et à mon avis, ce type de recherche est difficile à faire à l’extérieur de la chaîne. Il faut avoir à la fois un regard de producteur et un regard de programmateur — c’est sur cette base-là en tout cas que nous travaillons aujourd’hui au sein de l’ate-lier de recherche d’Arte avec Paul Ouazan.Pour LA ROUE, nous avons donc, en liaison avec AMIP et Xavier Carniaux, proposé à des documentaristes dont le tra-vail témoignait d’une écriture singulière et d’un vrai regard, de jouer le jeu et d’accepter les contraintes formelles et les contraintes de production

liées à une collection de télévision. Il leur fallait travailler cet écart entre leur écriture propre et notre demande, c’est-à-dire de se coltiner à la télévision. Il y avait aussi un vrai challenge à s’attaquer, au sein d’Arte, à un domaine populaire, le sport, et d’en montrer ce qu’il y avait d’autre à voir que ce que la télévision en montre habituellement. Cela aussi était vécu par les réalisateurs comme une gageure. Nous avons donc proposé à 21 réalisateurs (puisque la série devait être diffusée pendant le Tour de France, à raison d’un film par soir) de faire le «portrait» d’un cycliste. La contrainte

était forte : partir seul, faire un portrait en trois jours voyage compris, sans aucun repérage préalable, et avec quatre jours de montage pour un film qui ferait 8 minutes à l’arrivée, mais, à l’intérieur de ce cadre, la liberté était complète. Nous avons décidé de fabriquer ces sujets l’hiver – il y avait aussi des impératifs de production –, au moment où chaque cycliste est chez lui à s’entraîner seul, ce qui permettait d’être en décalage par rapport aux images habi-tuelles des coureurs toujours en course, encadrés et en équipe. Cela avait aussi la vertu de proposer aux réa-lisateurs non pas tant un portrait qu’une rencontre. Nous ne cherchions pas des films formatés mais des films qui se laissent guider par la rencontre. Le piège était de vouloir à tout prix retrouver la forme classique du documentaire et bien sûr il fallait éviter de tomber dans les travers du reportage et de l’information. Cela n’a pas toujours été facile. Ce qui donne au final une collection assez cohérente mais avec des films très différents dans lesquels la pâte de chaque réalisateur se reconnaît très fortement.

Claire Doutriaux Propos recueillis le 14 septembre 2005

les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

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Vas-y Lapébie ! DE NICOLAS PHILIBERTFrance, 1988 , 16mm, couleur, 27’, prod : MC4 en coproduction avec Pathé et Canal +

Nicolas Philibert n’a pas participé à la collection La ROUE. En revanche, quelques années auparavant, en 1988, il avait filmé Roger Lapébie, vainqueur du tour de France en 1937. Ce film réalisé pour Canal+ vient fort à propos compléter la série de portraits de jeunes cyclis-tes réalisée pour Arte.

Le projet de La loi du collège reposait pour une part sur la durée de son tournage. L’idée était de filmer dans un collège, tous les jours, durant une année scolaire entière, des histoires qui auraient à voir avec la discipline et son application. J’étais con-vaincue que seule cette durée de tournage pourrait me permettre de dégager des his-toires au-delà de l’anecdote, de comprendre l’ampleur de ce qui était en jeu dans la réso-lution des problèmes de discipline, et aussi de travailler réellement avec les différents protagonistes du collège. Il faut dire qu’en 1994, les caméras ne rentraient pas comme aujourd’hui dans les classes des écoles. A l’époque, s’il y avait eu des reportages sur les professeurs, aucune caméra n’avait passé du temps dans les écoles, surtout pas dans les classes et dans les réunions importantes comme les conseils de discipline ou conseils de classe. C’était un lieu «tabou» et cette idée de filmer durant un an dans un collège n’était pas facilement acceptable ni pour les acteurs de la vie scolaire, ni pour ceux de la

télévision.En ce qui concerne le collège, j’ai dû en visiter une cinquantaine avant de trouver celui où m’installer avec mon ingénieur du son pendant un an. C’était difficile car il ne s’agissait pas tant de trouver un Principal qui accepte qu’un Principal qui y trouve aussi son intérêt. Mr Duattis, le Principal de Garcia Lorca, désirait ce film justement parce qu’il se déroulerait sur une année entière :

Table Ronde : Le cinéma direct, la liberté et la contrainteAVEC RICHARD COPANS, LEONARDO DI COSTANZO, CLAIRE DOUTRIAUX, DENIS GHEERBRANT, PHILIPPE GRANDRIEUX, DANIELE INCALCATERRA, NICOLAS PHILIBERT, CLAIRE SIMON ET MARIANA OTERO

LA ROUE

LA LOI DU COLLÈGE FEUILLETON DOCUMENTAIRE DE MARIANA OTEROFrance, 1994, 5x 26‘, prod : Archipel 33 en coproduction avec le centre Georges Pompidou, Périphérie et la Sept-Arte

LA ROUE UNE SÉRIE PROPOSÉE PAR CLAIRE DOUTRIAUX France, 1993, Beta SP, Couleur, 24x8’, prod : Amip en coproduction avec la Sept – Arte

il avait envie d’un regard extérieur mais tota-lement immergé qui lui raconte une année du collège afin de mieux comprendre ce qui au bout du compte lui échappait toujours : que s’était-il donc passé entre le premier jour de la rentrée et le dernier jour, quand il refermait les portes ? Pour ce qui est de la production, Denis Freyd a tout de suite saisi l’enjeu du film. Du côté des diffuseurs, en particulier en la personne de Claire Doutriaux, qui travaillait alors dans l’unité documentaire de Thierry Garrel, Arte a accepté le défi et le risque d’engager le financement pour un tournage d’un an. C’est assez rare aujourd’hui pour être souligné : ce n’est pas la case qui dictait la somme allouée par la chaîne mais bien le projet de film.Après le tournage, j’avais à peu près 200 heures de rushes dont une centaine tour-nées pendant les cours, une cinquantaine qui correspondaient à des débuts d’histoires sans suite, et une cinquantaine à partir desquelles le montage allait se faire, en vue d’un film normalement d’une heure et demie.Si l’enjeu de chacune des histoires filmées était toujours le même - à savoir maintenir l’ordre au collège - les protagonistes, les conflits et leurs résolutions variaient d’une histoire à l’autre et donnaient à voir et à penser à chaque fois des questions spéci-fiques quant à l’application de la loi dans un établissement scolaire. Au début de l’année, c’étaient plutôt des élèves en particulier que le collège percevait comme «perturbateur», une autre fois c’était une classe et une autre fois, «l’éducation nationale» elle-même. La question au montage était de savoir comment, dans quel ordre monter ces histoires et surtout, s’il fallait les mélanger ? Si nous mélangions les histoires, nous rendions la dimension dramatique et les articulations à l’intérieur de chacune d’entre elles beaucoup moins perceptibles. Et plus grave, cela n’allait pas dans le sens de mon projet. Car l’important dans La loi du collège n’est pas tant de savoir ce qui va arriver

(un tel va - t’il être renvoyé, etc ?) que de faire comprendre comment cela arrive, par quel type de décision et de raisonnement. L’important ce ne sont pas les faits mais les paroles. Ce sont les échanges, les réflexions, leurs rebondissements, leurs contradictions, qui constituent l’action réelle du film. Entremêler les histoires c’était prendre le risque que le spectateur oublie l’essentiel, ce qui avait été pensé et dit dans les scènes précédentes. D’un autre côté, un film qui juxtaposerait des his-toires les unes derrière les autres n’était pas satisfaisant formellement : on finirait par se lasser et par ne plus «entendre».Claire Doutriaux et Thierry Garrel, lors de notre première projection de travail, ont tout de suite perçu la difficulté de ce montage : soit l’on privilégiait la construction au détriment du sens, soit l’on privilégiait le sens au détri-ment de la construction. C’est alors que Claire a proposé un «feuilleton documentaire», forme utilisée pour la fiction mais non pratiquée à l’époque en documentaire. C’était une belle manière de faire exister la matière filmée et en plus c’était tout à fait jouissif d’un point de vue télévisuel. Arte a donc créé une case feuilleton pour diffuser La loi du collège.Après le relatif succès de cette diffusion, Arte a voulu pérenniser cette case et a commencé à demander aux réalisateurs de filmer en vue de «feuilletoner» : la situation s’inversait. La télévision allait imposer une écriture du monde aux réalisateurs au lieu de se servir du travail des réalisateurs et des contraintes qu’il s’inventent dans leur travail, pour inno-ver la télévision elle-même.

Mariana Otero septembre 2005

épisode 2 : octobre-novembre. Le collège a mis au point un ensemble de méthodes pour dialoguer avec les élèves et résoudre les problèmes individuels. Mais Victor, souffre-douleur de ses camarades, invente un décès dans sa famille pour ne pas venir en classe. Mehdi, intelligent et rebelle, doit quitter le collège deux mois après la rentrée pour un établis-sement réservé aux cas difficiles.

épisode 4 : deuxième trimestre. Un incident avec la classe de quatrième tech-nologique conduit à l’exclusion de tous les élèves, qui ne seront réadmis qu’à condition de signer un contrat en présence de leurs parents. Les professeurs décident de se met-tre en grève et de faire pression sur le niveau supérieur, l’inspection d’académie.

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Les années 90 : l’échappée française

les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

LA LOI DU COLLÈGE

Greg Lemon PAR ROBERT KRAMER 8’, Santa Rosa, Californie, Janvier 1993

La famille Simon PAR JEAN GAUMY 8’, Mesnil Saint Loup, Champagne, Mars 1993

Brian Holm PAR PHILIPPE GRANDRIEUX 8’, Temse, Belgique, Fevrier 1993

Thierry Claveyrolat PAR DENIS GHEERBRANT 8’, Vizille, près de Grenoble, Mars 1993

Vatcheslav Ekimov PAR RICHARD COPANS 8’, Gand, Belgique, Janvier 1993

Richard Virenque PAR CLAIRE SIMON 8’, La-Londe-les-Mores, Provence, Janvier 1993

Claudio Chappuci PAR LEONARDO DI CONSTANZO 8’, Uboldo, Lombardie, Janvier 1993

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les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

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DES CINÉASTES DANS «L’ÉDUCATION À L’IMAGE»Projections et table ronde

Le nom que j’ai reçu présenté par Pierre Primetens

Depuis plus d’un an, j’anime des ateliers de réalisation. J’aime m’adresser à un public qui n’aurait pas autrement accès à ce type d’action, ainsi qu’à chaque fois trouver des sujets et des dispositifs differents. Le plus impor-tant pour moi est que chaque participant sort changé de l’expérience. Le cinéma et les questions d’éducation à l’image ne sont que les moyens de les emmener vers de «l’ailleurs». J’ai cet été animé un atelier dans une mission locale à Orléans. Ils ont en charge la réinsertion de jeunes en difficulté. J’ai travaillé pendant 8 jours avec 10 jeunes en recherche d’emploi. Le thème de l’atelier était «le nom que j’ai reçu». J’ai tout de suite souhaité qu’ils se filment et nous racontent ce qu’ils savaient de leurs noms. Au visionnage, ils ont été frappés par les trous dans les récits, les approxima-tions. Alors ils sont partis enquêter sur l’origine et les significations de leurs noms, autant d’un point de vue «historique», qu’auprès de leurs familles. Ils ont regroupé des objets ou des images liés à leurs histoires. Ils ont trouvé d’autres personnages, de préférence inconnus, pour en réaliser des portraits. Ils ont tous mis en scène plusieurs petits films. Nous avons convenu que leurs dispositifs seraient le plus simple possible : plan séquence sur les personnages qui nous parlent. Ils ont constaté que quelque chose de fondamental s’était joué ici. En enquêtant sur leurs noms, ils ont réorganisé ce qu’ils sont. Ils se les ont réap-propriés. À présent ils peuvent se nommer et nommer toutes les choses autour d’eux.

Le nom que j’ai reçu est un atelier de réalisation à l’attention de jeunes de 18 à 25 ans, en recherche d’emploi, organisé par l’APCVL, la mission locale d’Or-léans et l’ADAMIF dans le cadre de Cinéville.

Travaux de terminales option cinéma présenté par Daniel Cling

«Apprends, enseigne, ou pars». Cette devise écrite sur le fronton de l’école d’un poète anglais du 17e m’inspire toujours. Quand je me trouve devant des lycéens, je me demande si j’enseigne, et si après tout j’en suis capable ; car cette question est légitime pour celui dont la formation ne l’a pas conduit nécessairement à exercer cette fonction. Et puisque je ne pars pas – à moins qu’on ne me chasse, ce qui ne m’est pas encore arrivé mais qui pourrait se produire, étant donné les baisses continuelles de moyens accordés au cinéma dans les lycées –, si je n’enseigne ni ne pars, donc, j’en déduis que je dois apprendre quelque chose. J’y apprends le monde enseignant, j’y apprends à connaître une génération, ses coutumes, ses aspirations, ses centres d’intérêts, ses peurs et ses certitudes, sa culture des images aussi ; en cela elle m’ap-prend beaucoup. Car elle est pétrie d’images, dans la position exacte de celui qui connaîtrait plusieurs langues sans les parler. J’y apprends que je peux livrer quelques éléments de grammaire et ce faisant, j’essaie d’écrire la mienne, d’images et de mots. Les poètes en savent quelque chose. Quand le peintre Degas s’inquiéta auprès de son ami Mallarmé de son incapacité à écrire malgré la quantité d’idées qui se bousculaient dans son cerveau, ce dernier lui répon-

dit que la poésie ne s’écrivait pas avec des idées mais avec des mots. C’est peut-être cela que j’apprends : tout simplement à mettre des mots.

Les deux courtes fictions proposées ont été réalisées pour le baccalauréat option cinéma dans des contextes très différents. Le premier film a été réalisé par des élèves du lycée Buffon dans le 15e arrondissement de Paris sur le thème imposé «ville intime», et le second par des élèves du lycée de l’Hautil dans le Val d’Oise, sur un thème de leur choix, mais dont la forme devait s’inspirer du cinéma japonais.

Voyage au pays des ados présenté par Gérard Preszow

D’octobre 2004 à juin 2005, le Sas m’a proposé de mener un atelier vidéo. Le Sas est un projet pilote, dépendant de l’Aide à la jeunesse et de l’Enseigne-ment, de prise en charge des jeunes en décrochage scolaire. Contrairement aux usages de la maison qui privilégient les pratiques collectives, j’ai proposé un atelier individuel : tout d’abord je vois le jeune, en tête à tête, pendant environ une heure trente, de semaine en semaine. J’accepte d’emblée le sujet qu’il propose : «ne réfléchis pas trop, dis-moi ce que t’as en tête». A partir du sujet proposé, il s’agit de passer du récit de vie à une scénarisation filmique. Peu à peu, un film naît dans l’imaginaire et je sens que derrière le sujet proposé un enjeu de vérité se love. Je joue au producteur : on ne passera à la réalisation qu’au moment où je sens la maturité de l’élaboration, où moi-même je «vois» le film. C’est la caméra et la perspective de réaliser un petit rêve qui nous fait parler. Le film du jeune est l’histoire d’une rencontre entre lui, moi et la caméra. Le Sas n’est pas l’Insas. L’objectif n’est pas de former techniquement des cinéastes mais de proposer aux jeunes de vivre une expérience grâce à la caméra. Enfin, et avant tout, il n’y a pas de recette pour mener un atelier, sinon le pari sur une démarche cohérente et radicale à laquelle se tenir. Chaque film induit son dispositif, sa forme et la place du jeune et de l’adulte (l’animateur). L’adulte occupe l’espace laissé vacant par le jeune : «simple» compagnon du voyage, technicien caméraman, coréalisateur (par la pensée du cadrage), coscénariste… On pourrait dire que les jeunes sont «au film» comme ils sont au monde.

IPPJ Le retour : en retournant filmer l’IPPJ où il a séjourné par deux fois, Damien s’est saisi de la caméra, a été extrêmement actif au montage et témoigne d’un instinct quasi brut de l’image. Damien a réalisé son film de bout en bout (à commencer par les rendez-vous pris au téléphone). L’atelier fut pour lui une révélation. Il dit vouloir poursuivre dans le domaine.

On ne peut pas résister à ça : Lola ne filme pas elle-même mais elle est totalement la réalisatrice de son film. Toutes les idées, tous les plans, texte off et musique sont d’elle. Au cours du tournage, j’ai un rôle de technicien caméraman. Lola et moi avons passé beaucoup de temps en amont. Tout le tra-vail a consisté à transformer son récit de vie (pour lequel il lui fallait «au moins quatre heures de film») en récit cinématographique (quasi une fiction) de sept minutes au cours desquelles elle retrouve tout ce qu’elle voulait y mettre.

Les regards qui content présenté par Philippe Troyon

L’éducation à l’image prend une place de plus en plus importante dans l’éducation générale. Elle participe à la lutte contre une forme d’»insécurité langagière» propagée par tous les systèmes de représentation et de média-tisation et aide à comprendre le réel qui se laisse approcher sans se laisser saisir et inflige au langage la douleur d’être et de n’être pas. Après plusieurs années d’expériences, je garde à l’esprit cette antienne : que veut bien dire «éduquer avec les images»? Comment inventer toujours une façon d’aborder l’image et le son sans passer par les cases obligatoires et redondantes : les PAC, les PIE, les AA…? En voyageant par exemple. Educere : conduire hors de…et Imago : représention… Hors les murs, j’essaie de vivre une aventure avec les élè-ves, dans une histoire qu’ils inventent, dans un ailleurs qu’on découvre ensem-ble. En filmant on apprend à parler, à se parler, à se placer, à se déplacer. Entre tous ces moments de partage, on arrive bien à aborder quelques petites notions comme le plan, le son, le scénario, l’espace, le regard, le montage… l’émotion.Des élèves de 5ème du collège Marcel Cachin du Blanc-Mesnil font un voyage en

Table ronde : Que font les cinéastes avec des enfants et des adolescents dans le cadre d’ateliers de pratique artistique ?

Avec les réalisateurs Pierre Primetens, Daniel Cling, Philippe Troyon, Gérard Preszwow et Michel Fano (Cinéaste et compositeur), Geneviève Houssay (Membre de l’association Enfants de cinéma, Directrice du Crac à Valence), Joseph Rossetto (Principal du collège Pierre Sémard à Bobigny)

Robert Kramer passait souvent par Marseille. Il s’arrêtait volontiers à L’Alhambra. Il aimait nous accompagner dans nos séances de travail d’atelier d’initiation au cinéma. Sa parole renforçait tou-jours la dimension recherche du projet en cours. Denis Gheerbrant, en plein développement de son prochain film, dit que plus qu’une enquête sur un sujet, son travail en amont du tournage est «la recherche d’une forme». Alain Bergala, dans une belle intervention faite à Valence, disait récemment «… Pour qu’il y ait art au cinéma, il faut qu’il y ait du monde et du sujet. Il ne faut pas qu’il n’y ait que de la maîtrise et de l’échange, sinon nous sommes dans la communica-tion. Et la communication n’est pas l’art… Si on pou-vait tout exprimer par la communication, on n’aurait pas besoin de l’art. L’art, c’est précisément cette part qui reste obscure, qui ne peut être exprimée que par la part artistique qu’il y a dans les choses… «

Pédagogie et création artistique. Je parcours ce chemin dans tous les sens depuis plus de quarante années. Depuis l’éducation nouvelle de mes années de lycée en passant par mon propre apprentissage de réalisateur à l’Idhec, ma rencontre avec Fernand Deligny, jusqu’au travail quotidien aujourd’hui de l’Alhambra à Marseille, du côté de L’Estaque.Les pédagogues que j’ai rencontrés dans ma propre formation n’étaient pas tous des réalisateurs, mais tous avaient fait l’expérience concrète du processus

de création. Les situations pédagogiques qu’ils inventaient et nous faisaient vivre nous proposaient l’expérimentation concrète des processus de la créa-tion artistique.Rencontrer des œuvres, être impliqués dans une mise en scène de théâtre en tant qu’acteurs, découvrir des outils par le partage des gestes de techniciens créateurs. Je pense à des essais du prototype de la caméra Coutant effectués avec Ghislain Clocquet ou la mise en œuvre du Nagra au côté de Jean-Pierre Ruh. Plus tard, j’ai aussi pris en compte la dimension, fondatrice, indispensable à cette aventure, qu’est le désir de l’œuvre qui relève, lui, de la décision intime et singulière d’un sujet s’ouvrant au monde. Créer, construire des situations pédagogiques qui permettent à des individus sujets, de produire une forme née de ce désir, de faire concrètement l’expérience de ce geste, et aussi convaincre de l’importance primordiale de cette expérience pour le développement de notre «être ensemble» est aujourd’hui l’essentiel de mon travail.

Derrière cette question posée de la place des réa-lisateurs dans l’éducation à l’image, je perçois ce chantier de l’éducation artistique. Les réalisateurs peuvent en effet participer à la construction et à la mise en œuvre de ces situations où, par référence à leur expérience propre, ils aideront à ce que le cap artistique soit maintenu. La volonté des pouvoirs publics

de développer une éducation artistique basée sur «le partenariat» entre artiste et éducateur est de ce point de vue exemplaire. Il faut cependant préciser que, le «réalisateur auteur» n’est pas le seul «professionnel» à avoir cette légitimité. Tous ceux qui dans la production cinématographique sont concrètement associés à la démarche de création peuvent être porteurs de cette exigence. Dire aussi que le partenariat est un partage d’expérience et la construction d’un projet pédagogique commun. L’expérience à faire vivre aux enfants, aux jeunes et à tous ceux qui souhaitent s’y engager n’est pas découpée en spécialités distinctes. Alain Bergala disait aussi à Valence ; «l’enseignant doit lui aussi se mettre en posture de prendre sa part dans la question de l’initiation créative. L’artiste a lui aussi un savoir à enseigner indépendamment d’initier à sa pratique. Il sait des choses que l’enseignant ne sait pas. Un savoir, par exemple purement technique, mais qui est capital au cinéma».

Enfin et surtout dire que la notion «d’éducation à l’image» est d’une grande ambiguïté au regard de l’éducation artistique. Elle ouvre, en effet, la voie à des enseignements disciplinaires du cinéma et des instrumentalisations diverses de l’expérience artisti-que qui ont pour effet de renforcer, paradoxalement, la mise à l’écart dans notre société de la force du travail des artistes et l’importance dans notre vie quotidienne de la rencontre de leurs œuvres. J.P.D

Réalisateur pédagogue «en cinéma» !

Place d’un réalisateur dans «l’éducation à l’image» une lettre de Jean-Pierre Daniel…

Italie, en Ombrie, pour découvrir la fameuse «ville idéale» au nom amusant de Todi. Ils font ce voyage dans le cadre de l’atelier «comprendre sa ville». Philippe Troyon, réalisateur, organise un atelier d’éducation à l’image lors de ce voyage. Il demande aux élèves de filmer chacun un plan fixe sur le paysage, les maisons et les places. Ils commentent ce qu’ils sont en train de filmer… Plusieurs semaines après le voyage, chaque élève revoit le plan qu’il a filmé… que reste-t-il dans leur mémoire ?

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les rencontres du cinéma documentaire OCTOBRE 2005

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Vingt ans de soutien à la création documentaire

Grâce à l’appui du Conseil général de la Seine-Saint-Denis, Periphérie soutient la création documentaire en Seine-Saint-Denis depuis vingt ans. Outre les rencontres du cinéma documentaire qui se sont développées depuis dix ans en partenariat avec les salles du département, son action est structu-rée autour de trois autres pôles.

L’éducation à l’image qui développe une activité d’ateliers scolaires et organise des stages de formation pour tous les médiateurs culturels.La mission patrimoine qui valorise le patrimoine cinématographique documentaire en Seine-Saint-Denis et met ses compétences à disposition des acteurs culturels du département.Cinéastes en résidence qui offre les moyens de montage et de post-production aux projets retenus et permet aux résidents de bénéficier d’un accompagnement artistique et technique. Ce dispositif est prolongé par une action culturelle autour des films accueillis.

Association loi 1901Président : Jean-Patrick LebelDirection : Michèle SoulignacEducation à l’image : Philippe Troyon, Julien Pornet Cinéastes en résidence : Michèle Soulignac, Jeanne DubostPatrimoine et cinéma : Tangui PerronLes rencontres du cinéma documentaire : Catherine Bizern, Abraham Cohen40 rue Hector Berlioz 93000 BobignyTel : 01 41 50 01 93 - Fax : 01 48 31 95 45site : www.peripherie.asso.fr

Cinéma direct, le réel inventéIndex des films

1974, une partie de campagne - 90’ - 1974

Août, avant l’explosion - 72’ -2002

Beppie - 38’ - 1965

Ce répondeur ne prend pas de message - 77’ - 1979

Chabada, la vie des hommes - 57’ - 2004

Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon - 61’ - 1997

Deportation - 12’ - 1989

Donner le jour - 78’- 2005

Est ce qu’on a gagné ou est-ce qu’on a encore perdu ? - 40’ – 2005

Le Filmeur - 100’ - 2005

Gare du Nord - 16’ - 1964

Ghislain et Liliane, couple avec pigeons - 29’ - 2005

Happy Birthday Mister Mograbi – 77’ –1999

Jazz Dance - 20’ - 1954

La Lettre jamais écrite - 56’- 1991

La Loi du collège - épisodes 2 et 4 – 2x26’ – 1994

Ma vie est mon vidéo-clip préféré - 48’ - 2004

La Place Rouge - 64 ’- 1991

Pour la suite du monde - 105’ - 1962

Pour un seul de mes deux yeux - 100’ - 2005

Les Raquetteurs - 15’ - 1958

Regard sur la folie - 53’ - 1961

Relief - 5’ en boucle - 1999

La Rencontre - 75’ - 1996

La Roue : Claudio Chappuci - 8’ - 1993

La Roue : Thierry Claveyrolat - 8’ - 1993

La Roue : Vatcheslav Ekimov - 8’ - 1993

La Roue : Brian Holm - 8’ - 1993

La Roue : Greg Lemon - 8’ - 1993 La Roue : La famille Simon - 8’ - 1993

La Roue : Richard Virenque - 8’ - 1993

Salesman - 90’ - 1969

The Chair - 70’ - 1962

The Reconstruction - 50’ - 1994

Un été silencieux - 52’ - 2005

Un juif à la mer - 65’ - 2005

Vas-y Lapebie ! - 27’ - 1988

Wait, it’s the Soldiers, I Have to hang up now - 13’ - 2002

Welfare - 167’ - 1975

Périphérie���Centre de création cinématographique

La Seine-Saint-Denis aime le cinéma et s’engage à le soutenirDepuis plus de dix ans, le Conseil général de la Seine-Saint-Denis s’est engagé dans une politique dynamique en faveur du cinéma de création.Cette politique prend appui sur un réseau actif de partenaires et s’attache à promouvoir :une dynamique de réseau des salles publiques de cinéma et leur modernisation ; un soutien à la création cinématographique émergente ; une priorité donnée à la mise en œuvre d’actions d’éducation à l’image ; une diffusion d’un cinéma de qualité dans le cadre de festivals et de rencontres cinématographiques ; une valorisation du patrimoinecinématographique en Seine-Saint-Denis.Les rencontres du cinéma documentaire s’inscrivent dans ce large dispositif de soutien et de promotion.

PériphérieCentre de création cinématographique