castoriadis contre le courant

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    Jean-Louis Prat

    Introduction Castoriadis

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    Remerciements. Lauteur remercie Jean-Luc Boilleau, SergeLatouche, Rafael Miranda, Juvnal Quillet, DominiqueTemple, Jordi Torrent, Olivier Torres et Juan Manuel Vera,dont la critique bienveillante a suivi llaboration de cetouvrage et la constamment stimule.

    ISBN 978-2-7071-5083-7

    Le logo qui figure au dos de la couverture de ce livre mrite une explication.Son objet est dalerter le lecteur sur la menace que reprsente pour lavenir delcrit, tout particulirement dans le domaine des sciences humaines et sociales, ledveloppement massif du photocopillage.

    Le code de la proprit intellectuelle du 1er

    juillet 1992 interdit en effet expres-sment la photocopie usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cettepratique sest gnralise dans les tablissements denseignement suprieur, provo-quant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilit mme pourles auteurs de crer des uvres nouvelles et de les faire diter correctement estaujourdhui menace.

    Nous rappelons donc quen application des articles L. 122-10 L. 122-12 duCode de la proprit intellectuelle, toute reproduction usage collectif par photo-copie, intgralement ou partiellement, du prsent ouvrage est interdite sans autori-sation du Centre franais dexploitation du droit de copie (CFC, 20, rue desGrands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intgrale oupartielle, est galement interdite sans autorisation de lditeur.

    Si vous dsirez tre tenu rgulirement inform de nos parutions, il vous suffitdenvoyer vos nom et adresse aux ditions La Dcouverte, 9 bis, rue Abel-Hove-lacque, 75013 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel la

    Dcouverte. Vous pouvez galement retrouver lensemble de notre catalogue etnous contacter sur notre site www.editionsladecouverte.fr.

    ditions La Dcouverte, Paris, 2007.

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    En souvenir de Pierre Borel (1920-1998)

    Introduction

    Contre le courant

    Penseur intempestif, Castoriadis chappe aux classementsqui voudraient le situer dans tel ou tel courant de la pensecontemporaine. Car il sest toujours situ contre-courant lui qui rejetait le marxisme au moment mme o Sartrevoulait y voir la philosophie indpassable de notre temps ,afin de rester rvolutionnaire et de maintenir un projet quiencombrait dj ceux quil qualifiait de marxistesrforms , lesquels allaient, tour tour, annoncer la fin delhistoire, la mort de lhomme, lpuisement des grands rcits

    dmancipation, avant de sinstaller dans la condition postmo-derne, celle dun monde fini auquel pourraient suffire lesacquis dune histoire dsormais rvolue, o aucun nouveauprojet ne pourrait faire sens. Ce qui conduit constater unefois de plus que les prtendus dpassements du marxismesont dans lcrasante majorit des cas de pures et simplesrgressions fondes non pas sur un nouveau savoir mais surloubli de ce qui tait auparavant appris mal appris, il fautcroire [IIS, p. 122]*.

    * Les rfrences entre crochets renvoient la bibliographie en fin douvrage. Lesabrviations correspondant aux titres des ouvrages de Cornelius Castoriadis ysont dveloppes.

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    Cette phrase est tire dun texte o Castoriadis ne cherchepas, comme Marx avait pu le faire pour Hegel, sauver lamthode en abandonnant le systme car il nest pas ques-tion de revenir Marx, comme on revient Kant, Descartesou Spinoza, retour qui a forcment un caractre acad-mique puisquil ne pourrait aboutir, au mieux, qu rta-blir correctement le contenu thorique dune doctrine dupass [] et laisserait entirement dans lombre le problmequi compte avant tout, savoir limportance et la significa-

    tion du marxisme pour nous et lhistoire contemporaine [IIS, p. 14].

    Cest littralement linverse du programme quallait sedonner Althusser : non pas Lire le Capital, mais interroger la

    ralit russe, en mme temps que celle du capitalismemoderne, et mettre lpreuve, sur ces ralits, la pertinencede concepts dont la valeur ne peut pas tre intemporelle, cequi ne veut pas dire quils soient dj caducs, sous prtexteque le temps passe et que le marxisme appartient une autrepoque, o il tait, parat-il, comme poisson dans leau (ce qui, daprs Foucault, signifie que, partout ailleurs, ilcesse de respirer [1966, p. 274]). Voil un exemple des procds par lesquels lidologie contemporaine essaiedviter la question du vrai et du faux [SF, p. 223]. Questionqui, en ce temps-l, paraissait aussi dmode que linterroga-

    tion sur ce qui est faire [CL, p. 82] et qui reste, toujours,une question actuelle, bien quelle se formule dans les termesquimpose la situation du moment.

    Si Castoriadis est bien de son poque, cest parce que lesproblmes, les conflits et les crises o celle-ci sest dbattueconstituaient pour lui des problmes rsoudre, des conflitsenracins dans une histoire, quil ntait pas question derduire au destin ni aux imperfections de la nature humaine,ni ce que Merleau-Ponty a pu voir comme un malficede lexistence plusieurs [CS, p. 348]. Mais cest aussi parl quil est intempestif et tranche sur tous les courants depense qui ont, la mme poque, occup le devant de lascne : malgr lopposition factice o semblaient saffronterlhumanisme sartrien et sa rcusation par le structuralisme,

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    larchologie foucaldienne ou la dconstruction, tous cescourants ont bien jou le mme rle, si lon en juge par lerapport entre les problmes effectifs et les axes des successifsdiscours la mode, les questions quils soulevaient et cellesquils liminaient, les rponses quils fournissaient : Cesdiscours ont fonctionn pour quil ne soit pas parl desproblmes effectifs, et pour que ceux-ci soient dports,recouverts, distraits de lattention du public [SF, p. 224 ;voir aussi CS, p. 335].

    Ce rapport lpoque peut paratre ambigu, sagissant dunpenseur qui y voit la possibilit dune mutation radicale, quenient ou dnaturent la plupart des penseurs placs lavant-garde, dont le radicalisme spanouit alors dans un rle decompagnons de route, pro-Russes ou pro-Chinois, sur lequel

    ils se sont rarement expliqus. Limitons-nous au cas des deuxgrandes figures du courant existentialiste : Sartre et

    Merleau-Ponty.

    Deux points de repre : Sartre et Merleau-Ponty

    Le prestige de Sartre nest plus ce quil tait quand il nyavait quOrwell pour refuser de prendre ce windbagau srieux(Essais, articles, lettres, vol. IV, Paris, 2001, p. 539). Dsormais,

    ses fidles les plus enthousiastes, ceux qui ont, en 2005, pufter Le Sicle de Sartre, concdent des erreurs, quils jugentpassagres et dont ils veulent croire quil les a corrigesClaude Lefort, pourtant, rappelle son propos commentlintelligence, la culture et le talent concoururent paissirles tnbres [Lefort, 1978, p. 7]. Castoriadis note que dansune interview de 1973 Sartre affirmait encore : La rvolu-tion implique la violence et lexistence dun parti plus radicalqui simpose au dtriment dautres groupes plus conciliants[]. Il est invitable que le parti rvolutionnaire en vienne frapper galement certains de ses membres. Des phrases oil faut relever non seulement lapologie de la Terreur, mais cequi est bien pire : lide que la rvolution est laffaire exclu-sive dun parti homogne, et non celle des masses qui ne sont

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    censes prendre aucune initiative [SF, p. 232-233]. Faut-il sentonner, sachant que Sartre avait, de la classe ouvrire, la vision populiste et misrabiliste qui a t celle denombreux intellectuels [Le Goff, 1998, p. 226] ?

    Merleau-Ponty pse dun autre poids, parce que sa pensereste luvre dans les recherches menes par Claude Lefort,mais aussi parce quil est lui-mme un interlocuteur quiapporte au dbat non seulement les thses qui serontdbattues, mais plusieurs des concepts grce auxquels elles

    pourront tre lucides : par exemple, le sens que Casto-riadis, partir de Merleau-Ponty, donne au mot praxis, quine dsigne pas laction en gnral, mais celle o les autressont viss comme tres autonomes et comme agents de leurpropre autonomie, dont notre praxis politique, duca-tive, ou mme mdicale ne peut tre quun auxiliaire. Cestprcisment cette ide qui permet de rsoudre laporieprsente dans Les Aventures de la dialectique, sur le rapportentre une activit rvolutionnaire institution globale dela socit, qui vise forcment celle-ci comme un tout etla thorie rvolutionnaire, de laquelle on rclame un savoirexhaustif sur la socit. Mais aucun faire humain, rpondCastoriadis, ne pourrait continuer une seconde si on luiposait lexigence dun savoir exhaustif pralable, dune luci-dation totale de son objet et de son mode doprer [IIS,

    p. 108]. Ce nest pas seulement la praxis rvolutionnaire quiserait impossible en labsence dun tel savoir absolu, maistoute activit politique, rformatrice ou conservatrice, quidoit toujours viser la socit comme un tout, tenir comptedes contrecoups et des effets pervers qui pourront rsulter desmesures quelle prend. Mais viser la totalit nimplique pasquon la possde en pense ; toute praxis relle se rapporte un tout, dont elle ne saisit jamais tous les lments, qui nesont pas rgis par un dterminisme aussi strict que celuiquun newtonien attribuerait aux lois physiques. Alors prendtout son sens la boutade de Freud sur ce quil appelait troismtiers impossibles la psychanalyse, lducation et lart degouverner quil serait vain de pratiquer comme applica-tions techniques dun savoir thorique tabli par avance,

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    Abrg biographique

    N Constantinople le 11 mars1922, mort Paris le 26 dcembre1997, Cornelius Castoriadis a vcu Athnes jusquen 1945 ; cest lquen 1937 il adhre aux Jeunessescommunistes, en dernire anne delyce, puis commence ses tudes la facult de droit ; en 1942, il

    adhre lorganisation trotskisteanime par Spiros Stinas, avec qui ilreste en rapport jusqu la mort decelui-ci, en 1989.

    En dcembre 1945, il arrive enFrance, sinscrit la Sorbonne etrejoint les trotskistes franais du PCI :en aot 1946, avec Claude Lefort, ilfonde la tendance do sortira le

    groupe Socialisme ou Barbarie , quiva quitter la Quatrime Internatio-nale en 1948 et publier, de 1949 1965, la revue qui porte ce titre. Il

    travaille entre-temps comme cono-miste lOECE, plus tard OCDE, oil devient, en 1968, directeur laDirection des tudes de croissance,des statistiques et des comptes

    nationaux ; puis, en 1970, directeur

    de la Branche des statistiques et des

    comptes nationaux, poste quil quit-tera le 31 dcembre 1970.

    Naturalis en octobre 1970, ilna plus besoin de pseudonymes etcommence publier des textes sousson nom ; collabore Textures(1972-1975), puis Libre (1976-1980) ; rdite dans la collection 10-18 , entre 1973 et 1979, la

    plupart de ses textes de Socialismeou Barbarie; enseigne lconomie la facult de Nanterre en 1974-1976 ; publie en 1975 LInstitution

    imaginaire de la socit, puis, partirde 1978, Les Carrefours du labyrinthe

    o il recueille la plupart des textespublis aprs 1968.

    Commence en 1980 un ensei-

    gnement lEHESS, dont le contenusera repris, partir de 1999, dansune srie de volumes, La crationhumaine , o sont dj parus Surle Politique de Platon, Sujet et vrit

    dans le monde social-historique, et Ce

    qui fait la Grce.

    Source : SD [p. 281-307].

    mais dont la thorie ne peut slaborer qu partir de ce quisapprend dans leur pratique.

    Bien que dautres auteurs, depuis Hannah Arendt jusquRichard Rorty, aient compt par la suite aux yeux de Casto-riadis, Merleau-Ponty est plus quun interlocuteur, cestpar lui que sopre le passage du politique la pense dupolitique.

    Nous nous attacherons, dans les pages qui suivent, reconstituer le parcours de Castoriadis, depuis les exp-riences militantes de Socialisme ou Barbarie (chapitre I),qui nous conduisent lexamen de son hritage marxiste (chapitre II) et de sa rupture avec le marxisme (chapitre III).

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    Il sera alors possible de voir comment sarticulent, danssa pense, lexprience politique et linterrogation philoso-phique (chapitre IV), qui dbouchent sur llucidation dumonde social-historique et de limaginaire social (chapitre V).

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