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  • 8/8/2019 CARRES ARABES

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    LES CARRS MAGIQUESDANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    Yves MARTIN

    Latelier a t conu en trois parties: On a commenc par la prsentation de la rcente traduction et dition dun manuscrit arabedu XIIIe s. intitul Larrangement harmonieux des nombres. Cette premire partie a t loccasionde donner un aperu historique sur les carrs magiques, avant dentrer dans le dtail de quelquesconstructions du manuscrit.

    Une deuxime partie a propos une approche plus contemporaine, oriente vers des conceptsde structure des carrs magiques, sur la base des dcompositions par congruence inities par Euler,et jusqu la thorie des corps.

    Une troisime partie a propos lutilisation dun logiciel de manipulation des carrs magiqueset dtude des structures ainsi engendres. Cette partie na pas t reproduite ici; toutefois, le logi-ciel (pour Macintosh, avec une prise en main dune quarantaine de pages), et plus de 400 fichiers decarrs magiques sont disponibles sur le site de lIUFM de La Runion (http://www.reunion.iufm.fr/).

    PARTIE I. LARRANGEMENT HARMONIEUX DES NOMBRES

    Dfinitions de base

    Un tableau de dimension n (i. e. une matrice carre dordre n) sera dit magiquesi la somme de ses lignes, de ses colonnes, et de ses deux diagonales est constante.

    23 6 19 2 15

    10 18 1 14 22

    17 5 13 21 9

    4 12 25 8 16

    11 24 7 20 3

    Un carr magique de Bachet

    Si de plus, ce tableau ne contient que les nombres entiers de 1 n2 , tous lestermes tant diffrents, on parle alors de carr magique. La somme magique duncarr magique de dimension n est s n nn = +( )

    21 2 .

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    242 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    On dira aussi dun tableau magique quil vrifie la contrainte du carr, pour direque, la magicit tant pralablement connue, on sait de plus que cest un carrmagique, cest--dire quil comporte tous les nombres de 1 n2 . Deux carrs (ou ta-bleaux) magiques seront dits isomtriques si lon peut passer de lun lautre parlune des isomtries du carr.

    La notion de magicit stend aux autres diagonales. Quand un tableau magiquevrifie cette proprit (avec la mme somme) pour les diagonales secondaires, onparle de tableauxpanmagiques ou encore de carrs magiques diaboliques (termi-nologie de Bachet).

    Quelques dates

    Le carr magique de dimension 3 est connu en Chine vers 2200.On note une pratique rgulire des carrs magiques (CM dans la suite) en

    Chine et en Inde par des mthodes relativement lourdes.Forte implantation de la pratique des constructions des CM dans le monde

    arabe partir du Xe s.Introduction en Europe par Moschopoulos (1420).La mthode traditionnelle du cas impair (cf. carr ci-dessus), due au pre

    jsuite Franois Spinula (1562), est gnralement attribue Bachet de Mziriac.Frnicle dnombre les 880 CM dordre 4, et propose un classement (1693).Ldition de louvrage Problmes plaisants et dlectables qui se font par les

    nombres de Bachet de Mziriac (1612) a fortement popularis le thme des CM.Utilisation darguments algbriques partir dEuler. Conjecture dEuler dite

    des 36 officiers pour n = 4 k + 2, sur linexistence de CM composs de deuxcarrs latins; on appelle de tels carrs des carrs eulriens. Un autre thme dtudeest celui de la recherche de carrs latins auto-orthogonaux, cest--dire ralisant unCM avec leur propre transposition.

    Preuve de la conjecture pour n = 6 par Tarry (1898). Non-existence des CM diaboliques en dimension impaire (1899).Les constructions de Margossian (1920) permettent dassurer quil existe des

    CM diagonaux ou pandiagonaux pour toute dimension impaire autre que 3 etpour toute dimension multiple de 4.

    Infirmation de la conjecture dEuler pour n > 6 par Bose, Parker, Shrikhande

    (1959).Ralisation dun carr latin auto-orthogonal en dimension 10 par Heydayat(1971).

    Dnombrement des 275 305 224 CM de dimension 5 par Schroeppel (1973).Utilisation des corps finis pour la rsolution de certaines questions thoriques

    par Bouteloup (1991).

    Nous reviendrons sur certaines de ces notions, et sur dautres, dans la secondepartie de cet expos.

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    Yves MARTIN 243

    Les crits arabes sur les CM

    Les hritages du monde arabe aprs la fondation de Bagdad (762)(essor du savoir scientifique par un travail de synthse et de traduction)

    Msopotamien quations et systmes

    dquations de degrs 1 et 2

    Indien Systme de numration

    Arithmtique

    Grec Fondements du raisonnement

    mathmatique(axiome / dfinition / thorme)

    On signale les premires traces dtudes arabes sur les CM vers le VII e s., et

    lexistence dun trait complet au IX

    e

    s, d Thabit ibn Qurra (836-901). Ensuite,ds le Xe s., deux textes ont t conservs :Introduction larithmtique (al Ankati, 987): cet ouvrage est une traduction

    dun ouvrage du grec Nicomaque, auquel lauteur a ajout lui-mme un chapitre surla construction des CM.

    Trait sur les carrs magiques (Abul Wafa al Buzjani, 940-997). Dans cetrait, tous les procds sont expliqus, mais ils sont longs et fastidieux. Les rglesgnrales sont clairement issues de nombreux exemples.

    Les CM sont aussi rgulirement mentionns dans les traits alchimistes, quileur attribuent des vertus; par exemple, propos du CM 3 : On trace cette figuresur deux vases de terre o lon na jamais vers deau. On les place sous les pieds dela femme en couches. Si elle regarde ces vases avec attention, elle sera aussitt d-livre. (Souffi Ghazzali, 1058-1111).

    tat des connaissances au Xe s.

    CM bordure pour tout ordre partir du CM 3 ou dun CM 4 de dpart.Produit de CM pour des ordres composs soit impairs, soit multiples de 4,

    soit encore multiples de 6 (autres que 6).Quelques procds directs pour les dimensions impaires ou multiples de 4.

    Le manuscrit de Larrangement harmonieux des nombres

    Date de 1250 (ou antrieur) traduction franaise de Jacques Sesiano en 1996.Compilation de trs nombreuses mthodes connues.Ignore toutefois les dimensions 4k+ 2 pourtant abordes avec succs pour cer-

    tains ordres (8k+ 2) ds le milieu du XIe s., et systmatiquement rsolues, pour toutordre, au dbut du XIIe s.

    Les mthodes prsentes sont encore lourdes et fastidieuses. Les mmes cons-tructions seront exposes de manire plus lmentaire dans les sicles suivants, avantmme lapparition de notations algbriques.

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    244 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    Exemple 1: mthode des bordures pour une dimension impaire, de lintrieurvers lextrieur

    Par mthode des bordures, on entend les mthodes qui construisent des CM telsque si on supprime les lignes et colonnes extrieures, le tableau restant est encoremagique. Un carr est dit, par extension, bordures concentriques quand cette m-thode est itre chaque rang depuis un carr de dpart de dimension 3 ou 4. Ce sontde telles mthodes, connues depuis le X e s. que lon aborde dans les deux premiersexemples. On y verra en particulier combien les explications, en labsence dargu-ments algbriques, sont ncessairement lourdes.

    tape 1: on place le milieu au milieu. Par milieu, on entendra le nombre

    central ( )n2

    1 2+ puisque nous sommes ici en dimension impaire.tape 2: puis ses deux plus proches, obliquement sur une diagonale. Sous-

    entendu symtriques, dans les cases adjacentes au centre (quatre choix: deux pourles diagonales, deux pour la place de ces nombres).

    tape 3: puis on place celui qui prcde le moindre ct de lui. Parexemple, ci-dessous, on place le 3 ct du 4. Notons quil y a deux possibilits pource ct: horizontalement ou verticalement.

    tape 4: on place ensuite le prcdent dans la case correspondante du cava-lier, et le prcdent dans la case correspondante du cavalier. On notera que pour lecas de la dimension 3, il y a unicit de ces deux positions.

    tape 5: ensuite, on place les nombres suprieurs qui leur sont compl-mentaires en face. Lauteur prcise ce quil entend par complmentaires: ce sontdeux nombres qui ont leur distance au moyen la mme et leur somme gale audouble du moyen, en dautres termes deux nombres a et a tels que a a n+ = +2 1.Le terme en face, qui nest pas dfini dans le texte, sinterprte par une symtriecentrale par rapport au centre du carr.

    Si on applique les tapes 1 5 la dimension 3, on remplit le CM dans lune deses huit isomtries, car il y a quatre choix possibles dans ltape 2 et deux dansltape 3. Cette mthode a pu tre dfinie car lunique CM3 est symtrique.

    4 4 2 4 9 2

    5 3 5 3 5 7

    6 1 6 8 1 6

    tapes 1 et 2 tapes 3 et 4 tape 5

    Pour les autres dimensions, aprs avoir construit de cette faon un centresymtrique, lauteur poursuit ainsi:

    tape 6: Prenant les nombres infrieurs qui restent, dans lordre dcroissant,on place, alternativement:

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    Yves MARTIN 245

    -Les pairs dans la range suprieure [ci-dessous 8].-Les impairs correspondants dans la range de gauche [ci-dessous 7].

    Dans les deux cas, en partant de la case contigu la mdiane et se dirigeantvers langle suprieur gauche.

    -On place alors le nombre atteint toujours pair dans ledit angle [6].

    6 8 4 6 8 23 24 4

    12 17 10 7 12 17 10 7 12 17 10 19

    11 13 15 5 11 13 15 5 11 13 15 21

    16 9 14

    16 9 141 25

    16 9 14 13 2 22 18 3 2 20

    tapes 1 5 tapes 6 8 tape 10

    tape 7: On place le prcdent au milieu de la range de gauche [5], leprcdent dans langle suprieur droit [4], le prcdent au milieu de la range inf-rieure [3].

    tape 8: Ensuite, on place la suite des pairs restants dans la range infrieure[2] et les impairs droite [1], dans les deux cas, en partant de la case contigu lamdiane et se dirigeant vers langle infrieur droit.

    tape 9: Rptant ceci pour toutes les bordures, les nombres infrieurs par-viennent leurs termes. Il sagit des tapes 6 8, voir illustration ci-dessous.

    tape 10: Ensuite, on place les complmentaires en face deux.

    Remarque de lauteur (anonyme) du manuscrit: lordre du carr occupe alors lemilieu de la range de gauche de la bordure et le 1 la case juste au-dessus de langleinfrieur droit. On notera aussi que lon peut partiellement inverser les tapes 9 et 10,comme ci-dessous pour la dimension 7:

    18 20 35 36 16

    24 29 22 19 24 29 22 31

    23 25 27 17 23 25 27 33

    28 21 26 37 28 21 26 13

    34 30 15 14 32

    tapes 1 5 tapes 6 8 et 10

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    246 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    8 10 12 6 8 10 12 45 46 48 6

    9 18 20 35 36 16 9 18 20 35 36 16 41

    11 19 24 29 22 31 11 19 24 29 22 31 39

    7 17 23 25 27 33 7 17 23 25 27 33 43

    37 28 21 26 13 3 47 37 28 21 26 13 3

    34 30 15 14 32 1 49 34 30 15 14 32 1

    5 4 2 44 40 38 5 4 2 42

    Puis nouveau ltape 9 Et ltape 10

    On voit, sur cette mthode de construction, le type de dmarches dployes pourconstruire les CM: nayant aucun outil de symbolisation, ces mthodes sont dcou-vertes par exprimentation, et vrification sur de grandes dimensions, comme lat-teste le trait de Abul Wafa al Buzjani.

    Exemple 2: mthode des bordures pour une dimension impaire, de lextrieurvers lintrieur

    Les commentaires sont proposs pour une dimension n. Leplus petit extrme est1 la premire tape; il est dfini par lalgorithme pour les autres tapes.

    tape 1: On place le plus petit extrme dans la case mdiane de la range dedroite, le suivant dans la case suivante en descendant, ainsi jusqu langle infrieurdroit que lon ne remplit pas.

    tape 2: On place le suivant dans langle infrieur gauche et les suivantsdans les cases suivantes de la range infrieure jusqu la case mdiane, que lon neremplit pas.

    tape 3: On place le suivant au milieu de la range suprieure [cest lordren du carr], le suivant au dessus de la case mdiane de la range de gauche, et lessuivants au dessus, en montant jusqu langle suprieur gauche que lon remplit.

    tape 4: On place le suivant dans la case suivant [ droite] la case mdianede la range suprieure et ainsi de suite jusqu la case voisine de langle suprieur

    droit. On arrive ainsi au nombre 2n2, sauf pour n = 3 pour lequel cette tapenexiste pas. tape 5: On procde ainsi pour chaque bordure, le nombre infrieur atteint

    servant de petit extrme jusqu lordre 3 que lon construit ainsi. tape 6: Ensuite on place les complments en face, de la manire connue. tape 7: Reste le nombre mdian que lon place au centre.

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    Yves MARTIN 247

    10 7 11 12

    7 5 8 9

    4 3 6 8

    1 1 1

    2 2 2

    3 4 3

    4 5 6

    Les tapes 1 4 de cette mthode pour n = 3, 5 et 7

    10 7 11 12

    7 5 8 9 19 17 20

    4 3 6 12 11 8 18 24 23

    1 9 1 21 13 1

    2 10 2 22 14 2

    3 4 15 16 3

    4 5 6

    Ltape 5 pour n = 3, 5, 7

    10 45 44 7 11 12 46

    7 22 5 8 23 9 19 34 17 20 35 41

    4 3 8 6 12 11 16 20 8 18 24 23 28 32 42

    9 5 1 25 17 13 9 1 49 37 29 25 21 13 1

    2 7 6 24 10 15 14 2 48 36 22 27 26 14 2

    3 421 18 19 47

    15 1633 30 31

    34 5 6 43 39 38 40

    Les CM produits par cette mthode

    Lauteur prcise les variantes possibles dans la technique de remplissage,comme la simple inversion des tapes 5 et 6, mais aussi quelques variantes de cons-truction comme des inversions de parcours dune partie des nombres.

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    248 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    Exemple 3: mthode de sparation des pairs et des impairs

    Ce thme de regroupement des nombres pairs et des impairs dans des partiesparticulires du carr est un classique de la science de Larrangement harmonieuxdes nombres. La mthode du manuscrit que nous dcrivons maintenant illustre ladifficult de dcrire des algorithmes un peu plus complexes que ceux dj vus: celadonne une construction particulirement lourde qui montre combien il a d tre dif-ficile de dgager de telles constructions. Nous avons retenu cette mthode car nousallons voir quen sachant sortir du carr, une autre description, infiniment plussimple, aboutit exactement la mme construction. Entre les deux mthodes, il y aun peu plus de deux sicles de pratique sur les CM.

    Lillustration de la mthode est faite pour la dimension 7. Les parenthses sontdes commentaires sur lillustration pour une comprhension plus rapide du texteoriginal.

    1) Placement des impairs:

    On les place comme sils taient des nombres conscutifs en les disposantdans les cases du carr intrieur dont les lignes et les colonnes sont obliques.

    On commence avec 1 la case mdiane de la range suprieure, et en se dpla-ant en suivant loblique vers la case mdiane de la range de gauche. Puis on con-tinue suivant loblique, la dernire ligne tant celle qui joint la case mdiane de larange de droite la case mdiane de la range infrieure.

    1

    3 9 15

    5 11 17 23 29

    7 13 19 25 31 37 43

    21 27 33 39 45

    35 41 47

    49

    2) Placement des pairs dans les quatre triangles:

    tape 1: On remplit dabord la base du triangle infrieur droit, donc la ligneoblique majeure de ce triangle [2, 4, 6 sur lillustration ci-dessous].

    tape 2: Puis on prend le nombre qui est dans la premire case de cette base[ici le nombre 2] et lon procde comme si on allait disposer les nombres conscutifsdans les cases conscutives en commenant avec lui et en se dirigeant vers la gauchedans la range horizontale jusqu ce que lon parvienne la case suprieure de la

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    Yves MARTIN 249

    base du triangle infrieur gauche, on y place le nombre atteint qui sera toujours pair[ici 8].

    Ensuite on prend le pair suivant, on le place au dbut de la seconde ligne dutriangle infrieur droit et lon applique la mthode prcdente [comprendre les tapes1 et 2: on place les nombres 10 et 12 par ltape 1 et le nombre 16 par ltape 2. Enfait, on reprend cette tape plusieurs fois pour conclure :]Lorsque lon a fait ceci,on a rempli le triangle infrieur droit [une dernire application donne 18 et 24], maisil reste des cases vides dans le triangle infrieur gauche que lon va remplirmaintenant. La mthode est la suivante:

    1 1

    3 9 15 3 9 15

    5 11 17 23 29 5 11 17 23 29

    7 13 19 25 31 37 43 7 13 19 25 31 37 43

    8 21 27 33 39 45 2 8 21 27 33 39 45 2

    35 41 47 4 16 35 41 47 4 10

    49 6 49 6 12

    tapes 1 et 2 appliques une premire fois Puis une deuxime fois

    1

    3 9 15

    5 11 17 23 29

    7 13 19 25 31 37 43

    8 21 27 33 39 45 2

    16 35 41 47 4 10

    24 49 6 12 18

    Et une troisime fois

    tape 3: On prend le contenu des deux extrmits de la range infrieure, onen fait la somme. Il en rsulte un nombre [dans lexemple, 24 + 18 = 42]. On placealors dans la case voisine de lextrmit de gauche un nombre qui, joint au nombrequi est dans la case voisine de lextrmit de droite, produise ledit nombre [soit4212 = 30]. On continue ainsi jusqu ce que lon ait rempli la range infrieure[ici, ltape suivante est 42 6 = 36].

  • 8/8/2019 CARRES ARABES

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    250 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    tape 4: Ensuite, on procde de la mme faon avec la range immdiate-ment suprieure [ici, 16 + 10 4 = 22]. On continue et lon procde ainsi jusqu ceque lon ait rempli les deux triangles infrieurs avec la moiti des pairs.

    1 32 38 44 1 14 20 26

    3 9 15 40 46 3 9 15 28 34

    5 11 17 23 29 48 5 11 17 23 29 42

    7 13 19 25 31 37 43 7 13 19 25 31 37 43

    8 21 27 33 39 45 2 8 21 27 33 39 45 2

    16 22 35 41 47 4 10 16 22 35 41 47 4 10

    24 30 36 49 6 12 18 24 30 36 49 6 12 18

    tapes 3 (nombres 30 et 36) et 4 (nombre 22) Puis ltape finale

    tape 5: On place alors les pairs complmentaires dans les cases correspon-dantes des deux triangles suprieurs. Lauteur prcise ce que sont les cases corres-pondantes: les cases correspondantes de celles qui sont par exemple au-dessous de lacase mdiane de la range de droite sont celles au-dessus de la case mdiane de larange de gauche, chacune tant associe son homologue et rciproquement. Autre-ment dit, il sagit dune symtrie centrale et donc, par construction, le CM produit estsymtrique.

    Cette mthode, comme nous lavons signal, a t dcrite plus tard dune ma-nire bien plus efficace, que chacun sera mme dapprcier sur lillustration:

    1 32 38 44 1 14 20 26

    3 9 15 40 46 3 9 15 28 34

    5 11 17 23 29 48 5 11 17 23 29 42

    7 13 19 25 31 37 43 7 13 19 25 31 37 43

    21 27 33 39 45 2 8 8 21 27 33 39 45 2

    35 41 47 4 10 16 22 16 22 35 41 47 4 10

    49 6 12 18 24 30 36 24 30 36 49 6 12 18

    14 20 26 32 38 44

    28 34 40 46

    42 48

  • 8/8/2019 CARRES ARABES

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    Yves MARTIN 251

    PARTIE II. STRUCTURES DES CARRS MAGIQUES

    Cest Euler qui eut lide de dcomposer un CM en deux composantes, que nousappellerons par la suite I et J (I gauche, J droite), le CM scrivant alors [I, J]. Lescomposantes sont dfinies par une variante sur le reste de la division euclidienne: ennotant auv les lments du CM, iuv ceux de la composante I etjuv ceux de J, on critde manire unique : auv= (iuv 1)n +juv , o les lments des composantes prennentles valeurs 1 n. Il en rsulte que les composantes dun CM vrifient ce que lon ap-pellera linjection faible, savoir que chaque nombre de 1 n doit apparatre nces-sairement n fois dans chaque composante.

    tant donn deux composantes I et J, pour avoir un CM [I,J], il faut vrifier la

    fois :que [I,J] soit un tableau magique,que I et J soient en injection.

    Euler a appel carrs latins les composantes qui sont lignes et colonnes desomme constante (i.e. les tableaux magiques sur lesquels on a enlev la contraintedes deux diagonales). Et il sest intress ceux des CM composs de deux carrslatins, CM que lon qualifie depuis deulriens.

    Nous aurons un point de vue lgrement diffrent, en tudiant les diffrents caspossibles: soit les composantes sont elles-mmes des tableaux magiques (en fait, dsque lune lest, lautre lest aussi) soit les composantes ne sont pas magiques. Dans lepremier cas, on parlera de composantes rgulires et de CM rgulier, dans le second

    cas, de composantes irrgulires et de CM irrgulier. Pour chaque squence (on en-tend par l, ligne, colonne ou diagonale principale ou secondaire), on parlera aussi dergularit ou dirrgularit.

    1 12 6 15 1 3 2 4 1 4 2 3

    14 7 9 4 4 2 3 1 2 3 1 4

    11 2 16 5 3 1 4 2 3 2 4 1

    8 13 3 10 2 4 1 3 4 1 3 2

    Le carr magique Composante I Composante JCM magicit et diabolicit rgulires

    Dans chacune des deux situations de rgularit et dirrgularit, on rencontre uncas particulier intressant, extrmal en terme de rgularit, qui va tre dcrit ci-dessous.

  • 8/8/2019 CARRES ARABES

    12/27

    252 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    Dans le cas de la rgularit, on dira quune squence est simple si elle comportetous les nombres de 1 n (et donc chacun une fois). Une composante sera dite simplesi toutes ses 2n+2 squences (n lignes, n colonnes et deux diagonales) sont simples.Un CM sera dit simple si ses deux composantes sont simples. Si une seule compo-sante est simple, on parlera de CM semi-simple ( gauche ou droite). noter quunCM semi-simple, et a fortiori un simple, est toujours rgulier.

    Exemples: lexemple ci-dessus illustre le cas dun CM magicit simple et diabolicit rgulire. Ci-dessous, on a un CM de dimension 5 ayant le maximum delignes et colonnes irrgulires. Les nombres (0, 1 ou 1) ct des composantes in-diquent, pour la composante I, la diffrence la somme rgulire n n( )+ 1 2 , et pourla composante J, cette diffrence divise par n. On montrerait quen dimension 4, laseule possibilit dirrgularit est sur les diagonales.

    8 12 11 19 15

    25 23 3 4 10

    1 22 16 9 17

    7 6 21 13 18

    24 2 14 20 5

    2 3 3 4 3 0 3 2 1 4 5 0

    5 5 1 1 2 1 5 3 3 4 5 1

    1 5 4 2 4 -1 1 2 1 4 2 -1

    2 2 5 3 4 -1 2 1 1 3 3 -1

    5 1 3 4 1 1 4 2 4 5 5 1

    0 0 -1 -1 1 1 0 0 0 -1 -1 1 1 0

    Magicit irrgulire maximale en dimension 5

    La simplicit (CM simples) existe ds la dimension 4, mais nexiste pas pour ladimension 6 (cest une consquence du problme des 36 officiers). On construit ais-ment des CM simples de dimension premire impaire autre que 3. Il est assez facileaussi den construire en dimension 4p. Pour les nombres impairs composs, la cons-truction est aise si le nombre nest pas simplement multiple de 3. Il est galementfacile de construire des CM simples de dimension 9.

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    Yves MARTIN 253

    Si la simplicit confre une sorte dordre maximal pour la magicit dun carr,on peut envisager un point de vue symtrique, et mettre en vidence un dsordremaximal dans la magicit. Ainsi, on dira quune composante est totalement irrgu-lire si elle ne comporte que des squences irrgulires. Un CM sera aussi totalementirrguliersi ses composantes le sont (une seule suffit, lautre lest alors aussi). Larecherche de CM totalement irrguliers dans les petites dimensions nest pas aise,alors quil est plus facile den construire pour des dimensions plus grandes.

    Voici un exemple de CM totalement irrgulier en dimension 6 (la plus petitedimension pour laquelle il en existe). On peut par exemple vrifier sur lune des deuxcomposantes quaucune squence nest de somme 21 (la somme rgulire pourles composantes).

    1 16 14 32 19 29

    36 35 3 2 5 30

    24 6 33 34 10 4

    27 9 15 13 25 22

    12 17 20 23 21 18

    11 28 26 7 31 8

    1 3 3 6 4 5 -1 1 4 2 2 1 5 -1

    6 6 1 1 1 5 1 6 5 3 2 5 6 1

    4 1 6 6 2 1 1 6 6 3 4 4 4 1

    5 2 3 3 5 4 -1 3 3 3 1 1 4 -1

    2 3 4 4 4 3 1 6 5 2 5 3 6 1

    2 5 5 2 6 2 -1 5 4 2 1 1 2 -1

    1 1 1 -1 -1 -1 1 -1 1 1 1 -1 -1 -1 1 -1

    CM totalement irrgulier en dimension 6 (la plus petite possible)

    Ce CM, produit par lauteur en 1987, avait ncessit environ une trentainedheures de calculs sur les micro-ordinateurs de lpoque. La plus petite dimensionimpaire pour lirrgularit totale est naturellement le nombre impair suivant. En voiciun exemple, obtenu dans des conditions semblables:

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    254 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    2 4 48 27 49 42 3

    1 9 36 19 38 29 43

    37 35 23 14 12 13 41

    15 33 24 30 32 25 16

    31 34 17 28 26 21 18

    45 40 22 10 11 39 8

    44 20 5 47 7 6 46

    1 1 7 4 7 6 1 1 2 4 6 6 7 7 3 1

    1 2 6 3 6 5 7 -2 1 2 1 5 3 1 1 -2

    6 5 4 2 2 2 6 1 2 7 2 7 5 6 6 1

    3 5 4 5 5 4 3 -1 1 5 3 2 4 4 2 -1

    5 5 3 4 4 3 3 1 3 6 3 7 5 7 4 1

    7 6 4 2 2 6 2 -1 3 5 1 3 4 4 1 -1

    7 3 1 7 1 1 7 1 2 6 5 5 7 6 4 1

    -1 -2 1 -1 1 1 1 -1 -1 -1 -2 1 -1 1 1 1 -1 -1

    CM totalement irrgulier en dimension 7 (la plus petite impaire possible)

    Pour ce qui est de ces structures, on peut ensuite sintresser dautres caslimites, mlangeant magicit et diabolicit, par exemple soit de magicit simple diabolicit irrgulire, soit encore de magicit et diabolicit totalement irrgulires.Pour ce dernier cas particulier de structure, nous navons pas dexemple proposer,mme si les techniques de duplication devraient permettre den produire plus oumoins facilement en dimension 16 par exemple.

    Voici, pour le premier cas, un exemple de CM magicit simple et diabolicitirrgulire. Les nombres en marge du tableau (1, 0, 1) sont les diffrences lasomme rgulire des composantes, avec la variante sur les composantes I et J djmentionne, pour les diagonales secondaires descendantes (verticalement) et mon-tantes (horizontalement). Le nombre sur une ligne ou une colonne correspond cettediffrence pour la diagonale secondaire du tableau contenant le terme juste gaucheou au-dessus de ce nombre.

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    1 10 19 28 37 46 63 56

    30 21 64 55 2 9 44 35

    45 38 15 8 49 58 27 20

    50 57 36 43 22 29 16 7

    24 31 6 13 60 51 34 41

    59 52 25 18 47 40 5 14

    12 3 42 33 32 23 54 61

    39 48 53 62 11 4 17 26

    1 2 3 4 5 6 8 7 1 1 2 3 4 5 6 7 8 1

    4 3 8 7 1 2 6 5 0 6 5 8 7 2 1 4 3 0

    6 5 2 1 7 8 4 3 -1 5 6 7 8 1 2 3 4 -1

    7 8 5 6 3 4 2 1 0 2 1 4 3 6 5 8 7 0

    3 4 1 2 8 7 5 6 -1 8 7 6 5 4 3 2 1 -1

    8 7 4 3 6 5 1 2 0 3 4 1 2 7 8 5 6 0

    2 1 6 5 4 3 7 8 1 4 3 2 1 8 7 6 5 1

    5 6 7 8 2 1 3 4 D 7 8 5 6 3 4 1 2 D

    M -1 0 1 0 1 0 -1IrrI

    M -1 0 1 0 1 0 -1IrrJ

    Exemple de structure magique simple diabolicit irrgulire

    Auto-contrainte

    Une composante sera dite auto-contrainte si elle est en injection, cest--diresi elle forme un CM avec lune de ses sept isomtriques (lidentit ne pouvant treprise en compte). Il est facile de construire des composantes auto-contraintes. Un

    CM sera dit auto-contraintsil est issu de deux composantes qui le sont (entre elles).Cest le cas du CM de lexemple, de sparation des pairs et des impairs, du manuscritarabe, dont la dcomposition est donne sur la page suivante.

    Les CM produits par lauto-contrainte sont ncessairement rguliers, et on voitque cette notion est une extension des composantes auto-orthogonales que sontdans la littrature consacre aux CM les composantes latines en injection avecleur transpose, lextension se faisant dans deux directions, la premire parce que les

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    256 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    composantes ne sont pas ncessairement, comme les carrs latins, lignes et colon-nes simples, et la seconde parce que toutes les isomtries sont prises en compte.

    5 6 7 1 2 3 4 4 3 2 1 7 6 5

    6 7 1 2 3 4 5 5 4 3 2 1 7 6

    7 1 2 3 4 5 6 6 5 4 3 2 1 7

    1 2 3 4 5 6 7 7 6 5 4 3 2 1

    2 3 4 5 6 7 1 1 7 6 5 4 3 2

    3 4 5 6 7 1 2 2 1 7 6 5 4 34 5 6 7 1 2 3 3 2 1 7 6 5 4

    Dcomposition de lexemple 3 du manuscrit arabe:la composante J est le symtrique de I par rapport la mdiatrice verticale

    Lanalyse de lauto-contrainte rvle bien des surprises, car nombre de compo-santes sont auto-contraintes de multiples faons. Par exemple, en notant = a a8 , etde mme pour b c d, et , les deux composantes suivantes sont chacune auto-con-traintes dans quatre isomtries Elles sont toutes les deux magicit rgulire, la se-conde sans aucune ligne ou colonne simple, et les deux sont de plus diaboliques diabolicit simple.

    a a a a a a a a a a c c c c a a

    b b b b b b b b b b d d d d b b

    a a a a a a a a a a c c c c a a

    b b b b b b b b b b d d d d b b

    c c c c c c c c a a c c c c a a

    d d d d d d d d b b d d d d b b

    c c c c c c c c a a c c c c a a

    d d d d d d d d b b d d d d b b

    Dans le cas impair, o en plus on dispose de la transformation de Bachet pourtoute composante rgulire diabolique (voir plus loin), on obtient des rsultats encoreplus surprenants.

    Ainsi la composante suivante ( gauche), rgulire et diabolicit simple est lafois auto-contrainte dans quatre isomtries, mais de plus en injection donc ralise

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    un CM avec les huit (les huit!) isomtries de sa transforme de Bachet (compo-sante de droite).

    6 1 6 1 8 1 8 6 8 4 6 5 9 8 7 2 1 3

    7 5 7 5 3 5 3 7 3 9 3 2 1 5 4 6 7 9

    2 9 2 9 4 9 4 2 4 5 4 8 7 9 1 3 2 6

    6 1 6 1 8 1 8 6 8 2 1 3 4 6 5 9 8 7

    7 5 7 5 3 5 3 7 3 6 7 9 8 3 2 1 5 4

    2 9 2 9 4 9 4 2 4 3 2 6 5 4 8 7 9 1

    6 1 6 1 8 1 8 6 8 9 8 7 2 1 3 4 6 5

    7 5 7 5 3 5 3 7 3 1 5 4 6 7 9 8 3 2

    2 9 2 9 4 9 4 2 4 7 9 1 3 2 6 5 4 8

    Auto-contrainte faible

    Toutefois, lauto-contrainte peut masquer encore des constructions. Ainsi, onpeut construire des CM partir dune composante auto-contrainte en voilant cetteproprit: soit J un isomtrique de I qui fasse de [I,J] un CM. Si J est simple, par

    exemple (mais ce nest pas ncessaire), en prenant une permutation de ses lments,lauto-contrainte disparat. Dans cette situation, on parlera de composantes faible-ment auto-contraintes ou encore ACF et AC pour auto-contrainte.

    Autrement dit: sil existe une permutation des lments de {1 . . . n} et s uneisomtrie du carr telles que lon ait I = (s(J)) (avec des conventions videntes), ondira que I et J sont faiblement auto-contraintes.

    Pour illustrer une structure, on sefforcera, dans la mesure du possible, deconstruire des CM qui ne soient pas faiblement auto-contraints (dans la suite: nonACF). Souvent on construit des CM non ACF mais forms de deux composanteschacune AC.

    Voici un exemple de dimension 12. On peut bien sr en trouver dans des dimen-sions plus petites. Mais cet exemple, outre lavantage dillustrer notre propos, donneun exemple de composante eulrienne auto-orthogonale de cette dimension, pour la-quelle, dans son ouvrage sur les CM, Jacques Bouteloup posait la question de lexis-tence (p. 123). Le CM est accompagn de ses composantes dont on vrifiera quellesralisent chacune un CM avec sa transpose. Les deux composantes tant simples, ilest facile de vrifier que le CM de dpart est non ACF.

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    diagonales, principales et secondaires sont simples, autrement dit, on a les 2n+2squences magiques quil suffit de rorganiser pour le transformer en CM: lamthode de construction de ou redcouverte par Bachet consiste transformer leslignes en diagonales, et les diagonales en lignes: comme les mdiatrices sont rgu-lires, on peut esprer un tableau ayant ses diagonales magiques.

    1 2 3 4 5 1 1 1 1 1 1 2 3 4 5

    6 7 8 9 10 2 2 2 2 2 1 2 3 4 5

    11 12 13 14 15 3 3 3 3 3 1 2 3 4 5

    16 17 18 19 20 4 4 4 4 4 1 2 3 4 521 22 23 24 25 5 5 5 5 5 1 2 3 4 5

    La dmarche technique nest pas rappele en dtail ici, elle est dcrite et large-ment gnralise dans les ouvrages consacrs aux CM. Le CM obtenu pour la dimen-sion 5 est la premire figure dillustration de cet article.

    Cette construction a lintrt de donner une mthode de transformation dun CMdiabolique qui inverse lignes et colonnes en diagonales. En voici un exemple endimension 5 avec la transforme de Bachet, et la double transforme qui rarrangeles lignes et colonnes de faon avoir toujours un CM:

    1 7 13 19 25 21 18 15 7 4 24 12 5 18 6

    18 24 5 6 12 12 9 1 23 20 20 8 21 14 2

    10 11 17 23 4 3 25 17 14 6 11 4 17 10 23

    22 3 9 15 16 19 11 8 5 22 7 25 13 1 19

    14 20 21 2 8 10 2 24 16 13 3 16 9 22 15

    Une tude dtaille de la double transforme permettrait de gnraliser cettedmarche (en dehors de la diabolicit) et daboutir la notion de manipulation in-terne des CM. Rappelons que nous avons vu une composante en dimension 9 quiest en injection avec les huit isomtriques de sa propre transforme de Bachet.

    PARTIE III. PROLONGEMENT

    La troisime partie de latelier a t consacre la manipulation dun logicielanalysant les CM sur la base des notions dfinies sans la partie II. Il est plus int-ressant de manipuler directement les structures magiques (et voir les outils danalyseconclure) que de procder des vrifications manuelles.

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    260 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    Ne pouvant transcrire de manire satisfaisante cette partie dapproche interactivesur les CM, nous proposons la place au lecteur daller un peu plus loin danslanalyse de certaines constructions magiques, et en particulier de la relation entre lesCM symtriques et diaboliques. Lide sous-jacente ce paragraphe est de chercherune sorte de transformation la Bachet pour la dimension paire, et en particulierpour les dimensions multiples de 4 relativement la diabolicit. En effet, en dimen-sion simplement paire (n 2 (4)), il nexiste ni structure symtrique, ni structurediabolique. En voici une preuve rapide (celle sur la diabolicit date de 1919):

    Non-existence de CM symtrique en dimension simplement paire

    A B

    C D

    Soit n = 2p. On dfinit quatre zones A, B, C, D, de sommes s(A), s(B), s(C),s(D). En sommant les zones A et C, on a la moiti des colonnes et en sommant leszones A et B, on a la moiti des lignes. Cela suffit pour conclure que, si chaque ligne

    et colonne est magique, les quatre zones A, B, C, D ont mme somme, chacune tantle quart de la somme totale. Or cette somme totale vaut 2 12 2p n( )+ , qui nest pasmultiple de 4 sip est impair.

    Non-existence de CM diabolique en dimension simplement paire

    Toujours avec n = 2p, dcoupons cette fois le tableau de 4p2 cases enp2 blocs dequatre cases au lieu de quatre blocs dep2 cases comme ci-dessus. Les blocs sont icicomposs de cases non contigus. Ces zones A, B, C et D sont repres par les lettresa, b, c, dsur le schma de la page suivante. En sommant les lments des zones A etB, on a la moiti des lignes, et en sommant les lments des zones A et C, la moitides colonnes. On a donc s(B) = s(C).

    Supposons de plus le tableau diabolique, alors en sommant les lments deszones A et D, on a la moiti des diagonales (montantes ou descendantes), et ensommant les lments des zones B et C, on a lautre moiti des diagonales. Ainsis B s C pn n( ) ( ) ( )+ = +2 1 2 , et ce nombre est toujours entier. Comme s(B) = s(C), ona s B pn n( ) ( )= +2 1 4 qui, lui, est demi entier si p est impair. Ainsi, pour un CM os(B) est entier, la structure diabolique est impossible. (Remarque: on peut modifierla dmarche pour viter le raisonnement par labsurde.)

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    Yves MARTIN 261

    a b a b a b a b

    c d c d c d c d

    a b a b a b a b

    c d c d c d c d

    a b a b a b a b

    c d c d c d c d

    a b a b a b a b

    c d c d c d c d

    Schma illustrant la non diabolicit en dimension simplement paire

    Dans toute la suite de cette partie, la dimension paire sera toujours une dimen-sion multiple de 4 afin que les structures de symtrie et de diabolicit existent pourles CM.

    Passage de la symtrie la diabolicit

    Soit un tableau symtrique ( gauche), on lui fait subit la transformationsuivante, dite transformation diabolique:

    identit sur le quadrant suprieur gauche;symtrie orthogonale par rapport la mdiatrice verticale sur le quadrant

    suprieur droit;symtrie orthogonale par rapport la mdiatrice horizontale sur le quadrantinfrieur gauche;

    symtrie centrale sur le quadrant infrieur droit.

    Transformation dun CM symtrique en CM diabolique

    Il est facile de vrifier que cette opration transforme un CM symtrique en CMdiabolique. Ainsi, lexistence de CM diaboliques, pour les dimensions multiples de 4,est une consquence de lexistence de CM symtriques pour cette dimension. Voiciun exemple, en dimension 12:

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    262 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    Un CM symtrique rgulier en dimension 12

    Ce CM a toutes ses squences de magicit rgulires non simples. Sa compo-sante gauche est elle aussi squences rgulires non simples, elle nest pas auto-contrainte, donc le carr non plus, elle est en injection avec seulement la symtriecentrale de lautre composante. La composante droite est colonnes rgulires non

    simples, les lignes et les diagonales principales sont simples. Elle est auto-contraintedans les deux rotations. Aucune des deux composantes nest diabolique.

    Sa transformation en CM diabolique

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    Yves MARTIN 263

    Le CM obtenu est form de deux composantes dont aucune nest auto-contrainteet qui ne sont en injection entre elles que dans cette seule configuration. Seules, unediagonale montante et une descendante de chaque composante sont simples, toutesles autres sont rgulires non simples.

    Mais on peut aller plus loin, et sintresser lapplication des isomtries ducarr dans les quadrants internes des CM diffrents niveaux de profondeur.

    Dans la suite, on appellera isomtrie interne de degr k, en dimension n qp= 2 ,lisomtrie du mme nom applique chacun des 22k blocs carrs qui composent lecarr. Les isomtries ordinaires du carr sont celles de degr 0; les isomtriesinternes de la transformation diabolique sont celles de degr 1, elles sappliquent sur

    les quatre quadrants. Les isomtries qui sappliqueraient sur seize quarts de qua-drants seraient des isomtries de degr 2.

    Observons dj le cas de lapplication de la symtrie centrale au degr 2. Cha-cun retrouvera facilement ce rsultat:

    Conditions pour que la structure CMD soit invariante par la symtrie centrale interne de degr 2

    Proprit - dfinition :

    Un CM diabolique de dimension paire n = 4q reste diabolique par une symtrie

    centrale applique, de manire interne, au degr 2 si et seulement si :Pour i et j variant de1 q, et pour u , v, k variant de 1 4, on a les galits

    suivantes :

    a au q i v q ju v k

    u q i v q j

    u v k

    ( ) , ( )

    ( )

    ( ) , ( )

    ( )

    + +

    +

    + +

    +

    =1 14

    4 4

    4

    (diagonales descendantes),

    a au q i v q ju v k

    u q i v q j

    u v k

    ( ) , ( )

    ( )

    ( ) , ( )

    ( )

    + +

    + +

    =1 14

    4 4

    4

    (diagonales montantes).

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    264 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    Ces galits dfinissent des couples de quadruplets. Quand elles seront vrifies,on parlera de tableaux quadruplets correspondants gaux.

    Si on sintresse aux seules isomtries internes que sont la symtrie centrale etles symtries orthogonales par rapport aux mdiatrices des cts, on obtient un rsul-tat intressant: si le tableau est quadruplets correspondants gaux, ces trois isom-tries, au degr 1 et 2 conservent la diabolicit. Quelques cas particuliers sont intres-sants, comme celui-ci:

    Le carr de dpart La symtrie centrale au degr 1 La symtrie centrale au degr 2

    Composition de symtries centrales diffrents degrs sur un CMD de dimension paire

    Dans lexemple ci-dessus, une symtrie centrale applique au degr 1, suiviedune symtrie centrale applique au degr 2 permet de conclure que lchange terme

    terme, dans chaque quadrant, des quarts de quadrants symtriques conserve la dia-bolicit. En voici une illustration:

    Regardons de mme un exemple avec les symtries orthogonales qui permettentdintervertir des blocs, en dimension 12:

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    Yves MARTIN 265

    CMD quadruplets correspondants gaux, mais non constants

    ... et sa transformation par deux isomtries internes de degrs diffrents : change des colonnes

    De nombreux autres dveloppements sont possibles autour de ces thmes. Cesquelques points ont permis dillustrer la richesse spcifique du cas particulier de largularit des CM, en dehors du contexte historique des carrs latins et eulriens.

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    266 LES CARRS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHMATIQUE ARABE

    Terminons en donnant deux exemples possibles de structures symboliques decomposantes quadruplets correspondants gaux en dimension 12 (rappelons quunelettre prime correspond au complmentaire de la mme lettre non prime).

    Ces deux structures sont auto-contraintes dans quatre isomtries: les symtriespar rapport aux deux diagonales et les deux rotations. Telles quelles, elles ne sont pasen injection entre elles, mais le sont dans les quatre mmes isomtries que leur auto-contrainte. Elles sont aussi diabolicit simple.

    BIBLIOGRAPHIE

    On sest limit ici des ouvrages actuellement disponibles. Celui de JacquesBouteloup comprend une bibliographie plus complte, mais les ouvrages quil citesont puiss depuis longtemps.

    1) Pour ce qui est de la partie historique de cet atelier, louvrage utilis est:

    Un trait mdival sur les carrs magiques: De larrangement harmonieux desnombres, trad. et d. de Jacques SESIANO, Presses polytechniques et universitairesromandes, Lausanne, 1996.

    Ouvrage bilingue franais-arabe. De nombreuses notes font de cet ouvrage, au del de latraduction franaise dun manuscrit ce qui est dj trs riche , un tat de lart au XIII e s. dansla culture arabe, agrment dune comparaison avec certaines mthodes europennes du XVI e s.Un travail remarquable.

    Si louvrage na pas une approche typiquement mathmatique comme celui de JacquesBouteloup, lauteur nhsite pas traduire, dans ses notes, les constructions proposes parfoisassez obscures en notations algbriques pour les rendre plus accessibles au lecteur.

  • 8/8/2019 CARRES ARABES

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    Yves MARTIN 267

    On pourra consulter aussi:

    Histoire dalgorithmes. Du caillou la puce, Jean-Luc CHABERTet al., Belin,Paris, 1994, chap.2: Les carrs magiques.

    Une trentaine de pages assez dtailles sur lhistorique des carrs magiques, avec desextraits de textes originaux et une bibliographie consquente.

    2) Pour une approche plus technique des CM:

    Carrs Magiques, Carrs Latins et Eulriens, Jacques BOUTELOUP, ditions duChoix, Argenteuil, 1991.

    Reprend des dmonstrations qui sont (bibliographiquement) difficilement accessibles. Des

    tudes compltes, utilisant la congruence, mais aussi la thorie des corps. Donne galement desrsultats sur des travaux rcents: sans aucun doute le premier ouvrage consulter.

    Les carrs magiques de 5, Bernard GERVAIS, Eyrolles, Paris, 1998.

    Ouvrage grand public sur les CM dordre 5, avec des dmonstrations trs illustres. Cetouvrage introduit le concept de mosaque magique qui aboutit une vision complmentaire,originale et inattendue du problme des carrs magiques et des mosaques magiques.

    Magic Squares and Cubes, William H. BENSON, Dover, New York.

    New Recreation with Magic Squares, William H. BENSON et Oswald JACOBY,Dover, New York, 1976.

    Benson avait construit le premier carr trimagique en 1949. La bimagie est celledun CM dont le tableau des carrs est aussi magique. La trimagie vous aurez compris.

    Ces deux ouvrages offrent quelques autres aspects non abords par Jacques Bouteloup,comme les duplications de Strachey, les CM diaboliques de Stern, les constructions de La Hire.